JACQUELINE BAIRD
Exquise vengeance
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise sous le titre :
PREGNANCY OF REVENCE
Résumé
Jack d’Amato est fou de rage. Le portrait de sa demi-
sœur Anna, un nu peint par Robert Summerville, va être
exhibé aux yeux de tous dans une prestigieuse galerie
londonienne, en même temps que les autres tableaux
représentant les différentes maîtresses du peintre. Et la
personne qui a eu l’idée de cette exposition n’est autre
que la fille unique de l’artiste, Charlotte Summerville.
Dès lors, Jack n’a plus qu’une idée en tête : se venger à
travers Charlotte de l’homme qui a tant fait souffrir sa
sœur. Comment ? En la séduisant jusqu’à ce qu’elle soit
entièrement à sa merci. Avant de lui briser le cœur.
Mais c’est sans compter sur un événement imprévu qui
va bouleverser ses plans
1.
— Si vous voulez bien m’excuser, Charlotte, dit Ted
Smyth en souriant. Le futur acheteur italien de L’attente
vient d’arriver. Je dois m’entretenir avec lui avant de
signer l’acte de vente.
— Bien sûr.
Charlotte Summerville, la fille du peintre dont les
œuvres étaient exposées dans la prestigieuse galerie
londonienne de Ted, poussa un soupir de soulagement en
voyant celui-ci s’éloigner.
Décidément, elle ne se sentait pas très à l’aise parmi la
fine fleur du monde de l’art. Quand pourrait-elle
s’éclipser sans être impolie ? Elle décida tout à coup
qu’elle en avait assez, et fendit la foule vers la sortie.
A la fois frustré et soulagé, Jake d’Amato sortit du
bureau en compagnie de Ted Smyth.
Il était arrivé quelques heures plus tôt d’Italie, pour se
rendre à un rendez-vous d’affaires. Mais quand il était
passé à son hôtel, il était tombé sur un présentoir de
brochures sur l’actualité culturelle londonienne, et le nom
de Robert Summerville lui avait sauté aux yeux. Un des
dépliants annonçait pour le jour même le vernissage
d’une exposition consacrée aux dernières œuvres de
l’artiste. Immédiatement, l’image d’Anna, sa demi-sœur,
avait jailli devant ses yeux. Pris d’une colère noire, il avait
décidé de tout faire pour empêcher cette exposition.
Mais un coup de téléphone à son avocat l’avait informé
que les droits de reproduction étaient détenus par les
héritiers de l’artiste et que, légalement, Jake ne pouvait-il
en faire. Furieux, celui-ci avait réalisé qu’il était trop tard
pour empêcher que le portrait de sa sœur soit exhibé aux
yeux de tous... La seule solution qui lui restait avait été
d’appeler le propriétaire de la galerie pour réserver le
tableau.
Quand il était arrivé sur place, Jake avait été surpris
d’apprendre que c’était la fille de l’artiste qui avait
inauguré l’exposition. C’était donc elle qui avait eu cette
idée odieuse...
Jake se tourna vers Ted Smyth.
— Alors, où est la fille de Robert Summerville ?
demanda-t-il. J’aimerais beaucoup la rencontrer et lai
présenter mes condoléances pour la perte de son père.
Et par la même occasion, pensa Jake avec cynisme, lui
demander ce qu’elle avait l’intention de faire de la somme
exorbitante dont elle allait hériter, s’il en croyait le prix
qu’il venait de payer pour L'attente... La seule motivation
de cette femme devait être la cupidité. Sinon, pourquoi
offrirait-elle en pâture au public les portraits des
dernières maîtresses de son père ?
Jake détestait Robert Summerville sans l’avoir jamais
rencontré. Cependant, cet homme avait eu la décence, de
son vivant, de garder secrets ces tableaux. Ce n’était pas
le cas de sa fille, qui s’était permis d’organiser cette
exposition sans l’autorisation des modèles. Il aurait pu
pardonner cela à une adolescente influencée par des
exécuteurs testamentaires; peu scrupuleux. Mais qu’une
jeune femme adulte et responsable ait aussi peu de
respect pour la vie privée des personnes impliquées, il
trouvait cela tout simplement écœurant.
Jake plissa les yeux. S’il n’avait rien pu faire pour
empêcher que le portrait d’Anna soit exposé, en revanche,
il comptait bien humilier cette femme publiquement
Charlotte Summerville méritait que tout le monde sache
quelle garce cupide elle était.
— C’est la jeune femme blonde en noir, là-bas, lui
indiqua Ted. Justement, elle est devant le portrait que
vous venez d’acheter. Venez, je vais vous présenter. Par la
même occasion, je pourrai faire enlever le tableau pour le
faire expédier chez vous, comme convenu.
En chemin vers la sortie, Charlotte s’arrêta un instant
devant une des toiles. De son vivant, son père n’avait
connu qu’un succès modeste, essentiellement pour ses
paysages, et ce n’était qu’après sa mort que sa collection
privée de nus avait été révélée au grand jour. Soudain,
Robert Summerville était devenu célèbre, en grande
partie à cause de la rumeur selon laquelle il avait été
l’amant de toutes les femmes qu’il avait peintes.
C’était probablement vrai, car malgré toute l’affection
qu’elle portait à son père, elle ne pouvait nier qu’il était
l’homme le plus égocentrique qu’elle ait jamais connu, et
qu’il ne s’était jamais refusé aucun plaisir. Grand, blond,
possédant assez de charme pour troubler la femme la
plus vertueuse, il avait mené une vie de bohème jusqu’à
la fin. Sans jamais aimer vraiment aucune femme.
Non, elle était injuste. Il l’avait aimée, elle. Après la mort
de sa mère, son père avait insisté pour qu’elle passe
plusieurs semaines de vacances chaque année chez lui en
France. Et puis, ne lui avait-il pas laissé tout ce qu’il
possédait ?
Charlotte avait découvert une trentaine de portraits,
dont plusieurs nus, en rangeant l’atelier de son père avec
Ted. Elle avait été un peu choquée, mais pas vraiment
étonnée...
La première fois qu’elle s’était rendue chez son père
après la mort de sa mère, elle avait fait la connaissance de
Jess, sa compagne d’alors, une femme qu’elle avait
beaucoup appréciée.
Mais un jour où Charlotte était rentrée sans prévenir
dans l’atelier, elle avait surpris son père et Jess dans une
position scabreuse et avait vu le portrait sur lequel il
travaillait. Son père avait été à la fois gêné et furieux. Et à
partir de ce jour, il avait toujours éloigné ses amies quand
sa fille venait chez lui.
Venant d’un homme aux mœurs plutôt légères, un
comportement aussi protecteur était pour le moins
ironique...
Ted avait jeté un œil aux tableaux et avait suggéré
d’organiser une exposition, qui serait certainement très
lucrative. Charlotte avait d’abord refusé. Elle n’avait pas
besoin d’argent car elle gagnait très bien sa vie depuis
qu’elle avait repris la direction de l’hôtel familial dans le
Lake District, à la mort de son grand-père maternel. Puis
elle s’était ravisée en réalisant que l’argent de la vente
pourrait aller à des associations humanitaires.
Elle en avait parlé à Jess, qui l’avait encouragée à
exposer tous les tableaux, approuvant l’idée de reverser
les bénéfices à des œuvres caritatives. C’est ce qui avait
définitivement décidé Charlotte à accepter la proposition
de Ted. Au moins, la mort de son père aurait-elle une
conséquence positive...
Elle continuait d’étudier la toile devant laquelle elle
s’était arrêtée. Le modèle avait des cheveux noirs très
longs qui s’enroulaient sur une de ses épaules et
tombaient presque jusqu’à ses cuisses. Mais c’était le
visage de cette femme: qui la troublait. L’artiste avait si
bien capturé l’amour désespéré qui brillait dans ses yeux
noirs que l’on pouvait presque ressentir sa douleur.
Quelle naïveté ! songea Charlotte avec un sourire
cynique. Comment cette femme n’avait-elle pas vu quel
coureur de jupons était Robert Summerville ? Sur les
trente tableaux de la galerie, dix étaient des nus de
femmes... Elle s’éloigna avec un mouvement désabusé de
la tête.
