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Le Fonctionnement de sa philosophie
A. Le contexte
1. Une tradition hindoue
Une comprhension globale et juste de la philosophie de
Shankaracharya ne serait pas possible sans connatre le contexte historique dans
lequel elle sest panouie. Daprs les historiens, la date de naissance exacte de
Shankara est en dispute. Mais ils sont daccord pour la situer vers 700 de notre re 1.
Il est important de prsenter la tradition hindoue jusqu Shankara en ayant soin de
souligner son caractre complexe et multiforme2. En effet elle englobe diffrents
courants qui semblent parfois difficilement conciliables mais une rfrence commune
un ensemble de textes sacrs permet de parler dune tradition hindoue. Son origine
remonte au 20me sicle avant J.C3. Contrairement aux autres grandes religions,
lhindouisme na pas de fondateur. Elle apparat souvent dtermine par un principe
de dveloppement depuis ses lointaines origines. Les historiens de la religion ont
dabord repr lexistence dun culte quon appelle Brahmanisme et non pas
hindouisme. Par la suite, ce sont les musulmans qui ont utilis le mot hindou au
8me sicle en se rfrant simplement aux habitants de la valle Indus 4. Au 12mesicle, le terme classique de Sanatana Dharma ( ordre ternel ) apparat pour
dsigner lhindouisme. Aujourdhui lhindouisme recouvre une ralit considrable
car plus de 80 pour cent des indiens sont des hindous.
La tradition hindoue se rfre des textes reconnus dinspiration divine
ayant une grande importance. Elle sest nourrie et dveloppe partir de deux
catgories de textes sacrs :
1. Hulin Michel, Shankara et la non-dualit., Bayard Editions, Paris.2001. p .15-18.2. Michel Angot, LInde Classique, Socit ddition Les Belles Lettres, Paris, 2001, p.25-48.3. Lois Frdric, Lhistoire de lInde , p.48-49.
Le mot tradition hindoue voque quelques difficults parce que il est difficile deprouver lexistence dun seule pays uni sous le nom Inde dans lhistoire. La rfrence au terme hindou depuis lantiquit prend son origine du bassin Indus, ce qui est deven u le Pakistandaujourdhui. Cette rfrence voque la rgion au-del de cette valle Indus. La tradition hindoueest quelque chose qui commence partir de linvasion des ariens. Les historiens situent lge deRig-vda en 1400 mais larrive des ariens tait dj commence depuis 2000ans. La civilisation
qui existait avant tait compltement anantie par larrive des ariens. On ne peut pas ainsi direcatgoriquement que la tradition hindoue est celle des ariens parce que il y a aussi la prsence delethnie Dravidiens qui sopposait aux Ariens depuis le dbut. Donc cest une tradition assezcomplexe dans sa nature.
4. Heinrich Gerhard Franz, LInde Ancienne , Bordas, civilisation, 1990. p.83.
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a. La Sruti5 (les textes entendus et vus par les potes-voyants rishis ou bien les
textes rvls).
b. La Smriti6 (les textes inspirs par les vdas et transmis par la mmoire des
hommes).
a. La Sruti contient les quatre vdas
i) Le Rig-vda (livre des versets).
ii) Le Yajur-vda (livre des formules rituelles).
iii) Le Sama-vda (livre des chants).
iv) Le Atharva-Vda (livre dAtharvan).
De ces quatre livres, le Rig vda est le plus ancien. Il a t rdig
environ 1400 ans avant J.C. Cette priode a vu les prtres (les brahmanes) affirmerleur supriorit sur les autres classes sociales. Le Yajur vda et le Sama vda
constituent la liturgie proprement dite. Ils regroupent les versets utiliss par les
prtres durant les crmonies. LAtharva vda est constitu de 20 livres qui
regroupent des prires magiques rcites dans un but prcis : charmes contre la
maladie, charmes & amour, pour la prosprit, pour une longue vie, etc.
Chacun de ces quatre Vdas est lui-mme divis en quatre parties qui sont des textes
explicatifs des Vdas crits en prosea). Les Samhits (Le recueil de base ancienne qui rassemble des hymnes
cosmologiques adresss pendant la liturgie et les rituels sacrificiels brahmaniques).
b). Les Brhmanas (des exgses du rituel).
c). Les Aranyakas (destins ceux qui se recueillent dans la fort pour mditer).
d). Les Upanisads (traits dinspiration philosophique) Ce sont les dernires
couches de la Sruti. Chaque Vda contient plusieurs Upanisads. Ils mettent fin aux
Vdas.
b. La Smriti est forme de textes divers inspirs par les Vdas. On y trouve des
traits sur le Dharma (fondement de la vie dun hindou) : les Dharma Sutras et les
Dharma Shastras. Ils forment en quelque sorte la loi hindou. Lun des plus
importants Shastra est le livre de la Loi de Manu dont linfluence sur la vie hindoue
est norme.
Viennent ensuite les grandes popes potiques: le Mahabharata et le Ramayana.
5. The Holy Vedas, B.R. Publishing Corporation, Delhi, p.iii-viii.6. Paul Martin Dubost, Cankara et la Vdanta, p ; 48-51.
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Le Mahabharata, pope de la Dynastie Bharata, est un texte de plus de
100 000 vers crits en sanskrit. Il constitue la plus grande uvre littraire du monde,
loin devant les popes grecques comme lOdysse. Le texte est profondment
imprgn par la religion et traite du Dharma. Dans cet ensemble, la Bhagavad-Gta
(Chant du Seigneur), est un rcit assez rput mettant en scne Krishna, une des
incarnations de Vishnu. Linfluence de la Bhagavad-Gta est profonde car,
contrairement aux Vdas, cest un texte accessible pour tous dans lequel sont
abordes des questions philosophiques. Le Ramayana est une pope mettant en
scne Rama, une des autres incarnations de Vishnu. La Smriti contient aussi dautres
crits parmi lesquels on peut mentionner Brahmasutra (un recueil de 555 aphorismes
sur le Brahman, crit par Bdaryana)7.
Lhindouisme est travers par de nombreux courants et il revt
plusieurs formes. Premirement lge vdique deuximement lge bramanique et
troisimement lge de la religion hindoue quon connat aujourdhui. Il existe 3
grands cultes : celui de Shiva (le sivasme), celui de Vishnu (le vaishnavisme) et
celui de Shakti (le tantrisme). Shakti a plusieurs noms dont Kali, Durga et Parvati
Epouse de Shiva.
c. Caractristiques de la tradition hindoue
1. Tout dabord la reconnaissance de lautorit des Vdas et celle
des Brahmanes. De ce fait, les hindous reconnaissent lexistence de classes sociales
(varnas) dont lappartenance est dtermine par la naissance. La population hindoue
est ainsi divise en 4 classes
Les Brahmanes (les prtres).
Les Ksatriyas (les rois et guerriers).
Les Vaishyas (le peuple ordinaire).
Les Shudras (les serviteurs).Premire rfrence aux castes se trouvent dans le Rig-veda. X, 90.
sa bouche devient le brahmane,le Guerrier fut le produit de ses bras,ses cuisses furent lArtisan,de ses pieds naquit le serviteur 8
Ces classes sont elles-mmes divises en castes (jatis). Les castes caractrisaient
autrefois la position sociale et professionnelle dun individu. Elles dfinissaient
7. Ibid., p.50.8. Hymnes spculatifs du Vda , traduits du sanscrit et annot par louis Renou, Gallimard,1965,p.99.
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aussi la manire dont les individus dune caste devaient se comporter face aux rituels
religieux. Certains individus sont hors-castes et sont considrs comme
Intouchables (les Dalits) car impurs.
2. Les hindous croient en la succession des rincarnations
(samsara). Les conditions de la renaissance sont dtermines par le karma, cest--
dire la faon dont la vie prcdente sest droule. Le samsara na, en principe, pas
de dbut et pas de fin. Le seul moyen den sortir est datteindre la dlivrance
(moksha) par divers moyens (les margas) dont la mditation et la dvotion.
La vie dun hindou est rgie par son Dharma. Il constitue une sorte de
code de conduite sur lequel lhindou btit sa vie, convaincu quil a une destine
propre notamment dfinie par sa classe et sa caste de naissance. Les textes relatifs au
Dharma ont permis llaboration dune doctrine sociale applicable aux trois classes
suprieures qui divise la vie en quatre tapes, les ashramas. Lhindou sera donc
tudiant (brahmachari), puis chef de famille (grihastha), se retirera ensuite en fort
dans une contemplation spirituelle (vanaprastha) puis deviendra ventuellement un
ascte (sannyasi). Lobjectif essentiel est de sortir du cycle des rincarnations.
3. Les hindous croient en une unique ralit, ternelle, transcendante et
reprsentant le tout : le Brahman (ne pas confondre avec le dieu Brahma).
