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Compte rendu de la 5ième réunion thématique du 28 septembre 2016
La santé numérique, la médecine 4P et
les assurances
Et si votre futur médecin traitant était la hotline de votre assureur ?
Et si vous décidiez que votre meilleur antidote contre la maladie c’est vous, à
condition d’y être incité par votre complémentaire santé?
Et si votre mutuelle devenait votre e-commençant pour les objets connectés de
santé ?
Et si, enfin, votre inscription dans un club sportif était prise en charge par votre
mutuelle?
Invités
• Nicolas Le Berrigaud & André Grondin - optimind winter
D’un système de financement à la prévention des soins
• Patrick Gendre, ancien de la CNAMTS
Impact du numérique pour l’assurance maladie obligatoire
• Quentin Bériot - Covéa
Impact de la médecine 4P sur le Business Modèle assurantiel
• Hervé Franck - Axa
Difficultés à innover avec les contraintes réglementaires – Evolution des contrats
collectifs dans les entreprises
• Dr. Teboul - Visiomed
Conciergerie médicale
+ Témoignage Paul-Louis BELLETANTE- Betterise
Les présentations sont en ligne sur le site de l’association pour les membres du groupe ou sur
Slideshare Telecom-Paristech-Santé pour les autres participants.
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Introduction
Cette réunion a rencontré un vrai succès et nous avons à nouveau battu le record de
personnes inscrites.
Après un rappel sur la définition de la médecine 4P : Préventive, Personnalisée, Prédictive
et Participative, nous avons constaté que beaucoup de choses avaient changé depuis la
parution en mars 2015 du livre blanc « Innovation et transformation numérique de
l’assurance»1.
En particulier, l’ANI (Accord National Interprofessionnel) prévoit que depuis le 1er janvier
2016 chaque employeur doit pouvoir proposer une mutuelle d'entreprise à ses salariés.
Cela a bouleversé le marché en incitant les assureurs à lancer de nouveaux services pour
se différencier. Ainsi AXA a ouvert son plateau de téléconsultation qui a obtenu
l’autorisation de prescription.
Par ailleurs, la position de veille de nombreuses assurances sur le numérique s’est
transformée aujourd’hui en actions concrètes opérationnelles. Ces actions se concentrent
sur la prévention et la participation de l’assuré. Dans la prévention nous pouvons citer
par exemple la MGEN qui a lancé le site Vivoptim, ou la Caisse Nationale d’Assurance
Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS) qui utilise le big data pour organiser ses
campagnes de prévention face au le diabète ou à l’asthme. Dans la participation,
Generali propose un nouveau produit Vitality qui incite financièrement l’assuré à se
prendre charge. Harmonie Mutuelle teste et vend sur son site des objets connectés de
santé.
Télémédecine
La télémédecine se développe très rapidement en particulier au Canada. La France a été
un des premiers pays à légiférer. La Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 ainsi que le
décret du 19 octobre 2010 ont donné une définition précise de la Télémédecine et fixé
son cadre réglementaire. Mais le développement reste encore limité en France.
Axa est précurseur dans le domaine et a mis en place un plateau de téléconsultation avec
des médecins urgentistes embauchés. Il aura fallu deux ans pour qu’Axa Assistance
obtienne les autorisations nécessaires de l’ARS et de la CNIL pour ouvrir ce service qui
inclut, si nécessaire, la prescription de médicaments ou d’examens.
La personne est accueillie par une infirmière qui gère les aspects administratifs et répond
le cas échéant aux questions de son ressort. Si le médecin décide de prescrire,
l’ordonnance est envoyée au pharmacien désigné par le malade. Le malade n’a plus qu’à
aller chercher les médicaments.
Dans 25% des cas le malade est orienté vers une consultation « physique », dans 6,5%
vers les urgences et 3,5 % des appels concernent une assistance médicale. Ainsi 65%
des appels sont traités en téléconsultation.