Traversant la foule élégante aux côtés de Ted, Jake
d’Amato ne pouvait détacher son regard de la jeune
femme. Elle devait mesurer un peu plus d’un mètre
soixante-dix, estima-t-il. Elle avait de longues jambes et
une silhouette parfaite moulée dans une robe en lainage
noir qui soulignait la fermeté de sa poitrine et la courbe
douce de ses hanches. Ses cheveux blond cendré étaient
relevés en un chignon sophistiqué.
Jake se rendit compte qu’il retenait sa respiration. Elle
était très peu maquillée et, pourtant, elle resplendissait.
Elle avait hérité de la beauté de son père, mais
apparemment en toute innocence.
La colère s’empara de nouveau de lui. La façon dont la
jeune femme avait souri et secoué la tête avant de
s’éloigner du portrait, avec un sensuel balancement de
hanches, lui semblait parfaitement illustrer le mépris
qu’elle avait dû ressentir pour Anna, la dernière
maîtresse de son père. Dire que cette garce avait toujours
refusé de la rencontrer de son vivant ! Quant à son
innocence... Il doutait qu’une femme dotée d’un corps
comme le sien se souvienne encore du sens de ce mot !
— Charlotte, ma chère ! appela Ted. Il y a ici quelqu’un
qui souhaiterait faire votre connaissance.
Charlotte se raidit. Si elle ne s’était pas laissée aller à
évoquer le passé, elle aurait pu s’échapper à temps... A
regret, elle tourna la tête, résignée à l’idée de devoir
échanger quelques banales politesses avec un vieil
homme riche et libidineux qui s’intéressait plus à la
nudité des modèles qu’à la valeur artistique des tableaux.
Elle ne put retenir un sourire sardonique à cette pensée.
— Laissez-moi vous présenter Jake d’Amato, un fervent
admirateur du travail de votre père. Il vient d’acheter ce
tableau.
— Oui, bien sûr…dit-elle en jetant un regard rapide à
Ted.
Cet acheteur devait être fou. Les paysages de son père
étaient bien meilleurs que ses portraits, sauf peut-être le
dernier, qui
se distinguait des autres par son expressivité. Mais elle
laissa de côté ces pensées et tendit la main à l’homme qui
se tenait près de Ted.
En croisant son regard, elle se trouva comme hypnotisée
par le charisme qui émanait de lui. Il ne ressemblait en
rien au vieil acheteur qu’elle avait imaginé !
Il était au contraire très séduisant, se dit-elle en
détaillant sa peau mate, ses pommettes hautes, son nez
droit, sa bouche ferme et sa mâchoire carrée. Il était
grand, large d’épaules, et tout en lui exprimait une
assurance et une puissance virile qui éclipsaient tous les
autres membres de la gent masculine qui se trouvaient
dans la galerie. C’était l’homme le plus attirant qu’elle ait
jamais vu... et il lui souriait.
— Bonsoir, Charlotte. Je suis enchanté de faire votre
connaissance. Je me permets de vous présenter mes
condoléances pour cette triste disparition.
Elle sentit sa main enveloppée dans une étreinte chaude
et ferme qui se prolongea. L’intensité de son regard la
clouait sur place.
— Merci, monsieur d’Amato, finit-elle par répondre.
— Je vous en prie, appelez-moi Jake. Je ne veux pas
d’une telle formalité entre nous, dit-il en serrant sa main
un peu plus fort. J’ai moi aussi perdu un être cher
récemment et je sais ce que vous ressentez.
En tous les cas, Charlotte espérait qu’il ne le savait pas
en ce moment précis... Car le contact de sa main
produisait sur elle une sensation inavouable. Cependant,
elle fut touchée par sa compassion.
— Ce doit être une grande consolation pour vous que
votre père vous ait laissé des œuvres aussi remarquables.
Elle ne pouvait en effet prétendre que cette exposition
n’avait pas eu un certain succès, songea Charlotte, sans
pouvoir retenir un sourire ironique.
— Oui, je vous remercie, répondit-elle en parvenant
enfin à détourner le regard.
Il fallait qu’elle se ressaisisse, se dit-elle en essayant de
retirer sa main. Mais elle fut parcourue d’un frisson en
sentant l’étreinte se resserrer. Elle réagissait d’une façon si
intense au contact de ce Jake d’Amato qu’elle lui aurait
bien tenu la main toute sa vie...
Jake sentait sa colère croître : pourquoi avait-elle l’air si
détachée, si sarcastique ?
— C’est un honneur de vous rencontrer, dit-il
doucement en se penchant pour lui baiser la main avant
de la relâcher enfin. Et maintenant, je vous en prie, vous
devez me donner votre opinion sincère sur le tableau que
j’ai acheté. Charmant, vous ne trouvez pas ?
Il plaça une main sur sa taille pour l’obliger à regarder
en face le visage d’Anna, le visage de celle qu’elle avait
insultée de son vivant et dont elle n’hésitait pas à
exploiter l’image après sa mort.
La voix profonde et mélodieuse de Jake intensifia encore
le trouble de Charlotte. Avec sa main ainsi posée sur sa
taille, c’était comme si la chaleur de son corps tout entier
l’enveloppait. Pour la première fois de sa vie, elle comprit
ce que fondre pour quelqu’un voulait dire, et elle sut que
cet homme pouvait être l’homme de sa vie.
Elle fronça les sourcils. Elle n’avait pas l’habitude de se
laisser aller ainsi au fantasme, et cela l’effrayait. Et puis,
elle devait faire attention : n’avait-il pas acheté un tableau
de nu ?
— Charmant, oui. Si on a un penchant pour les portraits
de femmes dénudées.
— Trouvez-moi un seul homme qui n’ait pas ce
penchant, Charlotte, et je vous prouverai que c’est un
menteur. Mais je dois admettre, ajouta-t-il en promenant
son regard sur elle, que je préfère les modèles vivants.
Elle n’arrivait pas à y croire : il était en train de flirter
avec elle ! Elle ne savait que répondre et se contenta donc
de sourire bêtement comme une adolescente. Au comble
de l’embarras, elle sentit ses tétons se durcir sous la
dentelle de son soutien-gorge.
Jake se figea. L’attirance sexuelle qui se lisait dans les
yeux: bleus étincelants de la jeune femme, le dessin de ses
seins sous sa robe avaient un effet inattendu sur lui. Cela
faisait longtemps qu’il n’avait pas ressenti un désir aussi
impérieux, aussi violent.
Et il n’aimait pas ça. Pas avec elle. Il était venu dans
l’intention de l’humilier, de montrer à tout le mande
quelle égoïste et quelle personne cupide elle était, mais ce
projet lui semblait bien loin à présent. Au lieu de cela, il
se demandait plutôt quel goût pouvaient avoir ces lèvres
douces et sensuelles, il imaginait ses seins fermes dans ses
mains, dans sa bouche...
C’est alors qu’une idée germa dans son esprit. Il était à
Londres pour affaires et avait des rendez-vous pour les
quinze jours à venir. Pourquoi ne pas combiner travail et
plaisir ? Il serait intéressant de séduire Charlotte... jusqu’à
ce qu’elle se mette à genoux devant lui. Oui, il lui ferait
subir ce que SON père avait fait à Anna.
— Oh, je vois que je vous embarrasse, Charlotte. Vous
me prenez peut-être pour un débauché ?
Il vit la jeune femme s’empourprer davantage encore.
Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas vu une fernme
rougir ainsi, et celle-ci excellait dans cet art. On aurait
presque pu croire à son innocence.
— Mais rassurez-vous. Je suis avant tout un homme
d’affaires, et quand je détecte une opportunité, je la saisis.
Ce tableau est un investissement pour moi. Je ne voudrais
pas paraître sans cœur, mais vous êtes bien placée pour
savoir qu’un artiste décédé est beaucoup plus rentable sur
le marché qu’un artiste vivant.
Charlotte plissa les yeux. La facilité avec laquelle il avait
lu dans ses pensées était terrifiante. Et elle savait que sa
dernière affirmation, bien que cynique, était fondée.
— Oui, murmura-t-elle.
— C’est d’ailleurs le seul que je veux acheter. Je trouve
que ce dernier nu est le meilleur que votre père ait peint.
Suivant son regard, elle observa de nouveau le tableau,
dans lequel son père avait si bien capturé les sentiments
du modèle.