Lunivers, et tout ce quil contient, est une manation du Brahman. On a tendance
croire que lhindouisme est une religion polythiste au mme titre que lantique
religion grecque. En fait, les dieux hindous reprsentent une manation du Brahman,
sans attribut, sans forme. Les hindous considrent que Brahman est en chacun deux,
il est leur me, latman. Il y a donc identit entre la prsence du Brahman au sein de
lunivers et de latman au sein de chaque individu. Depuis ces lointaines origines, la
tradition hindoue sest constitue travers des conflits internes et des mouvements
de rforme. Ainsi au cours des sicles, les textes sacrs contenant les rflexionsphilosophiques ont parfois t carts et linsistance a t mise sur les rituels. Le
systme des castes sest normment dvelopp en produisant de lexclusion.
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2. Le contexte philosophique
LInde partir du VIIIe sicle avant notre re jusqu'au Xe sicle a
labor six systmes de philosophie connus sous le nom Darana 9 qui accordent
plus ou moins une autorit aux textes rvls (Sruti). On peut les regrouper deux
deux en trois groupes : Samkya et Yoga, Nyaya et Vaiesika, Mimama et Vdanta.
Chacun a sa faon propre de regarder la ralit.10 Leurs points de vue mritent notre
attention parce que Shankara, tant le fondateur du systme vdanta, attaque
catgoriquement les cinq autres coles qui dveloppent leur pense partir dune
structure dualistique11. Kapila le fondateur du Samkya admet deux principes
coternels dans la ralit : le Prakriti (la nature, la matire), Le Purusha (Lesprit, la
conscience). La dfinition de chacun est la ngation de tout ce qui dfinit lautre. Il
parle de la coexistence dun dualismemtaphysique : ltre et le devenir, lUn et le
multiple, lEsprit et la matire. Il y a la possibilit dune volution dun monde par
lunion de ces deux principes. Le yoga se dveloppait au service des spculations de
Samkya comme discipline pratique.
Le Nyaya (conduire, mener, guider les penses) est une cole
importante de logique qui prend ses sources dans les Nyaya Sutras de Gautama. Il
analyse les modalits du connatre. Il parle de Padarta (catgories) mises en uvre
dans les oprations de lintelligence pour noncer un jugement vrai. Nyaya
dveloppe une classification des infrences avec le mcanisme complexe dinduction
et dduction. Le Vaiesika utilise le systme de Nyaya pour dvelopper son plan
mtaphysique. Daprs lui lme de lunivers est la diversit. La Mimamsa (entre
Ve et VIII sicle de notre re) est une hermneutique rationnelle des rites vdiques.
Ses sources lorigine taient des aphorismes de Jaimini et au cours des sicles, elle
se divise en deux : celle de Prabakara et celle de Kumarila Bhatta. Le dernier a faitune recherche pour prouver le tmoignage verbal valide comme source et norme de
la connaissance.
Lapparition du Bouddhisme et du Janisme au VIe sicle avant Jsus
Christ comme des mouvements de rforme contestait le systme hindou. De fait ils
ont refus lautorit des vdas et nont accord aucune valeur aux textes de la Sruti12.
9. Etymologiquement le mot darana provient de la racine verbale Dri- voir , regarder , considrer le point de vue10. Arthur L.Basham, La civilisation de lInde ancienne, Libraire Arthaud, Paris, 1996, p.314.11. Paul Martin Dubost, Cankara et le Vedanta, Paris, p.54.12. Paul Martin Dubost, Cankara et le Vedanta, p.51-52.
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Ces deux coles de pense prsentaient une philosophie morale qui a connu un
norme succs. Il ne convient pas de prsenter longuement les thses majeures du
Bouddhisme. Il suffit juste de souligner ici quelques points fondamentaux de cette
doctrine contre lesquels, nous le verrons, luttera Shankara.
1. Iimpermanence (anitya)13
Le Bouddhisme ne part pas dune transcendance pose comme un
principe fondamental de lexistence mais il dveloppe ses pense partir du concret
de lexistence marque par le caractre phmre. Tout ce qui vit est soumis au
conditionnement et appel disparatre. Le Bouddhisme propose ainsi une
philosophie de lexistence et non pas de lessence.
2. Affirmation du Non-Soi (antma)
14
Le caractre dimpermanence aboutit un refus dune essence
personnelle ou Soi. Pour cette pense il ny a pas de moi, ni immanent ni immortel.
Lexistence de ltre humain est ainsi dtermine non pas par une nature propre mais
par lensemble des actes quil produit. Selon cette conception, tout est rgi par le
rapport de causalit car les actions passes et prsentes conditionnent le futur. Cette
sorte de ngation de Soi aboutit une exprience mystique dcrite comme le fruit du
renoncement de dsir. Celle-ci est appele nirvna (nir :la ngation, v :lesouffle)15 : la dlivrance, non-tre, la ngation de toute vie et soppose forcment
aux propositions des Upanisads qui mettent laccent sur une exprience de libration
atteinte travers un chemin de ralisation du Soi et non pas dannihilation du Soi.
Pendant plus de douze sicles lInde est majoritairement devenu un pays bouddhique.
Dans ce contexte, Ihindouisme a connu une situation de dclin. Mais vers le 7me
sicle de notre re, plusieurs coles de pense sont entres en conflit avec le
bouddhisme. Une sorte de renaissance hindoue a commenc avec Kumarilia Bhatta,
Mandana Mira, Gaudapada et Shankara.16
B. La vie et les uvres de Shankara.1. La vie de Shankara
Beaucoup de lgendes affirment que Shankara est une incarnation de
Shiva pour restaurer la religion vdique.17 Daprs les historiens son lieu de
131415. The Harper Collins Dictionary of Religion, Harper San Francisco, London, 1996, p.78516 Paul Martin Dubost, Cankara et le Vedanta. p.52.17. Ibid.,p.8-11.
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naissance est au Malabar (tat Kerala qui se trouve dans le sud-ouest de lInde) dans
la localit de Kaladi (appele maintenant Alvae). Il tait dune famille bramanique
particulire au Kerala connue sous le nom de Namboudri.18 Il fut bien lenfant
prodige. Ds lge de 5 ans il a pu suivre les enseignements de lcole bramanique et
matriser les quatre vdas. A lge de 8 ans il quitta sa famille, embrassa la vie
religieuse et se mit en route la recherche dun gourou capable de laider dans sa
dmarche.
La dcouverte de son gourou Govindapada et leur premire rencontre
fut trs intressante. Govindapada, avant de l accepter comme disciple, lui posa une
question. Qui es-tu ? La rponse de Shankarajaillit sous la forme dun pome de
dix stances. Daaloki
Ni la terre, ni leau ni lair,Les castes, les observances, les devoirs attachs au systme des castes et auxdiverses phases de lexistence ne sont pas faits pour moini en haut ni en bas ni au-dehors ni au centre ni au traversce qui reste, cetUn, Shiva le dlivr, Je le suis.Il nest pas le premier. Comment peut-il y avoir un second qui soit lautre ? Ilnest pas plus isol que non-isol, pas plus le vide que le non-vide, car il estsans dualit. 19
Shankara resta auprs de son gourou pendant trois ans et reut lenseignement
vdique. A lge de 12 ans il composa son uvre clbre les commentaires sur les
brahmasutra Bashya 20. Les biographies crites son sujet contiennent un nombre
impressionnant de lgendes. En liminant toutes les lgendes, on trouve trois
diffrentes phases dans sa vie.
1. Ltudiant bramanique2. Le chercheur spirituel et le philosophe3. Le prdicateur et rformateur religieux
Shankara tait toujours un chercheur . Il semble avoir t habit parune qute de labsolu qui la constamment maintenu en mouvement. Depuis son plus
jeune ge, il a vcu un nombre impressionnant de ruptures. Ainsi quon la dit, il a
quitt sa famille pour se mettre en recherche dun gourou. Il a aussi quitt son
gourou pour demeurer fidle aux exigences de sa dmarche spirituelle. Shankara est
reconnu comme un mystique car il a vcu des expriences dunion avec Celui quil
identifiera comme Brhman . Toute cette dimension profonde reste trs
18. Michel Hulin, Shankara et la non-dualit, p.19.19. Paul Martin Dubost, Cankara st le Vedanta, p. 115-16.20. Michel Hulin, Shankara et la non-dualit, p.22.
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mystrieuse car il n en parle pas directement. Il na pas crit dautobiographie dans
laquelle il essaierait de dcrire ses propres expriences mais tous ses crits portent la
trace dun union mystrieuse avec un Principe transcendant. Son premier
commentaire des Brahmasutras crit lge de douze ans nous livre en clair ce qui
semble avoir constitu le moteur de sa recherche spirituelle : une recherche de
labsolu est inscrite en chaque homme.21 Il a essay de traduire celle-ci dans un
langage philosophique accessible tous. Le nombre de ses crits nous impressionne.
Shankara na pas toujours t un mystique solitaire car trs vite de
nombreux disciples ont t attirs par un rayonnement qui manait de sa personne. Il
les a instruits par ses crits et par son exprience. Il na pas t confin un seul lieu
mail il a t profondment anim par un grand souci missionnaire. Il voulait restaurer
la religion Vdique qui tait en train de perdre ses propres valeurs devant le
dveloppement du Bouddhisme, du Jainisme, des sectes, des rituels tantriques et
aussi devant la menace de lIslam. Son uvre de rformateur est immense en
particulier dans les textes Vdiques il a renonc aux rituels inutiles comme les
sacrifices danimaux ou lutilisation des boissons alcoolises. Il a beaucoup voyag
en Inde et tmoign de son exprience mystique mais il a fait des controverses avec
les philosophes bouddhistes et rencontr les responsables des nombreuses sectes.
