Martyrsdelafoicatholique,combattantsdel’Egliseromaine:leshérosduthéâtrede
l’UniversitéSaint-JosephdeBeyrouth(1875-1914)
ChantalVerdeil,LARHRA/INALCO
Résumé:FleurondelamissionjésuitedeSyrie,l’universitéSaint-Josephdésigneunétablissementcomposite,quicomprenddifférentesinstitutionsparleurobjet,leurstatutjuridique,leurniveau(primaire,élémentaire,supérieur)etlesdiplômesqu’ellesdélivrent.Onsaitquelleplaceoccupelethéâtredansl’éducationjésuite.CeuxdeBeyrouthn’ontpasfailliàlatraditionettrèsviteunescèneestaménagéedansl’enceintedel’Université.Lesreprésentationsquelesélèvesetleursprofesseursydonnentontcontribuéàlanaissanceduthéâtreàl’occidentaledanslemondearabe.Maispourlesjésuites,ellesontsurtoutunedimensionpédagogique.Atraverspièces,dialoguesetdiscours,ilsindiquentàleursélèveslavoieàsuivre:lafidélitéàlafoicatholiqueetromaine…jusqu’àlamort.
FleurondelamissionjésuitedeSyrie,l’universitéSaint-Josephdésigneun
établissementcomposite,quicomprenddifférentesinstitutionsparleurobjet,leur
statutjuridique,leurniveau(primaire,élémentaire,supérieur)etlesdiplômesqu’elles
délivrent1.Safondationremonteàl’année1875quandlecollège-séminaireétablipar
lespèresdelaCompagniedeJésusàGhazirdéménageàBeyrouth.Durantce
premierquarantenaire(1875-1914),l’UniversitéSaint-Josephcomprenddesclasses
élémentaires,uncollège,unséminairereconnucommefacultédethéologieparle
Saint-Siègeaprès1881,unefacultédemédecine(1883)etdepharmacie(1889),
unefacultéd’étudesorientales(1902)auxquelsvients’adjoindreen1913uneécole
dedroit2.Alarentrée1877,ellescolarise319élèves(dont89encoursélémentaire
et42séminaristes)3.En1913-1914,seseffectifsontpresquetriplé:lesélèvessont
1 Au XIXe siècle l’imprimerie catholique et l’observatoire de Ksara qui ne sont pas dévolus àl’enseignementfontpartiedel’USJauxyeuxdesjésuites.2L’ouverturedel’écoled’ingénieur,prévuepourlemoisdenovembre1914,neputpasavoirlieuàladate fixée.Cetteécoleaccueillit sespremiersélèvesennovembre1919. JeanDucruet, sj,Facultéd’ingénierie,Livred’or,1919-1999,Beyrouth:UniversitéSaint-Joseph1999,12-13.3 AFSJ, (Archives jésuites de France, Vanves), RPO 43, IX,Cinquantenaire de l’Université Saint-Joseph.1875-1925,1925,Beyrouth,Imprimeriecatholique,78pages,p.40-41.JeanDucruet,sj,UnsiècledecoopérationFranco-Libanaiseauservicedesprofessionsdelasanté,Beyrouth:Imprimerie
désormais507(dont182encoursélémentaires),lesséminaristes48,lesétudiants
enmédecine305,lesjuristes31,etlesétudiantsdelafacultéorientale,34.Autotal,
894garçonsetjeunesgensétudientàl’Universitédontlesbâtiments(école
élémentaire,collège,séminaire)occupentd’abordl’îlotquis’étenddel’actuellerue
Saint-Josephjusqu’àlarueHuvelin,avantdes’établirlelongdecettedernière.C’est
làques’installentlesfacultésdemédecineetdepharmaciequidéménagenten1912
ruedeDamasetcèdentlaplaceàl’écolededroit5.
Majoritairementcatholiques,écoliers,collégiensetséminaristesformentlamajorité
deseffectifs.Tousnereçoiventpaslemêmeenseignement:unefoisleurcursus
élémentaireachevé,lesélèvessedivisentselondeuxcours,l’unditdefrançais,
l’autreditclassique(aveclatinetgrec);lesdeuxcomprenantunsolide
enseignementenarabe.Lesséminaristessontinvitésàsuivrelesecondavantde
poursuivreleurformationenthéologieetenphilosophie.Différentsdansleur
organisation,cescursusdispensentcependantuneéducationcommune.Quelen
étaitlecontenu?Quellesidéeslesjésuitesvoulaientàlafoisinculqueràleurs
élèvesetdéfendredevantleursparents?Quelshérosproposaient-ilscomme
modèles?Pourrépondreàcesinterrogations,cetarticleproposeuneanalysedes
piècesdethéâtreetautresséancesdonnéesàl’UniversitéSaint-JosephdeBeyrouth
entre1878et19146.Onsaitquelleplaceoccupelethéâtredansl’éducationjésuite.
CeuxdeBeyrouthn’ontpasfailliàlatraditionettrèsviteunescèneestaménagée
dansl’enceintedel’Université.Lesélèvess’ydonnentenreprésentationuneoucatholique 1982, 232. J. Ducruet, sj, Université Saint-Joseph de Beyrouth, Faculté de droit, desciencespolitiquesetéconomiques,Livred’or1913-1993,Beyrouth:UniversitéSaint-Joseph1995,14.4 ALSI (Archives de la Compagnie de Jésus au Liban), Faculté orientale de Beyrouth: Histoire etdocumentsdivers,p.181,25octobre1913.5JeanDucruet,sj,Unsiècledecoopération,42-43.6Une quarantaine de programmes ont été retrouvés dans les archives jésuites àVanves.D’abordimprimésennoiretblanc,d’unseulfeuilletrecto-versoparfois,ilsdeviennentensuiteplusélaborés:apparaissentlacouleuretdesdessinstandisquelepapiers’épaissit,cequipermetdespliagesplussophistiqués:leprogrammedelaséanceintituléeCharité,sedépliecommeuntriptyquedontchacundespansdéclineundesaspects:l’aumône,l’hospitalitéetlepardon.AFSI,RPO62,Fêtes,Charité..,1910.
plusieursfoisparan,devantunpublicplusoumoinslarge.Achaquefois,un
programmequiindique,avecplusoumoinsdedétail,lesthèmestraités,les
personnagesévoquésetlesvaleursdéfendueslorsdecesdifférentesséances.Ces
représentationsontcontribuéàlanaissanceduthéâtreàl’occidentaledansle
mondearabe.Maispourlesjésuites,ellesontsurtoutunedimensionpédagogique.A
traverspièces,dialoguesetdiscours,ilsindiquentàleursélèveslavoieàsuivre:la
fidélitéàlafoicatholiqueetromaine…jusqu’àlamort.
1.LethéâtreàBeyrouthetdanslapédagogiejésuite
Peuaprèsledéménagementduséminaire-collègedeGhaziràBeyrouth,etla
créationdel’UniversitéSaint-Joseph,lesjésuitesfontaménagerunthéâtredansleur
établissement. En 1878, «desmatelots viennent dresser le théâtre»7, sans doute
uneestradequidevientpermanentepar lasuite.En1908,unephotode lascène,
pavoisée aux couleurs ottomane et française figure dans une plaquette de
présentationde l’Université8.Depuis1903, le théâtreestéclairéaugaz9.Plusieurs
foisparan,unpublicnombreuxetchoisis’ypressepourassisterauxreprésentations
données par les élèves ou, plus rarement, leurs professeurs. En 1879, pour la
premièrefois,«touslesgrandspersonnagesdelaville»sontinvitésàl’occasionde
la remise des prix, et les consuls de France, d’Italie, d’Espagne, de Russie, de
Grève, le gouverneur, le pacha, l’estimateur de la douane et le chef de la
municipalitéassistentàuneséancedramatique intituléeAgapitmartyrde15ans10.
