Faculteit Letteren en Wijsbegeerte
Academiejaar 2009-2010
L'expression du pronom sujet : entre diatopie et diachronie.
La situation dans les dialectes de la Suisse romande
et dans le Voyage de Saint Brandan
Masterproef ingediend tot het behalen van de graad van
Master in de Historische Taal- en letterkunde: Frans - Spaans
Céline Dubois Promotor : Dr. M. Van Acker
Co-promotor : Prof. Dr. Philippe Verelst
Leescommissaris : Prof. Dr. Marleen Van Peteghem
I
Avant-propos
Le travail que vous avez sous les mains, est le résultat d’un long parcours de recherche, de
lectures et de rédaction. La composition de ce mémoire a été un défi personnel afin de
maîtriser ces nouveaux champs de recherches que sont la diachronie et la diatopie. Avant
d’entamer ce travail, je voudrais remercier quelques personnes qui m’ont aidée tout au long de
ce parcours. Tout d’abord, je tiens à remercier le Dr. Marieke Van Acker, mon promoteur qui
a toujours été prête à m’aider. C’est grâce à ses bons conseils et son enthousiasme que j’ai pu
élaborer ce travail. Je voudrais également remercier deux autres professeurs de mon
université, à savoir le Prof. Dr. Rika Van Deyck, qui était la première à m’encourager à me
lancer dans ce sujet de recherche, et le Prof. Dr. Philippe Verelst, qui m’a transmis par ses
cours son amour pour l’ancien français.
Ensuite, je tiens à remercier tous ceux qui étaient autour de moi tout au long de ce travail :
mes amis, ma famille et mes parents. Sans l’aide et le soutien de toutes ces personnes, il aurait
été difficile d’écrire ce mémoire, voir impossible. C’est grâce à elles que je peux remettre ce
travail de fin d’études avec fierté.
II
Table des matières
Avant-propos ………………………………………………………………... I
Table des matières ………………………………………………………….. II
1. Présentation du sujet de recherche ………………………………………… 1
2. Encadrement théorique …………………………………………………….. 4
2.1.Contexte scientifique ……………………………………………………... 4
2.1.1. L’émergence de l’approche interdisciplinaire ……………………. 4
2.1.2. La fluctuation langagière …………………………………………. 6
2.1.3. Intérêt de l’approche interdisciplinaire …………………………… 8
2.1.4. La notion de latin vulgaire ………………………………………... 10
2.1.5. La valorisation du système linguistique ………………………….. 11
2.1.6. La notion de diasystème et théorie de la continuité ………………. 12
2.2.Le pronom personnel sujet …………………………………………………. 13
2.3.Méthodologie ………………………………………………………………. 17
2.3.1. Les données en diachronie …………………………………………. 17
a) Présentation du corpus
b) Manière de procéder
2.3.2. Les données en diatopie …………………………………………… 19
a) Présentation du corpus
b) Manière de procéder
2.3.3. Questions à poser ………………………………………………….. 21
2.4.Conclusion intermédiaire ………………………………………………….. 22
3. L’expression du pronom sujet en ancien français ………………………… 23
3.1.Introduction ………………………………………………………………. 23
3.2.Observations théoriques ………………………………………………….. 24
3.2.1. La quantification interne et externe ………………………………. 24
3.2.2. Le changement de l’accent ……………………………………….. 25
III
3.3.Analyse des grammaires ………………………………………………….. 27
3.3.1. Choix des grammaires ……………………………………………. 27
3.3.2. Informations recueillies …………………………………………… 28
a) Pronoms déictiques et anaphoriques
b) Formes morphologiques
c) Les conditions d’expression et de non expression
d) Le phénomène de l’enclise
3.3.3. Grille d’interprétation …………………………………………….. 34
3.4.Analyse du corpus ………………………………………………………… 35
3.4.1. Difficulté des sources …………………………………………….. 35
3.4.2. Statistiques ………………………………………………………... 37
a) Cas d’expression
b) Cas de non expression
3.4.3. Les pronoms déictiques …………………………………………… 39
a) 1e personne singulier – je
b) 1e personne pluriel – nous
c) 2e personne singulier – tu
d) 2e personne pluriel – vous
3.4.4. Les pronoms anaphoriques ……………………………………….. 49
a) 3e personne singulier masculin – il
b) 3e personne pluriel masculin – ils
c) 3e personne singulier féminin – elle
d) 3e personne pluriel féminin – elles
3.4.5. Pronom en développement : on …………………………………... 59
3.5.Conclusion intermédiaire ………………………………………………… 60
4. L’expression du pronom sujet en francoprovençal ……………………….. 62
4.1.Observations théoriques ………………………………………………….. 62
4.1.1. Caractéristiques du francoprovençal ……………………………… 62
4.1.2. Caractéristiques du pronom sujet en francoprovençal ……………. 63
4.2.Analyse du corpus ………………………………………………………… 64
4.2.1. Différences frappantes selon les localités ………………………… 64
4.2.2. Les formes morphologiques ……………………………………… 65
4.2.3. Les conditions d’expression et de non expression ……………….. 66
a) 3e personne singulier masculin – il
b) 3e personne pluriel masculin – ils
c) 3e personne singulier féminin – elle
d) 3e personne pluriel féminin – elles
4.3.Conclusion intermédiaire ………………………………………………… 69
IV
5. Comparaison des deux corpus ……………………………………………… 71
5.1.Introduction ………………………………………………………………. 71
5.2.Convergences et divergences entre les corpus …………………………… 71
a) En général
b) La variation morphologique
c) Les conditions d’expression et de non expression
d) Les différences entre les personnes grammaticales
e) L’influence de la position du pronom dans la phrase sur son expression
5.3.Conclusion intermédiaire ………………………………………………… 76
6. Conclusion générale ………………………………………………………… 78
Bibliographie ………………………………………………………………… 82
1
1. Présentation du sujet de recherche
Depuis longtemps, les linguistes se sont intéressés à l’évolution des langues, à leur histoire, et
aux facteurs responsables de leurs mutations. Les nombreux livres et articles publiés sur ce
sujet sont la preuve concrète de l'intérêt incessant pour cette évolution. Pourtant, ces
nombreuses études n'ont pas permis de trouver des réponses à toutes les questions. Marieke
Van Acker formule cette opposition parfois frustrante entre intérêt incessant d’une part, et un
grand nombre de défis à confronter d’autre part1 : « Que d’études n’a-t-on pas déjà publiées
au sujet de la transition latin-langues romanes ? Et pourtant, ce domaine de recherche n’arrête
pas de soulever des questions, de provoquer des dissensions et surtout d’aviver la curiosité
afin de comprendre comment un système linguistique a pu en supplanter un autre ».
Plus récemment2, les linguistes ont commencé à s’intéresser à un autre champ de recherche
linguistique, à savoir la dialectologie. Cette discipline recouvre l’étude de la variation
géographique ou diatopique d’une langue. Vu que la grande majorité des dialectes se situent
en dehors des variantes standardisées, longtemps privilégiées par la linguistique, ces parlers
ont pendant une longue période été négligés par les linguistes. Les dialectes ne méritaient –
selon beaucoup de chercheurs – simplement pas les mêmes recherches linguistiques que
l’évolution diachronique. Aujourd’hui, nous savons que la réalité langagière est différente.
Les dialectes forment des systèmes linguistiques à valeur pleine, avec des divergences
considérables dans les différents champs linguistiques. De plus, « […] il n’y a pas d’histoire
de la langue sans une dialectologie et surtout sans une géographie linguistique complète et
bien établie »3.
Ces deux champs de recherche que sont la diachronie et la diatopie, connaissent encore
aujourd’hui un grand nombre de questions qui restent sans réponse. Certaines évolutions sont
tellement particulières que les linguistes n’arrivent pas à les expliquer complètement. De
possibles réponses peuvent être fournies par une démarche assez récente, à savoir
l’interdisciplinarité. Une telle approche interdisciplinaire, soutenue par entre autre Michel
1 Van Acker, Marieke, « Le fonctionnement de la communication verticale à l’époque mérovingienne », 2005, p.
343. 2 L’intérêt pour la discipline de la dialectologie n’est pas tellement récent, mais il est plus récent que celui pour
l’origine et l’évolution de la langue (cf. la diachronie). 3 Meillet, Antoine, Bull. de la Soc. Ling. de Paris, t. XXX, 1929, p. 200, cité dans : Pop, Sever, La dialectologie
– aperçu historique et méthodes d’enquêtes linguistiques, 1950, p. IX.
2
Banniard, permet d’interpréter les données sous un nouveau point de vue. En projetant des
connaissances d’un champ de recherche sur l’autre, l’interdisciplinarité est capable de clarifier
les problématiques respectives. L’approche interdisciplinaire est donc apte à enrichir les
recherches en diachronie et en diatopie, comme l’indique également Marieke Van Acker4 :
« L’interdisciplinarité, on le sait, est un bienfait pour les sciences auxquelles elle apporte une
plus-value indéniable : elle permet de se construire une image plus complète et plus nuancée.
Elle se destine surtout à éviter les œillères de traditions bien établies et à apprendre à poser les
bonnes questions ».
Pour ce travail, nous nous sommes intéressée à un élément linguistique spécifique, à savoir
l’expression du pronom personnel sujet en ancien français d’une part, et en francoprovençal
d’autre part. Afin de pouvoir illustrer le fonctionnement et les conditions d’expression du
pronom sujet, nous avons travaillé avec deux corpus qui représentent des microsystèmes, tant
de l’ancien français que du francoprovençal. Nonobstant, cet exposé ne peut pas prétendre de
pouvoir clarifier tous les problèmes liés à l’évolution langagière du pronom personnel sujet5.
L’objectif de ce travail est plutôt d’essayer de voir si les situations observées dans ces deux
corpus parallèles peuvent s'éclairer mutuellement par des logiques similaires. De cette
manière, nous voulons contribuer, modestement, à établir des rapports analogiques entre ces
différents microsystèmes langagiers.
En premier lieu, nous présentons notre sujet dans un cadre théorique, qui permet de justifier
les choix que nous avons faits tout au long de ce travail, et qui permet également de situer
notre sujet dans un ensemble plus général. Cet encadrement théorique est le point de départ de
l’analyse de nos deux corpus, dans lesquels nous examinons le fonctionnement du pronom
personnel sujet. Nous avons travaillé sur un corpus comprenant un texte en ancien français du
XIIe siècle (Le Voyage de Saint Brendan), et un ensemble de phrases issues d’une banque de
données des patois francoprovençaux du Valais central.
Établir un lien entre les deux matières que nous allons traiter, relève certainement du défi. Vu
qu’il s’agit d’une approche originale et peu pratiquée, surtout en application pratique, nous
4 Van Acker, Marieke, UT QUIQUE RUSTICI ET INLITTERATI HEC AUDIERINT INTELLEGANT.
Hagiographie et communication verticale au temps des Mérovingiens (VIIe-VIII
e siècles), 2007, p. 9.
5 Prétendre de pouvoir atteindre un tel objectif, à savoir l’explication complète de l’évolution du pronom
personnel sujet, est selon nous un point de vue non scientifique. Nous devons tenir compte des limites de notre
travail, et être réaliste quand nous en indiquons les objectifs.
3
devons faire très attention à notre manière de procéder. Le but principal de ce travail est de
trouver des convergences et des divergences entre les différents microsystèmes présents dans
nos corpus, qui sont tous les deux des systèmes vacillants vu l’absence d’une standardisation.
Notre travail cherche à comparer deux sous-systèmes linguistiques, dans l’espoir de
découvrir, éventuellement, des logiques communes sous-jacentes en ce qui concerne le
fonctionnement du pronom personnel sujet. Car, finalement, nous ne pouvons pas oublier que
« c’est souvent la confrontation et la comparaison qui nous amènent à jeter de nouvelles
lumières sur des réalités qu’on croit connaître »6.
6 Van Acker, Marieke, « Introduction », (introduction au livre Latin écrit - roman oral ? : de la dichotomisation
à la continuité, 2008), p. 5.
4
2. Encadrement théorique
2.1.Contexte scientifique
2.1.1. L’émergence de l'approche interdisciplinaire
Dans un article publié en 19807, Michel Banniard nous explique l’intérêt d’une nouvelle
approche interdisciplinaire, entre la diachronie d’une part, et la diatopie d’autre part. C’est le
début d’une nouvelle approche analytique pour l’évolution langagière. Banniard commence
par indiquer que la méthode d’analyse la plus utilisée était pendant longtemps une analyse
purement linguistique8. Cette approche, sans aucun doute capable d’enrichir les connaissances
de ce champ de recherche, connaît néanmoins le désavantage de différencier fortement
« selon les écoles, selon les points de vue, selon la personnalité même des chercheurs »9. De
plus, l’approche purement linguistique ne permet pas de « reconstituer l’état réel de la langue
parlée par le peuple en un endroit et à une date donnés »10. Tenant compte de ces
considérations, Banniard propose une autre façon d’examiner l’évolution langagière. Il prend
la notion d’analogie comme concept de base, et soutient que « c’est à la dialectologie romane,
et plus particulièrement à la géographie linguistique, que nous demanderons des références
analogiques »11.
Banniard souligne les ressemblances entre l’analyse diachronique d’une part, et l’analyse
synchronique et sociologique d’autre part. Les acquis de celles-ci peuvent aider à résoudre les
problèmes que nous rencontrons lors de l’analyse diachronique. Banniard illustre ce point de
vue à l’aide d’un exemple concret, à savoir les frontières linguistiques. Les recherches en
géographie linguistique ont démontré clairement qu’il n’existe pas de frontière linguistique
pure entre différents dialectes12. Il y a toujours des bandes de transition interférentielles où les
caractéristiques des deux zones frontalières se chevauchent. L’existence de ces zones
s’explique tout simplement par la nécessité de communication13. Ces zones frontières
conduisent « à supposer la possibilité d’existence de zones de transition assez étroites d’un
7 Banniard, Michel, « Géographie linguistique et linguistique diachronique : essai d’analyse analogique en occitano-
roman et en latin tardif », 1980. 8 Banniard, Michel, « Géographie linguistique et linguistique diachronique », p. 9.
9 Banniard, Michel, Op. Cit., p. 9.
10 Ibid., p. 10.
11 Ibid., p. 10.
12 Ibid., p. 12.
13 Ibid., p. 17.
5
état de langue à l’autre en diachronie »14. Le lien entre diatopie et diachronie devient plus clair
de cette manière.
L’auteur conclut, par analogie, que la situation en diachronie entre certaines phases d’une
langue a dû être similaire : il n’y a pas eu « de seuil brusque entre le latin vulgaire tardif et le
parler protoroman »15. L’évolution d’une phase langagière vers une autre, a toujours eu besoin
d’une certaine période pour s’effectuer. La vitesse de cette évolution dépend, exactement
comme dans les bandes interférentielles des dialectes, de la nécessité d’intercompréhension
entre les locuteurs. Banniard résume ainsi ces affirmations pour l’évolution diachronique de la
langue16 :
[…] on peut considérer sans grand risque d’erreur que, dans le cas d’une période restreinte qui nous
mène du latin vulgaire tardif au roman archaïque (soit trois ou quatre siècles au plus), on est en présence
d’un ensemble diachronique qui offre analogiquement la même résistance au classement et à l’analyse
que l’ensemble synchronique précédemment considéré.
Et plus loin17 :
[…] même si nous acceptons l’idée que la langue parlée populaire a tendu à se réorganiser le plus
rapidement possible en système linguistique neuf, elle n’a pu accepter ce changement qu’avec une
vitesse qui fût directement limitée par les besoins de l’intercompréhension entre locuteurs d’un âge
différent. […] Cette règle dirimante oblige à supposer que la mutation linguistique s’est étendue sur
quelques décennies, de manière à exclure toute perturbation excessive de la communication.
Dans son article, Banniard insiste également sur l’élaboration de typologies contrastives afin
de pouvoir analyser correctement le passage du latin mérovingien au français prélittéraire18.
Selon lui, il ne faut pas uniquement énumérer les divergences entre les deux stades langagiers,
mais également les hiérarchiser selon leur importance dans l’évolution. L’approche
interdisciplinaire peut aussi être utile dans cette matière : les acquis de la géographie
linguistique peuvent faciliter la compréhension de l’évolution langagière. L’intention de
Banniard est la suivante19 :
La géographie linguistique devrait servir de guide et de garantie. […] c’est donc en utilisant des
instruments et des méthodes d’analyse semblables à ceux forgés en un siècle par la géographie
linguistique, et proches de ceux en cours d’élaboration par la linguistique contrastive, que l’on pourra
peut-être définir une frontière chronologique décisive dans l’évolution du latin au roman.
14
Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière en diachronie longue à la lumière des enquêtes
dialectologiques contemporaines », 2002, p. 8. 15
Banniard, Michel, « Géographie linguistique et linguistique diachronique », p. 12. 16
Banniard, Michel, Op. Cit., p. 13. 17
Ibid., p. 17. 18
Ibid., p. 12. 19
Ibid., p. 15.
6
Dans un autre chapitre de son article (cf. chapitre IV), Banniard traite de la perception du
changement linguistique. L’auteur insiste sur le fait que les locuteurs sont la plupart du temps
inconscients du changement linguistique dans lequel ils se retrouvent. Tout comme pour les
frontières linguistiques et les typologies contrastives, la théorie de la perception du
changement linguistique peut être clarifiée à l’aide de la géographie linguistique. Lors des
enquêtes en dialectologie, les chercheurs ont observé que de nombreux locuteurs prononcent
les mots d’une façon différente (comparé à quelques décennies avant), sans se rendre compte
de la différence en prononciation. Un tel changement inconscient a également dû se produire
lors de l’évolution langagière du latin parlé tardif vers l’ancien français. Banniard a donc
prouvé, une fois de plus, que la géographie linguistique peut aider, « toujours par analogie, à
comprendre la réalité vivante dans laquelle s’établissait la communication verticale au VIIe
siècle en Gaule »20.
2.1.2. La fluctuation langagière
Après avoir présenté les informations principales de l’article de Banniard de 1980, nous
voulons faire la même chose pour un de ses articles écrit en 2002, intitulé « Sur la notion de
fluctuation langagière en diachronie longue (IIIe-VIII
e s.) à la lumière des enquêtes
dialectologiques contemporaines »21, qui est en quelque sorte une mise à jour de la thématique
traitée en 1980. Cet article recouvre entièrement le cadre scientifique dans lequel notre travail
se trouve22.
Cette notion de fluctuation langagière est intéressante : vu qu’une langue vivante est parlée
par de nombreux locuteurs, elle est en permanente évolution, c’est un système linguistique en
vacillation. L’objectif de l’article de Banniard est le suivant23 :
Cette modélisation, implicite ou explicite, qui informe la manière traditionnelle de décrire en France
l’évolution du latin vers le français sera ici interrogée en prenant pour centre d’intérêt la notion de
fluctuation langagière telle qu’elle émerge des enquêtes dialectologiques contemporaines. Il me paraît
en effet que toutes les cartes (cf. des atlas linguistiques) établies […] invitent à modifier sensiblement la
chronologie proposée, et par voie de conséquence les modélisations qui les sous-tendent.
20
Banniard, Michel, « Géographie linguistique et linguistique diachronique », p. 23. 21
Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière en diachronie longue ». 22
Nos propres objectifs sont plus modestes : tenant compte de ce cadre scientifique et des apports et acquis
généraux de l’approche interdisciplinaire, nous considérons notre travail comme une modeste contribution à ce
champ de recherche. Notre travail consiste à rapprocher deux microsystèmes qui représentent des
caractéristiques similaires aux diasystèmes de l’ancien français et du francoprovençal. Ce travail est donc avant
tout documentaire, et ne peux pas prétendre d’être exhaustivement explicatif. 23
Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière en diachronie longue », pp. 1-2.
7
L’auteur affirme que les modélisations de la linguistique « classique » ont beaucoup apporté
à la problématique de la variation langagière en diachronie longue, mais que ces
modélisations sont pas tout à fait capables de montrer la totalité des variations dans les
systèmes des différents stades de l’évolution langagière. Les apports de la recherche en
dialectologie par contre, sont selon Banniard bien capables de présenter l’évolution dans tous
ses aspects24.
La fluctuation langagière que nous observons dans les dialectes d’aujourd’hui, a dû être
pareille en latin. Les informations que nous apportent les atlas linguistiques montrent fort bien
cette corrélation ; elles « permettent d’entrer en contact direct avec le déploiement d’une
parole dialectale comme l’a été le latin »25. De plus, si l’accès direct à la parole est par
définition impossible pour l’ancien français26, il est par contre bien possible pour les dialectes
modernes. Banniard insiste également sur la corrélation entre les zones frontalières
transitionnelles des dialectes d’une part, et les périodes de transition de l’évolution langagière
d’autre part : « cette zone frontière (cf. celle des dialectes) représente un processus de
cristallisation finale (en accélération exponentielle) de tendances évolutives inscrites depuis
longtemps dans l’histoire de la latinophonie »27.
Autre point en commun entre la diatopie et la diachronie : les problèmes posés par
l’intercompréhension entre des aires dialectales différentes28. Les obstacles que rencontrent
deux locuteurs de dialectes différents, doivent être semblables à ceux rencontrés lors de la
période de transition entre latin et langues romanes. Évidemment, ces raisonnements par
analogie ne sont pas des « solutions magiques » – ils ont également leurs limites29 et doivent
être estimés à leur juste valeur.
En guise de conclusion de ces deux articles, il faut que nous mentionnions encore l’approche
méthodologique la plus proche de la façon de procéder de Banniard, à savoir la
sociolinguistique diachronique30. Cette nouvelle voie d’approche, construite à partir de la
sociolinguistique synchronique, « a conduit un certain nombre de chercheurs européens à
modifier assez nettement la chronologie reçue communément, surtout chez les romanistes, du
24
Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière », pp. 1-2. 25
Banniard, Michel, Op. Cit., p. 2. 26
Banniard, Michel, « La variation en diachronie longue (3e-11
e siècle) entre sociolinguistique et formalisme »,
2005, p. 27. 27
Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière », p. 8. 28
Banniard, Michel, Op. Cit., p. 11. 29
Ibid., p. 11. 30
Ibid., p. 2.
8
passage du latin aux langues romanes »31. Michel Banniard en décrit les caractéristiques de la
façon suivante32 :
[…] elle (cf. la sociolinguistique diachronique) s’est efforcée d’historiciser la transformation du latin en
roman, c'est-à-dire d’établir une chronologie à la fois plus solide, plus fine et plus lisible de ce processus
langagier. Elle s’appuie sur la dialectologie et sur la sociolinguistique synchronique pour établir des
corrélations entre les variations de la parole et les modifications de la conscience langagières in situ.
Elle a dégagé progressivement une méthode d’enquête diachronique en se fondant essentiellement sur le
critère de la communication, tant horizontale que verticale.
Les méthodes de la sociolinguistique diachronique font appel aux procédures de l’histoire
culturelle, de l’histoire religieuse et de l’histoire littéraire, mais également aux acquis de la
dialectologie, de la dialectologie sociale et de l’ethnographie33. La variabilité continue du
langage, la fluctuation langagière, la conscience linguistique et l’action créatrice de la
communauté des locuteurs sont des paramètres dont nous devons tenir compte dans notre
travail34.
2.1.3. Intérêt de l’approche interdisciplinaire
L’intérêt de cette approche interdisciplinaire que nous venons d’introduire, consiste dans le
fait qu’elle est capable de fournir des outils qui nous permettent de mieux comprendre
l’évolution langagière. Les informations obtenues grâce à l’interdisciplinarité nous aident à
mieux modéliser le changement de la langue dans la continuité, notion vitale pour une bonne
compréhension de l’évolution langagière. Cette évolution, qui a longtemps pâti d’une
approche plutôt rigide et dichotomisante, devient plus logique grâce à l’apport de
l’interdisciplinarité. La rigidité de l’évolution est remplacée par un système avec de nombreux
(micro)systèmes intermédiaires entre "le latin" et "les langues romanes". Bref, cette approche
donne des instruments pour aborder des textes anciens comme des entités vivantes, des
supports d'une communication. Grâce aux apports mutuels entre diachronie et diatopie, nous
pouvons faire des rétroprojections, tout en restant consciente du fait qu'il ne s'agit que
d'hypothèses.
31
Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière », p. 2. 32
Banniard, Michel, « La variation en diachronie longue (3e-11
e siècle) entre sociolinguistique et formalisme »,
p. 27. 33
Banniard, Michel, « Géographie linguistique et linguistique diachronique », p. 32. 34
Van Acker, Marieke, « Le fonctionnement de la communication verticale à l’époque mérovingienne », p. 344.
9
Grâce à l’approche interdisciplinaire, l’image que nous nous faisons d’une langue est devenue
plus réaliste. Nous avons longtemps associé l’image d’une langue avec un système structuré,
selon les conceptions théoriques de Ferdinand de Saussure. Actuellement, nous savons qu’une
langue est en fait plutôt un diasystème, notion sur laquelle nous insisterons plus loin (cf.
infra), avec de nombreux sous-systèmes. L’approche interdisciplinaire nous a également
fourni des informations à propos des fluctuations langagières, et à propos de l’extrême
variabilité de la langue35 :
Ce concept (cf. le diasystème) […] a permis de créer une typologie synchronique qui concilie la
variation endémique des parlers naturels et la structuration sur des aires vastes des langues qui sont
construites d’eux. Appliqué au domaine latin, ce modèle permet de construire une représentation de la
latinophonie qui s’équilibre entre une uniformité impossible et une dispersion destructurante : fluctuer
n’est pas mourir, pas plus pour le latin parlé que pour les dialectes romans.
Jószef Herman nous renseigne également à propos de cette variabilité de la langue36 :
La langue, en effet, est non seulement nécessairement systématique mais elle est aussi, inévitablement,
en changement perpétuel : elle doit constamment s’adapter aux besoins de la société qui l’emploie, elle
doit suivre – en premier lieu sur le plan fonctionnel – l’enrichissement et les modifications des
expériences collectives de la société, elle est sans cesse soumise à des influences modificatrices d’ordre
externe.
Selon Edgar Radtke, la linguistique diachronique « naît pour expliquer le fait universel que
chaque langue historique change dans le temps »37. Il appert que le changement des langues
est une notion à ne pas négliger. Un autre auteur qui a dédié un article à cette notion de
variation est Peter Wunderli38, qui insiste sur l’importance que nous devons accorder à
l’hétérogénéité des données.
Revenons à l’intérêt de l’approche interdisciplinaire. Après ces explications théoriques, nous
pouvons nous poser la question en quelle mesure les dialectes peuvent aider dans la recherche
diachronique. Prenons les données des corpus et des atlas linguistiques comme exemple.
Depuis longtemps, des travaux à propos de la datation de phénomènes linguistiques en ancien
et moyen français ont été écrits sans véritable base théorique. Quelques linguistes se
prétendent capables d’attacher une date assez précise à un changement phonétique par
exemple. Pourtant, « tant l’expérience sur le terrain que la lecture des cartes montrent qu’à
l’intérieur d’un même dialecte, clairement caractérisé, les prononciations fluctuent de manière
35
Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière», p. 6. 36
Herman, Jószef, Du latin aux langues romanes – études de linguistique historique, 1990, p. 342. 37
Radtke, Edgar, « Les problèmes liés à la pragmalinguistique historique du français », 2004, p. 131. 38
Wunderli, Peter, « Les implications stylistiques des modèles de la linguistique variationnelle », 2005.
10
parfois importante »39. Une telle fluctuation a certainement existé en ancien ou en moyen
français, et de cette manière il nous semble inutile de vouloir coller une date précise sur un
changement phonétique. Vu que la reconstruction d’un phénomène linguistique à un moment
et lieu précis est presque impossible, « on éviterait d’attribuer à un point et à un instant précis
une étape déterminée d’une évolution. »40. Une datation absolue d’un phénomène linguistique,
tant en diachronie qu’en diatopie, n’est guère faisable, vu l’obstacle de la distance temporelle
qui restera toujours présente.
Une autre manière d’expliquer l’utilité de cette approche interdisciplinaire, est de représenter
l’évolution diachronique du latin au français comme des étapes de dialectes. Michel Banniard
l’explique de la manière suivante41 :
[…] ce serait une erreur de considérer que le passage d’une langue à l’autre s’est accompli comme un
tremblement de terre. Cette zone frontière représente un processus de cristallisation finale (en
accélération exponentielle) de tendances évolutives inscrites depuis longtemps dans l’histoire de la
latinophonie. A son tour, ce temps antérieur peut être historicisé en étapes qui sont autant de dialectes
diachroniques.
Selon Banniard, « l’histoire du latin, langue vivante », et donc l’histoire des langues romanes
émergées du latin, « a tout à gagner à être lue comme une vaste histoire de dialectologie
diachronique »42. Grâce aux apports et acquis généraux de l’approche interdisciplinaire et de
la notion de diasystème, les linguistes ont pu mettre la dichotomie classique entre « latin
classique » et « latin vulgaire » de côté, pour aboutir à des définitions de notions plus
réalistes.
2.1.4. La notion de latin vulgaire
Dans maints traités à propos de l’évolution langagière, nous rencontrons encore le concept de
« latin vulgaire », notion très controversée qui demande quelques explications
supplémentaires. Le latin vulgaire serait la variante « basse » du latin classique, parlé par les
couches illettrées de la population. Dès le siècle dernier, un certain nombre de linguistes ont
soutenu la thèse que les langues romanes sont uniquement issues du latin vulgaire. Pourtant,
cette thèse est difficile à défendre, vu qu’en premier lieu, il n’existe pas de définition
satisfaisante pour ce latin vulgaire. De plus, c’est une notion vague ; nous n’avons pas
39
Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière en diachronie longue », pp. 3-4. 40
Banniard, Michel, Op. Cit., p. 5. 41
Ibid., p. 8. 42
Ibid., p. 12.
11
d’attestations véritables de la langue parlée à cette époque. Il est vrai que les premières
évolutions langagières prennent lieu dans la langue parlée, mais nous ne pouvons pas
classifier toutes les évolutions linguistiques sous le terme général de « latin vulgaire ». Le
concept de « latin vulgaire », ensemble avec la notion de « protoroman », nous a permis de
mieux définir les bases scientifiques de l’évolution langagière. Toutefois, et nous citons
Marieke Van Acker43: « Ils (cf. les deux notions) sont […] inadéquats pour aborder le chapitre
de la transition puisqu’ils relèvent du désir de visualiser les racines du roman comme un
ensemble distinct à l’intérieur d’un autre ensemble ».
La dénomination « latin vulgaire » nous semble problématique : elle donne l’impression
d’être une espèce de langue à part des autres variations du latin, tandis qu’elle appartient
complètement à la langue latine en soi. Nous devons tenir compte du fait que le latin, comme
les autres langues, est une langue historique, de sorte qu’elle « est un ensemble complexe de
langues fonctionnelles historiquement reliées entre elles »44. La notion de « latin vulgaire »
dissimule le fait que ce « type de latin » n’était qu’une variation parmi les autres. Banniard
nous apprend qu’une langue se compose de la totalité de ces variations45, et que nous ne
pouvons pas considérer ce « latin vulgaire » comme un système langagier à part. En
choisissant au contraire la notion de « latin parlé », cela nous permet de46 :
[…] considérer le latin comme un latin différencié non seulement diachroniquement, mais aussi du
point de vue diatopique, diastratique et diaphasique et de considérer, par conséquent, le ‘latin vulgaire’
non pas comme un ‘autre latin’, mais comme un registre d’un même latin qui présente toute la diversité
que l’on constate, de façon générale, dans les langues. Et ceci, bien entendu, pourvu qu’on ne fasse pas,
par rapport au ‘latin parlé’, les mêmes erreurs qu’on avait commises par rapport au ‘latin vulgaire’.
2.1.5. La valorisation du système linguistique
Une autre idée que nous voulons clarifier ici, vu son importance pour notre sujet, est la valeur
du système linguistique, tant celui de l’ancien français que celui des dialectes de la Suisse
romande. En analysant ces systèmes, qui sont vacillants à cause de l’absence d’une grammaire
fixe, nous pouvons être tentée de les considérer comme des systèmes de moindre valeur en
comparaison avec, par exemple, le système du français moderne. Pourtant, cette manière de
43
Van Acker, Marieke, Hagiographie et communication verticale au temps des Mérovingiens, p. 54. 44
Van Acker, Marieke, Op. Cit., p 55. 45
Banniard, Michel, « La variation en diachronie longue (3e-11
e siècle) entre sociolinguistique et formalisme »,
p. 27. & Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière », pp. 8-9 (note en bas de page). 46
Coseriu, Eugenio, « Le latin vulgaire des romanistes », 2005, pp. 19-20.
12
penser n’est pas du tout correcte. Il est vrai que certaines théories linguistiques et même
philosophiques partent de l’idée que toute évolution aboutira à un état meilleur que celui
d’avant, mais il n’en est rien pour l’évolution langagière latin-langues romanes. Michel
Banniard nous avertit contre cette mauvaise façon de penser : « Evoluer n’est pas simplifier.
La transformation d’une parole vive ne saurait être décrite comme une dégradation par
rapport à un modèle idéal »47. Ceci dit, il faut en conclure que nous devons nous méfier des
jugements de valeur en travaillant avec ces systèmes de langue.
2.1.6. La notion de diasystème et théorie de la continuité
Nous avons déjà mentionné la notion de diasystème, mais comment devons-nous l’entendre ?
Afin de faciliter la compréhension de cette notion, expliquons-la dans le cadre de l’évolution
langagière du latin aux langues romanes. Si nous comparons un texte latin avec sa traduction
française, nous constatons qu’il s’agit de deux langues complètement différentes. Et pourtant,
il y a toujours eu continuité. La conscience que la langue parlée n’était plus le latin, mais une
autre langue, est née progressivement auprès des locuteurs, et non pas d’un jour à l’autre : « la
disparition du latin et la naissance des langues romanes ne se succèdent pas dans le temps de
manière discontinue : le latin et le roman sont entrelacés l’un à l’autre le long de l’axe
temporel »48. La théorie linguistique apte à décrire l’évolution langagière doit absolument être
une théorie de la continuité et non pas une théorie de la rupture. Cette notion de continuité,
une approche neuve qui est en opposition aux approches traditionnelles, occupera une place
primordiale dans notre travail.
Mais retournons d’abord à ces « étapes transitionnelles plus ou moins stables »49 que sont les
diasystèmes. Un point sur lequel les linguistes ont énormément discuté, c’est le facteur
diastratique du latin, à savoir la dichotomie entre le latin des lettrés et des illettrés et par
conséquent également la différence entre le latin classique (également appelé high level ou
langue savante) et le latin vulgaire (ou low level, langue populaire, cf. Banniard50). Ces
notions sont capables de mieux structurer la matière, mais nous devons nous méfier de
classifications trop simplifiées, trop rectilignes. Michel Banniard le mentionne aussi : « […] la
47
Banniard, Michel, « La variation en diachronie longue (3e-11
e siècle) entre sociolinguistique et formalisme »,
p. 29. 48
Banniard, Michel, Du latin aux langues romanes, 1997, p. 17. 49
Van Acker, Marieke, « Le fonctionnement de la communication verticale à l’époque mérovingienne », p. 344. 50
Banniard, Michel, Du latin aux langues romanes, p. 19.
13
linguistique s’était enferrée en traçant des frontières au couteau entre le « latin vulgaire » et le
« latin », puis entre l’époque latine et l’époque romane, et en clivant dès que possible la
culture cléricale et la culture folklorique »51.
La conception que le latin classique et le latin vulgaire étaient deux langues tout à fait à part a
été longtemps maintenue, mais elle est de plus en plus contestée. Voici qu’entre dans notre
exposé la notion de diasystème. Les linguistes contemporains préfèrent parler d’un
diasystème, où les différentes variétés de la langue vivent l’une à côté de l’autre en
s’influençant mutuellement. Le concept de diasystème a été très utile pour la linguistique, vu
que le diasystème « a permis de créer une typologie synchronique qui concilie la variation
endémique des parlers naturels et la structuration sur des aires vastes des langues qui sont
construites d’eux »52. La notion est importante dans la théorie de l’évolution langagière, vu
qu’elle change la conception de base de l’émergence des langues. Dans un de ses articles,
Michel Banniard donne une autre définition semblable pour cette notion53 :
Ce terme (cf. le diasystème), relativement neuf dans l’histoire de la linguistique sert à désigner un
ensemble dialectal (géographique, mais aussi social) qui présente à la fois une armature stable commune
et des variables diverses qui demeurent subordonnées à la structure d’ensemble, autrement dit qui ne la
déboîtent pas. Ce diasystème varie dans l’espace dialectal ; il peut osciller selon les milieux sociaux et
les niveaux culturels ; enfin, il est modulé en fonction des contextes énonciatifs.
