CO-018
JACQUES BERTIN ET LES GEOGRAPHES. POINT DE VUE D'UN GOGRAPHE-
CARTOGRAPHE
BORD J.P.
Universit Montpellier 3, MONTPELLIER, FRANCE
Jacques Bertin, avec la publication de son trait sur la Smiologie graphique (SG), a marqu la
cartographie : le mot carte est, dailleurs, en sous-titre de la SG : Les Diagrammes Les rseaux Les
cartes. A-t-il aussi marqu la gographie et les gographes, grands ralisateurs et utilisateurs de cartes ?
Quand et comment les gographes ont-ils t amens prendre connaissance et utiliser les travaux de
Jacques Bertin ?
Cest par un parcours et une exprience vcus, comme gographe avec une spcialisation en cartographie,
que je vais ici tenter de retracer comment cette recherche sur la smiologie graphique a t prise en
compte par les gographes. Ce point de vue ne sera cependant que partiel et partial, dautant plus quil est
rattach une certaine proximit de lauteur avec Jacques Bertin1.
Constats de 1967 aujourdhui travers quelques dates cls
Le premier constat est que louvrage sur la Smiologie Graphique a t pris en compte tardivement par les
gographes et que, deuxime constat, son impact a t partiel. Le troisime constat est que les rgles mises
en avant par la SG semblent aujourdhui peu suivies, et ce si je men rfre, notamment, une
communication que nous avons d prparer et prsenter avec les tudiants de Master 1 SIIG3T2
Montpellier, lors de la journe professionnelle3 SIG LR
4 2010, o trouver de bonnes cartes a t
difficile. Or, pour construire une bonne carte , il est ncessaire, entre autres, que les rgles de la SG
soient correctement appliques.
Je vais, travers quelques dates, tmoigner des constats qui prcdent.
Une prise en compte tardive de la SG par les gographes
En 1967, parat le trait de Jacques Bertin, Smiologie Graphique, Les diagrammes Les rseaux Les
cartes5. Cet ouvrage fonde vritablement la SG et Jacques Bertin apparat alors comme le pre de la SG
6.
Linnovation reprsente par la Smiologie graphique sancre dans litinraire dune personnalit doue
dun vritable gnie du visuel crivaient G. Palsky et M.-Cl. Robic (1997) dans la premire phrase
rsumant leur article7. Mais, de 1970 1976 tudiant en gographie lUniversit de Montpellier, je nai
jamais entendu parler de la SG. Pourtant, comme tout gographe, mme tudiant, nous ralisions de
nombreuses cartes, et nos professeurs nous en donnaient souvent voir galement.
En 1977, je reois enfin un premier enseignement sur la SG. Cela faisait quand mme 10 ans que la SG
tait parue. Inscrit en DESS8 Cartographie et amnagement du territoire, en 1976/1977, sous la direction
du Professeur Raymond Dugrand, au dpartement de gographie lUniversit Montpellier III, cest un
jeune doctorant qui nous initia la SG, brivement dailleurs : une sance de trois heures tout au plus. Je
relate ce fait car, dune part, le DESS tait centr sur la cartographie, comme en atteste son titre, et, dautre
part, cette formation universitaire tait en liaison trs troite avec latelier de cartographie du dpartement
de gographie qui tait en charge alors de lAtlas du Languedoc-Roussillon cest donc dire limplication
de ces structures (de formation et de production) dans le domaine de la cartographie.
Mais, cette dcouverte est peut-tre galement mettre en rapport avec la parution, en 1976, de louvrage
dun gographe portant sur la cartographie et faisant rfrence J. Bertin et la SG. Fernand Joly, dans
son livre, La cartographie9, dveloppe le paragraphe 3 de son chapitre premier sur Thorie de limage. Les
variables visuelles et leurs proprits (pp. 74-89) et souligne que la smiologie graphique cherche
dfinir et formuler les rgles demploi rationnelles du langage graphique (p.38). Cela tait alors tout
fait novateur en gographie o chacun bricolait plus ou moins sa carte en fonction dindications plus ou
moins prcises inscrites dans les manuels ou formules par les professeurs. Mais il faut aussi souligner le
compte rendu de louvrage de J. Bertin dans la revue des Annales de Gographie, sous la plume de S.
Rimbert (1975)10
, o lauteure (malgr certaines rserves) y affirmait ds les premires lignes :
Jacques Bertin a eu le trs grand mrite dtre lun des premiers essayer de prsenter une thorie de
lexpression cartographique. Le passage de lempirisme la thorie pouvait seul ouvrir une amlioration
fondamentale de cet outil privilgi du gographe quest la carte . Et pourtant, malgr ces incitations, la prise en compte de la SG naura gure lieu en gographie.