— Oui, elle est très belle, admit-elle.
Mais elle seule savait que ce n’était pas le dernier,
puisqu’elle avait encore en sa possession le portrait
inachevé d’une inconnue aux cheveux roux. Sûrement
l’ultime conquête de son père...
— Mais ce n’est pas le dernier, il me semble, ajouta-t-elle
en espérant capter son attention.
Ce fut en vain, car il n’écoutait plus. Il avait le regard
fixe, et elle comprit qu’il était comme envoûté par le
portrait.
Quoi de plus normal, après tout ? Il venait de payer une
somme colossale pour l’acheter. Et puis, pourquoi essayer
d’impressionner un homme qu’elle venait à peine de
rencontrer ? Il avait beau être très riche et séduisant, il
prenait tout de même du plaisir à regarder des peintures
de femmes nues ! Non, cet homme n’était décidément pas
fait pour elle.
— Eh bien, monsieur d’Amato, dit-elle en reculant d’un
pas. J’espère que votre achat vous apportera beaucoup de
satisfaction. J’ai été ravie de vous rencontrer, mais je dois
partir à présent.
Et, tournant les talons, elle plongea dans la foule pour
s’éloigner de lui sans qu’il ait le temps de réagir. Une fois
en sécurité dans les toilettes des femmes, elle étudia son
reflet dans le miroir. Ses joues étaient rouges et ses yeux
bleus bien trop brillants... Elle n’arrivait pas à croire que
cet homme, apparemment fait sur le même modèle que
Robert Summerville, puisse avoir un tel effet sur elle. Elle
adorait son père, mais seule une parfaite idiote serait
tombée dans les filets d’un séducteur invétéré de cet
acabit.
Charlotte avait vu le jour parce que son père, à l’époque
un étudiant en art de dix-neuf ans, avait mis une jeune
femme enceinte, et que les parents de celle-ci avaient
insisté pour qu’ils se marient. C’était sans doute la seule
fois qu’il s’était laissé contraindre à faire quelque chose !
Quand il avait eu son diplôme, deux ans plus tard, il les
avait laissées toutes les deux, sa mère et elle, dans le Lake
District, chez les parents de son épouse, pour partir à la
conquête de « son âme d’artiste », comme il disait. Elles
ne l’avaient pas vu pendant trois ans, et seulement alors
pour signer les papiers d’un divorce devenu inévitable.
Tout à coup, elle se demanda si Jake d’Àmato était un
homme marié. Elle avait été si surprise par l’effet qu’il
produisait sur elle qu’elle avait dû passer pour une vraie
idiote, rougissante et balbutiante comme une adolescente.
Il était temps qu’elle retourne dans son petit monde,
songea-t-elle. Elle allait trouver un taxi pour rentrer à
l’appartement que son ami Dave lui prêtait, et faire un
dîner léger. Ensuite, elle s’octroierait une bonne nuit de
sommeil. Et surtout elle cesserait de se pâmer
d’admiration devant un inconnu. Redressant les épaules,
elle sortit des toilettes et quitta la galerie en hâte.
Elle se posta au bord du trottoir et parcourut la me du
regard : pas un seul taxi en vue.
— Bon sang, quelle poisse ! murmura-t-elle entre ses
dents.
— Est-ce une façon de parler pour une darne ?
Elle se retourna et se retrouva à quelques centimètres
seulement d’un large torse viril.
— Monsieur d’Amato, dit-elle froidement, sans pour
autant parvenir à empêcher ses joues de rougir.
— Jake, corrigea-t-il. Quel est votre problème, Charlotte ?
Peut-être puis-je vous aider ?
Il avait prononcé son prénom avec un accent italien qui
la fit frissonner.
— J’essaie juste de trouver un taxi pour rentrer chez
moi.
— Dans ce cas, il n’y a plus de problème, dit-il avec un
sourire dévastateur. Ma voiture est juste ici, je peux vous
emmener où vous voulez.
En parlant, il montra une élégante berline bleu marine
garée le long d’une double ligne jaune, à une dizaine de
mètres.
— Non, je ne peux pas...
— Je vous emmènerais bien dîner, d’ailleurs...
Cinq minutes plus tard, Charlotte était assise dans la
luxueuse voiture de Jake d’Amato.
— Vous obtenez toujours ce que vous voulez ?
demanda-t-elle, sans qu’il ait encore démarré.
— Non, pas toujours, répondit-il en se tournant vers
elle, sa cuisse effleurant légèrement celle de Charlotte.
Il tendit la main pour saisir son menton entre ses doigts
et l’obliger à regarder dans sa direction.
— Mais s’il s’agit de quelque chose ou de quelqu’un que
je désire vraiment, oui, j’y arrive toujours.
Charlotte chercha une repartie spirituelle, mais les mots
lui manquèrent quand il laissa glisser ses mains sur ses
épaules. Il ne fît aucun geste pour l’attirer à lui : il n’en
eut pas besoin. Sa bouche s’empara de la sienne et il glissa
sa langue entre ses lèvres. La passion grandissante de son
baiser alluma un feu au creux du ventre de Charlotte,
sensation entièrement nouvelle pour elle. Et soudain, elle
le voulut avec une ardeur qui la choquait autant qu’elle la
ravissait. Instinctivement, ses mains se levèrent vers ses
larges épaules.
— Dio mio ! s’exclama Jake d’une voix tremblante.
Il lui saisit les mains et les écarta de lui. Il la contempla
sans rien dire, l’air à la fois surpris et mécontent. Pendant
une seconde, elle crut même lire de la colère dans ses
yeux sombres. Puis il déposa un baiser rapide sur le bout
de son nez.
— Je vous ai promis un dîner, le reste attendra, ajouta-t-
il avec un sourire séducteur avant de démarrer la voiture.
Sur tout le trajet, Charlotte ne dit pas un mot. Elle avait
du mal à croire à ce qui venait de se passer. Cela ne lui
ressemblait pas du tout. Où étaient donc passés son bon
sens et son sang-froid légendaires ? Tout s’était évanoui
avec un seul baiser. Son corps tout entier palpitait encore
d’une excitation intense. Elle ne s’était jamais sentie si
vivante, si vibrante. Le plus incroyable, c’était que Jake
semblait aussi troublé qu’elle. Elle l’avait senti dans le
battement de son cœur et dans le tremblement de sa voix
quand il avait mis fin à leur baiser.
Le dîner qu’elle avait essayé de refuser lui semblait tout
à coup plein d’intérêt...
2.
Il l’emmena dans un restaurant français gastronomique
qui semblait complet. Pourtant, quelques secondes après
leur arrivée, le maître d’hôtel était auprès de Jake, lui
déclarant que c’était une joie de l’accueillir, lui et sa
charmante compagne. Il s’inclina poliment devant eux en
jetant un regard appréciateur à Charlotte et les conduisit
jusqu’à une petite table dressée dans un coin tranquille.
Elle regarda autour d’elle et écarquilla les yeux en
reconnaissant quelques hommes politiques et plusieurs
stars de la télévision.
— Vous devez avoir des amis haut placés ! Je n’aurais
jamais imaginé mettre un jour les pieds dans ce
restaurant. J’ai lu dans un magazine qu’il fallait réserver
des mois à l’avance pour pouvoir manger ici !
— Pas moi, manifestement.
Déconcertée par l’arrogance de sa réponse, Charlotte
perdit son sourire spontané en comprenant l’erreur
qu’elle avait commise. Il était un homme important, riche
et cultivé, à qui personne ne devait pouvoir dire non,
encore moins les femmes, si elle en jugeait par sa propre
expérience.
Elle prit la carte qu’un serveur lui tendait et se dissimula
derrière, essayant de se reprendre. Au lieu de s’extasier
comme une adolescente, elle allait montrer à Jake
d’Amato qu’elle pouvait être elle aussi très sophistiquée.
— Qu’aimeriez-vous manger ? Je vais prendre le
saumon fumé tiède puis une entrecôte. La même chose
pour vous ?
— Non, Jake, répondit-elle d’une voix posée.
Elle se tourna alors vers le serveur pour lui demander
dans un français sans accent ce qu’il lui recommandait. Il
s’ensuivit un débat animé sur les mérites du bar rouge en
croûte de sel et de la truite farcie du chef. Finalement, elle
commanda un assortiment de crudités printanières suivi
du bar. Le serveur J repartit avec un sourire radieux.