« Qui ne la déboîtent pas » : ce sont des systèmes linguistiques qui proviennent de la même
langue, qui fonctionnent l’un à côté de l’autre sans empêcher leur fonctionnement mutuel. Vu
l’insistance que nous avons faite sur les concepts de la variabilité et de la continuité, la notion
de diasystème est la seule notion capable de servir comme base théorique de notre travail.
2.2.Le pronom personnel sujet
Tenant compte du cadre théorique que nous venons d’esquisser, nous avons choisi d’examiner
dans ce travail un élément spécifique de la linguistique d’une langue : le pronom personnel
sujet. Maints linguistes ont longtemps postulé « qu’une langue humaine normalement
constituée « doit » posséder des pronoms sujets, dans une structure profonde imaginaire »54,
affirmation qui provient de la théorie du « pro-drop ». Cette théorie, introduite par Chomsky
51
Banniard, Michel, « Sur la notion de fluctuation langagière », p. 11. 52
Banniard, Michel, Op. Cit.,p. 6. 53
Banniard Michel, Du latin aux langues romanes, p. 23. 54
Kristol, Andres, « Atlas linguistique audio-visuel du francoprovençal valaisan ALAVAL - La morphosyntaxe
du clitique sujet et le problème de la notion "pro-drop" », 2007, p. 4.
14
en 198155, est actuellement fort contestée vu qu’elle ne serait pas capable d’une analyse
précise et complète des faits réellement observables56. Kristol souligne le fait qu’une langue
qui n’exprime pas toujours son pronom personnel sujet, ne doit pour cela pas être considérée
comme une langue inférieure. L’unique preuve de cette affirmation peut être fournie, selon
nous, par une analyse minutieuse de la matière. C’est une des raisons principales qui justifient
le choix de notre thème.
De plus, le pronom personnel sujet est un trait syntaxique qui oppose le latin et le français en
ce qui concerne l’expression et la non expression. Van Acker nous explique : « l’expression
du pronom sujet n’est obligatoire ni en latin ni en ancien français, comme c’est encore le cas
aujourd’hui en italien ou en espagnol. Pourtant, le passage du latin à l’ancien français marque
un progrès dans son emploi, sans que celui-ci ne devienne toutefois obligatoire avant
longtemps »57. De plus, au départ de son emploi, le pronom personnel sujet était tonique et
autonome, afin de pouvoir indiquer la différence entre les personnes en cas d’ambigüité58. Au
fur et à mesure de l’évolution langagière, les désinences verbales s’amuïssaient, de sorte
qu’elles n’étaient plus capables d’indiquer la personne sujet. De cette manière, le pronom a
commencé à faire partie de la zone verbale, pour finir comme pronom atone fortement attaché
au verbe. Nous observons donc un « déplacement général des marques morphosyntaxiques de
la position de suffixe à celle de préfixe (les pré-positions remplacent de plus en plus les
désinences en un millénaire, IIIe-XIII
e siècle) »59. Pourtant, d’autres linguistes affirment que
nous ne pouvons pas utiliser l’amuïssement des désinences verbales comme seule explication
pour la tendance à exprimer le pronom personnel sujet. Jószef Herman, par exemple, nous
apporte une autre explication60 :
A plus forte raison serait-il exagéré d’attribuer l’extension de leur emploi à la décomposition des
désinences verbales – bien vivantes, à notre avis, au XIIe siècle. Le fait que la place normale du pronom
sujet paraît être en tête de proposition, le fait que son emploi ne semble pas être régi par un besoin de
clarté dans la distinction des personnes, le fait enfin qu’on le trouve qu’exceptionnellement précédé
d’un mot à accent propre – tout cela nous semble démontrer que la fonction primordiale du pronom
sujet consistait à « remplir » la première place de la proposition, à servir d’une sorte d’ « introducteur »
accentué à la proposition et à éloigner, par là même, le verbe de la première place.
55
Chomsky, Noam, Lectures on Government and Binding: The Pisa Lectures, 1993. 56
Kristol, Andres, « Atlas linguistique audio-visuel du francoprovençal valaisan ALAVAL - La morphosyntaxe
du clitique sujet et le problème de la notion "pro-drop" », p. 4. 57
Van Acker, Marieke, Hagiographie et communication verticale au temps des Mérovingiens, p. 104. 58
Franzén, Torsten, Étude sur la syntaxe des pronoms personnels sujets en ancien français, 1939. Cf. chapitre I
– L’accent et l’évolution phonétique des pronoms sujets en ancien français. 59
Banniard, Michel, Du latin aux langues romanes, p. 83. 60
Herman, Jószef, Du latin aux langues romanes – études de linguistique historique, pp. 253-254.
15
Le pronom personnel sujet était en effet un mot accentué mais également un mot incolore ou
neutre61, ce qui fait qu’il était le mot introducteur par excellence de la phrase.
Le système des pronoms personnels sujets est en vacillation permanente, il glisse de façon
presque imperceptible de la non expression en latin vers l’expression obligatoire en français
moderne. Cette évolution lente mais progressive est un bel exemple qui peut être intégré dans
la théorie des formes marquées / non marquées de Michel Banniard. Van Acker résume d’une
manière claire cette conception théorique de Banniard62 :
Dans un premier stade, la forme appartenant au système latin fonctionne seule. Arrive un moment où
peut apparaître dans les mêmes fonctions la forme « romane ». Au début, cette forme concurrente est
marquée (+) par rapport à la forme première non marquée (-) ; son emploi ne caractérise pas le langage
neutre mais se caractérise en général par une plus grande force expressive. Avec le temps cependant, les
deux formes concurrentes deviennent parfaitement équivalentes et constituent de pures variantes
langagières. Ce stade de polymorphisme généralisé, contraire aux lois d’économie de la langue, mènera
ensuite à une inversion du marquage suite à laquelle la valeur de la forme plus récente devient neutre.
Enfin, la forme initiale latine finit par s’évincer au profit de sa concurrente romane.
Le système du pronom personnel sujet en ancien français se trouve dans « ce stade de
polymorphisme généralisé », où le locuteur se voit assez libre de choisir entre l’utilisation ou
l’omission d’un pronom. Suite aux principes d’économie de la langue, le système langagier
éliminera une des deux options. De plus, et cela est important pour notre sujet, un système de
pronoms personnels qui est beaucoup plus complexe qu’en latin est mis au point en ancien
français. L’emploi du pronom sujet antéposé n’est pas encore obligatoire – cela prendra
encore plusieurs siècles – mais les raisons d’emploi sont déjà fort différentes qu’en latin
tardif. En moyen français, l’utilisation obligatoire du pronom sujet s’effectue, due à la
« neutralisation ou effacement phonétique de plusieurs désinences verbales qui distinguaient
les personnes »63. Une généralisation de l’emploi du pronom personnel sujet en est le résultat,
et il y aura une « cliticisation des pronoms sujets devenus désormais les seules marques de
personnes distinctes à l’oral »64. La différence principale dans ce système de pronoms
personnels est que l’ancien français développe tout un système pour la troisième personne (la
personne anaphorique) à partir du démonstratif latin ille. Le latin par contre ne connaissait pas
ces formes spécifiques pour la troisième personne. Autre point remarquable en ancien français
est l’utilisation d’un pronom sujet devant un impératif (p.ex. Vous soyez le très bien venu65).
61
Herman, Jószef, Du latin aux langues romanes – études de linguistique historique, p. 255. 62
Van Acker, Marieke, Hagiographie et communication verticale au temps des Mérovingiens, pp. 81-82. 63
Marchello-Nizia, Christiane et Picoche, Jacqueline, Histoire de la langue française, 1991, p. 226. 64
Marchello-Nizia, Christiane et Picoche, Jacqueline, Op. Cit., p. 226. 65
Ibid., p. 227.
16
Le pronom personnel sujet a donc connu une longue évolution avec beaucoup de
changements, pour aboutir actuellement à un emploi obligatoire en français moderne. Il n’en
va pas de même pour les patois de la Suisse romande. Le système du pronom personnel sujet
dans ces dialectes montre quelques caractéristiques semblables à celui en ancien français.
L’expression et la non expression dépendent du type d’énoncé, mais également du locuteur et
du point d’enquête. Vu l’absence de standardisation dans ces parlers, il n’y a pas de règles
grammaticales fixes. L’emploi d’un pronom personnel sujet n’est pas stable, comme Federica
Diémoz l’explique dans son article : « […] en ce qui concerne la syntaxe des pronoms
personnels sujets, ces derniers peuvent être obligatoires, facultatifs ou complètement absents
dans les parlers valaisans individuels »66 (cf. à ce sujet, voir également Kristol67). Plus loin,
nous pouvons lire68 :
Dans les parlers francoprovençaux valaisans, la morphosyntaxique de la troisième personne
grammaticale ne peut pas être catégorisée par une simple opposition binaire d’emploi ou de non-emploi
pronominal. Certains idiolectes emploient régulièrement le pronom sujet de la troisième personne,
d’autres le font de manière facultative, avec des taux qui varient beaucoup d’un parler à l’autre. Enfin,
dans certains parlers, on constate l’absence complète du pronom.
C’est exactement la ressemblance entre les deux systèmes linguistiques, tant en ancien
français qu’en francoprovençal qui rend l’étude du pronom personnel sujet intéressante. Nous
sommes d’avis que l’approche interdisciplinaire entre diachronie et diatopie peut mener à une
compréhension meilleure de chaque champ de recherche. Évidemment, notre travail ne peut
pas mener à une compréhension interdisciplinaire totale, nous voulons surtout illustrer et
documenter les convergences et les divergences entre deux microsystèmes représentatifs de
chaque discipline. Terminons cette partie à propos du pronom personnel sujet69 avec une
citation de Jules Jeanjaquet, qui explique dans son article les possibilités d’interférences entre
ces deux champs de recherche70 :
En dehors du traitement de l’A et des finales atones, l’évolution du franco-provençal concorde presque
entièrement avec celle du français à ses origines. […] Les patois valaisans sont, à certains égards, un
musée d’antiquités. Ils renferment des reliques vénérables et nous y voyons s’accomplir sous nos
yeux des transformations qui nous reportent à des centaines d’années en arrière dans l’histoire du
français.
66
Diémoz, Federica, « Le pronom personnel sujet de la 3e personne du singulier et le sujet neutre en
francoprovençal valaisan : étude morphosyntaxique », 2009, p. 1. 67
Kristol, Andres, « Atlas linguistique audio-visuel du francoprovençal valaisan ALAVAL - La morphosyntaxe
du clitique sujet et le problème de la notion "pro-drop" », p. 6. 68
Diémoz, Federica, « Le pronom personnel sujet de la 3e personne du singulier et le sujet neutre en
francoprovençal valaisan : étude morphosyntaxique », p. 11. 69
Nous insisterons encore sur les caractéristiques des pronoms personnels sujets dans les chapitres suivants, vu
leur grande importance pour notre sujet de recherche. 70
Jeanjaquet, Jules, « Les patois valaisans. Caractères généraux et particularités », 1931, pp. 27-28.
17
2.3.Méthodologie
2.3.1. Les données en diachronie
a) Présentation du corpus
Pour ce corpus, nous nous sommes basée sur « Le voyage de Saint Brendan », un texte en
dialecte anglo-normand datant du début du XIIe siècle. Nous savons très peu à propos de
l’auteur de ce texte – un certain Benedeit71 – mais cela n’ôte rien à la qualité littéraire de ce
texte. L’édition bilingue d’Ian Short et de Brian Merrilees72, publiée en 2006, a pu nous
fournir une bonne introduction et édition de ce texte. La traduction que nous avons consultée
est celle proposée par Philippe Verelst73, notre professeur de littérature en ancien français.
Nous savons que cette traduction-ci n’est pas tout à fait scientifique, mais nous avons deux
arguments qui justifient son choix. D’une part, cette traduction est plus littérale que celle de
Short et Merrilees, ce qui a facilité notre travail. D’autre part, vu que la traduction n’est
qu’une aide pour l’analyse du corpus et que nous ne travaillons pas vraiment sur traduction,
nous nous sommes prise la liberté d’utiliser la traduction de notre professeur.
Le texte de base, écrit en latin, remonte au moins au IXe siècle, et est connu sous le nom de
« Navigatio sancti Brendani abbatis »74. Grâce à cette première version en latin, l’histoire de
Brendan a pu voyager en Europe : nous trouvons des versions dans maintes langues
européennes. En grandes lignes, ce poème nous raconte « toute une longue série d’aventures
fabuleuses que vécurent pendant un voyage de sept ans un abbé irlandais, saint Brendan, et
son équipage de moines, partis de la côte ouest de l’Irlande à la recherche de la Terra
Repromissionis Sanctorum (Terre Promise des Saints) »75. Short et Merrilees définissent la
71
Short, Ian et Merrilees, Brian, Le Voyage de Saint Brendan, 2006:
« Le voyage de saint Brendan est l’œuvre d’un poète anglo-normand connu sous le nom de Benedeit,
c’est-à-dire Benoît, qui vivait en Angleterre au début du XIIe siècle et qui utilisait le dialecte français
établi dans ce pays à la suite de la victoire de Guillaume le Conquérant. Il est possible que Benedeit vînt
de la Normandie ou de l’ouest de la France, mais on n’arrivera sans doute jamais à identifier de façon
précise le lieu d’origine de ce poète remarquable » (p. 17). 72
Short, Ian et Merrilees, Brian, Op. Cit. 73
Verelst, Philippe, « Le voyage de Saint Brendan », traduction faite pour le cours « Oudfranse taal- en
letterkunde 12e-13
e eeuw », donné à l’Université de Gand, lors du premier semestre de l’année académique
2009-2010. 74
Short, Ian et Merrilees, Brian, Le Voyage de Saint Brendan, p. 9. 75
Ibid., p. 9.
18
structure du livre ainsi: « la structure adoptée est celle de l’immram où, à l’instar de l’odyssée,
le voyage sert de cadre pour une série d’aventures fantastiques »76.
La version française, écrite en dialecte anglo-normand, est probablement la mieux réussie de
toutes les adaptations77 : « le lexique de Benedeit est riche et innovateur, et le statut clérical du
poète y trouve son reflet. Les octosyllabes de notre poème sont les premiers en date de la
littérature française, et ne diffèrent guère de ceux qui allaient devenir, dans la deuxième
moitié du XIIe
siècle, le véhicule préféré des romans et des récits en langue vulgaire »78. Le
poème en ancien français contient 1834 vers, dont nous avons examiné en détail un peu plus
que deux tiers (c.-à-d. 1248 vers) dans notre propre corpus. La quantité des données est
importante, comme l’indique Claire Blanche Benveniste dans un de ses articles79, et nous
sommes d'avis que la représentativité du corpus est assurée par ces deux tiers. En ce qui
concerne les différences entre le français standard et le dialecte anglo-normand, Torsten
Franzén nous apprend dans son livre qu’elles sont négligeables : « Le français continental ne
se distinguait pas de l’anglo-normand en ce qui concerne l’emploi des pronoms sujets. Si, au
XIIe siècle, les pronoms sujets étaient devenus atones dans le dialecte anglo-normand, il en
était assurément de même dans la langue de continent »80. Nous pouvons conclure que la
langue de ce texte ne devait pas être en rupture avec le système langagier de l’ancien français.
b) Manière de procéder
En intégrant ce corpus dans notre travail, nous voulons proposer un complément concret à la
théorie parfois abstraite du système linguistique propre à l’ancien français. Avant d’aborder le
microsystème linguistique du « Voyage de Saint-Brendan », nous avons parcouru plusieurs
sources qui peuvent nous guider dans l’élaboration d’un cadre théorique représentatif du
système du pronom personnel sujet en ancien français. Les sources que nous avons consultées
pour l’encadrement théorique recouvrent un bon bout de temps : elles parlent tant de la
situation langagière en latin, que de la situation en ancien et en moyen français. Elles parlent
même du système linguistique en français moderne, vu qu’il est nécessaire de cadrer notre
sujet de recherche dans l’ensemble plus large de l’évolution langagière du français. Van
76
Short, Ian et Merrilees, Brian, Le Voyage de Saint Brendan, p. 14. 77
Ibid., p. 17. 78
Ibid., p. 22. 79
Blanche Benveniste, Claire, « De la spécificité de l’oral », 2005, p. 45. 80
Franzén, Torsten, Étude sur la syntaxe des pronoms personnels sujets en ancien français, p. 34.
19
Acker le formule ainsi : « pour pouvoir parler de la transition latin / langues romanes, il est
primordial de clairement délimiter, du point de vue linguistique, les deux bouts de la
chaîne »81.
Afin d’examiner le microsystème linguistique de notre texte, nous avons élaboré une grille
d’analyse, capable d’analyser en détail les données du corpus. Les sources que nous avons le
plus utilisées pour l’élaboration d’une telle grille sont les grammaires historiques. Nous
justifierons notre choix de procéder d’une telle façon dans le chapitre suivant. En utilisant
cette grille d’interprétation, c’est-à-dire une liste avec des configurations sensées être
favorables à l’expression, et d’autres à la non expression du pronom personnel sujet, nous
serons capable de projeter correctement la théorie sur le corpus. Cette projection sert à
vérifier en quelle mesure notre corpus correspond à cette base théorique, pour ensuite arriver à
une conclusion à propos du microsystème propre au « Voyage de Saint Brendan ».
2.3.2. Les données en diatopie
a) Présentation du corpus
Notre initiation en matière de la dialectologie date d’un séjour à Neuchâtel, Suisse, où nous
avons fait connaissance avec les patois du Valais central. Ces dialectes, appartenant à la
langue francoprovençale, constituent un cas unique dans le domaine des langues romanes.
Entre autre à cause de leur emplacement géographique spécifique dans un domaine
montagneux, les patois valaisans ont été isolés pendant longtemps, ce qui explique
l’archaïsme de leur système langagier. Jules Jeanjaquet explique ce caractère archaïque d’une
façon claire à la fin de son article82 :
L’isolement résultant de la configuration géographique du pays, l’absence de contact linguistique roman
à l’est, par suite de la germanisation du Haut-Valais, la continuité du pouvoir des évêques et la stabilité
des institutions, le manque d’industrie et de commerce important, l’indépendance économique d’une
population pastorale sédentaire, vivant de ses propres ressources, sont tout autant de facteurs qui font
comprendre le remarquable conservatisme du langage de cette région et son évolution fortement
ralentie.
81
Van Acker, Marieke, Hagiographie et communication verticale au temps des Mérovingiens, p. 73. 82
Jeanjaquet, Jules, « Les patois valaisans. Caractères généraux et particularités », pp. 49-50.
20
C’est exactement ce « remarquable conservatisme du langage de cette région » qui rend
l’étude de ces patois si intéressante : vu que les dialectes suisses offrent l'opportunité de
présenter un système linguistique plus archaïque que celui qu'on trouve en français standard,
ils valent la peine d’être examinés dans le cadre de notre travail.
b) Manière de procéder
Dans le cadre d’un travail de bachelier83 pendant l’année académique 2008-2009, nous avons
élaboré un corpus à partir d’une banque de données construite par les collaborateurs du centre
de dialectologie à Neuchâtel. Cette banque de données, nommée « Atlas linguistique et
audiovisuel du Valais » (ALAVAL), se concentre surtout sur les problèmes de la
morphosyntaxe francoprovençale. Andres Kristol, initiateur de ce projet, décrit les
caractéristiques de l’atlas de la manière suivante84 :
Le corpus de l’ALAVAL se compose d’environ 17'500 énoncés de longueur très variable, enregistrés par
caméra vidéo dans 25 points d’enquête (2 informatrices-informateurs par lieu d’enquête, environ 350
énoncés par témoin). Ce corpus a été suscité au moyen d’un questionnaire semi-ouvert, dans le cadre
d’entretiens dirigés, ce qui nous a permis d’obtenir d’une part une base commune d’énoncés
comparables pour chacun de nos 25 points d’enquête, et d’autre part des énoncés libres, qui permettent
d’approfondir l’information disponible.
Parmi ces 25 points d’enquête, nous en avons choisi 5, à savoir Arbaz, Evolène, Isérables, St-
Jean et Troistorrents. Notre corpus, qui a été effectué dans les limites d’un travail de
bachelier, n’examine que les pronoms personnels sujets de la 3e personne du singulier et du
pluriel. Le fait que le corpus de la diatopie soit moins approfondi que celui de la diachronie
est dû à plusieurs raisons. Tout d’abord, les données de l’ALAVAL ne sont plus à notre
disposition. La banque de données n’est accessible qu’à partir du centre de dialectologie à
Neuchâtel, et nous n’étions pas dans la mesure de nous déplacer jusque là. Ensuite, les limites
de temps dans lesquelles ce travail doit être effectué nous ont fait prendre la décision de
mettre l’accent sur la diachronie, et l’approche interdisciplinaire du point de vue théorique. De
plus, le corpus élaboré l’année passée85 est capable de nous fournir des données limitées, mais
pourtant explicatives à propos des patois du Valais.
83
Dubois, Céline, L’expression du pronom sujet dans les dialectes de la Suisse romande, étude effectuée dans le
cadre du travail de bachelier (année académique 2008-2009), Université de Gand. 84
Kristol, Andres, « Atlas linguistique audio-visuel du francoprovençal valaisan ALAVAL - La morphosyntaxe
du clitique sujet et le problème de la notion "pro-drop" », p. 1. 85
Dubois, Céline, L’expression du pronom sujet dans les dialectes de la Suisse romande.
21
Afin de compléter les informations recueillies à partir du corpus, nous nous sommes basée sur
quelques autres publications (cf. Olszyna-Marzys, 1964, Martin, 1974, Kristol, 2007, Diémoz,
2009). Dans la partie à propos de la diatopie (cf. infra), nous avons rassemblé toutes ces
informations afin de pouvoir élaborer une sorte de grille d’interprétation pour les données
dialectales. En procédant d’une telle manière, similaire à celle utilisée pour la partie à propos
de la diachronie, nous avons pu analyser de façon correcte notre corpus. Néanmoins, nous
voulons bien insister sur le fait que nous avons décidé, tenant compte des limites de ce travail,
de nous concentrer avant tout sur le corpus d’ancien français, et que les informations
diatopiques fonctionnent surtout comme contrepoids théorique dans l’ensemble de cette étude
comparative entre diachronie et diatopie. Il importe donc plutôt de donner priorité à la
confrontation avec le corpus diachronique – en analysant et en illustrant les convergences et
les divergences entre les deux –, que d’analyser en détails le corpus diatopique.
2.3.3. Questions à poser
Après cet encadrement théorique, nous sommes prête pour aborder les parties plutôt
« pratiques » de notre travail, à savoir l’analyse des deux corpus. Vu la quantité de matériaux
à aborder, nous voulons être bien préparée pour l’analyse systématique des données. Pour
cette raison, voici quelques questions qui nous guideront tout au long de cette analyse et qui –
à la fin de ce travail (cf. infra – chapitre 5 : comparaison des deux corpus) – recevront une
réponse. Ces questions insistent surtout sur la comparaison: quelles convergences et quelles
divergences pouvons-nous repérer des deux corpus, et quelles sont les raisons d’être de ces
différences entre les matériaux de travail. Voici les cinq questions :
a) Quelles sont les convergences et les divergences entre les deux corpus en général ?
b) Quelles sont les convergences et les divergences entre les deux corpus en ce qui
concerne la variation morphologique ?
c) Quelles sont les convergences et les divergences entre les deux corpus en ce qui
concerne les conditions d’expression et de non expression ?
d) Quelles sont les convergences et les divergences entre les deux corpus en ce qui
concerne les différences entre les personnes grammaticales (pronoms déictiques versus
pronoms anaphoriques) ?
22
e) Quelles sont les convergences et les divergences entre les deux corpus en ce qui
concerne l’influence de la position du pronom dans la phrase sur l’expression de ce
pronom ?
2.4. Conclusion intermédiaire
En guise de conclusion intermédiaire nous allons brièvement parcourir les concepts théoriques
apportés dans ce premier chapitre. Nous avons dédié la plus grande partie de ce chapitre aux
explications concernant la présentation du sujet de la recherche, à savoir une étude du
fonctionnement de pronom personnel sujet, par le biais d’une approche interdisciplinaire entre
la diachronie d’une part, et la diatopie d’autre part. Nous avons parlé de son émergence
comme théorie linguistique, de ses défenseurs (avec Michel Banniard comme protagoniste) et
de l’intérêt de son application. Nous nous sommes également efforcée de rendre quelques
concepts plus clairs pour nos lecteurs. Entre autre les notions de diasystème, de continuité, de
« latin vulgaire », de sociolinguistique diachronique et de valorisation du système
linguistiques ont été passées en revue. En analysant deux articles de Michel Banniard, nous
avons également pu faire mention des notions de la géographie linguistique et de la
fluctuation langagière. Cette esquisse de concepts théoriques est un pas nécessaire afin de
pouvoir aborder les chapitres suivants concernant la diachronie et la diatopie. Concluons cette
partie-ci avec un dernier résumé du but de l’approche interdisciplinaire :
Le but de l’approche interdisciplinaire est de contribuer à faire émerger les diasystèmes complexes qui
se trouvent entre le latin et le roman, en montrant les convergences et les divergences avec des réalités
actuelles. L’analyse des deux types de microsystèmes non stabilisés situés dans le continuum langagier
entre le latin et les langues romanes nous apportera des informations utiles afin de mieux comprendre le
fonctionnement du pronom personnel sujet dans chacun des champs de recherche.
23
3. L’expression du pronom sujet en ancien français
3.1.Introduction
Tout au long du chapitre théorique, nous avons insisté sur plusieurs notions importantes qui
concernent l’évolution langagière du latin aux langues romanes. Surtout la notion de
continuité est apparue comme cruciale. En effet, « il faut comprendre qu’une langue romane a
cessé d’être latine, mais que son identité originelle se laisse génétiquement reconnaître »86. En
appliquant cette affirmation au fonctionnement du pronom personnel sujet, nous voyons que
la notion de continuité s’y attache facilement. Vu d’une façon simplifiée, le système
linguistique a évolué d’une non expression du pronom personnel sujet en latin classique vers
une expression obligatoire en français moderne. L’ancien français est un système vacillant
entre ces deux états de langue : nous observons parfois des cas d’expression du pronom,
parfois des absences. Il ne s’agit pas de l’apparition du pronom personnel sujet en ancien
français, mais d’une mutation du système linguistique : « […] il n’y a pas de perte, mais
réorganisation et spécialisation d’entités produites par des prosodies nouvelles »87. Tenant
compte de ceci, comment expliquer alors l’évolution du pronom personnel sujet ?
Évidemment, notre objectif n’est pas de trouver une réponse complète à cette question, ce qui
serait trop ambitieux dans les limites de notre travail. Nous allons d’abord nous intéresser
brièvement aux éléments qui peuvent expliquer cette évolution d’un point de vue linguistique.
Ensuite, nous essayons de décrire et de comprendre le fonctionnement du pronom sujet dans
un microsystème de l’ancien français. Ce microsystème est une partie représentative de la
situation langagière en ancien français, mais nous ne pouvons pas oublier qu’il ne reste
qu’une partie du diasystème plus large. En confrontant ce microsystème à celui de quelques
dialectes francoprovençaux (cf. infra – chapitre 5), nous examinerons les cas de continuité et
de discontinuité entre ces étapes intermédiaires de chaque champ de recherche.
Ce chapitre contient trois grandes parties. En premier lieu, un cadre théorique nous fournira
quelques informations afin de comprendre en grandes lignes les raisons d’être de l’évolution
du fonctionnement du pronom personnel sujet. En deuxième lieu, nous avons élaboré une
grille d’analyse à partir de quelques grammaires historiques. Finalement, nous nous lancerons
86
Michel Banniard, Du latin aux langues romanes, p. 7. 87
Van Deyck, Rika, « Le moyen français en général et l’expression du pronom sujet dans la langue de François
Villon en particulier », 2003, p. 1.
24
dans l’analyse de notre corpus : un texte en ancien français du XIIe siècle, le Voyage de Saint
Brendan.
3.2. Observations théoriques
3.2.1. La quantification interne et externe
L’ancien français est, nous le savons, un système linguistique en vacillation, quelque part
entre le latin et le français. Rika Van Deyck affirmait, en parlant plus particulièrement du
moyen français, que celui-ci constitue « un vrai laboratoire pour l’observation du
changement »88. Elle appliquait ce constat à l’évolution du pronom personnel et au
développement de l’article défini. Le système linguistique du latin classique est surtout
caractérisé par la quantification interne 89: les désinences nominales et verbales fournissent
l’information nécessaire afin de comprendre la phrase. Le système linguistique du français
moderne, par contre, repose essentiellement sur la quantification externe. Prenons deux
phrases simples pour illustrer ces deux notions. Dans la phrase latine « Agrum arat » (90)
, la
désinence verbale nous indique que le sujet est une troisième personne du singulier. Si nous
ne voulons pas insister sur le sujet, l’expression d’un pronom personnel sujet n’est pas
nécessaire. Par contre, la traduction française de cette phrase, « Il travaille le champ » (90)
,
demande obligatoirement l’utilisation du pronom personnel sujet, car la forme verbale
« travaille » peut désigner tant la première que la troisième personne du singulier (à l’écrit).
Le changement du système des désinences verbales ou nominales n’implique pas forcément
un brouillage de tout le système linguistique d’une langue91, mais favorise quand même une
évolution et une période de transition entre deux systèmes de quantification. Le choix entre
expression et non expression en ancien français est corrélé au fait de l’appartenance
progressive du pronom sujet à la zone verbale : « l’expression du pronom sujet est
conditionnée (en ancien français) essentiellement par des facteurs d’ordre syntaxique, dont au
premier chef le mode d’ouverture de la proposition et le détachement du verbe »92.
88
Van Deyck, Rika, « La syntaxe pronominale dans la longue durée illustrée par des exemples de François
Villon », 2004, p. 232. 89
Voir : Van Deyck, Rika, « La détermination nominale en ancien français », 1998, p. 125. 90
Nous avons utilisé les mêmes exemples dans l’introduction de notre travail de bachelier, cf. Dubois, Céline,
L’expression du pronom sujet dans les dialectes de la Suisse romande. 91
Banniard, Michel, « Latin tardif et français prélittéraire : observations de méthode et de chronologie », 1993, p.
154. 92
Buridant, Claude, Grammaire nouvelle de l’ancien français, 2000, p. 424.
25
3.2.2. Le changement de l’accent
Un des éléments les plus importants qui distingue l’ancien français du stade linguistique
précédent, est sans doute l’accent. L’intonation, un système arbitraire et microsystème de la
langue93, a toujours joué un rôle crucial dans l’évolution langagière. Les bouleversements
prosodiques qu’a connus l’ancien français sont à la base des grands changements linguistiques
que nous observons à cette époque. Le passage d’un accent à faible tonicité à un accent
tonique fort a changé tant la phonétique (les aspects formels de la langue) que la syntaxe (les
aspects positionnels)94. De plus, « l’amplification de la composante ‘intensité’ au détriment de
la hauteur musicale au sein de l’accent fait que celui-ci acquiert une fonction culminative ; il
devient accent de groupe »95. Rika Van Deyck insiste dans plusieurs de ses articles96 sur
l’importance capitale de ce bouleversement prosodique, selon elle « la vraie révolution est là ;
elle contient […] toutes les mutations intervenues dans l’architecture de la langue, du
phonème au texte »97.
Ces observations sont importantes pour le sujet de notre travail, vu que la distinction que nous
observons en roman entre les « clitiques » et les « pronoms libres » est due à des différences
de traitement prosodique des pronoms personnels en latin classique98. L’accent d’intensité qui
s’impose petit à petit lors de l’évolution langagière a eu tellement d’impact qu’il est à la base
de la réduction du nombre des syllabes, ce qui a provoqué une ambiguïté formelle
inopérante99. À cause de cette ambiguïté, le système linguistique subit une réinterprétation des
affixes désinentiels et la marque de quantification (cf. supra) deviendra plutôt externe. Van
Deyck le souligne également dans son article : « Une réorganisation des modèles flexionnels
du latin était devenue incontournable dès le moment où l’accent d’intensité avait entraîné, par
93
Schultz, Rikke, « Orientations de recherche pour l’étude évolutive de structure intonatives », 2008, p. 191. 94
Banniard, Michel, « Paramètres imaginaires et paramètres réels en diachronie longue : entre typologie et
probabilisme du latin au roman », 2008, p. 19. 95
Van Deyck, Rika, « La détermination nominale en ancien français », p. 127. 96
Entre autres (cf. bibliographie) Van Deyck : 1998, Van Deyck : 2003 (1), Van Deyck : 2003 (2), Van Deyck,
2004. 97
Van Deyck, Rika, « La détermination nominale en ancien français », p. 127. 98
Banniard, Michel, « Paramètres imaginaires et paramètres réels en diachronie longue : entre typologie et
probabilisme du latin au roman », p. 24. 99
Van Deyck, Rika, « Le moyen français en général et l’expression du pronom sujet dans la langue de François
Villon en particulier », p. 2.
26
réduction syllabique, une ambiguïté formelle insoutenable »100. Nous ne pouvons donc pas
négliger l’importance de l’accent dans l’évolution du pronom personnel sujet101.
Résumons les points essentiels du changement de l’accent : le bouleversement prosodique qui
affecte le système linguistique dès la latinité tardive a entraîné l’abandon du rythme
quantificatif et descendant du latin. Au lieu de cela, la langue a adopté un rythme syllabique
ascendant. Cette nouvelle structure accentuelle est capable de changer l’ordre des mots de la
phrase, avec pour conséquence marquante la prédomination de la proclise sur l’enclise. Alors
que la fixation d’entités sans autonomie accentuelle et syntaxique, entraînée par le
bouleversement prosodique, privilégie l’utilisation de syntagmes, une détermination nominale
ou verbale fait son apparition ; la quantification externe l’emporte sur la quantification interne
(cf. supra), et permet ainsi un taux d’expression plus élevé du pronom personnel sujet102.
En ce qui concerne l’évolution du pronom personnel sujet, nous devons tenir compte de deux
phénomènes. Il ne s’agit pas uniquement d’une tendance à l’expression du pronom sujet, mais
également d’un recul du phénomène de l’enclise. La possibilité de choix entre l’expression
romane et l’omission latine du pronom personnel sujet en ancien français constitue la plus
grande différence avec le pronom sujet clitique du français contemporain. En plus, n’oublions
pas que le pronom sujet en ancien français pouvait se disjoindre du verbe – chose impossible
en français moderne –, et que son grade d’autonomie était plus élevé qu’aujourd’hui. Ces
deux phénomènes, l’expression et l’enclise, sont reliés, et un changement dans l’un provoque
un changement dans l’autre. Presque tous les changements dans le système linguistique en
entraînent d'autres, tant au niveau du segmental qu’au niveau du suprasegmental. Pour
terminer ces considérations théoriques, nous citons Rika Van Deyck, dans son article à propos
du pronom personnel103 :
100
Van Deyck, Rika, « La détermination nominale en ancien français », p. 128. 101
Pourtant, il faut aussi tenir compte des faiblesses de cette théorie : comment pouvons-nous examiner
l’évolution d’une intonation si nous ne possédons que des textes écrits ? Nous renvoyons à un article de Rikke
Schultz pour plus d’informations concernant les problématiques de la théorie de l’intonation :
Schultz, Rikke, « Orientations de recherche pour l’étude évolutive de structure intonatives », pp. 188-189. Voir
également p. 197 (Ibid.) : « […] l’histoire de l’évolution accentuelle du latin au roman et du roman aux langues
actuelles s’écrit avec beaucoup d’incertitudes et de suppositions. L’accent d’une langue, comme l’intonation,
n’est pas directement déductible à partir de l’écrit ». 102
Toutes les informations de ce paragraphe proviennent de l’article de : Van Deyck, Rika, « La détermination
nominale en ancien français », pp. 127-128. 103
Van Deyck, Rika, « Le ‘pronom personnel’ dans la tradition grammaticale », 2003, p. 8.
27
Le parcours indique aussi que la réflexion grammaticale diffère par la prise en considération de divers
types d’arguments : au niveau suprasegmental, les phénomènes de l’accent et du rythme ; au niveau
segmental les phénomènes de l’accord en genre et en nombre, des fonctions syntaxiques, de la syntaxe
de l’ordre, du système de la personne grammaticale et de la locution et de la prédicativité. […] il semble
impossible d’écarter l’un des niveaux : le suprasegmental s’avère aussi incontournable que le segmental.
