Le droit foncier rural en Côte d’Ivoire Un impératif sur la voie du développement et de la réconciliation
Synthèse et recommandations du séminaire
14 novembre 2012, au siège de la Friedrich Ebert Stiftung à Abidjan
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En Côte d’Ivoire, les populations disposaient, avant l’arrivée du colon, de droits naturels
coutumiers sur leur propriété. Chacun savait à qui appartient la terre, et cela était
respecté. L’arrivée du colon a bouleversé l’ordre naturel et l’Etat ivoirien, à
l‘indépendance a reproduit le modèle importé et a pris possession de la terre. Ce
bouleversement violent a créé de nombreux conflits et ce n’est qu’en 1998 que le
législateur a tenté d’apporter des solutions à travers l’adoption d’un code foncier rural.
Cette loi de 1998 a tenté de formaliser et de moderniser la propriété foncière grâce à une
identification des terres et à la délivrance de titres fonciers. La loi a cependant du mal à
s’appliquer puisque de sa promulgation début 99 à octobre 2012 seuls 200 titres fonciers
ont été délivrés et c’est seulement 1,5% des terres qui sont enregistrées. Il est important
d’analyser les raisons de cet échec, surtout lorsque l’on a conscience de l’importance du
droit de propriété dans le recul de la pauvreté et dans le cadre du processus de
réconciliation.
Le problème du foncier est l’une des causes non négligeable de la longue crise qu’a
connue la Côte d’Ivoire et il alimente toujours des nombreux conflits dans le pays surtout
quand on y ajoute une tendance affirmée à une politisation violente dans les
appropriations.
C’est dans le but de trouver des réponses durables garantissant le droit de propriété aux
populations en milieu rural que la Fondation Friedrich-Ebert (FES) et Audace Institut
Afrique (AIA) ont organisé un séminaire prospectif sur le foncier rural au siège de la FES à
Abidjan le 14 novembre 2012.
Le séminaire s’est articulé autours de trois volets : une présentation de la loi de 1998 et
de l’importance du droit de propriété ; pour ensuite analyser les difficultés de mise en
œuvre de cette loi ; avant de passer à un échange riche avec les participants issus de la
société civile mais également du ministère de l’agriculture et de la Commission dialogue
vérité et réconciliation.
L’importance du droit de propriété et la législation de 1998
Cet exposé a été présenté par le professeur Nicolas Madelénat Di Florio, Enseignant
chercheur associé au CREEADP, Faculté de Droit et de Science Politique, Aix en Provence,
France, membre des personnalités qualifiées de Audace Institut Afrique.
Selon lui, le premier droit naturel dans toutes sociétés est la possession de la terre et la
possibilité de transfert de celle-ci. Cette libre transférabilité est au cœur de l’exercice de
ce droit. Le problème de la loi de 1998 sur le foncier rural est qu’elle a été pensée par des
juristes pour des juristes. En effet, cette loi s’adresse à des populations souvent
analphabètes et pauvres alors que les formalités administratives exigées pour identifier
une terre sont compliquées, coûteuses et que les services sont souvent trop éloignés
géographiquement. Il a également souligné que l’enquête de propriété repose sur un
système de droit écrit ce qui est une difficulté. Il est donc difficile d’apporter la preuve de
sa propriété ce qui peut expliquer le peu de parcelles immatriculés à ce jour. La loi n’a pas
été assez vulgarisée auprès des populations.
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Le conférencier a souligné que ce n’est pas le code foncier en lui-même qui pose
problème mais que le système de droit est posé sur un ensemble social auquel il ne
correspond pas. D’autant que la Côte d’Ivoire regroupe des populations très différentes
avec des coutumes différentes et la loi ne tient pas compte des règles coutumières
diverses du pays.
Par exemple pour le transfert des terres, certaines régions utilisent le système matriarcal
tandis que d’autres conservent un système patriarcal comme mode de succession. Il est
donc difficile, voire impossible, de vouloir imposer un droit commun à des populations
ayant des systèmes différents.