— Eh bien, Charlotte, vous êtes une femme aux talents
multiples, on dirait.
— Disons que je ne suis pas totalement inculte,
répondit-elle avec une assurance retrouvée.
— Je ne parlais pas seulement de votre français
impeccable. Vous avez rendu le serveur fou de vous. Mais
je ne peux pas lui en vouloir.
Sous le regard sensuel dont il l’enveloppait, elle sentit
une bouffée de chaleur monter depuis le creux de son
ventre et envahir tout son corps. Elle dut inspirer
profondément pour répondre calmement.
— Merci pour le compliment.
— Cela me fait plaisir, je vous assure, répondit-il en
venant poser une main sur la sienne. Allons, Charlotte, ne
prenez donc pas un air si sérieux.
Il mêla ses doigts aux siens avant de déposer une série
de baisers sur sa main.
— Détendez-vous et profitez de cette soirée. Voyons si
nous pouvons faire plus ample connaissance. Nous
pourrions devenir amis, vous ne croyez pas ?
Sentant son corps frémir, Charlotte se demanda
comment une femme pouvait se contenter d’une simple
amitié avec lui.
— Amis, oui, répondit-elle avec le plus de détachement
possible. Alors, dites-moi, d’où vient votre prénom ? «
Jake » ne sonne pas très italien.
— Ma mère était fiancée à un ingénieur de l’US Navy.
Elle m’a donné son prénom parce qu’il est mort dans un
accident en mer avant de pouvoir me donner son nom.
— Cela a dû être une peine immense pour votre mère de
perdre son fiancé dans des circonstances aussi tragiques.
— C’est étrange, la plupart des gens qui entendent cette
histoire répondent par un silence ou par un rire gêné.
Mais vous semblez être plus romantique, dit-il en
resserrant son étreinte sur sa main. Vous avez raison, ma
mère a beaucoup souffert. Elle n’a jamais posé les yeux
sur un autre homme jusqu’à sa mort. Sauf sur moi, bien
sûr. Elle m’adorait.
— Cela ne m’étonne pas, dit Charlotte en souriant,
soulagée que sa question ne l’ait pas embarrassé.
L’atmosphère sembla soudain plus détendue entre eux.
Une amitié serait peut-être possible, songea-t-elle.
Pourtant, elle n’était pas tout à fait d’accord pour dire
qu’elle était quelqu’un de romantique. Elle s’était toujours
considérée comme une personne réaliste et pragmatique.
— Un compliment ! Je suis flatté.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire ! Enfin, peut-être
que si. Mais je faisais surtout référence à votre mère. Si
elle était fiancée, elle a dû ressentir le même chagrin
qu’une veuve.
— Oui, en effet, c’était le cas pour ma mère. Mais
l’expérience m’a appris que beaucoup de femmes voient
les fiançailles comme un simple moyen d’obtenir de
l’argent de la part d’un homme.
— Vous avez déjà été fiancé ?
— Oui, une fois. J’avais vingt-trois ans, j’étais jeune et
naïf. Je lui ai offert une bague, et je lui ai donné de
l’argent pour organiser le mariage.
— Et vous l’avez quittée, j’imagine, dit-elle.
Son sourire se figea quand elle songea qu’elle avait
oublié une autre possibilité.
— Ou bien vous vous êtes marié, ajouta-t-elle.
— C’est typiquement féminin d’accuser l’homme ! Mais
vous vous trompez. Elle m’a quitté et a dépensé l’argent
pour autre chose. Alors, non, je ne suis pas marié, et cela
ne risque pas d’arriver. Je ne crois pas en cette institution.
Les apparences étaient décidément trompeuses...
Charlotte ne parvenait pas à croire qu’une femme puisse
quitter un homme tel que lui. Mais il semblait pourtant
avoir souffert de cette rupture.
— Je suis désolée.
— Ne le soyez pas car je ne le suis pas. Mais assez parlé
de moi. Racontez-moi comment vous avez appris à parler
français.
— Je l’ai d’abord appris à l’école. Puis, à partir de l’âge
de onze ans, j’ai passé chaque année quelques semaines
en France chez mon père.
— Ah oui, votre père, j’aurais dû deviner, dit-il en
lâchant sa main.
Une ombre passa sur son visage, et Charlotte se
demanda ce qu’elle avait pu dire pour le froisser. Peut-
être repensait-il à son ex-fiancée ?
Le sommelier arriva avec une bouteille de champagne et
remplit leurs deux coupes.
— A nous et au début d’une longue amitié, dit Jake en
levant son verre.
On leur servit les entrées.
— Vous avez encore de la famille “? demanda-t-il
comme ils commençaient à manger.
— Non. Ma mère est morte quand j’avais onze ans, ma
grand-mère quand j’avais dix-sept ans et mon grand-père
trois ans plus tard. Comme on dit, je suis maintenant
seule; au monde.
— Avec un père comme le vôtre, pouvez-vous en être
sûre ? demanda-t-il d’un ton sardonique.
— Oui, j’en suis certaine, répondit-elle, surprise par
cette ironie.
— Encore une illusion qui tombe. J’aurais dû me douter
que les exploits de votre père n’étaient qu’une légende
destinée à augmenter le prix de ses tableaux.
— Je ne sais pas, murmura-t-elle en repoussant son
assiette vide, déconcertée par la tournure que prenait la
conversation.
— Non, bien sûr, vous n’en savez rien.
Pendant le reste du repas, Jake orienta la conversation
sur des sujets généraux, essayant de découvrir qui la fille
de Summerville était vraiment. Même s’il répugnait à
l’admettre, cette jeune femme commençait à l’intriguer,
plus que toutes celles qu’il avait rencontrées jusqu’à
présent.
Pour Charlotte, l’heure qui suivit passa comme dans un
rêve. Jake avait une conversation brillante et, sans qu’elle
s’en rende compte, elle lui avait confié beaucoup de
choses sur sa vie : comment elle s’était débrouillée après
la mort de sa grand-mère et comment elle avait quitté
l’école pour aider son grand-père à diriger le petit hôtel
familial au bord du lac de Windermere.
De son côté, il lui raconta qu’à la mort de sa mère,
quand il avait huit ans, il avait été placé dans un
orphelinat où il avait appris à faire les quatre cents coups.
Par miracle, il avait été adopté à dix ans par un homme
dont il avait essayé de voler le portefeuille. Cette
rencontre l’avait tiré d’une vie de larcins en tous genres et
avait été le déclic pour qu’il se mette à étudier
sérieusement. Il était devenu ingénieur du génie maritime
et avait monté sa propre société. Ses parents adoptifs, les
Lasio, étaient toujours vivants et il leur rendait visite
régulièrement.
Pendant qu’il lui parlait, elle ne pouvait s’empêcher de
le regarder avec admiration. Elle était sûre qu’il était très
généreux. Et très sensuel... Même en dînant, il parvenait à
la maintenir dans un état de tension permanente, lui
faisant goûter avec sa fourchette ce qu’il avait dans son
assiette, effleurant de temps en temps sa main, lui
décochant an sourire charmeur. Au moment où elle
ajouta du sucre et de la crème à son café, elle sut que
toutes ses résistances à son charme dévastateur étaient
tombées...
— Je suis heureux de constater que vous ne faites pas
partie de ces femmes qui font sans cesse attention à leur
ligne, dit-il.
Le regard avec lequel il détailla alors sa silhouette était
si éloquent qu’elle sentit son pouls s’accélérer.
Instinctivement, elle porta sa main à sa gorge. Elle n’avait
jamais rien éprouvé de semblable à cette alchimie qui se
créait entre: eux. Elle humecta ses lèvres devenues sèches
et vit qu’il fixait sa bouche. Il prit une profonde
inspiration.
— Sortons d’ici, ordonna-t-il soudain en se levant.
Il jeta une poignée de billets sur la table et, marmonnant
quelque chose en italien, passa une main sous le coude de
Charlotte pour l’obliger à se lever elle aussi.
— Pourquoi se dépêcher ? demanda-t-elle tandis qu’il
l’entraînait à l’extérieur.
— Ne faites pas semblant de ne pas savoir, dit-il d’une
voix rauque.