Et plus loin :
Le bouleversement du suprasegmental entraîne celui du segmental ; il se trouve au départ de l’évolution
qui crée la situation romane. Quand un accent dynamique remplace le musical, les oppositions de
qualité remplacent celles de quantité et le caractère de tonicité devient pertinent ; dès lors le choix du
tonique et de l’atone aura une valeur distinctive ; mais de plus, quand un accent cumulatif, de groupe
remplace l’accent analytique, de mot en accord avec un rythme ascendant qui remplace le descendant,
une gradation de la tonicité fait apparaître des séries de formes plus ou moins lourdes, avec à l’issue,
spécialisation grammaticale de ces séries dans de nouveaux contours prosodiques, que ce soit dans la
syntaxe du nom ou dans celle du verbe.
3.3.Analyse des grammaires
Ce chapitre vise à recueillir les informations pertinentes de quelques grammaires d’ancien
français, afin que ces informations puissent nous guider dans l’analyse de notre corpus. Vu
que l’ancien français est un stade intermédiaire de l’évolution langagière et en raison de
l’absence d’une langue standard, ces grammaires incluent une pluralité d’informations. Les
différents éléments que nous mentionnerons ici, nous serviront d’instruments d’analyse. Il ne
s’agit pas de comparer ces grammaires, mais plutôt d’en extraire les données utiles, de sorte
qu’elles puissent former une grille d’analyse pour notre recherche sur corpus.
3.3.1. Choix des grammaires
Afin d’obtenir des instruments d’analyse pour notre corpus, nous avons consulté cinq
grammaires104. La plus ancienne, celle de Schwan-Berens105, date de 1913, et est une
traduction de l’allemand. La plus récente, celle de Claude Buridant106, date de 2000. Nous
104
Afin de compléter les informations à propos du pronom personnel sujet en ancien français, nous avons
également consulté la thèse de doctorat de Torsten Franzén.
Cf. Franzén, Torsten, Étude sur la syntaxe des pronoms personnels sujets en ancien français.
L’auteur a surtout eu l’intention d’éclairer quelques caractéristiques du pronom personnel sujet jusqu’alors peu
traitées et de revoir deux conceptions généralement acceptées à propos de ce pronom. En ce qui concerne ces
« conceptions acceptées », il essaie d’une part de démontrer la fausseté de l’opinion commune selon laquelle
« les pronoms personnels auraient été accentués dans toutes les positions » (cf. p. V) et d’autre part, il indique
que l’évolution vers une expression obligatoire du pronom sujet n’est pas uniquement due à l’amuïssement des
désinences verbales. Vu que nous voulons surtout nous concentrer sur l’analyse de notre corpus, nous n’entrons
pas en détail ici, mais nous incitons nos lecteurs à consulter ce livre pour obtenir plus d’informations sur ce sujet. 105
Schwan, Eduard et Berens, Dietrich, Grammaire de l’ancien français, 1932. 106
Buridant, Claude, Grammaire nouvelle de l’ancien français.
28
avons également consulté les grammaires de Lucien Foulet107, de Philippe Ménard108 et de
Gérard Moignet109. La grammaire la plus complète pour notre sujet est celle de Claude
Buridant, mais les autres apportent tout aussi des informations pertinentes. Dans ce qui suit,
nous voulons aligner les informations recueillies afin de donner une image complète de la
situation du pronom personnel sujet en ancien français.
3.3.2. Informations recueillies
a) Pronoms déictiques et anaphoriques
Une chose qui ressort de l’analyse de ces grammaires, est la distinction faite sur le plan
pragmatique entre les pronoms déictiques (1e et 2
e personne) d’une part, et les pronoms
anaphoriques (3e personne) d’autre part. Les déictiques font référence aux personnes présentes
pendant la communication, c'est-à-dire le locuteur et l’interlocuteur ; les anaphoriques réfèrent
à des personnes à l’écart de la conversation, disons les « délocutés »110, notion utilisée par
Buridant.
La grammaire de Lucien Foulet111 distingue, comme les autres grammaires prises en
considération dans ce chapitre, les pronoms de la première et deuxième personne d’une part et
les pronoms de la troisième personne d’autre part. La distinction faite par Foulet ne se base
pas tellement sur la différence entre déictiques et anaphoriques, mais plutôt sur le fait que la
troisième personne distingue une forme féminine et une forme masculine, ce qui n’est pas le
cas pour la première et la deuxième personne. Sans mentionner littéralement les notions de
déictiques et d’anaphoriques, sa distinction les implique pourtant : il nous semble logique
qu’un pronom anaphorique doit connaître une distinction entre masculin et féminin, vu qu’il
s’agit d’une personne hors de la conversation (le(s) délocuté(s), cf. Buridant).
La grammaire de Schwan-Berens112, qui nous apporte une perspective différente des autres
manuels consultés, fait également la distinction entre les pronoms personnels de la première et
de la deuxième personne d’une part, et le pronom personnel de la troisième personne d’autre
part, pourtant sans éclaircissement explicite qui justifie ce choix.
107
Foulet, Lucien, Petite syntaxe de l’ancien français, 1966. 108
Ménard, Philippe, Manuel d’ancien français, 1968. 109
Moignet, Gérard, Grammaire de l’ancien français, 1976. 110
Buridant, Claude, Grammaire nouvelle de l’ancien français, p. 407. 111
Foulet, Lucien, Petite syntaxe de l’ancien français. 112
Schwan, Eduard et Berens, Dietrich, Grammaire de l’ancien français.
29
Dans l’introduction de la grammaire de Gérard Moignet113, l’auteur insiste sur le fait qu’il est
impossible de donner une syntaxe fixe de l’ancien français car « on peut dire sans paradoxe
qu’il y a autant de syntaxes que de textes »114. Le but de son livre est de montrer la cohérence
et la stabilité en ancien français, sans oublier que ce stade de la langue en est un en
permanente vacillation. En ce qui concerne le pronom personnel, Moignet fait la même
distinction que les autres manuels, mais il utilise d’autres définitions. Il parle d’une part de
« personnels purs », lesquels « n’évoquent les êtres que par leur rang dans l’ordre personnel
dans la situation du discours » – c’est-à-dire les déictiques, et d’autre part de « pronoms
représentants », lesquels « rappellent des êtres déjà évoqués dans le discours »115 – c’est-à-dire
les anaphoriques.
b) Formes morphologiques
Toutes les grammaires parlent des différentes formes morphologiques que les pronoms sujets
peuvent présenter. Vu que cette variation morphologique est un élément important, mais pas
l’objectif principal de notre travail, nous nous limiterons à donner un cadre récapitulatif des
formes qui figurent dans ces cinq grammaires.
Pronoms déictiques (1re
– 2e personne)
SINGULIER PLURIEL
1re
personne je, jou (pic.), ju (wallon), jo nos, nus, nous
gie/gié/gé – éo
2e personne tu, te (pic.) vos, vus, vous
tü
113
Moignet, Gérard, Grammaire de l’ancien français. 114
Moignet, Gérard, Op. Cit., p. 7. 115
Ibid., p. 36.
30
Pronoms anaphoriques (3e personne)
SINGULIER PLURIEL
3e personne ♂ il, i il, i
(élli) (élli)
3e personne ♀ ele ; il, el (Ouest), ille (Nord-Est) eles ; els, eus (Ouest)
ale (Ouest, Est), (élla) ales (Ouest, Est)
3e personne Ø il, el (Ouest), (éllu) /
À ce schéma, il faut encore ajouter le pronom personnel sujet qui exprime la personne
indéterminée, à savoir on (autres variantes graphiques : en, an). Ce pronom sujet provient du
cas sujet du substantif ome (lat. > homo, hominem)116. Petit à petit, suite à un processus de
grammaticalisation, son utilisation comme pronom personnel sujet s’est répandue en ancien
français, pour devenir aujourd’hui un pronom populaire.
Dans le manuel de Schwan-Berens il y a, comparé aux autres manuels, plus d’attention pour
l’étymologie des formes des pronoms personnels. L’auteur explique aussi clairement le
changement (pour la troisième personne) d’un pronom tonique vers un pronom atone comme
sujet du verbe : « il, ele, el, il, eles sont des formes primitivement toniques. Elles ont, comme
sujets du verbe, subordonné peu à peu leur accent à celui du verbe par suite du lien
syntaxique, qui devint plus étroit, et elles se sont conservées jusqu’aujourd’hui dans cet
emploi atone, à l’exception du neutre el » (p. 189). L’apport que nous pouvons le plus
apprécier de ce manuel est certainement celui de l’évolution phonétique des formes, tandis
que des conditions d’expression ou de non expression du pronom sujet restent absentes.
c) Les conditions d’expression et de non expression
Dans sa grammaire, Claude Buridant nous fournit cinq conditions favorables à la non-
expression du pronom personnel sujet117. En premier lieu, le pronom sujet peut être omis dans
des propositions juxtaposées ou coordonnées, où le sujet est identique dans une suite de
verbes (cf. exemple a). En deuxième lieu, le pronom sujet ne doit pas figurer en tête de
proposition indépendante quand nous y retrouvons un emploi négatif d’un noyau de verbes
116
Buridant, Claude, Grammaire nouvelle de l’ancien français, p. 409. 117
Buridant, Claude, Op. Cit., pp. 424-428.
31
auxiliaires et modaux (comme estre, avoir, devoir, pooir, valoir, estovoir, laissier et savoir)
(cf. exemple b). En troisième lieu, Buridant fait mention de la raison la plus connue de la non
expression du pronom sujet, à savoir quand un autre élément qui montre un lien thématique
avec le contexte précédent, occupe la place préverbale. Cet élément peut être un adverbe de
liaison, un régime nominal, un régime objet, ... (cf. exemple c). Comme quatrième condition,
l’auteur mentionne la grande fréquence de non expression dans le cas des verbes
impersonnels ; vu l’indétermination de la personne, les auteurs n’ont pas tendance à utiliser un
pronom (cf. exemple d). Finalement, nous apprenons que la non expression du pronom sujet
est assez fréquente dans des énoncés interrogatifs où le pronom se trouverait en postposition
(cf. exemple e).
(a) RenartR, X, 10704-05 Il ne harpoit ne ne chantoit, ainz ploroit…
(b) Ami 2734 Et dist Amis : Ne sai qu’en tient a vous
(c) Roland 648 Si li ad dit : Mult par ies ber e sage
(d) Roland 132 Tant i avrat de besanz esmerez
(e) TristPr, I, 181, 8-9 Que vous plaist, sire chevalier ? Que volés dire ?
À la page 427 de sa grammaire, Buridant fait une remarque particulièrement intéressante pour
nous, à savoir « non expression / expression selon les exigences de la versification ». Même
s’il s’agit d’une petite remarque dans la totalité des observations, elle est selon nous d’une
importance majeure. Pour un auteur, désireux de bien versifier son texte, l’expression ou
l’omission d’un pronom personnel pouvait être l’outil parfait afin d’aboutir à un certain
nombre de syllabes. Dans l’analyse de notre corpus (cf. infra), nous reviendrons à ce sujet.
Buridant parcourt également quelques conditions favorables à l’expression (semi-obligatoire)
du pronom sujet118. La première des quatre conditions concerne l’expression du pronom sujet
en postposition dans les incises du discours direct. Surtout après un vocatif, un mot exclamatif
ou un impératif, il y a une forte tendance à exprimer le pronom sujet (cf. exemple f). Ensuite,
quand le pronom occupe la position initiale comme élément tonique nous observons un taux
élevé d’expression (cf. exemple g). En troisième lieu, le pronom sujet sera exprimé quand
l’auteur veut souligner le détachement verbal. Nous pouvons dire dans de tels contextes que le
pronom sujet prend un relief particulier (cf. exemple h). En quatrième et dernier lieu, Buridant
nous renseigne sur le fait que « le pronom personnel sujet est exprimé beaucoup plus
118
Buridant, Claude, Grammaire nouvelle de l’ancien français, pp. 428-433.
32
fréquemment dans les subordonnées de toute nature que dans les principales, où la position
initiale est souvent tenue par un élément tonique »119.
(f) Alexis 59 E ! Deus, dist il, cum fort pecét m’apresset !
(g) TristPr, I, 26-31 Quant il ont lour hiaumes ostés et il se sont entrebaisié et
entreconmandé a nostre Seigneur, ensi com cevalier errant doivent
faire et faisoient a celui tans acoustumeement, il relacent lour
hiaumes et Lanselos se met adont droit en la voie ki aloit au castel.
(h) Piramus 732 Lions, tu qui la devoras.
En comparaison avec les indications de Buridant, le manuel de Foulet ne nous donne pas
tellement d’explications à propos de l’expression et de la non expression du pronom sujet.
Selon Foulet, le pronom sujet en ancien français pouvait occuper n’importe quelle place dans
la phrase s’il précédait le verbe ; en postposition par contre, le sujet devait suivre
immédiatement le verbe120. À part ces indications à propos de la position du pronom sujet
dans la phrase, ce manuel ne nous renseigne pas vraiment sur les conditions d’expression et
de non expression du pronom personnel sujet.
Passons alors au manuel de Philippe Ménard121, publié quelques années après la grammaire de
Foulet. Dans le chapitre sur le pronom personnel, nous trouvons peu d’informations à propos
des conditions d’expression du pronom personnel sujet, vu que la plus grande partie du
chapitre parle du pronom personnel régime. Nous pouvons lire que les pronoms sujets ne sont
pas indispensables, attendu que les désinences verbales indiquent clairement la personne122.
Ménard insiste surtout sur le fait que l’omission était de règle, tant avec des verbes personnels
qu’avec des impersonnels (cf. exemple i). L’expression du pronom sujet dépendait selon
Ménard surtout de raisons d’insistance et de mise en relief (cf. exemple j). Dans trois
remarques supplémentaires, nous apprenons que le pronom sujet accentué peut se trouver
éloigné du verbe (cf. exemple k), que le pronom sujet peut se trouver devant l’impératif (cf.
exemple l) et que le pronom sujet est souvent utilisé pour remplir la première position de la
proposition (et non pas le verbe) (cf. exemple m).
119
Buridant, Claude, Grammaire nouvelle de l’ancien français, p. 432. 120
Foulet, Lucien, Petite syntaxe de l’ancien français, p. 107.
Observation : Foulet donne beaucoup de phrases exemples pour les pronoms régimes, mais pas pour le pronom
personnel sujet. Il semble que l’auteur considère la non expression du pronom sujet comme étant la règle
générale, de sorte qu’il le trouve contingent de nous fournir des exemples. 121
Ménard, Philippe, Manuel d’ancien français. 122
Ménard, Philippe, Op. Cit., p. 71.
33
(i) Alexis 82a Blanc ai le chief.
Segretain moine 131 Bien a quatre anz que ge vos aim.
(j) Alexis 87d E jo, dolente, cum par fui avoglie !
(k) Thomas Becket 1365 E il e lur lignage erent desherité.
(l) Roland 508 E vos l’i ameneiz !
(m) Roland 860 Li niés Marsilie, il est venuz avant.
Ménard mentionne encore que, dès le XIIe siècle, le pronom sujet peut être employé sans
valeur expressive123. Finalement, Gérard Moignet donne plusieurs raisons qui expliquent
l’autonomie du pronom sujet, entre autre sa possibilité d’occuper la première place de la
phrase (cf. exemple n), d’avoir valeur d’insistance dans une opposition (cf. exemple o), d’être
séparé par le verbe (cf. exemple p), de pouvoir être antécédent d’un relatif (cf. exemple q) et
de pouvoir figurer sans verbe en proposition elliptique (cf. exemple r)124.
(n) Rol., 1700 Dist Oliver : « Jo nel sai cument quere. »
(o) Auc., xxiv, 42 Os ! fait cil, por le cuer que cil Sires eut en sen ventre ! que vos plorastes por
un cien puant ! … Mais je doi plorer et dol faire
(p) Rol. 1697 E ! reis, amis, que vos ici nen estes !
(q) Narcisus, 673 Je qui ensi paroil a toi sui fille ton seignor le roi.
(r) Auc., x, 51 Et ce voil je que vos me tenés. – Jo ? fait li peres.
Néanmoins, après avoir énuméré toutes ces possibilités, Moignet relativise cette autonomie
par une explication très claire de l’évolution du pronom personnel sujet125 :
Mais la diversité des tours où elle (l’autonomie du pronom sujet) se manifeste ne doit pas dissimuler le
fait capital que le pronom personnel sujet, d’emploi très largement facultatif aux origines, devient de
plus en plus fréquent en position conjointe, soit avant, soit après le verbe, dont il ne peut plus guère être
séparé que par quelques mots grammaticaux atones : les pronoms personnels régimes, les adverbes en et
i, la négation ne, l’adverbe intensif par. […]
Si, en très ancien français, l’emploi du pronom reste rare et généralement expressif, répondant à une
intention d’insistance ou d’opposition, il devient par la suite plus fréquent, puis courant et normal, sans
qu’aucune nuance d’insistance stylistique se laisse percevoir.
En grandes lignes, nous pouvons dire que le pronom sujet est prédicatif et autonome au début,
mais qu’il devient au cours des siècles un mot satellite autour du verbe, obligatoire et atone.
d) Le phénomène de l’enclise
Nous parlons d’enclise lorsqu’un pronom atone s’abrège et prend appui sur le mot qui le
précède126. Ce pronom atone, appelé également le pronom enclitique, peut s’appuyer sur « la
négation ne, l’adverbe si, la conjonction se, les pronoms je, tu, ele, les relatifs-interrogatifs qui
123
Ménard, Philippe, Manuel d’ancien français, p. 72. 124
Moignet, Gérard, Grammaire de l’ancien français, pp. 127-128. 125
Moignet, Gérard, Op. Cit., p. 128. 126
Ménard, Philippe, Manuel d’ancien français, p 65.
34
et que »127. Cette affirmation de Philippe Ménard indique que les pronoms personnels sujets à
l’époque avaient un accent tonique, vu qu’un pronom atone pouvait s’appuyer dessus. Le
phénomène de l’enclise est donc une preuve du fait que les formes du cas sujet sont à l’origine
toniques, mais elles évolueront plus tard vers des pronoms atones128. À l’époque qui nous
concerne, l’enclise était beaucoup plus fréquente que la proclise, mais cette tendance diminue
lors de l’évolution langagière129. Vu que les pronoms personnels sujets en ancien français
peuvent être affectés par le phénomène de l’enclise, leur dépendance prosodique est moins
grande qu’en français moderne. Les pronoms sujets ne se liaient pas toujours à un mot
adjacent : ils ne formaient pas obligatoirement une unité phonétique complexe avec ce mot
adjacent. Ils n’avaient pas encore le même statut que les pronoms clitiques comme nous les
connaissons actuellement.
Le phénomène de l’enclise n’est pas obligatoire en ancien français, « en chaque cas, il dépend
de la volonté de l’écrivain de l’employer ou de l’éviter »130. En plus, « l’enclise peut être
pratiquée ou non selon les impératifs métriques »131.
3.3.3. Grille d’interprétation
En guise de conclusion, voici un résumé des contextes propices à l’expression et à la non
expression du pronom personnel sujet. Ces points principaux nous aideront à composer une
grille d’analyse pour notre corpus d’ancien français.
- Conditions favorables à l’expression
Le pronom personnel sujet est souvent exprimé …
1) en postposition dans les incises du discours direct. Surtout après un vocatif, un mot
exclamatif ou un impératif, il y a une forte tendance à exprimer le pronom sujet.
2) quand le pronom occupe la position initiale comme seul élément tonique, nous
observons un taux élevé d’expression.
3) quand l’auteur veut souligner le détachement verbal. Nous pouvons dire dans de tels
contextes que le pronom sujet prend alors un relief particulier.
4) plus fréquemment dans les subordonnées de toute nature que dans les principales, où
la position initiale est souvent tenue par un élément tonique.
5) quand il est accentué et se trouve éloigné du verbe (raison d’insistance).
127
Ménard, Philippe, Manuel d’ancien français, p 65. Voir également : Foulet, Lucien, Petite syntaxe de l’ancien
français, p. 158. 128
Moignet, Gérard, Grammaire de l’ancien français, p. 37. 129
Foulet, Lucien, Petite syntaxe de l’ancien français, p. 161. 130
Foulet, Lucien, Op. Cit., p. 159. 131
Buridant, Claude, Grammaire nouvelle de l’ancien français, p. 416.
35
6) quand il se trouve devant un impératif (raison d’insistance).
7) pour remplir la première position de la proposition, au lieu du verbe (raison
d’insistance).
8) quand il figure sans verbe en proposition elliptique.
9) en raison des exigences de la versification.
- Conditions favorables à la non expression
Le pronom personnel sujet est souvent omis …
1) dans des propositions juxtaposées ou coordonnées, où le sujet est identique dans une
suite de verbes.
2) en tête de proposition indépendante quand nous y retrouvons un emploi négatif d’un
noyau de verbes auxiliaires et modaux (comme estre, avoir, devoir, pooir, valoir,
estovoir, laissier et savoir).
3) quand un autre élément qui montre un lien thématique avec le contexte précédent,
occupe la place préverbale. Cet élément peut être un adverbe de liaison, un régime
nominal, un régime objet, ...
4) dans le cas des verbes impersonnels ; vu l’indétermination de la personne, les auteurs
n’ont pas tendance à utiliser ce pronom neutre.
5) dans des énoncés interrogatifs où le pronom se trouverait en postposition.
6) en raison des exigences de la versification.
Le défi qui se présente maintenant est d'analyser les vers du « Voyage de Saint Brendan » en
fonction de cette grille d’interprétation. Nous analyserons le fonctionnement du pronom
personnel sujet dans le microsystème constitué par ce texte littéraire. Nous devons donc
vérifier si les caractéristiques générales du fonctionnement sont conformes à la réalité
langagière observée dans notre corpus.
3.4.Analyse du corpus
3.4.1. Difficultés des sources
Avant de nous lancer dans l’analyse de notre corpus, il faut encore mentionner que
l’illustration du microsystème de l’ancien français qui nous intéresse, s’avère difficile à cause
de certains obstacles. « La difficulté majeure dans cette recherche est d’étudier de façon
détaillée comment une langue ancienne évolue alors qu’on n’a pour témoins que des textes
écrits »132. Cette affirmation montre le caractère double de nos sources : d’une part nous
devons tenir compte du fait qu’il n’y a aucune preuve de la représentativité de la situation
132
Van Acker, Marieke & Van Deyck, Rika, “Comment la morpho-syntaxe romane a-t-elle remplacé la flexion
casuelle du Latin ? Le cas du neutre », 2008, p. 254.
36
linguistique réelle dans ces documents ; d’autre part, ces sources sont les seules manières
d’accès à ces époques. Bref, « […] l’écrit est un témoin incontournable pour rendre compte
des modalités de l’évolution langagière ; l’écarter tronque et fausse la réalité. Il faut toutefois
le manier avec précaution en étant conscient de ce qu’il peut et de ce qu’il ne peut pas
révéler »133. En analysant notre corpus, nous devons donc tenir compte qu’il s’agit d’une
reconstruction partielle d’un état de la langue, et que de tels documents auront toujours un
caractère fragmentaire134.
Cette analyse, qui se base sur la grille d’analyse mentionnée ci-dessus et sur quelques
informations recueillies du livre de Franzén135, parcourra d’abord les quatre formes des
pronoms déictiques (c.-à-d. je, nous, tu, vous) et ensuite les quatre formes des pronoms
anaphoriques (c.-à-d. il, ils, elle, elles). Une conclusion intermédiaire terminera ce chapitre.
133
Van Acker, Marieke & Van Deyck, Rika, “Comment la morpho-syntaxe romane a-t-elle remplacé la flexion
casuelle du Latin ? Le cas du neutre », p. 255. 134
Radtke, Edgar, « Les problèmes liés à la pragmalinguistique historique du français », p. 132. Voir également :
Buridant, Claude, Grammaire nouvelle de l’ancien français, p. 34. & Schultz, Rikke, « Orientations de recherche
pour l’étude évolutive de structure intonatives », pp. 188-189. 135
Franzén, Torsten, Étude sur la syntaxe des pronoms personnels sujets en ancien français.
39
3.4.3. Les pronoms déictiques
a) 1e personne singulier – je
- Variantes morphologiques
Les six formes attestées dans notre corpus sont identiques : dans
toutes les constructions, nous retrouvons la forme jo.
- Analyse de cas d’expression
Dans notre grille d’analyse, nous trouvons une condition d’expression qui doit être examinée
avant les autres : « le pronom personnel sujet est exprimé plus fréquemment dans les
subordonnées de toute nature que dans les principales, où la position initiale est souvent tenue
par un élément tonique ». Pour le pronom personnel je, nous observons trois cas d’expression
dans une subordonnée (à savoir dans une subordonnée complément circonstanciel de temps,
dans une subordonnée complément circonstanciel de condition et dans une subordonnée
relative).
p.ex. Vers (117)-118-119-(120)
ço dist Brandan : «Pur cel (x) vos di Brendan dit : « Je vous le dis
Que de vos (x) voil ainz estre fi parce que je veux être sûr de vous
que jo d’ici vos en meinge avant que je ne vous emmène d’ici
Al repentir puis m’en prenge. » plutôt que de m’en repentir par après ».
Dans les trois autres cas d’expression, le pronom sujet se trouve dans une principale136. Pour
ces trois attestations, nous devons invoquer l’élément d’une mise en relief du pronom sujet.
En exprimant le pronom sujet, l’auteur peut choisir de mettre son sujet en relief, pour des
raisons d’insistance ou des raisons de clarté. Dans notre corpus, il n’est pas toujours facile de
distinguer les cas d’insistance de ceux de clarté. Quand un pronom sujet introduit un nouveau
sujet (p.ex. les vers 583-584), il peut être exprimé pour des raisons d’insistance, afin
d’accentuer que c’est ce sujet, et non pas un autre, qui accomplit l’action. En même temps, le
pronom sujet peut aussi être exprimé pour des raisons de clarté, afin que le lecteur comprenne
bien le changement de sujet. Ces pronoms sujets se trouvent au début du discours direct137,
136
Lors de l’analyse des structures phrastiques de notre corpus, nous avons fait la distinction entre le pronom
personnel sujet qui se trouve dans une principale et celui qui se trouve dans une proposition indépendante. Vu
que, par la suite, nous avons observé que la différence entre ces deux constructions est négligeable en ce qui
concerne leur influence sur le comportement du pronom, nous n’insisterons plus sur cette distinction. 137
Le discours direct, également appelé le discours rapporté selon :
Grevisse, Maurice & Goosse, André, Nouvelle grammaire française, Bruxelles, De Boeck & Larcier, 1995.
40
c’est-à-dire que le narrateur rapporte les paroles d’un personnage. L’emploi de cette figure de
style provoque un changement de sujet dans la même phrase : d’abord (normalement) la
troisième personne du singulier (il, le narrateur), ensuite une autre personne. Dans les phrases
que nous avons observées, il s’agit de la même situation : d’abord la troisième personne du
narrateur, ensuite la première personne de Saint Brendan. L’exemple suivant montre une
construction pareille :
p.ex. Vers (583)-584-(585)-(586)
E il lur a dist : «De vïande Il leur dit : « Je vous procurerai
Jo vus truverai plentét grande ; des vivres en grande abondance ;
Asez averez e sanz custe vous en aurez largement et sans peine
As uitaves de Pentecuste. Jusqu’à l’octave de la Pentecôte.
Un élément remarquable est la position que le pronom sujet occupe par rapport au verbe :
nous n’avons trouvé aucun cas où le pronom sujet jo se trouve directement auprès du verbe.
Les deux sont toujours séparés l’un de l’autre par un autre élément, qui est la plupart du temps
un autre pronom.
- Analyse de cas de non expression
Dans la majorité des 18 cas où le pronom sujet n’est pas exprimé, il s’agit de principales.
Nous avons observé 3 subordonnées (une subordonnée complément circonstanciel de cause
et deux subordonnées relatives) et 15 principales. En ce qui concerne les subordonnées, les
raisons de non expression sont diverses. Au vers 1244, nous trouvons un énoncé interrogatif
où le pronom se trouverait normalement en postposition, condition que nous avons évoquée
dans notre grille d’analyse. Les deux autres subordonnées sont introduites par un élément qui
montre clairement le lien avec le vers précédent (p.ex. vers 772). Cet élément occupe la
position préverbale, ce qui favorise la non expression du pronom.
p. ex. Vers (771) – 772
Dunc dist Brandans : « N’est liu si chers Alors Brendan répondit : « Il n’y a pas de lieu plus agréable
U (x) mansisse si volunters où j’aurais voulu rester plus volontiers. »
p.ex. Vers (1241)-(1242)-1243)-1244
Jesu, chi moz tut le trone Jésus, toi qui fais bouger tout le firmament,
Ja est ta mercit itant bone. Ta pitié est si précieuse.
Jesu, tant es misericors ; Jésus, tu es si miséricoridieux :
Ert nul’ hure que (x) seie fors ? serai-je jamais délivré de mes souffrances ?
41
Pour les principales, nous pouvons observer d’autres contextes qui favorisent l’absence du
pronom. L’emploi négatif du verbe semble en premier lieu une condition importante. La grille
d’analyse nous indique qu’en tête de proposition indépendante, cette négation a beaucoup
d’influence. Dans notre corpus, nous avons observé que la négation peut également avoir son
influence dans d’autres positions dans la phrase. Le mot négatif ne occupe alors la place
préverbale et semble avoir assez d’autonomie, de sorte que le pronom sujet ne s’exprime pas.
p.ex. Vers (1245)-1246-1247-(1248)
Jesu, li nez de Marie Jésus, fils de Marie,
(x) Ne sai si jo mercit crie : je ne sais si je devrais implorer ton pardon :
(x) Ne puis ne n’os, quar tant (x) forfis je ne puis ni n’ose le faire, car j’ai commis
un si grand crime
Que jugemenz de mei est pris. que ma condamnation a déjà été prononcée.
p.ex. Vers 863-864
Ne dutez rien ; ne (x) demurai : N’ayez pas peur ; je ne tarderai pas à revenir.
Quant mesters ert, (x) vus succurrai. Je viendrai vous aider quand il le faudra.
Ensuite, nous avons observé un autre élément qui semble favoriser la non expression du
pronom sujet, à savoir la présence d’un autre pronom. Quand un pronom personnel COD ou
COI occupe la position préverbale, le pronom personnel sujet ne sera probablement pas
exprimé. Nous avons trouvé quelques exemples dans notre corpus de cette construction : sur
les 15 vers où le verbe se trouve dans une principale, nous avons repéré 6 vers dont le verbe
était précédé par un pronom (qui n’est pas le pronom sujet).
p.ex. Vers (431)-(432)-433-434
U puis irez en altre liu Et ensuite vous irez en un autre lieu
U jo en vois e la vus siu. Où je m’en vais moi-même et où je vous suis.
Mult pres d’ici, la (x) vus truverai Tout près d’ici, là je vous [re]trouverai
Asez cunrei (x) vus porterai [et] je vous apporterai des provisions en grande quantité.
Finalement, nous avons encore observé quelques cas où le verbe est précédé par le pronom
démonstratif ço (p.ex. vers 171), ou bien par un adverbe (p.ex. vers 766). L’influence du
pronom démonstratif consiste en l’instauration d’un lien thématique avec le(s) vers
précédent(s). L’adverbe ne semble pas établir un lien pareil, il sert principalement à saturer la
position préverbale.
p.ex. Vers (169)-(170)-171-(172)
Mais petiz ert e mult estreits ; mais ce cours d’eau était petit et très étroit
Del derube veneit tut dreiz. Il venait tout droit de la falaise.
Altres, (x) ço crei, avant cestui Avant Brendan, je crois que personne d’autre
Ne descendit aval cel pui. N’était descendu en bas de ce rocher.
42
p.ex. Vers (765)-766
Il le dublat plus que ne solt ; Il augmenta la quantité au-delà de ce qu’Il avait l’habitude
Bien (x) sai que vus receivre volt je sais (/vois) bien qu’Il désirait vous recevoir
Tenant compte de l’affirmation de Van Deyck, à savoir que la condition la plus importante à
satisfaire dans la proposition est que la zone préverbale comporte un élément (tonique ou
non)138
, nous pouvons en tirer des conclusions claires : si le verbe est précédé par un élément,
l’ancien français tend dans la grande majorité des cas vers la non expression du pronom
personnel sujet.
b) 1e personne pluriel – nous
- Variantes morphologiques
Nous avons trouvé maintes attestations de ce pronom dans notre corpus,
toutes de la même forme morphologique : nus. Sur un total de 46
possibilités d’attestation, la forme nus apparaît 12 fois.
- Analyse de cas d’expression
Avant de commencer la véritable analyse, il faut remarquer que nous devons faire attention à
cette première personne du pluriel139. Le danger repose dans le fait que le pronom personnel
sujet est morphologiquement identique au pronom réfléchi d’un verbe pronominal. Comme
nous ne pouvons pas toujours savoir si un verbe en ancien français était pronominal ou pas,
l’analyse du pronom s’avère difficile. Pour cette raison nous ne classifierons, dans notre
corpus, les verbes comme pronominaux que quand leur correspondant en français moderne est
également pronominal.
En ce qui concerne les cas d’expression, nous avons observé une faible tendance à exprimer
davantage le pronom sujet quand il se trouve dans une subordonnée : sept attestations versus
cinq attestations dans une principale. Une première chose qui nous frappe en regardant les
vers, c’est que le pronom nus se trouve surtout dans des constructions avec des verbes
auxiliaires ou modaux, comme être, avoir, faire, savoir ou devoir. Deuxième chose
138
Van Deyck, Rika, « Le moyen français en général et l’expression du pronom sujet dans la langue de François
Villon en particulier », p. 2.
Remarque : Il en va de même pour la zone prénominale : il y faut un élément qui peut saturer la
position dans ces contours intonatifs stabilisés. 139
C’est également le cas pour la deuxième personne du pluriel, vous.
43
remarquable, c’est le taux élevé d’expression au milieu d’un vers, surtout dans les principales,
quand la particule ne de la négation est exprimée. Pourtant, lors de l’analyse du pronom je,
nous avons observé le cas opposé.
p.ex. Vers (646)-(647)-(648)-649-650
Dist lur l’abes : ‘Retenez vus ! l’abbé leur dit : « Retenez-vous !
Prendre si tost jo vus defent Je vous défends de boire de cette eau pour le moment,
D’ici que (x) avum parlé od gent. avant que nous ayons parlé avec les gens [du pays].
Quel nature nus ne savum Nous ne savons pas quelle est la nature
Aient li duit que (x) trovét avum. » des ruisseaux que nous avons trouvés. »
Il s’avère difficile d’indiquer des règles grammaticales pour l’expression du pronom nous /
nus. Dans les principales, nous avons des pronoms en tête de phrase (ou plutôt, en « tête de
vers »), directement antéposés au verbe (p.ex. vers 717), ou séparés par un autre élément
(p.ex. vers 743). Nous y trouvons également des pronoms au milieu de la phrase, après un
élément qui aurait pu occuper la position préverbale (p.ex. vers 649). En ce qui concerne les
subordonnées, nous observons une variation comparable : des pronoms sujets qui se trouvent
ou bien directement après la conjonction que ou le pronom relatif (p.ex. vers 52), ou bien
séparé par un autre élément (p.ex. vers 746).
Vu la variabilité des possibilités, nous en concluons que l’expression est due ou bien à des
conditions d’insistance (mais certainement pas à cause de l’éloignement du verbe), ou bien à
des exigences de la versification. Le vers 730 est un bel exemple de cette dernière possibilité.
L’adverbe mult peut sans aucun problème saturer la position préverbale. De plus, le pronom
réfléchi au vers 129 indique également de quelle personne il s’agit. Néanmoins, vu que les
vers sont, selon les règles de la versification, des octosyllabes, le pronom sujet est nécessaire
pour atteindre ce nombre de 8 syllabes. Ce vers est, selon nous, une preuve du fait que nous
ne pouvons pas oublier que notre source est un poème, obéissant à certaines règles.
p.ex. Vers (727)-(728)-(729)-730
Quant oïmes en plusurs leus Quand nous entendîmes dire en plusieurs lieux
Que ci maneit Albeus li pius, que le pieux Ailbe demeurait dans cette île,
Par Deu ci (x) nus asemblames nous nous réunîmes ici avec l’aide de Dieu
Pur lui que nus mult amames. pour l’amour de lui, que nous aimions tant.