L’universitéSaint-Josephreprendparlà,aprèsquelquesannéesd’interruptiondues7 ALSI, Diaire de Beyrouth, Résidence puis Université Saint-Joseph, Beyrouth (1872-1882),21/7/1878.8AFSI,UniversitéSaint-Joseph,Beyrouth,1908,Paris,LeCaire.9Ennovembre1903,lesjésuitesyinstallentlegaz.Lesfraiss’élèventà500francsmaiscettesourced’énergie, jugée plus commode, présente moins de danger que le pétrole, et commence à êtreadoptée par des «maisons qui font concurrence». ALSI, Consultes de la maison de Beyrouth,6/11/1903et1/12/1904.10 ALSI, Diaire de Beyrouth, Résidence puis Université Saint-Joseph, Beyrouth (1872-1882),29/7/1879.AFSI,Proclamationdesrésultatsdesexamens,Séancedramatique,Agapit,martyrde15ans,1879.
sans doute au déménagement, des usages qui étaient les siens lorsqu’elle était
établie, sous un autre nom, dans la montagne libanaise. Après l’installation à
Beyrouth, le public devient plus urbain et plus séculier: émirs, patriarches et
évêques cèdent la place aux consuls européens et aux fonctionnaires de l’Empire
ottoman11. Il varie cependant selon les pièces et la langue employée: en février
1904, patriarches et évêques applaudissent la pièce donnée en arabe12. Pendant
longtemps, il reste trèsmasculin : certaines invitations précisent explicitement que
«seuls lesmessieurs sont admis»13 et en 1904, les pères interdisent aux élèves
d’assisteràune représentationdonnéedans leur théâtrepar«les jeunesgensdu
cercle de Saint-Georges» parce que les dames y sont conviées14. Pourtant,
quelquesmois auparavant, ils avaient autorisé leurs hôtes à venir en famillepour
une représentation dramatique en français. Le développement de l’Université (et
notammentde la facultédemédecine) implique le recrutementd’enseignants laïcs
qu’ilserait indélicatdeconviersans leursconjointset leursenfants.Encemoisde
février 1904, les jésuites avaient réservé 120 places à leurs «invités
étrangers»parmionreconnaîtdenombreuxEuropéens(professeursdel’Université,
consuls, délégué apostolique) mais aussi des familles locales (les Yared ou les
Eddé)15.
Mêmesommaire,lascènedel’UniversitéSaint-Josephappartientàlavie
culturelledeBeyrouth,oùcommeauCaireouàDamas,lethéâtre«àl’occidentale»
faitsonapparitiondanslasecondemoitiéduXIXesiècle16.AuCaire,lespremiers
11Enaoût1859,«lepatriarchelatindeJérusalem,Mgrlepatriarchemaroniteetquatreévêquesdesa nation, les émirs de Ghazir et une foule nombreuse» assistent à la représentation donnée àl’occasiondeladistributiondesprix.ALSI,DiairedeGhazir(résidence),11/08/1859.12Le16février1904,«lepatriarchesyrien,MgrRahmani,MgrFakaki,MgrPaulDebs»assistentàunereprésentationdramatiqueenarabe.ALSI,Diairedel’UniversitéSaint-Joseph,16/2/1904.13C’estlecasle21février1882,le6février1883,le17février1885.AFSI,RPO62,Fêtes.14ALSI,ConsultesdelamaisondeBeyrouth,26/04/1904.15ALSI,Diairedel’UniversitéSaint-Joseph,14/2/1904.16MarûnNaqqashestconsidéréhabituellementcommeundespremiersàavoirintroduitlethéâtre«àl’occidentale»danslemondearabeavecdespiècesinspiréesdeMolièresjouéesen1847et1848.AbûKhalîlal-QabbâniquicréeunepremièrepièceàDamasen1865,estprésentécommele
théâtressontaménagésautournantdesannées1870:le1ernovembre1869,Isma’il
inaugurelethéâtrekhédivialdel’opéraconstruit«enfaceduthéâtredelacomédie
àAzbakiyya».ADamas,lethéâtreouvresesportespresquetrenteansplustard,en
189817.Signedecetengouementnouveau,plusieursassociationssollicitentledroit
d’utiliserlascènedesjésuites,lecercleSaint-Georgesmaisaussi«desmessieurs
etanciensélèves»18.Sansdoutes’agit-ild’amateurs,commelesélèvesetles
professeurs,etnondetroupesplusprofessionnellesàl’instardecellesquel’onvoit
semonteràDamasetplusencoreenÉgypteàlafinduXIXe,sièclemaisces
dernièrespeuventparfoisleurprêtermainforte:en1904,une«trouped’artistesde
Beyrouth»apportegracieusementsonconcoursàlaséanceofferteàl’occasionde
lavisiteduP.Provincial19.Cettecollaborationponctuelle,commelesreprésentations
dramatiquesdonnéesàl’UniversitéSaint-Josephillustrentdefaçonconcrètelerôle,
maintesfoisrelevé,desmissionschrétiennesdansl’apparitionduthéâtre«à
l’occidentale»auseindumondearabe20.Carlesjésuitesnesontpaslesseulsà
proposerdetelsdivertissements:àl'orphelinatdegarçonsdesFillesdelaCharitéà
Beyrouth,«Touslesapprentis[...]sontexercésàjouerenfrançaisdepetites
comédiesetdonnerdesreprésentationsdansunesalledethéâtrebien
aménagée21.»Aurire,lesjésuitespréfèrentlesérieuxetlespleursdudrameoude
fondateurduthéâtresyrien.CommeSalîmal-Naqash(neveudeMarûn);ou’AdibIshâqilémigreenEgypteoùilpoursuitsacarrière.HeidiToelle,KatiaZakharia,AladécouvertedelalittératurearabeduVIesiècleànosjours,Paris:Flammarion2003,209.17 Monica Ruocco, «La Nahda par l’iqtibâs (1), Naissance du théâtre arabe», in:Histoire de lalittératurearabemoderne,BoutrosHallaq,HeidiToelle,eds,Arles,Sindbad,2007,151-191.18ALSI,Consultesde lamaisondeBeyrouth,1880-1920,octobre1885et 2/12/1890.Lapremièrefois,lesPèresmettentcommeconditionquelesdamesnesoientpasadmises,etlasecondefoisilsrefusentparcequelesdamessontinvitées.19 AFSI, RPO 62, Collège secondaire 1877-1957, Fêtes 1904-1957 (désormais RPO 62, Fêtes)L’immaculée conception, Séance offerte par les congréganistes au P. Bouillon, provincial de laprovincedeLyon,9décembre1904.20 Eve Feuillebois-Pierunek, Le théâtre dans le monde arabe,http://www.youscribe.com/catalogue/rapports-et-theses/savoirs/sciences-humaines-et-sociales/le-theatre-dans-le-monde-arabe-1525979, consulté le 13 novembre 2012. Voir aussi Ruocco, «LaNahda»,151-191.21MauricePernot,Rapportsurunvoyaged'étudeàConstantinople.p.186,citéparJacquelineJondot,LesécrivainsdelangueanglaiseauProche-Orientarabe,thèsededoctoratdirigéeparJ.Aubert,UniversitéLumièresLyonII,1393pages,p.193.
latragédie.Al’instardespremièrespiècesthéâtralesarabes,ilsaccordentunelarge
placeàlamusiquecommeauchant.DansMaurice(1883),lesjeuneschrétiens
chantentdurantlesdeuxpremiersactes,etlessoldatsdelalégionthébainefontde
mêmeaucoursdesdeuxsuivants.Aucinquièmeacte,ilslaissentlaplaceàun
chœurfinalavecaccompagnementd’orchestrequiinterprèteduBellini22.Dansce
cas,commepourlaplupartdesséances,lesmaîtresdemusiquedel’Université
(Panunzio,Bosi,Pasculi,Gianelli)commelesélèvesmusicienssontmisà
contribution.Acteursetmusicienssontamateurs,cequiexpliquesansdouteles
impressionsmitigéesquerapportelejournal(lediairedanslevocabulairedela
CompagniedeJésus)delarésidencedeBeyrouth.En1878,lapièceest«bien
jouée»,alorsqu’aprèslareprésentationdutroisièmeacted’Héracliusen1884,le
père[Salzani]note:«Toutaétébienmédiocre»23.Ilrestequelethéâtrede
l’UniversitéSaint-JosephappartientàlaviemondainedeBeyrouth.Grâceàlui,les
jésuitespeuventespérerbrillerdevantlesmilieuxquilesfréquentent,(consuls,
pachas,Européens,prélatsetclercs),dontilsattendentreconnaissanceetappui.