Ce qui fait dire au conférencier que la loi de 1998 censée pacifier la situation foncière l’a
aggravé en créant plus d’inégalité, du flou et de complexité et cela est en partie dû au fait
que le législateur n’a pas suffisamment associé la société civile, notamment les syndicats
agricoles) et les géomètres à l’élaboration du texte. L’application de cette loi est donc
vécue comme une norme imposée par des bureaucrates.
Pour le Professeur Madelénat di Florio, régler le problème de la propriété apparait
comme une urgence pour assurer le recul de la pauvreté dans le pays. Il a même affirmé
que le titre foncier permettrait d’améliorer la qualité de la production de cacao et
permettrait à la Côte d’Ivoire de conserver sa place de leader mondial. Plus
généralement, c’est aussi une solution à la crise alimentaire mondiale. Il a conclu en
disant qu’un droit de propriété bien défini assure inéluctablement le développement.
Au terme des échanges avec la salle, il est ressorti que les populations, en général, et les
producteurs en particulier, regrettaient de ne pas avoir été associé dans l’élaboration
d’une loi qui les concerne directement et que celle-ci leur avaient été imposées. Les
acteurs de la société civile présent n’ont pas manqué de faire remarquer que le problème
du foncier était trop souvent utilisé à des fins électorales.
Les difficultés de la mise en œuvre de la loi de 1998 relative au foncier
rural.
Pour Maître Dagrou Théodore, magistrat, expert en droit foncier rural, conférencier,
aucun texte ne peut donner satisfaction si sa mise en œuvre pose problème. Ce qui est le
cas de la loi n°98-750 du 23 décembre 1998. Il a dans son exposé mis en évidence les
obstacles rencontrés dans la mise en application de la loi de 1998. Ceux-ci sont regroupés
en deux catégories : juridiques et matériels.
Obstacles juridiques
Sur ce point il faut noter que certaines notions figurant dans le code foncier rural sont
imprécises et de nature à créer des interprétations susceptibles de créer des conflits.
D’abord la notion de « droit coutumiers conformes aux traditions et coutumes » définie
dans l’article 3 du code foncier rural comporte un flou dans la mesure où on parle de
droits coutumiers sans définir la coutume. En posant que le domaine foncier rural est
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composé de l’ensemble des terres objet de droits conformes aux traditions, la loi
pourrait, par exemple, pousser certaines personnes à déposséder d’autres de leurs biens
sous prétexte que des occupations soient faites en méconnaissance des us et coutumes.
C’est le cas par exemple de la région de Bonoua ou il est interdit aux non autochtones de
devenir propriétaire. Cette définition floue constitue un obstacle majeur à la mise en
œuvre de la reforme agraire.
Le même flou est observé dans les notions de « droits coutumiers cédés à des tiers » où
la non rétroactivité de la loi rend nulle toutes les cessions faites avant 1998 puisque qu’un
décret de 1971 indique que les droits exercés sur les terres coutumières sont personnels
et ne peuvent être transférés. Il faut aussi noter que la notion « d’existence paisible et
continue des droit coutumiers » étant mal élucidée, celle-ci pourraient générer des
difficultés mais aussi des interprétations.
En outre au niveau du certificat foncier la loi ne précise pas clairement si celui-ci est un
simple document administratif ou s’il a valeur de titre de propriété. Il faudrait donc que le
législateur lève toute équivoque autour de ces points pour permettre une application
paisible de la loi de 98.
Les difficultés d’ordre pratique
Ces difficultés d’ordre pratique se situent d’abord au niveau du respect des délais. Au vu
de l’endurance des droits coutumiers face au droit moderne, les délais imposés pour
permettre aux populations rurales d’apporter la preuve de leur propriété apparaissent
trop courts. Le non respect de ces délais pourrait constituer une astuce pour l’Etat qui
devient propriétaire au terme de la période considérant que les terres sont vacantes. Le
législateur devrait à ce niveau envisager un délai plus long au risque de se placer dans une
logique de perpétuelle prolongation. Ensuite, au niveau des droits exercés sur les terres
rurales, la loi ne précise pas comment protéger les droits des occupants tout en gardant
ceux des propriétaires coutumiers. Il parait donc important que le législateur précise les
droits des uns et des autres et prévoit une durée légale d’occupations des terres afin
d’éviter les conflits générationnels. Il faut noter par ailleurs que les structures chargés de
conduire les procédures de sécurisation des droits fonciers coutumiers n’ont pas été
toutes mises en place. Au niveau du coût d’établissement des certificats fonciers, le
conférencier a souligné que ceux-ci ne sont trop élevés. Maître Dagrou a également
souligné que la loi a prévu l’intervention des géomètres experts dans le processus or
ceux-ci ne sont pas assez nombreux.