Il lâcha alors son bras et enlaça sa taille dans un geste
possessif qui la fit frissonner, à la fois d’excitation et de
peur.
— Montez dans la voiture, dit-il en ouvrant la portière
du passager.
En contournant le véhicule pour s’asseoir derrière le
volant, Jake se demanda ce qui lui prenait. Il n’éprouvait
que du mépris pour cette femme, et pourtant, il la
trouvait incroyablement désirable. Pour son esprit froid et
analytique, cela n’avait aucun sens. Mais en cet instant,
ses pensées semblaient concentrées sur le moment où il la
mettrait dans son lit. Et plus vite cela se ferait, plus vite
son problème serait réglé.
Seule dans l’habitacle pendant quelques secondes,
Charlotte commençait à se demander ce qu’elle était en
train de faire. Mais quand Jake entra dans la voiture et se
rapprocha d’elle, elle le sut.
Il passa la main derrière sa nuque et couvrit sa bouche
de la sienne, sa langue s’aventurant entre ses lèvres
entrouvertes avec une ardeur qui éveilla en elle un désir
violent. Soudain avide de quelque chose qu’elle n’avait
jamais connu jusqu’alors, elle enfonça ses doigts dans les
cheveux sombres. Son corps se mit à trembler quand sa
main descendit le long de sa gorge et sur la courbe de ses
seins.
— Jake, dit-elle dans un souffle, éperdue.
Il se redressa légèrement. Jamais une femme ne l’avait
ainsi troublé, si vite et avec une telle violence. Son corps
était si tendu qu’il en était douloureux. En la sentant
trembler et l’implorer, il aurait voulu lui arracher sa robe
pour la prendre tout de suite, ici même. Mais soudain, le
rugissement d’une sirène de police le ramena à la raison.
Il s’écarta vivement, tandis que le gyrophare du
véhicule éclairait l’intérieur de la berline. Il laissa
échapper un juron en italien et se rassit correctement sur
son siège.
— Bon sang ! s’exclama-t-il en passant une main dans
ses cheveux. Cela fait deux fois ce soir que je me retrouve
à vous embrasser dans ma voiture. Ça ne m’était pas
arrivé depuis l’adolescence.
Il lui lança un regard accusateur, et fut subjugué par son
beau visage, son expression confuse et ses lèvres gonflées
par leur baiser.
— Moi, je ne l’avais jamais fait, dit-elle.
Il faillit la croire, un instant. Mais non, cela ne pouvait
être vrai. Son père était un maître en séduction, et il était
évident qu’elle avait hérité de la même nature, comme
son propre corps douloureux pouvait en témoigner. La
main tremblante, il saisit la clé de contact et démarra la
voiture. Il était furieux contre lui-même, mais encore plus
contre cette femme qui lui faisait perdre la tête.
— A quel hôtel êtes-vous descendue ? demanda-t-il,
incapable de se souvenir si elle le lui avait déjà dit
Cela non plus ne lui ressemblait pas : il avait d’ordinaire
une excellente mémoire et une concentration à toute
épreuve.
Charlotte se redressa.
— Dave, un ami, me prête son appartement pendant
mon séjour à Londres.
Elle récita l’adresse en essayant d’avoir une voix
normale.
— Pas mal comme quartier ! dit-il entre ses dents en
changeant de vitesse un peu plus brutalement que
d’ordinaire.
Ce Dave était sûrement son amant. Et il devait être
riche, s’il possédait un logement dans cette rue. Cela ne
faisait que confirmer ce qu’il soupçonnait déjà. Tel père,
telle fille. Une femme comme Charlotte ne devait jamais
rester seule bien longtemps.
— Mais peut-être préféreriez-vous aller boire un dernier
verre à mon hôtel avant que je vous raccompagne ?
Il avait d’abord eu l’intention de prendre son temps,
pour la charmer, comme son père l’avait fait avec Anna.
Mais à présent, il ne pensait plus qu’à la mettre dans son
lit dès que possible, et à l’y garder jusqu’à ce qu’elle
oublie tout autre homme, et que lui-même apaise ce
besoin impérieux qu’il éprouvait pour elle.
Charlotte rougit, comprenant son allusion. Elle avait
envie de hurler que oui, bien sûr, c’était ce qu’elle voulait.
Mais en même temps, ce désir la faisait paniquer. Elle se
sentait vulnérable, comme si elle était en train de perdre
pied et qu’elle avait peur de se noyer. Elle n’avait jamais
rencontré quelqu’un comme Jake.
Elle côtoyait beaucoup d’hommes dans son travail, mais
ils la traitaient tous comme un des leurs, et cela lui
convenait tout à fait. Ayant passé son enfance à courir
dans les montagnes et à grimper aux rochers dans le Lake
District, elle avait toujours adoré l’escalade et la
navigation. C’est donc tout naturellement qu’elle était
devenue membre de l’équipe locale de sauveteurs, ainsi
que de Sauveteurs sans frontières. Avec l’aide d’un gérant
pour veiller au fonctionnement quotidien de l’hôtel, elle
s’occupait de la comptabilité. Cette organisation lui
permettait de s’absenter dès qu’on avait besoin d’elle
pour une intervention rapide sur le terrain.
Ce séjour de deux semaines à Londres était une idée de
Dave, son chef d’équipe. Il avait estimé qu’entre le décès
récent de son père et ses occupations, elle avait besoin de
faire une pause et de se changer les idées, au lieu d’être
toujours à la disposition des autres sans prendre de temps
pour elle. Charlotte avait fini par accepter. En effet, elle
s’était rendue aux quatre coins de la planète pour des
interventions d’urgence, mais n’avait jamais eu l’occasion
de visiter la capitale de son propre pays.
La voiture s’arrêta, et Jake se tourna vers elle, les yeux
brillant d’un éclat ardent.
— Alors, qu’en dites-vous ? Un dernier verre ? Nous
sommes devant mon hôtel.
L’atmosphère se chargea d’électricité. Elle savait qu’il
attendait une réponse, et soudain elle eut peur. Elle
détourna les yeux pour regarder par la vitre. L’hôtel était
somptueux, un des meilleurs de la ville. Non, elle ne
pouvait pas... pas encore.
— Je crois que j’ai suffisamment bu, répondit-elle avec
prudence. Merci quand même.
Il plissa légèrement les yeux et elle se demanda s’il était
en colère. Mais il haussa les épaules.
— Comme vous voudrez. Je passerai vous prendre
demain à midi pour vous emmener déjeuner, déclara-t-il
en redémarrant la voiture.
— Je préférerais que vous me posiez la question plutôt
que
vous ne m’en donniez l’ordre, lui fit-elle remarquer en
souriant. Je suis ici en vacances, pour faire du tourisme, et
j’ai l’intention de visiter le Bristish Muséum demain.
L’instinct de Jake lui criait de convaincre Charlotte de
l’accompagner jusqu’à sa chambre, mais la lueur presque
effrayée qu’il avait lue dans ses yeux bleus l’avait quelque
peu déconcerté. Elle était peut-être égoïste et cupide, mais
cela ne voulait pas dire pour autant qu’elle avait des
mœurs légères.
— Bien, je vous ramène.
Peu après, il gara sa voiture devant l’immeuble où elle
logeait.
— Je vous raccompagne jusqu’à la porte, dit-il en lui
ouvrant la portière. Et pour demain, inutile de discuter.
Nous ferons les deux : déjeuner et musée.
Étonné, il remarqua qu’elle semblait toujours sur ses
gardes. Elle ne risquait pourtant plus rien avec lui ce soir,
car il était hors de question qu’il lui fasse l’amour dans un
lit qu’elle avait partagé avec un autre...
— A demain, dit-il en l’embrassant sur le front avant de
s’éloigner.
3.
Jake d’Amato arpentait son immense suite comme un
fauve en cage. A cause d’une jeune femme blonde aux
yeux bleus, il se sentait trop frustré pour pouvoir trouver
le sommeil. Sans compter la fureur qu’il éprouvait à l’idée
que le portrait d’Anna ait été livré à la curiosité du public.
Il lui avait fallu beaucoup de maîtrise de soi pour
regarder le tableau avec détachement, comme il était
censé le faire en tant qu’acheteur. Anna était sa sœur, et
cette situation lui avait presque paru incestueuse. Quant
au titre L’attente, il n’aurait pas pu être mieux choisi,
songea-t-il avec amertume. Car Anna avait attendu
pendant deux ans que Robert Summerville se décide à
l’épouser. En vain.
