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d'accord 20 ans MATIGNON-NOUMÉA MATIGNON-NOUMÉA MATIGNON-NOUMÉA Supplément du n° 11185 - jeudi 26 juin 2008 CMJN CMJN

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Supplément des Nouvelles calédoniennes paru le jeudi 26 juin 2008.

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La mise en place• 1977 - Création par JacquesLafleur du RPC, Rassemblementpour la Calédonie.• 1978 - Création du Frontindépendantiste (FI) rassemblantl’UC, le FULK, le LKS, le Palika,l’UPM et le PSC.• 1978 - Suite à la création du RPRpar Jacques Chirac, le RPC devientRPCR, Rassemblement pour laCalédonie dans la République.• 1980 - Indépendance desNouvelles-Hébrides, qui deviennentVanuatu.

Les prémices1981

• Septembre - Assassinat de PierreDeclercq, secrétaire général de l’UC.• Décembre - Fondation del’USTKE.

1982• Juin - Alliance FNSC-FI. Jean-Marie Tjibaou vice-président duconseil de gouvernement. Créationde l’impôt sur le revenu.

1983• Janvier - Deux gendarmes tuésà Koindé-Ouipoin.• Juillet - Table ronde de Nainville-les-Roches, qui reconnaît le droit« inné et actif » des Kanak àl’indépendance et le droit desCalédoniens « victimes de l’histoire »à rester sur leur terre. Le RPCR nesigne pas.

Les Événements1984

• 24 septembre - Fondation duFLNKS qui succède au FI. Le LKSse retire, l’USTKE, le GFKEL(Groupe des femmes kanak en lutte)et le Comité Pierre Declercq entrent.Le Palika le rejoindra plus tard.• 18 novembre - Boycott actif desélections territoriales. Éloi Machorobrise l’urne de Canala. Occupationdes mairies, barrages,séquestrations, manifestationsde rue.• 22 novembre - Thio, y comprisla gendarmerie, assiégé et occupépar le FLNKS.• 25 novembre - Désignation du« gouvernement provisoire deKanaky ».• 30 novembre - Échanges de coupsde feu à Ouégoa. Officiellement,deux morts. Officieusement, huit.• 1er décembre - Première montéedes couleurs du drapeau de Kanakyà la tribu de La Conception.• 4 décembre - Arrivée d’EdgardPisani, émissaire spécial dugouvernement en Nouvelle-Calédonie, avec pour mandatd’« assurer l’ordre, maintenir ledialogue et préparer les modalitésselon lesquelles sera exercé le droità l’autodétermination ».• 5 décembre - Embuscade deHienghène. Dix morts dont deuxfrères de Jean-Marie Tjibaou qui

maintient le mot d’ordre de levée desbarrages.• 27 décembre - Jacques Lafleurdéclare la Nouvelle-Calédonie enétat de « légitime défense ».

1985• 7 janvier - Edgard Pisani proposeson projet d’indépendance-association.• 11 janvier - Yves Tual, 17 ans,assassiné à Nassirah. Lesmanifestations qui suivent tournentà l’émeute à Nouméa (un millierde loyalistes lancés contre lehaussariat, 48 blessés,51 interpellations).• 12 janvier - Éloi Machoro,secrétaire général de l’UC, et MarcelNonaro tués par les gendarmes prèsde La Foa. État d’urgence et couvre-feu décrétés sur le territoire.• 19 janvier - Visite éclair deFrançois Mitterrand. 30 000manifestants à Nouméa pour laCalédonie française.• 25 janvier - Dick Ukeiwé proposeun statut de type fédéral.• 9 février - Congrès du FLNKS.Boycott de « l’école coloniale »,création des écoles populaires kanak(EPK).• 26 février - Défilé de la liberté àNouméa (35 000 personnes contre lecouvre-feu et l’état d’urgence).• Mars à décembre - Jours et nuitsd’affrontement et de quasi-guerrecivile sur l’ensemble du territoire.Assassinats, incendies, grèves,manifestations, barrages,plasticages, sabotages, arrestationset opérations militaires ponctuent unesuccession de changements etd’initiatives politiques de Jean-MarieTjibaou et de Jacques Lafleur quiaffirment leurs leaderships respectifs.• 29 septembre - Électionsrégionales (statut Fabius). Le FLNKSrevient dans les institutions,majoritaire dans trois régions surquatre.

1986• 15 février - Convention des EPK(1 500 élèves, 264 animateurs,46 écoles).• Mars - Retour de la droite enMétropole. Abrogation desordonnances Pisani.• Juillet - Adoption du statut Pons I.• Août - Le FLNKS ne participera àun référendum que si le scrutin estréservé au seul peuple kanak.• Septembre - Visite de JacquesChirac. Non-lieu dans l’affaire del’embuscade de Hienghène. Leparquet fait appel. Il y aura procèsd’assises.• Décembre - L’assemblée généralede l’ONU inscrit la Nouvelle-Calédonie sur la liste des territoiresnon autonomes à décoloniser.

1987• 8 mai - Le Parlement adopte unecondition restrictive de trois ansde résidence pour le référendumà venir.• 29 mai - Le FLNKS décide de

boycotter le référendum Pons et lesJeux du Pacifique.• Août - Violente dispersion d’unemanifestation indépendantiste àNouméa.• 9 septembre - Le Rassemblementréunit près de 30 000 personnespour une « fête de la liberté » austade Brunelet.• 13 septembre - Référendum surl’autodétermination. 98,3 % de oui àla France, avec une participation de59,1 %.• 29 octobre - Verdict d’acquittementpour les auteurs de l’embuscade deTiendanite.• 30 novembre - 32 interpellationsde militants indépendantistes àSaint-Louis, dont Yeiwéné Yeiwéné.• 4 décembre - Le FLNKS à l’ONUperd le soutien d’une vingtaine depays.

1988• 22 janvier - Statut Pons II.• 19 au 23 février - Heurts à Tiéti(Poindimié), 10 gendarmes pris enotages puis relâchés. Quinzemilitants arrêtés.• 15 mars - Le RPCR demande ladissolution du FLNKS.• 2 avril - Le FLNKS décide leboycott actif du premier tour de laprésidentielle et des électionsrégionales du 24 avril.• 22 avril - Attaque de lagendarmerie d’Ouvéa. Quatregendarmes tués, 27 pris en otage.• 25 avril - Onze otages libérés,ceux qui avaient été emmenés versle sud.• 5 mai - Opération Victor à Ouvéa.Les otages libérés sains et saufs,21 morts, dont 19 militantsindépendantistes et deux militaires.• 8 mai - Réélection de FrançoisMitterrand.

Le tempsdes accords1988

• 20 mai - Arrivée de la mission dudialogue.• 31 mai - Ouverture d’uneinformation judiciaire sur lesconditions de l’assaut de la grotted’Ouvéa.• 15 juin - Première rencontreLafleur/Tjibaou à l’hôtel Matignon.• 26 juin - Signature de l’accordMatignon.• 24 juillet - Le RPCR adoptel’accord, le FLNKS demande despourparlers complémentaires.• 17 au 20 août - Nouvellenégociation entre le FLNKS et leRPCR, rue Oudinot à Paris.• 10 septembre - Le FLNKS entérineles accords.• 6 novembre - Référendum nationalsur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. En Nouvelle-Calédonie,57,03 % de oui. Dans la région Sud,le non obtient 67 %. C’est la Broussequi sauve l’accord.

1989• 4 mai - Assassinat de Jean-Marie

Tjibaou et de Yeiwéné Yeiwéné àOuvéa par Djubelly Wéa, lui-mêmetué par un garde du corps.• 11 juin - Élections provinciales.Le FLNKS majoritaire au Nordet aux îles, le RPCR au Sud.• 29 novembre - Adoption de la loid’amnistie.

1990• 1er janvier - Transferts effectifs decompétences aux provinces.• Avril - Vente de la SMSP à laprovince Nord.

1991• Janvier - Alain Christnacht déléguédu gouvernement.• Avril - Jacques Lafleur propose lasolution consensuelle.

1995• 9 juin - Création de l’UNCT parDidier Leroux.• 9 juillet - Le RPCR perd la majoritéau Congrès lors des électionsprovinciales. La province des Ilespasse sous contrôle d’une coalitionLKS/RPCR/FDIL.• Octobre - Reprise des pourparlerssur la solution consensuelle.

1996• 19 septembre - Le FLNKS pose lepréalable minier avant toutediscussion sur l’avenir. Nombreusesmobilisations politiques et syndicalesdans les deux années suivantes.

1998• 1er février - Accord de Bercy surl’échange des massifs miniersPoum/Koniambo entre la SLN et laSMSP.• 21 avril - L’accord de Nouméatrouvé entre les partenaires locaux.• 5 mai - Signature officielle del’accord de Nouméa.• 8 novembre - Ratification del’accord par référendum local. Le ouil’emporte à 72 %.

2003• Juillet - Visite de Jacques Chiracqui promet de régler le problème ducorps électoral avant la fin de sonmandat.

2004• 9 mai - L’Avenir ensembleremporte les élections provinciales.

2007• Février - Le Parlement réuni àVersailles adopte le gel du corpsélectoral.• Juin - Le Rassemblement remporteles deux sièges de députés lors deslégislatives.

Source : Chronologies d’IsabelleLeblic et d’Ismet Kurtovitch

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S’il faut commencer parun symbole, il estclair que c’est le coupde hache d’ÉloiMachoro sur l’urne

de la mairie de Canala, le 18 no-vembre 1984, qui marque le coupd’envoi d’un cycle d’une rare vio-lence pour une petite communautéd’alors 145 000 habitants.Ces « élections de la violence »,

qui ouvrent une longue période in-surrectionnelle, avaient été précé-dées de signes annonciateurs. Huitsemaines auparavant, le 24 sep-tembre, le Front indépendantiste(FI) s’était transformé en FLNKS,Front de libération nationale kanaket socialiste. Il refusait le statut Le-moine, au motif qu’il n’allait ni assezloin ni assez vite au regard des pro-messes d’indépendance de Fran-çois Mitterrand en 1981, et qu’il nerestreignait pas le corps électoral duréférendum à venir aux seuls Kanaket aux « victimes de l’histoire ». Letour cycliste avait été stoppé sur lebarrage de Tibarama. Le 17 no-vembre étaient revenus les 17« stagiaires libyens » du premierdes deux groupes que les indépen-dantistes avaient envoyés se formerchez Khadafi.Mais à partir du 18 novembre,

tout s’accélère face à des forces del’ordre dépassées, sans effectifs etsans ordres clairs. Le jour du scru-tin, la mairie de Sarraméa est in-cendiée, les barrages fleurissent. Le20, Éloi Machoro et ses hommes in-vestissent la gendarmerie de Thio,puis se retirent, mais organisent leblocus du village dont la populationva vivre des mois de terreur. Le 22,le sous-préfet Demar et sa famillesont séquestrés à Lifou. Le 23 in-terviennent les premiers tirs contredes CRS (quatre blessés) à LaConception. Le 27 arrivent 600 gen-darmes en renfort. Le 29, premièrefusillade à Ouégoa, et gendarmeriede Poum investie. Le 30, huit mai-sons brûlées à Poya. Et le premiermort, Émile Mézières, loyaliste tuéau carrefour de Bondé, entre deuxbarrages indépendantistes, alorsqu’il s’assurait du passage d’uneambulance. La fusillade qui suit faitsix blessés, et deux autres mortsdans les rangs indépendantistes,Mickaël Daouilo et Vianney Thio-rama. Il y aurait eu ce jour-là six au-tres morts, qui n’ont jamais étéofficiellement recensés.Étonnamment, il a fallu douze

jours pour qu’arrive l’irréparable.Comme si, jusqu’ici, on avait hésité,tiré pour faire peur plus que pourtuer. Ce ne sera plus le cas.Le 2 décembre, Éloi Machoro, mi-

nistre de la sécurité du « gouverne-ment provisoire de Kanaky » installéla veille, passe de maison en mai-son saisir les fusils des gens de

Thio où il est maître. Le 3, deuxblessés par balle à Saint-Louis. Le5 décembre, au lendemain de l’arri-vée d’Edgard Pisani, délégué dugouvernement doté des pleins pou-voirs, survient l’embuscade deHienghène. De nuit, sur la route deTiendanite, le « clan des métis » abarré la route à deux camionnettesdu FLNKS, attaqué à la dynamite,éclairé au projecteur et tiré à la che-vrotine. Dix morts, dont deux frèresde Jean-Marie Tjibaou qui, malgrétout, maintient son appel à unelevée des barrages qui n’intervien-dra que très progressivement.

L’embuscade de Tiendanite, dontles auteurs seront acquittés pour lé-gitime défense, verdict qui contri-buera à la remontée de la tensionen 1988, est l’un des temps fortsdes Événements. Il en est d’autresbien sûr. L’histoire a retenu le siègede Thio, la mort du jeune Yves Tual,

celle de Machoro le lendemain, lesémeutes de Nouméa du 11 janvier(mille manifestants anti-indépen-dantistes lancés contre le haussa-riat pendant vingt-six heures, 48blessés, 51 interpellations) et du8 mai 1985. Et, pour finir, l’attaquede la gendarmerie d’Ouvéa le22 avril 1988 (quatre morts) et le dé-nouement tragique de la prised’otages (21 morts le 5 mai, dont 19indépendantistes et 2 militaires).Mais les années de cendres ne

sauraient être réduites à leurs pa-roxysmes. Au 31 décembre 1984,six semaines après le début des

Événements, unbilan officiel faitétat de 107 bar-rages, 96 incen-dies, 41 pillages,15 utilisationsd’explosif, 84 in-terpellations, 66armes saisies.Et cela va conti-nuer. Dans unethèse soutenuequelques an-

nées après, le juge Semur, alors enposte à Nouméa, va recenser 1 800actions violentes, dont 257 incen-dies et 950 vols de biens oud’armes.Jour après jour, c’est surtout la

Brousse qui souffre. Manque d’eau,manque d’électricité, manque de vi-

vres. C’est le temps des ravitaille-ments de la côte Est en bateau, desdéplacements en convois routiersprotégés par les gendarmes, VBRGen tête pour dégager les barragesqui se reforment derrière le derniercamion. C’est le temps des cagou-lards armés. C’est le temps des ré-fugiés, Calédoniens et Kanakloyalistes, évacués par centaines deOuégoa, de la côte Est, de Lifou,logés dans des internats. C’est letemps de l’état d’urgence et du cou-vre-feu, entre le 12 janvier et le30 juin 1985. C’est le temps desdestructions à l’explosif, au palaisde justice, à l’Office foncier, aux Im-pôts, à Do Kamo. C’est le temps dubétail tué, des centres miniers sa-botés, de l’écroulement durable dutourisme et de la filière bois. C’est letemps où la Calédonie a un minis-tère parisien pour elle toute seule.Où il fallait 27 escadrons de mo-biles, 5 de CRS et 400 gendarmesterritoriaux, soit 3 500 hommes,pour assurer la sécurité d’une élec-tion. C’est le temps des milices quiveillent la nuit, des rackets du « Co-mité d’action secrète », des écoutestéléphoniques avérées, des ru-meurs alarmistes et des psychoses.Et c’est le temps de la mort qui rôde.Le décompte est macabre, mais

les Événements ont fait plus de 60morts. L’histoire a fait le tri. Elle ena retenu certains, a oublié les au-tres. N’en sont pas moins morts,pour n’en citer que quelques-unsdans les deux camps, AldoGoyetche et le gendarme Comte,brûlés dans l’incendie volontaired’un magasin de Bourail ; Jean-Marie Sangarné, tué à Hienghène ;le major Leconte, sabré à Pouébo ;Marcel Nonnaro, tué avecMachoro ; Simone Heurteaux, cail-lassée sur la route de Houaïlou etachevée à coups de pierres ;Lucien George, 81 ans, tué de 21coups de sabre à Païta ; CélestinZongo, un tout jeune homme, qui apris une balle perdue à Montravel.Georges Gérard, Jean-MarieKabar, James Fels, les gendarmesMaréchal, Berne et Robert. Et puisLéopold Dawano, tué à Saint-Louis ; José Lapetite, abattu àVoh ; Albert Poityé, tué par un mili-taire à Thiem ; Martial Vanahaa, 16ans, tiré près de la rivière deGondé parce que ses parentsavaient voté quand il ne fallait pas ;et aussi Julie Akaro, 18 ans, tuéed’une balle à Canala lors d’une fu-sillade entre forces de l’ordre et in-dépendantistes, fin avril, au mêmemoment que la prise d’otagesd’Ouvéa.Il n’y a rien de plus grotesque

que la rencontre d’une jeune fille etd’une balle de fusil. C’est de là quel’on vient. C’est là où on ne veutplus aller.

S’il y a un« miracle »calédonien, il nepeut se mesurerqu’à l’aune des« événements »,un mot bienpudique pourmasquer quatreannées de quasi-guerre civile, entrele bris des urnesde Canala parÉloi Machoro, le18 novembre 1984,et le dramed’Ouvéa, le 5 mai1988.

Deuils et souffrances, peurs etlarmes, incendies et barrages,expulsions et réfugiés, manifsgéantes et émeutes de Nouméa, étatd’urgence et couvre-feu marquent cesannées de cendres, sur fondd’instabilité institutionnelle.

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En brisant l’urne de Canala à la hache, le 18 novembre 1984, Éloi Machorodonne le coup d’envoi à quatre années d’affrontements. Pour certainshistoriens, les Événements commencent plus tôt, avec l’assassinatde Pierre Declercq en 1981.