- Analyse de cas de non expression
Nous avons observé beaucoup plus de cas de non expression dans des principales (22 vers
sans pronom) que dans les subordonnées (11 vers). Une condition favorable à la non-
expression que nous avons mentionnée dans notre grille d’analyse, est affirmée par quelques
44
attestations, à savoir quand nous retrouvons un emploi négatif d’un noyau de verbes
auxiliaires ou modaux, en tête d’une proposition indépendante.
p.ex. Vers (759)-760
Par lui emprent, par lui esteint, la flamme s’allume d’elle-même, et d’elle-même elle
s’éteint
(x) N’avum frere de ço se paint. nous n’avons aucun moine qui s’en occupe.
Dans maints autres cas, le verbe de la proposition indépendante se trouve dans une suite de
verbes, c’est-à-dire que les vers qui le précèdent ou le suivent, ont le même sujet et
l’expriment souvent. Il nous semble qu’une fois le sujet connu, l’auteur ne ressentait plus le
besoin d’exprimer à nouveau un pronom sujet, sauf pour des raisons de versification.
p.ex. Vers 743-(744)-(745)-746
Nus n’i avum nul loreür, Nous n’avons personne qui travaille pour nous,
ne n’i (x) veduns aporteür, nous ne voyons personne apporter quoi que ce soit,
Mais chescun jurn tut prest (x) trovum, mais chaque jour nous trouvons tout prêt,
Sanz ço qu’ailur nus nel ruvum, sans que nous ayons à le demander ailleurs,
Pour les onze subordonnées, il n’y a que trois vers où le verbe conjugué se trouve directement
après la conjonction de subordination ou le pronom relatif (cf. les vers 533, 648 et 727). Dans
tous les autres cas un autre élément s’interpose : parfois une forme verbale, comme le
participe passé (cf. vers 127), parfois un objet ou un pronom. Dans ces cas-ci, l’expression du
pronom sujet est défavorisée, vu que la position préverbale est saturée.
p.ex. Vers 762 – 763
Ainz que vostre venir (x) sousum, Avant [même] que nous apprenions votre arrivée,
Volt Deus qu’a vus (x) cunrei ousum. Dieu a voulu nous fournir des provisions à votre intention.
Avant d’entamer l’analyse d’un autre pronom sujet, arrêtons-nous un instant sur deux vers
parallèles, qui connaissent une autre modalité d’expression. Il s’agit du vers 743 et du vers
760 (cf. voir supra), qui ont la même structure de phrase, à savoir « n’avum » ou « n’i avum »
en tête de la proposition indépendante. Pourtant, le vers 743 exprime son pronom sujet, tandis
que le vers 760 n’a pas de pronom sujet exprimé. De plus, les deux vers se trouvent dans un
monologue (vers 717 jusqu’au vers 770), où le locuteur s’exprime à la première personne du
pluriel. Le sujet est donc connu dans l’énumération des vers. Que devons-nous conclure de
cela ? Nous ne pouvons pas invoquer des raisons d’insistance ou de clarté, vu que le lecteur
connaît le sujet. Il nous semble que c’est à cause des exigences de la versification que l’auteur
exprime ou n’exprime pas le pronom sujet dans ces deux contextes.
45
c) 2e personne singulier – tu
- Variantes morphologiques
La forme morphologique est identique dans les huit attestations, à savoir tu. Au
vers 14, nous rencontrons la forme tul, qui est la jonction du pronom personnel
sujet et du pronom personnel objet direct.
- Analyse de cas d’expression
Pour la deuxième personne du singulier, les cas d’expression dans une subordonnée sont
beaucoup plus nombreux que ceux dans une principale. La condition formulée dans notre
grille d’analyse se voit confirmée par ces constatations : parmi les 7 cas d’attestation, nous
comptons 6 expressions dans une subordonnée. L’expression dans la principale est due à des
raisons d’insistance : le pronom sujet se trouve devant un impératif (cf. vers 14). La plupart
des expressions dans une subordonnée semblent se produire à cause d’une nécessité de
prendre un certain relief par rapport au contexte précédent. Le vers 423 en est un bel
exemple : les vers précédents décrivent une certaine situation et le pronom sujet aide à mieux
comprendre le début d’une nouvelle action, avec un nouvel actant.
p.ex. Vers 14-(15)-(16)
Mais tul defent ne seit gabéth Et certes, (x) protège-le afin qu’on n’aille pas
se moquer de lui
Quant dit que set et fait que peot : quand il dit ce qu’il sait et qu’il fait ce qu’il peut :
Itel servant blasmer n’esteot il ne faut pas blâmer un tel serviteur.
p.ex. Vers (419)-(420)-(421)-(422)-423-424
Respunt lui cil : « N’est merveille : L’autre lui répond : « Ce n’est pas étonnant :
Ja ci n’ert traite öeile ; on ne traira jamais une [seule] brebis ici ;
L’ivers n’en fait raëncune, en hiver il ne fait jamais mauvais,
Ne d’enfertét n’i mort une. et aucune ne meurt de maladie.
A cel isle que tu veis la, Monte à bord de ton bateau, Brendan, et va
Entre en ta nef Brandan, e va. dans cette île que tu vois là-bas.
Nous avons déjà mentionné que le pronom sujet ne s’exprime parfois pas, vu qu’un autre
élément occupe la place préverbale. Évidemment, le cas contraire peut tout aussi bien se
produire : si le verbe se trouve seul après la conjonction de subordination, nous observons une
tendance à exprimer le sujet, afin que cette place préverbale soit saturée.
46
p.ex. Vers (512)-(513)-(514)-515-516-(517)-(518)
Brandan parlat bel e süef : Brendan parla courtoisement et gentiment :
« Si tu es de Deu creature, « Si tu es une créature de Dieu,
De mes diz dunc prenges cure ! sois attentif à mes paroles (/écoute ce que je vais te dire) !
Primes me di que tu seies, Tout d’abord, dis-moi qui tu es,
En cest liu que tu deies, ce que signifie ta présence en ce lieu,
E tu e tuit li altre oisel, la tienne et celle de tous les autres oiseaux,
Pur ço que a mei semblez mult bel. » car vous me semblez si beaux. »
- Analyse de cas de non expression
Pour les cas de non expression, nous devons tenir compte de la valeur expressive du pronom
tu. La deuxième personne du singulier est utilisée pour diriger la parole à l’allocutaire, qui est
la plupart du temps connu dans la conversation. Dans les 10 exemples que nous avons repérés
dans notre corpus, la personne à qui le locuteur s’adresse, est toujours connue, ce qui favorise
selon nous l’omission du pronom sujet. De plus, dans la majorité des cas, le pronom sujet est
exprimé dans les vers qui précèdent ou suivent immédiatement le vers. Dans tous les
exemples, il y a toujours un élément qui précède le verbe, surtout des adverbes de temps ou de
lieu. La présence d’un pronom sujet dans les environs immédiats du vers laisse une liberté
assez grande à l’auteur d’exprimer ou d’omettre le pronom.
p.ex. Vers 774 – 775 – 776 (2x) – 777
Pur quei (x) moüs de ta terre, pourquoi tu as quitté ton pays,
Puis (x) revendras en tun païs, puis tu reviendras chez toi,
Ileoc (x) muras u tu nasquis. [et] tu mourras là où tu es né.
(x) Muveras d’ici la semaine Tu partiras d’ici dans une semaine,
d) 2e personne pluriel – vous
- Variantes morphologiques
Comparé à l’autre pronom déictique au pluriel nous, la 2e personne
s’exprime moins fréquemment. Sur un total de 42 contextes où le
pronom aurait pu apparaître, nous l’avons trouvé exprimé 3 fois. La variation morphologique
est minime : dans les 7 attestations, nous retrouvons à chaque fois la forme vus.
47
- Analyse de cas d’expression
L’unique attestation du pronom sujet qui remplit la première position dans la proposition
indépendante, semble s’expliquer par des raisons de mise en relief, vu que le pronom se
trouve au début du discours direct. Cette figure de style provoque un changement de sujet
dans la même phrase : d’abord (normalement) la troisième personne du singulier (il, le
narrateur), ensuite une autre personne. Le changement de sujet favorise l’expression du
pronom, afin d’indiquer clairement le nouveau sujet.
Vers (339)-340
Dist lu rabes : « Prïez pur lui ; L’abbé dit aux moines : « Priez pour lui
Vus le verrez murrir encui » [car] aujourd’hui même vous le verrez mourir ».
Dans les deux autres cas d’expression du pronom, il s’agit de subordonnées. D’une part, nous
avons trouvé une subordonnée relative, où le pronom occupe la position préverbale, et où il
semble donc exprimé afin de saturer cette place. Les exigences de la versification peuvent
aussi avoir influencé ce choix. D’autre part, nous avons observé une subordonnée qui
fonctionne comme complément d’objet direct. L’explication pour l’expression du pronom
nous semble être une raison d’insistance, vu qu’il y a trois autres éléments qui occupent la
position préverbale. Le détachement verbal paraît favoriser la mise en relief du pronom.
Vers (359)-360
Puis lu rat dist : ‘Soür sëez, Ensuite il leur dit : « Ayez confiance,
Quelque peril que vus veiez quel que soit le péril que vous voyiez.
Vers (365)-366-(367)-(368)
E de cunrei nen esmaëz Quant aux provisions, ne craignez pas
Que vus ici asez n’en aiez : d’en manquer ici :
Ne frat faile desqu’en vendrez elles ne viendront pas à manquer jusqu’à ce que vous
arriverez
En tel leu u plus prendrez. » en un lieu tel où vous en prendrez d’autres ».
- Analyse de cas de non expression
Comme nous l’avons déjà mentionné, le taux de non expression du pronom est beaucoup plus
élevé que celui d’expression. Dans 27 principales, nous avons constaté l’absence du pronom,
de même que dans 15 subordonnées. Commençons par l’analyse des principales. Les pronoms
se trouvent tous dans le discours direct, dans un monologue d’un certain personnage. La
probabilité d’expression du pronom paraît dépendre de la présence d’un autre pronom sujet
dans les alentours du vers concerné, ou même d’un élément qui peut indiquer de quelle
personne il s’agit dans le discours. Un discours direct qui est introduit par « il dist »
48
comportera plus fréquemment un pronom sujet qu’un discours introduit par « il lur dist », vu
que ce dernier comporte plus d’informations à propos du sujet. Ceci explique l’attestation de
deux vers où le verbe conjugué se trouve en tête de la proposition, sans qu’aucun élément ne
le précède.
p.ex. Vers (873)-(874)-(875)-876-(877)-(878)
« Seignurs », ço dist, « a cest sujurn « Seignurs », dit l’oiseau, « vous reviendrez sur cette île
Tuz cez set anz freiz vostre turn. chaque année durant sept ans,
Chascun an al Naël Deu et chaque année à Noël
(x) Sujurnerez en l’isle Albeu ; vous irez séjourner sur l’île d’Ailbe.
La ceine freiz e le mandét Vous célébrerez la communion de Pâques et le lavement
des pieds
U vostre hoste l’at cumandét. là où votre hôte l’a prescrit.
p.ex. Vers (987)-(988)-(989)-990
Dunc dist Brandans : « Veiez, frere, « Voyez, seigneurs », dit Brandan,
Ki enemis ainz vos ere « celui qui vous a attaqués naguère
Or nus succurt par Deu grace : nous porte maintenant secours par la grâce de Dieu :
(x) Mangerez en grant espace. Vous aurez à manger pour longtemps.
Pour les autres exemples, nous trouvons partout des éléments qui saturent la position
préverbale, de nature différente : des pronoms démonstratifs (p.ex. vers 363), des adverbes de
temps (p.ex. vers 588), des adverbes de manière (p.ex. vers 428), des pronoms indéfinis de
quantité (p.ex. vers 549), etcétéra. Nous avons également un bel exemple de la deuxième
condition mentionnée dans notre grille d’analyse : quand nous avons un verbe auxiliaire ou
modal dans une négation en tête de proposition, la non expression du pronom est favorisée :
Vers (1115)-(1116)-1117-(1118)
E dist lur : « Bien sachez et leur dit : « Sachez bien
Que a enfern (x) estes cachez. que vous êtes propulsés vers l’enfer.
(x) N’oustes mester unc mais si grant Jamais vous n’avez eu si grand besoin
Cum or avez de Deu guarant. » de la protection de Dieu qu’en ce moment. »
Vu la grande quantité de verbes conjugués à la deuxième personne du pluriel, nous avons
également des cas où il y a des propositions juxtaposées ou coordonnées (comme nous
l’indique la grille d’analyse), où le sujet est identique dans une suite de verbes. Dans ces cas-
là, nous pensons que l’auteur préfère ne pas exprimer le pronom sujet quand le contexte
fournit assez d’informations. À nouveau, il faut faire la remarque que des exigences de la
versification peuvent changer cette règle.
49
p.ex. Vers (473)-(474)-475-476
Pur ço vus volt Deus ci mener Dieu voulait vous amener ici pour
Que il vus voleit plus asener : vous donner encore une leçon :
Ses merveilles cum plus (x) verrez, plus vous verrez de ses merveilles,
En lui puis mult mielz (x) crerrez. plus vous croirez plus fermement en Lui par la suite.
En ce qui concerne les subordonnées, nous avons observé en grandes lignes les mêmes
conditions que pour les principales, à savoir l’absence du pronom dans une suite de verbes.
Quand dans un ensemble de vers qui forment un tout, le pronom se trouve déjà exprimé, les
autres vers ne contiennent la plupart du temps pas de pronom sujet. De plus, si un autre
élément occupe la position préverbale, il semble que la probabilité d’expression du pronom
sujet diminue davantage.
p.ex. Vers (563)-(564)-(565)-566
Dunc dist le abes : « Avez oïd Alors l’abbé parla : « Avez-vous entendu
Cum cist angele nus unt goïd ? la belle façon dont ces anges nous ont accueillis ?
Loëz Deu e gracïez, Louez Dieu et rendez-Lui grâces,
Plus vus aimet que (x) ne quïez ! » [car] Il vous aime plus que vous ne le pensez ! »
Dans cet exemple-ci, nous observons les deux conditions qui semblent favoriser la non
expression du pronom sujet : d’une part, le pronom complément objet direct qui est exprimé
dans la première partie du vers indique déjà de quelle personne il s’agit dans la deuxième
partie, et d’autre part, la particule ne de la négation occupe la position préverbale.
Nous pouvons faire les mêmes constatations : dans un enchaînement de vers, le pronom ne
sera probablement pas exprimé s’il est déjà exprimé quelque part d’autre ou s’il y a assez
d’information dans le contexte qui permet de récupérer le sujet. Si le pronom est quand même
exprimé deux fois de suite (p.ex. le vers 361 et 366), cela est dû, selon nous, ou bien à des
raisons d’insistance, ou bien à cause d’exigences de la versification.
3.4.4. Les pronoms anaphoriques
a) 3e personne singulier masculin – il
- Variantes morphologiques
Pour cette personne, nous retrouvons surtout la forme la plus fréquente, à
savoir il. Dans 22 des 25 attestations, l’auteur a utilisé cette forme. Dans les
trois autres cas, l’auteur se sert d’autres pronoms. Vu qu’il s’agit ici de
50
pronoms anaphoriques, l’emploi de pronoms démonstratifs ne surprend pas140. Évidemment, il
est difficile de dire si ces formes sont des pronoms sujets avec une valeur d’expression
renforcée grâce à l’emploi du démonstratif, ou si ce sont tout simplement des pronoms
démonstratifs. Néanmoins, nous avons observé une forte tendance à utiliser d’une part un
pronom démonstratif au début du vers (vu son début consonantique), et à utiliser un pronom
personnel sujet au milieu de la phrase (vu son début vocalique) d’autre part. En ce qui
concerne les pronoms démonstratifs utilisés dans notre corpus, nous avons observé 2
variantes : cil et chil.
- Analyse de cas d’expression
Le fait que nous ayons beaucoup plus d’attestations de pronoms anaphoriques, en
comparaison avec les pronoms déictiques, s’explique facilement par la nature de notre corpus.
Vu que la grande majorité de ce texte littéraire se compose de descriptions d’aventures,
l’attestation élevée de pronoms anaphoriques ne nous étonne pas.
Comme pour les autres pronoms, l’attestation du pronom il est plus fréquente dans une
subordonnée que dans une principale (14 attestations versus 11 attestations). Pour les
principales, nous avons repéré quelques caractéristiques remarquables. En premier lieu, nous
observons une tendance à exprimer le pronom sujet dans une introduction à un monologue (de
type il dist, il lur a dist, etc.), mais à deux conditions : ni la partie qui précède cette
introduction, ni la partie qui suit, ne peuvent contenir de références claires au pronom sujet il.
Le vers 545 en est un bel exemple : le vers introduit un monologue, et suit une partie où le
sujet est d’abord nous et ensuite tu :
p.ex. Vers (539)-(540)-(541)-(542)-(543)-(544)-545-(546)-(547)-(548)
Mal nen avum fors su litant : Nous n’avons pas d’autre punition que celle-ci :
La majestéd sumes perdant, nous sommes privés de la majesté [de Dieu],
La presence de la glorie, de la présence de Sa gloire
E devant Deu la baldorie. Et de la joie d’être devant Lui.
Le num del leu que tu quesis Cet endroit, dont tu demandais le nom,
C’est as Oiseus li Paraïs. » c’est le paradis des Oiseaux. »
E il lur dist : « Or ad un an Et il leur dit : « Il y a maintenant un an
Que avez suffert de mer le han ; que vous souffrez les épreuves de la mer
Arere sunt uncore sis il vous reste encore six ans [de voyage]
Ainz que vengez en paraïs avant que vous arriviez au paradis.
140
« Comme sujet, le démonstratif ce paraît plus fréquent que il ». Cf. Moignet, Gérard, Grammaire de l’ancien
français, p. 145.
51
Dans ces cas, nous pouvons également dire que le pronom sujet prend un relief particulier, et
que l’auteur voulait probablement exprimer le pronom pour des raisons de clarté : c’est une
forme de structuration du texte, afin que le lecteur comprenne le changement de sujets.
Ensuite, un autre élément qui nous frappe dans les principales, est le nombre de pronoms
sujets qui se trouve en tête de la phrase, en position préverbale ou séparé du verbe par un autre
pronom. Dans 7 des 11 attestations, nous trouvons une telle construction, les pronoms
démonstratifs (cf. supra) inclus. En regardant ces constructions de plus près, il nous semble
que les pronoms sujets y sont exprimés par une certaine nécessité : ou bien le sujet dans les
vers précédents était différent (p.ex. vers 195, les vers précédents ont le pronom nous comme
sujet), ou bien l’auteur introduit une nouvelle information qui demande la répétition du
pronom sujet (p.ex. vers 395, insistance sur Jésus-Christ). Ce dernier argument est difficile à
défendre, mais vu que nous avons observé une tendance à exprimer le pronom sujet s’il réfère
à Dieu ou à Jésus-Christ (p.ex. vers 473-474, vers 962), nous pensons que cela pourrait
justifier l’expression d’un pronom personnel sujet dans ce contexte-ci.
p.ex. Vers (191)-(192)-(193)-(194)-195
« De ton muster sumes meüd « Nous sommes partis de ton monastère
E desque ci t’avum seüd ; et nous t’avons suivi jusqu’ici ;
Lai nus, abes, a tei entrer permets-nous, abbé, de nous embarquer avec toi
E od tei, donz, par mer errer. » e de parcourir, seigneur, la mer avec toi. »
Il les cunut e sis receit. Brendan les reconnut et les accueillit.
p.ex. Vers (391)-(392)-(393)-(394)-395-(396)-(397)
Dist lur l’abes : « Seignurs, d’ici L’abbé lur dit : « Seigneurs, nous ne
Ne nus muverum devant terz di. repartirons d’ici avant trois jours.
Jusdi est oi de la ceine, C’est aujourd’hui le jeudi de la Cène,
Cum li Filz Deu suffrit peine ; où nous commémorons les souffrances du Fils de Dieu ;
Il nus est douz e prest amis Il est pour nous un ami doux et empressé
Qui prestement nus ad tramis qui nous a promptement envoyé
Dunt poüm la feste faire. de quoi célébrer la fête.
Pour les subordonnées, d’autres éléments sautent aux yeux. Nous avons, par exemple, certains
cas (à savoir dans 6 des 14 attestations) où le pronom sujet occupe la position préverbale, dans
un contexte où le sujet est déjà connu. Dans une situation pareille, il nous semble que le
pronom sujet est exprimé afin de saturer cette place préverbale.
p.ex. Vers (309)-(310)-311-312
Cum endormit furent trestuit, Lorsqu’ils furent tous endormis,
Ast vos Sathan qui l’un seduit : voilà que Satan se mit à tenter l’un [d’eux] :
(x) Mist l’en talent prendre an emblét il lui inspira l’envie de prendre en secret
De l’or qu’il vit la ensemblét. une partie de l’or qu’il voyait accumulé là.
52
En guise de conclusion de cette partie à propos de l’expression, nous devons encore faire une
remarque importante : le fait que, dans les subordonnées, nous ayons observé tant des formes
« qu’il » que des formes « que il », nous fait comprendre que l’auteur est conscient de son
choix d’expression de pronom. Vu que cela ne cause pas de différences pour les règles de la
versification, ce choix entre les deux formes nous semble la preuve que l’auteur est au courant
que certaines constructions syntaxiques favorisent ou défavorisent l’expression du pronom
sujet.
- Analyse de cas de non expression
La première chose que nous apercevons pour la non expression du pronom sujet il, c’est
l’énorme quantité de principales où le pronom est absent, en comparaison avec les
subordonnées. Plus de trois quarts de tous les vers où le pronom manque, sont des principales.
La condition insérée dans notre grille d’analyse à propos de la favorisation d’expression du
pronom sujet dans les subordonnées, se trouve donc confirmée dans notre corpus.
Pour les principales, nous avons observé trois caractéristiques qui semblent favoriser
l’absence du pronom sujet. Il s’agit en premier lieu de propositions juxtaposées ou
coordonnées, où le sujet est identique dans une suite de verbes. Si le contexte permet de
repérer les informations nécessaires à propos du sujet, le pronom sujet ne sera normalement
pas exprimé.
p.ex. Vers (14)-15-(16)
Mais tul defent ne seit gabéth Et certes, protège-le afin qu’on n’aille pas se
moquer de lui.
quant (x) dit que (x) set e (x) fait que (x) peot : quand il dit ce qu’il sait et qu’il fait ce qu’il peut :
Itel servant blasmer n’esteot. il ne faut pas blâmer un tel serviteur.
p.ex. Vers (1119)-1120-(1121)-1122)
Brandans ad fait sur eals la cruz. Brendan fit sur eux le signe de la croix.
Bien (x) set, pres (x) est d’enfern li puz : Il sait bien qu’il est [tout] près du puits de l’enfer :
Cum plus pres sunt, plus veient mal, Plus ils se rapprochent, plus ils voient le mal
Plus tenebrus trovent le val. plus la vallée leur apparaît plongée dans
l’obscurité.
En deuxième lieu, nous observons la tendance à ne pas exprimer le pronom dans une incise,
ou dans une principale introductive à un monologue. Nous avons mentionné plus haut que le
pronom était exprimé sous deux conditions dans de telles constructions. Si ces deux
conditions ne sont pas respectées, à savoir que le contexte autour du vers concerné contient
53
quand même de l’information claire à propos du sujet, le pronom ne sera probablement pas
exprimé.
p.ex. Vers (857)-858-859
Ast lur hostre chi tent un tref : Voici leur hôte qui dresse un pavillon :
Cunreid (x) portet pleine sa nef. il leur avait amené un plein bateau de provisions.
(x) Dist lur : ‘Ci streiz del tens un poi. Il leur dit : « Vous resterez ici quelques temps.
En dernier lieu, il s’agit d’une caractéristique que nous avons déjà mentionnée pour tous les
pronoms. Si un autre élément que le pronom sujet sature la position préverbale, nous avons
observé une tendance à ne pas exprimer le pronom sujet. Ces « autres éléments » sont de
nature diverse : des adverbes de manière (p.ex. vers 1095), des objets directs (p.ex. vers 59),
des pronoms objets directs (p.ex. vers 177) ou indirects (p.ex. vers 359), des pronoms
démonstratifs (p.ex. vers 412), etcétéra. Maints exemples dans notre corpus confirment cette
tendance :
p.ex. Vers (1093)-(1094)-1095-1096
Un chaliz mult festival L’abbé emporte un magnifique calice
Prent l’abes tut de cristal ; tout en cristal.
Bien (x) set de Deu ne resortet, Il est certain de ne pas se détourner de Dieu en le prenant,
Pur servir l’en quant (x) le portet. puisqu’il le destine à l’office divin.
p.ex. Vers (409)-(410)-(411)-412-(413)
Pain lur portet de sun païs : Il leur apporte du pain sans levain de son pays,
Grant e mult blanz guasteus alis ; en forme de grosses miches très blanches ;
E si lur falt nule rien, et s’il leur manque quelque chose,
Tut (x) lur truverat, ço (x) promet bien. il leur trouvera tout : cela il le promet bien.
L’este d’iloc l’abes anquist. L’abbé se renseigna sur la nature du lieu.
Finalement, il faut tenir compte de la versification qui peut aussi avoir son influence : le
pronom sujet peut être utilisé afin d’aboutir au total de huit syllabes par vers.
Les caractéristiques de la non expression dans les subordonnées peuvent être résumées, selon
nous, en deux grandes lignes. D’une part, il faut tenir compte de la structure de la principale à
laquelle le verbe se trouve subordonné. Si la principale, ou le contexte autour de cette
principale, contient assez d’information à propos du sujet, il semble que le pronom ne sera pas
exprimé dans la subordonnée. Afin d’analyser les conditions d’expression ou de non
expression d’un pronom sujet, il faut donc absolument aussi analyser le contexte, à savoir les
vers qui se trouvent autour du pronom sujet.
54
p.ex. Vers (763)-(764)-765-766
Ainz que vostre venir sousum, Avant [même] que nous apprenions votre arrivée,
Volt Deus qu’a vus cunrei ousum. Dieu a voulu nous fournir des provisions à votre intention.
Il le dublat plus que (x) ne solt ; Il augmenta la quantité au-delà de ce qu’Il avait l’habitude ;
Bien sai que (x) vus receivre volt. je sais bien qu’Il désirait vous recevoir.
D’autre part, les éléments qui se trouvent entre la conjonction de subordination (ou le pronom
relatif) et le verbe conjugué, peuvent aussi influencer le choix d’expression. Nous avons
l’impression que cet élément de saturation de la place préverbale revient dans tous les
contextes syntaxiques – tant dans les principales que dans les subordonnées. Nous avons déjà
énuméré à plusieurs reprises (cf. supra) la nature des différents éléments qui peuvent occuper
cette position préverbale. Nous ne les répéterons plus, mais voici quelques exemples qui
peuvent illustrer cette caractéristique :
p.ex. Vers (47)-48-49 :
Mais de une rien (x) li prist talent Mais il lui prit le désir d’une chose
dunt Deu prïer (x) prent plus suvent pour laquelle il se mit à prier Dieu plus souvent
Que (x) lui mustrast cel paraïs [à savoir] qu’Il lui montre le paradis
p.ex. Vers (1095)-1096
Bien (x) set de Deu ne resortet, Il est certain de ne pas se détourner de Dieu en le prenant,
Pur servir l’en quant (x) le portet. puisqu’il le destine à l’office divin.
En guise de conclusion de ce chapitre à propos du pronom sujet il, nous pouvons dire qu’il
paraît que les pronoms anaphoriques se comportent de manière légèrement différente des
déictiques. Ils sont surtout utilisés pour des raisons d’insistance ou de clarté, afin d’indiquer la
mise en relief du sujet dans le texte. En plus, nous ne pouvons pas oublier que le caractère du
texte peut également influencer cette tendance.
b) 3e personne pluriel masculin – ils
- Variantes morphologiques
Comme nous l’avons déjà mentionné, vu le sujet et l’histoire de notre corpus, il
n’est pas étonnant que notre corpus contienne beaucoup plus de pronoms
anaphoriques que de pronoms déictiques, tant au singulier qu’au pluriel.
Pour la troisième personne du pluriel, le pronom aurait pu être exprimé en 191 cas. Sur ce
total, nous ne l’avons rencontré que 19 fois, sous trois variantes morphologiques : il, cil et icil.
Vu que nous avons déjà parlé de l’apparition de pronoms démonstratifs lors de l’analyse de la
troisième personne du singulier, nous n’insisterons plus ici.
55
- Analyse de cas d’expression
Pour ce pronom, la quatrième condition de notre grille d’analyse est à nouveau affirmée : le
pronom sujet est plus souvent exprimé dans une subordonnée (15 attestations) que dans une
principale (4 attestations). De plus, sur ces quatre attestations, il n’y a que deux attestations
« classiques », vu que les deux autres ont des pronoms démonstratifs comme pronom sujet.
Dans les deux « véritables attestations », il nous semble que le pronom sujet est exprimé pour
des raisons de versification. Vu que le contexte qui précède les deux vers donne assez
d’informations, une mise en relief du sujet paraît illogique. L’éloignement du verbe ne peut
pas être un argument, vu qu’il n’y a qu’un élément qui sépare le pronom sujet du verbe
conjugué. Tenant compte de ces facteurs, nous pensons que l’expression de ces pronoms est
due aux exigences de la versification.
p.ex. Vers (807)-(808)-(809)-810
Tant em pristrent puis a celét en cachette ils en absorbèrent tant
Pur quei furent fol apelét, qu’ils méritèrent d’être traités d’insensés,
Quar li sumnes lur cureit sus car le sommeil les gagna,
Dum il dormant giseient jus. et ils s’étendirent sur le sol.
p.ex. Vers 1194-1195-1196
Tel (x) nen out en tut lur eire. durant tout leur voyage, ils n’avaient jamais
rien vu de pareil.
Pur quel chose il ne sourent, Sans qu’ils ne sachent pourquoi,
Salt en l’uns fors ; puis (x) ne l’ourent. un des moines sauta par-dessus bord,
ensuite ils ne le retrouvèrent plus.
Quand nous passons à l’analyse des subordonnées, nous voyons apparaître d’autres
caractéristiques. Les pronoms sujets dans les subordonnées se trouvent tous en position
préverbale, directement antéposés au verbe, à l’exception de deux phrases, où le pronom
conjoint y / i s’interpose. Nous sommes d’avis que ce pronom conjoint n’est pas capable de
saturer la position préverbale, de sorte que nous pouvons dire que tous les pronoms sujets
attestés dans des subordonnées, sont directement antéposés au verbe. La condition principale
de l’expression de ces pronoms nous semble donc la saturation de la position préverbale.
p.ex. Vers (445)-(446)-447-448-449-(450)
Puis que unt tut fait lur servise Après avoir célébré tout leur office
En la nef cum en eglise, sur le bateau comme dans une église,
Charn de la nef qu’il i mistrent, ils débarquèrent alors de la viande
Pur quire la dunc (x) la pristrent qu’ils avaient chargée à bord, pour la faire cuire.
De la busche (x) en vunt quere Ils s’en vont chercher du bois
Dunt le manger funt a terre. et préparent le repas sur la terre ferme.
56
Évidemment, il y a également des cas où le pronom sujet est exprimé pour des raisons
d’insistance ou de clarté. Mais vu que nous ne connaissons pas toujours l’intention initiale de
l’auteur (qui mettait à l’époque peut-être d’autres accents que nous aujourd’hui), il est
difficile d’expliquer en détail cette condition. L’élément qui nous a convaincue d’opter pour
la condition de la saturation de la place préverbale, est sans doute la comparaison avec les cas
de non expression : les différences sont frappantes.
- Analyse de cas de non expression
Quand nous comparons les cas d’expression avec les cas de non expression, deux choses nous
sautent immédiatement aux yeux. En premier lieu, nous observons beaucoup plus de
principales où le pronom manque, que de subordonnées : sur un total de 172 cas de non
expression, nous avons repéré 155 principales. La condition que nous avons déjà mentionnée
plus haut, se voit à nouveau confirmée. Deuxième élément que nous avons remarqué en
analysant en détail notre corpus, c’est l’annulation partielle de la condition de saturation de la
place préverbale par un pronom sujet. En termes plus concrets, nous avons observé que dans
les cas de non expression, il y a presque toujours un autre élément (qui n’est pas le pronom
sujet) qui occupe la position préverbale.
p.ex. Vers (301)-(302)-(303)-(304)-305-306
Cil aportent asez cunrei, Les moines apportent assez de provisions,
E n’en prestrent a nul desrei ; sans en prendre à l’excès (/trop) ;
Tant mangerent cum lur plout, ils mangèrent tant qu’il leur plut (/à leur faim),
E cum idunc lur en estout. Juste ce qu’il leur fallait dans cette circonstance.
De Deu loër (x) ne se ublïent Ils n’oublient pas de louer Dieu
Mais sa merci mult (x) la crïent. mais [au contraire] ils implorent sa grâce avec ferveur.
p.ex. Vers 599-(600)-601-602
Asez (x) en unt a remüers Ils en ont suffisamment en réserve
Que estre puisset lur baz enters. pour que leur bateau puisse être mis en état
de prendre la mer.
E bien de tut (x) se guarnissent Ils se ravitaillent bien de tout
Pur defalte (x) ne perisent. afin de ne pas périr par manque de provisions.
Dans les cas où un élément préverbal manque, nous devons recourir à une autre explication.
Dans la plupart de ces cas, il s’agit d’un ensemble de vers, où le sujet est identique dans une
suite de verbes.
p.ex. Vers 209-210
(x) Drechent le mast, (x) tendent le veil Ils dressent le mât, tendent la voile
(x) Vunt s’en a plain li Deu fetheil. les fidèles de Dieu s’en vont sans tarder.
57
p.ex. Vers 265-266
(x) Ferment la nef, eisent s’en tuit Ils attachent le bateau et descendent tous à terre
(x)Vunt la veie qui bien les duit. [puis] (x) suivent le chemin qui les conduit où il faut.
Ce que nous avons déjà mentionné pour d’autres pronoms, semble également être valable
pour le ils anaphorique : si l’auteur est d’avis que le lecteur a reçu ou recevra assez
d’informations à propos du sujet dans le contexte (c.-à-d. dans les vers précédents ou
suivants), il optera probablement pour la non expression du sujet. Vu que le pronom sujet
n’est pas encore obligatoire dans la syntaxe, il nous semble que l’auteur juge une expression
d’un pronom – sans qu’il apporte quelque chose à l’information de la proposition – comme
superflue et contingente.
c) 3e personne singulier féminin – elle
- Variantes morphologiques
Les pronoms féminins de la troisième personne
connaissent un taux très bas d’apparition dans notre
corpus, mais cela s’explique facilement. Vu que les
personnages du texte sont tous des hommes, les seules attestations de formes féminines se
font par référence à des choses inhumaines, comme « la bête » ou « la tempête » par exemple.
Pourtant, nous ne pouvons pas être certaine du genre des mots en ancien français. La seule
attestation dans tout notre corpus se fait sous la forme il, référant à « une bête » ou « un
serpent marin ». Nous nous abstenons de formuler des conclusions à propos de cette
problématique, vu que notre corpus ne nous le permet pas. Les analyses suivantes se font dans
la conception que le référent est féminin. Si nous nous sommes trompée, et cela à cause des
restrictions que notre corpus nous impose, ces analyses valent quand même pour le pronom
masculin il.
- Analyse de cas d’expression
Dans tout notre corpus nous n’avons trouvé qu’une attestation de ce pronom, dans une
subordonnée relative. Vu que le pronom se trouve entre la conjonction de subordination et le
verbe conjugué, nous supposons que le pronom est exprimé pour saturer la position
préverbale.
58
Vers (913)-(914)-915-916
Peril n’i oust fors sul de denz, Même si la bête n’avait été redoutable que par ses dents,
Sil fuïssent mil e cinc cenz. [rien qu’à les voir] quinze cent hommes auraient pris la
fuite.
Sur les undes que il muveit, Pour obtenir une grande tempête, il ne fallait pas plus
Pur grant turment plus n’estuveit. que les vagues qu’elle soulevait.
