BECMcMASTER
LONDRESLATÉNÉBREUSE–2
LaBêtedel’ombre
Traduitdel’anglais(États-Unis)parTiphaineScheuer
BecMcMaster
LaBêtedel’ombre
Londreslaténébreuse2
Collection:CrepusculeMaisond’édition:J’ailu
Traduitdel’anglais(États-Unis)parTiphaineScheuer
©BecMcMaster,2013Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2015Dépôtlégal:octobre2015
ISBNnumérique:9782290083727ISBNdupdfweb:9782290083734
Lelivreaétéimprimésouslesréférences:ISBN:9782290093856
CompositionnumériqueréaliséeparFacompo
Présentationdel’éditeur:ÀWhitechapel,oùrègnentenmaîtreslesmembresdel’Échelon,quipourraitsoupçonnerlacharmanteLenaTodddequelconquetraîtriseenverslessiens?Pourtant,ensecret, elleaembrassélacausehumaniste,espérantdéfierlesredoutablessangbleuquigouvernentLondres.Maisalorsqu’elleestenpossessiond’unbilletconfidentield’uneextrêmeimportancequ’onluiarécemmentremis,ellesefaitdémasquerparWillCarver.Leloup-garouauterriblepassé.CeluiquechacunsurnommelaBêteetqueLenadésireauplusprofondd’elle-même...Etsilamenacenevenaitpasquedessangbleu,Lenadevrait-elleseméfierdeWill?
Biographiedel’auteur:Passionnée par les créatures surnaturelles, Bec McMaster écrit de la romance paranormale. Londres la ténébreuse, sa toute première série, est sombre, originale etdélicieusementsensuelle.
©J’ailu
©BecMcMaster,2013
Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2015
DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu
LONDRESLATÉNÉBREUSE
1–LafugitivedeWhitechapelN°11079
1.5–Desangetdeglace
Numérique
Sommaire
TitreCopyright
Biographiedel’auteur
DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu
Chapitre1
Chapitre2
Chapitre3
Chapitre4
Chapitre5
Chapitre6
Chapitre7
Chapitre8
Chapitre9
Chapitre10
Chapitre11
Chapitre12
Chapitre13
Chapitre14
Chapitre15
Chapitre16
Chapitre17
Chapitre18
Chapitre19
Chapitre20
Chapitre21
Chapitre22
Chapitre23
Chapitre24
Chapitre25
Chapitre26
Chapitre27
Chapitre28
Épilogue
1
Lebrouillards’accrochaitàlaTamisecommeuneprostituéeàunclientfortuné.Leslampesàgazquidiffusaientleurfaisceauicietlàperçaientcettepuréedepoisàlamanièred’unfeufollet.C’étaitlanuitidéalepourpasserinaperçu.
WillCarvergalopaitàtraverslestoitset lespignons.Ilbonditpar-dessusuneruelleets’arrêtaderrièreunecheminéenonloindeBrickbank.
Unhommeatterritaveclégèretésurlestuilesàcôtédelui,lesoufflecourt.Vêtudecuirdespiedsàlatête,iln’étaitarméquededeuxlamesfixéesàsaceinture.
—Bonsang,tuessaiesdemetuer,ouquoi?murmuraBlade.Il avait parlé à voix basse, mais les sons portaient dans la nuit silencieuse.Will retroussa les
lèvresetjetaunregardàsonmaître.—Cen’estpasnousqu’ilsécoutent,monpote.(Bladeseredressaetobservalacolonnedefumée
rougedevanteux.)Pasaveccefeu.Etaucund’entreeuxn’atonouïe.Un nuage de fumée rougeâtre embrasait le ciel nocturne, à peine étouffé par le brouillard.
Àchaqueinspiration,Willpercevaitlegoûtdecendredansl’air.Devanteux,unmurdebriquemassifetunegrillebloquaientl’accèsàlaville.UnetroupedeCuirassesarpentaitlaplacedevantlaclôture,lalueurdeslampessereflétantsurleurspoitrinesblindées.L’extrémitéduredoutablelance-flammesqui remplaçait leur bras gauche suffisait à tenir la foule en respect. Toutefois, il s’agissaitd’automatesetnond’humains.
Willavaitapprisdepuislongtempsqu’ilsnelevaientjamaislesyeux.—Par-dessus?demanda-t-il.— Tu m’excuseras, dit Blade, mais on pourrait directement passer les grilles en dansant le
quadrillequ’ilsbougeraientpasuneoreille.La lueur diabolique dans son regard indiquait qu’il était prêt à essayer.Rien ne plaisait plus à
Bladequedefaireunpieddenezauxsangsbleusquigouvernaientlaville.—Ouais,ehben,onapastoustachance,luirappelaWill.Matêteàmoiesttoujoursmiseàprix.Bladesoupiraetobserval’imposantédifice.—Danscecas,ceserapar-dessus.—Tudeviensparesseux.—Jedevraisêtreàlamaison,dansmonfauteuil,avecuncigareetunbonverredevindesang
chaud.Cequ’il segardad’ajouter, c’étaitqu’ilne seraitprobablement en trainde faire aucunedeces
choses.Sil’incendienelesavaitpasattirésdehors,Bladeseraitaulitavecsafemme,Honoria.
Willreculadequelquespas.Luin’avaitaucuneraisondevouloirrentrerchezlui.L’appartementqu’illouaitétaitfroidetpeuattrayant.Iln’avaitriennipersonneàyretrouver.
D’ungrandbond,il traversalarueetatterritsuruntoitprèsdesgrilles.Puisilpritsonélanetsautapar-dessuslemuravantquelegardesituéausommetaitpuéteindrelaflammedesonallumette.Lesyeuxhumainsnevalaientparfoispasmieuxqueceuxdesautomates.
Des bruits de pas lui firent écho sur les toits tandis qu’il filait discrètement dans la nuit. Lebrouillard s’écartait autour de lui et dérivait dans son sillage, mais il était trop rapide pour quequelqu’unpuissel’apercevoir.
Ici, en ville, les rues étaient légèrement plus larges, les bâtiments moins serrés que dans lescoloniesdeWhitechapeloùilrésidait.Lesangaffluaitdanssesveinesàmesurequ’ilbondissaitdetoitentoit.Ilétaitrestéenfermétroplongtemps:cetexerciceluifaisaitleplusgrandbien.
Deshurlementsparvinrentàsesoreilles,suivisdescrisorganisésdeceuxquiessayaientdefairefonctionner les pompes à eau. De petits flocons de cendres étouffants dérivaient dans l’air. Wills’immobilisaaudétourd’unecheminée.
Devant lui, le monde tout entier semblait s’être embrasé. Des flammes orangées léchaient lescieux et un voile de fumée sombre flottait au-dessus de la rivière. Des dizaines de personnesmaniaientdespompesàeau,essayantdésespérémentd’empêcherlebrasierdesepropagerdavantage.
—Nomd’unchien,juraBladeens’agenouillantauxcôtésdeWill.—Lesusinesdedrainage,déclaraWill.Quelqu’unamislefeuauxusinesdedrainage.C’était impensable.Laséried’usinessituée le longde larivièreappartenaità l’Échelon,et leur
butétaitdefiltreretdeconserverlesangrécoltégrâceauxtaxesdesang.Laperteseraiténorme.Bladeplissalesyeux.—Toietmoi,ondevraitsetirerd’icivitefait.(Ilgonflalesnarines.)L’endroitvagrouillerde
Cuirassesenmoinsdetempsqu’iln’enfautpourledire.Willreculad’unpas.IlsavaitégalementcequeBladenedisaitpas.Onnepourraittrouverplus
parfaitsboucsémissairesqu’euxdeux.Lamajoritédesaristocratesde l’Échelonétaient furieuxdupardonetdutitredechevalierquelareineavaitaccordésàBladetroisansplustôt.Et,àleursyeux,Willn’étaitqu’unesclavesanscollier.
Untintementdemétalsefitentendre.Desbruitsdebottescercléesdefersurdespavéslointains.Àenjugerparleson,ils’agissaitd’unearméeentièredeCuirasses.
—Va,ordonna-t-ilenpoussantsonmaîtreenarrière.Iln’enfallaitpasplusàBlade.Ilremontalestuilesàlahâte,etunepercéedanslesnuagesbaigna
sonvisagedansleclairdelune.Ilfutuntemps,quelquesannéesplustôt,oùsescheveuxseseraientilluminés telunpharedans lanuit.Aujourd’huid’unecouleurbrunclair, sapeaun’étaitplusaussipâlequelemarbrecommeautrefois.
Willprit sa suited’unpas léger, à l’affûtdumoindre sonderrièreeux. Ils avaientvucequ’ilsétaientvenusconstater.Nuldoutequelarumeurenvahiraitlesruesaupetitmatin.
Unmouvementdevantluiattirasonattention.L’éclatd’unmanteaunoiravaitpercélebrouillard.WillbonditetplaquaBladeausolenlecouvrantdesoncorps.
Bladesoufflabruyamment.Ilrelevalatête.—Merci,maisjesuisdéjàpris…—Tais-toi.Willposalamainentrelesomoplatesdesonmaîtreets’accroupit.Ilfouillalabrumedesyeux.
Là.Untintementmétallique.Desvoixdansl’obscurité.L’immobilitédeBladeétaitéloquente;illesavaitentenduesluiaussi.
—Resteàterre,soufflaWillprèsdesonoreille.Jevaisallervoir.—Est-cequej’ail’aird’avoirbesoind’unfichuchaperon?Will lui jeta un regard. Trois ans plus tôt, ça n’aurait pas été le cas. Blade avait été la plus
dangereusedetouteslescréaturesàrégnersurlesténèbres.Maisl’évolutiondelacouleurdesapeauet de ses cheveux n’était pas la seule transformation qui avait opéré en lui depuis qu’il avaitcommencéàboirelesangdeHonoria.
—Vasurlagauche,finit-ilparmurmurer.Àmoinsd’attacherBladeàlacheminéeavecsaceinture,ilyavaitpeudechancequ’ilresteplanté
là.Tousdeuxsefondirentdanslebrouillard.Lesvoixdevanteuxs’estompaient.Willsemouvaittel
unspectre,etsonmanteauenlainesombreondulaitautourdeseshanches.Par-dessus, ilportaitunlourd gilet en cuir truffé d’inserts en métal ; ses genoux étaient également renforcés de plaquesd’acier.Dansunmondeoùl’armedebasepouvaitêtreuncouteaudeboucherouunecléanglaise,onn’étaitjamaistropprudents.Sonvirus,leloupe,pouvaitleguérirdepresquetout,maisuncoupdecouteau,çarestaitdouloureux.
Unbruitmétallique résonnadenouveauetun juron retentit dans l’air.Puis le silence retomba,comme si les deux personnes s’étaient figées pour vérifier qu’on ne les avait pas entendues.Willralentitetavançaenplaçantprudemmentunpieddevantl’autre.Ils’accroupitetcontournaunconduitde cheminée à quatre pattes. Aucun signe de Blade alentour,mais ce dernier le surpassait dans ledomainedeladiscrétion.
—Fais-letomberencoreunefoisetMercurytecouperalatête,lâchaquelqu’un.Deux silhouettes. Toutes deux vêtues de noir, et qui avançaient à pas de loup. La plus petite
récupéra quelque chose de lourd par terre. Un tube enmétal creux, semblable aux lance-flammesutilisésparlesCuirasses.
—Mercuryestpas là,si?demandalepluspetitenhissant le lance-flammessursonépaule.Etquandilsauracommentons’enestsortis,ilnousnoierasouslabièreetlesputes.
— Seulement si l’Échelon ne vous étripe pas avant, déclara Blade d’un ton affable en sematérialisantdenullepart.
Merde.Will bondit en avant tandis que les deux hommes se tournaient vers son maître. Malgré leur
querelle,ilsréagirentavecuneefficacitémilitaire.Lepluspetitbranditlelance-flammestandisquel’autredégainaitsoncouteau.Letubecrachota,puisuneflammeorangeviftransperçalebrouillard,illuminantletoitettousceuxquis’ytrouvaient.
Bladesebaissaetbalayalespiedsduporteurdecouteau.Willsaisitlecanondulance-flammesetdonna un coup de coude dans le visage de l’agresseur. Il y eut un craquement, puis son cerveauenregistralachaleurducanon.Illerelâchaetl’armeallaroulerauborddutoit,avantd’êtreretenueparlagouttière.
—Vousêtesquetouslesdeux,lesgars?raillaBladesansmêmeprendrelapeinededégainersesrasoirs.
Ilsepenchaenarrièrepouréviterlecoupdecouteau,effectuantungestequidéfiaitlesloisdelagravité,avantdeseredresserd’uncoup.
L’hommeenfacedeluiseraidit.—Saletédesuceursdesang!s’écria-t-il.Puisilplongealamaindanssapochepourappuyersurquelquechose,etlesupplicesedéchaîna
souslecrânedeWill.
C’étaitcommeunpicàglaceenfoncédanssoncerveau,quiledéconnectaitdesonproprecorpsetdurestedumonde.Ils’effondrasurlestuilesetcherchadésespérémentuneprise.Ilcommençaàglisser.
Il reçutuncoupviolentsous lementonetsa têtepartitenarrièreavecuneforceahurissante. Ildistingua des paroles déformées par le hurlement dans sa tête,mais il ne pouvait en saisir aucunedistinctement.Puisilperçutunmouvementdanssavisionpériphérique.Unautrecoupàlapommette.Unflotdesangchaudethumidegiclasursonvisage.
Will plaqua sesmains sur ses oreilles et se laissa retomber en arrière sur les tuiles. Ce son !Commedesrasoirsdanssatête.
Dans…sapoche.Çavenaitdelapochedel’homme.Unesorted’appareil.Il serra les dents et vit le plus petit des assaillants lever le lance-flammes. Pas le temps de
réfléchir.Ildonnauncoupdepiedendirectiondugenoudel’homme.Il sentit un poids s’effondrer sur lui et ils grognèrent enmême temps. Le crissement strident
résonnaitenrythmeaveclesbattementsdesoncœur.Willsehissasursespieds,chancelant,etsemitenquêtedeBlade.
Là. Sur le toit. L’autre homme était penché sur lui et Will comprit qu’il avait profondémentenfoncésalamedanslapoitrinedeBlade.Pouressayerdeluitranspercerlecœur.
—Non!rugit-il.Ilvit rouge.La ragemontaen lui, l’engloutit toutentierenbrûla toutdanssonsillage. Il saisit
l’hommeparlecoletleprojetaàplusieursmètres.Bladehoqueta,désorienté,etposalamainsurlemancheducouteau,maissesréflexesétaientralentis.
Leson.Willplaqua l’hommeà terreet fouilladanssapoche. Il ensortitunpetit appareilvibrantqu’il
broyadanssamain.Lesilenceretomba.Willtitubaetjetalesfragmentssurlecôté.Lesoreillestoujourslancinantes,ilpouvaitaumoins
réfléchirpluscalmement.Respirer.Bouger.L’odeurcuivréedusangmontaàsesnarines.—Blade,gronda-t-ilens’agenouillantàcôtédesonmaître.Bladelevalatête,avantdes’effondrerdenouveau.—Retire…cefichutruc…c’estdel’argent.Ilposalesdoigtssurlemancheettressaillit.—Bougepas,ditWill.Lasueurperlait sur son front.L’armeétaitenfoncée jusqu’à lagarde. Iln’avaitaucune idéede
l’étenduedesdégâts,nidecequirisquaitd’arrivers’illaretirait.Derrière lui, les deux hommes s’entraidaient pour se remettre sur pied.Will leur jeta un coup
d’œil,maismaintenantque l’avantage leur était revenu, àBlade et lui, ils essayaient deprendre lafuite.
—Éventréparunhumain…ditBladeavecunrireincrédule.J’aitoujourspensé…queceseraitl’Échelon.Unjouroul’autre.
—Arrêtedepleurnicher.Will arracha sa chemise et un frisson glacé remonta le long de son échine. Les sangs bleus
avaientlaréputationd’êtrecoriacesàabattre.C’était l’unedesraisonspourlesquelleslesFrançais,pendant laRévolution, avaient guillotiné leursnobles.Le seul autremoyend’yparvenir, c’était deleur transpercer le cœuroude leur causerdesdégâts suffisammentgraves. Il déglutit et plaqua sachemisesurlaplaiepourendiguerleflotdesang.
—C’estrienqu’uneégratignure.Onvateremettresurpiedenunclind’œil.Blade croisa son regard. Ses doigts se refermèrent autour du poignet deWill avec une force
étonnante.—Jure-moideveillersurelle,grogna-t-il.Si…sijene…Willbaissalesyeux.—Ouais.Tu le saisbien. (Il devait savie àBlade,malgré cequ’il pensait personnellementde
Honoria.)Bougepas.Tuasbesoindesang.LesténèbresengloutirentlesprunellespâlesdeBlade.Satêteroulasurlecôté.—Jemesens…engourdi…murmura-t-il.LapaniquemontadanslagorgedeWill.—T’avisepasdefaireça!(Ilsortitsongroscouteaudechasseetpritlatêtedesonamientreses
mains.)Tiens.Boismonsang.Çavat’aider.Ilsehâtad’entailleruneveineàsonpoignet.PuisilredressalatêtedeBladeetlamaintintcontre
lacoupure.Ileutunmouvementd’hésitationquineluiétaitjamaisarrivéauparavant.Ilsavaitàquoipensait
Blade. Il avait cessédeboire directement sur tous ses esclavesde sangquandHonoria était entréedanssavie.Ilbuvaitdésormaissonsangsousformeréfrigérée,oudirectementsurelle.
—Soispasstupide.Elledirarien,grognaWill.Denouveau, les ténèbresconsumèrent les irisdeBlade.LecœurdeWillmanquaunbattement.
Pasdepeur, non, cen’était pas ça.L’anticipationenflammait sesveines. Il n’était plus l’esclavedeBladedepuisbienlongtemps.Iln’avaitpasréalisécombiençaluiavaitmanqué.
QuandlabouchedeBladeseposasursonpoignetetquesalanguepassasurlaplaie,Willtombaen avant sur sesmains. Un gémissement s’échappa de ses lèvres. Des sentiments qu’il n’avait paséprouvésdepuisdes annéesaffluèrent en lui.Audébut,quandBlade l’avaitpris commeesclave, ilavaitétéenproieàlaconfusionlaplustotale,maiscen’étaitriendeplusquelaréactiondesoncorpsauxagentschimiquescontenusdanslasalivedesonmaître.
Maiscetinstantdeproximité…Ilserralesdentsettentadenierl’attraction.C’étaitdeuxfoisplusduraprèstroisansd’abstinence.Ettoutaussidéroutant.Iln’avaitjamaisrienressentidetelaveclesfemmes.Oudumoins,jusqu’àcequ’ilrencontreLena.Nepensepasàelle.Willsemorditlalèvreens’efforçantd’ignorerlavaguedeplaisirqueluiprovoquacettepensée.
Sescheveuxfoncés,sesyeuxsombres,sonsourireenjôleurquilerendaitfou…Sonentrejambesedurcitetillâchaungrognement.Ilpenchalatêtequandlasensations’intensifiasursonpoignet.
Toutfutfinibientroprapidement.Willselaissaretomberenarrièreetplaquasonpoignetcontresontorse.L’empreintedeslèvresdeBladepalpitaitencoresursapeau.Lesbordsdentelésdesaplaiesemirentà s’échauffer ; le loupeguérissaitpromptementsablessure.Elleauraitdisparuenmoinsd’uneheure,pournelaisserqu’unepetitelignerosesursapeaubasanée.
Blade releva les genoux. Des flammes noires brillaient dans ses yeux. Il saisit la poignée ducouteauetserralesdents.Ilretiral’armedesapoitrineenpoussantunrâle,puiss’effondracontreletoit,haletant.
Laplaiesaignaittoujours,maismoinsabondamment.AveclesangdeWilldanslecorps,ilavaitdebonneschancesdes’en tirer.Lesangde loup-garouétait trois foispluspuissantqueceluid’unhumain.
—Honoria…vametuer,haletaBlade.Siseulementilsurvit.Willobservasonteintcireuxetdétournarapidementlesyeux.Lesblessures
au cœur étaient toujours dangereuses. Il devait le ramener au repaire, où Honoria, avec sonexpériencemédicale,seraitenmesuredel’aider.
Il fabriqua un bandage de fortune, maintint son manteau bien en place pour contenir lessaignementsetnoualesextrémitésdesachemise.
—Voilà.Çatiendrajusqu’àcequ’onsoitrentrés.Ilglissasonbrassousl’épauledeBladeetl’aidaàseredresser.Bladeplaquasonpoingsursapoitrine.CespectacleglaçadenouveaulesangdeWill,avantdele
mettreencolère.Troisansplustôt,Bladeauraitridelasituation.Iln’étaitdésormaisplusàlalimitede la Disparition graduelle, ce moment où le virus finissait par triompher du sang bleu ettransformaitcedernierencréaturemaléfique…mais, l’espaced’uninstant,Willnefutpassûrquececivalaitbeaucoupmieux.
—Tupeuxmarcher?Bladesedressapéniblementsursespieds,leregardvoiléparladouleur.—Tiensbon,ditWillensepenchantpourhissersonamisursonépaule.Jevaisterameneràla
maison.ÀHonoria.Ellesauraquoifaire.Tiensbon.
Honoria remonta les couverturesunpeuplushautpuisbaissa l’intensitéde la lampeàgaz.Lalumières’atténua,projetantdemultiplesombresàtraverslachambre.Bladedormait.Willfaisaitlescent pas devant le feu dans la cheminée et la peau de son poignet picotait sous l’effet de lacicatrisation.
Honoria s’éloigna du lit et alla se laver les mains. Elle gardait un visage composé, mais dessillonss’étaientcreuséssoussesyeuxrougis.Quandellesetourna,lalumièreilluminasonprofilet,l’espace d’une seconde, Will cessa de respirer ; c’était un autre visage qu’il visualisait dans lesombres.PuisHonoriarelevalesyeuxethaussaunsourcil,etl’imagedisparut.Elleavaitlesmêmesyeux foncés et lesmêmes cheveux acajou que sa sœur,maisLena possédait un plus joli visage etquelquescentimètresdemoinsquesonaînée.
Lefantômedesasilhouettelehantait.Honorialuiadressaunpetitsignedumenton,signifiantqu’ellevoulaitluiparler.Dehors.IljetaundernierregardàBladeetsedirigeaverslaporte.Ilavaitdûluiemprunterunechemise,
maisill’avaitlaisséeouvertecarilneparvenaitpasàlaboutonner.Lesmanchestiraientsursesbras.C’étaitgrotesque.Maisiln’allaitpasfrapperchezRip,l’autrelieutenantdeBlade,pourluiemprunterunechemisequiavaitplusdechancedeluialler.
Honoriarefermalebattantderrièreelle.—Jepensequeçaira.Ilnesaigneplusetjevaisluiapporterencoreunpeudesang.Mercideme
l’avoirramené.Willhochalatête.Iln’avaitjamaiseugrand-choseàluidire.Ilsavaientessayé,quandelleavait
épouséBlade,detrouverunterraind’entente.Maisilsavaitcequ’ellepensaitdelui;laveilledesondépartdurepaire,ilavaitsurprisdesbribesdeconversationplutôtexplicites.
Dangereux.Imprévisible.Unemenacepoursasœur.Parfois,ilsedemandaitsiellen’avaitpascomplètementtort.
Ellebaissalesyeuxsursonpoignet.—Est-cequetuasbesoindesoins…?—Çacicatrisera.—Quelquechoseàmanger,danscecas?Ilyaduragoût…danslacuisine.Jevais…—J’aipasfaim.Ilhochalatêteenguisedesalut,puistournalestalons.Sanuquelepicotait.—Will.S’ilteplaît.Ils’arrêtaetjetaunregardpar-dessussonépaule.—Tusaisquetupeuxreveniràlamaison,maintenant.Çaluibriselecœurquetuvivestoutseul.
Etpuis…ellen’estplusicinonplus.Honorianecomprendraitjamais.Ilsecoualatête.—C’étaitpaselle,laraisondemondépart,gronda-t-il.Dumoins,paslaseule.Ildisparutdansl’obscuritéetsentitlesyeuxdelajeunefemmequinelequittaientpas.
Inutilederentrer.Willobserval’incendieauloin,toujourshorsdecontrôle.Quelquechoseausujetdecetteattaque
letracassait.Lemystérieuxappareil.Lelance-flammes.Lecouteauenargent.Ceshommess’étaientpréparésàaffronterunsangbleuetàlemettrehorsd’étatdenuire.
Ilinspiraprofondémentparlenez.Avecl’odeurdecendreétouffantequiobstruaitl’air,difficilededénicherunepistequelconque.Maispasimpossible.Ilpritladirectiondel’estparlestoits;sonmalaises’accentuait.Lestypesretournaientverslenord.VersWhitechapel.
Juste avant lemurqui entourait les colonies, ilsdescendirentdesbâtiments etdisparurentdansuneruelle.Willconnaissaitbienlequartier.C’étaituneimpasse.
Illessuivitetseretrouvafaceàunmurdebrique.Lesodeursdescoloniessedéversaientdanslesruesenvironnantes.Ilplissalenezetjetaunregardalentour.Ilyavaitunegrilleaumilieudespavés,maisilsn’étaientsûrementpasdescendusparlà…Ellemenaitauxégoutset,delà,danslelabyrinthedesSouterrains.Plusriennipersonnenevivaitpluslà-dessous,saufdesfantômes.Lesgensavaientessayéd’yretournerunefoisquelevampireayantabattuleshabitantsyavaitététué.Maisquelquechoselesenavaitdenouveauchassés.
Tout cet espace, les grottes et les habitations creusées dans les tunnels des vieux souterrainsétaientvides.Dumoins,c’estcequ’onendisait.
Willsoulevalagrilleetselaissatomberdanslesténèbres.Ilatterritd’unpiedléger.Sonodoratluiindiquaqu’iln’yavaitrienici.Aucuneautreodeurquecelledesdétritusetdesrats.
Sanslacendreetsansunsouffledevent,ilétaitplusfaciledesuivrelapiste.Leduon’avançaitpas vite, estimant probablement qu’ici-bas, il était à l’abri de l’Échelon et de ses Cuirasses.Willsecoualatête.C’étaientdeshommesmorts.L’ÉchelonnesecontentaitpasdesesCuirasses.Enmoinsd’une heure, les tunnels pouvaient être envahis d’Engoulevents, l’infâme guilde de traqueurs quiarrêtait lesvoleursdelaville.Ils’agissaitdesangsbleusrenégatsdont l’odoratétaitpresqueaussiaiguiséqueleurvue.
Ilallaitdevoirsedépêchers’ilvoulaitleurmettrelamaindessuslepremier.Ilpataugeadanslefondd’eaustagnante,lenezpresqueneutralisé.Ilavaitdéjàsentipiresodeurs
mais,àcetinstantprécis,ellesn’étaientplusqu’unlointainsouvenir.Voilàlamalédictiondeposséderdessensaffûtés.Ildécelaitlemoindreeffluve,dumuscnaturelchezunefemmeàlalégèretracede
poisondansunverre;ilpouvaitvoiràdeskilomètreset,s’iltendaitl’oreille,ilpouvaitentendredeschosesquelesgensauraientpréférégardersecrètes.
Commedespasfurtifsàquelquescentainesdemètresdelui.Willsuivitcettedirectionsansunbruit.Desmurmuresrésonnèrent,puisunelumièreapparut.Une
lueurvacillanteetétouffée.—Je l’aieu!s’exclamaleplusgros.Enpleindans lemille. Ilvamoinssedonnerdesgrands
airs,celui-là,hein?Willplissalesyeux.—Laferme,grognalaplusgrandedesdeuxsilhouettes.(Ilémanaitd’elleunrelentâcredepeur
etdetranspiration.)Tul’aspasreconnu,ouquoi?Unhaussementd’épaule.Lepluspetitpataugeaitnégligemmentdansl’eau.—C’esttouslesmêmespourmoi.Desvampiresauteintterreux.—C’étaitlui,réponditl’autrehomme.Lediableenpersonne!—LeDiable deWhitechapel ? (Un sourire enchanté étira les traits du petit.)Nomd’un chien,
Freddie!Aprèstoutescesannéesoùl’Échelonlui-mêmen’apasréussiàl’attraper!Ettoitul’aseu!T’escélèbremaintenant!
—Jesuissurtoutmort,voilàcequejesuis,répliquaFreddie.Sic’étaitlediable,alorst’imaginesquiétaitl’autre!
Will fitunnouveaupasenavantensortantsa lame.Ilsourit.Exactement,espèced’enfoiré.Lesennuiscommencentpourtoi.
—Qui?—LaBête,sifflaWill,savoixrésonnantdanslapénombre.Freddiepoussauncrietorientavivementsalanterne.Willlaprojetasurlecôtéetlaflammes’éteignitdansl’eau.L’obscuritétombacommelerideau
d’unthéâtre,maisilneperditpasuneseconde.Ilécrasasonpoingcontredescôtes.LesoscraquèrentetFreddies’effondraavecunhurlementétranglé.
Willsefigeaenécoutantlarespirationpaniquée.—Freddie?murmuraleplusgros.Iltâtonnadanslenoir,haletant,larespirationsifflante.Leloup-garous’avançalentement.— Oh, Seigneur. (Le gros homme tenta de s’enfuir.) Oh, Seigneur, non. J’ai rien à voir là-
dedans!C’étaitFreddie!Laissez-moitranquille!Willl’attrapaparsonmanteauetl’attiraàluid’uncoupsec.L’hommetombadansl’eauetcouina
commeunporcqu’onégorge.Willsaisitlepanduvêtementetl’enroulaautourdelagorgedutype,avantdelehisserd’unepoignedefer.
—Quies-tu?Pourquitutravailles?Legroshommedonnades coupsdepied en émettant des sons étranglés.Will lemaintint dans
cettepositionletempsqu’ilcessedesedébattre,puislelaissaretomberdansl’eau.Dumouvementderrièrelui.Ilbranditsonbrasetattrapalelourdtubeenmétalqu’agitaitFreddie,
accompagnantsongested’uncoupdepoing.L’odeurcuivréedusangemplitl’airetFreddieretombaencriant.
—Seigneur,répétaitlegroshommeensanglotant.Willlesaisitparlecoletleplaquaviolemmentcontrelaparoivisqueuse.Illuifouillalespoches.
Iltrouvauncrand’arrêtquecetidiotn’avaitmêmepaseulecouragededégainer,unboutdepapier
ciré et un curieux objet en forme de doigt, un de ces appareils qui émettent des sons stridents. Ilempochaletout.
—Estime-toiheureuxqu’ilsoitpasmort.Cettepenséeravivalatempêtedefeudanssatêteetilfitclaquerlegroshommecontrelemur.Et
encore.—Pitié,pitié,nemetuezpas!Attention,l’avertitunepetitevoix.Neperdspaslecontrôle.Willpoussaungrognementetlesonrésonnadanssagorge,inhumain.Ilsleprenaientdéjàpour
unebête.Pourquoinepaslesdéchiqueterenpetitsmorceaux?IlsavaientenfoncéunelamedanslapoitrinedeBlade.Personnenetouchaitàsafamilleadoptivesansenpayerlesconséquences.
Descrisretentirentdanslestunnels.Willrelevalatêteetserralepoing.LesEngoulevents.Bonsang,ilsétaientdéjàsurlapiste.
Ils’approchaencoreetreniflal’aircontrel’oreilledel’homme.— J’ai ton odeurmaintenant, chuchota-t-il.Approche-toi encore une fois deWhitechapel et je
viendrait’attraper.Jetedéchiquetteraimorceauparmorceau…etjeboiraitonsang.C’estpascequetuveux,si?
Uneodeurd’urineserépanditet l’hommeacquiesçadansunsanglot.Will le laissaretomberettournalestalons.
LesEngoulevents allaient sentir sa trace,mais ils ne l’attraperaient pas.C’était le territoire deWill,ici,etilsn’oseraientpasfranchirlemurquientouraitWhitechapelpourletraquer.Ilétaittempsde ficher le camp. Il jetaundernier regard avide àFreddie et à son acolyte, puis s’enfuit dans lesténèbres.
Ilsn’oublieraientpassamenace.C’étaittoutcequiimportait.
Willjetalachemisehumidesurlecôtéetcommençaàdéboutonnersabraguette.Sesvêtementsempestaientlessouterrains,maisilsesentaitbienmieux.Latensiondesesépauless’étaitapaiséeaufuretàmesuredescoupsqu’ilavaitportés.
Il avait eu envie de répandre le sang.De tuer.Mais parfois, il valaitmieux leur laisser la viesauve.Commetémoins.Ceshommespropageraientleurrécitàvoixbassedanslescabaretsducoin,et recommanderaient aux autres de ne pas attiser le courroux de la Bête deWhitechapel. Tout çafaisait partie d’une légende qu’il cultivait soigneusement. Une leçon qu’il avait apprise auprès deBlade.
Lapeurquel’onsusciteestsouventlameilleuredesdéfenses.Il retira le reste de ses vêtements et se dirigea vers le lavabo dans l’air frais. Il ne remarquait
généralementpaslefroid,maisilétaitrestédansl’humiditépendantdesheuresetilavaitl’estomacvide.Aprèss’êtrelavévigoureusement,ilenroulauneservietteautourdesatailleetsedirigeaverslacuisine.Illuirestaitdupainetdufromage,ainsiqu’unecruched’eaupotable.
Ils’assitsurlatable,morditdanssonrepasetobservasachemise.Quelquechoseensortait.Unboutdepapier.Lanotequ’ilavaitrécupéréesurlegroshomme.
Iltraversalapièceets’agenouillaenmâchantlentement.Lepapierétaitrecouvertdecire.Celuiquil’avaitécritavaitvouluqu’ellerestebiensèche,cequisignifiaitqu’ilavaitsuqu’àunmomentouun autre, le destinataire serait mouillé.Will fronça les sourcils. Où exactement se dirigeaient cesdeux-là,quandillesavaitrattrapés?Àcetteépoquedel’année,l’eauarrivaitàpeineauxgenoux.
Cependant, la rumeurcirculaitqu’encontrebas,danscertainespartiesdesSouterrains,elleétaitplusprofonde.
Will déplia le papier et l’orienta vers la lumière. Des lignes de symboles sillonnaient leparchemin,deslettres,desnombresetdecurieuxtraitsobliques.Unfouillisindéchiffrable.
Surquoiétait-ildonctombé?Willpritunenouvellebouchéedesonpainetdesonfromageets’approchade la lampe.Maiscomme il s’yétait attendu, la lumièrenedonnapasplusde sensauxsymboles.
Willretournalepapier,maisiln’yavaitrienauverso.Aucuneautreodeurquecelledelacire.Ilfronçalessourcils.L’incendieauxusinesdedrainage,lesmessagescodés,lesétrangesappareilsquiavaientmanifestementétécrééspourneutraliserdessangsbleus…Quelqu’uncherchaitàdéclencheruneguerre.
2
—Quelleprodigieuse…atrocité.Lenadétournalesyeuxdelascènerecouverted’unrideau,interpelléeparlamalicecontenuedans
letondesonamie.—Qu’est-cequetuveuxdire,Adele?AdeleHamilton,ancienjoyaudelasociété,sepenchaplusprès,unsourireauxlèvres.— Ce sont des marionnettes. Je suis surprise que Mlle Bishop n’ait pas convié toute une
ménageriepournousdivertircesoir.Ouunetroupedecirque.—Tuesseulementjalouseparcequ’elleasignéuncontratd’esclavageavecLordMacyalorsque
tupensaisqu’ilallaittefairesaproposition.Lenatournalatêteverslebalcon,oùMlleBishopsirotaitduchampagneetirradiaitdebonheur.
Aveccecontrat,elleétaitmaintenant tranquillepour lavie.C’était laplushauteambitionpourunedébutante :obteniruneprotection,êtrenoyéesous lesdiamants, lesperleset les luxueuxcarrossesdorés.
Iln’yavaitqu’unpetitprixàpayer.Celuidusang.Lenafrissonnaetbaissalesyeuxsursonverreàmoitiévide.—Commesij’allaismecontenterdequelqu’uncommeMacy,raillaAdeleavantdevidersaflûte.Sesjolisyeuxenamandenecessaientpourtantd’observerlebalconàlamanièred’unfaucon.Macyposa lamain sur celle,gantée,deMlleBishop, et lui caressa lesdoigts.Mêmedepuis le
jardin, Lena vit sa respiration s’accélérer et les yeux de Macy s’assombrir de désir. Il paraissaittellementplusâgéqueMlleBishop!Tellementpluspuissant…Lenafutprised’unenausée.
Arrête,s’ordonna-t-ellevivement.Nepensepasàça.C’étaitlechoixdeMlleBishop.Onnel’yavaitpasforcée.
Sauflescirconstances.—Jen’arrivepasàcroirequ’ilssecomportentainsienpublic,repritAdele.Ilpourraitaussibien
lajeterparterreetlaprendredevanttoutlemonde.Prisedanssonpropremalaise,Lenas’exprimad’unevoixplustranchantequ’ellel’auraitvoulu.—Rentretesgriffes,turisqueraisdeteblesser.Adele lui jeta un sourire dévastateur, un sourire qui avait ébranlé la moitié des cœurs de
l’Échelon.Avantdelesbriser.—Miaou,ronronna-t-elle.Malgrésagêne,Lenaneputcontenirunemoueespiègle.Adeleétaitlegenred’amieàquil’onne
pouvait pas faire confiancemais, depuis sa débâcle, l’année précédente, quand on l’avait surprise
danslesjardinsencompagniedeLordFenwick–quiavaitplustardrefusédelacontracter–,Adeleétaitégalementuneproscrite,àsamanière.Elles’étaitdenouveaufrayéunchemindanslasociétéàcoupsdeserres,grâceàuncœurdepierreetunsourireinébranlable,maissontemps,commeceluideLena,était compté.Et, contrairementàLena,quiétaitdans sa situationpourune raisonprécise,Adelen’avaitpasd’autrechoixdanslavie.
Une foule s’amassait devant le rideau baissé. Les drones de service passaient entre les invités,munisdeplateauxd’argentproposantunassortimentdeboissons.Lenasaisitdeuxnouvellescoupesdechampagneenprenantsoind’éviterl’éventàvapeurdudrone.Ilss’avéraienttrèspratiques,maisplusd’unejeunefemmeétaitrepartieavecunerobetachée,etLenaportaitdelasoiecouleurvioletteécrasée.
Ellerestaàl’affûttoutentraversantlafoule,écoutantnonchalammentdesbribesdeconversationavantdeneplusyprêterattention.Lapositiondedébutanteétaitledéguisementidéal.D’unecertainemanière, elle était presque invisible. Certaines personnes évoquaient certaines choses devant ellequ’ellesauraienttuesdevantquelqu’und’autre.
C’étaitlemoyenrêvédelaissertraînersesoreilles.Ellen’avaitpresquerienàfaire.—Desmarionnettes.Adelesecoualatête.Pourtant,ellerejoignaitelleaussil’avantdelasalle,biendécidéeànepasen
perdreunemiette.La nuit était douce, les étoiles scintillaient au-dessus d’elles. Lena leva la tête et ses yeux
s’adaptèrentàlalumière.C’étaitcommeunmillierdediamants,ainsiquesamèreavaitl’habitudedeledirequandelleétaitpetite.«Rienquepourmoi»,auraitajoutéLena,puissamèreauraitri,l’auraitembrasséeetluiauraitsouhaitéunebonnenuit.
Désormais,lesétoilessemblaientavoirperduquelquepeudeleuréclat,etlesdiamantsaussi.Lemondequil’entouraitétaittropéclatant,tropétincelant,emplidesoie,d’oretderiresmalveillants.Ilfut un temps où l’Échelon avait représenté tout ce qu’elle désirait, et maintenant qu’elle s’enapprochait,ellenepouvaits’empêcherdesedemanders’iln’yavaitpasautrechose,quelquechosedeplusvalorisant,quil’attendaitàl’extérieur.
Maisjamaisellenel’admettrait.Quandilétaitdevenuévidentqu’ellen’avaitplusrienàfaireàWhitechapel,elleavaitsuppliésa
sœur,Honoria, de la laisser saisir cetteoccasion.Elle l’avait imploréependantdes semainesde lalaisserretourneràsonanciennevie,etdetenterdedécrocheruncontratd’esclavage.
Curieusement,ellesavaient trouvéunallié inattenduen lapersonnedeLeoBarrons,sondemi-frère.En tantqu’héritierduducdeCaine,Leonepourrait en aucuncas révéler lavérité sur leursliens–etsursapropreillégitimité–maisilavaitproposédelaprendrecommepupille.Lenas’étaitempresséed’accepteretdelui témoignersareconnaissance.Quandsonpèreétaitencoreenvie, ilsavaientcôtoyélemondedel’Échelon,maisaujourd’hui,avecungardienaussipuissantqueLeo,elleétaittotalementadoptée.
Pourtant,ellenes’étaitjamaissentieaussiseule.Unmalaisefitsehérisserlespoilssursanuque.Lasensationaiguëd’êtreobservée.Ellejetaun
regard alentour, mais ne vit personne. Quelque chose siffla et elle tressaillit. On aurait dit unebouilloire.Lafouleseresserraetlesconversationss’interrompirent.Surscène,lesond’unorguedeBarbariesemitàrésonner.
Ilréveillaunsouvenirdanssatête;lesbruitsfracassantsetlesriresdeWhitechapel,lamassedescorpssalesetlelangagegrivoisqu’elleavaitfaitminedenepasrelever.Lamusiquedanslesrues,dans les tavernes.Uneambiancequ’ilvalaitmieuxoublier.ElleavaitquittéWhitechapelunanplus
tôt,uneannéequiluifaisaitl’effetd’uneéternité.Pendantcelapsdetemps,elleavaitperdutoutesalégèreté juvénile et réalisé la nature précise du monde dans lequel elle vivait, une nature contrelaquelleellenepouvaitrien.
Mais elle s’engagerait sur ce qu’elle serait en mesure de changer. Un mouvement destiné àrestaurerl’égalitédesstatutsentresangsbleusethumainsétaitentraindesepréparerdansl’ombre:plusdetaxesdesang,plusdeloimartiale,plusd’esclavesinvolontaires.EtLenaétaitdanslapositionidéalepourlesaider.Elleavaitaccèsàunefouledesecretsdel’Échelon…àconditiondegarderlesoreillesgrandesouvertes.
—OndiraitbienqueMlleBishopestaccro,finalement,murmuraAdele.—Chut,ditLenaensehissantsurlapointedespiedspourmieuxvoir.Elle parcourut la foule des yeux et ne se détendit que lorsqu’elle constata que personne ne
l’observait.Cesontseulementtesnerfs…Elleétaitensécuritéici,parmilafoule,avecAdeleàsescôtés.Les rideaux s’écartèrent dans un mouvement mélodramatique. Les lumières baissèrent et les
flammesétoufféesjetèrentunelueurbleuesurnaturellesurlepublic.Delafumées’échappasurlescôtés,masquantunesilhouettequisetenaitaucentredelascène.Sesbrasselevèrentenl’airetlesficellesapparurentdanslalueurdeslampesàgaz.
—Desmarionnettes,raillaAdele.Le Bal de Contrat deMlle Bishop était sur toutes les lèvres depuis un mois, et on l’attendait
comme l’événement majeur de la saison. On parlait de délices et autres curiosités inédites, maisjusqu’ici,lasoirées’étaitrévéléedécevante.Lenareposalespiedsàplatetlepublicpoussaunhoquetdesurprise.
—Ohmince,ditAdele.Regarde,lesficellessonttombées!Eneffet, lamarionnettes’agita faiblementetsesbrass’affaissèrentsur lecôté.Puis, lentement,
alorsqu’unemystérieusefuméetourbillonnaitautourdesespieds,ellecommençaàseredresser.—C’estunautomate,ditLena.Lacréaturedemétalsemitàbougeretlevalesbrascommesielleenlaçaitquelqu’un.Puiselle
entamaunevalsesurl’airjouéparl’orguedeBarbarie.Lenarestabouchebée.Elleavaitvudenombreuxnumérosdedronesdeserviceetdesdizainesde
Cuirassesblindésquiprotégeaient les rueset imposaient lavolontéde l’Échelon,maisellen’avaitjamais rien observé de tel. Mince, les articulations étaient lisses et les gestes de l’automateparticulièrementfluides,presquehumains!
Laperformancetouchaàsafinetl’orgueralentitdoucement.L’automatefitdemême.Quiquefûtsonmaître,c’étaitunhommedouéd’unimmensetalent.
Lena applaudit avec enthousiasme. Elle voulait voir ça de plus près. Elle-même possédaitcertainesaptitudesaveclesmécanismesenacier,maiscettemaîtriseatteignaitunniveauaveclequelellenepouvaitrivaliser.
Malheureusement, la foule elle aussi voulait voir ça de plus près. Lena fut séparée d’Adele etrepousséesurlecôté,telundébrisàladérivedansuncourantdéchaîné.
Elleécartauneplumedesonchampdevisionetsemitenquêtedesonamie.C’estalorsqu’ellelevit.Lesangquittasonvisage.AlaricColchester,leducdeLannister,l’observaitdel’autrecôtédela
masse,unsourireprédateursurseslèvresfines.Ilsirotaituneflûtedevindesang.Soncœurmanquaunbattement.Lecontrasteentresaboucherougeetsapeaupâleetpoudrée lui rappelauneépoquelointaine.Maiscettefois-là,lesangn’avaitpasétécoupéavecduvin.
Il n’était pas censé être là. Elle s’en assurait chaque fois avant d’accepter une quelconqueinvitation.
Avec la réunionorganisée à laTourd’IvoireduConseil desDucsquigouvernait laville, elleavaitétécertained’êtreensécurité.
Laréunionavaitdûprendrefinplustôtqueprévu.Lenadétournalesyeux,sonpoulsbattantsourdementdanssesoreilles.Necourspas.S’ilyavait
bienunechosequ’elleavaitappriseau fildesannées,c’étaitque lapeurexcitait les sangsbleusetattisaitchezeuxuneaviditéincontrôlable.
Elleperçutunmouvementdanslafoule:sescheveuxblonds,pâlesetbrillants.Illasuivait.Lenasehissasurlapointedespieds.OùétaitdoncpasséeAdele?Parfois,ilfallaitcomptersurlasécuritédunombre.
SiColchesterétaitd’humeuràjouerselonlesrègles.C’étaitunduc,aprèstout,àlatêtedel’unedesseptgrandesMaisonsquidirigeaientlaville.S’il
avaitenviedelaprendreicietmaintenant,personnen’oseraitdirequoiquecesoit.Songardien,Leo,le seul homme qui possédait la force de contrer Colchester, avait assisté à la réunion à la Tourd’Ivoire,pourreprésentersonpère,leducdeCaine.
Lenasefonditdanslamasse,unsourireplaquésurlevisage.Lapeaudesanuquelapicotait.EllelevasonverrepourtenterdesaisirlerefletdeColchester,maislafouleétaittropcompacte.
Bonsang.Ellejetaunregardpar-dessussonépaule.Une assemblée dense se pressait en riant autour de lamarionnettemécanisée. Aucun signe de
Colchester.Lamusique et les rires assaillirent ses oreilles. Elle tourna la tête dans tous les sens parmi la
multitudedecouleursvives,lespoingsserrés.Necourspas,Seigneur,necourspas.Maisoùdiableétait-ilpassé?
Uneénormeplumed’autrucheroseflottadevantsesyeux.Adele.Lenacherchaàserapprocherd’elle.Ellesefaufilad’unpaschancelantentredeuxfemmesquicancanaientderrièreleurséventails,et se heurta à une poitrine ferme. Des mains gantées la saisirent par les épaules, comme pourl’empêcherdetomber.
— Désolée, murmura-t-elle, avant de se figer en voyant le manteau de velours noir, munid’épaulettesdoréesetd’unpomponsurl’épauledroite.
—Tuesbienpâle,machère,déclaraColchesteravecuneexpressioncarnassière.(Ilresserrasonemprisequandelletentainstinctivementdereculer.)Commesituavaisbesoindeprendrel’air.
Illapoussasurlecôté,endirectiondujardin.Lenaenfonçasespiedsdanslesolensecouantlatête, un sourire désespéré aux lèvres. Elle ne devait pas laisser paraître son angoisse.Ça ne feraitqu’engendrerdesrumeursqu’ellenepouvaitpermettre.Laréputationd’unedame,voilàtoutcequilamettait à l’abri des revendicationsd’un sangbleuquivoudrait faired’elle saputede sangpour lasoirée.
Elleparvintàforcerunrire.C’étaitsaseuledéfensepossible.—AucontraireN1029D*1,VotreGrâce.(Elledésignalesjardinsautourd’euxd’ungesteprompt.)
Ilsemblequejen’aijustementquedel’air,ici.LesyeuxdeColchesterbrillèrentd’unesombrejouissance.Lespoilssedressèrentsurlanuque
de Lena, mais elle parvint à hausser nonchalamment une épaule. Colchester risquait de sentir lamontéeâcredesapeursursapeau.«Unesaucedélicatepourassaisonnerleplat»,luiavait-ilditunjour…
—Mercidem’avoirrattrapée,VotreGrâce.Maisjecrainsdedevoirrejoindremonamie,Adele.Ellenesesentaitpastrèsbien.J’étaiscenséeallerluichercherunpeud’eau.
—Queldommage,dit-ilenluiprenantlesmains.(Illuicaressalesdoigtsàtraverssesgantsdesoie.)J’espéraisquetum’accorderaisunedanse.L’assah,situveuxbien.
Il s’agissaitd’unedansedestinéeàaguicher,àexposer lesatoutsd’uneesclavepotentielleàunsang bleu. L’érotisme qui s’en dégageait était une chose à laquelle elle refuserait de se livrer enpublic.Maisquantàyassister,enrevanche…oh,c’étaittotalementdifférent.
—Jecrainsde…—Cen’étaitpasunequestion.Lenatentaderetirersamain,maisil luisaisit lepoignetetuneombrepassadanssesprunelles
pâles.—Nemetentepas,machère.J’essaiedememontrercourtois,maisj’aibienpeurquetabeauté
mefasse…perdrelatête.Ilsourit,puispassaledosdesamainsurlajouedeLena.Unrireéclatadanslafoule,cequilafitsursauter.Ilsétaiententourés,maispersonnenelèverait
lepetitdoigtpourluivenirenaide.—As-turéfléchiàmaproposition?demanda-t-il.—Jecrainsd’avoirététerriblementoccupée…—Çafaitunmois.Cen’étaitpasencoreassezlong.Ellen’accepteraitjamaisdedevenirsonesclave.Lenadressale
mentonetleregardadroitdanslesyeux.—Cefutunmoistrèschargé,VotreGrâce.—Colchester.Jet’aiditdem’appelerColchester.Aprèstout,ajouta-t-ilavecunricanement,nous
nousconnaissonsassezbien,n’est-cepas?Elleavaitenviedebrisersaflûtedechampagneendeuxetdeluienenfoncerlepieddansl’œil.
LaseuleidéedelabouchedeColchestersursoncorpsluidonnalanausée.Plusjamais.—Vais-jedevoirattendreunmoisdepluspourtaréponse?—Laissez-moipartir,VotreGrâce.C’estinconvenant.—Répondsàlaquestion.—Lena!s’exclamaAdele,sortiedenullepart.Tevoilà!Précédéed’uneffluvedeparfum,Adeleapparut,etlesplumesdanssescheveuxchatouillèrentle
mentondeColchester.Ilrecula,lestraitscrispésparlacolère.Adeleplaquaunemainsursaboucheetgloussa,manifestementsousl’empriseduchampagne.
—Oh,VotreGrâce!Jenevousavaispasvu.Toutesmesexcuses.Lafoulesecondensaautourd’eux.Iln’eutd’autrechoixquedelarelâcher.Lenaserrasamaincontreelle,commes’illuiavaitfaitmal.Adeleluipritl’autremain.Colchesterleuradressaunbrefsignedetête.—Laprochainefois,j’exigeraiuneréponseferme.Puisiltournalestalonsetdisparutdansl’assemblée.Tout à coup,Lenaeut le souffle coupé.Adelevit sonexpressionet l’entraîna à l’écart, vers le
jardin.—Tiens, dit son amie en s’emparant d’une coupe de champagne sur le plateau d’un drone de
service.Boisça.—Je…jenepeuxpas.
Laseulechosequilamaintenaitdebout,c’étaitlamaind’Adele.Unepetitefolieapparutdansl’ombre,àl’écartdurestedelaréception.AdelefitpivoterLena,la
forçaàs’appuyeràlarambardeetàsepencherenavant.EllearrachalesboutonsdeLenaetdénoualesficellesdesoncorset.
Lenainspiraunegrandeboufféed’air.Elletremblaitdetoutsoncorps.Ellenecomprenaitpascequivenaitd’arriver.Seulementque,soudain,ellen’avaitplusétécapablederespirer.Etelleypeinaitencore.
Deslarmeschaudescoulèrentsursesjouesetellelesessuyadesesdoigtsgantés.Sonamieluifrottaitledoseneffectuantdepetitscercles.
—Merci.Ellen’auraitjamaisimaginéqu’Adele,entretous,puissevoleràsonsecours.Cettedernièreimmobilisasamain.—J’auraisaiméquequelqu’unsoitlàaussi…pourmoi.Lenarelevalatêteetcroisasonregard,lesoufflecourt.—JepensaisquetuétaisalléeavecLordFenwickdetonpleingré.—C’estlarumeurqu’ilafaitcirculer.Toutlemondeestaucourant,évidemment.(Adelepinça
les lèvres.)C’est devenuundivertissementdans les jeunes cerclesmondains. Ils trouventque c’estdépassédeprendreunefemmecommeesclave.Pourquoil’entretenirpourtoutelaviequandonpeutprendred’ellecequ’onveutavantdelarejeter?
—Mais…c’estrévoltant!—C’estunpasenarrièrepourlesesclavesdesang.(Ellehaussauneépaule.)C’estpourçaqueje
courais aprèsLordMacy, parce que c’est un traditionaliste. Il estime qu’il doit la protection à sesesclaves.À ta place,Lena, je chercherais quelqu’unde plus âgé.Et n’accepte rien demoins qu’uncontratd’esclaveenbonneetdueforme.C’estlaseuleprotectionqu’onpeuttrouvertoietmoi,parlestempsquicourent.
—Pourquoipersonneneditrien?—Qui oserait ? (Adele laissa échapper un rire dénué d’humour. Son expression se durcit.) Et
pourquoiunmembredel’Échelonlèverait-illepetitdoigtpournousaider?Onestdelanourriture,Lena.Leseulintérêtqu’ilsontànousgarderenvieouànousprendrecommeesclaves,c’estparcequec’estplusfacilepoureux.Onestdubétail.
Lenasentitlacolèremonterenelle.—Ilsnesontpastouscommeça.Mongardien,Leo…—…saittrèsbiencequisepasse,toutcommenous.Eta-t-ilditquoiquecesoitàcesujet?Lenaouvrit labouche.Puisseravisa.Cequ’elledéchiffraitsur levisaged’Adelen’étaitque le
refletdecequ’elle-mêmeéprouvait.Ellesesentaitpriseaupiège,commeuneproie.Non, pas comme une proie. Elle prit une profonde inspiration en tremblant. Les proies ne
résistaient pas ; elles ne cherchaient pas demoyen de faire la différence, et c’était bel et bien cequ’ellefaisait.
—Suismonconseil,repritAdele.J’aivul’expressiondeColchester.Tuasbesoindeprotection.Tongardiennesuffitpas…Iln’estpasici,si?Àtaplace,jemetrouveraisunvieuxlorddécrépiavecsuffisammentdepouvoirpourtenirtêteàColchesteretledécouragerdeteprendrecommeesclave.
—Çanedevraitpasêtremaseuleoption…—Malheureusement, pour les filles comme toi et moi, il n’y en a pas d’autres. Plus vite tu
ouvriraslesyeuxsurlemondedanslequeltuvis,mieuxçavaudra.Sinon,tun’esqu’uneidiote…etlesidiotesnesurviventpaslongtemps,danslesparages.
—Qu’est-cequinevapas,cematin?Lenaouvritlesyeux,latêteposéecontrelavitredufiacre.Sacompagne,MmeWade,l’observait
par-dessus soncrochet. Iln’yavaitplusaucunsignede lamigrainequi l’avait retenuechezelle laveilleausoir,l’empêchantd’assisteraubaldeLordMacy.
Lenaseredressaensefrottantlesyeux.—Rien.Jen’aipastrèsbiendormicettenuit,c’esttout.—On devrait peut-être retourner àWaverly Place. (Son inquiétude se lisait dans son regard.)
Vouspourriezvousreposer.Lenaplissalespaupières.—Vosmotivationssontonnepeutplustransparentes.Ellesepenchaenavantetjetauncoupd’œildel’autrecôtédesrideauxenveloursdelacarrioleà
vapeur,toutenpianotantsurlapetiteboîtedanssamain.Ellen’avaitpasoséendétournerl’attention.MmeWade eut la bonne grâce de rougir. Elle avait son opinion propre quant aux activités de
loisirappropriéespourunedame.Etlacréationdejouetsàmécanismen’enfaisaitpaspartie.—Jem’inquièteseulementpourvotreréputation.Siquelqu’unnousvoitdanscetteboutique…—Quivoulez-vousquinousvoie?Etmêmesic’est lecas, jene faisqu’acheterunenouvelle
horloge.Lacarrioleàvapeurs’arrêtaengrinçantdevant leMarchéde l’HorlogeriedeMandeville.Elle
jeta un regard aux gueux qui jouaient à la balle mécanique dans les ruelles et aux vendeuses decharbonquiseglissaientà travers lafoule, leursseauxenéquilibresur lesépaules.Ellen’enavaitque trop vu pendant son séjour dans les colonies deWhitechapel, après la mort de son père. Enréalité, elle avait un jour été l’une d’entre elles, avant que M. Mandeville lui offre une placed’apprentie.
Elle fut submergéeparunevaguede compassion.Quelsque fussent lesdangersde savie à lacour, ils n’étaient rien comparés aux risques que prenaient ces filles en arpentant les rues sansprotection.Aumoins,danslasociété,onnelalaisserait jamaisseviderdesonsang,seule,danslecaniveau. Sa situation l’en prémunissait. Elle était une proie potentielle, mais une proie sousprotection.
Laportières’ouvritetunvaletdepiedapparut.—Mademoiselle.—Merci,Henry.Lenaacceptasamainetdescendit.M.Mandevillelavitapprocheretluiouvritlaporte.Avecles
extrémitésrecourbéesdesamoustachecirée,leslunettesgrossissantesperchéessursescheveuxgrisbalayésparleventetsongiletbigarréetrapiécé,ilneseraitjamaisreçudanslesgrandesmaisons.C’étaitpourtantl’undesmeilleurshorlogersqu’illuiaitétédonnéderencontrer.
Ettellementplusencore.Ilavaitégalementétésonsauveur.Ill’avaitsortiedelarue,àcetteépoqueoùc’étaitelle,lafille
au charbon rejetée et ensanglantée, et l’avait soignéedans saboutique. Il lui avait offert unboulotrespectable.Puis,plustard, il luiavaitredonnéespoir,quandelleavaitcommencéàréaliserquesavieàlacourneluiaccordaitpaslasécuritéqu’elleavaitcherchée.
Elle se rappelait très bien le jour où elle était revenue chercher sonmanteau et qu’elle l’avaitsurprisentraind’évoquerdessecretsquipouvaientcoûterlapendaisonàunhomme.Lechocavaitbien failli la terrasser.M.Mandeville, un humaniste ?Elle avait gardé le secret pendant des jours,tournantetretournantdanssatêtedesquestionsquicommençaientàlaronger.Puisl’excitationetla
curiositél’avaientemporté.Elleavaitfiniparavoiruneconfrontationavecluietparluidemanderderejoindrecettecause.
—Mademoiselle Todd, la salua M. Mandeville, bien qu’il l’appelait autrefois « Lena » et lamenaçaitdeluitapersurlesdoigtssielles’avisaitdefairetomberuneseuledesesœuvres.
—MonsieurMandeville, répondit-elle en lui présentant la boîte. Vous avez bonnemine. L’airestivalvoussiedàmerveille.
—C’estlui?Sesyeuxs’illuminèrentquandildésignalecoffret.Une sorte de pointe de fierté coupable pinça la poitrine de Lena. Il n’y avait que très peu de
domainesdanslesquelselleétaitdouée.—Oui,souffla-t-elle.Oh,ilfautquevousvoyiezça.Ilfonctionneexactementcommejel’avais
prévu.—Jepeux?Avec son assentiment, il la guida vers le comptoir. Les murs étaient envahis d’innombrables
horlogesetmécanismessuspendusauplâtre.Entantqu’apprentie,Lenas’étaithabituéeauspectacle.MmeWade,enrevanche,restaprèsdesfenêtresetobservalespendules,àl’abrisoussoncapot.
M.MandevilleposalaboîtesurlecomptoiretcoulaunregardàMmeWade.—LeVieuxDragonesttoujoursdansl’ignorance?—Ellepensequejesuisvenuevérifiersivousaviezdescommandespourmoi.Cetravailétaitsuffisammentstablepourlamainteniroccupée,bienqu’elledûtl’effectuersousle
nomdesonfrère.LesjouetsoriginauxCharlieToddpartaientàdesprixplutôtgénéreux.Ilsn’étaientpas toujoursdestinésauxenfants,mêmesic’étaitdanscescommandesqueLenaprenait leplusdeplaisir.
—Hmm.Mandevilleouvritlaboîteets’emparadumécanismed’unetrentainedecentimètresdehauteur.Il
ledéposaprécautionneusementsurlecomptoir.— Oh, doux Jésus. Lena, c’est votre plus belle œuvre. Elle est magnifique. Où trouvez-vous
l’inspiration?Jesupposequ’ellefonctionne?Lesplaquesenacier superposéesetpoliesattiraient l’œil.La sculpture représentaitunhomme,
unesilhouettecharpentée, façonnéedansuneplaquede tôleet foisonnantderessortsetdebobines.Elle tenait sur une plaque enmétal, et son dos était équipé d’une clé qui servait de remontoir. Lerougemonta aux joues deLena.La dernière chose qu’elle pouvait admettre, c’était bien d’où elletenaitsoninspiration.Ellen’avaitjamaisosé,jusque-là,seservirdecetteimagequ’elleavaitdessinéesurunefeuilledepapier.
—Ellefaitbienplusqueça.Là,laissez-moivousmontrer.Elleactionnalemécanisme.Lasilhouettesemitenbranleetsonvisagetailléà laserpes’agita
brusquement.Quelleressemblance,songea-t-elleavantdelâcherlaclé.Il ne se passa rien pendant une seconde. Le viril homme de fer tremblota et, lentement, les
rouages se mirent à tourner. Les plaques glissèrent les unes sur les autres, laissant brièvementapparaîtrelesengrenagesau-dessous.Puisunecréaturecommençaàseformer,toutaussisauvageetfarouchequel’hommedefer.
Mandevilleretintsonsouffle.Lenaleregardabaisserseslunettessursonnezpouryregarderdeplusprès.
—Bonté divine, Lena ! C’est incroyable. Regardez cette transformation ! C’est un homme et,l’instantd’après,c’estunloup.
Elleposasamainsurlasienne.—Attendez.Ils observèrent le loup redevenir homme et les mécanismes ralentir progressivement, jusqu’à
finir par s’arrêter. Stoppé en pleine transition, le visage de l’homme apparaissait par-dessus lesmâchoiresduloup.
—Alors?Qu’est-cequevousenpensez?Mandevillelibéraunsouffleetnettoyaseslunettes.—Vousavezvraimentundon,machère.C’estau-delàdetoutecomparaison.Bienau-delà!LecœurdeLenagonfladanssapoitrine,puisellelevitsecouerlatête.—Cependant,vousnepourrezjamaislevendre.Parquoiétiez-vouspossédéepourcréerpareil
objet?L’ÉchelonvavousjeterdanslescachotsdelaTourd’Ivoire!— L’année dernière, peut-être, répondit-elle en jetant un regard à MmeWade par-dessus son
épaule. (Elle baissa la voix.) Les temps changent, monsieur Mandeville. J’ai entendu dire quel’EmpireScandinaveallaitenvoyerunambassadeuràLondres.
M.Mandevillesefigea.—Oùavez-vousentenduça?—Ilyaunegrilledéplacée…dansleplafonddubureaudemongardien,avoua-t-elle.Jetravaille
souventdanslapiècedudessus.Ellerécoltaunsourireconspirateur.Commesisoningéniositél’avaitsurpris.—Hiermatin,LeorecevaitlesducsdeMallorynetdeGoethe.Cen’estpasencoredenotoriété
publique,maisleConseilestimpliqué.Mandeville s’approcha pour observer attentivement la créature mécanique. Mais toute son
attentionétaitconcentréesurLena.—Jenevois toujourspasenquoi importentceschangements.L’Échelonaexterminé lesclans
écossaisdeloups-garousàCulloden.Ce…cetteœuvrevaréveillerdedangereuxsentimentsenversunancienennemi.
Ilramassalasculptureetlarangeaavecprécautiondanssaboîte,d’oùellenesortiraitpeut-êtreplusjamais.
—LeducdeMallorynaditquel’Échelonenvisageaitdeconclureuntraitédepaixaveclesclansscandinaves,déclara-t-elle.
M.Mandevillesefigeadenouveau.Ilfronçalentementlessourcils.—C’est une situation sans précédent. Les loups-garous scandinaves sont en désaccord avec la
Grande-BretagnedepuisCulloden.Aucunechancequ’ilsacceptentdeconclurecetraité.— C’est tout ce que je sais. Ensuite, j’ai dû accompagner MmeWade faire les boutiques de
chapeaux.—Bontédivine,murmuraMandeville.Jevaisdevoirrelayercetteinformation.Immédiatement.Lenajetauncoupd’œilàMmeWade,quitapotaitsonsacàmainavecimpatience.— Vous pensez que je devrais demander à voir Mercury ? Pour lui confier ce que je sais ?
Directement?Pendantdesmois,Mercuryn’avaitexistéquedanssonimagination.Entantquechefmystérieux
du mouvement humaniste occulte qui œuvrait ici, à Londres, il n’était guère plus qu’une ombrefuyante.LarumeurdisaitqueleConseildesDucsproposaituneénormerécompensepoursacapture.
— Non. Non, je transmettrai l’information. Il ne faudrait absolument pas vous impliquerdavantage.Moinsilyauradepersonnesaucourantdel’identitédeMercury,mieuxcesera.
—Jenelerépéteraisjamaisàquiquecesoit.
—Oh,Lena,vousêtesencoreterriblementnaïve.(Illuiadressaunsouriretriste.)Lessangsbleusont de nombreux moyens d’extorquer des informations à une jeune femme. En particulier cesenfoirésvéreuxdelaTourd’Ivoire.(Il lui tapotalamain.)Jeferaipasserlemessage.Avecunpeud’espoir,nouspourronsfairebonusagedecetteinformation.Sicetteallianceentrel’Échelonetlesloups-garousvoitlejour,leshumanistesaurontpeudechancesdepouvoirvaincrel’Échelon.Ilseratroppuissant.
Ilfitglisseruneenveloppeverselle,sousuneliassedecommandes.—Àl’endroithabituel,sivousvoulezbien?Lenaposalamaindessus,faisantminedefeuilleterlescommandes.Elleélevalavoix.—Biensûr.Mercipourtout.Jesélectionnerailescommandesquej’estimelesplusconvenables.—Faites-moisavoirsivousentendezautrechose.(Ilfronçalessourcils.)Jesuisplusquecurieux
desavoirpourquoiilsparlentdepaix.—Entendu.Lenaramassalaboîtecontenantsonmécanismeettournalestalons.Elleplaquaunsouriresurses
lèvres, ne prêta aucune attention à la curiosité qui illumina le visage deMmeWade, et désigna lacarriole.Elleétaitsurlepointdepourrirencorelajournéedesonamie.
—Oh,nousavonsletempsderendrevisiteàmonfrèreetàmasœur,dit-elled’untonléger,bienqu’ellel’eûtsoigneusementplanifié.
MmeWadepâlit.—Paslescolonies,Lena.Siquelqu’unvoit…—Nousseronsdiscrètes.Etils’agitdemafamille,aprèstout,mêmesil’Échelonlesconsidère
commepersonaenongratae. (Elle sortit sous les rayons brûlants du soleil.) J’ai envie d’offrir cejouetàCharlie.M.Mandevillen’enapasvoulu.
Ellenepouvaitserésigneràlejeter.C’étaitl’objetleplusdélicatqu’elleeûtjamaiscréé,mêmes’ilarboraitunefrappanteressemblanceavecunebrutesauvagedesaconnaissance.
Mais elle n’allait pas le croiser à cette heure de la journée. Elle avait vécu au repairesuffisammentlongtempspourconnaîtreleshorairesdeWill.Àmidi,ildormait,généralement,aprèsavoireffectuésagardedenuitdanslescolonies.
Cequiluiallaitàlaperfection.Ellesefichaitdenejamaislerevoir.
SiHonoriafutsurprisedelevoirsitôt,ellen’enmontrarien.Willproféraunevaguesalutation
et la contourna. Les rayons du soleil filtraient à travers la fenêtre du grenier et des moutons depoussière tourbillonnaient dans la lumière. L’odeur des produits chimiques lui coupa le souffle,accompagnéeparcellesdusangetduthéàlacamomille.
—Bladeestencoreaulit,ditHonoriaencalantunemèchedecheveuxderrièresonoreille.Ilseremetbien,maispeut-êtrepasaussivitequejelevoudrais…
Niaussivitequ’auparavant.Willhochalatêted’ungesteabrupt.—Jel’aivu.—Biensûr.C’étaitlepremierendroitoùilétaitallé.Honoria retira ses lunettes grossissantes, puis son tablier. Le grenier avait été divisé en deux
pièces, une pour le laboratoire deHonoria, et l’autre pour la salle de boxe deBlade.Will n’étaitjamaisentréiciauparavant.Ils’agissaitdudomainedeHonoriaet,alorsqu’ils’attendaitàytrouverdesbancsetdeséquipementsstériles,ilfutsurprisparcequ’ildécouvrit:deuxfauteuilsconfortables
situésprèsdel’âtreettoutuntasdepaperasse.Lajeunefemmeluiavaittoujoursfaitl’effetd’êtreunepersonneextrêmementméthodiqueetorganisée.
—Jepeuxt’aider?Aucundoutequ’elleétaitpresqueaussisurprisedelevoirquelui.Willsortitleboutdepapierdesapoche.Lecontenun’avaitpourluiniqueuenitêtemais,avec
sonespritcurieux,Honoriaseraitcommeunpoissondansl’eaufaceàcetteénigme.—Est-cequetusauraisdéchiffrerça?Elles’enemparaetgrattalasubstancecireuseavecsonongle.—Hmm.Jepeuxessayer.Çarisquedemeprendreunmoment.C’estimportant?—Çasepourrait.Elleluijetaunregard.—Jel’aitrouvésurletypequiapoignardéBlade.Honoriablêmitetobservadenouveauleboutdepapier.—Alorsjevaisfairedemonmieux.Quandest-cequetul’astrouvé?—Cematin,murmura-t-il.Jelesaisuivisdansleségouts.—Ilssonttoujoursenvie?—Oui.Lasurpriseluifitécarquillerlesyeux;puisellelesplissaavecuneexpressionvengeresse.—Puis-jesavoirpourquoi?—LesEngouleventsétaientsurmestalons.Ilslesontmissouslesverrous,tupeuxenêtresûre.—Çaneteressemblepasdelaisserunennemienvie.Elles’éloignaettapotalepapiercontreseslèvres.C’étaitlemomentpourluidepartir.Elle lui jetaun regardpar-dessus sonépaule, lespaupièresbaissées sur sesyeux lumineux.Ce
gesteluifitpenseràLenaetildéglutitpéniblement.Ilétaitvraimenttempsdesortird’ici.Mais,alorsqu’iltournaitlestalons,ilentenditdespasdansl’escalier.—Jepeuxtedemanderunefaveur,Will?Lamainsuspendueau-dessusde lapoignée, ilgonfla lesnarines,assaillipar l’odeurdevinde
sangetdecuir.Blade.CequisignifiaitqueHonorial’avaitsoigneusementprisaupiège.Ilnepouvaitsemontrergrossierets’enfuir.
—Quoi?—Bladem’asuggérédeprendreunéchantillondetonsang.Biensûr.Elleavaitpassélestroisdernièresannéesàfairedestrousdanslecorpsdesonmari.
Bladeavaitdûpenserqu’ilétaitgrand tempsdedétournersonobsessionsurquelqu’und’autre.Unfrissonparcourutsonéchine.Desaiguilles.Desfichuesaiguilles.
Envoyantsonexpression,Honorias’empressad’ajouter:— Pour voir s’il y a une chance de trouver un remède. Ou un vaccin. (Après un soupir, elle
ajouta:)Mesrecherchespiétinent.CharlieneréagitpasausangvaccinécommeBlade.EtlesrésultatsdeBladesesontstabiliséspourlemoment.Sonhématocritestagneàquarante-huit,etcedepuissixmois.
Laporte s’ouvrit.Honoriadéporta instantanément sonattentionderrièreWill.Pourune fois, ilétaitheureuxdenepasêtrelacibledeceregarddeglace.
—Qu’est-cequiteprendtequittertonlit?Blade referma la porte d’un coup de talon. Blanc comme un linge et aussi raide qu’un
octogénaire,illuttaitpourreprendresonsouffle.
—Contentdetevoir,mabelle.— Je t’ai strictement ordonné de rester alité pendant les trois prochains jours. Ensuite, on
renégociera.—Cequisignifiequ’elledéciderasijepeuxmeleverounon,précisaBladeàl’intentiondeWill,
avecunclind’œil.Jenepouvaissupporterdepasserunesecondedeplussanstoi,mabelle.J’avaislecœurbrisé.
Honoriapointasondoigtverssonmari.—Assis.Toutdesuite!IltenditàWillsabouteilledevindesang,ets’installadansl’undesfauteuilsdevantl’âtre,sousle
regard faussement furieux de Honoria. Blade l’acceptait avec bienveillance, mais ses prunellesétincelaientdèsqu’elleluitournaitledos.
Will remua,mais la jeune femme perçut lemouvement et releva les yeux du tabouret qu’elleplaçaitsouslespiedsdesonmari.Ellehaussaunsourcildélicatetinterrogateur.
—Qu’est-cequ’ilya,mabelle?demandaBladeensurprenantsonregard.—J’aidemandéàWills’ilacceptaitdemelaisserexaminersonsang.—Pasbesoin,s’empressadedireBladepourlerassurer.Voilà ce que le loup-garou détestait le plus, désormais. Lamanière hésitante avec laquelle ils
s’exprimaient en sa présence, comme s’ils craignaient qu’il ne quitte la pièce et qu’il ne reviennejamais.
Will croisa les bras sur sa poitrine et jeta un regard noir à Blade. Comme s’il pouvaitl’abandonner un jour. Sans lui, il serait probablement encore emprisonné dans une cage, réduit àl’étatd’animal,voireencoremoinsqueça.
Une flamme s’allumaen lui.Si seulement il n’avait pas été là cette fichuenuit.Si seulement iln’avait pas entendu Honoria lui demander s’il représentait un danger, si l’on pouvait le laisserapprocherLena…
Etpuis,l’hésitation.Iln’avaitjamaisdoutédeluiauparavant.Jamaisdoutédesoncontrôlesurlui-même.Cesannées
passées en cage lui avaient appris à tenir en laisse la bête qui vivait dans son corps, à contenir sacolère.Ill’enfermaitsoigneusementderrièredesolidesbarreauxdefer–unrappeldelacagedanslaquelleilavaitpassétantdetemps.Personnenepouvaitentrerlà-dedans.
Jusqu’àl’arrivéedeLenadanssavie.Elleavaitfaillilerendrefou.Cen’étaitqu’unjeupourelle,unflirt,destaquineries.Unemanière
detestersaféminitébourgeonnantesurquelqu’unavecquiellepensaitpouvoirsecomporterentoutesécurité. Mais il n’était pas quelqu’un de sûr. Et il n’était pas du genre à se livrer à des jeuxquelconques.Aprèsdeuxannéespasséesàvivreainsi, lesbordsde lacageavaientcommencéà secorroder.SiBladeavaitperçul’agitationdelabêteenlui,siHonoriaaussi…alorsàquelpointavait-ilfrôlélapertedecontrôle?
Depuiscombiendetempslesurveillaient-ils?Depuiscombiendetempsneluifaisaient-ilsplusconfiance?
—Will?demandaHonoria.—Vas-y,dit-ild’untonsec,plusrudequ’ilnel’auraitvoulu.Maisdépêche-toi.J’aideschosesà
faireaujourd’hui.
*1.Lestermesenitaliquesuivisd’unastérisquesontenfrançaisdansletexte.(N.d.T.)
3
—Soisfort,Will,lançaBlade.Tuverras,c’estpresquerien.Tusentiraspasgrand-chose,c’estuntout petit dard, un peu comme le tien. Est-ce que t’as déjà entendu les filles de Petticoat Lane seplaindre,toi?
Willmarmonnaquelquesvagues insultes et riva lesyeux sur lemur face à lui d’unair férocequandHonoriaenfonçal’aiguille.L’argentlebrûlaimmédiatement.L’acierlaissaitlaplaiecicatriserenquelquessecondes,maisl’argentpermettaitdelamaintenirouverteassezlongtempspourqu’ellepuissepréleverunéchantillon.Desgouttesdesueurcoulèrentdanssesyeuxetilsentitsonvisageserefroidir.Labileremontadanssagorge.
—Etvoilà,c’estpresquefini,rassuraHonoriaenlui tapotant l’épaule.C’estunbeléchantillonbienrouge,Will.Jecommençaisàm’habituerausangbleudeBlade.
Ilperçutdesbruitsdepaslégersdanslecouloir.Iltournalatêtedanscettedirection,légèrementétourdi, un frisson parcourant sa colonne vertébrale. Un parfum sensuel et floral parvint à sesnarines. Le chèvrefeuille.Oh non. Pas elle. Pas maintenant… Quelque part au loin, il lui semblaentendreBladeluidemanders’ilsesentaitbien.Iljetaunregardversl’aiguilleetlafiolerempliedesonsang.
Grossièreerreur.Laseconded’après,ilétaitallongéparterre,surledos,etilrepoussaitl’horribleodeurdesels
quequelqu’unagitaitsoussonnez.Sesdoigtsfrôlèrentunepoitrineféminineetilouvritbrusquementlesyeux;Lenachancelaversl’arrièreetlesselsserépandirentdanstoutelapièce.
Celafaisaitdesmoisqu’ilnel’avaitpasvue.Desmoisquesonvisages’estompaitdanssonespritetmenaçaitdedisparaîtreentièrement.Etlavoilà,plusbelleetplusvibrantequejamais,sajuperougeétaléesurlesolcommeunemaredesang.Ledésiretl’aviditéquileconsumèrentaussitôtteintèrentses yeux d’une couleur dorée de loup. Sa vue s’aiguisa et il fut en mesure de saisir en détail lemoindrepetitcheveuquitombaitsursesépaules,lamouedeseslèvres,lalumièrequisereflétaitsurl’extrémitédesescils.
Elleestàmoi,grondalacréatureaufonddelui.L’espaced’uninstant,lemondevacillaautourdeluiet,quandilrepritlecontrôle,samainétaittendueverselle.
—Qu’est-cequetufaisici?demanda-t-ilsèchement,toujoursdésorienté.Dessueursfroidesimbibaientsoncol.Bladeluisaisitlamain.—Doucement.Letonétaitléger,maisWilltintcomptedel’avertissementqu’ilcontenait.Maîtrise-toi.
L’effortl’essouffla.Quandsavisionrevintàlanormale,ilpritconsciencequetoutlemondeledévisageait,àdiversdegrésdecirconspection.
—Çava,murmura-t-il.Blades’assitsursestalons.—Bien.Net’imaginepasnonplusquejesuisimpotent.Lenaseredressa,levisagepâle.Lacouleurcafédesescheveuxétaitdelamêmeteintequeceux
de sa sœur,mais ses yeuxmarron étaient plus chauds, plus en amande.Des yeux rieurs destinés àséduireetàtaquiner.
Maispourlemoment,ilsneriaientpas.Lenaaffichaunsouriredontl’éclatn’atteignitpaslerestedesonvisage.— Bonté divine, dit-elle d’un ton faussement enjoué. Quelle quantité de sang as-tu prise,
Honoria?—Jenesavaispasquetuavaispeurdesaiguilles,ditHonoriaenjetantunregardàlaminuscule
fiole.—J’aicruqueçairait.Celafaisaitbienlongtempsqu’ilnes’étaitpasévanoui.—Lafoire?demandaBlade.C’estlàqu’ilavaittrouvéWillquandilétaitencoregamin.Enchaînésurunescènedel’EastEnd,
contraintàexhibersaforcemonstrueuseetsescapacitésdeguérisondevantunefouleendélire.Leforain,TomSturrett, l’entaillait avecdes lamesen fer.Malgré le loupe, sesconditionsdevieet lemanquedenourriture l’empêchaientdeguérir aussi vitequ’ils le voulaient.AlorsMmeSturrett lerecousaitavecsagrosseaiguille.
Iln’avaitpasfallulongtempsavantquelaseulevued’uneépingleluidonnedessueursfroides.Lenaposasesmainsgantéessursesgenoux.Quelquescheveuxbrunclairs’échappaientdeson
chignon.Sonchapeauétaittoujoursbienenplaceetuneplumeécarlateeffleuraitl’unedesesjoues.LeregarddeWills’attardasurcetteplume.
—Lafoire?Quellefoire?demanda-t-elle.Bladecroisasonregard.—Quand…—Rien,coupaWill.ToutlemondesetournadenouveauversluietWillsemauditpoursonmanquedetact.Rienne
pourraitplusexciterl’imaginationdeLenaqu’unbrusquerejet.Ilvoyaitdéjàlacuriositéenflammersesyeux.Elleseraitmaintenantàl’affûtdesessecretscommeunvéritablechiendechasse.
Peut-êtrevalait-ilmieuxleurdonneruneversioncondenséedesonhistoire.—J’étaisexposédansdestavernescommeunecuriosité.Ousurscène,àCoventGarden.(Ilprit
unevoixaiguëet imita lesexclamationsdeSturrett :)Venezvoir laBête féroce !Ledernier loup-garoudeLondresenchaîné!
Ilpouvaitencoresentirl’odeurfortedutabacbonmarchéquefumaitlepublic,etlesrelentsdescorpscrasseux.
—Aprèslenumérodechantetdedanse,j’étaislaprincipaleattraction.Ilsmetraînaientdansmacage et les spectateurs me jetaient de la nourriture pourrie. Des fois, ils me faisaient enfiler desfourruresdeloupetquelquesacteursjouaientlerôledessangsbleus.Engénéral,ilsfinissaientparm’attaqueràl’épée.
Lenaécarquillalesyeux.—Ilsnetepoignardaientquandmêmepaspourdevrai?
—Si,avecdufer.(Savoixsedurcit.)Çaguéritvite.Àmoinsquecesoitunalliageenargent.—TupartagescettesimilaritéavecBlade,fitremarquerHonoria.—Honnêtement,Honoria.Commentpeux-tupenseràlamaladieaprèsavoirentenduunehistoire
aussiatroce!s’indignaLenaavantderegarderdenouveauWill.JecroyaisquetuavaisquinzeansquandBladet’aramenéàlamaison.
—Oui.Plusoumoins.J’aipastroptenulecomptedesannées,danscettecage.LadétresseadoucitleregarddeLena.Will ne s’était pas attendu à ce qu’elle le défende ou qu’elle fasse preuve de compassion. La
plupartdesspectateursavaientétédesmarchandsambulants,maisparfois,unmembredel’ÉchelonpayaitSturrettpourl’exhiberdanslesgrandesmaisonsdeMayfair.Lesdamesportaientdedélicatessoierieset jouaientavec lesperleset lesdiamantsextravagantssuspendusà leurcou–desfemmesrichesvêtuescommeLena–maisaumoins,ellesne lui jetaient rienauvisage.Elles l’observaientplutôtavecleurspetitsyeuxenchuchotantetenricanantderrièreleurséventails.
Les gentlemen, eux, n’appréciaient pas du tout.Will n’avait pas eu le cœur de leur dire qu’ilpartageaitleursentiment.Çan’auraitpasfaitgrandedifférence,detoutefaçon.Personnenel’écoutaitquandilsetrouvaitdanslacage.Àleursyeux,iln’étaitguèreplusqu’unanimal.Àlalongue,ilavaitcessé de parler, de grogner et de montrer les dents dès qu’ils approchaient. C’était le pire desavilissements.SiBladenes’étaitpastrouvédanslepublicunbeausoiretn’avaitpasforcéSturrettàlelibérer…ilfrissonnaensongeantàcequ’ilseraitdevenu.
—Lesdeuxvirusnesupportentpaslaprésencedel’argent,ditHonoriad’unairsongeur.Cequisignifieraitqu’ilyaeuun…ancêtrecommun,pourainsidire?Plusonenapprendra,plusjeseraisusceptible de trouver un remède. Je vais examiner l’échantillon aumicroscope et commencer lestests.Ilseraitpeut-êtrepréférablequetunesoispluslà,Will?
Cen’était pas tant la vuedu sangqui le gênait,mais les aiguilles. Il devait cependant ficher lecampd’ici.Sapeaulepicotait.
—Ouais.Jem’envais.—Non, pas chez toi, intervint Honoria. Tu n’es pas en état de partir tout de suite. Je veux te
surveilleravantquetupartes.Lena?Celle-cirelevalatêtetelleunebicheapeurée.—Oui?demanda-t-elleprudemment.Honoriaprituneinspiration,commesiellepesaitsesmots.—Peux-tu accompagnerWill à la cuisine et lui tenir compagnie un petitmoment ?Donne-lui
quelquechoseàmanger.Tusaiscommentilestaprèsunetelleagitation.—C’estpasnécessaire,répliqua-t-il.Lenaéchangeaunregardaveclui.—J’espéraispouvoirteparler,Honoria.Bladeladévisageaavecunairinterrogateur.Honoriacroisasesyeuxetsaquestionparuttrouver
uneréponse.Blademarmonnadanssabarbeethochalatête.—Vaudraitmieuxtemettrequelquechosedansleventre,Will.Ondescenddansuneminute.Impossibled’yéchapper.Ilétaitcoincéavecelleetlapiècesemblasoudaintroppetite.Willouvrit
laporteet sortit.Lenasepressaàsasuitedansunbruissementde tissu, toutenproférantun juronétoufféquantauxmanièresd’ungentlemanquidevaitlaisserpasserlesdamesd’abord.
—Jesuispasungentleman.—Çan’aéchappéàpersonne,murmura-t-elle.Onnet’appellepas«laBête»pourrien.
Cesparolesn’auraientpasdûleblesser.Onluiavaitattribuédessurnomsbienpiresquecelui-là.Enfait,ilavaitmêmeprisl’habitudedelesaccepteretdesefondredanslepersonnage.Ils’enservaitpourmaintenirleshumainscurieuxàl’écartetlesprédateurssurleursgardes.
Maispouruneraisonquelconque,danslabouchedeLena,cesparolesluifirentl’effetd’uncoupdecouteauenpleincœur.
La cuisine était vide. Esme ne s’y trouvait pas. Même si la marmite de soupe bouillonnantetrahissaitlaprésencedelagouvernantedeBlade,ellen’étaitpasvisible.
Ilsentitlefrôlementd’ungantsoyeuxsursonpoignet.—Là,ditLenaen l’attirantversun tabouretbasdevant le feudans lacheminée.Assieds-toi, je
vaisteservirunpeudesoupe.Ellelerelâcha,maislasensationducontactdemeura,commedesdoigtsfantômes.Willselaissa
lentementtombersurlesiègeetlaregardas’affairer.Lena ne semblait pas à sa place. L’âtre dominait la pièce et répandait une nappe de chaleur
constante.Leplafondétait tachéde suieet lesplansde travail, rainurésparuneutilisationassidue,étaientrecouvertsd’herbesetderondellesd’oignons.Àcôtésetrouvaitunerangéedecasserolesencuivresuspenduesàdescrochetsenmétal.Lapièceétaitchaleureuseetaccueillante.ToutlecontrairedeLena.
Ses jupes en velours rouge étaient légèrement relevées et laissaient entrevoir un petit bout dejupon.Soncorsetépousaitsataillefine,dontWillauraitpufaireletouravecsesmains.Desbandesdedentellenoireornaientsoncorsageetlespansdesesjupes.Quandellelevalebraspours’emparerd’un bol, sa poitrine blanche et crémeusemenaça de jaillir de son décolleté. Il devina un bout dedentellenoiresursapeaublanche.
LesdoigtsdeWillledémangèrentsoudain.Ilserappelaitlapremièrefoisqu’ill’avaitvue,entrainderemonterPetticoatLane,sarobegrise
en tissu sergé tourbillonnant autour de ses chevilles, un petit chapeau cabossé sur le crâne qui laprotégeaitàpeinedelapluie.Elletenaitunjournaldétrempéau-dessusdesatête.Elleavaitglissésurleborddu trottoiret le journals’étaitdéchiréendeuxavantdesedésintégrerdanssesmains.Elleavaitlâchéunpetitrireimpuissantfaceàdeuxgalopinsdesrues,haussélesépaulesetjetélagazetteparterre.Letimbredesonrirel’avaittranspercé;c’étaitlegenredesonquiavaittoujoursdonnéàWilll’impressiond’êtreunétrangerentraindel’épier.Lajoieirradiaitdesapersonnetoutentière,semblable à la chaleur d’un feu de bois par une froide nuit d’hiver.Will avait éprouvé un frissond’envie,commes’ilavaitvoulu tendre lesmainspoursaisirunpeudesonbonheurcommunicatif.Aprèsavoirretirésonchapeau,elleavaitlevésonvisageverslecieletlaissélapluiehumidifierseslèvres,lescilsbattantsursapeaupâle.Willavaitbienfaillitomberdutoitàforcedesetordrelecoupourl’observer.
Detoutefaçon, lesfemmeslemettaient toujoursmalà l’aise.Sapropremèrel’avaitvendudèsqu’elleavaitcomprisqu’ilétaitunloup-garouetlaseuleautrefemmeprésentedanssavieavaitétéEsme.Cen’étaitqu’auboutd’uneannéepasséeensacompagnieaurepairequ’ilavaitcommencéàsedétendre,maistoutcequiconcernaitLenaluihérissaitlespoils.Unecurieusesensationdegênequ’ilnecomprenaitpas.Quandunvampireavaitrôdédanslescolonies,Willavaitétéchargédesurveillerlesdeuxplus jeunesToddetdeprotéger lamaisonpendant lanuit. IlavaitsuiviLenaàsontravailtouslesjours,puissursontrajetderetouràlamaisonlesoir,sansmêmequ’elleenaitconscience.Ils’enplaignaitàquivoulaitl’entendre,maisenréalitéils’étaitmisàsedélecterdumomentoùelleapparaissaitàlaportedel’horloger,quandelleadressaitunpetitsignegaidelamainàl’intérieurde
laboutique.DanslatristeréalitédelaviedeWill,Lenaétaitdevenuelaprincipaleétincelledevie,etavaitfaitnaîtreenluiundésirpourunechosequ’iln’avaitjamaisconnueniressentieauparavant.