Tous les biographes soulignent cet aspect :
Shankara a eu loccasion de rencontrer les reprsentants de toutes les sectesqui florissaient son poque. Il les a couts, a assist leurs rituels, a discutavec eux dans des conditions parfois dramatiques, et les a persuads - du moinsceux dentre eux qui restaient suffisamment proches de la tradition vdiquepour tre rcuprables - dabandonner ce que leurs dogmes philosophiques
pouvaient comporter derron et leurs rituels dimpur ou daberrant 22
Il na pas seulement engag un travail de rforme mais il nous apparat
aussi comme un grand fondateur. Au cours de ses nombreux voyages
23
il a fondquatre monastres24 (mada) en Inde. Il a t vite consum par son immense ardeur
missionnaire. On na pas beaucoup dinformations sur ses dernires annes. Mais
on pense quil est mort 32 ans.
21 brahmasutras
22. Michel Hulin, Shankara et la non-dualit, p.40.23. Les biographes autoriss disent quil aurait fait trois fois le tour de lInde24. Olivier Lacombe, Labsolu selon vdnta, Libraire Orientaliste Paul Geuthner, Paris, p.23. parexemple le monastre de Badrinath est situ dans les Himalaya et celui de Kanjipuram au Tamilnadu :5000 kilomtres les sparent.
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2. Les uvres de Shankara.Shankara nous a laiss une uvre considrable qui a t conserve et
transmise au cours des sicles, ce qui nous permet dy accder. Certains ouvrages lui
sont aussi attribus mais ils nont pas pu tre authentifis par les historiens de faon
sre. On peut regrouper ses crits en trois catgories. Il a dabord comment les
textes rvls communment appels Sruti. Il a ensuite comment quelques textes
qui font partie des Smriti.. Il a aussi prsent le fruit de sa rflexion dans quelques
ouvrages plus personnels.
Shankara est considr comme lun des grands interprtes des Vdas. Il
na pas tout retenu mais il a surtout comment les Upanisads. Tout les dix grands
Upanisads ont t lus et interprts par Shankara. Celui-ci sinscrit bien dans la
tradition hindoue qui a toujours tent de faire un commentaire des Upanisads. Ce
travail ininterrompu de lecture sexplique en raison de la nature trs obscure de ces
livres sacrs. La plupart des versets des Upanisads semblent ouvrir des profondeurs
mystrieuses mais ils ncessiteront toujours de vraies guides de lectures. Ainsi Ia
upanisad dans son introduction dit Plain l-haut, plain ici, le plain est puis du
plein : quand on a pris le plein du plein, le plein demeure 25 Shankara en analysant
les Upanisads dgage une mtaphysique de ltre.
Dans le deuxime type dcrits, deux ouvrages majeurs attirent notre
attention. Le commentaire sur les Brahmasutras est considr comme un chef-
duvre car partir de celui-ci, il dveloppera sa thorie de la connaissance. Or le
premier aphorisme du Brahma Sutras commence : Ainsi donc la connaissance du
Brahman .26 Shankara, dans ses commentaires, dveloppe cette ide centrale que
chaque tre possde en lui la recherche du Brahman. La recherche de la Vrite est
propre lhomme. Ici la nature de la Vrit (Brahman) et le chemin de connaissancede la Vrit sont mthodiquement exposs. Dans cet ouvrage Shankara explicite un
type de connaissance qui seul peut nous faire accder la Vrit Brahman . Un
autre commentaire essentiel sur la Bagavad Gta na pas encore t publi en
franais. Dans la Gta Shankara ne semble sintresser qu certains versets qui lui
servent dvelopper certains thmes philosophiques . II : 16 (distinction entre le rel
et lirrel), IV:18 (distinction entre laction et linaction), XIII :2 (distinction entre
matire et esprit) et XVIII :66 (abandon de toutes les actions).
25. Trad. Louis Renou, Paris, Maisonneuve, 1943, p.24.26. Trad. Louis Renou, Prolgomne au vedanta (Commentaires au brahma sutras) p.
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Il a aussi crit des livres plus personnels parmi lesquels Atmabhoda (La
connaissance du Soi), Tattvabhoda (La connaissance de la Vrit) et
Vivkaoudamani (Le diadme du discernement) et ceux-ci sont assez rputs. Ses
livres Vkyavritti et Lgu Vakya Vritti27 numrent les quatre versets diffrents des
Upanisads qui sont considrs comme les grandes paroles (maha vkya).
1. Parajnanam Brahman (Aiterya Upanishad-Rig Vda), Laconnaissance est Brahman
2. Tat tvam asi (Chndogya Upanishad-Sama Vda),Tu es cela3. Ayam Atma Brahma (Brihadranyaka Upanishad-Yajur Vda),
Ce soi est Brahman
4. Aham Brahmasmi (Mndukya Upanishad-Adarva Vda), Jesuis Brahman 28
Tous ces livres sont destins ses disciples intresss par son
enseignement et capables de suivre son itinraire.
C. Le fonctionnement de sa philosophie
1. Un systme greff sur une tradition religieuse.
a. Subordination aux textes sacrs
Dans le vue globale de lhistoire de la pense indienne, les Ecritures en
forment incontestablement le noyau. Elles sont comme un tang ayant plusieurs
entres. Chacun peut puiser la mme source en lapprochant par des diffrentes
entres. Diffrents systmes de pense comme Monisme, Dualisme, Matrialisme,
Atomisme, Panthisme, Monothisme, Polythisme sont aliments par la mme
origine. Ce caractre distingue ses textes sacrs de ceux des autres traditions
religieuses comme ceux du christianisme et de lIslam. Les Vdas constituent un
ensemble de vrits reues par plusieurs potes-voyants (rishi). Ceux-ci sont devritables chercheurs : il se retirent pour une rflexion profonde sur les questions de
la vie humaine auxquelles chacun saffronte.
Il est vident que Shankara, comme la plupart des penseurs indiens,
alimente ses penses en puisant aux sources des textes sacrs. Il adhre sincrement
aux Srutis et aux Smritis. On peut mme dire quil na aucune source en dehors des
27. Le mot Vkya signifie la parole et vritti signifie ce qui existe et lghu signifie court .Subsquemment Lghu Vakya Vritti est une version condense du Vakya Vritti.28. Shri Shankaracharya, Connaissance du Soi , trad., par Phan Chon Tn, ditions Adyar, Paris, 2001,p.46.
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textes sacrs. Les critures prennent effectivement une place centrale dans son
travail et elles constituent pour lui sa principale source dinspiration. Nous avons
bien vu que la majeure partie de ses ouvrages est dabord un commentaire des
critures. Il ne btit son systme qu partir des livres sacrs qui lui fournissent les
fondements ncessaires son laboration.
Bouddha peut tre rfr ici pour souligner les contrastes avec le systme
de Shankara. Chez Bouddha Il y a un renoncement complet aux autorits des vdas.
Mme sil partage quelques ides des vdas comme samsara, il sort largement du
courant de son poque. Il exprime une ngation forte contre certaines ides centrales
de la tradition existante comme lexistence de lme, lexistence de Dieu. Son souci
ne consistait pas poser une transcendance pour rsoudre les contradictions de la vie
prsente mais il voulait btir une philosophie morale capable de rpondre aux
questions poses par lexistence comme son caractre phmre etc.
Quand on parle de Shankara qui a beaucoup travaill pour laborer une
philosophie du Soi, il pourrait tre intressant de le comparer avec Ren Descartes
qui a dvelopp une philosophie du Cogito. Tous les deux lancent leurs
argumentations en souponnant toute existence. Descartes postule que tout ce qui
parat exister peut tre une illusion mais lexistence du sujet qui doute ne peut pas
tre soumise au doute. Un passage des Mditations mtaphysiques indique
clairement le sens de cette exprience du soi concret et vivant sprouvant dans lacte
mme de penser.
Il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis,jexiste, est ncessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que jela conois en mon espritMais quest-ce donc que je suis ? Une chose qui
pense. Quest-ce qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent 29
Shankara, lui aussi sa manire, affirme limpossibilit dun refus du
sujet parce que cela renverrait une rgression infinie30. Tous les objets de notre
exprience humaine peuvent tre considrs comme une illusion. Par contre personne
ne peut douter de lexistence du soi. Nous trouverions facilement des points de
correspondance entre les deux systme philosophiques mais les divergences
empchent tout rapprochement prmatur. Pour le moment la rfrence Descartes
intresse notre sujet parce que son rapport sa tradition religieuse ne modifie pas son
exercice philosophique. Il suffirait de voir la place quil donne aux Ecritures. Bien
quil soit vritablement croyant, il ne prend pas du tout en considration les
29 Descartes,Mditations mtaphysiques, Hachette, Paris, 1981, p.50.
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propositions de sa foi. Il distingue sa foi et son travail philosophique. Il fait une
sparation nette entre la religion et la philosophie. Chez Descartes la foi religieuse
demeure extrinsque lentreprise rationnelle du philosophe 31 Il dveloppe toute
sa rflexion philosophique sans avoir recours aux textes sacrs. Mais Shankara par
contre ne limite pas son travail philosophique hors du champ des critures. Il les
commente verset par verset. Presque tous les Dix upanisads majeurs ont t
interprts en dtail. Il ne pense qu partir des textes sacrs.