- Analyse de cas de non expression
Dans la totalité des vers où le pronom est absent, les principales (13 cas) sont plus
nombreuses que les subordonnées (2 cas). Pour ces dernières, nous avons d’une part une
subordonnée complément circonstanciel de conséquence, où la position préverbale est
occupée par un pronom d’objet direct (cf. 950), et d’autre part une subordonnée de lieu sans
élément préverbal (cf. vers 1157). Mais vu que ce dernier vers se trouve dans une énumération
de caractéristiques du sujet (une « bête de la mer »), nous pensons que l’auteur a jugé
l’expression du pronom sujet comme superflue. Pour les principales, deux vers nous
surprennent :
p.ex. Vers 931-932
Ceste cunuit sa guarrere ; La première bête reconnaît son ennemie,
(x) Guerpit la nef, (x) traist s’arere. elle se détourne du bateau et recule.
p.ex. Vers (951)-952
E puis que fist la venjance, Ayant ainsi accompli sa vengeance,
(x) Realat a sa remanance. elle regagna son repaire.
L’élément qui nous surprend, c’est que le verbe se trouve en position initiale du vers, et
qu’une telle construction est rare dans notre corpus du pronom elle. Les autres principales ont
toutes un élément qui occupe la position préverbale, qui peut être de nature différente : un
adverbe de manière ou de lieu, un objet (direct ou indirect), un pronom, etcétéra.
d) 3e personne pluriel féminin – elles
- Variantes morphologiques
Pour le féminin pluriel de cette 3e personne, nous avons
rencontré les mêmes problèmes qu’au singulier : vu l’absence de
personnages féminins dans Le voyage de Saint Brendan, les référents qui pourraient être
exprimés par le pronom elles sont tous inhumains. Nous n’avons donc pas la possibilité, à
cause des restrictions imposées par notre corpus, d’analyser ce pronom comme il faut.
59
- Analyse de cas d’expression
Dans la totalité de vers examinés, nous n’avons trouvé nulle part un pronom qui pourrait être
l’équivalent de elles.
- Analyse de cas de non expression
Les six vers où le pronom elles aurait pu être exprimé, sont tous des principales. À l’exception
du vers 934, tous les vers ont un élément qui occupe la position préverbale, qui peut être de
nature diverse. Nous avons donc une situation comparable à celle du pronom féminin
singulier elle. Les vers se trouvent dans une suite de verbes, à savoir dans une description.
Comme nous l’avons déjà mentionné, nous pensons que l’auteur évitait d’exprimer le pronom
sujet si les informations fournies par le contexte suffisaient pour comprendre de quelle
personne il s’agissait.
3.4.5. Pronom en développement : on
Ce pronom ne figure pas dans notre schéma de récapitulation, et n’est presque pas traité dans
les grammaires historiques. Pourtant, nous avons observé quelques cas dans notre corpus où
l’utilisation du substantif l’homme s’approche de l’emploi comme pronom personnel sujet.
Les trois variantes que nous avons rencontrées dans notre corpus sont hoem, hom et (l’)um.
Vu qu’il s’agit d’un pronom sujet en développement – il s’approche davantage du substantif
que du pronom – il s’avère difficile de dire s’il y a des cas de non expression. Dans les cas où
le pronom aurait pu être exprimé, le contexte fournit normalement assez d’informations afin
que le lecteur puisse comprendre de quelle personne il s’agit. Il nous semble utile de
mentionner cette tendance, mais vu que les grammaires ne nous fournissent pas vraiment de
base théorique pour ce pronom141, nous n’insisterons plus.
p.ex. Vers (241)-(242)-243
Cum lur avient li granz busuinz, Quand ils sont dans le [plus] grand besoin,
A ses fetheilz Deus n’est luinz : Dieu n’est pas loin de ses fidèles :
Puroc ne deit hoem mescreire. c’est la raison pour laquelle on ne doit pas
manquer de foi.
141
Nous retrouvons quelques informations sommaires chez Moignet :
« Le pronom on, l’on (l’en) est, à l’origine, le cas sujet du substantif signifiant « homme ». Il devient assez tôt –
vers le XIe siècle – le pronom de la personne sujet indéterminée ». Cf. Moignet, Gérard, Grammaire de l’ancien
français, p. 146.
60
p.ex. Vers 953-(954)-(955)-(956)-(957)-(958)
Ne deit hom mais desesperer, Quand on voit Dieu si prompt
Ainz deit sa fait plus averer à fournir nourriture et vêtement,
Quant veit que Deus si prestement à porter secours à ceux qui sont en grand danger,
Vivere trovet e vestement, et à les arracher aux griffes de la mort,
E tanz succurs en perilz forz on ne doit jamais désespérer,
E estorses de tantes morz. mais plutôt raffermir sa foi.
3.5.Conclusion intermédiaire
En analysant le fonctionnement des différents pronoms personnels sujets dans notre corpus,
nous avons pu repérer quelques caractéristiques représentatives pour le microsystème du texte
littéraire que nous avons examiné. Même si nous inclinons à penser qu’elles représentent le
système du pronom personnel sujet en ancien français, il est dangereux de faire de telles
conclusions. Nous ne pouvons pas oublier que nous n’avons examiné qu’un segment du
diasystème de l’ancien français, et que, par conséquent, une généralisation globale ne se
justifie pas.
En premier lieu, nous avons constaté un taux d’expression plus élevé dans les subordonnées
que dans les principales. Cette constatation, que la grille d’analyse nous a également indiquée,
est valable pour tous nos pronoms sujets. En deuxième lieu, il semble que la saturation de la
position préverbale est la raison la plus importante de l’expression du pronom sujet. Nous
avons observé à plusieurs reprises que la non expression du pronom sujet est favorisée quand
un autre élément occupe cette position préverbale.
Ensuite, l’auteur peut également choisir d’exprimer le pronom sujet pour des raisons de mise
en relief. Cette mise en relief fonctionne de deux manières. D’une part, il peut s’agir de
raisons d’insistance, afin que le lecteur soit conscient que c’est bien ce sujet-là qui accomplit
l’action. D’autre part, l’auteur peut invoquer des raisons de clarté, afin que le lecteur puisse
suivre sans problèmes les changements de sujets. Cette troisième caractéristique devient
particulièrement claire lors d’un discours direct (p.ex. Il dist : « Jo…), vu le changement
presque obligatoire de sujet.
Une quatrième caractéristique concerne la non expression du pronom sujet dans une suite de
verbes. Lors d’une énumération d’actions par différents verbes, le pronom sujet est presque
toujours omis. Si le contexte autour de cette énumération donne assez d’informations à propos
61
du sujet, l’auteur sera enclin à ne pas exprimer le pronom sujet. Cette information peut être
apportée par un autre pronom sujet, mais également par un pronom complément d’objet
direct, par un vocatif, etcétéra. Si le lecteur a reçu assez d’informations, l’expression du
pronom sujet sera probablement considérée comme superflue.
Comme cinquième et dernière caractéristique, nous voulons insister sur les exigences que peut
imposer la versification. Tentant compte du genre littéraire de notre texte, nous avons souvent
eu l’impression que le pronom sujet n’était pas exprimé pour une raison syntaxique, mais
simplement afin d’obtenir un octosyllabe. Cette caractéristique, qui n’est pas représentative du
diasystème du pronom personnel sujet en ancien français, est sans doute très importante dans
notre corpus.
En guise de conclusion, nous pouvons dire que nous avons observé quelques caractéristiques
dans ce microsystème de notre corpus, qui semblent être représentatives pour le diasystème
plus général de l’ancien français. Nous pensons surtout à la saturation de la position
préverbale et aux raisons de mise en relief du sujet.
62
4. L’expression du pronom sujet en francoprovençal
4.1.Observations théoriques
4.1.1. Caractéristiques du francoprovençal
Les dialectes qui nous intéressent dans ce chapitre sont ceux qui appartiennent au
francoprovençal. Cette langue qui, à cause d’une absence de standardisation, est constituée
d’un ensemble de différents parlers, est un laboratoire merveilleux pour les dialectologues142.
L’isolement géographique est à l'origine des particularités tant linguistiques que
socioculturelles de ces dialectes143. Et pourtant, ce n’est que depuis ± 140 ans que les
linguistes considèrent cet ensemble de parlers comme une langue romane à part144. Un des
acquis de la recherche en dialectologie est donc la « découverte » du francoprovençal. Le
linguiste italien Ascoli était le premier à désigner cet ensemble de parlers comme une langue
vers 1870145. Avant cette date et pendant très longtemps, ces parlers étaient considérés comme
une sorte de mélange entre le français et le provençal. De là vient la dénomination fautive
franco-provençal, avec trait d’union, qui donne l’impression que ces parlers sont le résultat
d’une fusion de deux autres systèmes linguistiques. Le francoprovençal est plutôt un
diasystème serré dans l’espace entre deux autres systèmes linguistiques. Néanmoins,
l’acceptation du francoprovençal comme une langue à part connaît un grand obstacle :
l’absence d’une standardisation. Vu que les locuteurs du francoprovençal n’ont jamais
constitué un groupe assez grand ni homogène dans la région où ils habitent, ils n’ont jamais
pu imposer leur langue146. Le groupe n’est pas « une couche […] suffisamment compacte et
continue sur le plan géographique »147 : vu la condition géographique (la dispersion dans la
région alpine pour les dialectes suisses), l’élaboration d’une langue fixe est difficile.
Par conséquent, cette langue est composée aujourd’hui d’une collection de parlers locaux, qui
ont des points en commun, mais qui diffèrent aussi l’un de l’autre. Le francoprovençal est un
domaine unique dans l’ensemble des langues romanes ; la variation linguistique dans une
même langue n’est nulle part aussi grande. Federica Diémoz reformule la spécificité de cette
142
Diémoz, Federica, « Le pronom personnel sujet de la 3e personne du singulier et le sujet neutre en
francoprovençal valaisan : étude morphosyntaxique », p. 177. 143
Jeanjaquet, Jules, « Les patois valaisans. Caractères généraux et particularités », pp. 43-44. 144
Knecht, Pierre, « La Suisse Romande », 1985, p. 128. 145
Marchello-Nizia, Christiane et Picoche, Jacqueline, Histoire de la langue française, p. 15. 146
Knecht, Pierre, « La Suisse Romande », pp. 143-146. 147
Herman, József, Du latin aux langues romanes – études de linguistique historique, p. 47.
63
langue de la manière suivante : « L’aire francoprovençale, située à la charnière des domaines
gallo-roman et gallo-italien est, par sa position géolinguistique et par l’absence d’une koinè,
un excellent laboratoire pour l’observation des évolutions linguistiques spontanées qui sont en
cours »148. Bref, c’est une langue « particulièrement propice pour étudier ces phénomènes si
complexes de fluctuations »149.
4.1.2. Caractéristiques du pronom sujet en francoprovençal
Pour toutes les grandes langues romanes, officielles et standardisées, nous connaissons la
situation linguistique du pronom personnel sujet. En espagnol par exemple, les désinences
verbales suffisent pour indiquer la personne, de sorte que les pronoms personnels sujets ne
sont pas obligatoires. C’est une langue à sujet nul, où « le pronom sujet n’est utilisé que pour
la mise en relief ou la désambiguïsation »150. En français par contre, l’expression du pronom
sujet est obligatoire, vu l’incapacité des désinences de nous fournir l’information nécessaire à
propos de la personne.
Le système du pronom personnel sujet en francoprovençal vacille entre ces deux extrémités.
C’est un diasystème instable serré dans l’espace entre d’une part, le français, qui connaît une
expression obligatoire du pronom sujet, et d’autre part le provençal, qui connaît une absence
générale du pronom sujet. Nous avons déjà mentionné l’absence de standardisation et les
différences entre les différents parlers des villages151 en francoprovençal, il ne nous surprend
donc pas de trouver un système instable pour les pronoms sujets. Le francoprovençal est une
langue « split pro-drop »152, où l’expression du pronom sujet dépend de plusieurs facteurs :
« la personne grammaticale, le verbe (le choix du verbe, la présence d’une consonne initiale),
la construction, etcétéra »153. De plus, « les différentes personnes de la deixis verbale ne
fonctionnent pas de la même façon »154, facteur qui complique d’avantage l’analyse des
données dialectologiques. La grande quantité de formes morphologiques et de conditions
148
Diémoz, Federica, « Le pronom personnel sujet de la 3e personne du singulier et le sujet neutre en
francoprovençal valaisan : étude morphosyntaxique », p. 177. 149
Jeanjaquet, Jules, « Les patois valaisans. Caractères généraux et particularités », p. 51. 150
Hinzelin, Marc-Olivier et Kaiser, Georg, « Le paramètre du sujet nul dans les variétés dialectales de l’occitan
et du francoprovençal », 2007, p. 1. 151
Voir à ce propos également : Jochnowitz, George, Dialect boundaries and the question of franco-provençal,
1973. 152
Hinzelin, Marc-Olivier et Kaiser, Georg, Op. Cit., p. 2.
Remarque : la théorie de la notion « pro-drop » a surtout été élaborée par Noam Chomsky :
Chomsky, Noam, Lectures on Government and Binding: The Pisa Lectures. 153
Hinzelin, Marc-Olivier et Kaiser, Georg, Op. Cit., p. 7. 154
Diémoz, Federica, « Le pronom personnel sujet de la 3e personne du singulier et le sujet neutre en
francoprovençal valaisan : étude morphosyntaxe », p. 177.
64
d’emploi nous fait conclure « qu’on ne peut pas dégager un diasystème, une réalité virtuelle à
laquelle pourraient s’identifier tous les locuteurs »155.
Cependant, s’il s’avère difficile de dégager un diasystème pour ces parlers, les linguistes ont
quand même pu repérer quelques caractéristiques générales. Les parlers de la zone orientale,
sur la rive droite du Rhône, favorisent le non-emploi du pronom sujet, comme par exemple le
dialecte parlé dans la localité d’Arbaz. Le corpus de l’ALAVAL confirme avec les données
recueillies dans cette zone orientale les théories d’Olszyna-Marzys156. Les parlers de la zone
occidentale, sur la rive gauche, privilégient plutôt l’expression du pronom, ce que nous
observons clairement dans les localités d’Évolène et de St-Jean. Les autres parlers, plutôt dans
le sud et le sud-ouest, comme Isérables et Troistorrents, emploient facultativement le
pronom157. Dans les dialectes qui expriment facultativement le pronom sujet, les linguistes ont
observé que le pronom de la 2e personne du singulier est exprimé avec une fréquence plus
élevée que dans les autres parlers. Les pronoms anaphoriques sont le plus souvent omis, en
comparaison avec les pronoms déictiques158.
Une autre caractéristique générale par rapport à laquelle les linguistes sont d’accord, c’est la
tendance à ne pas exprimer le pronom sujet lorsqu’un autre élément se trouve devant le verbe.
La condition de la saturation de la position préverbale, sur laquelle nous avons tant insisté
dans le chapitre précédent, vaut également pour les patois francoprovençaux : « […] nous
avons constaté que la présence d’un élément de négation peut entraîner le non-emploi du sujet
pronominal […] la présence d’un pronom régime peut également inhiber l’apparition du
pronom sujet »159.
4.2.Analyse du corpus160
4.2.1. Différences frappantes selon les localités
Lorsqu'on prend en considération l'ensemble des localités, la grande variabilité est frappante.
Nous pouvons mettre cette variabilité en rapport avec la situation géographique161. Les
155
Diémoz, Federica, Morphologie et syntaxe des pronoms personnels sujets dans les parlers francoprovençaux
de la Vallée d’Aoste, 2007, p. 325. 156
Diémoz, Federica, « Le pronom personnel sujet de la 3e personne du singulier et le sujet neutre en
francoprovençal valaisan : étude morphosyntaxe », p. 182. 157
Diémoz, Federica, Op. Cit., p. 180. 158
Ibid., p. 177. 159
Ibid., p. 180. 160
Pour cette partie, nous nous sommes basée sur les analyses que nous avons faites dans le cadre de notre
travail de bachelier l’année passée :
cf. Dubois, Céline, L’expression du pronom sujet dans les dialectes de la Suisse romande.
65
barrières naturelles entre les communautés, à savoir les massifs montagneux, les ravins, les
différences d’altitude, etcétéra, provoquent l’isolement des points d’enquête. Cet isolement ne
provoque pas seulement la conservation de formes archaïques, mais favorise également
l’innovation locale162, de sorte que nous sommes confrontée à un ensemble de différents
microsystèmes. Olszyna-Marzys l’indique clairement : « le caractère fermé des communautés
favorisa aussi bien le conservatisme linguistique que l’émiettement des parlers locaux »163.
Ensuite, nous remarquons directement une fréquence élevée de non expression du pronom
personnel sujet dans les parlers d’Arbaz, tant chez le témoin féminin que chez le témoin
masculin. L’argument morphosyntaxique du nombre semble jouer un rôle important, vu que
les témoins n’utilisent le pronom sujet que dans certaines constructions avec un verbe au
singulier. Évolène constitue l’exemple tout à fait opposé. Dans cette localité, le pronom est
presque toujours présent ; chez le témoin féminin nous retrouvons toujours un pronom, chez
le témoin masculin, nous n’observons que deux fois – sur l’ensemble de treize cas – des
exemples de non expression. Dans les autres localités, ni la présence ni l’absence ne sont
majoritaires : l’expression du pronom dépend d’autres facteurs, ou paraît même parfois
arbitraire – comme si le choix de l’expression du pronom dépendait du sentiment du locuteur.
L’expression du pronom sujet ne dépend toutefois pas de règles grammaticales fixes.
p.ex. Arbaz (non expression généralisée) Evolène (expression généralisée)
Ø vˈ jʏ vaː ɛ ẓ
Il va à la forêt. Il va à la forêt
Ø ʃɛ ʃˈɔpɛ ɛ ʒ xrˈɛ lʏ ʃœ ʃˈɔpœ lœ ʒ oɡrˈœʎɛ
Elle se bouche les oreilles. Elle se bouche les oreilles.
Ø ẽŋyə jɪ vˈan eɪ vˈɛ ɛ
Ils vont aux vendanges. Ils vont aux vendanges.
4.2.2. Les formes morphologiques
Les dialectes du Valais central sont caractérisés par un polymorphisme extraordinaire. Les
tableaux récapitulatifs que nous avons composés164, montrent la grande variation de
possibilités en ce qui concerne les formes morphologiques. Pour la 3e personne masculin du
singulier, nous avons observé 7 formes différents : [ɪ], [jë], [jʏ], [i], [l], [e] et [j]. Pour le
161
Olszyna-Marzys, Zygmunt, Les pronoms dans les patois du Valais central – étude syntaxique, 1964, pp. 7-11. 162
Knecht, Pierre, « La Suisse romande », p. 148. 163
Olszyna-Marzys, Zygmunt, Les pronoms dans les patois du Valais central – étude syntaxique, p. 8. 164
Pour les tableaux récapitulatifs, voir le volume 2 "corpus".
66
féminin, la variation est encore plus grande, avec 13 formes différentes : [lʏ], [φ] [lɑ], [l],
[jɛː l], [ɪl], [ʏ], [ɪ], [h], [l], [ɛl], [ʏ] et [lʏ].
La variation morphologique semble aussi grande au pluriel qu’au singulier, mais cela peut
être dû aux dimensions de notre corpus165. Pour la troisième personne masculin du pluriel, le
corpus montre 7 formes différentes : [lɛ], [ɪ], [jʏ], [jɪ], [i], [ ] et [y]. La troisième personne
féminin est également présente sous 7 formes différentes : [lœ], [ ], [lɛ], [ɪ], [e], [ɛlɛ] et [l].
Nous sommes d’avis qu’il est inutile de vouloir chercher une explication pour ce
polymorphisme extraordinaire. Si un témoin est capable de donner plusieurs variantes
morphologiques pour le même pronom sujet à cause de sa position dans la phrase166
, nous ne
croyons pas qu’il soit possible de repérer des règles fixes pour le choix de la forme
morphologique du pronom personnel sujet. Évidemment, il faut insister sur le fait que ce
corpus est un corpus de la langue parlée, et que les attestations des pronoms sujets sont écrites
en alphabet phonétique. C’est grâce aux transcriptions précises des chercheurs de l’ALAVAL
que nous pouvons observer ce polymorphisme en détail.
4.2.3. Les conditions d’expression et de non expression
a) 3e personne singulier masculin – il
Tenant compte des variations entre les localités et même entre les témoins, nous pouvons
discerner deux grandes tendances qui favorisent l’expression du pronom sujet il. D’une part,
le pronom sujet semble surtout être exprimé en position initiale (c.-à-d. en tête de la phrase),
ce qui confirme les observations d’Olszyna-Marzys167. D’autre part, la présence d’une attaque
vocalique au début de la phrase (p.ex. quand le verbe qui suit le pronom sujet commence par
une voyelle) favorise davantage l’expression du pronom sujet. Dans tous les points d’enquête,
les locuteurs utilisent le pronom personnel sujet devant une attaque vocalique.
165
Nous voulons insister sur le fait qu’une recherche plus approfondie de cette matière augmentera sans aucun
doute la représentativité de ce travail. Comme nous étions limitée dans le temps, notre corpus est également
limité. 166
La variation morphologique est particulièrement frappante à Évolène : les locuteurs utilisent des formes
morphologiquement différentes dans presque chaque construction différente. Les tableaux récapitulatifs
montrent les différentes possibilités. 167
Olszyna-Marzys, Zygmunt, Les pronoms dans les patois du Valais central – étude syntaxique, p. 120 :
« La place normale du pronom sujet est en tête de phrase et immédiatement devant le verbe »
67
p.ex. Arbaz : pronom sujet en tête de phrase, devant une attaque consonantique :
Témoin féminin Témoin masculin
Ø vˈ Ø vˈɑː ɑ yˈøʏ
Il va à la forêt. Il va à la forêt.
p.ex. Arbaz : pronom sujet en tête de phrase, devant une attaque vocalique :
Témoin féminin Témoin masculin
l ɑ mˈo ɑ tˈiːhɑ l ɑ mˈo ɑ tˈiːhɑ
Il a mal à la tête. Il a mal à la tête.
Le corpus nous montre également des tendances qui favorisent la non expression du pronom
personnel sujet. Il est frappant comme le taux d’expression diminue dans les constructions
pronominales. Il nous semble que la présence du pronom réfléchi dans de telles constructions
est capable de saturer la position préverbale, éliminant ainsi l’expression du pronom sujet.
Même dans des localités où le pronom s’exprime presque toujours, comme par exemple à
Évolène, il y a une forte tendance à omettre le pronom sujet.
p.ex. Évolène (témoin masculin) – pronom sujet en tête de phrase
jʏ va n la zow
Il va à la forêt.
p.ex. Evolène (témoin masculin) – construction pronominale
Ø ʃœ ʀˈɔzɛ lɛ ʒ ʎe
Il se ronge les ongles.
b) 3e personne pluriel masculin – ils
Les deux structures de phrases examinées au pluriel indiquent la différence entre un pronom
en tête de phrase, ou un pronom au milieu de la phrase. En ce qui concerne les observations
générales, la non expression du pronom à Arbaz se généralise pour toutes les structures de
phrase, et l’expression du pronom à Évolène se prolonge également dans ces structures.
D’après les données du corpus, nous pouvons dire que le pronom sujet ils s’exprime plus
souvent en tête de phrase qu’au milieu de la phrase. En tête de phrase, sept attestations sur dix
connaissent une expression du pronom sujet (70%). Au milieu de la phrase, par contre, il n’y a
que trois attestations sur neuf (± 33%). Quand le pronom ne se trouve pas en tête de phrase,
l’expression devient donc moins fréquente vu que la position préverbale est saturée par
d’autres éléments. Prenons l’expression du pronom sujet à St-Jean comme exemple. Les
témoins expriment le pronom sujet en tête de phrase (même s’il y a une attaque consonantique
qui suit), mais ne l’expriment plus au milieu de la phrase :
68
p.ex. St-Jean – pronom sujet en tête de la phrase
Témoin féminin Témoin masculin
lɛ pˈɔ ə ɪ vˈan ɪ vˈɛ ə
Ils portent un veston noir. Ils vont aux vendanges
St-Jean – pronom sujet au milieu de la phrase
Témoin féminin Témoin masculin
də ʃˈɑ Ø ʃɔn də ə paɕˈa Ø ʃ ʎˈɛʒə
Dimanche passé, ils sont allés à l’église. Dimanche passé ils sont allés à l’église
Il nous semble que le pronom s’exprime plus fréquemment en tête de la phrase, vu qu’il sature
alors la position préverbale. Nous observons également que les formes morphologiques
utilisées en tête de la phrase sont plus fortes que celles utilisées au milieu de la phrase.
p.ex. Evolène – témoin féminin Evolène – témoin féminin
jʏ ẽᵑsᵄ dʏ ʃˈa ʃ ʒuk øː a l iˈøʒə
Ils vont à la vendange. Dimanche passé, ils sont eu (=ont été) euh.. à
l’église.
c) 3e personne singulier féminin – elle
Le pronom féminin singulier se caractérise par un taux d’expression plus élevé que le pronom
masculin singulier. Tandis que pour le pronom masculin, nous observons 27 cas d’expression
sur l’ensemble de 37 réponses, nous comptons 26 cas d’expression sur l’ensemble de 32
réponses pour le pronom féminin (± 73% versus ± 81%, en tenant compte que la construction
pronominale non composée ne pouvait pas être examinée pour elle). L’aspect conservatif ne
se vérifie pas dans cette construction, vu que nous retrouvons par exemple des cas
d’expression de ce pronom à Arbaz, localité normalement caractérisée par l’absence du
pronom.
En ce qui concerne les conditions d’expression, nous observons en grandes lignes les mêmes
tendances que pour le pronom masculin : une tendance à exprimer le pronom personnel sujet
en tête de phrase, surtout devant une attaque vocalique. De plus, la forme morphologique
utilisée devant une voyelle est souvent plus forte que lorsqu’elle se trouve devant une
consonne :
p.ex. Isérables (témoin masculin) – devant une attaque consonnantique
Ø ͥ ɛtˈɛ œ mɛjnˈɑ
Elle donne le sein au petit.
69
p.ex. Isérables (témoin masculin) – devant une attaque vocalique
ɪl ɐtsˈɛta ɔ pˈɛɪvrɛ e a sˈɔ o maɡɛʑˈɛn dœɛ vjˈɑːdɛ
Elle achète le poivre et le sel au magasin du village.
La tendance à ne pas exprimer le pronom sujet dans une construction pronominale revient
aussi pour le pronom elle. La saturation de la position préverbale par le pronom réfléchi est
sans doute une des raisons les plus importantes qui expliquent la non expression du pronom
sujet.
d) 3e personne pluriel féminin – elles
Pour le pronom sujet elles en tête de phrase, les résultats sont identiques à ceux du pronom
sujet masculin ils : une non expression généralisée à Arbaz, et une expression généralisée à
Évolène. En ce qui concerne les conditions d’expression, nous observons une tendance à
plutôt exprimer le pronom sujet en tête de phrase, vu qu’il sature alors la position préverbale.
Tant à St-Jean qu’à Troistorrents, il y a des exemples d’un témoin qui exprime son pronom
sujet en tête de la phrase, et qui ne l’exprime pas au milieu de la phrase.
p.ex. Troistorrents (témoin féminin) – en tête de la phrase
e vˈã - - ɪmtjˈɛːʁ
Elles vont aon.. arroser lui les fleurs .. ben au cimetière.
p.ex. Troistorrents (témoin féminin) – au milieu de la phrase
də ə pasˈo Ø ãː itˈʊ oː ʏlˈayə
Dimanche passé ils ont été au village.
En ce qui concerne les différences avec le pronom sujet masculin ils, le corpus ne nous
montre pas de divergences significatives. Nous sommes d’avis que l’absence de réponses
auprès de quelques témoins est capable d’influencer les interprétations. Vu que notre corpus
ne permet pas d’analyser plus d’attestations, nous n’insisterons plus.
4.3.Conclusion intermédiaire
Dans le cadre restreint de notre corpus, nous avons pu distinguer quelques caractéristiques
intéressantes. Ces considérations ne comptent que pour des phrases principales, vu que notre
corpus ne contient pas de phrases subordonnées. Tout d’abord, les différences selon les
localités sont remarquables, ce qui nous fait conclure que les dialectes du Valais suisse sont
un ensemble de microsystèmes. Ils appartiennent tous à la même base commune168, à savoir le
168
Jeanjaquet, Jules, « Les patois valaisans. Caractères généraux et particularités », p. 41.
70
francoprovençal, mais dû à de nombreuses causes, chaque parler connaît ses propres
caractéristiques.
Ensuite, dans l’ensemble des dialectes, nous observons une tendance à saturer la position
préverbale par un pronom sujet ou par un autre élément. Dans les cas où le verbe occupe
quand même la première place, il s’agit surtout de phrases attestées à Arbaz ou à Troistorrents
(où nous avons observé une tendance à ne pas exprimer le pronom). La tendance à saturer la
position préverbale devient particulièrement claire dans les phrases contenant des structures
pronominales avec un pronom réfléchi. Pour Évolène, localité caractérisée par une expression
généralisée, le pronom sujet ne s’exprime pas dans ces structures pronominales. La seule
explication valable est que le pronom réfléchi sature la position préverbale, de sorte que le
pronom sujet ne s’exprime pas.
Finalement, nous sommes d’avis que le contexte dans lequel ces phrases sont recueillies est
capable d’influencer l’expression du pronom sujet. Comme chaque phrase est le résultat d’une
traduction minutieuse à partir d’un énoncé en français standard, ces phrases ne s’imbriquent
pas dans un contexte plus large. Il est probable que le pronom est attesté pour des raisons
d’insistance, vu que chaque phrase se cadre dans un nouveau contexte. Dans les limites de ce
travail, il n’était pas possible d'approfondir cette question.
71
5. Comparaison des deux corpus
5.1.Introduction
Nous venons d’analyser le fonctionnement du pronom personnel sujet dans un microsystème
de l’ancien français d’une part, et dans un ensemble de microsystèmes du francoprovençal
d’autre part. Si nous revenons maintenant aux affirmations de Michel Banniard (cf. supra –
encadrement théorique), à savoir que les recherches en géographie linguistique peuvent
faciliter la compréhension de l’évolution langagière169, pouvons-nous appliquer cette approche
interdisciplinaire à nos deux corpus ? Évidemment, nous ne prétendons pas pouvoir expliquer
toute l’évolution langagière par le biais de cette confrontation de corpus. Notre objectif est
plutôt d’illustrer le fonctionnement du pronom personnel sujet dans ces systèmes linguistiques
spécifiques qui vacillent entre l’expression et la non expression, et d’examiner les
convergences et les divergences entre les deux. La comparaison et la confrontation de ces
deux systèmes non standardisés aident à démontrer que l’approche interdisciplinaire est
possible et utile, sans prétendre de pouvoir fournir une explication complète à propos de
l’évolution du pronom personnel sujet. Ce chapitre-ci donnera les réponses aux questions
posées à la fin de l’encadrement théorique (cf. supra – 2.3.3. questions à poser).
5.2.Convergences et divergences entre les corpus
a) En général
La convergence la plus importante entre les deux corpus est, nous le savons, l’état de
vacillation dans lequel les deux systèmes langagiers se trouvent. En ce qui concerne la nature
des deux corpus, nous pouvons également repérer quelques divergences significatives, comme
par exemple la dimension diamésique, le nombre de microsystèmes traités, ou l’influence de
la variation diaphasique170. En ce qui concerne les données chiffrées, il s’avère difficile de
comparer les deux corpus, vu les différences en dimension entre les deux171.
169
Banniard, Michel, « Géographie linguistique et linguistique diachronique ». 170
Voir à ce propos également les descriptions des corpus, dans la partie "méthodologie", cf. supra § 2.3. 171
Pour l’analyse détaillée des données chiffrées, nous référons aux tableaux récapitulatifs au début de chaque
corpus (cf. volume 2 – partie documentaire).
72
Évidemment, une comparaison des corpus en termes de caractéristiques générales de chacun,
n’est pas très utile. Ils sont composés dans des contextes complètement différents, qui ne
permettent pas d’être comparés. Les points intéressants à confronter, à savoir les données
linguistiques des corpus, seront discutés dans ce qui suit.
b) La variation morphologique
Si les deux langues connaissent une situation de polymorphisme comparable, cela n’implique
pas qu’il y ait des similitudes en ce qui concerne la variation morphologique. De plus, notre
corpus de dialectes est constitué de transcriptions phonétiques qui reformulent la
prononciation exacte des pronoms personnels sujets. Notre corpus d’ancien français par
contre, ne nous permet pas de récupérer la prononciation des pronoms sujets à cette époque,
vu qu’il s’agit d’un corpus de la langue écrite. La dimension diamésique de chaque corpus ne
nous permet pas de repérer des convergences entre les deux corpus en ce qui concerne la
variation morphologique.
c) Les conditions d’expression et de non expression
Vu que le corpus des dialectes se compose de traductions de phrases exemples, nous ne
pouvons pas examiner les différentes causes ou conditions d’expression comme nous l’avons
fait pour notre corpus en ancien français. Cependant, une condition a été révélatrice : la
saturation de la position préverbale. Lors de l’analyse du corpus d’ancien français, nous avons
insisté maintes fois sur l’importance de cette condition, et il en va de même pour le corpus du
francoprovençal. La construction phrastique qui nous permet de faire de telles conclusions
pour les deux corpus, est la construction pronominale. Quand un pronom réfléchi précède le
verbe, il est capable de saturer la position préverbale, favorisant ainsi la non expression du
pronom personnel sujet. Nous avons retrouvé ce phénomène dans les deux corpus :
Evolène – témoin masculin Vers 337
Ø ʃœ ʀˈɔzɛ lɛ ʒ ʎe Cunui ; a tuz confés (x) se rent,
Il se ronge les ongles. découvert ; il se confesse devant tout le monde
Arbaz – témoin masculin Vers 1227
Ø ʃe l tˈɑpo dx pjˈɑ kˈuntre kɑke tsˈuːʒɑ wɑ Fort (x) se teneit a la pere
Il s’est tapé du pied contre quelque chose là. De toutes ses forces il se tenait à la pierre
73
Un autre élément capable de justifier la condition de la saturation, est l’effet de la présence de
l’adverbe de négation ne. Dans le corpus d’ancien français, nous avons souvent indiqué cette
présence comme explication possible de la non expression du pronom personnel sujet. Nous
n’avons pas de tels exemples dans notre corpus de dialectes, mais Andres Kristol en parle
dans son article : « dans d’autres dialectes, leur emploi est conditionné par la présence ou non
d’un clitique régime préverbal ou d’un ne de négation »172.
Une divergence entre les deux corpus que nous voulons mentionner ici, est l’influence de
l’attaque vocalique ou consonantique du mot qui suit le pronom personnel sujet. Dans le
corpus dialectal, nous avons observé une tendance à exprimer davantage le pronom sujet
devant une voyelle que devant une consonne. Dans le corpus de Saint Brendan par contre,
cette attaque ne semble pas influencer l’expression ou la non expression du pronom sujet : le
corpus montre les deux possibilités.
p.ex. Arbaz – attaque consonantique Arbaz – attaque vocalique
Ø vˈ l ɑ mˈo ɑ tˈiːhɑ
Il va à la forêt. Il a mal à la tête
p.ex. Vers 395 – attaque consonantique Vers 146 – attaque vocalique
Il nus est douz e prest amis As quels il ert mult dulz peres
Il est pour nous un ami doux et empressé pour lesquels il était un très doux père
Vu les limites imposées par nos corpus, il nous semble fautif de vouloir tirer des conclusions à
partir de données qui ne sont pas exhaustives. Néanmoins, nous sommes d’avis que nous
pouvons formuler des présuppositions à propos des conditions favorables à l’expression du
pronom personnel sujet, comme par exemple la saturation de la position préverbale.
d) Les différences entre les personnes grammaticales
Le caractère restreint du corpus dialectal ne nous permet pas de proposer une comparaison
détaillée en ce qui concerne les différences entre les personnes grammaticales. Vu que nous
n’avons examiné que les pronoms anaphoriques, nous ne sommes pas capables d’indiquer les
différences avec les pronoms déictiques à partir des données du corpus.
172
Kristol, Andres, «Atlas linguistique audio-visuel du francoprovençal valaisan ALAVAL - La morphosyntaxe
du clitique sujet et le problème de la notion "pro-drop" », p. 8.
74
Les approches théoriques par contre, peuvent nous aider à faire quelques présuppositions.