Il était plus sagepour lui de rester dans ces dispositions.Lenademeurait une étrangèrequi nereprésentaitaucunemenacepour lui,ni luipourelle.Cenefutque lorsqu’ils’était retrouvéfaceàellequ’ilavaitcompriscombienlaréalitépouvaitêtredifférente.Unenuit,Lenaétaitsortiesurletoitenchemisedenuit,riendeplus,etl’avaitdévisagécommes’iln’étaitqu’unesortedebruteépaisse.
Lespaumesmoites,lagorgeserrée,Willavaitétéincapabledeprononcerunmot.Puissoudain,ilsétaientsortis,crusetmaladroits:«T’yarriveraspasàtemps.Etsitunepeuxpasm’éviter,moi,alorstunepourraspasl’éviterluinonplus.Es-tustupide,petitefille,poursortiraveclacréatureenliberté?Oubientuveuxsimplementmourir?»
C’était lapiredeschosesà luidire.Elleavaitplissé lesyeuxets’était redressée telleunereinefaceàlaplusviledesracaillesdesrues.
Il était redevenu lepetitgarçon impuissantdontpersonnen’avaitvoulu–personned’autrequeSturrett, qui avait vu en lui un moyen de gagner de l’argent. Will s’était juré de ne plus jamaisressentir cette impuissance, mais chaque fois qu’il la voyait, il plongeait dans un tourbillond’émotions.Sanervositéetsonaviditéseréveillaient.Labêtegrondaitdanssapoitrine,commeunloupencage.
Jepeuxpaslalaissersortir.Jamais.—Tun’espasobligéedefaireça,dit-ilabruptement.Jepeuxmedébrouillertoutseul.Lenaenlevasonchapeau,etôtasesgantspuislesjetanégligemmentsurlatable.Sapeaulisseet
sesdoigtsmanucurésattirèrentsonregard.Ellel’avaittouchéuneseulefoisaveccesmainsetjamaisilnel’oublierait.
—Tuastoujoursbesoindemangerquelquechoseaprèsl’undetesincidents.Fredonnanttoutbas,ellesemitàverserdelasoupedansunbol.—C’étaitpasunincident.Le tonde sa voix était bienplus tranchant qu’il n’en avait eu l’intention etLena se figea. Il se
mauditetpoursuivit:—Jemesensfaibleseulementquandjedéploiedegroseffortsouquandj’aiperdutropdesang.
C’estseulementlevirusquiagitetmeguérit.Là,c’estdifférent.—Honoriam’ademandédetenourrir.Malgrésanonchalancedélibérée,elleétaitnerveuse.Àcausedelui.Illesentait.—Tupeuxendébattre avecelle si tuveux.Moi, jen’aipas l’intentiondegaspillerma salive,
continua-t-elle.Constatantqu’ilnerépondaitpas,ellerepritsatâche.—Jesavaispasquetuétaiscapabledetedébrouillerdansunecuisine,dit-ildansleseulbutde
romprelesilencegênant.Onapprendça,danslessalonsdeluxe?Lenalevaunregardnoirpar-dessuslebol.Ellesemblaitsincèrementsurpriseparsaquestion.Ce
n’étaitpasétonnant,aprèslestroisannéesqu’ilavaitpasséesàl’ignorer.—Quand mon père est mort et qu’on est arrivés àWhitechapel, c’était moi qui préparais la
majoritédesrepas,répondit-elleenbaissantdenouveaulespaupières.Honoriarentraittoujoursplustardquemoidutravail.
—C’esttoiquicuisinais?Ils’emparaduboletdelacuillèrequ’elleluitendait.LamaindeLenaparaissaitminusculeàcôté
delasienne,ettrèspâle.Deuxmondesdifférents.—Mal.
Elleluijetaunsouriresoudainquiilluminasonvisagetoutentier.Nom d’un chien. Il détourna les yeux sur sa soupe. Il ne l’avait pas vue depuis six mois,
délibérément,etilavaitpresqueoubliéqu’ellepouvaitfairebouillirsonsangavecunsimplesourire,unseulregard.
Unbaisernonchalant.—Etaujourd’hui,tuassistesàdesbals.Ilavaittentéd’employeruntonrailleur,maisl’effettombaàplat.Iltrouvarefugedanssasoupe
etfaillitsebrûlerlepalais.— J’aimedanser. (Elle plissa les paupières.)Et j’aime les bals.Les hommes se comportent en
gentlemen.C’esttrèsagréable.—T’aspasencoredecontratd’esclavage.Ils’étaittenuaucourant.Ils’imaginaitundecesenfoirésdesangbleuentraindeposersabouche
etsesmainspartoutsursoncorpstoutenbuvantsonsangsucré.LesjouesdeLenasecolorèrent.—Non.Jenemesuispasencoredécidée.Iln’yaaucuneurgence.—Aucuneurgence?Est-cequetuvaspasdevenirvieillefille?—J’aiàpeinevingtans,répliqua-t-ellesèchement.—Jevois.Tupréfèreslesfairecourir?—Cen’estpasdutoutcequej’aidit.—Çacorrespondaugenredejeuxauxquelstuaimesjouer.Lenapivotasursestalonsetrécupérasesgants.—J’espèrequetuvast’étoufferavectasoupe,espècedegroslourdaudhirsute.Tunesaisriende
moi.Rien!Un bout de papier s’échappa de samanche quand elle se retourna, et tomba au sol comme un
papillonmort.—Ah,nousyrevoilà!fit-ilenrepoussantsonpotagepourlelaisserrefroidir.(Ilsepenchapour
ramasserlepapier.)Tuaslaissétomberça.Lenasefigeasurleseuil.Ellefourraimmédiatementsamaindanssamanche,puisfitvolte-face,
lesyeuxécarquillés.—Rends-le-moi!Willseleva,brisalesceauetdéroulalepetitrouleaudepapier.Iln’eutqueletempsd’apercevoir
degrosseslettresnoiresavantqueLenaessaiedelerécupérer.—Unelettred’amour,jeparie.Ilseretournaetfitminedelalire.Uneboufféedeparfumemplitl’airetLenaluiagrippal’épaulepouressayerdebaissersonbras.
Sesseinss’écrasèrentcontresondoslarge.Soudain,ilenoubliatotalementlalettre.—Qu’est-cequetuconnaisauxlettresd’amour?(Ellegrimpasurletabouretetseretrouvaàla
mêmehauteurque lui.Dansuneproximité intime.)Le typede femmequipeuts’intéresserà toinedoitpasêtredugenreàécriredespoèmes.
—N’ensoispassisûre,rétorqua-t-il.Tuseraissurprisedevoirlegenredepoèmesqu’ellesmesusurrentàl’oreille.
—Beurk.Tuesméprisable.Letabouretvacillaetleursregardssecroisèrent.Lenapoussauncriets’accrochaàlui.Willse
retrouva avec du velours et de la chair chaude pleins les bras, ainsi qu’un cœur qui battait à toutrompre,faisantéchoausien.
LemondesemblaralentirautouretseréduireàlasensationdeLenacontrelui.Willplongeadanssonregard,puisbaissaspontanémentlesyeuxverssabouche.
Lenaouvritgrandlessiensetémitunsonétouffé.—Repose-moi.Il avait le souffle court. Son appétit le submergeait et cherchait désespérément à prendre le
contrôledesoncorps.Ilsavaitquelaflammeambréedesonregards’intensifiait;ilpouvaitpresquesentirlachaleurparcourirsesiris.
—Will,murmura-t-elle.Tesyeux.Lenaexpiraitsonhaleinechaudesurseslèvres.Elleavaitdûmangerquelquechoseàlapommeet
àlacannelle.Ileutsoudainenvied’ygoûter.Nefaispasça.Illareposaetsedétournaenfroissantlepapierdanssamain.Ildevaitficherlecampd’ici.Loin
desonparfum.Éloignerlatentationavantdefaireunechosequ’elleneluipardonneraitjamais.BladeetHonoriaavaientpeut-êtreraison.Nepouvait-onpasluifaireconfiance?—Will,murmura-t-elle.Tutrembles.Ilbaissaleregardsursesmains.Letremblementpartaitdelàetenvahissaittoutsonêtre.—Tuavaisraison,dit-ild’unevoixrauque.J’aisûrementfaittropd’efforts.—Jeferaispeut-êtremieuxd’yaller?Unjudicieuxinstinctdeconservation.Ilhochalatête,s’efforçantdesecontenir.Qu’est-cequin’allaitpaschezlui?Qu’est-cequeça
pouvait bien lui faire qu’elle ait… trouvé quelqu’un ? La colère monta de nouveau, étouffante,commeunvoilerougequitombaitdevantsesyeux.
—Tun’auraispasdûvenir.C’estplustonunivers,maintenant.Unecruautéintentionnelle.Silence.—Jesais.Jenepensaispasquetuseraislà.Tun’esjamaislààmidi.Voilàlaraisonpourlaquelleellepassaittoujoursuniquementàcemomentdelajournée.—Alorsqu’est-cequetuattends?—Malettre?Ilperçutdesbruitsdepaslégersderrièrelui.LajupedeLenafrôlasesjambesetelleglissaune
main le longde sonbraspour refermer sesdoigts sur leboutdepapier.Une lettrequ’ellevoulaitdésespérémentrécupérer.
Ellenepouvaitavoirqu’uneseuleraisonderefuserqu’illalise.Soudain,ilfutincapabledeseretenir.Ildevaitsavoir,mêmes’iln’apprécieraitpaslavérité.Lena
poussauncrienessayantdelareprendre.Lebilletsedéchiraettousdeuxchancelèrent,chacunavecunmorceaudanslamain.Willdéroula
lesienetleparcourutdesyeux.Ilnes’agissaitpasdelettres.Sonregards’aiguisa.Ilavaitdéjàvuçaauparavant.C’étaitlesmêmeschiffresqueceuxtrouvéssurl’hommequiavaitincendiélesusinesdedrainage.
Sonvisageperditsescouleurs.— Qu’est-ce que tu fabriques avec ça ? murmura-t-il d’une voix empreinte d’un effroi
inexplicable.Lenalaissaéchapperunsonétrangléetseprécipitaverslaporte.Willlarattrapaparlajupe.—Tun’irasnullepartavantdem’avoirditoùtuastrouvécefichupapier!—Jel’aitrouvéparhasard,répliquaLena,quiexhalaitl’odeuramèredumensonge.
Willlapritparl’épauleetlafitpivoter.— Assieds-toi, gronda-t-il en la poussant sur le tabouret. Et explique-toi. À ta place, je
m’aviseraispasdementirunenouvellefois.
4
Willdressasesdeuxmètresdixau-dessusd’elleavecunregardnoir.—Explique-toi,ordonna-t-il.Ses yeux étincelaient de cette étrange couleur ambrée qui révélait qu’il n’était pas totalement
humain.Lenareculaens’agrippantàsontabouret.Cederniervacillasousellemaisellen’osaitplusbouger.
Ellen’avaitpaslecouragedeluidire.—Ousinon?demanda-t-elleenlevantlementonpourcroisersonregardfurieux.Lesbattementsdesoncœurrésonnaientdanssesoreilles.Iln’allaittoutdemêmepasluifairede
mal.Ellebaissapourtantlesyeuxverssesmainsfrissonnantes.C’étaitpeut-êtrel’effetdelafatigue.Oupeut-êtrepas.Ellenel’avaitjamaisvudanscetétat.
Ilgonflasesnarinesetplaquaviolemmentsesdeuxpaumessurleplandetravail.Latêtepenchée,ilprituneprofondeinspiration.Puisuneautre.
—Je…—Tais-toi.(Unevoixgraveetgrinçante.)Laisse-moiuneminute.Lenadéglutit.Qu’est-cequi n’allait pas chez lui ?Elle se redressa sur son tabouret.L’horloge
murale égrenait les secondes. Le temps sembla s’étirer et ralentir, et la tension emplit la pièce.L’attenteétaitpresqueinsoutenable.
Aussisoudainementqu’ils’étaitretourné,Willrelevalatêteets’écartaducomptoir.Sescheveuxd’unbrundoréluiarrivaientaucoletillesécartadesonvisaged’ungestevif.
—Pasdemensonge,prévint-ilenlapointantdudoigt.(Lemorceaudelettreétaittoujoursfroissédanssonautrepoing.)Oùest-cequetuastrouvéça?
—Jenepeuxpasteledire.Willvintposersesdeuxmainsàplatsurleplandetravailderrièreelleetsepencha,laprenant
ainsiaupiège.—Nem’obligepasàtoutraconteràBlade.SiWill parlait à Blade, Honoria serait à son tour informée, et alors… eh bien, elle hurlerait
certainementsurLenaetlatraiteraitd’idiotedes’êtrefourréedansunehistoirepareille.—Tuiraiscafarder?Elleignoral’éclatrageurdesesiris.Willnepourraitjamaiscomprendrecequ’elleessayaitde
faire,etelleavaitbienconsciencedesdangersqu’ilyavaitàimpliquerd’autrespersonnes.Willsaisitsonmentonentresesdoigts.—C’estpasunjeu.JelediraiàBladeparcequ’ilestclairquetuesdépasséeparlesévénements.
J’aidéjà trouvécegenredepapiersurun typequiamis le feuauxusinesdedrainage.Lena,elles
étaientlapropriétédugouvernement!L’Échelonvamassacrerceuxquiontfaitça.(Ilagitalalettredevantelle.)Siçapouvaitt’empêcherdetefairecouperlatête,jeleferaispublierenpleinepagedansleTimes!
—Ondiraitpresquequetutepréoccupesdemoi.Quelquechosepassadanssonregardauxpaupièrestombantes.Unelueurindéchiffrable.Ellese
surpritàretenirsonsouffle,cequiétaitridicule.—Jeneveuxpasquetusoisblessée,finit-ilpardire.Ettasœurm’étriperaitvivants’ilt’arrivait
quoiquecesoitalorsquej’étaisaucourant.Quelle idiote d’avoir penséqu’il aurait pu se soucier d’elle, rienqu’unpetit peu !Ses épaules
s’affaissèrent.— J’ai promis à un ami que je la transmettrais pour lui. Je ne savais pas ce qu’il y avait à
l’intérieur.Jen’enaitoujoursaucuneidée.Çapourraitaussibienêtreunelistedecourses,pourcequej’ensais.
—Sachequejepeuxsentiràtonodeurchaquefoisquetumemens.—C’estlavérité!C’était lapartie laplusdifficiledesacause :mentirà sesamisetà sa famille.Mais sielle les
mêlaitàcettehistoiremaintenant,quisaitcequ’ilrisquaitd’arriver?Willavaitraison.L’Échelonsedébarrasseraitdetousceuxqu’ilpensaitêtreimpliquésdanscetteaffaire.Ellejetauncoupd’œilgênéau bout de papier. Mandeville lui avait assuré qu’elle ne faisait que transmettre les points derencontresàl’undesespionsquiagissaitauseindel’Échelon.
Elle envoyait les lettres par l’intermédiaire d’un corbeau à un mystérieux conspirateur et lesréceptionnaitpourlecomptedeMandeville.Etsil’unedeceslettresavaitétablilesinstructionspourincendierlesusines?Elleavaitbesoind’êtreseulepourréfléchiràtoutça.
Soudain,lemondeluisemblaêtredevenuunendroitbienplusdangereuxencore.—Lena.LesonquisortitdelagorgedeWillétaitpresqueprimitif.Legenredesonquel’ons’attendà
entendre dans une forêt enneigée, en pleine nuit, alors que l’on se trouve seul. Le genre degrondementquipropageaitdesfrissonssurtoutsoncorps,carellesavaitcequ’ilsignifiait:elleétaitlaproie.
Fuis,murmuraunepetitevoix.—Je…je…Bien décidé à ne plus jouer, il lui saisit le menton et la dévisagea. Ses prunelles ambrées la
transpercèrent.Lenaretintsonsouffle.Ellen’avaitrienàcraindre,ils’agissaitdeWillmais,quelquepart,dansunrecoindesaconscience,ellesavaitreconnaîtreledangerlorsqu’elleseretrouvaitfaceàlui.Lespetitspoilssedressèrentsursesbrasetunechapedeplombs’abattitsurelle.
—Jenesuispas…Unrirerésonnadanslesescaliers.Lenatournalatêteverslaporte,soulagée;Esmeetsonmari
Ripentrèrentdanslacuisine.Will se redressa instantanémentet retirasesdoigtsdesonvisage. Ildétourna lesyeuxpour les
dissimuleràlavuedesnouveauxarrivantsetpourselaisserletempsderefrénerlabêtequigrondaitenlui.Aujourd’hui,leprédateurrôdaitdangereusementprèsdelasurface.
—Lena!s’exclamaEsmeenguisedesalut.(EllepritlesmainsdeLenaetluidéposaunbaisersurlajoue.)Jenesavaispasquetupassaisnousvoiraujourd’hui.
—Jesuisvenuesuruncoupdetête,réponditrapidementLena.Tuasbonnemine.Lemariagetevasibien!
Esme adressa un sourire àRip par-dessus son épaule. Le géant à l’airmenaçant avait d’abordeffrayéLena,avecsonbrasmécaniqueetsaminesombre.AucoursdespremiersmoisdesavieaurepaireavecsasœuretBlade,Ripavaitmanifestéetsubilespremierssignesduvirusdubesoin.Ellesesouvenaitencoredesescrisetdesamanièred’arpentersachambre,enproieàunerageindicible.Bladelui-mêmen’étaitpasparvenuàlecalmeretseuleEsmeenavaitétécapable.
—Disdonc,Will,ditEsmeavecunepointedereprochedanslavoix.Jevoisquetut’enesprisàmasoupe.
—Sur lesconseilsdeHonoria, je lecrains,précisaLena. (Elleeutunsouriredoux tandisqueWillseretournait.)IlyaeuunpetitincidentetWillaeudesvapeurs.
Siunregardpouvaittuer…Mais elle était en sécurité désormais, avec des témoins dans la pièce. Quand il l’aurait à sa
merci–etçanetarderaitpasàarriver,ellelesavait–ilpourraitluifairen’importequoi.Riplaissaéchapperunrire.—Tuestombédanslespommes,gamin?—J’aidûmeservirdemessels,réponditLenaenrécupérantsonchapeauetsesgants.Willsuivitsongestedesyeuxsansjamaisbougerd’unmillimètre.—Lena,dit-ild’untonbourru.Tuviensfaireunepetitebaladeavecmoi?Sûrementpas.Elleluijetauneœilladecharmeuse.—J’aibienpeurdedevoirm’enaller.J’airendez-vouschezlechapelier.Maisj’étaisraviedete
voir.Jedevraisvenirplussouvent.Un nouveau mensonge éhonté. Elle ne remettrait pas les pieds ici à moins d’être certaine de
l’absencedeWill.Il fit un pas vers elle, mais Esme lui barrait le passage.Will s’arrêta, les traits empreints de
frustration.Mais avec Rip quimontait constamment la garde auprès de sa femme, il n’osa pas larepousser.
—Àlaprochainefois,repritLenaenluitenanttête.Ilmitdutempsàrépondre.Etquandillefit,sontonmenaçantfaillitlafairereculer.—Ceseraplustôtquetulecrois.
Will claqua laporte et parcourut lepetit appartementdu regard.C’était làqu’il vivait,mais ce
n’étaitpaschez lui. Ilmanquait la chaleur et les riresdu repaire. Il jeta sonmanteau sur le côtéetallumaunebougie.Sonhaleinecréaitdelacondensationdansl’airdusoir.Ilavaitbeauavoirpassétoutl’après-midiàgérerlesaffairesdeBladeauxcolonies,leparfumdechèvrefeuilles’accrochaittoujoursàsesvêtements.
Il fronça les sourcils et trouva un reste de tourte au frais. Il ne voulait pas penser à ça. Lenacroyaits’enêtretiréeaujourd’hui,maiselleavaitoubliéunechose.
Willrattrapaittoujourssaproie.Toujours.Qu’est-ce que cette petite idiote était donc en train de manigancer ? En transportant ainsi un
documentaupotentielsidévastateur?Siunquelconquemembredel’Échelonlasurprenaitavecunpapierpareilensapossession,celasoulèveraituneavalanchedequestions.Ets’ilsenconnaissaientlasignification,elleseraitimmédiatementexécutée.
Unfrissonleparcourut.Sesriresetsestaquineries,envoléspourtoujours.Mêmesisaprésencelemettaitmalàl’aise,ilnevoulaitpasqu’illuiarrivelemoindremal.Enfait,cetteseulepenséefitsedresserlespoilssursapeauetuneragefollefutprèsdelesubmerger.
Il n’avait jamais ressenti ça auparavant. Un seul regard sur elle et tous ses besoins primitifsmenaçaientd’anéantirsesdéfenses.
Laseulepenséedelasavoirendanger…Ilsefigea.Puisreposasafourchette.Laveinedesatempesemitàpalpiter.Ilprituneprofonde
inspiration.Etencoreuneautre.Nepensepasàça.Pasavantd’avoirreprislecontrôlesurlui-même,quelquesoitlemomentoùçaarriverait.
Ilrécupérasoncouvertavecunrirebrusqueetleplantadanslatourte.Alorsqu’ilmordaitdansunmorceaudeviandegoûteuse,unsonprovenantdesescaliersextérieurscaptasonattention.
Quelqu’unseglissaitsursonpalier.Quelqu’unquifaisaitpreuved’unsilencesurnaturel.Ilserralafourchettecommeunearme,lamaintintcontresacuisseetsedirigeaverslaportesans
unbruit.Ilhumaunefragrancedecuir,maisaucuneodeurpersonnelle.Unsangbleu.Levirusquilesinfectaitleurôtaitleurparfumdistinctif.
Will ouvrit le battant d’un coupbrusque, fit unpas en avant, attrapa l’intrus par la gorge et leplaquaviolemmentaumur.
Unemainsaisitsonpoignetetundoigts’enfonçadansses tendons, justeassezpouratténuer lapression.
— Pouce ! dit Blade d’une voix rauque. Si j’avais voulu te tuer, tu ne m’aurais pas entenduapprocher.
Willlerelâchaavecuneminededégoût.—Bonsang.Tudevraisêtreaulit.(Ilrecula.)Honoriasaitquetueslà?—Biensûr.Quoi,t’entendspasladisputequirésonneencore?(Bladedesserrasoncol.)Jesuis
pasunvieuxdébris.Etjepeuxpasmepermettred’êtrecoincéaulitpendantplusieursjours.—Tusoufflescommeunbœuf.—Jevaisreprendremarespiration.(BladejetaunregardderrièreWill.)Tum’asl’airuntantinet
irritable,Will.Quelquechosetetracasse?Willfitsigneàsonmaîtred’entrer,puisrefermalaportederrièreeux.Toutecettehistoireavec
Lenal’avaitmisàcran,etilvoyaitdessangsbleusdanslemoindrerecoin.—Quelestleproblème?Tun’espasdugenreàrendredesvisitesdecourtoisie.Bladeappuyasahanchecontrelatableetcroisalesbras.—Jesuispaslebienvenu?Ils’étaitexprimécalmement,maislalueurdanssesyeuxétaitsuffisammentéloquente.Willserassitetplantasafourchettedanslatourte.Ilavaitperdusonappétit.—Soispasbête,murmura-t-il.Tuestoujourslebienvenu.IlsentitleregarddeBladerivésurlui.Puiscederniersoupira.—Qu’est-cequetupensesdeça?IlexhumaunrouleaudesapocheetlejetaversWill,quilerattrapaenpleinvol.Illedéroulaet
approchaleparchemindelalampe.Leslettresétaientrondesetinclinées.—LeConseildesDucsréclamevotreprésenceaubaldeLordHarker,demainsoiràhuitheures,
lut-il lentement en butant sur lesmots. La demeure sera considérée comme terrain neutre pour latotalitédelasoirée.AmenezlaBête.Ilbénéficierad’unlaissez-passer.
IlbaissalepapieretcroisaleregarddeBlade.—Unpiège?Lesangbleusegrattalajoue.
—Je pense pas.Mais c’est une sorte de jeu tactique.Et je compte bien comprendre ce que çasignifie.Oudécouvrirpourquoituesimpliqué.
—Ehbien…(Willfroissaleparchemin.)Jeleurdoisrien.Ettoinonplus.— C’est vrai. Mais qu’est-ce qu’ils veulent ? (Blade se renfrogna.) Je déteste ces fichues
manigances.Est-cequejepeuxmepermettred’ignorerleurinvitation?Çapeutêtretoutetn’importequoi.(Avecunsoupir,ils’écartadelatable.)Jenecomptepassurtavenue.Cemondeestdangereuxpourtoi…
Will fut frappé par une idée. Lena serait certainement présente. C’était exactement le genre deréceptionsauxquelleselleassistait.Etledernierendroitoùelles’attendraitàlecroiser.
Tuascruquetupourraism’échapper,hein?—Ilestdangereuxpournousdeux,lecorrigealentementWill.Situyvas,jet’accompagne.IlétaitlegardeducorpsdeBladeentouteoccasion.—Et j’ai d’autres choses à régler là-bas.Autant profiter de leur laissez-passer et voir ce que
veulentcesenfoirés.—Tesaffairesn’auraientpasunrapportaveclagentféminineparhasard?Willluijetaunregardnoir.—Iltefautunefemme,ajoutaBladesansdétour.Sesparolesfirentnaîtreuneimagedanssonesprit:descheveuxsombres,desyeuxsombres,un
petitsourirecoquin.Sonentrejambedurcit.—C’estbienladernièrechosedontj’aibesoin.—Iltefautquelquechose,entoutcas.(Bladeparcourutl’habitationspartiate.)Tudoisrentreràla
maison,Will.Cetendroitestfroidetlugubre.C’estpastaplace.Maplacen’estnullepart.Pasvraiment.Ildétournasonattention,lesépaulestendues.—Onenadéjàparlé.Laréponseestnon.Unlongsoupiremplitsesoreilles.—OK.Jetelaisse,alors.Toutseulaveclessouris.Soisprêtdemainàsixheures.Oh,et…Will?—Ouais?—Çateferaitpasdemaldeteraser.
5
—J’aibesoind’air,ditLenaenéventantsonvisage.Lesplumesdepaonluichatouillaientleslèvres,maisellen’yprêtapasattention.Ellesuivaitdes
yeuxlejeuneducdeMalloryn,quiescortaitladuchessedeCasavianhorsdelasalledebal.TousdeuxétaientchefsdeleursMaisonsrespectivesetmembresduConseildesDucs.Etleduc
deGoethes’étantretiréàpeinecinqminutesplustôt,elleenconcluaitqu’ilsdevaientseréunirpourévoquerunsujetimportant.
Leproblèmescandinave,avecunpeud’espoir.Adelevidaunverredelimonadeglacée.—Est-cequec’estbienprudent?Lenaluiserralamainavecunregarddur.—Iln’estpaslà.J’aivérifié.—Nefaispasl’autruche,Lena.Colchestern’estpasleseuldanger.Lajeunefemmehochalatête.Lafoulecoloréetourbillonnaitautourd’elle.Unedizainedesangs
bleusétaientprésentsdans lapièce, et sirotaientduvinde sang tout enobservant lapistededansed’unœildeprédateur.
—Tuferasattention?—Cenesontpaslesseulsàêtreenchasse.(Adeleesquissaunsouriredontl’éclatn’atteignitpas
sesprunelles.)Jet’aiditquej’avaisbesoind’unprotecteur.—Soisprudente.Leducet laduchesseavaientdisparu.AprèsunderniersourireàAdele,ellesehâtadepartirà
leurrecherche.Laduchesseportaitunerobecouleurauberginefoncéquisoulignaitsachevelurecuivrée.Lena
sortit de la salle de bal. Elle se pencha par-dessus la balustrade de l’étage et fouilla des yeux levestibuleencarrelageblanc.Unimmenseescalieroccupaitlamajeurepartiedelapièce.Plusd’unedizaine d’hommes et de femmes occupaient l’entrée et les escaliers, drapés dans une myriade decouleurs.D’aprèslachaleurdeleurpeauetlesmèchesnoircorbeaudedeuxd’entreeux,ilsétaientprobablementtoushumains;aucund’euxn’avaitlerangrequispourrecevoirledondusanginfecté.Seulsceuxissusdegrandeslignéespouvaientbénéficierdesritesdesang,quisurvenaientàl’âgedequinzeans.C’étaitunepreuvedeconditionsociale,deprestige.
Ilnesuffisaitpasd’êtreunsangbleupourfairepartiedel’Échelon.Touslesmalheureuxinfectésaccidentellement étaient considérés comme des renégats. Ils pouvaient se voir enrôler chez lesEngoulevents ou offrir une place chez les gardesColdrush qui protégeaient laTour d’Ivoire et leConseil.Ouencore,ilsétaientéliminés.
Leshumainspouvaient,commeelle,évoluerdansl’ombreàlalisièredel’Échelon,maisilsn’endevenaientjamaismembresàpartentière.Sileurrangétaitsuffisammentélevé,ilsavaientleurplace,soitd’esclave,soitd’épousepotentielle.
Évitant la statue d’ange en marbre, elle jeta un œil dans le couloir. La dizaine de parents etancêtresdistinguésdeLordHarkerdontlesportraitsétaientaccrochésauxmurssemblèrentluijeterdes regards demépris. Lena fit quelques pas en avant, dans un frou-frou de jupon vert. Un autrecouloirs’ouvraitdel’autrecôté.
Ellevenaitdecontournerl’énormehorlogedeparquetquitenaituneplaced’honneurausommetdesescaliers,quandunsilences’abattitsurlevestibule.
Deuxvaletstenaientouverteslesportesprincipales,levisageimpassible.Bladeentraenbalançantunecanneàpointeenébène.Il jetasonhaut-de-formeàunvaletetsalua legroupequi l’observait,bouchebée.Unautreserviteurpassa,munid’unplateaugarnideverresdevindesang,etBladeenvolaunaupassage.Puisilexaminalapièceavecintérêt.
Willapparutsursestalons,lesépaulesgonflantletissudelavestenoirequ’ilavaitmanifestementempruntéepour la soirée. Ilportaitungiletgris, soigneusementbrossé, tout commesesbottes.Lalueurdes chandelles se reflétait sur lesmèchescuivréesde ses cheveux. Il était plusgrandque lesvalets.Malgré leur formation,deuxd’entre eux s’écartèrentde sonchemin telsdes lapins apeurés.Willlessuivitdesonregardavide,commes’ilenvisageaitdeleurdonnerlachasse.
Lenaeutlesoufflecoupéetsentitsonvisageseraidit.—Will,murmura-t-elle.Quediablefaisait-ilici?Willsefigeanetetlevalatêtecommeunlionquiauraitsentiunegazelle.L’ambrebrûlantdeses
yeuxsefixasurlessiens.Ilretroussaleslèvresdansunsouriremenaçant,etLenarecula.—Plustard,mima-t-ilduboutdeslèvres.Elledétournasonattention ;soncœurs’emballa.L’espaced’un instant,elleavaitcruqu’ilétait
venu pour elle, mais c’était du délire. Pas avec sa tête mise à prix. Que fabriquait-il au cœur duterritoiredel’Échelon?Cedernierconsidéraitl’espècedesloups-garouscommebonneseulementàvivreencageouenchaînée.S’ils’étaitattirédesennuis…
—Sir…Blade,dit lemajordomeen se rattrapant à temps.MaîtreWill.Par ici, sivousvoulezbien.LordBarronsvousattend.
Leo.Sondemi-frèreétaitimpliquélà-dedans.Lenadesserralespoings.PourquoiLeolesinvitait-il ici, alors qu’il avait tout loisir de leur rendre visite dans les colonies ? Il était l’un des raresmembres de l’Échelon en qui Blade avait suffisamment confiance pour lui autoriser l’accès àWhitechapel.
Lemajordomelesguidadansunautrecouloir.Justeavantdedisparaître,WillrelevalatêtepourjeteràLenaundernierregardbrûlantquilatransperçacommeuneflamme,etquisuscitaenelleunmélangedepeuretd’anticipationqu’elleauraitétébienincapabledenommer.
Merveilleux. Elle laissa échapper le souffle qu’elle retenait et reprit la direction du deuxièmecouloir.Elledevaitpartird’iciavantqu’illaretrouve.
Maisd’abord,elledevaitterminersamissiondereconnaissance.DécouvrirsipossiblecequisepassaitentrelesmembresduConseil.
Ensuite,ellefeindraitl’évanouissement,cequi,étantdonnélafrénésiedesonrythmecardiaque,neseraitpastrèsdifficile.
—Prépare-toiàtout,murmuraBladetandisqu’ilstraversaientlarésidencedeLordHarker.
Will redressa les épaules sans cesser de scruter les ombres. Il était à crandepuis qu’ils étaientsortisdumauditfiacre.Venir ici,aucœurmêmedelasociété,représentaitunréeldanger.Ildevaitêtreprêtàtout;plusdesurprises.
Ilavaitdéjàeusapremièredelasoirée.Lena.Mêmes’ils’yétaitattendu,qu’ils’étaitréjouidecetteoccasion,ils’étaitsentimomentanémentengourdiàlasecondeoùilavaitposélesyeuxsurelle.Elle avait toujours porté de jolies toilettesmais, à demi dissimulée dans l’ombre, avec un trait delumièrequisoulignaitsescourbesdouceset lesmystérieusesprofondeursdesoncorps…elleétaitd’unebeautéàcouperlesouffle.
Unecascadedebouclesélaboréesretombaitsursesépaules,retenuesparunpeigneélégant.Lesémeraudesquiornaientleprofonddécolletédesarobeverteattiraientlesregards.Ilétaitimpatientdelavoirseule.L’anticipationfaisaitbouillirlesangdanssesveinesetmettaittoussessensenalerte.
Seulement,ilnesavaitpasencores’ilavaitenviedel’étrangler…oudel’embrasser.Uneportes’ouvritetunrayondelumièredoréeperçal’obscurité.Willchassapromptementses
pensées.L’heuren’étaitpasàladistraction.C’étaitlemeilleurmoyendesefairetrancherlagorge.Unhommeapparut,vêtudenoirdelatêteauxpieds.Ilsemouvaitaveclagrâcedangereused’un
épéiste, lasilhouetteminceetferme.Ilobservalecouloirsombred’unregardprudent.Undiamantétincelait à son oreille et, bien qu’il ne portât aucune arme, une aura de violence émanait de sapersonnetoutentière.
LeoBarrons.LegardiendeLena, et peut-être le seul sangbleuqueWill tolérait en dehors deBlade.
—Blade.Barrons tendit lamain. Il examinabrièvement la scène,maisWill savaitqu’il enavaitnoté les
moindresdétails,dumotifdestapisrougesaudrapédeleursmanteaux.—Quelexcellenttiming,déclara-t-il.Leprinceconsortdevraitarriverd’uneminuteàl’autre.—Leprinceconsort?(Bladehaussaunsourcil.)Tiens,tiens,ilsdoiventvraimentcherchermes
faveurspourramenerSaRoyalePâleur.UnpetitsouriresournoisapparutbrièvementsurleslèvresdeLeo,maisilsecoualatêted’unair
d’avertissement.—Lesautressontàl’intérieur.UnefaçondesignifieràBladedelaboucler.Barronss’avança,lamaintendue.—Will.Turessemblesàunemontagne,commed’habitude.—Ilengloutittoutesmesprovisions,murmuraBlade.Willletoisafroidement.—J’aimonproprelogementmaintenant.—Ouais,etpourtant,chaquefoisquejetournelatête,jetetrouvefourrédansmafichuecuisine.Unsourireprudent;Bladeexagéraitletraitàl’intentiondeBarrons–etdesautresàl’intérieur–
maisiln’avaitpasoubliéoùilssetrouvaient.—Entrez,proposaBarronsendésignant laporte. Jevais faireenvoyerunpeudevindesang.
Will,tuveuxquelquechose?Delabière?Duvin?Will luiaccordaun longregard.Aucunechancequ’ilavalequoiquecesoitprovenantdecette
maison.—Jepréfèregardertoutematête.—Ah,lestoïquegardeducorps.—Ilfautbienquequelqu’unsurveillelesarrièresdeBlade.Lesdeuxsangsbleuséchangèrentunregard.Blades’approchadelaporte.
—Ilsmepoignarderontpaslà-dedans,ilssonttropsoucieuxdesconvenancespourça.Non,çaarriveraquandjem’yattendrai lemoins,enpleinenuitdansuneruellesombre.Ils’agitseulementd’unjeu.Allez,Will.AllonsvoircequeleConseilnousveut.
QuandBlade s’y attendrait lemoins… comme dans le salon d’unmanoir, pendant qu’une fêtebattrait son plein.Will ferma lamarche, prêt à bondir à lamoindre alerte.On lui avait retiré sesarmesàl’entrée,maispeuimportait.Soncorpstoutentierétaitunearme.
Lapièceétaitéclairéeparunfeudanslacheminée.Lesombresvacillaientsurlesmurs.LeregarddeWillfutattiréparlespanneauxdeboissculptésetleplafondpeint.Iln’avaitjamaisvuautantdedoruresdetoutesavie.
Et des rideaux en soie.Quelle blague !Lamoitié des habitants deLondres avaient à peine lesmoyensdepayerlestaxesexorbitantesdel’Échelon,etvoilàpourtantquel’undeleurslordsvivaitdansunemaisonquipourraitprobablementnourrirWhitechapelpendantuneannéecomplète.Voirecinq.
Il n’était pas là pour s’extasier devant le mobilier. Will baissa les yeux alors que Blade, lui,tournaitsurlui-mêmepourobserverledécor.
—Mincealors,regardez-moiça,déclara-t-il.Quelspectaclepourlesyeux,ceplafond!Touscesangesetcesnuages…
—Merci,réponditunevoixfroide.Lemanoirappartientàmafamilledepuishuitgénérations.Willplissalesyeuxetobservaceluiquivenaitdeparler.CertainementLordHarker.Ilse tenait
prèsdufeu,lesmainsjointesdanssondos.Lesautresétaientassisendemi-cercleautourdelui.Ilconnaissait l’identitédelafemme.Iln’y
avait qu’une seule femme sangbleu enAngleterre,LadyAramina, duchessedeCasavian. Il l’avaitrencontréeune foisetnese fiaitpasà l’expressiondanssesyeux.Pourtant,quand leConseilavaittenu la vie deBlade entre sesmains, c’était elle qui avait détenu le vote décisif et son choix avaitscellésondestin.Pouruneraisonquelconque,uncapriceouunmotifpolitique,elleavaitchoisideluilaisserlaviesauve.
L’undesautreshommesétaitgrand, avecunnezde fauconetunebarbe soigneusement taillée.Desmèches grises ponctuaient sa chevelure, un signe de distinction plutôt que de vieillesse ou dedécrépitude.Manderlay,leducdeGoethe.LuiaussiavaitvotéenfaveurdeBlade.
Puislepetitvavasseur,assisdansunfauteuilLouisXIII,quiobservaitlejeudelumièredanssonverre de vin de sang.Des bagues étincelaient à ses doigts et il avait laissé son col négligemmentouvert.Unebouteilleàmoitiévide reposait à sespieds.Willne leconnaissaitpasmais,d’après lachevalièreornéed’ungriffonàsondoigt,ilcompritqu’ils’agissaitd’AuvryCavill,lejeuneducdeMalloryn. Lamenace lamoins probable, selonWill, qui tourna son regard vers Goethe. Il savaitpertinemmentquireprésentaitleplusgranddangerdanscettepièce.
Chacun d’entre eux avait voté en faveur de Blade. Une aura politique flottait dans l’air, tellel’odeurviciéed’unmanteau rongépar lesmites.Leprinceconsortdevait chercher sérieusementàobtenirunefaveurbienprécise.
—Etvotrefemme?demandeleducdeGoethe.—Curieuse,têtue.Fidèleàelle-même.UnsouriresincèreilluminalevisagedeBlade.—Commentavancentsesexpériences?demandaladuchesse.La seule manière pour elle d’être au courant des recherches de Honoria était d’avoir fait
surveiller le repaire.Willplissa lesyeux.Aucund’entreeuxn’avaitmanifesté lemoindresignede
surprise.Cequisignifiaitque leConseilsavaitprobablement toutcequisepassaitaurepaire.Willallaitdevoirs’enoccuperdèsqu’ilseraitsortidecetendroit.
—Elleaimebricoler, réponditBladeavecunhaussementd’épaule. (Il jouaitce jeubienmieuxqueWilln’enseraitjamaiscapable.)Ellepensequ’unjour,ellepourrameguérir.
—Vousycroyez?demandaladuchesseensirotantsonvindesang.La lueur des lampes à gaz donnait à ses cheveux cuivrés l’allure d’une couronne flamboyante
poséesur sa têtemais, endépitde sesyeuxcouleurcognacetde ses joues roses, sonattitudeétaitaussifroidequ’unenuitd’hiver.Unepetitearaignéemécaniquerampaitsursonépaule,reliéeàunebrochesursapoitrineparunechaîneenacier.Lepetitdômeenverrelaissaitapparaîtrelesdélicatsrouages en laiton de son mécanisme interne. Il en avait déjà vu de semblables. Quand on lesretournait,leurventrefaisaitofficedemontre.
—Ça l’amuse et je ne l’ai pas dans les pattes. (Le sourire deBlade était plus incisif.) Tout lemondesaitqu’iln’yaaucunremèdecontrelevirus.
—Oui,maiselleestlafilledeSirArtemusTodd.N’était-cepaslegéniequiavaitmisaupointtoutescesarmespourlecomptedeVickers,avantquevousn’abattiezleduc?J’aientendudirequedéjààl’époqueTodds’apprêtaitàdécouvrirunremède.Peut-êtrequevotrefemmesuivaitl’évolutiondesontravail?
Bladeétaitcapabledesemontrerraisonnable.Maispasquandils’agissaitdeHonoria.Ilmontralesdents–certainsauraientpuappelerçaunsourire,maisWillsavaitquec’étaitl’expressionqu’ilaffichaitavantdetrancherlagorgeàquelqu’un.
—Peut-être.Comme les poisons qui neutralisent les sangs bleus, ou le pistolet dont les ballesexplosentàl’impact.Maisriensurunpossibleremède,princesse.
Àsoncrédit,cettedernièrenetressaillitpasd’unpouce.Àlaplace,elles’emparadel’araignéemécaniqueetlalaissaramperentresesdoigts.
—Jevoisquevotretitredechevaliernevousarienenlevédevotrebarbarie.—Vousvousattendiezaucontraire?— Il y a cinquante ans, vous étiez dangereux, Blade. Les temps changent. Nos ressources ont
changé.Sinousvoulionsnousdébarrasserdevous,nousenverrionssimplementlesSpitfiresbrûlerlescoloniesetlesrayerdelacarte.
Laduchesseremplitsonverredevindesangetleremuacommeduthé.Commesiellen’étaitpasentraindeparlerd’uneguerre.
— Pour l’instant, vous êtes… une gêne, reprit-elle. Loin des yeux, loin du cœur. Comme uncousinembarrassant,labrebisgaleusedelafamillequinecessedes’inviterauxbals.
—Sivousessayezdemegraisserlapattepourobtenirunefaveur,vousnevousyprenezpastrèsbien,princesse.
Laduchessecessaderemuersonbreuvage,tapotatroisfoissacuillèrecontresonverre,puislaposasurlecôté.Ellerelevasesyeuxenamandedontlescilsnoirsetépaispapillonnaientcontresesjouespâles.
—Quiaditquec’étaitauprèsdevousquenouscherchionsàobtenirunefaveur?TouteslesattentionssetournèrentversWill.Leofitlagrimace.—J’aienvisagédevousprévenir…LespoilssedressèrentsurlanuquedeWill.Ilcroisalesbrasetleurjetaunregardnoir.—Non.—Vousnesavezmêmepascedontils’agit,murmuralejeuneducdeMalloryn.
—JenevousaimepasplusqueBlade.Jevousfaisàpeuprèsautantconfiancequ’àunclébard.(Iljeta un coup d’œil au fier jeune homme et montra les dents.) Un prétentieux comme vous ? Lesclébards,moi,jepréfèreleurbotterlesfesses.
Malloryn lui adressa une œillade nonchalante. Il fit apparaître un couteau d’un petit geste dupoignetetlebalançaauboutdesesdoigts.
—Ilfaudraitdéjàquevouspuissiezvousapprocher.—Auvry,çasuffit,murmuraBarrons.Leurs regards se croisèrent etBarrons se redressa ; sa posture trahissait le défi silencieuxqui
passaitentreeux.Mallorynhaussalesépaules,etlecouteaudisparut.—Tuasperdutonhumour,Barrons.— Nous prétendons être des gentlemen, alors essayons au moins de rester civilisés assez
longtempspournousdonnerunecertainecrédibilité.Barronss’installaavecgrâcedansunfauteuilprèsdufeuetposasonpiedsursongenouopposé.
Malgrésadécontractionapparente,ilparcourutattentivementlapiècedesesyeuxmi-clos.—Etc’estvousquivoulezobtenirquelquechosedenous, réponditBladeens’installantà son
tourdansunfauteuil.(Il letesta,impressionnéparleconfortdurembourrage.)Nejamaisnégocieravecunhommequivousmetunelamesouslagorge.C’estcequejedistoujours.
Will resta sur ses gardes. Un bruit en provenance du couloir le mit en alerte. Trois fouléesdistinctesquiapprochaientdelapièce.
La porte s’ouvrit et deuxmembres des gardes de l’élite, les Coldrush, entrèrent les premiers.Aussitôtqueleurinfectionparlevirusétaitavérée,lesmembresdel’escorteduprinceconsortetlesgardiensdelaTourd’Ivoireétaientenlevésàleurfamille,placésdanslescampsaustèresdelaTouretentraînésàtuer.Willpritleurmesure.L’und’euxluirenditsonregardavecvigilance.Iln’avaitpaspeur,maisilnemanquaitpasdevoirenluiunadversairepotentiel.
L’hommequientraàleursuitedépassaitlesgardesd’unetête.Avecsescheveuxbrunsetternes,sesyeuxpresquedénuésdecouleur,ilavançaitàgrandesfouléescommes’ilétaitlepropriétairedeslieux.Son longmanteau rouge tournoyait autourde seshanches, etunplastronenmétal étincelantprotégeaitsapoitrine.
Willavait toujourspenséque leprinceconsortétaitunvieilhomme. Ildécouvritavecsurprisequ’ilétaitpeut-êtreplus jeuneencorequeBlade.Arrivéà laRégenceprèsd’une trentained’annéesplus tôt, il avait pris la jeune princesse humaine sous son aile pour la guider à travers les eauxtroublesde l’Échelonaprès lachutedesonpère.Pourasseoirsonpouvoir, il l’avaitalorsépouséequandelleavaitatteintl’âgelégal,dixansauparavant.
Iln’étaitpastrèsbienvud’évoquerenpublicquec’étaitluiquiavaitrenverséleroihumain.—VotreAltesse.Leshommesselevèrentets’inclinèrent.Leprinceconsorts’approchadufeupourseréchauffer,lesmainstenduesdevantlui.Ilrelevala
têteetsesyeuxd’unbleuglacialsefixèrentsurWill.—VoicidonclaBêtedeWhitechapel?Un grognement monta dans la gorge de Will. Les deux gardes Coldrush se redressèrent et
posèrentlamainsurleurpistolet.Leslèvresduprinceconsorts’étirèrentrienqu’unpetitpeuetWillseforçaàsedétendre.Fichus
jeux.Ils’agissaitd’untestpourvoirquelgenred’homme–oudemonstre–ilétait.Lenouvelarrivéexaminal’assistance.
—Vousont-ilsexpliquélaraisondevotreprésence?—Vousattendezquelquechosedemoi,réponditWill.Pasétonnantqueleurprésenceàtouslesdeuxeûtétérequiseenceslieux.SiseulleConseilavait
été impliqué, la rencontreauraitpuavoir lieun’importeoùenville.Mais leprinceconsort,c’étaituneautrehistoire.
—J’aiunepropositionàvousfaire.Une…opportunitépourvous.—Quelledélicateattention,grondaWill.Veillerdecettemanièreàmesintérêts…Nouveausouriremielleux.—Ehbien,certes,c’estaussiuneopportunitépournous.Maisjevaisvousexposerlasituation
sans détours. Je n’ai pas l’intention deme servir de vous à votre insu. Et vous serez grassementdédommagé.
Commes’ils’étaitjamaisintéresséàl’argent.Laduchessepritlaparole.—LarumeurcourtquelesFrançaissontengrandediscussionaveccesfanatiquesd’Illuminatide
NouvelleCatalogne.C’estuneidéeinquiétante,c’estlemoinsqu’onpuissedire.Les loups-garous étaient l’ennemi naturel des sangs bleus, les seules créatures capables de les
abattre sans peine. Mais les Illuminati considéraient toute créature surnaturelle comme uneabominationquidevaitêtreexterminée.Lesrécitsdel’InquisitiondeNouvelleCatalognesuffisaientàfairetremblerlespluscourageux.
—Etenquoiçameconcerne?demandaWill.—Nousnesommespasleseulpaysàmanifesterdel’intérêtpourcequisepassedel’autrecôté
delaManche,réponditBarrons.SilesIlluminaticontinuentdegagnerduterrainenFrance,ilsaurontaccèsauxeauxdunord,enplusdesdirigeablesfrançais.Nousenvisageonsdecréeruneallianceavecles Scandinaves pour empêcher ça. Nous avons des navires – des cuirassés – et les Scandinavespossèdentleurspropresdrakkarsainsiqu’uneflotteaérienne.
Nomd’unchien.Unrirebrusques’échappadesagorge.—Vous pensez que les clans scandinaves vont s’allier à vous ? Les Bouchers de Culloden ?
N’oublions pas ce qu’il s’est passé depuis. Tous les loups-garous emprisonnés dans des cages,achetésetrevenduscommedesputainsd’esclaves.
IlfitunpasenavantetBladelerattrapaparlebras.Unemiseengarde.Willselibéraettentadegarder son sang-froidmalgré la rage qui battait sourdement dans ses veines et résonnait dans sesoreilles.
—Culloden,c’étaitilyabienlongtemps,répliquafroidementleprinceconsort.Sesgardess’étaientavancés,commes’ilsredoutaientuneattaque,maisleprinces’assitdansun
fauteuiletretiraunepeluchedesamanche.—Passilongtempsqueça,pourcertainsd’entrenous.—Cullodenétaituneerreur.TouteslestêtessetournèrentdansladirectiondeBarronsquivenaitdeprononcercesparoleset
il haussa les épaules, comme s’il ne faisait qu’énoncer une vérité que tous avaient trop honted’admettre.
—Onnepeutpas exterminerune race entière sans conséquences.Anéantir les clansde loups-garous écossais ne pouvait qu’inciter à la colère et à la haine. Mais c’était une décision de nosancêtresetnousnepouvonsrienyfaire,Will.
—Et lesFossesdeManchester?Làoù ilscontinuentdenousdonnercommeappâtauxchienssauvagesetauxours?Oupournousobligerànousaffronteruniquementpourleurdistraction?
—Ils’agitd’initiativesprivées, rétorqua leprinceconsortenpianotantsursonaccoudoir.Quiproviennentd’humainspourlaplupart,enréalité.
Ce qui signifiait qu’il s’en fichait royalement. Will avait expérimenté l’emprisonnement, lesbarreaux et les blessures infligées pour le seul plaisir d’une foule. Et pourtant, il n’y avait rien àfaire…Les loups-garous étaientproscrits enGrande-Bretagne.Leur capture et leur emploi en tantqu’esclavesétaientnonseulementlégaux,maisencouragés.
Tandisqu’ilfixaitlevisagepâleetexsangueduprinceconsort,Wills’efforçaitnonsansmalderéprimerlavaguedecolèrequimontaitdanssonventre.
—Qu’est-cequelesclansscandinavespensentdevotrepolitique?Leprincecessadepianotersursonaccoudoir.—Savez-vouscequ’ilsfontauxsangsbleus,enScandinavie?(Unpetitsourirecrispéflottasur
ses lèvres.)Toutcommejesuisprêtà fermer lesyeuxsurcertaineschosesdans l’intérêtcommun,euxaussi.Cettemenacevenueducontinentconstitueunepréoccupationbienplusgrandequecelledequelquesindividus.
Willluijetaunregarddehainepure.— Dans ce cas, je ne suis pas disposé à me montrer coopératif. Vous allez devoir trouver
quelqu’und’autre.Il tournales talons, les jouesenfeu,et lançauncoupd’œilàBlade.Encequi leconcernait, la
réunionétaitterminée.—Pasmêmepourdixmillelivres?Leprinceconsortavaitàpeineélevélavoix,maisWilll’entendittrèsdistinctement.Il lâchaun rire sombre.C’étaitbien l’Échelonpourpenserqu’ilspouvaient acheterunhomme
poursonpesantd’or.IlavaitdéjàposéunemainsurlapoignéedelaportequandBarronspritlaparole.—Etsilestermesdenotreaccordétaientdanstonintérêt?—Vousnepouvezpasm’acheter.Pasmêmetoi,Barrons.—Etsileprix,c’étaitunemodificationdelaloi?Willsefigea,lamaintoujourssurlapoignée.Commegalvanisé,Barronss’approcha,sesbottess’enfonçantdanslestapismoelleux.—Si tu nous aides à signer ce traité avec la Scandinavie, alors nous serons prêts à effectuer
quelquesmodificationsdelaloi.Plusdecagesnidechasseursdetêtes,Will.Nouspourronsmêmeinterdirelescombatsdefosse,situlesouhaites.
Lesoufflecoupé,Willpivotasurlui-même.Lescinqsangsbleusl’observaient,inexpressifs.Faceàcespectacle,ileutlasensationquec’étaitlepiègequ’ilsluiavaient,enréalité,tendutoutdulong.
—Pourquoivousaveztantbesoindemoi?Ondiraitpresquequec’estdéjàsigné.—Ilyadesoppositionsetdesréticencesdanschaquecamp,réponditBarronsavecunegrimace.
Lesclansnorvégienssontinflexibles,ilsn’ontpasbesoindenous,etunoudeuxmembresduConseilysontégalementopposés.
Will jeta un nouveau regard à la ronde. Il ne s’agissait donc pas seulement desmembres quiavaientvotéenfaveurdeBlade,maiségalementdeceuxquivoulaientvoircetraitéaboutir.
—Etjesuiscenséamadouerlesclansnorvégiens,c’estça?— Ils sont vieux jeu, expliqua le prince consort. Et ce sont des brutes. Mais ils représentent
également une voix importante au sein du Riksdag. Nous voudrions leur montrer que nos deuxespècespeuventvivreenharmonie.(Sonsourires’agrandit.)Etvousenêtesleparfaitreprésentant.Votrerôlepourraitêtredécisif.
—Jecroisqu’ilvientdetetraiterdebrute,murmuraBlade.Willneluiprêtapasattention.—Si j’arrive à convaincre les clans norvégiens et à obtenir la signature du traité, alors vous
révoquerezlaloiquiproscritlesloups-garous?Leprinceconsorthochalatête.—Jeveuxcettepropositionparécrit,ditWill.Etdevanttémoins.Leprinceconsortfronçalégèrementlessourcils.—Accordé.—C’estpasfini.Jeveuxqu’oninterdiselesfosses.Touslesloups-garousretenusencageouen
esclavagedoiventêtre libérésetdoiventaccéderauxmêmesdroitsque leshumains…oulessangsbleus.
Nouveauhochementdetête.—Etjeveuxqu’onretirelamiseàprixsurmatête,c’estcompris?Jeveuxpouvoiralleretvenir
àmaguise.Fini de rôder furtivement et de parcourir les toits la nuit. Il serait libre d’aller où bon lui
semblerait.Libredeparcourirlesruessansquequiconqueessaiedeletuer…oudel’enfermer.Leprinceconsortagitanégligemmentlamain.—Çaaussi,vouslevoulezparécrit?Willmontralesdents.—Absolument.
—C’étaitbienjoué,déclaraBladeensehissantàl’intérieurdelacarrioleavecungrognement.Will adressa un signe de tête à Rip, derrière lui, qui portait une livrée de cocher et un épais
manteau.Au-dessousapparaissaitunevéritablearmurerie,ainsiquelebrasmécaniquequipourraitlecondamnerdanscettesociété.Àl’arrièredelavoituresetrouvaitTinMan,unautrehommedeBlade.Lalumièresereflétaitsurlaplaquedemétalappliquéesursoncuirchevelu.Ilneparlaitpas,maisilsavaitsacrémentbienyfaireavecunelame.
—Ramène-leà lamaison,ditWillenposant lamainsur l’épauledeTinMan.Assure-toiqu’ilrentreentoutesécurité.
Bladesortitlatêteparlafenêtre.—Oùtuvas?—Tenirunepromessequej’aifaite.—Toutseul?—J’aiunlaissez-passer.Autantenprofiterpourlanuit.Ilyeutunelonguepause.—Soisprudent.—Commetoujours.Il tourna les talons et reprit la direction de la salle de bal.Malgré la présence d’innombrables
sangsbleus,unpetitsouriresedessinasurseslèvres.Cettefois,Lenaétaitàsamerci.
6
Aucunsigneduducoudeladuchessenullepart.Lenajuraàvoixbasseetbattitenretraite.Ilnefallaitpasqu’onlasurprenneicitouteseule.Elle
avait beau vouloir en découvrir davantage au sujet du traité scandinave, elle n’était pas assez bêtepourfouillerlespiècesaucoursd’unesoiréepeupléedeprédateurs.
Elleretournadanslevestibuleetfutassaillieparlebruit.Elleseglissadanslasalledebaltoutengardantl’œilouvertàl’affûtd’uncertainloup-garouqu’elletenaitàéviter.
Ilétait tempsdepartir.Il luifallaitseulementtrouverAdeleetsamère–quilachaperonnaitcesoir – et prétexter une migraine. Elle plaqua un sourire blême sur son visage et se mit à leurrechercheenrasantlesmurs.
Elle fitun tourcompletqui la ramenaauxportesprincipales.Adeleportaitdublanc,commeilconvenaitàunefemmequicherchaitactivementunprotecteur,maisellenelaretrouvadansaucunedesdébutantesvêtuesdecettecouleur.Unelégèrepaniques’emparadeLena.Ellen’auraitpasquittéle bal sans elle, si ?Adele en connaissait les conséquences aussi bien qu’elle. Ici, les deux jeunesfemmesprofitaienttoutesdeuxd’uneillusiondesécurité.
À moins… qu’elle ne soit partie à dessein avec quelqu’un. Peut-être avait-elle trouvé unepersonnedisposéeàlaprendrecommeesclave?
Lenafilalelongdesfenêtresenscrutantlesjardinsplongésdanslapénombre.Adele,Adelelarusée,Adele l’astucieuse,nemettrait jamais sa réputationendangerunenouvelle fois.Passansuncontratd’esclavageinfaillibleenmain.
Elleadressaunsourireàsamère,quibavardaitavecuneautrematrone,puissefrayauncheminàtravers lafoule.Elleseretrouvadenouveaudans l’entrée.L’horlogedeparquetégrenait lentementlesminutesaumilieudesescaliers,maislapièceétaitvide.
Lestoilettespourdames.Peut-êtreétait-ellelà-bas?EllepoussalaportedelapetitepièceettombanezànezavecladuchessedeCasavian.Lafemmel’attrapadesesmainspâlesetfortes.Desannéesplustôt,sonpèrel’avaitinfectéedu
viruspourqu’àsamortsonclannetombepasdansl’oubli.Araminaauraitdûêtreconsidéréecommeunerenégate,maissaMaisonétaitl’unedesGrandesMaisons.Aprèsavoirsurvécuàd’innombrablestentatives d’assassinat, certains disaient qu’elle s’était frayé un chemin vers le pouvoir par lechantage,forçantl’Échelonàl’accepter.
—Jesuisdésolée,ditLena.Jecherchaismonamie.Araminaplissalesyeux.—VousêteslapupilledeBarrons,n’est-cepas?Unpeutroptard,Lenaserappelalaquerellequiopposaitcettefemmeàsondemi-frère.
—Oui.—Unefillecommevousnedevraitpasseretrouverlàtouteseule.C’estdangereux.—Jelesais.Jen’arrivepasàretrouvermonamie…etjenepartiraipassanselle.Unelueurdeprévenancebrilladanssesyeuxcouleurcognac.Puis laduchessepinçaseslèvres
rubis.—Jevaislachercher.Comments’appelle-t-elle?—AdeleHamilton,réponditLena,soulagée.Elleestvêtuedeblanc.Laduchessefitunepause,lamainsurlapoignéedelaporte.—Cenomnem’estpasétranger.N’est-cepas lafillequiaétésurpriseencompagniedeLord
Fenwickl’annéedernière?—Pas par choix, précisa Lena en se demandant si la duchesse se préoccupait de ce genre de
détail.Toutlemondeestaucourant,aprèstout.Laduchessefinitparsortiraprèsluiavoiraccordéunlongregard.—Jevaislaretrouver.Restezici;vousdevriezêtreensécurité.Lenas’éventalevisage.Detoutesleschosesquiauraientpuarriver,ellen’auraitjamaisimaginé
que la duchesse de Casavian puisse lui venir en aide. Elle était célèbre pour son attitude et soncaractèreglacials.
Et,par-dessustout,pourlahainequ’ellevouaitàlaMaisondeCaine,Leocompris.Pourquoiaiderlapupilledesonennemi?Àmoinsqu’ellenesoitpasréellementpartieàlarecherched’Adele…Lenacessad’agitersonéventailendentellenoire.Laduchesseluiavaitconseilléderesterici,de
nepasretournerdans lasalle,oùellepourraitêtreensécurité. Ilétaithautement improbablequ’unsang bleu déboule dans les toilettes pour dames, mais c’était également l’endroit idéal pour uneembuscade. Sombre, isolé… suffisamment pour que personne ne l’entende crier par-dessus lamusique.
Toutcequeladuchesseavaitàfaire,c’étaitd’allertrouverl’undestypeslesplusdangereuxetluisusurrerunordreàl’oreille.EtLenaseraitperdue…unautrepioninsignifiantsacrifiéaujeuquisedéroulaitentreladuchesseetLeo.
Ellenepouvaitpasresterlà.Elleseglissadanslecouloirenténébré.Était-celefruitdesonimaginationouleslampesàgaz
avaient-ellesréellementétééteintes?Lecœurbattant,ellesehâtaendirectiondelasalledebal.Troptard.Ducoindel’œil,ellevitlesombresbouger.Quelqu’unsortitdel’abridelastatued’un
angeetuneénormemainbasanéeseplaquasursabouche.Non!Lenaécarquillalesyeuxquandellefut attirée contreunepoitrine ferme.Puis,malgré ses coupsdepied impuissants, elle fut entraînéedansl’unedesnombreusespiècesplongéesdansl’obscurité.
Lenahurlacontrelapaumedelamainquilabâillonnaittoutencontinuantdedonnerdescoupsautibiadesonravisseur.LesouriredeprédateurdeWills’effaça.Ilavaitbieneul’intentiondeluifaireunpeupeur,maislaterreurquiémanaitd’elleréveillatoussesinstinctslesplusdangereux.
—Chut,murmura-t-ilcontresonoreille,lafaisantfrissonner.Lena,c’estmoi.C’estWill.Lanervositélaquittasisubitementqu’ildutlaretenircontrelui.Ellesetournaavecunsanglot,et
posalatêtesursontorse.Ellehaleta,àl’étroitdanssoncorset,etenfonçasesdoigtsdanssachemise,toutprèsdesoncœur.Willsefigea,lamainensuspensau-dessusdesescheveux.
Qu’est-ce qui avait bien pu autant l’effrayer ? Ce n’était certainement pas son proprecomportement ;àsamanièredes’effondrercontre lui,elleavaitdûs’attendreàquelqu’und’autre.Cettepenséeluifitvoirrouge.Lespoilssedressèrentsursanuqueetungrognementmontadanssagorge.
—Lena?—Çava,répondit-elle.(Elleserral’autrepoingetluidonnauncoupdanslebras.)Est-cequetu
essayaisdemefairemourirdepeur?Ilsentitàpeinesoncoup.—Qu’est-cequit’aeffrayéainsi?Quiestàtapoursuite?Lenas’immobilisa.Elledesserralesdoigtsetrecula.—Personnen’estàmapoursuite.Mensonge.—Personned’autreque toi, ajouta-t-elle enplissant lesyeux.Qu’est-ceque tu fais ici ?Tues
fou?Ilsvonttemettreenpièces!—J’aiunlaissez-passerpourlanuit.—Pourquoi?(Unelueurd’inquiétudetraversasonregardetelleluipritlebras.)Neleurfaispas
confiance. Ne les laisse pas t’impliquer dans leurs complots. S’il y a unmoyen de contourner lapromessequ’ilst’ontfaite,quellequ’ellesoit,ilsletrouveront.
Étrange,delapartd’unefemmequirêvaitdepuisdesannéesdevivreauseindel’Échelon.Ilregardalapetitemainposéesursonbras.Etserenditcomptequ’ilsétaientseulstouslesdeux
dansunepiècesombre.LeregarddeWillglissaverssondécolletéetlescourbesdoucesdesapoitrine.Leclairdelune
filtraitàtraverslesrideauxetprojetaitunéclatargentésursapeau.Elleétaitmagnifique.Unedéessedelanuit.Chacunedesombresdessinéesparlalumièresemblaitl’appeler,lemettreaudéfideposersesmainssurelle,detracerlescreuxetlescontoursquiétoffaientsarobe.Seigneur.Sonentrejambedurcitettenditletissudesonpantalon.Ilpouvaitpresquesentirlachaleurparfuméedesapeau.
Ilfitunpasenarrièreetsecoualatête.—Tumedoisquelquesexplications.—Jen’aipasletemps.Pasmaintenant.Illuisaisitlepoignetetcaressalapeausensiblesoussonpouce.—Alorsprends-le.Elle chancela contre lui et posa légèrement sa paume sur son torse. Elle avait dû lire quelque
chosesursonvisagecarelleprituneprofondeinspiration.—S’ilteplaît,Will.Pasmaintenant.Jedoism’occuperdequelquechose.—Biensûr.—Tunecomprendspas.Jedoisretrouvermonamie.Jepensequ’elleapeut-êtredesennuis.Sonodeurchangea.Plustranchante,plusamère.Lapeur.Willlarelâchaetobservasonvisageen
formedecœur.—Quelsgenresd’ennuis?—Ilyaun…jeuauquelselivrentlessangsbleus.Quandilsattrapentunefilletouteseule.Ellesefrottainconsciemmentlepoignet.—Continue.—Adeleneserait jamaispartiedesonpleingré.Elleconnaît lesconséquences.S’il teplaît, je
doislaretrouver.Avantqu’ilsoittroptard.—Tun’yvaspasseule.
—Siquelqu’unmevoitavectoi…Elleseraitperdue.L’espaced’uninstant,ilfutàmoitiétenté.Ellenepourraitjamaisrevenirdans
cetuniverssionlasurprenaitseuleavecunloup-garou.Mais elle avait fait son choix. C’était le monde qu’elle désirait. Il n’y avait rien pour elle à
Whitechapel;c’estelle-mêmequil’avaitdit.
Ilsepenchaetluimurmuraàl’oreille:—Alorsilsmeverrontpas.Maisjeserailà.Cen’étaitpeut-êtrequelefruitdesonimagination,maisilcrut,pendantuninstant,qu’elleavait
frissonné.
Le rythmed’unevalse luiparvint auxoreilles tandisqueBarronsmontait lesescaliers. Il avaitespéré s’entretenir avecWill avant son départ,mais le loup-garou semblait s’être évaporé dans lanature.
Quandiljetauncoupd’œildansl’undescouloirs,ilaperçutlepand’unejupecouleuraubergineetunechevelurecuivréedisparaîtredansunaccès.
Ils’arrêtanet.Intéressant.Lamusiqueetlesriresrésonnaientenbas,maissespiedsleguidèrentdansl’enfilade.Ilseglissaensilencedanslapièceetseretrouvadansunpetitsalonplongédanslapénombre.Le
clairdelunequifiltraitparlafenêtreilluminaitlescheveuxbrillantsdeladuchessedeCasavian.Elleétaitcolléecontreuneportecommunicante,latêtepenchée,commesielleécoutait.
—Tucherchesquelquechose?Unlégercridesurprises’échappadeseslèvres.Ellepivotaetluijetaunregardglacial.—Ouquelqu’un?Ils’appuyacontrelaporteferméeetcroisalesbras.—Çaneteregardepas,Barrons.Elle s’approcha furtivement de lui, la chair blanche de son décolleté exposée de manière
aguicheuse.Unstratagème,biensûr,destinéàattirer les regardsmasculins,pour lesécarterdesesmains.
Iln’avaitjamaisétésibête.Cettefemmeétaitdangereuse,etLeolesavait.Rienneluiplairaitplusquede le voirmort, lui ainsi que le duc deCaine, et regarder leursMaisons tomber dans l’oubli.Malgrétout…lespectacleétaittentant.
—Ôte-toidemonchemin,ordonna-t-elle.Elle fit encoreunpas en avant et ses jupons frôlèrent les chevillesdeBarrons.Comme si elle
pensaitqu’ilallaitluiobéir.—Pourquoi?(Leos’avançaàsontour.Ellelevalementon.)C’estunenuitmagnifiqueettues
une femmemagnifique. (Il tendit lamainpourdésigner la pièce avecun sourire railleur.)Et noussommestoutseuls.
Le geste fut rapide. Il lui saisit le bras et le clair de lune illumina la poignée incrustée d’unedague. Leurs regards se croisèrent. Elle n’affichait aucun signe de confusion. Rien d’autre que lehaussementd’unsourcil.
Uneprincessedeglace.Ileutsoudainenviedeluiarrachersonmasqueimpassible.
Il lafitpivotercontre laporteet laforçaà lever lepoignet–et lepoignardqu’elle tenait.Elles’apprêtaàabattresonautremain,maisillasaisitàtempsetlafitclaquercontrelebois.
Piégée.Araminaretintsonsouffle.—Net’imaginepasquejesuismoinsdangereusepourautant.—Çanemeviendraitpasàl’esprit,murmura-t-il.Sonparfumluimontaauxnarines.Delacannelleépicée.Séduisant.Presqueassezpourluifaire
desserrersonempriseetcollersoncorpscontrelesien.Presque.—Uncoupdegenoudanslesparties?demanda-t-il.Ellesourit.Maisiln’yavaitaucunechaleurdanssonattitude.
—Unelameseraitpréférable.Leogrimaça.—Tuessanspitié,machère.—Jepeuxl’être.Araminabaissalesyeux.Etlesposasursabouche.Leosefigea.L’adoucissementdesonexpressionlecaptivacommeuneflammeattireunpapillon.
Cette femme était son ennemie. Leurs deuxMaisons étaient en conflit. Pourtant, il ne pouvait nierqu’ellelefascinait.
—Moiaussi, jepeuxêtresanspitié,chuchota-t-ilenapprochantsonvisagedusien.Maisça teplairait,n’est-cepas?
Ellehumectaseslèvres.Puisdétournalevisage.LesouffledeLeoagitalesbouclesautourdesonoreille. Son cœur semit à battre plus fort quand sa bouche frôla sa joue.Les palpitations dans sacarotideluiprouvaientqu’ellen’étaitpasaussiindifférentequ’ellevoulaitlefairecroire.Ilpassaseslèvresdessus et sentit sonpoulsdans saveine.La chaleurmonta et son sexe sepressa contre elle.Puis,laseconded’après,sesmainsseretrouvèrentsurleshanchesd’Aramina.
—TudevraissurveillertaMaison,susurra-t-elle.Il traça lacourbedesagorgeduboutdesa langueetmordilladoucement saveine.Nomd’un
chien,commeilavaitenviedegoûtersonsang!—Qu’est-cequetuveuxdire?Unrireléger.Araminalevasonvisageversluiets’approchadesonoreille.—Oùesttapupille,Barrons?murmura-t-elle.Unobjettranchants’enfonçadanssonentrejambe.Lecouteau.Ilsiffla.—Qu’est-cequetuluiasfait?—Moi?Rien.(Araminasehissasurlapointedespiedsetcollasapoitrineàsontorse.)C’était
presquetropfacile.Elleleforçaàreculer.Araminaouvritlaporteetjetaunregarddésinvoltepar-dessussonépaule.
Ladagueavaitdisparu.—En fait, j’essayais de faire une bonne action. Je l’aime bien. (Un bref sourire.) Et elle peut
avoirsonutilité.(Toutenseglissantdel’autrecôtédelaporte,ellelançasansseretourner:)Tulatrouverasdanslestoilettespourdames.
Lenaremonta lecouloirenvérifiant lespièces lesunesaprès lesautres.Lapeaudesesbras lapicotait,carelleétaitconscientequeWilll’observait.Ellenelevoyaitnullepart,maissaprésenceluiapportaituneassurancequ’ellen’avaitpaséprouvéedepuisbienlongtemps.
Quand elle referma sans bruit la porte du bureau deLordHarker, elle se figea.Qu’est-ce quec’était ?Un cri faible dans le noir ?Elle avança en silence vers la bibliothèque en gardant la têtepenchée.Lesonluiparvintdenouveau.
—Non.Pitié.Adele.Danslabibliothèque.Unevaguedecolères’emparad’elle.Elleouvritviolemmentlaporte.Laflammed’unebougie
vacilla, illuminant la méridienne devant l’âtre froid. Adele était penchée dessus comme une fleurfanée.Dusangcoulaitsursagorgedouce.Soncorpsétaittrempéetlerougeécarlatecontrastaitaveclasoieblanche.
Unhomme releva les yeux, les lèvres rouges.La lueur de la bougie se reflétait dans ses yeuxnoirs.BenjaminCavendish,lefilsaînédubaronRackham.
Ils’essuyalabouchesursamanche,avecunsourireinsolent.—Ah,leplatderésistanceestarrivé.—Lâchez-la.— J’avais fini, de toute façon. (Il la parcourut du regard.) C’estmademoiselle Todd, n’est-ce
pas?Adelepoussaungémissementetportasesmainsàsagorge.Sonregardeffrayécroisaceluide
Lena.«Fuis.»Lena serra les poings. Ce salaud pensait l’avoir acculée. La présence silencieuse de Will lui
procurauneforcequ’elleneseconnaissaitpas.Elles’emparad’untisonnierprèsdelacheminéeetluifitface.
—Lâchez-latoutdesuite.—Unefougueuse…C’estencoremieuxquandellessedébattent.Iléclataderire.Lenabranditletisonnierquandilfitunpasfurtifverselle.—Vousêtesunlâche.Traquerdesjeunesfemmeslorsd’unbal…vousn’êtesbonqu’àça.Vous
n’êtespasunhomme;vousn’êtesqu’unsalepetittyranquis’attaqueauxplusfaibles.Cavendishplissalesyeux.—Tuvasleregretter.Il tentade l’attraperpar la jupe.Lenaabattit le tisonnieravecplaisir.Prendsça, espècede sale
crétin.—Enlevezvosmains!Lessecondessuivantessedéroulèrenttroprapidementpourqu’ellepuissesuivrelefildel’action.
Cavendishétaitentraindemontrerlesdentset,l’instantd’après,ilagrippaitsamainblessée.Puisilseretrouvaplaquécontrelemanteaudelacheminée,lamaindeWillautourdesagorge.
—Will!Tun’espascensétemontrer!—Ilaposésesmainssurtoi.Laprofondeurdesavoixlafitfrissonner.Dangereuseetbrutale.Unevoixquin’accordaitaucun
pardonetnefaisaitaucuncalcul.Elledevaitl’arrêteravantqu’iltuequelqu’un.—Ilm’aàpeinetouchée.Will!Lâche-le.Ellelaissatomberletisonnieretluisaisitlebras.C’étaitinutile.Ellenepouvaitriencontrelui.—Will!Situluifaisdumal,ilstetueront.
—Toi!hoquetaCavendishavecunregardmalveillant.(IltournalesyeuxversLena.)Espècedepetiteputedegarou.Jevais…
SesmotsfurentétouffésparlesdoigtsdeWillquiseresserrèrent.—Regarde-moi,dit-il.Leprédateurrôdaitsouslasurface.Cavendishneputqu’obéir.—Situt’approchesd’elleencoreunefois,jetetue.Etjeferaidurerleplaisir.IlsouritetLenafrémit,choquéeparlasauvageriecontenuedanssavoix.—Ne t’imagine pas pouvoir te cacher. Tu peux t’entourer de tous les gardes que tu veux, je
finiraipart’avoir.Tupiges?Lesangbleutentadeselibérer.Sonvisagetournaviteaucramoisi,maisilparvintàhocherla
tête.WilllerelâchaetCavendishchancelaenarrièreavantdes’effondrercontrelacheminée.—Si j’entends seulementunmotconcernantce soir, concernantLena, jeviens techercher, lui
promitWill.Maintenant,dégaged’iciavantquejechanged’avis.Cavendishseruatantbienquemalverslaporte.L’aisanceavec laquelleWills’étaitcomporté…Lenaéprouvaunebrèvepointede jalousie.Oh,
commelaviedevaitêtreplusfacilequandonétaitunhomme,fort,redouté…Une touxétrangléeparvintde laméridienne.La jeune femme fit volte-faceet seprécipitavers
Adele.—Ques’est-ilpassé?Lenas’agenouillaettournalatêtedesonamiesurlecôtépourexaminerlesdégâts.Il l’avait profondément entaillée, en se servant de l’une de ces petites lames que l’Échelon
affectionnaittant.Quelques-unsdessangsbleuslespluscruelstaillaientleursdentsenpointe,maislamajoritéutilisaientdeslames.
Il avait aumoins eu la présence d’esprit de lécher la plaie par la suite.La salive de sangbleupermettaitd’accélérerlacicatrisation.
—Là,murmura-t-elleenarrachantunboutdesonjupon.Elleleroulaenbouleetarrachauneautrebandepourmaintenirlapremièresurlablessure.—Jetecherchais,murmuraAdele.—J’étaisseulementalléeauxtoilettes.—Colchester…estarrivé.LesmainsdeLenasefigèrent.Puisellecontinuadenettoyerlesang.—Tun’auraisquandmêmepasdûvenirseule.—J’aivuColchesterparleràCavendish.(Adeledéglutit.)Ilaquittélapièce,etj’aipensé…—Ilst’onttenduunpiège.Au diable Colchester. Il avait délibérément envoyé l’un de ses alliés pour piéger Adele. Son
comportement,l’autrenuit,avaitdûattisersacolère.—C’estqui,Colchester?Lenas’immobilisa.ElleavaitoubliéWill.Elleseretournadansunbruissementdejupons,l’esprit
enébullition.ElleavaitvusonexpressionquandilavaitétoufféCavendish.Sielleluiparlaitduduc,ilrisquaitdes’enprendreàlui.
—LeducdeLannister,répondit-elleavecprudence.IlaquelquesgriefscontreLeo.AdeleremuaetLenaluiserralamainenguised’avertissement.Pasunmot.Willl’observa,levisagedénuéd’expression.Àcôtéd’elle,Adeles’éclaircitlavoix.
—Qui…est-ce?—C’estl’hommedeBlade,répondit-elleenreportantsonattentionsursonamieblessée.Le bandage contenait les saignements.En revanche, la robe n’était pas récupérable. Ils allaient
devoirlafairesortirincognito.—Cavendishaditquec’étaitun…Adelenefinitpassaphrase.Lena ne l’avait jamais vue effrayée auparavant. Lasse du monde et cynique, oui, mais jamais
vraiment effrayée.Elle s’apprêta à lui répondreet s’interrompit.Elle savaitdequoi ça aurait l’air.Will restait dans l’ombre, mais tout, chez lui, était intimidant aux yeux d’une personne qui ne leconnaissaitpas.Etmêmealors…
Adeleavaitsûremententendudesrécits–desrécitsdesangsbleus–concernantlesloups-garous,leurviolenceet leuremportement incontrôlable.Auxyeuxde l’Échelon,Willn’était riendemoinsqu’unmonstredangereux.
—Unloup-garou?Oui,répondit-elleenl’aidantàseredresser.(Elleluisouritetsepenchapourluimurmurer:)N’aiepaspeurdesaminerenfrognée.Ilsecroitimpressionnant.Maisc’estuncœurtendresoussonairlugubre.(Lenaneputs’empêcherdesourire.)Unjour,jel’aivusauveruneportéedechatonsqu’unebandedejeunesallaitnoyer.Ilsl’ontsuivipartoutaurepairependantdesmois.J’aibienpeurqueçan’ait ruinésa réputationsoigneusemententretenue.Jenevoyaisplusqu’unemèrepouleavecsespetits.(Sonsouriredisparut.)Lesseulsmonstres,ici,cesontColchesteretsespetitscopains.
Will semblait somnoler, les paupières mi-closes. L’alerte d’un danger. Ça signifiait qu’ilréfléchissait,etcen’étaitpasdutoutcequ’ellevoulait.Ellecroisasonregardetlevalementon.
—Ondoitlasortird’iciavantquequelqu’unlavoie.Sinon,elleestperdue.Will retira sonmanteau et le lui offrit. Adele tressaillit,mais elle prit une lente inspiration et
laissa son amie le passer autour de ses épaules. Lena inspira la chaleur délicieuse qui émanait duvêtement.
Will retroussa sesmanches et la lumière des bougies illumina ses avant-bras bronzés. Elle sedemanda,etcen’étaitpaslapremièrefois,sisapeauétaituniformémentdelamêmecouleurdorée.
Despenséeshasardeuses.Elledétournarapidementsonattention.—Viens,dit-ilàAdele,enessayantàsamanièredesemontrercourtois.Jepeuxteporter.Elle écarquilla les yeux,mais elle hocha la tête et le laissa glisser ses bras sous elle.Will la
soulevasanspeine.IlcherchaleregarddeLena.—Paroù?AvecWillàsescôtés,traverserlecouloirsombreluifutnettementplusfacile.Sessensaiguisés
les épargnèrent de nombreuses fois. Ils traversèrent en silence l’entrée des domestiques, puis lejardin,etsehâtèrentderejoindrelacarrioleàvapeurdeHamilton.
Affaiblieparsapertedesang,Adeles’installasurlabanquette,somnolente.Lenatiraunepetitecouverturesursesgenouxetvérifiasonbandagedefortune,avantdesetournerverslevalet.
—Pouvez-vousallerchercherMmeHamilton?Illuirestaitunequestionàrégler.Elleposalepiedsurlemarchepieddelacarriolepuissetourna
versWillàcontrecœur.—Merci.Pourm’avoiraidéeavecAdele.Dosà la lumière, sonvisageétaitplongédans l’ombre.Maisun légeréclatambré révélait son
humeur.—Toietmoi,ilfautqu’onparle.
—Iln’yarienàdire.Ellesedétournapours’installersurlabanquette,maisillarattrapaparlepandesajupe.—J’aipasl’intentiondepartir,Lena.Uncoupd’œilpar-dessussonépauleluiconfirmasesintentions.—Pourquoituneveuxpaslaissertomber?Çaneteregardepas.Cen’étaitmêmepascommes’ils’enpréoccupait.Iln’agissaitainsiquedansl’intérêtdeBlade.Quandellesetournadenouveau,sonvisageétaitàlamêmehauteurquelesien.Bienqu’ellese
soit toujours sentie désavantagéepar rapport à sa petite taille, soudain, c’était bien trop intime.Lachaleur de son corps imposant la protégeait de la brise froide, et ses jupes pressèrent contre sescuisses. Elle scruta son regard à la recherche de quelque chose, n’importe quoi, pour lui prouverqu’ellesetrompait.Qu’ilétaitlàpourelleetnonpaspourBlade.
—Pourquoi?Ildétournalesyeux,pensif.—J’aitrouvélemêmemessagecodésuruntypequiapoignardéBladeenpleincœur.Ilsepasse
quelque chose, Lena. Je ne compte pas le laisser, ni lui ni les colonies, s’y faire prendre. (SesprunellesdebraiseplongèrentdanscellesdeLena.)Etjepensequet’ensaisplusquetuledis.
Ellepinçaleslèvres.Évidemment.Blade.Etlescolonies.—Tucroisvraimentquejepourraisêtreimpliquéedansunehistoirequirisqueraitdefairedu
tortàBlade–et,àtraverslui,àmasœuretàmonfrère?—Jesaispas,répondit-iltoutbas.Àcet instant, elle lemaudit.Malgré sesnombreuxdéfauts, elleneprendrait jamais lemoindre
risqueaveclaviedeHonoriaetdeCharlie.Elletenditlamainverslapoignéedelaportièreetluijetaundernierlongregarddemépris.
—Rentre,Will.Taplacen’estpas ici, et tun’espas lebienvenunonplus.Contente-toid’allerpatrouiller dans ton petit secteur de Londres. Je ne viendrai plus vous rendre visite et je n’ai pasl’intentiondetecroiserenville.
ElleaccordauneœilladeglacialeàlamaindeWill,etillaretiralentement.Latensionirradiaitdesesépaules.
—Cen’estpascequejevoulaisdire.Jesaisquetuaimestonfrèreettasœur.—C’estl’unedesrareschosesquetusemblesconnaîtredemoi.Elle rassembla ses jupes dans la carriole et s’apprêta à refermer la portière, mais Will l’en
empêcha.Ilsepenchaplusprès.—Lena,bonsang…—Est-cequecetypevousennuie?Tout contreWill, ellen’avait pas réalisé laprésenced’uneautrepersonne.Will nonplus, à en
jugerparlasurprisequilefitfrémir.Lenaluijetaundernierregardmordantetobservapar-dessussonépaulelejeunelordlégèrement
ivre,auquelelleadressaunsourire.Sauvéeparunsangbleu.Quelleironiedusort.—Ilallaitpartir.Merci.—Avecplaisir.Lejeunehommeluiadressaunclind’œiletunsignedelamain.Ellel’avaitdéjàvuauparavant,
maissonnomluiéchappait.Willretirasamain.—Jetelaissepartir.Pourcettefois.
Lenarefermalaportièreetluisouritàtraverslavitre.Iltournalestalonsetjetaaujeunelordunregard qui le fit pâlir. Puis il disparut parmi les ombres, lesmains dans les poches, le brouillardtourbillonnantdanssonsillage.
—Alors,murmuraAdeleenposantlatêtecontreledossierdelabanquette,toujoursblottiedanslemanteaunoir.Parle-moiunpeudeceWill.
—Hmm?(Lenarelevalesyeuxdesajupequ’elleétaitentraindelisser.)Commentça?Adeleplissalespaupières.Unlégeréclatdesonpétillementhabituelréchauffasesjoues.—Ondiraitqu’ilveuttedévorertoutcru,Lena.Etpasdanslesenseffrayantduterme.—Will?Iln’aaucuneintentiondecegenre!Ilafaitassez…Puiselles’interrompit,conscientedecequ’elles’apprêtaitàrévéler.—Assez…?insistaAdele.(FaceausilencedeLena,unsourirelasflottasurseslèvres.)Tuas
consciencequejenevaispasenresterlà,machère?Lesyeux tournésvers l’extérieur,Lenaobserva les fenêtres illuminéesde la demeuredeLord
Harker. Le valet n’allait pas tarder à ramener la mère d’Adele. Alors, elle serait préservée desquestionsindiscrètes.
Pourtant…unbesoinsoudainlagagna.Lebesoindeseconfieràquelqu’un,mêmeàAdele.Elleretenaittantdechosesenelledepuisdesmoisqu’ellesesentaitsurlepointd’exploser.
—Je l’ai embrassé, éructa-t-elle. Jene saispaspourquoi.Cen’étaitqu’un jeuauquel je jouaisaveclui.Unflirt.Çanevoulaitriendiredepluspourmoi.
N’est-cepas?Lenafronçalessourcils.Ellenepouvaitréellementrépondreàcettequestion.—C’était horrible. Il nem’amêmepas rendumonbaiser.Etquand j’ai arrêté…(Ses joues la
brûlaient.) Ilm’a dit qu’il toléraitmes petits jeux puérils uniquement dans l’intérêt deBlade,maisqu’ilpréféreraitquejenemejettepassurluicommeça.Notammentparcequ’onvivaitsouslemêmetoit.
Cesouvenirluinoual’estomac.Ils’étaitmisdansunetellecolèrequ’ilenavaittremblé.Puisilavaittournélestalonsets’étaitéloignésansrienajouter.
Elleparvinttantbienquemalàhausserlesépaulesaveclégèretéàl’intentiond’Adele.—Lelendemain,ildéménageaitdurepaire.Etj’aidécidéqu’ilétaittempspourmoiderevenir
danslegrandmonde.Iln’yavaitrienpourmoiàWhitechapel.—Ilnet’apasrendutonbaiser?—Mêmepasunpeu.Adelefronçalessourcils.—Comme c’est étrange.Moi, j’aurais soupçonné tout l’inverse, ma chère. Il n’arrivait pas à
détacherlesyeuxdetoi.EtquandCavendishaessayédet’attraper,j’aibiencruqu’ilallaitletuer.—C’est enversBlade qu’il est dévoué.S’il laissait lemoindremalm’arriver, c’est à lui qu’il
devraitrendredescomptes.EtàHonoria.—Hmm.(Adeleseblottitunpeuplusdanslemanteau.)Jetepariecentlivresquetutetrompes.—Etcommenttuveuxleprouver?demanda-t-elled’untonaigre.Jen’aipasl’intentiondelui
poserlaquestion.Adelefermalespaupières,unpetitsourireauxlèvres.—Laprochainefois,jesuissûrequec’estluiquit’embrassera.
LaportedubureaudeLordHarkers’ouvritbrusquement.
Colchesterrelevalesyeuxpar-dessusleborddesonverre.IlobservaCavendish,soncolfroisséetlalueurdefureurdanssonregard.S’ilnesetrompaitpas,unlargebleuétaitentraindeseformersursagorge.
—Qu’est-cequis’estpassé?Ellenes’estquandmêmepasautantdébattue,si?Cavendishluijetauneœilladenoireetsedirigeaverslacarafedevin.—Tuasoubliédepréciserqu’elleétaitsousprotection.Ilversaunegénéreusequantitédevindesangdansunverreetlebutd’untrait.—Une protection ? s’étonna Colchester. (Il observa de nouveau l’ecchymose.) Quel genre de
protection?Cavendishbaissasonverreetmurmura:—Peuimporte.Colchesterselevaetjetalejournalqu’ilétaitentraindelire.Aurez-de-chaussée,lafêtebattait
toujours son plein, à en juger par le volume sonore de la musique ; cependant, il n’avait pasl’intentionderejoindrelafouletourbillonnante.Non,ilavaitd’autresprojets.
