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CédricFrantz

LesMélodiesd'AilleursTome1-LeTisseurduTemps

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©CédricFrantz,2019

ISBNnumérique:979-10-262-4169-0

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ÔmoninsondableUnivers

Medévoilerais-tutesmystères

Situpouvaisconverser?

Ômadouce,mabelleTerre

Situmelivraistesmystères,

Enserais-jesatisfait?

Kalaenrefermalecalepinqu’ilaimaitgriffonnerdesapointegraphitiqueetlereposasursesgenoux.Illevasesyeuxversleciel,verslesétoilesqui,deleursdouces lueurs, inscrivaient les runes célestes sur le crépuscule. Étaient-ellesimmuables?Étaient-ellesrestéesidentiquesàtraverslesâges?Oubienétaient-elleséphémères,commenous,àl’imagedelavieici-bassurterre?Ilabandonnalalarmequis’écoulaitdesonœiletlaissalagravitélahapper.C’étaitaufinalletributàtous,ilfallaitgarderlespiedssurterreouvenirs’yécraser.

Les oreilles dugarçon semirent à bourdonner et sonouïe ne tarda pas à lequitter. Puis ce fut au tour de sa vue, de son toucher, son odorat, son goût.Débarrassé de ses sens, il laissa l’univers imprégner son esprit et son espritimprégnerl’univers.Etill’entenditcommejamaisilnel’avaitentendu,etillevit comme jamais il ne l’avait vu. Lorsqu’il recouvra son ouïe et sa vue, ilempoignasonviolonettransposalamélodiequ’ilvenaitdeluitransmettrepuisfredonnalesversetsqu’ilvenaitd’écrire.

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PROLOGUE

Il y a fort, fort longtemps, peu de temps après que les premiers hommeseussent foulé laTerre,Alioth,un jeunegarçonpleinde fougueet aucharismeenchanteresque,faisaitlafiertédesesparents.Ilvivaitensymbioseaveclaforêtqui l’avait vu naître et il avait acquis une perception exceptionnelle de cettedernière.Cela,ajoutéàsonagilitéetàsonespritvif, faisaitde luiun trappeurinégalable et il ravitaillait plus que quiconque les réserves de son clan degiboyeurs.

Il avait pour habitude de se percher sur la cime des plus hauts arbres pourparesser à la chaleur du Soleil et lorgner les montagnes qui s’élevaientglorieusement vers le firmament. Il se laissait envoûter par la hauteurvertigineuse de ces sommets titanesques et son désir de les gravir frissonnaitdans tout son être tel le flambeau onirique qui illuminait son berceau. « Ôpourrai-je te toucher si je m’élève si haut ? ! » Ces pensées résonnaientinlassablementdanssonesprit.Maissesaspirationss’opposaientauxtraditionsdesatribusylvestreetilsesentaitconfus,enchevêtrédansuneexistencetoutetracée.

Un soir, tandis qu’ils festoyaient pour célébrer la naissance du derniermembre, le doyen se leva et s’avança de quelques pas vers le brasier autourduquels’étaientaggloméréslesarboricoles.IlétaitdecoutumequeleplusâgéréciteauplusjeunelespréceptesdeGaldahnyl.Ilseraclalagorgepourréclamerl’attentiondesesconfrèrespuisélevasavoixgraveetgutturale:«ÀtoiMizar,ladernière-née,ilm’incombedet’enseignernoscommandementssacrés.Àtonclanturesterasfidèlecommel’arbrel’estàlaforêt.Debaiesetdefungistuneterepaîtras point car ils sont le poisondu corps et de l’esprit.Tu chasseras sanspoids et feras tiennes la chair et les âmes de tes proies. Le Soleil tu neconvoiteras pas, dans les bois tu resteras car son couvert te protégera desinsatiablesMânes.»

Les années passèrentmais celles-ci ne ternirent point le désir d’Alioth. Unjour, tandis qu’il musait au-dessus de la voûte feuillue, un crépitement deramures le tira de sa rêverie et son attention se focalisa derrière lui. Mizargrimpait difficilement, s’agrippant avec hésitation aux branches les plus

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épaisses. Alors qu’elle parvint sur la canopée, le jeune homme l’observas’approcher de lui en vacillant et l’indifférence dans son regard peinait àmasquersonennui.Personnen’avaitencoreeu l’audacedevenir ledélogerdesonperchoir.