Dans le chapitre à propos de la diatopie, nous l’avons déjà mentionné : dans les dialectes qui
expriment facultativement le pronom sujet, les linguistes ont observé que le pronom de la 2e
personne du singulier est exprimé avec une fréquence plus élevée comparé aux autres
pronoms173. Si nous appliquons cette affirmation à notre corpus en ancien français, nous
observons un résultat comparable. De toutes les personnes, la deuxième personne du singulier
connaît les pourcentages les plus élevés en ce qui concerne l’expression, à savoir 41
pourcent174. Une autre affirmation, à savoir que les pronoms anaphoriques sont le plus souvent
omis en comparaison avec les pronoms déictiques175, se confirme également en analysant les
statistiques. Les pourcentages élevés de non expression pour les pronoms anaphoriques
démontrent une tendance à omettre plus le pronom anaphorique que le pronom déictique. Il
nous semble qu’il y a une possibilité que ces affirmations faites à propos des dialectes
francoprovençaux peuvent également s’appliquer à l’ancien français. Une étude plus
approfondie de cette matière peut, selon nous, certainement apporter plus de certitude en ce
qui concerne ces affirmations.
e) L’influence de la position du pronom dans la phrase sur son expression
Pour les deux corpus, il semble que la position du pronom dans la proposition influence sa
modalité d’expression. Pour le corpus en francoprovençal, les résultats sont les plus clairs
pour les pronoms anaphoriques au pluriel. Dans quelques localités, le pronom s’exprime en
tête de la proposition, tandis qu’il ne s’exprime pas au milieu de la phrase. Pour cette raison,
nous pensons que Olszyna-Marzys176 a eu raison de donner la priorité à la place du pronom
dans l’énoncé pour déterminer sa présence ou son absence.
173
Diémoz, Federica, « Le pronom personnel sujet de la 3e personne du singulier et le sujet neutre en
francoprovençal valaisan : étude morphosyntaxe », p. 181. 174
Pour les autres pronoms personnels sujets, le pourcentage de non expression semble plus élevé que celui du
pronom sujet « tu ». Voici en guise d’illustration les autres pourcentages :
je 25% expression 75% non expression
tu 41% expression 59% non expression
il 12% expression 88% non expression
elle 6% expression 94% non expression
nous 28% expression 72% non expression
vous 7% expression 93% non expression
ils 9% expression 91% non expression
elles 0 % expression 100% non expression 175
Diémoz, Federica, « Le pronom personnel sujet de la 3e personne du singulier et le sujet neutre en
francoprovençal valaisan : étude morphosyntaxe », p. 177. 176
Olszyna-Marzys, Zygmunt, Les pronoms dans les patois du Valais central – étude syntaxique.
75
p.ex. St-Jean – pronom sujet en tête de la phrase
Témoin féminin Témoin masculin
lɛ pˈɔ ə ɪ vˈan ɪ vˈɛ ə
Ils portent un veston noir. Ils vont aux vendanges
St-Jean – pronom sujet au milieu de la phrase
Témoin féminin Témoin masculin
də ʃˈɑ Ø ʃɔn də ə paɕˈa Ø ʃ ʎˈɛʒə
Dimanche passé, ils sont allés à l’église. Dimanche passé ils sont allés à l’église
Néanmoins, vu l’influence que l’attaque vocalique ou consonantique peut avoir en
francoprovençal, nous ne voulons pas généraliser ces constats. En ce qui concerne le corpus
en ancien français, nous pouvons également dire que la position du pronom sujet peut avoir
son influence. Cependant, nous devons tenir compte de plusieurs autres facteurs. Il faut, par
exemple, voir le pronom sujet dans un contexte plus large, c’est-à-dire l’ensemble de vers
dans lequel il se trouve. Nous avons souvent observé dans notre corpus que l’expression d’un
pronom sujet peut favoriser la non expression du même pronom dans les vers environnants.
Vu que les caractères des deux corpus diffèrent, ils ne nous permettent pas de comparaison
complète à propos de l’effet de la position du pronom dans l’énoncé. Dans le corpus en ancien
français, l’auteur ou le scribe peut jouer avec l’ordre des mots afin d’obtenir une structure
rimée d’octosyllabes. Ainsi, le pronom personnel sujet n’est pas le seul élément capable
d’occuper la position préverbale. Dans le corpus du Valais central par contre, il s’agit de
témoins contemporains qui ne connaissent pas cette liberté d’ordre des mots. L’expression du
pronom personnel sujet, qui dépend de sa position dans la proposition et de la présence
d’autres éléments, est forcément différente dans nos deux corpus.
De plus, le type de proposition dans laquelle le pronom personnel sujet trouve, est à l'origine
d’une des divergences les plus significatives entre les deux corpus. Les grammaires
historiques nous ont indiqué que le pronom sujet est plus fréquemment exprimé dans une
subordonnée que dans une principale ; nos statistiques signalent la même chose.
76
Par contre, Andres Kristol affirme dans son article que quelques parlers francoprovençaux
attestent la tendance opposée177. En francoprovençal, l’expression est plus fréquente dans une
principale que dans une subordonnée178 :
L’emploi du clitique sujet est nettement plus fréquent dans les principales. Face à ce résultat,
spontanément, on est tenté de penser que l’absence du clitique dans les subordonnées pourrait
s’expliquer par le fait qu’il n’est pas nécessaire d’exprimer le sujet dans la subordonnée si celui-ci est
nommé dans la principale. En réalité, il n’est est rien : […] le non-emploi du clitique est parfaitement
courant même lorsque le sujet change.
En grandes lignes, nous pouvons dire que la position du pronom personnel sujet dans la
proposition est certainement capable de conditionner son expression, mais nous ne sommes
pas en mesure de déduire des convergences sur ce sujet entre les deux corpus.
5.3.Conclusion intermédiaire
Que pouvons-nous conclure de cette énumération de convergences et de divergences entre nos
deux corpus ? Tenant compte des points similaires entre les deux179
, nous pensons qu’une
comparaison entre les deux corpus peut s’effectuer. Même si nous avons repéré des
divergences significatives, la confrontation des deux corpus nous a apporté des convergences
qui semblent prouver qu’une approche interdisciplinaire est possible.
Néanmoins, afin de pouvoir dire avec certitude que notre étude apporte un nouveau point de
vue dans le domaine de l’interdisciplinarité, nous sommes d’avis qu’il faut élargir ce travail.
D’une part, la représentativité du corpus sera augmentée en ajoutant plus de sources, d’autre
part, il nous faut plus de temps afin de pouvoir analyser tous les documents en détail. En
revanche, nous ne voulons certainement pas dire que ce travail-ci n’apporte rien au champ de
recherche de l’interdisciplinarité. Même si nos deux corpus sont limités en dimension, ils ont
clairement pu montrer les possibilités d’interférence entre deux disciplines distinctes, à savoir
177
Il faut mentionner qu’Andres Kristol (cf. «Atlas linguistique audio-visuel du francoprovençal valaisan
ALAVAL - La morphosyntaxe du clitique sujet et le problème de la notion "pro-drop" ») indique lui-même que
ses collaborateurs et lui ont observé cette tendance, mais qu’ils ne sont, à ce moment-là, pas encore capables de
donner une explication pour ce comportement. Kristol le formule ainsi : « Les éventuelles raisons qui favorisent
l’emploi du clitique sujet dans la principale, et qui la défavorisent, relativement, dans la subordonnée, restent
encore à déterminer » (p. 10). Pourtant, le fait qu’ils définissent cette tendance comme déviante et étrange, laisse
sous-entendre qu’ils considèrent la situation telle que nous la trouvons en ancien français, comme la situation
standard. 178
Kristol, Andres, «Atlas linguistique audio-visuel du francoprovençal valaisan ALAVAL - La morphosyntaxe
du clitique sujet et le problème de la notion "pro-drop" », p. 10. 179
Nous pensons surtout à la condition de la saturation de la position préverbale et l’expression favorisée des
pronoms déictiques en comparaison avec les anaphoriques.
77
la diachronie d’une part, et la diatopie d’autre part. Les convergences que nous venons
d’énumérer (cf. supra), montrent qu’il y a des caractéristiques comparables dans chacun des
corpus. Nous sommes donc d’avis que notre travail peut fonctionner comme une sorte de
documentation de l’approche interdisciplinaire.
78
6. Conclusion générale
En guise de conclusion de ce travail, nous aimerions résumer les constats principaux de nos
recherches. Tant sur le plan théorique que sur le plan pratique, nous avons pu enrichir la
matière de notre sujet de recherche, à savoir le fonctionnement du pronom personnel sujet en
ancien français d’une part, et en francoprovençal d’autre part. Dans l’encadrement théorique
de ce travail, nous avons essayé d’esquisser le cadre scientifique dans lequel notre travail se
situe, à savoir l’interdisciplinarité et son apport à l’étude du pronom sujet. Dans l’introduction
de ce travail, nous avons mentionné que la diachronie et la diatopie, les deux champs de
recherche qui nous concernent, connaissent encore un grand nombre de questions qui restent
sans réponse. Un des objectifs de l’approche interdisciplinaire est précisément d’examiner les
possibilités de trouver des réponses à ces questions. Lors de nos observations théoriques de
chaque chapitre, il est devenu clair que les deux microsystèmes étudiés ont des
caractéristiques en commun et qu’ils se recouvrent sur un certain nombre de points. Ces
constatations nous font comprendre qu’une approche interdisciplinaire entre ces sous-
systèmes est possible et qu’elle pourrait même jeter de nouvelles lumières sur la matière
qu’on croit connaître180. L’approche pratique de ce travail, lors de l’analyse de nos corpus, a
également pu montrer dans une certaine mesure des convergences entre ces différents
microsystèmes en ce qui concerne le fonctionnement du pronom personnel sujet. Le chapitre
de comparaison comporte une énumération des convergences et des divergences observées
lors de nos analyses.
Dans l’encadrement théorique, nous avons mentionné une observation à propos du pronom
personnel sujet de la part d’Andres Kristol, à savoir qu’une langue qui n’exprime pas toujours
ses pronoms sujets ne doit pas forcément être considérée comme une langue inférieure181. Une
bonne preuve de cette affirmation pouvait être fournie, selon nous, par une analyse minutieuse
de données. Nos analyses ont montré que ces microsystèmes ne font pas partie de langues
inférieures. Au contraire, elles nous ont montré une énorme richesse, tant au niveau de la
variation morphologique qu’au niveau des possibilités d’expression et de non expression du
180
Van Acker, Marieke, « Introduction », (introduction au livre Latin écrit - roman oral ? : de la
dichotomisation à la continuité, 2008), p. 5 : « c’est souvent la confrontation et la comparaison qui nous amènent
à jeter de nouvelles lumières sur des réalités qu’on croit connaître ». 181
Nous l’avons déjà mentionné dans la partie 2.2. Le pronom personnel sujet.
79
pronom personnel sujet. En dépit d’un fonctionnement différent des langues standardisées, ces
états de langue instables fonctionnement sans problèmes selon leurs propres logiques
linguistiques.
Nonobstant les avantages de notre façon de procéder, nous devons reconnaître que notre
travail n’est qu’une illustration des avantages possibles que l’interdisciplinarité peut nous
apporter. Vu les délimitations de nos corpus, la représentativité de nos données n’est pas
toujours optimale, ce qui pourrait dévaloriser la scientificité de notre étude. Un
approfondissement des matériaux d’analyse augmentera sans doute la valeur de ce travail.
Nous ne pouvons pas prétendre non plus d’avoir démontré que l’approche interdisciplinaire
est capable d’éclairer l’évolution du pronom sujet. Cependant, nous voulons quand même
souligner les points forts de nos réflexions théoriques et de nos analyses de corpus qui
justifient en quelque sorte notre façon de travailler.
En premier lieu, l’analyse de nos corpus a pu nous montrer l’état de vacillation dans lequel
ces différents microsystèmes se trouvent, caractéristique que nous avons mentionnée lors des
observations théoriques. Le polymorphisme, l’instabilité syntaxique et les différentes
conditions d’expression et de non expression ne sont que quelques éléments qui démontrent
l’appartenance de nos corpus à des diasystèmes linguistiques instables. Cependant, nous
devons insister sur le fait que ces systèmes vacillants n’impliquent pas forcément une absence
complète de règles grammaticales. Le système langagier obéit à certaines règles syntaxiques,
mêmes si celles-ci ne sont pas fixées par une grammaire standard. Nous avons par exemple
observé dans nos corpus une tendance à saturer la position préverbale, avec un pronom sujet
ou avec un autre élément grammatical. Cette tendance ne dépend pas d’une règle syntaxique
fixe – aucune grammaire ne la prescrit –, mais elle est néanmoins suivie.
En deuxième lieu, nous avons pu repérer des ressemblances significatives entre les deux
corpus grâce aux raisonnements par analogie, concept-clé chez Michel Banniard182. Beaucoup
de caractéristiques des microsystèmes présents dans nos corpus se recouvrent. De plus, la
combinaison d’observations théoriques et d’analyse de corpus nous a permis de mieux définir
les caractéristiques du pronom personnel sujet dans chaque microsystème.
En ce qui concerne le microsystème en ancien français (cf. supra – chapitre 3), nous avons
constaté plusieurs choses. Grâce à la grille d’analyse, établie à partir du dépouillement de
182
Banniard, Michel, « Géographie linguistique et linguistique diachronique : essai d’analyse analogique en
occitano-roman et en latin tardif », p. 10.
80
grammaires historiques et de quelques manuels, nous étions dans la mesure d’examiner
correctement le fonctionnement des pronoms sujets. Suite à ces analyses, nous avons tout
d’abord constaté un taux d’expression plus élevé dans les subordonnées que dans les
principales. Ensuite, il nous semble que la saturation de la position préverbale est la raison la
plus importante de l’expression du pronom sujet. Le pronom est également employé pour des
raisons de mise en relief – pour l’insistance ou pour la clarté. Une autre caractéristique qui
peut favoriser l’expression du pronom sujet est seulement représentative pour ce
microsystème-ci ; il s’agit des exigences de la versification. La non expression est surtout
fréquente lors d’une suite de verbes ou dans un contexte connu, où l’expression du pronom
serait jugée comme superflue.
Lors de l’analyse des microsystèmes en francoprovençal (cf. supra – chapitre 4), nous avons
également pu faire quelques remarques intéressantes. Mis à part les différences frappantes
entre les localités à cause de l’isolement géographique des villages, nous avons pu observer
que l’expression du pronom sujet dépend surtout de sa position dans la phrase. Un pronom
sujet en tête de phrase, surtout devant une attaque vocalique, est plus fréquemment exprimé
qu’un pronom au milieu d’une proposition. Tout comme dans le microsystème de l’ancien
français, le francoprovençal est caractérisé par une tendance à saturer la position préverbale.
L’absence presque généralisée de pronoms sujets dans des constructions pronominales – où le
pronom réfléchi sature la place préverbale – est une preuve de cette constatation.
Le chapitre de la comparaison des deux corpus (cf. supra – chapitre 5) boucle en quelque sorte
toutes nos analyses, vu qu’il montre les convergences et les divergences entre les
microsystèmes. De cette comparaison, nous pouvons surtout conclure que les deux
microsystèmes se recouvrent en deux grands aspects. D’une part, le pronom sujet est
davantage exprimé lorsqu’il doit saturer la position préverbale. Il s’ensuit que le pronom sujet
s’exprime moins lorsqu’un autre élément occupe cette position. D’autre part, l’expression est
favorisée dans certaines structures grammaticales, pensons surtout aux subordonnées. Nous
avons également remarqué que les pronoms déictiques s’expriment plus que les pronoms
anaphoriques.
81
En grandes lignes, nous pouvons dire que le point de vue de notre travail n’est pas nouveau183,
mais que la confrontation et la comparaison de nos deux corpus n’avaient pas encore été
faites. Pour cette raison, nous pensons que notre travail, même s’il connaît quelques points
faibles, peut contribuer à établir des passerelles entre le fonctionnement de réalités langagières
actuelles et révolues.
183
Nous pensons surtout à l’œuvre de Michel Banniard, qui a apporté énormément au champ de recherche de
l’interdisciplinarité. Nous voulons également mentionner ici l’article d’Anthony Lodge, qui utilise les données
présentes dans les cartes de l’ALF (Atlas Linguistique Français) afin de faciliter la compréhension des processus
de standardisation de la langue française :
Lodge, Anthony, « The sources of standardisation in French – Written or spoken ? », 2008, , pp.74-79.
82
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Van Acker, Marieke et Van Uytfanghe, Marc (éds.), Latin écrit - roman oral ? : de la
dichotomisation à la continuité, Turnhout, Brepols, 2008, pp. 253-277.
Van Deyck, Rika, « La détermination nominale en ancien français », dans : Englebert, A. et
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1998, pp. 125-136.
85
Van Deyck, Rika, « Le moyen français en général et l’expression du pronom sujet dans la
langue de François Villon en particulier », dans : Goyens, M., e.a. (éds.), The Dawn of
the Written Vernacular in Western Europe (Leuven 17 - 20 mei 2000), Mediaevalia
Lovaniensis, Series I, Studia XXXIII, Louvain, University Press, 2003, pp. 289-302.
Van Deyck, Rika, « Le ‘pronom personnel’ dans la tradition grammaticale », dans :
Hadermann, P., e.a. (éds.), La syntaxe raisonnée. Mélanges de linguistique générale et
française offerts à Annie Boone, Champs Linguistiques, Bruxelles-Paris, De Boeck &
Larcier, 2003, pp. 167-181.
Van Deyck, Rika, « La syntaxe pronominale dans la longue durée illustrée par des exemples
de François Villon », dans : Van Deyck, R., Sornicola, R. et Kabatek, J., (éds.), La
variabilité en langue. 1: Langue parlée et langue écrite dans le présent et dans le
passé, Studies in Language, 8, Gand, Communication and Cognition, 2004, pp. 231-
244.
Verelst, Philippe, « Le voyage de Saint Brendan », traduction faite pour le cours « Oudfranse
taal- letterkunde 12e-13
e eeuw », donné à l’Université de Gand, lors du premier
semestre de l’année académique 2009-2010.
Wunderli, Peter, « Les implications stylistiques des modèles de la linguistique
variationnelle », dans : Van Deyck, Rika (éd.) La variabilité en langue. 2: Les quatre
variations, Gent, Communication and cognition, 2005, pp. 363-397.
Faculteit Letteren en Wijsbegeerte
Academiejaar 2009-2010
L'expression du pronom sujet : entre diatopie et diachronie.
La situation dans les dialectes de la Suisse romande
et dans le Voyage de Saint Brandan
Corpus
Masterproef ingediend tot het behalen van de graad van
Master in de Historische Taal- en letterkunde: Frans - Spaans
Céline Dubois Promotor : Dr. M. Van Acker
Co-promotor : Prof. Dr. Philippe Verelst
Leescommissaris : Prof. Dr. Marleen Van Peteghem
Faculteit Letteren en Wijsbegeerte
Academiejaar 2009-2010
Partie documentaire
Corpus illustratif du chapitre 3 :
L’expression du pronom sujet en ancien français
1
Table des matières
1. Statistiques ………………………………………………………………… 2
2. Expression du pronom personnel sujet
a) je ………………………………………………………………………… 4
b) tu …………………………………………………………………………. 5
c) il …………………………………………………………………………. 6
d) elle ……………………………………………………………………….. 9
e) on ………………………………………………………………………… 10
f) nous ………………………………………………………………………. 11
g) vous ………………………………………………………………………. 14
h) ils …………………………………………………………………………. 15
i) elles ………………………………………………………………………. 18
3. Non-expression du pronom personnel sujet
a) je …………………………………………………………………………. 19
b) tu …………………………………………………………………………. 21
c) il …………………………………………………………………………. 22
d) elle………………………………………………………………………… 35
e) on ………………………………………………………………………… 37
f) nous……………………………………………………………………….. 38
g) vous……………………………………………………………………….. 40
h) ils ………………………………………………………………………… 44
i) elles……………………………………………………………………….. 57
4
2. Expression du pronom personnel sujet
a) Expression du pronom personnel sujet JE
Vers 117-118-119
ço dist Brandan : «Pur cel (x) vos di
Que de vos (x) voil ainz estre fi
que jo d’ici vos en meinge
Brendan dit : « Je vous le dis
parce que je veux être sûr de vous
avant que je ne vous emmène d’ici
Vers 432 – 433 – 434
U jo en vois e la (x) vus siu
Mult pres d’ici, la (x) vus truverai
Asez cunrei (x) vus porterai
où je m’en vais moi-même et où je vous suis.
Tout près d’ici, là je vous [re]trouverai
[et] je vous apporterai des provisions en grande quantité.
Vers 583 – 584
E il lur a dist : «De vïande
Jo vus truverai plentét grande ;
Il leur dit : « Je vous procurerai
des vivres en grande abondance ;
Vers 647
Prendre si tost jo vus defent
Je vous défends de boire de cette eau pour le moment
Vers 860
A voz cungez jo m’en revoi
Moi, avec votre permission, je repars.
Vers 1246 (2x) – 1247 (2x)
(x) Ne sai si jo mercit crie :
(x) Ne puis ne n’os, quar tant (x) forfis
je ne sais si je devrais implorer ton pardon :
je ne puis ni n’ose le faire, car j’ai commis un si grand crime
5
b) Expression du pronom personnel sujet TU
Vers 14
Mais tul defent ne seit gabéth
Et certes, (x) protège-le afin qu’on n’aille pas se moquer de lui
Vers 423 – 424 – 425 – 426
A cel isle que tu veis la,
Entre en ta nef Brandan, e va.
En cel isle anuit (x) entras
E ta feste demain (x) i fras
Monte à bord de ton bateau, Brendan, et va
dans cette île que tu vois là-bas.
Tu arriveras dans cette île cette nuit
et demain tu y célébreras ta fête [de Pâques]
Vers 513 – (514) – 515 – 516 – 517
« Si tu es de Deu creature,
de me diz dunc prenges cure !
Primes me di que tu seies,
En cest liu que tu deies,
E tu et tuit le altre oisel,
« Si tu es une créature de Dieu,
sois attentif à mes paroles !
Tout d’abord, dis-moi qui tu es,
ce que signifie ta présence en ce lieu,
la tienne et celle de tous les autres oiseaux,
Remarque : reformulation au vers 516
Vers 543
Le num del leu que tu quesis
Cet endroit, dont tu demandais le nom,
Vers 774 – 775 – 776 (2x) – 777 – (778)
Pur quei (x) moüs de ta terre,
Puis (x) revendras en tun païs,
Ileoc (x) muras u tu nasquis.
(x) Muveras d’ici la semaine
As uitaves de Thepaine
pourquoi tu as quitté ton pays,
puis tu reviendras chez toi,
[et] tu mourras là où tu est né.
Tu partiras d’ici dans une semaine,
à l’octave de l’Épiphanie. »
6
c) Expression du pronom personnel sujet IL
Vers 56
U il devreit par dreit setheir
[le lieu] où il aurait dû légitimement demeurer
Vers 58
pur quei e sei e nus fors mist
Si bien qu’il se fit bannir et nous avec lui
Vers 61
Ainz qu’il murget (x) voldreit vetheir
Avant qu’il meure il voudrait voir
Vers 83
Qu’il vit en mer e en terre
ce qu’il vit en mer et sur terre
Vers 108
Tuz les meilurs qu’il i vit
les tout meilleurs qu’il vit là
Vers 136
De ço faire qu’il lur charget
de faire ce qu’il leur ordonne
Vers 141
De tut l’eire cum il irat
tout au long du voyage, tel qu’il se déroulera
Vers 146
As quels il ert mult dulz peres
pour lesquels il était un très doux père
Vers 195
Il les cunut e sis receit
Brendan les reconnut et les accueillit.
Vers 311 – 312
(x) Mist l’en talent prendre an emblét
De l’or qu’il vit la ensemblét
il lui inspira l’envie de prendre en secret
une partie de l’or qu’il voyait accumulé là
Vers 336 – 337
Del larecin, cument il l’out
Cunuit ; a tuz confés (x) se rent
7
du vol, [et comprit] comment il l’avait
découvert ; il se confesse devant tout le monde
Vers 345
Dist al frere ço que il volt
L’abbé dit au moine les paroles qu’il souhaitait lui faire entendre
Vers 395
Il nus est douz e prest amis
Il est pour nous un ami doux et empressé
Vers 436 (2x) – 437 – 438
(x) Vait a l’sile que il bien vit
Vent out par Deu e tost (x) i fud
Mais bien grant mer (x) out trescurud
il navigue vers l’île qu’il distingue clairement
Dieu lui envoya un vent [propice] et il fut bientôt arrivé,
malgré qu’il eût parcouru un long parcours de mer
Vers (473) – 474
Pur ço vus vult Deus ci mener
Que il vus voleit plus asener :
Dieu voulait vous amener ici pour
vous donner encore une leçon :
Vers 525 – (526) – 527 – (528) – 529 – (530) – 531
Cil fut sur nus mis a meistre,
De vertuz Deu nus dut paistre ;
Puroc que (x) fu de grant saveir,
Sil nus estout a meistre aveir.
Cil fud mult fels par superbe,
En desdein prist la Deu verbe.
Puis que (x) out ço fait, lui servimes
Il avait été désigné comme notre maître,
et chargé de nous nourrir de la puissance divine ;
comme il était de grande science,
il nous fallait l’accepter comme maître.
Par orgueil il est devenu un méchant traître,
[et] s’est montré dédaigneux de la parole de Dieu.
Après qu’il eût fait cela, nous [avons continué] à le servir.
Vers 545
E il lur dist : « Or ad un an
Et il leur dit : « Il y a maintenant un an
8
Vers 583
E il lur a dist : «De vïande
Il leur dit : « je vous procurerai
Vers 592 – 593
Cil revisdout la cumpaine
Cum (x) lur ad dist, eissil firent,
il rendait visite à la compagnie
Ils firent tout ce qu’il leur disait,
Vers 765 (2x) – 766
Il le dublat plus que (x) ne solt ;
Bien sai que (x) vus receivre volt.
Il augmenta la quantité au-delà de ce qu’Il avait l’habitude [de donner]
je sais (/vois) bien qu’Il désirait vous recevoir.
Vers 885
Chil de venir ne s’est targét :
Il ne tarde par à se présenter,
Vers 962
‘Quar bien savum qu’il nus ad chers.’
« Nous avons la certitude qu’il nous aime. »
Vers 991 – 992
Ne dutez rien, il nus ert past,
Quelque semblant qu’il nus mustrast.
N’ayez pas peur ; il nous servira de nourriture,
tout hostile qu’il fût envers nous.
Vers 1139 (2x) – 1140
E (x) veit iceals, a tart li est
Que sun turment tut i ait prest.
il vit les moines, il fut impatient
de préparer le supplice qu’il leur destinait.
Vers 1197
Tuit unt oïd qu’il lur ad dit,
Tous avaient entendu ce qu’il leur avait dit,
9
d) Expression du pronom personnel sujet ELLE
Vers 915 – 916
Sur les undes que il muveit,
Pur grant turment plus n’estuveit.
Pour obtenir une grande tempête, il ne fallait pas plus
que les vagues qu’elle soulevait.
10
e) Expression du pronom personnel sujet ON
Vers 243
Puroc ne deit hoem mescreire
c’est la raison pour laquelle on ne doit pas manquer de foi
Vers 953
Ne deit hom mais desesperer,
on ne doit jamais désepérer,
Vers 960
Seignur servir bien deit l’um tel.’
un tel seigneur mérite bien qu’on le serve. »
11
f) Expression du pronom personnel sujet NOUS
Vers 52
Dun nus fumes deseritét
dont nous fûmes dépossédés
Vers 58
Pur quei e sei e nus fors mist
si bien qu’il s’en fit bannir, et nous avec lui.
Vers 127-128
‘Seignurs, ço que (x) penséd avum
Cum cel est gref nus nel savum
« Seigneurs, nous ne connaissons pas
la difficulté de ce que nous avons envisagé
Vers 391 – 392
Dist lur l’abes : « Seignurs, d’ici
ne nus muverum devant terz di
L’abbé leur dit : « Seigneurs, nous ne
repartirons pas d’ici avant trois jours.
Vers 402
altre quant nus or n’i truvum
puisque nous ne trouvons ici personne d’autre [à qui la demander]
Vers 470
U nus feïmes nostre feste
que nous avons célébré notre fête
Vers 531 – (532) – 533 – (534) – 535 – (536) – 537 – (538) – 539 – 540
Puis que out ço fait, (x) lui servimes
E cum anceis obedimes ;
Pur ço (x) sumes deseritét
De cel regne de veritét.
Mais quant iço par nus ne fud,
Tant en avum par Deu vertud :
(x) N’avum peine si cum cil
Qui menerent orguil cum il.
Mal (x) nen avum fors su litant :
La majestéd (x) sumes perdant,
Après qu’il eût fait cela, nous [avons continué] à le servir.
et à lui obéir comme auparavant ;
c’est pour cela que nous avons été déshérités
[et chassés] du royaume de la vérité.
Mais comme nous n’étions pas [nous-mêmes] coupables de ce méfait,
12
voici ce que nous a réservé la puissance de Dieu :
nous ne subissons pas les mêmes châtiments comme ceux
qui manifestèrent de l’orgueil comme lui.
Nous n’avons pas d’autre punition que celle-ci :
nous sommes privés de la majesté [de Dieu].
Vers 648 – 649 – 650
D’ici que (x) avum parlé od gent.
Quel nature nus ne savum
Aient li duit que (x) trovét avum. »
avant que nous ayons parlé avec les gens [du pays].
Nous ne savons pas quelle est la nature
des ruisseaux que nous avons trouvés. »
Vers 717
« Nus sumes ci vint e .iii. ;
« Nous sommes vingt-quatre ici,
Vers 727 – (728) – 729 – 730 – 731
Quant (x) oïmes en plusurs leus
Que ci maneit Albeus li pius,
Par Deu ci nus asemblames
Pur lui que nus mult amames.
Tant cum vesquit, (x) lui servimes
Quand nous entendîmes dire en plusieurs lieux
que le pieux Ailbe demeurait dans cette île,
nous nous réunîmes ici avec l’aide de Dieu
pour l’amour de lui, que nous aimions tant.
Sa vie durant nous le servîmes
Vers 741 – 742 – 743 – 744 – 745 – 746
De deus nus veint, el ne (x) savum,
La vïande que nus avum.
Nus n’i avum nul loreür,
ne n’i (x) veduns aporteür,
Mais chescun jurn tut prest (x) trovum,
Sanz ço qu’ailur nus nel ruvum,
La nourriture que nous mangeons
vient de Dieu, nous ne savons rien d’autre.
Nous n’avons personne qui travaille pour nous,
nous ne voyons personne apporter quoi que ce soit,
mais chaque jour nous trouvons tout prêt,
sans que nous ayons à le demander ailleurs,
13
Vers 753 – 754 – 755
Li clers est freiz que al beivre (x) avum,
Li trubles calz dun nus lavum.
E as hures que nus devum
[l’un], le clair, donne de l’eau fraîche que nous buvons,
[l’autre], le trouble, de l’eau chaude avec laquelle nous nous lavons.
à l’heure voulue,
Vers (1041) – (1042) – 1043 – (1044)
Quar tant cler’ est chascun’ unde
U la mer est parfunde
Que nus veüm desque en terre,
E peissuns tante guerre.
L’eau est si limpide
partout dans les profondeurs
que nous voyons jusqu’au fond de la mer
qui grouille de poissons ;
14
g) Expression du pronom personnel sujet VOUS
Vers 225
Metez vus en Deu maneie
Mettez-vous sous la protection de dieu
Vers 340
Vus le verrez murrir encui
[car] aujourd’hui même vous le verrez mourir
Vers 360 – 361
Quelque peril que vus veiez
que que veiez, (x) n’aëz poür
quel que soit le péril que vous voyiez.
Quoi que vous voyiez, n’ayez pas peur
Vers (365) – 366 – 367 – 368
E de cunrei nen esmaëz
Que vus ici asez n’en aiez :
Ne frat faile desqu’en (x) vendrez
En tel leu u plus (x) prendrez
Quant aux provisions, ne craignez pas
d’en manquer ici :
elles ne viendront pas à manquer jusqu’à ce que vous arriverez
en un lieu tel où vous en prendrez d’autres
Vers 457
Dist li abes : « Ne vus tamez,
L’abbé dit : « N’ayez pas peur,
Vers 646
Dist lur l’abes : « Retenez vus !
[mais] l’abbé leur dit : « Retenez-vous !
Vers 767 – (768) – 769 – 770
Des Thephanie al uitime di
Dunc a primes (x) muverez d’ici ;
Desque dunches (x) sujurnerez,
Puis a primes vus an irez.
Vous ne repartirez d’ici
que le huitième jour (/qu’une semaine) après l’Épiphanie ;
jursqu’alors vous resterez [ici],
ensuite, le jour venu, vous vous en irez. »
15
h) Expression du pronom personnel sujet ILS
Vers 64
Quel merite il recevrunt
[et] quelle punition ils recevront
Vers 182
Que il aveient portét iloec
Qu’ils avaient apportées
Vers 187
Entrerent tuit e il après
Ils embarquèrent tous, et lui ensuite
Vers 241
Cum lur avient li granz busuinz
Quand ils sont dans le [plus] grand besoin
Remarque : reformulation
Vers 372 – 373 – 374 – 375
que il eirent par Deu cumant,
e (x) unt pruvét tut a soüt
par miracles que (x) unt voüt
e bien (x) veient que Deus les paist
qu’ils voyagent sous les ordres du Seigneurs,
et ils en ont la preuve certaine
par les miracles dont ils ont été témoins
Et ils voient bien que c’est Dieu qui les nourrit
Vers 447 – 448 – 449
Charn de la nef qu’il i mistrent,
Pur quire la dunc (x) la pristrent
De la busche (x) en vunt quere
ils débarquèrent alors de la viande
qu’ils avaient chargée à bord, pour la faire cuire.
Ils s’en vont chercher du bois
Vers 465 – 466
E de dis liuues bien (x) choisirent
Le fou sur lui qu’il i firent
et ils distinguaient bien à dix lieues
le feu qu’ils avaient allumé dessus.
Vers 604
Cum il voldrent plus receivre.
autant qu’ils voulurent en accepter.
16
Vers 669 – 670
Tant (x) unt alét que ore (x) veient
Le leu u il aller deient :
Ils marchèrent tant qu’ils virent bientôt
le lieu où ils devaient se rendre :
Vers 800
E cil em prenent plus que cenz.
dont ils pêchent plus d’une centaine.
Vers 807 – 808 – (809) – 810
Tant (x) em pristrent puis a celét
Pur quei (x) furent fol apelét,
Quar li sumnes lur cureit sus
Dum il dormant giseient jus.
en cachette ils en absorbèrent tant
qu’ils méritèrent d’être traités d’insensés,
car le sommeil les gagna,
et ils s’étendirent sur le sol.
Vers 815 – 816
Desqu’en lur sens cil revindrent,
Pur fols forment tuit (x) se tindrent.
Dès qu’ils reprirent connaissance,
ils se rendirent tous compte de leur conduite insensée.
Vers 831 – 832 – 833 – (834) – 835 – 836
E (x) sunt ileoc desque al .iii. di.
(x) Turnerent s’en al samadi
E vunt siglant sur le peisun.
L’abes lur dist : ‘Fors eisum !’
Lur caldere qu’il peridrent
En l’an devant, or la virent ;
et ils restent sur l’île jusqu’au troisième jour.
Le samedi, ils repartent en bateau
et arrivent sur la baleine.
« Accoston », leur dit l’abbé,
et les moines de retrouver leur marmite
qu’ils avaient perdu l’année précédente.
Vers 903 – 904
Puis lur veint el dun (x) s’esmaient
Plus que pur nul mal qu’il traient :
Puis il leur arrive autre chose, dont ils ont plus peur
que de tous les [autres] périls qu’ils ont endurés :
17
Vers 914
Sil fuïssent mil e cinc cenz
[rien qu’à les voir], quinze cents hommes auraient pris la fuite.
Remarque : reformulation
Vers 976
Quelque peril que il traient.
Quel que soit le danger qu’ils courent.
Vers 995 – (996)
Al sun cumant cil le firent :
A tant de tens se (x) guarnirent.
Ils s’approvisionnèrent, suivant les ordres de l’abbé,
pour la période prescrite.
Remarque : reformulation
Vers 1005 – 1006
Mais (x) ne crement pur le purpens
Qu’il unt de Deu, e le defens.
Mais ils n’ont aucune crainte grâce à la résolution
que Dieu leur inspire et à la protection qu’il leur fournit.
Remarque : reformulation
Vers 1029 – 1030
Vunt s’en icil d’iloec avant ;
Par l’espirit Deu mult (x) sunt savant.