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La valse des statuts

«L’ h i s t o i r edes statutsde la Nou-velle-Calé-d o n i e ,

considère le juriste et ancien préfetFrançois Garde, peut paraître inco-hérente ou incompréhensible. Cetteinstabilité institutionnelle est le refletdirect d’une histoire plus tourmen-tée encore. Les allers-retours dansla répartition des compétences oudans la participation des élus àl’exécutif du Territoire traduisent larecherche d’un difficile équilibre, oùdoivent se concilier les intérêts del’État et les demandes du Territoirepuis, après 1980, les conséquencesdu débat sur le maintien dans la Ré-publique. »La ligne de force qui sous-tend

l’histoire institutionnelle calédo-nienne, explique encore FrançoisGarde, est le conflit structurel entreParis et Nouméa, entre l’État et leTerritoire. Il aurait dû aboutir, es-time-t-il, à une solution de type au-tonomie interne, à la polynésienne.Et c’est vers cela que tendaient laloi-cadre Deferre, le statut Lemoineou le second statut Pons. « Maiscette évolution naturelle a buté sur

la revendication indépendantiste. »Et de fait, il a fallu que le FLNKS

accepte, sans renoncer, de retarderdeux fois l’échéance, de dix anspuis de vingt ans, pour ouvrir unevoie de progrès politiques, écono-miques et sociaux. L’autonomie trèslarge de la Calédonie d’aujourd’hui,durablement installée dans des ins-titutions stabilisées avec seulementdeux statuts en vingt ans, va au-delà de ce qui était imaginable du-rant les années de cendres. Maisque de tâtonnements pour y arriver,les statuts successifs apportant fi-nalement chacun leur pierre à l’édi-fice actuel…

Le statut LemoineAdopté le 6 septembre 1984, il

« recentre l’État sur ses missionsrégaliennes », augmentées de lacompétence sur les mines et la ré-forme foncière. Il fait passer lescommunes du régime de la tutelleà celui toujours en vigueur ducontrôle de légalité a posteriori.Il confie l’exécutif local à un gou-

vernement dont seul le président(ce sera Dick Ukeiwé) est élu parl’Assemblée territoriale (ex-

Congrès). Le statut Lemoine créeune représentation de la coutume,via une « assemblée des pays »consultative. Enfin, il prévoit uneconsultation sur l’accession à l’in-dépendance dans un délai de cinqans.Ce statut, du nom du secrétaire

d’État aux Dom-Tom Georges Le-moine, va durer moins d’un an. Cesont en effet les élections qui de-vaient en désigner les acteurs, le18 novembre 1984, qui font l’objetdu « boycott actif » des indépen-dantistes du FLNKS et marquent ledébut des Événements.

Le statut Fabius-PisaniIl est promulgué le 23 août 1985,

et mis en œuvre après les électionsdu 29 septembre de la mêmeannée. Il crée quatre régions (Sud,Centre, Nord et Îles) dotées delarges compétences en matière dedéveloppement. Leur exécutif estconfié à un président élu par lesconseils de région, dont la réunionconstitue le Congrès. Mais l’exécu-tif du Territoire retourne à l’État, viale haut-commissaire assisté d’unconseil constitué du président du

Congrès et des quatre présidentsde région (Lèques, Jorédié, Tji-baou, Yeiwéné). Ce statut conserveune représentation coutumière,consultative, et prévoit un référen-dum sur l’indépendance-associa-tion avant décembre 1987.Comme le précédent, le statut

Fabius-Pisani n’a duré que onzemois, durant lesquels les indépen-dantistes, avec 34,8 % des suf-frages, ont géré trois provinces surquatre, soit 90 % du Territoire, touten étant minoritaires au Congrèsdominé par le RPCR grâce au nom-bre de sièges supérieur de la Ré-gion sud qu’il contrôlait. Statutéphémère, mais durable par héri-tage. Il a en effet inspiré tous les ré-gimes ultérieurs sur quatre points :la création de collectivités intermé-diaires entre le Territoire et les com-munes (régions et plus tardprovinces), la réunion des assem-blées délibérantes de ces collectivi-tés locales en Congrès duTerritoire, l’instauration d’une re-présentation spécifique de la cou-tume, et enfin le principe d’uneconsultation sur l’indépendancedont la tenue effective est renvoyéeà plus tard.

Entredécembre 1976(promulgationdu statut Stirn)et juillet 1989(fin de la périoded’administrationdirecte), soit enmoins de treize ans,la Nouvelle-Calédonie a connuhuit régimespolitiques différents,dont quatre pendantles événements,trois pour la seuleannée 1988…

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À l’époque instable des Événements, marquée par quatre statuts en quatre ans, le sénateur Dick Ukeiwé était la voix des Mélanésiens fidèles à la France.Il est l’auteur d’un projet de statut que le Sénat fit éditer en affiches. Il l’avait présenté à Nouméa lors d’une manifestation rassemblant 30 000 personnes.

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Jacques Lafleur« Je jouais tous les rôles en mêmetemps (…) pour éviter qu’il y ait trop demorts. Je n’ai que partiellement réussi.Je n’ai surtout pu éviter cette haine ra-ciale qui s’était emparée des Kanak indé-pendantistes et des Calédoniens blancsqui voulaient régler leur problème avecleurs fusils. Je n’ai pu éviter certainsmassacres. Dans ces moments-là, il nem’a jamais été possible d’arrêter l’intolé-rance. Il faut dire que le pouvoir socialistedu moment n’aimait ou ne tolérait queceux qui haïssaient la France.« Sur l’ensemble du territoire, les actionsviolentes avaient pris un tour plus précis,plus systématique. C’est ainsi que seproduisit le drame de Hienghène (…). Cefut d’une sauvagerie abominable. Cettesauvagerie, on la trouvait chez ceux quise défendaient à leur façon, comme chezles autres qui multipliaient depuis des se-maines les incendies et les agressionsdans la vallée de la Hienghène. (…)« Pour en avoir discuté avec Jean-MarieTjibaou et des membres de sa famille, etpour avoir rencontré les autres protago-nistes du drame, je conserve la convic-tion que les morts jouent un rôleimportant, évidemment trop tardivementpour eux, car chacun s’interroge sur la

réelle nécessité de les avoir tués. Et pa-radoxalement, si les morts servent à laréflexion là où ils sont morts, cela n’em-pêche pas, ailleurs, de continuer à tuer. »L’assiégé - 2000

Jean-Marie Tjibaou« L’avenir ne peut plus être ce qu’il aété, du moins pour nous qui avons vécuces événements, qui vivons dans cetespace-temps. Les souffrances, les sa-crifices des uns et des autres, ont peut-être ouvert les yeux à beaucoup. Lessouffrances, les événements durs, ontfait se poser des questions : pourquoitout cela, pourquoi tout ce grabuge,pourquoi tous ces morts ? Les événe-ments d’Ouvéa ont fait frémir les Fran-çais. L’assassinat de Hienghène, lafaçon dont la justice a été ensuite ren-due, l’amnistie qui va suivre les dramesd’Ouvéa obligent les gens qui ont vécuces événements-là à s’interroger : pour-quoi tout cela ?« Si le FLNKS a engagé des mouve-ments, c’était pour dire : “ Halte à la né-gation de ce que nous sommes ! Halte àla logique que nous appelonscoloniale ! ” Il faut enfin que l’État impar-tial s’exerce dans notre pays au niveaude la justice, de la formation, à tous les

niveaux. Quelle que soit notre couleurde peau, nous devons ensemble êtreconsidérés tout simplement comme desparticipants à l’humanité.« Aujourd’hui, grâce à ces événements,nous ne pouvons plus nous regarder dela même manière ; cela est en train dese passer, douloureusement, mais celaa lieu quand même. »Interview RFO - septembre 1988

Jean-Claude Guillebaud« Voyez un peu l’histoire ! Elle saigneencore d’anciennes révoltes et devieilles injustices ; elle parle à voix bassedes fusillés canaques, des proscrits deKabylie, des complaintes de la chiourmeet des exilés de la Commune. C’est uneîle de cicatrices et de colère ; un granddoigt coupé qui flotte sur l’océan, pointévers des souvenirs têtus. »1980

Marcel, ouvrier agricole« On nous a poussés à bout. Ce sont leshommes politiques qui ont exacerbé lessentiments des uns et des autres. Nousne voulions pas nous battre, les armes àla main, contre les Kanak que nous

connaissions bien. J’ai été à l’école avecles Kanak, j‘ai comme eux connu une viepauvre et difficile. Puis les politiques sontvenus et nous ont dit de nous méfier,qu’ils allaient prendre nos terres. Alorsnous avons pris peur, nous avons voulunous défendre contre le danger qui nousmenaçait. Côté kanak, c’était la mêmechose. Des extrémistes, formés à la gué-rilla à l’étranger, les ont poussés à pren-dre les armes et à nous agresser. »Nouvelle-Calédonie -Horizons pacifiques - 1999

Michel Rocard« Deux jours avant le deuxième tour :dix-neuf morts à la grotte d’Ouvéa. Uneirresponsabilité terrible probablementliée au fait que le candidat Chirac avoulu mettre en avant, dans une dé-monstration musclée, la défense du dra-peau français et de l’identité nationale.« (...) Et le sang avait coulé. Je neconnaissais pas la Nouvelle-Calédonie,je n’y étais jamais allé. J’ignorais sonhistoire, qu’il a bien fallu que j’apprenne.Je savais néanmoins quelques petiteschoses. La principale, c’est que la com-munauté canaque considérait l’État fran-çais comme un menteur. »« Entretien » - 2001

Paroles d’hommesOn peut puiser, dans les propos tenus à l’époque par les uns et les autres, des phrases prononcées dans un contexte de tensionextrême et qui sont des appels plus ou moins directs à la lutte armée. Elles témoignent de l’intolérance mutuelle, sont lourdes desens, parfois de conséquences. Celles que nous rapportons ici ont trait aux événements, mais ce sont des propos d’après, plusréfléchis. Davantage à la hauteur d’un pays engagé dans la recherche d’un destin commun, et qui a pris du recul.

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Ce que promettaitla gauche

Pour avoir cru ce qui suit, et constatéplus tard qu’il y avait loin de la coupeaux lèvres, les indépendantistes sontdevenus extrêmement méfiants despromesses électorales, et notammentdes socialistes dont ils partagentpourtant la sensibilité.

Programme commun de 1981 : « Legouvernement reconnaîtra le droit àl’autodétermination des peuples desDOM et des TOM. Les nouveaux statutsseront discutés avec les représentantsdes populations concernées et devrontrépondre aux aspirations de celles-ci. »

Projet socialiste de 1981 : « Si lespeuples d’Outre-Mer expriment lesouhait d’accéder à l’indépendance, leparti socialiste au pouvoir leur enassurera la possibilité selon lesmodalités par eux choisies, tout en leuroffrant l’établissement de liens avec laFrance dans le cadre d’une structuremutuellement consentie. »

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Le statut Pons IAdopté le 17 juillet 1986, il

conserve en l’état la quasi-totalitédes institutions du statut précédent,mais il restreint les compétencesdes régions au profit du Congrès. Ilinstaure l’Adraf, alors gérée locale-ment et pas encore par l’État.Il maintient le référendum, mais

en modifie la question qui ne porteplus sur l’indépendance-associationchère à Pisani mais sur l’indépen-dance tout court. La consultation,avec son corps électoral restreint(trois ans de présence pour voter),a lieu le 13 septembre 1987. Elle estboycottée par les indépendantistes,un boycott passif et non actif, et lecamp du maintien dans la Répu-blique obtient 98,3 % des suffrages,dans un scrutin à 59,1 % de partici-pation.Ce référendum ne solde évidem-

ment pas la revendication indépen-dantiste, mais ouvre la voie d’uneplus large autonomie.

Le statut Pons IIPromulgué le 2 janvier 1988, il

n’est jamais véritablement entré

en vigueur, même si son existencelégale a couru d’avril à juillet de lamême année. Il renforce les com-pétences des régions, et confiel’exécutif à un collège d’élus (dontles présidents des régions, mem-bres de droit), sans représentantde l’État.Le statut Pons II prévoit une

chambre des comptes, un comitééconomique et social, une assem-blée coutumière et un office calé-donien des cultures. Surtout, ilinstaure un nouveau découpage(Sud, Ouest, Est et Îles), de na-ture à attribuer deux régions surquatre et non plus une seule auxanti-indépendantistes.En fait, ce sera quatre sur qua-

tre. Les élections destinées à dé-signer les membres des nouvellesrégions ont lieu le 24 avril 1988, lemême jour que le premier tour del’élection présidentielle, simulta-néité refusée par les indépendan-tistes qui décrètent un nouveauboycott actif.Dans un contexte troublé (13

bureaux de vote fermés et débutde l’affaire d’Ouvéa), la participa-tion atteint 58,3 % ; le RPCR rem-porte 35 sièges, le Front national

8, le Front calédonien 2 et la seuleliste indépendantiste modérée unseul.La mise en place de ces régions,

présidées par Jacques Lafleurpour le Sud, Harold Martin pourl’Ouest, Henri Wetta pour l’Est etSimon Loueckhote pour les Iles,est une courte parenthèse. Car ledénouement tragique de la prised’otages d’Ouvéa va paradoxale-ment déboucher sur une reprisedu dialogue, une poignée de main,les accords Matignon-Oudinot etun nouveau statut. Mais, pendantun an, l’État reprend largement lesrênes du pays.

L’administrationdirecteL’expression est entrée dans

l’usage, mais elle est improprecar, entre le 12 juillet 1988 et le14 juillet 1989, date officielle de lamise en place des provinces,l’État n’assume seul que l’exécutifdu Territoire, donc la gestion de laNouvelle-Calédonie, le statutPons II restant en vigueur sur larépartition des compétences et lefonctionnement des régions.

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Au nom du droitet de la morale

«La seule chosequi m’était in-terdite étaitd’aller là-bastout de suite.

Or la négociation ne pouvait com-mencer que sur place, raconte Mi-chel Rocard lorsqu’il évoque, dansdes entretiens publiés en 2001, lamanière dont il s’est saisi du dossiercalédonien au lendemain de sa no-mination comme Premier ministre.Mais en même temps, il était né-cessaire d’engager une médiationcollective menée par des interlocu-teurs dont la hauteur morale soit ab-solument incontestable, dont lemessage soit, par nature, par expé-rience et par responsabilité, étran-ger à celui de l’État, qui parlent aunom du droit, de la morale del’éthique universelle. »Ce sera la « mission du dia-

logue ». Elle est conduite par le pré-fet Christian Blanc et comprend lesous-préfet Pierre Steinmetz, leconseiller d’État Jean-Claude Pe-rier, le pasteur Jacques Stewart,président de la Fédération protes-tante de France, le franc-maçonRoger Leray, ancien Grand Maîtredu Grand Orient de France, et lechanoine Guiberteau, recteur del’Institut catholique de Paris. Pour lapremière fois depuis Louis XIV,

l’Eglise catholique acceptait ainsi derendre à l’État un service de puis-sance publique. C’est dire à quellehauteur le drame calédonien mobi-lisait.La mission du dialogue arrive le

20 mai, et observe le silence. Sespremiers contacts sont individuels,chacun allant voir les siens.Elle enchaîne, en groupe, par les

organisations politiques et socio-professionnelles qu’elle reçoit àNouméa. Le 25 mai, elle est àOuvéa. Le lendemain, elle est àPoindimié, puis à Hienghène et, enprivé, monte à Tiendanite. Ellecontinue par La Foa, se déplace surtout le territoire, à la rencontre desgens sur le terrain.Entre le 20 mai et le 7 juin, jour de

son départ, la mission du dialogueva ainsi mener 600 auditions : tousles politiques, tous les élus, leschefs coutumiers, les représentantsde la société civile…La venue des envoyés de Rocard

n’a pas ramené la paix d’un claque-ment de doigts. Son séjour estémaillé d’incidents : massacre debétail à Gondé, barrages indépen-dantistes à Poindimié, barragesloyalistes à Témala et à Ponéri-houen, incendie de la maison Men-nesson à Pouembout. Les deuxoccupants, âgés, ont été enfermés

dans la salle de bain et n’échappe-ront à la mort que de justesse.Mais, parallèlement, la mission

multiplie les signes. À Ouvéa, parexemple, elle observe une minutede silence en mémoire des gen-darmes tués, mais s’incline égale-ment sur la tombe des « 19 » et vaà Gossanah. Elle parle sur la natte,sous les cocotiers, à l’ombre d’untemple. Elle va aussi directement àla rencontre des populations, à Nou-méa, dans les quartiers, enBrousse.

« Des hommes de bonne volontéont accepté de partir pour faire queles choses cessent d’être au boutdes fusils, explique alors RogerLeray. Nous sommes ici pour en-rayer une mécanique tragique, im-pitoyable, probablement parce quenous croyons dans la vie, les va-leurs d’humanité qui reposent sur le

respect de l’autre. Les contacts quenous avons eus, explique encore lefranc-maçon, montrent à l’évidencequ’il y a une formidable volonté depaix dans ce pays. Nous faisons ensorte que cette volonté puisse s’ex-primer en liberté au bénéfice desuns et des autres. »Elle s’exprime si bien que la mis-

sion, qui sent quelques « frémisse-ments » dans les concessionsréciproques et l’envie de se parler,va repartir plus tôt que prévu, le7 juin. À Tontouta, Christian Blanc

se contente de souli-gner qu’il va falloir,« dans les jours etles semaines à venir,que tous nous fas-sions preuve de tolé-rance, d’intelligence,de respect des diffé-rences, des cultures,de la dignité des unset des autres. Il yfaudra du temps.

Vous devez, nous devons nous yemployer ».La mission du dialogue, jugera

plus tard Michel Rocard, « a crééune situation qui a fait que les deuxchefs n’ont plus pu éviter de se par-ler, ni de venir à Paris parler au gou-vernement ». C’est ce qu’ils vontfaire à partir du 15 juin 1988.

Le traumatismedes 25 mortsd’Ouvéa n’a pasdu jour aulendemain signéle terme de quatreannées deviolences. Maisla prise deconscience qu’il asuscitée a créé leterreau favorableà une reprise dedialogue appuyéesur la « médiationcollective »d’interlocuteursparlant « au nomdu droit, de lamorale et del’éthiqueuniverselle ».

« Nous sommes ici pour enrayerune mécanique tragique,impitoyable, probablement parceque nous croyons dans la vie. »

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La mission du dialogue chez Jean-Marie Tjibaou, fin mai 1988. Aujourd’hui, le passage par Tiendanite est un pèlerinage obligatoire pour tout nouveauministre de l’Outre-Mer.