DesprojetsqueCavendishvenaitpeut-êtrebienderuiner.—Jecroyaisquetuétaisunsangbleu,Cavendish.Pasunpauvrehumainsansdéfense.Jet’avais
demandé de détruire cette fille et tu n’en asmême pas été capable. (Il ricana et contourna l’autrehomme.)Est-cequ’elle t’a frappéàcoupsde sacàmain?Oubienellen’étaitpas seule?Toutuntroupeaudedébutantespourtesauterdessus…
UnelueurdecolèreassombritleregarddeCavendish.—J’aimeraist’yvoir,toi,àdéfierlaBête.Ondiraitbienquetapetitetraînées’estdégotéunsale
loup-garoupoursurveillersesarrières.—Qu’est-cequetuveuxdire?—Ilestsûremententraindedépouillerlafilleencemomentmême.Ondiraitquetunemettras
paslamainsurelle,enfindecompte.Colchesterlesaisitàlagorgesansprévenir.—LaBêtedeWhitechapel?Cavendishhochalatêtetantbienquemal.Ilétaitsouslechoc.Lapetitegarce.Elleavaitcrupouvoirsetrouverunprotecteur,c’estça?Il
émitunsonétrangléetColchesterlerelâchaavantdes’éloigner.Ildonnaungrandcouprageurdanslesverresdisposéssurleplateau,quiallèrents’écraserausol.Lenaétaitàlui.Maissiellesesouillaitavecl’unedecesvilescréatures,alorsellen’avaitplussaplaceàsescôtésentantqu’esclave.Ilallaitlafaireréfléchiràproposdesoncomportement.
Cavendish,effondrécontrelatable,l’observaprudemment.—Qu’est-cequetuvasfaire?demanda-t-il,etColchestercompritqu’ilavaitparléàvoixhaute.C’était déjà suffisamment grave que le reste du Conseil cherche à s’allier à ces créatures.
Maintenant,l’uned’entreellesluivolaitsonesclavejustesoussonnez.Etceseulélément,sansparlerdureste,suffisaitàladésirerd’autantplus.
Ilsourit.Méchamment.—Laisse-moim’enoccuper.Jevaisluifaireregretter.(Ilépoussetasamancheetsetournavers
laporte.)Jevaisleurfaireregretteràtouslesdeux.
7
—Entrez.Willjetauncoupd’œildanslecouloir,lesbottesenfoncéesdansletapisturcmoelleux.Ilsentait
laprésencedeLenaquelquepartdanslamaison,maispasàproximité.Cequiluiallaitàlaperfectionpourlemoment.
Ilseglissadanslebureauetrefermalaportederrièrelui.Lesoleilmatinalrépandaitsesrayonsparlesfenêtres.Uneheureindue,enfait.Ilavaitàpeinedormi;sonespritn’avaitcesséderessasserles événements de la nuit précédente.Chaque fois qu’il s’était apprêté à sombrer dans le sommeil,l’odeurapeuréedeLenaluiétaitrevenueàl’espritetsespaupièress’étaientrouvertesbrusquement.Ilavaitbesoind’enapprendredavantage.Enparticulierausujetdunomquil’avaiteffrayée.
Barronsrelevalesyeuxdesonbureauetlesagranditlégèrement.—Will.Ilsecarradanssonfauteuil,etsongesteprovoquauncrissementsurlecuirgraissé.Vêtud’un
manteauenveloursnoir,lesourletsdedentelleblancheàsespoignetsetàsagorgeconstituaientlaseulenotedecouleur.Unepetitebrocherubisétincelaitsurletissubrodé.
—Tuasbienconsciencequetatêteseratoujoursmiseàprixjusqu’àcequetusignesledocumentduprinceconsort?(Ilbrandituneliassedepapiersetfronçalessourcils.)Quisetrouvejustelà,sijenem’abuse.
Willcroisalesbrassursapoitrine.—Qu’est-cequetusaisdel’hommequis’appelleColchester?—Colchester?(LesmainsdeBarronss’immobilisèrent.)C’étaitunami,avantqu’ilorchestrele
duelentresoncousin,Vickers,etBlade.Pourquoicettequestion?—PourquoiLenaapeurdelui?Barronsseredressa,etunelueurdedangers’allumadanssesyeuxd’obsidienne.—Qu’est-cequetuveuxdire?—J’aieuunproblèmeavecelle,hiersoir.Quandjel’airetrouvée,elleétaitterrifiée.Parlui.—Raconte-moi.Willluirelatal’histoireenomettantsoigneusementdementionnerlalettrecodée.—Jeleconnaispas.Jamaisentenduparlerdelui.(Ilgrattasabarbe.)Ilestdangereux?—Touslessangsbleussontdangereux.Willsoutintsonregard.—Est-cequ’ilpeutl’atteindre?Pourunefois,leflegmehabitueldeBarronsdisparut.L’incertitudeassombritsestraits.
—Jenesaispas.Elleaunecompagneetelleneserendàdesévénementsqu’avecunchaperonouavecmoi-même.MaispourunhommecommeColchester,ilyatoujoursunmoyendecontournerça.
—Qu’est-cequ’illuiveut?—Jepeuxseulementfairedessuppositions…Sevengerdemoi.Oupeut-êtrequ’ilaunintérêt
pourLenaelle-même.D’aprèslarumeur,ilseraitàlarecherched’unenouvelleesclave.—Tunecomptespaslaisserunechosepareilleseproduire?Barronslejaugead’unregardintense.—Enquoilaquestiont’intéresse-t-elle,detoutefaçon?—Bladeprotègelessiens,répondit-ilpromptement.Etmoi,jeleprotège.Ilneserelèverapasde
l’affrontd’unautreduc.Ilveutqueças’arrêteavantd’enarriverlà.—Jevois. (Barronsdésigna le fauteuil situéen facede lui.)Et comment suggères-tud’arrêter
toutça?Willselaissatombersurlesiège.—J’aipenséàunmoyendeprotégerLenaetd’aiderleprinceconsortdanssatâche.Faired’une
pierre,deuxcoups,pourainsidire.Barronsluifitsignedecontinuer.—Cetteruseduprinceconsort,medemanderdememettreàsondiapasonetdejouerlebouffon
delacour,nefonctionnerapas.Jeneconnaisrienaufonctionnementetauxusagesdecesystème.—Et?— Qui est mieux placé que Lena pour m’apprendre ? M’empêcher de me ridiculiser, ou de
marchersurlesplates-bandesdequelqu’un.— À moins que ce ne soit celles de Colchester… sur lesquelles tu souhaiterais fermement
empiéter, si je comprends bien où tout ça nousmène-t-il ? (Barrons se pencha en avant.)C’est unhommedangereux,Will.
—Moiaussi.Barronsl’examinaunlongmoment.Puisilhochalatête.—Ungardeducorps loup-garou.Çaferait réfléchiràdeuxfoisn’importequelhommesensé.
Entendu.Jevaisl’informerqu’elledevrat’aideràteprésenteràlacourett’escorter.—Sielleestàmescôtés,alorsilnepourrariententer.—Nefaisriendefâcheux,leprévintBarrons.Souviens-toidelacausepourlaquelletuagis;situ
tuesColchester,tupeuxfaireunecroixsurl’aideoulabonnevolontéduprinceconsort.Ycomprissurcetteréformedesloisquetuespèrestantétablir.
Willaffichaunsourireanticipatif.—TuveuxinformerLenadesanouvellemission,oujepeuxm’encharger?
HAUSSEDESTAXESDESANG!annonçaientlesgrostitres.Lenaplongeasacuillèredanssonœufàlacoquetoutenparcourantdesyeuxl’article.—MadameWade,vousavezvuça?demanda-t-elleenagitantsacuillère.(Dujaunebaveuxcoula
sur le journaletelle reposa rapidement l’ustensile.) Ilsaugmentent les taxesdesang!Onpassededeuxpintesparanàtroispintes!Tousceuxquin’ontriendonnéaucoursdumoisdernierdoiventsubirunesaignéeobligatoiredansleshuitprochainessemaines.
— Une jeune dame ne parle pas de choses pareilles. Surtout à la table du petit déjeuner.(Mme Wade pinça les lèvres en découpant méticuleusement sa saucisse.) As-tu lu les pagesmondaines?Qu’as-tupensédeladescriptiondelarobedeMlleHambley?
—Une jonquille flétrie ?C’est assez fidèle, si j’osedire, répondit-elled’unairdistrait. Il doits’agird’uneconséquencedel’incendiedesusinesdedrainage.L’Échelondoitêtredangereusementàcourtderéservesdesang.
Même si les esclaves servaient à leur fournir du sang frais, ils avaient également besoin deréservesréfrigérées.Ilétaitdangereuxdeprendreunetropgrossequantitésurunesclave,etlesviderdeleursangjusqu’àcequemorts’ensuiveétaitdetrèsmauvaisgoût.Lesseulslordsquipouvaientsepermettred’entretenirsuffisammentd’esclavespoursurvivresansriend’autreétaientlesgrandsducsqui gouvernaient la ville. Le reste de l’Échelon était forcé d’acheter du sang auprès des usines dedrainage,propriétésdugouvernement,oud’entretenirdesesclaves.
—Laclasseouvrièrenevapasêtrecontente.Trois émeutes avaient déjà eu lieu cette année, deux concernant les travailleurs automates qui
volaientleurtravail,puisquandunejeunefemmeavaitétéretrouvéemortedansuneruelle,vidéedesonsang.
MmeWadeémitunsondésapprobateuretpiquaunboutdesaucisse.OnfrappaàlaporteetLeoapparutdanslasalleàmanger,entièrementvêtudenoir,commeàson
habitude.—Mesdames,salua-t-il.MmeWadesetamponnalaboucheavecsaserviette.—Bonjour,monseigneur.Vousjoignez-vousànouspourlepetitdéjeuner?—Jecrainsquenon.IljetauneœilladeàLena,etcelle-cisefigea.Àenjugerparsonregard,Leomanigançaitquelque
chose.—Oui?demanda-t-elle,lecœurbattant.Avait-ilentenduparlerdecequiétaitarrivéàAdele?OuàCavendish?—J’aiunefaveuràtedemander,déclara-t-ilenappuyantsahanchecontrelatable.—Biensûr.Qu’ya-t-il?Elleperçutunmouvementducoindel’œil.Will.Ilentradanslapièce,lesmainsenfoncéesdans
sespoches,leregardbrillantd’unelueurdesatisfaction.Lenarestafigée.Soncolétaitouvert,laissantapparaîtreunepartiedesapoitrinesaineetbronzée.
Iln’avaitpaspris lapeinedese raser.Avecsesprunellesd’ambrebrûlantet sabarbe, ilparaissaitparticulièrementdangereux.Unegriffeenargentpendaitàunlonglacetdecuirautourdesoncou.
UnsourireinhabituelflottaitsurseslèvresetLenasentitlesbattementsdesoncœuraccéléreràun rythme frénétique. Oh, Seigneur ! Elle l’avait rarement vu sourire. Et encoremoins à elle. Lerésultatétaittotalementdévastateur.
LeoseraclalagorgeetLenadétournalesyeux.—Certainementpas!éructa-t-elle.—Tun’asmêmepasentendumaproposition.—Inutile.—CarverareçuunecommissiondelaCouronne,poursuivitLeo.CesmotsdétournèrentsonattentiondeWill.—Unecommission?Quepouvaitbienluivouloirleprince?Carc’étaitbiendeluiqu’avaitdûvenircettecommission.
C’étaitpeut-être la reinequiétaitassisesur le trône,maisellen’étaitque lamarionnetteduprince.Elleosaitàpeineprendrelaparolesanssapermission.
—UnedélégationarrivedeScandinaviedansunesemaine.
—Vraiment?demanda-t-elle,lesoufflecourt.—SeulementquelquesaffairespolitiquesquiconcernentleConseiletleprinceconsort,précisa
Leo.Riendetrès intéressant, j’enaipeur.Mais tuconnais lessentimentsentrenosdeuxpays.OnapenséquelaprésencedeWillpourraitagircommeunfacteurd’apaisement.
Lenahochalentementlatête.Lastupeurfaisaitsurchauffersoncerveau.Willétaitimpliquédanstoutça?
—Ilabesoind’apprendreàêtreunpeuplusprésentable,repritLeo.Àlafoisdanssesmanièreset dans son apparence. Il a aussi besoin de quelqu’un pour lui expliquer le fonctionnement del’Échelonetleguideràlacour.Malheureusement,jen’aipasletemps…
Oh,oui.Ellevoyaitoùilvoulaitenvenir.—Tuveuxquejel’escorte.(EllejetaunregardàWill,lesyeuxplissés.)Jemedemandebienqui
aeucettebrillanteidée.Il n’eut même pas la courtoisie de paraître coupable. Appuyé contre la porte, il arborait un
sourireimpénitent.CesourirequifaisaitdesravagesdanslecorpsdeLena.—Tonhabiletéàévoluerauseindel’Échelonserviraittrèsutilementnotrepays,réponditLeo.—Çaalors,c’estterriblementbienpensé.En son for intérieur, elle fulminait. Quel toupet ! C’était pourtant précisément ce contre quoi
M. Mandeville l’avait mise en garde quand elle avait accepté d’espionner pour le compte deshumanistes.Ellenepouvaitlaissersessentimentsperturberunetelleopportunité.
Sa découverte au sujet du traité scandinave était bien plus importante que d’apprendre àWillCarvercequ’étaitunesoupière.
—Alors,tuvasnousaider?demandaLeo.—Jepeuxdifficilement refuseruneoffresigénéreuse.Nouscommenceronsdèsdemain. (Elle
jetaunregardàlachevelurehirsutedeWilletauxmèchescouleurmielquieffleuraientsesépaules.)Quisaitparoùjevaisbienpouvoircommencer.
—Iln’apasbesoind’êtreparfait,précisaLeo.Seulementpoli.Etqu’ilsachelesbonneschosesàdire.
—Ouplutôt,cellesànepasdire.(Elleplissalespaupières.)Ilfaudraaumoinsqu’ilaitl’aird’ungentleman.Unecoupedecheveux,uncoupde rasoir…peut-êtremêmeunépouillage. (Unsourireapparutsurseslèvres.)Unenouvellegarde-robe.Etdescoursdedanse.
Willhaussaunsourcil.—Jedansepas.—Tudanserassijetedisdedanser.Tut’inclinerasquandjetelediraietturesterascourtois.Unepartd’elleétaitpresqueimpatiente!—Sinon,jemelavelesmainsdecetteaffaire,etcen’estpascequetuveux,n’est-cepas?Ohnon,ilvoulaitsemontrercharmantetserapprocher.Pourveillersurelle.Il plissa lesyeuxet lemessagequ’ils contenaient futparfaitement limpide.Ce serait laguerre.
Maisiln’avaitpasd’autrechoixqued’acceptersesconditions.Leolesconsidéral’unaprèsl’autre.—Ya-t-ilquelquechosequim’échappeetdontjedevraisêtreaucourant?—Non,répondirentLenaetWillàl’unisson.—Riendutout,ajouta-t-elleenjetantunregardnoiràWillpours’assurerqu’ilnerévéleraitrien
àLeo.
—J’imaginequetutrouvesçaamusant,ditLenaenenfilantsesgantsd’ungestebrusque.
Appuyécontrelemur,Willl’observaitnonchalamment.Elleavaitlesjouespâlesmaissonregardlançait des éclairs. Il avait envie de l’embrasser, de la plaquer contre le papier-peint oriental etd’enfouirsalanguedanssoncou.
Danger.Ilpouvaitmaîtrisersondésir.Illedevait.Ilétirasesdoigtsetjetauncoupd’œildanslecouloir.Lachaperonnerôdaitcommeundronede
service.Elleouvraitdegrandsyeuxchaquefoisqu’illaregardait,commesielleredoutaitàmoitiéqu’ilnesejettesurelle.Willétaittentédeluimontrerlesdents.Pourvoirsiellefaisaitunecrisedenerfs.
—Çat’ennuieraitsijet’avouaisquejesavourechaquesecondedecettesituation?Lenas’immobilisa,sonchapeauhautdeformeposéavecdésinvolturesursatête.Elleemmêlases
doigtsdanslesrubanspourpresetleursregardssecroisèrentdanslemiroir.—Jet’aiprévenue,murmura-t-ilens’approchantpourquesonrefletapparaisseàsontourdans
leverrepoli.Avecsonmanteaufoncé,ilressemblaitàuneombredéployéederrièresafinesilhouette.Legrand
méchantloupprêtàladévorer.Le parfumdeLena enveloppa les sens deWill et lui donna justement lamême idée. Il voulait
fourrersonnezdanssoncou,inspirerunepleineboufféedesonodeuretfaireglissersesmainssurlescourbescorsetéesdeseshanches…
Lena releva vers lui des yeux impuissants. Son désir avait dû se lire sur ses traits car elleentrouvritleslèvresavecunelégèreexpiration.
—Jefiniraipardécouvrircequetumijotes,laprévint-il.Elletirabrusquementsursesrubanspourlesnouer,rompantainsilecharmedel’instant.—Profitedecemoment,Will.Ceserapeut-êtreladernièrefoisquetumeverrasdansdebonnes
dispositions.(Avecunsouriredoux,elleajouta:)Tupeuxconsidérerçacommemonavertissement.—Qu’est-cequetuveuxdire?Elleseretournadansunbruissementdejupons.—C’estmonuniversdésormais,ettun’aspaslamoindreidéedesrèglesquilerégissent.Tune
vasrienapprendredutoutetje…jevaisyprendrebeaucoupdeplaisir.Elletentadepasser,maisilrefusades’écarter.LerythmecardiaquedeLenas’accéléra,maisrien
netransparutsursestraitsquandellesefaufilacontreluieteffleurasacuisse.—Qu’est-cequetu…?—Demain,àmidi,déclara-t-elleenrécupérantsonombrelleendentellequineseraitd’aucune
utilitécontrelescapricesdelamétéo.Ilneseraitpasbonpourtoideveniricitropsouvent.Lesgenspourraient commencer à se poser des questions.Alors c’estmoi qui viendrai.Au repaire. Je peuxprétendre rendrevisite àma sœurou l’aiderdansunquelconqueprojet. (Elle lui coulaundernierregard.)Essaied’êtrepropreetdeporterune tenueappropriée.Réussirà t’arrangerpour lavieensociétéprometd’êtreunetâchemonumentale.
8
Will arpentait le rebord du toit, l’attention plongée de l’autre côté du mur qui encerclaitWhitechapel. Des chants et des cris résonnaient en provenance du nord, près de la sortie deBishopgate. On aurait dit le roulement sourd d’un orage et l’intempérie s’intensifia pendant plusd’uneheureavantqueCharlieetLarkeux-mêmespuissentl’entendre.
—Que se passe-t-il ? demandaCharlie qui était assis sur un conduit de cheminée et tapait sestalonscontrelemurdebrique.
Àsespieds,Larkétait assiseen tailleurà labaseduconduit, etmâchouillaitunemèchedeseslongscheveuxbruns.DepuisqueHonoriaavaitemménagéaurepaireavecLenaet leur jeunefrèreCharlie,cesdeux-làétaientinséparables.
—C’estuneémeute.Oulesprémicesd’uneémeute,réponditWill.Charlie ouvrit des yeux ronds et Will sourit. À dix-sept ans, il était encore trop jeune pour
comprendrecequisetramait.—Uneémeute?Terrible!Onpeutallerregarder?—Soispasdébile,lecoupaLark.(Ayantgrandidanslescolonies,elleencomprenaitbienmieux
lesimplicationsqueCharlienelepourraitjamais.)Çavafairecoulerlesangetriend’autre.—Encoremieux,fitCharlieavecunegrimace,unenoteombrageuseteintantsonregard.Larkluidonnauncoupdanslacuisseetilfitlagrimace.— On voit bien que t’as jamais assisté à une émeute, espèce d’idiot. Pour moi, ça n’a rien
d’excitant.C’estrienquedescorpsbroyésetdesosbrisés.Deshommes,desfemmesetdesenfantstous mélangés. (Elle secoua la tête.) L’Échelon ne tolérera pas ça longtemps. Ils vont lâcher lacavalerieetrépandrelesang.(Ellefrissonna.)Maispasici.Pascheznous.
Willparcouraitlestoitsduregard,lesnarinesgonflées.—ÇavientdeLangbourn.—Oh.(LesépaulesdeCharlies’affaissèrent.)Jeplaisantais,jenelepensaispas.—Tunepensaispastoutcourt,lecorrigeaLark.Charlieavaitbeauêtreunsangbleuettroisfoisplusfortqu’elle,l’équilibredupouvoirentreeux
penchaittoujoursducôtédelajeunefille.Débrouillarde,aguerrieauxmœursdelarueetrusée,ellepossédaitquelques«oncles»d’adoptionquiveillaientsurellesiquelqu’unvenaitàluimanquerderespect.
Will continuait àparcourir leborddu toit sansprêter attentionà leurs chamailleries. Il jetauncoupd’œilausoleil,quiluttaitvaillammentderrièrequelquesnuagesgrisetcotonneux.
—Charlie,quelleheureilest?Charliesortitsamontredepoche.
—Midimoinslequart,m’sieur.Midi.Une pointe d’inquiétude monta en lui. Elle avait dit qu’elle viendrait à Whitechapel pour sa
première leçon. Il retraça un plan mental de la ville. Si Lena venait par Aldgate, elle éviteraitprobablementletrouble.MaissiellearrivaitparBishopgate…
Ungrognementmontadanssagorge.—Heu…Est-cequetoutvabien?demandaCharlie.LuiaussisavaitfairepreuvedeprudenceaveclecaractèredeWill.—Jesaispas.(Leloup-garouseretournaetlesclouasurplaced’unregard.)Restezlà.Continuez
demonter la garde.Et nequittez les colonies sousaucunprétexte. Si les problèmes se propagent,vousretournezaurepaireetvousdonnezl’alerte.
—Oui,m’sieur!s’exclamaCharlieenconcentranttoutesonattention.Tuvasoù?Wills’approchaàgrandesenjambéesduborddumur.— Je vais chercher ton idiote de sœur. Elle a dit qu’elle venait ici, aujourd’hui. Ça me
surprendraitpasqu’elleseretrouvecoincéeaumilieudetoutcebazar.
LalettredeM.Mandevillearrivatôt,cematin-là.Lenarelevalesyeuxdesonplandetravailrecouvertd’unevariétéderouagesetdebandelettesde
tôles.Ellehissaseslunettesgrossissantessurlesommetdesoncrâne,récupéralamissiveetglissauntournevispourladécacheter.
Unepulsationlenteetrégulièresemitàbattredanssapoitrine.ChèremademoiselleTodd,
J’espèrequecettelettreseraparvenuejusqu’àvous.J’aireçuuneoffredesplusimpressionnantespourvous,encequiconcernelemécanismeoriginalquevousm’avezmontrél’autrejour.Jeseraisravidepouvoirendiscuteravecvousenpersonne,àvotreconvenance.
Amicalement,
ArthurMandeville.
Elle plaqua une main sur sa poitrine et se leva lentement. Le mécanisme transformable !Quelqu’undésiraitenacquérirunexemplaire!
—MadameWade!lança-t-elleenseruantverslachambredesacompagne.MadameWade!En moins d’une demi-heure, elle l’avait traînée dans la carriole à vapeur pour se rendre au
Marchédel’HorlogeriedeM.Mandeville.Les rues étaient bondées et leur progression s’en trouva ralentie.Lena écarta les rideaux pour
observer la foule et l’omnibus devant eux. Quand ils passèrent sous Bishopsgate, l’un des pontsmassifsquigardaientl’entréedelavilleproprementdite,ellesemitàjouernerveusementavecsonréticule.
—Pourquoitoutcemonde?MmeWadesepenchaverslafenêtreets’entretintaveclechauffeur.Quandelleserassit,elleavait
lesoufflecourt.—C’estunemanifestation.ÀLangbournetLimeStreet.Cesontlesmécaniquesquiremettentça.Lenajetaunnouveaucoupd’œilcurieuxàl’extérieur.Elleavaitentenduparlerdesmécaniques,
ceuxquitroquaientleursannéesdeserviceauseindel’Écheloncontredesmembresbiomécaniquesoudesorganesàmécanismes.Cantonnésenvilledansdesenclavesinondéesdevapeur,onlestraitaitàpeinemieuxquedesanimaux.Onnepouvaitfaireconfianceàunhommequiétaitàmoitiéfaitdemétal. En effet, de nombreux aristocrates de l’Échelon arguaient qu’en se greffant des membres
mécaniques ils se rabaissaient à un niveau plus bas que celui d’humain et que, par conséquent, ilsn’avaientpluslesmêmesdroitsqu’unhommeàpartentière.
—Ilsdevraientlesrepousserdansleursenclavesetlesenfermeràl’intérieur,maugréa-t-elle.—Moi, je ne vois pas la différence. Ce n’est pas un bras enmétal qui peut les rendremoins
humains,répliquaLena.DeuxdeshommesdeBlade,TinManetRip,possédaientdesmembresmécaniques.Enprincipe,
tous deux auraient dû se retrouver emprisonnés dans les enclaves, mais personne n’osait le faireremarqueràBlade.
—Onnepeutpasleurfaireconfiance,insistaMmeWade.—Pourquoipas?Lemétaln’affectepasl’esprit,quejesache.Ilsrestentceuxqu’ilsétaientavant
derecevoircesaméliorations.—Cen’estpasnaturel,unpointc’esttout.Inutile de chercher à discuter avec une personne dépourvue de discernement et de lamoindre
argumentation.Lenasemorditlalangueetobservalafouleplusattentivement.—Espéronsqu’ilsenvoientlesCuirassespournettoyertoutça,ajoutaMmeWade.Qu’onpuisse
circulerenpaix.Nousn’étionsplus très loinduMarché.Lena avait déjàparcourudix fois cettedistance àpied
quandellevivaitdanslacolonie.—Pourquoinepasfinirenmarchant?Cettesuggestionfutaccueillieparunregardd’horreurpure.—Avectouscesmécaniquesenliberté?—Nousprendronsunvaletdepiedavecnous.Lacarriolepourranousretrouverlà-basunefois
quelacirculationaurarepris.Lenatenditlamainverslapoignée.—Attendez!Votreombrelle!soufflaMmeWadederrièreelle.TandisqueLenasautaitàbasdelavoiture,ellerassemblasonchapeau,sonombrelleetsoncabas
decrochetqu’elleemportaitpartoutavecelle.Sesyeuxfuretèrentalentour,commesielles’attendaitàcequ’unmécaniquesejettesurelleàtoutmoment.
Lafoulediminuaàmesurequ’ellesapprochaientdechezMandeville.Laplupartdesgensétaientpauvresetbrandissaientpoingsetpancartes, commesi l’Échelonallait seulement leuraccorderunregard.Malgrétout,Lenacomprenaitcebesoind’agir.
Quelquesruesplusloin,lebruitétaitplusintense.Lenalesguidadansl’autredirection,mêmesicelaleséloignaitdeleurdestination.Ellen’avaitpasl’intentiondesefairehapperparlamasse.
Un homme de forte carrure avec une plaque de métal sur le crâne trébucha contre elle. Sonhaleine empestait l’alcool. Il possédait également une main mécanique grossièrement ajustée à lachairdesonpoignet.Àenjugerparlesbordsdepeauirréguliers,c’étaituntravailexécutéàlahâte.Quandilaperçutsesjupesrouges,ilrelevalesyeuxetlesglissasurlesperlesautourdesoncouetlesplumesdesonchapeau.Ils’agissaitdesseulsornementsqu’ellesepermettaitet,danslaplupartdescirconstances,elleneseseraitpassentieaussimalàl’aisedelesarborerdanslarue,commeencemoment.
—Tienstiens,railla-t-ilenluisaisissantlepoignet.Unepetiteputedesangbleutouteseuledanslesrues.
—Àvotreplace,jemerelâcheraistoutdesuite,dit-elled’unevoixferme.Etjenesupposeraispasaussifacilementquejesuisseule.
MmeWadebranditsonombrelleversluicommeunearme.
—Lâchez-la,salebrutedemécanique!Lenaluijetaunregardnoiretsecoualatête.Voilàprécisémentlemauvaistonetlesmauvaismots
àemployerdanscettesituation.Ellelevaunemaind’ungestemodérateur.—Nousn’avonsaucunintérêtà…—Salebrute?gronda-t-il.Une salebrutedemécaniquecommemoi?Quoi,vouscroyezque
vousvalezmieuxquenous?Ilscommençaientàattirerl’attentiondespersonnesautourd’eux.—Lâchez-laouvousallezvousattirerlesfoudresduducdeCaine!s’écriaMmeWade,comme
sicenompouvaitfairepoids.Lenasehâtadedésamorcerlasituation.—Nousnepensonspasquenousvalonsmieux,ouquenoussommesdifférentsou…—Hé,lesgars!rugit-il.Visezcespetitesnénettesquifontlafineboucheetquinousregardentde
haut!Desmurmuresetdesgrognementss’élevèrenticietlà.Lenajetaunregarddésespéréalentour.—Non!Jen’aijamaisditça.—Vous venez en ville et vous nous prenez de haut. Attendez un peu. Votre heure viendra. (Il
l’observaavecconcupiscence.)Onsaitcommenttraiterlesgensdevotreespèce.—Lâchez-la! insista levaletensaisissant l’hommepar lebras.MademoiselleLena,est-ceque
toutvabien?Dessiffletstranspercèrentl’airetlafouleseretournacommeunseulhomme,bouchebée.—Lacavalerie!hurlaquelqu’un.Descriseffrayésretentirentetlapaniques’emparadelamassequifilatoutdroitendirectionde
laplacepoursemettreàl’abri.Lenafutrepousséesurlecôtéetsonpoignetéchappaàl’hommequilaretenait.
Quelqu’unl’attrapaparlatailleetlasoulevadeterre.—Pardonnez-moi,mademoiselle,ditHenry,levalet.C’étaitungrandgaillarddeplusd’unmètrequatre-vingts,maisildutluttercontrelahordepour
s’extrairesurlecôté.MmeWades’étaitréfugiéeprèsd’uneporteets’éventaitavecsamain.—Oh,Lena!Oh,Dieumerci!Ellel’attirasouslaportecochèreetHenryseservitdesoncorpspourlaprotégerdelafoule.—Quesepasse-t-il?demandaLenaenjetantuncoupd’œilpar-dessoussonbrastendu.—L’Échelonadûlâcherlacavalerie,m’dame,réponditHenry,levisagepâle.Nebougezpas.Ils
anéantironttoutcequisetrouverasurleurpassage.—Maispersonnenecauselemoindretrouble!protesta-t-elle.—Çan’aaucuneimportance.Unclaquement retentit sur lespavés,commesiunecentainedechevauxavançaientà l’unisson.
Un frisson remonta dans son dos. Les incendiaires Spitfires risquant de causer trop de dégâts,l’Échelonutilisaitlacavaleriepourdissiperlesémeutesetlesmouvementsdemasse.Onnepouvaitpasgrand-chosecontreceschevauxdemétal lourdementarmés,etelleavaitentendudirequ’ilssecontentaientdepiétinerleshommes.Ainsineprovoquaient-ilsaucundommagecollatéral.
Lenatournalesyeuxversleboutdelarue.—Qu’est-cequ’onvafaire,maintenant?Laportecochèrepouvaitdifficilementlesabritertouslestrois.Henryétaitàdécouvertetlafoule
paniquéelebousculaitenfuyant.
—Onnepeutpasresterlà.C’esttropdangereux.LeMarchédeM.Mandevillen’étaitpastrèsloin,etilspouvaientyparvenirs’ilssedépêchaient.
Elleconnaissaitcesruescommesapoche.MmeWade se mit à tousser, le visage blanc comme un linge. Le cœur de Lena se serra. Sa
compagneplusâgéenetiendraitpasladistance.Àenjugerparsarespirationsaccadée,ellefrôlaitlacrised’hystérie.
Àmoinsque…LenaplongeasouslebrasdeHenryetexaminalagouttièreensurplombau-dessusd’eux.— Henry, quand ils lâchent la cavalerie, est-ce qu’ils envoient aussi des Spitfires ou des
Cuirasses?—Non,c’estinutile.Ilneresteplusgrand-choseaprèslepassagedelacavalerie.Lamajeure partie de la foule s’était dispersée. Au bout de la rue, le soleil se reflétait sur les
armurescuivréesd’unrangdechevauxdemétal.—Venez,madameWade,dit-elledoucementenlaprenantparlebras.Nousdevonsfairevite.L’interpelléesecoualatête.—Non,nonjenepeuxpas!Ilsvontnouspiétiner.—Henry,voussentez-vouscapabledelasoulever?Ilparutréfléchiruneseconde,l’airhésitant.—Jenesaispascombiendetempsjepourrailaporter.—Onnevapasloin.(Ellerelevalatête.)Onvapasserparlestoits.—Biensûr!Pourquoin’yai-jepaspensé?Parcequ’iln’avaitjamaisvécudanslescolonies,oùBladeetWill–etlaplupartdeseshommes–
seservaientdestoitspourcirculer.EllefitsortirMmeWadedesonabrietaidaHenryàlahisser.—Vousallezdevoirattraperlagouttière!—Je…jenepeuxpas!—Vouslepouvezetvousallezlefaire!s’exclamaLena.J’enaiassezdevoscrisesdenerfs!Si
vousnevousdépêchezpas,alorsHenryetmoin’auronspasletempsdevoussuivre,etceseraàvousd’expliqueràmonprotecteurcommentvousm’avezfaitpiétiner!
Lamenacefitaussitôteffet.MmeWadesedébattitensoufflantpouressayerdemontersurletoit.Henry lutta pour la hisser par-dessus ses épaules. Il ferma les yeuxquand les plis volumineuxdesjuponsdeMmeWadelaissèrentapparaîtreunebonnepartiedesesdessousàlafacedumonde.
Lessabotsd’acierrésonnaientsurlespavés.Lenajetaunregardnerveuxdanslarue.—Àvotretour,mademoiselle,pressaHenry.Lenagrimpasursongenouplié,puissursonépaule,etsaisitlagouttière.Elledevaitaccélérerle
mouvement;MmeWadeleuravaitcoûtédeprécieusesminutes.Lenasemorditlalèvreetgrimpasurletoit,puiselles’aplatitetseretournaversHenry.
—Vite!La cavalerie était presque arrivée à leur niveau. Les chevaux faisaient plus de deuxmètres au
garrotavecdelargespoitrailsblindésetd’énormessabots.Conçuscommedesdestriers,delavapeursortaitdeleursnaseaux.Lavuedecescréaturessuffitàdonnerdescrampesd’estomacàLena.
—Henry!Elletenditlebrasetilrelevasesgrandsyeuxbleusverselle.Lenaarrachal’ombrelledesmainsdeMmeWadeetlatenditàHenry.
—Accrochez-ladanslagouttièreetservez-vous-enpourvoushisser!MadameWade!(Ellejetaun regard derrière elle, où sa compagne était étalée sur les tuiles.) Tenezmes chevilles et nemelaissezglissersousaucunprétexte!
UnepairedemainsgrassesluiagrippaleschevillesetlepoidsconsidérabledeMmeWadeluifitofficed’ancre.
Lacavaleriedemétalpassadutrotaupetitgalop,avantdesemettreàgaloperfranchement.Unhommequicouraitdevanteuxse retrouvaécrasésous lessabots.Lesmaîtresavançaientparmi lescréaturesqu’ilsdirigeaientpargroupesdedix,grâceàdespetitsboîtiersd’oùsortaitlesignalradioquilescontrôlait.
—Henry ! criaLena en s’efforçantd’attraper sonbras tandisqu’il luttait vaillammentpour sehisser.
Derrière elle,MmeWadepoussaun cri et glissadequelques centimètres.Lena retomba sur leventre,levisageetlesbrassuspendusdanslevidepar-dessuslagouttière.Elles’agrippaaubrasdeHenry,maisilperditsapriseetsebalançaauboutdel’ombrelle.
—Nevousavisezpasdemelâcher!s’écriaLena.Henry releva ses pieds dans un geste de désespoir tandis que la première ligne de chevaux
métalliquespassaitdansunfracasassourdissant.Desnuagesdepoussièreétouffantes’élevèrentdelachaussée.Lamancheduvaletcontinuadeluiéchapper,jusqu’àceque…
—Non!Derrière elle,MmeWade cria et lâcha prise.Lena écarquilla les yeux.Elle chuta en avant, ses
jupes dérapant sur les tuiles. Elle aperçut le regard horrifié de Henry tandis qu’elle continuait dedégringolerverslarue,et…
Quelquechoselarattrapaparsesjupes.D’uncoupsec,elleatterritsurledossurlestuilesàcôtédeMmeWade.Elleclignalesyeux.Will.
Ses largesépaules sedécoupaientcontre lesnuages impitoyableset lesmusclesnusde sesbras sebandèrentquandilserralespoings.
—J’auraisdûmedouterquetuallaistefourrerdanslepétrin.—Henry!s’exclama-t-elleendésignantleborddutoit.Wills’agenouilla,sescuissesserréesdanssonpantalondecuir.Iltenditlamainets’emparade
l’ombrelle,puisseredressacommesiçaneluidemandaitpaslemoindreeffort.Henrys’élevadanslesairsensedébattantfaiblementauboutdel’ombrelle.Willsaisitsamainet
letirabrusquementsurletoit,oùils’effondra,lecorpssecouédeviolentsspasmes.—Oh,douxJésus,murmura-t-il.Oh,mademoiselleLena!Vousn’auriezjamaisdûprendretous
cesrisquespourmoi.—Jen’allaistoutdemêmepasvouslaissertomber.Elle s’agenouillaà sescôtésetvérifia s’ilétaitblessé.Sespropresmainssemirentà trembler.
C’étaitmoinsune.Uneombresedressaau-dessusd’elle.L’estomacdeLenasenoua.Quandellerelevalesyeux,Willarboraituneminemeurtrière.—Àquoitupensais,bordel?—Je…—Non!(Il levalesbrasenl’air.)Quiest lecrétinquivousafaitsortirdelacarrioleaubeau
milieu d’une fichue émeute ? Tu n’as pas pensé une seule seconde à quel point ça pouvait êtredangereux?
—J’essayais justementde l’éviter.LaboutiquedeM.Mandevillen’estqu’àdeux ruesde là.Sion…
—C’estdéjàdeuxruestroploin!Tuimaginescequim’estpasséparlatêtequandj’airetrouvélacarriolevide?Renverséesurlecôtéetabandonnée?Avectonfichuvaletassissurletoitentraindefumeruncigare!
Lenaserelevaetsecouasesjupes.— Je ne pensais pas qu’une émeute allait éclater aussi rapidement !Et visiblement, la carriole
n’étaitpasbeaucoupplussûre.—Tunepensaispas?Tunepensaispas?LegrondementdesavoixfittressaillirHenryetMmeWade.Sesjouessemirentàlabrûler.—J’aifaituneerreur.Mais jemesuisdéjàretrouvéedanscegenredesituationauparavant.Je
ne…—Qu’est-cequetuentendspar«jemesuisdéjàretrouvéedanscegenredesituation»?Lenacherchaitàconserversonsang-froid.D’aprèsl’expressionsur levisagedeWill, ilétaità
deuxdoigtsdelasecouercommeunepoupéedechiffon.—Quand je travaillais pourM.Mandeville. Je n’avais pas de quoime payer le tramwaypour
rentrer, alors je devaismarcher. J’ai déjà faillime faire prendre deux fois dans des émeutes. (Envoyantl’expressionduloup-garous’assombrir,ellesehâtadelerassurer:)Lapremièrefois,jesuismontéesuruntoit,etladeuxième,jemesuiscachéechezunhommed’uneextrêmegentillesse.
Willprituneprofondeinspiration.Puisunedeuxième.Sesépaulesétaienttendues,etsonregard,furieux.
—Sijamaistut’aventuresunenouvellefoisdanslesruessansprotection,jet’étrangle.—J’ai traverséces ruespendant sixmoisquand j’avais seizeans, répliqua-t-elle.Et cette fois,
Henry etMmeWade étaient avecmoi. C’est bienmoins dangereux que lorsqu’on était pauvres etqu’ondevaitsecacherdeVickers.
Un bruit étranglé s’échappa de la gorge de Will. Lena se tut. Ce n’était pas le moment dementionner toutes leshorribleschosesqui lui étaientarrivéespendantcettepériodeconsécutiveaudécèsdesonpère.
IlsetournaetposasurHenryunregardquilefitdéglutir.—Plusjamais,tum’entends?Lejeunehommehochavivementlatête.—Viens, repritWill d’unevoix sèche. Jevais te ramener au repaire.Onverra ensuitepour te
ramenercheztoi.—Jedoisd’abordvoirM.Mandeville.IlpivotasursestalonsetLenafitunpasenarrière.—Ilm’attend,reprit-elle.Ennemevoyantpasarriver,jenevoudraispasqu’ilarpentelesruesà
marecherche.Il pinça les lèvres. Quand il se retourna de nouveau, il sembla à Lena l’entendre marmonner
quelquechosed’indistinctdanssabarbe.Enrevanche,levisageblêmedeMmeWadeneluiéchappapas.
9
—Dieumerci,vousn’avezrien!M.Mandevillelaserradanssesbrasenpoussantunsoupirdesoulagement.Lenaréponditbrièvementàsonétreinte.—Vousavezvulapagailledanslesrues?—Pascettefois.Maisj’aientendulescris.Ildévialeregardpar-dessussonépauleetsefigea.—VousconnaissezHenryetMmeWade,dit-elleendésignantsesdeuxcompagnonsépuisés.Will,quiobservait la ruepar la fenêtre, se retournaet la lumière soulignases irisd’unambre
brûlant.—EtvoiciWilliamCarver.C’estunamidumaridemasœur.LaraideursoudainedanslaposturedeM.Mandevilleparlad’elle-même.Ilsavaitexactementce
quesignifiaitlacouleurdecesyeux.—Ravidevousrencontrer,dit-ilavecunvifmouvementdetête.Lenaplaquaunsouriresurseslèvrespourcompensersagrossièreté.—Willnousaaidésànoussortirdel’émeute.Ilesticipourmeraccompagnerchezmoi.—Jevois.(Sonregardpassaentreeuxdeux.)Vousavezeumonmessage?—Oui.J’aimeraisdiscuterplusendétaildecettecommande,sivouslevoulezbien?—Dansl’arrière-salle?—Jeneseraipaslongue,lança-t-elleàWill.(Devantsonregardnoir,elles’empressad’ajouter:)
Promis.EllepritlebrasdeM.Mandevilleets’éloigna.Dèsquelaportesefutrefermée,ilsetournavers
elle,maisellelevaunemainenguised’avertissementetsetapotal’oreille.—Alorscommeça,quelqu’un souhaiteacquérir lemécanisme transformable?demanda-t-elle
avantdesaisirundesesstylospourécriresurunefeuilledepapier:Neditesrienquevousnevoulezpasqu’onentende.
M.Mandevillecaressalesextrémitésdesamoustache.—J’enaitouchémotàundemesamis.(Mercury,écrivit-il.)Ilest trèsintéressé.Ilsouhaiterait
l’offrir comme cadeau à l’ambassadeur scandinave une fois que le traité sera signé. Il étaitimpressionnéparlafinessedesdétails.
Dansquelbut?L’incidentliéauxusinesdedrainageétaitencorefraisdanssonesprit,mêmesiellenevoyaitpasdepossibilitéd’utilisationdétournéedesonmécanismetransformable.
IlveutétablirsespropresaccordsaveclesScandinaves.Àvoixhaute,M.Mandevilleajouta:—Iln’ajamaisrienvudetel.
Puis, après avoir pris une profonde inspiration – tout en se demandant combien la commandeallaitpouvoirluirapporter–elleécrivitavechésitation:Connaissez-vouslecontenudeceslettres?Ensavez-vousdavantagesurl’incendiedesusinesdedrainage?
M.Mandevillecaressadenouveausamoustache.—Jesupposequevousallezpouvoirdemanderunboncachet.Illeveutenétatdemarchedans
deuxsemaines.—Deuxsemaines?couina-t-elle.—LesScandinavesarriventlasemaineprochaine.Onpeuts’attendreauxhabituelstablesrondes
etdivertissementsmondains.Il s’empara du stylo pour écrire :Nous ne sommes pas les seuls àœuvrer contre l’Échelon. Il
existeuneautrepetitefaction,quiadesidéesbienplusdrastiquessurlamanièredelesfairetomber.Etleslettres,d’aprèscequejesais,contiennentdesdatesderéunions.
Iln’avaitpasencorereposélestyloqueLenaleluipritvivementdesmains.Maisvousn’enêtespascertain?Unehésitation.Non.Maisjenetoléreraipasdetelsactesdeterreur.Tantmieux. (Ellecroisasonregard.)Parcequemoinonplus, jeneveuxrienavoirà faireavec
toutça.Lena garda les yeux rivés sur la feuille. Un doute la taraudait. Et elle ne parvenait pas à s’en
débarrasser.JeveuxrencontrerMercury.M.Mandevillerelevabrusquementlatête.—C’estimpossible,répondit-ilàvoixhaute.Ellerécupéralestyloaprèsavoirsecouélatête.Alors je ne veux plus m’impliquer davantage. Je ne veux pas être au courant d’actes qui
pourraient tuer des innocents. il y avait des gardesdevant les usines.Desgardeshumains. je veuxparleràquelqu’unquiconnaîtlecontenudeceslettres.
M.Mandevilleladévisagea,leslèvrespincées.—Jeferaipasserlemessageencequiconcernelacommande.Ladécisiondevousrencontrerlui
appartiendra.(Ilbranditlalettre.)Allez-vouslaprendre?mima-t-ilensilence.Lena examina la feuille. Tellement inoffensive.Rien qu’un petit bout de parchemin.Elle tendit
lentementlamainpours’enempareretladissimuladanssoncorsage,làoùpersonnenelatrouverait.Pourcettefois,écrivit-elle.
—Merci,fit-elletouthaut.Jevaismemettreautravail.Elleajoutaparécrit:JeveuxrencontrerMercury.M.Mandevillehochabrusquementlatête.—Jevaisvoircequejepeuxfaire.(Illalaissapresqueatteindrelaporteavantd’ajouter:)J’étais
ravi de rencontrer la source de votre inspiration, Lena. Mais je ne saurais que vous inciter à laprudence. Par les temps qui courent, les sangs bleus ne sont pas les seuls dangers pour une jeunefemme.
Sesjouess’enflammèrent.—Jesaiscequejefais,merci,monsieurMandeville.—Jeveuxbienvouscroire.
Willpénétradanslerepaire,lesmainsenfoncéesdanssespoches.S’illessortait,ilredoutaitdel’étrangler, toutsimplement.S’ilétaitarrivédeuxsecondesplustard,elleserait tombéeavantdesefairebroyersouslessabotsdelacavalerie.Unfrissonbalayasesentrailles.Unsentimentoppressantqu’ilnereconnaissaitpas.Mieuxvalaitnepasypenser.
Derrièrelui,Henryaidaitlagrossedamequisoufflaitetseplaignaitdesescaliers.LenasuggératoutbasàHenryd’emmenerMmeWadeàlacuisinepourluifaireboireunremontant.Àenjugerparle charabia qu’elle débitait depuis une demi-heure, Will songeait qu’il lui faudrait sûrement unebouteilleentière.
—Ehbien,ditLena,deboutàcôtédeluienhautdesmarches,suivantdesyeuxsacompagnequis’éloignait.Aumoins,elleauraattendulafindugrabugepoursuccomberàsesnerfs.
Elledégageaitundélicieuxparfumdesavon.Siseulementelleavaitpuseservird’autrechose,pourunefois.IlenétaitvenuàassociercetteodeuràLenaetlemoindreeffluvepouvaitl’exciterau-delàdetoutemesure.
Lenajetauncoupd’œildanslecouloiretfrôlasestibias.—Oùveux-tucommencerlaleçon?DanslesalondeBlade?Lerez-de-chausséedurepaireétaitunramassisdepoussièreetdetoilesd’araignée,auxplanchers
grinçants et aux papiers peints décollés. Il n’y avait rien à voir. Rien d’aucune valeur. Un effetdissuasifpourlesvoleursetpourquiconquevoudraitfaireunrapportàl’Échelon.Àl’étage,c’étaitunetoutautrehistoire.Tapis luxueuxetpeinturesdélicates,uneodeurdecired’abeilleflottaitdansl’air et la plupart des pièces étaient chauffées par des cheminées. Très peu de personnes étaientsuffisammentdignesdeconfiancepouraccéderàl’étage.
Willhochalatêteavecunairbourru.—Çaferal’affaire.—Jevaisallerchercherduthéetdesbiscuits.Tuasfaim?Ilavaittoujoursfaim.Lacolèreetlapeurnefaisaientquebrûlerlecarburantdesoncorps.—Oui.—Jeprendraiquelquechosedeplussubstantiel,danscecas.Ellepritladirectiondelacuisineenroulantdeshanches.Ilouvritlaportedusalon.Unsouffle
d’air frais balaya son visage. Le feu n’avait pas été allumé depuis un certain temps. Ces jours-ci,BladepréféraitserendredanslelaboratoiredeHonoriaàl’étagesupérieur.
Il ressentait à peine le froid,maisLena aimait s’installer devant un bon feu ronflant.Elle étaitplutôtfélineàbiendeségards.Ill’avaitvueserecroquevillersurletapisàmaintesreprises,quandelle bricolait avec les pièces d’une horloge cassée. Le fonctionnement de tels petits gadgets ledépassait totalement,maisLenaparvenaità lesassemblercommes’il s’agissaitd’unsimplepuzzlepourenfants.
LorsqueLena revint, le feu crépitait dans l’âtre. Il entendit le bruissement de ses jupes dans lecouloiretuneodeurderôtidebœufembaumal’air.Ilsemitaussitôtàsaliver.Ilallalarejoindreàlaporteetglissaunregardintensesurleplateauqu’elletenait.
—Donne,murmura-t-ilens’enemparant.Lenaposalesyeuxsurlacheminée.Elles’enapprocha,lesmainstenduesdevantelle.—MmeWadereprenddesforces.Elleveutnousrejoindredansunmoment.Jecroisqu’ellenete
faitpasconfiancepourresterseulavecunejeuneetdélicatedemoisellecommemoi.Son regard se réchauffa.Will déposa lentement le plateau sur une petite table de lecture.Cette
MmeWadeétaitplusmalignequ’iln’auraitcru.—Tuasfaim?demanda-t-il.
L’odeurdelaviandel’attirajusqu’auplateau.Willsoulevalecouvercleetexaminal’assiette.Lerôtid’Esmeétaitaccompagnédelitresdesauceetdepainépais.
—Pasparticulièrement.Ilposal’assietteenéquilibresursesgenouxetmangeaavecdélectation.Lenas’installadanslefauteuilenfacedeluietrepoussasesjupessurlecôté.Elleleurservitdu
thé puis se prépara une petite assiette de gâteau aux épices.Malgré son léger fredonnement qui semêlaitautintementconfortabledel’argenterie,unetensionalourdissaitl’atmosphère,aussiétouffantequelesilence.LenavolaunregardàWillavantdedétournerhâtivementlesyeux.
C’étaitainsiqueleschosessedéroulaientdepuisunan.Depuiscejouroùelles’étaitglisséesursesgenouxetavaitbattudescilsavantdeposerseslèvressurlessiennes.
Justelà,surcesatanécanapéàcôtéd’eux.Ilrivasonattentionsurlescoussinsbrodés.Sonpremierbaiseravaitétéunfiascototal,dudébut
àlafin.Unefoisquelastupeuravaittranspercésoncerveau,ilavaitétéincapabledes’écarterassezvite.Seslèvresdoucescommedelasoie,poséessurlessiennes,humidesetavides…PuisleboutdelalanguedeLenaquil’avaiteffleurépourl’encourageràluirendresonbaiser.Ilavaitserrélepoingdans ses jupes. Son autremain s’était levée, près de saisir sa nuque pour l’attirer contre lui avantmêmequ’ilaitréalisécequisepassait.
Puis,brusquement, il s’était retrouvédeboutetLenas’étaiteffondréesur lescoussins, lesyeuxécarquillésde surprise, ses jupesétaléesautourd’elle. Il avaitbrièvementaperçu seschevilles, sesmolletsgainésquiluiavaientdonnéenviedepousserunpeuplusloinsonexploration.Desimagescourtes et succinctes, commedeséclairs.D’imperceptiblesmouvementsqu’il n’étaitmêmepas sûrd’avoirfaits.
Danger.Iln’avaitjamaisperdulecontrôlequ’uneseulefois.L’effetqu’ellepouvaitavoirsurluil’effrayaitplusencorequ’unearméeentièredeCuirasses.
S’il perdait sa maîtrise de lui-même, s’il lui faisait du mal, s’il l’infectait… il ne se lepardonneraitjamais.
—Premièreleçon,déclara-t-elled’unevoixdoucequiinterrompitsespensées.Ungentilhommenedévisagepasunedameaussi…aussifranchement.
Elle se sentit rougir quand Will parut revenir au présent. Il était bel et bien en train de ladévisager.Commeun imbécile audésespoir.À repenser à leurbaiser.À repenser auparfumet augoûtdesabouche.
Ilbaissalesyeuxetplantasafourchettedansunmorceaudeviande.—Commentvatonamie?demanda-t-il.Lablonde?Lenacoupaunpetitboutdesongâteau.—Adele?Jel’aiappeléecematin.Sesparentsontchoisidedirequ’elleétaitmalade,aumoins
jusqu’àcequelesmarquess’estompent.Lasalived’unsangbleuaccéléraitlaguérison,maisilavaitvusuffisammentdecicatricesdanssa
viepoursavoirqu’ellesnedisparaissaientjamaistotalement.Lui-même,s’iln’avaitpasétéunloup-garou,sagorgeauraitétédansunétatdésastreux.
—Tupensesqu’elless’estomperont?demanda-t-il.—JeluiaidonnéunpeudebaumequeLeoutilisesursesesclaves.(Ellejouanerveusementavec
safourchetteetdemanda:)TucroisqueCavendishgarderaçapourlui?—Illeferas’ilveutresterenvie.—Tunepeuxpassimplementmenacertouslessangsbleusdelaville,Will.Çafonctionnepeut-
êtreicidanslescolonies,maistuvasteretrouverdansleuruniversettudoisapprendreàjouerselon
leursrègles.—Osedirequetun’yaspasprisdeplaisir.Ilreposasonassietteets’enfonçadanssonfauteuil.—Jenevoispaslerapport.Biensûrquej’aiappréciédelevoirrécoltercequ’ilméritait.Cet
hommeestunebruteetunflagorneur.Iltenddespiègesauxjeunesfemmes,lesattiredansdescoinsreculésetabused’elles.Çan’atteintpassaréputation.(Sonvisages’assombrit.)Seulementlanôtre.
—Lanôtre?Lenablêmit.— Mauvais choix de mots. Je voulais parler des jeunes femmes de l’Échelon. Il n’a jamais
proférédemenacesouvertescontremoi.—Maissiçaarrive,tumelediras?Lenaleregardadroitdanslesyeux.Etmentit.—Biensûr.—Lena,gronda-t-ilens’apprêtantàselever.Elleposanerveusementsatassedethéentreeuxdeux.—Cen’estpascontremoiqu’ilvachercheràsevenger.Tul’asridiculisécettenuit-là,Will.Ilne
l’oublierapas.Promets-moiquetuvasêtreprudent.Willsepenchaenavantetposasesmainssurlesaccoudoirsdepartetd’autredeLena.Ellapinça
leslèvresetposasatassesursesgenoux.—T’arriveraspasàmedistraire,dit-ilensaisissantsonmentonentresonpouceetsonindex.Erreur.Lenaavaitunepeaudouceetsoyeuse,etlelégerentrebâillementdeseslèvresquandelle
relevalesyeuxversluifaillitcausersaperte.LeregarddeLenas’adoucitetelleretintsonsouffle.Malgrésadésinvolture,sonexpressionétaitcurieusementcandide.Hésitante.Commesielledoutaitd’elle-même.
Cettenotedevulnérabilitéfaillitl’anéantir.Willretirasamaincommes’ils’étaitbrûléetsemitàrespireravecdifficulté.—S’iltemenace,tumelediras?Lenabaissalesyeux.—Biensûr.Qu’est-cequinetournaitpasrondchezelle,àcetinstant?—Tun’aspaspeurdelui?—JepeuxgérerdeshommescommeCavendish.(Ellereposasatassesurlatableetmurmura:)
Cesontcertainsautresquimedonnentlamigraine.—Colchester?—Non.(Ellefronçalessourcils.)Pourquoituparlesdelui?—Iltefaitpeur,déclaraWillenbaissantlavoix.Tuveuxquejeletuepourtoi?Ellebonditsursespieds.— Tu es malade, ou quoi ? C’est un duc ! Même si tu arrivais à l’approcher, l’Échelon te
liquiderait.(Elleluisaisit lepoignet.)Will,promets-moiquetuneferasriendelasorte!Promets-moidenepast’enprendreàColchester.
L’odeurdepeurétaitreparue.Maiscettefois,cen’étaitpaslapeurpourelle-même.Will se frotta la nuque et l’observa prudemment. Personne ne s’était jamais soucié de lui
auparavant.Àl’exceptiondeBlade.—Jelaissepersonnetoucheràcequim’appartient.—Jepeuxm’occuperdeColchester,insista-t-elle.
Lapointed’incertitudedanssavoixfitsedresserlespoilsdeWill.—Comment?Ensouriant?Enflirtant?—Enjouantlejeu!Enmecachantdanslafouleetenl’empêchantdem’acculertouteseuledans
uncoin.—Ouais,ettuferasquois’ilyarrive?Ellen’avaitrienàrépondre.Ils’approcha.—Alors?—Ilya…desmoyens…(ElleposalesmainssurleventredeWillpouressayerdelerepousser.)
Laisse-moi.C’estinconvenant.—Quelgenredemoyens?Lenaluijetaunregardnoir.—Enme soumettant. Tout ce qu’il veut, c’est du sang.Ça neme coûte rien. Il ne peut pas se
permettrede tropm’enprendre et deme tuer. Jene suispas… jene suispasqu’unepauvrepetitevendeusedecharbonsansprotection.
Ses mots le transpercèrent comme une lame. Une rage sourde lui comprima le cerveau et savisionserétrécitjusqu’àcequ’ilnevoieplusqu’unechose:levisageeffrayédeLena.
—Certainementpas.SesmainsseresserrèrentinconsciemmentetLenatressaillit.—Arrête,Will.Lâche-moi!Unhoquetsurlepasdelaportecaptasonattention.MmeWadesetenaitlà,enveloppéedansses
jupesnoirescommelavoiled’unnavire.—Jevouslaisseseulscinqminutesetvoilàcequiarrive!Monsieur,retirezvosmainssur-le-
champ.Ilnel’avaitmêmepasentenduearriver.Quoiqu’ilensoit,l’expressionsursonvisageincitaLenaàluimurmurer:—Net’avisepasdefaireça.Ellearboraitunemouetêtueetdécidée,absolumentpaseffrayée.Etcefutcetteminequiaccorda
unrépitàMmeWade.PeudegensvoyaientunepersonnequandilsregardaientWill.Seulementunmonstre.IlnepouvaitpassouillersonimageauxyeuxdeLena.Ilnepouvaitpasagircommelabêtepourlaquellelemondeentierleprenait.
Ilfermalesyeux,écartalesdoigtsetellereculaensefrottantlesbras.Willsaisitunpandesajupeets’approchadenouveau.Iln’enavaitpasterminé.—S’ilfaitneserait-cequ’unseulgesteverstoi,jeletuerai,Lena.Jel’enterreraisiprofondque
personne leretrouvera jamais.Alorssoit tu trouvesunmoyende l’arrêter,soitc’estmoiquim’enoccupe.
10
Cinqjoursplus tard,Lenadéposaitunecerisedanssaboucheet lamordillait toutenregardantWill arpenter la pièce. Il avait passé la matinée avec Leo à s’équiper d’une nouvelle garde-robe.Mêmes’ilétaitdesaresponsabilitédeleprésenteràl’Échelon,ilyavaitcertainesétapesauxquellesLenan’étaitpasautoriséeàassister.
Dommage,songea-t-elleenparcourantseslargesépaulesduregard.— Le dos droit, lança-t-elle, étendue sur la méridienne du salon de Leo. Essaie de marcher
commesitutepromenaisplutôtquecommesitutraquaisunbanditdansuneruelle.Elle ne pouvait nier qu’il possédait une grâce séduisante, mais il y avait quelque chose de
dangereuxdanssa façondesemouvoir.Même lorsqu’ilétait immobile, il semblait toujoursprêtàbondir.
Willluijetaunregardsombre.—Tupourrasmefairerépéterautantquetuveux,j’aipasl’intentiondemetrémoussercomme
undecesvautoursauxchemisesbouffantes.Lenaseredressa.C’étaitleurquatrièmeleçonetilnecessaitd’émettredesobjectionsàtoutbout
dechamp.Leproblèmen’étaitpasqu’ilfûtincapable;leproblème,c’étaitqu’ilsefichaitpasmaldesrèglesdebienséance.
—Encoreunefois,dit-elle,lemettantaudéfideluidésobéir.Willcroisalesbrassursapoitrine.—Jevoispasl’intérêt.—Commepourtoutlereste.Contente-toidefairecequejetedis.Tuasacceptédem’obéir.Je
connaiscetunivers.Pas toi.Etpour l’instant, tuas l’aird’unesortedemalabardescoloniesprêtàéclaterlatêtedequelqu’un.
Willserralesdents,pivotasursestalonsetretournaprèsdelafenêtre.Lenaportaunemaindevantsesyeuxetretintunsoupir.L’après-midipromettaitd’êtrelong.—Dis-moi,combienya-t-ildesourcesdepouvoirauseindel’Échelon?—C’estleConseildesDucsquiprendtouteslesdécisions.—EtquisiègeauConseil?—LesseptchefsdesGrandesMaisonsetleprinceconsort.—Quipeutprévaloirsurleurvote?—Techniquement,lareine,àtraverssondroitderégence,répondit-ilentournantsursestalons
d’unairgrandiloquentquiluifitpenseràBlade.Maisellenefaitqu’exprimerlesvolontésduprince.Ses paroles auraient pu être celles de Lena. Malgré son manque d’éducation, Will parvenait
facilementàemprunterdesmotsdesonproprevocabulaire.
—Commentfais-tupourtesouvenirdetoutça?Jusque-là, il n’avait pasmanqué une seule questionmême si, quand elle lui avait expliqué les
différents jeuxdepouvoirauseinde l’Échelon,elleétaitpratiquement sûrequ’ilne luiavaitprêtéaucuneattention.
—ParcequeBlademel’avaitdéjàappris.Onn’écritpasleschoses,aurepaire.Alorsondoitsesouvenirdetout.Quinousdoitquoi,combien,quiadéjàpayé,lesadresses,lesnoms,quiabattusaprotégée…(Ilhaussalessourcils.)C’estpasdur.
Will reprit sa marche nonchalante en direction de Lena. Il avait retiré son manteau, commesouventquandilétaitenintérieur.Ungiletdetweedgrissculptaitlescourbesdesapoitrineetilavaitde nouveau retroussé ses manches. À l’intérieur de son poignet, un tatouage représentait deuxpoignardscroisés,lamarquedeBlade.Untatouagequ’arboraitchaquehommedesabande.
—Ilvafalloirquetuarrêtesdefaireça,fit-elleremarquer.Lesmanchesdoiventresterbaissées.Etlemanteausurledos.Maislespectacleluiplaisaittroppourqu’elleluifasselaremarque.Elle
piochauneautrecerise,lafittournoyerautourdesatigeavantdelaglisserentreseslèvres.LeregarddeWills’attardasursabouche.—Quoid’autre?Onavularévérence,lespiègesàéviter,lesmanières,dequijedoismeméfier,
quidétientlepouvoir,quinel’apas,cequejevaisdevoirporter…Lenamorditdanslachairpulpeuseetjuteuse,puisavalalacerise.—Ladanse.—Non,finieladanse.(Ilposaungenouauborddelaméridienneetattrapaunfruit.)Onl’adéjà
fait.Letoutsousl’œildésapprobateuretmaterneldeMmeWade.Maintenantqu’ilsétaientseuls…—Absolument,maisnousallonsdanserquandmême.IlsepenchaetbranditunepairedecerisesdevantlabouchedeLena.—Tufaisçapourmetorturer.Lenamorditdansl’undesfruitsetl’arrachaavecsesdents.—Absolument.Ilposal’autredanssaboucheetlemâchad’unairsongeur.—Plus tard, dit-il. Tous ces trémoussementsm’ont déjà cassé les pieds, et je n’ai pas encore
dormi.—Jesuisvraimentdésoléesimacompagniet’ennuie.Willsouleva lespiedsdeLenapourpouvoirs’asseoircorrectement. Ilavaiteffectivement l’air
fatiguéetsesyeuxétaientplussombresqued’habitude.—C’estpastacompagnie.Lanuitdernière,quelqu’unadécidédemettrelefeuàuneboutiqueà
laquelleBladeavaitoffertsaprotection.J’aidûlesretrouver.C’étaituneespèced’ivrognequiafaillise faire dessus quand il nous a vus. Il était tellement imbibé qu’il avait même pas remarqué lespoignardscroisésincrustésdanslaporte.
—D’accord,dit-elleenseredressant.Peut-êtrequ’onvaremettreladanseàplustard.—Etplusdecoursnonplus.Lenapinçaleslèvres.—Pasdedanse,pasdeleçon,peut-êtrequetupréféreraisunepetitedémonstration?—Exactement.Avecunpetitsourire,ellecalasesjambessouselle.LaporterestaitouverteetMmeWadevenait
passerlatêtedetempsentemps,maispourlemoment,ilsétaientseuls.Etelleavaitl’intentiondeluidonnerunebonneleçonpouravoirtrouvésacompagnieennuyeuse.
—Dis-moi,murmura-t-elle,commentunefemmedémontre-t-elleclairementsadisponibilitéentantqu’esclavepotentielle?
—Paslamoindreidée.Ellerassemblasesjupesdevantelle,puisselevapours’approcherduboldecerises,enajoutant
délibérémentunstylefémininàsadémarche.Elles’emparadurécipientetrevints’asseoiràcôtédelui. Sa jupe frôla ses cuisses. Sa tenue était plus délicate que ce qu’elle portait habituellement enjournée,maisjamaisilnepourraitleremarquer.
Willseraidit.Ellen’avait jamaisvraimentprêtéattentionà lapuissancedesacarruremusclée,alorsquesonpouvoirémanaitdetoutsonêtre.
—Elleportedublanc,pourcommencer,déclaraLenaenpiochantdans lebol.Maisseulementpendantlasoirée,carenjournée,c’estunecouleurconsidéréecommedémodée.Unecerise?
Illaregardafixementporterlefruitàseslèvres.L’espaced’uneseconde,ellesongeaqu’ilallaitpeut-êtrelarefuser,maisilmorditdedans,etlejusquiencoulacoloraseslèvresenrouge.
—Tuferaisça,toi?demanda-t-il,labouchepleine.Pourunsangbleu?Lenaluijetaunregardparendessous.Puiselleléchalesucresursesdoigts.—Ilsmetrouveraientunpeurapide.C’estunedangereuseréputationpourunedébutante.Ilbaissalespaupières,dissimulantsonmagnifiqueregard.—Alorsc’estunjeuquetujoues?Avecmoi?—Cenesontquedesjeux,répondit-elleavecunpetithaussementd’épaule.ElleapprochauneautrecerisedeslèvresdeWillenvoyantlacouleurdesesyeuxchanger.—Jenesuispasentraindet’endormir,si?Willluisaisitlepoignet.—Non.Ilmorditdanslacerisequ’illuipritdesdoigts.—Tantmieux.(Ellesepenchaversluietdésignasagorge,puispassalégèrementsesdoigtssur
sa peau.) Il y a certaines zones du corps qu’une femme laissera apparaître si elle cherche unprotecteur.Siellelescouvre,çasignifiequ’ellen’estpasintéressée.
—Lagorge,parexemple.Elleinclinalecouetluiprésentasapeaudouceavecunegrâcelanguide.—Lesdébutantesneportentnicolliernifoulardàmoinsd’êtreenpassedesigneruncontrat.Les pupilles deWill se dilatèrent, son regard glissa le long de sa gorge et plus bas, dans son
décolletéetàlanaissancedesesseins.Sarobeétaitaudacieuse,mêmepourelle.C’étaitlegenredevêtementqu’elleneportaitquepourlui.
—Quoid’autre?demanda-t-ild’unevoixdoucequifitnaîtreunfrissonsurlapeaudeLena.LesyeuxdeWillsemblaientluilancerundéfi.Lenasepenchaencoreetluiprésental’intérieurdesonpoignet.Lapeauétaitlaiteuseetlesveines
bleuespalpitaientsouslasurface.—Là.(Leursregardssecroisèrent.)Tutesouviensdequellefaçononsalueunefemme?Illuipritlamainparréflexe,maisellegardal’intérieurdesonavant-brastournéverslui.Willse
figeaetl’incertitudecrispalestraitsdesonvisage.—Tupressesteslèvressurledosdesamain,murmura-t-elleenlevantlepoignetverslui.Pour
manifestersonintérêt,unefemmeprésentesonpoignetàlaplace.Ilbaissalatêteetseslèvreseffleurèrentlapeaudélicateàlanaissancedesamain.Unecaresse
froide.Àpeineunfrôlement.Sabarbelachatouillaetfitdurcirsestétonscontreladentellenoiredesoncorsage.Lenaappuyasalanguecontresesdentspourréprimerunhoquet.
—Siunsangbleuestintéressé,alorsils’attarde,dit-elle.Peut-êtremêmequ’ilposelégèrementsalangue.
Willpenchadenouveaulatêtesanslaquitterdesyeux.Lenaentrouvritleslèvresquandsaboucherecouvrit son poignet pour suçoter la chair. Le contact de sa langue sembla se répercuter au plusprofondd’elle-même.Elleserralescuissesetsentitlefrottementdesaculotte.
—C’est…murmura-t-elle.C’estassezprovocantpourunsangbleu.Willretirasaboucheetsonsoufflechaudséchalalégèretracehumide.LecœurdeLenabattaitla
chamadedanssapoitrinecomprimée.Que lui faisait-il?Commentavait-il renversé les rôlesaussiadroitement?C’étaitinsupportable.
Samainsurlasienneétaituneflambéeaccueillante.Uneinterrogationpassadanssonregard.—Tuprésentessouventtonpoignet?—Pourquoi?Elleremua.L’ambredanslesyeuxdeWills’étaitmisàflamboyer.—Réponds-moi.Letimbrepossessifdesavoixl’électrisa.—Qu’est-cequeçapeutfaire?—Réponds-moi.Ilresserrasonemprisesurelle.—Unefois,admit-elle.J’étaisjeuneetLordRamsayétaitsublime.Maisj’airetenulaleçon.Etje
nel’aiplusoffertuneseulefoisdepuis.Jusqu’àaujourd’hui.—Jenesuispasintéressépartonsang.—Alorsparquoies-tuintéressé?Conscientedupouvoirdesondécolleté,Lenasepenchaenavant,levisagecernéparsesboucles.Lemoments’étiraensilence,suspendudans le temps.PuisWillsepenchaàsontourverselle,
inconsciemment,commemûparuneforceinvisible.Iltenditlamain,effleurasoncorsagedudosdesesdoigts,etcaressalasoiecommepourenmémoriserlatexture.Cecontactallumauneétincelleenelleetelles’appuyacontresamain,pourlaforceràseposersursesseinssensibles.C’étaitlàqu’ellevoulaitqu’illatouche.Justelà.
Tous lespetitspoilsdesoncorpssedressèrent.Ledésirmontaenelle,unbesoindésespérédesentirsesmainssurelle.Lenafitglissersapaumesursacuisseetéprouvasesmusclesfermes.Elleinclinasonvisageverslesien…
Will ouvrit la bouche et tenta de dire quelque chose, mais les mots moururent dans ungrognementavantqu’iln’aitpulesprononcer.
—Bonsang,Lena.Ildétournalesyeux.Puisillarepoussafermementetseredressaenétirantlesbrassurledossier
delaméridienne.—Sijesuislà,c’estpourapprendrelesbonnesmanières.C’esttoutcequim’intéresse.Et,justecommeça,elleleperdit.Laconfusionetlafrustrationcreusèrentuntroubéantaufond
d’elle.Unbesoininassouvi.Ellen’avaitjamaiseudedifficultéàfairetomberleshommesdanssesfilets,maisWillnecessaitdeladéfier.
Elleenavaitlesoufflecoupé.Ellefitunedernièretentative.—Biensûr,toutcommepourlagorge,unpoignetcouvertpeutavoirdifférentessignifications.
(Elledésignasesgantsposéssurlatable.)Turemarquerasquejeportedesmancheslonguespourlesoiroudesgantsquirecouvrentdécemmentmespoignets.
—Commeilsedoit,chuchota-t-il.
Elleluijetaunregardmaissonvisageétaitinexpressif,indéchiffrable.Ilposasescoudessursesgenouxetl’observafixement.
—En revanche, si une femme porte des gants courts, c’est une autre histoire. Ils dévoilent lepoignetpourleslèvresd’unsangbleu.C’estunsignemanifestededisponibilité,peut-êtremêmedemœursdissolues.
—Etunpoignetcomplètementdécouvert?— Jamais. Seul un protecteur voit une femme avec les poignets découverts. C’est considéré
commequelquechosedetrèsintime.—Etpourtanttunelesportespasencemoment.—Tuasdittoi-mêmequecen’étaitpasmonsangquit’intéressait.Samines’assombrit.Lenas’adossaàlaméridienneetjouaaveclamanchedeWill.— Tu serais peut-être plus intéressé par la différence entre droits de sang et droits de chair,
murmura-t-elle.LesmusclesdesbrasdeWillsebandèrent.—Qu’est-cequeçaveutdire?—Unefemmecèdesesdroitsdesangàsonprotecteurquandelledevientsonesclave,enéchange
desaprotectionetdesonentretien.Pourlesdroitsdechair,c’estdifférent.C’estl’unedeserreursquefait la classemoyenne. Elle s’imagine qu’un protecteur peutmettre son esclave dans son lit aussisouventqu’ilveutboiresonsang.
Willlaregardaintensément.—En fait, ce n’est qu’avec son accord, ajouta-t-elle doucement, bien consciente d’avancer en
terrainminé.Sesdroitsdechairluiappartiennentpleinement.Onserapprochepeut-êtreplusdetondomained’intérêt?(Ellesepenchaverslui,humectaseslèvresetvitsonregardseposersurelle.)Est-cequelachairt’intéresse,Will?
—Pourquoi,c’estcequetuproposes?fit-ild’unevoixbrusque.Parcequed’oùjeviens,onaunmotpourqualifierça.
Ils’écartad’elleetserelevad’uncoup.—Tuconfondslesdeux,répondit-elle.Lesdroitsdechairsontdonnésdepleingré.Leseulprix
estceluiduplaisir.LesjouesdeWilldevinrentécarlates.Ilfourrasesmainsdanssespoches.—Etcommentunprotecteursait-ilqu’ilssontofferts?Lenahaussaunsourcil.Ellepassaundoigtsursaclavicule.—Illatrouvenuedanssonlit.Cettedéclarationsansdétourluiarrachaunsifflementdegorge.Ellesedemandal’espaced’une
secondes’ilnevisualisaitpaslascène.Avecelle.Cettepenséelafitfrémir.—Engénéral,onn’enparlepasouvertement,repritLena,maistoutcommelesleçonsdebonne
conduite,decoutureetdemusique,unejeunefemmesevoitsouvent…donnerquelquesindicessur…lafaçondesatisfaireunhomme,sielledécidaitdeluioffrirsesdroitsdechair.
Non pas qu’elle-même ait appris grand-chose avant que son père soit assassiné et qu’elle soitentraînéeàWhitechapel.Maisiln’avaitpasbesoindelesavoir.
Ilplissalesyeux.—Jesuispresquesûrquetudevraispasparlerdeçaavecunhommequin’estpastonprotecteur.—C’estvrai.(Unnouveauhaussementd’épaulelaissaapparaîtrelapeaulaiteusedesaclavicule.)
C’étaitpourtetaquiner.
—Encoredesjeux,dit-ilavecdégoût.(Iljoignitlesmainsdanssondosetarpentaletapisdevantelle.)Peut-êtrequetuauraisbesoinquejetemontrelaréactiond’unhommedemonuniversquandunefemmesemontreaussiintrépideaveclui.
—Tun’oseraispas.C’étaitunedéclaration,pasundéfi.Ellesavaitjusqu’oùellepouvaitlepousser.Elledevinaitqu’il
reculeraitàl’instantoùelledonneraitunedimensionsexuelleaujeu.Willseretourna.Etcroisasonregard.—Ahnon?Ilsepenchaenavantetposalesmainssurseshanches.Ilinséraungenouentresesjambes,écarta
sescuissesetlaretintprisonnière.Lenasefigeaquandiltenditlamainpours’emparerd’unemèchedesescheveuxsombresquiretombaitsursonépaule.
—Touslesjeuxauxquelstujoues…jemedemandebiencommentturéagiraissij’yjouais,moiaussi.
L’excitationaffluadanssesveines.Iln’avaitjamaisréponduàsesavancesjusque-là.—Nemedispasquej’aitouchélacordesensible?glissa-t-elle.—Plutôtmesnerfs.Il caressa subrepticement ses cheveux. Puis il plongea les doigts dans les boucles légèrement
emmêléesàlabasedesanuque.Ellesesentitgênéedanssarespiration.IlinclinalevisagedeLenaverslesien.Leurssoufflessemêlèrent.Leurproximitéétaitembarrassante.
Lena avait conscience d’être captive. Elle empoigna sa chemise et leva les yeux vers lui. Sonregardétaitdur,presquecruel.Soudain,cejeuneluiplaisaitplus.
—Lâche-moi,murmura-t-elle.—Pourquoi?C’estpascequetuveux?Mesmainssurtoncorps?C’estpasàçaquetuasjoué
pendantuneheure?Oubienj’aidépassélesbornes?Quoiqu’ilensoit,soissincèreavecmoi.Oubienjevaisfaireprendreàcepetitjeuuneautredirection.
Unseulmot.Oui.Unseulmotetilleferait.Maisencroisantsonregardfroidcommedel’acier,elle comprit qu’il ne plaisantait pas.Quand avaient-ils dépassé le stade du jeu ?Le stade du légerflirt?
Jepariecentlivresquetutetrompes,luimurmuralavoixd’Adeledanssatête.Laprochainefois,jesuissûrequec’estluiquit’embrassera.
Oui?Ounon?LecœurdeLenabattaitsourdementcontresescôtes.Ellel’avaitdéjàembrassé,une fois. C’était un jeu, rien de plus. Mais son message, à cet instant, était très clair. Will nesupporteraitpluslamoindrecomédie.Etunepartd’elleavaitpeurdejouerpourdevrai.
Ellen’étaitpassicourageusequecela.Parcequesiçanereprésentaitrienpourlui,s’ilseservaitd’elleavantde s’endébarrasser, elle risquerait soudaindecomprendreque,pourelle, ça signifiaitquelquechose.
—Non,marmonna-t-elle.LespaupièresdeWills’alourdirent.—Alorsjeveuxplusdeça.J’enaiassezdesplaisanteries.Assezdecesleçonspouraujourd’hui.
Detoutefaçon,ellesserventàrien.Illarelâchaetseredressa.Lena sentit la colèremonter en elle. Elle était fébrile, déconnectée de la réalité. Comme si le
mondeavaitbasculésursonaxeetqu’elleneretrouvaitplussonéquilibre.—Si,ellesserventàquelquechose.J’essaiedet’aider,etc’esttoiquitefichesdetoutcequeje
dis.
—L’Échelonnem’accepterajamais,quoiqu’ilarrive.Ilsveulentunebête,alorsc’estcequejevaisleurmontrer.
Ilpartitd’unriremoqueurtoutendéroulantsesmanches.Lenas’assittantbienquemal.Sesjupespartaientdanstouslessens.Commesesémotions.Will
avait inversé leur petit jeu et l’avait tourné en dérision. Il n’avait jamais eu l’audace de répondreauparavant. Des années passées à lui lancer des piques, à le taquiner pendant qu’il continuait del’ignorer…Elleavaitsongéquec’étaitlapiredesréactionspossibles–fairecommesiellen’existaitpas–maiscen’étaitpaslecas.Lapiredeschoses,c’étaitderépliquer,dejoueràsontour,d’abattretoutes ses défenses, et ensuite, de baisser sesmanches comme si l’instant ne l’avait pas affecté lemoinsdumonde.
—Danscecas,mesleçonssontinutiles,sesurprit-elleàdire.Elleconstataavecstupéfactionquesavoixnetremblaitpresquepas.Willsefigeaetsesdoigtss’immobilisèrentsursachemise.—Inutiles,reprit-elledansunmurmure,etparconséquent,tun’asplusderaisondecontinuerà
venirici.Ouàm’escorterensociété.Ellevoyaitsespenséestourbillonnerdanssesyeux.—Non,dit-ild’untonbourru.Non.Jevaiscontinuer.—Pourquoidevrais-jeperdremontemps?Elleparvintàserelever,àarrangersesjupesetà lissersoncorsage.Aprèsunbrefcoupd’œil
dans le miroir, elle remarqua que ses cheveux s’étaient échappés de ses épingles. Elle les refixapromptementetsentitlesprunellesdeWillposéessurelle.
Sapeausemitàfourmiller.Qu’ilailleaudiable.—Tun’écoutes riendeceque jedis, tu tournesen ridicule toutes les règlesdesociétéet tu te
moquesdemes efforts, poursuivit-elle en tentantdebraver sonémoi.Tu sais cequ’il y adepire,Will?Lepire,c’estqu’ilstevoientcommeunebêteetquetuleslaissesfaire.(Alorselleseretournaetcroisasonregard.)Tufaistoutcequiestentonpouvoirpourleurdonnerraison,tuvisàlahauteurdetaréputationetensuitetulesméprisesparcequ’ilssefichentdetoi.
Uneflammes’allumadanslesyeuxdeWill.Ilfitunpasverselle.—Cetteréputationestpeut-êtrejustementcequinousmetàl’abri,grogna-t-il.Enplus,jesuisun
loup-garou.Ilsmeverrontjamaisautrement.—Ettoinonplus!Cetéclatdevoixlessurprittouslesdeux.Lenasoufflaetleregardaavecdéfi.—Tutequalifiestoi-mêmedebête,Will,parcequetuesconvaincud’enêtreune.Unepartiede
toi est persuadée qu’elle ne vaut pas mieux que ce qu’ils disent. (Elle inspira en tremblant etpoursuivit :)Turechignesàécoutermesleçonsparcequetudétestesl’Échelon,maisjenefaispasquet’aideràt’intégrer,j’essaiedetemontreruneautremanièredevivre.
Un silence s’installa entre eux.Will ladévisageait, l’air choquéplutôtque furieux.Galvanisée,Lenafitunpasverslui.
—Acceptemesinstructions,chuchota-t-elle.Sers-t’enpourdevenirceluiquetuveuxêtre.Forcel’Échelonà te regarderdans lesyeux.Mets-lesaudéfide te traitercommeunhomme.Unhommedangereux,situveux,maispas…pasunanimal.
Ildétournal’attention,commesilavéracitédesesparolesluiavaitmisuncoup.Puisilcontractasespaupières.
—Ettoi?—Quoi,moi?
—Commenttumetraiteras?Lenasecoualatêteetremualeslèvressansémettreunson.—Jenesuispassûrede…L’expressiondeWillsedurcit.—Tusaiscequ’ilsdiront.Cequ’ilspenserontquandilsteverrontavecmoi.Est-cequetujoueras
lejeu?Est-cequeturirasdanstamainaveceux,pourassurertapropreplacedansleurmonde?Oùest-cequetuprendraslerisquedesubirleurcensure?Toutrisquerpourprouverquetun’asqu’uneseuleparole?Parcequ’ilyauraunprixàtoutça,crois-moi.Etc’esttoiquilepaieras.
Ellesecontentadel’observer,troubléeparsaproximité.Pasuneseulefoisellen’avaitsongéauprixqu’ilpourraitluiencoûter.Êtrevueaveclui,avecunloup-garou,c’étaitunsuicidesocial.
—Ouais,murmura-t-il.C’estbiencequejepensais.(Iltenditlamainverssajoueettournasonvisageverslesien.)Tupeuxjouertacomédieavecmoi,Lena,parcequeici,personnenetevoit.Ehbien,jesuisfatiguéd’êtretonpetitjouet.Tuaspeut-êtreraison.Peut-êtrequejelaisselesautresmedicterl’opinionquej’aidemoi-même.Maismalgrétoutestesbellesphrases,toiaussi.
Ce fut un choc.Malgré sa haine pour l’Échelon, elle s’était conformée à leurs règles.Elle lesavaitlaissésdéfinirquielleétait.Cequ’ellepensait.Cequ’elleosaitfaireounon.
Saproprecagebienàelle.Willlâchasajoueetrecula.—T’yasjamaispensé,c’estça?Unsourireamersedessinasurseslèvres.Ilrécupérasonmanteausurlatableetlejetasurson
épaule.— J’imagine qu’on se verra à la présentation officielle. (Après un bref signe de la tête, il se
dirigeaverslaporte.)Etalorsonverrasitun’asvraimentqu’uneparole.
Deuxjoursplustard,Willétaitadosséaumurdebriqueetexaminaitl’immensetourblanchequisemblaitpercerlescieux.Lemarbred’albâtrebrillaitsouslapluielugubredel’après-midi,commeunrappelconstantdupouvoirdel’Échelon.Lelendemainsoirs’ytiendraitlaprésentationofficielledèsl’arrivéedeladélégationscandinave.Illuifaudraitalorsfairepreuvedecharmeetdebienséance,afin d’essayer d’amener les Scandinaves à signer le traité. Une tâche herculéenne qui rendait sesmainsmoites.
Ets’iléchouait?Ilnes’étaitjamaisrenducompteàquelpointilaspiraitàlarespectabilitédustatutd’hommelibre.
Sansprixsursatête,avecunelibertétotaledemouvementsansavoiràregarderconstammentpar-dessussonépaule.Lapossibilitédefairetoutcequiluichantait…êtreceluiqu’ildésirait…sansserésigneraufaitden’êtrequ’unhommedemainbourrédemuscles.
Il prenait rarement la peine de s’embarrasser de telles réflexions, mais le discours qu’avaitprononcéLena,l’autrejour,tournaitenboucledanssatête.IldevaittoutàBlade,maisunepartdeluiétaitlassedel’exiguïtédesavie.Unesensationdesoifetd’ambitionrôdaitdansletréfondsdesoncœuretilnesavaitnicommentl’analysernicommentyremédier.
Ilplissalesyeuxenvoyantunecarrioleàvapeurdoréesegarerdevantlesportesdelatourencrachant une épaisse fuméed’échappement. Il l’avait suivie depuisMayfair, où il avait surveillé lademeure deBarrons toute lamatinée.La pluie était propice à la discrétion et le valet ne regardaitjamaisautourdelui.Quelsidiots.UnepreuvesupplémentairedelafacilitéaveclaquelleColchesterpourraitluimettrelamaindessuss’illevoulait.
Unlaquaisouvritlaportièreetunemaindélicateapparut,suiviedejupesdelacouleurdespétalesderose.PuisLenamitpiedàterreetjetauncoupd’œilnerveuxàlatour.
Chaquefoisqu’illavoyait,c’étaitlamêmechose:ilavaitlesoufflecoupé.Alors,soudain,sondésiretsonaviditépossédaientunnometunvisage.
Etl’effetétaitbienplustroublantquetoutecettehistoireavecl’Échelon.Tunepeuxpasl’avoir.Elleétaithumaine,etluiloup-garou.Ilnepourraitjamaisseretrouverdanssonlitsansrisquersa
vie,risquerdel’infecteravecsonvirus.Iln’auraitmêmepasdûavoiràselerappeler.Will fit la moue, croisa les bras et s’installa pour l’attente. Il ne pouvait pas la protéger à
l’intérieurdelaTourd’Ivoireetçalerendaitfou.IlallaitdevoirseconvaincrequeLenanecouraitaucundanger.
Lecontraireétaitinconcevable.
Lena jeta un regard par-dessus son épaule tout en caressant la plume de corbeau lustrée. LesommetdelaTourdesCorbeauxregorgeaitdecagesd’oiseauxquel’Échelonutilisaitautrefoispourenvoyerdesmessages.Depuis,avecl’inventiondupneumatiqueetdesfréquencesradio,ilsn’avaientplusaucunevéritableutilité,maislescorbeauxrestaientdanslatradition.Ilseraitmêmeétrangedenepluslesvoirtournoyerausommetdelatour.
Et on s’en servait encore à l’occasion. L’échange demessages secrets était revenu à la modeauprès des sangs bleus et des jeunes débutantes. De nos jours, il était considérablement plussignificatifd’envoyeruncorbeauquedesfleurs.
Lenatrouval’horriblevieiloiseauqu’elleconnaissait,ouvrit lacageetl’attirasursonpoignet.Pas toujours aussi précis et efficace qu’un pigeon voyageur, un corbeau pouvait malgré toutretrouverlamaisondanslaquelleilavaitétéélevés’ilavaitétécorrectementdressé.Puisunvaletlerenvoyaitensuiteàlatouravecuneréponse.
Iln’yavaitaucunblasonassociéàlacagedececorbeau;ellen’avaitaucunmoyendesavoiràquiilappartenait.
Unepetitelanièred’acierencerclaitsapattegauche.Ellesortitleminusculetubedecuirdesondécolleté et l’y attacha fermement.Ellen’avait pas encore trouvé l’occasiond’envoyer lemessagequeM.Mandevilleluiavaitconfié.Detropnombreusesvisitesàlacolonierisqueraientd’éveillerlessoupçons et plusieurs jours de réflexion avaient été nécessaires avant qu’elle décide seulement del’envoyer.
Ilnerestaitquevingt-quatreheuresavantqu’ellepuisseparleràMercury.Aprèsunbref coupd’œilpar-dessus sonépaule, elleporta l’oiseauvers l’horlogeouvertequi
dominaitlapièce.Lecadrandebronzeausommetdelatourattirait touslesregards.Unventfroids’infiltrait par ses facettes ouvertes. La trotteuse avança d’un cran juste devant son visage tandisqu’ellebrandissaitlecorbeauetlepropulsaitdanslesairs.
LaTourd’Ivoiresedressaitdevantelle.LaTourdesCorbeauxétaitl’unedesquatrepluspetitestoursquientouraient l’imposantdonjon.Sonmessagerpritde l’altitudeet tournaautourde la tourblancheetétincelanteavantdedisparaîtrederrièreunecathédraleabandonnée.
Samissionachevée,Lenasefaufilaentrelescagespourreprendreladirectiondesescaliers.Elleavait essayé de suivre l’oiseau à l’aide de jumelles, mais elle savait seulement qu’il avait pris ladirectiondel’ouestavantdedisparaître.
VersMayfairouKensington,d’aprèselle.
Cequisignifiaitquesoncontactdevaitêtrebienintégréàl’Échelon.Unserviteur,peut-être?Oumêmeunesclavehautplacé?Quelqu’unquiavaitaccèsauxsecretsdel’Échelon,entoutcas.D’aprèsl’informationqu’ilavaittransmise,ildevaitêtreprocheduConseildesDucslui-même.
Le lendemainou le surlendemain, un corbeauviendrait gratter à sa fenêtre avecunmessage àtransmettreàM.Mandeville.Leo,lui,supposaitqu’elleavaitunprétendant.