Ses crits personnels exploitent aussi les ides prsentes dans les
critures. Ils prennent la forme dun dialogue o un disciple pose des questions
philosophiques. Shankara, prenant la place du matre, rpond aux questions partir
des sources mme de la tradition religieuse.
(Le disciple) : Mme si jexiste, je ne suis pas le soi suprme mais seulementun tre transmigrant, caractris par la capacit dagir et de jouir. Et cettecondition nest pas de la nescience puisque jen prends conscience par desmoyens de connaissance droite tels que la perception, etc. La nescience, quant elle, ne saurait avoir le soi pour objet . Elle implique la surimposition dunobjet (extrieur) sur un autreMais de linconnu ne peut tre projet sur duconnu ni du connu sur de linconnu. Or le Soi ne fait prcisment pas partie deces choses bien connues (Le matre) : On constate en effet lexistence de surimpositions opres surle Soi. Par exemple, quand quelquun dclare : je suis de teint clairde teint
sombre , il surimpose des proprits du corps ce qui est proprement lobjetde la notion de JE (aham). Et Soi, objet de la notion de Je , est(rciproquement) surimpos au corps, lorsquon dit : Cest moi (Litt. Jesuis celui-ci , ayam aham asmi) 32
Dans cette rfrence on voit bien la mthode du dialogue utilis par
Shankara. Ici un disciple demande un claircissement sur la vraie nature du Soi
propose dans les vdas. Shankara explique avec une dmarche de question et
rponse. Mais il ne sort pas de son point de vue enracin dans les critures.
Il se concentre galement sur les images et figures utilises dans lestextes sacrs. Quand il explique les diffrents tats de conscience, il emprunte les
images utilises par son matre Govindapada dans son Mandukya upanisad
Quels sont les trois tats de conscience ?
30 Sankaracharya,Brahmasutra Bashya, (prolgomnes au vedanta), Trad.Louis Renou,p.3.31. Coutagne, Philosophies en qute du Christ, Desle, Paris, 1991, p .61.32 Sankara,Quest-ce que lignorance mtaphysique ?Trad. Mishel Hulin, J.Vrin, Paris, 1994,p.46.
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Ce sont les tats de la veille, du rve et du sommeil profond. 33 Il prend
plusieurs dautres images pour expliciter ses penses: Aperception dun serpent dans
la pnombre au lieu dune vraie ficelle
Cest en reconnaissant quil na ici quun morceau de corde que lon
peut dissiper lide illusoire dun serpent 34(Pour illustrer lide du Rel et de
lillusion : principe du Maya),
Il voit toutes choses comme son propre soi, de la mme faon que lon
voit des pots comme simplement de largile ; car tout cet univers est seulement le soi,
et il nest rien dautre que le soi 35Limage de largile et les jarres ( pour bien
expliciter le problme de lUn et de la multiplicit), Limpossibilit de la possibilit
dune coexistence entre la lumire et les tnbres pour sappuyer sur lide de la
connaissance et lignorance36 etc. Il les tire des textes sacrs.
Ainsi il est vident que les ides principales de son travail ont t
empruntes aux textes sacrs. Un tude sur son travail nous montre bien le lien fort
quil a eu avec les critures. Il y avait un dialogue rciproque formidable entre lui et
les critures rvles . Avant de continuer notre progression, il est ncessaire de
comprendre la vraie signification du concept rvlation chez Shankara parce que
sa thorie de la rvlation diverge radicalement de la comprhension que nous avons
habituellement de ce mot. Il est donc indispensable de sarrter la signification
quil donnait au mot rvlation .
b. La Rvlation Chez Shankara.
Il est intressant de se rfrer aux dfinitions du mot rvlation donnes
par les dictionnaires. Le petit Larousse le dfinit ainsi : Manifestation d'un mystre
ou dvoilement d'une vrit par Dieu ou par un homme inspir de Dieu. 37 De
mme, lEncyclopdie Catholique le dfinit : La rvlation doit tre entenduecomme tant la communication que Dieu fait de lui-mme lhomme dans une
manifestation progressiveElle est un ensemble de vritslhistoire de laction de
Dieu dans le mondeLEsprit-Saint illumine intrieurement celui qui croit. 38
33. Adi Sankaracharya, La connaissance de la Vrit (Tattva bodha), trad., Swami Chinmayananda,Chinmaya Mission France, Paris, p.42.34 Cri Camkaracarya, Vivka Cuda Mani (le plus beau fleuron de la discrimination), Trad. Marcel Sauton,Adrien Maisonneuve, Paris 1946,p.3035
Shri Shankaracharya, Connaissance du Soi , trad., par Phan Chon Tn, ditions Adyar, Paris,2001,p.47.36. Ibid.p.26.37 Le Petit Larousse, Havas Interactive, Larousse/HER 1999.38 Nouvelle encyclopdie catholique, Editions Droguet-Ardant/Fayard, Paris. 1989, p.593-95.
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Les autres religions mditerranennes comme Judasme et Islam saccordent plus ou
moins avec cette dfinition. Nous pouvons pointer quelques lments spcifiques
la rvlation chrtienne au moyen desquels nous allons souligner des diffrences
avec Ladvaita vedanta de Shankara.
1. Ensemble de vrits contenues dans les propositions (dans les textes sacrs) et
communiques par Dieu.
2. Celui qui fait autorit dans la rvlation est son auteur : Dieu est le rvlateur.
3. Dieu lui-mme se communique un tre humain : Dieu est le rvl.
4. Cette communication est faite dune manire surnaturelle.
Shankara semble accepter le premier point de vue qui affirme que la
rvlation est lensemble des vrits contenues dans les propositions. Cependant
pour lui, Dieu ne communique pas des propositions nouvelles mais elles sont dj
donnes dans le monde39. Dans la conception non-dualistique laquelle il adhre, le
monde est sans commencement et la postulation dun crateur est non -ncessaire et
problmatique. Ainsi la rvlation ne peut pas tre une nouvelle parole que lAbsolu
communiquerait un moment donn de lhistoire. Elle est accessible lexprience
commune.
Dans la pense chrtienne Dieu est lauteur de la rvlation et elle nest
reue et reconnue que dans la foi qui pourrait tre dfinie comme la condition de
possibilit de rception de la rvlation. De fait, la transmission de la rvlation un
tre humain est faite par la volont de Dieu qui est reconnue comme son unique
fondement. Ladvaita vedanta quant elle, fonde la transmission de la rvlation sur
lautorit de la rvlation elle-mme. Shankara donne la priorit aux textes eux-
mmes.40Les vrits des Vdas ne dpendent pas dun auteur parce que les Vdas
sont sans auteur. Dans cette conception, nous verrons que la notion de la foi est
certes importante, mais limportance est donne la connaissance. Shankaradistingue le rle de la foi et celui de la connaissance en interprtant les versets de
Bagavad Gita (4 :38-39)41.
Il nest point de purification sur terre pareille la connaissance.Et celle-la, laccomplissement de lUnion(Yoga) la trouve delle-mme avecle temps dans le soi. (38)Le fidle sy adonne, et il a dompt ses sens, il sacquiert la connaissance ;
39 Eliot Deutsch and J .A.B. Van Buitenen, A Source book of Advaita Vedanta, Honolulu: The University
of Hawaii press, 1971, p.7.40 Arvinde Sharma, The Philosophy of Religion and Advaita Vedanta, Sri SAtguru publications, Delhi,India, 1997p.5541 Sri Shankaracharya, Srimad Bhagavad Gita Bhasya of Sri Shankaracharya, Tranlation by Dr.A.G.Krishna Warrier, Sri Ramakrishna Math, Madras- India,1983, p.176-77.
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Quil ait acquis la connaissance, il arrive sans dlai au repos suprme.(39)42
c. Tmoignage verbal
Comme la plupart des penseurs indiens, Shankara tient aussi que le
tmoignage verbal (Sabda)43
est un moyen de connaissance valide par rapport larvlation vdique. Les vrits des Vdas sont entendues par les potes voyants et
communiques de bouche oreille aux disciples. Ce tmoignage verbal na pas
beaucoup de valeur pour les logiciens doccident parce quil ne peut pas constituer
une vritable source de connaissance. La possibilit dune vrification est toujours
exige pour fonder sa crdibilit. LAdvaita vedanta admet cette exigence mais il
insiste sur la validit de la connaissance fonde sur le tmoignage verbal. Par
exemple, si un ami me dit quil pleut dans une autre partie de la ville dont il vient, jefais confiance son exprience. Le fait que je crois en lui ou non peut tre lobjet
dune infrence parce quil est possible de vrifier la ralit de ce quil affirme mais
cette vrification nest pas toujours possible. La certitude quil pleut quelque part
nest pas acquise par ma perception ou par mon infrence mais elle repose
uniquement sur un tmoignage verbal. Celui-ci demeure un moyen valide de la
connaissance.44 Dailleurs la plupart des connaissances sont fondes sur le seul
tmoignage verbal. On y croit. Nous savons bien quil nest pas possible de tout
vrifier nous-mmes par lexprimentation. Ainsi le tmoignage verbal reste une
source authentique de connaissance.