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Jean-Marie Tjibaou« La mission est un signe d’espoir pour lepays. Comme c’est une mission qui n’a pasune fonction politique particulière, on estplus à l’aise pour discuter avec elle. Nousformulons beaucoup d’espérance, maispour la confiance, nous attendons. Pour lemoment, nous pensons que c’est bon pourle pays que les gens puissent s’exprimer.« Si la revendication canaque doit toujoursposer problème, il faut absolument qu’on luitrouve un exutoire autour d’une table pourque, dans le temps, on trouve des solutionsinstitutionnelles définitives.« Tout le monde se pose des questions,chacun envisage de faire sérieusementautre chose de mieux pour tout le monde.J’ai un certain nombre de correspondancesou de contacts de la part de Caldoches quivont dans ce sens. Pas beaucoup mais jepense que cela peut peut-être permettre àla mission d’envisager des possibilités derencontres entre les gens qui habitent cepays. »Mai 1988

« Notre pari et notre espoir, c’est que lesgens s’engagent aujourd’hui en se respec-tant et en se disant qu’il n’y aura pas de ca-deau. Nous ne demandons de cadeau depersonne. Nous demandons à être respec-tés. Nous voulons qu’on commence au-jourd’hui à construire l’avenir que l’on veut

partager, et ce en tenant compte des ca-rences et des richesses des uns et des au-tres, pour parvenir ensemble à ce que, dansce pays, il y ait des gens qui rendent grâceau ciel d’avoir le soleil, la mer. Quelle quesoit leur nationalité. On peut rester Chinois,on peut rester Français ; si le pays devientindépendant, c’est en tout cas mon souhait,que chacun reste en continuant à travaillerensemble, et à faire de ce pays le paysqu’on rêve d’habiter parce qu’il est le plusbeau, le plus développé, le plus attirant duPacifique. »Septembre 1988

Jacques Lafleur« Le dialogue est nécessaire. Il y a obliga-toirement, pour ceux qui réclament une in-dépendance raciste au nom du droit dupremier occupant, une part de sacrifices àfaire. Ils reçoivent beaucoup, mais ils nedonnent pas, alors il va falloir qu’ils don-nent. Si nous exigeons cette attitude-là, çaveut dire que nous devons donner aussi et,en l’occurrence, cette fois, il faudra libre-ment consentir certains sacrifices. (…)Il faut que les responsabilités soient parta-gées, que chacun des opposants trouveson équilibre dans son aire de responsabi-lité. Il faut que ces responsabilités soientlarges, que l’État donne toutes ses chancesà ces zones et à ces hommes de réussir.

À ce compte-là, l’espoir pour la Nouvelle-Calédonie est parfaitement possible. »Juin 1988

« Et le temps de la réflexion, à tout le moinsle temps du remords, vint et commença àenvahir les esprits. Le drame d’Ouvéa a faitl’effet d’une bombe dans les consciencescomme cela avait été le cas pour celui deHienghène. La Nouvelle-Calédonie étaitsous le choc et, si elle ne réflechissait pasencore très positivement, elle réflechissait.« Michel Rocard savait pertinemmentqu’avec le chef qu’il avait, FrançoisMitterrand, il valait mieux pour ses abattisqu’il marque très vite des points. LaNouvelle-Calédonie pouvait être un terrainutile, et il connaissait des hommes d’unequalité exceptionnelle qui pouvaient agirefficacement. »Avril 2000

Octave Togna« 84-88, c’est pas Ataï, c’est notre histoirecontemporaine, de chacun d’entre nous.Quand on a la prétention de dire qu’on aimece pays, il faut l’aimer comme il est.La Calédonie, c’est un pays dur, parcequ’il mange ses enfants. Et il ne fait pasde différence. Il a mangé Tjibaou commeil a mangé Tual. Il faut que chacun d’entrenous ait du recul. »Mai 2008

Le précédent deNainville-les-Roches

Dans leur contenu commedans la méthode adoptée poury aboutir, une discussion à troisvisant à élaborer un schémaacceptable par tous, lesaccords Matignon-Oudinot de1988 et l’accord de Nouméade 1998 doivent beaucoup à latable ronde de Nainville-les-Roches qui fut pourtant unéchec. Du 8 au 12 juillet,Georges Lemoine, secrétaired’État aux Dom-Tom, hommede consensus pris dans latourmente des événementsnaissants, réunit près de Parisles principaux acteurspolitiques calédoniens.De leurs discussions sortitune déclaration quireconnaissait à la fois« le droit inné et actif àl’indépendance du peuplekanak, premier occupant »et la légitimité de la présenceen Nouvelle-Calédonie des« victimes de l’histoire »,immigrants arrivés avant laSeconde Guerre mondiale.L’accord, signé par l’UC et laFNSC, mais refusé par le RPCR,prévoyait un statut d’autonomietransitoire avant un scrutind’autodétermination cinq ansplus tard.

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Paroles d’hommes

Les participants à la table ronde de Nainville-les-Roches. Au premier rang de gauche à droite : Jacques Laleur, Paul Napoarea, Édouard Wapae, Roch Pidjot,Georges Lemoine (ministre des DOM-TOM), Marie-Paule Serve, Jacques Fournet, Franck Wahuzue ; 2e rang : Gabriel Païta, Yeiwéné Yeiwéné, Lionel Cherrier,Atelemo Taofifenua, Auguste Parawi-Reybas, Jean-Marie Tjibaou, M. Ferstembert ; 3e rang : Jean Lèques, M. Mathieu, Jean Montpezat, Jacques Roynette,Dick Ukeiwé, Victorin Boewa, Jean-Pierre Aïfa ; 4e rang : M. de Gouttes, Gaston Morlet, Yves Tissandier, Maurice Perrier, André Caillard, Christian Boisseryet Éloi Machoro.

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Ils ne pouvaient plus éviter dese parler, et ils l’ont fait.Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou sont reçus parMichel Rocard à Matignon le

15 juin 1988, moins de deux moisaprès la tragédie d’Ouvéa. Le Pre-mier ministre, souffrant, est obligéd’aller s’installer dans un bainchaud pendant que les deuxhommes discutent, se disputent.« Je décrète alors que je resteraidans mon bain jusqu’à ce qu’ils ré-digent un communiqué qui dise peude chose sur l’essentiel mais sim-plement que la paix est possible etqu’on entrevoit des conversationsofficielles de délégations, raconteraMichel Rocard une douzaine d’an-nées plus tard. Je n’en démordaispas. J’ai dû attendre encore uneheure et demie. »Dans les jours qui suivent,

Jacques Lafleur et Jean-Marie Tji-baou ont de longues conversationsdans le kiosque à musique du parcde Matignon. Dialogue utile. « J’aibeaucoup appris, dira Jacques La-fleur. J’espère que lui aussi. Ce futsans doute le cas, car nous avan-cions sur une voie commune, enlaissant de côté pour un temps cequi nous divisait trop fortement. »Mais pour Michel Rocard, il fallait

passer des confidences privéesn’engageant que leurs auteurs àdes discussions officielles. Les dé-légations du RPCR et du FLNKSrejoignent donc leurs leaders. L’ul-time négociation commence le sa-medi. Elle aboutit le dimanche àl’aube. « Un sentiment humain en-vahissait ceux qui étaient présents,raconte Jacques Lafleur. En dehorsde toute arrière-pensée politique,

une formule m’est venue aux lè-vres : il faut savoir donner et par-donner. » Jean-Marie Tjibaouexplique que « c’était émouvantparfois », qu’il « fallait bien choisirentre continuer à s’entre-tuer etconstruire l’avenir ».Michel Rocardse félicite de ce que chacun ait ac-cepté « non plus de vaincre maisde convaincre ».De cet accord, il reste surtout une

photo, celle de la poignée de main.Le texte lui-même n’était qu’une dé-claration générale de vingt-cinqlignes. Celle-ci renvoyait à undeuxième texte intitulé « Les condi-tions d’une paix durable : l’État im-partial au service de tous » et à un

troisième texte précisant l’évolutioninstitutionnelle, économique et so-ciale du territoire, sur lequel les si-gnataires s’engageaient à obtenirl’aval de leurs partis respectifs.L’accord de Matignon fixe les prin-cipes généraux. Les détails vien-dront avec l’accord Oudinot, signédeux mois plus tard, le 20 août, auministère des Dom-Tom. D’où l’ap-pellation plurielle du premier ac-cord, dit Matignon-OudinotPlus personne ne conteste au-

jourd’hui le bien-fondé de cet ac-cord et de la poignée de main entredeux hommes que certains n’hési-tent pas à qualifier de « pères fon-dateurs ». Mais c’est tout de même

un miracle que l’accord ait pu vivre,tant les Calédoniens des deuxbords ont eu du mal à l’accepter,particulièrement en raison de l’am-nistie générale qui l’accompagnait,y compris pour les crimes de sang.Jacques Lafleur, au sommet de sapopularité, a convaincu sans tropde mal le RPCR. Pourtant, lors duréférendum national qui a validé ledispositif, le oui ne l’a emporté qu’à57 % sur le Territoire. Le Sud loya-liste a voté majoritairement contre.C’est la Brousse indépendantistequi a sauvé l’accord. Mais il a fallu,comme disait Jean Marie Tjibaou,« expliquer et encore expliquer, carce n’est pas évident de faire ensorte que des gens qui ne s’aimentpas envisagent de regarder ensem-ble vers l’avenir ».Mais expliquer n’a pas suffi à

étouffer tous les fanatismes. Onzemois après la poignée de main, le4 mai 1989, Jean-Marie Tjibaou etYeiwéné Yéiwéné sont assassinésà Wadrilla par un extrémiste de leurpropre camp. Leur courage poli-tique les a condamnés. L’accordmourra-t-il avec eux ? La Calédonieretient son souffle mais le mondeindépendantiste, un instant ébranlé,décide la poursuite du processus.Dans les deux camps, on honore

les disparus. La France aussi té-moigne de la perte ressentie. Mi-chel Rocard est là, venu de Parispour les obsèques à la cathédralede Nouméa. Pour condamner lesarmes et plaider la paix.« Souvent un homme est plus

grand mort que vivant, dira plus tardJacques Lafleur, mais je persiste àpenser que Tjibaou aurait été plusgrand et plus utile vivant. »

Un accord aubout de la nuit,scellé par unepoignée de mainentre JacquesLafleur et Jean-Marie Tjibaou, le26 juin 1988.Sept semainesseulement aprèsl’affaire d’Ouvéa,c’est plus qu’unsymbole. C’estl’acte fondateurde la Calédoniecontemporaine.

Un accord,une poignée de main

Dominique Jouve« Les accords de Matignon jouent dans l’imaginaire calé-donien comme une fondation, un point zéro de l’histoire,ou plus exactement comme une refondation. (...) La Nou-velle-Calédonie, après avoir connu la violence de la colo-nisation et de la pénitentiaire, puis celle des événementsde 1984-1988, peut se reconstruire sur des bases entiè-rement nouvelles grâce à cet acte, quasi religieux, quesont les accords de Matignon. »1997

Jean-Marie Tjibaou« C’est une poignée de main lourde à gérer pourM. Lafleur comme pour moi-même. À la sortie des évé-nements douloureux que notre pays a connus, il était dif-ficile d’imaginer que l’on puisse un jour envisager de faireensemble un bout de chemin, envisager un avenir com-mun. Ce geste a été critiqué, refusé de part et d’autre,

mais pour beaucoup il constitue un espoir. Je pense qu’ilest important pour l’avenir.« La Calédonie, aujourd’hui, ne peut plus être ce qu’elleétait il y a six mois. Il y a beaucoup de promesses, beau-coup d’espérances, et aussi beaucoup à construire. »30 septembre 1988

Michel Rocard« Je leur ai dit : nous sommes là pour le dernier rendez-vous utile. Il n’y en aura pas d’autre. Nous sortirons avecla paix ou la guerre.« Cela a jeté un froid, chacune des deux délégations hé-sitant à prendre les risques de la paix. Il y a toujours unemenace à reconnaître l’autre comme à admettre que l’onn’a pas pu le vaincre. Il faut lui concéder un territoire, despouvoirs que l‘on espérait s’approprier. Cela est vrai desdeux côtés. Mais je ne leur ai pas laissé le choix, et noussommes donc entrés en négociation.

« Nous avons inventé un concept nouveau, celui de terri-toire fédéral. C’était une grande première, mais par pru-dence juridique et politique, je n’ai pas inscrit le mot dansle texte. »2001

Jacques Lafleur« Dans la presse, à la télévision, on parlait de l’immensesuccès de Michel Rocard. On disait qu’il était passé, enquelques heures, de la guerre à la paix parce qu’il était lechampion du parler vrai et que sa grande sensibilité avaitfait le reste.« Ce n’était pas faux, mais ce n’était pas totalement vrai.Nous étions là et nous avons été, Jean-Marie Tjibaou etmoi, ceux qui ont donné une âme à ces discussions. Il yeut pour en témoigner la photo de la fameuse poignée demain. »L’assiégé - 2000

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Paroles d’hommes

Cette poignée de main est « l’officielle », pour les photographes et la postérité.La vraie, la première, celle du cœur, a eu lieu discrètement, sous la table denégociation, raconte Michel Rocard.

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Àl’État, d’abord, un and’administration directe,de juillet 1988 à juil-let 1989. L’expressionest exagérée puisque le

statut Pons continue à s’exercer.Mais l’exécutif est transféré auhaut-commissaire, assisté d’uncomité consultatif de personnalitésnommées par décret pour repré-senter les principales familles dupays. Un an, c’est le temps néces-saire à un apaisement progressifdes esprits et des cœurs au sortirde quatre années lourdes.Aux Calédoniens, ensuite, la

joie des urnes sans boycott. Ils dé-signent leurs représentants auxnouvelles assemblées de provincele 11 juin 1989. Sans surprise, lesindépendantistes sont majoritairesdans deux provinces sur trois, leRassemblement dans la troisième.C’est la plus importante, celle duSud, qui inclut une petite partie dusud de Poya, curieux compromisfrontalier, étranger à toute logiquegéographique ou socio-écono-mique. Au Congrès, réunion desprovinces, le RPCR obtient pour ladernière fois la majorité absolue,avec 27 élus contre 19 au FLNKS.Jacques Lafleur au Sud, Léo-

pold Jorédié au Nord, RichardKaloï aux Loyauté sont les pre-miers présidents de collectivitésaux larges compétences, notam-ment dans le domaine écono-mique. Outils de développementséparé ? On l’a dit. Outils surtoutde partage du pouvoir et des res-ponsabilités entre les deuxgrandes familles politiques calé-doniennes. Outils de rééquilibrageaussi, d’abord sur les infrastruc-tures publiques, avec une clé derépartition des dotations finan-cières volontairement déséquili-brée en faveur des Iles et du Nord,au détriment du Sud.

Pour quelques années, les pre-mières de la provincialisation, c’estle temps de l’enthousiasme etmême, pourquoi avoir peur desmots, de la fraternisation. La poi-gnée de main a fait des enfants.C’est l’époque de l’improvisationmatérielle : les provinces campentoù elles peuvent en attendant leurslocaux. C’est l’époque de l’improvi-sation juridique dans les méandresdes nouvelles compétences. Il fau-dra ainsi monter jusqu’en Conseild’État pour savoir qui, des provincesou du territoire, a le droit de décider

des périodes de pêche et de la taillecommerciale des crabes… C’est letemps des bâtisseurs et des grandschantiers. Les sièges de province.Des lycées, des hôpitaux, desroutes à goudronner et à ouvrirdans la chaîne. Une centrale élec-trique à Népoui. La transversaleKoné-Tiwaka. Le Méridien à Nou-méa. Des ports et des hôtels auxLoyauté.La réforme foncière passe sous

contrôle de l’État et de nouveauxoutils poussent comme des cham-pignons : Agence de développe-

ment de la culture kanak (ADCK),Groupements de droit particulierlocal (GDPL), Institut calédonien departicipation (ICAP), programme400 cadres.Le pays bouge et ses hommes

partagent, même le nickel. Enavril 1990, pour tenir une promessefaite à Jean-Marie Tjibaou de facili-ter l’entrée des Mélanésiens dans lemonde de l’économie, Jacques La-fleur vend la SMSP à la provinceNord, pour 1,8 milliard. L’Étatavance l’argent. La province devientpetit mineur. Elle va rêver d’usine.

1990. La Nouvelle-Calédonie vit sonprintemps.C’est le tempsdes provincesnaissantes, quise mettent enplace dans lecalme revenu,avec beaucoupd’argent et unenthousiasmevivifié parl’exercice denouvellescompétences.Ce sont, peut-être,les plus bellesheures de laprovincialisation.

Le temps des provinces

François Garde« La loi référendaire (issue des accords Matignon-Oudinot) est d’abord une loide provincialisation. Elle n’a pas été la première à créer des collectivités entrele territoire et les communes, mais c’est seulement avec elle que ces collectivi-tés ont réellement fonctionné. Outre Nouméa, Koné pour le Nord et Lifou pourles Iles sont devenus des lieux de pouvoir, où se réunissent des assembléesdotées d’importants pouvoirs et de budgets conséquents, où travaillent des ad-ministrations aux larges compétences, où sont prises au quotidien les décisionspubliques qui influencent directement la vie des habitants.« La réussite de la provincialisation est attestée par les choix faits dix ansaprès. La loi organique (de l’accord de Nouméa) reprendra l’essentiel des dis-positions relatives aux provinces contenues dans la loi référendaire. C’est parrapport à l’expérience développée pendant dix ans, soit par imitation, soit parréaction, qu’a été conçu le projet politique de l’accord de Nouméa. »2004

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La transversale Koné-Tiwaka est l’un des grands travaux de rééquilibrage que l’État s’était engagé à financer lors desaccords Matignon-Oudinot. Il y avait aussi un port en eau profonde, qui ne s’est jamais fait alors que Jean-Marie Tjibaousouhaitait une « zone franche » à Népoui.

Paroles d’hommesSamuel Hnepeune« Les accords Matignon, la mise en place des provincessont un passage rapide, voire brutal, d’une revendicationpolitique avec de l’action, des tensions entre lespopulations, à une gestion institutionnelleet à une époque où le destin des Iles se décide aux Iles.« Les orientations en matière de développementéconomique, d’infrastructures publiques, de santé, depolitique sociale, de formation et d’insertionprofessionnelle, de politique culturelle : tout cela sedécidait avant à l’Assemblée territoriale, à Nouméa.Depuis la provincialisation, toutes ces orientations sontdéfinies par une assemblée de province composée d’élusdes Iles. »Lifou - 2008

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L’idée vient très tôt. Dèsavril 1991, à peinetrois ans après la poi-gnée de main,Jacques Lafleur pro-

pose, lors d’une convention RPCRà Rivière-Salée, la recherche d’une« solution consensuelle » qui évite-rait un « référendum-couperet ». Ilexplique que le scrutin de 1998, dutype pour ou contre l’indépendance,ne réglera rien compte tenu del’équilibre inchangé des forces poli-tiques. Qu’il risque même, en fai-sant un vainqueur et un vaincu, derenvoyer la Nouvelle-Calédonie à lacase départ. Qu’il faut imaginerautre chose. Qu’il vaut mieux, aprèsles provinciales de 1995, discuterd’une solution à caractère consen-suel qui n’exclurait pas l’autonomieinterne.À Koindé, où il tient ce même

week-end son dixième congrès,consacré à la définition du projet desociété qu’il propose pour convain-cre du bien fondé de sa revendica-tion, le FLNKS tend l’oreille.« L’autonomie ne nous intéressepas, mais toute proposition quipourrait ouvrir une discussion dansune perspective d’indépendancepourrait être prise en compte », ex-plique Paul Néaoutyine. Ce n’estencore qu’une idée, un ferment.