Elle s’assit prudemment près de lui, scruta avec émerveillement le paysagepittoresquequis’étendaitdevantellepuiss’exclama:«ParmaverteGaldahnyl,quellevisionmagnifique!»

L’agacement du jeune homme s’évanouit instantanément en voyant l’éclatscintillantdanslesyeuxdelajeunefilleetunsouriresatisfaitvintadoucirsonvisage tandisquesonesprit le trahit :«C’est toiqui esmagnifique,mapetiteMizar. » Il secoua sa tête comme pour regagner le contrôle de ses proprespensées. « Je viens ici depuis aussi longtemps que je puisse me souvenir »,bafouilla-t-ilenrougissant.«J’aieulamêmeréactionlapremièrefoisquej’aiaperçu ce qu’il y avait au-delà de cette forêt…que j’ai pu voir un peu de cevastemonde.Mais personne avant toi n’avait osémonter ici. Personne nemecroitlorsquejeleurdécrislabeautédecesterres,l’intensitédescouleurs,et…»,il allongea son bras droit et pointa son index vers lesmontagnes dont la baseverdoyante contrastait avec les sommets immaculés, « …l’immensité de cessculpturesdepierre.»Illâchaunsoupirdésespéré.

«Moi,jet’auraiscrusitumel’avaisdit…avantmêmedel’avoirvudemespropresyeux»,déclama-t-elle.

Ilsrestèrenttousdeuxsilencieuxunlongmoment,admirantinlassablementlescontrées mystérieuses qui se pavanaient orgueilleusement devant eux. Ce futMizar qui rompit le silence, hésitante : « Les Mânes, tu as déjà dû en voird’ici?!Àquoiest-cequ’ilsressemblent?

—Non,jenelesaijamaisvus!»

Le jour passa et le Soleil fondit progressivement derrière l’horizon, le cielprenant successivement des teintes dorées, cuivrées et vermillon. Mizarcontempla le crépuscule avec l’ébahissement d’une aveugle qui venait derecouvrerlavue.

Aliothserelevaet,bienquesaréticencefûtapparente,ilprituntondécisif:«Nousdevonsdescendreàprésent.Ilferabientôttropsombreenbaspouryvoirquoiquecesoit.»Alorsqu’ilentamasadescente,ilajouta:«Mais…tupourrais

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merejoindreiciunpeuavantl’aube;tun’seraspasdéçue!»

Le lendemain matin, les deux jeunes gens regagnèrent leur belvédèresuffisamment tôtpourvoir lespremiersfaisceauxde lumièrepercer lesnuagesclairsemésauloin.Lavoûtecélestesecoloradevertetd’émeraude,devioletetd’améthyste,avantdeprendresesnuancesbleueshabituelles.

Mizar zyeuta les titans rocailleux puis commença à s’agiter. «Allons-y ! »,proposa-t-elle en relevant brusquement la tête pour indiquer la direction.Bienqu’elle s’exprimât avec hésitation, sa détermination était perceptible… etcontagieuse.

«Mais…lesMânes.Etl’anciennenouspardonnerajamaissiondésobéitauxrègles»,objectalejeunehomme.

«Argh,iln’ensaurarien!Nousironsseulementjusquelà-bas…»,ellepointadu doigt la limite du bois, «…nous serons de retour avant qu’il ne se rendecomptequenousétionspartis.»

Alioth, ne parvenant plus à contenir son excitation, acquiesça avecenthousiasme,unrictussatisfaitetimpatientenjolivaitsonvisage.

Ils marchèrent et ils marchèrent, ils traversèrent rivières et clairières. Lesheures passèrent et ils n’apercevaient toujours pas la lisière. Mais leurdétermination surpassait leurs doutes et ils continuaient d’avancer sanshésitation.Lejourtouchaitàsafinlorsqu’ilsatteignirentfinalementlaborduredeleurdemeuresylvestre.

« Il est trop tard pour rebrousser chemin à présent. Nous ferionsmieux depasserlanuitici»,jugeaAlioth.

«Hmmhmh,jepenseaussi»,approuvasonamie.