Jake avait douze ans quand sa sœur était née, et sa
naissance avait été vécue comme un miracle par ses
parents, qui ne pensaient pas pouvoir avoir d’enfant. Jake
avait tout de suite adoré le bébé. Elle était une ravissante
petite fille de six ans quand il avait quitté le foyer des
Lasio, à sa majorité.
Il aurait dû veiller plus attentivement sur elle. Mais
après l’université, il avait été très pris par son travail et
n’avait pas eu beaucoup de temps pour leur rendre visite,
en dehors des fêtes et des anniversaires. Mais il lui avait
toujours semblé qu’Anna allait bien, et les Lasio ne
semblaient pas s’inquiéter non plus.
Pour les vingt et un ans de sa soeur, Jake, alors à la tête
d’une grande société, avait organisé une fête grandiose à
bord de son yacht. Elle avait l’air heureuse, équilibrée,
pleine de vie et enthousiasmée par sa carrière de
graphiste qui démarrait très bien. Jake s’était alors dit
qu’elle avait besoin de vivre sa vie d’adulte, comme lui-
même quelques années plus tôt.
Mais comment avait-elle pu avoir une liaison avec un
homme assez vieux pour être son père, et poser nue pour
lui ? Comment en était-elle arrivée à conduire en état
d’ivresse et à se tuer dans un accident ? Pourquoi avait-
elle laissé un homme lui faire ça ?
Il n’y avait pas de réponse, et Jake se sentait
terriblement coupable depuis la mort d’Anna.
Lors d’un déjeuner à Nice, deux ans plus tôt, elle lui
avait parlé de sa relation avec Summerville. A l’époque,
elle travaillait toujours et vivait dans l’appartement que
Jake lui avait acheté. Il n’avait jamais entendu parler de
cet homme, mais il n’avait pas critiqué son choix. Ce qui
comptait pour lui, c’était qu’elle soit heureuse. Et elle
avait l’air de l’être en lui annonçant qu’elle et son ami
allaient se marier bientôt.
Mais lorsqu’elle était venue le voir chez lui à Gênes, cinq
mois auparavant, il avait amèrement regretté de ne pas
avoir enquêté sur cet homme dès qu’il avait entendu son
nom. Anna n’était plus alors que l’ombre d’elle-même.
Elle avait pleuré sur son épaule et lui avait tout raconté.
Elle avait quitté son travail et vécu avec Robert pendant
plus d’un an. Mais ce dernier l’avait renvoyée, trois mois
plus tôt, à cause de sa fille. Il lui avait expliqué que celle-
ci était son unique enfant et qu’elle avait été trop gâtée
par sa mère. Elle était un peu instable et surtout très
possessive, et elle refusait catégoriquement de rencontrer
la nouvelle compagne de son père. Anna avait donc dû
partir. Robert lui avait assuré que cela ne durerait que
quelques semaines, mais il ne l’avait jamais rappelée. Puis
il était mort, sans qu’Anna ait pu le revoir une seule fois.
Elle n’avait même pas été prévenue à temps de son décès
et n’avait pas pu assister aux funérailles.
En écoutant le récit de sa sœur, Jake s’était dit que si ce
Summerville n’avait pas déjà été mort, il se serait
volontiers chargé de le tuer lui-même.
Puis la mort tragique d’Anna, quelques semaines après
leur dernière rencontre, l’avait dévasté, tout autant que
ses parents adoptifs. Il avait passé les trois derniers mois
auprès des Lasio et avait laissé son travail de côté
pendant tout ce temps.
Londres était son premier voyage à l’étranger depuis le
décès de sa sœur, et la vue de cette brochure dans le hall
de l’hôtel avait rallumé sa colère. Heureusement, il savait
que le tableau était maintenant en route pour sa maison
en Italie. Il avait l’intention de le détruire à son retour,
afin que les parents d’Anna ne sachent jamais qu’il avait
existé. C’était la moindre des choses qu’il pouvait faire
pour eux.
Jake se considérait comme un homme moderne et
ouvert d’esprit. Il aimait les femmes et ne restait jamais
longtemps célibataire. Il avait des liaisons avec des
mannequins, dont au moins deux avaient posé nues sur
des couvertures de magazines, et cela ne l’avait jamais
dérangé. Mais dans le cas d’Anna, c’était différent.
Et il se réjouissait du moyen qu’il avait trouvé de venger
la mort d’Anna : séduire Charlotte Summerville pour la
rejeter sans pitié.
Charlotte jeta un dernier coup d’œil à son reflet dans le
miroir. Après une longue réflexion, elle avait choisi un
pantalon cigarette gris qui soulignait la longueur de ses
jambes, un pull en cachemire rose et urne ceinture à
grosse boucle qui tombait sur ses hanches. Un sac à main
gris et des mocassins assortis complétaient sa tenue.
Confortable et décontractée, songea-t-elle. Mais elle
n’avait pas vraiment le choix, car elle avait porté la veille
la seule robe qu’elle avait dans ses bagages. Le reste de
ses vêtements se résumait à des jeans et des t-shirts. Elle
coinça une mèche de cheveux derrière son oreille et se
demanda s’il ne valait pas mieux les attacher. Mais elle
décida finalement qu’elle était bien ainsi, avec ses boucles
blondes qui tombaient sur ses épaules.
La nuit précédente, alors qu’elle se tournait et se
retournait dans son lit, incapable de dormir parce qu ’elle
pensait à Jake, à ses baisers et ses caresses, elle avait pris
une décision. Si elle le pouvait, elle irait plus loin avec cet
homme. Il avait dit qu’ils pourraient être amis, mais elle
voulait beaucoup plus de lui. Elle n’avait jamais connu
l’amour, mais ce désir physique intense et ce flot de
sensations qui la consumaient tout entière ne pouvaient
être autre chose.
Lors de ses missions pour Sauveteurs sans frontières,
elle avait côtoyé la mort et la détresse. Cela lui avait
appris que la vie était précieuse mais qu’elle pouvait être
balayée en quelques secondes par un caprice de la nature.
Or elle avait vingt-six ans et elle était encore vierge,
probablement parce que toute sa vie elle avait été un
garçon manqué, et que les hommes qu’elle connaissait la
considéraient davantage comme une camarade que
comme une femme. Elle n’était pas totalement
inexpérimentée, elle avait bien embrassé quelques
hommes, mais sans toutefois en éprouver beaucoup de
plaisir. Rien à voir avec ce qu’elle avait ressenti dans les
bras de Jake !
Ces vacances à Londres, les premières qu’elle s’offrait
depuis des années, étaient censées lui permettre de
prendre du recul sur sa vie. Elle était seule, libre de faire
ce qu’elle voulait... Et ce qu’elle voulait, c’était Jake. Elle
sentait au plus profond d’elle-même qu’il était peut-être
l’homme de sa vie.
L’Interphone sonna soudain. Le gardien de l’immeuble
lui annonça qu’un certain M. d’Amato était arrivé et lui
demanda s’il pouvait le faire monter.
— Non, ce n’est pas la peine, je descends tout de suite.
Les jambes tremblantes, elle prit l’ascenseur et inspira
un grand coup avant d’en ressortir au rez-de-chaussée.
Elle le vit alors, accoudé au comptoir de la réception,
plus beau que jamais. Il était déjà magnifique en costume,
mais aujourd’hui, il était à couper le souffle. Il portait un
jean noir qui moulait ses longues jambes et ses cuisses
musclées, une chemise noire entrouverte sur son torse et
une veste en cuir noir jetée négligemment sur son épaule.
Elle se demanda ce que les Italiens possédaient de plus
que les autres pour porter leurs vêtements avec une telle
élégance. Fascinée, elle restait immobile. Il leva lentement
la tête, tel un félin qui sent la présence de sa proie, et se
redressa pour lui faire face.
— Charlotta, vous voici enfin !
Il avait prononcé son prénom d’une voix sensuelle,
promenant sur elle un regard appréciateur.
— Vous êtes exquise.