1 Editeur FINANCE INNOVATION, ISBN : 978-2-9527215-2-3
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Classé par pathologies, 48,5 % des appels concernent un état infectieux et 34,2 % des
problèmes ORL. L’intérêt principal pour Axa de la télémédecine est la prise en charge
précoce de la maladie. Mais 50% de personnes qui ont profité du service vont voir leur
médecin traitant ensuite. Il est donc très difficile de chiffrer le gain ainsi obtenu pour
l’assureur.
Actuellement, la justification de ce service est surtout marketing car c’est une offre
différenciante sur le marché B2B. Le taux de satisfaction de 95% et le taux de
réutilisation de 90% sont donc des indicateurs clefs. Fin 2016, 3 Millions de personnes
sont bénéficiaires de ce service.
Force est de constater qu’à ce jour la CNAMTS ne prend pas en charge les
téléconsultations. Le coût est supporté à 100% par Axa. Le circuit administratif pour
obtenir les autorisations est long et complexe. Le CNOM milite fortement pour cette prise
en charge car il estime qu’un médecin de ville passe une heure par jour au téléphone
avec sa patientèle. Ces actes médicaux ne sont pas rémunérés à ce jour.
La télémédecine est une des réponses pour pallier la désertification médicale. Elle offre
aussi aux professionnels de santé la possibilité de pratiquer le télétravail.
La prévention
La prévention est en train de s’imposer comme une évolution majeure de la relation
entre l’assureur et son client. Qui mieux que des actuaires, dont le métier est l’analyse
de l'impact financier du risque et estime les flux futurs qui y sont associés, pouvait mieux
présenter cette évolution et son business model associé ?
Nicolas Le Perigot et André Gondin nous explique que dans le système actuel, l’assureur
intervient après la demande de soin. Dans le système de demain, l’assureur interviendra
en amont pour proposer des actions de préventions. Ils illustrent leurs propos avec les
exemples d’OSCAR lancés à New York en 2013. Oscar offre à ses assurés : service
télémédecine gratuit 24/7, programmes de prévention personnalisés, checks-ups gratuits
et un programme avec gratification financière pour inciter l’assuré à marcher.
Ils concluent que : les startups plus agiles que les acteurs actuels devraient prendre des
parts de marché, les interactions entre les assurés et les différents acteurs du marché
vont augmenter et les tiers de confiance dans le domaine de la santé seront de plus en
plus importants dans le processus de prise de décision et de création de valeur. Mais ils
posent les questions : comment se préparer aux développements de ces actes de
prévention ? Quelle visibilité a-t-on du ROI associé ?
Le docteur Teboul donne un autre exemple de prévention tertiaire utilisant les objets
connectés de santé : Cardiauvergne. Grâce à la télésurveillance du poids des insuffisants
cardiaques, il est possible de prévenir l’œdème pulmonaire et de réajuster la
thérapeutique. Les résultats sont spectaculaires : les décès à 1 an sont passés de 25% à
13,5%, les décompensations/an de 21% à 13,8% et le délai avant hospitalisation de 94
jours à 215. Pour un coût de mise en œuvre de 1000€/an/patient, l’économie pour les
assureurs est de 5430 €. En extrapolant cette solution au niveau national, l’ordre de
grandeur des économies serait du milliard d’euros par an.
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Dans ce cas le ROI semble clair. Mais nous sommes confrontés à une double difficulté ;
pour que la complémentaire santé prenne en charge, il faut que l’Assurance Maladie
Obligatoire accepte la prise en charge. Pour cela il faut que la HAS donne un avis
favorable. Mais pour cela il faut une étude sur un grand nombre de patients qui peut
durer 2 ans. A cette échéance la technologie utilisée sera obsolète. Cette quadrature du
cercle se retrouve aussi dans la télémédecine.
La Personnalisation et La Prédiction
Ce sont les composantes qui posent le plus de problèmes éthiques.