Lenarefermalalourdeporteenbois,laverrouillapuisseretourna.Unéclatdesoienoirepassadanssonchampdevisionet,lasecondesuivante,quelqu’unlaplaquacontresoncorpsetcollaunelametranchantesursacarotide.
—Bougepas,luiparvintunmurmurerauque.Lenasefigea,affolée.Quelqu’unl’avait-ilsuivie?Savait-ilcequ’ellevenaitdefaire?—Quelvisageportelamort?Elle n’aurait su dire s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme.Mais elle reconnaissait cette
phrase.C’étaitlesignedereconnaissancedeshumanistesentreeux.—Unvisagepâle,murmura-t-elle.Lalameducouteaus’écartalégèrement,maisnedisparutpaspourautant.—Ladélégationscandinavearrivedemain, reprit lavoix. Jeveuxque tuanéantisses toutes les
chancesdesignaturedutraité.—Vousvoustrompez.Jenesuisplusconcernée.J’aiparléàMandeville.LalameseresserradenouveauetLenasecambraendéglutissant.Lapersonnequilatenaitétait
plusgrandequ’elle,maisdepeu.—TuneserasplusconcernéequandMercuryl’auradécidé.Unevoixfroide,desmainscruelles.Lenainspiratantbienquemal.—C’estvous,Mercury?Ilyeutunlongsilence.—Jetransmetssesordres.—Commentempêcherlasignaturedutraité?Jenesaispas…—LaBête,murmuralavoix.Sers-toidelui.Lenaserralesdents.—Non.Saréponserésonnadanslecouloirdepierre.Lamainrelâchasataille.—Peut-êtrequeçateferachangerd’avis.Onluifourraunobjetmétalliqueetanguleuxdanslamain.Lenalalevalégèrementetsoncœur
manquaunbattementquandelledistingual’objet.L’undessoldatsmécaniquesdeCharliequ’elleavaitfabriquéelle-même.Ladernièrefoisqu’elle
l’avaitvu,c’étaitsurl’étagèredesonfrère.Danssachambre.—Empêchelasignature.(Lemurmureétaitrude.)Ousinon,jeluiprendraiautrechosequeses
jouets.Puis lapression sur sagorgedisparut etdesbruitsdepas fluides et rapides retentirentdans le
couloir.Ellechancela.Toutcequ’elleavaitpupercevoirdel’humaniste,c’étaitunecapenoireettourbillonnante.Mais
unechoseavaitattirésonattention;aucunhumainnepouvaitsedéplaceràunetellevitesse.Ildevaits’agird’unsangbleu.
11
L’airdesquaisdusudempestaitleparfum,maispasassezpourmasquerlesodeurssingulièresdelaTamise,unpeuplusétoufféesqu’enpleinété.Çàetlà,desdamesportaientdessachetsaromatiquesàleurnezetd’autresenavaientmêmecoususurleurséventails.
Des Cuirasses étaient alignés sur la plateforme érigée le long des quais, en alerte. La lueurhabituellementbleuedansleursyeuxfendusétaitréduiteàunéclatneutre.L’éclairagedeslampesàgaz vacillait sur leurs plastrons dorés ; l’escadron impérial n’était composé que de deux centsautomates,maiscesderniersétaientparticulièrementimpressionnants.Leplussouventutiliséesdansle cadre de cérémonies, les lames circulaires attachées à leurs bras leur donnaient une attitudesingulièrementmenaçante.
Lenasentitlanervositéfairefourmillersapeau.Laferveurdelafouleétaitcontagieuse,maislajeunefemmen’arrivaitmêmepasàseforceràsourire.Laplupartdesmembresdel’Échelonétaientprésents,parésdebijouxétincelantsetdesoieriesauxcouleursvives.Lesangbleudusommetdelatourpouvaitêtren’importelequeld’entreeux.
Unemainsepressadanssondosetunsoufflefroideffleurasonoreille.—Relax.Ilnetenterarienici.Pass’ilveutavoirlaviesauve,entoutcas.Leoapparutàsescôtésetlaissasamainchaudeaucreuxdesondos.Colchester.Ellel’avaitpresqueoublié.— Je le sais. Pas ici. Pas en public, du moins. (Elle lui coula un regard en biais.) As-tu des
nouvellesde…deWill?Trois jours déjà. Leo avait fait livrer la garde-robe deWill,mais celui-ci lui avait seulement
envoyéunmessagepour lui faire savoirqu’il étaitoccupéparuneaffaire.Lesmotsqu’ilsavaientéchangés,l’autrejour,avaienttouchéunecordesensible.Cheztouslesdeux.Lenas’étaitefforcéedeseconcentrersursonmécanismetransformablepournepaspenseràlui.
Plus facile à dire qu’à faire. À ce stade, elle n’en était qu’à l’assemblage des rouages et desengrenages;maistôtoutard,elleallaitdevoirsouderlesplaquesdetôledel’enveloppeextérieure,façonnerlephysiquedesonguerrier.Mêmeplongéedanssesmécanismes–laseuleactivitéquiluiavaittoujourspermisd’oubliertoutleresteetd’assemblertranquillementlespiècesdupuzzle–,ellenepouvaitluiéchapper.
—Ilviendra.Ils’agissaitd’unedéclarationetnond’unequestion.Leoparcourutd’unregardsombrelafoule
desangsbleusauxcouleurscriardes.—Jedevrairejoindre leConseildès l’arrivéedesScandinaves.Mais jene te laisseraipassans
surveillance.
—Jemedébrouillerai.Leocherchasonregard,puishochalatête.—Resteici.Jegarderaiunœilsurtoidepuisl’estrade.Au-dessusde la rivière, leciel explosa soudain.Deshoquets retentirent et lesgens semirentà
applaudir.Untourbillondevolutesrosesetbleuesdéchiralecielsatiné,ponctuéparlehurlementstridentde
petitesroquettes.UnebouledefeuorangéesemitàgrossiretbrouillalavisionnocturnedeLena.—Lesvoilà,susurraLeo.Jeferaismieuxd’yaller.Lenaclignalesyeux,puislescontourssombresd’unvaisseauapparurentsurlarivière.Ilglissait
surleseauxhuileusestelunserpent.Quandlevaisseaudragonapparutplusdistinctement,lesriresetlesacclamationscessèrentpour laisser laplaceàdesmurmuresétouffés.Seule résonnait laplaintedesfeuxd’artifice.L’engindeprèsdesoixantemètresdelongressemblaitlégèrementauxchaloupesdeleursancêtres.Unetêtedeserpentsinueusefaisaitofficedefiguredeproueetd’immensesvoilesentoileétaientsoigneusementrepliéessursesflancs.Lacoquemétalliqueétincelaitd’unvernisdoréet les boucliers incrustés de pierres précieuses qui recouvraient les côtés reflétaient la lueur deslampesàgaz.
Flanquédedeuxautresnavires,leursenveloppesd’héliumsedégonflèrentetserangèrentàleuremplacement.Onpouvait lesutiliser dans l’air comme sur l’eau, et elles étaient aussi dangereusesdansunélémentquedansl’autre.D’immensesguerriersétaientalignéssurlesponts,vêtusdetenuesmilitaires bleu foncé, la poitrine couverte de brandebourgs, la tête coiffée d’un casque surmontéd’unelongueplumenoire.Leslumièresdesquaisfaisaientbrillerl’éclatambrédeleursyeux.
—Regardez-les,chuchotaunefemmenonloin.Quelsbarbares.—Oh,commentnepaslesvoir,luirépondituneautredamederrièresonéventail.Desfeuxd’artificeexplosèrentdanslecielavecfrénésieetbaignèrentl’horizond’or,debleuet
derose.Lenaneputs’empêcherdedétournerlesyeuxdesnaviressilencieuxetdelesleververslespectacle.
Ellesentitsaprésencebienavantdelelocaliser.Unfrissonsursapeau.Lafaibleanticipationdesoncorpsquireconnaissaitledanger…enmêmetempsquel’excitation.Will.Ellebaissalatête,lesoufflecourt,etsesdoigtssecrispèrentsursonéventail.Ellelecherchadu
regard malgré les points de couleur qui dansaient devant ses prunelles. La foule n’avait plusd’importance.Nilesnaviresenapproche.NimêmeColchester.
Elleavaitpassélajournéedansunétatd’agitationextrême,incapabledesecalmer.Incapabledefaire quoi que ce soit d’autre que jouer avec sa nourriture ou lire distraitement un paragraphe duTimes.LesparolesdeWillnecessaientderésonnerdanssatête.Etalorsonverrasitun’asvraimentqu’uneparole.
Lenafrissonna.Ellesentaitsonregardsurelle.Desmurmuress’élevèrentdanssondos.Lafoules’agita.Unfourmillementparcourutsanuque.
Quand elle se retourna tout en s’éventant avec énergie, elle vit l’assemblée se diviser et les jupess’écartercommelamerRouge.Ellenelevoyaitpas.Ellenevoyaitqu’unhommevêtudenoirquiavançait dans le passage libéré par les gens, affichant un dédain arrogant. Il marchait à grandesfouléespleinesd’assurance.
Elle nota la coupe élégante de son manteau, soigneusement boutonné jusqu’en haut du côtégauchedesapoitrine.Puissonregardremontavivementetelleécarquillalesyeux.
Oh,monDieu…Lenacessalittéralementderespirer.Elle ne l’avait jamais vu qu’en chemise débraillée et en manteau informe. Le spectacle qu’il
offrait,ainsivêtupourlasoirée,était totalementdévastateur.Lenoirabsoludesonmanteauattiraitl’attentionsur lacouleurd’orsombredesapeau,etsescheveux, lesmagnifiquesbouclesambréesqu’ellerêvaitdecaresser,avaientdisparu.
Sonéventails’immobilisaetl’extrémitédesesplumeseffleurasapoitrine.QuandWillémergeades ombres, la lueur des lampes souligna les courbes rigides de son visage, et ses yeux couleurbronze se fixèrent sur elle avec une intensité telle qu’aucun spectateur ne pouvait seméprendre. Ils’agissaitd’unregardd’intérêt.D’unintérêtdeprédateur.
Ildevaitarrêterdelaregarderainsi.Lenadétournabrusquementlatêteetpritunebrèveinspiration.Sil’Échelonpercevaitlaforcedu
regarddeWill,saréputationseraitfichue.Etc’étaitexactementlaréactionqu’ilavaitprédite.LesépaulesdeLenas’affaissèrent.Ill’avaitpratiquementmiseaudéfideniertoutlienentreeux.
Malgréletondedérisiondesavoix,elleavaitdéceléunepointedesouffrancedanssesprunelles.Commes’ilsavaitqu’ilneseraitjamaisàlahauteur.Elle se tournadenouveauvers lui, la tête inclinée,parfaitement conscientedesyeuxmalicieux
posés sur eux. Si seulement il ne restait pas debout là, en silence, à attendre qu’elle prenne unedécision, à savoir l’ignorer, ou bien abandonner toute chance et tout espoir d’intégrer un jour cemondeétincelant.
Maiscommentl’Échelonpourrait-ilaccepterWillsielle-mêmeenétaitincapable?Willluioffritsonbras,d’ungesteaussifluideetdélicatques’ilsl’avaientrépétédesmilliersde
fois,etnonpasunedizaine,àpeine.Unelueurdiaboliquebrillaitdanssesiris.Undéfi.—Sivousmepermettez…Lenaacceptasonbrasetperçutmalgrésesgantslachaleursurnaturellequiémanaitdesoncorps.
Desmurmuresaccompagnèrentleurprogressionversl’estradeetlesouriredeLenadisparut.—Jenesuispascenséemonterlà,murmura-t-elle.Au-dessusdeleurstêtes,lesfeuxd’artificecrépitaientdanslecieletlesifflementdesfuséeslui
volaitsesmots.Will sepenchaplusprès.Maintenantqu’elle levoyaitdeprofil, elle s’aperçutque ses cheveux
étaientsoigneusementretenusenarrière.Lesrubansdevelourseffleurèrentsanuque.—J’aicruquetut’étaiscoupélescheveux,laissa-t-elleéchapper.—Tuasl’airsoulagée.Jecroyaisquemacoupeétaittotalementringarde.Paslamoindretraced’unéventuelmalaisedanssavoix.Lenaserralesdents.—C’estlecas.—Alorsjelescouperai.Faceàsonairchoqué, levisagedeWills’éclaira.Puis leursregardsseverrouillèrent.Danger.
Sonpoulss’accéléra.Willpassasamainsursoncrâne.—Ilsmegênent,detoutefaçon.—Faiscequetuveux,mentitLena.Jem’enfiche.Lesourirequ’illuiadressacommeréponsefutsuffisant.—Nousyvoilà,dit-ilenlevantlesyeuxversl’estrade.Aucunsigneduprinceconsortnidelareine,maislesseptmembresduConseilattendaient.
WillprituneprofondeinspirationetLenaremarquapourlapremièrefoisqu’ilétaitnerveux.Elleluiserralebras.
—Est-cequetun’asjamaisrencontréd’autresmembresdetonespèce?—Non,jamais.(Sonregardglissaverslarivièreets’attardasurlesofficiersdemarinealignés
surlepontduvaisseaudragon.)J’aipassélamajeurepartiedemaviedansunecage,puiscoincéàWhitechapelavecmatêtemiseàprix.
Quelque chose se pinça dans la poitrine de Lena. Elle glissa sa main dans la sienne en lesdissimulantcontresesjupes.Touteslesattentionsétaienttournéesverslarivière.Elleluipressalesdoigtsetilbaissalesyeux,hésitantavantderépondreàsongeste.
—Onfaitunetrêve?murmura-t-elle.Justepourcesoir.—Vapourlatrêve,acquiesça-t-il.Elle grimpa les marches. Un souffle de vent agita ses cheveux, chargé du riche parfum à la
cannelledeLadyAramina.LenaseplaçaàcôtédeladuchesseetretirasamaindecelledeWill.Derrière le bruit des feux d’artifice et le murmure de la foule, un étrange bourdonnement
lancinant s’éleva. À moins de cent mètres derrière le vaisseau dragon, de l’écume se forma à lasurfacedel’eauetlatêtesombred’unétrangeenginfitsurface.
—Qu’est-cequec’estqueça?demanda-t-elle.—Unkrakensubmersible, répondit laduchesse, lesyeuxbraquésdanscettedirection.Letueur
furtifde la forcenavale scandinave.C’est le seul enginàavoir jamais anéantiundenoscuirassésd’escadre.
Surprisequeladuchessesesoitdonnélapeinederépondre,Lenasepermitd’ajouter:—Jecroyaisquelescuirassésétaientinvincibles.—Onnepeutpasluttercontrecequ’onnevoitpas,réponditladuchesse.Etl’onnepeutdéceler
qu’au dernier moment le bruit de ses hélices qui approchent. Si on le coince tout seul, même uncuirasséd’escadrepeutêtrecouléparsestentaculesd’acier.
Le vrombissement retentit dans l’air et Lena sentit presque les vibrations se répercuter sur sapeau.Ellenepouvaitqu’imaginerlapuissancenécessairepourcréeruntelvacarme.
—Enrevanche,ilss’aventurentrarementaussiloindeleurterritoire,ajoutaAraminaavecunairsongeur.Ilsdoiventvouloiressayerdenousimpressionner.
—C’estréussi,réponditLenaenobservantlesvisageséblouisdelafoulequandlatêtebombée,faitedeverreetdemétaldusubmersible,fenditlasurfacepourapparaîtreàlavuedetous.
Lepremiervaisseaudragons’amarra.Deuxdeséquipagesdunavireportaientlatenuebleuedel’arméesuédoise,caractériséepardesépaulettesornéesdeglandsd’or.Tousétaientaumoinsaussigrands queWill. Ils semouvaient avecune efficacitémilitaire et semirent augarde-à-vous quandtroisofficierssurgirentsurlepontavant.
Lederniervaisseaus’approchaduquaiavecunefacilitépresquedédaigneuseets’amarraunpeuà l’écart des vaisseaux suédois. Des marins balafrés et grisonnants se tenaient au bastingage etobservaient la foule d’unœilméprisant.D’épaisses peaux de loup recouvraient leurs épaules et laplupartportaientunebarbeépaisse.
Lesclansnorvégiens.Derrière elle, le bruit de bottesmétalliques résonna sur les pavés.Une carriole apparut sur la
place,étincelantedenacre,ets’arrêtajustedevantl’estrade.LesCuirassesImpérialesdégagèrentunpassage,leursfusilsd’apparatsuspendusentraversdeleursépaulesblindées.
Leprinceconsortdescenditdansunepostureglorieuseetfutacclaméparlafoule.
Lenane savaitplusoù regarder.Les feuxd’artificequi reprenaientdeplusbelle réduisaient lemondeàuneexplosiondecouleurs.Leprinceconsorttenditlamainverslacarrioleetaidalapetitereinehumaineàdescendresurlequai.Derrièreeux,lesScandinavessemirentenrang,guidésparunhomme imposant en habit écarlate. Il était encore plus grand que Will et les traits de ses jouessculptéessetrouvaientadoucisparsabouchecharnue.
Àcôtéd’elle,Willtressaillaitàchaqueexplosion,lesnarinesévasées.Biensûr.Toutcelaétaittoutnouveaupourlui.
Elletirasursamanche.—Jesupposequecethommeestlechefdeladélégationsuédoise.LecomteStefanHallestrømde
Skåld.Ilsefaitappeler«leMarteaudeGuerre».Lesclansnorvégienseux-mêmesprennentdesgantsaveclui,etpourtantilsn’ontpeurderiennidepersonne.
Ill’observadesesyeuxd’ambreavecindolence.Ilsedétendait,cequiétaitprécisémentl’objectifdeLena.
—LesNorvégienssont…retors,expliqua-t-elle.Officiellement,leParlementaétédissousetilssont désormais soumis à la cour suédoise.Dans la capitale, la plupart se sont adaptés au nouveaurèglement,maisdanslescontréesplusreculéesilssontbienplustraditionnels.(EllejetaunregardaugroupedeNorvégiensauxminesrenfrognéesrassemblésurlesquais.)L’hommeàl’avants’appelleMagnusRagnarsson,leFenrir1duClandesCorbeaux.Ilabeauporterunbandeausurl’œiletavoirplusquenosdeuxâgesréunis,ilestconnupourêtreruséetroublard,etseshommesluivouentunefidélitésansbornes.SonfilsEricsetrouveàsadroite.
Lenaécarquillalesyeux.Elleavaitentendudirequ’ilétaitbelhomme,maislorsqueleguerrierblondaffichaunsourire,lamoitiédesdamesprésentescessèrentderespirer.Leséventailssemirentàs’agitercommeunenuéedepapillons.
—Netelaissepasavoirparsoncharme.Onnegravitpasleséchelonsd’unclansanssemettredusangsurlesmains.Plusleurrangestélevé,plusilsontversédesang.EtEricestvouéàprendrelarelèvedesonpèreunjouroul’autre.
Will accueillit cette déclaration en silence. Lena releva les yeux vers lui. Le loup-garoul’observaitavecunregardperçantetdangereux.
—Quoi?—Jecroispasquecesoitmoiquidevraism’inquiéterdesoncharme.Unevaguedechaleurenvahitsonvisage.Elles’éventarapidement.—Jenevoispasdequoituparles.—Tuaspousséunsoupir.—Pasdutout.—Ondiraitbienquetuasunfaibleredoutablepourleshommes-loups.—Jetegarantisquenon.Elleneputs’empêchermalgrétoutdelaissersonattentionglisserdenouveauverslasilhouette
blondesurlesquais,avecsacottedemaillesenfeuillesd’argentetlalourdehachequiceignaitseshanches.Elleavaitunjour traitéWilldebarbare,maiselleenavaitdésormaisunenchairetenosdevantelle.
Riendemoinsqu’undieunordique.Lesond’une fanfare s’élevadans lesairset les rangsnorvégiens sedivisèrentpourouvrirun
passage.Les loups-garousavaientgagné : tout lemonde tordit lecoupourvoirquiméritaitun telorchestre.
Unejeunefemmepénétradanslesrangs.
—Oh,murmuraLena.Lesilenceretombasurlaplace.C’étaittoutàfaitjustifié.Lafemmeétaitnonseulementgrandeet
biengalbée,avecunepoitrinegénéreuse,maisellepossédaitunvisagecapablederéduireunefouleaumutisme.Unecascadedecheveuxblondsluitombaitjusqu’àlatailleetunbandeaudoréornaitsonfront.Elleportaitunesimplerobeblancheetunepeaudeloupnonchalammentposéesuruneépaule.Pourtant, elle n’avait pas besoin de plus. L’or et les pierres précieuses seraient passés inaperçusderrièreseslèvrescharnuesetlaperfectiondesacarrure.
—Jerêve,fitWillenhaussantunsourcil.Unepetiteétincellebrûlal’estomacdeLena.Elleluimarchasurlepiedets’yappuyadetoutson
petitpoids.—Tais-toi,avantdet’étouffer,dit-ellesèchement.Ellen’estpassibellequeça.Elle regarda autour d’elle, consciente qu’il continuait de l’observer. La chaleur de son regard
s’attardasursapeauetellesesurpritàaccélérerlerythmedesonéventail.—T’esjalouse?Jecroyaisquec’étaitseulementunjeu.L’éventail ralentit.Elle plongeadans l’intensité brûlante de ses prunelles. Il avait prononcé ces
motsaveclégèreté,maisl’expressionsursonvisageétaittoutautre.—Jenesuispasjalouse.Tupeuxlaregardertantquetuveux.Jem’enfiche.Maismonbutestde
tefaireparaîtreunpeuplusdistinguéqu’uneespècedeploucélevédanslescoloniesquirestebouchebée,tunecroispas?Tuveuxlesimpressionner?
Tandisqu’elle,desoncôté,voulaitlesécarter.Accabléeparunsentimentdeculpabilité,sesdoigtssecrispèrentsursonéventail.—Nemedévisagepascommeça,susurra-t-elle.—Turesteslaplusjoliefemmesurlaquellej’aiposélesyeux.Uncoupaucœur.—Tunedevraispasdiredetelleschoses.Ilhaussalesépaules.Commesiçanesignifiaitrienpourlui.Alorsquec’étaittoutpourelle.Elleavaitreçudesmilliersdecomplimentsinsignifiantsdelapartdesangsbleusdepuisqu’elle
avaitintégrélacour.Lesmotsétaientdestinésaucharmeetàlaséduction.MaisWillnedisaitjamaisrienqu’ilnepensaitpas.Unevaguedechaleurgonfladanssapoitrine.
Puis elle déchanta. S’il apprenait qu’elle avait l’intention d’empêcher la signature du traité, ilentrerait dans une rage folle. Elle pourrait dire adieu à ses sourires et à ses compliments.Will ladétesterait.Lenaserralesdoigtsautourdesonéventailetsentitunechaleurmonterderrièresesyeux.Elledétournapromptement le regardetdéglutit. Jamais il nedevrait savoir.Gagner le soutiendesScandinavesn’étaitpasaussiimportantquelaviedeCharlie.
—Tuenconnaisunpaquetsurlesujet,repritWilltandisqueleprinceconsortfaisaitunpasenavantpoursaluerl’ambassadeursuédois.
Ilséchangèrentlesformulesdepolitesse,àgrandrenfortdesourirestranchantsetdepoignéesdemain.L’ambassadeur s’inclina devant la reine, plus bas qu’il ne l’avait fait pour le prince consort. Il
devaitsavoirquigouvernaitréellementlaGrande-Bretagne;ils’agissaitlàd’uneinsulte,sansaucundoutelapremièred’unelonguesérie.
Peut-êtrequesatâcheneseraitpasaussidifficilequ’ellel’avaitcru,aprèstout?—J’étaiscurieuse.
Et elle avait eu besoin de connaître ses cibles. Une nouvelle pointe de culpabilité lui noua leventre.
—CeMagnus…murmura-t-il.C’estlechefdesNorvégiens?Elle n’allait pas lui refuser l’information qu’elle avait obtenue grâce à de longues heures de
commérages.— Il ne reste plus que cinq clans en Norvège. Magnus dirige l’un d’eux, mais pour cette
délégation il parle au nom de tous. Le véritable pouvoir, en Norvège, est détenu par ValdemarEinarsson, le jarl2 de tous les clans. (Ellevolaunnouveau regardà la jeune femmequi s’inclinaitdevantlareine.)Ildoits’agirdesafille,LadyAstrid.
—Qu’est-cequisepasseaprèstouteslescourbettes?—NousnousretireronsàlaTourd’Ivoirepourlebaldebienvenue.Levisageduloup-garoutraduisitunlégermalaise.—Oui,Will.Ilvafalloirdanser,dit-elleensavourantl’instant.Onvavoirsituasretenuquelque
chosedemesleçons.
Leslumièresscintillaient.Lasalledebalofficielleétaitsurchargéedemiroirsauxcadresornésdedoruresetintercalésd’élégantespeintures.Willattenditausommetdesmarchesrecouvertesd’untapisrougequesoientannoncéssonnometceluideLena.
Alors,descentainesdevisagesse tournèrentvers lui.Dessangsbleus,des loups-garousetdeshumains, tout confondu. Une brève œillade à la ronde lui indiqua que les Norvégiens s’étaientregroupésdansuncoin,uneexpressionprudenteetconcentréesur levisage.LeFenrirbraquasonregardsur lesien; lebandeaunoirsursonœildétonnaitsévèrementdansceparadisétincelant.Lafourrure se hérissait sur ses épaules et sa barbe argentée portait le poids des ans. Will se sentitsoupesé,jaugéetmesuréparcettepupillesolitaire.
Voilàunhommequ’iln’auraitpasaimésemettreàdos.—Viens,murmuraLenaenletirantparlamanche.Pourquoidiableavait-ilacceptétoutça?Avecl’impressiond’êtretraqué,ildescenditlesmarches
àsescôtés.Lena entreprit de le présenter auxmembresde l’Échelon et l’heure suivante s’écoula dansune
succession de mondanités forcées et de sourires affectés. Des regards durs s’attardaient dans sondos et il surprit plusieurs sangs bleus à en échanger entre eux. Des regards faciles à interpréter.Qu’est-cequ’ilfichaitlà?ÀqueljeuselivraitleConseil?
Les lumières. La musique. Les rires et les paillettes. Des dizaines de lustres éclairés au gazprojetaientleurlumièrechaudesurlasalle.Willgonflalesnarinesetattrapauneflûtedechampagnesurleplateaud’undrone,puislatenditàLena.Elleluifaisaitofficedeseuletuniquechaperondanscemondequiluiétaitétrangeretqu’ilnevoulaitpasconnaître.
CerôleconvenaitàLena.Elleriaitetdonnaitdestapessurl’épauledesesamisduboutdesonéventail, tout en veillant à le maintenir impliqué constamment dans la conversation, alors que luiauraitnettementpréférésecontenterderesteràcôtéd’elleetdefairelamoue.Pourelle,cettesoiréene présentait aucune difficulté. Les sangs bleus eux-mêmes semblaient se plier à ses volontés,maintenusàleurplacegrâceàdessourirescoquetsetuntraitd’espritexpriméd’unevoixenjôleuse.
Àchaquesourirequ’ilsrécoltaientdelapartdeLena,Willavaitenviedeleurfracasserlenez.—J’aibesoindeprendrel’air,gronda-t-ilàsonoreille.—Pastoutdesuite.(Aprèsunregardverssonvisage,ellehochalatêted’unairpensif.)Viens
danseravecmoi.
Iln’yavaitquepourellequ’ilacceptaitdesubirpareilletorture.Illuipritlamain,l’entraînasurlapistededanseetl’attiracontrelui.Lenaouvritdegrandsyeux
quandellelesentitglisserlamainaucreuxdesondoseteffleurersesjupesavecsescuisses.Maisellen’osapasleréprimanderenpublic.
Willselaissaemporterparlamusiqueetlafittournoyerdanssesbras,concentrésurlecomptedespas.Leurduoauraitpuparaîtreridicule–ilétaiténormecomparéàsasilhouettedélicate–maislagrâcedeLenapermettaitàleurcoupledefonctionner.C’étaitcommedetenirunetoupieentresesmains.Elle flottait dans les airs, avecdesgestes fluides et distingués, une attitude empreinted’unelégèretouchedecoquetterie.Quandilchancelait,ellel’encourageaitd’unsourireauxpaupièresmi-closesquiluifaisaitaussitôtoubliertoussespas.
Quiluifaisaittoutoublier,enréalité.—Arrêtedecompter,murmura-t-elle.Il lui jetauneœilladenoireet luifiteffectuerunepirouette.Souscetangle,sonregardtombait
directementdanssarobeauniveaudubombédechaircrémeusequ’elleexposaitavecbientropdecomplaisance.Desperlesornaientsondécolletéetattiraientsonattentionplusbas.
—Jecroyaisquec’étaitlesfemmesquicherchaientunprotecteurquilaissaientleurgorgeetleurdécolletédécouverts.
Lena lui jeta un regard par-dessus son épaule tandis qu’il lui faisait effectuer une nouvellepirouette.
—Maiscen’estpasmoncas.—Quelcas?Unelégèrehésitation.—Jenecherchepasdeprotecteur.Il resserra ses doigts autour des siens. Il n’aurait même pas dû s’en soucier. Elle ne pourrait
jamais lui appartenir,de toute façon.Mais il entretenaitmalgré tout cettepenséeavecun sentimentaigudesatisfaction.Depossession.
Il se rapprocha d’elle et l’attira contre sa poitrine tout en maintenant ses mains en l’air. LemouvementobligeaLenaàsecambreretàleverlatête.Chaquepasduassahavaitétéélaborédansune intentiondeséduction,dans lebutdeprésenter les femmesauxsangsbleus sous leurmeilleurjour.Willn’avaitaucundésirpoursonsang,maislacourbedoucedesoncouetdesonépauleattiraitinlassablement son regard. Il avait envie de poser ses lèvres sur sa peau et de la sentir frémir, degoûterleparfumdesachairetdel’entendreretenirsonsouffle.
Son sexe se durcit.Que de pensées risquées. Surtout ici, au beaumilieu d’une salle de bal.Lefrottement de la structure sous ses jupes contre son aine était une délicieuse torture qui l’excitaitencoredavantage.
—Tumeserrestrop,chuchota-t-elle.Lesouriresursonvisageétait insouciant,commesiellen’avaitpasconsciencedece fait.Une
énigmepourlesyeuxindiscrets.Sonsouffle,enrevanche,latrahissait.Quefabriquait-il?Willinspiraprofondémentetdétournaleregard.Illafittournoyerlégèrement
etelleseretrouvadenouveaufaceàlui.Ilfutdévastéparl’expressionqu’illutdanssesiris.Peut-être était-ce lié à cet autre après-midi ? Il l’avait mise au défi de l’accepter en public. Il
l’avaitprovoquéeàsespropresjeux.Toutecettehistoireétaitvaine.Ellen’étaitpassienneetneleseraitjamais.Pourtant…ilétaitsi
tentantde la serrer,desouffrir saproximitécommeune torturealorsqu’il savaitqu’ilnepourrait
jamaisl’avoir.Justecettefois.—Will,murmura-t-elle.Arrête.Ilnepouvaitpaslarelâcher.Mettreladistanceappropriéeentreeux.Ilselaissaitemporterparla
musique, un quatuor de cordes et flûtes avec un contrepoint exotique, légèrement oriental. Ilenchaînaitdésormaischaquepasavec fluidité. Il réfléchissaitmoinset secontentaitde suivreLenadans leur danse sinueuse. Le prédateur et la proie.Mais cette fois, la proie détenait le pouvoir etl’appâtait,l’attiraitdeplusenplusprès.
Puis il ne dit plus rien. Elle non plus. Tout ce qui méritait d’être exprimé l’était parl’entrelacementdeleurscorps.Lenacédafaceàl’inéluctable,lesjouesroses,alanguiedanssesbras.
Alors,ilprétenditqu’elleétaitsienne;sesdoigtsenserraientsespoignetsquandelletournoyait,avantdeglissersurseshanchescorsetées,puisilposaunemainfermeaucreuxdesondospourlaramener contre lui. Il avait oublié les pas. Il en créait de nouveaux.Duprédateur à la proie, leursmouvementss’apparentaientàdespréliminaires.
Lamusiques’arrêtadoucement.Desapplaudissements retentirentetWill s’immobilisa, lesbrasserrésautourdelatailledeLena.Ellerelevalesyeuxetsonexpressionétourdiedisparutquandellerevintàlaréalité.Sesjouess’enflammèrentunpeuplusetellejetaunrapidecoupd’œilpar-dessussonépaule.
Nombre de regards curieux étaient tournés vers eux. Lena essaya de se libérer. Il la retint uninstantenforçantsesyeuxàrencontrerlessiens,puislarelâcha.
Elleeffectuaunerévérenceaccompagnéed’unsourirepoli.—Merci,glissa-t-elletoutbas,bienconscientequ’onprêteraitl’oreilleaumoindremotqu’elle
allaitprononcer.Pourcettemerveilleusedanse.Ilinclinalatête,unsignederespectqu’iln’avaittémoignéàaucuneautrefemmeiciprésente.—Toutleplaisirétaitpourmoi.Unevéritablesurprise,àvraidire.Maissaprésenceavaittransforméunmomentdetortureenun
instantdélicieux.Àsongrandétonnement,ilauraitmêmevoulucontinuer.Toutétaitbonpourlagarderdanssesbras…Willdétourna lesyeux. Ilnepouvait sepermettred’entretenircegenredepensées.Son regard
dérivaversleclandesNorvégiens,laraisondesaprésence.Ilnedevaitpasl’oublier.—Touteslesfemmesvontvouloirdanseravectoi,maintenant,chuchotaLena.—Jenedansequ’uneseulefois.Unlégersourire.—Jepensequesijeteledemandais,tuchangeraisd’avis.—Tumeledemandes?Lenaluijetaunregardparendessous.—Jepensequ’ondevraitéviter.Sijedansedenouveauavectoi,çavaattirerl’attention.—C’estdéjàfait.Lenajetaunregardàlaronde.—Ilfautquejedanseavecquelqu’und’autre.Lamusiquereprenait,unemélodieplustraditionnelle.Unevalse,selonlui.Illuisaisitlepoignet.—Pasleassah.—Non?—Non.
Cettedanseluiappartenait.EllesouritlentementetlesouffledeWillsebloquadanssagorge.—Pasleassah,danscecas.VaretrouvertesNorvégiens.Jevaisallerécouterlescommérages
quetuassansaucundouteprovoqués. (Ses lèvresaffichèrentunemouetriste.)Tuvasfinirparmerendrefolle,tulesais?
C’étaitniplusnimoinsl’effetqu’elleavaitégalementsur lui.Heureusement, ilnesemblaitpasseulàêtreaffectéparl’étincelledefoliequibrûlaitentreeux.
Aprèsundernierregardenarrière,ellesefonditdanslafouleet,d’undoigt,ellefitsigneàunjeunelordenmanteaujaune.Celui-ciseprécipitaàsescôtésetluioffritsamainpourlaguiderdanslavalse.
Willtournalestalonsetsefrayaunpassageparmilesinvitésenmurmurantdesexcuses.Ilyavaittropdemonde.L’airétaitétouffant.Etiln’avaitpasenviedelavoirdanslesbrasd’unautre.
Il trouvaunepiècedans laquelleétaientproposésdes rafraîchissementsetdescollations. Il tirasurlecoldesonmanteau.Unsouffled’airfraiseffleurasonvisage.Lesrarespersonnesquiétaiententraindeseserviruneboissonréalisèrentquiilétaitetsehâtèrentderejoindrelasalledebal.Cequiluiallaitàlaperfection.
Will s’empara d’une assiette et y empila des friandises et des pâtisseries, ainsi que ces petitsgâteauxqueLenasemblaitadorer.DelégersbruitsdepasbruissèrentsurletapisderrièreluietWills’immobilisaenpercevantlescontoursd’unesilhouettepâlereflétéedanslesaladierencristalposédevantlui.
Ilneleuravaitpasfallulongtemps.Ilseretourna,sedemandantquiilsluiavaientenvoyé,etobserval’inconnuesanssurprise.Avecuneexpressionnerveuse,LadyAstridtraversalapiècejusqu’àlatablederafraîchissements.
Sa robe blanche bien coupée accompagnait tous ses mouvements et créait un effet gracieux etondoyantqu’aucunefemmehumainenepourraitjamaisespérerimiter.
—Vous êtesWilliam Carver, susurra-t-elle en laissant traîner ses doigts sur la nappe tout ens’approchantdelui.
Unbref sourire.Ellen’étaitplus aussi fébrile.Ellene l’avait sûrement jamais été. Iln’enavaitdéceléaucunetracedanssonodeur.
—Nousnenousattendionspasàretrouverl’undesnôtresici.—Jem’attendaispasnonplusàmeretrouverici,répondit-il.Inutiled’essayerdejoueraveclesmots.Ilétaitquiilétait.Toutelapolitessedumondenesuffirait
pas à changer sa nature ou à le mettre à l’aise avec les jeux que les sangs bleus affectionnaientparticulièrement.
Astridluicoulaunregardoblique.—Pourquoipas?—C’estpasmonmonde.Ellel’observacommes’ilvenaitdefairequelquechosed’inattendu.—Vousêtesécossais,c’estça?—Àl’origine,oui.Jesuisnédansunepetitefermeàcôtéd’Édimbourg.Elles’approchaencoreetsonbraseffleuraceluideWill.—Quelâgeaviez-vousquandvousavezreçuledon?Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule en direction de la salle de bal. De l’autre côté de
l’arche, ildistinguaitàpeine les jupesrosesdeLena.Ellediscutaitavecun jeune typequisemblaitpenduàseslèvres.Elleétaitàl’abripourlemoment.
Ilreportasonattentionsurlafemmedevantlui.—Cinqans.Etjeconsidèrepasçacommeundon.Ilserappelaitàpeinel’inconnuquiétaitarrivédansunecharrette,unjour,fiévreuxettranspirant,
lesbrasrecouvertsd’écorchuresensanglantées.Onavaitappelélemédecin,maisl’hommeétaitalorsentrédansuneragefolleetavaitrepoussélesautrescommeonchassedesinsectes.Willavaitétéledernierencoredebout,leregardrivésurl’étrangeravecunepeurpanique.Iln’avaitaucunsouvenirdelasuite.Maisonluiavaitrapportéqu’ilavaitfallul’interventiondecinqhommespourarracherl’inconnu,quiletenaitàlagorge.
Personnenes’étaitattenduàcequ’ilsurvive.L’hommel’avaitdéchiquetécommeunlapin.Maissoncorpss’étaitreconstituédelui-même.Letempsqu’ilscomprennentpourquoi,ilétaittroptard.Levirusduloupeavaitdéjàbienentamésamutation.
—Jevois.Lacompassionadoucitsonregard,maisl’odeurqu’elledégageaitrestaitdure.C’étaituneleçonà
retenir:ildevaitsefieràsonnezetnonàsesyeux.—Commentavez-vousapprisàvouscontrôler?Étiez-vousseuldansvotrecas?—Mamèrem’avenduàunforainitinérant.Lablessureétaitvieille,guérieetrecouverted’unecroûte,maislacicatricerestaitvisible.— J’ai été enfermé dans une cage pendant dix ans. Quand j’essayais de m’échapper, ils me
donnaient des coups de fouet jusqu’à ce que je m’écroule. (Il but une gorgée de champagne etl’amertumepétillasursalangue.)J’aiapprisàmesdépensànepasperdremonsang-froid.
Astridsemitàjoueravecl’amulettependueautourdesoncou,l’airtroublé.—Commentpouvez-voussupporterd’êtreici?Parmieux?Ensachantqueleursloisvousont
emprisonnépendantdesannées?—Jemecontented’accomplirunesimpletâche.—Unetentativedes’accordernotresoutien?Ilsnousconnaissentmal,n’est-cepas?(Nouveau
frôlement de son bras. Elle fit glisser sa main gantée sur celle deWill.) Et combien vôtre petitemission leur coûte-t-elle ? (Elle prit une profonde inspiration et sa poitrine se gonfla.) Qu’est-cequ’elleimplique?
Illalaissaluicaresserlamain.Elleétaitsublime,maisellen’étaitpasLena.—Jedoisvousameneràsignerletraité.—Enéchangedequoi?—Demaliberté.—Ellevautplusquevotrepoidsenor,murmura-t-elle.—Pourtouslesloups-garousdesÎles,précisa-t-il.Plusdecages,plusdecombatsdefosseoude
misesàprix.Lesloups-garousserontdeshommesetdesfemmeslibres.Unetouchedemalaiseteintal’odeurdesoninterlocutrice.Malgrélesourirequ’elleaffichait,il
avaittitillésaconscience.—Quellenoblecause. (Elle caressa sondoigtmais sonesprit semblait àdeskilomètresde là.
Elle fronça les sourcils.) Vous devriez venir rencontrer mon oncle. Ce que vous dites pourraitl’intéresser.
—Votreoncle?—Magnus.Willenvisagealasuggestion,puisilhochalatête.Ildésignasonassiette.—Laissez-moijusteapporterçaàmacompagne,Lena.
1.Danslamythologienordique,leFenrirestunloupgigantesquequireprésentelespuissancesduchaos.(N.d.T.)
2.Enlanguescandinave,le«jarl»estuncomte.(N.d.T.)
12
Ilneluiavaitpasfalluplusdedixminutespours’attirerlesbonnesgrâcesdesNorvégiens.Lenamorditdanssatarteaucitronenadressantunsourireaujeunelorddevantelle,puisjetaun
regardfurtifpar-dessussonépaule.WillserraitlamainauFenriretsaluaitsonfils,Eric.Elleperçutunmouvement.UnemainglissaaubasdudosdeWill.Lenafaillits’étoufferavecsa
tarte.Elleplissa lesyeux.Cette sorcièrenorvégienne.Elle leconnaissaitdepuisunquartd’heureàpeineetessayaitdéjàdesel’approprier.
Elle balbutia une vague réponse à la question que venait de lui poser Lord Folsom puis ellecherchaunmeilleurangledevue.LadéesseblondesouriaitàWilltoutencaressantsonmanteaud’ungestepossessif.Willluijetaunregardamusé.
EtLenasentitsoncœursetordredanssapoitrine.—Vousvoussentezbien,machère?demandaLordFolsom.Il n’était qu’un simple humain. Sa famille n’avait pas été considérée comme suffisamment
importantepouraccéderauxritesdesang.—Àpeuprès,parvint-elleàrépondreenlui tendantsonassiette.Rienqu’unelégèrenausée.Je
devraispeut-êtreéviterlafoule.Elle aurait dû agir à l’encontre deWill,mais elle n’en avait pas le cœur. Elle avait besoin de
s’éclaircir les idées.De se ressaisir.Avant de faire une chose stupide, commedemander àEric dedanserl’assahavecelle.
EllesavaitprécisémentcommentWillprendraitlachose.Ellese frayauncheminà travers l’assembléeet se retrouvaà l’extrémitéde lasalledebal.La
pièceétaitsituéeàl’undesétageslesplusélevésdelaTourd’Ivoireetoffraitunevueàcouperlesouffle sur la totalité de Londres. Une colonnade s’ouvrait à l’extérieur : l’occasion pour unedemoiselledeflâneràunedistancesécuriséedelasalledebal.
Elle poussa les doubles portes et s’approcha de la balustrade. Un souffle d’air fit voler sescheveuxautourdesonvisage.Quelquescentainesdemètresencontrebas, legazonsemblait lanceruneinvitation.Plusd’unsangbleuavaitconnulamortici.Maisjamaispendantqu’unbalbattaitsonplein.Certaineschosesnesefaisaienttoutsimplementpas.
Lenaretirasesgantsetrisquauncoupd’œilàl’intérieur.Avectoutesceslumières,lasalleétaitbienvisibletandisqu’ellerestaitdissimuléedansl’ombre.EllerepéraWillsansdifficulté.Ilsemblaitavoir retrouvé son calme et échangeait de temps à autre un sourire avec les clans norvégiens quitentaientdelecourtiser.
Sonespèce.
Si on le recouvrait de fourrure et qu’on l’empêchait de se raser pendant quelques jours, onpourraitaisémentleprendrepourl’und’entreeux.
Lena pivota sur elle-même, froissa ses gants dans ses poings serrés et s’appuya contre labalustrade.Tu savais qu’il ne serait jamais pour toi. Pourtant, la semaine passée lui avait donnéquelquesfauxespoirs.Unsourireici,unfrôlementparlà,leursboutades…
S’ilsavaitcequ’elles’apprêtaitàfaire,ilneluiadresseraitplusjamaislaparole.Perdue dans sa détresse, elle entendit à peine la porte s’ouvrir. La brise rafraîchissait sa peau,
maislefrissonsursesbrasn’avaitrienàvoiraveclesouffled’air.Ellefitvolte-faceetsefigeacontrelabalustrade.Colchesterluisouritetlaporteserefermatout
doucement.Derrière lui, les couples de danseurs virevoltaient, leurs silhouettes déformées par lesbaiesvitrées.Siprochesetpourtantsiloin.
LenafitunpassurlecôtéetColchesterl’imita.Untremblementparcourutsacolonnevertébrale.Ellelevalementonetremitsesgants.Siquelqu’unlessurprenait,inutiled’alimenterlesrumeurs
selonlesquellesellel’auraitencouragé.Découvrirsespoignetséquivalaitàexposersapoitrine.Colchesterobservalasoieglissersursapeau.—Çaneteservirapasàgrand-chose,tuenesconsciente?—Jenefaisquerespecterlesconvenances.Ils’approchasanssepresseretseservitdesoncorpspourl’emprisonnercontrelarambarde.Il
tenditlesbrasetposasesdeuxmainsdechaquecôtédesataille.Elle risqua un coup d’œil vers la salle de bal. Les larges épaules d’un homme bloquaient les
portes par lesquelles elle était sortie. Cavendish, d’après elle. Qui avait pourmission d’empêcherquiconquedesortir.
—Jevousaiditquejen’avaispasprismadécision,dit-elle.Elleretintsonsouffleenlevoyantserapprocherdavantage.Ilfitcourirsonregardsursagorge.— Peut-être que la proposition est annulée, de toute façon. Qui voudrait d’une marchandise
souillée?Ses doigts effleurèrent la courbe de sa clavicule. Elle s’appuya contre la balustrade,mais elle
n’avaitnullepartoùs’enfuir.Rienquelevideetlevent.—Unemarchandisesouillée?—Pourunautresangbleu,j’auraisputepardonner.Maispaspourl’unedecesbêtesimmondes.IlposasesdoigtsautourducoudeLena.Elle n’arrivait plus à respirer. Elle plongea son regard dans ses yeux déments et elle sut qu’il
n’hésiteraitpasàpasseràl’acte.—Non.Pasici.Lesgensnousregardent.Ilresserrasaprise.—Tupensesquejem’ensoucie?(Unéclatderire.)Jesuisunduc,Helena.Ettoi…tun’esrien
dutout.Elle saisit son poignet pour essayer de se libérer de sa domination. Il l’étouffait et la tête
commençaitàluitourner.—S…s’ilvousplaît.Ildesserralégèrementlesdoigts.—Excuse-moi?Es-tuen traindesupplierpour tamisérablepetiteexistence?Tun’espas très
douée,machère.Bonsang,réfléchis.
—Vousvousméprenez.Quoiquevouspensiezqu’ilapusepasser,vousvoustrompez.Leom’ademandé d’enseigner àWill les règles du savoir-vivre pour intégrer l’Échelon. Il ne s’agit…qued’untravail,riend’autre.
Sonregarddevintsongeur.Illuicaressalagorge.—Untravail?Aprèscettedanse?LaBêtem’al’airterriblementpossessiveavectoi,machère.Elleforçaunsourire.—C’estunehabitudegrossièrequej’essaiederomprechezlui.Vraiment…(Elleéclatad’unrire
fragile.)M’accuserd’unechosepareille…Voussavezbienquejepréfèrelesmanièresplusraffinéesdanslavie.Plus…sophistiquées.
—Hmm.(Ilplissalesyeux.)Jenesuispasentièrementsûrquetum’aiesconvaincu.D’un geste brusque, il s’empara d’elle et la fit pivoter pour la presser violemment contre la
balustrade. Ses pieds glissèrent et elle s’agrippa à la rambarde en poussant un cri. Les pavés encontrebassemblaientàdeskilomètres.
—Vingt-quatrepersonnessontpasséespar-dessuscetterambarde,susurra-t-ilàsonoreille.Avectout lechampagneque tuasbucettenuit, iln’yaurait riendeplus facilequedeconvaincre tout lemondequetuasperdul’équilibre.
Il la saisit par la taille et la poussa inexorablement vers l’avant. Il avait relâché sa tête pourl’instantet,mueparuninstinctqu’elleneseconnaissaitpas,ellelarejetabrusquementenarrière.
ElleentendituncraquementassourdissantetColchestersemitàhurler.Lapressionautourdesonbustedisparutetelles’effondracontrelabalustrade.Ils’enétaitfalludepeu…Colchesterseprenaitlevisageentrelesmainsetdusangs’écoulaitentresesdoigts.Elleperçutbrièvementsesprunelles,danslesquellesbrillaitunelueurmeurtrière.
Lenaseruaverslaporte.Elleressentitunedouleursoudainedanslehautdubrasetdusanggiclacontrelavitre.Ilavaitsortisalame,lapetitedontilseservaitpourlessaignées.Elleesquivasamain,tirasurlesportesetseprécipitaàl’intérieur.
Cavendishvacillasurlecôté,lesyeuxagrandisparl’étonnement.LestêtessetournèrentetLenaplaqua un sourire sur ses lèvres, les dents serrées. Dans son état de panique, la salle se mit àtournoyer,lespierresprécieuses,lesvisagesetlesrobescoloréesdevenaientunmélangeconfus.Ellepressavivementsamainsursonbrasetsefrayauncheminàtraverslafouledelaquelles’élevaientdesmurmures.
Iln’oseraitpasl’attaquerici.Pasavecunnezcassé.Aucunsangbleucontrecarréparunesimplehumainenepourraitsereleverdecetoutrage.
Sonrythmecardiaquequimenaçaitdel’étouffercommençaenfinàralentir.Toutcequ’elleavaitàfaire,c’étaittrouverWillouLeo.Elleétaitensécuritédésormais.
Mais ce n’était pas l’impression qu’elle avait. Le sang commençait à couler entre ses doigtsgantés.Lafouledesangsbleusluijetaitdesregardsbientropintéressésàsongoût.Lamusiqueluiécorchaitlesnerfs.
Unebrèche s’ouvrit dans la foule et, soudain, elle se retrouva face àWill.Le regarddu loup-garoulaparcourutpuisseconcentrasursonbrasblessé.Lapièceentièreauraitputomberdansunsilence de plomb. Rien ne changea dans son expression, rien pour indiquer son humeur, maissoudain,ellepritconscienceàquelpointilétaitdangereux.
Unelueurcuivréebrilladanssesyeux.Lafemmeàsescôtésluiposaunequestionencaressantdoucementsonbras.Ils’écartadelatableenl’ignoranttotalement.Lenaneparvenaitplusàbouger.Ellenepouvaitqueledévisagerenpriantpourqu’ilnefassepasunescène.
Derrière elle, elle perçut la voix deCavendish qui était à sa recherche.Will l’entendit aussi ettournalatêtedanssadirection,leregardassassin.
—Non,mima-t-elleduboutdeslèvres.Mais il était trop tard.Will serra lespoingset se tournaversCavendish. Il coupa la trajectoire
d’uncouplededanseurssansmêmeleurprêterattentionetlavalses’interrompit.Si elle ne réagissait pas, il allait tuer Cavendish. Puis ils n’auraient d’autre choix que de
l’exécuter.Elle retrouvasoudain l’usagedeses jambes.Elle l’interceptaàmi-cheminen l’attrapantparlamanche.
—Arrête-toi,siffla-t-elle.Net’avisepasdefaireça!Aucunhommene l’avait jamais regardée commecesyeuxbrûlants et cuivrés le faisaient.Elle
avait toujours été convaincue qu’il ne lui ferait jamais, jamais de mal, pourtant, l’espace d’uneseconde,ellesefigeadevantlarageetlacruautéqu’ellelutdanssesiris.
—Will.Iln’yavaitqu’uneseulechoseàfairepourl’arrêterdanscescas-là,uneseulechosequipourrait
ledistraire.—Will,jesaigne.Jedoisrentrerpourm’occuperdemonbras.Jenemesenspastrèsbien.Elles’appliquaàfairetremblersesgenouxetàchancelercontrelui.Illarattrapa,commeelles’yétaitattendue.BladeavaitditunjourqueWillétaitl’hommeleplus
dangereuxqu’il ait jamais rencontré,mais que ses instincts de protection surpassaient ses instinctsbarbares.Loupjusqu’àlamoelle.
Quandillasoulevadanssesbras,Lenaenfouitsonvisageaucreuxdesoncou.Voilà.Ellepouvaitdireadieuà seschancesd’intégrer l’Échelon.Ellepourraitpeut-êtreévoluerdans son sillon,maisellen’enferaitjamaispartieintégrante.Willquittalapièceàgrandesenjambéessouslesmurmuresdelafoule.
Ellejetaunderniercoupd’œilenarrièrequandilsfranchirentlesportes.Lestoilettes,lesbijoux,lesdameset leursatours…Terminé.Sachances’étaitenvoléeàl’instantoùelles’étaitblottiedanssesbras.Et,curieusement,ellesentaitunpoidsenmoinssursesépaules.
Lenatournasonvisagedanssoncouetinspirasonparfummasculin.Ellenesavaitpascequ’elleallaitdevenir.Iln’yavaitrienpourelledanslescolonies,etrienpourelleàl’Échelon.Elles’agrippaaucoldumanteaudeWill. Iln’yavaitqu’unechosequ’elleavait toujoursdésiréeetqu’il luiavaittoujoursrefusée.
Maist’es-tuvraimentbattueavectestripes?Elleenfouitdenouveausonvisage,depeurderegarderenfacelaréponseàsaquestion.Ellene
s’étaitpasbattue,elleneluiavaitpasavouécequ’elleressentait.Parcraintedevoirsoncœurpiétinéetdeneplusjamaisoserl’ouvrir.
Ilnesauraitjamaisàquelpointellesecachaitderrièrelesjeuxauxquelselles’adonnaitaveclui.—Paroù?demanda-t-il.Elle jeta un coup d’œil à l’immense escalier circulaire qui plongeait en spirale au cœur de la
Tourd’Ivoire.Certainsparlaientd’unmillierdemarches,maisellen’avaitjamaisprislapeinedelescompter.
—Dansl’ascenseur.Jeveuxunpeud’intimité.Ilsetournaverslesdeuxdamesquilesavaientsuivishorsdelasalledebaletlesrepoussad’un
regardnoir.—Problèmerésolu.—Nediscutepas.Tunepeuxpasmeportersurcettedistance.Noussommesauneuvièmeétage.
Iltournasonvisageverselle.Deséclatsambrésbrûlaientautourdesespupilles.—Qu’est-cequis’estpassé?Ellesecoualatête.Elledevaitlefairesortird’iciavantqu’ilexplosedenouveau.—Dansl’ascenseur.Levaletenlivréeleuradressaunsignedetête,commes’ilavaitl’habituded’assisteràcegenre
de scène à la sortie de la salle de bal. Les portes en laiton poli s’ouvrirent lentement, laissantapparaîtrelesdélicatspanneauxdesparois.
Willlaconduisitàl’intérieuretlesportesserefermèrent.Elleluifitsignedelareposer.Ilfronçalessourcils,maiss’exécuta.—Alors,qu’est-cequis’estpassé?L’ascenseursemitenmouvementetilsecollaaumur,lesyeuxécarquillés.—Jesuisalléeprendrel’airsurlebalcon.EtColchesterm’asuivie.Willbaissaleregardsursesgantsensanglantés.Sesnarinessegonflèrent.—C’estluiquit’afaitcettecoupure.Saphraseressemblaitàunemenace.Elledevaitdésamorcerlasituation.—Jeluiaicassélenez.C’estéquitable.—Lena.—C’estunesimpleégratignure…—Tuétaisterrifiée,lacoupa-t-il.Ilpivotaetenvoyauncoupdepoingdanslaparoi.Lepanneaudelaitons’enfonçasouslechoc.Elletressaillit.—S’ilteplaît.Nefaispasça.Ilsemaîtrisaavecuneffortmanifeste,puispassaunemainsurlaparoi.—Jeneteferaijamaisdemal.Tulesais.Jeneteferaijamaisdemal.Elleserenditcomptequ’elleétaitpresséecontrelemuropposé,lesnerfsàvif, incapabledese
détendrefaceàlacolèredeWill,quisoufflaitdanslacaged’ascenseurcommeuncyclone.—Oui,j’aieupeur,admit-elle.Maisjesuisensécuritémaintenant.C’esttoutcequiimporte.—Qu’est-cequ’ilt’afait?Qu’est-cequ’ilt’adit?Ilamenacédemetuer.Ellepâlitetsecoualatête.Lorsquelesmachinesàvapeurs’activèrentauplusprofonddescavesdelaTourd’Ivoirepourles
entraîner vers le bas, les cahotements continus devinrent presque hypnotiques.Mais ce n’était pasl’avisdeWill.Ilarpentaitl’espaceexigu,lesmainsdansledos,desflammesdanslesyeux.
—Jedétestelespetitsespaces,dit-il.Alors, elle prit soudain conscience que sa colère et sa nervosité ne venaient peut-être pas de
Colchester.—Est-ceque…est-cequeçaterappellelacage?Elleduts’yreprendreàdeuxfoispourpouvoiracheversaphrase.Illuijetaunregardperçantaccompagnéd’unhochementdetête.—Là,dit-elleenglissantsamaindanslasienne.Jesuislà.Illuifitunpetitsigneetdétournalesyeux.Maissesdoigtsseresserrèrentsursamain.— La cage, c’était pas le pire. Je pouvais encore voir à travers les barreaux. (Il s’assombrit,
comme s’il avait vu quelque chose de l’autre côté des parois polies de l’ascenseur.) Quand jedésobéissais, ilsavaient l’habitudedemebattre jusqu’àmefaire tomberdans lespommes.Maisenvieillissant,cettemenacenemefaisaitplusaussipeurqu’avant.(Ils’humectaleslèvres.)Ilyavaitune
cave.Trèsprofonde.Ilsm’yenfermaientpendantdesjours,voiredessemaines.Impossibledesavoirtellementilfaisaitsombre.Ilyavaitmêmepasunrat.
Unpetitgarçonperdudanslenoir.Soncœurseserra.—Tueslibre,maintenant.Willcroisasonregard.— Je suis pas libre, Lena. Pas encore. Seulement, la cage est devenue plus grande. J’ai tout
Whitechapelàarpenter.—Pourtanttuesici,aujourd’hui.Sestraitssedurcirent.— Jusqu’à la signature du traité. Je dois m’assurer que les Norvégiens acceptent, sinon c’est
retouràWhitechapelpourmoi,etlesautres,lesgenscommemoi,garderontleurschaînes.Ellerestasansvoix.—C’estcequ’ont’apromis?Ont’apromistaliberté?C’étaitundésastreabsolu!—Lamienneetcelledetouslesloups-garousdel’Empire.Elleselaissaretomberenarrièrecontrelaparoietportaunemainàsapoitrine.Willétaitbien
plusimpliquédanscettehistoirequ’ellenelepensait.Enagissantcontrelui,enmanœuvrantcontrelui,ellemenaçaitd’anéantirseschancesdeliberté.
Ellenepouvaitpasfaireça.EtCharliealors?Ellelaissaretombersesmainssurlecôté.Qu’allait-ellefaire?Despicotements
luibrûlèrentlesyeux.—Lena?Willattendaituneréponse.Maiselleneparvenaitplusàréfléchirassezvite.—Lafilledujarlasemblébeaucoupt’apprécier,dit-elleparautomatisme,commesisoncœur
n’avaitpasaccusélecoup.Situl’asséduite…Ellenepouvaitplusrienajouter.Lesmotsmouraientsurseslèvres.—Jeconnaisabsolumentrienàlaséduction.Lena lâcha un rire, unmisérable petit son insignifiant. Il fallait qu’elle sorte de là. Elle avait
l’impressionquelesmursseresserraientautourd’elle.—C’estlavérité.L’ascenseur s’arrêta enfin et Lena pivota sur elle-même. La sonnette retentit et les portes
commencèrentàs’ouvrir.Lenasefaufilaparl’ouverturedèsqu’elleleput.Une dernière volée de marches jusqu’à l’entrée principale. Elle rassembla ses jupes dans ses
mainsets’apprêtaàdescendrelepetitescalier,maisWillbonditdevantelle,lessourcilsfroncés.—Qu’est-cequivapas?—Rien.Elleessayadepasser,maisilluibloquaitlepassage.Ildescenditdedeuxmarchespourmettreson
visageauniveaudusien.—Will,jesuisfatiguée.Jeveuxrentrer.Cen’estpas…—Tonodeurachangé.(Ilremontad’undegréetsescuissestouchèrentsesjupes.)Dèsquejet’ai
ditcequ’onm’avaitpromis.Laculpabilitéavait-elleuneodeurpropre?ElleappuyasesdoigtssurlapoitrinedeWill.Pourle
teniràdistanceoupourl’attirerplusprès?Elle-mêmenelesavaitpas.Letissudesonmanteauétaitdouxautoucher.
—Elleaencorechangé,ajouta-t-ilavecdesétincellescuivréesquiparsemaientsesiris,quandtuasparlédeLadyAstrid.(Ilinclinalatêteetposalesyeuxsurseslèvres.)Etellevientdechangerdenouveau.
LecœurdeLenasemitàbattreplusfort.Chaqueémotion,chaqueespoir,rêveetremordsqu’ellepensaitluidissimulerétaienttrahisparsonparfum.Quandellecroisasonregard,ellefutincapablededéchiffrersonexpression.Desprunellesd’ambrebrûlantdanslesquellesellepourraitsenoyers’illalaissaitfaire.Wills’approchaetleurcouleurs’adoucit.
SesintentionscoupèrentlesouffleàLena.Ilallaitl’embrasser.Dansl’entréedelaTourd’Ivoire,alorsquen’importequipouvaitapparaîtreenbasdesescaliers.L’euphories’emparadesonsystèmenerveux.
—Net’avisepasdefaireça,murmura-t-elle.Ils’arrêta,laboucheàquelquescentimètresdelasienne.—Jecomprendsjamais.(Sonregards’assombritavecpassion.)Ouiounon,Lena?Son souffle chaud contre sa peau. Samain se détendit sur le torse deWill. Elle connaissait la
réponseavantmêmedel’exprimer.Etluiaussi.Will captura le «oui » sur ses lèvres. Il prit sonvisage entre sesmains et le levavers lui.Ce
premiercontactfutenivrant.Lenasaisitlesreversdesonmanteauetsehissasurlapointedespieds.Autourd’eux,lemondes’évanouit.Aveclachaleurdesoncorpsfermepressécontrelesien,le
goûtdechampagneetdetarteaucitrondanssabouche,elleoubliatoutlereste.Ellesortitleboutdesalangueetengloutitsonlégergémissement.Commes’ilydécelaitl’autorisationqu’ilattendait,salanguecaressalasiennepuisladévoraavecunepossessionmasculine.
Will posa lesmains sur ses fesses et la plaquabrusquement contre lui.Elle sentit son érectionpresser contre ses hanches.Lena en voulait encore plus.Elle glissa sesmains dans ses cheveux ets’abandonnaauparfumdeseslèvres.Iln’étaitplusquestiondelamaîtrise,deladélicatesseetdelaretenue dont elle faisait preuve quand elle flirtait avec l’Échelon. Il ne s’agissait que de désir etd’avidité,etdelapassioncontenuequicouvaitsouslapeaudeWill.
Lemettredanssonlitluiferaitprendreunrisqueénorme.C’étaitpourtantcequ’elledésiraitplusquetoutcequ’elleavaitvouludanssavie.
—Ramène-moiàlamaison,susurra-t-ellesansoserréfléchir.Cheztoi.Will releva la tête et son corps s’immobilisa. De petites étincelles cuivrées enflammèrent son
regardetellecompritinstantanémentqu’elleavaitditcequ’ilnefallaitpas.Elle l’embrassa de nouveau, luimordilla la lèvre,mais il ne réagissait plus. Il prit son visage
entresesmainsets’écarta,lesoufflecourt,avantdeposersonfrontcontrelesien.—Lena.(Danssabouche,sonprénométaitempreintd’undésirrefoulé.)Jepeuxpas.Onpeutpas.Elleglissasesmainssursontorseetlesposasursonabdomen.—Si,onpeut.Personnenelesaura.(Ellefutparcourued’unfrisson.)J’aienviedetoi,Will.J’ai
besoindetoi.Deça.Cen’estpasunjeupourmoi.Elleavaitprononcélesderniersmotsdansunsouffle.Ilfrémit,lesyeuxfermés,s’efforçantdeluttercontreunechosequ’ellenecomprenaitpas.—Impossible.Ils’écartacomplètement,lesjouesrouges.Illuijetaunregardsombreetdangereux.Avide.Puis
ilsecoualentementlatête.—Mêmeça,çan’auraitjamaisdûarriver.C’étaitcommeuncoupdepoignardenpleincœur.—Tuavaisenviedemoi,chuchota-t-elle.
—Cedontj’aienvieetcequejedoisfairesontdeuxchosesbiendifférentes.Ilpassasamaindanssescheveuxetretiraleruban.D’épaissesmèchescouleurmielretombèrent
autourdesonvisageetcaressèrentsesjouessculptées.Ce refus la bouleversa. Comme pour se moquer d’elle, son pouls s’accéléra et une sensation
chaudeet lancinantenaquitentreses jambes.Soncorpsn’avaitpasencoreréalisécequesonespritavaitdéjàcompris.
—Pourquoi?—Parcequejesuisunloup-garou,Lena.—Jem’enfiche.Tusaisquejem’enfiche…Willluisaisitlespoignets.—Pasmoi.C’était tout ce qu’elle avait toujours redouté.Elle détourna la tête, les yeuxbrûlants.Cette nuit
s’étaittransforméeenunvéritablecauchemar.—Lâche-moi,dit-elle.L’instants’étira.Puisilfinitparobéiretparreculer.Enfin,ellepouvaitdenouveaurespirer.Elle
déglutitpéniblement,refoulaseslarmesetserrasesgantsfroissés.—Tu ferais bien de retourner au bal, dit-elle. Tu as unemission à accomplir. Je trouverai la
carrioletouteseule.—Lena…—Jepréféreraisquetuyretournes.Jeveuxrentreràlamaison.ÀWaverlyPlace.Incapable de supporter sa présence plus longtemps, elle prit la fuite dans un bruissement de
jupons.
13
Laclochettedel’entréedelaboutiquecarillonna.Derrièrelecomptoir,l’hommerelevalatêteetsonsourires’estompaquandilaperçutlenouvel
arrivant.D’unregardintéressé,ilparcourutlachemised’ouvrierdeWilletsonpantalondecuir.—Puis-jevousaider,monsieur?Lesvitrinesquiabritaientplusieursrangéesdepistoletsétincelaientsouslafaiblelueurdujour.
Dans un coin se trouvait une autre vitrine remplie d’armes aux formes moins communes ; unearbalètedoréedestinéeàunemain féminine,unemasse, etmêmeunepairedemitainesmuniesdelames de rasoir. Un seul coup de poing suffirait à tuer son adversaire.Will observa longuementl’attirail,puiss’approchadespistolets.Iln’étaitpasicipourlui.
—Jechercheunpistolet,déclara-t-il.Quelquechosededélicat.Lepropriétairehaussalessourcils.—Ceneserapasdonné.Sansleregarder,Willluijetaunepetitebourserempliedepiècesquitintèrentsurlecomptoir.—Jem’yattendais.Ilsepenchaetécartalesmainstoutenobservantlecontenudelavitrine.Unlourdderringer,un
ReichrevolverM1879defabricationallemande,unpistoletdetiràvapeur…etlà,unobjetassezpetitpourtenirdanslamaindeLena.
Lacrossedélicatement sculptéeétait incrustéedenacre.Lesautreséléments étaientdorésetunviseurenlaitonsurmontaitlecanon.
—Celui-ci,dit-ilenposantl’indexsurlavitre.—Unepiècemagnifique,monsieur.Puis-jevousdemandersonutilité?Elleaétéconçuepourle
tiràlacible.—Pourlaprotection.Lepropriétairedéverrouillalavitrineetsoulevalecoffretenacajoudanslequelétaitdisposéle
pistolet.—C’estuncalibre .17.Jecrainsqu’iln’arrêtequedespigeonsoudespetitsanimaux.Àmoins
quevousnesoyezunsacrébontireur.Willtouchalecanonduboutdesdoigts.Quelquesmodifications,quelquesaméliorationsetLena
seraitcapabled’abattreunours…ouunsangbleu.Sonproprepèreavaitconçuuntypedeballequiexplosait à l’impact. Tout ce qu’il avait à faire, c’était reproduire l’alliage chimique et affiner lesballespourqu’ellescorrespondentàcettepetitearmecompacte.
Maintenant qu’il était assuré des moyens financiers de son client, le marchand se montra auxpetitssoinsavecWill.
—Etça,ajouta-t-ilinstinctivementendésignantlesmitaines.Àl’extérieur,lesoleildardaitsesrayonsdanslarue.LespassantsjetaientàWilldescoupsd’œil
curieux,maispersonnenepipamot.Unejeunefemmevêtued’unerobeencotonbrodéattrapaparlamainsonfils,quidévisageaitleloup-garou,pourl’éloigner.Willfuttentédeleursourireàpleinesdents,maisquelquechosequ’avaitditLenaluirevintàl’esprit.Iln’étaitpasunebête,pasvraiment,malgrécequevoyaientlesfemmesquandellesleregardaient.Ils’efforçadeleuradresserunsignedelatêteetpassasonchemincommes’ilétaitparfaitementàsaplace.
Lanuit avait été longue et le sommeil difficile à trouver.Colchester, l’ennemi sur lequel il nepossédaitquepeud’informations,hantaitsespensées.
Maistrèsbientôt,ilensauraitplussurlui.Si Lena pensait que sa meilleure défense contre un sang bleu était de s’allonger et de se
soumettre,alorsellen’étaitpasauboutdesespeines.Lanuitprécédente,elleavaiteutrèspeur.Mêmelorsd’unrassemblementdeprèsdequatrecentsconvives,Colchesteravaitréussiàl’approcher.
Willentraensuitechezunbijoutier.Deuxsangsbleusvêtusdeveloursetdedentelleexaminaientles marchandises disposées sur le comptoir. L’un portait une perruque parfumée, à la mode del’époquegéorgienne,ets’appuyaitsurunecanne.UneodeurdepourritureperçaitsoussonparfumetWillsentitsespoilssedressersursanuque.
En voilà un qui frôlait dangereusement la Disparition graduelle. Il ne devait pas lui resterlongtempsavantquequelqu’unsedécideàmettreuntermeàsoncalvaire–etàépargneràlavilleunnouveaumassacredevampires.
Quandcelui-ciseretournaens’appuyantsursacanne,l’hommed’âgemoyenluipritlebras.— Viens, grand-père, assieds-toi. (Il le guida vers un fauteuil et fit un signe au gérant de la
boutique.)Duvindesang.Immédiatement.Aucund’euxn’avaitencoresentilaprésencedeWill.Ilparcouraitlesvitrinesenréprimantson
enviedeseretournerpourlesavoiràl’œil.Leurodeurluiglaçaitlesang.Iln’avaitjamaisaffrontéqu’unseulvampire.Etcommepouvaiententémoignerlescicatricessursonventre,celaluisuffisaitamplement. Il s’agissait des seules blessures que son virus n’avait pas été en mesure de guérirtotalement.
Àl’époquegéorgienne,lesdébordementsd’ungroupedevampiresavaientpratiquementmislavilleàsang.Ilsavaientôtélavieàprèsdedixmillepersonnesavantquel’Échelonparvienneàlesexterminerjusqu’audernier.Désormais,quandunsangbleuapprochaitlaDisparitiongraduelle,onlesurveillaitétroitement.Aussitôtquesoncorpscommençaitàperdresescouleurs,qu’unvoile sedéposaitsursesyeuxetquesesdentss’aiguisaient,onluicoupaitlatête.
Laclochettedelaportetintaetunepairedelourdesbottess’avança.Willentrevitbrièvementlerefletdunouvelarrivantdanslavitred’unearmoire.
Un longmanteaunoirornéd’unebandededentelleauniveauducourecouvrait lesépaulesdel’homme.Unemontredepochedoréeressortaitcontresongiletenveloursrouge.Sesgantsblancsenserraientunecanneaupommeaudoré.Iljetauncoupd’œilauxdeuxsangsbleusdanslecoinetunsourireseformasoussonneztordu.
—Quelediablel’emporte,Arsen,déclaral’hommed’untonsecensortantunmouchoirparfumédesapoche.Tun’aspasencoreenterrécevieuxdébris?
Lesdeuxhommessefigèrent.Tandisqueleplusjeunesemettaitàbégayer,leplusâgélevasonvisagepâleetpoudré,unelueurdemalicedanssesyeuxsombres.
—Jenesuispasencoremort,Colchester.Etjet’emporteraipeut-êtreavecmoi.Colchester.
—J’aimeraisbienvoirça,Monkton, raillaColchester.Jevaispeut-êtremechargerde la tâchequ’Arsenamanifestementnégligéd’accomplir.
ColchesterétaitplusjeunequeceàquoiWills’étaitattendu,avecdesjoueslissesetdescheveuxnégligemment coiffés en arrière qui devaient faire tourner la tête de ces dames. Un individu auxlargesépaulesquisemouvaitaveclagrâcefluided’unépéiste.
IljetaunbrefregardàlatenuedeWilletlelaissadecôtésansplusyprêterattention.C’étaitsapremièreerreur.Unvéritableprédateurneseseraitpasarrêtéauxvêtementsetauraitvul’hommequisetrouvaitdessous.Àforce,sonrangetsapositionl’avaientimmunisécontrelesdangersdumonde.Au sein de l’Échelon, quand deux sangs bleus nourrissaient des griefs l’un envers l’autre, ilss’affrontaientenduel.Will,lui,étaitplusaguerriauxmœursdelarue,oùleshommesprenaientcequileurchantaitenvousplantantuncouteaudansledos.
—Jevousenprie,VotreGrâce,bredouillaArsen.Grand-pèrenepensaitpascequ’ildisait.Nouslesurveillonsdeprès.Nousavonssimplementpenséqu’unpeud’airfraisluiferaitdubien.
—Unehacheferaitmieuxl’affaire.UnsourireencoinétiraleslèvresdeMonkton.—Oui.CommecelledontvousavezoubliédevousservirsurledéfuntetnonregrettéVickers
avantqu’ilsoittroptard?(Iléclatad’unrirerauque.)J’aientendudirequeleduelavaitétéglorieux,quandlaperruqueduducaétéarrachéedevantlacourtoutentière,révélantlavéritésursacondition.Onditqu’ilafalludessemainespourfairedisparaîtrel’odeurdepourrituredel’atrium.
Colchesterserrainconsciemmentlespoings.—Évitez de vous faire des ennemis,Monkton.Vous n’êtes qu’une ramificationmineure de la
Maison deMalloryn. Et Auvry est un ami très cher. Peut-être que je lui toucherai un mot et quel’affaireserarégléedemanièreappropriée.
Les deux hommes blêmirent. Le plus jeune saisit son grand-père par samanche de velours etl’emmenaàl’extérieurtoutendébitantunlongchapeletd’excuses.
Colchesterlessuivitdesyeuxavecuneexpressionennuyée.Ilsortitunepetitetabatièreenétaindesapocheetenhumauneboufféeavecunegrimacedesonnezcassé.
Leursregardssecroisèrentdanslemiroirsertisurlemuropposé.—Vousneseriezpashorsdevotreterritoireici?demandaColchesterenrempochantsaboîte.—Vousseriezsurprisdelaréponse,réponditWill,lesmainscrispées.UnseulaccèsdeviolenceetLenan’auraitplusjamaisàregarderpar-dessussonépaule…Ilfitun
pasversleduc.Lepropriétairede laboutique reparutavecdeuxverresdevinposéssurunplateau.Surprisde
trouverlapiècevide,ilclignalespaupières.Colchesters’emparad’undesverres.—Vraiment,Griffith,quandjevoislespersonnesquevouslaissezentrerici…murmura-t-ilen
observantuncaméeantique.Jevaispeut-êtredevoirplacermesaffairesailleurs.—V…VotreGrâce,bégayalemarchand.UnebulledecolèreéclatadanslagorgedeWill.L’occasions’étaitenvolée.Colchesterlevales
yeux.—Vousêtesencorelà?—J’aidesachatsàfaire,répliqua-t-ilensortantdel’ombre.Soncorpsseraiditetlachaleurmontaenlui.Cetenfoirés’enétaitprisàLena.Ilnesavaitpas
précisémentcequ’illuiavaitfait,maisassezpourlaterrifier.Qu’ilseraitdouxdeselaisseralleretdel’exterminersurplace…maisilpourraitfaireunecroix
sursaliberté,toutcommeceuxdesonespèce.
Sesinstinctsexigeaientlamiseàmortduduc.Maissaraisonl’endissuadait.IlpouvaitpresqueentendrelesvoixdeBladeetdeLenaquiessayaientdeluiexpliquersonerreur.Desgouttesdesueurperlèrent sur son front.C’était unmondequ’il ne comprenait pas et qu’il ne comprendrait jamais.Maisilleurfaisaitconfiance.Ilsavaitqu’ilsseraientterriblementdéçuss’ilcédaitàsesinstincts.
Colchesternesauraitjamaisqu’ilavaitfrôlélamort.—Savez-vousseulementquijesuis?—Ouais.Jesaisexactementquivousêtes.Unelueurd’intérêtpassadansleregardtranchantdeColchester.Willsentaittoutsonêtrevibrer
sous l’effet de la colère. Pour une fois, il la laissa monter jusqu’à la surface. De l’or en fusiontransformasesyeuxdanslerefletdumiroir.
Colchesterlâchaunhoquetetplaquaunemainàsaceinture,commeprêtàdégainersalame.—Jeferaispasça,àvotreplace,ditWillavantdedétournersonattention.Les petites pierres précieuses reflétaient les rayons du soleil et étincelaient demille feux et de
millecouleurs.Bagues,colliers,bracelets,desrayonnagesentiersdeperlesquivalaientplusquesaproprevie.Ilseconcentradessusens’efforçantd’ignorerleparfumduduc.
LasilhouettedeColchestervacilladanslavitreetcelui-ciplissalespaupièresderrièreWill.—Vousêtesceluiqu’onappelle«laBête»,n’est-cepas?Celuidontlatêteestmiseàprixs’il
pénètredansl’enceintedelaville?Willluijetaunregardpar-dessussonépaule.—Onnevousapasdit?LesyeuxdeColchesternefurentplusquedeuxfentes.—Ditquoi?—Leprinceconsortenpersonnem’aaccordésagrâce.Colchesters’approchadelavitre,lesmainsjointesdanssondos.Sesgestesétaientnetsetprécis;
il était à cran, prêt à en découdre aumoindre écart.Will s’éloigna dans la direction opposée, enlaissantsesdoigtstraînersurlecomptoirenverre.Unevalsemenaçante.Legérants’étaitretranchédanssonarrière-salle,bienconscientdel’électricitéquirégnaitdansl’air.
— Je vois, raillaColchester. Toujours cette plaisanterie d’alliance qu’ils essaient demettre enplace.Jusqu’àlanuitdernière,jen’avaispasévaluéjusqu’oùvousétiezimpliqué.
—Ondiraitquevousêtespasaussiimportantquevouslepensez.Sil’onpouvaittuerd’unregard…—Jemesuislavélesmainsdecetteaffaireilyadessemainesdéjà.Ilafalludesannéespour
vousremettreàvotreplace,vousautressauvages.Pourquoivousréintégrerdansnosviesavectantdecondescendance?(SesyeuxglissèrentsurWill.)Cetteidéeàelleseuleestunevéritableinsulte.
Sarépliqueneluifitnichaudnifroid.IlsefichaitpasmaldecequeColchesterpensaitdelui.Commes’ill’avaitcompris,lesangbleuserapprocha.—Jedoisadmettrequejesuisdéçu.Aprèscequem’aditCavendish,jem’attendaisàunesortede
foufurieux.Ondiraitqu’onvousabiendompté.—Ilyaunlieuetuntempspourtout.—Hmm.Colchester se pencha en avant pour examiner une jolie broche en formede papillon.Une fois
portée,lesailessemettaientàbattre.—Dites-moi,reprit-ilentraçantdepetitscerclessurlaparoivitréeavecsondoigt,vousa-t-elle
enfinparlédemoi?Silence.
—Elle?—Helena,réponditColchesterenplaçantunaccentintimesurleprénom.Willrelevalatête.Lesouriresurleslèvresduducn’étaitriencomparéàl’expressiondansses
yeuxquandilcompritquesesmotsavaientenfinatteintleurbut.—MachèreettendreHelenaTodd.Wills’efforçadesecontenir.—Pourquoifaire?—Parcequ’elleserabientôtmaprochaineesclave…Non.Will le saisit à lagorgeavantmêmedeprendreconsciencede songeste. Il enfonça sesdoigts
danslachairpâleetleduclaissaéchapperunrire.—Laissez-latranquille,grondaWilld’unevoixdureetfroide.Sivoushumezneserait-cequ’un
effluvedesonparfum,vousavezintérêtàtournerlestalonsetàrepartirdansl’autredirection,c’estcompris?
—Uneffluvedesonparfum?(Colchesterparvintàémettreungargouillis.)J’aieubienplusqueça,espècedebêteimmonde.
—Qu’est-cequevousracontez?—Ellene…vousapasdit?Unelueurdedéliceréchauffasesyeuxbleupâle.Willresserrasaprise.Unvoilerougemenaçaitdel’aveugler.D’unseulgeste,ilpourraitarracherlatêtedecetteordure.
Maisilperçutunmouvement.Lepropriétaire,tremblant,lesobservaitavechorreursurlepasdelaporte.
Pasici.Pasmaintenant.Maislejourviendra,sepromit-il.IlseforçaàdesserrerlesdoigtsetrepoussaColchester.Leducchancelaetallaheurtalesvitrines.
Ilriaittoujoursetlesonqu’ilproduisaitvrillaitlesnerfsdeWill.Ilsedétourna,lesoufflecourt.— Elle a le sang le plus sucré que j’aie jamais goûté, vous savez ? lança Colchester. Elle
ronronnecommeunchatonsousmescaresses…Lasecondesuivante,Colchesterseretrouvalevisageplaquécontreuneautrevitrine.Legérant
recula,etleriredeColchestercessaenfin.Willattiraleducenarrièreetluienfonçasonpoingdansle ventre. Colchester se plia en deux comme un sac de graisse fondue, le visage ensanglanté etincrustédemorceauxdeverre.
Leducluifituncrochetettousdeuxroulèrentàterre.Willsentitunebrûluredanssondosmaisn’yprêtaaucuneattention,concentrésur la ragequidéferlaiten lui. Ilbloqua lecoudeColchesterentresesbrasetparvintàleplaquerausol.Ilgrimpasurlui,branditsonpoing…
Maisilnes’abattitjamais.Unemains’emparadelasienneetserefermaautourdesonpoignettelleunemenotte.—Çasuffit,ordonnaquelqu’un.Willrelevalatêteenmontrantlesdents.—Contrôlez-vous,continualavoixvaguementfamilière.L’inconnuétaitpresqueaussigrandqueWill,avecunecarrureminceetmusclée.Sesyeuxavaient
lacouleurd’unglacier.Ilportaitducuirnoirdelatêteauxpiedsetunplastronrecouvraitsapoitrine.Will cligna les yeux et finit par remarquer la présence des deux gardes derrière l’étranger. Il
baissa le regard sur sonautremain,qui tenait legiletdeColchester.Le sangbarbouillait les traitspâlesduducetdesfragmentsdeverreétaientrestésenfoncésdanssesjoues.
—Écartez-le de moi ! s’écria Colchester en crachant du sang. J’exige que cette créature soitarrêtée.
C’estalorsqueWillidentifialenouveauvenu.Sir JasperLynch,maîtrede laguildede traqueursdevoleursdesEngoulevents. Ils avaientuni
leursefforts,troisansauparavant,pourarrêterunvampire.Lynchétaitunhommedurmaisefficace.Malheureusement,c’étaitaussiunsangbleu.
LynchtiraWillsursespiedsetjetauneexpressionbelliqueuseauduc.—VotreGrâce,dit-ild’unevoixdénuéedelamoindreinflexion.Surquellesaccusations?—Agression.(Colchesterroulasurlui-mêmepoursereleveretbalayalesfragmentsdeverrede
sonmanteau. Il jetaunregardà la ronde.)Dégâtsmatériels. (Unsourireapparutsurses lèvres.)Ettentativedevol.
Willpoussaungrognementets’apprêtaàbondir,maisLynchluitorditlebrasdansledosetleplaqua contre le mur. Même sous l’emprise de la fureur, il reconnut que l’homme savait quellepressionexercerpourlemaintenirimmobilemalgrésaforcesupérieure.
—Ne soyez pas idiot,murmuraLynch d’une voix de velours implacable.C’est exactement cequ’ilcherche.
IldonnaunedernièrepressionsurlebrasdeWillavantdelerelâcher.Leloup-garoujetaunregardmeurtrieràColchester.—Vousallezdevoirdéposeruneplainteofficielleausiègedelaguilde,annonçaLynch.Ensuite,
nousdevronstrouverunmagistratquil’inculpera.Ainsiqueletémoin,biensûr,ajouta-t-ilavecunsignedetêteàl’adressedugérant.
Colchesterinterrompitsongeste.—Pourquoidiableavons-nousbesoindelui?Vousl’avezvu.Ilm’asautédessussanslamoindre
provocation.—Jecrainsd’êtreintervenudemanièreintempestive,répliquaLynch.Toutcequej’aivu,c’est
deuxhommesentraindesebattre.Ilssesoutinrentduregardquelquesinstants.PuisColchesterplissalespaupières.—Vousfaitesuneerreur,Lynch.Jevousauraifaitremplaceravantlecoucherdusoleil.—C’est peu probable, Votre Grâce, répliqua Lynch. C’est le Conseil qui dirige les forces de
l’ordredelaville.Pasvous.Unlourdsilences’abattitjusqu’àcequeColchesterfinissepardétournerlesyeux.—Ehbien,soit.ColchesterserralespoingssurlecôtéetregardaWillderrièreLynch.Ilsourit,laissantapparaître
sesdentsensanglantées.—Net’imaginepasquetuseraslepremier.Cettepetitegarceauncertaingoûtpourlachose.Cette fois-ci, il fallut l’intervention des trois Engoulevents pour le retenir.Will se débattait de
toutes ses forces pour se jeter sur Colchester. Le duc lissa les revers de son manteau, retira lesmorceauxdeverredesonvisagepuisquittalaboutiquesanssepresser.
—Laissez-lepartir,grognaLynch.Vousneferiezquevousattirerdesproblèmesetiln’envautpaslapeine.
Will releva la tête. Ils l’avaientplaquécontre lemuret il sentitquelquechosedechaudcoulerdanssondos.Lynchl’observauninstantavantdehocherbrièvementlatêtepuisdereculer.
—Lâchez-le,lesgars.Ilss’exécutèrent.—Voussaignez,reprit-ilengonflantlesnarines.
Will fit lagrimace.Avec le refluxde la fureurmontait ladouleurd’unedizainedebleusetdecoupures. L’élancement s’intensifia encore quand sa vision revint à la normale. Il tourna la tête etpoussaunjuronlorsqu’ilsentitunobjettranchantenfoncédanslesmusclesdesondos.
Lynchenretirauntessondeverre.L’enfoiré.Willsiffla.—Çaauraitétésympadeprévenir.—Vousguérirez,réponditLynch.Çavousapprendrapeut-êtreàgarderlatêtefroide.(Iljetaun
œil à l’un de ses camarades.) Prends la déposition du témoin, Garrett. Et fais une estimation desdégâts.
Pourlapremièrefois,Willregardaautourdelui.Lesoldelaboutiqueétaitjonchédeverrebriséetlesécrinsdepierresprécieusess’étaientrenversésparterre.Dusanggouttaitdesbordstranchantsd’uncasierenverre,celuicontrelequelilavaitplaquéColchester.Ilvisualisacemomentdanssatêteavecunimmenseplaisir.
Legérantévaluaitlesdégâtssansunbruit,lesyeuxécarquillés.—CommentjevaisannoncerçaàMartha?murmura-t-il.Leducvadiscréditermonnom.Ilva
medétruire.Willserralespoings,honteux.Ilauraitdûrefrénersacolère.—Jepaierailafacturepourlesréparations.Lynch le saisit par le bras et le guida vers la porte. Le ciel s’obscurcissait et d’épais nuages
s’amassaientàl’horizon.— Je vous suggère de partir. Je ne serais pas surpris de voir Colchester réapparaître… avec
quelquesamis.Iln’estpasdugenreàlaisserpasserça.Etj’aifaittoutcequej’aipu.Willhochala tête.BonDieu.Àquoipensait-il?Àrien,manifestement.Uneseuleévocationde
Lenaetils’étaitlaissétotalementdépasserparsarage.Puisilplissalesyeux.—Pourquoi?—Pourquoiquoi?—Pourquoim’avoiraidé?Ilpouvaitcomptersurlesdoigtsd’unemainlespersonnesquis’étaientportéesvolontairespour
luivenirenaide;etd’aprèssonexpérience,ilyavaittoujoursunprixàpayer.Lynchs’arrêtasurleseuiletobservalafouledecurieuxquicommençaitàseformer.Depetites
ridesapparurentauxcoinsdesesyeuxetilfronçasessourcilssombres.—Ilyatroisans,Bladem’asauvélaviedansleségouts.Jeluisuisredevable.Disonsqu’onest
quittes.Willremarqualatensiondanssesépaules.—Et?Lynchfrottasajouelisse.—Ilya…unecertainepressionde lapartduConseil. Jedois localiserun révolutionnairedu
nomdeMercury. Il dirige lemouvementhumaniste àLondres et il est directement responsabledel’incendiedesusinesdedrainage.Jenesuispasidiot,Carver.Bladeadesoreillesdansdeslieuxqueje ne pourrai jamais infiltrer. (Il regardaWill droit dans les yeux.) Et vous aussi. J’ai senti votreodeurdanslestunnelsquandonaarrêtélesdeuxcoupablespourlesusines.
—Onarienàvoiravecça.—Jesais.Ilsnousonttoutdit.IlspensaientavoirtuéBlade.—Ilsl’ontàpeineégratigné.
Nul besoin de répandre la rumeur que Blade était faillible. Sa légende permettait de tenirl’Échelonàdistancedepuisplusdecinquanteans.