Ils repartent et continuent leur voyage ;
ils sont sûrs d’être conduits par l’Esprit de Dieu.
Vers 1194 – 1195 – 1196
Tel (x) nen out en tut lur eire.
Pur quel chose il ne sourent,
Salt en l’uns fors ; puis (x) ne l’ourent.
durant tout leur voyage, ils n’avaient jamais rien vu de pareil.
Sans qu’ils ne sachent pourquoi,
un des moines sauta par-dessus bord, ensuite ils ne le retrouvèrent plus.
18
i) Expression du pronom personnel ELLES
Nous n’avons pas trouvé d’attestations du pronom elles dans notre corpus.
19
3. Non expression du pronom personnel sujet
a) Non expression du pronom personnel sujet JE
Vers 171
Altres, (x) ço crei, avant cestui
Avant Brendan, je crois que personne d’autre
Vers 296
N’en prengez trop, ço (x) vus defent
[Mais] n’en prenez pas trop : cela, je vous le défends
Vers 329
Brandans lur dist : « Seignurs, (x) vus pri,
Brendan leur dit : « Seigneurs, je vous en supplie
Vers 414
(x) Ne sai s’osat, mais poi l’en dist
Je ne sais pas s’il était très causeur, mais le messager lui en dit très peu :
Vers 418
Unc en nul leu tant grant (x) ne vi
jamais en aucun lieu je n’en vis de si grandes. »
Vers 749
A di festal (x) ai tut le men
[et] les jours de fête j’en ai un pour moi tout seul
Vers 766
Bien (x) sai que vus receivre volt
je sais (/vois) bien qu’Il désirait vous recevoir
Vers 772
U (x) mansisse si volunters
[de lieu] où j’aurais voulu rester plus volontiers. »
Vers 863 – 864
Ne dutez rien ; ne (x) demurai :
Quant mesters ert, (x) vus succurrai.
N’ayez pas peur ; je ne tarderai pas à revenir.
Je viendrai vous aider quand il le faudra.
20
Vers 1091 – 1092
Dist as muines : ‘Creés mun sen :
Toluns d’ici, alum nus en ! »
Il dit aux moines : « Faites-moi confiance ;
je suis d’avis que nous partions d’ici ; allons-nous-en ! »
Remarque : reformulation
Vers 1199
« Seignur, or de vus (x) sui preiez
« Seigneurs, à présent je suis arraché à vous
Vers 1240
Faldrat ma morz n’ivern ne estét ?
la mort que je souffre prendra-t-elle fin en hiver ou en été ?
Remarque : reformulation
Vers 1244
Ert nul’ hure que (x) seie fors ?
serai-je jamais délivré de mes souffrances ?
21
b) Non expression du pronom personnel sujet TU
Vers 9
que (x) comandas ço (x) ad enpris
ce que tu as commandé il l’a entrepris.
Vers 344
(x) Gettes mei fors de ma maisun ?
m’expulses-tu de ma demeure ?
Vers 1040
U si ço nun, murir (x) nus fras ;
autrement tu nous feras mourir.
Vers 1243
Jesu, tant (x) es misericors ;
Jésus, tu es si miséricordieux :
22
c) Non expression du pronom personnel sujet IL
Vers 9
que (x) comandas ço (x) ad enpris
ce que tu as commandé il l’a entrepris.
Vers 11
en letre (x) mis e en romanz
[il] l’a mis par écrit et en langue française
Vers 15
quant (x) dit que (x) set e (x) fait que (x) peot
quand il dit ce qu’il sait et qu’il fait ce qu’il peut
Vers 20
de naisance (x) fud des Ireis
il était d’ascendance irlandaise
Vers 21
pur ço que (x) fud de regal lin
parce qu’il appartenait à un lignage royal
Vers 22
puroc (x) entent a noble fin
il tendait vers un noble but
Vers 23
bens (x) out que l’escripture dit
il savait bien ce que dit l’Écriture
Vers 26
que plus demander ne (x) savrat
qu’il ne pourra pas en demander plus
Vers 30-31
en cest secle cum en eisil
(x) prist e l’ordre e les habiz
[où l’on est] comme en exil, il prit l’habit de moine
et [avec] l’habit [il adopta] également la règle monastique
Vers 32
puis (x) fud abes par force esliz
ensuite il fut élu abbé à son corps défendant
Vers 43
de Deu prïer (x) ne fereit fin
qu’il ne cersserait pas de prier dieu
23
Vers 46
quer a trestuz (x) ert amis
car il était l’ami de tous
Vers 47
mais de une rien (x) li prist talent
mais il lui prit le désir d’une chose
Vers 48
dunt Deu prïer (x) prent plus suvent
pour laquelle il se mit à prier Dieu plus souvent
Vers 49
Que (x) lui mustrast cel paraïs
[à savoir] qu’Il lui montre le paradis
Vers 53
bien (x) creit qu’ileoc ad grant glorie
il croyait bien qu’il régnait là une grande gloire céleste
Vers 59
Deu (x) en prïet tenablement
Il prie Dieu constamment
Vers 60
(x) cel lui mustret veablement
pour qu’Il lui fasse clairement vois ce lieu
Vers 65
Enfern (x) prïed vetheir oveoc
[Car] il prie pour pouvoir également voir l’enfer
Vers 73
Od sei primes cunseil (x) en prent
D’abord il décide en lui-même
Vers 76
Murs (x) out bons e sainte vitte
il avait de bonnes mœurs et menait une sainte vie
Vers 80
De lui (x) voldrat aveir ados
auprès de lui il cherchera un soutien
Vers 84
Quant son filiol alat (x) querre
quand il alla chercher son filleul
24
Vers 87
Mais de ço (x) fud mult voluntif
mais il avait été fort désireux
Vers 90
En mer (x) se mist e nun en vain
il prit la mer, et ce ne fut pas en vain
Vers 91
Quer puis (x) devint en itel liu
car par la suite il arriva en un lieu tel
Vers 95
U (x) fud poüz de cel odur
[et] où il fut nourri par l’odeur
Vers 99
De paraïs (x) out le vie
qu’il mena [là] la vie du paradis
Vers 100
E des angeles (x) out l’oïde
Et qu’il [y] perçut le chant des anges.
Vers 102
U (x) vit iço qu’a Brandan (x) dist
où il vit ce qu’il venait de décrire à Brendan
Vers 105
De meilz (x) en creit le soen conseil
il n’en suit que d’autant mieux ses conseils
Vers 107
De ses munies quatorze (x) eslist
Parmi ses moines il en choisit quatorze
Vers 109
E (x) dit lur ad le soen purpens ;
et il leur a révélé son projet
Vers 110
(x) Savrat par eols si ço ert sens
par eux il saura s’il s’agit d’une entreprise sensée
Vers 114
Que ço (x) enprist vassalment
qu’il avait conçu ce projet courageusement
25
Vers 123
Dunc prent le abec iceols (x) esliz
Alors l’abbé prend avec lui ceux qu’il a choisis
Vers 126
Iloec (x) lur dist cum hoem senez
là il leur parla comme un sage
Vers 129
Mes prïum Deu que (x) nus enseint
mais prions Dieu qu’Il nous enseigne
Vers 132
Juine faimes que (x) la nus guit
observons le jeûne afin qu’Il nous guide [jusque] là
Vers 142
Enz en sun quer si (x) l’aspirat
il l’inspira tant dans son cœur
Vers 144
Cum Deus voldrat (x) le seon alment
comment Dieu voulait qu’il entreprenne le voyage
Remarque : reformulation
Vers 145
Dunc (x) prent congé a ses freres
Alors il prit congé de ses moines
Vers 147
E (x) dist lur ad de seon eire
et il leur a dit à propos de son voyage
Vers 148
Cument a Deu le (x) voleit creire
comment il voulait le confier à Dieu
Vers 149
A sun prïur tuz (x) les concreit
il les confie tous à son prieur
Vers 150
Dist lui cument (x) guarder les deit
et lui dit comment il doit s’occuper d’eux
26
Vers 151
(x) Cumandet eals lui obeïr
il leur ordonne de lui obéir
Vers 152
(x) Cum lur abét mult bien servir
[et] de très bien le servir comme s’il était leur abbé
Remarque : reformulation
Vers 158
U (x) sout par Deu que (x) dout entrer
[là] où il savait, par [une révélation de] Dieu, qu’il devait embarquer
Vers 159
Unc (x) ne turnat vers sun parent
Il n’alla pas voir son père
Vers 160
En plus cher leu (x) aller entent
[car] il comptait se rendre en un lieu plus digne d’estime
Vers 161
(x) Alat tant quant terre dure
Il marcha aussi loin que la terre s’étendait
Vers 163
(x) Vint al roceit que li vilain
Il vint au rocher que les gens de la région
Vers 173
Ci aloeces (x) fist atraire
À cet endroit même il fit apporter
Vers 174
Mairen dunt sa nef (x) fist faire
des matériaux avec lesquels il fit construire son navire
Vers 177
Uindre la (x) fist qu’ (x) esculante
Il le fit calfater pour qu’il (le bateau) glissât
Vers179
Ustilz (x) i mist tant cum estout
Il y installa tout l’équipement nécessaire
Vers 181
La guarisun (x) i mist odveoc
Il y mit également les provisions
27
Vers 196
Qu’ (x) en avendrat bien (x) le purveit
Il prévoit bien ce qu’il en adviendra
Vers 198
(x) Ne lur celet, ainz (x) lur ad dist
il ne le leur cacha pas, au contraire il leur a dit
Vers 202
Mais par Deu (x) ert bien sustentez
mais il sera bien soutenu par Dieu
Vers 204
Dunc (x) drechet sus ambes les mains
il leva les deux mains au ciel
Vers 207
E puis (x) levet sus la destre
puis il lève la main droite
Vers 245
Tant en face cum faire (x) pout
fasse tout ce qu’il peut
Vers 246
Deus li truverat ço que lui (x) estout
[pour le reste,] Dieu trouvera pour lui tout ce dont il a besoin
Vers 267
Dreit (x) les meinet a un castel
il les mène tout droit à un château
Vers 283
Fors sul les soens altres (x) n’i vit
Là, il ne vit personne d’autre que les siens
Vers 284
(x) Prent a parler si lur ad dist
il se met à parler, et leur dit :
Vers 300
Quer bien (x) purvit que ert a venir
parce qu’il prévoyait bien ce qui allait arriver
28
Vers 315
Cume (x) lui tendeit un hanap d’or
[et] comment il lui tendait un calice en or
Vers 319 – 320 – 321
E puis que (x) out fait le larecin
(x) Revint dormir en sun reclin
Tut vit l’abes u (x) reposout
Et après qu’il eût commis ce vol,
il revint dormir dans son lit
De l’endroit où il était couché, l’abbé vit fort bien
Vers 324
Sans candeile tut (x) le vetheit
il vit tout cela sans chandelle
Vers 333
Forment plurant (x) dist a freres
Le visage inondé de larmes, il dit aux moines :
Vers 357
Pain (x) lur portet e le beivre
il leur apporte du pain et de quoi boire
Vers 359
Puis (x) lur at dist : « Soür sëez,
Ensuite il leur dit : «Ayez confiance,
Vers 369 – 370
Parfunt clinant, (x) saisit les en
plus (x) ne lur dist, mais alat s’en
S’inclinant très bas, il les leur remet.
il ne leur dit rien de plus, mais s’en va [aussitôt après]
Vers 407 – 408 – 409
Peil (x) out chanut, oilz juvenilz
Mult (x) out vescut sans tuz perilz
Pain (x) lur portet de sun païs
Il avait les cheveux blancs, [mais] les yeux jeunes :
il avait vécu longtemps à l’abri de tout danger
Il leur apporte du pain sans levain de son pays
Vers 412
Tut (x) lur truverat, ço (x) promet bien
il leur trouvera tout : cela il le promet bien
29
Vers 414 – 415
Na s’ai s’osat, mais poi (x) l’en dist
ço (x) respundit : « Asez avum
Je ne sais pas s’il était très causeur, mais le messager lui en dit très peu
il répondit ceci : « nous avons en abondance
Vers 461
(x) Jetet lur fuz e bien luncs raps
Il leur lança des perches et de très longues cordes
Vers 480
Bien (x) ad curut de mer un grant pan
Il parcourut une grande distance en mer
Vers 496
La brancheie mult la serre
il était recouvert d’un branchage si épais
Remarque : reformulation
Vers 498
(x) Umbraiet luin e tolt le clair
qu’il projetait son ombre au loin et masquait la lumière du jour.
Vers 505
Quel leu ço seit u (x) est venuz
[et] quel est ce lieu où il est arrivé
Vers 553 – 554
Puis que (x) out ço dist, si s’en alat
En sun arbre dun (x) devalat.
Après qu’il eût prononcé ces paroles, l’oiseau s’en retourna
au sommet de l’arbre d’où il était descendu.
Vers 566
Plus (x) vus aimet que ne quïez ! »
[car] Il vous aime plus que vous ne le pensez ! »
Vers 589
Dunc (x) prent cungé e s’en alat
Alors il prit congé et s’en alla
Vers 605
Tut (x) ad cunté e pleins uit meis ;
Il avait tout calculé pour huit mois entiers :
30
Vers 612 – 613 – 614 – 615
(x) Dist a Brandan que s’en alast.
Granz curs (x) li dist qu’ (x) ad a faire,
E mult ennois (x) ad a traire :
Uit meis enters (x) estreit baïs
il ordonne à Brendan de s’en aller.
Il dit qu’il lui restait un grand parcours à faire,
et qu’il avait [encore] à endurer beaucoup de souffrances :
il serait dans l’attente pendant huis mois encore.
Vers 656 – 657
Quar moines ert ; mais (x) rien ne dit.
(x) Vient enchaër as pez Brandan.
car le nouveau venu était moine [lui aussi], mais il ne dit rien.
Il vient se jeter aux pieds de Brendan,
Vers 659
(x) Clinet parfunt e humlement ;
Il s’incline profondément et avec humilité
Vers 661
Puis (x) prent Brandan par la destre
Après cela il prend Brendan par la main droite
Vers 663
As altres (x) dist par sun seigne
Par un signe, il invite les autres
Vers 668
Goït les (x) fort od mult dulz hait
il leur fit [pourtant] un accueil chaleureux et très joyeux.
Vers 714
D’els e del leu (x) lur enseignet :
[À présent] il les renseigne sur sa communauté et sur l’endroit où ils se trouvent :
Vers 722 – 723 – (724) – 725
Mais tut (x) guerpit pur cest leu.
Quant (x) alat en tapinage,
Apparut lui Deu message
Qui l’amenat ; (x) trovat leu prest :
mais il abandonna tout pour [venir vivre en] cet endroit.
Quand il se retira du monde,
un messager de Dieu lui apparut
Qui l’amena [ici] ; il trouva un lieu tout prêt
31
Vers 733 – 734 – (735) – 736
Puis que le ordre (x) nus out apris
E fermement (x) nus out asis,
Dunc lui prist Deus de sei pres ;
Uitante anz ad que (x) prist decés.
Lorsqu’il nous eut initié à son ordre
et qu’il nous eut fermement établis,
Dieu le rappela à lui ;
voici quatre-vingts ans qu’il est mort.
Vers 824
En la terre u (x) fud l’altre an.
qu’il avait visitée l’année précédente.
Vers 827
(x) Bainéd i ad les travailez,
Il invita ceux qui étaient fatigués à prendre un bain,
Vers 858 – 859
Cunreid (x) portet pleine sa nef.
(x) Dist lur : ‘Ci streiz del tens un poi.
il leur avait amené un plein bateau de provisions.
Il leur dit : « Vous resterez ici quelques temps.
Vers 869
Sun vol ad fait tut a cerne
Il décrivit un large cercle
Remarque : reformulation
Vers 871
Parler (x) voldrat ; Brandan le veit,
Voyant qu’il désire parler,
Vers 881 – 882 – 883
Quant ou ço dist, si s’en alat
En sun arbre dum (x) devolat.
La nef en mer parfunt (x) flotet.
Ayant ainsi parlé, il rejoignit le sommet de l’arbre
d’où il était descendu.
Le bateau gagne le grand large où il danse sur l’eau.
32
Vers 887 – (888) – 889
E de sa nef (x) charget la lur
Od bon cunrei de grant valur.
Puis (x) apelet Filz Marie.
et il fait transborder sur le vaisseau des frères
une quantité de ravitaillement précieux.
Puis il invoque le Fils de la Vierge
Vers 912
Plus halt (x) braiet que quinze tors.
il hurle plus fort que quinze taureaux.
Vers 925
Puis que out dist, a Deu (x) urat ;
Après avoir parlé ainsi, il adressa une prière à Dieu,
Vers 984
Que ariver (x) lur fait a terre
qu’il est rejeté près d’eux sur le rivage.
Vers 986
Pur ço que a cez aise (x) facet.
afin qu’il soulage la faim des pèlerins.
Vers 1004
Icist perilz, enz fust graindres.
autrement il eût été plus grand.
Remarque : reformulation
Vers 1012 – 1013
Sul od l’ungle que (x) ne l’en port ;
Pur sul l’aïr e le sun vent
qu’il ne puisse l’arracher d’un seul coup de griffe.
La violence de son attaque et le vent qu’il soulève suffissent
Remarque : reformulation au vers 1013
Vers 1018
Vers le gripun (x) drechet sun vol
il dirige son vol sur le griffon.
Vers 1034
A saint Perrunt l’apostorie.
vu qu’il était le premier pape.
Remarque : reformulation
33
Vers 1050
E pur mult fols (x) les aësmat :
il estime qu’ils perdent la raison
Vers 1057
(x) Chantat plus halt e forment cler.
Il se mit à chanter encore plus fort, à tue-tête.
Vers 1076 – 1077 – 1078 – 1079 – (1080)
Ainz que (x) venget semblet lui tart.
Sigle levét (x) entret en tref
Od ses muines e od sa nef.
D’esmaragde (x) veit un alter
U li pilers descent en mer ;
et il a hâte d’y parvenir.
Sans amener la voile, il arrive sous l’auvent
avec son bateau et ses moines.
Là où le pilier s’enfonce dans la mer,
il voit un autel d’émeraude
Remarque : reformulation aux vers 1077-1078
Vers 1091
(x) Dist as muines : ‘Creés mun sen :
Il dit aux moines : « Faites-moi confiance ;
Vers 1095 – 1096
Bien (x) set de D'une resortet,
Pur servir l’en quant (x) le portet.
Il est certain de ne pas se détourner de Dieu en le prenant,
puisqu’il le destine à l’office divin.
Vers 1120
Bien (x) set, pres (x) est d’enfern li puz :
Il sait bien qu’il est [tout] près du puits de l’enfer :
Vers 1134 – 1135 – 1136
D’enfern (x) eisit tuz eschalfez ;
Un mail de fer en puin (x) portout :
A un piler asez (x) i out.
[et] tout brûlant il sortait de l’enfer ;
dans sa main il portait un marteau de fer :
il était assez gros pour pouvoir servir de pilier.
34
Vers 1142 – 1143
A granz salz (x) curt en sa forge.
(x) Revint mult tost od sa lamme
il courut dans sa forge à grands pas.
Bien vite il en ressortit avec sa lame
Vers 1145
Es tenailes dun (x) la teneit
Des les tenailles avec lesquelles il la portait
Vers 1147
(x) Halcet le sus vers la nue
Il la soulèva vers le ciel
Vers 1223
Mult (x) ert periz e detirez,
Il était dans un état lamentable ;
Vers 1225
D’un drap liéd sun vis (x) aveit,
Il avait enveloppé son visage dans un morceau d’étoffe
Vers 1227
Fort (x) se teneit a la pere
De toutes ses forces il se tenait à la pierre
Vers 1231
Le une le fert, pur poi (x) ne funt ;
Une vague le frappe, si bien qu’il s’en faut de peu qu’il ne périsse ;
Vers 1238
Mult lassement (x) fait ses pleintes :
il se lamente péniblement :
35
d) Non expression du pronom personnel sujet ELLE
Vers 382
cum de plus luin (x) lur pout pareir
dès qu’elle fut visible à l’horizon
Remarque : reformulation
Vers 932
(x) Guerpit la nef, traist s’arere.
elle se détourne du bateau et recule.
Vers 948 – 949 – 950 – (951) – 952
(x) Morte rent la primereine :
A denz tant fort (x) la detirat
Que en tres meitez (x) le descirat.
E puis que fist la venjance,
(x) Realat a sa remanance.
elle mit à mort la première :
elle la lacéra si fort avec ses dents
qu’elle la déchira en trois morceaux.
Ayant ainsi accompli sa vengeance,
elle regagna son repaire.
Vers 1105
De flaistre fum (x) ert fumante,
Elle dégageait une fumée malodorante
Vers 1107
De grant nerçun (x) ert enclose.
elle était obscurcie par une brume noire qui l’environnait.
Vers 1153 – 1154 – 1155
Cum plus (x) halcet e plus (x) enprent,
En alant forces (x) reprent. -> reformulation : en alant – plus elle s’élève
Primes (x) depart, puis (x) amasset ;
plus elle s’élève, plus elle s’embrase,
[et] elle augmente de force à mesure qu’elle vole.
D’abord elle tombe en morceaux, puis elle se reforme ;
Vers 1157
U (x) cheit en mer, ileoc (x) art
Là où elle tombe dans la mer, elle brûle
Vers 1183
Ne (x) demurat fors al matin
À peine l’aube parut-elle le lendemain
36
Vers 1240
Faldrat ma morz n’ivern ne estét ?
la mort que je souffre prendra-t-elle fin en hiver ou en été ?
Remarque : reformulation
37
e) Non expression du pronom personnel sujet ON
Vers 14
mais tul defent ne (x) seit gabéth
et certes, (x) protège-le afin qu’on n’aille pas se moquer de lui
Vers 30-31
en cest secle (x) cum en eisil
(x) prist e l’ordre e les habiz
[où l’on est] comme en exil, il prit l’habit de moine
et [avec] l’habit [il adopta] également la règle monastique
Vers 183
Ne plus que a quarante dis
De vïande (x) n’i out enz mis
On n’embarqua des vivres
que pour quarante jours, pas plus.
Vers 955
Quant (x) veit que Deux si prestement
Quant on voit Dieu si prompt (à fournir)
38
f) Non expression du pronom personnel sujet NOUS
Vers 191
De ton muster (x) sumes meüd
« Nous sommes partis de ton monastère
Vers 192
E desque si (x) t’avum seüd
et nous t’avons suivi jusqu’ici
Vers 286
Si rien i at dun (x) est mesters
s’il y a de quoi qu ce soit dont nous avons besoin
Remarque : reformulation
Vers 394
Cumli Filz Deu suffrit peine
où nous commémorons les souffrances du Fils de Dieu
Remarque : reformulation
Vers 415 – 416
ço respundit : « Asez (x) avum
Quanque des quers penser (x) savum.’
il répondit ceci : « nous avons en abondance
tout ce à quoi nous pouvons penser dans nos coeurs
Vers 519 – 520 – 521
L’oisel respunt : « Angele (x) sumes,
e enz en ceil jadis (x) fumes ;
E (x) chaïmes de halt si bas
L’oiseau répond : « Nous sommes des anges,
et nous demeurions autrefois au ciel ;
de si haut nous sommes tombés si bas
Vers 760 – 761 – 762 – 763
(x) N’avum frere de ço se paint.
Ici (x) vivum e sanz cure,
Nule vie (x) n’avum dure.
Ainz que vostre venir (x) sousum,
nous n’avons aucun moine qui s’en occupe.
Ici nous vivons sans souci,
nous ne rencontrons aucune difficulté
Avant [même] que nous apprenions votre arrivée,
39
Vers 962
‘Quar bien (x) savum qu’il nus ad chers.’
« Nous avons la certitude qu’il nous aime. »
Vers 1046
Unc (x) n’oïmes parler de tels.
dont nous n’avons jamais entendu parler.
Vers 1048
Sachez, murir nus estout.’
nous sommes condamnés à mourir, sache-le bien. »
Remarque : reformulation
Vers 1092
(x) Toluns d’ici, alum nus en !’
je suis d’avis que nous partions d’ici ; allons-nous-en ! »
Vers 1218
Sachum que seit, si i (x) curum. »
dépêchons-nous d’aller voir ce que c’est. »
40
g) Non expression du pronom personnel sujet VOUS
Vers 227
Quant (x) averez vent, siglez sulunc
Quand vous aurez du vient, faites voile en vous servant de lui
Vers 363
E ço (x) verrez que (x) alez querant
et vous verrez ce que vous êtes en train de chercher
Vers 427 – 428 – 429
Demain enz nuit (x) en turnerez
Pur quei si tost, bien (x) le verrez !
Puis (x) revendrez e sans peril
Demain vous repartirez de là avant la fin de la journée
pourquoi [revenir] si vite, vous le verrez bien !
Puis vous reviendrez, et sans courir de danger
Vers 431
E puis (x) irez en altre liu
et ensuite vous irez en un autre lieu
Vers 452
Dist le bailis : « Or (x) asëez ! »
l’intendant annonça : « Maintenant, asseyez-vous ! »
Vers 467 – 468
Brandan lur dist : « Freres, (x) savez
pur quei poür (x) oüt avez ?
Brendan leur dit : « Mes frères, savez-vous
pourquoi vous avez eu [tant] peur ?
Vers 472
Ne (x) merveillés de ço, seignurs !
Ne vous étonnez pas de cela, seigneurs !
Vers 475 – 476
Ses merveilles cum plus (x) verrez,
En lui puis mult mielz (x) crerrez
plus vous verrez de ses merveilles,
plus vous croirez plus fermement en Lui par la suite
Vers 518
Pur ço que a mei (x) semblez mult bel. »
car vous me semblez si beaux. »
41
Vers 546 – (547) – 548 – 549 – (550) – 551
Que (x) avez suffert de mer le han ;
Arere sunt uncore sis
Ainz que (x) vengez en paraïs.
Mult (x) suffreiz e peines e mal
Par occean, amunt aval,
E chescun an (x) i frez la feste.
que vous souffrez les épreuves de la mer ;
il vous reste encore six ans [de voyage]
avant que vous arriviez au paradis.
Vous souffrirez beaucoup de peines et de souffrances
en parcourant l’océan en tous sens,
et chaque année vous célébrerez la fête
Vers 563
Dunc dist le abes : « Avez (x) oïd
Alors l’abbé parla : « Avez-vous entendu
Vers 566
Plus vus aimet que (x) ne quïez ! »
[car] Il vous aime plus que vous ne le pensez ! »
Vers 585
Asez (x) averez e sans custe
vous en aurez largement et sans peine
Vers 588
Dous meis (x) estrez si enturn. »
vous passerz deux mois ici. »
Vers 751 – 752
E des dous duiz que (x) veïstes,
Dunt pur un poi (x) ne preïstes,
En ce qui concerne les deux ruisselets que vous avez vus,
[et] dont vous avez failli boire,
Vers 818
Que ne (x) chaiez meis en ubli
de peur que vous ne manquiez à votre devoir à nouveau.
42
Vers 859 – (860) – 861
Dist lur : ‘Ci (x) streiz del tens un poi.
A voz cungez jo m’en revoi.
Ici (x) mandrez e sanz custe
Il leur dit: “Vous resterez ici quelques temps.
Moi, avec votre permission, je repars.
Vous demeurerez ici sans rencontrer de difficulté
Vers 873 – 874
‘Seignurs’, ço dist, ‘a cest sujurn
Tuz cez set anz (x) freiz vostre turn.
« Seigneurs », dit l’oiseau, « vous reviendrez sur cette île
tous les sept ans
Remarque : reformulation du verbe
Vers 876 – 877 – (878) – 879 – (880)
(x) Sujurnerez en l’isle Albeu ;
La ceine (x) freiz e le mandét
U vostre hoste l’at cumandét.
E chescun an (x) freiz la feste
De la Pasche sur la beste.’
vous irez séjourner sur l’île d’Ailbe.
Vous célébrerez la communion de Pâques et le lavement des pieds
là où votre hôte l’a prescrit.
Et chaque année vous célébrerez la fête de Pâques
sur la baleine. »
Vers 922
D'une (x) perdez ne bon oür,
vous ne perdiez par [l’amour de] Dieu, ni le bonheur [qu’Il vous réserve],
Vers 990
(x) Mangerez en grant espace.
Vous aurez à manger pour longtemps.
Vers 993
Tant en pernez as voz suspeis
Prenez-en autant que vous jugez bon
Remarque : reformulation
43
Vers (1051) – 1052 – 1053
‘Seignurs, de rien pur quei dutez ?
Voz crëances cum (x) debutez !’
Perilz (x) avez suffert plus granz ;
« Seigneurs, pourquoi avoir peut de quoi que ce soit ?
Voilà que vous abandonnez votre foi !
Vous avez couru des dangers plus grands que celui-ci,
Remarque : reformulation au vers 1052
Vers 1116 – 1117
Que a enfern (x) estes cachez.
(x) N’oustes mester unc mais si grant
que vous êtes propulsés vers l’enfer.
Jamais vous n’avez eu si grand besoin
44
h) Non expression du pronom personnel sujet ILS
Vers 33
par art de lui mult (x) i vindrent
grâce à son habileté ils furent nombreux à venir
Vers 70
Ne entre eols nen (x) unt amur ne fai
et ils n’ont parmi eux ni amour ni foi
Vers 111-112-113
Quant (x) oïrent iço de lui,
Dunc (x) en parlerent dui e dui
(x) Respundent lui comunalment
Quand ils entendirent cela de lui,
ils en parlèrent alors deux à deux.
Ils lui répondirent tous ensemble
Vers 154
Plurent trestuit par grant dehait
Tous pleurent à sauce du grand chagrin qu’ils éprouvent
Remarque : reformulation
Vers 209
(x) Drechent le mast, tendent le veil
Ils dressent le mât, tendent la voile
Vers 213
Tutes (x) perdent les veüthes
Ils ne voient plus rien
Vers 215
Pur le bon vent (x) ne s’en feignent
Ils ne ralentissent pas leurs efforts parce que le vent est favorable
Vers 216
Mais de nager mult (x) se peinent
mais [au contraire] ils se donnent beaucoup de peine pour [continuer à] ramer
Vers 217
E (x) desirent pener lur cors
et ils s’imposent beaucoup de peine
Vers 218
A ço vetheir pur quei (x) vunt fors
pour voir ce pourquoi ils se sont mis en route
45
Vers 219
Si (x) cururent par quinze jurs
Ils firent voile ainsi pendant quinze jours
Vers 229
As aviruns dunc (x) se metent
Sur ce ils se mettent aux avirons
Vers 230
La grace Deu mult (x) regrettent
Ils implorent avec ferveur la grâce de Dieu
Vers 231
Quer (x) ne sevent quel part aller
Car ils ne savent pas de quel côté aller
Vers 234
Ne u (x) devrunt lur curs prendre
ni sur quel point ils devront mettre le cap
Vers 238
Pener (x) pourent sanz defaile
ils se donnent beaucoup de mal sans faible
Vers 239
Force (x) perdent e vïande
[mais] ils perdent leurs forces en même temps que la nourriture s’épuise
Vers 251
Mais (x) n’i truvent nul’ entrethe
Mais ils ne trouvent aucun mouillage
Vers 259
Amunt aval port (x) i quistrent
En allant et en venant ils se mirent en quête d’un port
Vers 260
E al querre treis jurs (x) mistrent
et ils mirent trois jours à chercher
Vers 261 - 262
Un port (x) truvent, la (x) se sunt mis
Qui fud trenchéd al liois bis
Ils en trouvèrent un, qui était creusé
à même la roche de calcaire gris : là ils abordèrent
46
Vers 263
Mais (x) n’i unt leu fors de une nef
mais ils n’y trouvèrent de place que pour un seul bateau
Vers 265
(x) Ferment la nef, eisent s’en tuit
Ils attachent le bateau et descendent tous à terre
Vers 273
Paleiz (x) veient tuz a marbre
Ils découvrent un palais tout en marbre
Vers 279
Dunc (x) esgardent l’alçur palais
Alors ils lèvent les yeux sur l’imposant palais
Vers 288
ço que plus dunc (x) desirerent
ce qu’à ce moment-là ils désiraient par-dessus tout
Vers 293 – 294
Quanque (x) voldrent tut a plentét
(x) Trovent iloec u (x) sunt entrét
Là où ils sont entrés, ils trouvent
tout ce qu’ils veulent en abondance
Vers 303
Tant (x) mangerent cum lur plout
Ils mangèrent tant qu’il leur plut
Vers 305 – 306 – 307 – 308
De Deu loër (x) ne se ublïent
Mais sa merci mult (x) la crïent
Del herberger (x) pregnent oser
Quant fud l’ure, (x) vunt reposer
Ils n’oublient pas de louer Dieu
mais [au contraire] ils implorent sa grâce avec ferveur.
Ils se risquent à passer la nuit [dans le palais],
[et] quand l’heure fut venue, ils allèrent se reposer.
Vers 309
Cum (x) endormit furent trestuit
Lorsqu’ils furent tous endormis
Vers 328
E puis al quart (x) s’en turnerent
et puis, le quatrième jour ils repartirent
47
Vers 377
Siglent al vent, (x) vunt s’en adés
Ils repartant aussitôt, poussés par le vent
Vers 379
(x) Curent par mer grant part de l’an
Ils parcourent la mer une grande partie de l’année
Vers 381
Terre (x) veient a lur espeir
Ainsi qu’ils l’éspéraient, ils virent une terre
Vers 383
(x) Rechent lur nef icele part
Ils dirigent leur bateau dans cette direction
Vers 385
(x) Lascent cordes, metent veil jus
Ils larguent les cordages et amènent la voile
Vers 387
(x) Veient brebiz a grant fuisun
Ils voient un immense troupeau de brebis
Vers 404
E par tres dis ileoc (x) estunt
et ils y demeurèrent trois jours.
Vers 440
Terre (x) prennent e sanz peine
Ils accostent sans difficulté
Vers 443 – 444
Beal servise e mult entrin
(x) Firent la nuit e la matin.
Toute la nuit jusqu’au matin, ils célèbrent
un bel office très solennel.
Remarque : autre structure de la phrase
Vers 463
Enz en la nef entré (x) sunt tuit
Ils réussirent tous à regagner le bateau
48
Vers 483 – 484
(x) Venent i tost e arivent
Ne de l’eisir (x) ne s’eschivent
ils l’atteignent sans délai et accostent ;
ils n’ont pas peur de débarquer
Vers 486 – 487
Mais a terre le nef (x) butent
Amunt un duit (x) s’en vunt süef
ils tirent le bateau sur le rivage
Ils remontent lentement le long d’un cours d’eau
Vers 557 – 558 – 559
Od dulces voices mult halt (x) crïent
E enz en le cant Deu (x) mercïent.
Or (x) unt veüd en lur eisil
De leurs voix mélodieuses ils chantent bien haut,
et dans leur chant ils rendent grâces à Dieu.
À présent ils ont vu, dans leur exil,
Vers 567 – (568) – 569 – (570) – 571 – (572) – 573
Le nef (x) leisent en l’ewage
E mangerent al rivage ;
E puis (x) chantent la cumplie
Od mult grant psalmodie.
Puis enz as liz tuit (x) s’espandent
E a Jesu se cumandent.
(x) Dorment cum cil qui sunt lassét
Ils laissent le bateau dans le lit du cours d’eau
et vont manger sur le rivage ;
Puis ils chantent complies
sur une psalmodie très solennelle.
Après quoi ils se couchent tous dans leur lit
et se recommandent à Jésus.
Ils s’endorment, comme des gens qui sont épuisés
Vers 576
Matines (x) dïent ainzjurnals
ils récitent les matines, qui doivent se dire avant l’aube,
Vers 581 – 582
Par qui (x) asen unt cest avei,
e par sun dun (x) unt le cunrei.
par les avis de qui ils sont guidés,
et par l’intermédiaire de qui ils reçoivent des provisions.
49
Vers 593
Cum lur ad dist, eissil (x) firent,
Ils firent tout ce qu’il leur disait
Vers 599
Asez (x) en unt a remüers
Ils en ont suffisamment en réserve
Vers 601
E bien de tut (x) se guarnissent
Ils se ravitaillent bien de tout
Vers 608
(x) Prengnent cungét e puis s’en vunt.
ils prennent congé [de lui] et puis s’en vont.
Vers 610
Quel part (x) dourent tendre lur curs.
dans quelle direction ils devaient faire voile.
Vers 618
U (x) estreient al Naël Deu.
où ils seraient pour Noël.