Lethéâtrefaitpartiedelasociabilitédesmissionnairesetentretientleprestigede
l’Université,maisilestsurtoutprisépoursesvertuspédagogiques:digneshéritiers
duratiostutiorumtoujoursenvigueurdansleursétablissementsauXIXesiècle(au
prixdequelquesadaptations24),lesjésuitesdeBeyrouthontvolontiersrecoursàdes
exercicesorauxetpublics.«Tragédie»,«scèneshistoriques»,«séances
dramatiques»,«drame»entantd’actesetenvers,«académies»lesqualifientde
façonplusprécisesurlesprogrammesquelemot«théâtre»,bienutilemaistrès
22AFSI,RPO62,Fêtes,Maurice,tragédieen5actesetenversparunP.delaCompagniedeJésus.23 ALSI, Diaire de Beyrouth, Résidence puis Université Saint-Joseph, Beyrouth (1872-1882),29/7/1879.ALSI,Diairedel’UniversitéSaint-Joseph,25/7/1884.24 Philipe Rocher, Le goût de l’excellence, Quatre siècles d’éducation jésuite en France, Paris:BibliothèqueBeauchesne,2011.
généraletquin’yfigurepas25.Outrelesreprésentationsthéâtralesproprementdites,
des«séances»etautres«académies»sontorganiséeschaqueannée,souventà
l’occasiondesvœuxdefind’année,delafêtedupèreRecteuroudelaprésence
d’unvisiteurquel’ontientàhonorerdefaçonparticulière(consuls,supérieurs…).
Pourlespremières,lesjésuitesontrecoursàdesœuvresdecirconstance,rédigées
leplussouventpardespèresdelaCompagnie:pointdegrandsclassiquesdontles
œuvresdoiventpourtantfigurerauxprogrammesdeleursélèves26.L’Université
Saint-Josephprivilégiedesauteursmoinsreconnusmaisdontlesœuvresparaissent
plussûresauplanmoraletreligieux.Ilsontaussirecoursàdestextesadaptésau
jeuneâgedeleurpublic.Héracliusoul’exaltationdelaSainteCroix,tragédieen5
actesetversavecchœur,aétéécriteparleR.P.Marie-MarcelChopin,professeur
debelleslettresàl’Universitéen1883-1884,quiestsansdoutel’auteurduMaurice
donnél’annéeprécédente27.AmînMachhûr,professeurderhétoriqueàl’Université,
acomposéAl-Kafârat(l’expiation)jouéeen190928.LesjésuitesdeBeyrouthpuisent
aussidanslespiècesjouéesdansleurscollègesdeFrance:Leroidesoubliettes,
jouéen1885etLesolitairedestombeaux,(1887)sontdelaplumed’unmystérieux
P.Camille,luiaussidelaCompagniedeJésus29;LeLissanglant(1890),etAlfredle
Grand(1894)fontpartiedesnombreusesœuvresduP.HenriTricard,auteurprolixe
depiècesédifiantesdestinéesauxélèves30,dontleGarciaMorenoa
25 En arabe, lemotmasrah, utilisé aujourd’hui pour désigner le théâtre ne s’impose que dans lesannées1950.Onneletrouvepasnonplussur lesraresprogrammesenarabeconservésdanslesarchivesdelaCompagnieàVanves.26MonicaRuocco,«LaNahdaparl’iqtibâs»,158.27Lessourceshistoriquesdelapiècesontprésentéesdelamêmefaçon.28AFSI,RPO62,Fêtes,Al-kafârat,Mâ’sâatnathriyatbiarba‘at fusûlyatakhallulahâcha‘rwaghina’(l’expiationdrameen4actesavecpoésieetchants).29AFSI,RPO62,Fêtes,Lesolitairedes tombeaux,drameen troisactesavecprologuepar leR.P.CamilledelaCompagniedeJésus,lemardi22février1887;Leroidesoubliettes,drameen3actes,parleR.P.CamilledelaCompagniedeJésus,lemardi17février1885.30AFSIRPO62,Fêtes,LeLissanglant,drameenquatreactesetenversparleP.H.Tricard,sj,ledimanche16février1890;GarciaMoreno,drameentroisactesetenversparleR.P.Perroy,sj, ledimanche6février1891.CettepiècefiguredansunrecueildepièceduP.Tricard.HenriTricardsj,GarciaMoreno,drameencinqactesetenvers,Paris:Retaux-Bray,LibraireEditeur: 1889.AFSI,RPO43,2,AlfredLeGrand,drameenquatreactes,envers,parleP.Tricard,sj,musiqueduP.A.Gondart,sj,6février1894.
vraisemblablementservidetramepourlapièceaumêmetitrecomposéparleP.
Perroy,jésuiteauProche-Orient.Tharsiciusmartyr,mystèreensixtableaux(1914)
estduauxpèresCharmotetdelaMessuzière31.D’autres,commeLedernierdes
Macchabées(1884)ouLemartyrdeSaintAgapit(1879,1889)sontanonymes32.Les
jésuitesadaptentenfindestextesretenusenraisondesidéesqu’ilsdéfendenttout
autant,sicen’estplus,quepourleursqualitéslittéraires.Lapièced’HenrideBornier
(1825-1901)LafilledeRoland,crééeen1875àParisavecSarahBernardtdansle
rôleprincipalestadaptéeen188233.En1902,lesélèvesmontentLePaterde
FrançoisCoppée(1842-1884),luiaussiacadémicien,dontletexteinspireaussiune
séancesurlepardonen1910.Cedrameenunacteetenvers,animé,selonson
auteur«parunsentimenttrèshumainetlamoraleévangélique»34,sedéroule
durantlesjournéesdemai1871cequiluivalud’êtreinterditparlacensuredela
troisièmeRépublique35.LuàParis,LePateraétéjouéàBruxelles,Londres,Genève
etàBeyrouthdanslecollègedesjésuitesquinepouvaientquesesentirprochesde
cepoèteparnassien,éluàl’Académiefrançaiseen1884,anti-dreyfusardnotoireet
membrefondateurdelaliguedelapatriefrançaise.Plussurprenantpeutparaîtrele
recoursàVictorHugo,dontlesélèvesontempruntésauxBurgraveslesdialogues
31 AFSI RPO 47, Séances,Pro Hostia, au R.P. Louis Galtier, à l’occasion de ses derniers vœux,Tharsiciusmartyr,mystèreensixtableauxparlesPPCharmotetdelaMessuzière,1erfévrier1914.32AFSIRPO62,Fêtes,Proclamationdurésultatdesexamens,séancedramatique,Agapit,martyrdequinze ans, 29 juillet 1879; Le martyre de Saint Agapit, drame en trois actes avec chœurs etorchestres, ledimanche3mars1889; Inqirâddawulatal-makâbiyyin,ruwâyahmafjuhahtârikhiriaahdhât khamsat fusûl, hadatha fî bayrût ârba‘a sinîn qabla al-mesîh, (Les derniers des Maccabées,tragédie en cinq actes, dimanche 4 mai 1884), la traduction française est moins précise que laprésentationenarabequiindique:récitdramatiqueethistoriquequis’estdérouléàBeyrouthquatreansavantleMessie.33AFSIRPO62,Fêtes,Séancedramatique,Le filsdeRoland,par levicomteHenrideBornier,21février1882.34FrançoisCoppée,LePater,drameunacte,envers,Paris,AlphonseLemerreéditeur,1890,30pages.LettredeFrançoisCoppéeàmonsieurFrancisMagnard,directeurduFigaro,Paris19décembre1889,LePater,p.10-11.LaPatermetenscènemademoiselleRosedontlefrère,abbé,aétéfusilléparlesCommunards.D’abordassoifféedevengeance,Roseserangebientôtàdespenséespluschrétiennes,acceptedepardonnerauxbourreauxdesonfrèrechérietdonnel’asileàunfédéréqu’ellesauvedesmainsdesVersaillais.35FrançoisCoppée,LePater,drameunacte,envers,Paris,AlphonseLemerreéditeur,1890,30pages.JosetteParrain,«Censure,théâtreetCommune(1871-1914)»,Lemouvementsocial,n°79(juin1972),327-342,p.337.
d’uneséancesurl’hospitalité.Encores’agit-ild’unepiècede1843quimetenscène
desprincesetdeshommesd’armesdontilsn’utilisèrentvraisemblablementqu’un
passageàlafindelapremièrepartie:«Donc,jeunesgens,sifiersd’êtrepuissants
etforts/Songezauxvieux;etvousvieillards,songezauxmorts!/Soyez
hospitalierssurtout!C’estlaloidouce/Quandonchasseunpassantsait-onquil’on
repousse?»36Lesjésuitespuisentenfindanslalittératureenfantine:Monpetit
Trott,bestsellerd’AndréLichtenbergerpubliéen1898leurfournitl’argumentd’une
séancesurl’aumôneen191037.