Dans la perspective chrtienne de la rvlataion, Dieu lui-mme
intervient dans lhistoire. Lincarnation dun Dieu personnel est possible. Shankara
admet lide de lincarnation mais elle diffre radicalement de celle du christianisme
parce que le christianisme accepte une seule incarnation. Shankara, commentant les
versets de Bagavad Gta (4 :6-8) semble admettre de multiples incarnations.
Lincarnation fait bien partie de la rvlation mais elle diffre en ce sens quelle nest
possible que dans lillusion (maya). Il lexplique en commentant le verset(6 :6) de
Bagavad Gta. Dans lincarnation Brahma parat n et incarn mais ce nest pas la
ralit.
En conclusion, nous trouvons chez Shankara une forte prsence de lide
de rvlation . La plupart des commentateurs de Shankara reconnaissent chez lui
quatre types de rvlation.
42 BAgavad-Gt, (Le Chant du Bienheureux), trad. Sylvain Lvy et J.-Stickny, Editions mille et unenuits, 1997,p.38.43Le mot Sabda en Sanscrit signifie le son, le mot et lide.
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1. Premier type de rvlation est destin tous les tres humains vivant ici-bas
dans un tat dignorance mais pouvant recevoir une certaine forme de connaissance.
2. Deuxime type de rvlation est contenu dans les Vdas et surtout dans les
Upanishads.
3. Un type de rvlation donn par les Dieux incarns : par exemple, le
Krishna dans le Bagavad Gta.
4. Quatrime type de rvlation est la rvlation directe (anubodhi) considre
comme une ralisation des paroles contenues dans les Upanishads45 .
Pour notre sujet relatif son rapport aux textes sacrs, le deuxime et le
troisime type de rvlation nous intressent ici. Les Vdas constituent effectivement
des textes rvls exigeant une soumission. Par contre, cette rvlation est contenue
dans les textes eux-mmes et ne ncessite pas un rvlateur. Les paroles des Vdas,
pour tre reues, supposent une vritable dmarche de connaissance et sont
transmises au moyen du tmoignage verbal.
2. Hermneutique des textes sacrs
a. Quel choix fait-il ?
Nous avons dj soulign que Shankara privilgiait le commentaire des
critures. De fait, la plupart de ses uvres sont des commentaires des textes sacrs.
Nous avons dj prsent les diffrents types dcrits qui composent lensemble de
son uvre. Il y a dabord les commentaires des Srutis qui reprsentent les textes
rvls (Les Vdas). Il y a ensuite les commentaires des Smirtis qui contiennent les
textes authentifis et reconnus par la tradition. Il y a enfin des uvres plus
personnelles qui dveloppent les ides majeures tires dans les textes sacrs. Ainsi,
il ne dveloppe sa pense qu partir dun noyau central constitu par lensemble des
textes sacrs.Son travail philosophique entretient un rapport trs troit avec les textes
sacrs et il pourrait tre intressant de prsenter le genre de ses crits philosophiques
ou la faon dont il mne sa rflexion philosophique. Il est certes plus facile de le
dfinir ngativement. Ainsi certains de ses ouvrages ne pourraient pas tre assimils
des crits de type exgtique au sens moderne du mot. Selon la dfinition
classique, le mot exgse signifie Linterprtation philologique et doctrinale dun
44 Arvind Sharma, The philosophie of religion and Advaita vdanta, p.6045 Ibid. p.119.
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texte, particulirement dun texte qui fait autorit 46 : ainsi les textes sacrs ont
toujours t lobjet dun travail exgtique approfondi. Mais celui-ci sattache plus
ltude formelle des textes ou des mots en privilgiant leur formation et en donnant
une grande importance au contexte historique. Shankara, quant lui, semble plus
intress par la signification du versets ou des mots employs que par une tude
philologique.
2. Ce quest la syllabe Om, Satyakma, est, en vrit, le suprme et le nonsuprme Brahma. Cest pourquoi, avec ce support, le Sage atteint lun etlautre. Shankara.Brahma en tant que Suprme est la ralit imprissable, appelePurusha ; en tant que non suprme il est appel Prna, Premier-N, et lasyllabe Om est cela prcisment. Brahma consiste en la syllabe Om parce quecelle-ci en est lepratka, le symbole. Etant donn que le suprme Brahma est
insaisissable par un moyen terme, un son, etc., il est impossible, en raison de sanature suprasensible, de comprendre par le seul mental. En revanche, ilfavorise de sa grce ceux qui mditent avec la syllabe Om dote pardvotion (bhakti) de la nature de Brahma, ce qui est compris daprs lautoritde la doctrine. Et il en est de mme pour le non suprme Brahma. Cestpourquoi la syllabe Om est considre comme tant la fois le suprmeBrahma et cest pourquoi aussi le sage, par la mditation mme de la syllabeOm, le moyen pour obtenir la ralisation du Soi, atteint (selon ses capacits) lesuprme ou non-suprme Brahma, la syllabe Om tant le support le plus prochede Brahma.47
Ainsi il est clair que Shankara est plus intress par les ides et les
concepts que par la philologie. Son travail ne pourrait pas non plus tre class dans
la catgorie des traits de pit. Nous savons quil a beaucoup controvers au
cours de ses priples. En particulier il a lutt contre les tenants dune cole
(Mimamsa) de son poque comme Kumarila Bhatta et Vivaroupa qui interprtaient
les Vdas comme un recueil de rituels et comme un code de devoirs individuels.48
Les biographes indiquent bien quil avait des dbats contre cette tendance de rduire
les Vdas aux simples rituels.49 Dans ses commentaires sur les Vdas il ometvolontairement les passages qui contiennent les codes rituels et nous verrons quil
commente seulement les Upanishads et surtout ceux qui ont un contenu rflexif et
philosophique. Parmi les textes de Smritis aussi il a choisi uniquement les
Brahmasutras et la Bahavad Gta. Il na surtout pas lintention de parler des popes
ni des lments qui contiennent les passages prsentant les histoires mythiques. Il
ne sengage mme pas dans un travail pour produire des doctrines thologiques.
46 Andr LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, P.U.F., Paris,1960.47 Shankaracharya, La Prashna Upanishad, Trad. Ren Allar, Le courrier du livre, Paris,1984, p.58-59.48 Paul Martin Dubost, Cankara et le Vedanta , p.20-21.49 Ibid.
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Sil fallait maintenant dfinir positivement son exercice philosophique
nous parlerions indiscutablement dune sorte de commentaire hermneutique des
textes sacrs. Chez lui, nous trouvons effectivement une approche vritablement
rationnelle des textes sacrs avec des questions philosophiques.
b. Pourquoi un tel choix ?
Ayant bien repr ses choix il semble important de sinterroger sur la raison
quil a eu doprer un tel tri . Nous abordons ici la spcificit du travail
philosophique quand il saffronte des textes, furent-ils sacrs. Il sagit toujours
dinterroger un texte partir dune problmatique. Nous voyons bien ici diffrentes
approches possibles dun texte. Nous pouvons partir de la dfinition du commentaire
de texte propose par un auteur contemporain.
Le commentaire de texte consiste mettre au jour la problmatique et leproblme constitutif dun texte. Il sagit de clarifier le problme contenu dansle texte en pntrant le thme et la thse, puis de bien dgager lorganisationconceptuelle et enfin, de procder, ventuellement une tude rflexive sur leslignes proposes. 50
Pour sa lecture des textes sacrs, de tout vidence, Shankara nemploie pas cette
mthode de commentaire des textes. Il met en uvre une autre mthode quil est
important de mettre jour. Il semble saffronter aux textes avec son propre
questionnement. Ce-ci explique bien la raison pour laquelle il a opr un tel choix
dans lensemble des textes sacrs. Nous avons dj remarqu quil met
volontairement certains versets de ct et ne considre que les versets qui semblent
donner des lments de rponse son questionnement. Par contre pour notre travail
en rapport aux ouvrages de Shankara, il est essentiel de reprer la problmatique
partir de laquelle il se confronte aux textes sacrs. Sans identifier et claircir les
questions fondamentales qui sont le moteur de sa recherche, il est difficile davancerdans notre rflexion.
Dans les noncs de Shankara, on repre deux questions importantes
partir desquelles il aborde les textes sacrs. Cette insistance doit nous donner des
indications prcieuses par rapport sa problmatique. Toute son exercice
philosophique se dploie en spirale autour de ces deux questions qui constituent une
sorte de foyer incandescent destin clairer l'ensemble de son oeuvre. Le premier
questionnement prend en considration celui de l'tre ou celui de l'Absolu (Brahman)qui nous le verrons, lui est indissolublement li. Le deuxime s'attache celui du
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problme de la connaissance. Cette double dmarche aboutit "naturellement" dans un
registre mystique. Tous les crits de Shankara portent les traces d'une qute
mystique de l'Absolu : ils possdent indiscutablement une finalit mystique.
i. Le problme de l'tre
Ds son premier commentaire des Brahmasutras, Shankara s'intresse
la question de l'tre qui sera omniprsente dans ses crits. Toute sa rflexion se
dveloppe sur un plan mtaphysique. Nous voyons dj cette orientation quand il
interprte le premier verset de Brahmasutra "ENSUITE DONC L'INVESTIGATION
DU BRAHMAN" il affirme que la recherche du Brahman "n'est pas (une matire)
qui doit tre introduite". Le brahman prcde toute notre activit de connaissance.