Mais la « solution consensuelle » vapeu à peu entrer dans le langagecommun de la politique calédo-nienne, même si les indépendan-tistes préfèrent la baptiser « solutionnégociée » ou « indépendance né-gociée ».Et de fait, en octobre 1995, les

partenaires calédoniens se retrou-vent à Paris, à l’invitation d’AlainJuppé, pour explorer « les voies du

consensus » entre deux projets.Pour le RPCR, ce sera le « pacte

trentenaire », un « schéma d’éman-cipation et de large décentralisationde la Nouvelle-Calédonie » qui pro-pose le maintien des provinces et lamise en place d’un exécutif localélu. Il prévoit un partage entre com-pétences locales et compétencesnationales, de manière à détacher

le pouvoir local de la tutelle de l’Étatsans toucher aux attributions de lasouveraineté qui restent confiées àla France.Le FLNKS, s’inspirant de la notion

d’indépendance-association, pro-pose un processus d’accession ir-réversible à l’indépendance auterme d’une période à fixer. Il ré-clame des transferts de compé-tences, des signes identitaires, un

président de la Répu-blique et deux cham-bres en plus desprovinces. Et il de-mande avec insistanceà l’État de « solder lecontentieux colonial »qui découle de la prisede possession de 1853,de la confiscation de lasouveraineté kanak etde l’immigration d’au-tres populations.De ce contentieux,

les indépendantistes n’ont pasdonné de définition précise mais ilsont demandé à l’État, qui n’a jamaiscontesté avoir une dette envers lepeuple kanak, des « gestes forts »supposés solder la créance. L’un,politique et symbolique, se traduirapar le préambule de l’accord deNouméa. L’autre, culturel, est d’ail-leurs prévu par l’accord de Mati-

gnon : la construction par l’État d’unlieu dédié à l’identité kanak. Ce serale centre Tjibaou. Le dernier estéconomique et concerne le rééquili-brage, par la réalisation de l’usinedu Nord attendue depuis le débutdes années soixante-dix.Se pose à cet égard la question

de l’accès aux ressources minières.L’État veut la dissocier des ques-tions politiques et s’engage à obte-nir rapidement d’Eramet qu’ellerétrocède ses titres miniers dePoum et de Tiébaghi à la SMSP.Mais Eramet résiste et les indépen-dantistes en font une condition sinequa non de la reprise des discus-sions. C’est « le préalable minier »,imposé par l’Union calédonienne,qui va diviser les indépendantistes,figer le processus des négociationspolitiques et alimenter les tensionspendant près de deux ans. Erametfinira par proposer le Koniambo, ledernier grand massif garniéritiquedu pays, dont elle a sous-évalué lesréserves. Le conflit se réglera par lasignature de l’accord dit « deBercy », au ministère de l’Économieet des Finances, le 1er février 1998.À la SMSP, le Koniambo. À Era-

met, les massifs de Poum et de Tié-baghi, plus une soulte de20 milliards. Comme dit la chanson,c’est la France qui paie...

L’année 1990s’efface. Laprovincialisation vafêter ses deux ans.Les plus inquiets,ou peut-être lesplus prévoyants,pensent déjà à lasuite, avec la mêmequestion qui sepose aujourd’hui :comment fait-onpour sortir duprocessus sansretourner à la casedépart et au rapportde force ?Par la « solutionconsensuelle ».

La « solution consensuelle »va peu à peu entrer dans lelangage commun de la politiquecalédonienne, même si lesindépendantistes préfèrent labaptiser « solution négociée »ou « indépendance négociée ».

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Dès 1991, Jacques Lafleur estime qu’un référendum-couperet faisant un vainqueur et un vaincu ne purgerait en rien la question de l’indépendance.Il propose donc une « solution consensuelle », négociée, qui aboutira sept ans plus tard.

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Les accords Matignon-Oudinot sont nés à Parisde la pression desÉvénements. L’accord deNouméa est au contraireun enfant du pays,librement négociéentre partenaires locaux.Il ouvre le temps du destincommun, dans unesouveraineté partagée quiva progressivement au-delà de tout ce qui étaitimaginable voici vingtans. Une parenthèsechasse l’autre.

L’accord de Nouméa,enfant du pays

Deux ans ont passé à ré-gler le préalable minier.La Calédonie est déjàdans l’année même duréférendum. Il y a ur-

gence. Tout s’accélère et va sejouer en moins de deux mois épui-sants.Le 24 février 1998, à Paris, les

partenaires font le bilan des accordsMatignon-Oudinot. Il est « positif »pour le RPCR, « mitigé » pour leFLNKS. À partir du 25, ce sont leFLNKS et l’État qui discutent, plusde cinquante heures, sur la question

du contentieuxcolonial.Fin mars, Alain

Christnacht vientà Nouméa pré-senter un premierjet de l’accord quibute encore sur ladurée du futurstatut et la com-position du corpsélectoral restreint,exigences des in-dépendantistesqui irritent le

RPCR. Jacques Lafleur menaced’aller directement au référendum.Le 4 avril, le FLNKS repart à

Paris. Il y est rejoint le 7 par leRPCR. La rencontre est tendue, onfrôle la rupture définitive et puis, mi-racle, on se réconcilie à la calédo-nienne, autour d’un pot, et l’onconvient de se revoir à Nouméa.Les derniers rounds se jouent ici

même, entre le 14 et le 21 avril. Du-rant trois jours, le tandem Christ-nacht-Lataste, émissaires dugouvernement (le premier a étéhaussaire, le second le sera à sontour), organise des réunions bilaté-rales et reprend un à un tous lespoints du projet. Les avis des uns etdes autres sont analysés, des solu-tions intermédiaires dégagées. Lesuns après les autres, les pointsd’accord sont consignés, jusqu’àformer un tout cohérent et acceptépar les deux camps.Le vendredi 17 avril, le dossier

semble au point. Le RPCR veut si-gner, mais le FLNKS recule et sou-haite profiter du week-end pourréunir une dernière fois son bureaupolitique. L’UC n’est pas complète-ment satisfaite de la notion de ci-toyenneté. Christnacht contacteJospin, Lafleur ne s’oppose pas : lacitoyenneté sera inscrite dans la loiconstitutionnelle. Ouf !Le lundi 20, les partenaires se re-

trouvent. Pour signer, comme tout lemonde s’y attend ? Eh bien non.Cette fois, c’est le Rassemblementqui bloque sur la composition ducorps électoral. Les délégations sequittent.Le 21 avril, enfin, Alain Christ-

nacht consulte Paris et ses parte-naires locaux. Un accord sedégage. Une réunion est program-mée pour le soir même, à 20h15. Letexte circule. Le RPCR l’accepte leFLNKS aussi. Re ouf !C’est fait ! Les partenaires signent

dans la foulée : Roch Wamytan,Paul Néaoutyine, Charles Pidjot etVictor Tutugoro pour le FLNKS ;Jacques Lafleur, Pierre Frogier,Simon Loueckhote, Harold Martin,Jean Lèques et Bernard Deladrièrepour le RPCR ; Alain Christnacht etThierry Lataste pour le gouverne-ment.Le champagne circule, les délé-

gations s’embrassent et sortent surle perron du haussariat pour annon-cer la naissance de leur fils métis,pour dire que l’avenir de la Nou-velle-Calédonie vient d’être scellépour vingt ans, dans la paix et par ledialogue.Le 21 avril, c’est une petite signa-

ture entre amis. Il y en aura une

autre, quinze jours plus tard, tout àfait officielle. Pour l’occasion, ilssont venus, ils sont tous là : LionelJospin, Premier ministre, Michel Ro-card, ex-Premier ministre, Cathe-rine Trautman, ministre de laCulture, Jack Lang, ex-ministre dela Culture, Jean-Jack Queyranne,ministre de l’Outre-Mer. Et puis desparlementaires et ministres du Pa-cifique : Ian Sinclair, l’Australien,Tau Henare, le Néo-Zélandais, SirGeoffrey Henry, des îles Cook, Do-nald Kalpokas, du Vanuatu, pour neciter qu’eux. Ce n’est pas tous lesjours que la Nouvelle-Calédonie faitcoup double. Le 4 mai, elle inaugurele centre culturel Tjibaou. Le 5 mai,elle signe l’accord de Nouméa.Le matin, Lionel Jospin est allé

dire à l’ombre de Jean-Marie Tji-baou, sur sa tombe à Tiendanite,que son message de paix a été en-tendu. L’après-midi, dans les salonsde la Résidence, le temps se fige,solennel, historique. Le Premier mi-nistre et les délégations du RPCR etdu FLNKS signent. Ils engagent laNouvelle-Calédonie dans un pro-cessus de stabilité institutionnelle etde large émancipation.Par référendum, les Calédoniens

l’approuveront à 72 %.

Le champagne circule,les délégations s’embrassentet sortent sur le perron duhaussariat pour annoncer lanaissance de leur fils métis,pour dire que l’avenir de laNouvelle-Calédonie vientd’être scellé pour vingt ans.

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L’accord de Nouméa a été signé deux fois. D’abordle 21 avril, entre partenaires locaux, puis avecl’État de Lionel Jospin, le 5 juin 1998, aulendemain de l’inauguration du centre Tjibaou.

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Un législatif pour dire la loi, un exé-cutif pour l’appliquer : c’est leschéma très classique de notrefonctionnement institutionnel, lenouveau statut n’ayant rien changéde fondamental pour les provinces.

Le gouvernement collégialIl est l’un des éléments les plus innovants du sta-

tut actuel. Ses membres, élus à la proportionnelle,sont le reflet de la physionomie politique duCongrès. Majorité et minorité se côtoient donc ausein de l’exécutif, cohabitation exceptionnelle dansles régimes contemporains car elle ne facilite pasl’action d’un organe théoriquement fort.Exécutif territorial, le gouvernement est chargé

« collégialement et solidairement » des affaires desa compétence et doit prendre ses décisions à lamajorité. Sur ce point de la collégialité, la loi orga-nique n’en dit pas davantage et le débat n’est pasclos entre un fonctionnement « à la majorité » etun fonctionnement « au consensus ». C’est toutl’esprit de l’accord de Nouméa : il impose une obli-gation de résultat, et exige en même temps l’ac-cord général. C’est créer un risque permanent deblocage (et il y en a eu) mais, globalement, celafonctionne dans une « démocratie du consensus »qui impose, pour faire vivre l’accord, de débattredes désaccords.

Le CongrèsIl demeure l’assemblée délibérante de la Nou-

velle-Calédonie, son organe législatif. Nouveautéapparue en 1998 : il peut censurer le gouverne-ment et, pour certains domaines majeurs, il doit lé-giférer par le biais de « lois du pays ». Ellesinterviennent pour ce qui touche notamment à lafiscalité, au droit du travail et au droit syndical, austatut civil particulier et aux terres coutumières, aux

mines, au droit domanial, à la protection de l’emploilocal, au régime de la propriété, à la répartition desdotations de fonctionnement aux provinces.Pour ces matières, les lois du pays doivent être

votées à la majorité absolue. Mais dans au moinsdeux autres cas, il faut une majorité des trois cin-quièmes. D’abord pour déterminer les signes iden-titaires (hymne, drapeau) par lesquels laNouvelle-Calédonie peut marquer sa personnalitéau côté des emblèmes de la République, particu-larité pouvant aller jusqu’au changement de nom.Ensuite pour demander à l’État d’engager lestransferts de compétence.

Les transferts de compétenceIls porteront, après 2009 et à une date choisie

par le Congrès, sur la police et la sécurité aérienneet maritime intérieure, l’enseignement du seconddegré public et privé, l’enseignement primaire

privé, le régime comptable et financier des collec-tivités publiques, le droit civil, l’état civil et le droitcommercial, les principes directeurs de la propriétéfoncière. Le territoire pourra encore demander,mais cette fois sans que l’obtention soit automa-tique, la compétence sur l’administration des com-munes, le contrôle administratif des collectivitésterritoriales, l’enseignement supérieur et la com-munication audiovisuelle.

L’identité kanakElle est représentée dans les institutions à un

double niveau : des conseils coutumiers dans cha-cune des huit aires, et un sénat coutumier àl’échelle territoriale. Demanière générale, le sénatcoutumier est consulté par l’État, le Congrès ou lesprovinces sur tout ce qui concerne l’identité kanak.Il peut, à l’inverse, saisir le gouvernement de touteproposition dans ce domaine.

La racine du systèmeinstitutionnel

Michel Rocard« La Nouvelle-Calédonie existe par elle-même. Son actede naissance est un accord de paix civile entre ses habi-tants. Elle naît d’une déclaration commune sur la volontéet la manière de prendre en main son destin.« La France a su trouver assez de jeunesse et de forcepour jeter un regard lucide sur son passé de colonisa-teur, et accompagner généreusement l’émergence d’unnouveau pays, la Nouvelle-Calédonie. (...) Cet accordconcerne beaucoup plus que la Nouvelle-Calédonie.C’est un acte de civilisation. »5 mai 1998

Jacques Lafleur« L’accord n’a été possible que par les concessions, par-fois douloureuses, faites de part et d’autre. Il ne traduitaucun renoncement des partenaires locaux à leursconvictions profondes. Vingt ans, c’est le temps néces-saire pour créer les bases d’une société solidaire et uniedans laquelle les Mélanésiens devront occuper toute laplace qui leur revient. Dans vingt ans, je suis persuadé

que les Calédoniens choisiront de demeurer au sein dela République, dans le cadre de relations refondées, ré-novées et approfondies. »5 mai 1998

« Paradoxalement, on parle beaucoup encore des ac-cords de Matignon, qui étaient une parenthèse, moins del’accord de Nouméa, alors qu’il a quelque chose de défi-nitif. Il ouvre un immense chantier à la Nouvelle-Calédo-nie et lui offre un avenir. »L’assiégé - 2000

Roch Wamytan« Chacun a mis de la bonne volonté, malgré des diver-gences de fond, et sans se renier ou se compromettre.(...) Il ne s’agit pas d’un énième statut. Il s’agit bien de lamise en place d’un pays appelé à évoluer politiquement.Je fais le pari qu’au bout de la durée, les options ne se-ront plus opposées ou contradictoires, mais parallèles,prélude à l’émergence de ce futur peuple en devenirdont le noyau dur sera le peuple kanak.« Il convient désormais de se mettre au travail pour

concrétiser cette part de rêve qu’il y a en nous. L’indé-pendance, ce n’est pas pour dans vingt ans. Elle com-mence à se construire aujourd’hui. »5 mai 1998

Alain Christnacht« Vingt ans, c’est aussi un horizon pour le développe-ment économique, pour le rééquilibrage. Une société,c’est une économie, c’est très complexe. Cela ne se jouepas sur quelques années. Vingt ans, c’est un horizon dé-gagé pour les investisseurs, pour former une nouvellegénération qui prendra les commandes. »Octobre 1998

Lionel Jospin« La Nouvelle-Calédonie ne sera plus un Tom. Elle exer-cera une souveraineté partagée avec la République. Lemécanisme institutionnel mis en place est évolutif. Per-sonne ne peut imaginer ces vingt années comme unepériode passive. »5 mai 1998

L’accord deNouméa n’est pasqu’un épisodeheureux d’unehistoire passée.Il est la sourcedu régimeinstitutionnelsous lequelnous vivonsaujourd’hui.Avec, à partirde 2009, un pasde plus sur la voiede l’autonomieque l’État appellesouverainetépartagée.

Paroles d’hommes

Nosinstitutionssont le fruitdu doubleaccordde 1988et 1998.Il aengendrédeux statutsde trèslargeautonomie,sur unmodèlefédéral quine dit passon nom.

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Ce préambule s’articule encinq points. Le dernier,plus technique, liste lesdispositions de notre sta-tut actuel ; les quatre pre-

miers ont une dimension morale etrappellent ce qu’a été la colonisationde la Nouvelle-Calédonie « pour ex-primer avec des mots partagés uneréalité jusque-là tue, et ainsi libérertous les Calédoniens du poids detrop nombreux non-dits », expliqueAlain Christnacht, la cheville ouvrièrede l’État dans la négociation de l’ac-cord.Le meilleur souvenir qu’il garde de

cette période, expliquait-il aux Nou-velles voici quelques années, estbien « celui de la discussion dupréambule. Beaucoup de momentsforts de l’histoire de la Nouvelle-Ca-lédonie y passaient, comme des fan-tômes. Ce n’était pas facile pour lesuns d’admettre les “ ombres ”, ni pourles autres d’admettre les “ lumières ”.Nous avons essayé de trouver desformulations pudiques, mais en évi-tant la langue de bois. Les responsa-bles politiques ont vraiment été à lahauteur des enjeux. »

Les ombresLorsque la France prend posses-

sion de la Nouvelle-Calédonie, rap-pelle le préambule, « ce territoiren’était pas vide ». Il était peupléd’hommes et de femmes dénommésKanak, qui « avaient développé unecivilisation propre avec ses traditions,ses langues, la coutume qui organi-sait le champ social et politique ».

Cette identité était « fondée sur unlien particulier à la terre », chaque in-dividu, chaque clan, se définissant« par un rapport spécifique avec unevallée, une colline, la mer, une em-bouchure de rivière ». Ainsi, les nomsdes éléments du paysage, les tabouset les chemins coutumiers « structu-raient l’espace et les échanges ».C’est tout cela que bouscule la co-

lonisation, dont le choc « a constituéun traumatisme durable pour la po-pulation d’origine. » Les ombres, cesont « des clans privés de leur nomen même temps que de leur terre »,« des déplacements considérablesde populations, dans lesquels desclans kanak ont vu leurs moyens desubsistance réduits et leurs lieux demémoire perdus ».Cette dépossession a conduit à

une perte des repères identitaires :« l’organisation sociale kanak, mêmesi elle a été reconnue dans ses prin-cipes, s’en est trouvée bouleversée ».Simultanément, le patrimoine artis-tique était « nié ou pillé », et les Kanak« repoussés aux marges géogra-phiques, économiques et politiquesde leur propre pays, ce qui ne pouvaitque provoquer des révoltes, les-quelles ont suscité des répressionsviolentes, aggravant les ressenti-ments et les incompréhensions ».La colonisation a ainsi « porté at-

teinte à la dignité du peuple kanak »,auquel son identité a été « confis-quée ». La lui restituer passe par« une reconnaissance de sa souve-raineté, préalable à la fondation d’unenouvelle souveraineté, partagée dansun destin commun ».