Lesélèvesselivrentaussiàdesperformancesplusscolairesdanslecadredes
«académies»etautres«séances»,sortedejoutesoratoiresoùdesjeunesgens
choisisrivalisentd’éloquencesouventendifférenteslangues.Ilsperpétuentainsila
traditiondesacadémies,définiesparleRatioStudiorumcomme«uneréunionde
gensstudieux,choisisparmitouslesétudiants,rassembléssouslaprésidenced’un
préfetprisparmilesNôtres,etsedonnantpourfindepratiquercertainsexercices
particuliers,relevantdesétudes»38,maisl’académiesertaussiàdésignerlaséance
d’exercicespubliquesoùalternent(dumoinsàl’UniversitéSaint-Joseph)
compliments,narrations,dialogues,poèmes,églogues,récits,élégies…etdes
morceauxdemusique.Souventplusmodestes,leurstructureestdifférentedecelle
desreprésentationsdramatiquesproprementdites:pointdepersonnagesà
incarner,delieuàfigurer,oud’époqueàreprésenter.Ellesneformentpasuntout
organiquecommelespiècesdethéâtre,maisilarrivequ’unfilrougerelieentreeux
touslestextesdéclamés,etqu’àdéfautd’unevéritableintrigue,ilsnarrrentaussiune
histoireoudéfendentunpointdevue.
Pourlesélèves,cesdifférentsexercicesconstituentautantd’entraînement:ils’agit
36VictorHugo,lesBurgraves,1843,http://www.ebooksgratuits.com37 André Lichtenberger,Mon petit Trott, Paris, Librairie Plon, 1898. En particulier le chapitre VIII,intituléLePetitpauvre,p.95-115.38RatioStudiorum,planraisonnéetinstitutiondesétudesdanslaCompagniedeJésus,Paris:Belin1997,214.
deseformerenfaisantparsoi-même39.Danslesdeuxcas,«on«montre»quelque
choseensemble,onsel’approprie,onleréaliseensemble».CommelenoteJean-
YvesCalvez,lethéâtreconstitueune«remarquablepraxiscollective»,un«moyen
éducatifpuissant.»40.Pourlesélèves,cesonttoutautantdesoccasionsdebriller
devantleursmaîtres,leurscondisciplesouleursparents,enparticulierparleur
maîtrisededifférenteslangues,lefrançaisetl’arabed’abord,quisontlesdeux
languesemployéespourlespiècesdethéâtre,maisaussilelatin,legrec,l’italienou
lecopte,touteslanguesenseignéesàl’université.Cesséancesoffrentenfinune
façonplaisanted’apprendre:«ondoitproposeretvarierlesexercices,quitouten
étatutiles,sontaussiagréablesetbeaux,enjointleratio,afind’inciterl’espritdes
académiciensautravailparleplaisirqu’ilsytrouveront»41.Exercices,àlafois
individueletcollectifs,émulation,plaisird’apprendre,telssontlespiliersdela
pédagogieparlethéâtredéfinieparlesjésuitesetpratiquéeàl’UniversitéSaint-
JosephdeBeyrouth.Lesauteurscitésetlessujetsabordésnesontpaslaissésau
hasard,maisaucontrairesoigneusementchoisis:«L’argumentdestragédiesetdes
comédies–quinedoiventpasêtrequelatinesettrèsrares–serasacréetpieux;il
n’yauraaucunintermèdesinonlatinetdécent;aucunpersonnagenivêtement
fémininn’yseraintroduit»,préciseleratiostudiorumquin’estdoncpasappliqué
danstoutesarigueur,puisquelesjésuitesontrenoncéaulatinetmettentenscène
quelquesrarespersonnagesféminins(Jeanned’Arcen1910).Maissurlaquestion
del’argument,«fidèleetpieux»,lesjésuitesdelanouvelleCompagniene
transigentpas42.Etablissementcatholique,l’UniversitéSaint-Josephmetd’aborden
scènedessujetsreligieux.
2.Combattreetmourirpourlafoi.
39Jean-YvesCalvez,«Le«Ratio»,chartedelapédagogiedesjésuites»,Etudes3953(septembre2001),207-218,p.210.40Jean-YvesCalvez,«Le«Ratio»,p.210.41RatioStudiorum,215.42RatioStudiorum,93.
Lesprincipauxrécits(narrésàtraversdespiècesoudesacadémies)plongentdans
unpassélointain,antiqueoumédiéval.Cerecoursàlagrandehistoireconfèreaux
événementsrelatésunsurplusderéalitéetdevéracitéquilesrendencoreplusà
mêmesd’impressionnerlesélèves.Simultanément,l’éloignementdansletempset
dansl’espaceautorisedesarrangementsquelesauteursnerépugnentpasàfaire
dumomentqu’ilsserventleurobjectif:édifierleursélèves.HenriTricardnes’en
cachepasàproposdeVitus(LeLissanglant):«Ledrameentiers’appuiesurune
basehistorique.Desfaitsquilecomposent,parunseulquenesoitvraienlui-même,
oudontlavraisemblancenesefondesurd’autresévénementscontemporains.Nous
avonsrapprochéquelquesdates,idéalisélepersonnagerépugnantdeGalère,enfin
jetéVitusdanslagrandeluttequis’engageàNicomédiepourlasignaturedesloisde
persécution»43.DansLedernierdesMacchabées,jouéeen1884,l’auteur
(anonyme)admetquelaprésencedu«saintvieillardSiméon,d’AnneetdeCaïphe,
dePilatecommetribunàBeyrouth,ainsiquecelled’HérodeAntipas,autrefils
d’Hérode,sontdesfaitsvraisemblablesbienquedepureinvention».Pourse
justifier,ilinvoquesonsoucide«donnerparlàplusd’éclatausujetetmieuxmontrer
lerapportavecl’avènementfuturduMessie»44.Situerl’actiondanslepassédonne
aussiàl’auteurlapossibilitéd’écriredanslalanguechâtiéequ’ilveuttransmettreaux
élèves.Al’inverse,GarciaMoreno,dramecontemporain45:«afaitcommettreà
l’auteurplusd’unversprosaïque,dansl’expressiondecertainsdétailsmatérielsde
laviepubliqueouprivée.».Cedernieresttoutprêtàlereconnaître:«Quandil
s’agitd’undramedontl’actionsepasseàuneépoquelointaine,aumoyen-âgepar
exemple,onpeutornerjusqu’àcesdétails;maisenretraçantdesscènesquise
passaientilyatreizeanschezunpeuplecivilisé,ceseraitcherpayéuneélégance
43 Henri Tricard, Sj, Le lis sanglant, drame en quatre actes, en vers, Paris Retaux-Bray, libraireéditeur,1887,165pages.(p.6)44AFSI,RPO62,Fêtes,LedernierdesMachabées,noticehistorique,1884.45Lehéros,néàGuayaquilen1821doits’exileretséjourneenFrance.DeretouràQuito,ilprendlatêtedumouvementcatholiqueetestéluPrésidentdelaRépublique.Il luttecontrelesfranc-maçonset leurs«complots»aveclesoutiendePieIX,rééluenaoût1875, il«tombasouslepoignarddesfrancs-maçonsens’écriant:«Dieunemeurtpas!»».AFSI,RPO62,Fêtes,GarciaMoreno,drameentroisactesetenvers.
banalequedel’acheterauprixdelavraisemblance.»46.Lesexplicationsdecet
auteurtraduisentbienlesoucidespédagoguesjésuitesduXIXesiècle:lesvaleurs
moralesnes’enseignentbienquedansunelangueparfaitementmaîtrisée.
Avecl’AntiquitéetleMoyen-Âge,lesjésuitesrenouentavecunpasséglorieuxpour
l’Égliseetlachrétienté:celuidelanaissanceduchristianisme(delapériodequi
précèdeimmédiatementsonavènementauxgrandespersécutions)etdoncde
l’Égliseprimitiveauxquelsilsseveulentirréductiblementfidèles.Celuiaussid’une
époquebénieoùroisetchevaliersétaientsoumisaubonvouloirdel’Église,
autrementditdesesclercs,évêques,prêtresetreligieux.L’époquedelaRéformeet
delaRévolutionfrançaise,sidouloureusepourlÉgliseetlaCompagnie,est
renvoyéeauxoubliettesdel’histoire.Quandlesséancestraitentdesujets
contemporains,c’estpourmettreenlumièrelescombatsquemènentl’Églisecontre
desforcesviolentesouobscures(lescommunards,lafranc-maçonnerie)47.