—VousvoulezdesinfossurMercuryalors?—Toutcequevouspourrez.Unfrissonremontale longdesonéchine.Lynchétaitdésespéré.Il lepercevaitàsonodeur.Le
Conseil devait resserrer le nœud coulant autour de sa gorge. Tout le monde savait que lesEngouleventsétaientcomposésdesangsbleusrenégats– lessangsbleuscréés illégalementouparaccident. La plupart étaient tués aussitôt qu’ils étaient infectés par le virus du besoin. Ceux quipouvaient se contrôler se voyaient proposer une alternative : une vie solitaire et sinistre dans lesrangsdesEngoulevents,tenusenlaisseparleConseil.Ilsétaientutilesàl’Échelonmaisn’enferaientjamaispartieintégrante.
Desimplesconsommables.Surtouts’ilsneremplissaientpasleurrôle.L’imagede la lettrecodéequeLenaavaiteuensapossession lui revintbrusquementà l’esprit.
S’ilyavaituneseulepossibilitépourqu’ellesoitliéeauxhumanistesetàceMercury…Lapeursemitàluirongerl’estomac.Dansquois’était-ellefourrée?D’abordColchester,etmaintenant,ça?
— Je vais garder l’œil ouvert, dit-il, conscient du regard intense de Lynch posé sur lui. Sij’apprendsquelquechose,jevousletransmettraiaussitôt.
Lynchlescruta.—Àvotreplace,jen’essaieraispasdemedoubler,Carver.Vousavezintérêtàmerapportertout,
absolumenttoutcequevousentendrez.Willhochalatête.Sonstressn’avaitcertainementpaséchappéauxEngoulevents.—Oui.Jevoustiensaucourantsij’apprendsquoiquecesoit.Maisd’abord,ildevaitdécouvrirdequoiilretournaitexactement.
14
Une légère brise effleura sa peau. Lena releva les yeux des rouages et des engrenages quijonchaientsonpetitbureau.Ellehissaseslunettesgrossissantessurlesommetdesoncrâne,reposasesfinespincesetseleva.Sarobedechambreensoieroseretombasursespieds.
— Il y a quelqu’un ? lança-t-elle en resserrant les pans de son peignoir avant d’en nouer laceinture.
Ilétaitprèsdeminuit.MmeWades’étaitretiréedesheuresplustôtmaiselleavaitétéincapablededormir. Trop de pensées tourbillonnaient dans sa tête. Elle s’était dit qu’elle ferait aussi bien d’enprofiter pour travailler sur le mécanisme grandeur nature que lui avait commandé Mercury. Lesrouagesétaientsimplesetcoulissaienttoujoursaisément…Contrairementàsavie.Enplus,ilneluirestait plus qu’une semaine avant la signature officielle du traité. Elle avait commencé par lemécanismeinterne,maisunesemainesuffiraitàpeinepourl’achever.ElleallaitdevoirdemandersonaideàMandevillepourlerevêtementextérieur.
La porte entre le salon et sa chambre grinça sous l’effet d’une brise qui n’avait pas de raisond’être.Lenas’emparadutisonnier.
Elle s’avança, le cœurbattant. Personnen’oserait l’attaquer ici, n’est-cepas ?Les lieux étaientbien gardés,même la nuit, car nul n’ignorait que des assassinats étaient régulièrement perpétrés àl’Échelon.LeducdeCaineétaitsouventsouffrantetLeoendossaitlerôledechefdelaMaison.Unebonne demi-douzaine de sujets mineurs de la Maison allaient commencer à nourrir de nouvellesambitions,aucundoutelà-dessus.
Letonnerregrondaauloin.
Lafaiblelueurd’unelampeàgazbaisséeàsonminimumsuffisaitàpeineàéclairerlachambreplongée dans l’ombre de l’autre côté de la porte. L’espace d’un instant, Lena fut tentée d’allerréveillerlesoccupantsdelademeure.Maiss’ils’agissaitsimplementduloquetquis’étaitentrouvertàcausedel’orage,ellelesauraitdérangéspourrien.
Elleseglissadansl’entrebâillementdelaporteenjetantdesregardsinquietsdanslachambre.Sesrideauxvaporeuxflottaientdans leventet lapluieéclaboussait lesolciré.L’unedesportesdesonbalcons’étaitouverte,maisaucunsignedequiconquedanslapièce.
—Fichuvent.Ellerefermalaporteetrepoussaénergiquementleloquet.Unéclatdelumièrejaillitsoudainetle
solcraquaderrièreelle.Un hurlement monta dans sa gorge et fut capturé par une large main, à coup sûr celle d’un
homme. Il la plaqua contre son torse ferme et l’eau de ses vêtements imbiba son dos. Ses lèvres
étaientpresséescontresapaumehumideetsonsoufflechaudeffleurasonoreille.—Chhh.Will.Ellepouvaitdécelersonodeur,maintenant,unmélangedemusc,depluieetd’airfrais.Le
tisonnier s’échappa de ses doigts engourdis. Le loup-garou amortit sa chute avec son pied et ledéposasurletapis.
LecœurdeLenabattaità toutrompre.Ellese laissaallerdanssesbrasetsapoitrinefrôlasonpoignet.Ellecaptaunmouvementducoinde l’œil.Unmiroir surpied reflétait leurcoupleenlacédansuneétreintecoupable.QuandWillcroisasonregard,Lenaécarquillalesyeux.Ilétaitimmense,humideetsombre.Uneétincelleambréebrillaitdanssesiriscommeunavertissement.Àenjugerparsonexpression,ilsemblaitfurieux.
Elleplissalespaupières.Iln’étaitpasleseul.Ceseraitladernièrefoisqu’illuiferaitpeur.Ellemorditlachairtendredesapaume.—Sijetelâche,tuvastetenirtranquille?Lenasetortillafurieusement.—J’imaginequeçaveutdirenon.Il l’attira vers le lit et la jeta dessus. Avant même qu’elle ait rebondi sur le matelas, il avait
ramasséuneétoleensoiesurlesoletlaluifourraitdanslabouche.Lenaouvritdegrandsyeuxetluidonnadescoupsdepiedenémettantdessonsétranglés.Willla
saisitparlespoignetspourlaplaquersurlecouchagepuisill’enfourcha.Danslalutte,lepeignoirremontasursescuisseset,quandWillbaissaleregard,elles’immobilisa.Unfeuintensecouvaitdanssesprunelles.
—Pouce?Lenaacquiesça silencieusement. Il reculapour sedresser sur sesgenoux, tandisqu’elle retirait
l’étoledesabouche.—Qu’est-cequetufichesici?Ilplaquaunemainsursabouche.—SiBarronsmetrouve,onseracontraintsaumariageenmoinsdetempsqu’iln’enfautpourle
dire.(Leursregardssecroisèrent.)Etaucundenousneveutça,onestd’accord?Son pouls devint irrégulier. Puis elle secoua la tête avec véhémence. Elle avait été témoin du
bonheuretde lachancede sa sœur.La seulechosepirequ’unmariage forcé seraitunmariagedesentimentsnonpartagés.
Willl’observaunlongmoment,lestraitsdurs.Ilretirasamaindesaboucheetlalaissaglissersursajoueavantdelareposersursescuisses.
— Il ne nous unirait pas de force, de toute façon,murmura-t-elle. Leo t’escorterait jusqu’à lasortie,retireraitletreillissousmafenêtreetferaitcertainementcommes’iln’avaitrienvu.
—C’estpasçaquim’arrêterait. (Il jouaavec laceinturede sonpeignoir.Puis il réfléchit àcequ’ilvenaitdedire.)Sijevoulaisentrerici,compléta-t-il.
— Arrête. (Elle posa sa main sur la sienne. La paume de Will fut aplatie sur son ventredélicieusementchaud.)Tuprendsbeaucouptropdelibertés.
—Ceseraitpaslapremièrefoisqueçaarriverait.QuelquechosedanssonexpressionalertaLena.—Qu’est-cequetuentendsparlà?Unlongsilence.—Rien.Elleavaitlasensationqu’ilneparlaitpasdubaiserqu’ilsavaientéchangé.Lenarepoussasamain.
—Qu’est-cequetuveux?Qu’est-cequetufaisici,d’ailleurs?Will lissa ses cheveux en arrière et des gouttes tombèrent dans son col ouvert. Il affichait une
expression dure et ferme. Il brandit un morceau de papier et, avec un sursaut, elle comprit qu’ils’agissaitdel’autremoitiédelalettrequ’illuiavaitarrachéedesmains.
Ladernièrefoisqu’elle l’avaitvue,elle l’avait fourréedans leconduitde lacheminéederrièreunebriquedescellée.Ellepourraitainsiprendreletempsd’essayerdeladéchiffrer.
—Jecherchelavérité,déclara-t-il.Puisqu’ilestpeuprobablequejel’obtiennedetoi.—C’estàmoi.Lena tenta de s’en emparer mais il tenait fermement le papier. Ils se jetèrent un regard noir
réciproque.LachemisedeWillcollaitàsesépaulesdemanièreindécente;sesmanchesétaientremontéeset
songiletencuir sculptait tous lesmusclesdeson torse.Unegouttedepluieperlaitaucreuxdesalèvre et une autre coula sur sa joue rugueuse.Oh,Seigneur, comme elle avait envie de passer sesmainssursapeauetdesuivrelesillagedecettegoutteavecsalangue…Enfouirsesdoigtsdanslefouillisdesescheveuxhumidesetattirersaboucheàelle.Surseslèvres.Lenafrissonnad’undésirrefoulé,nonpartagé.
—Qu’est-cequetuvasenfaire?Ladécoder?—Ouais.Lenas’humectaleslèvres.—Çavautpeut-êtremieux.(Ellevoulaitautantqueluienconnaîtrelecontenu.)Tantquetun’en
soufflesmotàpersonne.—TuaspeurqueHonoriatecriedessus?—J’aipeurqu’ellem’enfermedansuncouvent.—Peut-êtrequeceseraitunebonneidée.L’orfusionnaitdanssesyeux.Lenasefigea.Illuiavaitbienfaitcomprendrequeleurbaiseravaitétéuneerreur.Pourtant…ses
tétons durcirent sous son regard brûlant. Il la regardait presque avec…gourmandise. Son humeurétaitimprévisible.
Elledevaitlemettredehorsavantdefaireungestestupide.—Tun’esvenuquepourça?(Ellerelâchal’extrémitédupapier.)Tum’asfaitmourirdepeur.Lapluiemartelaitlesfenêtres.Wills’agenouilla.Ilnesemblaitpaspressédepartir.—Will?Toutçaauraitpuattendredemainmatin.L’expressionduloup-garourestaitsombre.—Ilfautqu’onparle,toietmoi.—Pascesoir.Siquelqu’un…—Cesoir,coupa-t-ilavantqu’unautre roulementde tonnerrene résonnedans lapièce. Je t’ai
laissétachance.Cesoir,j’enaiassez.Jeveuxdesréponses,etjet’assurequetuvasmelesdonner.Toutcequetuasàfaire,c’estderépondreparouiouparnon,tuascompris?
Lena hocha lentement la tête.Will s’efforçait de semaîtriser. Il n’osait pas se laisser aller.Cesoir-là,ilpossédaitunesauvageriequiincitaitàlaprudence.
—TusaisquiestMercury?Elleretintsonsouffle.—Jene…Jenesuispassûrede…Willposaundoigtsurseslèvres.—Ouiounon.Est-cequetusaisquiestMercury?
Oùavait-ilbienpuentendresonnom?Etpourquoilasoupçonnait-ild’avoirunlienaveclui?Elle devait faire preuve d’honnêteté, ou qui sait quelle serait sa réaction ? Lena approuva avechésitation.
—Oui.Ellecompritquecetteaffirmationneluiplaisaitpas.Ilfronçalessourcils.—Bonsang,Lena.Dansquoidiabletut’esencorefourrée?Impossiblede répondreà cettequestionparun simpleouiounon.Commes’il comprenait ses
intentions,ilplissalesyeux.—As-tuunquelconquerapportaveclemouvementdeshumanistes?AvecMercury?—Oui.Etnon.—Lena,lesEngouleventssontàlapoursuitedeMercury!Ilneleurfaudrapaslongtempsavant
demettrelamainsurluietsurtousceuxquiontunlienaveclui!Aujourd’hui,j’aidûpromettreàSirJasperLynchquejeluicommuniqueraistoutcequej’apprendraissurlui.Maisjesavaisquec’étaitunmensonge,parcequej’étaissûrquetuétaisimpliquée.(Ilpassasesmainsdanssescheveuxavecunregarddedégoûtpourelle.)Qu’est-cequejevaisfairedetoi?
Cette question fit venir une quantité de réactions à l’esprit de Lena. Mais il n’approuveraitcertainementaucuned’entreelles.
—Alors?Tuvasmedirecequisepasse?Laréponseàcettequestionétaittrèssimple.Lapaniquemonta.—Non.—Mauvaischoix,mabelle.—C’estleseulquejesuisenmesuredefaire.—Jepourraist’obligeràmeledire.Ilsedressaau-dessusd’elle.Lenareculasurlelitjusqu’àenheurterlemontant.—Jecroisquetun’oseraispas.Étantdonnéquetun’aspasenvieplusquemoid’êtresurprisdans
machambreenpleinenuit.Jevaiscrier.L’expressionsurlevisagedeWillluicoupalesouffle.—Essaieunpeu,dit-il.Sagrandemainenserrasachevilleetlachaleurindécentedesapeaulaconsuma.Ill’attiravers
luiavecunregardvorace.LepeignoirdeLenaglissasurlesdrapsensoieetremontasurseshanches.Puisiltombasurses
épaules.Ilyeutuninstantoùelleauraitputoutarrêter.Uninstantoùlaraisons’enmêla.Uninstantoù elle revit l’expression dans son regard… Était-elle bien réelle ? Ou l’avait-elle seulementimaginée?Avait-ilenvied’elle?
Pitié, à l’aide, pria-t-elle en silence. Puis elle fit un léger mouvement et le peignoir chutatotalementdesesépaulespourretomberautourdesataille.
Ilfallaitqu’ellesache.LeregarddeWills’aiguisa.Desflammes,dudésir.Uneintensitéquilafitbrûlerdel’intérieur.
Elle ne s’était pas trompée. Ce n’était pas l’indifférence qui crispait ses traits et qui bandait lesmusclesdesesavant-bras.
Ce fut une sensation grisante. Elle retint son souffle quand il tendit le bras pour prendre sonmentondanssamain.Oui,ohmonDieu,oui.
IltournalevisagedeLenasurlecôtépourcaressersagorgeduregard.Puisdel’autrecôté.Lenafronçalessourcilsetsaisitsonpoignet.Qu’était-ilentraindefaire?
Ignorant le décolleté en dentelle festonnée de sa chemise de nuit, il lui prit le poignet et leretourna.
Non.Lesoufflecourt,elletirasursonbras,souslechoc.Ellesavaitexactementcequ’ilcherchait.—Lena.Ilempoignalebasdesonpeignoir.Lalueurambréequienflammasonregardaffolalajeunefemme.Cen’étaitplusWill;seulement
le prédateur, le visage crispé par la colère. Elle agrippa sa main et la fit glisser plus haut, surl’intérieurdesacuisseetlacicatricequis’ytrouvait.
L’horriblepreuvedecequeColchesterluiavaitpris,cefameuxjour,danslaruelle.—C’estçaquetucherches?Ellelerepoussaetserapprochaduborddulit.Elleressentituneprofondedouleur,semblableà
uncoupdecouteau,danslapoitrine.L’espaced’uninstant,d’unbrefinstant,ellecrutqu’ilallaitdenouveaul’embrasser.
Elleremontalepeignoirsursesépaulesetresserralaceintured’ungestevif.—Commenttul’assu?Aucuneréponse.Lenaseretournaetletrouvaàgenouxaumilieudesonlit,latêteinclinée,lespoingsserrésdans
sesdraps.Un frissonparcourut les épaulesdeWill et samain fut agitéed’un soubresaut. Il relevalentementlatête.Lenasesentitfrémirmalgréellequandleursregardssecroisèrent.
—Colchesterm’atoutdit,dit-ild’unevoixrauque.Ilm’aditqu’ilt’avaiteue.Unevaguedechaleurluimontaauxjoues.Bonsang,pasmaintenant.Elletournadiscrètementla
têtesurlecôtéetessuyasesyeuxavecsamanche.—Tul’asvu?Où?Jet’avaisdemandédenerienfaired’imprudent.—J’étaischezunbijoutieretilestentré.Les draps bruissèrent puis ses pieds apparurent dans son champ de vision. Will s’agenouilla
devantelle.Àcettedistance,elleputdistinguerlacoupuresursalèvreetlebleuimperceptiblesursapommette.Quelqu’unl’avaitfrappé.Colchester,sansaucundoute.
—Lena?(Ilcaressasajouehumidedudosdesdoigts.)Qu’est-cequis’estpassé?Ellefutsurpriseparsadouceursoudaine.Elles’écartaetlapaniquebloquasonsouffledanssa
gorge.—Jen’aipasenvied’enparler.Entroispas,illarattrapa.Ellefitvolte-facepourlerepoussermaisseretrouvadanssesbras,la
joue contre sa poitrine ferme, enveloppée dans sa chaleur corporelle. Elle ne put s’empêcherd’agripper sa chemise. Elle se sentait tellement en sécurité ! Toute envie de lutter la quitta. Siseulementilpouvaitlaserrerainsipourl’éternité!
Siseulementilenavaitenvie.—Bonsang,dis-moicequ’ilt’afait!s’exclama-t-ild’unevoixétranglée.Est-cequ’il…est-ce
qu’ilt’aviolée?—Non!éructa-t-elle.Maiscen’estpasfauted’avoiressayé.Ce souvenir la hantait. Colchester, ce beau et jeune dandy qui déambulait dans les rues, s’était
arrêté pour lui faire du charme. Elle n’avait pas trouvé ça étrange ; elle avait l’habitude de cesattitudes séductrices avant le décès de son père. Elle avait même reconnu l’héritier du duc deLannister,maiselles’étaitmisledoigtdansl’œilenpensantuneseulesecondequ’illavoyaitcommeautrechosequ’unesimplevendeusedecharbon.Uneproiefacile.
—Ilaprismonsang.Il l’avaitpousséedans la ruelleet l’avaitplaquéecontreunmur.Lecontenudesonseaus’était
déversé sur les pavés crasseux. Elle avait essayé de dire non, incapable de comprendre ce qui luiarrivait.
—Jenevoulaispas.Maisilnecessaitdedirequej’allaisadorerça.Ses joues labrûlaient.Prenantconsciencequ’elleétaiten traindepleurer,ellefutsecouéed’un
sanglot.Colchesteravaitvujuste.Aufinal,elleavaitaiméça.Lesagentschimiquescontenusdanssasaliveavaientdéclenchéunesortederéactiondanssoncorps.
Willlevalesmainsetlesposadoucementdanssondos.— Calme-toi, mo cridhe 1. (Il lui frotta le dos en dessinant des cercles.) Tu es en sécurité
maintenant.Jesuislà.Maisellen’étaitpasensécurité.Seslarmesredoublèrent.Lasécurité,c’étaitunmondeétrangerà
l’Échelonetàsessuceursdesangavides.AuxhumanistesquimenaçaientsafamilleouàColchesterquilaharcelait.Lasécurité,c’étaitunmondeoùelleétaitheureuseetaimée.Lasécurité,c’était ici.DanslesbrasdeWill.
—Etleshumanistes?—Je…jen’avaispasl’intentiondemefaireembarquerdanscettehistoire.Maisc’étaitunmensonge.Elleavaitvoulutrouverquelquechose,n’importequoi,pourdonner
unsensàsavie,unbut.—Embarquerdansquoi?demanda-t-ild’unevoixplusgrave,éraillée.Lena?murmura-t-ilen
repoussantsescheveuxdesonvisagehumide.Dis-moi.Elle s’échappadu confort de ses bras, se détourna et essuya sonvisage sansvergogne avec la
manchedesonpeignoir.Ellesavaitcequ’ilvoulait,maiselledevaitd’abordtoutluiexpliquerpourluiprouverquesesraisonsneserésumaientpasàuneespècedelubieinsignifiante.Peut-être,alors,qu’ilneladétesteraitpasautantquandildécouvriraitcequ’elleétaitcenséefaire.
—Iln’yavaitrienpourmoiàWhitechapel.HonoriaétaitavecBlade.EtCharlies’installait.Nousétionsextrêmementproches,maisiln’aplusvouluévolueràmescôtéslorsqu’ilestdevenuunsangbleu.Et ensuite…(Savoix sebrisa et elle s’empressad’ajouter :)Tuesparti.Etpluspersonnenedésiraitmaprésence.J’aipenséquesi jeretournaisdanslasociété, leschoseschangeraient.C’étaitdanscebutquej’avaisétéélevée.Lavied’Honoriaatoujoursétécentréeautourdenotrepèreetdeleurs travaux,maismonenfanceàmoin’aétéqu’unesuccessionde leçonsdesavoir-vivre.QuandpèreestdécédéetquenousavonsétéforcésdenouscacheràWhitechapel,j’étaissurlepointdefairemesdébuts.C’étaitlapériodelaplusheureusedemavie.(Savoixs’estompa.)Jevoulaisseulementyretourner.Encetemps-là,toutlemondelouaitlecharmeetlabeautédemasœur.Ellen’avaiteuquedebrefs aperçusde l’Échelon,mais ils avaient suffi à alimenter sondésir ardent d’en fairepartie.Malheureusement,elleavaitvutoutçad’unœilinnocent.Whitechapell’avaittransformée.Ellen’étaitpluscettejeunefillenaïveavecdesétoilespleinlesyeux.Iln’yavaitpasderetourenarrièrepossibleetilluiavaitfalluuncertaintempspours’enrendrecompte.Onnevoitpaslapourriture,audébut.Leomeparrainait,toutlemondeétaitabsolumentcharmantetdistingué.Biensûrqu’ilsl’étaient.Ilsattendaientquelquechosedemoi.Onm’aproposétroiscontratsd’esclavagedèslapremièresemaine.J’étaisfollementexcitée.
—Tunelesasjamaisacceptés.Il lui était impossible de se tourner pour lui faire face. Elle croisa les bras sur sa poitrine et
secoualatête.
—L’und’eux,LordRamsay,m’ainvitéeàunepetitepromenadedanslejardin.Jesavaiscequ’ilprojetait.Iln’estpasrarequ’unefemmeoffresonsangavantlasignatureducontrat.(Ellebaissalavoix.)Jen’aipaspu.Plusj’ypensais,plusçamedérangeait.Jen’arrivaisplusàrespirer.Je…jenepensaisqu’àColchester.Danslaruelle.J’étaistellementàcranqueLordRamsaym’agiflée,puisLeoestarrivé,etilm’aramenéeàlamaison,et…
Willglissasesbrasautourdesataille.—Nepleurepas,Lena.Merde.Évidemment qu’il ne voulait pas la voir sangloter sur sa chemise. Elle essaya de sécher ses
larmes.—Jesuisdésolée.Jenepeuxpasm’enempêcher.Jesuisdésolée.—Tun’espaslaseulequidevraitêtredésolée.Desparolessinistres,teintéesdemenace.Ilcaressasahanche,sataille.—Jedétestetevoirpleurer.—Vraiment?chuchota-t-elle.Ildessinadescerclesdouxsursahanche,silégersquelegestedevenaitpresquehypnotique.Elle
sesurpritàsedétendresoussescaresses.Lemondebasculaquandillasoulevadanssesbras.Elles’agrippaàsesépaulesetentrouvritla
bouche.—Will?Illaportajusqu’aulit.—Tufrissonnes.Elles’enrenditcompte.Lafraîcheurde lapièce,ainsiquesessouvenirs, faisaient tremblerses
lèvres. Elle enfouit son visage dans son cou, ferma les yeux et inspira son parfummusqué. Il ladéposasouslesdrapsetrabattitlescouverturessurelle.Puisilseredressa.
Net’envapas.Commepourposerunequestionmuette,ellesaisitleboutdesesdoigts.Willhésita.—C’estpasconvenable.Etjesuismouillé…—J’aifroid,murmura-t-elle.Ettuessichaud…s’ilteplaît.—Machemiseesttrempée.—Alorsretire-la.Unelueursombreet implacables’allumadanssonregard.Ilprituneviveinspiration.Sesyeux
dorésbrillaientdanslapénombredelanuit.Lechasseur?Oulaproie?—S’ilteplaît,répéta-t-elle.Rienqu’uninstant.Justepourréchaufferlesdraps.L’indécisions’exprimasursestraitsetlemoments’étira.—Dis-m’enplus,finit-ilpardireenenlevantsongilet.Dis-moidansquoitut’esimpliquée.Lenaroulasurlecôtétoutenl’observant.Lalueurdelalampeàgazsoulignaitlacourbedeses
largesépaules.Sesyeuxétincelaientaumilieudesonvisagesombre.UnevaguedechaleurréchauffaLenadel’intérieur.Willretirasontee-shirt.LestétonsdeLenase
mirentàdurciretfrottèrentcontrelasoiedesachemisedenuit.Ellesesentaitlaide,levisageetlenezhumides,maisellenepouvaitpasplusdétournerlesyeuxquesesoumettreàunsangbleu.
LalumièrequibrillaitsurlapeaumoitedeWillaccentuaitl’ondulationdesesmuscles.Ilôtasesbottesetrelevalesyeux.Sescheveuxmouillésluiarrivaientpresqueauxépaules.
Beaucouptroplongsetindisciplinéspourcorrespondreauxcritèresduchicetdelamode.MaisdouxJésus,commeellemouraitd’envied’ypassersesdoigts,deletoucher!
L’anticipationet lanervosité luidonnèrent lachairdepoule.Ellen’avait jamaisvud’hommeàdeminu.Ellesetortilla,surpriseparlasensationpeufamilièredechaleurhumideentresescuisses.LelitployasouslepoidsdeWill.
—Commenttulesasrencontrés?—Rencontrés?(Ellerelevalatête,perduel’espaced’uninstant.)Leshumanistes?Wills’allongeasurledosetposasatêtesursesbras.—Oui.Lenaserapprocha.Sachaleurcorporellesurlesdrapsfitnaîtreundélicieuxfrissondanssondos.
Ellen’avaitpasressentiàquelpointelleavaitfroid.— J’en connaissais déjà un,mais j’aimis du temps à comprendre dans quoi il était impliqué.
Jusqu’àcequecesoitnécessaire.—Quiça?—Tun’aspasbesoindelesavoir.Elleserapprochapoursepelotonnercontreluiettenditunemainavechésitationpourlaplacer
sursontorse.Willseraidit.Maisilnes’écartapas.Lenachoisitd’interprétersongestecommeunepermission.
Elleseblottitcontreluietposadoucementsatêtesursonbras.Sachaleurétaitexquise.—Lena,jenepeuxpasteprotégersitunemedispastout.—Ilm’asauvélavie,Will.C’estluiquiafaitfuirColchester.Etpuisilm’asortiedelaruelleet
m’alaisséepleurersursonépaule.(Ellesecoualatête.)Jenepeuxpasletrahir.Jeluidoisplusquetunelesaurasjamais.
Will roulasur lecôtépour lui faire face.La têtedeLenaglissaaucreuxdesoncoudeetcettepositionremitdeladistanceentreeux.LesouffledeWilleffleurasonvisage.
—Mandeville.—Commenttu…—Jem’ensuistoujoursdouté.—Jet’enprie,murmura-t-elle.Nefaisrien.Jeneveuxpasqu’illuiarrivedumal.Ilm’aoffert
unemploi,Will.Ilm’asortiedelamisèreetilaprissoindemoicommesij’étaissafille.LeregarddeWills’assombrit.—Etoùétaittafichuesœurdanstoutça?—Jeneluiaijamaisdit.(Quandils’agitapourprotester,elleposaundoigtsurseslèvres.)Tune
saispascequ’onavécu.Jenepouvaispas.Nousnousépuisionsàlatâchejustepourpouvoirnousnourriretnousloger.Charlieétaitmaladeetmanifestaitlespremierssignesduvirus.Jenevoulaispasêtreunfardeau.(Sesyeuxs’embuèrent.)Etonsedisputaittellementquejenepouvaispasluidire.
Les larmes coulèrent sur ses joues. Elle ne pensait pas en avoir encore en réserve, mais ils’agissaitd’unevieilleblessurequ’ellepensaitrefermée.Honoriaavaitfaitlapaixavecelleetmisunterme à leurs conflits incessants,mais elle n’avait jamais su cequi lui avait causéun ressentimentaussicuisant.Lenas’étaitsentieseule,furieuseeteffrayée.
Willl’attiracontrelui.Lenas’agrippaàsesbras.— Je fais n’importe quoi, tenta-t-elle de dire,mais les sanglots déformaient sesmots. Je suis
désolée.—C’est pas toi qui devrais être désolée, dit-il d’une voix sombre. Ta satanée sœurmériterait
qu’onluitordelecou.QuantàColchester…Ellerelevalesyeux,enalerte.—Tuaspromisquetunel’approcheraispas.
—C’étaitavantdesavoircequ’ilafait.(Unhorriblepetitsourireétiraseslèvres.)Siçapeutteconsoler,ilestplusaussibeauqu’avant.
—Oh,Will,qu’as-tufait?—Jeluiaienfoncélatêtedansunevitrineoudeux.Cetteimageluiprocuraunfrissondehaine.Puisellesecoualatête.—Tun’auraispasdû.Ilnel’oublierajamais.Ilviendrasevenger.Illuicaressalégèrementlajoue.—J’espèrebien,murmura-t-ilprèsdesonoreille.Ellepritlentementconsciencedelasituation.Leslèvresduloup-garoueffleurèrentsonsourcil.
Lenasefigeaetsoncœurs’emballa.—Will?Ellerelevalatête.Laminesombre, ilsemblait réfléchir. Il lui frôla levisageetpritsonmentondanssamain.Sa
bouches’approchadangereusement.Puisilsepenchaetl’embrassa.Ses lèvres étaient chaudes et hésitantes. Lena déglutit ; son cœur battait sourdement dans ses
oreilles.Elleavaitlapeaudesjouestendueetdesséchéeparseslarmes,maiselles’enmoquait.Ellerestaimmobile,n’osantrespirerdepeurdevoirsonrêves’évanouir.
Commes’ilavaitsentisonhésitation,Wills’écarta.—Non,chuchota-t-elleenattrapantunepoignéedesescheveux.Net’avisepasdet’écarter.Lapeurdeleperdreanéantitsesinhibitions.Danslapénombre,saboucheseposasurlasienne.
Elleplongeasesdoigtsdanssachevelureets’appuyalascivementcontresoncorps.Elle sortit le bout de sa langue pour caresser la sienne, ce qui lui arracha un petit hoquet. Il
s’empara de ses fesses et plaqua Lena sous son corps ferme sans laisser le moindre centimètred’espace entre eux.Une nappe de chaleur l’enveloppa. Elle releva les hanches spontanément et cegestearrachaunnouveauhoquetàWill.
Doux Jésus, c’est le paradis.Elle envoulait plus.Elle voulait qu’il capture sa bouche, qu’il laprenne, ici et tout de suite. Mais l’incertitude persistait dans sa façon de lui pincer gentiment leslèvres.
S’il s’écartaitdenouveau…ça la tuerait.Lenapassa sesbras autourde ses épauleshumidesetglissa sa languedans sabouche. Il secambrapourpouvoirpresser seshanchescontreelle toutencontinuantdel’embrassermalgréleurdifférencedetaille.Lena,haletante,léchaavidementsaboucheetcaressalapeaudoucedesondosd’unemainbrûlante.
Willluisaisitlespoignets,l’aplatitsurlematelasetretiraseslèvresdessiennes.—Non,fit-il.Lenaseraidit.—J’enaiassezd’entendreça.Bonsang,Will,tusaisquejemefichequetusoisunloup-garou.
Jetel’aiprouvé!Ilseredressaets’assitsursesgenoux.—C’estpasleseulproblème.—Tuneveuxpasdemoi?Ellepassaunemainsursesseinsetéprouvasestétonsgonfléssousletissufindesachemisede
nuit.—Onsaittouslesdeuxquecen’estpasvrai.
LaminedeWills’assombrit.Ilroulaversleborddulit.Comprenantsonintention,ellepassasesjambesautourdesatailleetroulaaveclui.Elleseretrouvacommeparenchantementàcalifourchonsurlui.Willrelevalesyeux,surpris.Elleprofitadesonavantagepourlepousseràplatsursondos.
Avec sa puissance, aucune force terrestre n’aurait pu l’immobiliser s’il voulait résister. Elleplaqua ses poignets sur le lit d’un geste désespéré, puis se rendit compte qu’il n’opposait aucunerésistance.Sonregardétait rivésursapoitrine.Ouplutôtsur leboutonmanquantdesonvêtement,quiavaitdûsedétacherpendantlalutte.
Ellefitglissersesmainssurlesmusclessculptésdesesbras,seredressaetlesposasursontorse.Elledutajustersaposition,gênéeparsaboucledeceinturequis’enfonçaitdanslachairdesacuisse,etgrimpasur labossedesonpantalon.Elle s’yconnaissait suffisammentpourcomprendrecequecelasignifiait.
Tousdeuxsefigèrent.—Jepourraistefairemal.Ellesepenchapoureffleurerseslèvresaveclégèreté,d’ungestetaquin.—Jenepensepas,souffla-t-elle.Quandelle lécha sabouche avantde l’aspirerdans la sienne, elleperçutungoût cuivré sur sa
langue.Dusang.Sonsang.Ilavaitlalèvrecoupée.Ilenfonçasesdoigtsdanslachairtendredesescuissesetprituneinspiration.Sonérectionpressa
contreelle.Lenasefigea,lecorpstraversépardesétincelles.Quellesensationdélicieuse.Parcourued’unlégerfrisson,ellerouladenouveauleshanchespoursefrottercontrelui.
LeregarddeWillsevoila.—Tucomprendspas,dit-ild’unevoixsifflante, lesoufflecourt.Jepeuxpluspenser.Quandtu
faisça.Bonsang.(Illaserracontrelui.)Arrête,Lena.Lenarenversalatêteetrépétasonmouvement.—Pourquoivoudrais-tuquej’aieenvied’arrêter?Elle écarta légèrement les jambes. Ses sous-vêtements étaient humides.C’était tellement bon…
tellementnaturel.Etçalerendaitfou.Ilretroussaleslèvresetmontralesdents.—Jevaistefairemal.Jepeuxpas.Sesmains,enrevanche,nesemblaientpasdumêmeavis.Ilempoignamaladroitementl’ourletde
sachemisedenuit.—Merde.Lenaseblottitdenouveaucontreluietlasensationluiarrachaunpetitgémissement.Unsondesoiedéchiréeluifitrouvrirlesyeux.Lefroiddelapiècepénétrasoncorpsetellevit
Willarrachersachemisedenuitensoncentre.—Will!Ilsepenchaenavant,luimorditleslèvresetluisaisitlesbras.Cettefois,iln’yavaitplusaucune
hésitation dans ses gestes. Il s’empara brutalement de sa bouche. La chemise de nuit de Lena,descenduesursesbras,retenaitcesdernierscontresoncorps.Ellevoulaitletoucher,caresserlapeaudoucedesesbiceps,maiselleétaitbloquée.
Sa poitrine était exposée et les poils du torse de Will frottaient contre ses tétons sensibles.Submergéeparlessensations,elleperditlanotiondutempsettoutsensdesconvenances.Fermementpelotonnéecontrelui,elleenroulasalangueautourdelasienneetsesbaisershésitantsetappliquésfirentplaceàuneaviditédébridée.EllelibérasesbrasdesachemisedenuitavecungémissementetlespassaautourducoudeWill.
Sonmembre ferme et énorme appuyait contre elle.Will luimordit la lippe puis lementon etglissa ses lèvres sur sagorge.Lena rejeta la têteenarrièreengémissantdeplusbelle tandisqu’ilcontinuaitdemordillersapeauenfeu.
—Maparole,cequetusensbon,grogna-t-il.Lena se cambra et enfonça ses doigts dans ses cheveux soyeux. Il posa la bouche sur son
mamelongonfléetlemordilla.Lenaécarquillalesyeuxetseshanchesremuèrentinvolontairement.C’étaitundélice.Soncorpss’embrasa.Les flammes léchèrent sonventre, sonbas-ventre…ellenepouvait plus semaîtriser. Son corps semblait obéir à une force étrangère.Une créature déchaînéesoumiseàsesdésirsexaltés.Ellepressasonseindanssaboucheetpassasesonglessursesépaules,danssescheveux.Elles’agrippaàsesmèchestandisqueleslèvresdeWillsemaientdesbraisessursoncorps.
Elle croisa son regard ambré et sauvage quand il pencha la tête en arrière pour sucer la peautendredesagorge,avantd’enfoncersesdentsdanslacourbedélicatedesonépaule.Lenalâchaunpetitcriets’emparad’unedesesmainspourlaglisserplusbas,sursacuissepuissoussachemisedenuit.Ellevoulaitqu’illatouche.Elleavaitbesoinde…quelquechose.
Ellesetortilla,prisedansuntourbillondeconfusionetdedésir,etsesmainsplongèrentdanssonentrejambe.
—Net’arrêtepas,murmura-t-elleenfourrantsesdoigtsdanssescheveux.Elleapprochaitdequelquechose…ellenesavaitpasquoiaujuste,maiss’ils’arrêtaitmaintenant,
elleletuerait.Unbruyantcliquetisvintperturbersaconcentration.Willseraiditetsesdoigtss’immobilisèrent.Lenaattiradenouveausonvisageàelleensecouantlatête.—Cen’estqu’undrone,susurra-t-elleenléchantsalèvre,oùellesentitunenouvellefoislegoût
dusang.Undomestique.—Lena.(Illuisaisitlespoignetsets’écarta.)Lena!—Net’envapas.—Jesuisdésolé.(Ilrelevalesyeuxverselle, lavoixrauque,lesprunellesrempliesd’undésir
sauvage.)C’étaituneerreur.L’anticipationdisparut.Lenaluisaisitlamainquandilreculapourseredresser.—Pardon?—Uneerreur,répéta-t-ildurementenlaforçantàlelâcher.Un coupdepoing lui aurait faitmoinsmal.Elle tira les pans en lambeauxde sa tenuedenuit
contreellepoursecouvriretledévisagea,lapoitrinecompriméeparledésespoir.Ilnepouvaitpasluifaireçaencoreunefois!
Ils’écartadulitetenfilamaladroitementsachemise.—Jedoisyaller.Cettelueurinsenséebrillaittoujoursdanssesyeux.—Will,chuchota-t-elleens’agrippantàsonvêtementdéchiré.Tun’espasobligé.Personnene
nousentendra.Personnenesaura…Leregardqu’illuijetaétaitbrutetabattu.—Jedoisyaller.Jesuisdésolé.Puisildisparut.Leventetlapluiesemirentàtournoyerdanslapièceetunéclairtombanonloin.
1.«Moncœur»engaélique.(N.d.T.)
15
—Quelquechosetetourmente?demandaBlade.Willdonnaunnouveaucoupdepoingdanslesacdesable,cequiarrachaungrognementausang
bleu.Ilenchaînaavecunecombinaisongauche-droite-gauche,lesdoigtsenfeu.—Absolumentpas, rétorqua-t-il endélivrantunuppercutqui fit reculer le sac– etBlade–de
cinquantecentimètres.—Attends.(Bladelevaunemain,lesoufflecourt.)Laisse-moiuneminute.Çafaituneheureque
tueslà-dessus.Toutlemonden’apastonendurance.Willsepassaunemaindanslescheveux.Ilétaitàpeineessoufflé.Ettoujoursàcran.Lesouvenir
du petit corps souple de Lena était imprimé sur sa peau. Il avait passé la nuit avec une érection,incapabledeseconcentrersursonboulot.Ripavaitarpentélestoitsdescoloniesavecluipourgarderunœilsurlesrues.Soncompagnonavaitfiniparluisuggérerdesepayerlesservicesd’uneputeetdeseremettreàlatâche,avantdes’éloigneravecunemouededégoût.
Non, pas de femme. Ce n’était pas pour lui. Il n’aurait jamais dû aller retrouver Lena la nuitdernière.Nicéderàlatentation.
Ildevaitévacuerlapressiondelaseulemanièrequ’ilconnaissait.Unemanièresûre.—Onsefaituncombatsurlering?—Absolumentpas, réponditBladeen relevant lesyeux,pliéendeux, lesmainsposéessurses
genoux. Je sais pas ce qui t’amis dans cet état, cematin,mais j’ai pas l’intention de goûter à tespoingsaujourd’hui.
Willpivotaets’emparadesaserviettedetoilette.Ildénouasoncoletpassalaservietteautourdeson cou. Il brûlait de demander conseil à sonmaître.Mais ce dernier avait ses propres soucis.Ladernièrechosedontilavaitbesoin,c’étaitqueWillluiavouequ’ilavaitfailliperdrelatêtelaveilleetcoucher avec la sœur de sa femme. Ou qu’il lui parle de la lettre étrange que Lena avait en sapossessionetdelamenacedeColchester.
Aucund’euxnepouvaitsepermettred’impliquerBladedansunaffrontementavecl’Échelon.Blade écarta ses cheveux brun clair de son visage. Grâce au sang vacciné de Honoria, ils
semblaient s’assombrir un peu plus au fil des jours.Will se renfrogna. C’était vers lui queBlades’étaittournéquandilavaitcraintd’êtresurlepointdesetransformerenvampire;c’étaitluiquiétaitcensé le tuer avant que ça arrive. Il ne pouvait que remercier Honoria de lui avoir épargné cettelourdetâche,maisunautreproblèmeseprofilaitdésormais.
Lesangbleuseredressaetpoussaunsoupir.—Meregardepasaveccetair-là.D’accord.Unpetit combat.Maisneconfondspas : c’estpas
moileresponsabledetessouffrances.
Will retira sesbottesetmonta sur lamoquettedouce,puis jeta sachemisesurunechaise touteproche.Bladel’imitapuisfrottasesarticulations.Willavaitbeaudépassersonmaîtred’unetrentainedecentimètres,cedernierétaitmince,muscléetsurtoutd’unerapiditéimplacable.Ilconnaissaittouslesmouvements,touteslesruses,etilneportaitplusaucunetraceducoupdecouteaudontilavaitétévictime.Levirusavaittotalementguérisaplaie.
—Jet’aipasbeaucoupvu,cettesemaine,déclara-t-ilenbrandissantsespoings.—J’étaisoccupé.Bladefitunpasenavantetdélivrauncrochetdudroit,queWillesquivad’uncoupdetête.—Commentelles’appelle?D’aussiloinquejemesouvienne,jet’aijamaisvuavecunefemme.—Etceserapasdavantagelecasaujourd’hui,répliquaWill.Il évita un enchaînement retors et abattit son poing sous la garde deBlade. Celui-ci recula en
serrantlesdents.—D’accord. Tu voudrais me faire croire que tu n’as aucune raison d’être plus tendu qu’une
arbalète?Ilnepeutyavoirqu’unefemmelà-dessous.Willparaàunnouveaucrochetdudroitetreçutuncoupfrancdesonpoinggauche.Lecoupfit
basculersatêteenarrière,maisBlademanquaitdelaforcequ’ilpossédaitautrefois.Àpeinequelquesannéesplustôt,cedernierétaitcapabledelemettreautapisàchaquecombatoupresque.Désormais,ilavaitdelachancesiçaluiarrivaitunefoisparmois.
Leloup-garousecoualatêteetévitalepiedqueBladeprojetadanssadirection.Ilplongeaversl’avant. Son épaule heurta l’estomac deBlade et il le saisit à bras-le-corps. Ils s’effondrèrent tousdeuxausol.
Lesangbleubloquasesjambesautourdesatailleetlefitbasculer.Willreçutunnouveaucoupenpleinvisageetilsentitlegoûtdusang.IlrepoussaBlade,roulasursespiedsets’essuyalabouche.
—Tuteramollis.BladeplissalesyeuxetenfonçasonpoingdansleflancdeWill.LespoumonsdeWillsevidèrent
etilévitadejustesselecoupsuivant.—Moi,ramollo?Willrelevalesyeux.Sonpoulsbattaitdanssesoreilles.—Tudevraisarrêterdeboire son sang,déclara-t-ildans le silence soudainqui s’abattit sur la
pièce.—Qu’est-cequeturacontes?demandaBladeenbaissantlesmains.Maudissantsonélanirréfléchi,Willsecoualatête.—Rien.—Si,si.Tusaistrèsbiencequetuvoulaisdire.(Bladeregardaledosdesesmainsetétirales
doigts.)Mapeaus’assombrit.Mescheveuxaussi.Etjem’affaiblis.Jem’affaiblisetjemeramollis.(Illaissaéchapperunrireetserecoiffa.)Ilyatroisans,j’auraistuépourêtreunpeuplushumain.Onditqu’ilfauttoujoursfaireattentionàcequ’onsouhaite.(Ilprituneprofondeinspirationetavoua:)Jeboisjusteladosenécessairepourqu’ellenesedoutederien.Lereste,jeleboisfroid,directementdans le frigo.Honoriapensequemonhématocriteaatteintunpalierets’eststabilisé. (Ilbaissa lesyeux.)Sil’Échelonledécouvre,onestmorts.
Will hocha la tête. La seule chose qui retenait l’Échelon à l’extérieur des colonies, c’était laréputation duDiable deWhitechapel. S’ils savaient qu’il avait une faiblesse, ils fondraient sur luicommeunemeutedeloupsaffamés.
—Tulesaisdepuisquand?
—Unan.Quandj’aicommencéàtebattrerégulièrement,jemesuisposédesquestions,expliquaWill.
—Merde.(Bladetournalestalonsetdescenditduring.)J’airéfléchi.Jedevraispeut-êtrerevenirausangnormalpendantun temps, le tempsquemonhématocrite remonte.Maiscomment ledireàHonoria?Elleestobsédéeparl’idéedetrouverunremède.
Will lui emboîta le pas, lesmuscles toujours tendus. Il aurait voulu se dépenser encore avantl’arrivéedeLenapourleurleçon–sijamaisellevenait–maisilétaitclairqueBladeavaitsadose.
—S’ilyabienunechosequejepeuxpasteproposer,c’estdesconseilssurlesfemmes.Bladeéclataderire.—C’estbienvrai.Il récupérasachemiseet l’enfila.ContrairementàWill, sapeauétait sèche.Lessangsbleusne
transpiraientpas.— Pas la peine de t’inquiéter à propos de l’Échelon, ditWill. Tu n’es plus le seul sang bleu,
désormais.IlyaRipetCharlie.Etmoi.Willretirasaserviette.—Oui,maisl’Échelon,qu’est-cequ’ilvavoir?Unsangbleurenégatavecunbrasmécanique,un
gaminquiluttepourcontrôlersasoifdesangetunebêtequidevraitêtreencage.C’était lavérité,maisellen’enétaitpasmoinsdouloureusepourautant.Willpassa la serviette
autourdesesépaulesets’accrochaauxextrémitésdulinge.—Peut-être.Maisn’oubliepasquetun’espasseul.S’ilsviennents’enprendreàtoi,c’estsurmoi
qu’ilstomberontenpremier.—Tuseraspaslàéternellement.Willseraidit.—Jesavaispasquejedevaispartir.Bladeluijetaunregardentendu.—Tuasbesoindequelquechosedeplus,Will.Jepensequetuesentraindet’enrendrecompte
toi-même.Leloup-garououvritlabouchepourrépliquer,maisBladepenchalatête.Willperçutlesonune
secondeaprèslui.Unbruissementdejuponsdanslesescaliers.—Honoria.(Bladejetaunregardcoupableautourdelui.)Ellenedoitpasêtreaucourant.—Ellen’estpasidiote.—Non,grondaBladeavantdes’approcherdelaporte,maiselledoitpasl’apprendreavantque
j’aietrouvéunesolution.Will se tournaetpassa laserviettesurson torse.Derrière lui, laportes’ouvritet leparfumde
Honorias’infiltradanslapièce.Puisilperçutunelégèrenotedechèvrefeuille.Sonestomacsenoua.Lenaapparutsurlestalonsdesasœur.Elleétaitvenuepourleurleçon.
D’uncertaincôté,aprèslesévénementsdelanuitprécédente,ils’étaitattenduàcequ’elleannule.Consumé par un mélange de culpabilité et de désir, il dompta ses traits et tendit la main pourrécupérersachemise.
—Seigneur,murmuraHonoriaàBlade.C’estdusangsurtesdoigts?—Ouais.Willaoubliéd’esquiver.Leregarddecederniersedirigeaaussitôtderrièrelecouple.Deboutsurleseuil,vêtuedejaune
citron,Lenaavaittoutd’unefemmedelasociété.Sescheveuxétaientartistiquementretenusd’uncôtéde son épaule et dissimulaient lamarque demorsure dans son cou.Un chic petit capotmettait envaleurlesrefletsbrillantsdesacheveluresombre.
Lena baissa les yeux sur le vêtement dans sesmains et son torse nu avant d’avoir la présenced’espritdedétournerleregard.Unpetitsourirefigéétaitplaquésurseslèvrescharnues.Sonmoyendedéfense,songea-t-il.C’étaitsamanièredesedissimulerauxyeuxdumondeetmêmedesaproprefamille.Delui.
Sa confession de la veille lui comprimait encore la poitrine. Il avait envie d’aller trouverColchestermunid’unehache,maislaprotestationplaintivedeLenaletiraillaitauplusprofonddelui.Ill’avaitserréefortcontreluipourdissipersapeine,maiselleétaitintense.
Seule.Elleavaittraverséseuletoutescesépreuves,incapabledeseconfieràsafamilledepeurdecharger Honoria d’un fardeau supplémentaire. Elle conservait ce joli petit sourire bien en place,commesiriennes’étaitpassé,alorsqu’aufondd’ellelaplaies’infectaitetgrandissait.
IlenfilasachemisetandisqueHonoriasehissaitsurlapointedespiedspourdéposerunbaiseraffectueuxsurleslèvresdeBlade.Ilétaittentédel’attraperparlesépaulesetdeluidemanderoùelleétaitquandsasœurétaitentraindeseviderdesonsangdansuneruelle.Ilsavaitquecen’étaitpassafaute ; les circonstances étaient ce qu’elles étaient à cette époque, mais sa fureur n’en tenait pascompte.L’instinctallaitàl’encontredelaraison,etilavaitététroplongtempsréduitàsaconditiondelouppournepasréagiravecsestripes.Ildevaitsortird’ici.
—Oùvas-tu,Will?demandaHonoriaencaptantsonmouvementducoindel’œil.Lesourirequ’elleaffichaitressemblaiténormémentàceluideLena,maisenplusauthentique.—J’aiuneleçonavectasœur.Celle-cirelevabrusquementlatêteetsesjouessecolorèrent.Elleleregardadroitdanslesyeuxet
inclinalementonavecunméprisglacial.Froide.Intouchable.Insouciante.Unetouched’offenseacidealtéraitsonparfum.
—Neveux-tupasensavoirplussurcettelettrequetum’asapportée?demandaHonoria.J’aiunpeuavancédansledéchiffrageducode.
La brève rougeur qui était montée aux joues de Lena disparut et elle écarquilla le regard,incrédule.
—Plustard,répondit-il.Aprèsmaleçon.HonoriamurmuraquelquechoseàBladetandisqu’ilsedirigeaitverslaporte.Lenas’écartade
sonchemin,commesiellecraignaitqu’ilnelatouche.Troptardpourça,mabelle.Ilavaitposésesmains,seslèvresetsesdentssurtoutsoncorps.
Etçanedevaitpassereproduire.Sa présence lemettait à cran etmenaçait de le faire exploser. Elle était trop dangereuse, trop
attirante.Lanuitprécédente,quandl’élandesapassions’étaitestompé,ilavaitdistinguélesmorsuresetlesbleussursapeaupâle.Quandilsétaientdansunétatpareil,lesloups-garousétaientcapablesdetraverserdesflammesetdeperdreunmembresansmêmes’enrendrecompte.Unevéritablefureursauvagelespoussaitàcommettredesactesdontilsnesesouvenaientpas,etqu’ilspouvaientencoremoinscontrôler.
Iln’yauraitriendepirequedevoirlesangdeLenasursaproprepeau.Oulapeurdanssesyeux.Malgréledésirqu’iléprouvaitpourelle–qu’ilavaittoujourséprouvépourelle–ilnesefaisaitpasconfianceàlui-même.
Ensuite,ilyavaitlamenacedesonvirusproprementdit.Ilprituneprofondeinspirationetluioffritsonbras.—Tuviens?Voilà tout ce qu’il obtiendrait d’elle désormais. Des contacts furtifs et des regards volés.
Accompagnésparladouleurdésespéréedanssapoitrineetdanssonsexe.
—Biensûr.Elleposadélicatementleboutdesesdoigtsgantéssursonavant-brasetluiemboîtalepas.Ilsn’avaientpasfaitdeuxmètresqueLenaretiravivementsonbrasetpivotapourluifaireface.—Tuluiasdit?—Pasici.Bladepourraitlesentendre.LacolèreraiditlesépaulesdeLena.Ellesoulevasonjupond’unemainetleprécéda.—Où,alors?Ilposalamainaubasdesondostoutenréfléchissantetlaguidaverslacuisine.—Danslejardin.Attends-moilà-bas.J’aiquelquechosepourtoi.Elleluijetauneœilladenoireetméfiantepar-dessussonépaule.—Qu’est-cequec’est?Onperduntempsprécieux,Will.Tut’enesbiensortil’autresoir,maisil
yacertaineschosesquejeveuxrevoiravectoi.—C’estimportant.Aprèsunnouveauregardpénétrant,ellelevalesmainsetsoupira.—Pourquoipas?Valechercher.Plusviteonaurafini,plusvitejepourrairentrerchezmoi.Je
doismepréparerpourledînerqu’organiseLeo.Laveille, il l’avaitblessée.Délibérément.L’espaced’un instant, ilenvisageades’approcher,de
luisaisirlepoignetetdeluidirequ’ils’étaittrompéetqu’ilregrettait.Deleversonvisageversluietdel’embrasserjusqu’àvolertoutl’airdesespoumons,desentirsoncorpsfondresoussescaresses.
Maispeut-êtrevalait-ilmieuxqu’ellesoitencolèrecontrelui.Dansleurintérêtàtouslesdeux.Ilattenditqu’elleaitprisladirectiondujardinpourmonteràl’étageetrécupérerlapetitebourse
qu’ilavait laisséedanslesalondeBlade.Àsonarrivéedanslejardin,Lenafaisait lescentpas, lesbrascroisés,l’airpensif.
Dèsqu’ellel’aperçut,sonexpressiondisparutcommesiellen’avaitjamaisétélà.Ellejetaunœilàlabourseavecunhaussementdesourcilsméprisant.
—Jenepeuxaccepteraucunobjetpersonnel.Cen’estpaslegenredechosequ’unhommeoffreàune femme qu’il ne courtise pas. (Son ton devint glacial.) Nous ne voudrions pas commettre denouvelleserreursetnousméprendresurnosintentions,n’est-cepas?
Danscesdispositions,c’étaitpeut-êtredusuicidedeluidonnerunpistolet.Ilsemorditlalangueetsortitunepetitepochetteentoiledejutedusacencuir.—Jet’aiachetéça.Jen’aipasfinidelebricoler,maisplustôttuapprendrasàt’enservir,mieux
çavaudra.—Qu’est-cequec’est?Il ouvrit la pochette.Le pistolet étincela sous les faibles rayons du soleil qui se reflétaient sur
l’incrustationdenacrepourcréerunedemi-douzainedepetitsarcs-en-ciel.—Unpistolet?dit-ellebêtement.Tumedonnesunpistolet?Illuipritlamainetydéposalacrossedel’armeavantderefermersesdoigtsdessus.—Suffisammentpetitpourtenirdanstonréticule.Tuasdéjàtiré?—Nesoispas ridicule, répliqua-t-elleenouvrantdegrandsyeux.Pourquoidiablevoudrais-tu
quejemesoisdéjàservied’unpistolet?—Honoriasavaits’enservir,elle.—Pèreluiavaitappris.Pourmoi,iln’avaitpasletemps.WillpassasonpoucesurlesmainsgantéesdeLena.
—Pourquoi?—Jen’étaispasassez intelligentepourcomprendre son travailou lamoitiédecequ’ildisait.
C’étaituncélèbreinventeur.Nousn’avionspasgrand-choseencommun.—Tuesintelligente.Regardecequetufaisavectesmécanismes.—C’estunpasse-tempsinutile.(Ellebaissalepistolet.)Çanel’auraitpasimpressionné.Ilaurait
étécapabledefairelamêmechoseenmoitiémoinsdetemps.Tunecomprendspas.—Vraiment?Letoncalmequ’ilavaitemployéluifitreleverlesyeux.—Moi,j’enseraisincapable.Jet’aisouventregardéequandtujouaissurletapis,avectoutesles
pièceséparpilléesautourdetoiàessayerdelesassemblercommeunpuzzle.Çam’impressionnait.—Oui,maistuasd’autrestalents,répondit-elle.Ellesemblaitavoiroubliéqu’ilétaitencoreentraindeluicaresserlamain.—Tuesfortet tun’aspeurderien.Tupeux tuerunhommeàmainsnues. (Une lueursombre
passadans ses iris.Desombresqui firentdresser lespoilsdeWill.)Tupeux tuerunsangbleu. Jet’envie,tusais?
—Aveccepistolet,toiaussitupeuxêtreforte.Neplusavoirpeur.Sarancœursedissipait.Elleobservalepistoletavecunœilneuf.—Tucroisquejepourraiséliminerunsangbleuavecça?Iltentad’ignorercequesesparolesattisaientaufonddelui.—Oui,quandj’auraifinideletrafiquer.Jevaislemodifiercommetonpèrel’afaitavecl’arme
deHonoria.Ellem’aapprisàfabriquerdesmissilesdefeu.Je lesaidéjàvusexploser la têted’unsangbleucommeunepastèquepourrie.
Lenaréprimaunfrisson.—Çaparaîtredoutable.—Etunseulcoupsuffit.Uneétrangelueurs’allumadanslesyeuxdeLena.Ellesereprésentaitlascène.Elleimaginaitla
têtedeColchesterentraind’éclatertandisquelafumées’échappaitducanondel’arme.—Apprends-moi,demanda-t-elle.Willsetournaverslejardin.Lesmursquil’entouraientétaientenbriqueetatteignaientlesdeux
mètrescinquantedehaut.Minou,lechatgaleuxquiconsidéraitBladecommesonserviteur,flânaitaupieddumursanslesquitterdesonhorribleœilvert.
Du lierre recouvrait deuxmurs entiers et uneporte en fer était encastréedans lesbriques.Despetits pots de fleurs et d’herbes variées apportaient un peu de chaleur à l’endroit, signe queEsmeessayaitdetransformerlerepaireenunsemblantdefoyerfamilial.
Ilfitrouleruntonneaudevincontrelemurlepluséloigné,puisallarécupérerl’unedesvieillesbouteillesdelaitqueEsmeavaitsortiespourleramassagedesordures.
—Là,dit-ilenlaposantsurletonneau.Onvas’entraîneravecça.—Lespassantsnevont-ilspass’inquiéter?—Dans les colonies ? (Il haussa un sourcil.) Quand les gens entendront des coups de feu au
repaire,ilsferontdemi-touretdétalerontdansl’autresens.Ilsneserisquerontpasàseretrouveraumilieuduchaos,quelqu’ilsoit.
Lenapointalepistoletendirectiondutonneau.—Commentoncommence?—Enmettantdesballes,répondit-il,incapablededétournersonattentiondelajeunefemme.
C’était lui qui avaitmis ce sourire sur son visage, qui avait chassé les ombres de ses yeux. Ilplongealamaindanssapocheetenressortitunepoignéedeballes.
—Etenapprenantlafonctiondechaquepartiedumécanisme.LalueurfarouchequibrillaitdansleregarddeLenaétaitenivrante.Ildéposamaladroitementune
balle dans sa paume. Elle ne semblait pas avoir conscience de son essoufflement. Elle examinaitl’arme comme si elle se demandait quoi en faire. Il ne l’avait jamais sentie aussi vivante, aussipassionnée,sauflaveilledanssachambre.Commedébordanted’allégresse.
Sanslamoindrepeur.Ilauraitvoulumaintenircette lueurdanssonregardpour toujours.Colchesteravaitmenacéde
l’éteindre,maisilnelelaisseraitpasfaire.Illetueraitavant.Lenasemblapercevoirsonregardetrelevalatête.—Quoi?Il était encore loin d’être pardonné. Peut-être ne le serait-il jamais.Will déglutit et désigna le
pistolet.—Tuletienspascommeilfaut.Laisse-moitemontrer.Illaprotégerait.Ouilluiapprendraitàseprotéger.DeColchester,dumonde.Delui-même.
Honoriarepoussases jupessur lecôtéetsenichasur lesgenouxdesonmari.Blades’enfonça
danslefauteuilenl’observantavecunregardentendu.—Qu’est-cequetumijotes?murmura-t-il,unsourireauxlèvres.—Rien,répondit-elleenjouantavecsoncol.Elleglissaundoigtsursachemiseettentadegarderunairinnocent;latexturedutissuchangea
et le velours rêchede songilet remplaça la soie.L’amourdeBladepour les couleurs et les tissusvoyantsneluiétaitjamaispassé,malgrél’influencequ’avaitessayéd’exercerHonoria.Etfinalement,elle s’y était faite.Alors qu’à une époque ses gilets rouges brodés lui arrachaient des grimaces etqu’elle se demandait qui pouvait bienporter des choses pareilles, la vue lui en était devenue aussifamilièrequecelledesonvisage.
Etpuislatexture,lasensationduveloursetdesfilsdebroderierugueuxcontresapeau…c’étaitunesensationqu’elleavaitapprisàadorer.
—Vraiment ?gronda-t-il en lui serrant lepoignet. Je saisquand tumanigancesquelquechosedanstonpetitespritsournois.J’entendspresquelesrouagestourner…
Uneexplosiontransperçalesilence.Honoriabasculasurl’accoudoiretBladeseprécipitaàlafenêtre.Ilrenversaleserviceàthéetla
porcelainesefracassaausol.—Quesepasse-t-il?s’écria-t-elleenpiétinantlesdébris.Est-cequ’onsefaitattaquer?Blade écarta le rideau de la fenêtre de son laboratoire, le visage tendu, lamain posée sur les
rasoirsqu’ilportaitàsaceinture.Puisilcollalenezàlavitreetfronçalessourcils.—Çaalors!Un nouveau coup de feu retentit. Honoria bondit sur ses pieds et se rua à ses côtés. Blade se
détenditetlerythmeerratiquedesoncœursecalma.S’ilnes’inquiétaitpas,alorsellenonplus.Ellefaisaitconfianceàsesinstincts.
—Qu’est-cequec’est?
Elle sehissa sur lapointedespiedspouressayerdedistinguerquelquechose.Le rebordde lafenêtre appuyait contre son ventre et la gênait. La faute aux nombreuses petites crêpes qu’elles’octroyait ces derniers temps.Après lesmois de famine qu’elle avait subis pour pouvoir nourrirLenaetCharlie,Blades’étaitdonnépourmissiondel’engraisser,avecsuccès.Laseuleidéequ’elleaitpuunjourenvisagerdevendresonsangauxDraineursparpurdésespoirlerendaitmalade.
Avecunsourireamusé,ilorientaleregarddeHonoriaverslejardinencontrebas.—Ta sœur essaie d’assassiner une bouteille de lait. Je ne sais pas pourquoi, je pense qu’elle
survivra.Honoriaappuyasonvisagecontrelafenêtrepourmieuxvoir.Elledistinguaitàpeineleslarges
épaulesdeWill.SoncorpsétaitrecourbéautourdeceluideLenaetilposaitlesmainssurseshanchespourluiindiquerlapositionadéquate.Illuisaisitlepoignet,branditlepistoletetvisa.Lena,elle,neregardait pas du tout la cible. Elle levait les yeux vers lui, et ses émotions s’exprimaient trèsclairementsursonvisage.
—Oh.Bladelapritdanssesbrasenriant.—Oùenétions-nous?Il reprit sa place sur le fauteuil et installa Honoria sur ses genoux. Elle le chevaucha d’une
manièreindigned’unefemmedesacondition,leregardattiréverslafenêtre.—Mais…— Non. (Il saisit son menton et tourna son visage vers lui. Pour une fois, il paraissait très
sérieux.)C’était tadécisionde les laisser faire, pourune fois.Elle agrandi.Elle est suffisammentadultepourgérerelle-mêmelesconséquences.EttuasditquetufaisaisconfianceàWill.
—Tuluifaisconfiance,toi?demanda-t-ellesansambages.IlconnaissaitWillbienmieuxqu’elleneleconnaîtraitjamais.Bladepassaledosdesesdoigtssursagorge.—Ilneluiferajamaisaucunmal.—Maissiçaarrivaitmalgrétout?Elleneselepardonneraitjamais.—Onenadéjàparlé.(Sesyeuxvertscroisèrentlessiens.)Onadéjàessayédelesséparerune
foisetçaaétéundésastre.(Ilfitunepausepourprendreuneprofondeinspiration.)Jesaisquec’esttasœur,mabelle.Maisjenepeuxpasleperdre.Pasencoreunefois.Etilapasséplusdetempssouscetoitcettesemainequ’ilnel’afaitenunmoiscomplet
—C’estpourleursleçons,répondit-elle.—C’estpourelle.(Ildéposaunbaisersursajoue.)T’inquiètepasautant.Willestunloup-garou.
Ilpréféreraitmourirplutôtquedefairedumalàquelqu’unqu’ilconsidèrecommeétantàlui.—Alors pourquoi tu te méfiais autant, au début ? Pourquoi tu lui as conseillé de garder ses
distances?Unnouveaubaisersurseslèvres.Elleleconnaissaitsuffisammentpoursavoirquandilessayait
dedétournerlesujet.—Blade…avertit-elleenluidonnantunpetitcoupsurlapoitrine.—Riendebiengrave.Justeunevieillehistoirequej’avaisentendue.Honorialuijetaunregardnoiretillevalesmainsensignedecapitulation.—C’estuneloiscandinave.Elleditqu’unloup-garounepeutenaucuncass’accoupleravecune
humaine.Souspeinedemort.—C’esttoutcequetusais?
Ilhochalatête.—Quelle drôle de coutume, dit-elle. Jemedemande bien pourquoi ils ont promulgué une loi
pareille.—Tupourrasleurposerlaquestionsituveux.Elleréfléchit.—Oui,peut-êtrequejeleferai.
16
LachaleurdeWills’imprégnasursapeau.Lenadéglutit,levalepistoletetvisalacibled’unœilabsent. Comment diable pensait-il qu’elle pouvait se concentrer quand il s’appuyait contre elle decettemanière?Nilepanierdesajupenisoncorsetneservaientàgrand-chosepourfairebarrageàsa carrure ferme. Le souvenir de ce corps collé à elle la nuit précédente ne cessait de hanter sespensées.
Sabouchesursesseins,sesdentssursestétons.Sesmainsrugueusesquiglissententresesjambesetsesdoigtspresséscontresaféminité…
—…àtraversleviseurcommeça…là…posetondoigtsurladétente…LesouffledeWilleffleuraitsonoreille.Lenaappuyasurlagâchetteavecunpetitgrognement.Unnuagedepoussièresesoulevacontrele
murdebrique.—T’inquiètepas,murmuraWill.Tuvasyarriver.Elle avait envie de projeter ce fichu engin sur la bouteille de lait. Peut-être qu’alors elle
parviendraitàlatoucher.Avecungémissementdedégoûtetdefrustration,ellepivotasurelle-mêmeetfourral’armedans
lesmainsduloup-garou.—J’enaiassez.Çafaitpresqueuneheureetc’estdepireenpire.—Çavavenir…LaproximitédeWillavaitdepuislongtempsfaitoublieràLenasonenthousiasmepourlepistolet.
Elle ne faisait que lui rappeler la nuit dernière, leur « erreur », comme il l’appelait. La têtecommençaitàluitourner.
—J’ai l’impressiond’avoirattrapéun rhume.Et tunem’as toujourspasexpliquépourquoi tuavaisparlédemalettreàHonoria.Net’imaginepasquej’aioublié.
L’expressiondeWillsereferma.—J’yconnaisrienauxcodesetauxchiffres,moi.—Donctuasimpliquémasœur?Masœuràlacuriositéinsatiablequinepeutpass’empêcherde
fourrersonnezdanslesaffairesdesautres?—Jen’aipaseulechoix.(Unelueurdecolèrepassadanssesyeux.)Situm’avaisditdèsledébut
àquoituétaismêlée,jen’auraispaseubesoind’avoirrecoursàcesmesuresextrêmes.—Alorsc’estmafaute?Willémitunsonétranglé.—Jedispasquec’est ta faute. J’aurais seulementpréféréque tum’enparles.Bonsang,Lena,
j’essaie de t’aider.Tu imaginesma réaction quand j’ai vu cemessage et compris que tu avais des
ennuis?Etquetunevoulaispasm’expliquer?Commentvoulais-tuquejet’aide?—Jenet’aijamaisdemandétonaide.Jepeuxmedébrouillertouteseule.Elletrouveraitbienunmoyenouunautre.Ellecroisalesbras,incapabledeleregarderenface.
Elleluiavaitditcequ’ellepouvait.—Jemeficheque tuveuillesmonaideoupas, tu l’aurasquoiqu’ilarrive. (Il lasaisitpar les
bras,déterminé.)Oùquetuailles,jeveilleraisurtoi.Jelaisseraipersonnet’approcher.NiColchester,nileshumanistes,nilesEngoulevents.
—Alorspourquoies-tuaussidécidéàm’apprendreàmeservird’unpistolet?Laflammeambréeduloupapparutdanssonregardavantdedisparaître.— La seule raison pour que je ne sois pas en mesure de te protéger, c’est que je sois mort,
déclara-t-il tout bas.Tu es la dernière lignededéfense. Je nevais pas te laisser désarméeou sanssavoircommentteservirdetonarme.
Sesmotsluiglacèrentlesang.—Non.L’idéedelevoirétendusansvieàsespiedsluiétaitinsupportable.C’étaitexactementcequ’elle
avait refusé. La raison pour laquelle elle avait voulu l’empêcher de découvrir ses secrets. Elles’agrippa à sa manche avec angoisse. Au diable sa résolution de garder ses distances avec luiaujourd’hui.C’étaitdesamortqu’ilparlait.
—J’auraispréférénerientedire.Elleauraitdûcontinueràluimentir,àlemaintenirdansl’ignorance.Maissesrévélationsausujet
del’agressiondeColchesterl’avaientrenduevulnérable.LasensationdesbrasdeWillautourd’ellel’avaitemporté.Ellen’avaitjamaispuévoquercetteattaqueàquiconqueniseremettredumalqueçaluiavaitcausé.Elleavaitenfouitoutçaprofondémentetfaitcommesiderienn’était.
—Troptard,maintenant.Troptard…peut-être.Lenasecoualatête.Elledevaittrouverunmoyend’enrayercedésastre.—Situasl’intentiondet’enmêler…LesyeuxdeWillétincelèrent.—Iln’yapasde«si».—Si,répéta-t-elle,jetelaisset’enmêler…alorstuferascequejetedis.Jesuissérieuse,Will.
Onagitensemble–sousmadirection–oualors jecoupetous les lienset jemetsuntermeàcettefolie. Ça signifie que tu ne souffles pas unmot de tout ça à Blade ni àHonoria. Je ne veux plusimpliquerquique ce soit.Toi, ça suffit déjàbien. Jeneveux le sangdepersonned’autre surmesmains.
Il frotta ses joues rêches. Il avait beau se raser régulièrement, une ombre semblait recouvrirconstammentlebasdesonvisage.
—Qu’est-cequetuentendspar«soustadirection»?Lenalâchaunsoupirinégal.Ellen’étaitpascertainequ’ilaccepterait.—C’estmoiquiprendslesdécisions.Tun’enprendsaucunetoutseulàmoinsquejet’yautorise.
Jedoisperceràjourlesintentionsdeshumanistes.Jen’aipastotalementcomprislesconséquencesde ce que j’acceptais de faire.Mince,Will, j’étais tellement en colère ! Je n’ai pas posé assez dequestions.Jepensequejenevoulaispassavoir.Etmaintenant,jenesaispasexactementdansquoijesuisimpliquée.(Elleprituneprofondeinspiration.)Jedoisdémêlertoutçaavantdepasseràlasuite.Jesaislesidéesqu’ilsdéfendent–l’abolitiondestaxesdesang,l’égalitédesdroitsentreleshommesetledroitdevote.Jenesaisjustepascommentilsontl’intentiondes’yprendre.
Willhaussavivementlessourcils.
—C’estpasenmettantlefeuauxusinesdedrainagequ’ilsvontyparvenir.Nienannulantlasignaturedutraité.— Eh bien, M. Mandeville semblait certain qu’il s’agissait d’une sorte de faction interne qui
cherchelaguerre.Ellemarquaune légère pause.Qui l’avaitmenacée, exactement ?Les véritables humanistes ou
l’undesrebelles?—Tuacceptesmesconditions?—Oui.Jesuivraitesinstructions,finit-ilparrépondre.Àunecondition.—Quelgenredecondition?—Je te laisse le contrôle.Mais si la situation tournemal oudevient tropdangereuse, alors tu
fermerastajoliepetiteboucheetc’esttoiquim’écouteras.(Lenas’apprêtaàprotester,maisilposasondoigtsurseslèvrespourl’enempêcher.)Non,ajouta-t-ilfermement.Cen’estpasnégociable.Aumoindresignededanger,jereprendslesrênes,c’estbiencompris?
Il sentit son souffle sur son doigt quand elle soupira.Will baissa les yeux comme s’il l’avaitressentiàd’autresendroitsdesoncorpset,soudain,elleaussi.Lenasetortilla,l’estomacnoué.L’idéed’êtreétroitementliéeàluietqu’illasuiveàlatraceluifitl’effetd’unvéritablesupplice.
Unsupplicenécessaire.Lenareculad’unpaspoursemettrehorsdeportéedesesmainsàlafoistraîtressesettentantes,et
lissasajupe.Cesimplegestechassasesémotionsdesespenséesetprobablementdesonvisage.Ellen’avait pas le choix. Si elle refusait, il se contenterait de trouver un autremoyende la retenir.Aumoins,c’étaitellequiavaitlecontrôle.Enmajeurepartie.
—Tuestêtucommeunemule,murmura-t-elle.Trèsbien.J’accepte.—Situnetienspasparole,tuleregretteras,dit-ild’unevoixdouce.Unsentimentderévoltemontaenelle.—C’estdéjàlecas.
Troislonguesheuresplustard,Willl’aidaàremonteràl’intérieurdelacarrioleàvapeurdans
laquelle elle était arrivée. Lena s’installa sur la banquette en velours sans même remarquer lessoubresautsdumoteur.
Àl’extérieur,Willjetaunregardauxruesenvironnantesquis’assombrissaient.— Tiens, dit-il en sortant un petit paquet enveloppé de son gilet. Je ne t’ai pas acheté que le
pistolet.Lenarivalesyeuxsurlepetitemballagedanssesmainsgantées.Wills’essuyalespaumessurson
pantalonet les fourra tout au fondde sespoches.Cegeste tendit le tissu sur ses cuisses,mais elleessayatantbienquemaldenepasyprêterattention.
—Qu’est-cequec’est?demanda-t-elleenagitantlaboîte.—Ouvre-la.Elletirasurlaficelle,parfaitementconscientedelatensionsoudainequicontractaitlesépaulesde
Will.Ill’observa,appuyécontrelavoiture,unemainposéesurlaportièreouverte.Elleenvisageadefairedurerl’instantpourvoirsonmalaisecroître,maisc’étaitcruel.C’étaitlegenredejeuxauxquelsellelesoumettaitquandellen’étaitencorequ’unejeunefilleécervelée.
Ellearrachalepapieretdécouvritunécrinenveloursrouge.Unecouronnedoréeétaitsculptéeenreliefsurletissu.Ellesavaitexactementd’oùcelavenait,commelaplupartdesdemoiselles.
—Will?fit-elle,lesoufflecourt.Jet’aiditquejenepouvaisaccepteraucunobjetpersonnel.Ilposasesmainschaudessurlessiennespourlaforceràouvrirlaboîte.
—Alorsconsidèrequec’estunobjetpratique.L’un des derniers rayons pâles du soleil fit étinceler un rubis rouge sang.Elle faillit refermer
aussitôtl’écrin.—Jenet’aijamaisdemandécequetuétaisalléfairechezunbijoutier.(Ellesecoualatête.)Jene
peuxpas.C’esttropbeau.Troponéreux.Willtenditlamainpours’enemparer.Lerubisétaitentouréd’épinessculptéesquilemaintenaient
enplace.—Tuvois,ici?Ildesserral’unedesépinesquijaillit,étonnammentpointue.Elleposadélicatementledoigtdessusetretiravivementsamain.— C’est une bague à poison, Lena. Il m’a fallu des siècles pour trouver un bijoutier qui en
vendait.(Aprèsunbrefregardauchauffeur,ilsepenchaversLenaetluimurmuraàl’oreille:)Elleestremplied’uneconcoctionàlaciguëquipeutneutraliserunsangbleupendantquelquesminutes.Laduréedépendradesonâgeetdustadeduvirusdanssesveines.
Illuioffraittellementplusqu’unesimplebague!Unearmesupplémentaire.Unautremoyendedéfense.Lenadéglutitetledévisageatandisqu’illuimontraitlemécanisme.
—Çaadûtecoûterunefortune.Willhaussalesépaules.—Jedépensepasbeaucoup.Jamais.—Will,jenepeuxpas.Ilreplial’épinepuisrefermalesdoigtsdeLenapar-dessus.Cetairentêtéqu’ellecommençaitàsi
bienconnaîtreapparutsursestraits.—Nediscutepas.—C’estcommeçaquetupensespouvoirm’empêcherdeprotester,àpartirdemaintenant?Unlégersourireadoucitsonexpression.Lenasoupira.—D’accord.Jel’accepte.(Elleretirasongantetglissalemagnifiquebijouàsonmajeur.)Merci.—Çam’empêcheradem’inquiéter.Lenaexaminalesfacettesdurubis.Ilnes’inquiéteraitpass’ilnesesouciaitpasd’elle,n’est-ce
pas?Sonsangsemitàbouillirdanssesveines.Nefaispasça.Elleserra lepoing,dissimulant labague.Necherchepasd’autresignificationàsongeste.
Willpassaunemaindanssescheveuxetjetaunregardalentour.—Àproposdel’autrenuit…Lenasesentitpâlir.—Non,lecoupa-t-elle.Tum’asbienfaitcomprendrecequetuenpensais.—Lena,ilfautquejet’explique…—Jen’aipas envied’entendre tes explications. (Elle sedétourna, les épaules raides, levisage
fermé,etlissasajupe.)J’aibiencomprisquejem’étaisridiculisée.Çaneseproduiraplus.—Lena,tu…—Ungentlemansegarderaitd’ajouterquoiquecesoit, lecoupa-t-elleenadoptantdenouveau
sontonmoralisateur.Toutpourgarderlaface.Willladévisageaavecunregardintimequ’ellerefusadecroiser.—Trèsbien,dit-iltoutdoucement.—Jedoisyaller.Ilsefaittard.Etjedoisassisteràcefameuxdîner.
—Tusors?— Pas longtemps. Puis je me remettrai à la commande de M. Mandeville. Je dois finir le
mécanismeinternedemontransformable.J’ysuispresque.Inutiledeveillersurmoicettenuit.Jeteprometsquejenem’attireraiaucunennui.
Ilméditacesparolesunlongmoment.Puisilplongeadenouveaulamaindanssapoche.—Jeveuxquetugardesçatout le tempssur toi,dit-ilensortantunsiffletsuspenduàunefine
chaîneenorqu’ilpassaautourdesatête.PuisilledissimulasoussoncorsageetfitminedenepasremarquerlefrissondeLena.—Ilémetunsonquetunepeuxpasentendre,maistouslessangsbleusducoin–etmoi–seront
aussitôtalertés. (Il recula, referma laportièreetadressaunsignede têteauchauffeur.)Je t’appelledemainavantle…le…
—Lelancerdeballons,luirappela-t-elle.ÀHydePark.AveclesScandinaves.—C’estça.(Willfitlagrimace.)Ondevrapasmonterdansl’und’eux?—Tuaslevertige,aussi?—Jevaisfairecommesi jen’avaispasentendu.(Lacarrioledémarraet il lui lançaunregard
direct,ainsiqu’undernierrappel.)Resteàl’écartdesennuiscesoir,Lena.—Moi,m’attirerdesennuis?—Tulesattirescommeunaimant.
17
Unrubis.Illuiavaitoffertunrubis.Lena tendit lamain devant elle. Elle ne cessait de le regarder, d’observer le jeu de lumière à
traverslapierrepolie.Ellefaisaitlatailledel’ongledesonauriculaire.Elleenavaitvudeplusgrosàl’Échelon,oùl’onaimaitnoyerlesesclavessouslesbijouxpourindiquerlaconditiondesmaîtres.MaisvenantdeWill,cejoyauprenaitplusdevaleurencorequeleplusgrosdiamantdumonde.
Lenafermalesyeuxetappuyasatêtecontrelesiège.Qu’allait-ellefaire?Commentpouvait-elleprotégersoncœuretluienempêcherl’accèsquandilfaisaitdetelleschosespourelle?Ildevenaitdangereusementévidentquesessentimentspourluinecessaientd’évoluer.
Elletamponnalesperlesdesueursursonfrontetsoupira.Àenjugerparlemartèlementdanssatête,elleseraitbonnepourunetassed’écorcedesauleunefoisrentréechezelle.
Unesecoussesoudainelajetaentraversdelabanquette.Lena s’agrippa à la sangle de la carriole et jeta unœil par la fenêtre. Ils s’étaient arrêtés. Le
chauffeurétaitundeshommesdeLeo,plusquequalifiépourlaconduitedecarriolesàvapeur.Bienqu’ilsviennentdequitterWhitechapel,lesroutesn’étaientpasmauvaisesetpersonnen’auraitleculotdel’attaquersiprèsduterritoiredeBlade.Toutlemondeauxcoloniessavaitàquilefaucondorésurlacarriolefaisaitréférence.BladeavaitaccordéunpassagesécuriséàLeodanssonroyaume.Leprixàpayerpourtrahirsaparole,c’étaitlamort.
—Cocher? lança-t-elle tandisquelavoitures’arrêtait.Henry?(Quandelle jetauncoupd’œilparlafenêtre,ellenevitaucunetraceduvaletquivoyageaitàl’arrière.)Quesepasse-t-il?
Pourtouteréponse,ellen’obtintquelesilence.Encedébutdesoirée,lesruesétaientdésertes.Aumilieudesombresd’uneruelleadjacente,unelueurbleueetchatoyantes’allumasoudain.Une
ombre se détacha du reste et Lena se renfonça vivement à l’intérieur de la voiture. La silhouettes’élevait à près d’un mètre quatre-vingt-cinq, puis elle se déploya jusqu’à atteindre environ deuxmètrescinquante.L’étrangeéclatazurdesonœilluifitpenseràunCuirasse.
MaisaucunCuirassen’avaitjamaisatteintcettetaille.Lena verrouilla la portière de la carriole et chercha quelque chose, n’importe quoi, pour se
défendre.Seulsquelquesmaigrescoussinstrouvèrentsonregard.Willavaitreprislepistoletpouryapporterdesaméliorations.
Lacréaturemétalliquesortitdelaruelleàgrandesfouléessaccadées.Ils’agissaitbeletbiend’unCuirasse, dont les plaques en acier froid étincelaient dans le jour déclinant. La tête était carrée,surmontée d’un casque démoniaque percé d’une fente étroite qui constituait leur seul point faible.Derrièreceverresetrouvaitunepaired’yeux.Desyeuxhumains.
La créature brandit son poing massif et le propulsa dans la direction de Lena. Cette dernièrepoussauncrietreculaàl’autreboutdelabanquettequandlavitreexplosaetrépanditsesfragmentssurlesol.Elleouvritl’autreportièreetselaissatombersurlespavés,enchevêtréedanssajupejaune.
Quelquechoseluitiraitlescheveux.ElletenditlamainettrouvalafinechaîneenordusiffletqueWillluiavaitpasséautourducou.Destuyauxhydrauliquesproduisirentunbruitaigudanssondosetlacarrioletressauta.Lenafourrauneextrémitédel’objetdanssaboucheetsouffladedans.
Iln’yeutaucunson.Rienquelesgrincementssinistresdelacarriole,quelamonstrueusecréatureessayaitderenverser.
Lenarassemblasesjupesetseruahorsduchemin.Lavoitures’effondrasurlecôté,précisémentàl’endroitoùellesetenaitquelquessecondesplustôt.Haletante,ellefonçadroitdevantelleetheurtaunesurfacechaudeetsolide.
Des mains lui saisirent les bras. Lena se débattit instinctivement et se libéra de l’emprise del’homme.Unvisageauregardfixeapparut.Ilsedressaitau-dessusd’elle,vêtud’unblousonetd’unpantalondecuirmoulant.Unvéritablearsenalenmétalpendaitàsaceinture.Ellenepritpaslapeinedeledétailler.Elletournalestalonsetpritlafuitedansl’autresens.
Mais les lieux étaient envahis par des hommes. Elle plongea sous lesmains qui essayaient des’emparerd’elleettraversaungroupedebanditsdéguenillésetdépareillés.
Unsonretentitderrièreelle.—Jelatiens.Quelquechoses’enroulaautourdeseschevillesetLenapoussaunhurlement.Elletombalatêtela
première et heurta violemment les pavés. Une douleur irradia dans sa lèvre et ses poumons serétrécirent.L’espaced’un instant,elleeut lesoufflecoupé.Ellesentitcommeunvidebéantdanssapoitrineetessayadésespérémentd’inspirerdel’air,envain.Puis,soudain,sespoumonssemblèrentsedébloqueretellepritunegrandeboufféed’oxygène.
Ladouleurétaitàpeinesupportable.Lespaslentsd’unepairedebottesrésonnèrentderrièreelle.Quelqu’unapprochait.—Ondoitsegrouiller,Mendici.(Unjeunegarçon,àenjugerparsavoix.)Onpeutpasbloquer
lesrueséternellement.—Personneviendraseplaindre,Jeremy.(Legéantéclataderire.)Pasdanscequartier.Le regard deLena tomba sur le sifflet qui reposait par terre. Elle s’en emparamais une botte
venuedenullepartlepiétina.Legéantluisourit.—Visezunpeucettejoliepetiteminette.Lena tenta de se relever.Une corde retenait fermement ses jupes autour de ses chevilles et ses
effortsrestèrentinefficaces.Derrièreelle,lesystèmehydrauliqued’unelourdebottedemétalgeignit.—Rollins,fitlegéant.Ramasse-laetfichonslecamp.—Qu’est-cequ’elleavoulufaireaveccesifflet?Unjeunegarçonauxjouessalesetauregardnerveuxapparutdanssonchampdevision.—Aucunsonn’estsorti.(IlobservaLena.)Qu’est-cequetuasvoulufaireavecça?Lena lécha le sang sur sa lèvre entaillée et parvint à sourire. Lemartèlement dans sa tête lui
brouillaitpresquelavue.—Vousallezavoirdesennuis.L’automateenmétalsepenchaavecungrincementetsonénormemainserefermasurlataillede
Lena.—Jelatiens,lançaunevoixquirésonnaitàl’intérieur.
Puisilseredressaetelleaperçutbrièvementl’hommeenfermédanslerevêtementmétallique.—Desennuis?(Mendicilaregardavacillerdangereusement.)Dequi?Lediableenpersonne?Plusieurshommeséclatèrentderire.—Onsaitcomments’occuperdessaigneurs,lançal’und’eux.—Onlesneutraliseavecunschlassimbibédeciguë!s’exclamaunautreenmimantuncoupde
poignard.—Ouunhurleur.—Lâchez-leurRollinsetPercy,jetaunautre.Lesriresgonflèrent.Un malaise s’empara de Lena. Loin d’y voir une menace réelle, ces hommes semblaient au
contraire savourercette idéeetparaissaient remarquablementbienpréparésà s’encharger.SiWillavait entendusoncoupdesifflet, il fonceraitdroitdansuneembuscade.Commeelle regrettait songeste!
—Venez,lesgars,lançaMendiciavecunclind’œilpourLena.Emmenons-lavoirlemaître.
Assisàlatabledelacuisine,WillregardaitEsmeremuersonragoût.L’odeurlefaisaitsaliver.C’étaitleseulendroitoùilsesentaitcommechezlui.Ilavaitpassédesheuresetdesheuresiciaufildesans,àsomnolerdansuncoinpendantqueEsmes’affairaitauxfourneaux.
Audébut,quandelleétaitdevenuel’esclavedeBlade,saprésencel’avaitd’aborddérouté.Jusque-là, le repaire avait été exclusivementmasculin et il éprouvait peu d’intérêt pour les femmes étantdonnéquesapropremèrel’avaitvenduàTomSturrett.
Après lamortdesonmari,Esmes’était retrouvéeauxaboisetn’avaiteud’autrechoixquededemander laprotectiondeBlade.C’étaitellequi luiavaitapprisà lireetqui l’avaitnourridebonspetitsplatsquandsoncorpsavaitgranditropvite.C’étaitellequiavaitsoignésesblessuresquandsespremièresincursionsdanslescoloniessefinissaientenbagarres–desbagarresqu’ilprovoquait.
Iln’avaitquepeudesouvenirsdesamère.Esmeétaitcequiserapprochaitleplusd’unefigurematernelle.
—Alors…murmura-t-elleentapotantlacuillèreenboiscontrelamarmiteavantdesetournerverslui.Quesepasse-t-ilentreLenaettoi?
La question n’aurait pas dû le prendre au dépourvu. Avec l’ouïe surnaturelle que possédaientquatred’entreeux,iln’yavaitaucunsecretaurepaire.Maisilnesesouvenaitpasd’avoirditquoiquecesoitquiauraitpualimenterlarumeur.
—Qu’est-cequetuveuxdire?Esmeluijetaunregard.—WilliamCarver,n’essaiepasdemeprendrepouruneidiote.Jenesuispasaveuglenonplus.
Tunevoudraispasm’insulter,si?—Ilsepasseriendutoutentreelleetmoi.Etj’aipasl’intentionqueçachange.Elles’essuyalesmainssursontablieretvints’asseoiràcôtédelui.—Pourquoi?demanda-t-elleenposantsamainchaudesurlasienne.Ilestévidentquetuasdes
sentimentspourelle,Will.Leloup-garouserenfrognaetbaissalesyeuxsurlebanccabossé.—Jepeuxpas,Esme.—Johndisaitlamêmechose,tusais,murmura-t-elleavecunelueurdecompassiondanssesyeux
verts.Ilavaitpeurdemefairemal.Peurdenepasréussiràsecontrôleravecmoi.Onaprisnotretemps,maisçaafonctionné.