Avant qu’elle ait eu le temps de lui répondre, une main
s’était posée sur sa hanche et l’autre s’était enfoncée dans
ses cheveux. Il déposa alors un baiser très doux sur sa
bouche, qu’il prolongea lorsqu’elle entrouvrit ses lèvres.
Elle fut envahie d’une chaleur qui emplit bientôt tout son
corps.
Leurs baisers dans la voiture avaient été fabuleux, mais
à présent qu’elle était debout contre lui, Charlotte était
encore plus troublée de sentir contre elle la force de son
désir viril, et secrètement flattée de lui faire cet effet.
Sentant que ses genoux ne la soutenaient plus, elle se
pressa contre lui.
— Je vous ai promis un déjeuner, murmura-t-il alors
contre sa bouche avant de relever la tête. Nous ferions
mieux d’y aller avant de choquer le gardien.
Mon Dieu ! Pendant un instant, elle avait complètement
oublié où ils se trouvaient...
— Oui, bien sûr, répondit-elle en rougissant.
— Une femme qui sait encore rougir, c’est charmant,
remarqua-t-il en passant un bras autour de ses épaules
pour l’entraîner dehors.
— Pas de voiture ? s’étonna-t-elle comme il prenait sa
main et marchait sur le trottoir.
— Vous vouliez faire du tourisme et aller au musée, non
? Vous verrez plus de choses si nous sommes à pied. De
plus, je veux tout partager avec vous, y compris une
bouteille de vin pour le déjeuner.
Il était si charmeur qu’elle éclata de rire.
— J’aurais dû me douter que vous aviez une idée
derrière la tête. Ce n’est pas moi mais le vin qui vous
motive !
— Vous ne pouvez pas imaginer ce qui me motive,
répondit-il mystérieusement.
Jake tint parole : ils déjeunèrent dans un restaurant au
centre du British Muséum et commandèrent une bouteille
de vin. Ils firent ensuite le tour des expositions. Et il était
19 heures quand ils arrivèrent au pied de son hôtel.
Quand il lui demanda si elle préférait dîner avec lui ou
si elle voulait qu’il la raccompagne à son appartement,
Charlotte comprit tout de suite ce qu’il sous-entendait.
Elle tourna son visage vers lui et lut le désir dans ses
prunelles sombres. La puissance de l’émotion qui la
traversa alors l’empêcha de répondre immédiatement.
— Peut-être que cela suffit pour aujourd’hui, dit Jake
dans un accès soudain de remords.
Contre toute attente, il avait passé un très bon moment
en sa compagnie.
Il fit courir un doigt sur sa joue, puis le long de sa gorge,
et sentit son pouls qui palpitait. Elle avait envie de lui, il
le sentait, mais il devinait qu’elle hésitait encore. Il
ignorait si elle faisait semblant ou non, mais il connaissait
assez les femmes pour savoir qu’elles cherchaient toutes
une relation stable. De toute évidence, Charlotte
n’échappait pas à la règle. Il eut alors une idée.
— Quelle que soit votre décision, dit-il, je suis à Londres
pendant deux semaines pour affaires.
Il nota que les pointes de ses seins s’étaient durcies sous
son pull, avant de planter son regard dans le sien.
— Et après l’agréable journée que nous venons de
passer, continua-t-il, j’aimerais beaucoup continuer à faire
du tourisme avec vous, quand mon travail me le
permettra.
Il avait surtout envie de découvrir son corps, d’explorer
ses courbes adorables... mais il n’était pas assez fou pour
le lui dire. Cependant, s’il ne la possédait pas bientôt, il
avait l’impression qu’il allait perdre la tête, et cela
l’inquiétait vraiment.
Charlotte savait que c’était le moment de vérité. Jake lui
avait dit qu’il ne se marierait jamais, et elle devait donc
faire un choix : se contenter de ce qu’il lui offrait, c’est-à-
dire une liaison de deux semaines, ou le quitter
maintenant pour ne plus jamais le revoir. Mais elle ne
sentait pas la force de brider ce désir sauvage qui venait
de naître en elle et qu’elle n’éprouverait jamais que pour
lui, c’était une certitude.
— Je... J’aimerais faire une halte ici, répondit-elle enfin.
— Moi aussi.
Il saisit sa main et l’entraîna à l'intérieur de l’hôtel. Elle
avait du mal à réaliser ce qu’elle était en train de faire
tandis qu’ils entraient dans l’ascenseur et que les portes
se refermaient sur eux. Elle le regarda à la dérobée. Ce
n’était pas simplement son physique exceptionnel qui la
bouleversait, il y avait autre chose. Comme une indicible
connexion entre eux, qu’elle percevait sans oser y croire,
même si chaque atome de son corps lui disait que c’était
bien réel.
— Nous y sommes, dit-il en plaçant une main sur ses
reins pour la pousser doucement vers l’extérieur.
Jake passa sa carte magnétique dans urne fente et la
porte de sa suite s’ouvrit. Il dut faire appel à toute sa
volonté pour ne pas la soulever dans ses bras et la
déposer tout de suite sur son lit. Au lieu de cela, il ôta sa
veste en cuir et se dirigea vers le bar.
— Voulez-vous boire quelque chose ? demanda-t-il en se
tournant vers elle.
Il se figea. Bon sang, elle était vraiment magnifique. Et
toute la journée, il avait eu envie de lui arracher ce pull
rose qui moulait sa poitrine.
Charlotte jeta un regard autour d’elle et étudia
l’élégante pièce, aussi luxueuse qu’elle se l’était imaginé.
En revanche, Jake ne se comportait pas comme elle s’y
attendait. Elle pensait qu’il l’aurait prise dans ses bras et
qu’il lui aurait fait l’amour sans plus attendre. Elle se
reprocha aussitôt sa naïveté. Jake était un homme du
monde, sophistiqué. Il ne se conduirait jamais aussi
grossièrement.
— Je veux bien un...
Elle allait lui demander un jus de fruit, mais elle n’en eut
pas le temps.
— Au diable ce dernier verre, dit-il en s’avançant pour
l’attirer à lui.
Sa bouche captura alors la sienne Elle laissa échapper un
gémissement, et il en profita pour s’immiscer entre ses
lèvres.
Auparavant, les baisers de Jake avaient suscité son désir,
mais ils s’étaient toujours terminés brutalement et
l’avaient laissée pleine de frustration. Cette fois-ci, il ne
montrait plus de retenue. La passion entre eux était
incandescente. Il l’étreignait avec une ardeur possessive
qui lui disait combien il la désirait. Elle leva les mains sur
son large torse et effleura le premier bouton de sa
chemise.
— Oui, enlève-la, murmura-t-il.
Le rouge monta aux joues de Charlotte quand elle
comprit qu’il la croyait assez expérimentée pour le
déshabiller sans hésitation. Son corps s’enflamma et ses
doigts se refermèrent sur le tissu. Oserait-elle ? Oui,
c’était ce qu’elle voulait. Elle défit un bouton et sentit sa
peau brûlante.
— Ne t’arrête pas là, cara, dit-il d’une voix rauque en
caressant son dos. A moins que tu ne préfères que je
commence par te déshabiller ?
Il se pencha pour embrasser encore sa bouche, avant de
suivre la courbe de sa nuque. Elle émit un gémissement
frustré lorsqu’il se détacha d’elle.
— Patience, cara. Laisse-moi d’abord t’enlever cette
ceinture, dit-il en défaisant la boucle en métal.
Maintenant, dis-moi ce que tu veux et je te promets de te
le donner.
Elle le voulait, lui...
Avec une dextérité qu’elle ne se connaissait pas, elle
déboutonna rapidement la chemise de Jake. Puis elle
s’arrêta, les yeux écarquillés devant la poitrine hâlée, dont
la toison soulignait les muscles puissants. Elle promena
ses mains sur sa peau, s’enivrant de la chaleur de ce
contact.
— Tu es magnifique, murmura-t-elle.
— Je crois que tu m’as volé ma réplique !
Il faisait de l’humour, mais dans ses yeux brillait une
lueur de satisfaction et de triomphe. Et aussi quelque
chose d’autre qu'elle ne pouvait identifier. Il l’embrassa et
la plaqua, contre toi pour un baiser encore plus exigeant,
encore plus
4.
Alors que Charlotte se sentait défaillir, Jake la souleva
dans ses bras et l’emmena dans la chambre. Il la reposa
pour ôter ses chaussures et finir d’enlever sa chemise.
