MyriamLorenz
Toujoursplusloin
©MyriamLorenz,2019
ISBNnumérique:979-10-262-4284-0
Courriel:[email protected]
Internet:www.librinova.com
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Àmamère,
etàtouslesmembres
demafamille.
Avant-proposToutd’abord,mercipourl’intérêtquevousportezàcerecueildenouvelles.Durantsaconception,jemesuisinspiréedemonvécuparseméd’expériences
entoutgenre.Commenombredecurieux,mavieestrythméepardesréflexionsexistentielles qui dès mon plus jeune âge me semblaient importantes,nécessaires.
Àtraverscesnouvelles,jedonnevieàquelques-unesd’entreellesenprenant
soin de laisser au lecteur la liberté de les interpréter à sa manière. En effet,chaquepersonnageapprendraàseconnaîtredavantage,luietsonentourage.Onpeutdoncchoisirdes’eninspirer,oubiensimplementsuivresonévolution,sonhistoire, de façon purement divertissante. Les chutes ne se veulent pasmoralisatrices.Ellesn’imposentaucunecroyance,aucunecultureniaucunstyledevie.Ellesrestentouvertesàbiendespossibles.
Sivousaimezlireenmusique,lescompositionsdeMattiaCupellietLudovico
Einaudi feront un excellent choix.C’est d’ailleurs sur celles-ci que j’ai rédigécertainspassages.
Surce,jevoussouhaiteunetrèsagréablelecture.
MyriamLorenz
1.L’enfantquim’asauvé
1
Voilà, le ciel s’assombrit. Etmoi quime disais qu’ilme restait toujours cepetitrayondesoleil.Levoicidoncdisparu!Disparupourlaisserlaplaceàcesfoutues couleurs grisâtres, pleines d’humidité, de gouttes de rancœur, decolère… Eh bien, allez-y ! Déversez donc cette vague de désespoir sur moncorpsetmonespritquisemeurt.Detoutefaçon,c’estlafin.Oui, c’est la fin ! Dommage, je n’ai pourtant qu’une quarantaine d’années.
D’accord, j’ai deux beaux enfants qui vont rentrer dans l’adolescence et unefemmeintelligente,ôcombienbelle.
Hum…non,rectification!Les enfants, je ne les ai plus. Terminé ! Depuis ce matin, depuis que ce
divorceaétéprononcé,jelesaiperdus.Carc’estelle,évidemment,quiaobtenulagarde.Ehoui !Lagrandevétérinaire,délicateet richissime !Quidemieuxpourleséleveretprendresoind’eux?Detoutemanière,ilsnedésirentplusmevoir.Doncoui,onl’auracompris,mafemme,jenel’aiplusnonplus.Enfait,jen’aiplusdefamille.Etmafamillereprésentaittoutpourmoi.Dépité,jepousseunlongsoupiretm’allumeunecigarette.Cecimerappelle
monautreéchec:celuid’arrêterdefumer.Lespremièresgouttestombent.Commejen’aiprévuaucunetenuedepluie,je
vais être trempé. Puis, le grondement du tonnerre se fait entendre derrière lacolline.Lamétéon’avaitpourtantpasprévud’orage,aujourd’hui.Mapoisseneprendra-t-ellejamaisfin?Quoi?Vousme trouvezparano, râleuretdéfaitiste?Oui, je le suis. Je suis
également au fond du gouffre. Et si certains me jugent faible, bien qu’ils lefassent.Celam’estégal.Plusriennem’atteint,désormais.Plusriennem’atteint.À travers lapluie tièdequi seplaîtà fairebouclermessombrescheveux, je
traverselaruepavéedelavieillevillepourmerendredansunpetitbosquetnonloin,quimonteenaltitude.Ilestsuffisammentdensepourempêcherlabouedeseformersurlecheminencoresec.Ainsi,unefoisàl’abrisouslesarbres,j’enprofitepoursecouermatignasseàlamanièred’uncaniche.Cettesimplepenséeme fait rire, j’en suisd’ailleurs surpris.Ai-je encore la forcede rire,moi ? JedécidedemeposersurunbancauborddusentierpourfinirtranquillementmaMarlboro. Mais sans m’en rendre compte, je m’endors et les heures passent.
Bientôt, la lumièredes lampadairesapparaît.Quand je reprendsmesesprits, jepeuxtoujoursentendrelegrondementdutonnerreetsentirleventsurmapeaudepoulet.Punaise!Depuisquanddurecetorage?N’est-cepasbientôtfini?Je décide de reprendre ma route. Je pourrais redescendre, mais je préfère
monter.Plusjemonte,plusjem’éloignedelaville.Plusjem’éloignedecettevie.Une fois en dehors du bosquet, je tombe sur un belvédère et réalise que le
brouillards’estemparédelacité.Depuismonsommet,jen’avaisencorejamaisobservé une telle vue. En effet, la vallée est entièrement submergée par unebrume épaisse, c’est à peine si on y distingue les lumières des différentesinfrastructures.Lorsque je lève les yeux, je rencontre un ciel entièrement dégagé dont les
ténèbres sont percées par la lumière de la pleine lune ainsi que ces milliardsd’étoiles. C’est le calme plat, là-haut. Mâchoire serrée, je m’appuie sur larambarde constituée de trois gros rondins de bois superposés, contemplantl’espaceinfinigisantau-dessusdenostêtesdemisérableshumains.
«Bon,ilesttemps!Jevaisdésormaismeretrouveràlafoisenhautetenbas.