Willsefrottalanuque.—C’estpassisimple,Esme.—Ahnon?—Ripestatteintduvirusdubesoin,expliqua-t-il.Ilsepropageaucontactdusang.Levirusdu
loupeestdifférent.Ilsetransmetparlesang,etparlesperme…Esmeaffichaunregardentendu.—Jepourraijamaisêtreavecelle,dit-ildansungrondement.Jeneveuxpaslasoumettreàune
viepareille.Etencore,ça,ceseraitseulementdanslecasoùellesurvivraitàl’infectioninitiale.—Oh,Will…Laportes’ouvritàlavolée.Willmit instinctivementEsmeà l’abri derrière lui.Sur le seuil,Rip jeta un regardnoir sur la
mainquiavaitpousséEsmedanslecoin.Willretirasamainfaceàsonœilmenaçantetlevalesbrasenl’air.Siçadevaitarriver,ilssavaienttouslesdeuxqu’ilauraitledessussurRip.Maisàcetinstant,ilneréfléchissaitpas.Gouvernéparsespropresdémons,toutcequ’ilvoyait,c’étaitunautrehommeentraindetouchersafemme.
—Jefaisaisquelaprotéger,Rip.—Qu’est-cequinevapas,John?demandaEsme.—J’aientenduuncoupdesifflet.OùestBlade?Quelqu’unestabsent?Unfrissonremontalelongdel’échinedeWill.—Tul’asentenduoù?Ilyacombiendetemps?—Del’autrecôtédumur.Prèsd’OldCastleStreet.Ilyaunedizainedeminutes.SurletrajetpourAldgate.Lena. Le feu monta en lui et vida son cerveau. Il bondit sur ses pieds avant d’en avoir pris
conscienceetrécupérasesmitaineséquipéesdelamessurlebanc.—C’estqui?demandaRipd’unevoixquisemblaitdéforméeparduverre.EsmesaisitlebrasdeWill.—C’estLena,n’est-cepas?La seconde suivante, il était en train de se hisser sur les gouttières du repaire. Les colonies
s’étirèrentdevantlui,unlabyrinthedecabanesetdebâtimentsdélabrés.IlbonditendirectiondumurquiencerclaitWhitechapel.
Bâti cinquante ans auparavant, pendant la période de troubles au cours de laquelle Blade étaitarrivé aux colonies, il culminait à près de sixmètres de hauteur. Plus symbolique que réellementsolide,ilavaitétéconstruitaveclesmoyensduborddanslebutd’empêcherl’Échelond’entrer.
Willbonditpar-dessusetselaissaretombersuruntoitencontrebas.Unautresautplustard,ilseretrouvadanslarue.
Unseulregardversluietlesgenssedispersèrent.Ilpritladirectiond’OldCastleStreetetaperçutunefoulemasséedanslarueautourdequelquechose.Unéclatdorécaptasonattentionetsoncœurbonditdanssagorge.Ilfenditlerassemblementsanssesoucierdescrisets’arrêta,vacillant,devantla carriole deCaine. Elle était renversée sur le côté et la chaussée était recouverte de verre brisé.Quelques téméraires avaient déjà commencé à retirer les dorures, et les rideaux avaient disparudepuislongtemps.
Il pivota et observa la foule à la recherche d’une tête connue. Bill le Tanneur l’aperçut ettressaillit.Willlesaisitparlecol.
—Qu’est-cequis’estpasséici?
—J’sais pas,murmuraBill dont l’haleine empestait le vin et dont les yeux partaient dans desdirectionsopposées.Onétaitpaslà,patron.Onarienvu.
Willl’attirajusqu’àseretrouvernezànezavecluietlaissalesflammes–laBête–transparaîtredanssesprunelles.
—Tusaisquejepeuxsentirquandunhommement?Réfléchisbien,Bill.Tuessûrden’avoirrienvu?
—Jepeuxpas,sanglotaBill.Ilsvontmetuer.C’estcequ’ilsontditsijepipaisunseulmot.Willserralepoingjusqu’àcequeBillenaitpresquelesoufflecoupé.—Qu’est-cequitefaitcroirequejevaispasfairelamêmechose?Bills’agrippaàsoncol,lesyeuxexorbités.—Ilsavaient…unmonstre…aveceux…unmonstrequicrachedufeu!Jepeuxpas. Ilvame
grillersurplace…commeungigotd’agneau!Jepréfèreencorequetumetuesplutôtqu’eux!—Ilsontemportéunejeunefemmeaveceux,non?Elleestàmoi,Bill.C’estmafemme.Etils
l’ontemmenée.Ilseforçaàouvrirlepoingetàlaisserl’hommeretombersurlespavésavantdel’achever.Son désir était presque écrasant. La veine palpitait dans sa tempe et sa vue se troublait par
moments.Lessonsetlesmouvementsautourdeluidevinrentsaccadés.Willrevintsursespasetlemondesebrouilladenouveau.
Quelqu’un lui saisit lepoignet. Il le sentit àpeine. Il baissa lesyeuxavecungrognement et sefigeaquandilaperçutunjeunegarçonquiledévisageait,blanccommeunlinge.
—Mefaitespasdemal,implora-t-il.Ilssontpartisparlà.Ilpointadudoigtlaruelleadjacentequiaboutissaitàunmurdebrique,danslequels’ouvraitun
tunnelmenantàl’anciennelignedemétroabandonnée.Le monde retrouva ses couleurs et se resserra avec une précision cristalline sur le tunnel
condamné.Biensûr.—LesSouterrains.
18
—Oùm’emmenez-vous?demandaLenaquandonretiralebandeaudesonvisage.Elleclignalesyeuxfaceàl’éclatphosphorescentdeslanternesqu’ilsportaientetregardaautour
d’elle.Malgré la fraîcheurde l’air, ses cheveuxétaient imbibésde sueur.Elle avait la têtedansducotonetlessinusbouchés.
Les tunnels empestaient la moisissure et l’air vicié. Les hommes avançaient en silence, avecassurance;ellesupposaqu’ilsvenaientsouventici.
Une vague de panique comprima sa poitrine.Ondisait que les vieux tunnels abandonnés de laLiaison de Métro étaient hantés par tous les ouvriers qui avaient péri dans l’effondrement dessouterrains. Certains avaient été écrasés et d’autres emprisonnés dans le noir, promis à une lenteasphyxieouà la famine.Leprojet avaitdoncétéabandonné.Au fildesans, les tunnelsavaientétéinvestisparlesplustéméraires,quis’étaientmisàcreuserdessemblantsdelogissousterrequandlescoloniesavaientcommencéàdéborder.
Cespersonnesessayaientdesecacherdel’ÉchelonoudesEngouleventspouruneraisonouuneautre,oubienils’agissaitsimplementdepauvresnécessiteuxquin’avaientpaslesmoyensdelouerlespetitstaudisàlasurface.Ellenepouvaitqu’imaginerl’horreurd’uneviepasséesousterre,parmiles murmures de fantômes et les gangs de Bouchers – ceux qui sanglaient les hommes sur descivièresetlesvidaientdeleurhémoglobinepourlerevendreauxusinesdedrainage.
Puis, troisansauparavant, levampireavaitéludomicile ici-basensegorgeantdesangjusqu’àviderlestunnelsdeseshabitants.Lesfantômesn’enfurentqueplusnombreuxencore.Aujourd’hui,levampireavaitdisparu,manifestementexterminéparBladelui-même,maislessinistresSouterrainslaterrifiaient.
—Quiêtes-vous?L’hommequirépondaitaunomdeMendiciagitalamaindanssadirection.—Faites-lataire.Il alluma un bâton lumineux qu’il pressa contre sa jambe et l’éclat luminescent illumina les
ténèbres oppressantes. Il fit un pas en avant et longea prudemment les voies ferrées. Le tunneldébouchasuruneimmensecavernedanslaquellelesrailss’arrêtaientaubordd’ungouffre.Mendicidonnauncoupdepieddansunepierreetprêtal’oreilleenretenantsonsouffle.
Un«plop»résonnaauloin.Del’eau.Ilyavaitdel’eaulà-dessous.Puisquelquechoses’agitaenbas.Lenasesentitblêmir.
—Qu’est-cequec’est?Unegouttedesueurcouladanssondécolleté.Ellefrissonna.
—LeGardien,murmuralejeunegarçonàsescôtés.Plusunbruit,maintenant.D’autreschosesrôdentdansl’ombre.Tunevoudraispaslesréveiller,si?
Lenaobservasafigurepâleetsecoualatête.Un câble en acier s’étirait dans la pénombre. Mendici tendit le bâton lumineux à l’un de ses
hommesetsortitquelquechosedesapoche.Onauraitditunetigemétalliqueéquipéed’uncrochet.Illa fit claquer dans sesmains et deuxpoignées apparurent, puis il fixa le crochet sur le câble et leresserra.
Lena dirigea immédiatement son regard vers le trou béant quand elle comprit ses intentions.Impossible.Ellen’allaitcertainementpassesuspendreau-dessusdecequipouvaitsecacherdanslesprofondeursdel’eau.
Mendiciclaquadesdoigtsdanssadirection.Lenasecoualatête,maisdeuxhommeslasaisirentparlesbraspourlaforceràavancer.Ellefut
pousséesanscérémoniecontrelegéant,quipassasonbrasautourdesataille.—Rollins, lançaMendici. Tu feraismieux d’y retourner.On peut pas faire passer Percy par-
dessuscetruc.Ramène-leàlamaisonetgraisse-le.Oufaiscequetufaisd’habitudeaveccettefichuecréature.
L’œil éclairé augazde l’automate revint à la vie.Puis il tourna les talons et s’éloignadans letunnelcreux.
—Prêtepourlameilleurebaladedetavie?Mendiciluiadressaunsourirequiressemblaitplusàunegrimace.—Non,pasdutout.Jeneveuxpas.Ilattrapalepandesajupeetlapoussaverslegouffre.Lenahurlaencherchantàselibérer.Ses
mules se retrouvèrent au bord du trou et des cailloux dégringolèrent sous ses pieds. Son regardhorrifiécroisaceluideMendici.
—Tuaslechoix.Tupeuxnageroutupeuxpasserpar-dessusgrâceàça.Ellejetauneœilladeauxfragilespoignées.—Trèsbien.(Ellehumectaseslèvressèches.)Jevaispasserpar-dessus.Mendicilatiracontrelui.—Accroche-toibien.Ceseraitdommagequejeglisse.Avecunriremauvais,illaplaquafermementcontrelui.Ellepassaàcontrecœursesbrasautour
desoncou.Ilrécupérasonbâtonlumineuxetletintentresesdents,puisilsaisitlespoignées.—Prête?—Non.Avecunautrerire,ilbonditdanslevide.Lenapoussauncrietenfouitsonvisagecontresonépauletandisqu’ilssepropulsaientàl’autre
boutdelacaverne.L’airsiffladanssesoreilles, lefroidrougitsesjoues,etsesjupesvirevoltèrentautourdesesjambes.L’instantparutdureruneéternité,maisquelquessecondesplustardilrelevalespiedsetatterritsurlerebordavecunesecousse.
—Nickel,lesgars!Onaatterri,lança-t-il.Lenaselaissatomberàquatrepattes,lecorpstremblant.Lemondetournoyaitautourd’elle.Elle
crutqu’elleallaitvomir.—Ressaisis-toi,chérie.T’esensécuritémaintenant.Enfin,pourl’instant.Mendici récupéra son espèce de cintre et le rangea. Il tiraLena sur les pieds et l’observa plus
attentivement.—T’aspasl’airbien.
—Non,jenesuispasdansmonassiette.Ilsaisitsonmentonetposaledosdesamainsursajoue.—Maparole,tuesbrûlante.—J’aieumalàlatêtetoutl’après-midi,avoua-t-elle.Jecroisquejesuisentraind’attraperun
rhume.Lebâton lumineux éclaira sonvisaged’une lueurverte, soulignant l’éclat de sonœil valide et
l’acierdelaplaqueenmétaldesonautreœil.Ilparutréfléchir.—Alorst’approchepasdemeshommes.Onapasbesoind’êtremaladesencemoment.Le jeune garçon, Jeremy, jaillit à son tour de l’obscurité, une expression de jubilation sur le
visage.Ilatterritenchancelantpuisdécrochasapoignée.—C’estbonpourmoi,lesgars!
Ilspercèrentl’obscuritél’unaprèsl’autrejusqu’àcequ’iln’enresteplusquedeuxdel’autrecôté.
Mendici arpenta la saillie en consultant sa montre de poche. Lena s’appuya contre la paroi de lacaverne,épuisée.Inutiled’essayerdes’échapper.Ilslarattraperaientenquelquessecondesetl’idéedeseperdredansledédaledecestunnelslaterrifiait.Quisaitquellesautrescréaturesrôdaientdanslesténèbres,commeleGardien?
UnrugissementrésonnadanslesSouterrains.Mendicifitvolte-faceettentadepercerl’obscuritédesyeux.
—C’étaitquoi?demandalejeunegarçon.Mendici?Cedernier levaunemainpourleréduireausilence.Unnouveaurugissementdéchiral’air.Les
deux hommes sur l’autre rebord se hâtèrent d’accrocher leurs poignées sur le câble en jetant desregardsderrièreeux.Dansletunnel,deséclatsd’unelueurorangéevacillèrentavantdedisparaître.
—Rollins,grognaMendici.(IllançauneœilladenoireàLena.)Ondiraitquetesamisontdécidédevenirjouerdansnotrepetitmonde.J’espèrequetunetenaispastropàeux?
Lenaseredressaens’appuyantcontrelemur.Will.Lasourcedecebruitdevintsoudainévidente.—Nesoyezpassisûrdevous,dit-elleenrelevantlesyeux.Pitié,faitesqu’ilaillebien,qu’ilnesoitpasblessé.Lesilenceretomba.Lesdeuxderniershommesjetèrentuncoupd’œilpar-dessus leurépauleet
ralentirentleursgestes.Unsouriredesoulagementsedessinasurleursvisages.Puisl’und’entreeuxseraidit.Ilcriaquelquechoseetsejetasurlecâble.Soncorpsoscilladans
l’airdemanièreerratique.Moinsd’unesecondeplustard,ledernierpritsonélanetlaissatombersonbâtonlumineuxsurlerebordderrièrelui.
Lenaretenaitsonsouffle.Willpouvait-ilréellementaffronterlemonstrueuxPercyetsurvivre?Lefeugrégeoisqu’utilisaientlesSpitfiresbrûlaittoutcequ’iltouchait,etelleavaitbienvulecanondulance-flammesrattachéaubrasmécaniquedePercy.
Uneombresedécoupadanslabouchedutunnelavantdeprendrelaformed’unhommedontlacarrureluiétaitfamilière.Lenaexpiraentremblant.Ilétaitenvie.
Willapprochadubord.Lalueurphosphorescenteilluminasachemiseroussieetjouaaveclesossaillantsdesonvisage.Iltenaitquelquechoseàlamain,qu’ilbrandit.C’étaitlatêtecarréedePercy.
Mendicieutunhoquet.—Amène-moilafille.Quelqu’un poussaLena vers lui. Il l’attrapa par les cheveux et l’entraîna vers le bord du trou.
Lena plongea les yeux dans les ténèbres et se figea.Will s’était avancé lui aussi. La fureur et la
frustrationsemélangeaientsursestraits.Quinzemètresàpeinelesséparaient,maisilsleurfaisaientl’effetd’unkilomètre.
—Tuveuxlarécupérer?s’écriaMendici.Alorsviensunpeuparici!Lenaperçutlesouriremauvaissursonvisage.—Non!Nevienspas,Will!Çavaaller…Onplaquaunemainsursabouchepourlafairetaire.Will empoigna le câble et sepropulsa, lamine sombre et déterminée.Le cœurdeLenabondit
danssagorge.Bonsang,pourquoinel’écoutait-ilpas?Soncœurmartelaitsescôtes.S’ilsefaisaitblesserenessayantdelasauver,elleneselepardonneraitjamais.
—Prêt,Lowerston?demandaMendicienobservantWillquiavançait,unemainaprèsl’autre.—Jel’ai,murmuraquelqu’underrièreelle.Uneformefineet tubulaireapparutàlapériphériedesonchampdevision.Lenatournalatête.
Mendici laissa sa main glisser de sa bouche. Moins de deux mètres derrière elle, un hommebrandissaitunfusil.
Elleneréfléchitpas.Ellen’arriveraitjamaisàtemps.Àlaplace,lesyeuxbraquéssursondoigtquieffleuraitladétente,elleseplaçadevantlecanon.
Avecunjuronétouffé,illevalefusiletladétonationrésonnaentrelesparoisdelacaverne.Laballe explosa aussitôt qu’elle entra en contact avec le mur et des étincelles jaillirent tel un feud’artifice.Unedizainedechauves-souriss’échappèrentdesombresenpoussantdescrisperçants,puisunlourdsilenceretomba,uniquementinterrompuparleclapotissinueuxdel’eauencontrebas.
Lenadévisagealetireur,lesoufflecoupé.Quevenait-elledefaire?S’ill’avaittouchée,elleneseraitplusqu’untasdechairetdeviscèreséparpilléssurlesolrocailleux.
—Tuesfolle?rugitMendicienl’écartantducheminpourlasecouer.Uneterreursourdepulsadanssesveines.—Non,s’entendit-ellerépondred’unevoixclaireetdistincte.SesgenouxcédèrentetMendicilalaissas’affalerparterre.— Recharge ! ordonna-t-il au tireur avant de jeter un œil versWill comme pour évaluer sa
distance.Merdealors.Lowerstoncherchamaladroitementdesballes,lesdoigtstremblants.Mendicigonflalesnarines.—Ondiraitquejevaisdevoirlefairemoi-même.Ilplongea lamaindanssapocheetensortitunpetitcylindreenmétal.Quand ilappuyasur le
boutonsituéausommet,Lenasepréparaàuneexplosion.Riennevint.Mais l’unedesmainsdeWill perdit saprise sur le câble et son corpsoscilla dangereusement,
comme s’il souffrait. Il plaqua son bras contre ses oreilles et son visage, et son corps serecroquevilla. Son autre main agrippait toujours fermement le câble, mais ses articulationsblanchissaient.
—Allezviens,enfoiré,murmuraMendicienl’observantd’unœilbrillant.—Ilpourrapastenirlongtemps,ajoutalejeunegarçon.Personnen’ajamaisrésistéàunhurleur
jusque-là.Will se redressa lentement, les muscles raides. Les dents serrées, le regard fou, il tendit la
deuxièmemainverslecâbleavecdesgestesprécisetmesurés,commes’ildevaitforcersoncorpsàluiobéircorrectement.
—Allez,murmura-t-elleensilence,lespoingsserrés.Ilnerestaitplusquecinqousixmètres.
—Bonsang,ditLowerston,légèrementimpressionné.Ilyarrive.—Çavapasdurer,grognaMendiciens’emparantd’unehacheauprèsdel’undeseshommes.Ils’approchaàgrandspasdurebordentenantfermementlemancheenbois.Mêmesicettearme
neluiseraitpasd’unegrandeutilitécontreunloup-garoudanslefeuducombat.—C’estl’heurederencontrerleGardien.Ilbranditlahache,nonpasverslecâbled’acier,commeelles’yétaitattendue,maisverslapoulie
enboisquileretenaitaumur.Lapouliesedécrocha,rebonditsurlesoletdisparutdanslegouffreobscur.
—Non!hurlaLena.Will chuta dans les ténèbres et sa chemise blanche lui donnaune allure de spectre. Il heurta la
paroiopposéedugouffreetglissalelongducâblesurquelquesmètres.Puisildisparut.Quelquessecondesplustard–quiparurentdesheuresàLena–elleentenditl’éclaboussurequand
ilheurtalasurfacedel’eauetlegrognementaffamédescréaturesquirôdaientau-dessous.
19
Will émergeade l’eau avecungrognement, lesmains recouvertesdegraisse et de sang, et untentaculed’acierserrédanssonpoing.Sesoreillessifflaienttoujoursetunedouleurluitransperçaitlajoue;ilavaitdûsecasserquelquechose.Lafureurbouillaitdanssonsangenmêmetempsqu’ilétaitassailliparlafatigue,contrecoupdesalutteacharnée.Iltentadelesignorer.
Ilseredressaetobservaletentaculed’acierinerte.Quellequ’aitpuêtresafonctionpremière,elleavaitdûêtresacrémentvicieuse.Ilavaitàpeineheurté lasurfacedel’eauquelesmembresd’aciers’étaientjetéssurlui.
Ilneserappelaitpasgrand-chosedela lutte,endehorsdebruitsetd’imagesconfus,maisilsesouvenaitvaguementdelagueulebéantequiaspiraitdel’eaupouralimentersonnoyauàvapeuretdesdentsaiguiséescommedeslamesquiclaquaientsansrelâche;dupoingqu’ilavaitenfoncédanslemincerevêtementdelastructured’acier;del’émanationdevapeurbrûlantesursonvisagequandilavaitarrachéletentaculeenprofitantdelafaiblessedesrivets.
C’était là l’erreur fatale des créateurs avec les monstres métalliques et les automates qu’ilsfabriquaient.ChezlesCuirasses,c’étaient lescharnièresdeleursbrasetdeleursgenoux;pourlescalmars d’acier, c’étaient les raccords segmentés de leurs tentacules à leur corps. Il suffisaitd’arracher tout ça et on se retrouvait avec une carcasse estropiée qui s’agitait comme une tortueretournéesurledos.
MaisladestructionduGardienn’avaitpasétésansconséquence.Will chancela contre une stalactite et pressa une main sur son flanc. Ses doigts s’engluèrent
aussitôt dans la blessure causée par les dents métalliques. Tous les muscles de son corps étaientendolorisparsachute,etlasurfacedel’eau,àl’impact,luiavaitfaitl’effetd’untasdepavés.
Iln’avaitqu’uneenvie:selaissertomberets’endormirpourlaisserpasserladouleur.C’étaitunefaiblessefatalepoursonespèce.Pratiquement imparablequandilétaitenproieà la fureur,àpeineconscientdesesblessuresetdeladouleur,unloup-garoutombaitcommeunepierrequandlafièvresepropageaitdanssonsang.
Willessuyalesangdanssesyeuxet fitunpasenavant,vacillant. Ilnepouvaitpasdormir.Pasmaintenant.Lenaétaitlà-haut.Ill’avaitentenduepousserunhurlementdéchirantquandilavaitchutédanslesprofondeurs.
Ceuxqui ladétenaient–et il commençait à avoirunepetite idéede leur identité–allaientviteregretterd’avoiroséposerlamainsurcettefemme.
Ilstraversèrentdestunnelsausoluséparletempsetlespiétinements.Ellenevitriendetoutcela.
Leshommesparlaientetriaiententreeux,donnaientdestapesdansledosdeMendicicommes’ilétaitunhéros.
Ellen’entenditriendetoutcela.Elle évoluait dans un monde dépourvu de couleurs et de sons. Tout ce qu’elle voyait, c’était
l’imageenboucledeWillentraindedégringoleraufonddelafosseobscure.Ilnepouvaitavoirsurvécu.N’est-cepas?Cettepenséelarendaitmalade,commeunpoidssursa
poitrinequimenaçaitdel’étouffer.Oh,Seigneur,qu’avait-ellefait?Elleavaitsoufflédanscefichusifflet,persuadéequ’ilviendraitàsonsecoursetqu’illamettraitencoreettoujoursàl’abri.Maiscen’étaitpaslecas.Iln’étaitpasinvincible.Malgrésavitessedeguérison,malgrésaforce,iln’étaitfaitquedechairetd’os,exactementcommeelle.
Je viendrai toujours te chercher. Mais cette fois-ci, elle était livrée à elle-même.Will était…perdu. Elle ne pouvait le formuler autrement à moins de s’effondrer, de se transformer en unecréature aveugle et tremblante, noyée dans sa propre détresse. Elle devait survivre à la suite, leretrouver,découvrirs’il…
Ellechassacettepenséeetrelevalesyeuxpouressayerdeseconcentrer.Unfaisceaudelumièreapparut droit devant.Une lourde porte en fer se découpait dans la pénombre.Ungarde était postédevant. Elle perçut l’éclat de l’acier. Sa main était un gant de métal muni de plaques qui sechevauchaientjusqu’àsoncoude.
Unmembremécanique.Unevaguedefroids’immisçadanssesos,maiselleéprouvaitunecurieusedistance.Pourtenirle
coup,elleavaitverrouillécettepartied’ellequihurlaitdedouleuretforçaitsonespritàtoutanalyser.Àexaminer,àcomprendre,àtrouverunefaiblesse…
Lemécanique.Lemotbruissadanssatête.Unmécanique.Cesderniersétaientreliésauxenclavesetcontraintsàaccomplirleurcontrat,afinderembourserlatechnologiequileuravaitdonnévieouqui leuravaitprocuréunnouveaumembre.L’Échelonavaitdécrétéque leurexistencevalaitmoinsquecelled’unhumain.Onlesmaintenaithorsdevue,ethorsdesesprits.
—Bienvenu, frère, dit legarde en serrant lebrasdeMendici. (Son regard curieuxglissaverselle.)Ilssontàl’intérieur.Ilsattendent.Vousn’avezpasétésuivis?
—Onl’était, réponditMendici.Mais leGardienestsûrementen traindedéchiqueter les restesavecsesdents.
Nouveaucoupdepoignardenpleincœur.Lenadéglutit.Ellenevoulaitpasentrerdanscetendroitfroidetvidesiprofondémententerré.
L’étrangerhochalatêteetparcourutdesyeuxlepetitgroupedisparate.—Allezvouschercherdequoivousréchaufferleventre.Jem’occuped’elle.—Jecroisquejevaisvousaccompagner,annonçaMendiciencalantsespoucesàsaceinture.Je
medemandebienàquoirimetoutceci.—Lui-mêmeestd’unehumeurcurieuse,prévintl’étranger.—J’aiautantledroitqueluid’êtreici.J’aiautantdedroitsquen’importequelhommelibre.—Tupourrasluiexpliquerdirectement.Enroute.L’étrangerfitsigneàLena.La porte s’ouvrit et révéla une salle au beau milieu des divers tunnels. Des caisses étaient
empilées du sol au plafond.La lueur des bougies réchauffait l’atmosphère et dissipait les ombres,mais les faibles faisceauxnepermettaientpas àLenadedistinguer lesmurs.Rienqu’undédaledecaissessansfin.
Unmurmuredevoixretentit.Mendicifrappaàuneautreporteenbaissantlesyeux.Iln’étaitpasaussiconfiantqu’illelaissaitparaître.
Une fente s’ouvritdans laporteetunœilgris apparut à travers.Puis la fente se refermaetonentenditlecliquetisd’unverrou.
—Tuesenretard.Lavoixétaitdouceetmélodieuse,celled’unhommehabituéauxinflexionstoniquesdudonneur
d’ordres.Laportes’ouvritetlalumièrejaillit,l’aveuglantl’espaced’uninstant.—J’aieuunpetitquelquechoseàrégler,réponditMendicienentrant.Lena jetaunregardnoirdanssondos.Leméprisdanssesparolesétaitblessant.Willétaitplus
qu’un«petitquelquechose».Fort,courageuxetobstiné,ilavaitplusdevaleurdanssonpetitdoigtqueMendicidanssoncorpstoutentier.
—C’estelle?Lenasentitqu’onlapoussaittandisqu’ellepénétraitdanslasalle.Sesyeuxs’ajustèrentlentement
à la lumière. La pièce était munie d’une immense table, sur laquelle se trouvaient les restes d’unrepas,entouréededouzechaises.Deuxfemmesrelevèrentlatête.L’uned’ellesétaitaffaléeavecunegrâcearroganteetl’autrefeuilletaituneliassedepapiers.Elleavaitlesmainsmaculéesd’encreetunregardchaleureux,empreintdecuriosité.Elleportaitunpantalond’hommeetunechemiseblancheajustéeàsescourbesplantureuses,ainsiqu’ungiletdetweedgris.Elleavaitrelevésursoncrâneunepairedelunettesgrossissantesetungantdemétalremplaçaitsamaindroite.EllebougeaitlesdoigtsavecunedélicatessequeLenaavait rarementvue.Unemontredegoussetdoréeattirait l’œilsursapoitrine,maisLenaétaitcertainequel’effetn’étaitpasintentionnel.
Uneautremécanique.L’autre femme portait un manteau de cuir noir boutonné sur le côté gauche. Elle portait des
épaulettesbrillantesetsesbottesgainaientsesmolletsmusclés.EllefittomberlacendredesoncigaresansquitterLenadesesyeuxnoisetteetfélins.MaislorsqueLenaluijetauncoupd’œil,elledétournasonregardfroidavecunegrimacedemépris.
—Tousceseffortspourça?Unhommeémergeadesombres,lemêmequiavaitouvertlaporte.Ilposaunemainlégèrement
possessivesurlafemme.—Patience,Ingrid.Cen’estpasunemanièredetraiteruneinvitée.Cethommepossédaitunevoixcapabled’hypnotiserdesgensàelletouteseule.Unforain.Il portait unmanteaubigarré et rapiécé sur son corpsmaigre.Aupremier regard, le vêtement
paraissaitmiteux,maisLenan’avaitpaspassédesheuresàcoudreetàserrerlesdentsd’ennuipourrien.Lemanteauétaitfaussementuséetellenedoutapasunseulinstantque,aucontraire,lespiècesde tissuavaientétécousuesavecsoin.Unfoulardcolorésortaitducolouvertdesachemiseetsesgantsnoirsétaientcoupésauniveaudesdoigts,laissantapparaîtrelapeauhâléedesesmains.
Mais ce ne fut pas ce qui attira son regard. Un patch en laiton retenu par une lanière de cuirrecouvraitl’undesesyeux,etundemi-masquefaitdecuiretdelaitondissimulaitsabouche.ToutcequeLenapouvaitvoir,c’étaitununiqueœilgrisetperçant.Sescheveuxétaientdelamêmecouleurcuivréequeceuxdelapremièrefemme.
—Uneinvitée?répétaLenaenreprenantsesesprits.Votresensdel’hospitalitéfait légèrementdéfaut.Quiêtes-vous?Qu’est-cequevousmevoulez?
—VousvouliezvoirMercury,non?Ilécartalesbras,lespaumesorientéesversLena.Celle-ciretintsonsouffle.
—Mercury?C’estvousMercury?—Etvous,madélicieusemademoiselleTodd,vousêtesunejoliepetitesurprise.(Ilcaressales
épais cheveux bruns d’Ingrid d’un air absent.) Voici l’un de nos petits pigeons, murmura-t-il àl’intention de son camarade.Une protégée de notre ingénieuxM.Mandeville.Elle-mêmen’est pasdénuée de ressources. Ce sont sa tête et ses mains qui sont à l’origine de notre cadeau destiné àl’ambassadescandinave.
SoncomportementetlapointedemoqueriequiteintaitchacundesesmotsfirentgrincerLenadesdents. Il l’avait fait enlever dans la rue alors qu’elle serait venue de son plein gré. S’il lui avaitsimplement posé la question,Will serait tranquillement au repaire à l’heure qu’il était, en train dedîneravecleresteduclan.
Les larmes luimontèrentauxyeux.Lacause toutentièreétaitdénuéedesens.Elleneressentaitqueduchagrin.
— Pourquoi tout ce mystère ? Vos hommes auraient pu simplement me demander de lesaccompagner.Ilsuffisaitdedonnervotrenomet jeseraisvenuespontanément.(Elle jetaunregardnoiràMendici.)Vousavezdétruitlacarrioledemonprotecteur,assommémesvaletset…blesséunhommequejeconsidèrecommeunami.Etvousvousimaginezquejepeuxavoirdelabienveillanceàvotreégard?
Les doigts de Mercury s’immobilisèrent et son sourire vacilla. Il considéra Mendici avecintensité,commeenquêted’uneexplication.
— Son protecteur est un suceur de sang, expliquaMendici avec un ricanement. Si j’avais pu,j’auraisdémolijusqu’àladernièredesesjoliespetitescarrioles.Etàsafaçond’affronterPercyetdefranchir lecâbleavecautantd’aisance, tonsoi-disantami,machère,n’étaitclairementpashumain.(Unsourireflottasurseslèvres.)Jeneluifaispasconfiance.
—Etpourtant,vousattendezdemoiquejevousfasseconfiance,répliquaLena.Jenepensepasvouloircontinueràm’investirdavantagedanscettehistoire.Jepensaisqueleshumanistescherchaientl’égalité, mais ce n’est pas le cas. À la place, vous voulez renverser l’ordre social et écraserl’Échelonetlessangsbleus.Pourenfairedesesclaves,oupireencore.
—Pourlesexterminer,corrigeaMendicid’untonsec.—Ilsnesontpastousinhumains,rétorqua-t-elle.J’enairencontrécertainsquisonthéroïqueset
dignesdeconfiance.Monproprebeau-frèreestleDiabledeWhitechapeletilconsidèreseshommescommesafamille.Monprotecteuresttoutaussigénéreuxetiltraitesesesclavesavecrespect…
—Tuvois?raillaMendiciàl’intentiondeMercury.C’estunefichueadmiratricedesuceurs!Jeparie qu’elle se prostitue pour eux. Je suis même sûr que si on retrouve un jour le corps de cethomme,ondécouvriraqu’ilenestaupremierstadeduvirusdubesoin.Iln’apasdûbeaucoupaimerlehurleur…
Lenasetournaverslui,enproieàunecolèrecroissante.— Will n’est pas un sang bleu, espèce d’ordure. Si vous aviez seulement la moitié de son
courage…—Ça suffit ! grondaMercury. (Il s’écarta dumur et jeta un regard sombre àMendici.) Ilme
semblevousavoirdonnél’ordred’allervousrestaureretdevousreposer.Qu’est-cequevousfaitesencorelà?
Mendicicroisalesbrassursonimposantepoitrine.—Certainsdemeshommesseposentdesquestionssurvosderniersordres.Etsurl’indulgence
dontvousavezfaitpreuveaveclederniergroupedesangsbleusqu’onacapturés.—Vouscontestezmesordres?
Lavoixétaitdoucemaisimplacable.—Disonsqu’ilsnenousplaisentpas. (Mendici se renfrognaet leva samainmécanique.)Vous
nousavezpromisunevengeancepourça.Pourcesenclavesdel’enfer.Onapasrisquénosviesetperdunosamispournousévaderdesenclavespourrien.Jeveuxdusang.Dusangbleu.Jeveuxvoirleurs têtes empalées sur des fichus pieux. (Il pointa le doigt vers Lena.) Qu’est-ce qu’elle a de siimportant?
—Elleadesoreillesdansdeslieuxquinoussontinaccessibles,réponditMercury.Nouveauricanement.Mendicifitunpasenavantetlaissaretombersamain.Quandillalevade
nouveau,iltenaitunpistolet.—Certainsdisentquevousfaiblissez.Quevousdeveneztropindulgent.Onadiscuté,lesgarset
moi…Unautrepistoletrépliqua.Unpetit trou rougeapparut sur son frontet,bouchebée, il s’effondra lentementenarrière.Le
bruitdesoncorpsheurtantlesolfittressaillirLena.Elle recula jusqu’à toucher le mur. Le silence envahit la pièce tandis que tous les yeux se
tournaienttimidementverslafemmequitenaitl’armefumante.Samain tachéed’encre trembla légèrementquandelle l’abaissa.ElleadressaunsigneàIngrid,
leslèvrespincées.—Débarrasse-toidelui.Veilleàcequelesautrescomprennentbiencequiarriveàceuxquiosent
serebeller,ici.La brune écrasa son cigare et se leva. Lena ne s’était pas aperçue jusqu’alors à quel point la
femmeétaitgrande,plusgrandequeMercury, avecdesépaules largesetune taille fine.Seules lescourbesplantureusesdesapoitrinecontrastaientavecsasilhouettemasculine.
EllesoulevaMendicietlehissasursonépauleavecaussipeud’effortsqu’auraitfournisWill.—Tuessûredetoi,Rosalind?demanda-t-elle.Leshommesl’appréciaient.Lapetiteroussehochavivementlatête.—Jenepeuxmepermettredetolérerlamoindreinsubordination.Pasmaintenant,alorsqu’onest
siproches.Emmène-le.(Ellesetournabrièvementverslasilhouettemasquéeappuyéecontrelemur.)Laisse-nous,murmura-t-elle.
LesyeuxdeMercuryglissèrentversLena.— Elle veut savoir si elle peut nous accorder son crédit, répondit Rosalind à la question
silencieuse. (Leurs regards se croisèrent.) Peut-être qu’elle a besoin d’une démonstration deconfiance.
Avecunhaussementd’épaulegrandiloquent,ils’approchadelaporte.—Àtesrisquesetpérils.JevaisvoirsijepeuxaiderIngridàdécouvrirquiaeulalanguetrop
pendue.Etjusqu’oùilssontallés.Ilfranchitleseuil,Ingridsursestalons.Laportese refermaderrièreeuxetLenase tournavers la femme.Elles faisaientàpeuprès la
même taille et semblaientdumêmeâge.Maispeut-êtrepas.Lapeaupâle etonctueusedeRosalindainsi que son nez retroussé lui donnaient une apparence d’éternelle jeunesse. Pourtant, le tonautoritaireaveclequelelles’étaitexpriméen’étaitpasceluid’unenovice.
TuvoulaisvoirMercury,n’est-cepas?Lenaréalisaalorsquel’hommen’avaitjamaisfaitréférenceàlui-mêmecommetel.—C’estvousMercury,c’estça?Ellepinçaseslèvrescharnues.
—Jenevousveuxaucunmal.RosalindrangealepistoletdansunholsteràsahancheavecuneaisanceetunedextéritéqueLena
luienvia.—Quiétait-ce?L’homme?—Monfrère,Jack.C’estaussilui,Mercury.ToutcommeIngrid,detempsentemps.Mercurya
porté de nombreux noms et visages au fil des ans. C’est la meilleure façon de nous cacher del’Échelon. (Rosalind sourit légèrement et lui désigna une chaise.) Asseyez-vous. Parlez-moi. Vousavezbeaucoupattisénotrecuriosité.
—Vousaussi.Lenatiraunechaiseetselaissasuffisammentd’espacepourbougerencasdebesoin.Cettejolie
femmeparaissaitamicale,maisellenerisquaitpasd’oublieravecquellefacilitéellevenaitd’abattreunhomme.Nil’expressionfroideetdénuéed’émotionqu’elleavaitarboréeenl’exécutant.
Rosalind se radossaà sonsiègeetposa lesbras sur lesdossiersdeceuxqui l’entouraient.Sesyeuxbrunsserefroidirent.
—TrèspeudepersonnesconnaissentlavéritéquisecachederrièrelesecretdeMercury.—Jamaisjenelarévélerai.—Mêmesivotresympathieenversl’organisationestremiseenquestion?Lenamarquaunepause.—Jenevoustrahiraipas.Sijechoisisdetournerledosàcetteaffaireetdepartir,alorsjeme
contenteraid’oubliertoutcequej’aivu.—Partir?murmuraRosalind.Oùça?Pourretourneràvotrevieàlacour?Supplierunsang
bleud’avoirpitiédevousetdevousprendrecommeesclave?Àvotreavis,combiende tempsçapourradurer,comptetenudevotreincapacitéàlaisserunsangbleusenourrirsurvous?
La seule personne à être au courant de ce fait étaitM.Mandeville.Cette trahison lui fit l’effetd’unegifle.
Rosalindarrangealespilesdepapiersdevantellepuislespoussadanssadirection.—Voilàtoutcequel’onsaitsurvous,lesinformationsquenousavonsaccumuléesaucoursde
l’année dernière. Jack et Ingrid pensent peut-être que nous prenons un risque en vous révélant lesecretdeMercury,maismoi,jepensequevousn’oserezpas.
Undessinaufusainsurmontaitlapile.Lenareconnutsonproprevisage.Lerésultatétaitexquis,maissonexpressionétaitlégèrementdédaigneuse.Unregardaguicheur,àlafoisbeauetdur.
Elle lesoulevadélicatementetydécouvritdesdétailssurelleetsursavie.LenomdeCharlie.Sonsangnefitqu’untour.Honoria.MêmeBladeetWill.Touslesmenusdétailsdesonexistenceyétaientlistés.LesheuresauxquelleselleentraitetsortaitdelaMaisondeCaine.Unebrèvequestionsur la raison pour laquelle Leo l’avait prise sous sa tutelle était entourée en rouge, ainsi que desdétailsquotidienssurleurrelationquisemblaitterriblementintime.
Aucunsigneindiquantqu’ellepartagesonlit.Ousonsang.Jen’arrivepasencoreàdécrypterlanaturedeleurrelation,maisj’yparviendrai…
Pagesuivante:Cematin,ilsontfaitdesplaisanteriessursasœur,Honoria,commesiLeolaconnaissaitbien.La
relationva-t-elleplusloinqueça?Puis,plusbas:JetrouveétrangequeleducdeCaineaitrenoncéàvisiterlamaisondepuisl’arrivéedelafille.
J’ai posé des questions aux servants et aux esclaves à ce sujet. Sa Grâce venait régulièrement ledimancheaprès-midipourjouerauxéchecsavecsonfils,maisilnelefaitplus.Ilsn’ontjamaisété
proches,maisl’unedesesclavesprétendqu’ellelesaentendussedisputerausujetdeMlleTodd.SaGrâcea insistéassezvigoureusementpourqueson fils«retireceserpentauxdeuxvisages»desamaison, mais son fils a refusé. Quelque chose dans cette situation semble sortir de l’ordinaire.Pourquoi l’héritier du duc prendrait-il une fille aussi insignifiante sous sa tutelle ? Le duc futautrefois lepatrondesonpèremais,audirede tous, l’histoires’estmal terminée,bienque jen’enconnaissepaslaraison.Jevaism’efforcerdecreuserunpeuplus.
Un traître infiltrédans laMaisondeCaineavait espionné lemoindrede sesgestes.Un frissonremontadanssondos.
—MmeWade,murmura-t-elle,soudainavecunepenséeeffrayéepourLeo.Siquelqu’uncomprenaitprécisémentlanaturedeleurrelation,ilseraitfichu.— Sa loyauté a été facile à acheter. Elle a des dettes faramineuses, expliqua Rosalind. Vous
représentiez dès le début un handicap potentiel. Avec un accès à de nombreuses ressources. Nousavonsvotépoursavoirs’ilétaittroprisquédeseservirdevous.Ingrid,elle,voulaitvoustuer.
Lenabonditsursespiedsetlachaisegrinçasurlesol.Ellenepouvaitréprimersesfrissons.Elleavaitl’impressionqu’onvenaitdeluiverserunseaud’eauglacéesurlatête.
—Qu’avez-vousl’intentiondefairedemoi?—Sionavaitvouluvoustuer,ceseraitdéjàfait.Çan’ajamaisétémonintention.(Rosalindfitun
gesteverslecôté.)Vousvoulezunpeudethé?Vousêtesblanchecommeunlinge,toutàcoup.—Jeneveuxpasdevotrefichuthé,jevousremerciebeaucoup.Etauvudesrécentsévénements,
jenesuispascertainedevouscroire.—Mendici?Cen’étaitrien.—Jeparledel’humanistequim’acolléuncouteausouslagorgel’autrejouretquiamenacéla
viedemonfrère!Rosalindsefigea.—Jenesuispasaucourantdeça.Lenas’humectaleslèvres,nesachantsiellepouvaitlacroire.—Vousattendezdemoiquejefassecapoterlasignaturedutraité.—VousavezditnonàM.Mandeville,etquevousvoulieznousrencontrerd’abord.—Alors quelqu’un n’a pas écouté, répliqua Lena. Je livrais lemessage deMandeville àmon
contactàl’Échelon.(Ellerelevalementon.)Quelqu’unm’aaccostéeetm’amisuncouteausouslagorge.Ilm’aditquejedevaisempêcherletraitéoumonfrèreseraitendanger.Ildétenaitl’undesesjouetsquivenaitdirectementdesachambre.Unendroitoùpersonnen’estcensépouvoirpénétrer.Et,chuchota-t-elle,c’étaitunsangbleu.
Rosalindblêmit.—Vousêtessûre?Ilnevousauraitpassuivielà-bas…—Ilconnaissaitlescodesdeshumanistes,réponditLena.Ilétaitaucourantdechosesquenepeut
savoir qu’une personne proche du Conseil. Concernant l’implication deWill dans la signature dutraité…etoùj’allaisremettrelalettre.C’étaitforcémentmoncontact.
—Çan’arienàvoiravecnous,objectaRosalind.—Jecroyaisquec’étaitvousquiétiezàlatêtedel’organisation?Untrèslongmoments’écoulaensilence.— Les apparences peuvent être trompeuses, murmura Rosalind. Et si je vous disais que nous
n’avonsaucunrapportavecl’incendiedesusinesdedrainage?Quejenesuispasaucourantdecettemenacequipèsesurvous?
Lenalaregardadroitdanslesyeuxets’efforçadeparaîtreforte.D’avoirducourage.CommeleferaitWill.Non,nepensepasàça.Elleserralespoingsetravalasapeine.Ellepourraits’effondrerplustard.
—Etsijevousdisaisquejenevouscroispas?Rosalindfitlagrimaceetserenversasursachaise.—Cequejem’apprêteàvousdirenedevrajamaisquittercettepièce.Lenahochalatêteetellepoursuivit:—Commevousl’avezsûrementcompris,leshumanistessontdivisésendeuxfactions.Ceuxqui
sebattentpourlalibertéetceuxquisebattentpourlavengeance.Çan’apastoujoursétélecasmais,l’année dernière, nous avons mené une attaque sur l’une des enclaves pour libérer un groupe demécaniques.Nousavionsbesoindeleurscompétencesdansletravaildumétal.Malheureusement,ilsnesesontpasmontrésaussicoopératifsquenousl’avionsespéré.Ilyaungroupedissidentauseindecettefactionquis’accaparecertainesquestionsetsesertdenotrenometdenosinformationspoursemerlechaos.
—Pourquoinepascoupervosliensaveceux?Rosalindluijetadenouveauunlongregard,commesiellesedemandaitsiellepouvaitvraiment
luifaireconfiance.—Venez,finit-ellepardireenselevant.J’aiquelquechoseàvousmontrer.Inutilederésister.Enplus,lacuriositédeLenaétaitpiquéeauvif.—Oùallons-nous?—Danslescaves.Rosalindpénétradanslecouloirobscur,s’emparad’unelanterneaccrochéeaumuretguidaLena
le longdu tunnel jusqu’àunepetiteporte.Uneodeurdeproduits chimiques flottait dans l’air.Elleaccrochalalanterneàunclouaumur,sortituneclédesapocheetouvritlaporte.
Dans l’ombresilencieuse, la faibleclartéde la lanterne réfléchissait l’éclatde l’acier.Rosalindentraetlalumièreserépanditdansl’immensegrotte,chassantlesombres.Desdizainesd’imposantsautomates reposaient en silence, l’œil dépourvu de leur lueur habituelle.Des enveloppes demétalcommecelledontRollinss’étaitrevêtu.DesrangéesentièresdePercy.
—CesontlesCyclopes,déclaraRosalindd’unevoixteintéedefiertétoutentendantlalanterneàLena.
Ellefitunpasenavantetcaressalestuyauxhydrauliquesdubrasenacier.Lecanoncreuxdesonlance-flammesétincelait.
Rosalindsepenchaetenclenchaunboutonsituésouslebras.Lacavitéthoraciques’ouvritavecunsifflementetlatêteserenversaenarrière,laissantapparaîtreunespacepermettantd’accueillirunhomme. Elle prit appui sur le genou plié du Cyclope et bondit dans le creux. Puis elle sangla unharnais en cuir autour de sa poitrine et de sa taille. Elle saisit deux poignées qui se trouvaient àhauteurdesbras,enclenchaunesériedeleviersettournauncadran.Lacarapaced’acierseremitenplaceavecunvrombissementvenantdesprofondeurs.
—Ilfautquelquesminutespourchaufferlachaudière,expliquaRosalinddontlepetitvisageenformedecœurapparaissaitausommetdutorse.
Concentrée, elle activa quelque chose à l’intérieur et les tuyaux hydrauliques émirent unsifflement.LeCyclopeseredressadetoutesahauteur,quiavoisinaitlestroismètres.
— Ils sont totalement mobiles, ils ont plus de flexibilité et de contrôle qu’un Cuirasse etfonctionnentavecunlitred’eauparjour.(Avecunsourire,elleforçaunbrasàselever.)Onaconçulelance-flammesàpartirdumodèledesSpitfires.Lesdégâtssontimpressionnants.
Auboutdubrasd’acier,lesdoigtsremuèrent,prouvantleurétonnantedextérité.—C’estdutravaildemécanique,expliquaRosalind.Dudébutàlafin.—Voilàpourquoivousavezbesoind’eux.RosalindgrimaçaetleCyclopes’affaissadenouveau,puislemoteurs’éteignit.Ellerouvritles
plaquesthoraciquesetsortit.—Oui.Leprojet et lesplans sontdenous. (Elle lui jetaunbref regard.)Mais laconstruction,
c’est eux. (Elle lâcha un rire éraillé.) L’Échelon les a retenus de force dans les enclaves pourtravailler l’acier à leur compte et gagner ainsi le remboursement des améliorations effectuées surleurspropresmembresmécaniques.Pasuneseulefoisilsn’ontpenséquenouspourrionsretournerleurpropretechnologie–lescompétencesqu’ilsontenseignéesauxmécaniques–contreeux.C’estlaseulechosequenous,leshumains,n’avonsjamaisétécapablesdecontrer.Nousavonspeut-êtreétéenmesured’écraser les sangsbleusdeFranceetde lescondamnerà laguillotine,maisnos sangsbleussontplusintelligentsetsecachentderrièredesarméesd’automates.Lachairhumainenepeutriencontrelemétal.Alorsondevaitégaliserleschances.
—Poursebattrepourlaliberté,ditLenaavecunelégèrenotedesarcasme.Ondiraitplutôtunequêtedevengeance.
— Pensez-vous réellement que l’Échelon va simplement abandonner et nous accorder nosdroits?(LacolèretransparaissaitdanslavoixdeRosalind.)Peut-êtrequ’ondevraitposergentimentlaquestion?
—Desgensvontmourir.—C’est déjà le cas.Quatre cent trente hommes et femmes ont assailli les rues pour protester
contreladernièrehaussedestaxesdesang.L’Échelonlesatoutsimplementfauchésaveclacavalerietroyenne.Unecentained’entreeuxàpeineontsurvécu.
—Ilsn’auraientpasaugmentélestaxesdesangsilesusinesdedrainagen’avaientpasbrûlé.Ilyapénuriedésormaisetl’Échelonabesoindesangrapidement.Vousnecomprenezpas?Celadevientuncerclevicieuxd’hémoglobineetdemort!
RosalindrécupérasèchementlalanternedesmainsdeLena.—Jesuisdéçue.Jepensaisquevouscomprendriez.Surtoutquandonsaitd’oùviennentlesplans
desCyclopes.—Qu’est-cequevousvoulezdire?—Votre proprepère.SirArtemusTodd, avec son esprit brillant et ses idées excentriques. Il a
passé ladernièreannéedesavieàchercher lesfaiblessesdessangsbleus.Nousutilisons la toxinequ’ilaélaboréepourlesneutraliseretsesmissilesdefeupourlestuer.AulieudefuirVickersavecvous,avecsafamille,ilarisquésaviepourvenirdéposerlesplansdéfinitifsdesCyclopesdansnosmains.Ilenapayéleprixultime,maisdansnosrangs,personnenel’oublierajamais.
Lenasesouvenaitàpeinedumomentoùilsavaientdûprendrelafuite.Onlesavaitréveillésenpleinenuitetentassésdansunecarriole.SonpèreluiavaitdemandédeveillersurCharlieet,mêmesielle l’avaitvus’entreteniravecHonoriaet luidéposerunjournalcodéentre lesmains,ellen’avaitjamaissaisiaucunedeleursparoles.
Cette nuit-là avait changé sa vie pour toujours. Arrachée à son univers et à ses leçons, à sesespoirsd’avenirauseindel’Échelon,elleavaitététraînéedanslesconfinssombresetlugubresdescolonies.Toutcequ’elleavaitcompris,c’étaitqueVickers,leducpourlequelsonpèreeffectuaitsesbrillantesexpériences,voulaitleurmort.
Ellen’avaitjamaissupourquoi.—Pèreétaitunhumaniste?demanda-t-elle,lavoixlégèrementéraillée.
—Jusqu’àlamoelle.Nouvelle surprised’une série sans fin.Lena tendit lamainpour s’appuyer aumur, les genoux
tremblants.— C’est pourquoi nous vous voulions, reprit Rosalind. Votre sœur a trahi sa mémoire en
épousant un sang bleu.Elle ne peut nous être d’aucune utilité.Vous, en revanche, avez fait preuved’unecertainehabiletéaveclesrouagesetlesmécanismes.Vousconcevezdesobjetsquipourraientnousêtreutiles…
Lenafitlerapprochement.—VouspensezquejepourraisapprendreàconstruirelesCyclopes?Danscecas,ilsn’auraientplusbesoindesmécaniques.Est-cequeRosalind–ouplutôtMercury,
carelleétaitentraindepercevoirladifférenceentrelesdeux–allaitsimplementlestuer?Commeellel’avaitfaitavecMendici?Unfrissonparcourutsonéchine.QueferaitMercurysiLenarefusait?
Iln’yavaitaucuneéchappatoire.Nullepartoùsecacheretaucunallié.Pasmême…Non, ne pense pas à lui. Elle ferma les yeux et prit une longue inspiration pourmaîtriser ses
émotionsetréprimersanausée.Réfléchis.Le seulmoyen pourRosalind d’avoir eu vent des compétences deLena, c’était par le biais de
M.Mandeville.Toutàcoup,lamanièredontill’avaittoujoursobservéeattentivementluiparutbienplussinistre.
—Jefabriquedesjouets,murmura-t-elle.— Mais vous pourriez faire un Cyclope. (Rosalind fit un pas vers elle.) Le mécanisme
transformableestlapreuvequevouspossédezletalentetlacapacitépourconcevoirunetellechose.(Sonregards’illumina.)Vousseriezunehéroïne.
Unehéroïne.Troissemainesplustôt,cegenred’argumentauraitpeut-êtrefonctionné.L’heuredela reconnaissance, enfin,mais pas de la part de sonpère. Il étaitmort pour lesmêmesprojets quitransportaientcettefemmeetilluminaientsonvisage.
Tout n’était quemensonge dans sa vie.MmeWade l’avait espionnée, ainsi queM.Mandeville,celanefaisaitaucundoute.Sonpère,unhommequi l’avaitpratiquement ignoréeen laconsidérantcommeunesortedepetitepoupée,avaitconçudesarmescapablesd’anéantirl’Échelon.
EtHonoriaétaitvraisemblablementaucourant.Lenaposalatêtecontrelemuretfermalesyeux.Àquipouvait-elleenréférer?Touscessecrets
luidonnaientl’impressionquesatêteallaitexploser.Maiselleaussiavaiteulessiens,non?Sa solitude la heurta de plein fouet. Personne à qui faire confiance, personne à qui se confier.
Personneneconnaissaitsessecretsoun’avaitpartagélessiensavecelle.Personneàl’exceptiondeWilletilétait…
Lenatombaàgenouxetsemitàvomir,lecorpssecouéparsadétresse.Elleavaittentédetoutessesforcesdenepaspenseràlui,d’étouffersapeine,maisellegonflait,menaçaitdel’étoufferetluidonnaitdeshaut-le-cœur.
Lesyeuxbrûlantsdelarmes,elles’essuyalevisageavecsamanche.Oh,Seigneur,qu’allait-ellefaire ? Comment allait-elle annoncer à Blade queWill… qu’il n’était plus là ? Cette pensée étaitinconcevable. Ilétaitsi fort,bourrédevieetdefougue,etdesflammess’allumaientdanssesyeuxambrés chaque fois qu’elle posait les siens sur lui. La douleur qui prenait son cœur en étau étaitinsupportable.Elleavaitbesoindevoirlecorps,delerameneràelle.Pourl’enterrerproprement.
Pourluidirequesielles’étaitdoutéeuneseulesecondequ’ilpourraitluirendresonbaiser,elleneseraitjamaisretournéeàl’Échelon.Àcechaos.
Maisd’abord,elledevaitsortird’ici.Ellerelevalesyeuxverslesbotteslustréesdevantelleetlesrangéesdedronesmétalliques.
—Non,murmura-t-elle.Jeneleferaipas.—Ce n’est pas vraiment la réponse que j’espérais, répondit Rosalind d’une voix calme. (Elle
armalechiendesonpistolet.)Quelledéception.Allez,debout.Jen’aiplusbesoindevous.
20
—Jenedirairienàpersonne,protestaLena,leregardbraquésurlecanondupistolet.L’inventiondesonproprepère.Quelleironiedusort.—Jeneveuxplusrienavoiràfaireavectoutça.Toutcequejeveux,c’estrentrerchezmoiet
oubliercecauchemar.Rosalinds’agenouilla,lepistoletposésursongenou.— Vous ne comprenez donc pas ? Ce n’est pas un jeu, mademoiselle Todd. Vous en savez
beaucouptrop.—Jenesouffleraimotàpersonne…—Malheureusement,jenesuispassûredevouscroire.Lenasentitl’amertumemonterdanssapoitrine.—Vousn’avezjamaiseul’intentiondemelaisserrepartir,n’est-cepas?Vousêtespirequeles
sangsbleus,pirequel’Échelon.Vousvousservezdesgensetensuitevousvousendébarrassezdèsqu’ilsneserventplusvosintérêts.
Unelueurdistanteenvahitleregarddel’autrefemme.Ellebaissalespaupières.—Votreinnocencemesurprendbeaucoup.(Unsourireamer.)Jesuiscequ’onafaitdemoi.Une
arme.Un faucon chasseur, enfin libéré des jets de sonmaître. Je n’attends aucune pitié et je n’enaccorderaiaucune.
Lepistoletselevadenouveau.—Attendez!s’écriaLena,désespérée.Jevousenprie.Jevousensupplie,nefaitespasça.J’ai
toutperduaujourd’hui.Ilnemeresteplusrien.Les larmes brouillèrent sa vue et le pistolet disparut. Elle retint son souffle, maintenant ses
paupièresferméesdetoutessesforces,prêteàentendrelaripostedel’armeàfeu.Silence.Lesjouesrecouvertesdelarmes,ellerelevaleregard.Rosalindémitungrognementdedégoûtet
branditsonpistoletversleplafond.—Il fautcroireque j’aiencoreuneoncedepitiéenmoi,manifestement. Jesaisque jevais le
regretter.Lenalâchaunsoupirtremblant,lecœurcognantcontresescôtes.—Jevousprometsquenon.Ellelasaisitparlebrasetlahissasursespieds.—Venez.JevaisvousbanderlesyeuxetdemanderàJackouIngriddevousjeterquelquepart
prèsdeségouts.—PasIngrid.
LenaavaitlesentimentquesiIngridapprenaitcemomentd’indulgence,ellerégleraitleproblèmeensilence.
Rosalindpinçaleslèvres.—Vousn’êtespasenpositionderéclamerquoiquecesoit.Allez.Uncrirésonnaauloin.Toutesdeuxsefigèrent.—Ilvaudraitmieuxpasquecesoitdesamisàvous,fitRosalindenplissantlesyeux.(Ellefourra
lalanternedanslesmainsdeLenaetjetauncoupd’œilàl’extérieurdelapièce,lerevolverdanssondos.)Oubiennotrearrangementestannulé.
Lebruitdel’acierquicognecontrel’acierrésonnaàtraverslestunnels,suivid’unrugissementassourdissantetremplidefureur.
Celapourrait-ilêtre…LecœurdeLenasemitàpalpiteretelleretintsonsouffle.Ellevoulutseprécipiterdansladirectiondeceson,maisquelquechoselaretint.LamainmécaniquedeRosalindautourdesonbras.
Rosalind la plaqua contre le mur et jeta un coup d’œil au coin du tunnel. Ne distinguantvisiblementrien,elletraînaLenaderrièreelle.
—Çavientdelasalledegarde.Lenan’osaitpasespérer.Pouvait-ilvraimentavoirsurvécuàsachute?Un nouveau grondement retentit, puis un fracas qui ressemblait au vacarme une chaise jetée
contreunmur.—Écartez-vous!s’écriaunevoixdefemme.Jevaism’enoccuper.Rosalindlâchaunsifflemententresesdentsserrées.—Ingrid.Ellesemitàcourir,cequiétaitprécisémentcequevoulaitLena.Laportedevant elles s’ouvrit à lavolée.Unhomme futprojeté à travers l’ouverture,puis alla
glisser sur le sol lisse du tunnel. Les cheveuxmaculés de sang, il lutta pour rouler sur lui-même.Rosalindjuratoutbasets’agenouilla.Ellelevasonmentonetl’examina.
De l’autrecôtéde laporte,c’était lechaos.Desdébrisdechaisesétaientéparpilléscommedesallumettesetunpiedapparaissaitausol,immobile.Leresteducorpsétaitinvisible.
Willsetenaitaumilieudecedésordre, lesoufflecourt, lespoingsserrés, lesépaulessecouéespar une rage à peine contenue. Sa chemise humide et imbibée de sang lui collait à la peau, et sescheveuxpendaient,mouillés,autourdesonvisage.
Lenaeutunhoquetetsefigeasurplace.—Will,murmura-t-elle,lecœurgonflédanssapoitrine.Ellevacillaetserattrapaaumur.Ilétaitenvie!Elleavaitpeineàlecroire.Puiselleplissales
yeuxenvoyantlesangsursescôtes.Envie,maisblessé.Il releva ses iris d’ambre brûlant. Quand leurs regards se croisèrent, le corps de Lena fut
parcourud’unedécharge.Ellelevitresserrerlesdoigtsautourducouteauqu’iltenait.—Lena,gronda-t-ild’untonqu’elleneluiavaitjamaisconnuauparavant.Maisilsn’avaientpasletempsdesavourerladouceurdel’instant.Àtraversseslarmes,Lenavit
Ingridsurgirdenullepartenbrandissantlepiedd’unechaise.Ellel’abattitavecviolenceetWillluiattrapalepoignetavecungrognementméprisant.
Toutauraitdûs’arrêterlà.MaisIngridfutplusrapidequeLenanel’auraitcrupossibleetécrasasamainàlajointuredesoncoude.WilllâchaunrâlededouleuretIngridenchaînaavecunebalayette.
Leloup-garouheurtaviolemmentlesoletIngridbrandit lepieddechaisepourl’abattresursatête.Ildonnauncoupdepiedquiluiarrachaleboutdeboisdesmains,sevoûtaenprenantappuisursesépaulesetseremitdeboutd’unseulgeste.Écumantderage,ilempoignaIngridparlatailleetlaplaquaausol.
Lenafitprudemmentunpasenavantetinspectalapièce.Ill’avaitréduiteenmiettes.Lesolétaitjonchéd’hommesquigémissaientenserrantleursosbrisésetleursmusclesendoloris.Enrevanche,aucunn’étaitmort.
Pourl’instant.LecombatentreIngridetWillétaittroprapidepourquel’onpûtensuivrelefil.Il immobilisa
sonadversaireavecuneforceimplacable,luitiraunbrasdansledosets’agenouillasurelle.Ingridgrogna,levisageécraséparterre,lesyeuxbouillantderage.
Desyeuxcouleurbronze.Unautreloup-garou.Willtiraunpeuplussursonbras.Lecorpsd’Ingridfutagitéd’unesecousseetellefitlagrimace,
lesdoigtsdesonautremainenfoncésdanslesol.LeregarddeWills’assombritetilposaunepaumecontrel’articulationdesonépaule.Sesintentionsétaienttrèsclaires.
—Non!s’écriaLena.Nefaispasça!Elle s’élança en avant, saisit son bras et tira dessus sans la moindre efficacité. Will montra
sauvagementlesdentsetlaragequ’elleperçutdanssesprunellesfitbondirsoncœurdanssagorge.L’espaced’uninstant,ellesedemandas’iln’allaitpass’enprendreàelle.Elledécelaitl’aviditédanssesyeux,ledésirdetuerquibrillaitdanssespupilles.
—Will,murmura-t-elleenglissantsonpoignetsoussonnez.S’ilsentaitsonodeur,illareconnaîtraitetneluiferaitaucunmal.Ilrelâchalapressionsurlebrasd’Ingrid.Lamaintremblante,Lenaluitouchadoucementlajoue.—Will,regarde-moi.C’estLena.Tumeconnais.Ellecaressalalignedesamâchoireetdéglutitenlevoyanttournerlatêteetmordillertendrement
lachairtendredesapaume.Une morsure et son sang se mettrait à couler, à se mélanger avec le sang qui maculait sa
pommette cassée.Une seulemorsure et elle serait infectée. Secouée de violents tremblements, elleémitunpetitcriquandilpassasalanguesursapeausensible.Puisillarelâchaenlaissantglissersesdentssursapaume.
Derrièreelle,elleentenditRosalindordonneràquelqu’un:—Dèsquevousaurezunbonangledetir,allez-y.—Lafilleestdanslechamp.Jelatue?Lenasefigeaet jetaunregardpar-dessussonépaule.Concentré,Jacklavisaitavecunénorme
fusil.— Si vous me tuez, déclara-t-elle, surprise par le calme de sa voix, vous ne pourrez jamais
l’arrêter. (Elle posa une main ferme sur l’épaule deWill.) Il est venu me chercher. La faute auxmanièresdeMendici.Moiseulepeuxl’arrêter.
Rosalindgonflalesnarines.SesyeuxglissèrentversWillavantdesereposersurLena.—Ilestpasprèsdes’arrêter.LenaglissasoncorpsentreeuxpouressayerdecouvrirWillautantquepossibleetsecoualatête.—Moi,ilm’écoutera.Lenaperçutl’hésitationdeRosalinddanssonregard.
—Jevaisluiparler,reprit-elle.Lecalmer.Ensuite,onpartiratouslesdeux.Etjegarderaitousvossecrets.
—Oualorsonpourraitvoustuertouslesdeux.Lenaplissalespaupières.—Essayez un peu et vous comprendrez pourquoi personne n’ose s’attaquer à un loup-garou.
Tuez-moietillatue,elle.—Allez-y,grognaIngrid.—Laferme,coupaJackenbaissantlégèrementsonfusilavecuneattitudefroideetsongeuse.Sonexpressions’adoucit imperceptiblementquandil regardaIngrid,etLenasutqu’ilpossédait
uneformedecompassion,defaiblesseaufonddelui.—Àunecondition.Nousvoulonsletransformable.Terminezleprojetetlivrez-le-noussouscinq
jours.C’estleprixdenotrecoopération.Laveille,elleauraitpeut-êtresimplementaccepté.—Pourquoi?Qu’est-cequevousavezl’intentiond’enfaire?— C’est un cadeau destiné à l’ambassadeur scandinave. On a déjà pris contact avec eux. Ils
l’attendent.Letransformablen’étaitqu’unjouet,enréalité.Unjouetgrandeurnature,certes.—Jenepourraijamaislefinirencinqjours.Lefusils’agita.—Vousn’avezpaslechoix.Lessouduresdesplaquesd’acier représentaientdesheuresde travail.Elleavait fini lamajeure
partiedumécanismequil’activait,maistoutdemême…L’épauledeWilltressautasoussamain.Sansréfléchir,ellecaressasonbrasets’approchadelui.—C’estd’accord,dit-elle.JeprendraicontactavecMandevillepourqu’ilm’aide.Jeledéposerai
àsaboutiquequandilserafini.—Vousvousméfiezdenous?demandaRosalind.—Jenefaisjamaisdeuxfoislamêmeerreur.Leursregardssecroisèrent.Rosalindbaissasonpistoletethochalatête.—Jack.—Calmez-led’abord.Lena pivota sur elle-même. Will tremblait. Il avait les yeux fermés et les lèvres retroussées,
comme s’ilmenait une lutte intérieure qu’elle ne pourrait jamais comprendre. Elle l’avait déjà vudanscetétatetsavaitqu’ilcherchaitàreprendrelecontrôle.
—Jesuisensécurité,murmura-t-elle.J’aiseulementbesoinquetureviennesauprèsdemoi,pourm’aideràsortird’icietàrentreràlamaison.Respire,Will.Lentement,profondément.Voilà,c’estça.
Ellecaressasajoueetserapprochaunpeupluspourqu’ilsentesonodeur.—Encoreunefois.Commeça.Elleglissasamainsursonbras,surlamanchedesachemiserêcherouléesursoncoude,surla
peaulisseethâléedesonavant-bras.Elles’humectaleslèvres.PuiselleposalamainsurcelledeWilletinsérasesdoigtsentrelessiens.
—Lâche-la,Will.Attrape-moi,plutôt.Jesuislà.Jetetiens.Elles’écartaensachantqu’illalaisseraitfaire.Lesépaulesd’Ingridsedétendirentetellejetaun
regardassassinàLena.—Jeneferaispasça,àvotreplace,ditLena.Mêmeblessé,ilvousamaîtriséefacilement.Jene
pourraipasledissuaderdeuxfoisdesuite.
ElleposalapaumedeWillsursongenouetlamaintintenplace,puischerchal’autre.Willdesserra lesdoigtsautourdupoignetd’Ingrid.Lenas’approchaeteffleurasa joueavecle
boutdesonnez.Sonparfumemplitsesnarines,profondetmusqué.Elleavaitenviedel’embrasserpourconfirmerqu’ilétaitbienlà,qu’ilétaitbienvivant.
Oh,etpuiszut!Ilsn’étaientpassoumisauxrèglesdelasociété,icibas,etellesefichaitdecequelesautrespouvaientpenser.Elleposaseslèvressurunedesesjouesetsamainsurl’autre.Ilétaitenvie, chaud, le cœur battant. Un gémissement se bloqua dans sa gorge. Elle avait été si près de leperdre…leslarmesluibrûlèrentlevisage.Plusjamais.
Sabarberâpeuseécorchaseslèvrestropsensibles.ElleclignalesyeuxpourchasserseslarmesetdesserralaprisedeWilldupoignetd’Ingrid.Elleavaitdusangsurlesdoigts.
—Rentreàlamaisonavecmoi,Will.Ramène-moi.Samains’ouvritd’uncoup,maissesyeuxrestèrentscellés.Lecorpsd’Ingrids’effondraausoletelleramenasonbrasblessédevantelle.—Ne bougez pas, la prévint Lena en glissant ses bras autour du cou deWill. Lève-toi,Will,
souffla-t-elleàsonoreille.Ramène-moiàlamaison.Cheztoi.C’estalorsqu’ilouvritlespaupières,etlalueurderagequibrillaitdanssesprunelless’estompa.
La bête n’avait pourtant pas entièrement disparu. Il la regarda avec avidité et elle sentit ses tétonsdurcirdouloureusementcontresachemiseenlin.
—Oui,fit-elledansunsouffle.Quandonserarentrés.—Rentrés,répéta-t-ild’unevoixrauque.Iltournalatêteetpritconsciencequ’ilétaittoujoursagenouillésurIngrid.Uneombrepassadans
sesyeuxquandillesreleva.—Rangezlefusil!s’écriaLenatandisqueWilllapoussaitderrièrelui.Iln’yavaitaucunechancedel’arrêters’ildécidaitdes’enprendreàJack.Plusmaintenant.Avec
un regard implorant, elle tenta de passer ses bras autour de Will pour le retenir, le ralentir, luirappelersonhumanité.
Jackbaissalentementlefusil.—Jenepensaispasquevousyarriveriez.(Illuiadressaunsignedelatête.)Cinqjours.—Cinqjours,promitLenaenlâchantunsoupirdesoulagement.JackobservaWilld’unœilprudent.Cequ’illutsurlestraitsduloup-garoulefitreculerd’unpas.—Vousferiezmieuxd’yaller.(Aprèsuncoupd’œilàIngrid,ilajouta:)Parcequejenepeuxpas
vousgarantirquej’arriveraiàlaretenir,elle.
Quandilsatteignirentlasurface,laragequiavaitalimentél’énergiedeWillavaitcommencéàsedissiper.Ilpesaittroplourdpourqu’ellelesoutiennetouteseule.
—Viens,ditLenad’untonqu’ellevoulutenjoué.Cen’estplustrèsloin.Ellejetaunregarddésespéréautourd’elle.Lerepaireétaitencoreàprèsd’unkilomètre.Etdans
cesrues,oùWillétaitincapabledesedéfendre,cekilomètrereprésentaitungrosrisque.Willvacillacontreunmurdebrique.Le sangséchait sur son flanc. Jamais iln’arriverait chez
Bladetoutseul.Lenasemorditlalèvre,puistournalatêteverslapetiteruelatéraledanslaquelleilvivaitdepuisquelquetemps.Ellen’yétaitjamaisentrée,maiselleconnaissaitl’adresse.
—Par ici, dit-elle en passant ses bras autour de sa taille pour le guider vers les escaliers quimenaientàsonappartement.
Deuxgarçonsfumaientdescigaresaupieddesmarches.IlsétaientuntoutpetitpeuplusjeunesqueCharlieetellen’aimaitpasleurfaçondelaregarder.
—Eh là,madame.Pourquoivous laisseriezpas tomber ledébrispourvenirvousasseoiravecnous?lançal’und’eux.
Impossibledelescontourner.Willseraiditcommes’ilavaitentendul’insulte,etelleluicaressaledos.
—Cenesontquedesgamins,murmura-t-elle.Aucundanger.C’estdumoinscequ’elleespérait.Lenahaussalavoixetregardaceluiquiavaitparlé.Elleavaitfait faceàdessangsbleusetdes
humanistes.Ilnes’agissaitqued’unadolescentquiessayaitd’impressionnersonami.—Çavousditdevousfaireunpeud’argent?—C’estpasplutôttoiquiveuxtefairedel’argent?répliqua-t-ilavecunricanement.LenaagrippalachemisedeWill.—Nefaispasça…Ellefitunpasenavanttoutengardantunœilsurlui.Ilfrôlaitpeut-êtrel’évanouissement,maissi
lafureurreprenaitledessus,ellepouvaitatteindreunniveaufatal.—J’aibesoinqu’onailledélivrerunmessageàmasœur.L’autregarçondonnauncoupdementon.—C’estqui,votresœur?—LafemmedeBlade.Lesdeuxjeunessefigèrent.Lepremierblêmitetbonditsursespieds.— On a rien voulu dire par là, mademoiselle. Qu’est-ce que vous voulez qu’on transmette,
commemessage?—Dites-luiqueLenaestchezWill.Qu’elleabesoind’elle.Willchoisitcetinstantpours’effondreretLenavacilladangereusementaveclui.Undesgarçonss’approchapourl’aider.—Non!s’écria-t-elletandisqu’ungrondementmontaitdanslagorgedeWill.(Ilsefigea.)Nele
touchepas.Neme touchepas. Il n’est pasvraiment lui-même,pour lemoment.Contentez-vousdetransmettremonmessage.
Cequ’ilsvirentsurlevisagedeWillleurfitmêmeoublierlaquestiondel’argent.Ici,lenomdeBladefaisaitpoids.
L’instantd’après,elleseretrouvaseulefaceaumurd’escaliers.Sonproprecorpsétaitfourbudefatigue.LenaparvintàhisserWillausommetetouvritlaporte
dechezlui.Iln’avaitmêmepasprislapeinedelaverrouiller.Lesdeuxdaguessculptéesdanslaportesuffisaientàdissuaderleplusbravedesvoleursd’enfranchirleseuil.
Tout en le soutenant,Lena referma laported’uncoupdepiedavec samule abîmée.Elle avaitperdul’autredanslestunnelsetlefroidavaitpresqueanesthésiésonpiednu.
— Là, chuchota-t-elle en le calant contre la porte. Reste là pendant que je vais chercher unelanterne.
Wills’affaissa.—Surlepoêle.Elledistingualescontoursdupoêlegrâceaufaibleclairdelunequifiltraitàtraverslesrideaux
vaporeux.Illuifallutuneminutepourl’allumer,puisunelueurchaleureuseenvahitlapièce.Lenajetaunregardcirculairealentour.—Seigneur,Will,tusaisquetupeuxacheterdesmeubles?Il n’y avait rien d’autre qu’un petit lit de camp dans un coin, recouvert d’un édredon en
patchwork,unetable,deuxchaisesetlestrictnécessairedecuisine.L’appartementétaitpetit.Presque
aussi petit que celui qu’elle avait partagé avec son frère et sa sœur quand ils étaient arrivés àWhitechapelpoursecacher.
—Bladedoitquandmêmebientepayer,dit-elled’unairconsterné.— Il me paie. (Will fit un pas vers le lit et chancela.) J’ai pas beaucoup de besoins… pour
dépensercetargent.Lenaseprécipitapourlerattraper.Ellevacillaenarrièresoussonpoids.Sesgenouxheurtèrentle
litetilstombèrenttousdeuxàlarenverse.Wills’écrasadetoutsonpoidssurLena.Son visage était enfoui dans son épaule. Lena se tortilla pour trouver de l’air puis se laissa
retomber,impuissante.—Will!Tum’écrases!Rien,pasunmouvement.Ilrespiraitlentementetellecompritqu’ilétaitinconscient.C’étaitl’état
qui suivait généralement un effort intense. Elle repoussa son épaule et parvint à se déplacersuffisammentpourneplusêtreécraséeparsonpoids.
Elle sortit sa chemise de sa ceinture et tordit le cou pour examiner sa blessure. Elle étaitrecouverte d’une croûte ensanglantée. Elle passa doucement sa main sur ses côtes pour chercherd’autresplaieséventuelles.Àcestade,ellenepouvaitpasfairegrand-chose.Levirusseconcentreraitsurlestissusendommagésetagiraitavecuneefficacitéqu’ellenepourrait jamaiségaler,nielleniaucunmédecin.
Rassuréesursonétat,elleselaissaretombersurl’oreiller.Lefroidquisemblaitenvahirsesosétaittoujourslà.EtWill,lui,brûlaitdefièvre.
Elleseblottitcontreluietposaseslèvresfroidessurlapeaudesoncou.LachaleurcorporelledeWilll’apaisaquelquepeu.Sanauséeétaitpassée,Dieumerci.Lenaclignalesyeuxqu’elleparvenaitdifficilement à garder ouverts. Rompue de fatigue, elle eut à peine le temps de se demander siHonoriarecevraitsonmessageavantd’êtreengloutieparlesténèbres.
21
Les rayons de soleil matinaux filtraient à travers les rideaux. Lena serra ses paupièresdouloureuses.Elleétaitassoiffée.
—Oùsuis-je?Unombrebougeadanssavisionpériphérique.TouslessensdeLenasemirentenalerte,maisson
rythmecardiaqueralentitquandellevitCharlieluisourire.—Elleestréveillée!Honoriasematérialisaàsontour,levisagerendupâleparlemanquedesommeil.Ellepassaune
maindélicieusementfraîchesurlefrontdeLena.—Charlie,susurra-t-elle.Pourrais-tuallerchercherdel’eau?Etquelquechoseàmanger?LadernièrequestionavaitétéadresséeàLena.Celle-cihochavivementlatête.Sonestomacgrondaitetellesalivainstantanément.Honoriaapprochaunverredeses lèvres.L’eau fraîche imbibasa languesècheetellebutavec
avidité.LaporteserefermaderrièreCharlieetHonorias’installasurleborddulit.—Boislentement,luirecommanda-t-elle.Tuasdormipendanttrèslongtemps.Après avoir fini son verre, elle se sentait légèrement mieux. Elle jeta un regard circulaire et
reconnutsonanciennechambreaurepaire.—EtWill?—Ildort toujours. (Honoriacaressa lescheveuxhumidesdesasœur.)Lena, ta températureest
anormalementélevée.Tuesbrûlantedefièvre.Commenttutesens?Lenapritenconsidérationlessensationsqu’elleéprouvait.—Affamée?Unelueurd’inquiétudepassadanslesyeuxdeHonoria.—Ques’est-ilpassé?Tut’ensouviens?ToutcequeRipapunousdire,c’estqu’ilaentenduun
siffletdedétresseetqueWill estpartiprécipitamment.Ona retrouvé tacarriole renverséedans larue,maisaucunsignedetoi.BladeetRipontfouillélestunnels,maisilsontperdulatraceolfactivedeWill.Quelqu’unavaitaspergéleslieuxavecunesortedeproduitchimiquequieffacelesodeurs.
Lesévénementsdelaveilleluirevinrentàl’esprit.Elleentrouvritlabouche.Puislareferma.Elleavaitjurédeneparlerdeshumanistesàpersonne.Etellen’osaitpasimpliquersasœur.
Leslarmesluimontèrentaussitôtauxyeux.Elleétaitàfleurdepeau.—Honor,sijeteposeunequestion,tuyrépondras?—Biensûr.Leursregardssecroisèrent.—Est-cequepèreétaitunhumaniste?
Honoriasefigea.—Pourquoimeposes-tuunequestionpareille?—Alors c’est vrai… (La voix de Lena se durcit et elle lutta pour se redresser.) Quels autres
secretsas-tujugébondemecacher?LetravaildepèrepourVickers?Lavéritésurcequ’ilfaisaitréellement?
—Oùas-tuappristoutça?—Peuimporte.Toutestvrai,n’est-cepas?—Oui.Jenesaispasexactementcequ’ont’adit,maisc’estvrai.Danslesdernièresannéesdesa
vie, père était de plus en plus mécontent de l’ordre du monde. Il a commencé à s’atteler àl’élaboration d’un remède pour le compte de Vickers, mais sur son temps libre, il cherchait lesfaiblessesdessangsbleus.Ilvoulaittrouverdesmoyensdelesdétruire.
Lenasepritlevisageentrelesmains.ToutcequeluiavaitconfiéRosalindétaitexact.Honoriatendittimidementlamainverssonépaule.—Lena?Tunem’enveuxpas?J’aifaitcequejepensaisêtrelemieux.C’étaituneinformation
dangereuse.Toutcetemps,jenefaisaisqu’essayerdevousprotéger,toietCharlie.—Tuauraisdûmeledire.Dèsqu’elleeutprononcécesmots,ellemesuracombienladéclarationdeHonorialuiparaissait
familière.Lenaavait invoqué lesmêmesexcuses.Ellen’aurait jamaispensépartagercette réactionavec sa sœur. Elles étaient différentes, et pourtant, elle ne pouvait nier queHonoria serait prête àrisquersapropreviesanslamoindrehésitationpourCharlieetelle.Elleserradoucementlamaindesonaînée.
—Lena,ques’est-ilpassédanslestunnels?Elleyavaittrouvéunmondedontellenepourraitjamaisrévélerl’existence.—Quelqu’unm’aenlevée.Jenesaispasquiexactement.Willestvenupourmesauver.Le récit était trop bref pour contenter sa sœur, et elles le savaient toutes les deux. Mais le
sentimentdeculpabilitéauquelHonoriaétaitenproielaretintdecontestersesdires.—TupensesquejepourraisvoirWill?demandaLenad’unevoixdouce.—Ildort.—Seulementlevoir.Elleavaitcrul’avoirperduetelleéprouvaitsoudainlebesoinimpérieuxdes’assurerqu’ilétaità
l’abrietbienvivant.Honoriasoupira.—C’estd’accord.Maisseulementparcequejecomprendscequeturessens.
Honoriaposa lamainsur lefrontdesasœuretécartasesboucleshumidesdesonvisage.Elle
avaitlaisséLenaassisesurunechaiseàcôtédulitdeWillmais,àsonretour,aprèsavoirétéchercherunpeud’eau,ellel’avaitretrouvéepelotonnéesurlescouvertures,endormie,lesdoigtsentremêlésàceuxdeWill.
Par-derrière,Bladepassalesbrasautourdesatailleetposalementonsursonépaule.—Qu’est-cequinevapas?—Commentça?—Tuasl’airpréoccupée.Elleluifitsignedesetaireetleguidaverslasortie.Ellerefermalaportederrièreelle.Ilhaussa
unsourcilinterrogateur,maisellesecoualatêteetl’emmenadanssonatelieràl’étage.—Qu’est-cequ’ilya,mabelle?
Ici,personnenelesentendrait.Honoriasedirigeaverssonbureauetpritungroslivresursonétagère.Ellel’ouvritàlapagemarquéeetposasonindexsurletexteécritenpattesdemouche.
—Lisça.Bladeplissalesyeuxetseslèvresremuèrentlentement.—Jecomprendspas.Cesontlespremièresphasesduloupeetseseffets.—JelesétudiaisafindetrouverunremèdepourWill,avoua-t-elle.Lepremiersigneduvirus,
c’estlafièvre.Desmauxdetête,desboufféesdechaleur,dessueursfroides…Ilcompritimmédiatement.—Elle est brûlante,murmuraHonoria. Elle ne devrait pas être aussi chaude sansmontrer de
gravessignesdemalaise,maistoutcequ’elleressent,c’estlafaimetlasoif.Bladepâlit.Honoriasemorditlalèvre.— Et ce n’est pas tout. Savais-tu que le loupe est une maladie extrêmement violente et que,
pourtant,iln’yaquepeudeloups-garousdanslesenvirons?Ellepassa lamain sur lapagedevantelle, lesyeuxbrûlants.Dès sespremiers soupçons sur la
situation,elleétaitvenueicipourenliredavantage.—Blade, les statistiquesde survie à la fièvre initiale sont extrêmement faibles.Un sur quinze,
peut-être, arrive à faire la transition. En Scandinavie et enAllemagne, seuls les guerriers les plusfortssontautorisésàsefaireinfecter.Ilsdoiventd’abordpasseruntestpours’assurerqu’ilsontlesmeilleureschancesdesurvie.(Savuesebrouilla.)Voilàpourquoiunloup-garoun’apasledroitdes’accoupleravecunehumaine.Oh,Seigneur,qu’est-cequej’aifait?
Savoixdevintmurmure.Sapoitrineétaitdouloureuse.—Jen’auraisjamaisdûlalaissers’approcherdelui.J’auraisdûcomprendre.J’auraisdû…Bladelaserraentresesbrasmusclésetl’attiracontrelui.—J’ailesentimentqu’onauraitrienpufairepourlesteniràl’écartl’undel’autre.(Illuicaressa
les cheveux.) Doucement, ma belle. C’est pas ta faute. Tu pouvais pas savoir. On a tellement peud’informationssurleloupe…Etquisait,elleserapeut-êtreassezrobuste.
Honoriafutsecouéed’unsanglot.—Lesguerrierslesplusforts,Blade.Etlaplupartd’entreeuxnesurviventpas.—Danscecas,dit-ilenrelevantlementondesafemme,ilfautqu’ontrouvecedontelleabesoin.
Commentl’aider.Cetteidéeluiapportauncouragequ’aucunevagueparolederéconfortn’auraitpuluiprocurer.
Ça,elleenétaitcapable.Elles’emparadulivreetessuyaseslarmes.Ellen’avaitpasréussiàsauversonfrèreduvirusdubesoin,maisqu’ellesoitmauditesiellelaissaitsasœurdisparaître.
— Assieds-toi, dit-il en la poussant vers un fauteuil. Lis. Je vais chercher du thé et de quoigrignoter.Puisj’irailesvoir.
Honoriaparcouraitdéjàlespagesduregard.—Merci.
Quelquechoseremua.Lenaouvritdesyeuxensommeillés.Elleenfonçasesdoigtsdanslecorps
douxquisetrouvaitsouselleetbâillaens’agrippantauxdraps.Willroulasurlecôtéetluijetauncoupd’œilprudent.Desplaquesdemuscleslissesrecouvraient
sontorseetsesépauleset,l’espaced’uninstant,Lenaéprouval’envieirrésistibledepassersesmainsdanssescheveuxetsursapoitrine.
Willseraidit.
—Onestaurepaire.(Ilfronçalessourcils.)Qu’est-cequis’estpassé?—Tunetesouvienspas?Tut’eseffondréetBladet’aramenéici.Tuasdormitoutelajournée.
Commenttutesens?Sonregarddérivaverslacarafed’eau.Lena sauta du lit, vêtue de sa chemise de nuit, et lui servit un verre. Elle le lui tendit,mais il
s’empara de la carafe et la but en entier. Lesmuscles de sa gorge se gonflèrent et un filet d’eaudégoulinasursamâchoireetaucreuxdesoncou.
UnesensationdechaleurmontaentrelescuissesdeLenaetelleserraleverrefraisdanssamain.Ledésirpurluifaisaitpresquel’effetd’uncoupdecouteauenpleincœur.Elles’étaitpromisdeluiparlers’ilsurvivait,deluiavouersessentiments;maissoudain,elleétaitnerveuseetelleperditdenouveausalangue.C’étaitl’effetqu’illuifaisaitimmanquablement.
Elle, une femmequipouvait fairebasculer le cœurd’unhommed’un simple sourire si elle levoulait.
Une fissure se forma sur le verre. Puis une autre. Lena baissa les yeux, stupéfaite, et vit lecontenantsebriserenmillemorceaux.Sesdoigtssemirentàsaigner.
Willbaissalacarafeetfixalesmorceauxdeverreduregard.—Mince,Lena.Ilsautadulitetsemutaveclagrâcequiavaittoujoursfascinélajeunefemme.Unbrefaperçudepeaunueetdorée.Lenaécarquillalesyeux.Ellelesbaissaunesecondeavant
queWillpousseunjuronetrelèvebrusquementledrapautourdesataille.Oh,douxJésus.Lesreprésentationsdanslesmanuelsd’anatomienepourraientjamaisserapprocherdelaréalité.
Sonvisages’échauffa.Ellen’avaiteuqu’unlégeraperçudesonmembre,énormeetàdemidressé,jaillissantdesa toisonsombre.Sonsoufflesebloquadanssagorge.Ilétaitabsolument impossiblequ’ilspuissents’emboîter…
Willgrognaetluipritlesbrisdeverredesmains.Ildéchiraunpetitboutdedrapqu’ilplongeadanslacarafe,puisqu’ilappliquatendrementsurlescoupuresdesamain.
—Qu’est-cequis’estpassé?—Ils’estbrisédansmamain,réponditLenad’unevoixdistante.Unfrissond’envieparcourutsoncorpsetalimentadesdésirsqu’ellegardaitsoigneusementsous
cléaufonddesoncœur.Willhésita.—Qu’ya-t-il?—Tuasunfragmentdeverrelà-dedans.(Ilfronçalessourcils.)Lena,tunelesenspas?Elledétournalesyeuxdesapoitrinenueetaperçutl’éclatfichédanssamain.Dèsqu’ellelevit,
elleéprouvalamorsureaigredeladouleur.Ellesemorditlalèvre.—Unpeu.Maisçanefaitpastrèsmal.—Lena,regarde-moi.Elleplongeadanssesiriscouleurwhiskycernésdesescilsépais.Ellesepenchaenavant,posasa
mainlibresursontorseetéprouvaladélicieusesensationdesespoilssoyeuxsoussesdoigts.Willeutunhoquet.Puisilbaissalesyeuxetellesentitunedouleurdanssamain.—Jel’ai,dit-il.Iltamponnalaplaie,l’examinapourtrouverd’autresmorceauxdeverreéventuelspuisl’enroula
fermementdansunepiècededrap.
L’odeurchaudeetmusquéedeWills’emparadessensdelajeunefemme.Dèsqu’ileutrelâchésamain,ellelaposasursonventreetlesentittressaillirsoussacaresse.
—Lena,dit-ild’unevoixrauquesuruntond’avertissement,maislesflammesdanssesprunellescontredisaientletondesavoix.Onnepeutpas.
—Pourquoi?murmura-t-elleenpassantledosdesesdoigtssursontorse.Tuenasenvieetmoiaussi. (Des larmes luipiquèrent lesyeuxetelleeutsoudain lagorgenouée.)J’aicruque je t’avaisperdu.Quetuavaisdisparu.Pourtoujours.