Decepasséquellesfiguresretiennentlesjésuites?Aupremierchefdesmartyrsou
des combattants pour la foi: Agapit, Vitus, Maurice, Etienne, Anastase, Jeanne
d’Arc, Tharcisius, Garcia Moreno, morts pour leur foi. De qui est-on martyr? De
l’empire romain: c’est lecasdeTharsiciusd‘Agapit,deMaurice,etdeVitus;plus
rarement des juifs, comme pour Etienne, et plus récemment des Anglais (Jeanne
d’Arc), des communards (Le Pater) ou de la Franc-maçonnerie (Garcia Moreno).
Jamais de l’islam, absent des drames antiques et lointain arrière-plan des pièces
médiévales. La plupart de cesmartyrs sont des hommes, plusieurs vivent dans la
fleur de la jeunesse. Agapit est martyr «de quinze ans», Vitus, est dit «leLis
sanglant», fleurblanchede la«lavertuquis’ignore»etde l’enfant innocent,qui
serait«Encorplusravissant»s’ilétait«empourprédesang»48.Lesélèves,quiont
46 Henri Tricard sj, Garcia Moreno, drame en cinq actes et en vers, Paris Retaux-Bray, LibraireEditeur,1889,p.6.47ChristianAmalvi,«LégendesscolairesduMoyen-ÂgeauXIXesiècle»in:LafabriqueduMoyen-ÂgeauXIXesiècle:ReprésentationsduMoyen-ÂgedanslacultureetlalittératurefrançaiseauXIXesiècle,SimoneBernard-Griffiths,PierreGlaudes,BertrandVibertetOdileParsis-Barubéeds,Paris:Champion,2006,57-69.48HenriTircardsj,Vitus,(lelissanglant),Paris,Retaux-Bray,libraire-éditeur,1890,p.VIII.
lemêmeâge,sontinvitésàpartagersonidéal:«vivrepur,mourirjeuneetparédu
martyre!»49. Le martyre consommé, séances dramatiques et académies hésite
entrelavengeanceetlepardon.«Jevaismourir»annonceSaintAnastasedevant
lesPerses,«maisbientôtlatrompetteannoncerapartoutvotredéfaite,et leChrist,
aujourd’huiparmamortoutragé,demainseravengé»50.DemêmeSaint-Etiennese
vengeavantdetriompher.D’autrestextessuggèrentquelemartyrepardonneàson
bourreau et invite ses proches à faire de même. Ainsi l’héroïne du Pater, Rose,
renonce à sa vengeance pour pardonner auxmeurtriers de son frère et cache un
communardpoursuiviparlapolice.
Auxcôtésdesmartyrs,empereurs(Héraclius,Charlemagne),roi(AlfredleGrand)et
preuxchevaliers(Roland),formentunsecondgroupedehéros,souventplusâgés,
quiexaltentd’autresvertus:lecourageaucombat,lapiétéfiliale(danslefilsde
Roland)51etlamiséricorde(dansAlfredleGrand)52.Rois,empereurs,hommes
d’armes,martyrsparfois,combattentpourleurfoi,desSaxons(Charlemagne),des
Danois(AlfredleGrand),desPerses(Heraclius),desAnglais(Jeanned’Arc),mais
nondesmusulmans,avantageusementabsentsdel’AntiquitéetduMoyen-Âge
européen.LacroisadeapparaîtpourtantdansLefilsdeRoland,quandAmauryet
sonpèreGanelondécident,àlafindelapièce,departirenOrient«pourchercherla
mortencombattantpourDieu».Ainsi,Amauryrachèteetexpielaféloniedeson
père.EtsamortenTerreSainteauservicedelafoiachèverasarédemption.
49TircardHenrisj,Vitus,(lelissanglant),Paris,Retaux-Bray,libraire-éditeur,1890,p.VIII.50AFSI,RPO62,Fêtes,Héracliusoul’exaltationdelaSainteCroix,tragédieencinqactesetenversavecchœursparleP.Marie-MarcelChopin,delaCompagniedeJésus,professeursdebelleslettresàl’Université,lemardi26février1884.51Ganelons’estretiréetvitcachésouslenomd’Amaury.Sonfilsmontresabravoureetsagrandeurd’âmeensauvantlefilsdeRolanddesSaxons,maisundesSaxonslereconnaît.UnsarrasinvientsanscesseprovoquerCharlemagne: il remettraDurandal (l’épéedeRoland)àceluiqui levaincra.Personnen’estcapablederelever ledéfi,sauf lefilsd’Amauryquigagnel’épéefameuse.Maissonpèreest reconnu (par leSaxon): le fils refuse l’honneurque veut lui faireCharlemagneet part enPalestine.AFSIRPO62,Fêtes,LefilsdeRoland,1882.52 La pièce célèbre un «grand roi», qui combat ses ennemis et pardonne à celui qui se repend«Voussauvez lepaysdansuncombatvainqueur, /Et leChristhumbleetdoux triompheenvotrecœur./Frères,louangeàDieupoursamiséricorde!/Avosmâlesefforts,quellepalmeilaccorde,/quelspectaclesublimeiloffreànotrefoi:/ungrandpeuplequinaîtsouslesmainsd’ungrandRoi!HenriTricardsj,Alfredlegrand,160.
Surtouteslesséances,oupresque,planel’ombredelamort.Maiscettemortau
nomdelafoiestloind’êtretriste:«Omesamislamortestunefêtequelleque
cruellequ’onl’apprêtequandondoitmourirpourJésus»s’exclameAgapitavantde
rendrel’âme53.LamortpourDieuravitl’âme,elleannonceletriomphedumartyr,
assuresonSalutetluiconfèrelagloire:«Nousvoulonsmourirpourlafoi,ouvrez-
vousportedelagloire»chanteleChœurdansAgapit.Lamusiqueestsouventmise
àcontributionpourquecettemortaunomdelafoinesombrejamaisdansla
tristesse.DansJeanned’Arc,lamarchefunèbre(C.Gounod)estimmédiatement
suivied’unemarchehéroïque(Th.Dubois)quisuggèrel’apothéosefinale54.
Lamiseenscènedecesmartyrs,saintsouhérosillustrelaquêtedesgrands
hommesquisaisitl’éliteculturellearabeàlafinduXIXesiècle.Maiscontrairementà
JirjisZaydanouFaresAntûn,lesjésuitesnefontaucuneréférenceaupasséarabe
(seulelafigured’AbdelKaderestmentionnée)oumusulmandelarégion55.Leurs
hérossontexaltéspourleursvaleursreligieuses:lafoisignifiefidélitéetobéissance
auxcommandementsdel’Égliseetauxclercsquilestransmettent.
Cettefoiquelesélèvessontappelésàproclamerjusqu’aumartyreestcelled’un
catholicismeultramontain.LaViergeyestàl’honneuràtraverslescommémorations
en1884eten1904destrenteanspuisdescinquanteansdelaproclamationdu
dogmedel’immaculéeconception.En1884,lesélèvesrendenthommageàla
«reineconçuesanspéché»,«uniquebeautéparfaiteetsanstâche»56.En1886,ils
célèbrentMarie,patronnedelajeunesse57.Plusambitieuse,laséancede1904
évoquelaviedelaViergeentroistemps,lepassé,leprésentetl’aveniretpropose,
entreautres,unrécithistoriquesurlepèlerinageàLourdes,desapparitionsaux
53AFSI,RPO62,fêtes,LemartyredeSaintAgapit,1889.54AFSI,RPO,62, fêtes, 1904-1957,Jeanned’Arc, scèneshistoriquesen5actesavec tableauxetChœurs,Dimanche8mai1910à3h,fêteduP.Recteur.55Anne-LaureDupont,«Legrandhomme,figuredela«Renaissance»arabe,in:SaintsetHérosduMoyen-Orientcontemporain,CatherineMayeur-Jaouened,Paris:MaisonneuveetLarose,2002,47-73.56AFSI,RPO62,fêtes,AMarieimmaculée,hommagedetouteslescongrégations,8décembre1884.57AFSI,RPO62,fêtes,Marie,patronnedelajeunesse,5juillet1886.
stationsdesmaladesdevantlagrotte58.AuxcôtésdelaViergeMarie,lePape,
«pontife-roi»faitpartiedesfiguresévoquéesàplusieursreprises.En1888,les
élèvesrendenthommageàLéonXIII,dontilsrappellentquelquesépisodesdelavie
eninsistantsursesliensavecl’Orient59.En1879,c’estsonprédécesseur,PieIX,
«docteurinfaillible»quiavaitétéàl’honneur,lorsd’uneacadémielittérairedonnée
àl’occasiondesoncinquantièmeanniversaireépiscopal:lestextes,enarabe,en
français,enitalienetenlatintissentsavieetcelledeSaintPierre«fondementde
l’EglisedeJ.-C.vivantenPieIX»60.L’Egliseàl’honneurestdonccelleduXIXe
siècle,héritièrefidèledel’Égliseprimitive.C’estaussiuneinstitutioncléricalecomme
vientlerappelerlaséanceofferteauxséminaristesàl’occasiondeleurpremière
messeen1889quiinsistesurla«grandeur»etla«puissance»duprêtre»,placé
«au-dessusdesanges»,avantdeconclureavecunderniermorceauinterprétépar
lechœuretintitulé«Àlalutte!»61.CetteÉgliseestdonccombattante,jusqu’au
martyr.