Quentin Bériot rappelle que l’activité de l’assureur repose sur 2 socles : juridique et
mathématique. En assurance, les maths concernent l’aléa et la mutualisation. Les études
sur les statistiques des pathologies d’une population donnée servent à établir le tarif de
l’assurance.
La personnalisation et la prédiction peuvent remettre en cause ces fondements. La
capacité à aller chercher des données personnelles fait que l’on ne rentre plus dans une
statistique de masse mais dans une gestion individuelle probabiliste.
Tout le monde se souvient qu’Angelina Jolie a fait une double mastectomie car elle était
porteuse d’un gène BRCA. Elle avait 87% de probabilité de développer un cancer du sein.
Jusqu’à présent en France, on utilise la probabilité qu’une femme soit porteuse de ce
gène (2/1000) et on estime le coût pour l’assureur. Ce cout est ensuite mutualisé avec
les autres pathologies et tout le monde paye le même tarif.
Quentin pose la question : « Quelle doit être l’attitude d’un assureur s’il sait qu’une
femme est porteuse du même gène ? » La législation française interdit de faire une
discrimination. Si la réglementation évolue, se poseront alors trois questions : dois-je
assurer cette personne ? De combien dois-je sur-tarifer cette personne ? Cette personne
aura-t-elle les moyens de s’assurer?
Le vrai problème n’est pas quel est le nouveau busines model des assurances mais quel
modèle social voulons-nous ?
La personnalisation n’a pas que des effets négatifs. Dès aujourd’hui, Harmonie Mutuelle
prend en charge pour le compte de ses assurés collectifs, l’accès à la plateforme de
Betterise.
Betterise propose des accompagnements médicaux digitaux personnalisés pour aider à
mieux vivre sa santé. Cela va de la prévention primaire à des aspects plus curatifs. Les
personnes prises en compte sont les personnes souffrant de diabète et/ou de maladies
cardio-vasculaires et les femmes enceintes. La plateforme accompagne la personne en lui
donnant des conseils médicaux fondés sur les données collectées sur la personne et sur
des règles mises au point avec le corps médical.
En plus de 6 assureurs et mutuelles ayant retenu cette solution, la plateforme intéresse
aussi les entreprises et les établissements de soin.
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La Participation
Une des composantes de la médecine 4P est la participation du patient à la gestion de sa
santé. Tous les assureurs ont compris que cette évolution sera un élément majeur de
leur rentabilité. Le numérique, qui bouleverse les mondes du service (Uberisation), offre
des solutions pour encourager cette pratique.
La CNAMTS l’a bien compris et a lancé un service d’accompagnement à distance appelé
SOPHIA, ciblé sur les personnes atteintes d’une Affection de Longue Durée (ALD). Le but
est de détecter les personnes potentiellement diabétiques ou asthmatiques et de leur
proposer d’adhérer à un service de coaching pour les aider à mettre en pratique les
recommandations d’hygiène de vie et de soins primaires.
Paul-Louis BELLETANTE de la société Betterise rappelle que le diabète est la 1er épidémie
non infectieuse dans le monde. Cette pathologie est la cause d’un mort toutes les
8 secondes. Aux USA un cinquième des dépenses en santé est consécutif au diabète et le
diabète du type 2 est typiquement une maladie liée au comportement. L’OMS dit qu’en
bougeant plus et en mangeant moins, en fumant mois et en buvant moins d’alcool, on
éviterait jusqu’a 75% des diabètes de type 2, 75% des maladies cardiovasculaires et
jusqu’à 40% des cancers.
Dans cette logique la MGEN a lancé sa plateforme Vivoptim et le groupe Generali a signé
un partenariat avec la société d’assurance sud-africaine Discovery. L’objectif est de
proposer des offres en santé et en prévoyance tenant compte du comportement des
assurés en favorisant la prévention. Vitality est lancé en France au 1er janvier 2017 mais
l’offre est différente des autres pays. S’il y a bien un bénéfice financier pour l’assuré,
grâce à des remises ou des bons d’achat, le bon comportement ne donnera pas lieu à
une baisse de cotisation car c’est illégal en France.