Les lumièresLe texte n’oublie par pour autant la

part de mérite qui revient aux non-Kanak. « Le moment est venu de re-connaître les ombres de la périodecoloniale, même si elle ne fut pas dé-pourvue de lumière », admet lepréambule. Les lumières, ce sont ceshommes et ces femmes « venus engrand nombre aux XIXe et XXe siè-cles, convaincus d’apporter le pro-grès, animés par leur foi religieuse,venus contre leur gré ou cherchantune seconde chance en Nouvelle-Calédonie. Ils se sont installés et yont fait souche. Ils ont apporté leursidéaux, leurs connaissances, leursespoirs, leurs ambitions, leurs illu-sions et leurs contradictions. » Cesnouvelles populations, parmi les-quelles se sont trouvés des hommes

capables de porter sur le peupled’origine « un regard différent, uneplus grande compréhension ou uneréelle compassion », ont participé« dans des conditions souvent diffi-ciles, en apportant des connais-sances scientifiques et techniques, àla mise en valeur minière ou agricoleet, avec l’aide de l’État, à l’aménage-ment de la Nouvelle-Calédonie. Leurdétermination et leur inventivité ontjeté les bases du développement. »Et elles ont, elles aussi, à leur ma-nière, subi le colonialisme. Le préam-bule le dit explicitement : « La relationde la Nouvelle-Calédonie avec la mé-tropole lointaine est demeurée long-temps marquée par la dépendancecoloniale, un lien univoque, un refusde reconnaître les spécificités dontles populations nouvelles ont aussisouffert dans leurs aspirations. »

C’est un textemagnifique quiouvre l’accordde Nouméa :un préambulequi n’est pasune simpleintroduction, ni ungeste unilatéralde repentance surla colonisation,mais un acte defoi écrit à troismains qui jetteun regard lucidesur le passé pourmieux envisagerun avenir partagéau sein d’undestin commun.Objet de longsdébats, il donneson sens àl’accord.

Le préambule :un acte de foi

S’il convient de « faire mémoire » et de « recon-naître les fautes », il faut aussi envisager unnouvel avenir. « La décolonisation, ont estiméles signataires, est le moyen de refonder un liensocial durable entre les communautés qui viventaujourd’hui en Nouvelle-Calédonie, en permet-tant au peuple kanak d’établir avec la Francedes relations nouvelles correspondant aux réali-tés de notre temps. » Les autres communautéssont aussi concernées : « Elles ont acquis parleur participation à l’édification de la Nouvelle-Calédonie une légitimité à y vivre et à continuerà contribuer à son développement. Elles sontindispensables à son équilibre social et au fonc-tionnement de son économie et de ses institu-tions sociales. »Au final, « si l’accession des Kanak aux respon-sabilités demeure insuffisante et doit être ac-crue par des mesures volontaristes, il n’en restepas moins que la participation des autres com-munautés à la vie du Territoire lui estessentielle ».

Le préambule flirte ainsi avec une notion mo-dernisée du « deux couleurs, un seul peuple »de la vieille Union calédonienne lorsqu’il affirmequ’il est « aujourd’hui nécessaire de poser lesbases d’une citoyenneté de la Nouvelle-Calédo-nie, permettant au peuple d’origine de constitueravec les hommes et les femmes qui y viventune communauté humaine affirmant son destincommun ».Les Accords de Matignon avaient manifesté lavolonté de tourner la page de la violence et dumépris pour écrire des pages de paix, de solida-rité et de prospérité. Dix ans plus tard, affirme lepréambule, « il convient d’ouvrir une nouvelleétape marquée par la pleine reconnaissance del’identité kanak et par un partage de souverai-neté avec la France, sur la voie de la pleinesouveraineté ».Une dernière phrase du préambule, avant laprésentation des grandes lignes de ce qui estdepuis dix ans notre système institutionnel, ré-sume l’esprit consensuel de l’accord de Nou-

méa : « Le passé a été le temps de la colonisa-tion. Le présent est le temps du partage, par lerééquilibrage. L’avenir doit être le temps del’identité, dans un destin commun. La Franceest prête à accompagner la Nouvelle-Calédoniedans cette voie. »C’est la phrase la plus citée du préambule, cellequi a peut-être été la mieux retenue. Peut-on ycroire ? Les partenaires ont-ils durablement ac-cepté, pour les uns, l’idée du traumatisme de lacolonisation et, pour les autres, la légitimité detous à vivre sur cette terre ?« Le préambule dit pourquoi l’accord de Nou-méa était nécessaire, observe Alain Christ-nacht. Et le fait qu’il ait pu être écrit à troismains constitue peut-être la garantie la plusforte du maintien de son esprit et de sa bonneapplication. »« Il y a de la grandeur dans ce texte, considèreMichel Rocard. Je ne connais pas de cas oùl’acte de décolonisation porte sur l’histoire unjugement d’une telle rectitude. »

« L’identité dans un destin commun »

Alain Christnacht fut le rédacteur du préambule de l’accord de Nouméa.Il écrivait la partition, mais la musique était bien celle des partenaires locaux.

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«Une société,c’est uneéconomie,c’est trèscomplexe,

cela ne se joue pas sur quelquesannées, disait Alain Christnachtaprès la signature de l’accord deNouméa. Vingt ans, c’est un horizondégagé pour les investisseurs, ledéveloppement, le rééquilibrage. »Le nickel, dont les cours se sont

envolés depuis six ans (de 3 à11 dollars la livre en moyenne de2002 à 2006, 23 dollars la livre enpic historique en avril 2007), resteplus que jamais l’épine dorsale del’économie calédonienne. Si les ac-cords politiques de la minusculeNouvelle-Calédonie ne sont pourrien dans la demande accrue del’Inde et de la Chine qui dope lemarché, la stabilité a incontestable-ment favorisé les investissements.La SLN a consacré 33 milliards

au projet 75 000 tonnes, sanscompter le renouvellement annoncéde la centrale de Doniambo. Sur legigantesque chantier de l’usine duSud, Goro Nickel a employé jusqu’à2 700 Calédoniens et a confiéquelque 70 milliards de travaux àdes entreprises locales, issues pourcertaines du monde kanak. L’usinedu Nord enfin, promise à la Broussedepuis quarante ans, défendue becet ongles par la province depuis dixans, commence d’ores et déjà àprendre le relais, les premières fu-sions étant prévues en 2011. Saconstruction a fait l’objet, en octobre2007, d’un engagement « irrévoca-ble et irréversible » de Xstrata,ponctué en novembre d’un « accordde projet » voté à l’unanimité auCongrès.La Nouvelle-Calédonie tire un tri-

ple profit de cette conjoncture favo-rable : par l’activité des chantiers,par la fiscalité nickel (les 50 milliardsde bénéfices de la SLN en 2007vont générer 20 milliards d’impôts et

taxes) et enfin par les dividendesdes 34 % d’actionnariat que les troisprovinces détiennent désormaisdans la société via la STCPI. Cetteconjoncture va donner au rééquili-brage, globalement réussi aux plansde la gestion politique et des infra-structures publiques, l’élan qui lui

manque en matière d’économie etfait que, paradoxalement, laBrousse et les Îles continuent de sevider au profit du Sud.

Enfin, le boom du nickel, confortépar l’activité soutenue du BTP, per-met à la Calédonie d’atteindre prati-quement le niveau du plein-emploi,dans une croissance à 5%. 2007 està cet égard l’année de tous les re-cords, avec un taux de couverturedes importations par les exportations

de 73 %, un seuil sanséquivalent pour uneéconomie insulaire.Les chiffres sont élo-

quents sur deux décen-nies. Alors que le produitintérieur brut par habi-tant avait baissé de0,8 % en moyenne an-nuelle entre 1973

et 1986, il a évolué à la hausse surun rythme annuel de 1,9 %entre 1987 et 2004. Ce qui, avantmême le coup de fouet à l’économie

donné par l’usine du Sud, plaçait laNouvelle-Calédonie au 3e rang dansle Pacifique (2e à partir de 2007).Toujours en 2004, le territoire se si-tuait au 32e rang mondial (sur 177pays) selon l’Indicateur de dévelop-pement humain (IDH) qui tientcompte du PIB par habitant et d’in-dices d’éducation et de santé. Com-parativement, Tonga est classé 63e,le Samoa occidental 75e, Fidji 81e,les Salomon 124e, le Vanuatu 129e etla Papouasie 133e.Derniers chiffres enfin pour illustrer

l’actuel « miracle économique », celuidu budget primitif de la Nouvelle-Ca-lédonie : 43milliards en 1988, 158mil-liards en 2008, soit plus du triple, laplus large part allant directement auxprovinces. Avec le budget supplé-mentaire, le budget total 2008 du paysdépassera les 200 milliards.

Dans la fouléedu nickel et desgrands chantiers,la Nouvelle-Calédonie afficheune croissanceéconomiquede l’ordre de5 %. L’année2007 a étéexceptionnelle.Le chômage sefait résiduel,l’argent de lafiscalité rentreà flots et financeles réformessociales.La paix profiteà l’économie.

« Miracle » économiquedans le sillage du nickel

L’usine du Sud, si elle a un impactconsidérable sur le développementéconomique calédonien, a égalementsuscité une montée en puissance de lapréoccupation environnementale. Mar-quée en son temps par des casses etdes actions musclées, elle a fini paremprunter le chemin d’un dialogue quin’a pas encore atteint le bout du tuyaumalgré les précautions prises par laprovince Sud en termes d’expertises

scientifiques extérieures et l’affirmationforte que « le doute profitera à l’envi-ronnement ».Ce dossier rude a pour contrepoint leprojet de classement du récif calédo-nien au patrimoine de l’Unesco, sousla forme d’un bien en série, avec deuxzones par province. L’un des sites rete-nus, et qui fera comme les autres l’ob-jet d’une gestion participative,concerne justement le lagon sud, avec

une zone tampon incluant le grandtuyau, l’île Ouen et le canal Woodin.Un bon moyen, au fond, de permettreune surveillance accrue du respect desobligations environnementales impo-sées à Goro Nickel. La réponse del’Unesco est attendue en juillet. Unavis favorable, de bon augure, a déjàété donné par l’Union internationalepour la conservation de la nature(UICN).

Le boom du nickel, confortépar l’activité soutenue du BTP,permet à la Calédonie d’atteindrepratiquement le niveaudu plein-emploi.

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Sur le site de l’usine du Nord, que la Brousse attend depuis quarante ans, les travaux ont enfin commencé.Que de temps perdu à cause des lois Billotte…

L’enjeu de l’environnement

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Alors que les dix ans de l’accord de Matignon ont été essentiellement consacrés au rééquilibrage, en particulier des infrastructurespubliques, la période de l’accord de Nouméa a permis à la Nouvelle-Calédonie de s’attaquer à de grands chantiers sociaux.

Si la réforme globale de la fisca-lité reste à venir malgré un toi-lettage de l’impôt sur le revenuqui a soulagé les classesmoyennes, si l’instauration de la

TVA n’est plus d’actualité et si le dialoguesocial demeure chaotique, la Nouvelle-Ca-lédonie a fait quelques percées dans le do-maine social.Comme l’accord de Nouméa le lui impo-

sait, et au prix de quelques manifestationsde fonctionnaires dans les rues de Nou-méa, elle a d’abord réalisé, en 2002, l’uni-fication de ses régimes d’assurancemaladie. Un ballon d’oxygène pour laCafat, complété par l’instauration de lataxe de solidarité sur les services (TSS,4 % puis 5 %).Toujours en matière de santé, elle a re-

lancé le vieux projet de reconstruction del’hôpital Gaston-Bourret, qui sera remplacéen 2012, pour une trentaine de milliards,par un médipôle implanté à Koutio. Sur80 000 mètres carrés, cet outil moderne re-groupera les services dispersés du CHT,mais également un centre de cancérolo-gie, l’Institut Pasteur et un centre de soinsde suite et de rééducation fonctionnelle.Les travaux devraient démarrer en 2009.Les chantiers sociaux de ces dernières

années, sous l’impulsion de l’Avenir en-semble, ont également concerné la ré-forme du salaire minimum garanti (SMG).Celle-ci a touché 9 200 salariés, passés de100 000 à 120 000 francs en trois ans,entre 2005 et 2007. Réforme qui tôt ou tardappellera une suite puisque, déjà, des syn-dicats évoquent un SMG à 150 000 francs.Parallèlement, et c’est probablement la

réforme sociale la plus emblématique, ont

été créées les allocations familiales de so-lidarité, servies depuis mai 2005 à 11 000enfants défavorisés exclus du régime gé-néral des allocations familiales (9 500 puis11 220 francs par enfant, dépense finan-cée par une taxation des entreprises réali-sant plus de 200 millions de bénéfices).Vient enfin d’être votée, avec un finance-ment garanti, la prise en charge du handi-cap.

La Nouvelle-Calédonie a par ailleurs ins-tauré une aide au logement au bénéficedes familles à revenus modestes (830 mil-lions pour 2 000 familles en 2008) et la pro-vince Sud a, de son côté, consenti un effortsans précédent en matière de logementsocial.Parce qu’un toit décent est le premier

rempart contre l’échec scolaire et la délin-quance.

Les grands chantiers sociaux

Mille parcoursde formation

Dans le domaine essentiel de laformation des hommes, qui figuraitaussi bien dans les accordsMatignon-Oudinot que dans l’accordde Nouméa, le programme « CadreAvenir » prolonge depuis 2000 leprogramme « 400 cadres » mis enplace en 1989. Le cap des milleparcours de formation a été atteinten 2007, avec un taux de réussite del’ordre de 68 %, un taux de réussitepartielle de 10 % et un taux d’échecde 22 %. Plus des deux tiers desbénéficiaires ont été ou sont desKanak, pour 13 % d’Européens.Parallèlement à la formation de sesfuturs cadres, et parce que 55 % desdemandeurs d’emploi n’ont aucunequalification alors que 80 % desoffres concernent des emploisqualifiés, la Nouvelle-Calédonie aaffecté au secteur de la formationprofessionnelle continue l’ensembledes crédits dont elle disposait enprovenance du 9e Fonds européen dedéveloppement, soit 2,5 milliards surla période 2004-2007.

Jean-Marie Tjibaou« La maîtrise du destin et la promotionde la dignité supposent qu’on ne soitpas mendiant. Pour cela, il faut que lepays aide les gens à s’organiser pourproduire la richesse qui les rendra fi-nancièrement autonomes. Sinon, cesera le drame ; un petit pays comme lenôtre a la chance d’avoir des potentiali-tés importantes, contrairement à d’au-tres pays du Pacifique. Investir, créerdes activités rentables, c’est assurer aupays son indépendance politique. »1988

Michel Rocard« Vous aspirez à des responsabilités ?Bravo ! Mais il faut que vous soyez res-ponsables, responsables pourconstruire. Mettez-vous au travail pour

construire la Nouvelle-Calédonie devos espoirs, c’est le seul moyen den’être pas des assistés. On n’achètepas la dignité avec des subventions. »1988

Alain Christnacht« Dix ans, c’est peu pour changer enprofondeur les structures économiqueset sociales d’un territoire. Naturelle-ment, la géographie n’a pas changé, lataille du marché ne s’est pas agrandie,le coût du travail reste élevé et la pro-ductivité est encore parfois trop faible.Mais les bases sont jetées. »1998

Gaston Hmeun« On ne peut plus se conduire en en-fants gâtés. Nous n’avons plus le choix.

Il faut saisir la main tendue par l’État,sinon, une fois de plus, ce sera les évé-nements et la haine, un tissu écono-mique dégradé. »1998

Jacques Lafleur« Si j’ai cédé la SMSP et ses filiales àla province Nord, c’était pour respecterl’engagement que j’avais pris auprèsde Jean-Marie Tjibaou. Cela devait per-mettre aux Mélanésiens d’accéder ausecteur de l’économie et d’entrer deplain-pied dans une activité minièredéjà opérationnelle. Il était clair, pour luicomme pour moi, que les bénéficesque générerait cette société devraientêtre utilisés en faveur du rééquilibrage.(...) « Je crois que personne ne souhai-tait reconnaître que, dans un élan sin-cère, je faisais un geste important qui

allait permettre d’éviter une revendica-tion générale sur les richesses natu-relles du territoire. »2000

Octave Togna« L’économie, c’est bon pour la santé,c’est bon pour le corps, pour donner àmanger. Mais si un corps est maladede son esprit, ça ne peut pas marcher.« Le développement durable n’est pasqu’une question d’environnement. Ilconcerne aussi de nouvelles méthodesde gouvernance. Plus aucun projetéconomique d’envergure ne peut s’en-raciner dans un espace s’il n’a pas leconsentement de l’environnement hu-main. Cela suppose de nouvellesformes de relations et d’échanges entrele gouvernement et les citoyens. »2006

Quarante ans que l’on parle d’un nouvel hôpital à Koutio. Cette fois, c’est décidé.Trente milliards d’investissement pour une ouverture en 2012.