Plusieursséancesquiretracentdespassagesdel’histoiresainteouexaltentdes
vertusparticulières,s’apparententàdevéritablesleçonsdecatéchisme.Quels
pointsdudogmemettent-ellesenavant?LarédemptiondumondeparleChristen
opposantle«mondeavantlavenuedeJ.C.»bruissantdeschantsdeguerrede
Satanetdesgémissementsdesesclavessyriens,àceluid’après«lavenuede
J.C.»62,ouencorelesailesbriséesdel’âme«sanslafoi»etsesélansvers
l’apostolatetlemartyr«danslafoi»63.Danscesoppositionsbinaires,l’empire
romainsertderepoussoirmêmesilespères,convaincusdeshautesvertusde
58 AFSI, RPO 62, fêtes, L’immaculée conception, Séance offerte par les congréganistes au P.Bouillon,provincialdelaprovincedeLyon,àl’occasionduJubilédelaproclamationdudogmedel’IC59 AFSI, RPO 62, fêtes, Hommage reconnaissant de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth à saSaintetéLéonXIII,1erjanvier1888.60AFSI,RPO62, fêtes,Académie littérairedonnéeà l’occasiondu50èmeanniversaireépiscopaldePieIX,dimanche3juin1877.61 AFSI, RPO 62, fêtes, Le Sacerdoce, séance offerte par les séminaristes à leurs condisciplesdevenusprêtres,dimanche30juin1889.62AFSI,RPO62,fêtes,MiserereetTeDeum,SéanceofferteauR.P.Recteurle31décembre1896.63AFSI,RPO62,fêtes,Levoldel’âme,séanceacadémiqueofferteauP.Recteuràl’occasiondesafête,26avril1902.
l’enseignementdugrecetdulatin,nepeuventlenoircircomplètement.DansLe
dernierdesMacchabées,ladécadencedel’empireromainrejointcelledeladynastie
juivesdesHasmonéensetannoncelavenueduMessie:«Lesceptreétaitainsi
tombédesmainsdeJuda»,conclutlaprésentationdelascène;«etdèslors,selon
laprophétiedeJacob,lemessienepouvaittarderdevenir»64.Beaucoupde
séancess’achèventsurletriomphedelavraiefoietdel’Egliseromainequienestla
gardienne.
Leshérosensontsoigneusementchoisis.Souventdenobleextraction,ilssontparés
detouteslesvertus:ardentsdéfenseurdelafoi,ilssontàlafoiscourageux,
cultivés,intelligentsetbons.Issusdebonnefamille,ilspratiquent,àl’exempledu
PetitTrott,unecharitébienordonnée.Leurjeuneâgelesmetdavantageàlaportée
desélèves:c’estsurtoutvraipourlesmartyres,moinspourleshommesdepouvoir
quidessinentplutôtunidéalpourl’âgeadulte.Soucieuxdeformeruneélite,les
jésuitesmettentenscènedesdirigeantsmusparleursconvictionsreligieuseset
soumisàlavolontédivine.
3.Eduquerdesenfants,desgarçonsetdesélèves.
Autantquelacroix,étendardd’uneÉglisecombattante,lesséanceschantent«le
divinenfantdelacrèche»,lefilsdeMarie,etlenouveaunédelaSainteFamilleque
protègel’archangeGabriel65.Au31décembrepourlesvœuxauP.Recteur,les
chantsdeNoël(Entrelebœufetl’ânegris,Legrandamiviendra(Botrel),Berceuse
delacrèche(C.Franck),PetitJésusdeBethléem(G.Doret))66oulesévocationsde
lacrèchedessinentuntableauplusenfantin,plusruraletplusdouxoùtrônel’enfant
Jésus.Maismêmedanscecasl’Églisecombattantereprendparfoisl’avantage.
Ainsilaséanceintitulée«Ledivinenfantdelacrèche»s’achève-t-elleparunchant64AFSI,RPO62,fêtes,LedernierdesMachabées,noticehistorique,1884.65AFSI,RPO62,fêtes,Ledivinenfantetlacrèche,académiedelittératurearabe,31décembre1888.L’archangeSaintGabriel,séanceofferteauP.Recteuràl’occasiondesafête,29avril1894.66Interprétéesle31/12/1910,àl’occasiondesvœuxauP.Recteur.AFSI,RPO62,Fêtes,Charité,auR.P.Recteur,àl’occasiondesvœuxdeBonneAnnée,31décembre1910.
intitulé«L’enfantdurégiment»67.Lesfleurssontaussiassociéesàl’enfanceetau
martyr,commedansledialogue«L’enfantetlarose»,oùlarose,pourtantvouéeà
périr,exprimesaconfianceendieu:«LeDieuquinousdonnelavie,Nelaisse
jamaissanssoutien.Heureuxenluiquiseconfie!Ilnemanquejamaisderien68.»
Cestextesunpeumièvresalternentavecd’autresdéclaméssuruntonbeaucoup
plusmartial,quiglorifientlemartyravecforcefanfare.Peut-êtrefaut-ilvoirunreflet
deladiversitédel’âgedesélèves,desenfantsencorepetits,dontl’innocenceetla
fragilitérappellentcelledesfleurs(larose,lelissanglant),àdesjeunesgensplus
virilsdontonchercheàcanaliserl’ardeurauservicedescombatsdel’Église?
Universitéoblige,plusieursséancesévoquent laviedesélèves: ladistributiondes
prixoulesvacances,notammentàl’occasiondescérémoniesquimarquentlafinde
l’annéescolaire:«Quiaimelepluslesvacances?»S’interroge-t-onen1880,avant
depoursuivreavec«unescèneoriginaleàtoutevapeuravecrefraindemirlitons»
intitulée «Le chemin de fer», dont les voies n’atteignent pas encore Beyrouth à
l’époque69.Mais les thèmes religieuxnesont jamais loinet ilarrivequ’uneséance
commence sur un ton léger pour s’achever sur des considérations plus sérieuses.
C’estlecasen1908,avecune«académie»offerteenl’honneurduP.Provincialà
l’occasiondesavisite. Intitulée«Sur les routes»,elleévoquesuccessivement les
«touristes» (quiempruntent,cette fois, la ligneBeyrouth-Damas), lesconquérants
(des conquistadors aux rapides du Yang Tse où s’écrit une «page d’épopée
coloniale»),puislesapôtres(duChristenGaliléeaumissionnairequifaitsesadieux
à sa mère)70. Ces petits spectacles peuvent aussi servir à justifier les choix
pédagogiques du collège. En 1885, l’académie de grammaire intitulée
«l’enseignement du français» porte successivement sur l’étude de la grammaire,
67AFSI,RPO62,fêtes,Ledivinenfantetlacrèche,académiedelittératurearabe,1888.68NosPremières fleurs,académiede littérature, séanceofferteauR.P.Tardy,nouveau recteurdel’Université,31/12/1884.69AFSI,RPO62,fêtes,Distributionsolennelledesprix,lundi1eraoût1881.70 AFSI, RPO 62, fêtes,Le divin enfant et la crèche, académie de littérature arabe, 1888.Sur lesRoutes,académieofferteauR.P.Chauvin,provincialdeLyon,àl’occasiondesavisite,8novembre1908.
l’étude du latin et celle du grec71. L’objectif, en est souligné par une citation de
Lafontainequifigureenexergueduprogramme:«c’estfauted’admirerlesGrecset
lesRomainsqu’ons’égareenvoulanttenird’autreschemins».Ils’agitdevaloriserle
cours«classique»quinerencontrepas,auxyeuxdespères,lesuccèsqu’ilmérite.