Une prise en compte lente et partielle de la SG
Durant lanne 1981/1982, charg de cours au dpartement de gographie et au CESA (Centre dtudes
Suprieures dAmnagement) lUniversit de Tours, je publie un premier polycopi Initiation Go-
Graphique, Diagrammes, Rseaux, Courbes et CARTES, rsum de cours, de travaux pratiques et
dirigs, qui sadressait plus particulirement des tudiants de 1e et 2e annes, guid par les travaux de J.
Bertin et de son quipe . Ce polycopi sera transform par la suite en un ouvrage dit en 1984 et
rdit en 199511
. Lobjectif de cette publication tait de fournir aux gographes et amnageurs un
apprentissage de la SG par le biais de sances pratiques (20 sances dans la premire version puis 24 dans
la seconde) avec pour chacune delles, en fin de sance, un exercice avec correction (possible). Dans mon
optique, cet ouvrage venait complter la gamme des ouvrages sur la SG, savoir aprs le trait fondateur
(la SG parue en 1967), La graphique et le traitement graphique de linformation (197712
) et louvrage de
vulgarisation de Serge Bonin13
, un manuel pratique. Certes, dautres ouvrages sont parus, avant et aprs les
annes 80, et ont galement intgr les apports de J. Bertin, notamment ceux de M. Bguin et D. Pumain
(1994), La reprsentation des donnes gographiques, A. Le Fur (2000), Pratiques de la cartographie, ou
plus tard C. Zanin et M.-L. Trmlo (2003), Savoir faire une carte. Mais ces ouvrages ont prsent le
langage graphique (ou cartographique) en insistant principalement sur les variables visuelles.
Or, la SG ne sarrte pas seulement aux variables visuelles, comme je lai galement montr dans deux
publications :
- Les marchs de dtail dans la Rgion Centre14
(1983) avec un traitement de donnes (353 marchs x 31
caractres concernant ces marchs) par fichier-matrice, un des types de traitement matriciel avec la matrice
ordonnable, la matrice pondre, le fichier-image et lventail des courbes (Bertin, 1977) ;
- et Analyse trichromatique daprs les cartes dutilisation du sol dans lEst algrien15
(1986) o je montre
que la superposition de cartes de lutilisation du sol, dans les trois couleurs primaires (jaune, rouge-
magenta et bleu-cyan), permet des comparaisons puis la synthse en noir et blanc dun zonage agricole.
Comme le souligne J. Bertin, cit dans cet article : On cherche en couleur, on publie en noir et blanc .
En 1997, dans le colloque 30 ans de smiologie graphique , S. Bonin faisait un bilan bien mitig16
du
dveloppement de la graphique. Dans le dernier paragraphe de larticle 1967-1997. Peut-on faire un bilan
de trente ans ?, si nombre de points taient positifs : la graphique est connue en France et dans le
monde , la Smiologie graphique et dautres ouvrages ont t traduits en plusieurs langues, et se
sont largement vendus , dautres points sont plus rservs : Les traitements matriciels sont trs peu
pratiqus seuls les problmes de cartographie, travers les variables visuelles, partie la plus facile
comprendre de la smiologie graphique, ont retenu lattention , on continue faire des camemberts ,
le dveloppement de la graphique sest heurt, et se heurte encore maintenant, de nombreux
problmes .
Des rgles peu ou pas suivies aujourdhui
En 2008, quelque quarante ans plus tard la parution de la SG, F. de Blomac libellait un article17
. Peut-on
encore parler de smiologie graphique ? o lauteure sinterrogeait : Mais ne sommes-nous pas en train
datteindre le degr zro de lcriture cartographique ? . Dautres auteurs notaient galement que les
rgles de la SG taient peu ou pas utilises, voire oublies (Fraisse, 200618
, Bord, 200819
).
Dans ces articles, ce qui est relev cest le manque de culture smiologique du monde de la gomatique
aussi bien du ct des diteurs que du ct des utilisateurs (Fraisse, 2006) et Premier constat des
spcialistes, les utilisateurs de SIG mritent dans leur ensemble un zro point en matire de rgles de base
de la cartographie (de Blomac, 2008).
En 2009, linterview de L. de Golbry20
, gographe-cartographe, livrant son exprience de la smiologie
graphique, tait tout aussi peu enthousiaste : au final, la graphique se perd , on constate encore
trop souvent que les rgles de la smiologie graphique ne sont pas respectes .
Pourquoi la SG a-t-elle fait lobjet dun processus dapplication si lent et dun attrait si mitig de la
part des gographes ?
Cela peut paratre paradoxal lorsque lon sait combien les gographes utilisent les cartes, cet outil
privilgi du gographe comme lcrivait S. Rimbert (1975). Pour eux La carte est, en effet, notre
meilleur document . Cette citation dA. Cholley21
(1942) rsume bien cet tat des gographes, un tat
et une faon de dire et de faire qui nont cess dtre noncs par la suite : Les cartes, aux diffrentes
c
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