Le langage de la reconnaissance conviendrait mieux pour signifier cette prcdence.
"Cette investigation du Brahman est la consquence ncessaire... d'une matire
antrieurement traite"51. Ainsi cette recherche impliquera une discrimination entre
les choses relles et non-relles ; les choses ternelles et non-ternelles. Son intrt
principal va consister dans la recherche de ce qui "Est" vraiment. Les phnomnes du
monde se prsentent souvent comme un terrain privilgi d'investigation mais
Shankara va insister sur une capacit transcender ceux-ci pour atteindre le rel.
Pour cela, il emploie un langage mtaphysique.
A partir de ces considrations, on pourrait dfinir sa pense comme une
philosophie de l'tre (Sat). C'est ce qui la distingue des autres philosophies indiennes
comme celle de l'action (karman) ou du "devenir". L'affirmation centrale de
l'ontologie de Shankara est celle d'une plnitude infinie. Il serait facile de trouver
des indications concernant le contenu de son questionnement mtaphysique. Pour lui
la question fondamentale sera toujours celle de l'essence et non pas celle de
l'existence. L'tre est plein et simple. Cette chose est si vraie qu'il n'y a peut trequ'un seul tre, infini. S'il n'y a rien d'autre que Brahman, quelle est la place de toute
pluralit ou bien de toute existence individuelle? Si la prsence de l'tre simple nie
toutes les possibilits des existences individuelles, comment peut-on combler l'cart
entre la finitude et l'Absolu? Voici quelques passages, concernant sa rflexion
relative la question de l'tre, extraits d'un ouvrage assez tardif dans lequel il
rsume toute sa dmarche.
50 Jacquelint Russ Les mthodes en philosophie, Armand Colin, Paris,1992,p.152.51 L.Renou, Prolgomnes au vedanta (Les commentaire de Shankara aux Brahmasutras),p.6-7.
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"En Cela qui est l'Absolu --- Sans changement et sans forme --- o trouverait-on trace de diversit? (399)Comment le terme "diversit" pourrait-il s'appliquer la suprme Ralit,laquelle est une et homogne? Qui a jamais relev trace de pluralit en laflicit sans mlange de sommeil profond? (403)
Avant mme que l'ultime Vrit soit ralise, l'univers n'existe rellement pasdans l'absolu Brahman --- dans l'tre pur (sat). En aucun mode du temps a-t-onjamais constat la prsence d'un serpent dans la corde ou celle d'une goutted'eau dans le lac du mirage?" (404)52
Donc d'aprs lui l'tre qui est l'Absolu et l'Un est non-contradictoirement
vrai. "Le non-tre ne vient pas l'tre. Chez l'tre il n'y a pas cessation de l'tre
comme dit l'auteur de Bagavad Gta53. Shankara le souligne bien dans son
commentaire de Bagavad Gta. Ainsi nous voyons trs bien que le souci principal de
Shankara consiste discriminer "ce qui Est et ce qui n'est pas". Il a beaucoupinterprt les textes concernant les questions mtaphysiques comme le problme de
l'tre et du non-tre, le problme du rel et du non-rel, le problme de l'articulation
de l'infini et du fini, et de L'Un et de la multiplicit, dans ses ouvrages principaux.
ii. Le problme de la connaissance.
La deuxime question essentielle pour Shankara est la connaissance.
Comme l'auteur de Mundaka Upanisad pose la question : "Quelle chose suffit-il doncde connatre pour tout connatre."54 Shankara aussi tait habit par un dsir de savoir
"ce qu'il faut savoir" ; le savoir du rel. Dans cette perspective, il a consacr une
bonne partie de ses oeuvres analyser les moyens de la connaissance. Son but
ultime demeure bien videmment la connaissance de l'Absolu ou bien de l'tre.
Shankara est intress par l'tre pur mais celui-ci pourrait vraiment empcher une
dmarche logique. En effet, dans une philosophie de l'tre, l'action devient
impossible. La connaissance tant une action, aussi elle pourrait sembler impossible.De plus, tous les moyens de connaissance visent l'action. Shankara est bien soumis
l'autorit des textes sacrs mais il semble affront une connaissance rendue
impossible. En effet, les textes sacrs contenant les tmoignages verbaux des sages
impliquent aussi une action. Dans ces conditions qu'est-ce que la connaissance.? Il
prcise ce problme dans son commentaire des Brahmasutras
"Comment peut-on dire que le texte est le moyen de connatre le brahman,quand il a t dmontr que le Texte vise l'action (kriya) ("la tradition, ayant
52 Ibid.,p.106-107.53 Bagavad Gta Bashya, II.16.54 SAnkara, Mundakopanisadbashya, commentaire sur la Mundaks Upanisad, trad., Paul Martin Dubost,Editions Orientales, Paris,1978,p.24.
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l'action pour l'objet, tout ce qui n'a pas (l'action) pour objet est sans objet"),d'o suit que les textes du Vdanta, n'ayant pas l'action pour objet, sont sansobjet (anarthakya)?"55
D'aprs Shankara "Le brahman ne s'intgre pas non plus la suite d'un
acte"56 Cette affirmation ouvre toute une srie de questions. Dans cette condition
qu'est-ce que la connaissance? Si le devenir n'est pas possible, qu'est-ce que l'acte?
Quelle est la place de la causalit? S'il n'y a pas de relation causale entre deux
choses comment peut-on connatre? Qu'est-ce que l'tre? Que suis-je devant le fait
de l'tre? Qui est celui qui tente cette connaissance? En consquence Shankara
dveloppe un thorie de la connaissance qui contient une dimension mystique.
iii. La finalit mystique.Pour ce qui nous intresse, cette double dmarche aboutit une finalit
mystique. A travers ces deux investigations dans les plans de l'tre et de la
connaissance, Shankara essaie de fonder ce qui parat constituer son unique projet :
le rapport mystique entre la finitude et l'Absolu.
On repre facilement chez Shankara une exprience mystique
personnelle qui serait d'abord un moteur de sa recherche. Ds son plus jeune ge, il
se mit en recherche d'un matre pour guider son cheminement personnel. Il gardajalousement le silence au sujet de sa propre exprience mais celle-ci transparat bel et
bien dans ses crits car il semble parler avec une telle conviction. Il parla vraiment
avec l'autorit d'un matre. Il fut un enseignant, la plupart de ses ouvrages sont
destins ses disciples.
Ses ouvrages principaux ne peuvent pas tre considrs comme des
traits de spiritualit. Ils prsentent un caractre philosophique vident. Indiquons
simplement la mthodologie rigoureuse qu'il dploie et les concepts qu'il utilise.Nous traiterons dans une prochaine partie la question de l'articulation entre
l'exprience mystique et l'acte de philosopher.
Il est intressant de parcourir "Connaissance du soi" (Atmabodha) un de
ses courts ouvrages destin ses disciples dans lequel il condense toute sa recherche
qui se situe au carrefour des registres mystique et mtaphysique. Lisons simplement
un extrait:
"La connaissance qui nat de la prise de conscience de sa propre nature, dtruitd'elle-mme l'illusion du "je" et du "mien", qui ressemble la confusion entre
55 Brahmasutrabashya,p.17.56 Ibid.,p.28.
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les directions" (46) Le yogi qui a obtenu la ralisation...voit toutes chosescomme son propre soi, de la mme faon que l'on voit des pots commesimplement de l'argile ; (car) tout cet univers est seulement le soi, et il n'est riend'autre que le soi. (48) L'tat du libr-vivant (jivanmukta) signifie que lapersonne sage ayant abandonn ses limitations et les qualits passes, et
acqurant les proprits de l'tre, de la conscience (et de la flicit) atteintBrahman, de la mme faon que la chenille devient papillon."(49)57
Son projet semble clairement indiqu dans ce court passage: la question de l'tre le
mne vers une identit mystique du soi avec l'Absolu et la connaissance culmine
dans une ralisation de l'Absolu.
3. Les concepts fondamentaux de la philosophie de Shankara
Avant de commencer une tude critique sur son acte de philosopher et safinalit mystique il est important de faire maintenant le point et dfinir les concepts,
les termes et les ides fondamentales qui constituent un systme rigoureux chez lui.
a. Les Grandes Paroles
Ses ides fondamentales semblent contenues en peu de mots.
Ainsi qu'il le dit lui-mme, il a slectionn quatre phrases importantes dans les
Upanisads. Il les a appeles les grandes paroles (les maha vakyas)58, chaque phrase
tant extraite d'un vda diffrent. Toute son oeuvre se prsente ainsi comme un
commentaire de ces "grandes paroles59. Elles constituent effectivement le coeur de
son systme philosophique60. A partir de ce noyau essentiel, il va dvelopper une
analyse profonde qu'il situera lui-mme des niveaux diffrents, grammatical,
rhtorique, pistmologique et mtaphysique.