Çaleurferalespieds,àtous!»J’ai pris ma décision. C’est un mélange de désespoir et de courage qui
m’habiteàcetinstant.Ouais!Ilfautuncertaincouragepourtentercechemin,etune certaine lâcheté pour fuir l’autre ! J’ai l’impression, actuellement, que lesdeuxs’entremêlentenmoi.Tremblant, je prends une profonde inspiration puis lève une jambe pour la
passerde l’autre côté.C’est undéniveléplutôt raided’une centainedemètresquim’attend.Çaferal’affaire!J’espèreseulementnepastropdéguster.
«Non,en fait,entierouenmorceaux, ilest tempsdepartir.Je l’aidit,plus
riennem’atteint.Ilfautrestercohérent.»Je passema seconde jambe quand soudain, un éternuement se fait entendre
non loin demoi. Je tourne la tête à droite et c’est stupéfait que je repère unenfantassissurlarambardedebois,dansunepositiontoutàfaitsimilaireàlamienne.Lalunel’éclaireparfaitementbien,jepeuxdistinguersonvisagedesachevelure,sesvêtements,seschaussures,ildonnel’impressiondebaignersouslesprojecteurs.Commentai-jefaitpournepasl’avoirremarquéplustôt?Ilse
trouvepourtant àquelquespasdemoi.Àpeineplus jeunequemesgosses, jediraisunedizained’années, ilporteun jeanetun sweatblancàcapuche.Unepaire d’Adidas recouvrent ses pieds balançant dans le vide. Blond, très blondmême,sonvisageestmarquépardesyeuxclosetunpetitmentonvolontaire.Satêteestdroite,toutcommesacolonnevertébrale.Jeneseraispassurprisqu’ilnem’aitpasremarqué,luinonplus.Niune,nideux.Moncorpsagitdelui-même.Nonpasquejeluiaiedonnéun
ordrequelconque,maisilagitsoudainementdesonproprechef.Jedescendsdemarambardepouraccourirensadirection,unbrastenduversluiencriant:—Gamin!Nefaispascetteconnerie!Àcetinstant,legossesursauteetmerepèreenfin.Jeconstatequ’ilalesyeux
enamande,luioffrantuncôtéinnocentetapaisant.Jelevoisfroncerlessourcilspuisildescendcalmement,prenantsoindenepastrébucher.Désormais, il se tientdressé faceàmoi,me fixantd’un regard interrogateur
commesijesortaisdenullepart.—Cetteconnerie?répète-t-il.Commentça?Savoixestdouce,elleaussi.Iln’apasmué.—Ehbien!Tuallaissauter,n’est-cepas?Cettefois,l’enfanthausselessourcils.—Pourquoisauterais-je?Onn’yvoitrienenbas,c’estdangereux.Jenecomprendspas.Qu’est-cequicloche,chezcegosse?Quandonpasse
par-dessusunerambardequinoussépared’unravin,c’estpoursauter,non?—Dites,monsieur…—Quoi?—Pensiez-vousquej’allaismesuicider?Moncœurs’emballe,jereculed’unpassansvraimentlevouloir.—Euh,oui…J’avoue.—Etpourquoi?Ilexisted’autresraisonspours’asseoirsurcetterambarde,
non?—Euh…Ehbien…Jeme sensmal. Notamment parce que ce gamin a une étrangemanière de
s’exprimer. Il parait si détendu, si détaché. Il y a quelques années, j’auraissûrement mal réagi à cette manière de m’adresser la parole, persuadé d’êtresnobéetprisdehaut.Maiscen’estpaslecas.Jelevoisbien.Cetenfant,ilestjuste…ailleurs.
«Perché,jedirais!»
—Sivouspensezça,serait-ceparcequec’estcequevousferiez,vous?Lachairdepoulem’envahitdenouveau.—Peut-être.Sijemontaislà-dessus,ceseraitsûrementpourcetteraison.—D’accord,hoche-t-illatêteensefrottantlementon.«Bonsang,maisc’estqui,cegosse?J’étaisprêtàsauteretvoilàquejeme
retrouveàconverseravecungaminsuperlouche!»—Maisjenecomprendspas,poursuit-ilenfixantmaintenant la lune.Vous,
c’estvous.Etmoi,c’estmoi.Alorspourquoipenserquej’agiraiscommevous?OK, ilme fatigue là !Cesquestionsmepoussent dansune réflexionque je
n’aipasenvied’engager.Pourquoi?Simplementparcequ’à labase, jesuis làpourmezigouiller!Pointfinal!Jen’aiaucuneenviederéfléchir,deméditerouquoi que ce soit. Et je suis bien trop épuisé pour trouver une réponse. Alors,rincé,jedécidedebalancerlaphrasebateauquetoutadultepeutsepermettrederépliqueràunenfant:—Ça,mongamin,tucomprendrasquandtuserasgrand.Puisenfin,jedécidedemerendremaîtredelasituation.—Oùsonttesparents?Tunedevraispastraînerseulici,lanuit.Tut’estrop
éloignédelaville,tuferaismieuxderedescendreetrentrercheztoi.L’enfantbaisselatêtepuismordsalèvreinférieure.—L’ennuiestquejen’aipasdechezmoi.—Ah?Commentça?—Jesuisperdu.J’ignoreoùjemetrouve.—TuesàFontainebond.—D’accord,souritl’enfantsansmeregarder.—Tusitues?—Non,sourit-ilencore,leregardfuyant.— C’est pourtant connu, comme ville. Je te montrerai sur une carte. En
attendant,jevaist’accompagneraucentredepoliceleplusprocheoùonpourraappelertafamillepourqu’ellevienneterécupérer.C’est alors qu’il relève la tête, me dévisage avec insistance puis croise les
bras.—Impossible,finit-ilparrétorquerlentement.—Etpourquoi?—Jenemesouviensderien.J’ignored’oùjeviens,mêmequijesuis.«Putain,cen’estpasvrai!»