Paroles d’hommes

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Octave Togna« Le travail que nous avons effectué depuis 1989porte ses fruits aujourd’hui, particulièrement dansle milieu des jeunes Kanak qui utilisent d’autresméthodes de communication pour parler d’eux-mêmes.« La mise en place de l’ADCK, la mise en place duSénat coutumier, des aires coutumières, la mise enplace de l’académie des langues : c’est véritablementla reconnaissance complète de l’identité kanak ici. »2008

Christophe Ventoume« On a eu une période un peu difficile. On peut penserque vingt ans, c’est long, mais, finalement, c’est passétrès, très rapidement. Je pense qu’il faut du tempspour que les choses évoluent en profondeur.« Pour l’instant, on campe un petit peu sur nospositions. Mais de toute façon, nous, on ne va pas sesauver, on est là, on est à la maison, on continuerad’œuvrer et de proposer des choses qui vontvers cette ambition-là. »2008

La part faite à l’identité kanakL’Agence de développe-ment de la culture

kanak, l’ADCK, va fêterses vingt ans l’annéeprochaine, et son outil

opérationnel, le centre culturel Tji-baou, a fêté ses dix ans au début dumois dernier. Signé du prestigieux ar-chitecte Renzo Piano, présentécomme l’un des « grands travaux »du président Mitterrand alors que Mi-chel Rocard affirme qu’il lui a fallu ledéfendre « pendant cinq ans pourque, au-dessus et au-dessous demoi, on ne rogne pas peu à peu lebudget au risque d’enterrer le projet »,le centre Tjibaou est au cœur des ac-tions de valorisation de la culturekanak, qu’elle soit patrimoniale oucontemporaine. Qu’elle s’exprime pardes spectacles, des débats, des ren-contres, des expositions, des publica-tions ou des lectures…Octave Togna, directeur de l’ADCK

durant dix-sept ans, se disait en 2006heureux d’y avoir fait circuler « les pe-tits bouts de paroles », ces échangesqui se répondent et se façonnent, quien engendrent d’autres. « Ce pays,disait-il, par sa diversité culturelle, eth-nique, par son histoire, a besoin deparler. Pas de parler politique, pour oucontre l’indépendance, mais simple-ment de se parler. Beaucoup estimentque c’est une perte de temps. Eh biennon. Cela donne du sens à nos rela-tions, à la décision prise de construireensemble. »Pas si simple. Malgré sa presti-

gieuse beauté, le centre a mis dutemps à s’implanter dans les espritset dans les cœurs. Les Kanak n’y ve-naient guère, les Européens s’en mé-fiaient. Restaient les enfants desécoles et les touristes.Un « round d’observation, com-

mentait récemment Emmanuel Kasa-rherou, le directeur du centre. Nonseulement la forme architecturalepouvait dérouter, mais il y avait aussiune interrogation majeure sur ce pro-jet culturel. À qui ça s’adresse ? Est-ce vraiment pour nous ? D’abord onregarde, on fait le tour. C’est légi-time. »

Le déclic, estime-t-il, s’est produit en2000, lorsque le centre Tjibaou a ac-cueilli une partie du Festival des Artsdu Pacifique. « C’est dans le regardde ceux qui venaient d’ailleurs que lesgens d’ici ont compris que l’on avaitquelque chose d’intéressant, souligneEmmanuel Kasarherou. Depuis qua-tre ans, ça commence à monter. On aaujourd’hui le sentiment qu’on atourné une page. On n’a plus à direaux gens qu’ils peuvent venir. Le cen-tre fait partie du paysage culturel. Il ya un appétit nouveau des Calédo-niens pour la culture, comme phéno-mène de partage et non de division.Ça, c’est nouveau. »

Nouveau effectivement. De « l’autrecôté », en contrepoint à l’affirmationforte de l’identité kanak, au centre Tji-baou comme au musée de la Nou-velle-Calédonie, s’est développée une

revendication identitaire calédo-nienne. Au travers d’associations, demusées, les « victimes de l’histoire »se sont penchées sur le patrimoine dubagne ou des pionniers, leur patri-moine.Se pencher sur son passé, c’est

préparer l’avenir. On se penche, c’estsûr ; mais chacun chez soi encore. Cesera gagné quand les poucettes dubagne, les outils des pionniers ou lesvestiges des Américains voisinerontdans un même établissement avecdes poteries Lapita ou des masquesde deuil.Pareil pour la musique locale. Elle a

explosé en vingt ans, avec desgroupes toujours plus nom-breux et mieux formésdans des structures décen-tralisées. Mais, là encore,les publics ne se mélan-gent guère. Ce sera gagnéquand l’Anse-Vata viendraà la Rivière-Salée écouterdu kaneka, et quand les

jeunes Kanak iront sur la Nuit du rock.Quand le centre Tjibaou, jugé élitistedans les quartiers populaires, accueil-lera aussi les groupes qui pour l’ins-tant se produisent au Mouv’.

La revendicationidentitaire d’unpeuple dont laculture et lepatrimoine ont été« niés ou pillés »,selon les termesdu préambulede l’accord deNouméa, a étéun puissantferment de la quêteindépendantiste.Vingt ans après,les outils dereconnaissancede cette identitésont là.

Des outils en place

La reconnaissance del’identité kanak ne tient pastoute dans l’ADCK et lecentre Tjibaou. Elles’exprime au traversd’autres outils variés. Auplan institutionnel, par leSénat coutumier, émanationdes huit aires culturelles.Au plan linguistique, par lacréation en janvier 2007d’une académie des languesdont quatre sectionsrégionales doivent ouvrircette année dans les airesDrehu, Djubéa-Kapone, Ajiéet Païci. Au plan scolaire,par l’introduction deslangues vernaculaires àl’école, et par la refonte desmanuels d’histoire-géo duprimaire qui intègrent mêmedes dossiers en langue.Au plan cultural par unconservatoire de l’igname,chargé de la préservationdu tubercule qui fonde leséchanges coutumiers.Au plan juridique, enfin,par la mutation du PV depalabre. Une « révolutionpour les populationskanak » puisque larédaction de ces procès-verbaux essentiels, assuréedepuis toujours par lesgendarmes français,va passer en septembreprochain sous laresponsabilité de seize« officiers publicscoutumiers ». Des agentsassermentés, issus dumonde kanak, mais formésau droit et aux procéduresciviles, à la médiationpénale et à la sociologie.Une évolution directementissue de l’accord deNouméa.

Se pencher sur son passé, c’estpréparer l’avenir. On se penche,c’est sûr ; mais chacun chez soiencore.

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Paroles d’hommes

Outil de l’Agencede développementde la culturekanak (ADCK),le centre culturelTjibaou estle symboleprestigieux, maispas le seul, dela reconnaissancede l’identitékanak.

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La réforme foncière parexemple. Elle est néebien avant les accords,voici trente ans. Hou-leuse à ses débuts,

quand les revendications de terreétaient en lien direct avec la re-vendication d’indépendance, elleest passée sous le contrôle del’État avec les accords Matignon-Oudinot, les partenaires calédo-niens ayant préféré placer ledossier en terrain neutre.En trente ans, quelque 140 000

hectares ont été attribués à lacommunauté mélanésienne et lepoint d’équilibre est désormaisproche, sur la Grande Terre, entrele foncier coutumier (18 %) et lesterres privées (20 %), les collecti-vités restant de loin les plus grospropriétaires fonciers.

La réforme, qui a ralenti ces dixdernières années, se poursuit aurythme moyen d’environ 500 hec-tares achetés et 3 000 hectares at-tribués par an, le stock Adrafdiminuant peu à peu. L’Agence as-sure également des opérations demise en valeur, et a poussé àl’émergence d’un système de lo-cation (plus de 200 baux sur envi-ron 30 000 hectares).La réforme foncière fait partie

des compétences dont le transfertest à l’étude. C’est un audacieuxpari sur l’avenir que de vouloir laconfier aux Calédoniens eux-mêmes, tant la terre est un sujetpassionnel, à l’origine de tensionsfortes au sein même de la com-munauté kanak.L’implication de l’État se mesure

également aux contrats de déve-loppement. Ils accompagnent lepays, les provinces et les com-munes, et permettent de planifierles investissements publics. Ils ontinsufflé dans le pays, en plus destransferts habituels de l’État quitournent autour de 80 milliards paran, environ 34 milliards pour la pé-riode 1993-1999, 40 milliards pourla période 2000-2004 et 47 mil-liards pour la période 2006-2010.Ces contrats, disait François Ba-

roin en les signant voici deuxans, « ont une très forte va-leur symbolique. Inscrits ausein même de l’accord deNouméa, ils sont un élémentfondamental du processusengagé pour construire en-semble une société apaiséedans un destin partagé. »

Dans le domaine essentiel de laformation des hommes, le pro-gramme « Cadre Avenir », financéà 90 % par l’État, prolonge depuis2000 le programme « 400 ca-dres » mis en place en 1989. Lecap des mille parcours de forma-tion a été atteint en 2007, avec untaux de réussite de l’ordre de68 %, un taux de réussite partiellede 10 % et un taux d’échec de22 %. Plus des deux tiers des bé-

néficiaires ont été ou sont desKanak, pour 13 % d’Européens.Enfin, l’État a tenu une parole

essentielle aux yeux des indépen-dantistes avec le gel du corpsélectoral. Malgré une controversecalédonienne longue de huit ans,l’État s’est par quatre fois engagé,entre 1999 et 2006, sur la questiondu corps électoral figé. Et la parolea été tenue le 19 février 2007 parle Parlement, réuni à Versailles.Autant d’engagements assumés

qui ont rendu à l’État sa crédibilité,au plus bas durant les événe-ments, qu’il s’agisse des loyalistessous Pisani ou des indépendan-tistes après Ouvéa.Quinze ans après l’opération

Victor qu’il avait approuvée en tantque Premier ministre, JacquesChirac devenu président de la Ré-publique avait pu constater lechangement lors de son ultime vi-site en Nouvelle-Calédonie, enjuillet 2003. Même si l’odeur des

grenades lacrymogènes lui avaitchatouillé les narines à Koné, àl’initiative de la seule UC, il avaitété accueilli place des Cocotierspar une foule mélangée brandis-sant drapeaux français et Kanaky.Une cohabitation pacifique dessymboles inimaginable le jour où,sur cette même place des Coco-tiers, dix-sept ans auparavant, unsolide cordon de CRS séparait lesmanifestations antagonistes duFLNKS et du RPCR.

Les partis politiques calédoniens l’invoquent souvent comme arbitre, garant de l’application pleine et entière de l’accord deNouméa. C’est vrai, mais un peu réducteur. L’État est bien un partenaire à part entière du processus engagé voici vingt ans,avec des missions à assurer et des engagements à tenir.

Montrée du doigt par ses voisinsrégionaux au temps des Événe-ments, du Rainbow Warrior et desessais nucléaires, la Nouvelle-Calédonie est aujourd’hui unebulle de stabilité et de développe-ment soutenu dans un Pacifiquemarqué par l’instabilité.

Dans la grande mare du Pacifique desannées quatre-vingt, les territoires françaisétaient les vilains petits canards. Ils sen-taient l’atome, les barbouzes couleur d’arc-

en-ciel et les « white settlers », les « colonsblancs » voués aux gémonies par la presseanglo-saxonne. En ce temps-là, les dockersde Sydney refusaient de charger nos ba-teaux, nos ambassadeurs étaient expulsés,Forum et Fer de lance condamnaient laFrance et soutenaient le FLNKS à l’ONU.Bien changé, tout cela. La poignée de

main, les accords de Matignon et de Nou-méa, ont peu à peu modifié le regard du Pa-cifique insulaire sur les « french territories »et particulièrement sur la Nouvelle-Calédo-nie. Au début, une mission du Forum venaittout de même s’informer régulièrement dela situation, constater les progrès. Mainte-nant, c’est la Nouvelle-Calédonie qui va auForum. Elle y est admise comme observa-trice depuis 1999, et comme membre asso-

cié depuis 2006. Lors du dernier, en octo-bre 2007 à Tonga, les membres de l’organi-sation régionale ont applaudi la France enla personne du ministre de l’Outre-Mer venuprésenter le positionnement de l’État dansla Région.Il est vrai qu’en 2003 et 2007, lors des

deux sommets France/Océanie de Polyné-sie et de Paris, la France de Jacques Chiraca exprimé sa volonté de mieux marquer sasolidarité et de donner un nouvel élan à sesrelations avec l’Océanie, particulièrementdans les domaines de l’économie, de la sé-curité et de l’environnement. Dans un Paci-fique insulaire où la maîtrise de lamondialisation est une question de survie,la France ne fait plus peur et n’est pas detrop face à l’expansion chinoise. Alliée puis-

sante pour l’Australie et la Nouvelle-Zé-lande, elle met aussi au service des petitsÉtats un « Fonds Pacifique » en partie ali-menté par la Nouvelle-Calédonie. Ce rap-prochement global est enfin conforté pardes actions plus ponctuelles de coopéra-tion, territoriales ou provinciales, notam-ment à l’égard du Vanuatu, historiquementet affectivement le plus proche voisin du ter-ritoire.En vingt ans, la Nouvelle-Calédonie est

passée de la guerre à la paix. Le Pacifique,lui, s’est troublé : guerre civile à Bougain-ville, coups d’État aux Fidji, affrontementsaux Salomon et à Tonga, insécurité en Pa-pouasie, instabilité chronique en Polynésie.La roue tourne pour les donneurs de leçonsd’autrefois.

Pacifique : la roue a tourné

Les paroles tenues de l’État2020 ansans d'accord26 JUIN 2008 LES NOUVELLES CALÉDONIENNES 17

À Versailles, en février 2007, le Parlement de la France inscrit dans la Constitution le gel du corps électoral. C’est ungage immense donné aux Kanak, qui craignent depuis toujours de devenir électoralement minoritaires dans leur pays.

L’État a tenu une paroleessentielle aux yeux desindépendantistes avec le geldu corps électoral.

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Avez-vous des souvenirs précisdes Événements ou comment enavez-vous pris connaissance ?Est-ce un sujet tabou dans votrefamille ?

Emmanuelle : Ma mère est née à Hien-ghène, a vécu à Touho et mon père était

avec elle en Brousse. Ilsont vécu le couvre-feupendant les années 84-86. Ils m’ont raconté com-ment ça se passait, qu’ilsn’avaient pas le droit desortir, qu’il fallait fairegaffe à qui on parlait. Mesparents ne m’ont jamaisparlé des Événementsd’une façon critique, ilssont toujours restés ob-jectifs, en racontant com-

ment ils les avaient vécus. Jamais onnous a dit à mon frère et moi : « Ma fille,

méfie-toi ! », etc. Ce n’est pas un sujettabou.En fait, je remarque que ceux dont lesparents habitaient à Nouméa n’ont pasvécu les Événements de la même façonet ne les racontent pas de la même ma-nière à leurs enfants. Je n’ai pas d’apriori envers les gens, pas d’appréhen-sion quand il faut aller parler à un Indo-nésien ou à un Mélanésien. En plus, mafamille est nombreuse et, dedans, il y ade tout.

Cédric : Dans ma famille, on en parle li-brement. Quand j’ai besoin de savoir,mes parents me disent ce qu’ils savent.Mes parents n’avaient pas pris part auconflit par peur pour nous. J’ai vu beau-coup de reportages dessus, ma grand-mère avait enregistré toutes lesnouvelles télévisées de cette période.Mes parents me disent qu’il faut tout fairepour ne pas en revenir à cette situation.

C’est une période qui les a beaucoupchoqués. À Gossanah, je savais qu’ils’était passé quelque chose mais je nesavais pas quoi exactement. J’ai vu lesreportages récents sur Ouvéa, j’ai inter-rogé mon entourage car j’avais une vi-sion totalement différente de cellediffusée par RFO. On se pose des ques-tions et on se demande qu’est-ce qu’il abien pu se passer d’autre ?

Kathy : J’ai des souvenirs entre 84 et 88des couvre-feu. On habitait à Païta.Quand on allait à Canala, où mon pèreest petit chef, pour aller au champ, assis-ter à des réunions coutumières ou declans, à chaque fois qu’on arrivait à Thio,on se faisait arrêter en voiture. Nos pa-rents nous disaient : « Ce n’est rien, c’estnormal ! »J’ai le sentiment qu’on était surprotégéspar mes parents, la famille. Les onclesmaternels étaient tout le temps là. Et

Ils ont entre 20 et 32 ans,sont étudiant, salariésou artiste. Vingt ans aprèsla poignée de main, nousavons voulu donnerla parole à cinq jeunesCalédoniens issusd’ethnies différentes.Nous avons doncrencontré Emmanuelle,20 ans, étudiante enanglais, Cédric, 21 ans,en recherche d’emploi,ancien instituteuritinérant, Tevita, 29 ans,artiste, Kathy, 32 ans,journaliste, et Rémy, 26ans, commercial. Ils nousfont part de leur vécu etde leurs sentiments surdes moments clés del’histoire du pays. DesÉvénements à leur visionde l’avenir, voici uncondensé de deux heuresde discussion,sur une natte, à l’espaceMwa Kaa du centreculturel Tjibaou.

Mes parents me disentqu’il faut tout faire pour ne pasen revenir à cette situation.La période des Événementsest une période qui lesa beaucoup choqués.

Paroles de jeunes Calédoniens

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c’est après, au collège et au lycée, quej’ai compris en parlant avec les autres.

Tevita : Je n’ai pas vécu en Broussemais dans les alentours de Nouméa. Entant que Wallisien, mon père travaillaitdans le Nord et, quand il descendait, ilnous ramenait un peu ses peurs, maisen même temps, ça nous protégeait. Onse disait, il y a peut-être du danger àl’extérieur. Mes deux frères et lui fai-saient des tours de garde. C’est plustard que j’ai compris. Même la télé nenous montrait rien. Dans ma famille, j’enparle avec une personne mais jamaisdevant tout le monde. Il y a une certainepudeur.

Rémy : J’étais petit. On a connu lesÉvénements en Brousse, à Ouaco. Etcela ne s’est pas forcément bien passé.Il y a eu l’Adraf qui est venue récupérerdes terres pour les redistribuer, doncnous n’en avons pas un bon souvenir.Je suis descendant de bagnard. Ons’est retrouvés avec plus rien. Ma mère,en tant que métisse, était partagée.Et mon père était dans les milices del’époque, comme tout le monde.En gros, ça a pété.

Et à l’école, parle-t-on desÉvénements ?Emmanuelle et Cédric : Non, on parlesurtout de la colonisation. Ils ontregroupé Événements et accords deMatignon en deux lignes.

Tevita : D’ailleurs, ils n’appellent tou-jours pas ça une guerre civile !

Vous voudriez que cela soitclairement enseigné ?Tevita : Oui. Car c’est comme si on en-terrait un cadavre et qu’on disait qu’il n’apas existé. Donc on ne peut pas savoirs’il a une histoire. Là, il y a toute une gé-nération où il y a un creux. Des jeunesqui sont tombés dans les peurs de leurgrand frère qui ont pris des moments del’histoire qui leur plaisaient bien. Ils ontentre 20 et 25 ans et ont des peursqu’ils partagent avec les petits. Ce sonteux les plus fragiles parce qu’ils n’ontpas d’histoire sur laquelle se poser. Eton leur parle de destin commun, maiscomment tu peux en parler quand tun’as pas d’histoire ?

Rémy : Cela devrait être obligatoire àl’école mais sans être amplifié. Pour nepas raviver des vieilles flammes pas en-core éteintes.

Que savez-vous des accords deMatignon et de Nouméa et qu’enpensez-vous ?Emmanuelle : Je n’ai pas le souvenirqu’on m’ait raconté les accords de Mati-gnon. C’est quand j’ai vu à la télé LionelJospin venu pour la signature des ac-cords de Nouméa que je me suis posédes questions, j’avais 10 ans. Mais, pourmoi, Matignon c’est juste une signature.Je n’ai pas la symbolique de l’acte depaix. Quant à l’accord de Nouméa, pourmoi, c’est une signature pour un avenirplus paisible. Ce n’est que l’année der-nière, grâce à un cours à l’IUFM, que j’ai

pris conscience de l’enjeu réel et actuelde l’accord de Nouméa.

Cédric : J’ai aussi le souvenir d’une si-gnature pour les accords de Matignon.Comme j’ai travaillé en tant qu’institu-teur itinérant, j’ai fait des recherches surl’histoire du pays. J’ai vu que c’était l’ac-cord qui a ramené la population aucalme. Ça m’a un peu surpris car, pourmoi, c’était juste un accord.

Kathy : Je garde l’image de la poignéede main. J’ai le souvenir après l’attaquede Gossanah que, quelques semainesaprès, il y a la signature. J’ai trouvé çarapide. J’étais dans une école catho-lique à Païta entourée de Wallisiens et,quelque part, tu le vivais, cet accord depaix. Même si je garde l’image d’une

histoire récente douloureuse mêmemaintenant.