Vers 621
(x) Vunt s’en mult tost en mer siglant,
Ils prennent la mer et font la voile à bonne allure,
Vers 625 – 626 – (627) – 628 – 629 – (630) – 631
Puis quatre meis (x) veient terre,
Mais fort lur est a cunquerre.
E nepurtant a la parfin
Al siste meis (x) virent la fin.
(x) Prengent terre, mais nepuroec
Nul’ entree truvent iloec.
Virun (x) en vunt .xl. dis
Au bout de quatre mois ils voient une terre,
mais ils ont beaucoup de peine à l’atteindre.
Et pourtant, en fin de compte,
le sixième mois ils virent leurs efforts aboutir.
Ils sont sur le point d’accoster, mais
ne trouvent aucun endroit pour débarquer.
Ils cherchent tout autour pendant quarante jours.
Remarque : reformulation au vers 626
50
Vers 635 – 636 – (637) – 638
Puis mult a tart (x) truvent un cros
Que fait uns duiz, qui lur ad os.
Qui cundüent lur nef amunt
Reposent sei quar (x) lassét sunt.
Puis, longtemps après, ils trouvent un chenal
creusé pas un cours d’eau dont ils savent tirer parti.
[Les moines], qui halent leur bateau en amont
s’arrêtent pour se reposer, car ils sont fatigués.
Remarque : reformulation au vers 636
Vers 643
E funtaine (x) trovent duble,
ils trouvent une source d’où naissent deux ruisselets
Vers 645
(x) Vunt i curant cum sedeillus.
Ils s’y précipitent comme des assoiffés,
Vers 655
Poür oussent ne fust l’abit
Les moines auraient eu peur s’ils n’avaient pas reconnu l’habit,
Remarque : reformulation
Vers 666
Quels leus ço seit u (x) se sunt mis.
du lieu où ils étaient arrivés
Vers 693 – (694) – 695 – 696 – 697
(x) Meinent les en lur abeïe,
Brandan e sa cumpainie.
Servise (x) funt bel e leger ;
Nel (x) voleient trop agreger.
Puis (x) vunt manger en refraitur
et ils les conduisent, Brendan et ses compagnons,
à l’intérieur de leur abbaye.
Ils célèbrent un bel office très simple :
ils ne voulaient pas le rendre trop solennel.
Ensuite ils vont manger au réfectoire,
Vers 701
Racines (x) unt en lu de mes,
Au lieu de plats cuisinés ils ont des racines [comestibles],
51
Vers 703
Puis (x) unt beivre mult savurét :
La boisson qu’ils prennent ensuite est délicieuse :
Vers 705
Quant sunt refait, levét (x) s’en sunt
Restaurés, ils se lèvent de table
Vers 714 – 715
D’els e del leu lur enseignet :
Qui (x) sunt, cument, des quant (x) i sunt,
[à présent] il les renseigne sur sa communauté et sur l’endroit où ils se trouvent :
[il explique] qui ils sont, comment [ils sont venus], depuis quand ils sont là,
Vers 783
(x) Entrent en mer, vent unt par Deu
Ils gagnent le large, poussés par un vent que Dieu leur envoie
Vers 785 – 786
(x) Curent en mer par mult lunc tens,
Mais de terre (x) unt nul asens.
Ils ciglent très longtemps
sans savoir de quel côté ils vont voir la terre.
Vers 790
Pur quei (x) unt le curs mult peinible
par conséquent ils n’avancèrent qu’avec beaucoup de peine.
Vers 794
Terre (x) veient e rivage,
Ils aperçoivent la terre et le rivage,
Vers 797
(x) Trovent tel lur entree
Ils trouvent un endroit à débarquer
Vers 821
Par mer d’ileoc (x) se sunt tolud,
Ils se remirent en route
Vers 825
Ast lur hoste, le veil chanud :
Voilà qu’ils retrouvèrent leur hôte,
Remarque : reformulation
52
V ers 829
(x) Funt la ceine e lur mandét
Ils commémorèrent la Cène et le lavement des pieds
Vers 838 – 839
Or (x) l’unt sur lui retruvee.
Plus asoür sur lui (x) estunt,
et ils la récupérèrent.
Cette fois-ci, ils s’aventurent sur son dos avec plus d’assurance.
Vers 843 – (844) – 845
Le di paschur (x) celebrïent ;
De lur hure ne s’ublïent :
Plus de midi (x) ne targerent,
Ils célèbrent le jour de Pâques,
mais n’oublient pas l’heure qui avait été fixée pour leur départ :
ils ne s’attardent pas au-delà de midi,
Vers (847) – 848 – 849 – (850) – 851
Alat s’en tost e curt li sainz
Vers les oiseus u (x) furent ainz.
Bien (x) unt choisit le arbre blanche
E les oiseals sur la branche.
De luin en mer bien (x) oïrent
Le saint repartit aussitôt et fit voile
en direction de l’Île aux Oiseaux où ils avaient abordé auparavant.
Ils ne manquèrent pas de reconnaître l’arbre blanc
et les oiseaux perchés sur les branches.
De loin sur la mer ils entendirent l’accueil
Vers 853
De lur canter (x) ne firent fin
ils ne cessèrent de chanter
Vers 855 – 856
(x) Traient lur nef amunt le gort
La u devant (x) ourent lur port.
Ceux-ci remontent leur bateau le long du cours d’eau
où ils avaient trouvé un port lors de leur première visite.
Vers 891
Del revenir (x) metent termes.
Ils fixent un terme pour le retour.
53
Vers 893
Trestout (x) curent al portant vent
Ils filent à bonne allure, poussés par un vent
Vers 895
Dormante mer (x) unt e morte
[Puis] ils rencontrent une mer calme, sans le moindre mouvement,
Remarque : reformulation
Vers 963
Puis al demain terre (x) veient,
Le lendemain ils aperçoivent la terre
Vers 965
(x) Vunt mult tost e sailent fors
Ils s’empressnet d’accoster et de débarquer
Vers 967
Sur l’erbeie (x) tendent lur tref,
Ils dressent leur tente dans les prés
Vers 969
Cum a terre (x) ariverent,
Au moment où ils touchèrent terre,
Vers (977) – 978
L’abes lur ad tant sermunét,
E Deus par tut asez dunét,
Grâce aux exhortations de leur abbé
et aux bienfaits qu’ils reçoivent partout de Dieu,
Remarque : reformulation
Vers 998
(x) Funt lur tunes tutes pleines,
Ils remplirent leurs tonneaux
Vers 1000
Puis (x) q’unt l’uré, (x) s’en issirent.
Dès qu’ils eurent un vent favorable, ils s’embarquèrent.
Vers 1050
E pur mult fols les aësmat :
il estime qu’ils perdent la raison
Remarque : reformulation
54
Vers 1060
Goïsant la feste del jurn.
Ils se réjouirent de la fête du jour
Remarque : reformulation
Vers 1098 – 1099 – 1100 – 1101 – 1102
Mais uncore (x) ne sevent fin.
E nepurtant (x) ne s’en feignent :
Mais cum plus (x) vunt, plus (x) se peinent,
ne de peiner (x) ne recrerrunt
De ci que lur desir (x) verrunt.
mais ils ne sont pas encore au bout de leurs peines.
Pourtant ils ne faiblissent pas,
mais plus ils avancent, plus ils se mettent en peine,
et ils ne cesseront pas de se dépenser
tant qu’ils verront l’objet de leurs désirs.
Vers 1109 – 1110 – 1111
E de mult luign unt or (x) oït
Que la (x) ne erent guairs goït.
Mult (x) s’esforcent de ailurs tendre,
et de très loin ils entendirent
que là ils n’étaient guère les bienvenus.
Ils font de grands efforts pour changer de cap,
Remarque : reformulation au vers 1111
Vers 1121
Cum plus pres (x) sunt, plus (x) veient mal,
Plus ils se rapprochent, plus ils voient le mal
Vers 1130
Le cler del jun que (x) lur tolent.
qu’ils leur cachent la lumière du jour.
Vers 1131 – 1132
Cum (x) alouent endreit un munt,
Virent un féd dunt (x) poür unt.
Comme ils se dirigeaient vers un monticule
les moines virent un démon dont ils eurent [fort] peur.
Vers 1163
Al vent portant (x) s’en alerent,
Ils s’éloignèrent grâce à un vent favorable,
55
Vers 1165
L’isle (x) virent aluminé
Ils virent l’île en flammes
Vers 1167
Malsfeiz (x) veient millers plusurs ;
Ils virent plusieurs milliers de diables
Vers 1171
(x) Endurerent cum mez (x) pourent ;
Ils la supportèrent du mieux qu’ils purent
Vers 1177
Eisi est d’els puis qu’ (x) unt voüd
Il en va ainsi de Brendan et de ses compagnons depuis qu’ils ont vu
Vers 1180 – 1181 – 1182 – (1183) – 1184
(x) N’i aturnent mescreance.
(x) Vunt s’en avant, n’i dutent rien ;
Par ço (x) sevent que (x) espleitent bien.
Ne demurat fors al matin
(x) Virent un lu pres lur veisin : -> reformulation : un lu pres lur veisin – un lieu tout près de
là où ils étaient
[et] ils ne se permettent plus de manquer de foi.
Ils poursuivent leur route sans crainte,
parce qu’ils savent qu’ils agissent bien.
À peine l’aube parut-elle le lendemain
qu’ils virent un lieu tout près de là où ils étaient :
Vers 1187
(x) Vindrent i tost al rivage,
Ils atteignirent sans tarder le rivage,
Vers 1204
(x) Reguardent sei quar poür (x) unt.
Ils regardent derrière eux car ils ont peur.
Vers 1206
Enfern (x) veient tut aüverz.
ils voient l’enfer tout ouvert.
Vers 1213
(x) Veient en mer une boche
Dans la mer ils virent une bosse
56
Vers 1216
Mail nel (x) quïent crëablement.
mais ils avaient de la peine à croire ce qu’ils voyaient
Remarque : reformulation
Vers 1219 – 1220 – 1221 – 1222
(x) Vindrent ila, si truverent,
Iço que poi (x) espeirerent :
Sur la roche u (x) sunt venud
(x) Trovent seant homme nud.
Ils y arrivèrent, et trouvèrent
une chose à laquelle ils ne s’attendaient guère :
Sur la roche près de laquelle ils étaient venus,
Ils trouvèrent un homme assis, tout nu.
57
i) Non expression du pronom personnel sujet ELLES
Vers 367
(x) Ne frat faile desqu’en vendrez
elles ne viendront pas à manquer jusqu’à ce que vous arriverez
Vers 389
Tutes (x) erent itant grandes
Toutes, elles étaient aussi grandes
Vers 934
(x) Drechent forment halt les testes ;
elles dressent leurs têtes haut dans les airs ;
Vers 937
Colps (x) se dunent de lur noës,
Elles échangent des coups avec leurs nageoires,
Vers 939
A denz mordanz (x) se nafrerent
Elles s’entre-déchirent en se mordant avec leurs dents,
Vers (1021) – 1022
Colps e flammes e morz e buz
(x) se entredunent veiant eals tuz.
Devant les yeux de tous les moines,
elles échangent coups, jets de flammes, morsures et chocs.
Faculteit Letteren en Wijsbegeerte
Academiejaar 2009-2010
Partie documentaire
Corpus illustratif du chapitre 4 :
L’expression du pronom sujet en francoprovençal
1
Corpus de travail
Issu de l’ALAVAL (atlas linguistique audiovisuel du Valais romand),
élaboré au centre de dialectologie de Neuchâtel (CH)
Les 5 localités examinées: a. Arbaz : dans le nord du Valais, entre Savièse et Montana, village situé dans le Valais
épiscopal
b. Evolène : plutôt dans le Sud-Est du Valais, près de la frontière italienne. A l’est
d’Hérémence
c. Isérables : à peu près dans le centre du Valais, juste en dessous du Rhône
d. St-Jean : village dans l’est du Valais, dans le Val d’Anniviers
e. Troistorrents : dans le Nord-Ouest du Valais – village un peu à part, dans le bas Valais
Les témoins
Arbaz : Isabelle Francey & Joseph Bovin
Evolène : Lucie Chevrier & Henri Mauris
Isérables : Lilly Monet & Henri Monet
Saint-Jean : Jeanne Zufferey & Jean-Baptiste Crettaz
Troistorrents : Madeleine Barman & Maurice Udressy
2
Table des matières
1. Singulier ………………………………………………………………………………. 3
3e personne masculin – il
a) En tête de phrase, devant un verbe commençant par une consonne
b) En tête de phrase, devant un verbe commençant par une voyelle
c) Pas en tête de phrase
d) Dans une construction pronominale (forme composée)
e) Dans une construction pronominale (forme non composée)
3e personne féminin – elle
f) En tête de phrase, devant un verbe commençant par une consonne
g) En tête de phrase, devant un verbe commençant par une voyelle
h) Pas en tête de phrase
i) Dans une construction pronominale (forme non composée)
2. Pluriel ……………………………………………………………………………….. 12
3e personne masculin – ils
a) En tête de phrase
b) Pas en tête de phrase
3e personne féminin – elles
c) En tête de phrase
d) Pas en tête de phrase
Tableaux récapitulatifs (+ explications supplémentaires) ……………………………… 16
3
SI�GULIER
a) Pronom personnel sujet masculin, en tête de phrase
devant un verbe commençant par une consonne
Il va à la forêt _AllerPrés3m
Il suce son pouce _Pouce
Il marche avec des béquilles _Béquilles
1. Arbaz – témoin féminin
Ø vˈ� � zˈø/ Il va à la forêt.
Arbaz – témoin masculin
Ø vˈ�ː � zˈø Il va à la forêt.
2. Evolène – témoin féminin
jjjj vaː ɛ l ẓˈ Il va à la forêt.
Evolène – témoin masculin
jjjj va �n la zow Il va à la forêt.
3. Isérables – témoin féminin
iiii va ãn dzˈœɛ Il va à la forêt.
Isérables – témoin masculin
iiii sɔȓ ɔː pˈyd (ae) Il suce le (=son) pouce.
4. St-Jean – témoin féminin
ɪ va � la z# Il va à la forêt.
St-Jean – témoin masculin
jë va - � lǩ z Il va à la forêt.
4
5. Troistorrents – témoin féminin
eeee mˈ�ʁtsː ː �vɥ, de bekˈiː Il marche avec des béquilles.
Troistorrents – témoin masculin
Ø vˈ� � l� dȡɥˈø Il va à la forêt.
b) Pronom personnel sujet masculin, en tête de phrase
devant un verbe commençant par une voyelle
Il a mal à la tête _Tête
Il hausse / Il a haussé les épaules _EpaulesHausser
Il a les sourcils épais / touffus _Sourcils
Ses mains tremblent / Il a la tremblotte avec les mains _Mains
1. Arbaz – témoin féminin
llll � mˈo � tˈiːh� Il a mal à la tête.
Arbaz – témoin masculin
llll � mˈo � tˈiːh� Il a mal à la tête.
2. Evolène – témoin féminin jjjj a criȓˈa lʒ øʒˈbl Il a haussé les épaules.
Evolène – témoin masculin
jjjj a lɛ ȓs ɛfˈø Il a les sourcils épais.
3. Isérables – témoin féminin llll a eː s - sys - s6rsˈ,lːǩ - ɛpˈɛː - epˈe {e} pwi tofˈøç Il a les s.. suis.. sourcils .. épais .. épais et puis touffus.
4. St-Jean – témoin féminin
llll � lɛ ȓɥs ɛfˈɛ Il a les sourcils épais.
5
5. Troistorrents – témoin féminin ::::llll a la ℊʁylˈɛt �we leː m Il a la tremblotte avec les mains.
Troistorrents – témoin masculin llll ɐ lu ɕi epˈe Il a les sourcils épais.
c) Pronom personnel sujet masculin, PAS en tête de phrase
Avant-hier soir, il est allé au café (la pinte) _AllerPComp3m
1. Arbaz – témoin féminin
dȡ? jˈɛɹ - ǩ n� dȡn astˈe,/astˈe llll e/6 ʒy y kˈ�ːfɛ Avant-hier .. euh non avant-hier soir il est eu (=a été, est allé) au café.
Arbaz – témoin masculin
œː dȡ�n astˈe, llll e ʒy y k�ːfˈeː Euh avant-hier soir il est eu (=a été) au café.
2. Evolène – témoin féminin
dɛʋˈan aȓˈeː jjjj ø ʒuk ː kafˈe Avant hier soir il est eu (=a été) au .. au café.
Evolène – témoin masculin
dɛv? jɛr ow nɛt jjjj ɛθ al� beℊr ỹ veːr a la pỹnta Avant-hier, au soir, il est allé boire un verre à la pinte.
3. Isérables – témoin féminin
dva anˈ pɐsˈa llll ɛ ,taː bistrˈo EF Avant-hier soir il est été au bistro.
Isérables – témoin masculin
dʋ� ɐnˈe pasˈa llll ɛ ,tˈø bistrˈo Avant-hier soir passé il est été au bistro.
4. St-Jean – témoin féminin
dɛvˈ?n aȓˈij llll ɛh alˈa a la pˈĩnta Avant-hier soir, il est allé à la pinte.
St-Jean – témoin masculin
dvˈan aȓˈi llll ɛǶ alˈa u kafˈɛt Avant-hier soir il est allé au café.
6
5. Troistorrents – témoin masculin
dǩʋˈ jɛ nɥˈe - llll ɛ ɐlø ø kafˈe Avant-hier soir .. il est allé au café.
d) Pronom personnel sujet masculin, dans une construction pronominale (forme
composée)
Il s’est cogné/ Il s’est tapé le pied _Pied
Il s’est planté une épine dans la plante du pied _PiedPlante
1. Arbaz – témoin masculin Ø ȓe l tˈ�po dy pjˈ� kˈuntre k�ke tsˈuːʒ� w� Il s’est tapé du pied contre quelque chose là.
2. Evolène – témoin féminin
,,,, ȓ tapˈa l pjˈa Il s’est cogné le pied.
Evolène – témoin masculin
iiii ȓ œ - tˈapˈ� lɔ pja Il s’est tapé le pied.
3. Isérables – témoin féminin (reformulation, la forme réflechi a disparu)
llll a k - kˈoɲo o pjˈa Il/Elle a c.. cogné le pied.
4. St-Jean – témoin féminin
Ø ȓ ɛ pł?ntˈ� un ɛfˈna dɛʒˈɔ lɔ pja Il s’est planté une épine sous le pied.
5. Troistorrents – témoin masculin
Ø s bˈuȓ� l pjˈ� Il s'est cogné le pied.
e) Pronom personnel sujet masculin, dans une construction pronominale
Il se ronge les ongles _Ongles
1. Arbaz – témoin féminin
Ø ȓe OˈuP - ʒ ˈ#ŋℊlɐ Il se ronge .. les ongles.
7
2. Evolène – témoin masculin
Ø ȓœ Oˈɔzɛ lɛ ʒ ˈ#ŋʎe Il se ronge les ongles.
3. Isérables – témoin féminin
Ø sɛ rˈoːdze e z ˈɔmːlɛ Il se ronge les ongles.
f) Pronom personnel sujet féminin, en tête de phrase
devant un verbe commençant par une consonne
Elle va au pré _AllerPrés3f
Elle donne le sein à son bébé _Sein
Elle ferme la bouche _Bouche
1. Arbaz – témoin féminin llll va y pro Elle <elle> va au pré.
Arbaz – témoin masculin (avec interjection)
œː Ø vˈ� y prˈoː Euh <elle> va au pré.
Arbaz – témoin masculin (sans interjection)
Ø φˈɛrmɛ �ː - ℊˈuːrzǩ Elle ferme la .. bouche.
2. Evolène – témoin féminin
llll vaː prˈa Elle va au pré.
Evolène – témoin masculin
llll va ej pr�ːs Elle va aux prés.
3. Isérables – témoin féminin
iiii va prˈa Elle va au pré.
Isérables – témoin masculin
Ø bal tɛtˈɛ œ mɛjnˈ� Elle donne le sein au petit.
8
4. St-Jean – témoin féminin
llllɛɛɛɛ va o pra Elle va au pré.
5. Troistorrents – témoin féminin
eeee fˈɛʁmø laː ℊˈ�ʁdzɐ Elle ferme la bouche.
Troistorrents – témoin masculin
Ø vˈ� - œ pʁˈɔ6 Elle va .. au pré.
g) Pronom personnel sujet féminin, en tête de phrase
devant un verbe commençant par une voyelle
Elle achète le poivre et le sel au magasin du village _AcheterPrés3f
Elle a le visage rond _ Visage
Elle est enceinte _Enceinte
1. Arbaz – témoin féminin
Ø atsˈǩt ɔ pˈe,vɹœ ɛ a ȓˈo y maℊazˈĩn d vœɔˈ�ːzɔ Elle achète le poivre et le sel au magasin du village.
Arbaz – témoin masculin (avec une reformulation par le locuteur)
ɛː mˈũndo d ˈ�rb� �tsˈtɔ ɔ pˈe,brɔ ɛ ˈɔ - a ȓˈo y mˈɐℊɐzˈiŋ Les gens d’Arbaz achètent le poivre et le .. et le sel au magasin.
Arbaz – témoin masculin (sans reformulation, mais avec avoir)
llll���� ɔː - � fˈ�ȓǩ rjˈ#nd� Elle a le .. la face ronde.
2. Evolène – témoin féminin
jjjjɛɛɛɛː lː lː lː l atsˈɛtɛ l pˈëvr ɛ la ȓa 6 maℊæzˈĩn d6 vlˈaẓ Elle elle achète le poivre et le sel au magasin du village.
Evolène – témoin masculin
llll atsˈɛtɛ lɔ - la ȓ� ɛ lɛ lɔ pˈejvrɔ ?fˈɛĩŋ tɔt ɛȓkri lɔ ɔ pti maℊazˈĩŋ do vlˈ�zɔ Elle achète le sel et le poivre enfin tout -(?)- au petit magasin du village.
9
3. Isérables – témoin féminin (avec une reformulation de elle par celui-ci)
ssssˈi lˈi lˈi lˈi l ɐtsˈɛt (rire) ɔ pˈɛeʋr , pw, a sˈoː ø maɣazˈn dœ ʎˈaːdɔ (rire) Celui-ci achète le poivre et puis le sel au magasin du village.
Isérables – témoin féminin (sans reformulation, mais avec être)
llll ɛ dzˈëɹba Elle est enceinte
Isérables – témoin masculin
,,,,llll ɐtsˈɛta ɔ pˈɛ,vrɛ e a sˈɔ o maℊɛȡˈɛn dœɛ vjˈ�ːdɛ Elle achète le poivre et le sel au magasin du village.
4. St-Jean – témoin féminin
l � la fˈ�sǩ rjˈ#nda Elle a la face ronde.
5. Troistorrents – témoin féminin
Ø �tsˈetje l6 pˈ�ːʋʁ l sːa la sː - œː m�ℊɐẓˈaZ dǩ vlˈaːzɔ Elle achète le poivre le sel le sel .. au magasin du village.
Troistorrents – témoin masculin
llll atsˈete la sˈöo ǩ m�ℊ�zˈZ dɛ v\lˈ�dzoː Elle achète le sel au magasin du village.
h) Pronom personnel sujet féminin, PAS en tête de phrase
Ce matin, elle est allée au galetas _AllerPComp3f
Quand une poule a fait son œuf, elle caquette _Poule
1. Arbaz – témoin féminin
we m�tˈĩŋ ʒˈyȓɐ ℊ�ɔtˈ� Ce matin elle est eue (=a été) au galetas.
Arbaz – témoin masculin
wˈe m�tˈĩŋ ,,,, yʒ enˈø ℊˈ�ːhtˈ� Ce matin elle est eue (=a été) en haut au galetas.
2. Evolène – témoin féminin
wɛj mætˈiŋ llll ʒuȓ aː grɲˈ, Aujourd’hui matin elle est eue (=été, allée) à.. au grenier (galetas).
10
Evolène – témoin masculin
wɛj matˈĩŋ llll ɛ ʒuk ow ℊrˈenˈi Ce matin elle est eu (=été, allé) au grenier.
3. Isérables – témoin féminin
w matˈeŋ llll æ eta anˈu s sˈ? Ce matin elle est allée en haut sur le galetas.
4. St-Jean – témoin féminin
wej matˈĩŋ hhhh alˈ�j o ℊˈalatˈa Ce matin, elle est allée au galetas.
St-Jean – témoin masculin
kɔmǩ l - l zelˈn� jjjj a fe l usː , tsˈantɐ Quand la .. la poule elle a fait l’oeuf elle chante.
5. Troistorrents – témoin masculin
tɕ m�tˈa� ɛɛɛɛllll ɐ lˈajǩ - lˈisːˈy Ce matin elle est allée .. au galetas.
i) Pronom personnel sujet féminin, en construction pronominale
Elle se bouche les oreilles _Oreilles
Elle se brosse les dents _Dents
1. Arbaz – témoin féminin
Ø ȓe ȓˈɔp e ʒ yrˈɛlǩ <Elle> se bouche les oreilles.
Arbaz – témoin masculin
Ø ȓɛ ȓˈɔpɛ ɛ ʒ yrˈɛlː Elle se bouche les oreilles.
2. Evolène – témoin masculin llll ȓœ ȓˈɔpœ lœ ʒ oℊrˈœʎɛ Elle se bouche les oreilles.
3. Isérables – témoin féminin (avec une reformulation, féminin est devenu masculin)
,,,, sɛ bˈuːts e z orˈelːɛ Il se bouche les oreilles.
11
Isérables – témoin masculin
Ø sǩ brˈoːse e dˈn Elle se brosse les dents.
4. St-Jean – témoin féminin
ȓ ȓˈp le ʒ 6rˈɛłɛ Elle se bouche les oreilles.
St-Jean – témoin masculin Ø ȓ brˈɔȓǩ lɛ dɛn <Elle> se brosse les dents.
5. Troistorrents – témoin masculin
Ø sǩ bˈuːtse le z ɔhˈ Elle se bouche les oreilles.
12
PLURIEL
a) Pronom personnel sujet masculin, en tête de phrase
Ils vont aux vendanges _AllerPrés6m
Ils portent un veston noir _Veston
1. Arbaz – témoin féminin
Ø v?ŋ y venˈ`ŋzǩ Ils vont aux vendanges.
Arbaz – témoin masculin
Ø vˈ? y venˈ`ŋze Ils vont aux vendanges.
2. Evolène – témoin féminin
jjjj van a la vn`ᵑsᵄ Ils vont à la vendange.
Evolène – témoin masculin
jjjj,,,, vˈan e, vˈɛnˈ�ĩŋzɛ Ils vont aux vendanges.
3. Isérables – témoin féminin
iiii ʋˈã � ʋǩnˈɛnzǩ Ils vont en vendanges.
Isérables – témoin masculin
iiii ʋˈ ` ʋǩnˈ�nzǩ Ils vont en vendanges.
4. St-Jean – témoin féminin
llllɛɛɛɛ pˈɔrt#n una zˈypa nˈiːrǩ Ils portent un veston noir.
St-Jean – témoin masculin
,,,, vˈan , vˈɛnˈ�ŋzǩ Ils vont aux vendanges.
5. Troistorrents – témoin féminin
vˈã? vc - v?dcnʒˈi Ils vont ven .. vendanger.
13
Troistorrents – témoin masculin
Ø v vˈɛlɛȡ - vc ˈ le velˈ�ːdzɛ Ils vont vendan.. ils vont aux vendanges.
b) Pronom personnel sujet masculin, PAS en tête de phrase
Dimanche passé, ils sont allés à l’église _AllerPComp6m
1. Arbaz – témoin féminin demˈ`ʒ p�ȓˈo Ø ȓ# ʒy # elˈiʒɐ Dimanche passé, ils sont eu (=ont été) à l’église.
Arbaz – témoin masculin
dmˈ`ŋzǩ p�ȓˈo Ø ȓ# ʒ y # welˈiːʒɐ Dimanche passé, ils sont eu (=ont été, sont allés) à l’église.
2. Evolène – témoin féminin
dmˈs paȓˈa ȓ# ʒuk øː a l iˈøʒǩ Dimanche passé, ils sont eu (=ont été) euh.. à l’église.
Evolène – témoin masculin
dmˈ�jŋzǩ paȓˈ� Ø ȓ#n ʒuk � l ˈʎˈœʒǩ Dimanche passé, ils sont (=eu, allés) à l’église.
3. Isérables – témoin féminin
dǩmˈ�ndz: pasˈaː llll ã tˈa a mɛs: Dimanche passé ils ont été à la messe.
4. St-Jean – témoin féminin
dǩmˈ�jŋz paȓˈ� Ø ȓɔn �lˈ� �j l ˈijœʒ Dimanche passé, ils sont allés à l’église.
St-Jean – témoin masculin
dǩmˈ�dzǩ paɕˈa Ø ȓ# alˈa � l eʎˈɛʒǩ Dimanche passé ils sont allés à l’église.
5. Troistorrents – témoin féminin
dǩmˈ�dzǩ pasˈo yyyy ãː itˈ6 oː lˈazǩ Dimanche passé ils ont été au village.
Troistorrents – témoin masculin
dǩmˈdz p�sˈoː Ø s# �lˈo ðˈ�zǩ Dimanche passé ils sont allés à l'église.
14
c) Pronom personnel sujet féminin, en tête de phrase
Elles vont porter des fleurs au cimetière _AllerPrés6f
1. Arbaz – témoin féminin
Ø v?ŋ ǩɹzˈ, ɛ Ƕlˈɹ ȓmeh,ˈeɹɔ Elles vont arroser les fleurs au cimetière.
Arbaz – témoin masculin
Ø v?ŋ ɛrȡ,ˈe hlˈur ȓœmehjˈro Elles vont arroser les fleurs au cimetière.
2. Evolène – témoin féminin
llll van ɛrʒjˈ lǩ flufȓ ȓœmːȓˈr Elles vont arroser les fleurs au cimetière.
Evolène – témoin masculin
llllɛɛɛɛ van ˈɛrʒjǩ l flˈ6kȓ oː ȓˈœmȓjˈørɔ Elles vont arroser les fleurs au cimetière.
3. Isérables – témoin féminin
,,,, vãŋ ˈeːrːdʒjˈ e bɔcjˈɛt s:mtȓˈɛːrɔ Elles vont arroser les fleurs au cimetière.
4. St-Jean – témoin féminin
lœlœlœlœ ʋan ˈɛrzjˈɛ la Ƕłow wǩ ȓˈimiǶjˈɛrɔ Elles vont arroser la fleur au cimetière.
5. Troistorrents – témoin féminin
eeee vˈã �ː#ː - �ʁoza l\, le fjˈø - bc ø s,mtjˈɛːʁ Elles vont aon.. arroser lui les fleurs .. ben au cimetière.
Troistorrents – témoin masculin
Ø vˈã - �ʁɔza l, ɕjˈø - s,ntjˈɛːʁo Elles vont .. arroser les fleurs .. au cimetière.
15
d) Pronom personnel sujet féminin, PAS en tête de phrase
Hier soir, elles sont allées à la messe _AllerPComp6f
1. Arbaz – témoin féminin
astˈe ȓ# ʒʒʒʒˈ̍̍̍yyyy ɐ mˈɛȓa Hier soir, elles sont eu (=ont été) à la messe.
Arbaz – témoin masculin
astˈe ȓ# ʒʒʒʒˈ̍̍̍yyyy � mˈȓ� Hier soir, elles sont eu (=ont été) à la messe.
2. Evolène – témoin féminin
aȓˈe lː Ø ȓ# ʒufȓ a la mˈɛȓᵄ Hier soir elles sont eues (=ont été) à la messe.
Evolène – témoin masculin
aȓej ow neːt ɛɛɛɛllllɛɛɛɛ ȓ# ʒukȓ a la mˈɛȓǩ Hier soir, elles sont eues (=été, allées) à la messe.
3. Isérables – témoin féminin
ɐnˈ, pɐsˈa llll ã tˈaː F lˈiːzǩ Hier soir elles ont été à l'église.
4. St-Jean – témoin féminin
aȓˈiiii ȓɔn alˈej a la mˈɛȓa Hier soir, elles sont allées à la messe.
St-Jean – témoin masculin
aȓˈi l l l l ɛɛɛɛ ȓ# alˈejǩ a la mˈɛȓa Hier soir elles sont allées à la messe.
5. Troistorrents – témoin féminin
ni pasˈo Ø s#ː alˈo ɐ la mˈɛsa Le soir passé elles sont allées à la messe.
Troistorrents – témoin masculin
�nˈ, p�sˈo Ø s# lˈaj � l� mˈesː� Hier soir elles sont allées à la messe.
TOTAL
Pronom personnel sujet, masc. sing. (il)
73%
Arbaz F
Arbaz M
St-Jean FSt-Jean M
Evolène F
Evolène M
Isérables F
Isérables M
Troistorrents F
Troistorrents M
en tête de phrase
--
++
++
++
+-
7 exp. / 10
+ V.C.
�jë
j�j�
ii
e70%
en tête de phrase
++
+/
++
+/
++
8 exp. / 8
+ V.V.
ll
lj
jl
�ll
100%
pas en tête de phrase
++
++
++
++
++
10 exp. / 10
devant voyelle
ll
ll
jj
ll
ll
100%
en constr. pronom.
/?
--
++
//
/-
2 exp. / 6
form
e composée
�i
33,3%
en constr. pronom.
-/
//
/-
-/
//
0 exp. / 3
pas composée
0%
Pronom personnel sujet, fém. sing. (elle)
73,50%
en tête de phrase
++
+/
++
++
+-
8 exp. / 9
+ V.C.
l�φ
lɛl�
l�
i
ie
88,8%
en tête de phrase
-+
+/
++
++
+-
+7 exp. / 9
+ V.V.
l�
ljɛ
ː l
ll
�ll
77,7%
pas en tête de phrase
++
++
++
+/
/+
8 exp. / 8
devant voyelle
��
h�
ll
lɛl
100%
en constr. pronom.
--
+-
/+
+-
/-
3 exp. / 8
pas composée
�l�
� (r
eform
. Il
)37,5%
Pronom personnel sujet, masc. plur. (ils)
53%
Arbaz FArbaz M
St-Jean FSt-Jean MEvolène F
Evolène M
Isérables FIsérables MTroistorrents FTroistorrents M
en tête de phrase
--
++
++
++
+-
7 exp. / 10
lɛ�
j�j�
ii
70%
pas en tête de
--
--
+-
+/
+-
3 exp. / 9
phrase
l
y33,3%
Pronom personnel sujet, fém. plur. (elles)
53%
en tête de phrase
--
+/
++
+/
+-
5 exp. / 8
lœl
lɛ�
e62,5%
pas en tête de
--
-+
+++
+/
--
4 exp. / 9
phrase
l ɛ
lː
ɛlɛ
l44,4%
Annexe tableaux récapitulatifs
explications supplémentaires
Choix de l’ordre des localités :
Nous avons choisi de présenter tout d’abord les 3 localités qui se trouvent dans le Valais
épiscopal, selon la subdivision faite par Jules Jeanjaquet dans son article1, dans le sens des
aiguilles d’une montre: Arbaz, Saint-Jean et Evolène. Les deux villages du bas Valais suivent,
à savoir Isérables et Troistorrents.
Les abréviations :
Arbaz F : le témoin féminin d’Arbaz
Arbaz M : le témoin masculin d’Arbaz
En tête de phrase : le pronom personnel sujet se trouve en début de la phrase, sans qu’il y ait
aucune interjection avant.
+ V.C. : le verbe qui suit le pronom personnel sujet commence avec une consonne (C)
+ V.V. : le verbe qui suit le pronom personnel sujet commence avec une voyelle (V)
pas en tête de phrase : le pronom personnel sujet ne se trouve pas au début de la phrase, un ou
plusieurs éléments le précèdent.
En constr. pronom. : le pronom personnel sujet se trouve dans une construction pronominale
Forme composée : la construction pronominale se compose avec le verbe être, p.ex. Il
s’est cogné, il s’est tapé etc.
Pas composée : la construction pronominale se compose sans le verbe être, seulement
avec un pronom réfléchi, p.ex. Il se ronge les ongles, elle se brosse les dents etc.
Les signes d’expression et de non-expression :
+ expression
S’il y a expression, la transcription phonétique est également mentionnée
- non-expression
/ pas d’attestation, à cause du corpus (reformulation, absence de réponse etc.)
1 Jules Jeanjaquet, Les patois valaisans. Caractères généraux et particularités, 1931.
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