Ilsfurenttousdeuxréveillésàl’aubeparlejoyeuxchantmatinaldesoiseaux.Devant eux s’étendait une prairie verdoyante et parsemée de fleurs auxmillecouleurs.Au-delà, lesmontagnes titillaientmajestueusement le dôme azuré deleurssommetsenneigés.Ellesparaissaientsiproches.

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Aliothbalayalaplaineduregard.Sesyeux,légèrementplissés,luidonnaientun air attentif et prudent. Les rides horizontales qui marquaient son front serelaxèrentpuisilégrena:«Continuons…jusquelà-bas…j‘aitoujoursvoulu…heu…lesvoirdeplusprès.»Sesyeuxétaientrivéssurlesmontscolossaux;ilspétillaientd’unecuriositérefouléedepuistroplongtemps.

«Mais,lesMânes?!»,arguaMizar.

Alioth récita ironiquement la prophétie rédhibitoire avant de finir : « C’estridicule.Jen’aijamaisrienvudetel.Cen’estqu’uncontepourfairepeurauxenfants,pourqu’ilsnes’éloignentpasduclan.»

Mizarauscultalesalentours,hésitante.Lorsquel’assuranceetladéterminationsemblèrentlaregagner,soncompagnonrenchérit:«Allez!Noussommesdéjàvenus jusqu’ici, ce serait dommage de ne pas aller jusqu’au bout. Et puis,l’ancienvadetoutefaçonnousgronderànotreretour…autanttirerlemeilleurdecetteescapade.»

Sacompagne,convaincue,entamalepasmaisfutdépasséeparsonamialorsqu’ellesedébarrassaitdesesderniersdoutespourfranchirlafrontièreinvisiblequiséparaitlaforêtdel’extérieur.

Ils s’en allèrent et cheminèrent à travers cette clairière interminable, enanalysant avec extase toutes les choses curieuses qui peuplaient ces contréesinconnues ; des fleurs aux formes et aux couleurs envoûtantes, des animauxfurtifsauxpelagesindiscrets,despetitsinsectesbutinantlenectarfloralentouteinsouciance.

Le jour passa mais leur objectif ne semblait guère s’être rapproché. Ilspoursuivirent leur voyage le lendemain, et le jour suivant. Ils arrivèrentfinalementaupieddel’ubacdel’unedecesgigantesquespyramidesderocheslejourd’après,lorsqueleSoleilbattaitsonplein.

Là,aubordd’un torrentauxeauxclaires, ils se reposèrent, se lavèrentet serepurent.Àl’aurore,ilscommencèrentl’ascensiondelamontagnequis’élevaitdevant eux. Ils grimpèrent des flancs abrupts, évoluèrent au creux d’étroitesvallées garnies d’arbres étranges aux feuilles fines et allongées, longèrent desarêtesacérées.Ilsarrivèrentsurunpetitplateaubordédefalaisesverticales.Aufonddecereplatlogeaitunlacturquoisealimentéparunecascadevertigineuse

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qui surgissait abondammentd’unchampde séracs. Ici, au cœurde cet endroitidyllique,untroupeaudebouquetinsruminaitpaisiblement.Unmâlecommençaàs’alerterlorsqu’ilvitlesdeuxhumainsapprocheràgrandspas.

AliothetMizarn’avaientjamaisvudetellescréatures.Lemâlesedressasursespattespourprendreuneposturemenaçante.Latêtebaisséepourexhibersescornesépaissesetcourbées,ilfrappaitlesoldesesonglonspardesmouvementsintimidants. Alioth se plaça instinctivement devant sa compagne d’unmouvementprotecteur.Cettedernière,surprise,sefigea.Lavoixtremblante,elletenta d’articuler : « Les…Mânes… ». Elle respira profondément avant de sereprendre:«CesontçalesMânes?»

Sonamine réponditpas immédiatement. Il fixait labêtequi lui faisait face,prêtàlesdéfendre.«Non,ilsressemblentplutôtàdeschevreuils…maisilssontdifférentsdeceuxdelaforêt»,assura-t-iltandisquel’animalsemblaitsecalmer.«Maisnousferionsmieuxdechercherunautrechemin»,concéda-t-ild’untonapaisé.

Sur leur droite, une raillère donnait sur la crête d’un interfluvequi épousaitharmonieusement l’épaule glacée du sommet. Toujours sur leur garde, ilss’éloignèrentdoucementdutroupeaupourrejoindrelabasedecepassage.

