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Page 1: Le "tour de France" des personnes malades psychiques

Sport et handicap Dossier

huit jours de rallye-vélo avec des personnes malades, des soignants en

psychiatrie, et des proches, c’est le défi relevé par l’Unafam du 15 au 22

juin dernier. nous avons suivi la route d’evreux-paris, sur le tronçon

Beauvais-cergy. impressionnant !

Reportage

24 - n° 213 - septembre-octobre 2016 - ombres & lumière

ce 21 juin, premier jour de l’été, un cra-chin breton tombe sur Beauvais (Oise). C’est le septième jour de Psycyclette, un rallye-vélo organisé pour la troisième an-

née consécutive par l’Unafam, une association nationale de soutien aux familles de personnes malades psychiques. "Par rapport à hier, c’est le printemps aujourd’hui !", lâche un cycliste de la route Evreux-Paris (480 km) en enfourchant son vélo. Une demi-heure plus tôt, un autre groupe, ce-lui de la route Caen-Paris a pris les devants. "Ils roulent moins vite, et si nous voulons arriver tous ensemble à Cergy ce soir, nous ne devons pas les dépasser", explique Emmanuel Duclercq l’un des coordinateurs du parcours, bénévole à l’Unafam 80. Pour des raisons de sécurité aussi, les deux groupes doivent rouler de manière séparée : en tout, ils sont 98 cyclistes – personnes malades psychiques, soi-gnants, proches –, et 30 bénévoles répartis dans des voitures balais. Un petit "tour de France" !

"Ici, il n’y a plus de patients ni de soignants, commente Rémy Poilly, infirmier au Centre hospi-talier d’Abbeville. Ce ne sont plus que des rouleurs qui sont ensemble ! Hier nous avons essuyé le vent, la pluie, nous étions tous unis dans l’effort. C’est ce que nous défendons aussi dans notre façon de

soigner." Jean Pochon, éducateur sportif au Nou-vel Hôpital de Navarre (NHN) à Evreux, partage le même enthousiasme : "Daniel, Eddy, Clément… les patients sont incroyables ! Ils ont une volonté ! Il suffit juste de les motiver un peu. En plus, au bout d’une semaine de vélo, ils savent gérer leur effort, ils sont capables de dire quand ils ont be-soin de se reposer dans le camion ou s’ils peuvent continuer la route." Pour arriver à ce résultat, voilà seulement deux mois que l’éducateur les entraîne à raison d’une sortie hebdomadaire de 60 à 70 km. Tous sauf Clément, qui n’a participé qu’à un entraî-nement et qui pour autant pédale avec courage et persévérance !

Arriver ensemble"Vous avez vu la côte qu’ils viennent de pas-

ser !", s’émerveille Emmanuel Duclercq à la pause pique-nique. Avec sa femme, il a repéré le parcours un dimanche. Particularité de l’étape du jour : 53 km dans le Vexin, une succession de faux plats, petites bosses, bonnes montées suivies heureuse-ment de descentes ! Emmanuel Lemarié, membre du personnel technique du NHN et grand cycliste – il est allé à vélo jusqu’en Azerbaïdjan – est l’un des deux capitaines de la route. "Je leur apprends des petits trucs, par exemple comment se protéger du vent en formant une cohésion, explique-t-il. Ce qui me frappe, ce sont les échanges avec les patients.

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malades psychiques

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D’habitude, à mon travail, je ne les vois pas. On se fait un monde de la maladie psychique, alors que ce ne sont pas des monstres. Une semaine de partage comme celle-ci, on ne l’oubliera jamais."

"Le but n’est pas d’arriver les premiers mais d’arriver ensemble, poursuit Jean Pochon. Le pro-blème de la maladie mentale est le repli sur soi. Le sport leur permet de se dépasser et de s’ouvrir aux autres." Et quand, en plus, cela se passe dans un cadre convivial qui les met en valeur et les respon-sabilise, les personnes malades peuvent retrouver une capacité d’initiative. "Depuis le début du rallye, ils lavent leurs t-shirts eux-mêmes, note Emilie Bi-net, bénévole ayant un beau-frère malade. Un soir au dîner, une femme a apporté sur une assiette du dessert pour tout le monde. D’habitude, elle ne fait jamais ça." Une preuve de plus que l’accompagne-ment est vital pour une personne avec un handicap psychique. "C’est son fauteuil roulant !", ajoute Emilie.

Lourds traitementsL’exploit de ces cyclistes est d’autant plus ad-

mirable qu’ils prennent chaque matin un lourd trai-tement médicamenteux aux effets secondaires im-portants, comme la prise de poids. Sans compter, pour certains, la cigarette, le sommeil diffi cile, et le rythme de vie pas vraiment adapté à un régime de sportif.

Yannis est venu de Dieppe où il va à l’hôpital de jour. Il y a quelques mois, il a fait une embolie pul-monaire, et maintenant le voilà sur son vélo. "J’es-saie de faire comme le tour de France. Je ne pose pas le pied à terre, commente-t-il. Je suis content. L’ambiance, c’est le mieux. Ça donne du courage d’être à plusieurs." Sa mère, Martine Petit, l’ac-compagne dans une voiture balai. Pour elle, c’est aussi l’occasion de découvrir l’Unafam, qu’elle ne connaissait pas et de discuter avec d’autres parents.

In fi ne, le but de Psycyclette est bien de changer le regard sur la maladie mentale et de montrer que les personnes qui en sont atteintes sont des citoyens à part entière. Sur la route, les automobilistes ne sont pas toujours patients et dépassent parfois le peloton avec un certain énervement. Mais dès que l’occasion se présente, les bénévoles de l’Unafam n’hésitent pas à expliquer qui ils sont. Chaque soir, à l’arrivée, un accueil permet ainsi un échange.

A 17h, devant la gare RER de Cergy-Le-Haut, on peut lire la fatigue mais aussi la fi erté sur les visages rouges d’effort et en sueur. Un représentant de la psychiatrie à Pontoise félicite les cyclistes : "Je suis émerveillé par ce que vous arrivez à faire avec les traitements. Merci !"

Florence Chatel

Psycyclette en chiffres• 4 parcours au départ d’angers,

toulouse, evreux, caen

• 2000 km parcourus en tout

• 28 villes traversées

• huit jours pour arriver le 22 juin

à paris au Jardin du Luxembourg