Beaucoup de séances, polyglottes, mettent en lumière, de façon plus indirecte,
l’enseignement classique dispensé au collège. Le français est à l’honneur, ce qui
témoigne, làencored’uneadaptationduRatio studiorum (qui privilégie le latin)au
contextedelamission.Lelatinetlegrecviennentaprèsl’arabe,priséàl’Université.
On aurait pu s’attendre à ce que le français soit davantage mis en avant par un
établissementquis’enorgueillit,à juste titre,deses liensavec laFrance.De façon
générale,lestextesjouésoudéclamésnelesévoquentpasexplicitement.Nuldoute
quelespèressaventrecevoir leconsuldeFrance, luiqui leshonorerégulièrement
de sa présence72, mais l’accent est davantage mis sur l’éducation religieuse. En
1888,àproposdupape,lesélèvesracontentle«dramed’Anagni»undesépisodes
célèbres des relations exécrables qu’entretenaient la France et la papauté sous
PhilippeleBel.L’annéeprécédente,ladédicace«AlaFrance»estenfaitletitre
d’une«séancepolyglotte»donnéeenl’honneurdel’abbéCharmetant,directeurde
l’Œuvre des Écoles d’Orient où se succèdent des textes en latin, syriaque, copte,
grec ancien et moderne, italien, arabe et français73. Les diaires de l’Université
indiquent que les pièces en arabe alternent avec celles en français, parfois à
quelquesjoursd’intervalle.ActeursdelaNahda,lesjésuitesontvolontiersrecoursà
des traduction: ainsi en janvier 1884, «les imprimeurs ont représenté Agapit
tragédieen4actestraduiteenarabepar leF.Elias.Elleaparfaitementréussi74.»
71AFSI,RPO62, fêtes,Académiedegrammaire, l’enseignementdu français, séanceofferteauP.Recteuràl’occasiondesafête,1erjuin1885.72En1902,elleestsignaléesur leprogramme:FêteduR.P.Recteur,sous laprésidencedeM. lecomptedeSercey,consulgénéraldeFrance,27/04/1902.73 AFSI,RPO62, fêtes,A la France, le séminaire oriental deSaint-FrançoisXavier reconnaissant,Séancepolyglotteofferteàl’abbéCharmetant.Directeurdel’œuvredesécolesd’Orient,dimanche30janvier1887.74ALSI,Diairedel’Université,23/2/1884.
Contrairement à ce que pourrait laisser croire un nationalisme étroit dont les
missionnaires seraient les promoteurs, l’Université Saint-Joseph valorise le
plurilinguisme. On peut y voir un héritage de la pédagogie jésuite (où le français
s’effaçait devant le grec et le latin), et une nécessaire adaptation aux conditions
locales (qui imposent l’emploi l’arabe): quoiqu’il en soit, pour les jésuites de
Beyrouth,éduquer,c’estenseignerplusieurslangues.
Leursélèvessontdesgarçonsetlaplupartdespersonnagesmisenscèneou
mentionnésappartiennent,commeeux,àlagentmasculine.Outredejeunes
martyrs,desempereursoudesroiscombattant,cesontdeschevaliers,dessoldats
ouencoredeshommesdereligion(pape,évêques,saints,prêtres,missionnaires)
commesil’avenirdecesjeunesgensseréduisaientàcettealternative:l’arméeou
lacléricature,laguerreoulesacerdoce,breflecombatmilitaireetspirituelpourla
foi.
Danscetuniversmasculin,lesfiguresfémininessontpeunombreuses.Onen
chercheenvaindanslespiècesdethéâtreproprementdites:lesincarnerauraitde
toutefaçonposéd’épineuxproblèmesàdesacteursrecrutésparmilesélèvesoules
professeursdel’établissement.Letravestissement,inhérentauthéâtre,nesaurait
franchircertaineslimitesimposéesparlabienséanceetlamoralité,cequioblige
parfoisdeprendresesaisesaveclestextesquel’onmetenscène.AinsiLepardon
inspiréduPaterdeFrançoisCoppéenereprésentepasRose(pourtantlasœurdu
curérestéevieillefille)maislecurélui-même,plusfacileàincarner.Lapièced’Henri
deBornierperdaussisonhéroïneéponyme,lafilledeRolanddontlesamours
(impossiblesdonctragiques)avecGérald,lefilsdeGanelonconstituentlatramede
l’original:letitreestportéaumasculinetBerthe,lafilledeRolanddevientRoger,le
fils.Plusd’amouréploréentreelleetGérald,maisuneamitiévirileentrelesdeux
protagonistesmasculins75.SeuleJeanned’Arcfaitexception:encores’agit-ild’une
figurefémininetrèsvirileetconstammentaccompagnéedepersonnagesmasculins
(roi,paysans,soldats,clercsgeôliers…).Lafemmeparexcellence,c’estMarie,qui
faitl’objetd’unvéritableculte.Dansunedesséancesquiluiestconsacrée,les
élèvesfontaussileportraitdeJudithetd’Esther,deuxfiguresbibliquesrenommées
pouravoirsauvéleurpeuple.EnportantleMessie,laViergeMariefaitdemêmeà
l’échelledel’humanité.Atraverselle,lafemmeestd’abordmère,jamaisépouse.
Surl’imagequiillustrelaséanceconsacréeaucinquantenairedelaproclamationdu
dogmedel’immaculéeconception,saféminitéestdissimuléesousunample
manteau.Lamère,c’estaussicelledumissionnaireàlaquellecedernierfaitses
adieuxavantdepartir«surlesroutes»76.Al’imagedelaViergeMarie,lamère
accepteledestindesonfilsdû-t-illaquitter(lemissionnaire)ou…mourir,commeles
«captifslibanais»prisonniersdePersesquiproclament«N’oublionspaslesleçons
denosmères;/Pournotrefoisoyonsprêtsàlamort.»Lafemmeinstrumentde
perversiondel’hommefaitcependantuneapparitionaveclafiguredeSalomé,sœur
d’Hérode.Femmemanipulatrice,elleconspirepourconvaincresonfrèredemettreà
mortsespropresfils,AristobuleetAlexandre,«lesderniersdesMacchabées»77.
4.L’OrientetleLiban
Danscesdifférentstextes,lesallusionsàl’actualitépolitiqueetauProche-Orient
sontrares.Uneséancecomportebienune«paged’épopéecoloniale»maiselle
traitedela…Chine;uneautremetenscèneGarciaMorenoprésidentassassiné
75Ganelon,quiatrahiRolandàRoncevaux,s’estretiréetvitcachésouslenomd’Amaury.SonfilsGéraldmontresabravoureetsagrandeurd’âmeensauvantlefilsdeRolanddesSaxons,maisl’und’entre eux, prisonnier, le reconnaît. Un sarrasin vient sans cesse provoquer Charlemagne: ilremettraDurandal(épéedeRoland)àceluiquilevaincra.Personnen’estcapabledereleverledéfi,sauflefilsd’Amauryquigagnel’épéefameuse.MaisGanelonestreconnu(parlesaxon):lefilsexpieaussi pour son père et part avec lui en Palestine. AFSI, RPO 62, Fêtes,Le fils deRoland, noticehistorique.76AFSI,RPO62,SurlesRoutes,1908.77AFSI,RPO62,LesderniersdesMaccabées,1884.