Pour que la personne prenne en charge sa santé il lui faut des outils. Visiomed qui
fabrique des dispositifs médicaux a développé un assistant personnel de santé : Bewell
connect. Cette solution repose sur une gamme d’objets connectés de santé qui dialogue
avec une plateforme via un smartphone, une tablette ou une gateway. La plateforme
permet :
- de gérer les données et de les partager avec des professionnels de santé,
- de se connecter à un médecin virtuel qui évalue le degré d’urgence et propose des
diagnostics pondérés (Mychek-up),
- et d’accéder à une plateforme de téléconseil médical 24H/24 et 7J/7 (My-doc).
Cette solution globale permet d’offrir une solution de conciergerie médicale qui virtualise
tout ou partie du parcours de santé. Par exemple, la personne pourra être aiguillée
directement à l’hôpital sans avoir à se déplacer plusieurs fois et rencontrer plusieurs
intervenants du corps médical. Cette optimisation du parcours de santé réduit les coûts
de la prise en charge. La conciergerie médicale adresse tous les cas de figure : la
personne à domicile, le salarié dans l’entreprise et le retraité dans une EHPAD. Ce
concept de conciergerie médicale intéresse beaucoup les assureurs comme Axa et
Harmonie Mutuelle, en premier pour les contrats collectifs.
Pourtant les grandes entreprises tendent de plus en plus à prendre en charge la santé de
leurs employés. Aux USA et au Moyen Orient, on voit de nouveaux modèles émerger
avec des entreprises qui, utilisant ce type de conciergerie médicale, plutôt que de payer
une prime collective d’assurance, payent directement les soins et n’ont plus d’assureur.
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Et le docteur Teboul de conclure sur la problématique du modèle économique des
assureurs par cette question : « Et si à terme il n’y avait plus besoin d’assureur ? ».
Conclusion
Il y a un consensus sur le fait que la santé numérique et la médecine 4P sont en train de
bouleverser les business models des mutuelles et des assurances santé. Bien que le
village gaulois soit protégé par une législation très stricte, le système français ne restera
pas figé ad vitam aeternam. En particulier, il faut que l’Assurance Maladie Obligatoire, les
mutuelles et les assurances se préparent à l’arrivée des services de prévention. Mais où
est le retour sur investissement des innovations ?
Toute économie, dans le système de santé, profite dans un premier temps à l’Assurance
Maladie Obligatoire. Cependant, les personnes souffrant d’une affection de longue durée,
qui sont prises en charge à 100% par la sécurité sociale pour leur ALD, coutent plus cher
à leur complémentaire santé car elles ont beaucoup de dépenses annexes qui ne sont
pas prises en charge.
Retenons que les mutuelles et les assureurs reçoivent des ordres de paiement sans
aucune information sur la raison médicale du paiement. Elles ne peuvent donc pas
introduire seules des innovations favorisant la prévention et la participation.
Les mutuelles et les assureurs veulent travailler avec l’Assurance Maladie Obligatoire qui
doit leurs donner les moyens de garder la solidarité qui date de 1943. Ensemble, avec le
corps médical, elles doivent mettre en place les innovations qui permettront d’améliorer
la santé des personnes atteintes d’une ALD et de lutter contre les déserts médicaux. Pour
préserver notre modèle social, les mutuelles et les assureurs doivent avoir les moyens de
traiter tous les assurés sur le même plan d’égalité.
C’est avec la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés, tête de pont
des AMO, les professionnels de santé et l’état que sera défini le business model de
l’assurance santé de demain. Sans une prise de conscience rapide de la révolution induite
par la santé numérique, c’est tout le modèle français qui risque de disparaitre. Nos
enfants et petits-enfants seront les premiers à en subir les conséquences.
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