Rémy : Je m’en souviens bien. Mais,pour ma part, je pense que ça a été unesignature réfléchie mais pas finie. C’estle problème de tous les accords. Ils sefont à la hâte parce qu’il faut trouver unesolution et c’est ce qui a amené l’accordde Nouméa, mais on repousse à chaquefois la solution à plus tard. Et c’est cequi est en train de se passer à nouveau.Déjà, je connais très peu de jeunes quiont lu le texte de l’accord. Il y a très peude gens qui s’informent là-dessus.Beaucoup disent des bêtises et ne serendent pas compte de ce qui va vrai-ment se passer.

Et, justement, vous avez

l’impression d’en connaître lecontenu ?Tevita et Kathy : On les a lus. Mais il ya des termes dedans...

Cédric : Au lycée, on a lu uniquement lepréambule. Le destin commun, tout lemonde a voté pour. Après il y a des dis-positions à l’intérieur qui font réagir lesgens : « Ah bon, ce n’est pas ce que jerecherchais en votant pour lesaccords. » Ils ont l’impression d’avoirété floués.

Quel regard portez-voussur l’autre ?Est-ce que vous avezl’impression d’être plusmélangés que la générationde vos parents par exemple ?

Rémy : En Brousse, il y a toujours eudu mélange. À Nouméa, je trouve queles gens se mélangeaient moins. Au-jourd’hui, beaucoup plus.

Emmanuelle : Je n’ai pas de préjugésenvers les gens. Dans ma bande, il y ades copains de toutes les ethnies. Maisje pense que c’est aussi suite à uneéducation qu’on a reçue. Mon frère etmoi n’avons pas grandi dans des appré-hensions ou des préjugés envers telleou telle ethnie. Je pense que c’est plusfacile de se mélanger que la générationd’avant. Après, les histoires familialesdiffèrent.

Tevita : À l’école déjà, j’étais mélangé.C’est peut-être le fait que la ville s’estagrandie que dans certains quartiers on

ne trouve que telle ou telle ethnie.Par exemple, à Tuband. Mais là, c’est lecontexte de la ville. C’est dommage.Car ce sont l’école et l’éducation quifont qu’on est habitué d’avoir à sescôtés une personne de couleur, on estplus permissif.

Kathy : C’est aussi aux parents d’ame-ner l’enfant vers l’autre. Sinon, tu faisdes rencontres à des soirées.

Tevita : L’exemple type, c’est rentrer enboîte. Si je n’étais pas musicien, je nepourrais pas.

Emmanuelle : Quand mon cousin quiest métis mélanésien essaie de rentrertout seul en boîte, ça ne marche pas.Quand je lui tiens la main, il passe. Ducoup, il ne sort plus. La boîte, c’est unexemple parmi d’autres. Mais ça toucheles jeunes. Vu qu’on nous considèrecomme acteurs de notre pays, c’est unpeu nous couper dans notre élan :« Comment tu veux que je participe audestin commun que si rien qu’en allanten boîte de nuit on m’interdit l’entréejuste parce que je suis Wallisien ou Mé-lanésien ? »

Rémy : Les politiques devraientcondamner les patrons de boîte, il fau-drait une amende jusqu’à la fermeturede la discothèque.

Comment voyez-vous l’avenir ?Emmanuelle : J’ai bon espoir. J’ai peurdes crispations au moment de 2014.Dès qu’on aura franchi 2010, ça voudradire que le référendum va se rappro-cher. Je pense qu’on est dans une dyna-mique et qu’on ne va pas refaire lesmêmes erreurs qu’avant, ni retomberdans une opposition interethnique.

Cédric : J’espère que 2014 ne débou-chera pas sur l’indépendance maisqu’on restera sur l’idée du destin com-mun. De continuer à partager, à cultivercette richesse qu’apporte la diversitédes ethnies. Mais je suis un peu scep-tique sur le résultat. Quand on voit qu’onn’arrive pas à avoir de chaque bord lamême lecture des accords, on doute unpeu par rapport aux politiques.

Kathy : Je pense qu’il faut faireconfiance aux jeunes. Mais le travail doitvenir des politiques. Je souhaite que lesjeunes s’approprient leur histoire pourqu’ils puissent se construire un avenircommun. Certains voudront l’indépen-dance, d’autres l’autonomie, d’autres laCalédonie dans la France. Quelque part,il faut qu’on vive bien. On est là pourvivre ensemble.

Rémy : Je suis également confiant.Maintenant, il faudrait davantage dejeunes en politique, plus représentatifs,avec des idées nouvelles.

Tevita : Je suis très confiant en l’avenir.On laisse le pouvoir à des gens au-des-sus de nous, espérons juste que, pournous, ces personnes-là vont l’utiliser àbon escient. C’est l’avenir d’un pays. Dumoment qu’il y a la paix.

« Comment tu veux que je participe au destincommun que si rien qu’en allant en boîte de nuiton m’interdit l’entrée juste parce que je suisWallisien ou Mélanésien ? »

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Le gros dossier des transfertsde compétence

Qu’ils soient moteur ou car-burant, selon les pointsde vue, les transferts decompétence, progressifset irréversibles, sont un

élément fondamental de l’accord deNouméa.La loi, cependant, ne donne pas de

date. Elle précise seulement que cinqdomaines de compétence seront« transférés à la Nouvelle-Calédonieau cours de la période correspondantaux mandats du Congrès commen-çant en 2004 et 2009 », que leur ca-lendrier de mise en application devraêtre voté par le Congrès à la majoritédes trois cinquièmes et que l’Étatcompensera les charges liées à cescompétences nouvelles. Il s’agit de lapolice et de la sécurité maritime et aé-rienne intérieure, de l’enseignementdu second degré public et privé, del’enseignement primaire privé, dudroit civil et des règles concernantl’état civil et le droit commercial, etenfin de la sécurité civile. S’y ajoutele transfert de trois offices : l’Institutde formation des personnels admi-nistratifs (IFPA), le Centre de docu-mentation pédagogique (CDP) etl’Agence de développement rural etd’aménagement foncier (ADRAF).Ces transferts ont suscité et susci-

tent encore des réticences, à tout lemoins de profondes inquiétudes, par-ticulièrement en ce qui concerne l’en-seignement. Lancé en fin d’annéedernière, alimenté par l’ambiguïté detextes qui renvoient les partenairescalédoniens à un nécessaire consen-sus, le débat politique sur leur auto-maticité s’est rapidement éteint.Reste la question essentielle de laqualité du futur service public trans-féré, donc de la bonne préparation dela mutation. L’État, qui a réaffirmé audernier comité des signataires queces transferts sont au cœur de l’ac-cord, y a mis les moyens en propo-sant à la Nouvelle-Calédonie unemission d’appui technique.Celle-ci est effectivement venue fin

avril, en formation plénière, pour unesemaine de travail. Les rencontresmultiples entre fonctionnaires pari-siens et responsables calédoniens, aestimé le chef de cette mission, Al-dolphe Colrat, directeur des affairespolitiques, administratives et finan-cières au secrétariat d’État à l’Outre-Mer, ont commencé à dissiperl’inquiétude lorsqu’elle existait. Enfait, les envoyés de l’État ont noté quemême le transfert de secondaire faitconsensus sur plusieurs points : atta-chement à la qualité de l’enseigne-ment et aux diplômes nationaux,souci d’adapter mieux qu’aujourd’huil’enseignement aux réalités calédo-

niennes. « Par un certain nombred’approches techniques, on s’estaperçu que le transfert n’est pas lamenace que certains imaginaient,comme si on allait passer sans tran-sition d’un système à un autre, a-t-ilsouligné. Ce n’est pas un saut dansl’inconnu. Ce ne sera pas une cou-pure mais un pilotage local plus net-tement affirmé, avec l’objectifd’améliorer la qualité. »

Si la mission n’a pas perçu de« blocages de nature idéologique »,les responsables politiques calédo-niens des deux bords, échaudés de-puis longtemps par la question de laconstruction des collèges dont ils ontla responsabilité sans les moyens fi-nanciers correspondants, entendenttout de même rester vigilants sur laremise à niveau des outils transférés.Ils craignent, en fait, d’être mangés àla sauce décentralisation métropoli-

taine sur fond de réduction généraledes politiques publiques d’une Francedésargentée. De ce point de vue, lamission a pris ses marques en an-nonçant d’entrée de jeu « qu’il ne fautpas tout mélanger », que les trans-ferts « ne doivent pas se confondreavec le souci exprimé de voir deséquipements remis à niveau » et quecet argument « ne doit pas être unprétexte pour ne pas aller vers des

transferts dont le prin-cipe est décidé ».Bref, les discussions

sur le rapport « qualitéprix » des transferts nefont que commencer. Lamission reviendra en oc-tobre, puis au début del’année prochaine.L’idée est que la prépa-ration soit achevée

avant la fin de la mandature, afin queles élus de la suivante aient tous leséléments en main pour décider. D’yaller ou pas…Si les transferts sont, comme le dit

le préambule, la marque de la « sou-veraineté partagée », s’ils sont bien lecœur du dispositif approuvé en 1998comme l’affirment la plupart des par-tis politiques et l’État, c’est un peu lesort de l’accord de Nouméa qui sejouera là.

Elle avait ratéla fenêtre delancement de2004, faute depréparation etpeut-être d’envie.Elle ne veut pasrater celle de2009 : à moinsd’un an de latroisièmemandaturede l’accordde Nouméa,la Calédoniese penche enfinsérieusementsur les transfertsde compétence.

Ces transferts ont suscité etsuscitent encore des réticences,à tout le moins de profondesinquiétudes, particulièrement ence qui concerne l’enseignement.

Pas tout en mêmetemps

Entre les transferts enpréparation et ceux descompétences régaliennesqui feront l’objet duréférendum de sortie siaucune nouvelle solutionconsensuelle ne sedessine, il en existe troisautres, que la loi traitedifféremment. LaCalédonie pourra lesdemander à partir de 2009,mais sans garantie de lesobtenir. Il y faudra une loiorganique, donc un votefavorable de l’Assembléenationale et du Sénat.Ces transferts-làconcernent l’enseignementsupérieur, lacommunicationaudiovisuelle et les règlesrelatives à l’administration,au contrôle de légalité etau régime comptable etfinancier des collectivitéspubliques (provinces etcommunes).Le troisième ferait passerles communes du contrôlede l’État à celui de laNouvelle-Calédonie, etpermettrait dans certainesconditions d’appliquer auxélections municipales uncorps électoral restreint.La question n’est pas àl’ordre du jour. Lors dudernier comité dessignataires, les partenairescalédoniens ont décidé dese « concentrer enpriorité » sur les transfertsexpressément prévus, passur les transfertséventuellement possibles.Pas tout en mêmetemps…

L’enseignement secondaire estl’enjeu de société le plus importantde la vague de transferts decompétence qui doit être décidéel’an prochain, au début de latroisième mandature de l’accordde Nouméa.

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Nicolas Sarkozy« Le principe des transferts de compétenceest prévu par l’accord de Nouméa. Il n’estdonc plus en débat. Il nous reste à arrêterun calendrier et des modalités acceptablespar tous, qui permettent de préserver laqualité des services publics pour tous lesCalédoniens. L’État s’engage résolument àvos côtés pour vous aider à identifier lesproblèmes qui se posent et à lesrésoudre. »Décembre 2007

Paul Néaoutyine« L’accord de Nouméa a vocation à bâtir undestin commun et une citoyenneté en deve-nir, à reconnaître l’identité kanak et le droità l’autodétermination. Cette démarche, vali-dée par l’État et par les partenaires locaux,

a été approuvée par les citoyens calédo-niens. Les transferts de compétence prévusen 2009 sont une étape fondamentale, quinécessite une préparation très active, avecl’appui de l’État. »Décembre 2007

François Fillon« Les transferts de compétence de l’Étatvers la Nouvelle-Calédonie sont le véritablemoteur du processus de l’accord de Nou-méa. Sans les transferts de compétence, nila lettre ni l’esprit de l’accord de Nouméa neseraient respectés. »Décembre 2007

Harold Martin« Les transferts de compétence ne peuventêtre réalisés sans le concours de l’État.

Pour les réussir, il faut les préparer.« J’ai confiance dans la Nouvelle-Calédo-nie, dans son potentiel de matière grise etd’adaptabilité pour construire, avec l’appuiloyal de l’État, le cadre d’une autonomierenforcée de notre territoire dans la Répu-blique. »Mai 2008

Pierre Frogier« Les transferts de compétence ne sont pasle moteur de l’accord de Nouméa. Le mo-teur, c’est le consensus, c’est la méthode.Le transfert de l’enseignement secondairene peut se faire que dans l’intérêt des fa-milles, des enfants et des personnels. Quoiqu’il en soit, c’est bien le Congrès élu en2009 qui sera chargé de se prononcer à lamajorité des trois cinquièmes. »Mars 2008

Signes identitaires :trois sur cinq

Gare aux drapeaux, ilsfont se battre les peu-ples. C’est sans doutepourquoi les signesidentitaires à l’étude de-

puis l’an dernier ne portent que surla devise, l’hymne et le graphismedes billets de banque, le drapeau etle nom du pays devant venir dans unsecond temps.Ces signes identitaires ne sortent

pas d’un chapeau de magicien. Ilssont bien dans l’accord de Nouméasigné par les politiques et approuvépar les Calédoniens à 72 %. Ils ysont même évoqués à trois reprises.Dans le préambule d’abord : « La

pleine reconnaissance de l’identitékanak consiste à (...) adopter dessymboles identitaires exprimant laplace essentielle de l’identité kanakdu pays dans la communauté dedestin acceptée. »Dans le document d’orientation

ensuite : « Des signes identitaires dupays, nom, drapeau, hymne, devise,graphisme des billets de banque, de-vront être recherchés en communpour exprimer l’identité kanak et lefutur partagé entre tous. La loi consti-tutionnelle sur la Nouvelle-Calédonieprévoira la possibilité de changer cenom, par loi du pays adoptée à lamajorité qualifiée. Une mention dunom du pays pourra être apposée

sur les documents d’identité, commesigne de citoyenneté. »Dans la loi organique enfin : « La

Nouvelle-Calédonie détermine libre-ment les signes identitaires permet-tant de marquer sa personnalité auxcôtés de l’emblème national et dessignes de la République. Elle peutdécider de modifier son nom. »Rien de cela n’est soumis à calen-

drier. La réflexion aurait pu commen-cer dès la mise en œuvre de

l’accord. « Nous n’étions pas de-mandeurs, c’était aux indépendan-tistes de se mettre au travail et deproposer », disait le Rassemble-ment. « Mais le gouvernement n’étaitpas suffisamment collégial pour selancer », répondait le FLNKS.Le chantier, finalement, s’est ou-

vert en avril 2007 avec la constitutiond’un comité de pilotage réunissantdes politiques de tous bords, dessyndicalistes, des coutumiers, des

représentants des Églises, des as-sociations et des communautés. Soitune vingtaine de personnes qui ontchoisi, pour la devise, l’hymne et legraphisme des billets, de passer parun concours populaire. Celui-ci s’estachevé fin février.En avril, un jury essentiellement

composé des membres du comité depilotage a tenu deux réunions suc-cessives pour désigner les lauréats.Un pour la devise, un autre pourl’hymne, plusieurs pour le graphismedes billets. Des choix ont été faits,puis proposés au gouvernement quidoit les valider et les soumettre auCongrès. Pour leur adoption, hymne,devise et graphisme devront en effetpasser par une loi du pays.Reste la délicate question du nom

et du drapeau, les deux signes iden-titaires les plus forts et les plus sen-sibles. Les positions de départ sontconnues : une Nouvelle-Calédoniebleu-blanc-rouge pour les uns, uneKanaky bleu-rouge-vert-jaune pourles autres. La juxtaposition ou la fu-sion consensuelle des noms et descouleurs n’aura à l’évidence rien desimple. On n’en est, pour l’instant,qu’à la définition d’une méthode detravail. Il est vrai que la période n’estpas idéale, à l’approche d’électionsprovinciales qui vont fatalement dur-cir le discours.

Signes identitaires : le sujet chaud par excellence entre indépendantistes et non-indépendantistes. À part ledrapeau blanc, celui de la trêve, on voit mal quel symbole pourrait aujourd’hui mettre d’accord les tenantsdu bleu-blanc-rouge et ceux du bleu-rouge-vert à rond jaune.

Rien n’estparfait…

« S’il n’y avait pas de diffi-cultés, ce serait leparadis », disait Jean-Marie Tjibaou. Le paradisn’étant pas de cette terre,rien n’est évidemmentparfait.Nombre de schémas terri-toriaux d’aménagement etde développement ne sontpas aboutis. Le dialoguesocial est loin d’être se-rein, même si des progrèsont été faits. La définitionde l’emploi local reste em-bryonnaire. Les notions decitoyenneté et de destincommun demeurentfloues. La prise en compted’une jeunesse tentée parles conduites à risque etla délinquance est insuffi-sante. La répartition de larichesse reste inégale dupoint de vue géographiqueet social. Et si le rééquili-brage est réel sur le plandes infrastructures, il estencore timide du point devue économique, commeen témoignent les flux mi-gratoires du Nord et sur-tout des Îles vers le GrandNouméa. Enfin, et c’estpeut-être le plus préoccu-pant, les tensions eth-niques ne sont pas toutesapaisées, particulièremententre la communautékanak et la communautéwallisienne et futunienne.Avec autant d’humour qued’humanisme, légitimé parson rôle passé et parl’amour qu’il porte tou-jours à la Nouvelle-Calé-donie, Michel Rocard l’adit fin mai aux Calédo-niens : un chemin consi-dérable a été fait, mais ilne faut jamais, jamaiscroire que la paix est na-turelle. « Dans toute situa-tion, conflit social ouconflit ethnique, la guerreest plus facile que la paix.La paix, c’est la recon-naissance de l’autre. C’estbeaucoup plus difficile. Jevous supplie de ne jamaisoublier cela. »

Les deux drapeaux côte à côte, place des Cocotiers, lors de la visite deJacques Chirac en 2003. Mais pour les fondre en un seul emblème acceptépar tous, il y a encore du travail…

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«Au terme d’unepériode devingt années,le transfert àla Nouvelle-

Calédonie des compétences réga-liennes, l’accès à un statutinternational de pleine responsabilitéet l’organisation de la citoyenneté ennationalité seront proposés au votedes populations intéressées. Leurapprobation équivaudrait à la pleinesouveraineté. »C’est en ces termes,sans jamais utiliser l’expressiond’« accession à l’indépendance »,que le préambule de l’accord deNouméa prévoit la sortie du disposi-tif actuel.Vingt ans après 1998, c’est théori-

quement 2018. En réalité, le calen-drier n’a rien de très précis, ets’inscrit dans une fourchette detemps assez large, de 2014 à 2022,pour non pas un seul référendummais deux, voire trois. Le premier,certain, le deuxième, possible et letroisième, virtuel.Le mécanisme de déclenchement

des consultations sur l’accession à lapleine souveraineté est, selon les ju-ristes, « subtil et complexe ». La loiindique que le premier référendumaura lieu au cours de la quatrièmemandature du Congrès, c’est-à-direentre 2014 et 2019. La décision del’enclencher, et la date de sa tenue,reviendra aux élus qui devront toute-fois se prononcer à la majorité destrois cinquièmes. Cela suppose unconsensus. S’il n’est pas acquis, etsi donc le Congrès ne s’exprime passur le sujet au cours des quatre pre-mières années de la mandature,c’est l’État qui fixera d’autorité la datedu référendum, au cours de la cin-

quième année de la mandature.Dans les deux cas, le scrutin nepourra pas avoir lieu dans les sixmois précédant l’expiration du man-dat, c’est-à-dire après la mi-novem-bre 2018.