Unegrosselarmechaudeetsaléeroulasursajoue.Ellesecoualatêteetlecontempla.—Riend’autren’ad’importance.Elleprituneprofondeinspiration.Soncœurs’emballait.Elleavaitdumalàleregarderenface,
maispeuimportait.—J’aieusipeurdeneplusjamaisavoirl’occasiondetetoucher.Det’embrasser.Detedire…—Demedirequoi?Illuisaisitlespoignetsetlestiradanssondos.Lenasentitsestétonsrâpercontresachemisedenuitenlin.Uneexpressionintenses’imprimasur
lestraitsdeWilletdesétincellesambréess’animèrentdanssesiris.C’étaitexactementcequ’elleavaitessayé d’attiser chez lui. Sa passion incontrôlable. Son désir. Elle s’approcha encore et laissa sapoitrineeffleurersapeau.Dessensationsmontèrentdanssonbas-ventreetuneardeurs’élevaàsonentrejambe.
—Demedirequoi?répéta-t-iltandisquelacouleurambréeprenaitledessussurlebrundesesyeux.
Lena sepencha et déposaunbaiser sur son torse.Will frissonna et relâcha lapression sur sespoignets.
—Combientumemanquais,susurra-t-elle.Sij’aijouéavectoi,Will,c’estparcequej’avaispeurqu’en étant sérieuse, tu ne le sois pas…et que… j’avais envie que tum’embrasses. J’ai essayé det’ameneràlefaire,maistun’osaisjamais.Jepensaisquetunevoulaispasdemoietj’ensouffraisterriblement…Parcequemoi,j’avaisenviedetoi.
LesdésirsconflictuelsdeWill lefirentdenouveaufrissonner.Ilsecouala têteetentrouvrit leslèvres.
—Jenepeuxpas.MaissesmainslibérèrentcellesdeLenaetelles’échappafacilementdesonétreintepourcaresser
sontorseets’approcherencore.Will reculaetsesgenouxheurtèrent le lit. Il retombaenarrièreetserra la couverture dans ses poings.Le drap enroulé autour de sa taillemenaçait de tomber.Lenas’agenouillasurleborddumatelasetpassaunejambepar-dessusseshanches.
LesmusclesdeWillseraidirent.—Lena,tunecomprendspas.—Tuasenviedemoi,ouiounon?Elleattenditlaréponseenretenantsonsouffle.—Biensûrqueoui,mais…Elleposaundoigtsursabouchepourleréduireausilence.Sachemisedenuitétaitremontéesur
ses cuisses et l’ourlet en dentelle effleurait sesmollets. Elle s’humecta les lèvres et s’assit sur sesgenoux.Elleretintunhoquetquandellesentitsonmembredurpressercontresonentrejambechaudethumide.
Cettesensationétaitdélicieuse.Ellerenversalatêteenarrièreetsecambrapoursepressercontrelui.
Wills’emparadesesfessesetenfonçasesdoigtspresquetropfort.IllaserradenouveaucontreluietLenalâchaunpetitcri,submergéededésir.
Ledrapétaitprisaupiègeentreeux.Ellesentaitsoncorpsl’humidifieretlefrottementdutissucontresonpointsensiblelarendaitfolle.Elledésiraitpasseràlavitessesupérieure.Ellevoulaitplus,elleavaitbesoindeplus.Elleplongeasesdoigtsdanssescheveuxetattirasabouchecontrelasienne.
Willluimorditlalèvreavantdel’aspirer.Leurslanguess’entremêlèrent.Ellefrottasesseins,seshanchesetsonsexecontresoncorpsferme.Songoûtluimontaàlatête.
Ellenesupportaitpluslaprésencedudrap.Elleglissaunemainentreeuxettirasurlalongueurqu’ilavaitcaléeautourdesa taille. Ilcompritses intentionset luiattrapa lepoignet.Lenacontinuamalgrétoutetsentitletissusedénouersouselle.ElleplaqualeshanchescontreWillet,cettefois,ellerencontrasachair.Sachairdureetgonflée.
—Jepeuxpas.Ellel’embrassa,craignantqu’ils’écarte.Sonmembresedressaénergiquementcontreelleetelle
lemouillaavecsoncorpsensefrottantsurlui.Willémitunsonétrangléetenfonçalesdoigtsdanssescuisses,leregardembrasé.LeboutdesonsexeeffleuraLenaavecunesensationdetiraillement…
La jeune femme ouvrit la bouche.Will la prit par les hanches et le tiraillement disparut. Il laplaqua contre le matelas et se dressa au-dessus d’elle avec un grognement contenu. Il colla lespoignetsdeLenasurlelit.
—Non.Lesoufflecourt,ledostendusousl’effort,illaregardaavecdesflammesambréesdanslesyeux.—Tuenasenvie.—J’enaienvie,admit-il.(UnelueurdetristessepassadanssonregardetserralecœurdeLena.)
Maisjepeuxpas,Lena.Jet’aipromisquejeteprotégerais.Mêmedemoi.—Jetefaisconfiance,dit-elledoucement.Tunemeferaspasdemal.Ilfermalesyeux.—Lena,sais-tuseulementcommentsetransmetlevirusduloupe?Elleouvritlaboucheetsefigea.Non,ellen’yavaitjamaisréfléchi.—Jenesaispasgrand-chosesurlesujet.Peudepersonnesyconnaissaientgrand-chose.Àl’Échelon,personnen’enparlait.—Jesaisquelevirusdubesoinsetransmetparlesang.— Le loupe aussi. (Son corps s’affaissa légèrement et ses hanches enfoncèrent Lena dans le
matelas.)Maisaussiparlesperme.Àtonavis,pourquoijen’aijamaisétéavecunefemme?C’étaitunenouvelleetétonnanterévélation.—Jamais?murmura-t-elle,surprise.Ilsecoualatête,leregardsombre.—Jamais.Unesensationd’intensepossessions’emparad’elle.—Jenesavaispas.Jepensais…Sonespritsemitàtourneràtouteallure.Pasuneseulefoisneserappelait-ellel’avoirvuavec
unefemme.Ellen’yavaitjamaispenséetavaitpréférésupposerqu’ilrestaitdiscretsurlesujet.Willla relâcha et s’agenouilla au-dessus d’elle, les mains posées sur ses cuisses. Son sexe se dressaitcontre son ventre, mais l’affaissement de ses épaules était éloquent. Il saisit un pan du drap etl’enroulaautourdeseshanches.
—Àmoinsqu’unefemmesoitdéjàatteinteduloupe…
Lenasecoualatête.C’étaitimpossiblequeçaleurarrive.Toutjustequandelles’étaitenfinavouéàelle-mêmesessentimentspourlui…
—Peut-être que ça nemedérangerait pas, reprit-elle en se léchant les lèvres.Si c’est la seulefaçonpournousd’êtreensemble…
—Non!(Sestraitssedurcirent.)Tunesaispascequetudis.J’aireçudescoupsdecouteau,desraclées,etonm’adéjààmoitiéétripé,maiscen’estrien–absolumentrien–comparéàl’agonieduvirusquandilt’infecte.Toutlemondenesurvitpas,Lena.(Ilsepassaunemainsurlevisage.)Jenepeuxpasfaireça.Surtoutpasàtoi.
DeslarmesbrouillèrentlavuedeLena.L’avenirfragiledontelles’étaitmiseàrêverfutbalayéparletourbillondesesmots.
—Lena,dit-iltoutbasenluicaressantlajoue.Nepleurepas.—Jenepleurepas,répondit-elleenessayantdeséchersesyeuxavecsesmanches.(Elleparvint
mêmeàafficherunfaiblesourire,quinetardapasàs’estomper.)Hier,jet’aicrumort.Jemesuisditquejeferaistoutpourterécupérer,pourtemettreàl’abri…
Savoixsebrisaetellesemitàsangloter.ElleperçutlebruissementdesdrapsetWilll’attiracontrelui.—Jen’aijamaisvoulutefairedemal,chuchota-t-il.J’aiessayédegardermesdistancesavectoi.Ellehochalatêteetinspiraentremblant.—Jelecomprends,maintenant.Toutes les fois où elle avait cru qu’il se fichait bien d’elle alors qu’en réalité, il essayait
seulementd’arrêteravantqu’ilsn’aillenttroploin!Il luiembrassa la joue, les lèvresmouilléesparses larmes.Lenatournasonvisageetseblottit
contre lui. Ils s’embrassèrent, agrippés l’un à l’autre avec désespoir, et Lena faillit s’effondrer denouveau,conscientequeceseraitladernièrefois.
Elle fourra ses doigts dans ses mèches soyeuses. Le sexe de Will pressait toujoursvigoureusement contre sa cuisse. Il fit glisser ses lèvres sur sonmenton, puis dans son cou, et salanguetraçalesillonsalédeseslarmes.
Lecontactdesamainsursonseinluiarrachaunhoquet.—Will?—Rienqueça.Justeunefois.Desonautremain,ilretroussasachemisedenuitetcaressalacourbedesesfessesnues.Une vague de chaleur s’empara de son corps. Elle ne pensamême pas à opposer lamoindre
résistance.Sic’étaittoutcequ’ellepourraitobtenirdelui…—Qu’est-cequetuvasfaire?Willl’allongeasurlematelasets’agenouillasurelle.Lefrottementdesabarbecontresagorge
luifitdécollerleshanchesdulitetelleenfonçasesonglesdanssesépaules.—Jen’aipasarrêtédepenseràça…j’enairêvé.(Ilfitglissersesdentslelongdesagorgeet
mordillasachairtendre.)J’aienviedetegoûter.Ellefrissonnadedésir.Illuidemandaitdes’abandonner,cequ’ellefitsansretenue.—Vas-y.Ilcaressafiévreusementsoncorpspar-dessussachemisedenuit,puisensaisitlebasetlareleva
d’uncoup.L’airfraiseffleurasapeaunueetLenalevaleshanches,puislesépaules,pourluipermettredela
luiretirercomplètement.Willnelaquittaitpasdesonregardbrûlantquienflammaitsoncœuretsonâme.
Avecune légère incertitude,elleposa lesmainsàplat le longdesoncorps.Sonsouffle faisaitgonflersapoitrineetattirait irrésistiblementl’attentiondeWill.Sestétonsdurcirentetelleobservasonvisageàlarecherchedequelquechose,n’importequoi.
L’expressiondeWills’adoucitetsamouetrahitledésirquilerongeait.—Tuesmagnifique.Il chatouilla la peau de sa clavicule puis dessina des cercles concentriques autour de son sein
gauche.—C’estlaperfection.—Ilssonttroppetits,murmura-t-elle.Ils’étenditàcôtéd’elle,unejambeposéepar-dessuslessiennes.Ilcapturasonregardetpassasa
mainrugueusesursonsein.—Laperfection,gronda-t-ilenbaissantlatête.Salanguesuivitlecontourdesescourbesetilmordilladoucementsontéton.Ilbaissalamainsur
sonventre.Quedesensations !Elleparvintdifficilementà secontenir, surtoutquand ilplongea lamainentresescuisses.
C’étaitunnouveaumondepourelle.Ellesesentaitextrêmementgaucheetinexpérimentée.Elleneconnaissaitrienàtoutça,elleneconnaissaitrienauplaisir.Lathéorienevalaitriencomparéeàlapratique.LesdoigtsdeWilltrouvèrentsonpointsensibleetellerenversalatêteenarrièrecontreledrap.
—Détachetescheveux,luidemanda-t-ilendessinantdepetitscerclestoutautour.Ellepouvaitàpeinebouger,priseaupiègedessensationsquesamainluiprocurait.—Jenepeuxpas,dit-elle,leshanchestremblantes.Ilcessasesmouvementsetappuyalapaumedesamaincontresonpubis.—Relève-les,répéta-t-ild’untonautoritaire.Lena leva les bras et entreprit de dénouer sa natte. Ses cheveux s’étalèrent en une cascade de
bouclessombresetépaissessurlesdraps.LespaupièresdeWills’alourdirentavecindolence.Ilpritsontétondanssaboucheetlesuça.
Ellecaressasesépaulespuisempoignasescheveux,incapabled’éprouverdespenséescohérentes.La langue chaude deWill caressa son mamelon. Un son inarticulé monta dans sa gorge. Un
gémissementsilencieuxetimplorant.Commeenréponse,ilfitdansersesdoigtssurlachairhumidedesacavité.
—Oui,haletaLenaensecambrant.Will!—Çateplaît?demanda-t-ilavecunelueurdecuriositédanslesyeux.Pourluiaussi,toutçaétaitnouveau,etpourtant,ilfaisaitpreuved’uneassurancetrompeuse.Illa
pénétradesonindexetlesmusclesdeLenasecrispèrentautourdelui.Sesyeuxroulèrentsousl’effetdelajouissance.Unriredouxrésonnacontresapeau,unmurmuredeplaisiretdesatisfactiond’uneintensevirilité.
—Oui?Elleserraitsifortsonpoingdanssescheveuxqu’ildevaitlesentir.Elleessayadesedétendre,en
vain.—Oui.Unautredoigtglissaenelleetellesentitunebrûlureaufonddesoncorpsquiserelaxaitpour
l’accueillir.Des ombres envahirent le regard deWill. Il aurait voulu que ce soit sonmembre à laplace de son doigt. Puis il mordit son sein tandis que ses iris prenaient leur couleur ambréecaractéristique.
Lena leva les hanches contre sa main dans une supplication silencieuse. Le monde se rétrécitautourd’elle,réduitauxbruissementsdesdraps,àseslégerssoupirsetàlasensationdescaressesdeWillquis’enfonçaientenelle.
Quelquechosemonta,unressentiqu’ellesavaitvouloiréprouver.Ellebalançasatêted’uncôtéetdel’autreenessayantdesepressercontresamain.Willcaressasonclitorisavecsonpouceetellesecrispaavecunhoquetenagrippantsonpoignet.
—Là,fit-elled’unevoixdésespérée.Justelà.—Là?Sonpouceappuyaplusfort.Ellepoussauncriendécollant ledosdumatelas.Elleyétaitpresque…Lemondemenaçaitde
basculersousellealorsqu’ilcontinuaitsesmouvementsdupouce.Là…Lenahurlaetlasensationqu’elleperçutannihilatouteslesautres.Sondoigtrestaprofondément
enfouienelle,pourlarevendiquercommeilauraitvoululefaireavecsoncorps.C’étaittrop.Ellecria,s’emparadesamainetserralesgenouxenroulantsurlecôté.Haletante,
elleenfouit sonvisagecontre ledrapet revint lentementauprésent.Will s’enrouladerrièreelleetposasonvisagedanssanuque,sonmembrepressécontresesfesses.
Elleremuapourledirigerentresescuissesetleprésenterfaceàsaféminitéhumide.Willprituneviveinspirationetagrippalescuissesdelajeunefemme.
—Lena.Lespoilsà labasedesonsexe luichatouillèrent les fesses.Sapeaubrûlante frotta sonclitoris
sensibleetellehaletadenouveau,tandisquedesétoilesdansaientderrièresespaupières.Will tirasonvisageenarrièrepourexposersagorge. Ilpressadenouveauseshanchescontre
elle,luiarrachantdenouvellessensations.Il enfonça les dents dans lemuscle souple de son trapèze et ses doigts dans ses cheveux avec
domination.Ellenepouvaitplusbouger,priseaupiègeparlecorpsdeWill.Ilsepressacontreelleencoreetencorepours’abîmerentresescuisses.Elleserralesgenouxetagrippalesdraps.
—Tum’appartiens,gronda-t-il.— Pour toujours, répondit-elle tandis que son corps basculait de nouveau dans des sensations
électrisantes.LecrideWillaccompagnalesienetsasemencechaudedégoulinasursonventre.Lenaselaissa
retomber, pantelante. Elle n’eut pas le temps de se détendre.Will la poussa sur le dos, le regardenflammé,etretirasonspermedesapeau.Cenefutqu’unefoisladernièregoutteessuyéequesesépaulessedétendirent.Ilroulaledrapenbouleetlejetasurlecôté.
Lenatenditlamainverslui.—Viensici.LesmusclesdeWillsecrispèrent.—Jedevraispas.(Sonregardglissaversledrap.)Jen’auraismêmepasdûprendrecerisque.UnechaleurlangoureuseenvahitlecorpsdeLena.Elleavaitdésespérémentenviededormir.Elle
s’étiracommeunchat.—Cen’étaitpasunequestion,Will.Elleluiappartenaitentièrement.Maisaufond,ellesavaitqueluiaussiétaitsien.Ilapprochaetsecollacontreelle.Lenasouritpourelle-mêmeetleserracontreelleenfrottantsa
joueàsoncou.Jet’aime.
Maisellen’osaitpasprononcercesmotsàvoixhaute,desmotsqui,àcetinstant,neferaientquecauserunesouffrancesupplémentaire.Ellenevoulaitpaspleurer.Ellenevoulaitpasvoircettelueurdesatisfactionquittersonregard.Cemomentétaitàeux,etc’étaitledernierqu’ilss’accorderaient.
Cettepenséefitdisparaîtresonsourire,maiselles’efforçadelachasser.Ilestàmoi, songea-t-elleenglissantsesbrasautourdelui.Leparfumfamilierdesoncorpsenvahitsesnarines.Elleposasonvisagedanssescheveuxetinspiraprofondément.
Nepaspenseràl’avenir.Nepaspenseràcequiétaitimpossible.Savourerl’instant.Pût-ilnejamaisprendrefin.
22
Unemaindouceluicaressalapoitrine.Will bâilla et s’efforça d’ouvrir les yeux. Il se sentait mieux qu’il ne s’était senti depuis des
années, sidétenduqu’ilpouvait àpeine lever la têtede sonoreiller.Lapièceétaitplongéedans lapénombre,lesdrapsimprégnésduparfumdeLenaetdel’odeurmusquéede…
Ilsefigea.Puisilsaisitlamainquiluicaressaitletorse.—Lena,murmura-t-ilenlevantlatête.Lalumièredesétoilesfiltraitàtraverslafenteentrelesrideaux.—Hmm?fit-elleenseblottissantcontrelui.Elleétaitnue,unejambepasséesurlui,latêteposéesursonépaule.L’odeurdesexe,desasemence,semêlaitauparfumexquisdesoncorps.Lepetitboutdubandageàsamainluichatouillaitlapoitrine.Qu’avait-ilfait?Iljetaunregard
affoléautourdeluietrepéraledraprouléenboule.Lessouvenirsluirevinrent.Sesdoigtsplongésdanssoncorpschaud,leshalètementsdeLenasouslui,sestraitsdéformésparl’extase.Sescoupsdereinsentresescuisses, lesgenouxserréscommeunétau tandisqu’ildéversait sonspermesursonventre…
Willlaissasatêteretombersursonoreiller.Dieumerci.Ilnel’avaitpaspénétrée.Ilnel’avaitpasinfectée.Submergéparunevaguedesoulagement,illuiprittendrementlamain.
Illaportaàsaboucheetembrassaleboutdesesdoigts.Lenaremuaàpeine.Willfronçalessourcilsetroulasurlecôté.Elles’affaissadanssesbrascommeunepoupéede
chiffon.Quelquesgouttesdesueurbrillaientsursapeaunue.—Lena?murmura-t-il.Pourquoidiablenerépondait-ellepas?Le côté de son corps qui avait été plaqué contre lui était humide. Son froncement de sourcils
s’accentuaetilposaunemainsurlefrontdeLena.Sescheveuxétaienttrempés.Ellegémitfaiblementetsatêtebasculacommesiellevoulaitqu’il
retiresamain.Ils’écarta,l’espritenébullition.Elleétaitchaude.Engénéral,lapeauhumaineparaissaittoujoursfraîcheencomparaisonavecla
sienne.Lena lui avait toujours fait l’effetd’une soie froide contre lui.Pourqu’il jugequ’elle étaitchaude,c’estqu’elledevaitêtrebrûlante,presqueautantquelui.
Iln’yavaitqu’uneseuleraisonpossible.—Non,chuchota-t-ilentournantlementondeLenapourexaminersonvisage.
Unelégèrerougeurteintaitsesjoues.Latranspirationbrillaitsursapoitrineettachaitlesdrapssouselle.Willsedressasursesgenouxetsonregardtombasurlebandageautourdesamain.
Illeretiraennégligeanttoutedouceur.Lenagémitettorditsoncousurlequelétaientplaquéessesmècheshumides.Ilredoutaitpresquederegarder,craignantd’affronterlaréalité.
Ilouvritsesdoigtsmalgrétoutetobservalapaumedesamain.Lapeauétaitpâleetdouce.Sanslamoindremarquedecicatrice.—Non,répéta-t-ilenbondissanthorsdulit.Lapaniquemontaetilpassasesmainsdanssescheveuxenluijetantunregardincrédule.C’étaitimpossible.Ilavaitpristantdeprécautions!Pasdesang,pasdesexe…etilsavaitquesa
saliveétaitsansdanger,sinonilnel’auraitjamaisembrassée.Unecraintesourdetourbillonnaenlui.—Lena,susurra-t-ilenserapprochantdulit.Lena?Elleclignalesyeux,somnolente,etgrimaçacommesielleavaitmalaucrâne.—Will?fit-elledansunmurmureàpeineaudible,latêteretombantsurlecôté.Willsaisitsonmentonentresesdoigts.—Tunetesenspastrèsbien,n’est-cepas?Ses pupilles avaient la taille de petites billes. Elle fixa un point derrière lui, incapable de
concentrersonregard.—Seulement…lamigraine…—Depuiscombiendetemps?Sesyeuxcommencèrentàserefermeretillasaisitparlesépaulespourlasecouer.—Bonsang,Lena,depuisquandtutesensmalcommeça?Elleluipritfaiblementlesmains.—Çafaitmal.—Jesais.(Ilserralesdentsetlarelâcha.)Jesuisdésolé.Depuiscombiendetempstuasmal?—Plusieursjours?chuchota-t-elleenléchantseslèvressèches.Lematinaprèsquetuesvenu…
dansmachambre.Wills’effondrasurlereborddulit.Ques’était-ildoncpassé,cettenuit-là?Ill’avaitembrassée.Il
avaitgoûtésapeau,sesseins,maisriend’autre.Ilnesesouvenaitpass’ilsaignaitounon.Ilfaisaittoujourstellementattention!
—Est-cequej’étaisblessé?Est-cequetuasvudusangsurmoi?Ellesecoualatêteetselaissaretombersurl’oreiller,commesisoncorpslafaisaitsouffrir.Et
c’étaitsansaucundoutelecas.—Aucuneidée.(Ellesepritlevisageentrelesmainsetrépéta:)Çafaitmal.Ilsepenchasurelle,impuissant.—Jesais.Oh,bonsang,ilsavait.Lesarticulationsdouloureuses,lecorpsbrûlant,lemartèlementcommesi
sa tête allait exploser. La soif insatiable. Il lui frotta le dos pour apaiser la douleur qu’elle allaitressentir.
—Jevaistechercherdel’eau,dit-ilavantdedéposerunbaisersursonfront.—S’ilteplaît.—Nebougepas.Lecœurbattant,ilramassasachemisedenuitetl’étalasurelle.Uneseulecouchesupplémentaire
luiirriteraitlapeau.Ilenfilalepantalonqu’ilretrouvaauboutdulitetseglissahorsdelapièceensilence.
Un faiblegémissement luiparvintde l’intérieur et luidéchira le cœur.Will s’appuyacontre laporteetfermalesyeuxdedésespoir.
Qu’avait-ilfait?
Laréalitédelasituationleheurtavraimentdepleinfouetquandill’aidaàfinirunepleinecarafed’eau.Lenaretombadansunsommeilfiévreuxetiltiraundrappropresurelle.Ilserelevaetobservasafinesilhouette.Ellefrissonnait,etsapeauétaitfroideethumideautoucher.
Willreculaendéglutissant.Qu’est-cequej’aifait?Iln’auraitjamaisdûposerneserait-cequ’undoigtsurelle.
Maisseslonguesannéesdesolitudeavaienteudelourdesconséquences.IlavaittoujoursdésiréLena. Beaucoup trop. Quand il lui avait arraché la lettre desmains, il aurait dû aller directementtrouverBlade.Lelaissergérercettehistoire,ainsiquelaprotectiondeLena.Ilsavaitdéjààl’époquelatentationqu’ellereprésentaitpourlui.
Il monta lentement les marches qui menaient au grenier en traînant les pieds. Un faiblebruissementdejuponsluiindiquaquiétaitdéjàlevé.
Ils’apprêtaitàfrapperquandilperçutunmurmuredevoix.Bladeaussiétaitréveillé.Étoufféparlafaute, ilseforçaàcognercontre l’épaisseporteenbois.Ilnepouvaitplusrienfaire.Lenaavaitbesoindesasœur.
—Entre,Will,lançaHonoria.Lalumièretransperçalesténèbresquandilpénétradanslapièce.Honoriaétaitinstalléedansun
fauteuilprèsdelacheminéeetsonhabituelchignonétaitendésordre.Bladefouillaitparmileslivressurlesétagèresetenétudiaitattentivementlestranches.
Honoriacroisasonregard.Descerclessombress’étiraientsoussesyeux.Ellesavait.Ilhésitasurleseuiletsecoualatête,incapabledeparler.—Oh,Will,fit-elleenselevant.Commentva-t-elle?Ilouvrit labouche,maisaucunmotnesortit.Ilneputqu’émettreunsoninarticuléempreintde
douleuretdeculpabilité.Unesensationdechaleurluibrûlalesyeuxetsavisionsebrouilla.—Jenevoulaispas…j’aitoujourspristellementdeprécautions…jenesaispascomment…C’estalorsqu’uneimagejaillitdanssonesprit.Labijouterie.—Malèvre,dit-ilen l’effleurantduboutdesdoigts.JemesuisbattuavecColchesteret ilm’a
entaillélalèvre.(Soncœurbonditdouloureusementdanssapoitrine.)Jel’aiembrassée.Jen’aipasréfléchi.
Ils’étaittellementpréoccupédenepaslamettredanssonlit,deluttercontresondésirdelafairesienne qu’il avait oublié, l’espace d’un instant, les dangers de son sang. Et la plaie était sisuperficielle…
Honoriapassasesbrasautourdesatailleet,pourunefois,illalaissafaire.—Cen’estpastafaute,Will.Peuimportecequ’onatouspudire,ellen’auraitjamaisgardéses
distancesavectoi.Ilposasonmentonausommetdesoncrâneetlaserramaladroitement.—J’auraisdûl’yforcer.(Ils’écartaets’essuyalesyeuxavecsamanche.)Jen’auraisjamaisdû
croirequejepouvaisfaireçasansrisque.J’auraisdûvenirtrouverBladedirectementquandtoutestarrivéetlelaissers’enoccuper.
—Quandtoutquoiestarrivé?Ildétenaittropdesecrets.Ilfermalaboucheetpassasesmainsdanssescheveux.
—Qu’est-cequ’onfait?Honoria le dévisagea d’un regard perçant pendant un moment, puis laissa tomber. Elle se
détournaetdésignaleslivresquijonchaientlapièce.—Jenesaispas,Will.Onafaitdesrecherchestoutelajournée…—Tuétaisaucourant?—Satempératureesttropélevée.C’estinhumain.Etj’aideviné.Ilfitunpasverselle,soudainfurieux.
—Pourquoivousnem’avezriendit?—Tun’étaispasenétat,répondit-ellesimplement.Etnousnesavionsquepeudechosessurle
virusduloupe.J’avaisbesoind’enapprendredavantageavantdepouvoircommenceràlatraiter.—Toutdoux,gamin,leprévintBlade,leregardsombre.Ilavaitbeaugarder sesmainsdanssespoches, sa façond’osciller sur sespieds indiquaitqu’il
étaitprêtàbondirsibesoinétait.Will se détourna et secoua la tête. Inutile de s’énerver. Tout ce qui importait pour lemoment,
c’étaitLena.—Vousaveztrouvéquelquechose?N’importequoi?Ilyeutunelégèrehésitation.—Rienquantàlamanièredegérerlatransitionnisurlespremièresphasesduvirus.EnGrande-
Bretagne, le loupen’estpasunemaladie trèsdocumentée.Jepensequepersonneà l’Échelonnesepréoccupaitdesavoirsilesgensysurvivaient.Qu’a-t-onfaitquandtuasétéinfecté,audébut?
Ilfixalemurdesyeux.—Jesaispas.Jemesouvienspasdegrand-chose.Rien qu’une chaleur incessante. La douleur qui avait vrillé son squelette. Les hurlements qu’il
avaitpousséspendantquesoncorpss’étaittransformé.Etlefroidimplacabledusous-solquandsonpèreavaitessayédefairebaissersatempérature.
—Le froid, dit-il. Le froid soulage.Mon pèrem’avaitmis à la cave où il faisait frais. (Il setourna.)Ellevaavoirsoif.Ilfautlafaireboiresanscesse.(Ilhaussauneépaule.)Jemesouviensderiend’autre.
—Çanenousaidepasbeaucoup,ditHonoriaensemordantlalèvre.—Jesais.J’avaiscinqansetj’étaisàpeineconscient.Tupensesquejenevouslediraispassije
mesouvenaisdequelquechose?—Cen’étaitpasunreproche,Will.Blades’étaitrapproché.Willserralespoings.—Jesuisdésolé.Jesuisàcran.J’arrivepasàcroire…C’étaitsonpirecauchemarquidevenaitréalité.Ilsentitunemainseposeraubasdesondos.—Onsait,murmuraHonoria.Viens.Onferaitmieuxdesepréparer.Jepensequ’ilnefaudrapas
longtemps avant que sa températuremonte en flèche. Elle a déjà les joues rouges. C’est la fièvreconsécutivequiva…
Elles’interrompit,commesiellevenaitd’avoirconsciencedecequ’elles’apprêtaitàdire.—Attendez,intervintBlade.Ilssetournèrenttousdeuxverslui.
—Iln’yariendansleslivresetWillnesesouvientderien.Maisilyaquelqu’unàLondresencemomentquipourraitsavoircommentfaire.
—LesScandinaves,ditHonoriaavantdeplaquerunemainsursonfront.Pourquoin’yai-jepaspensé?
—Tuavaislatêteailleurs.—Etilsserontdisposésànousaider?demandaHonoriaenregardantWill.Ilfronçalessourcils.—Jelesconnaisàpeine.Maispeut-être.—Tudoisallerlesvoir,ditHonoria.—JenevaispaslaisserLena.—C’estsameilleurechance,insista-t-elle.S’ilteplaît,Will.Tusaisquejeveilleraisurelle.Je
comptenerienlaisserluiarriver.Il hésita.Honoria ferait de sonmieux,mais il supportaitmal l’idéedepartir sachantqueLena
pourrait…Ilserralesdentsethochalatête.—C’estsameilleurechance.Jevaisallerchercherl’und’eux.—Jepréféreraisnepaspenserquetuvasenramenerunici,desonpleingréounon,fitBlade
toutbas.
WillfrappaàlaportedumanoirquelesNorvégienslouaientpendantladuréedeleurséjour.Lapluietombaitsansdiscontinueretsescheveuxdégoulinaientsursonvisage.Ilavaiteffectuéletrajetjusqu’àlavilledansunétatsecondetils’enrappelaitàpeine.
Consultersamontretouteslesdeuxminutesn’apaisaitnullementsatension.Illuiavaitfalluvingtminutes.Vingtminutesquinel’avaientpasaidéàsavoircequiallaitarriveràLena.
Desbruitsdepasrésonnèrentenfindansl’entréeetunmaîtred’hôtelouvritlaporte.—Oui?Willforçalepassage.—LadyAstridestlà?—Jecrainsqu’ellenesoitpasenmesurede…Ilsaisitl’hommeàlagorgeenquelquessecondes.—Allezlachercher,ordonna-t-ild’unevoixtrèscalme.Oujevousarrachelecœuretjelefais
passerparvosnarines,c’estcompris?Willrelâchal’hommequis’étalaparterreetreculavivementsurlesolenmarbre.—Quesepasse-t-ilici?lançaquelqu’un.LeFenrir émergea des ombres de la bibliothèque, vêtu de ses habits de cour.Une fourrure de
loupétaitretenueautourdeseslargesépaulesparuneperled’ambreetilavaitpeignésabarbeetsescheveuxgris.LamenacecontenuedanssonregardfaillitmettreWillhorsdelui.
Neleregardepasdanslesyeux.Respire…—Vousosezentrerainsichezmoi?demandaleFenrird’unevoixdoucemaisimplacable.Vous
oseztraitermesserviteursdelasorte?—Mononcle,intervintlavoixd’Astrid,calmeetapaisante.(Elles’approchadeMagnusetposa
unemain sur son bras.)Regarde-le. Il a dumal à se contenir.Quelque chose l’a ébranlé. (Elle setournaversWill.)Quesepasse-t-il?
Ilprituneprofondeinspiration,submergéparl’odeurdesmembresdesonespèce.—C’estausujetdeLena.
—Votrefemme?(Ellefronçalessourcilsetsemblacomprendre.)Elleaattrapéleloupe,c’estça?
—Jen’avaisquecinqansetjenemesouvienspasdelamarcheàsuivre,commentl’aider…—Peut-êtreparcequ’iln’yarienàfaire,petit,grognaMagnusd’unevoixpluscalme.(Ilcaressa
sabarbe.)C’estlajeunefille?Astridetluiéchangèrentunregard.—C’estunebattante,lâchaWill.Ellevalutter.—Vous auriez dû garder vos distances avec elle, dit Magnus en pinçant les lèvres. Si on ne
s’accouplepasavecleshumains,c’estqu’ilyauneraison.—Jel’aipastouchée.—Peuimporte,intervintAstridenjetantuneœilladeàsononcle.Laissez-moiallercherchermon
manteau.Jevaisvousaccompagner.Quejepuissevousaiderounon…—Merci.—Oùestvotrecarriole?demanda-t-elle.Willsecoualatête.—Jesuisvenuàpied.Parlestoits.Astridledévisagea,sarobeblanchetournoyantautourdeseschevilles.Puisunsourireaveuglant
flottasurseslèvres.—Commec’estintéressant.Laissez-moimechanger.Magnuslarattrapaparlebrastandisqu’elles’apprêtaitàs’éloigner.—Tun’yvaspasseule.—Toutlemondeestcensésetrouveraubaldeje-ne-sais-plus-qui.Levautourauvisagetailléà
laserpequisetrouveamusant.—LeducdeMorioch,réponditsèchementMagnus.EmmèneEric.Jesuissûrqu’ilseraravide
pouvoir échapper à une autre nuit d’ennui. (Il se tourna versWill.) Je vous donnemon fils etmanièce.Ramenez-les-moisainsetsaufsoujefaisplantervotretêtesurunpieu,c’estbiencompris?
Ilhochalatête.Voilàunhommequiparlaitlamêmelanguequelui.—Parfaitement.
—Lescolonies,hein?Ericbonditdutoitdanslarueboueuseencontrebas,sonmanteaufourrétournoyantderrièrelui.Willleprécédapourluiindiquerlechemin.Lerepaireseprofiladevanteuxetlatensiondansses
épauless’apaisaquelquepeu.—Jem’attendais àunmanoir,murmuraAstridqui atterrit à côtéd’euxetobserva lebâtiment
délabré.Vousavezunsous-sol?Oudelaglace?—Vousallezavoirunesurprise,dit-ilenpoussantlaported’entrée.Rip,quigardaitcetteporte,posalamainàsaceinturequandelles’ouvrit.CharlieetLarkétaient
assis au pied des escaliers et se disputaient pour savoir qui avait gagné la partie d’osselets. LesmâchoiresdeCharlietombèrentquandAstridpénétraàl’intérieur.
Elle avait enfilé un pantalon en cuir ainsi qu’une veste cintrée à la taille. Elle avait tressé sescheveux en arrière, ce qui dégageait son visage, et la fourrure qu’elle portait lui donnait l’allured’uneprincessebarbare.Riplui-mêmeneputretenirunhaussementdesourcilsadmiratif.
Eric entra sur leurs talons. Le Scandinave sourit et ébouriffa les cheveux de Lark comme s’ils’agissaitd’unepetitefille.Charlie,lui,semblaitenvisagerd’ajouterunmanteaudefourrureetunecottedemaillesàsagarde-robe.
—Commentva-t-elle?Charlieclignalesyeuxetdétournaleregardduduoexotique.—Je saispas.Honorneveutpasme laisser entrer.Qu’est-cequi sepasse,Will ? J’ai entendu
Lenapleurer…Ilsefrayaunpassagedanslesescaliers.DefaiblesgémissementsluiparvenaientdelachambredeLena.Ilfrappadoucementàlaporteet
passalatêteàl’intérieur.Lenasetortillaitsursonlit,lesjouesbrûlantesdefièvre.Lasueurcollaitsachemisedenuitàson
corpsetHonoriasetenaitàcôtédesatêteavecunlingefraisethumide.Bladetentaitdel’apaiser,unverred’eauàlamain.
—Ilssontvenus?demandaHonoriadontlestraitsétaienttendus.WillnepouvaitdétournerlesyeuxdeLena.—Commentva-t-elle?Honoriatorditlabouche.—Satempératureaencoreaugmenté.WillfutrepoussésurlecôtéetAstridentra.Elleévalualascèned’unregardetposasonmanteau
surunechaise.—Ilfautlarafraîchir.Etvite.Onvaavoirbesoindeglaceetdequelquechosed’assezlargedans
lequell’installer.—Unebaignoire?suggéraBlade.—Vousenavezune?—Dansmonappartement,répondit-il.—Parfait.(ElleposalamainsurlatempedeLenaetfermalesyeux.)Elleapprochedelalimite,
maisellen’yestpasencore.Ilestl’heure.—Lafièvrevaencoremonter?demandaHonoria,affolée.—Sic’estlecas,ellemourra,réponditAstridsansambages.Will,allezchercherdelaglace.Le
pluspossible.Ilpassalesvingtminutessuivantesàbriserdesblocsdeglace,puisremontadelacavepourles
emporterdans lachambredeBlade.Unfroidglacial régnaitausous-sol ;Bladedevaitgarderuneréservedeglacefaramineusepourconserversonsangaufrais.
AstridetHonorias’étaientrenduesdanslasalledebains.Astridremplitlabaignoireàrasbordd’eaufroide,puisversalesseauxdeglaceàl’intérieur.
—Vous êtes sûre que c’est sans danger ? demandaHonoria. Ils avaient l’habitude de faire lamêmechoseauxdétenusdel’institutdanslequeljetravaillais.C’étaithorrible.
—Çavaêtredouloureux,oui,réponditAstridsanschangerd’expression.(EllecroisaleregarddeWill,sachantqu’ilallaitprotester.)Quoiqu’ellefasse,vousnedevezpasintervenir.
—Ceseradouloureuxàquelpoint?interrogea-t-il.—Commedesflammes.(Ellelevaunemainpourlestopper.)C’estsaseulechance.EnNorvège,
onsesertdelaneigepourfairetomberlafièvre.Il vacilla, hésitant. Le pire, c’était de savoir la souffrance à laquelle Lena était en proie en ce
momentmême.Etjusqu’oùellepourraitaller.Luiavaitpassédeuxjoursd’enferàlacaveavantquelafièvreretombe.
Maisiln’yavaitriend’autreàfaire.—Combiendetemps?Astridluijetaunregardgrave.
—Deuxoutroisjours.Peut-êtrequ’unjourestdéjàpassé.Ellesembleàmi-chemin.Ilserappelaquec’était làsonseulespoir,mêmesilaperspectivedelafairesouffrirlerendait
malade.—Jevaislachercher.
23
Aussitôtqu’ilslaplongèrentdansl’eau,Lenasemitàhurler.Les dents serrées, Will la maintint en place malgré sa faible résistance. Le choc thermique
risqueraitdelatuer,selonAstrid,maissansça,satempératureallaitcontinuerdemonterjusqu’àluiêtrefatale.
L’eauglacéeluibrûlalesbrasetsesdoigtsfinirentpars’engourdir.Ilnepouvaitqu’imaginercequeressentaitLena.Ettoutétaitsafaute.Sesyeuxs’embuèrentetilluichuchotaqu’ilétaitàsescôtés,quetoutiraitbien.
IlnefallutpaslongtempsavantqueLenacessedesedébattreets’affaissedanssesbras.—Qu’est-cequisepasse?demanda-t-il.Lena?Ellenemanifestaitaucuneréaction,àl’exceptiondutremblementdeseslèvres.—Sortez-la,ordonnaAstrid.Will la souleva prudemment dans ses bras et l’eau glacée éclaboussa le sol en marbre. Ils la
séchèrentetAstridvérifiasatempératurepuisconsultalamontrequeluiavaitdonnéeHonoria.—Etmaintenant?s’enquit-il.Ellevamieux?—Sa températureestdescendued’undegré, réponditAstriden reposant le thermomètre,avant
d’échangerunregardavecHonoria.Will,ilfautplusdeglace.—Plusdeglace?—Pourlaprochainefois.Ilsecoualatête.Lenaétaitavachiedanssesbras,lapeauglacéemalgrélafièvrequiirradiaitde
l’intérieur.—Combiendefois?—Chaquefoisquesatempératuremontera.Jusqu’àcequelafièvrebaissepourdebon.Lecaractèredésespérédelasituationleheurtadepleinfouet.—Ellenevapass’entirer,c’estça?AstridécartalesmècheshumidesdufrontdeLena.—Vousm’avezditquec’étaitunebattante,non?—Elleesttêtuecommeunemule.—Alors apportez-moiplusdeglace,Will. (Elle sepenchavers l’oreilledeLena.)Vousdevez
vousbattre,mapetite.Battez-vouspourvotrehommecommeilsebatpourvous.Lanuits’écoula,uneheureaprèsl’autre.Ilrépétainlassablementlesmêmesgestes;ilbrisaitles
blocsdeglacepourlesréduireenpetitsmorceauxetlestransportaitàl’étage,puisilsplongeaientdenouveauLenadanslabaignoire.Honorias’étaitmiseàpleureretleslarmescoulaientensilencesur
ses joues. Il ne pouvait la regarder, àmoins de risquer de s’effondrer.Quand ils immergèrent denouveauLena,celle-ciremuaàpeine.
—Allez,mocridhe.Il déposaunbaiser sur son front en regrettant dene rienpouvoir faire.Mais il n’avait rienni
personneàtueroucontrequilaprotéger.Sonimpuissancel’anéantissait.Troptard…Pour tant de choses. Trop tard pour la serrer dans ses bras. Trop tard pour l’embrasser, pour
s’abandonneràellecommeilavaittoujoursredoutédefaire.Troptardpourluiavouersonamour,commeellel’avaittantattendu.
Ill’avaittenueàdistance,parpeurdeprovoquerprécisémentcequiétaitentraindeluiarriver.—Jetedonnerailalune,murmura-t-ilencaressantsescheveux.Jeteprotégerai,jetelejure.Je
teprometsqu’ilnet’arriveraplusjamaisrien.Maisreviens,Lena.Reviensetlaisse-moit’aimer.Maisellenel’entenditpas.Auxprisesaveclafièvre,ellen’entendaitaucund’eux.Troptard.
—Soncœurbatàpeine,déclaraAstridàvoixbasse.Le jour s’était levé et le soleil filtrait à travers la fenêtre. La pièce était inondée, comme si
quelqu’un avait livré bataille dans la baignoire.Will songea que ça avait peut-être été le cas. Et ildevenaitévidentqu’ilsétaiententraindelaperdre.
Il percevait les faibles battements de son cœur.Will lui prit lamain, la serra fort contre lui etattendit,hébété,leterriblemomentoùAstridlaplongeraitdenouveaudanslebain.Selonlui,Lenanepourraitensupporterdavantage.
Lui-mêmenelesupporteraitpas.Ilétaitdevenusourdetaveugleaumondequil’entourait.Soncorpsvoulaits’endormirpourse
régénérer.Toutcedontilavaitconscience,c’étaitducorpsquisetrouvaitentresesbras,delachaleurdesa
peaudévoréeparlafièvremalgréleurstentativespourlacontenir.Aucoursdeladernièreheure,satempératureavaitaugmentédedeuxdegrés.Unhumainauraitsuccombédepuisbienlongtemps.
Allez.Illaberçaenchuchotantdesmélodiesapaisantesdontilgardaitdevaguessouvenirsdepuissajeunesse.Àl’époqueoùsamèreneleregardaitpasencorecommesiellesedemandaitcommentunmonstrepareilpouvaitluiavoirvolésonfils.
Reviens-moi.Ilsentitunemaindouceseposersursonépaule.Astrid.—Will,vousdevezlalâcher.Non!Ilmontralesdentsetlarepoussa.S’ilsessayaientdelaluiprendre,illestueraittous.Desmurmures.—…troptard.Siellemeurt,ilvaselaisserdépérir…Honoriapleurait.Ilseforçaàseredresserets’approchadelabaignoireenchancelant.Ilneressentaitpresqueplus
rien.Ils’allongeadansl’eauenserrantLenacontresapoitrine,lajoueposéesursonépaule.Leslentsbattementsdesoncœurpalpitaientcontrelui.Laglaceluibrûlalapeaujusqu’àcequesoncorpstoutentiersoitengourdi.
Lemondevacillaautourdelui.
Puisdesmainsl’extirpèrentdelabaignoireetLenadesesbras.Ilgrognaetleschassadureversdelamainpouressayerdelarécupérer.LevisagedeBladeapparutsoussesyeux.
—Lâche-lamaintenant,Will.Lâche-la…IlsaisitBladeàlagorgeetlerejetasurlecôté.EricaidaitAstridàsoutenirLena.Ilsejetasureux
etpropulsaEriccontrelemiroir,quisebrisa.Astridseraidit.—Sortez!s’écria-t-elle.Quetoutlemondesorte.Laissez-leavecelle.Avantqu’iltuequelqu’un.ElleluifourraLenadanslesbrasetreculaenemmenantsoncousinavecelle.Laportesereferma
etilseretrouvaseuldanslasalledebainsdévastée.—Lena,murmura-t-il,enproieàunedétresseinnommable.Pourquoinereprenait-ellepasconscience?—Jesuisdésolé.Bonsang,jesuisdésolé.Labaignoireétaitàmoitiévide.Ilnepouvaitplusluifaireça.Elletremblaitdespiedsàlatêteet
avaitlachairdepoule.Willgagnalachambreentitubant.SiLenadevaitmourir,alorsilnevoulaitplusqu’elleaitfroid.
Illuiretirasachemisedenuitetl’allongeadanslesdrapsavantdelasécheravecprécaution.Tandisquesapeauétaitlivide,sesjouesetsapoitrineétaientcouvertesdeplaquesrouges.Chaquefoisqu’illatouchait,ilsentaitlefroidglacialdesapeauetlafournaisequibrûlaitàl’intérieur.Unbrasierquicouvaitsouslaglace.
Ilcommençaparluifrotterlespiedspourraviverlachaleur.Ilnepouvaitpaslalaissermourird’hypothermie.Lesbattementsdesoncœurrésonnaientfaiblementàsesoreilles.
Il luifallutunlongmomentpourestompersesfrissons.Puisilretirasesvêtementsmouillésets’allongeaàsescôtésenrabattantlacouverture.Ilessayadeseservirdesaproprechaleurcorporellepourlaranimer.
Delonguesheuress’écoulèrent.LachaleurfinitparsedégagerdeLenajusqu’àcequ’ilssoienttousdeuxtrempésdesueur.
—Jesuisdésolé,répéta-t-ilencoreetencoreenembrassantsonépaulehumide.Deviolentstremblementssemirentensuiteàlasecouer.Willenfouitsonvisageaucreuxdeson
couetinspirasonfaibleparfum.Ilétaitépuisé.Ilvoulaitseulementfermerlesyeuxetnejamaisseréveiller,maisquelquechoses’agitacontrelui.
Unhalètement.Uncorpsremuantfaiblement,unepeaubrillanteentresesbras.Ilouvritunœilvoilé.Incrédule,ilvitLenaessayerdelerepousserengémissant.—Chaud,murmura-t-elled’unevoixéraillée.Sespupillesétaientdilatées,sonregardétaitflou.Willseredressad’uncoupetLenaretombaenarrière,presqueincapabledebouger.—Lena?Seslèvresétaientsèchesetcraquelées,sesjouesenflammées.Ellen’avaitjamaisétéaussibelle.
Elleécartalacouverture,tentadesereleverets’effondralatêtelapremièresurlematelas.Willl’enveloppadansl’étoffeetl’aidaàs’asseoir.—Lena?Illuipritlementonetsoulevasespaupières.Uncercleambréentouraitsespupilles.Unsouffle
incrédulegonflasespoumons.—Tuassurvécu…Elleavait lefront luisant,maisquandilposasapaumedessus, l’intensechaleuravaitnettement
diminué.
—Lafièvreestretombée.Elleessayafaiblementdelerepousser.Willtapotalesoreillersdanssondosetl’yinstalla.—Jevaistechercherdel’eau.Resteici.Nebougepas.Ilneputs’empêcherdeprendresonvisageentresesmains.Elleétaitàpeineconsciente,maisla
fièvreétaitretombée!—Jet’aime,ajouta-t-ilIll’embrassafougueusementpuiss’écartaquandellepoussaunenouvelleplainte.—Jevaist’apporterdesseauxentiers.
Honoria arpentait la cuisine, les joues desséchées par ses larmes, mais les yeux secs. Elle se
sentaitvide.Elleavaitfaittoutcequiétaitensonpouvoiretelleavaitéchouémalgrétout.Bladel’attiracontrelui.—Ilyaencoredel’espoir.C’estpasencorefinioualorsonlesaurait.—Jemesensmal.Elles’écartaets’appuyacontreleplandetravail,submergéeparunevaguedenausée.Ellesentit
Blade s’approcher avec un verre d’eau. Puis il releva brusquement la tête et elle fit volte-face endirectiondelaporte.
—Qu’ya-t-il?LesdeuxNorvégiensattendaientdansuncoin,lestraitstendus.Ellesutimmédiatementquec’était
Willquidescendaitlesescaliers.—Oh,Seigneur,dit-elletoutbas,lesgenouxtremblants.Bladelarattrapaetlasoutintcontrelui.Willapparutsurleseuil.Soncorpsnuétaitrecouvertdesueur.Leregardfou,lescheveuxenbataille,lesmusclesbrunis
parlachaleur.LamâchoiredeHonoriatombaetelledétournalesyeuxtandisqu’ils’emparaitdelacarafed’eauposéesurleplandetravail.
—Elleasoif,gronda-t-ilavantdetournerlestalonsetderepartircommeilétaitvenu.—Soif?murmuraHonoria.(EllesetournaversAstrid.)Est-cequeçaveutdire…?Astridouvritdegrandsyeux.—DouxJésus,dit-elle.Queldommagequ’ilsoitdéjàaussiliéàelle…Ericluidonnaunlégercoupdanslebrasetluiadressaunemoueàmi-cheminentrelesourireet
lagrimace.—Rangetesyeux,cousine.(IlselevaetdonnaunetapedansledosdeBlade.)Sielleasoif,alors
toutvabien.Lafièvreadûretomber.Honorias’approchadelaporte,maisEriclaretintparlepoignetetsecoualatête.—Non,dit-il.Nousdevonslelaisserprendresoind’elle.Laissez-lesseulsouvousrisqueriezde
vousfairearracherlatête.Astridsouritenvoyantsonexpression.—Ilsecomportecommeuninnmatkimunr.Unmâlerécemmentaccouplé.Ilserainsupportable
pendant quelques jours, surtout quand on sait qu’il a failli la perdre.Accordez-leur unmoment etlaissez-luiletempsdesecalmer.
24
Lesrayonsdusoleilserépandaientàtraverslesrideauxdedentelle.Lenamarmonnaettentad’ouvrirlesyeux.Puisellelescligna.Cen’étaitpassachambrequ’elle
voyait.Oùétait-elle?Quand elle se redressa, une violente douleur transperça la base de son crâne.Elle grimaça, se
forçaàouvrirlespaupièresetjetaunregardautourd’elle.Unplancherdeboisnu.Desmeublesgrossiers.Unetabledansuncoinaccompagnéed’uneseule
chaise.Etdeuxbottesrattachéesàdelonguesjambesmusclées.Will.ElleétaitchezWill.Le soleil se refléta sur les mèches cuivrées de ses cheveux et assombrissait sa peau hâlée. Il
somnolait,installédansunvieuxfauteuil,lesbrascroiséssursapoitrineetlatêtebasculéeenavant.Descerclessombress’étiraientsoussesyeuxetilsemblaitavoirfaitl’impassesurlerasagedepuisplusieursjours.
Ladernièrefoisqu’ellel’avaitvu,ilétaitpaniqué.Illabordaitdanssonpetitlitenluimurmurantqu’elleétaitensécuritéetquetoutiraitbien.Illuirépétaitsansrelâchequ’ilétaitdésolé.
Lena fronça les sourcils. Quand cela s’était-il produit ? Elle gardait un vague souvenir desouffranceetdechaleurintense,puisdeseshurlementsquandquelqu’unl’avaitplongéedanscequiluiavaitfaitl’effetd’unecuveremplied’huilebouillante.Honoriaquil’observaitd’unairinquiettoutenessayantdeluidonneràboire.WillquimontraitlesdentsàHonoriapourlachasserdelapièceetquiemmenaitLenachezlui.
Quediables’était-ildoncpassé?Ellerepoussalescouverturesetessayadeselever.Latêteluitournait.Elleseretintaupoêle.Une
faibleodeurdelavandeluiparvenaitauxnarines.Cen’étaitpassonsavonhabituel.Quelqu’unavaitdûluifaireprendreunbain.
Willfrottasesyeuxensommeillés.—Lena?Ilbonditdesonfauteuiletlarattrapa,commesielleétaittropfragilepourtenirtouteseulesur
sespieds.—Qu’est-cequetufaisdebout?La chaleur de son corps fut la bienvenue. Elle enfouit son visage contre sa poitrine et inspira
profondément.Sonparfumluiétaitfamilier,chaleureuxetmasculin,maiselleperçutégalementunemyriaded’autresodeurs;lelingeempesé,sonodeurcorporelle,lasueur,unetoucheduparfumdesasœuretmêmel’huiledontilseservaitpournettoyerlecouteaudechassesangléàsacuisse.
Commec’étaitcurieux.—Tupeuxfermerlesrideaux?demanda-t-elle.Çamefaitmalauxyeux.Sonodeurchangea,plusprononcée.—Tavues’ajustera,maisçaprendraquelquesjours.—S’ajusteràquoi?Ilmarquaunepauseetsonodeurdevintencoreplusacerbe.—Lena.(Ils’éclaircitlavoix.)Tutesouviensunpeudecequis’estpassé?Son expression sérieuse et le ton de sa voix la dégrisèrent aussitôt. Elle s’efforça de se
remémorer,envain.—Qu’est-cequinevapas?Ques’est-ilpassé?Est-cequetoutlemondevabien?—Commenttutesens?Quelleétrangequestion.Elleseconcentrasur lessensationsdanssoncorps.Maintenantqu’elle
étaitsurpied,ellesesentaitmieux.Ellepercevaitunelégèretédel’êtrequ’ellen’auraitsuexpliquer.—Assoiffée…Ainsiqu’unautrebesoinpressantqu’ellen’osaitavouer.Ellerougit.—Tucroisquejepourrais…utilisertestoilettes?Will l’observa un longmoment, les pupilles cernées d’un cercle d’ambre en fusion. Il hocha
brièvementlatête.—Biensûr.Ill’escortajusqu’auxcabinetscommesielleétaitinvalideets’apprêtaàlasuivreàl’intérieur.—Will!(Elleessayadeluirefermerlaporteaunez.)Qu’est-cequetufais?—Jeveillesurtoi.—Paslà-dedans,répliqua-t-ellefermement.Dehors!Ilrésistauninstant,puisilpinçaleslèvresettournalestalons.—Jevaistecherchercequ’ilfautpourquetupuissestelaver.Illuiapportadel’eau,dusavonetuneserviette.Dèsqu’ileutrefermélaporte,elleseretourna.
Elleavaitpeut-êtrefaitpreuved’empressement.Letempsqu’elleselavelesmainsdanslabassine,sesgenoux s’étaient mis à trembler. Et l’eau l’attirait irrésistiblement. Elle était tentée de la boiredirectementdanssacuvettederasage,maisellesecontentadeserincerlaboucheetdesefrotterlesdents.Puiselle retirasachemisedenuitet se lava lecorpsavec legantet le savon.Unparfumdelavandemontaàsesnarines.Ill’avaitdoncbeletbienlavée.
Elleenfiladenouveausachemisedenuitsansprendrelapeinederemettresaculotte.Elleavaitenviedevêtementspropres,dequelquechoseàboireetd’unbonrepaschaud.
—Will?Elletournalapoignée,maislaportes’ouvrittouteseule.Willsetenaitdel’autrecôté,unverre
d’eauàlamain.Maintenant qu’elle avait assouvi l’un de ses besoins, les autres sollicitaient son attention
immédiate. Son regard se posa directement sur la glacière et son estomac lâcha un grondementembarrassant.Ellesaisitleverreetlevidad’untrait.
—J’aidu ragoûtdemouton.Etdupainetdu fromage.C’estpasgrand-chose,mais j’enaiunpaquet.J’enaiprisautantqueEsmepouvaitenpréparer.
Duragoût.Ellesemitaussitôtàsaliver.Maiselleavaitd’autrespréoccupationspluspressantes.—Will, qu’est-ce que je fais ici ? Qu’est-ce qui s’est passé ? J’ai du mal à me rappeler le
déroulementdecesderniersjours.—Quatrejours,enfait.
—Quoi?Willseglissaunemaindanslescheveuxetluitournaledos.—Viens,jevaistemontrer.Ilrécupéralepetitmiroiraumancheenossursoncabinetdetoiletteetlemaintintserrécontre
lui,commes’ilnevoulaitpasqu’ellecroisesonproprereflet.Unecraintel’envahitsoudainement.Qu’est-cequiclochaitchezelle?Elleportasesmainsàson
visage,maissapeauluiparaissaitnormale.Elleluipritlemiroirdesmainsetobservasonimage.—Mesyeux…dit-elletoutbas.(Desfilsdecuivreszébraientsespupilles.Ellebaissalentementle
miroir.)Comment…?Que…?Willn’arrivaitpasàcroisersonregard.— Bon sang, je suis vraiment désolé. Je t’avais dit que je n’aurais jamais dû t’approcher. (Il
relevalesyeux,illuminésparuneflammedecolère.)Voilàcequis’estpassé.J’aifailliteperdre.J’aifaillitetuer!
Il tourna les talons et s’éloigna, lesmains jointes derrière sa nuque.Lena risqua un autre brefcoupd’œildansleverrepoli.
—Jesuisinfectéeparleloupe?demanda-t-elle.Iltressaillitcommesiellel’avaitfrappé.—Will.Elle reposa le miroir et s’approcha de lui, mais il s’écarta. Il contourna la table et la chaise
commesiellelepoursuivait.Lenapritunelenteinspiration,posalesmainssurledossierdelachaiseetsepenchaau-dessus.
—Jem’enfiche.Jet’avaisditqueçanemedérangeraitpas.Sic’estpourêtreavectoi…—Tuasfaillimourir!lâcha-t-il.Ellepritalorsconsciencequ’elleavaitdûfrôlerlalimite.Ilserralespoingsetdétournalesyeux.—C’étaitgraveàcepoint?— On ne pensait pas que tu t’en tirerais, répondit-il d’une voix rauque. Avant que la fièvre
retombe, jepensaisque tuétaisen traindemourir.Tunepeuxpassavoircequeçam’afait. (Ilsefrotta la poitrine.) Je suis devenu fou. J’ai jeté Blade en travers de la pièce et je t’ai amenée ici.Honoriavienttouslesjours,maisjenepouvaispaslalaisser…pasavantquetuteréveilles…
LasouffranceimpriméesurlestraitsdeWillluiserralecœur.—J’aisurvécu.—Dejustesse.—Peuimporte.—Si,c’estimportant.Tunecomprendspascequeçasignifie.—Cequeçasignifie?(Ellepoussalachaisehorsdesonpassage,ainsiquelatable.Cegestelui
futincroyablementfacile.)Çasignifiequetun’asplusd’excuse.Willreculacontrelelitdecamp,lesmainstenduesdevantlui.—Bonsang,Lena!Jet’aiinfectée!Tavieneseraplusjamaislamême.Ellelesuivit.—J’espèrebien.—Tucomprendspas…—Jecomprendsparfaitement.Elles’arrêtadevantlui,lepoussa,etiltombaenarrièresurlelit,l’airsurpris.Elleobservasesmainsavecémerveillementetneputs’empêcherdesourire.—Àtonavis,quelleforcejepossède,maintenant?
—Pourquoi?—Commeça.Jemedemandesijeseraiscapabledebalanceruncertainsangbleupar-dessuslarambardedela
Tourd’Ivoire.Lemondeétaitdevenutotalementdifférent,emplidecouleursvives,dechaleuretd’odeurs.Des
grains de poussière virevoltaient dans le faisceau de lumière qui les éclairait. Elle leva lesmainsdevantellepourlesagiter.Elleavaitl’impressiond’avoirétéaveugletoutesavie,etquelesdétailsdumondequil’entouraitserévélaientàsaperception.
—Tuvoisçacommeunemalédiction,dit-elleensefaufilantsursesgenoux,etlesmusclesdescuisses deWill se crispèrent.Pasmoi. Je sais qu’il doit y avoir certaines limites. Je sais quemontempsauseindel’Échelonestrévolu…c’étaitfiniaumomentoùtum’astransportéehorsdelasalledebal.
Enlevoyantouvrirlabouche,elleposaundoigtsurseslèvres.—J’aivécudanslapeurpendanttrèslongtemps,Will.Jen’aipluspeurdésormais.Mêmepasun
petitpeu.Est-cequeçafaitpartiedemanouvellecondition?Illafixadesyeux.Uneflammederébelliondansaitdanslessiens.Iln’arrivaitpasàlacroire.—Iln’yarienquejeregrettedemonanciennevie,murmura-t-elle,faisantglissersajambepour
semettreàcalifourchonsurlui.Lachemisedenuit remonta le longdesoncorpset il retintsonsouffleenagrippant lesdraps.
LenaoscillacontreseshanchesetlesboutonsdupantalondeWillfrottèrentl’intérieurdesescuisses.— Je veux une nouvelle vie, lui dit-elle. Avec toi. Je le sais, maintenant. (Elle passa ses bras
autourdesoncouets’approchapourinspirersondélicieuxparfummusqué.)Jesaisenfincequejeveux.Etjen’aipluspeurdel’admettre.
—Lena.(Ilempoignasesfessescommeunavertissement.)Tuesunloup-garou,maintenant.Uneesclave,auxyeuxdel’Échelon.Tunepourraspeut-êtreplusjamaisquitterWhitechapel.
—Qui dit que j’en ai envie ? (Elle effleura sa bouche.)Qui dit que j’aurai un jour besoin dequittercelit?
Nouveauhoquetde lapartdeWill.Maisses irisétaient incandescents,consumésparunflotdelaveambrée.
—Tuesàmoi,Will. (Unsourirevictorieuxflottasursonvisagequandellevit lechangements’opérer.)Tunepeuxplusmefairedemal.Tun’asplusd’excuse.Tupeuxtedétesterautantquetuveux,maisfranchement,jesuisplutôtimpressionnéeparlestransformations.
Elles’inclinaversluietilsepenchaenarrière.Quelhommetêtu…Lenalesuivitetappréciad’unregardsoncorpsappétissant.
—Tun’aspasfaim?—Hmm.(Elleembrassaseslèvresetleslécha.)Si,jesuisaffamée.LesmainsdeWillhésitaientsursataille.—Lena,bonsang,tun’étaisvraimentpasbien.—Ondiraitunejeunemariéenerveuselanuitdesesnoces!dit-elleavecunéclatderireavantde
baisserlavoix.Maintenantquetunepeuxplusmeblesser,penseunpeuàtoutcequetuvaspouvoirmefaire.
LeregarddeWills’assombrit.—Tuvienstoutjustedeteremettred’unefortefièvre.— Jeme sensmerveilleusement bien. (Elle luimordit la lèvre et l’aspira dans sa bouche.) Et
mêmemieuxqueçaencore.(Elleritetenfonçasesonglesdanssontorse.)Jemesenssuffisamment
enformepourtefairedeschosestrèsvicieuses,là,toutdesuite.Ilplaquaenfinsesmainssurseshanchesetcessaderésister.—Bon sang, j’ai cruque je t’avaisperdue. (Il fut parcourud’un frisson.) Jen’ai pas lesmots
pourtedire…jenepeuxpluslutter.—Alorsneluttepas.Leurs bouches se trouvèrent et elle se délecta de sa fougue et de son parfumde désir refoulé.
C’étaitsibon.Elles’appuyacontreluipourchercherdésespérémentlecontactdesapeau.Unbesoinimpérieuxinondasoncorps.
IlsdurentinterrompreleurbaiserpourlaisseràWillletempsderetirerlevêtementdeLena.Puiselle se retrouva complètement nue contre sa chemise rêche qui embrasait ses tétons tandis qu’ilenfonçait ses doigts dans la chair douce de ses fesses. Lena plongea les siens dans ses mèchessoyeuses.
EllelâchaungémissementetrejetalatêteenarrièrepourlaisserWilldévorersagorgeblanche.—Ohoui,murmura-t-elle.Elleécarquillalesyeuxquandellesentitsesdentssursapoitrine.Ellelevainstinctivementlesmainspoursecouvrir,maisillessaisitetlesécarta.— Non, fit-il dans un grognement. Tu m’as promis que je pourrais te faire tout ce que je
voudrais.Ettuvaspayerpourm’avoircomparéàunejeunemariée.Lenafutélectriséeparletondominateurdesavoixetrejetalatêteenarrière.Lalumièrebrillaitsursapeaupâleetsursestétonsrosesetdurs.Lalueurdanslesprunellesde
Willl’emplitd’unsentimentd’anticipation.—Lavueteplaît?s’enquit-elledoucement.Deseslèvresfermes,ellecapturalessiennes.Ellesentitsaréponsepressercontresacuisseetsa
chaleurpénétrasapeau.Ilenfonçasalanguedanssabouche,saisitLenaparleshanchesetlaplaquacontrelui.
La sensationétait délicieuse et la jeune femme laissa échapperungémissement, agrippéeà sescheveux.Toute envie de rire l’avait quittée.Unepassiondévorante avait pris le relais.Le désir decomblerlevideàsonentrejambeluifaisaitperdrelatête.ElleattrapalachemisedeWilletladéchiraau niveau de ses épaules jusqu’à ce qu’il ne reste que des lambeaux autour des boutons toujoursintacts.
—Toutdoux,dit-ildanssaboucheenluiattrapantlespoignets.—Non.Elles’attaquaàsabraguettemaisilécartasesmains.—Onatoutletemps.—Toutdesuite,ordonna-t-elle.CefutautourdeWilld’éclaterderire.IlécrasaLenacontreluiet l’embrassaavecunelenteur
délibérée.Lenaperditlatêteetsetortillaenluiléchantleslèvres.—Je…(Illafitbasculersurledosetgrimpasurelle.)J’aipasl’intentiondemeprécipiter.—Quiaditquetuaslechoix?Nouveausourire.Unsouriretrèsspécial.Celuiquilafaisaitfondredel’intérieur.—Jesuistoujoursplusfortquetoi.Lenapassasesdoigtssursonventre.—Etplusgros.Définitivementplusgros.Ellefrissonnaetposalesdoigtsàplatsursapeau.—J’aitoujourseuenviedefaireça.
—Fairequoi?—Ça.Elleglissalesdoigtsverslebasetlesinsérasouslaceinturedesonpantalon.—Quand j’étais plus jeune, que je venais d’arriver au repaire, j’avais envie de te toucher.De
goûtertapeau.Jerêvaisdetoi,avoua-t-elle,lesjouesrouges.Willcroisasonregard,l’airdégrisé.—Jenepouvaispas.—Jesais.Ellehaussalesépaulescommesiçan’avaitplusd’importance.—Mais j’enavaisenvie,ajouta-t-ilavecunautresouriredévastateur.Mince,Lena, tupeuxpas
imaginercombienj’avaisenviedetoi.Tumerendaisfou.J’avaisjamaisressentiçapourpersonneettuétaistropjeune…etpuis…jepensaisquecen’étaitqu’unjeupourtoi.Ilfallaitquejedéménage.
— Ce n’était pas un jeu. Pas seulement. (Elle sourit et revint sur les quelques mots quil’intéressaient.)Tun’asjamaiseuenvied’uneautrefemmeauparavant?
—Seulementdetoi.Unechaleurincandescentelaréchauffadel’intérieur.ElletirasurlaceinturedeWilletglissaun
doigtsouslebouton.Ilplissalespaupières.—J’aiassezattendu,dit-elle.Assezattendu.—Tuesimpatiente.Maisilpassaledosdesesdoigtssurlacourbedesonseinetsuivitsongestedesyeuxavecune
sortedefascination.Lenaressentitcefrôlementàd’autresendroitsdesoncorpsetsetortillasouslui.—Caresse-moi,murmura-t-elle.—C’estcequejefais.Il dessinait de larges cercles autour de son sein en se rapprochant de son mamelon. Elle se
cambracommeunchat.—Non.Là,tumetourmentes.—Hmm.(Unelueurs’allumadanssonregard.)Jecroisquejesaisàpeuprèsl’effetqueçafait.Ledémon.Ellesemorditlalèvreettenditlamainverslui,maisileutunmouvementderecul.—Non.Posetesmainssurlatêtedelit.—Jen’aipasenvie.Jeveuxtetoucher.Illuisaisitlepoignetetforçasesdoigtsàs’agripperaumontantenfer.—C’étaitpasunequestion.(Ilpritsonautremainetrépétalegeste.)M’obligepasàt’attacher.L’attacher?Cetteidéeenflammasessynapses.Elleobtempéra,puisdétenditsesbrasetlaissases
mainsàleurplace.—Trèsbien.Seulement,neprendspastropdetemps.Willpenchalatêteetglissaseslèvressursaclavicule.Ellesentitunlégerrirecontresapeau.—Tun’espasenpositiondedonnerdesordres.—Je…Ilrefermaleslèvressursontétonetlachaleurdesalangueluicoupalesouffle.—Çateplaît?Il releva les yeux sans cesser de lécher sonmamelondurci, avec une lueur diabolique dans le
regard.Depuisquandétait-ilaussiespiègle?Elles’humectaleslèvres.—C’estagréable,jedirai.
Sesdentsprirent le relais.Desétincellessemirentàdanserdevantsesprunellesetsavisionsebrouilla.Quandellerepritsonsouffle,ilsemoquad’elle.
—Jet’avaisditdegardertesmainssurlebarreau.Elleavaittrouvélemoyen,sanss’enrendrecompte,d’enfoncersesdoigtsdanssescheveux.—Jepariequetuesincapabledelesgarderlà-haut.Avecunemoue,elleattrapalemontantdulit.—Jeteparielecontraire.Qu’est-cequejegagne?—Hmm.(Lemurmurevibracontresapeauetilfitdenouveautournersalanguesursonsein.)Si
tugagnes…peut-êtrequejetelaisseraimefairelamêmechose.—T’attacher?(Elleeutunhoquetetsesbrassemirentàtrembler.C’étaitdeplusenplusdifficile
degarderlesidéesclaires.)Etsijeperds?—Alorstuferastoutcequejetediraipendantunesemainesanslamoindrediscussion.Lenarelevalatêtedel’oreiller.—Certainementpas.Willpenchadenouveaulatêteetaccordalamêmeattentionàsondeuxièmesein.Lecontactdesa
languelatransperçacommelafoudreartificielledontseservaitl’Échelonetqu’ilstockaitdansdesbouteillesdeLeyde1.
Pendantcetemps,elles’agrippaitauxdrapsetlevaitleshanchesdansuneimplorationsilencieuse.Sondésirluisaitentresescuissesetsonodeurembaumaitl’air.Illasentaitforcément.
—Respire, luidit-ilens’essuyant labouche,apparemmentcontentde lui.C’est sur lepointdedevenirencoremeilleur.
—Meilleur?Ilchatouillasacuisseavecsesdoigtsetremontasalanguesursonventre.Lenaoubliaderespirer.
Despetitspointsblancsdansaientdevantsesyeux.—Will!Ilfourrasonnezdanslatoisondepoilssombresentresescuissespuislesécartaunpeuplus.—J’ai souvententenduparlerdecequ’aimaient les femmes. J’aurai sûrementbesoind’unpeu
d’entraînement.Tumedirascommentjemedébrouille.Ilrefermaleslèvressursachairhumideetsensible.Lenaécarquillalesyeux.—Will!C’étaitpresqueuncritantlessensationstransperçaientsoncorpsparvaguessuccessives.Ellesesentitconsuméepar lesflammesquandilplongeala langueenelle.Lefrottementdesa
barbeluiarrachaunnouveausonguttural.Bontédivine!Quefaisait-il?Commentsavait-ilfaireça?Ilremontapoursucerlepetitboutontendrequiconcentraittouteslessensations.
Lenaperditsonpari.Elles’agrippaàsesépaulesensoulevantleshanchespendantqu’illéchaitsachairdélicate.—Net’arrêtepas!(Ellesecambradenouveaupoursepressercontresabouche.)Oh,monDieu,
net’arrêtepas!Unedélicieusesensationdetiraillementnaquitauplusprofondd’elleetsepropagea.Ellebascula
la tête en arrière et ouvrit grand la bouche tandis qu’il continuait de laper et de l’aspirer dans sabouche.Elleapprochait…ellefrôlaitl’extase…
Elleatteignitlepointderuptureetpoussauncri.WillsuçaplusfortpourintensifierlesspasmesdeLena.Puislessensationssecalmèrentetilrelevaunregardsombreetamusé.Ilseléchaleslèvresetelleroulasurlecôté,lecorpssecouédetremblementsinvolontaires,larespirationsaccadée.
Ilfitglissersesdoigtssursacuisseetsursahanche.Lemuscletressaillitàsoncontact.
—Lena,fit-ild’unevoixenjouée.Çat’aplu?—Jediraimêmequeçam’aénormémentplu,répondit-elledansunsouffle.Maisjenesuispas
encoresûredemoi.Lemondesembleavoirbasculésursonaxe.Illâchaunrireetbaissalavoix.—Tuesexquise.Ildéposaunbaisersurlacourbed’unedeseshanches.Ilrampaverselle,seglissasoussonbras
etemprisonnasontétonentreseslèvres.C’étaittrop,ettroptôt.Maiselleétaitincapabledelerepousser.Elleroulasurledosetpassases
jambesautourdesatailleavecunfrisson.—Tuportestoujourstonpantalon.Ilretintsesdoigtsinquisiteursetlaplaquasurledos.Quandill’embrassa,ellesentitsonpropre
goût.—Ettuasperdutonpari.Lenas’abandonnaàlasaveurdesabouche.—Tut’amélioressurlesujet,murmura-t-elleenpassantsalanguesurlasienne.Ellesursautalorsqu’illuipinçaunefesse.—D’abordlecoupdelajeunemariée,etmaintenanttucritiquesmafaçond’embrasser?Ill’attrapaparleshanchesetlesfitroulerjusqu’àseretrouversurledos,Lenaàcalifourchonsur
lui.—Puisquec’esttoil’experte,jevaistelaisserprendrelesrênes.Lena caressa son torse nu.Will croisa lesmains derrière sa nuque, offrant l’imagemême du
reposviril.— J’aime savoir que tu n’as jamais embrassé d’autre femme avantmoi, déclara-t-elle. J’aime
l’idéed’êtrelapremière.Etj’aibienl’intentiond’êtreladernière.Elleprononçacetteultimephraseavecungrognement.Ellefitglissersesmainsplusbasetouvritlesboutonsdesabraguette.Sonérectionpoussasurle
tissuavantdejaillirdanssesmainsavecunempressementavide.Il était si gros que ses doigts pouvaient à peine en faire le tour.Une goutte d’un blanc laiteux
brillaitausommetdesonglandgonfléetsesveinessaillaientsoussapeau.Elle ne savait pas comment s’y prendre. Toutes ses leçons concernant les droits de chair
s’envolèrentsubitement.—Là,dit-ilenpercevantsonhésitation.(Illuipritlesmainsetlesposaautourdesonmembre.)
Commeça.Lenaseléchalalippeetsemitàlecaresseravecprécaution.LesyeuxdeWills’enflammèrentet
il rejeta la tête en arrière, un grognement silencieux sur les lèvres. Elle le vit serrer les draps etremarquaquelesmusclesdesesbrassebandaient.
—Tuaimesça?murmura-t-elle.—Plusfort.Elle resserrasonempriseetpompasapeau luisante.Ellenepouvaitdétourner lesyeuxdeson
visage,duplaisirintensequidéformaitsestraitsetlefaisaitpanteler.Ellelefaisaitpanteler.Grisée,elletrouval’inspiration.
Quelques années plus tôt, elle avait vu des images représentant les manières de satisfaire unhomme,etunechoseétaitrestéegravéedanssamémoire…
Lenasepenchaetdonnauncoupdelanguesurlafentequipalpitaitàl’extrémitédesonsexe.Willsouleva les hanches et poussa un cri impuissant. Il l’avait tellement comblée de son côté qu’elle
engloutitavidementsonmembredanssaboucheetgoûtasasemencesalée.Il attrapa unemèche de ses cheveux pour lui baisser un peu plus la tête et donna un coup de
hanchepours’introduirejusqu’àsagorge.Unelueurfarouches’allumadanssesyeuxetillevalatêtedulitpourregarder.
—Bonsang,Lena.(Illâchaunhoquetinvolontaire.)C’estincroyablementbon.Ilselaissaretombersurlematelasettentadelarepousseravecsesmains.—Maistudoist’arrêter.—Jen’aipasenvie.Elleléchadenouveaulapetitefenteauboutdesonsexe.Elleétaitseulemententraind’apprendre
cequ’ilaimait…Lemondechavira.Ill’attiraàluid’uncoupsecetfrottasonmembreentresescuisses.—Non.Fautquejesoisentoi.Toutdesuite.Ilgrogna,guidaseshanchespourpositionnerLenasurlui,puissonérectionétirasaféminité.Son souffle se bloquadans sa gorge.Elle sentait son corps se distendre inexorablement tandis
qu’ils’enfonçaitdoucement.Unesensationdebrûlure.Non,ellen’yarriveraitpas.Ilétaittropgros.Commes’ilavaitperçusadétresse,Willsefigea.Desgouttesdesueurperlaientsursonfrontetsesbicepstremblaient.—J’essaie.J’essaiedemeretenir,murmura-t-ild’unevoixrocailleuse.Et il comptait bien y parvenir. S’il pensait qu’il lui faisait mal, il se retirerait aussitôt. Il
enchaîneraitaufonddeluilesardeursquileguidaientetlesmettraitencage.Lesflammesd’undésirpuretdubesoindelaposséderbrillaientdanssesyeux,maisilseretiendrait.
Pourelle.MaisLena s’enfonça et, quand sonmembre la remplit en entier, son cerveau encaissa le choc.
Willlâchaunsifflement.Elles’affaissasur lui, lesoufflecourt,nesachantplusoùfinissaitsoncorpsetoùcommençait
celui de Will. Ils ne faisaient plus qu’un. Sa peau palpitait violemment à l’intérieur, mais lasatisfactiondel’accueillirenfinenelleetd’êtredanssesbraslacomblaitdeplaisir.Elleferaittoutetpaieraitleprixnécessairepourêtreàlui.
Willfitremontersamaindanssondosetsaisitl’arrièredesatête.—Lena,jeveuxpastefairemal,maistuestellementétroite,c’estdivin…—Çavamieux,murmura-t-elleenrelevantlégèrementlatête.Ladouleurrefluaitgrâceauvirusquilasoulageait.Unepartied’elleavaitenviederessentircette
douleur,cettemarquedesapossession.Willlevaleshanches.Ilpoussaunrâleetrejetasatêtesurl’oreiller.—Jesuisdésolé.Jepeuxpas…Elleembrassasontorseetfutparcourued’unfrisson.—Alorsnet’arrêtepas.Jeveuxêtreàtoi.Elleoscillaleshanchesetluiarrachaunnouveauhalètement.Ellecomprimasesmusclesinternes
enrépétantsongeste;soncorpssavaitd’instinctcequiéchappaitàsonesprit.Willpalpasesfessesetsecambra.LachaleurdesonêtrebrûlaitLenadel’intérieur.Mais la douleur avait disparu, chassée par une euphorie naissante.Will lui appartenait. Il était
enfinàelleetellenelelaisseraitplusjamaisluiéchapper.Lenapenchalatêteenarrièreetsesmainsl’aidèrent à trouver le rythme qui plaisait àWill et faisait de nouveaumonter son propre plaisir.Chaquefrottementhumidel’approchaitunpeuplusdel’extase.
Will se dressa pour l’embrasser. Ce mouvement ne fit qu’enfoncer Lena un peu plusprofondémentetlematelass’affaissasoussesgenoux.Ellesecrispa,maisiln’yavaitaucunmoyend’échapperàsabouche,d’échapperàsoncorpsenfouiaufondd’elle,niauxmainsquiagrippaientlabasede son crâne. Il lui tira la tête en arrière et posa lesdentsdans la chair doucede sonmuscletrapèze.Ilvoulaitlamarquer.Larevendiquer.Etluifairevoirlesétoiles.
Lenapoussauncri.Willsecomprimaautourd’elleetsescoupsdereinsdevinrentpluslentsetplusprofonds.PuisunviolentfrissonlasecouaetWilllamaintintcontreluienposantsamainaubasdesondos.
Delonguesminutess’écoulèrentavantqu’ellepuissereprendresonsouffleetreveniràelle.Ellenes’étaitjamaissentieautantensécurité,autantapaiséequ’àcetinstantdanssesbras.
Willavaitlapeauluisantedesueuretsoncœurbattaitcontrelesien.Ellelevalentementlatête.Willfrémit.Sesyeux,empreintsd’incertitude,avaientlacouleurcuivréed’unpenny.
—Jet’aipasfaitmal?Elle sourit et luimordilla l’oreille. Son être ressentait encore les effets de leur union, et elle
adoraitça.—Non.—Tuessiétroite,mocridhe.Illuicaressatendrementlevisage.Mo cridhe. Des mots incompréhensibles qu’elle se souvenait de l’avoir entendu murmurer
pendantsafièvre,entreautreschoses.—Qu’est-cequeçaveutdire?—Mapetite.Ilsourit,maisunecertainetensionsubsistaitdanssonregard.—Jenepensepasquecesoitlavraiesignification.—Ahnon?Elledéposaunbaiserdanssapaumeetplongeadanssesiris.—Non.Willgloussacontresapeau,laserraplusfortetserallongea,toujoursenfouienelle.—Endors-toi,dit-ilavecunbâillementsatisfait.(Sescilspapillonnèrent.)Avantquejesoistenté
derecommencer.
Il se réveilla un peu plus tard, juste assez longtemps pour faire rouler Lena sur le ventre etmordresanuque.Elleclignalesyeux,endormie,puisWillsoulevaseshanchesets’enfonçaenelle.Cettefois,iln’étaitpasquestiondedouceur.Quellequesoitlapenséequil’avaittirédesonsommeil,il l’assouvit dans son corps en lapénétrant, en lapossédant. Il la revendiqua avecun tel désespoirqu’ensuite,ils’effondrasurlelit,lesoufflecoupé,tandisquelecorpsdeLenaétaittoujourssecouéparlescontrecoups.
Etencore.Àpeinequelquesheuresplustard,quandlanuitcommençaitàassombrirleciel.Illaplaquacontrelematelas,perdudanssanaturesauvage,leregardétincelantetcuivré.
IlavaitéveilléquelquechoseenLena.Desdésirsqu’ellen’avaitjamaisressentisauparavant.Ilss’embrassaient, se mordaient et s’enfonçaient l’un dans l’autre, tout pour laisser leur marque,l’ombred’eux-mêmessurlapeaudel’autre.LesténèbresdeLenasedéployèrentenelleetellegriffalapeaududosdeWillencriantsonplaisirdanslecielnocturne.
Elleperditlecomptedunombredefoisoùillaposséda.Lemonden’existaitplusautourd’eux.L’universn’étaitplusquepeau,sueuretsemence,l’invasiondesoncorpsetl’acceptationdusien.Ils
s’effondrèrentpeuavantl’aube,épuisés.Willsortitdulitetallaserviruneassiettederagoûtqu’ilréchauffasurlepoêle.LafaimdeLena
avaitévoluéetelledévoradeuxassiettesavantdes’écroulerdenouveausurlelitdecamp.Ilyavaitàpeinede la place pour deux,mais il s’enroula autour d’elle et rabattit la couverture sur eux.D’uncôté,l’étroitessedulitconvenaitparfaitementàLena.
—Dors,murmura-t-ilcommes’iln’étaitpaslacauseprécisedesanuitblanche.Elleseblottitcontrelui.—Seulement…situmelaisses…Ellesombradanslesommeilavantd’avoirpufinirsaphrase.
1.AncêtreducondensateurutilisépourlapremièrefoisdanslavilledeLeydeauxPays-Bas.(N.d.T.)
25
Lena fut réveillée par un coup brusque frappé à la porte. Elle leva la tête de son oreiller – lapoitrinedeWill–etlaissasavisions’ajuster.Malgrélesdeuxplâtréesderagoûtqu’elleavaitavalées,sonestomacgrondaitcommesiellen’avaitrienmangédepuisunesemaine.
Souselle,lesmusclessetendirent.—Restelà.Willselevaetenfilasonpantalon.Lenaprofitanonchalammentdelavue,tentéedefaireglisser
sondoigt sur lepostérieurdénudéde sonamant. Il futun tempsoùelle le trouvait tropcorpulent,grossièrementbâti,maiselles’étaittrompée.Ilétaitparfait.Desmusclessculptésetunepeauhâlée.Encomparaison,lessangsbleusparaissaientinsignifiantsavecleursépaulettesetleurpeaupâle.
Ilmanquaitl’undesboutonsdesabraguette,sûrementperdudansl’effervescencedeleurnuit.Illui jeta un regard exaspéré et se dirigea vers la porte. Lena se redressa et se mit en quête de sachemisedenuit.Sonattention seposa surunepilede lingeblancabandonnéprèsde laporte.Elleenroulaledrapautourd’elleets’efforçadedémêlerlesnœudsdanssescheveuxavecsesdoigts.
Onfrappadenouveauavecfracas.—J’arrive,murmuraWill.Honoriaentradanslapièceenchancelant,levisagepâle,deséclairsdanslesyeux.—Laisse-moientrer!s’écria-t-elle.J’enaiassez.Jeveuxlavoir!Elleestàmoiaussi,espèce
de…SonregardseposasurLenaetellesefaufilasouslebrastendudeWillavecunlégercri.Elle
s’agenouillaetserraLenacontreelle.—Jet’aienvoyéunmessage,murmuraWill.Lenainspiraunepleineboufféeduparfumfamilierdesasœur.—Jevaisbien,dit-elle.Honoriafonditenlarmes.Bladefitsonentréeàsontourethaussalesépaules.—Tuaseucinqjours.dit-ilàWill.Jepouvaispaslaretenirpluslongtemps.Will tentade refermer laporte,mais elle fut repousséedans sadirectionetCharlie seglissaà
l’intérieuravecunsourireenjoué.SonenthousiasmedisparutquandilvitLenaetse transformaenmoueperplexe.
—Pourquoituneportesaucunvêtement?Lesjouesbrûlantes,LenaaidaBladeàreleverHonoria.—Accordez-moiuneminutepourmelaveretm’habiller,susurra-t-elle.Elleseruadanslasalledebains,sachemisedenuitàlamain.
Moinsd’uneminuteplustard,Willlarejoignitàl’intérieur,l’airtourmenté.—Unpeutropintrusive,lafamille?Ilparcourutsoncorpsdesyeuxets’emparadugantdetoilette.—Ouais.J’aibesoind’uneminute.Laisse-moit’aider.Ellecouinatoutbasquandilpassalegantentresescuisses.—Will!(Elleleluipritdesmains.)Net’avisepasdefaireça!Elleselavarapidementetenfiladenouveausachemisedenuit.—J’imaginequetun’aspaspenséàapporterdesvêtementsàmoi?—J’avaispasl’intentiondetelaissert’habillerdutout,dit-ilenluichatouillantlesfesses.Ellesaisitsesdoigtsetluijetaunregardnoir.—Tuesd’unehumeurcurieusementlégère,cematin.—Oui.(Ilenfouitsonnezdanssoncou.)Tum’aidesàmelaver?—Cen’estpasvraimentcequ’onappelleunetoiletterapide,murmura-t-elle.—Jesais.Ilglissasesmainssurseshanches.Lenabaissalavoixjusqu’àchuchoteretlerepoussa.—Pasavecmafamilledanslapièced’àcôté,mercibien.Lave-toiethabille-toi.Elleenprofitapoursefaufilersoussonbrastenduetsortit.Quandellereparut,Honoriaétaitentraindesécherseslarmes.Lenaluipritlamainetlaguidaversunechaise.—Assieds-toi,ordonna-t-elleenpoussantsonaînéeparlesépaules.C’était étrange de donner des ordres, alors queHonoria avait toujours rempli ce rôle. Elle se
penchaetdéposaunbaisersurlajouehumidedesasœur.—Souris.Jevaisbien.—Vraiment?Lenas’emmitoufladansunecouverturepourcouvrirsalégèrechemisedenuitethochalatête.—Jenemesouvienspasdetout.Maisjemesouviensdetavoix.Mercid’avoirveillésurWill.HonoriaéchangeaunregardavecBlade.—Ilnenousapaslaissésfairegrand-chose.Ilt’apratiquementenlevée.Bladeversadel’eaudansunevieillebouilloirecabossée.—Tudoisapprendreàlalaisserpartirdesfois,mabelle.Honoriapinçaleslèvres.—Jevousrappellequej’aivingtans,lançaLenaavecunsourire.—Tuestoujoursmapetitesœur.—Etmaintenant,jepeuxtebattreaubrasdefer.CerappelnepassapasforcémentbienauprèsdeHonoria.Lenalâchaunrireets’installaaubord
dulit.Willreparutàcetinstantendéfroissantsachemise.L’eauassombrissaitsescheveuxauxpointesdoréesetcollaitsescilsentreeux.Elledutretenirsonsouffledevantunetellesplendeur.
—Argh,murmuraBlade.Dis-moiqu’onn’étaitquandmêmepascommeça,nousdeux,fit-ilàl’adressedesacompagne.
IlfallutunmomentàCharliepourcomprendre.Puisilécarquillalesyeux.—C’estpourçaquetueslà!Willettoi?D’enfer!C’estarrivéquand?—Charlie,tesmanières,intervintHonoria.Illevalesyeuxaucieletdonnaunetapesurl’épauledeWill.
—Çaalors,hein?Unnouvelhommedanslafamille.Dieumerci,c’estpasundecessangsbleusdel’Échelonquisepavanentcommedespaons.Jen’auraisjamaiscruqu’elleauraitassezdejugeotepoursechoisiruntypebien.