Parajnanam Brahman (La connaissance est Brahman)
Tat tvam asi (Tu es cela)
Aham Brahmashmi (Je suis Brahman)
Ayam Atma Brahma (Ce soi est Brahman)
b. Brahman
Toute d'abord je voudrais prciser la signification du concept "Brahman"
parce que l'on pourrait confondre ce mot avec un autre mot "Dieu". Dans la pense
advaitinne le concept brahman n'a aucun rapport avec notre conception judo-
chrtienne de Dieu. En vrit c'est le contraire. La prsence de Brahman exclut toute
57
Shri Shankaracharya, Connaissance du soi(Atmabodhi),Editions Adyar, Paris,2001,p.38-39.58 Swami chinmayananda Vakya vriti of AdiSankara, Chinmaya mission, Bomay, 1985, p.iv-v.59 ibid.60 Il est intressant de noter que dans la tradition hindoue, beaucoup de philosophes ont comment "desgrandes parloles" extraites des vdas. A partir de celles-ci, ils ont labor des systmes diffrents.
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possibilit d'existence de Dieu. Je ne veux pas entrer dans le dtail mais simplement
prsenter une diffrence essentielle en indiquant que le mot "Brahman" prend sa
racine du mot sanscrit "Brh" qui veut dire "tre grand", "puret Eternelle" et "ce qui
transcende Eternellement)"61 Selon le vedanta le mot Brahman ne peut signifier que
ce qui est la pure non-dualit. Toutes les modifications deviennent des limitations
mais le concept "Dieu" s'origine dans une pense monothistique. D'aprs Shankara,
Dieu crateur ne peut tre qu'une illusion.
"Le Brahman en vrit, est dit avoir deux formes (dvirupam) : celle qui estdtermine par les limitations causes par les modifications en noms et formes,et celle qui au contraire, est dpourvue de toute limitations... Bien queBrahman soit un, il est, selon les textes vdantiques, ce sur qui on doit mditercomme en tant relation avec les limitations et ce qui doit tre connu comme
tant dpourvu de toute espce de relation avec les limitations."
62
Shankara est contre une certaine tendance qui consiste dduire un Dieu
crateur d'un monde fini parce que d'aprs lui, dans cette perspective, on ne pourrait
dduire qu'un Dieu crateur fini. L'Absolu ne peut pas devenir. Il est l'tre pur.
Shankara ne veut lui attribuer aucune qualit. Il est nirgunabrahman (Nir : ngation,
Guna : qualit). Il refuse mme de se rapporter lui comme une "chose". Ainsi le
mot Brahman ne reprsente pas ce que le mot Dieu signifie dans la conception judo-
chrtienne. Donc il ne faut surtout pas confondre le concept Brahman dvelopp par
Shankara avec le mot Dieu transmis par la tradition judo-chrtienne.
c. L'Atman
Le mot "Atman" est aussi un terme trs ambigu qui a besoin d'un
claircissement. Atman se traduit comme le "Soi", "l'me". Qu'est-ce que le Soi?
Qu'est-ce que l'me? La rponse de Shankara est intressante. Il est vrai que son
point de dpart ressemble un peu celui de Descartes. Le fait de "l'existence d'un
sujet qui interroge" est la premire certitude dont personne ne peut douter. Les deuxphilosophes sont d'accord sur ce point mais ils divergent par rapport la nature du
sujet. Shankara prcise son point de vue dans son commentaire aux Brahmasutras.
"Tous, en effet, ont conscience de l'existence qui est la leur et nul ne pense : "jene suis pas." Si l'existence du Soi n'tait pas chose bien connue, tous iraientpensant "je ne suis pas." Or le soi n'est autre chose que Brahman".63...
"Le Soi en tant que support du dploiement de ces moyens de connaissance,est (en droit) tabli avant eux. Et une ralit de ce type ne saurait faire l'objetd'une quelconque rfutation. Une chose adventice peut tre rfute, mais non
ce qui constitue la forme propre ou l'essence du "rfutant"... De mme, lorsque6162 Brahmasutra bhashya I,I,II. (Traduit pat Martin Dubost dans le livre "Cankara et le Vdanta, p.102.63 Commentaire aux Brahmasutras, I, 1,1.
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nous pensons : "je connais telle ralit prsente, j'ai connu telle ralit plus oumoins loigne dans l'avenir", chaque fois l'objet est diffrent, en fonction dela dimension du temps laquelle il se rattache, mais le sujet connaissantdemeure le mme car sa nature est ternelle prsence. Et c'est pourquoi il nesaurait tre dtruit, l mme o le corps est rduit en cendres"64
Chez Descartes la certitude s'appuie sur l'existence d'un sujet individuel qui
s'interroge sur le fait de son existence mais Shankara lance son doute encore plus
loin, au del de toute individuation, toute modification. Il va jusqu'au niveau de l'tre
pur qui constitue son unique certitude. Shankara dveloppe sa rflexion jusqu'au
point o il refuse toute valeur absolue aux "je", "moi" et "mienne". Atman n'est pas
identique avec l'me individuelle. Il n'y a que le Soi pur et simple qui est identique
avec le Brahman. Cette vrit essentielle est celle qui est proclame par tous les
Upanisads.
d. Maya
Descartes conduisait sa mditation par le doute vers ce qui est
indubitable. Shankara argumentait que tous les objets du monde extrieur peuvent
constituer une illusion. Il affirmait l'impossibilit de la ngation de l'existence de soi
en prsentant toutes les illusions de perception. Ce n'est pas le malin-gnie qui le
doit. Ds sa naissance l'tre humain est bien limit par l'espace et le temps et cette
limitation se prsente comme une violence faite l'tre humain par une puissance
sans visage. Cette puissance a un double visage : celui de voiler le rel et celui de
projeter la multiplicit. Shankara l'appelait le Maya (l'illusion). L'tre humain est
bien limit pour percevoir la vrit mais sa vraie nature le pousse transcender
toutes ces limitations. Il est suspendu entre le rel et le non-rel et cet cart est
source de souffrance. Shankara explicite dans un chapitre de son livre
vivkaoudamani.
"L'ignorance ou maya que l'on appelle aussi l'indiffrenci, c'est le pouvoirmme du Seigneur. Elle existe de toute ternit ; les trois gunas65 la constituent ;en tant que Cause premire, elle est suprieure tous les effets.... On ne peutdire d'Elle ni qu'Elle existe, ni qu'Elle n'existe pas, ni qu'Elle participe, la fois,de l'existence et de la non-existence ; Elle n'est ni homogne, ni htrogne, nil'un et l'autre. Elle n'est pas compose de parties ; Elle ne constitue pas un toutindivisible, et Elle n'est pas, la fois, l'un et l'autre. Maya--- la grande Merveille--- chappe toute description"66
64 Ibid., II,3,7.65
Le mot guna se traduit comme la qualit. Les trois gunas sont 1. Rajas (pouvoir de projection detoutes manifestations), 2. Tamas (le roideur obscure comportant les notions de tnbres, de torpeur etd'inertie), 3. (La prime essence caratrise par la puret, la lumire et l'quilibre; le sattva, l'tat pur, sedsintgre)66 Le plus beau fleuron de la discrimination Viveka-cuda-mani, (108-109), p.29.
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Seul le Soi (Atman), qui est l'Un, non-dualit, est rel. Le soi individuel
(jiva) est une apparence. Le Brahman qui est l'identique avec l'Atman seul est rel.
Il apparat comme Ivara le Dieu crateur par la puissance de Maya. On doit
dmasquer le Soi resplendissant de la prise de Maya. Chaque individu, par sa nature
est destin se librer de la puissance de Maya. Cela indique une dimension
sotriologique chez Shankara
4. Un court rsum de sa pense.
Brahma Satyam Jagan-mithya
Jivo brahmaiva nparah
"Brahman absolu seul est rel. Le monde est irrel. Le jiva (l'me
individuelle) est identique avec Brahman". Shankara dans sa recherche du rel
dveloppe les ides parallles comme
1. Le brahman (La ralit ultime) et L'vara (Le Dieu personnel)
2. L'tman (Le Soi) et le jv (l'me individuelle)
3. Vidya (La connaissance) et avidya (l'ignorance)
4. Maya (l'illusion) et moksha (la libration)
Pour mieux comprendre ces diffrents concepts parallles il est ici ncessaire de
prsenter les quatre tats diffrents que Shankara dveloppe partir des textes sacrs.
Les premiers trois tats sont ceux de la manifestation.67 Le quatrime tat est l'tat
transcendantal.
a. Les trois tats de manifestation
L'tat de manifestation est l'vara. Au point de vue microcosmique la
base est l'atman. L'espace et le temps nous limitent en nous donnant l'individualit.
Cette individualit est Jv. Le corps et le mental ne peuvent pas nous mener vers
l'absolu. Cet individu est un tre en trois aspects.i. l'aspect causal
Ici le jv est l'tat de sommeil profond.68 Le corps et le mental ne
fonctionnent pas. Le "je" n'est conscient ni de son corps physique ni de son mental
ni de son intellect. Il est ignorant de sa propre existence. Tout lui revient ds qu'il se
rveille.