Enfin, le conférencier a mis en avant les difficultés congénitales à la diversité culturelle. En
effet, la Côte d’Ivoire est composée de plusieurs ethnies et peuples dont le us et
coutumes ne sont pas tous les mêmes. Il apparait donc difficile de faire appliquer un droit
commun à ces populations et en ce point il rejoint l’analyse du Pr Madelénat di Florio.
En définitive il faut retenir que le code foncier rural censé consolider les droits de
propriété et harmoniser la situation juridique des terres se heurte à plusieurs difficultés
et obstacles. Le législateur devrait donc clarifier les dispositions confligènes ou prêtant à
polémique pour permettre une application de cette loi et renforcer la cohésion sociale.
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Recommandations du séminaire
I – Vulgariser la loi de 98
1- Relayer efficacement la loi de 98 sur le foncier rural auprès des populations ;
2- Former et informer plus spécifiquement les syndicats de planteurs qui sont
particulièrement impliqués ;
3- Faire une large diffusion du présent atelier;
II – Préciser urgemment les notions polémiques, subjectives et confligènes
dans la loi de 98
4- La notion de « droit coutumiers conformes aux traditions et coutumes ». (La
notion même de coutume doit être précisée car toutes les pratiques ne sont pas
coutume) ;
5- La notion de « droits coutumiers cédés à un tiers » ;
6- Les notions « d’existence paisible et continue des droits coutumiers » ;
7- La nature du certificat foncier afin de savoir si celui-ci est un titre de propriété ou
pas car dans l’affirmative, il exclurait les non-nationaux ;
8- Les règles relatives à la succession de la terre puisqu’elles diffèrent
coutumièrement d’une ethnie à une autre (régime patriarcal ou matriarcal). Ces
différences sont contraires à l’équité homme-femme contenues dans la loi de
1998 ;
III – Faciliter les formalités d’enregistrement de la terre
9- Procéder à une simplification des procédures de sécurisation des terres ;
10- Envisager un montant raisonnable des procédures d’enregistrement des terres ou
une opération subventionnée, voire gratuite, sachant que l’Etat pourra ensuite
tirer des ressources non négligeables de l’impôt foncier ;
11- Déconcentrer les différents services administratifs impliqués dans la gestion du
foncier rural pour les rapprocher des populations en vue de faciliter
l’établissement des certificats et titres fonciers (Les kits d’enregistrement doivent
être disponibles dans les sous-préfectures) ;
12- Donner des moyens suffisants à tous les organes impliqués dans la gestion du
foncier, notamment les comités villageois de la gestion foncière, afin qu’ils
puissent travailler à plein temps dans un souci d’efficacité (moyens de
déplacement, rémunérations) ;
13- Accorder un délai plus long aux populations pour les procédures de sécurisation
foncière, informer les populations de ce délai et se donner les moyens de le
respecter ;
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14- Lancer un programme national de cadastrage des terres ;
15- Revoir le mode de recrutement des géomètres-experts (Envisager des experts
assimilés en révisant la loi régissant la profession des experts-géomètres ou en
prévoyant cette éventualité dans la nouvelle loi) ;
IV – Limiter les risques de conflits
16- Engager une réflexion sur de nouvelles formes d’occupation de la terre en
encourageant notamment les contrats de location ;
17- Prévoir des mécanismes de compensation qui prendraient en compte ceux qui ont
cédé leurs terres afin que ceux- ci ne se sentent pas lésés;
IV – Inclure de nouveaux acteurs dans la réforme de la loi de 98
18- Solliciter l’expertise de pays ayant réussi leurs réformes foncières pour puiser les
éléments les plus positifs qui pourraient aider la Côte d’Ivoire ;
19- Elargir la commission foncière rurale (CFR) à la société civile (notamment les
syndicats de planteurs) et aux géomètres-experts.
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