—Bon,d’accord,ditLena.J’imaginequ’ilsnemereprendrontpasdesitôt.Charliesondasesprunelles.—Jelesaimebien,tesyeux,déclara-t-il.—Ehbien,jeteremercie.Elle éclata de rire, puis vit que Blade et Honoria échangeaient un autre de ces longs regards
éloquents.—Quoi?Qu’ya-t-il?— Leo est passé trois fois, annonça Honoria. Le prince consort veut savoir pourquoi Will
n’accomplit pas sa tâche et il a requis la présence deLena. Leo essaie de le calmer et de le fairepatienter.
—Ilssignentletraitédemain,ajoutaBlade.SilesNorvégiensviennentàlasoirée.WillposaunemainpossessivedansledosdeLena.—IlsnepeuventpasvoirLena.Latransmissionduvirusduloupeestpassibledepeinedemort.Elleluipritvivementlamain.—Qu’est-cequetuveuxdire?(ElletournasonattentionversBlade.)Ilsnevontpasfairedemal
àWill,si?—Passijem’yoppose,réponditBlade.C’esttroptardpoursecacher.Leprinceconsortestdéjà
aucourant.JepensequeLadyAstridluiatoutrépété.Ellepensaitsûrementqueçan’avaitpasgrandeimportance.
—Iln’oserait toutdemêmepass’enprendreàWill,ditLenaenselevant,puiselleresserralacouverture autour d’elle. Il ne peut pas risquer de faire une croix sur lesScandinaves avant qu’ilsaientsigné.Will,tameilleurechanceseraitdefaireuneapparitiondemain,etdeluiforcerlamain.Oblige-le àme reconnaître officiellement, en public, et explique-leur ce qui s’est passé devant lesScandinaves,ilseraobligédegarderlafacedevanteux.
Willluijetaunregardsombre.— Je t’emmène pas au cœur de l’Échelon, dans ce nid de serpents, alors que l’allégeance des
Norvégiensn’esttoujourspascertifiée.Pasavantquel’accordsoitenfinsignéetquetuaieslaloidetoncôté.
—Mais ils ne changeront pas la loi sans la signature desNorvégiens, dit-elle doucement. Tupensesquesi?
LesilencedeWillfutéloquent.—AstridetEricnousontaidés.Maiscesontpaseuxquiontlepouvoir.Etjepensepasquele
Fenrirgouverneavecsoncœur.Jecroisqu’ilsaitexactementcommentilvaplacersespions.—Alorsilfautleconvaincre,dit-elle.Jesaisquevousnevoulezpasmefaireprendrederisques,
maisjenevaispasresterassiseàteregarderalorsquec’esttatêtequiestenpremièreligne.—Non.—Tum’aspromisqu’onavanceraitensemble…—Saufsij’estimequec’esttropdangereux.—Pourtoi!Paspourmoi.—Tu n’en sais rien, répliqua sèchementWill. Tu ne t’es jamais fait cracher dessus et tu n’as
jamaisvudemèrecachersesenfantssurtonpassage.Tun’asjamaisétéemprisonnéedansunecage,Lena,souslesrailleriesdessangsbleusquiestimentquetuesàtaplace.J’aiessayédet’expliquer.
C’estunmondecomplètementdifférentetj’ensuisvraimentdésolé.Jevaisessayerdelesconvaincrede signer le traité, mais je ne te mettrai pas dans la ligne de mire. Pas une nouvelle fois. Je nesupporteraispasdeteperdre.Tulesais.
Elleprituneprofondeinspiration.Ilétaitinutiled’argumenter.Sielleavaitunechancedegagnersonapprobation,elledevaitsemontrerrationnelle.
—Tuneconnaispaslacour.Tun’enconnaispaslesdangers.Tunelesvoispasparcequetoi-mêmetunejouespasàcegenredejeuet,parconséquent, tunet’attendspasàcequelesautreslefassent.(Ilouvritlabouche,maisellepoursuivit,presséed’enfinir:)Ilnes’agirapasdepoingsoudecouteauxoudebagarreaufondd’uneruellesombre,Will.Ceseradesmots.Tuneprendrasmêmepasconscienceduproblèmeavantd’yêtreenterréjusqu’aucou.Tuasbesoindemoi.Jeconnaiscetunivers.Jesaiscommentgérerleursmanigances.
—Jenetemettraipasendanger.—Si tuéchoues,alors tumeurs, répliqua-t-ellecrûment.Et iln’yaurapluspersonnepourme
protéger.Etsurtoutpaslaloi.Voilàquineluiplaisaitpas.—Mince,Lena…—Tusaisquej’airaison.Ilcrispalesmâchoiresetleblancdesesyeuxengloutitsesiris.Maissesépauless’affaissèrentet
ellecompritqu’elleavaitgagné.—Tu neme quittes pas d’une semelle.Même pas une seule seconde. Si quelqu’un esquisse le
moindregesteverstoi,jeletue.—Jetecrois,dit-elledoucement.Envoyantl’angoissecauséeparcettedécisionquiallaitcontretoussesinstincts,elleluicaressa
lamain.—Merci.—Ehben,j’auraisjamaispenséassisteràçaunjour!s’exclamaBladeenriantavantdedonner
unetapedansledosdeWill.C’estquandtulaissesunefemmecontrecarrertesprojetsquetusaisquelesennuiscommencent.
—Net’avisepasderire,leprévintHonoria.Jepensequ’ilesttempsdesortirtatenuedecourduplacardetdefaireuneapparition.NouspourronsaideràsurveillerLena.
Bladefitlagrimace.—L’Échelonvaadorerça.
Lenaraclasonboldesoupeetyplongeaunregardtriste.Elleavaitdéjàengloutilamoitiéd’une
tourteauxrognons,uneassiettederagoût,deuxtranchesdepainetmaintenant,unboldesoupe.Etelleavaittoujoursfaim.
Lesautresavaient investi le salondeBladeetcherchaient lameilleure façondeconvaincre lesScandinavesd’accepterleuraccordlelendemain.WilljetaunregardàLenaetfronçalessourcils.
—Encore?Ellesecoualatête.—Jenedevraispas.Illuipritleboldesmainssansluiprêterattentionets’approchadelasoupière.—Fautquetuprennesdesforces.—Jevaisgrossir.Ilhaussalesépaulesetlaresservit.
—Çam’étonnerait,maissinonceseraitpasgrave.LebolréchauffalesmainsdeLenaautantquesesparolesluiréchauffèrentlecœur.Lenaregarda
lebouillon.Toutesavie,pourlaplupartdeshommes,ellen’avaitétéqu’unjolivisage.Laprincessedesonpère.Uninsignifiantdivertissementpourl’Échelon.
SeulWilllavoyaitautrementetluiaccordaitplusd’importance.OnfrappaàlaporteetBladefitvolte-face.Esmeentra.—Désolée,murmura-t-elleavecunsourireenjoué.Maisj’aiunelettrepourLena.—PourLena?Willseredressa.Lena s’empara de la lettre avec un froncement de sourcils.Qui avait pensé la trouver ici ?La
seulepersonneaucourantqu’ellepassaitsouventaurepaire,c’étaitLeo.Elle glissa son ongle sous le bord de l’enveloppe et déchira le rabat. Elle ne contenait qu’une
petiteboucledecheveuxsoigneusementnouéeavecunruban.Descheveuxblonds,finsetsoyeux.Descheveuxquisentaientl’odeurdeCharlie.Lenasefigea.—Oùas-tutrouvéça?demanda-t-elled’unevoixétouffée.Touslesoccupantsdelapiècesentirentlatensionsoudaineets’immobilisèrent.Esmes’humecta
leslèvres.—Unhommes’estprésentéàlaporteiln’yapascinqminutes.Iladitqu’ilavaitunelettrepour
vous.Blades’approchadelafenêtreetécartalesrideaux.—Àquoiilressemblait?Esme bredouilla une réponse vague, et Will saisit la mèche et la renifla. Il jeta un regard à
Charlie,puishaussaunsourcilinterrogateurversLena.Celle-ciregardasonboldesoupe,l’appétitcoupé.Ellesavaitexactementcequeçasignifiait.Elle
n’avaitpasfaitcequ’ilsattendaient.Quelqu’unvoulaitqu’elleempêchel’aboutissementdecetaccordet,jusque-là,ellen’avaitfaitaucunprogrès.
—Qu’est-cequec’est?demandaWill.Lenasecoualatêteetseleva.Elleavaitlagorgenouée.Ildevaitforcéments’agirdelapersonne
de la Tour des Corbeaux. S’il pouvait approcher Charlie assez près pour lui voler unemèche decheveux…
—Lena?Unemainchaudeseposaaucreuxdesondos.Touslesregardsétaientfixéssurelle.—Je…je…Willallaitladétester.Ellerevitsonsourire,quelquesinstantsplustôt,etpensaàlafaçondontilla
caressaitencemomentmême.—C’estàCharlie,n’est-cepas?demandaHonoriad’unevoixcalme,lesyeuxrivéssurlamèche
decheveux.Quesepasse-t-il?Lena?Sielleleuravouaittout,ellerisqueraitdeperdreWill…Quelégoïsme.Sonestomacsetordit.La
viedeCharlieétaitendanger,ainsiquecelledesonamant.Lasituationluiéchappaitetellen’avaitpaslescapacitéspourlarésoudre.
Sesépauless’affaissèrent.
—Oui,c’estàCharlie.C’est…(EllevolaunregardàWill,commesic’étaitplusfortqu’elle.)Jenepouvaispasvousledire.Quelqu’unm’amenacée.IlavaitundessoldatsmécaniquesdeCharlieensapossession,qu’ilavaitprisdanssachambre.Iladitquesijenemettaispasuntermeautraité,onluiferaitdumal.
Unefoislancée,elleneparvintplusàs’arrêter.— J’ai pensé qu’en faisant ce qu’ilme demandait, tout irait bien.Mais je n’ai pas pu. Surtout
quandj’aiapprisqueçaimpliquaittaliberté…Willsemblaitchoqué.Lenabaissalatêteetluipritlamain.—Jesuisvraimentdésolée.Jen’aijamaisvoulufaireça.Jen’aijamaisvoulu…IllevalamainetLenatressaillit.Ilsefigeapuis,lentement,approchasesdoigtsdesonvisageet
lelevaverslui.—Quelqu’unt’amenacée?Savoixétaitdoucemaissinistre.Lenafrémit.—Jeleuraiditquejenevoulaisplusêtremêléeàça.Ilparutinquiet.—Lena,jenevaispastefairedemal.Jevaisécraserlatêtedequelqu’uncontreunmurmaisje
neteferaijamaislemoindremal.Unelarmecoulasurlajouedelajeunefemme.—Jepensaisquetuseraisfurieuxcontremoi…— Bon sang. (Il l’empoigna brutalement et la plaqua contre lui.) Plus de secret entre nous.
Promis?Ellehochalatêteetenprofitapourinspireruneboufféedesonparfum.—Tuesàmoi,murmura-t-il.Avectescomplotsinsensésettoutlereste.Il écarta unemèche de cheveux de son front, pencha la tête et déposa un léger baiser sur ses
lèvres.Lenas’agrippaàsachemiseets’empressadeluirendresonbaiser.Derrièreeux,unraclementdegorgesefitentendre.—Qu’est-cequisepasseexactement?demandaHonoria.Toussetournèrentverselle.Bladeévaluaitlasituation,lesyeuxplissés.—Quelqu’un est entré ici et a pris l’un des jouets deCharlie, c’est ça ? Et unemèche de ses
cheveux?Charlieplaquaunemainsursoncrâne,commes’ilcherchaituntrou.Willprituneprofondeinspiration.—Lena?Tuferaisaussibiendeleurdire.Bladeaurabesoind’êtreaucourantsionveutgarder
lepetitensécurité.LenaglissasamaindanscelledeWilletfixasonaînée.—Promets-moiquetunevaspascrier.Honoriacroisalesbrassursapoitrine.—Jenevoudraispasfaireunepromessequejenesuispassûredetenir.C’étaitleprixàpayerquandondissimulaitdessecrets.Lenaredressalesépaulesetselança.Quandelleeutfinisonrécit,toutlemondelaregardait.LabouchedeHonorian’étaitplusqu’un
traitmince,maisaumoins,ellenecriaitpas.—Leshumanistes,murmuraBlade.Commetonpère?Honoriahochavivementlatête.—Jesupposequ’ilyaunrapportaveclecryptogrammequeWillm’ademandédedécoder?
Lenapoussaunsoupirdesoulagement.—Oui.Jepensaisqu’ils’agissaitseulementd’heuresetdedatesderencontres.Sonregardemplid’espoirs’assombritdenouveauquandHonoriadétournalesyeux.—J’aiessayéuneméthodededécryptagepar les lettreset leschiffres,maisçan’ariendonné.
Alors j’ai demandé à Leo. Son confrère LordBalfour possède unemachinemerveilleuse, conçued’après les croquis inachevés de Babbage1. C’est une machine de cryptographie à rotorélectromécaniqueet…
—Lemessage,lacoupaBladeavecunpetitsourire.— Abandon du Projet Firebird. Soupçon de sabotage de l’intérieur. En attente des ordres.
Mécaniquesdenouveauensous-main.Attendonsnouvellesinstructions.—Qu’est-cequeçaveutdire?demandaLena.Honoriahaussalesépaules.—ProjetFirebird…murmuraWill.Lesusinesdedrainage?—MaisRo…Mercuryaassurénepasyêtremêlé.—Alorselleamenti.Oubienc’estquelqu’und’autrequienvoiecesmessagesdepuislafaction
deshumanistes.—Fichuesmanœuvres…marmonnaBlade.Honoriafronçalessourcils.—Cequejevoudraissavoir,c’estpourquoituasgardétoutçapourtoi.—Jetel’aidit,balbutiaLena.Jen’avaispasréalisé…—Pastoi.(ElletransperçaitWillduregard.)Toi.Cedernierjetaunregardàsonmaîtreavantdedétournerlesyeux.—Jepensaispouvoirm’enoccuper.Honoriaregardalesdeuxhommestouràtour.—Quesepasse-t-il?—Rien,ditWill.Bladeobservasafemme,lesbrascroisésd’unairdéfensif.—Willnevoulaitpasquejemefrotteàl’Échelon.—Maistuas…— Je me suis remis à boire du sang humain, déclara-t-il soudain. C’est pour ça que mon
hématocritenedescendplus.LamâchoiredeHonoriatomba.—Mais…maispourquoi?Monsangvaccinét’aidaitàguérir!Sinousavionscontinué,tuaurais
puguérircomplètement.Tupourraisêtre…—Humain,achevaBladed’unevoixdouce.Certes,nousvivrionssans lamenaceduvirus,ma
belle,mais je perdraismes forces aussi, etma rapidité. (Ses traits se froissèrent.)Çame suffit desavoir que je ne frôle plus la Disparition graduelle. Je peux pasme permettre d’être encore plusfaible. L’Échelon nous tomberait dessus comme une meute de loups. Will essayait seulementd’empêcherça.
Honorialedévisagea,impuissante,lesyeuxbrillantsdelarmes.— Pourquoi personne ne me dit ces choses-là ? (Elle jeta un regard brûlant à Lena.) Suis-je
vraimentsifarouche,siépouvantablepourquevousredoutieztousdemelesdire?Jeneveuxquecequ’ilyademieuxpourtoi.Pourvoustous.
Bladelâchaunsoupir,commes’ils’étaitattenduàpire.
—C’estpasça,mabelle.Jevoulaispastedécevoir.Tuétaistellementdéterminéeaveccetteidéederemède…
—Jenesuispasirrationnelle,dit-elle.—Tuestroprationnelle,précisaBladeavecunsouriretimide.Illuicaressalesdoigtset,lentement,elletournasapaumeversluipouracceptersatendresse.Le
soulagementdétenditlestraitsdeBlade.—Bon,soufflaHonoria.Puisquel’heureestauxrévélations,déclara-t-elleenposantsamainsur
sonventreavantdelâchertoutdego:jecroisquejesuisenceinte.LevisagedeBladeperditsescouleurs.L’espaced’uninstant,ilrepritl’apparencequ’ilavaittrois
ansplustôt,quandilaffrontaitlaDisparitiongraduelle.—Honor?fit-ilavecunmélangedeterreuretd’admiration.Lenafuttransportéedejoie.—Tuessûre?demanda-t-elleenprenantlesmainsdesasœur.—J’aivulasage-femmehier,réponditHonoria,lesyeuxdenouveauxremplisdelarmes.Lenalaserracontreelle.—Tu lemérites, fit-elle doucement. Tu seras unemerveilleusemère. (Elle ne put retenir une
petitemouecontrite.)Tuasdelapratiqueavectousceuxd’entrenousquetuasmaternés.Esme vint les enlacer toutes les deux. Par-dessus l’épaule deHonoria, Lena vit Blade vaciller
contrelefauteuil.Charlielerattrapaavecunsourire.—Bonsang,bredouillaBlade.C’est…c’estformidable.Puisiltenditlamainetserrasafemmedanssesbras.
Lelendemain,Lenaprituneinspirationetlissaletaffetasauberginesurseshanches.Lafillequi
luifaisaitfacedanslemiroirluiparaissaitétrangère:corset,paniersouslajupe,d’élégantesplumesdanslescheveuxetunepetitebrochemécaniquequ’elleavaitelle-mêmeconçueépingléeàsonsein.Lespetitesailesenlaitondelalibellulepapillonnaientencadenceetellesavaitqu’elledétourneraitl’attentiondesesyeux.
Will disait que ces derniers allaient changer, que l’anneau cuivré autour de ses pupilles allaitprogressivementprendreledessus.Lenalesaimaitbien.C’était lapreuvequecette jolie jeunefillequilaregardaitdanslemiroirn’étaitplussansdéfense.Qu’ellen’étaitplusuneproie.
Elle sourit et son reflet l’imita, les dents à peine découvertes. Oui. C’était mieux. Elle seressemblaitplus.Elleétaitlassed’éprouverlapeuret,enavouanttoussessecrets,elleavaitretiréledernierpoidsquipesaitsursesépaules.BladeavaitrenforcélasécuritéaurepaireetCharlieétaitsainetsauf.Personnenepourraitl’approcher.
Toutcequ’ilrestaitàaccomplir,c’étaitdemenercetraitéàsonterme.Elle plissa les yeux.Elle allait prendreungrandplaisir à ruiner lesmystérieuxprojets de son
agresseur.—Tuesprête?lançaLeoenfrappantcontresaporteouverte.Il avait insisté pour qu’elle l’accompagne. Non seulement il aiderait à dissiper les rumeurs
concernant sa relation avecWill,mais enplus l’influencede son titre leur offrirait uneprotectionsupplémentaire.Si lemystérieuxagresseur faisait ungestevers elle, il serait à l’affût.Bladeet luiétaienttousdeuxbiendéterminésàcoincerletraître.
—TuasmisMmeWadeàlaporte?C’étaitlapremièrechosesurlaquelleelleavaitmisl’accentàsonretouràWaverlyPlacelanuit
précédente. Elle en avait assez d’être trahie et manipulée. Mandeville avait terminé le revêtement
extérieur du transformable et était passé récupérer l’intérieur dans lamatinée. Il avait exprimé sesplus plates excuses, mais elle avait la sensation qu’il lui faudrait longtemps avant de pouvoir luiaccorderdenouveausaconfiance.
—Avecdebonnesréférences,réponditLeo.Sonexpressionsombretrahissaitsacuriosité,maisilneposaitaucunequestion.Ils n’avaient jamais partagé ce genre de relation. Il avait protégé et guidé Lena à travers les
méandres de l’Échelon,mais il l’avait toujours tenue à une légère distance. En réalité, c’était unedistancequ’ilmaintenaitaveclemondeentier.
—Merci,murmura-t-elleensehissantsurlapointedespiedspourdéposerunbaisersursajoue.Pourtoutcequetuasfaitpourmoi.Pourm’avoirprisecheztoiquandjenesavaisplusquoifaire.
Ilmarquaunelégèrepause.Puisils’écarta,unsourcilhaussédemanièreénigmatique,lesjoueslégèrementrouges.
—J’ail’impressionquec’estunadieu.Ellehochalatête.—Jesaisoùestmaplace.—AvecWill.—Comment…?—Lena,répliqua-t-ilsèchement.Iln’yapasmillefaçonsdetransmettrelevirusduloupe.Jene
veuxmêmepasimaginercommenttul’asattrapé,étantdonnéquetuesma…—Tasœur,finit-elleàsaplace.Ilprituneprofondeinspiration.—Jenepourraijamaisêtretonfrère.Pasenpublic,tulesais.Etcettesituation,c’esttoutceque
jepouvaist’offrir.Toujourslamêmeraideur,lamêmedistance.Elleluiadressaunsouriremalicieux.—Tuvasêtretonton,tulesais?IlbaissaaussitôtlesyeuxsurleventredeLenaavantdelesdétourner.—Pasmoi,corrigea-t-elleenriant.L’incrédulitépritledessussursonattitudetoujourssiconvenable.—DouxJésus.Ilsereproduit.—C’estdetonbeau-frèrequenousparlons,luirappela-t-elle.Avecunpeudechance,leurbébé
luiressemblera.Sonhorreurcédalaplaceàuneexpressioncalculatrice.—Oui,ditLeoavecunsourireauxlèvres.Ilyadoncunejustice.Iléclataderireetsonhilaritélesaccompagnajusqu’àlacarriole.
Les véhicules à vapeur déversèrent leurs occupants sur la cour pavée devant la Tour d’Ivoire.
Lena regroupa ses jupes dans unemain et cherchaWill des yeux. La cour regorgeait de couleursvives,d’ombrellesetd’élégantschapeaux.Lorsd’unbal,unedébutanteenquêted’unprotecteursedevait de porter du blanc. Pendant la journée, la vitalité de l’Échelon ressortait dans toute sasplendeur.
—OùestWill?demanda-t-elle.—JenevoispaslacarrioledeBlade,murmuraLeo.Ilsnesontpeut-êtrepasencorearrivés.Les
ruessontencombrées.Ellerepéraungroupedeconservateursprèsdesmarches.—LesNorvégiens.
Lenaouvritsonombrelleetseraidit.—Jevaisallerleurparlerenattendant.—Lena…Unsourireallègreauxlèvres,ellepivotaetseheurtaàquelqu’un.Lenasaisitl’autrefemmeparle
brasavantderéfléchir.Adeleécarquillasesgrandsyeuxvertsettournavivementlatête.—Pardon,dit-elleententantdesedégager.Lenaresserrasesdoigts.—Non.S’ilteplaît,Adele.Uneexpressionpeinéepassasurlestraitsdesonamie.—Jenepeuxpas,chuchota-t-elle.Monpèreestsurlepointdesigneruncontratd’esclavagepour
moiavecLordAbagnale.—Cettevieillebrute?Adelejetaunregardautourd’elle.—Jenepeuxpasêtrevueentacompagnie.Tulesconnais.C’estpeut-êtremadernièrechance.—Adele,larumeurcirculequ’ilafrappésadernièreesclaveàmort!Ledouxvisaged’Adeleperditsescouleurs.—Tucroisquejenelesaispas?LeregarddeLenatombasurlelourdcollierdeperlesquiornaitsoncou.—Pourquoiportes-tuça?Adelesecoualatête.—Çan’apasd’importance.—Dis-le-moi.Lenatenditlamaincommepourletoucher,etAdeleécartasesdoigtsavecunregardimplorant.—Ilspensentquejesuislapouledetoutlemondemaintenant.Colchesterm’acoincéealorsque
j’étaisseuleet…—Colchester?sifflaLena.Qu’est-cequ’ilt’afait?—Iladitquepuisque j’avaisautant l’aird’aimerçaavecCavendish…jen’aipaspu l’arrêter.
C’est pour ça que j’ai besoin d’Abagnale. Il est riche et il donne tout ce qu’elles désirent à sesesclaves.
—C’estpourcompenserlescoups.—Jem’en fiche.S’ilmedonne assez, peut-être que je pourraismettre des choses engage. Je
pourraispeut-êtreamasserassezd’argentpourm’enfuir.EnAmérique.ÀNewYork.Lenasentitsonventresenouer.Quandunesclaverompaitsoncontrat,c’étaitl’exécutionassurée.—Ilsteretrouveront.Lesépaulesd’Adeles’affaissèrent,commesicettevéritéluiavaitvolésondernierespoir.—AlorsjeresteraiavecAbagnaleaussilongtempsque…quejelepourrai.C’étaitinjuste.Lenaavaittrouvélemoyend’obtenirsapropreliberté,àconditiondeconvaincre
lesNorvégiensdesignerl’accord.MaispasAdele.Niaucunedesjeunesfemmesquis’éventaientsurlaplaceensedonnantdegrandsairspourattirerunbienfaiteur.
—Nefaispasça,ditLenaenôtantsongant.(Elleretiralerubisàsondoigtetledéposadanslamaind’Adele.)Àl’intérieur,ilyauneconcoctionquipeutneutraliserunsangbleu.Regarde.Commeça.
EllesortitrapidementlaminusculeépineetmontraàAdelelemécanisme.—Çatelaisseral’occasiondet’enfuirsil’und’euxs’enprenddenouveauàtoi.
Unelueurféroces’allumadanslesyeuxd’Adele,avantdedisparaître.—Etensuite?Audiablecemonde!Lenaavaitenviedehurleràl’injustice.—Situasbesoind’aide,tupeuxvenirmevoir.OuLeo.Dis-luiquetuviensdemapart.Elle eut une soudaine inspiration. Une façon de protéger les filles comme elle, qui n’avaient
aucunmoyendesedéfendreouderépliquer.—C’estcequejevaisfaire,reprit-elledansunmurmure.Jevaisouvrirunemaison.Unendroit
pouraccueillirlesjeunesfemmesquiontdesennuis,oùpersonnenepourraleurfairedemaloulesforcer à se soumettre. Un endroit où elles pourront rester aussi longtemps qu’elles le voudrontjusqu’àsechoisirunenouvellevie.
Adeleladévisagea.—Etcommentprendront-elleslafuite?—Jevaislancerunenouvellemode,déclara-t-elle.Lamodedesbaguesderubis.Sonamiebaissalesyeuxsurlapierrequiétincelaitàsondoigt.—Çameplaît,chuchota-t-elle,unelueurd’espoirilluminantdenouveausesprunelles.—Adele!MmeHamiltonlatiraparl’autrebrasetjetaàLenaleregardqu’elleauraitjetéàuneétrangère.—Viens.LordAbagnaleveutadmirertonjolicollier.—Neprendsaucunedécisionpourl’instant,l’imploraLena.AdelefutengloutieparlafouleetLenarestaseuleavecsonnouveaurêvequicouvaitdansson
cœur.Pour mener son projet à terme, elle allait devoir s’opposer frontalement aux sangs bleus qui
tenaient à leurs petits jeux. Cela impliquerait aussi de survivre au jour le jour. Forcer le princeconsortàreconnaîtrecequefaisaitWilletàtenirsapromessedechangerleslois.
ElleposasonregarddéterminésurlesNorvégiens.IlslavirentapprocheretlevieuxFenrirluijetauneœilladeperçante.Iln’avaitpasfaitbeaucoup
d’effortspourl’événement:ilnes’étaitpasdépartidesonbandeausursonœilnidelafourruredeloupsursesépaules.Lesdeuxhommesàsescôtésavaienttroquéleurspropresfourrurescontredesuniformes de la marine boutonnés du côté gauche, avec épaulettes et brandebourgs dorés. EllereconnutEricavecsescheveuxblondsbalayésparleventetlafouledejeunesfillesquisemassaitautourdelui.
LenaadressaunhochementdetêteauFenrir.—MonSeigneur.—Alorscommeça,vousavezsurvécu,fit-ild’untonbourru.—Eneffet,réponditLenaenignorantsonimpolitesse.Ellesetournapoursaluerlesautresmembresdugroupe.LadyAstridarboraitunlégersourire.
Sescheveuxclairscontrastaientavecl’éclatargentédupelagepassésursonépaule.—Comptetenudel’étatdanslequelj’étais,jesuissurpriseparlarapiditédemonrétablissement.
Jemesensenparfaitesanté,déclaraLena.—Leseuldanger,c’est la fièvre initiale, réponditAstrid.Lamenace,c’étaient les tentativesde
votrecorpspourrepousserlevirus.Unefoisquelafièvreretombe,onguérittrèsvite.—C’étaitrapide,féroceetcommeunélanpassionné,songeaLenaàvoixhaute.Unpeucomme
unecertainepersonnedemaconnaissance.Astridsourit.
—Il faudramalgré tout quelquesmois pour atteindre votre puissance optimale.Vous serez enproie à des sautes d’humeur et vous éprouverez quelques difficultés à gérer vos émotions. Vousdevrezapprendreàlescontrôlerpouréviterdeblesserquelqu’un.
—Lesfemmesaussisouffrentdecegenred’emportement?—Enparticulierlesfemmes,raillaEric.Astridluijetaunregardréprobateur.—Tuasbienduculotquandonrepenseaunombredefoisoùtuasétéjetéàlamerouenchaîné
dansunecage.—Tenez-vous convenablement, intervintMagnus en posant unemain sur leurs bras. On nous
observe.Lenasuivitsonregardetunsouffledeventagitasesjupes.LeMarteaudeGuerrelesscrutaitde
l’autrecôtédelacour.LaduchessedeCasavianétaitenpleineconversationaveclui,maiscenefutpascequiattiral’attentiondeLena.Àcôtéd’eux,leducdeLannisterlaregardaitattentivementpar-dessussaflûtedechampagne.
Colchester.Ellenes’aperçutqu’elleavaitfaitunpasversluiquelorsqueAstridlaretintparlebras.Larage
soudaine qu’elle sentitmonter en ellemanqua l’étouffer. Il l’avaitmenacée, harcelée, et avait bienfaillilatuer.PuisilavaitessayédefairesubirlemêmesortàAdele.Unvoilerougeluibrouillalavue.
—Vous devez respirer. Lentement, profondément, lui conseillaAstrid.C’est ce contre quoi jevousaimiseengarde.Cettefureur,cettetentationincontrôlable…Vousdevezlarepousser.
—Jen’enaipasenvie.Elle se sentait puissante, invincible. Sans cette rage, elle craignait de revenir à l’état craintif
qu’elleavaittoujoursconnu,deredevenirlapetitesourisquis’enfuyaitdevantColchester.—Vousn’arriveriezmêmepasàl’approcher.Lesautresvousréduiraientenpièces,etensuite,ils
s’enprendraientànous.Voussavezquejedislavérité.Unemainlourdeseposasursonépaule.— Respirez, ordonna le Fenrir. (Le poids de sa main l’apaisa.) Inspirez. (Elle s’exécuta et il
poursuivitdesavoixhypnotique:)Etquandvousexpirez,vousdevezévacuervospulsions.Colchesterinclinasaflûtedanssadirectiond’unairmoqueur.Lenaserralespoings.—Jelehais.Jelehaistellement…—Laisseztomber,ordonnaMagnus.Respirez,mademoiselleTodd.Voicivotrefougueuxjeune
homme.(Illafitpivoterendirectiondelafiledecarrioles.)Quefera-t-ils’ilvousvoitdansunétatpareil?
WilliraitarracherlesyeuxdeColchester.Lenadéglutit.Ellenepouvaitpasselepermettre.—Jesuisdésolée.—Nouscomprenons,réponditMagnus.Plusquelaplupart.(Unbrefsourirepassasursestraits
durs.)Évacuezvotrecolèreetvotrehaine.Laissez-less’envoleravec leventet ramenez lapaixenvous.
Lenafermalespaupièresetécouta le timbreapaisantdesavoix.Lesmusclesdesesépaulessedétendirent.
—Jepensequetuferaismieuxderetirertamaindesonépaule.Oubienonvafrôlerl’incidentinternational.
Lenasentitlachaleurdesapaumedisparaître.EllerouvritlesyeuxetaperçutWillquisefrayaituncheminverseux,accompagnédeBladeetHonoria.
Ilportaitungiletencuirmarronauxcouturesornéesdeboutonsencuivre,ainsiqu’unsublimemanteaulongenveloursqui,aupremierabord,semblaitnoir.Cefutseulementquandils’approchaqu’elle comprit qu’il était d’un bleumarine très foncé.Le vent agitait ses cheveux emmêlés et lessangsbleuscommelesdamess’écartaientsursonpassage.
Ilgrimpalesmarchesdeuxpardeuxetsehâtadelarejoindre.Lenaneputs’empêcherdebaisserson regard sur les bottes en cuir souple qui lui arrivaient juste au-dessous du genou, équipéesd’éperonsdestylemilitaireencuivrequicliquetaientsurlesolenmarbre.
Ilfallaitqu’elleletouche,qu’elleeffleuresacuisseduboutdesdoigts.—Oùas-tutrouvéça?—Lesbottes?PetitcadeaudeBladecematin.—J’auraisdûreconnaîtresonstyle,répondit-elleenlejaugeantd’unairappréciateur.Lemanteau
aussi?—Jem’estimeheureuxquecenesoitqueduvelours,réponditWill.Sonregardétaitenflamméparundésirinexprimé.Lena commença à se pencher vers lui et se força à s’arrêter.Aujourd’hui, leur comportement
devaitêtreirréprochable.Mêmesiellemouraitd’enviedel’attraperparlesreversdesonmanteauetdel’embrasser.
BladeposaunemainprotectriceaubasdudosdeHonoriaetlaguidaenhautdesmarches.Lenaexaminasonmanteauencuiretsongiletd’unrougecriard.
—Tuasraison.Ç’auraitpuêtrepire.Honoria,pleinedecharme, salua leFenriret songroupeavecunnaturel
bienrodé.Bladeignoraleursregardsfroidsetsejoignitàelle.—C’estvotremaître?s’enquitAstridenobservantBladeavecunehostiliténondissimulée.Cedernierricana.—Quandçaluichante.Quandilsecontentepasdem’envoyerbalader.—Jevois,murmuraMagnus.Vousnefaitespaspartiedel’Échelon.Ilnes’agissaitpasd’unequestion.—Ceslarvesauteintcireux…Bladelançaunclind’œilàMagnusetparcourutlafouled’unregardlégèrementprédateur.—Voyez-lestousentraindedétaler,commesij’étaisunchataumilieudespigeons.Disonsque
maprésencen’étaitpasattendue.WillsepenchaversLenaetluiditàl’oreille:—Onaretrouvé la fillequiavaitpris le jouetdeCharlieetunemèchedesescheveux.C’était
l’unedesesdonneusesdesang.Elleditqu’unseigneurl’apayéepourlefaire.Maisellen’ajamaisvusonvisage.
Lenaressentitunevaguedesoulagement.—Ellenereprésenteplusaucunemenace?LeregarddeWillsedurcit.—Non,plusmaintenant.Jeluiaiinfligélapeurdesavie,etCharlieboirasonsangsousforme
réfrigérée.—C’esttoujoursmieuxquedel’avoirtuée.—Ouais.(IlprituneprofondeinspirationetsetournaversleFenrir.)Jevousdoisdesexcuses.
J’ai perdu mon sang-froid, l’autre soir. Je n’aurais jamais dû forcer l’entrée de votre maison et
proférerdetellesexigences.Jesuisdésolé.Magnusledévisageapendantunlongmoment.—Chezmoi,sil’undesloupsdeFenrir–ouloup-garoucommevousappelezçaici–perdson
sang-froid d’une telle manière, nous l’enfermons et nous le rouons de coups de fouet. C’estnécessaire.Pourapprendreàcontrôlerleberserkergang,lafureur.Laseulefoisoùl’onfaitpreuvedeclémence,c’est lorsdes ritesdeprintemps,quandunguerrierchoisit sacompagne.Cesontdespériodeséprouvantes.Nous sommessubmergésparnos instincts. (Ilhocha lentement la tête.)Vousn’avez aucune excuse à nousprésenter.Cette fois, je vous accordemon indulgence, car vous avezvous-mêmesubiunaccèsdefolie.
—Pourcettefois,répétaEric.Ilestsérieux.—Jevousaiprojetéàtraverslapièce,insistaWill,gênéparlabontédel’homme.Àsaplace,illuiauraitdéjàsautéàlagorge.—Jen’auraispasdûtouchervotrefemme,réponditEricavecunhaussementd’épaule.Toutva
bien.Jenesuispashommeàgarderrancune.(Desombresvoilèrentsesyeuxbleus.)Etjesaiscequevousressentez.
Desklaxonsretentirent.Lesconversationscessèrentettoutlemondesetournaversl’entréedelatour,prêtpourlasignature.
—Enavantlesbouffonneries,grognaMagnus.AstridsaisitlebrasdeLena.—Puis-jevousdireunmot,mademoiselleTodd?J’aimeraism’entreteniravecvotrehommeet
vous.LetriodeNorvégienssefigea.—Astrid?interrogeaMagnus,unsourcilhaussé.—Allez-y,dit-elleenagitantlamainverslaporte.Jevousrejoinsdansuninstant.
Astrid contourna la colonnade et observa le décor par-delà la balustrade. Le vent agitait ses
bouclesblondescommeunétendard.—Mononcle est vieux, déclara-t-elle subitement.C’est un traditionaliste. Il ne se rappelle que
trop bien quand nous avons combattu les sangs bleus et je crains qu’au fond de lui, il ne puisseacceptercetaccord.
Will s’appuya contre la rambarde et croisa les bras. Son cœur battait à tout rompre et Lenapercevaitsesbattementspar-dessuslessiens.
—Pourquoivousnousditesça?demanda-t-il.— Vous avez un intérêt personnel dans cette affaire, répondit Astrid. Mais j’apprécie votre
honnêteté.Vousn’avezpasessayéune seule foisdenousmanipuler. Jevous fais confiance.Et j’aibesoinderéponseshonnêtes.
Àl’intérieur, lamajoritédel’Échelons’étaitregroupéedanslegrandhall,prêteàassisteràunévénementhistorique.Leprinceconsortetlareinen’étaientpasencorearrivés,maisleConseildesDucss’étaitréuni.Willdevaitagirvite,maisLenaconnaissaitsaréponseavantqu’illaprononce.
—Vouslesaurez.Il était trop loyal, trop fidèlepourcettemission.C’était l’unedes raisonspour lesquelles il ne
tiendraitpaslongtempstoutseuldanscetunivers.Pourtant,elleretintsonsoufflequandAstridhochalatête.S’ilavaitessayédeleurjoueruntour,cesgrossiersNorvégiensl’auraient-ilsjamaisaccepté?
—Peut-onfaireconfianceàvotreprinceconsort?ÀvotreConseildesDucs?demandaAstrid.WillsetournaversLena.
—Dansl’ensemble,jeneleurfaispasconfiance.Maisjen’aipasunavistrèsobjectif.Lenaensauraplus.
Celle-ciréfléchitàlaquestion.—Leprinceconsort…non.Non.Jenepensepas.QuantauConseil,lesducss’opposentàluisur
certainssujets,maispas tous. Ilenaplusieursdanssapoche,maischacunasespropres intérêtsetmène ses propres intrigues. Ils sont peu à être dignes de confiance. Leo en fait partie. Le duc deGoethe. Peut-être le duc de Malloryn. Les intentions de la duchesse de Casavian sont totalementobscures.Jenesaispasàqueljeuellejoue,siseulementellejoueàunjeu.
—L’ambassadeursuédoisal’intentiond’acceptercetraité.Jesuisprisaupiège.Sinousrefusons,nousnousretrouvonscoincésentredeuxpuissantsempires.LesSuédoischerchentdepuislongtempsàdétruirecequ’ilrestedenosclans,ets’ilsmettentlesBritanniquesdeleurcôté,nousn’avonsplusaucunallié.Sinousacceptons,nousdeviendronslaminoritédecetaccord.Notreimplicationseraitungeste,riendeplus.
Astridfronçalessourcils.— Je dois trouver un allié à mon peuple. Il n’y en a aucun sur le continent. L’Empire des
Habsbourgtientsesloups-garousenlaisseets’ensertpoursonarmée,etlesFrançaissontprisparleurnouveaucultedesIlluminati.Leseulendroitoùjedoischercher,c’estici,àLondres.
Etsicen’étaitpasl’Échelon,alorsqui?LecœurdeLenabonditetunliensefitspontanémentdanssonesprit,commecelaluiarrivaitparfois.
—Vousnepouvezpasvousfieràeux!s’exclama-t-elle.WilletAstridluijetèrentunregard.—Sefieràqui?demandaAstrid.—Auxhumanistes.Astridsefigea.—Unteldiscoursdevotrepartn’estniplusnimoinsqu’unetrahison.Surtoutquandjesaisqui
sontleursvraisennemis.— Je ne vous trahirai jamais auprès de l’Échelon. (Lena déglutit.) Vous pouvez me faire
confiance,parcequej’étaisl’uned’entreeuxencoretrèsrécemment.Jesaisqu’ilsavaientl’intentiond’approchervosdélégationspourpasserleurpropremarchéavecelles.
—Nousavonseffectivementétéapprochés,avouaAstridàcontrecœur.—Ilsont leursplans,euxaussi.Onm’ademandéd’empêcher lasignaturedecetaccordà tout
prix. Voilà ce qu’ils veulent réellement. Ils préparent une guerre, Astrid. Ils ont mis au point desmonstresdemétalqu’ilscontrôlentde l’intérieur.Dèsqu’ilsenaurontsuffisammentpourmenacerl’Échelon,ilsattaqueront.
—Réussiront-ils?demandaAstrid.— Je ne pense pas, réponditLena. Plusieurs factions divisent le groupe.D’un côté, ils veulent
attendre,voircequeferal’Échelon,del’autre,ilsontdéjàcommencélaguerre.Ilss’entre-tuentdel’intérieur.
Astridlâchaunsouffle.—Alorsilsnepeuventrienmeproposer.J’aibesoind’aidemaintenant.(Elleserralespoings.)
J’avaisespéré…Ellesecoualatête.Lena fut prise d’une nouvelle inspiration. Soudain, elle sut exactement quoi faire. Ils s’étaient
trompésdudébutà la fin.Magnusétaitpeut-être lemeneurdugroupenorvégien,maisvoilàoùsecachaitvéritablementlepouvoir.
—Vousavezbesoindequelqu’unenquiavoirtouteconfiance.(Lenaaffichaunsourireéclatant.)Etnousavonsbesoinquevoussigniezletraité.EtsijepouvaisvousgarantirdepeserlemêmepoidsdanslabalancequelesSuédois?
Astridplissalesyeux,lacuriositépiquéeauvif.—Etcommentpourriez-vousparveniràcemiracle?—Ehbien,avoua-t-elle,jevaispeut-êtreavoirbesoind’unpeud’aide.
1.CharlesBabbageestuninventeuretvisionnairebritanniqueduXIXesièclequifutlepremieràénoncerleprinciped’unordinateuretl’undesprécurseursdel’informatique.(N.d.T.)
26
—J’espèrequeçavamarcher,murmuraWill.—Fais-moiconfiance.(L’expressiondeLenairradiaitd’assurance.)Jet’aiditquejeconnaissais
cemonde.Leprinceconsortetlareinefirentleurentréeengrandepompedanslegrandhall.Will,quidominaitBladeetHonoriad’unetête,avaitunebonnevuesurl’ensemble.Le Conseil attendait en silence, tout comme les clans de Scandinaves. Leo semblait à l’aise,
inconscientducomplotquiallaitbientôtlesébranler.Astridcherchaitquelqu’undeconfianceetWillconnaissaitl’hommetoutdésigné.LeseulsangbleuendehorsdeBladeauquelWillpouvaitsefier.
Ilcroisalesbrassursapoitrineets’autorisaunsourirecrispé.QuandilavaitjetélenomdeLeocomme ambassadeur potentiel du clan des Norvégiens, Lena avait approuvé après une légèrehésitation.
« Quelqu’un comme Leo, avait-elle dit d’une voix tendue. Bien sûr. Quelqu’un en qui vouspourrez avoir confiance. Quelqu’un qui vous tiendrait en plus haute estime que le représentantsuédois.Quelqu’unquemêmeMagnuspourraitaccepter.»
Lesdeuxfemmesavaientéchangéunregard.«Quelqu’unenquionpuisseavoirconfiance»,avaitrépétéAstrid,quel’idéeséduisait.Les discours s’enchaînèrent jusqu’à ce que Will y perde tout intérêt. Il voulait passer à la
signature.Ensuite,ilpourraitrentreràWhitechapelavecLena.—Soisattentif,ordonnaLena,enproieàunetensioncroissante.Ilss’apprêtentàsigner.L’ambassadeur suédois s’avança avec un sourire narquois et prononça tous les mots attendus.
Derrièrelui,MagnussefrayaunpassageversLeoetluimurmuraquelquechoseàl’oreille.Willlui-mêmefutincapablededistinguersesparolespar-dessuslavoixretentissanteduSuédois.
Leoclignalesyeux.Auboutd’unmoment,ilhochalatêteets’approchaduprincerégentpourluichuchoterquelquechose.
Onnesavaitplusoùdonnerdelatête.Willapplauditlafindudiscourssuédoisetleprincerégents’avançaàsontourpourfairesescommentaires.
—Mesdames etmessieurs, déclara-t-il.C’est un jour propice pour nos deux empires.Commevouslesaveztous,noussommesicipoursigneruntraitéavecnosamisscandinaves.Nousespéronsconnaître une association longue et fructueuse et, dans ce but, nous avons décidé d’annoncer lanominationdenotrenouvelambassadeur.
Desmurmuress’élevèrent.Certainsdesducséchangèrentdesregardsbrefs.SeulLeosemblaitàl’aiseet tout lemonde le remarqua.LaduchessedeCasavian lui jetauneœilladeperçante,puis setournaversleprinceconsortetlareine.
—Cette nomination implique de grandes responsabilités, poursuivit le prince. Nous avons leplaisirdedésignerM.WilliamCarvercommenouvelleliaisonavecl’alliancedesloups-garous.
Lemondebasculasoussespieds.Touteslestêtessetournèrentdanssadirectionetunedizainedehoquetsstupéfaitsrésonnèrentdanslapièce.
Will,quis’apprêtaitàapplaudir,sefigea.—C’étaitpasleplan.—Ehbien,vas-y!chuchotaLena,uneétincelled’allégressedanslesyeux.Jesuisdésolée,Will.
Leoétaitunetrèsbonnesuggestion,maisilyavaitquelqu’und’encoremeilleur.Tuétaisleseulànepaspouvoirlevoir.
—Jenepeuxpasêtreambassadeur,siffla-t-ilentresesdents.Autour d’eux, les applaudissements commencèrent à diminuer et tout lemonde se tourna pour
voircequiluiprenaitautantdetemps.—Danscecas,onpeutdireadieuautraité,murmuraLenatandisquesonsourires’estompait.Je
t’en prie. Je sais que l’idée ne te plaît pas.Mais pense un peu au pouvoir que tu pourrais avoir !Suffisammentpourt’assurerqu’onchangeleslois.Suffisammentpouraccorderlaprotectionàtouslesloups-garousquienontbesoin.Etjeseraiàtescôtés.Jenetelaisseraipast’enoccupertoutseul.Jesuisvraimentdésolée,Will.C’étaitleseulmoyenquejevoyaisdeteprotéger.
Ilinspiraprofondément.Lapièceserétrécissaitautourdeluietdevintsoudaintroppetite.Ilavaitétéenfermédansunecagetoutesavie,etensuitedanslesconfinsdeWhitechapel.C’enétaittroppourlui.
Ilsentitunemains’emparerdelasienneetlaserrerlégèrement.—Tupeuxlefaire,susurra-t-elleaveclaplusgrandecertitude.C’estlaclépourtaliberté,Will.LamaindeLenadevintsonancredanslemondequitournoyaitautourdeluidansunedébauche
decouleurs.Lenaavaitraison.Barronspouvaitlefaire,maisiln’auraitjamaisassezdeloyauté,assezd’intérêt dans l’affaire pour s’en préoccuper réellement. Les loups-garous avaient besoin d’unepersonnedeleurcôté.Etleprinceconsortavaitbesoind’unepersonnepourapaisersesalliésdel’est.
Maisilavaitd’autresresponsabilités.D’autresdettesd’honneur.Bladecroisasonregardd’unairentendu.
—Vas-y,dit-ildoucement.—Maispour…Bladesecoualatête.—Ripsuffirabienpourfairerégnermeslois.Etçavatedonnerunpouvoirquet’asjamaiseu.
Utilise-le,dit-ilsanspitié.Lestempschangent.Moi,chevalierduroyaume,ettoi,ambassadeur?(Illâchaunrire.)Fauts’adapter.
—D’accord.(WillsetournadenouveauversLena.)Jevaisparaîtreterriblementdémodé,maisj’insistepourlemariage.Jecomptepasfaireçatoutseul.
LalueurcuivréequiscintilladanssesyeuxréchauffaleregarddeLena.—C’esttrèspetit-bourgeois,Will.Lemariage?Vraiment?Passeulementunconcubinat?(Elle
lepoussaaucentredelafouleavecunrireenjoué.)J’accepte.Maintenant,va.
Rempliedefierté,Lenaleregardaserrerlamainduprinceconsortetaccepterlanominationsanscérémonie.Lesrumeursenflaientdanslehall.Colchestersemblaitsurlepointd’exploseretsesyeuxlançaientdeséclairsendirectiondeWill.
Soudain,ilsourit.
Unmauvaispressentimentmonta en elle.PasWill. Il pouvait tenter tout cequ’il voulait contreelle,maispascontreWill.
Lenasehissasur lapointedespiedsetconstataqu’elleétait soudain trop loinpour l’aider s’ilarrivaitquelquechose.Conscientedesonirrationalité–aprèstout,Colchestern’oseraitjamaistenterquoi que ce soit ici –, elle contourna Blade et se fraya un chemin grâce à ses forces récemmentacquises.
MagnusserralamaindeWillavecunpetitsourirecrispé.Alliés,certes,maisMagnussebattraittoujourspour cequ’il jugerait être lemieuxpour sonpeuple.Lecomte suédois lui jetaun regardperçant, puis lui serra lamain.Will faisait un boulot épatantmalgré sonmalaise. Il disait ce qu’ilfallaitetparvintmêmeàafficherunsourire.
Le prince consort demanda qu’on amène les papiers. Deux serviteurs en livrée se hâtèrentd’apporterunepetitetableéquipéed’unencrierenor.
Ravidevoirtoussescomplotsseconcrétiser,leprinceconsortaffichaitunsourirerayonnantetfitunpetitgestesurlecôté.
—Etmaintenant,unpetitgagedenotregratitude!lança-t-il.Deuxjeunesgarçonsapparurent,vêtusdenoiretd’or,ettirèrentderrièreeuxunelourdeestrade.
La formeposéedessus,quidépassait lesdeuxmètresdehauteur, était enveloppéedansundrapdesoieblancheetimmaculée.LeSuédoisacceptalecadeaudebonnegrâceetlafouleapplaudit.
—Qu’est-cequec’est?demandalecomte.L’undesjeunessaisitleborddudrapettiradessusd’ungestegrandiloquent.Surl’estrademobile
se dressait la silhouette d’un homme recouverte de plaques d’acier, aux membres sculptés. Lerevêtement de son visage était grossier et ses traits tranchants. Lena n’avait pas pris la peine decomblerlesaspérités.C’étaitsoninterprétationdeWill.
Lena s’immobilisa face aux applaudissements déchaînés de la foule. Qu’est-ce que letransformablefaisaitlà?Ladernièrefoisqu’ellel’avaitvu,c’étaitpourleconfieràM.Mandeville.Bondébarras.
Lesjeuneshommesreculèrentetelleputentrevoirleurvisage.L’und’euxétaitlegarçonquiavaitaidéMendiciàl’enlever.Leshumanistes.Lemondechaviraautourd’elleetlessonssedéformèrent.LecomtedeSuèdeadressaunsigneà
LadyAstrid,quis’avançaavecunlégersourire.—Commec’estcharmant,dit-elle.SesparolesparvinrentauxoreillesdeLenaavecuneprécisioninattendue.Quelquechoseclochait.Lenaexaminaattentivementl’œuvreetyreconnutsanspeinesontravail.
Maisellerepéraégalementlejointdéfectueuxsurlecôté.Quelqu’unl’avaittrafiqué.Astridtournalapoignéeunefois.Deuxfois.Ellerésistaitalorsqu’ellen’auraitpasdû.Quelque
choseétaitcoincédansleressortprincipalouailleurs.Dèsqu’Astridrelâchalapoignée,l’hommedefersemitàtrembleretlesgrincementsdesesrouagesévoquèrentaussitôtletic-tacd’unehorloge.
Tic.Tic.Tic.—Will!hurlaLenapar-dessuslevacarme.Danssapanique,ellevitlesyeuxambrésdeWillseriversurelle.EllepointaAstriddudoigtet,
alorsqu’ellecommençaitàpeineàparler,ilavaitdéjàbondi.
IlsepropulsaàtraverslapièceetplaquaAstridausolenlarecouvrantdesoncorpslourd.Lesgenss’éparpillèrentautourd’eux,confus,maisl’expressiondeWill leurinspirait instantanémentlapeur.
Il y avait trop de monde massé au même endroit. En majorité des membres de l’Échelon, ycomprisleConseiltoutentierainsiqueleprinceconsort.L’endroitrêvépourfaireunmassacredesangsbleus.
—Çavaexploser!Soncrifutemportéetrésonnadansl’espace.Deshurlementsretentirentetellefutrepousséesur
lecôtésansménagement.L’automatetressautaviolemment,incapabled’acheversatransformation.Lavapeursoufflaitàtraverssesplaquestremblantes.
EllevitWillpousserAstriddanslesbrasd’Eric,puisretourneràsarecherche.Lenafutheurtéepar quelqu’un et vacilla en saisissant son regard. Elle secoua la tête d’un air désespéré. Ils étaientchacunàunboutdelapièce.Ilétaitplusprudentdesortirparlesportesopposées,qu’ellepointadudoigtavecdesgestesfrénétiques.
—Recule!Uncorpss’écrasacontrelesien.Ellefutdéséquilibréeetemportéeparletourbillondescorpset
lesmouvementsdefoule.Ladernièrechosequ’ellevit,cefutWillqui,unmasquededéterminationsurlevisage,fendaitlafouledanssadirection.
Pourquoivenait-ildanscesens?Ellepassaleseuildelaporte,portéeparlefluxdepersonnestelleuneépaveflottante.Desbras
fortslasaisirentàlataille.—Merci,fit-elledansunsouffleencherchantWilldesyeux.—Oh,ditunevoixdouceet familière.Jenecroispasque tuaurasenviedemeremercier,ma
chère.LesangdeLenasefigeadanssesveinesetunobjetpointus’enfonçadanssondos.—Colchester,murmura-t-elle.
27
Willpoussaviolemmentladeuxièmeporteenferetunflotdepersonness’yengouffraaussitôt.Derrièrelui,letic-taclentetrégulierdutransformablemenaçaitleursvies.Lavapeurs’enéchappaitmaintenantaveclaconstanced’unebouilloire.
Oùétait-ellepassée?Il écarta un homme de son chemin et se libéra de la foule. Lena était juste là, avec le bras de
Colchesterpasséautourdesataille.L’expressiondanssesyeuxquandelleavaitréaliséquisetenaitderrièreellealimenteraitsescauchemarspendantplusieursmois.
Unebrumerougemenaçadel’engloutir.Ilarpental’entrée,maisneperçutaucunsignedeLena.Colchester avait parfaitement choisi sonmoment.La foule brouillait son odeur et cet enfoiré s’enservaitpoursecacher.
Ilnedevaitpasêtrebienloin.Maisoù?Soudain,lapiècefutsouffléeparunevaguedechaleuretilfutpropulsédanslesairs.Ilheurtale
muretretombaviolemmentausol,leflancdouloureux.Descrisretentirentetlebruitduplâtrequisefissureenvahit lehall.Àl’intérieur, lesflammessemirentà lécher lemobilieret lafuméejaillitàtraverslesportesouvertes,provoquantdanslecouloirunchaosabsolu.
Ilnevoyaitplusrien.Ilnesentaitplusriend’autrequelafumée.—Lena,murmura-t-ilenseredressant,assailliparledésespoir.Elledevaitbienêtrequelquepart.C’estalorsqu’ill’entendit.Lehurlementlointaindelafemmequ’ilaimait.
Colchesterlapoussadansl’antichambre,salamedesaignéeàlamain.Lenatrébuchacontreune
chaiseets’emmêlalespiedsdanssesfichuesjupes.Ill’avaitentailléeàlajoueetdegrossesgouttesdesangtombaientsurlestapisclairs.
Lachaise se fracassa sous sonpoids.Lena se redressa, àquatrepattes, et aperçut lepiedde lachaise antique à côté d’elle. Elle s’en empara vivement et se tourna pour lui faire face en lebrandissantcommeunematraque.
Colchesterverrouillalaporte.Puisils’yadossaetaffichaunsourireindolent.—Etmaintenant,jet’aienfinpourmoitoutseul.—Paspourlongtemps,luirappela-t-elle.Willn’estjamaisloinderrière.—J’endoute.(Ilrelevalatêteversl’étagesupérieur.)L’explosionadûemporterpresquetoutle
grandhalletl’entrée.Nilefeunilefern’ontdeprisesureux,déclara-t-ilencitantl’adagedesloups-
garous,maismême lui ne peut pas survivre à une chose pareille. J’ai bien peur que tu sois sansdéfense.
Seule,sansdéfense.L’angoisseluitorditlesentrailles.—Vousétiezaucourant,dit-elle.Voussaviezcequiallaitsepasser.Colchesterluicoulaunregard.—Tunepourrasjamaisleprouver.— Vous avez souri. Juste avant qu’Astrid actionne le transformable. Et vous aviez une place
stratégiquejusteàcôtédelaporte.IlfitunpasverselleetLenacontournaunpetitsecrétairepourluiéchapper.L’horreurlafrappa
depleinfouet.Ellesavaitqueleslettresqu’ellestransmettaiententrelaTourd’IvoireetMandevillevenaientd’unepersonnehautplacéeauseindel’Échelon,maisellenes’étaitjamaisattendueàcequecesoitdelui.
—Uneheureusecoïncidence.(Colchesterrenversalatablesurlecôté.)Tun’asnullepartoùtecacher,machère.
Lena s’humecta les lèvres. Où était passé son courage ? Son assurance ? Où était cet éland’invulnérabilitéqu’elleavaitéprouvédanslacour?Elleplongeaderrièrelecanapédansunrayondesoleil.
Colchesters’approchatelunchasseurcertaind’attrapersaproie.Siellelelaissaitfaire,ilallaitlatuer,icietmaintenant,etpersonneneconnaîtraitjamaisl’identitédesonmeurtrier.
Colchestersautasurlecanapé,puisdel’autrecôté.Sonmanteauflottaitautourdeluicommeunecape. Elle eut à peine le temps de réfléchir avant de brandir le pied de chaise et de lui lacérer levisage.
Lesangjaillitetéclaboussalesmurscouleurcrème.Lenaenjambalecanapé,pousséeparunélandepanique.LescrisdeColchesterrésonnaientàsesoreillesetilserelevaens’agrippantlevisage.Sapommetteétaitenfoncéeetsonosapparaissaitsoussachairenlambeaux.
LespectacleexcitaLenaetellesesentittrembler.Unevagueglacialeaffluadanssesveines.—Viens,dit-elle.Jen’aipluspeurdetoi.Quandellerelevalatête,Colchestersefigeabrusquement.—Salepetitepute,murmura-t-il.Saletédemonstre.Tul’aslaissét’infecter?Iln’avaitpasencorebienregardésesyeuxjusqu’àmaintenant.Lenalevalepieddechaise.—C’estleplusbeaucadeauqu’unhommem’aitjamaisfait.Cesparoleslemirentdansuneragesansprécédent.Ilrenversalecanapéetfracassalapetitetable
delecture.Lesdébrisvolèrentetils’attaquaensuiteàunebibliothèque.Ilsetournaverselleavecungrondementetexhibasalameavecdesintentionsmortelles.—J’auraisputouttedonner.— Tu asmenacé deme prendre tout ce que j’avais. Je te détestais. Je te craignais.Mais plus
maintenant.Sonsangbouillaitdanssesveines.Ellefitunpasverslui,lecœurbattant.—C’esttoilemonstre,Colchester.Willestplusnoblequetupourrasjamaisespérerledevenir.
Àcôtédelui,tun’esrien.Riendutout.Ilhurladerageetsejetasurelle.Avant,ellen’auraitmêmepaspusuivrelemouvementdesyeux
tant il était rapide,mais au fond d’elle, elle avait en quelque sorte reconnu le changement dans lepoidsdesoncorpsquiprécédait sonattaque.Elleattenditqu’ilbondissesurellepour luienfoncerviolemmentlepieddechaisedanslescôtes.
Lalameentaillal’épauledeLena.Lasensationfutglacialepuisbrûlantel’espaced’uneseconde,et la douleur reflua rapidement.Colchester se ploya autour du pied qu’ellemaniait, puis fonça enavantpourplaquerLena.
Elleheurtaviolemment le sol.L’air fut chasséde sespoumonsetColchestergrimpasurelleàcalifourchonpourlamaîtriser.Ellesentaitsonsoufflefroidcontresonvisage,sesmainsseresserrerautourdesagorge.Desyeuxfousluifaisaientface.
Maisellene ressentaitaucunepeur.Savuese rétrécitet les ténèbresmenacèrentde l’engloutir.Danssavisionpériphérique,elleaperçutlecouteaurejetésurletapis.Elletentades’enemparer.ElleattrapalapoignéeduboutdesdoigtsetColchesterpesadetoutsonpoidssursagorge.
Lapièce s’assombrit.Sesmembres s’engourdirent.Ellene sentait plusque lemanche sous sesdoigts.Elleparvintàl’empoigneretàlelever.Etelleleluiplongeaenpleincœur.
Colchesterhurlaetlâchaimmédiatementsagorgepoursaisirlapoignéedelalamequisortaitdesapoitrine.
Ilsemitàcracherunsangbleuâtreetcroisasonregard.—Jevaist’emmener…avecmoi.Ilparvintàôterl’armedesapoitrineetunflotdesangfraisjaillitenmêmetemps.Lenahurlaenlevoyantbrandirl’arme.Mais il n’abattit jamais son coup. Le bruit d’une explosion transperça la pièce et un jet
d’hémoglobineéclaboussalevisagedeLena.Colchesterse tordit.Sonbrasgaucheavaitdisparuàpartirducoude.Lenoirenvahit sesyeux,
signequeledémonavaitprislecontrôle.Iln’éprouvaitplusaucunedouleurdésormaisetremarquaitàpeinelesangquisedéversaitdumoignondesonbras.Ellen’avaitpasdûletoucherenpleincœur.
Lenaregardasonsauveurderrièrelui,stupéfaite.De la fumées’échappaitducanond’unpistoletetRosalind ladévisageaitd’unair sinistre.Elle
portaitducuirdespiedsàlatête,desvêtementsd’hommequi,d’unecertainemanière,luiallaientàlaperfection.Une petite calotte couvrait ses cheveux distinctifs et unmasque lamoitié inférieure duvisage.
Colchesterseretourna,saisitlecouteautombéausoletleprojetaàtraverslapièce.—Attention!s’écriaLena.Rosalindreculaenvacillantetagrippalalameenfoncéedanssonflanc.—Cen’étaitpascensésepassercommeça,murmura-t-elletandisquelepistoletglissaitdeses
doigtsmous.Nousn’avonsdécouvertleursintentionsquecematin.Letransformableavaitdisparu,ainsique…quemonjeunefrère,Jeremy.
Colchesters’approchad’elleentitubant.—Vousêtesunehumaniste,grogna-t-il.LenaserelevaaumomentoùlesgenouxdeRosalindcédaient.—Non!ElleseruaenavantpourfaireunplaquageàColchester.Ilsroulèrenttousdeuxàterre.Avec samainvalide,Colchester l’attrapapar les cheveux et lui tira la tête en arrière.Lena lui
griffalevisageetaperçutsesyeuxnoirsetsansâme.Sesdentsblanchesétincelèrentquandilouvritlabouchepours’attaqueràsagorge.
—Non!Soncridéchiral’air.Ellesentitdesincisivesémousséess’enfoncerdanssagorgeavecassezde
forcepourarracherlachair.Lenahurladeplusbelle.
Puis,soudain,ColchesterfutbrutalementécartéetWillapparutau-dessusdelui,consuméparlarage.Ilpivotaetprojetaleduccontrelemur.
PuisColchesterretrouvasonéquilibreetserapprochadeWill.Iltitubait,affaibliparlapertedesang, mais il n’en était pas moins dangereux. Lena distingua un éclat argenté quand il sortit unpoignarddesabotteavecsamainvalide.
—Will!cria-t-elle.Ilauncouteau!Willparaaucoupensaisissant lepoignetduduc.Il leplaquacontre lemuretorienta lapartie
métalliqueverslevisagedeColchester.—Onvavoirsituaimeslegoûtdelalame,grondaWillavantdel’enfoncerdanslagorgedu
duc.ColchesterémitungargouillisetLenadétournalesyeux.L’odeurdusangchaudetfraisemplit
l’airenmêmetempsquelegrincementducouteauquidéchiraitsatrachée.Lecorpsheurtalesol,presquedécapité.Lenaregardaautourd’elle, lapoitrinesoulevéeparsa
respirationsaccadée.Willavaitlepoingensangettenaittoujourslecouteau.Uneexpressionviolentetiraitsestraits.IlsetournalentementpourregarderlasilhouettedeRosalind,affaléesurlesol.
Lenasepressaverselleenlevantlesmains.—Will,non.Unelueurcuivréebrûlaitdanslesyeuxduloup-garou.Illadévisageaenmontrantlesdents.—Ellem’asauvélavie,luiditLena.Elleluiatirédessus.—C’estellequiainstallélabombe.Ilavança,menaçant.—Jesuisvenuepourl’empêcherd’exploser,corrigeaRosalind.Elleprituneprofondeinspirationetarrachalalamefichéedanssonflancavecunegrimace.Du
sangcoulasoussongilet.— Je suis arrivée trop tard. Nous n’avons jamais voulu ça. Quand la fumée se sera dissipée,
l’Échelon va passer la ville au peigne fin pour trouver le responsable. Nous ne pouvons nous lepermettre.Pasencore.Nousnesommespasencoreassezforts.
—Vousavezretrouvévotrefrère?s’enquitLenaenl’aidantàserelever.—Aucunsignedesoncorpsnullepart.Iladûs’échapper.Jesavaisqu’ilappréciaitMendici.J’ai
laisséfaire.J’auraisdûmerendrecomptequelesmécaniquesl’avaientcorrompuetl’avaientabreuvéderécitshéroïques.Ilsl’ontenvoyélivrerletransformable.Cessalaudsl’ontenvoyéàlamort.
Lerestedumondese rappelaàeux.Descrisetdeshurlements retentirentdenouveau.Despasrésonnèrentdanslecouloirdel’autrecôtédelaporte.
—Ondoityaller,ditLenaentirantRosalindparlamancheavantdesetournerversWill.S’ilsnoustrouventprèsducorps,ilsnoustueront.C’estunduc.Personnenedoitsavoircequis’estpasséici.
UnviolenttremblementsecoualecorpsdeWill.IlbaissalespaupièresetjetaunregardindolentetdangereuxàRosalindquifitflancherlecœurdeLena.
—C’estvotrefautes’ilaréussiàluimettrelamaindessus.Rosalindsepenchapourramasserquelquechoseparterre.PuiselleattrapaLenaparlataille,la
plaquacontreelleetposalepistoletsoussonmenton.Lenasefigea.—Nebougepas,prévintLena.Ellepossèdelesmêmesballesquecellequetum’asfabriquées.—Desmissilesdefeu.Çafaitdesacrésdégâts,précisaRosalind.—Lâchez-moi.—Pourlelaisserm’arracherlatête?Certainementpas.
—Ilnevoustoucherapas,répliquaLenaensoutenantleregarddeWill.Jevousdonnemaparolequ’ilnevoustoucherapas.
—Jevouslarends,ditRosalindàWill.Maissivousfaitesunseulgeste,jelatueenpremier,jelejure.
Rosalind la poussa dans les bras deWill. Lena eut à peine le temps de comprendre ce qui sepassaitqueWilllafitpasserderrièreluipourlaprotégeravecsoncorps.
—Will ! (Elle tira sur sonmanteauet le retint par leshanches.) Je lui ai promisque tune luiferaisrien.
—Peut-être,maispasmoi,murmura-t-il.C’estladeuxièmefoisquevousavezmenacésavie…— Et je l’ai sauvée une fois, répliqua Rosalind en pointant son arme sur son torse. (Elle
s’humectaleslèvres.)Çacompte,non?—Pasvraiment.VousvoulieztuerColchesterplusquevousnevouliezsauverLena.—Jesuisunefemmepratique.D’unepierre,deuxcoups.—Approchez-vousd’elleencoreuneseulefoisetjevousgarantisquejevousarrachelatête.Lepistoletsebaissalégèrement.Rosalindplaquaunemainsursablessureetsepenchaenavant.—C’estd’accord.Ellenemereverraplus.(Unelégèregrimacedéformasestraits.)Ilsemblerait
quej’aiedeuxoutroischosesàrégler.—Commentallez-voussortird’ici?demandaLena.Sansvousfairerepérerparlesgardes?—Delamêmefaçonquejesuisentrée.Rosalind se dirigea vers la bibliothèque que Colchester avait à moitié arrachée du mur. Elle
l’ouvritetrévélaunevoléedemarchesdissimulées.—Cetendroitesttruffédetunnels.Onamislamainsurlesplansilyaplusieursmois.Venez.
(ElleadressaunhochementdetêtevigilantàWill.)Jevaisvousfairesortirsansêtrevus.Onpourraseséparerenbas.Commeça,onseraquittes,non?
Lenafrottalebasdudosdesoncompagnon.—Will?Ilhochalatête.—Passezdevant,quejepuissevousavoiràl’œil.
28
WillouvritlaportièredelacarrioleàvapeurdeLeoetaidaLenaàygrimper.Sonregardétaitdistant et son corps parcouru de tremblements.Quand il lui avait demandé ce qui n’allait pas, elleavait tenté un sourire et un haussement d’épaule. Avant qu’il puisse sonder ses pensées, Blade etHonoriaapparurent.
BladeetLeoavaient fait sortirHonoria,puisLeoétait retournéà l’intérieurpourapportersonaide. De la fumée s’échappait du bâtiment et les gardes essayaient tant bien quemal d’exercer unsemblantdecontrôle.
Ilétaittempsdepartird’ici.Avantquelesgensnecommencentàlespointerdudoigt.BladeaidaHonoriaàmonterdansleurproprecarriole.Ilyavaitàpeinedelaplacepourdeuxet
WillvoulaitêtreseulavecLenapendantunmoment.Iln’enavaitpaseul’occasiondepuisl’explosionetlebesoindelaserrerdanssesbras,des’assurerqu’elleallaitbien,luifaisaitperdrelatête.
Après avoir donné de brèves instructions au chauffeur, il s’installa à l’intérieur et referma laportière.Lacarriolesemitenbranle,quittalafiledevéhiculesets’engageadanslesrues.Willtiralesrideaux.
Lenaclignalesyeuxetsemblaenfinsortirdesatorpeur.—Tuasconsciencequec’estlacarrioledeLeo?—Lamarcheàpiedluiferadubien,répliqua-t-ilenrepoussantsesjupes.Lena.(Ilhésita.)Tuvas
bien?Ellesourit,maisilluipritlamain.—Non,dit-il.Nemefaispascesourire.Jesaisquetuesbouleversée.(Ilcaressasesgantssaleset
luirappela:)Jepeuxlesentir,tusais.Ellebaissaleregardetsesépauless’affaissèrent.—Ilestenfinmort.—Quiça?—Colchester.(Deslarmesbrillèrentdanssesyeux.)Jesuistellementàbout,Will…Çafaitdes
mois que je me sens traquée où que j’aille, que je ne suis pas en sécurité même quand je suisaccompagnée.Aujourd’hui, quand il t’a regardé et qu’il a souri, j’étais terrorisée. Je pensais qu’ilallaits’enprendreàtoi.Maisilattendaitl’explosion.Ilétaitaucourant.Jenesaispascomment.Audébut, j’ai cru que c’était lui, mon contact à la Tour, mais maintenant, je pense que non. Il étaitdégoûtéquandilaapprisqueRosalindétaitunehumaniste.
Elleretiral’unedesesmainsdecellesdeWillets’essuyalesyeux.— Je suis heureuse qu’il soitmort, dit-elle avec véhémence.Mais je n’arrive pas à arrêter de
trembler.Jen’arrivepasàcroirequ’onsoittouslesdeuxsainsetsaufs.Quetusoissainetsauf.(Elle
empoignasachemise.)J’aifailliteperdre…Ill’attirasursesgenouxetenfouitsonvisagecontresonépaule.Ildétestaitlavoirpleurer.—Ilnepourraplusjamaistefairedemal.—Jelesais,murmura-t-elle.Elleglissasesmainsdanssondos,avidedecontact.—Touche-moi,Will.Rappelle-moiquetuesbienlà.Quetuesàmoi.—Pourtoujours,mocridhe,chuchota-t-ilentrouvantseslèvresdanslapénombre.Lenal’embrassacommesiellenevoulaitplusjamaislerelâcher,rongéeparundésirinsatiable.
Willregroupasesjupesetlesrepoussasurlecôté.Sonsexefrottaitcontreletissudesonpantalonetil écrasa Lena contre lui en emmêlant leurs langues. Il savourait chaque seconde grisante de sanouvellevie.
Il mordilla sa gorge et tira sur l’élastique de sa culotte. Lena ouvrit la bouche et remua leshanchescontresesdoigtspourl’encourager.
—Vite,susurra-t-elle.Ill’attirasurlesolmais,avecLenaàcalifourchonsurlui,sesjupess’entassèrentautourdeses
cuisses.Avecungrognementdefrustration,iltiradessusetenfonçasesdoigtsdanslacourbecharnuedesesfesses.
—Seigneur…ilfaut…ilfautquejetegoûte.Illarenversasurlabanquetteets’agenouillaentresescuisses.Lescheveuxsombresetépaisde
Lenatombèrentautourdesesépaules.Ilattiraseshanchesauborddelabanquetteetpassasesjambespar-dessussesépaules.Ilretroussasesjupesetplongeasalangueprofondémentdanssaféminité.
LecriquepoussaLenaluifitl’effetd’unemélodie.Ilvoulaitchasserseslarmesetlaposséderdenouveau. Il suçaetmordilla tout enécoutant sespetits râles étouffés, sedélectantde la tensionquienvahissaittoutsoncorps.Ilvoulaitconnaîtrelemoindrecentimètrecarrédesapeauetapprendreàlacombleraumieux.
Lenaluigriffalesépaules.—Arrête!dit-elle,haletante.J’aienvie…Illaléchaenprofondeuretsuçalaperlehumidedesonclitorisentresesdents.—Tuasenviedequoi?LenafrissonnaetresserralesgenouxautourdelatêtedeWillpuisplongeadanssonregard.—J’aienviedetoi…enmoi.—Dansuneminute.—Toutdesuite.Cefut ladéterminationdanssavoixqui le fitbasculer. Ilouvrit sabraguetteet libérasonsexe
qu’ilpritdanssamain.Ils’enfonçaenelled’unseulcoupdehancheetlarapprochaencoreduborddelabanquette.
Elleétaitsichaude,siétroite,sihumide.Lenalaissaéchapperuncrietenroulasesjambesautourdesataille.Elles’agrippaàsoncouet
attira son visage à elle pour l’embrasser fiévreusement. Elle reconnut la saveur musquée de sonproprecorps.Willenchaînaitlescoupsdereins,lecorpstremblantdedésir.Bonsang,qu’elleétaitdouce. Il avait envie de la posséder brutalement, de l’enfouir dans les coussins de la carriole etd’introduiresonmembretoutaufondd’elle.
Leursrespirationsdevinrentplussaccadées.LenaondulacontreWilletattisaencoresondésir.Illamaintenaitplaquéeàluietécrasaitlabasedesonmembrecontreelle.Tandisquesoncorpsétaitparcourudetremblements,lesmusclesinternesdeLenaseresserrèrent.Elleaimaitça,elleaimaitce
qu’illuifaisait.Ilsentitlafièvremonterenelleàlafaçonabsentedontellel’embrassaitdésormais,puisàlafaçondontellepoussauncrisilencieux,agitéedespasmes.
Unpetitpoingluicomprimalapoitrine.C’étaitsafemme.Elleétaità lui.Personnenepourraitplus la lui enlever et il ne pouvait plus la blesser. Elle pourrait être à lui pour toujours. L’espoirgonfladanssapoitrine.Ilserralesdentsetfrissonna.Ilyétaitpresque.Ilaccentuasescoupsdereinsets’abandonnaàlasensationquitraversasonêtre.
Lenaselaissaretomberenarrièreetl’entraînaavecelle.Ildéposaunbaisersurseslèvresetseretira.Elleémituneprotestationsilencieuse,maisilrangeasonsexedanssonpantalonetattiraLenasursesgenoux.
Sarespirationsecalma,maissoncœurmartelaittoujourssescôtes.Willenfouitsonvisagedanslesmèchesacajoudelajeunefemmeetinspirasonparfum.
Lenaposalatêtedanssoncouetseblottitcontrelui.Ellecaressasapoitrineetposalamainàplatsursespectoraux,commesiellecherchaitàpercevoirsespulsationscardiaques.
—Etmaintenant?—Maintenant?Unelégèrehésitation.—Pourletraité?Iln’avaitpas les idéesclaireset sespaupièresmenaçaientde se fermer.Maisellen’avaitprêté
attentionàriendecequis’étaitpassédepuisqu’ilsétaientsortisdusous-sol.—Bladeditqu’ilsvontlereprogrammer.Sil’explosionn’avaitpasexterminélamoitiédessangs
bleus, l’histoire aurait pu être différente. Les loups-garous auraient pu accuser l’Échelon et viceversa.Barronsveutéclaircirtoutel’affaire.
—Çavaluiplaire,murmuraLena.Ilaimelesénigmes.—Tuvasluidire?—Luidirequoi?—PourRosalind?Lenaréfléchitquelquesinstants.—Non,jenepensepas.—Tuluidoisrien,gronda-t-il.Ilsvontnouscauserdesennuis,souviens-toibiendecequejete
dis.—Jepeuxcomprendrecequ’elleressent.L’impuissance.Ellesebatpourunecauseperdue.Jene
latrahiraipas,Will.Pasàmoinsqu’ellenetentequelquechosecontreunepersonnequej’aime.Willcaressaledosdesoncorsetensoie.Sonsensinnédelaloyautéétaitl’unedeschosesqu’il
aimaitlepluschezelle.—EllefaitunseulgesteetjefiletoutdroitchezLeo.—Merci,ditLenaenfourrantsondoigtdanslecoldesachemise.Ellelevasonvisagebaignédelarmes,lesyeuxbrûlantsd’uneémotioncontenue.—Will…tuesfâché?—Fâché?Pourquoi?—Àcausedutourqu’ont’ajouéavecAstrid?Àcausedurôled’ambassadeurqu’ont’aimposé
enéchangedel’allégeancedesNorvégiens?Ilréfléchit.—C’estpascequej’auraisvoulu.(Ilsentitlatensions’emparerd’elleets’empressad’ajouter:)
Maisjesuisleseulàlepouvoir.L’idéed’unchangementmefaitpeur,Lena.Jedétestel’Échelonetje
détestel’idéededevoircomposeraveceux.J’étaisheureuxentantqueseconddeBlade,parcequeçamepermettaitdenejamaisquittermonpetitmondeàl’abridudanger.
Ilprituneprofondeinspirationavantdepoursuivre.— Tu avais raison. Quand tu disais que je les avais laissés faire de moi celui que j’étais.
Whitechapel,c’étaitrienqu’uneautrecagedanslaquellejemesuislaisséenfermer.Jepeuxpasdirequecettehistoirem’enchante,maispeut-êtrequej’enaibesoin.(Illaserracontrelui.)Entoutcas,jesaisquej’aibesoindetoi.
—Tun’espasfâchéalors?EllepassasesdoigtssurleslèvresdeWill.Ilsecoualatête.—Mavieallaitchangerdetoutefaçon.—Ahoui?—Toi,avoua-t-il.Jem’attendaispasàcequetuvivesavecmoidanscepetittaudis.UnsouriresedessinasurlabouchedeLena.—Lesmomentsquej’aipassésiciavectoisontparmilesplusheureuxdemavie.Sapoitrinesecomprimaunpeuplus.—Pourmoiaussi,admit-ild’unevoixbourrue.Ilsaisitsonvisageentresesmainsetposasonfrontcontrelesien.—Tuestoutpourmoi.Lenaluiadressaunpetitclind’œilgrivoisetjouadenouveauavecsoncol.—Est-cequetuessaiesdemedirequelquechose?—Tedirequoi?—Combientum’adores?Willdéposaunbaisersursajoue.Peut-être.—Combien…tutiensàmoi?Elle lui jeta un nouveau regard séducteur. Ses yeux étincelaient d’une lueur espiègle et elle
caressasajouemalrasée.Elleouvritlabouche,maisillascellaaveclasienne.C’étaitsafaçonderépondreauxquestionsqu’elleposaitsanslesformuler.
Quandils’écarta,Lenaavaitlesoufflecourt.—Combientum’aimes?murmura-t-ellesuruntondedéfi.Pourquoiavait-ellebesoind’entendredesmots,alorsqu’ilétaitfichtrementcertaindeluiavoir
démontréprécisémentcequ’ilressentait?Avecl’assurancequ’elleaffichait,ilnes’étaitpasattenduàtrouverenelledel’indigence.
Willl’embrassapourbalayersesquestionnements.—Tusaisquejet’aime,dit-il.LecorpsdeLenafrissonnacontrelui,maisilposaundoigtsurseslèvres.—Jepourraismourirpourtoi,ajouta-t-il.Jetueraispourtoi.J’aitenutêteauxmécaniques,aux
humanistes,j’aiendurétesleçonsdebonneconduite.Pourtoi.J’aidansélorsd’unbal,pourtoi.LesouriredeLenaluiréchauffalecœur.Ellerayonnaitdel’intérieur.Ilsefichaitbiendecequ’il
luifallaitdirepourmaintenircetteexpressionsursonvisage.—Jet’aime,déclara-t-ild’untonpresquesévère.Jet’aimeraitoujours.Tueslaseulefemmeque
j’aijamaisvraimentvue.Laseuledontj’aijamaiseuenvie.Jesaisquejesuispasforcémentunbonparti…
CefutautourdeLenadeposersonindexsursabouche.
—Nedispasça. (Une flammes’allumadans sesmerveilleuxyeuxcernésd’ambre.) Je suis lafemmelapluschanceusedeLondres.Dumondeentier.
—Ouais,peut-être.(Ilglissasesbrasautourdesataille.)Est-cequet’essaiesdemedirequelquechose?
Ellelâchaunrire.—Regarde-toi,àchercherlescompliments.—Non,pasdescompliments,rétorqua-t-il.Lenal’embrassaetpritsesjouesencoupe.—Jet’aimeaussi,dit-elleàvoixbasse.Oh,Will.Jepensequejesuisamoureusedetoidepuisdes
années.—Ilm’afalluunboutdetempspourm’enrendrecompte.—Commentçaauraitput’échapper?Pourtoi,j’aifaitunecroixsurl’Échelon.J’aiaffrontédes
ducs libidineux, des bombes àmécanisme, et des clans de loups-garous. J’ai ruiné trois paires degants.
—Trois?(Ilsourit.)Jevaisdevoirlesremplacer.—Ohqueoui,approuva-t-elle.Jenedévoileraiplusjamaismespoignetsenpublic.Unélandepossessions’emparadelui.Ilresserrasonétreinte.—Non.Iln’yaquemoiquiverraitespoignets.Entreautreschoses.Lenas’écartaetjouaaveclesrubansdesoncorsage.—Enparlantdeça…Il semblequenousenayonspourunmoment, aveccettecirculation.Tu
n’auraispasenviedemedivertir…?—Tedivertir?roucoula-t-il,enproieàunechaleurcroissante.C’estcommeçaqu’ondit,denos
jours?—Eneffet.(Elletirasurlesrubans.)Ilsembleraitquecertainsdomainesdemonéducationme
fassentdéfaut.Jet’apprendraiàtefondredanscemondeàconditionquetum’apprennes…commenttesatisfaire.
Sapoitrinesegonflaetdébordalégèrementdesondécolleté.Willsentitsabouches’assécher.—Crois-moi,monamour,dit-ilenl’aidantàsedéshabiller.Tusaistrèsbienmesatisfaire.
Épilogue
—Maisqu’est-cequis’estpasséici?Leprinceentraàgrandesfouléesparlesportesàdoublesbattants.Lacolèredéformaitsestraits;
une poignée de gardes Coldrush fourmillait dans la pièce par mesure de sécurité et détruisait lamoitiédespreuvesdeSirJasperLynch.
CedernieréchangeaunregardentenduavecBarrons.—Nebougezplus,ordonna-t-ilàl’undesgardes.L’homme se figea et Lynch pointa du doigt l’empreinte sanglante sur laquelle il s’apprêtait à
marcher.—Sivousdégradezcettetrace,jeseraiincapablederetrouversonpropriétaire.Ilseredressaetcroisaleregarddurduprinceconsort.—VotreGrâce.IlsembleraitqueleducdeLannisteraitétéassassiné.Leprinceconsortexaminalecorps.Puisilpivotasursestalonsetdéversaunchapeletdejurons.—Satanéesbombes!Lesloups-garousquisemettentàhurleretmaintenant,ça!Commentest-ce
possible?—Uncoupdecouteaudanslapoitrine,uneballequiluiaarrachélamoitiédubrasetunequasi-
décapitation. Je pense que c’est la décapitation qui l’a achevé, bien que cette balle me poseproblème…expliquaLynch.C’estundecesmissilesdefeuqu’onadécouvertssurcertainsmembresdelapopulation.
—Leshumanistes,crachaleprinceconsort.—Peut-êtrebien,réponditLynch.Iln’avaitpaspourhabituded’émettrelemoindrejugementsansavoirtouteslespreuvesenmain.
Etdenombreusespersonness’étaienttrouvéesdanscettepièce.Ilétaitparvenuàdécouvrircertainestraces ; des mèches de cheveux, des éclaboussures de sang et même des pistes olfactives. Quatrepersonnesetunebagarre,s’ilnesetrompaitpas.
Et il était presque sûrde savoirqui avait porté le coup fatal.Comment les autrespouvaient-ilsmanquer l’odeurforteetmusquéed’unloup-garou–unhommequeconnaissaitbienLynch?Ilnesauraitjamais.Peut-êtreàcausedelaquantitéd’eaudeColognedontilss’aspergeaient?Maispeut-être, songea-t-il en décelant le regard froid de Barrons, que certains d’entre eux connaissaientprécisémentl’identitédeceuxquiétaientvenusici.
—Nousnepouvonsdétermineraveccertitudesicemeurtreaunlienavecl’attaqueàlabombeou si quelqu’un a profité de l’occasion, déclara Barrons. (Il marqua une pause éloquente.) VotreGrâce,Lynchmesignalequel’undesesinformateurshumanistesatransmislasemainedernièreune
informationconcernantlapossibilitéd’unattentatàlabombe.Étantdonnéquec’étaitColchesterquiavaitpourmissiondetrouverleshumanistes,Lynchluiadirectementtransmissadécouverte.
Leprinceconsortseretourna,levisagepâledecolère.—VousêtesentraindemedirequeColchesterétaitaucourantdeça?—Oui,réponditdoucementBarrons.AutantqueLynch.Lynchseraidit,prêtsubirsesfrasques.— Si j’avais soupçonné qu’il ne transmettrait pas l’information, j’aurais sollicité un entretien
avec le Conseil. C’est une erreur de ma part, Votre Grâce. Et l’information faisait uniquementmentiond’uneéventuelletentatived’assassinat.
—Pourquoiaurait-ilgardéçapourlui?demandaleprinceconsortavecuncalmeétrange.LetondesavoixmitLynchàcran.Iltrahissaitlesplusdangereusesdispositionsduprince.Barronshésita.—Iln’afaitaucunsecretdesonavisconcernantletraitéetlesScandinaves.Etsivousconsidérez
bienlespersonnesquisetrouvaientleplusprèsdelabombe–leConseil,vous-mêmeetlareine–ilyavaitunefortechancepourqu’ilsoitl’hommelepluspuissantdel’Empireàsurvivre.
Unmomentdeflottement.Lesyeuxduprinceconsortsemirentàbriller.—JevaisveilleràdétruirelaMaisondeLannister.—UntelactedéséquilibreraitleConseil,protestaBarrons.Leprinceconsortl’ignoraetbalayalapièced’unregarddur.—Quiétaitlafille?Cellequiadonnél’alerte?Jeveuxlaretrouver…— C’est ma pupille, répondit promptement Barrons. Mlle Lena Todd. Elle crée des jouets
mécaniquesetdesbijoux,etellelesvendàunhorlogerdeClerkenwell.Elles’estrenducomptequel’automateavaitététrafiquéetaaussitôtdonnél’alerte.
LejeunemaîtregardaensuitelesilenceetLynchl’imita,maisilnemanquapasdepercevoirlessous-entendus qui flottaient dans la pièce. Barrons protégeait quelqu’un. Il semblait s’agir de sapupille,maisLynchétaitparfaitementconscientqu’attirerl’attentionsurl’évidencepermettaitsouventdeladétournerdelavérité.
Unboutdetissuattirasonregard.Noirettachédesang,ilétaitprisdanslecloudurembourraged’unfauteuil.
—Vous,fitleprinceconsortenpointantsondoigtsurBarrons,jevouschargededécouvrirquiaassassinélamoitiédemacour.Etdequellemanièreilsontréussiàs’introduireaucœurdelatour.Etvous…
Lynchseredressa.—Retrouvezleshumanistes.(Leprincetournalestalonsetsedirigeaverslaporte.)Rapportez-
moileurtête.Quandlesportesclaquèrentderrièreleprinceetseshommes,Barronspoussaunprofondsoupir.—Bon,dit-il,ças’estbienpassé,ilmesemble.Ilnes’estpastropinquiétédesavoirquiaabattu
Colchester.Lynch s’agenouilla et effleura le bout de tissu. Le sangmacula ses doigts et une sensation de
chaleurtourbillonnaderrièresespaupières.—Ilsluiontsûrementépargnécettepeine.Il lécha son doigt. Le goût explosa sur sa langue, l’extase d’une soif longtemps refoulée. Sa
bouches’asséchaetildutseforceràcalmerlesréactionsdesoncorps.D’aprèslefaibleparfumdutissu,ildéduisaitquecelui-ciavaitappartenuàunefemme.
—Qu’est-cequevousavezdécouvert?
Lynch frotta la traînée de sang entre ses doigts. L’odeur de résidus de poudre lui parvint auxnarines.
—Unmystère.(Ilrelevalesyeux.)Ilyavaitquatrepersonnesdanscettepièce.Colchester,deuxloups-garousetcelle-ci.Unehumaine.
—Oùestlemystère?—Celle-ci…celle-ciétaitl’humaniste,déclara-t-il.Cellequiatirélecoupdefeu.Etilavaitbienl’intentiondeluimettrelamaindessus.
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