Si la majorité des suffrages expri-més conclut au rejet de l’indépen-dance, ajoute la loi, une deuxièmeconsultation sur la même questionpeut être organisée à la demandeécrite du tiers des membres duCongrès. Elle est encadrée par desdélais. Elle ne peut être demandéequ’au terme des six mois suivant le

premier référendum, et doit interve-nir dans les dix-huit mois suivant lademande, la fixation de la date reve-nant à l’État. Enfin, demande etconsultation ne doivent pas se téles-coper avec le renouvellement du

Congrès. Car, en effet, s’il n’apas été trouvé de solutionconsensuelle, et si le référen-dum sur l’indépendance estnégatif, il faudra bien renou-veler les institutions sur le mo-

dèle actuel en attendant que lespartenaires aient trouvé une solution.Enfin, en cas de nouvelle réponse

négative au second référendum,l’accord de Nouméa avait prévu unetroisième consultation sur l’indépen-dance, selon un mécanisme iden-tique de déclenchement minoritaire.Elle a disparu dans la loi organique,au profit d’une réunion des signa-

taires qui laissait dans le flou ce troi-sième scrutin. Cette modification aété dénoncée par le Conseil consti-tutionnel qui a réclamé le retour autexte initial. La modification en cesens de la loi organique n’ayant pasété faite, le troisième référendum estaujourd’hui virtuel.Bref, si la Nouvelle-Calédonie le

demande elle-même, ce pourra êtreentre 2014 et 2018, avec mêmedeux référendums dans la période, àdeux ans d’intervalle, si elle s’y prendassez tôt. Voici peu, le consensussemblait hautement improbable. Lesloyalistes, ayant déjà réduit de trenteà vingt ans leurs exigences de duréedu processus, ne paraissaient guèreenclins à descendre encore en des-sous.La proposition inattendue du Ras-

semblement pour un référendumdès 2014 peut certes bousculer lecalendrier. Il n’en reste pas moinsvrai qu’un accord négocié vautmieux qu’un référendum-couperet,et que l’idée d’une solution consen-suelle a autant de sens en 2008qu’en 1991.Que ce soit 2014 ou 2018, qui vo-

tera ? Un corps électoral encore plusspécifique que celui des provin-ciales, et dont la définition fut la diffi-culté la plus sérieuse et la plustardivement réglée lors des négocia-tions de l’accord de Nouméa. Il secompose grosso modo des électeursdéjà présents en 1989 et qui ont puvoter pour l’approbation de l’accordde Nouméa en 1998, et de ceux quiauront atteint la condition de 20 ansde résidence fin 2014. Au contrairede celui des provinciales, ce corpsélectoral restreint n’a pour l’instantpas été remis en cause.

Faute d’unesolution négociéede manièreconsensuelle,il faudra au boutdu compte voterpour ou contrel’indépendance.Une fois, deuxfois, et mêmetrois foissi le campindépendantistele souhaite, avecun corps électoralencore plusrestreint que celuides électionsprovinciales.

Trois référendumsau bout de l’accord

François Garde« La Nouvelle-Calédonie sera-t-elle un jourindépendante de la République française ?Cette question structure la vie politique lo-cale depuis 1975.« Les différentes élections - législatives, ter-ritoriales, provinciales, municipales - sejouent d’abord sur cet enjeu et le rapport deforce paraît stable sur la longue durée :deux tiers des Calédoniens sont hostiles àl’indépendance, mais deux tiers des Kanaky sont favorables. Dès lors, seules les évo-lutions démographiques - et notammentl’immigration - ou la définition d’un corpsélectoral spécifique peuvent à terme influersur cet équilibre.« Le lien entre la question de la souverai-neté et celle de l’origine ethnique est poten-

tiellement explosif. (...) L’accord de Nouméaa tenté d’apporter une réponse : en limitantle corps électoral aux personnes arrivéespour l’essentiel avant 1994 et à leurs des-cendants devenus majeurs, et en renvoyantà une, deux ou trois consultations finalesentre 2015 et 2020, il garantit à une géné-ration la stabilité institutionnelle et n’imposeaucune réponse préétablie.« Ce que l’accord de Nouméa suggèreégalement, c’est qu’entre une autonomietrès poussée et une indépendance ados-sée à la France, la différence peut être unedifférence de degré plus que de nature.« D’autres États dans le monde (Porto Ricoavec les États-Unis, les îles Cook avec laNouvelle-Zélande) testent avec plus oumoins de bonheur des formules hybrides,dynamiques et volontairement ambiguës.

Peut-on rêver, et imaginer qu’au terme duprocessus de l’accord de Nouméa, la ques-tion ne sera pas posée de manière brutaleet abstraite, mais permettra une évaluationsujet par sujet des avantages et des incon-vénients et débouchera nécessairement surune solution originale ? Alors la question del’indépendance n’aura pas été résolue,mais dépassée. »Qu’en aurait penséJean-Marie Tjibaou ? - 2002

Jacques Lafleur« L’accord de Nouméa est bon.« (...) Ceux qui se conduisent comme dessalauds devraient avoir une pensée pourJean-Marie Tjibaou, le chef indépendantistequi s’est battu pour ses idées et qui a perdu

la vie pour que les gens de ce territoire vi-vent en paix et fraternellement.« (...) Aux Calédoniens, je demande de re-garder vers le haut, vers l’avenir. Pour arri-ver à construire cette Calédonie quiressemble à l’espérance, il faut dialoguer etsavoir être à la fois généreux et ferme.« La générosité n’est pas un leurre. La haineraciale, en revanche, est dévastatrice et elleengendre les massacres que l’on connaît.« À ceux qui doutent ou qui ont du mal àimaginer l’avenir de la Nouvelle-Calédonie,je voudrais dire qu’ils ont la chance inouïede pouvoir regarder derrière eux. Ils consta-teront que nous avons vaincu ceux qui pré-tendaient, avec insolence et suffisance,qu’on ne peut pas aller contre le cours del’Histoire. »2000

Paroles d’hommes

Le calendrier s’inscrit dansune fourchette de tempsassez large, de 2014 à 2022.

La sortie de l’accord de Nouméa se fera dans les urnes. Mais pour unréférendum d’autodétermination pur et simple, ou pour un nouveau statutnégocié ? La question reste ouverte.

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Les Nouvelles calédo-niennes : Quel sens donnez-vous à la poignée de mainéchangée entre vous cetteannée, vingt ans aprèscelle qui a mis fin auxÉvénements ?Jacques Lafleur : J’ai répondu àun vœu formulé par Marie-ClaudeTjibaou. J’ai été heureux de lefaire. J’ai en souvenir cette phrasede Kiki Karé : « Si y a pas toi y apas moi ». C’est une belle formule.La poignée de main échangée il ya vingt ans était une reconnais-sance réciproque. Jean-Marie Tji-baou m’avait dit : « La Calédonien’est la propriété d’aucune ethnie.Chacun a le droit d’y vivre et d’ytravailler. » Nous étions d’accordsur ce point. Notre différence,c’était, lui, l’indépendance, et, moi,l’attachement à la France. L’indé-pendance était pour lui la recon-naissance de l’identitémélanésienne. Mais il n’était pasfavorable au retour des traditions.Il l’a écrit : « Le retour à la traditionest un mythe. (...) La recherched’une identité se fait devant soi, ja-mais derrière. » C’était un hommede progrès.Il y a vingt ans, notre geste étaitloin de faire l’unanimité. C’estmême pour cela que Jean-MarieTjibaou a été assassiné. La poi-gnée de main échangée avec saveuve était donc une façon defaire revivre et d’honorer cethomme qui est allé au bout de sesconvictions.

Marie-Claude Tjibaou : Pour moi,cette poignée de main revient àdire que je ne renie pas ce qui aété fait. Il faut continuer dans cetesprit pour construire le pays.Mais j’observe qu’on est au-jourd’hui beaucoup plus préoc-cupé par l’économie que par leshommes. La Calédonie est frac-tionnée en trois provinces très dif-férentes, très inégales, et j’ail’impression que chacun se batpour sa parcelle. J’ai peur que lesgens ne passent plus de temps àse combattre qu’à travailler en-semble. Voyez l’usine du Nord quin’est toujours pas une réalité.Alors que celle du Sud en est uneen dépit des difficultés. Le rééquili-brage ne s’est pas fait. J’ai en-

tendu des paroles très dures lorsde la campagne des législatives.Alors je m’interroge sur ce qu’estdevenue cette poignée de main.

Quelle est aujourd’hui votrevision du destin commun etdu rééquilibrage ? Sont-ilsen marche ou en panne ?Jacques Lafleur : Je crois que ledestin commun est en marche.Certains ont compris plus vite qued’autres que c’était la seule solu-tion. À l’époque, notre démarche aété repoussée avec vigueur depart et d’autre. Et puis un argu-ment a fini par porter. C’est celuique, dans la situation où nousétions, un référendum immédiataurait fait un vainqueur et un per-dant. Le vainqueur aurait été lecamp anti-indépendantiste. Ce quiaurait ravivé l’amertume de l’autrecamp.Il valait mieux poursuivre la pé-riode de dialogue et même l’insti-tutionnaliser pour finir par secomprendre. On a fait un pactetrentenaire et on en arrivera au

bout dans moins de dix ans. Cetravail a été possible grâce à AlainChrisnacht.A ce jour, on peut considérer quele rééquilibrage politique estréussi. Maintenant doit venir le ré-équilibrage économique et, de cepoint de vue, hélas, la côte Est meparaît sinistrée. Elle paye encoreaujourd’hui l’absence de tousceux, Noirs comme Blancs, qui ontdû partir à l’époque.

Marie-Claude Tjibaou : Le ré-équilibrage aurait pu et dû allerbeaucoup plus vite. La provinceSud s’est formidablement dévelop-pée. Pas les autres. Le BTPmarche tellement dans le Sudqu’on manque d’artisans dans leNord. Or il y a beaucoup à faire.Même si le développement écono-mique mélanésien ne peut et nedoit ressembler à celui de Nou-méa, les gens ont le droit de vou-loir de l’eau chaude, de l’électricitésolaire, des routes carrossables.On a besoin que la modernitévienne améliorer notre vie. Mais

on ne veut pas casser notreculture et notre coutume. Un arti-san, un GDPL peuvent très bienprospérer en faisant la part deschoses entre l’entraide, la cou-tume, et les règles comptables oucelles des appels d’offres. L’un nedoit pas casser l’autre.Il n’empêche, des gens sont mortspour que les choses changent. Çafait vingt ans qu’on attend et nosjeunes commencent à être aigris.On a l’impression que notre lutte aservi au plus grand nombre, maismoins à nous qu’aux autres. Etpuis nos élus sont absorbés par lagestion du quotidien et ne donnentplus de lisibilité à leur action. Simon mari était encore en vie,l’usine du Nord existerait au-jourd’hui.

Selon vous, quelle sera lasortie de l’accord de Nou-méa et quelle période s’ou-vrira ?Jacques Lafleur : Je crois que çane se réglera pas par le ou les ré-férendums, mais par le dialogue. Ilne peut pas y avoir de fin à la Ca-lédonie multiraciale, et personneici ne peut prétendre possédertous les droits. L’ardente obligationdes futurs responsables politiquessera de maintenir le dialogue et den’inspirer de sentiment de domina-tion à personne.

Marie-Claude Tjibaou : Si lesgens des deux camps ne se re-mettent pas ensemble pour tra-vailler, chacun va aller de soncôté, chacun dans son monde.On arrivera aux échéances et toutrecommencera. Il faut des grandsleaders dans chaque camp etnous ne les avons pas. Pour lemoment, avec la défiscalisation,des gens viennent, font des af-faires, repartent. Ce n’est pas ça,construire le pays. Je crois quenous devons aller au bout de l’ac-

cord, mais si l’on veut éviter unenouvelle période de friction, il fautque les gens se rapprochent. Enprovince Nord, nous avons unparlementaire (N.D.L.R. : PierreFrogier). J’ai beau chercher, je nesais pas ce qu’il fait pour nous,pour le rééquilibrage. Il a passédes années à répéter que l’usinedu Nord ne se ferait pas. À partça, trouvez-moi un exemple de cequ’il a fait au profit du nord de sacirconscription.L’important est moins l’évolutionde nos institutions que celle de lajustice sociale. On prend la terrede ce pays et on l’exporte sansque les enfants qui y sont nésperçoivent quoi que ce soit. Lemouvement indépendantiste estné quand l’État n’entendait pasnos appels sur la justice et la re-connaissance.

Si Jean-Marie Tjibaou étaitencore vivant aujourd’hui,qu’auriez-vous à lui dire ?Jacques Lafleur : Je n’aime pasbeaucoup cette question. Tjibaoun’est plus là, il a été assassiné.Mon souhait est que le plus grandnombre lui ressemble, s’inspirede lui, et ce sera source de paix,de prospérité et de justice. Je luidirais tout de même quelquesphrases de mon livre. « Noussommes un peuple composé

d’une mosaïque d’ethniesdont aucune ne pourra ja-mais prendre le pas sur lesautres. La France est unegrande nation forte dedeux mille ans d’histoire,d’un rayonnement univer-sel, et s’en exclure revien-drait à se priver du cimentqui unit les communautésdu petit peuple que

nous sommes. »

Marie-Claude Tjibaou : Il esttoujours présent. J’ai eu le privi-lège d’être sa moitié. J’ai continuéla route et élevé nos enfants.Voilà ce que je lui dis.Tout ce que mon mari a fait, c’estpour qu’on soit plus heureux, paspour qu’on régresse. Il voulait lé-guer à ses enfants un pays richeen pensées, riche en fleurs, richeen nourriture. Voilà, c’est toutsimple.

Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou se sont donné une poignée de mains historique en juin 1988. Vingt ans après, le vieux chefloyaliste et la veuve du leader indépendantiste se sont donné l’accolade en hommage à cet instant décisif. Mais pas avec lemême sentiment. Jacques Lafleur a la conviction du chemin parcouru. Marie-Claude Tjibaou attend toujours le rééquilibrage.Entretiens croisés.

Jacques Lafleur et Marie-Claude TjibaouLa poignée de main 20 ans après

Jean-Marie Tjibaou n’est plus, et le vieux chef loyaliste s’est effacé. Mais lesens de leur poignée de main est revivifié en cette année commémorative.

Jacques Lafleur :« Le destin communest en marche. »

Marie-Claude Tjibaou :« On attend toujours. »

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2020 ansans d'accord LES NOUVELLES CALÉDONIENNES 26 JUIN 2008

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Vingt ans ont passé depuisles accords Matignon-Ou-dinot, dix depuis l’accordde Nouméa. Il en reste dixavant la fin du processus,peut-être un peu moins.

Rien n’est jamais parfait mais ces vingtans de paix ont sensiblement fait pro-gresser la Nouvelle-Calédonie sur lesplans économique et politique, sur la re-connaissance de l’identité kanak et surla voie de la décolonisation, un terme quin’a pas exactement la même significa-tion qu’indépendance. Pendant cetemps, autour de la toute petite Calédo-nie, le vaste monde est devenu plus dur,les appétits plus féroces, au point quemême les grandes nations organisentleur interdépendance.Que ferons-nous dans dix ans, face au

choix entre la France et l’indépendances’il doit se poser comme tel ? Aucun desdeux camps n’ayant franchementconvaincu l’autre du bien-fondé de saposition, et les équilibres politiquesn’ayant guère évolué, un référendum (oumême trois) ne réglera pas plus la ques-tion qu’il y a dix ans s’il fait un vainqueuret un vaincu tenté par le retour à l’actiondure. Le raisonnement qui a conduit à lasolution consensuelle demeure.Au lieu de se taper dessus, il sera

mieux de se parler, de négocier la sortiecomme en 1988 et en 1998. Si possiblerapidement, entre élus d’une même gé-nération, ayant vécu les mêmes événe-ments et partageant la même envie dene pas revenir aux années de cendres.Mais discuter sur quoi ? Au terme du

processus de l’accord de Nouméa, aubout des transferts, la Nouvelle-Calédo-nie sera irréversiblement autonome, à unfil de la pleine souveraineté. Quel es-pace restera-t-il pour la concession mu-tuelle ? Pour quel destin commun ? Pourune nouvelle parenthèse institutionnelleou pour un statut définitif ?Autant de questions ouvertes. Le pari

sur l’intelligence reste d’actualité. L’ac-cord de Nouméa le demande aux parte-naires politiques, à qui il interditd’envisager toute partition du pays. Il ledemande aussi aux simples citoyens.Dans leurs gestes, leurs regards, leursmots de tous les jours envers l’autre.Pour « parvenir ensemble à ce que,dans ce pays, il y ait des gens qui ren-dent grâce au ciel d’avoir le soleil, lamer », disait Jean-Marie Tjibaou après lapoignée de main. Pour que « chacunreste en continuant à faire de ce pays lepays qu’on rêve d’habiter, parce qu’il estle plus beau, le plus développé, le plusattirant du Pacifique ».

H.L.

Et maintenant ?

Supplément spécial des Nouvelles calédoniennesTextes : Henri Lepot, Philippe Frédière, Catherine Léhé, Françoise Tromeur, Jon Elizalde.

Page une : œuvre de Johannes Wahono.Photos : Thierry Perron, Bertille Blard-Quintard, Jacquotte Samperez, Henri Lepot et archives LNC.

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Associés : FRANCE ANTILLES, FRANCE REGIONS PARTICIPATIONS

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