au…Pérou,trèsloindeBeyrouth78.Defaçongénérale,cesdifférentsilestdifficilede
voirdanscesprogrammesdesallusionsàconsidérationspolitiques.L’empire
ottomann’estjamaismentionnéentantqueteletlesmusulmansbrillentparleur
absence.Cettesituationrésulteenpartieduchoixdestextes,souventempruntés
auxcollègesfrançaisdelaCompagniedeJésus.Lesdiscourscomposésdansle
cadredesacadémiesoulespiècesrédigéesparlespèresdel’Université(commele
P.Marie-MarcelChopinen1883et1884)offrentdavantagedelibertémiseàprofit
pourévoquerl’Orient,Jérusalem,LeLibanetDamas.Jérusalemapparaîtàtravers
sonévêque,Hyménée,quiauraitencouragélaconversiondeMaurice.Dans
Héraclius,lavillesainteestreprésentéeparsonpatriarchequiexcitelepeupleau
combat.Lieudelaconversionetthéâtreducombatpourlarédemption(Roland),
Jérusalemvoitaussilamarchetriomphaledesarméesd’Héraclius:«Autemplede
Sion,tousallonssansretard,Auxchantsdenosjoyeuxcantiques,Arborersousnos
saintsportiques,Notreglorieuxétendard»,chantelechœuràlafindelapièce.Le
Libanapparaîtaussidanslapièceavecdescaptifsprêtsaumartyr:«LePersan
veutnousmêleràsesfêtes:/devantsonDieunouscourber!Non,jamais!/Non,il
feraplutôttombernostêtes/quedeflétrirnosfrontsdeLibanais!»79.SaintMaroun
faitpartiedespersonnagesdelapiècemaisleprogrammenedonnepasd’indication
sursonrôle.Faut-ilvoirdansl’empireperseunetranspositiondel’empireottoman
auquelrésisteraientdevaillantsLibanais?Lacomparaisonesttentante,mais
l’empirepersedel’Antiquitén’estpasmusulman.Cequiestclairenrevanche,c’est
quelesLibanaissontchrétiensdepuisl’Antiquitéetprêtsausacrificesuprêmepour
resterfidèlesàleurfoi.Uneautreséance,pluslégère,metaussienavantle
caractèrechrétienduLibandontplusieursélèveschantentles«gloiresetles
charmes»en1894.Son«panorama»,son«climat»,sa«fertilité»,sa«faune»et
sa«flore»lerapprochentdu«paradisterrestre»etdela«terrepromise»80.Onle
78AFSI,RPO62,SurlesRoutes,1908etGarciaMoreno,1891.79AFSI,RPO62,Fêtes,Héracliusoul’exaltationdelaSainteCroix,1884.80AFSI,RPO62,Fêtes,GloiresetcharmesduLiban,séanceofferteauR.P.Provincialàl’occasiondesavisite,le11avril1894.
voit,lesthèmesretenusnetouchentguèreàl’histoirerécenteouàlapolitique,mais
ilsinsèrentleLibandansunespacereligieuxpluslarge.En1887,lorsdelaséance
offerteenl’honneurdudirecteurdel’ŒuvredesÉcolesd’Orient,ilestassociéau
syriaque.Lalanguearabeestemployéepourraconter«unevisiteaufilsd’Abdel
Kader»,musulmanpopulaireauprèsdescatholiquesdepuissonintervention
salvatricelorsdel’été186081.AvecSaint-JeanDamascène,rarefiguredel’Orient
quifaitl’objetd’uneséance,lemondearabeetlesmusulmansfontleurapparition
aveccalifeetvizir.Maisl’académieinsistedavantagesurle«martyr»delafoi:
c’estparcequ’iladéfendu«lessaintesimages»queSaintJeanDamascènedoit
nonpasmourirmaisrenonceraumondepourentreraucouvent.Etcen’estpasdes
musulmansqu’ilreçoitcesattaquesmaisdel’empereurbyzantin.
Grâceàsonthéâtreoùalternentséancesdramatiquesetacadémies,l’Université
Saint-Joseph,sesprofesseursetsesélèvesprennentpartàlanaissanced’un
nouveaugenrelittéraireenOrient,lethéâtre«àl’occidentale».EncettefindeXIXe
siècle,lestextes,leplussouventenvers,alternentavecdeschantsoudes
morceauxdemusique,cequiseralongtempslecasdanslethéâtrearabe.Ilne
s’agitpastoujoursdepiècesproprementdites:lesjésuitesrecourentàdenombreux
exercicesorauxetpublics(séancesouautresacadémies)etleur«théâtre»mêle
longtempsdestextesdenaturesdifférentes.Plusquelacomédieoulafarce,qui
avaientfaitlesgrandesheuresdeGhazir,lesjésuitesdeBeyrouthprivilégientle
drameoulatragédie.Lesauteursclassiquesn’ontcependantpasleurfaveur.Ilsleur
préfèrentdestextesmoinsprestigieuxauxvaleursmoralesplussûres,qu’ils
adaptent,traduisentetmodifientenfonctiondesimpératifsquisontlesleurs,comme
lefontlesauteursdelaNahda.
Nouveauauplanlittéraire,lethéâtrel’estaussisil’onseplacesurleplan
pédagogique.Iltémoignedel’importancequegardentàlafinduXIXesièclela
81 AFSI,RPO62, fêtes,A la France, le séminaire oriental deSaint-FrançoisXavier reconnaissant,Séancepolyglotteofferteàl’abbéCharmetant,1887.
pratiquedel’oral,ladéclamationetl’éloquence,sipriséesdanslalittératurearabe
classique.Pourlesjésuites,ilnes’agitpasd’uneadaptationauxgoûtsouaux
mœurslocalesmaisdecelleduratiostudiorumquicontinuededicterlesexercicesà
mettreenœuvredansleursétablissements.:Avecsonimprimerieetl’éducation
qu’elledispense,l’UniversitéSaint-Josephestlevecteurd’uneculturedel’écrit.Avec
sonthéâtre,ellevalorisel’oralitécommemoyend’apprendreetfairedecirculerdes
textes.
Tournéesversl’AntiquitéetleMoyen-Âgeeuropéen,autrementditversunmonde
chrétienouenpassedeledevenir,lesséancesdel’UniversitéSaint-Joseph
délimitentunespaceextérieur(etétranger)aumondearabeetmusulmanquiest
pourtantlesien.Decepointdevue,ellesemontrebeaucoupmoinsouvertequeson
rival,leSyrianProtestantCollegequis’inscritplusrésolumentdansunmondearabe
encoreendevenir.Elleapparaîtaussiplusréactionnaireausenspremierduterme,
regardantlepasséplusquetendueversl’avenir.
Îlotchrétien,l’UniversitéSaint-Josephestaussiunespacemasculin:lesélèveset
leursprofesseursappartiennenttousàlagentmasculine.Jusqu’audébutduXXe
siècle,oùsedessineuneouvertureverslesfamilles,lepublicestcomposé
uniquementde«Messieurs»oudeclercs.Devantlui,lesélèvesglorifientdes
qualitésattribuéesauxhommes:lecourage,l’ardeuraucombat,laloyauté.
Quasimentpasdefemmessicen’estdesmères,dontlaViergeMarieoffrele
modèle.Auxenfants,lesjésuitesprêchentl’obéissanceàleursparentset
particulièrementàleursmèresqu’ilsprésententcommeleséducatricespar
excellence:cesontellesquitransmettentlafoi.Lemondedesadultes,celuides
élitesdupouvoiretdelafoi,danslequellesgarçonsdevenushommessontappelés
àévoluerplustard,estquantàluiununiversmasculin,dontlesfemmessont
totalementexclues.
Séancesdramatiquesetacadémiessontauserviced’unprojetéducatif
essentiellementreligieux.Atraversleshéros,lesmartyrs,(parfoissaints),lesroisou
leschevaliersqu’incarnentlesélèves,lesjésuitesexaltentlafidélitéàl’Église
catholique,l’obéissanceàsonchef,lePape,etplusgénéralementlasoumissionaux
clercs.Dieusauveurettout-puissant,Jésusenfant,Mariemèredetous,telleestla
trinitédel’UniversitéSaint-JosephàlafinduXIXesiècle,fondementd’unefoiqueles
élèvessontappelésàprofesserjusqu’aumartyr.
Quelleapuêtrelapostéritédecesdiscours?Lesmartyrsdel’empireromainétaient
vénérésdanslesÉglisesorientales,maislamortaunomdelafoinefaitpaspartie
desattributdessaintslibanaiscontemporains:SaintCharbeletSaintNa‘amatallah
al-Hardiniincarnentàlaperfectionlemoineorientalsoumisauxrèglesdesonordre.
Aucundesdeuxn’aconnudemortviolentesouslescoupsdumartyre82.Plusquela
mort,c’estenfaitlafidélité(quelemartyreestprêtàassumerjusqu’àlamort)qui
importe.Cettefidélitéfaitpartiedesfondementsdunationalismemaronitequi
s’élaboreàcetteépoque:moinsmortifère,ellen’enestpasmoinsexaltéeetdéfend
avecacharnementl’idéed’unperpétuelattachementdel’Églisemaroniteàl’Église
catholiqueetromaine.
82BernardHeyberger,«SaintCharbelMakhlouf,oulaconsécrationdel’identitémaronite»,inSaintsetHérosduMoyen-Orientcontemporain,p.139-159