67 Shankaracharya, Tattva Bodha, trad.,Svarupa Chaitanya, central Chinmaya Mission Trust, Mumbai,India,1997.p.21.
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ii. l'aspect subtil
Ici le jv est l'tat de rve.69 Il est libr du corps : seule la pense
conserve son activit. Il est conscient de son corps mais le "je" est pleinement
identifi avec son mental l'aide duquel il projette un monde entier de choses, d'tres
et des situations. Pour un rveur l'tat de rve est aussi rel que l'tat de veille.
iii. L'aspect grossier
Ici le jv est l'tat de veille.70 Le corps et le mental sont tous deux en
action dans cet tat. Le "je" peroit le monde ainsi que ses propres penses et ses
motions.
Tous les trois tats sont les trois phases qui marquent le dploiement et le
reploiement de la manifestation de l'Un. Si l'Un seul peut exister tout le reste pour
Shankara n'est que surimposition illusoire (Maya). Le monde est le rsultat d'une
fausse identification
b. L'tat transcendantal
De ce point de vue la manifestation s'annule compltement. Ici le "je" est
celui qui est veill. Le soi est donc le facteur commun prsent dans les trois tats.
Il est un tmoin de tous les tats. Le soi semble agir sous les formes de celui qui est
veill. Il est l'atman.
Sous l'aspect de la
Manifestation
Sous l'aspect
transcendantal
Au point de vueindividuel
Le Jv
----
L'Atman
(Saccidnanda)
Avidya
L'ignorance(sous la puissance deMaya)
----Samara
Vidya
La vraie connaissancelibration(Saccidnanda)
mokcha
Au point de vueuniversel
L'vara
----
Le Brahman
(Saccidnanda)
68 Ibid.69 Ibid.70 Ibid.
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i. Saccidnanda
Nous pouvons dire que cette expression "Saccidnanda" forme au
moyen des trois mots "Sat"-"sit"-"Ananda" (tre pur - connaissance ou conscience
pure - flicit pure) peut contenir un rsum de toute la pense de Shankara. Cette
expression apparat comme le rsultat de son effort fait pour dterminer
conceptuellement l'Absolu qui est d'ailleurs au-del de toutes dfinitions. Il le
confirme lui mme quand il commente le Taittiriyopanisad, "La proposition
Brahman est ralit, connaissance, infinit sert dfinir le brahman. Les trois
termes.. sont les caractristiques du Brahman qui reprsente la chose ainsi
caractrise"71 On pourrait dire aussi que Shankara essaie de traduire son exprience
mystique de l'Absolu de faon manifeste dans un langage.
Comme rsultat, Shankara affirme une identit entre l'Atman et
Brahman, entre l'Absolu impersonnel et la structure fondamentale de tout ce qui est.
En consquence de cette surprenante dcouverte il dveloppe des propositions
relatives la nature de toute tre vivant. Ainsi l'tat nature de l'Atman est
saccidnanda qui est au-del du temps et d'espace.72 A partir de cette conviction,
Shankara invite tous ceux, qui cherchent la vrit, faire un voyage intrieur l o se
cache le Soi pur dans l'tat de saccidnanda
"Brahman...hors de quoi rien n'existe -- Ce qui resplendit au-dessus mme demaya -- Ce qui est suprieur l'effet de maya : l'univers--- Le Soi qui se cacheau plus profond de chaque crature-- le vritable Soi : "Sac-cid-nanda"Existence -- Intelligence -- Flicit absolues -- le Soi qui est infini etimmuable, c'est Brahman -- et tu es le Brahman ! Mdite donc sur lui dans lelotus de ton coeur!"73
Le Sat reprsente la ralit qui est l'tre pur, sans second. C'est le Soi.
Nous avons beaucoup dvelopp cette premire dtermination du Brahman prsent
comme Sat et cela suffit pour le moment. Quant la deuxime dtermination, laconnaissance du Soi est la vraie connaissance. Ici Shankara diffre entirement du
point de vue des empiristes et des rationalistes qui soutiennent que toute
connaissance vient d'abord des sens ou qui recourent de faon privilgie au travail
de la raison pour tablir le vrai. Dans cette perspective de la connaissance du Soi, les
moyens habituels sont inefficaces. La connaissance du fondement ultime de
l'existence suppose un type particulier d'exprience. Philosopher ne devient plus
71 Commentaire la Taittiriyopanisad,II,1,1. traduit et cit par Michel Hulin dans son livre Shankara et lanon-dualit,p.136.
72 Shankaracharya, Tattva Bodha, p.22-24.
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seulement un travail crbral. Pour qu'elle soit bien fonde dans la vrit une
exprience mystique du soi est essentielle pour dcouvrir une source de certitude.
Cela constitue le moteur secret de sa recherche philosophique. Chez Shankara la
thorie de la connaissance est marque par l'union mystique qui se prsente
prcisment comme une ralisation de Brahman. Shankara l'appelait la
"Brahmavidya" Elle n'est pas une simple perception intellectuelle mais un
changement profond de conscience. Nous soulignerons l'importance de l'exprience
mystique dans l'exercice philosophique dans un prochain chapitre.
Le Brahman ne deviendra jamais un objet de la connaissance. Il est le
substrat de l'individualit l'arrire fond du jv. Nous ne pourrons jamais russir
placer la ralit devant nous comme un spcimen pour analyser. Il est seulement
possible de le saisir quand on prend la position de Brahman. A ce moment le
connaisseur de Brahman devient le Brahman mme. Dans cette union mystique
demeure la batitude ternelle (Ananda) qui se prsente comme la troisime
dtermination du Brahman.
D. Conclusion
Il s'agit maintenant de conclure cette premire partie pour apprcier le
chemin parcouru et avancer plus loin dans notre questionnement. Cette reprise va
nous permettre de donner des lments de rponse la question initiale concernant la
dfinition du statut pistmologique de sa philosophie. Nous avons parcouru
rapidement la vie et l'oeuvre et aussi les concepts fondamentaux de la pense de
Shankara, en prenant en compte sa tradition, son contexte historique et son contexte
philosophique. Essayons de schmatiser le contenu de cette premire approche de
son exercice philosophique.
Premier plan : le rapport l'extriorit1. Une recherche fonde sur une tradition religieuse hindoue.
2. Les textes sacrs de sa tradition.
3. Le lien avec une communaut bien inscrit dans l'histoire
Deuxime plan : le rapport l'intriorit
1. Recherche personnelle d'une exprience mystique
2. Soumission la rvlation des critures : finalit mystique
3. Une transmission de son union mystique dans un langage concret.
73 Cri Camkaracarya, Le Plus Beau Fleuron de la Discrimination, (263), p.75.
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Troisime plan : approche philosophique.
1. Parcourir les textes sacrs avec les questions mtaphysiques
2. Dgager rigoureusement un systme de pense
3. Prsenter une nouvelle type de connaissance dtermin par la finalit mystique.
Nous nous interrogions sur la faon dont il s'exerce la philosophie.
Nous avons repr une problmatique concernant la question du rapport entre la
finitude et l'Absolu et nous avons bien remarqu que les textes sacrs constituaient
une source principale d'inspiration. Pourrait-on caractriser sa philosophie comme
une philosophie de la religion telle que la dfinit Henry Dumry? Pour lui, celle-ci
aurait trois tches remplir :
"1) critiquer, selon une mthode philosophique approprie, l'objet religieux lui-
mme : 2) Spcifier les diffrentes sciences religieuses, leur assigner chacuneune mthode, marquer notamment en quoi la critique philosophique de lareligion diffre des autres genres de critique religieuse ; 3) voir dans quelmesure, in concreto, les diverses spcialits qui concernent la religion restentfidles leur statut logique ou y drogent."74
Il ne s'agit pas de chercher des correspondances entre elles mais
seulement souligner une divergence profonde. En effet, le premier point ne
permettrait pas de classer la philosophie de Shankara dans la catgorie de la
philosophie de la religion. La critique suppose une distance par rapport l'objetreligieux et celle-ci semble absente du projet philosophique de Shankara. Certes, il a
su prendre distance pour critiquer les rites donnant forme sa tradition religieuse
mais fondamentalement, il a pleinement adhr ses propositions. Les textes sacrs
lui fournissaient les matriaux ncessaires et suffisants en ce qui concerne la
problmatique du rapport l'Absolu. Sa philosophie s'apparenterait davantage une
philosophie religieuse qui utilise les ressources de l'intelligence pour expliciter le
contenu de ses propositions. De faon manifeste, le souci de Shankara fut d'laborerun langage thorique pour fonder en raison la question du rapport l'Absolu. N'a-t-il
pas considr les textes sacrs comme un partenaire avec lequel il a beaucoup
dialogu ? Sa philosophie et les textes sacrs entrent dans une certaine forme de
rapport dialectique qui se prsente comme un mouvement perptuel du l'un l'autre
des ples du "systme" mais son exercice philosophique et les textes sacrs ne
constituent pas un systme clos. Car il est maintenant ncessaire d'y introduire le
ple de l'exprience mystique.
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