Ilsgrimpèrentdifficilementsurceversantinstable.Leclimatdevenaitglacial.Un vent catabatique se déchaînait violemment sur ce dévers.Mizar chancela.Sonappuiprécairecédaetelleémitun«Ah»d’effroitandisqu’ellesentitlesolsedérobersoussespieds.Soncompagnon,aussivifqu’unserpent,luiempoignalebraset l’empêchadedévaler lapenteavantde la tirervers lui.Aliothsaisitalorssamain.Ilétaitdécidéàneplusjamaislalâcher.

Lesdernièresenjambéesquilesséparaientdeleurbuts’avérèrentêtrelespluspénibles. Il faisait froid, si froidque la neigene fondait pas ici, sur cette faceseptentrionale. Ils durent évoluer sur sa surface gelée, habillés uniquement dejuponsetdesoulierstressésdelianesconfectionnésdansleurforêt.Ilneneigeaitque très rarement là en bas et jamais n’en recouvrait entièrement la litièreforestière.

Des rayons intenses de lumière leur réchauffèrent le visage tandis qu’ils sehissèrent sur la croupe. Celle-ci était chaude et rocailleuse, constammentexposée au soleil et aux vents. Les deux compères ne distinguèrent pasimmédiatementlespectacleinsolentquilesentourait;leursyeuxéblouismirent

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uncertaintempsàs’adapteràlanouvelleluminosité.

Alioth,lavisionencorefloutée, levasamainversleSoleil.Ilétirasonbras,penchasoncorpsenavant.Perplexe, il tentades’allongerencoreplus,de toutson être, et manqua de perdre son équilibre. Il poussa un soupir chargé dedéception.

Ilsrecouvrèrentpeuàpeuunevisionplusnetteetcontrastée.Mizar,éberluée,restamuettedevantlagrandeurdesterresquilesentouraient.Ellefutprised’unesensationdevertige,sesentitsoudainementminusculeetinsignifiantefaceàlaprésenceécrasantedecemonde.Elles’assitetse recroquevillasurelle-même,telunfœtusdansleventredesamère.

Soncompagnon,sentantunepressiondescendantesursonpoignet,sebaissapourprendreplaceà soncôté. Ilsavaient tousdeux le regard figédevanteux.Leursvisagesexposaientuneseuleetmêmeexpression,unmélangeincohérentd’ivresseetdetribulation,dedétresseetd’exaltation…dedéification.

Aliothbrisalesilencequidevenaitpesantentergiversant:«J’étaistoujourspersuadéque,depuiscesommet,jepourraistoucherleSoleiletlereteniriciafinqueplusjamaisilnefassenuit.Maisjen’aipasmêmepul’effleurer.»Ilrelevales yeux vers le disque de feu et renâcla : « Regarde-le, fier tout là-haut,insaisissable!Ilesttoujourspareilquedepuislàenbas,lamêmetaille,lemêmeéclat…»Ilsemblaitvouloirpoursuivre,développer,exprimerplusprécisémentsonsentiment,maisilsetut,baissalatêteetrepritunairprofondetpensif.

Alors Mizar intercala : « Moi, j’étais convaincue que, d’ici, on pourraitcontrôlerlemondeetendevenirlesdieux.»Ellesesentitvaineethonteuseàlaprononciationdecederniermot.Ellerenchérit:«Jeveuxdire,lapremièrefoisque j’ai vu cette croupe, là en bas sur les cimes de notre forêt, elle semblaitrégner sur nous de toute sa hauteur. Elle avait quelque chose de…divin pourmoi. Je pensais que si je pouvais m’élever encore plus haut, je… je…Maismaintenantquejevoislagrandeur,lepoidsdecemonde,jeréaliseàquelpointj’ai été stupide.Quemême cettemontagne est ridicule devant ça (elle balayad’une main devant elle), devant tant de splendeur. Comment est-ce quequelqu’unpourraitespérerencontrôlerneserait-cequ’uneinfimepartie?!»

Lejeunehommepivotasatêteversladroiteetdévisageasonamiequi,àsontour tourna sa tête en sa direction. Leurs regards se croisèrent et severrouillèrent.Chacunpouvait liredans lesyeuxde l’autre lesémotionsqu’ils