Son torse entièrement nu était encore plus
impressionnant, sans parler de ses bras musclés et de ses
mains... ses mains qui déboutonnaient son pantalon.
Charlotte retint son souffle.
— Quelque chose ne va pas, mia bella Charlotta ?
demanda-t-il en enserrant sa taille de ses mains.
— Non, ça n’a jamais été aussi bien, répondit-elle d’une
voix qui tremblait malgré elle.
— Mais tu es encore très habillée, cara. Laisse-moi
t’aider, suggéra-t-il.
Hypnotisée par son regard sombre, Charlotte leva les
bras pour qu’il passe son pull par-dessus sa tête. Il caressa
son dos nu et, comme par magie, il dégrafa son soutien-
gorge en un tour de main.
— Splendide ! dit-il en cueillant ses seins au creux de ses
mains.
Elle ne s’était jamais imaginé qu’elle se tiendrait un jour
à demi nue devant un homme. Ses tétons pointaient
effrontément sous l’effet du plaisir, et elle se mit à rougir
sous l’intensité de son regard.
— TU n’as aucune raison de rougir, cara. Tu as des seins
parfaits, et je suis impatient de te voir tout entière.
— Moi aussi, je veux te voir, répondit-elle
spontanément.
Il continua à caresser ses tétons dressés, avant de reculer
pour achever de se déshabiller.
Charlotte ne pouvait s’empêcher d’admirer son corps
totalement nu. Tout en lui exprimait la puissance et la
force. Les yeux écarquillés, le visage brûlant comme le
reste de son corps, elle était pour la première fois de sa
vie confrontée à l’excitation d’un homme, et elle ne
pouvait en détacher ses yeux.
— C’est toi qui es en retard, maintenant ! dit-il d’une
voix rauque. Attends, laisse-moi t’aider.
Il fit glisser son pantalon et sa culotte sur ses hanches
avec une adresse qui trahissait une grande expérience. Il
la souleva alors pour la déposer sur le lit.
— Tu es incroyable, murmura-t-il en la contemplant.
L’espace d’une seconde, Charlotte eut un accès de
pudeur et voulut lever les mains pour se protéger de son
regard. Il saisit ses poignets pour l’en empêcher.
— Non, ne te cache pas. Tu es absolument magnifique.
Et terriblement sexy, ajouta-t-il avant de l’embrasser.
Le contact de son corps contre le sien, la caresse de sa
langue, le goût de sa bouche lui firent perdre ses
dernières inhibitions. Elle essaya de libérer ses mains.
— S’il te plaît, je veux te toucher, supplia-t-elle avec une
sincérité naïve.
Il sourit et lâcha ses poignets. Il déposa alors une pluie
de baisers dans son cou, avant de descendre jusqu’à ses
seins pour lécher, sucer et mordiller ses tétons tandis, que
de sa main, il caressait le creux de son ventre et
descendait vers ses cuisses.
Charlotte enfonça les mains dans ses cheveux noirs, se
cambra contre lui et se mit à gémir sous la vague de
sensations exquises qu’il éveillait en elle. Il traça un
chemin de baisers brûlants jusqu’à son nombril, puis vers
sa hanche, descendit le long de sa cuisse, avec une
sensualité qui la faisait trembler d’un plaisir fiévreux. Il
remonta ensuite pour l’embrasser sur la bouche et elle
s’abandonna à son baiser avec une passion débridée.
Charlotte enroula ses bras autour de lui et se pressa
contre son corps musclé. Puis, avec une audace dont elle
ne se serait pas crue capable, elle effleura son torse avec le
bout de ses seins, savourant l’effet que cette caresse
produisait sur lui. Une autre femme semblait s’être
emparée d’elle, une femme sensuelle et désinhibée...
Lorsque la main de Jake s’approcha du cœur de sa
féminité, elle frissonna de délice. Moite et brûlante de
désir, elle ouvrit instinctivement les jambes. Elle voulut le
toucher à son tour.
— Pas si vite, cara, protesta-t-il en souriant. Je veux que
tu éprouves beaucoup de plaisir, que cela dure
longtemps.
Elle le contempla, bouleversée par ses yeux si sombres,
ses cheveux qu’elle avait ébouriffés, sa bouche sensuelle
qui lui souriait. Avec audace, elle fit glisser ses doigts le
long de sa hanche et voulut poursuivre sa caresse.
— Pourquoi attendre ? demanda-t-elle dans un souffle.
Nous pourrons toujours recommencer...
Jake saisit sa main et la reposa sur son torse, malgré
l’urgence du désir qu’il ressentait. Mais elle avait raison.
Une seule fois ne lui suffirait pas, ni à elle.
Charlotte souleva son bassin pour se plaquer contre lui
tandis qu’il explorait le cœur de sa féminité, jusqu’à ce
qu’elle n’en puisse plus. Elle avait l’impression qu’elle
allait exploser tellement son corps était tendu par
l’excitation.
— Je te veux, dit-elle d’une voix rauque.
Il se redressa alors et prit un préservatif sur la table de
nuit tout en continuant à la caresser de l’autre main. Il la
saisit ensuite par les hanches et la pénétra en un
mouvement puissant. Elle poussa un petit cri, et il
s’immobilisa. Il se retira doucement, puis revint en elle,
plus profondément.
La douleur soudaine avait pris Charlotte par surprise,
mais elle fut immédiatement suivie d’un plaisir intense
qui lui fit tout oublier. Elle cria plusieurs fois le prénom
de Jake, envahie par des sensations incroyables. Les
convulsions qui la secouèrent étaient délicieuses. C’était
donc cela... Mais elle eut à peine le temps de formuler
cette pensée qu’il reprenait un rythme plus rapide, plus
sauvage, la pénétrant plus profondément encore, la
menant toujours plus loin dans le plaisir.
Elle s’agrippa à lui, enfonça ses ongles dans sa chair.
C’était comme s’il la faisait sortir d’elle-même. Elle ne
maîtrisait plus les mots incohérents qui s’échappaient de
sa bouche, qu’il captura pour un baiser enfiévré. Elle
sentit soudain son corps secoué par la jouissance, et elle
hurla tandis que des vagues de plaisir l’envahissaient.
Lentement, Charlotte rouvrit les yeux. Jake s’était
échoué sur elle, les paupières closes. Elle sourit, l’esprit
encore confus. Elle venait donc d’éprouver ce dont elle
avait tant entendu parler... Et c’était bien au-delà de tout
ce qu’elle avait pu imaginer.
Leurs corps étaient moites de sueur, leurs cœurs
tambourinaient encore sous le coup de la passion, et me
profonde sensation de paix s’empara d’elle. Jake était
l’homme pour lequel elle était née, songea-t-elle
rêveusement.
— Grazie, Charlotte, murmura Jake à son oreille. C’était
fantastique. Tu es vraiment une femme extraordinaire.
Il se souleva pour s’écarter d’elle se leva.
— Ne t’en va pas, murmura Charlotte en tendant la
main vers lui.
— Ne t’inquiète pas Je vais juste dans la salle de bains.
Il était debout, nu devant elle, et ne semblait en
éprouver aucune gêne. Il était extrêmement beau, et il
était à elle, pensa-t-elle. Elle rougit en pensant que, s’il
n’avait pas pensé à se protéger, elle n’aurait jamais osé
aborder la question. Soudain embarrassée par sa propre
nudité, elle remonta les draps sur elle.
Il éclata de rire.
— Tu es incroyable ! Tu es une déesse au lit, qui n’hésite
pas à dire ce qu’elle veut en faisant l’amour, et pourtant
tu parviens à rougir comme une collégienne !
Tout en continuant de rire, il disparut dans la salle de
bains.
Charlotte ne savait si elle devait se sentir flattée parce
qu’il la trouvait sexy, ou offensée qu’il puisse penser
qu’elle faisait exprès de rougir. Si seulement c’était vrai !
Cette réaction épidermique lui gâchait la vie depuis
toujours. Peut-être qu’à présent qu’elle était vraiment
femme, elle pourrait mieux contrôler ses réactions
émotives ?
Ce qui la conduisit à une autre pensée : pourquoi Jake
n’avait-il pas remarqué qu’il était son premier amant ? Au
fond, cela valait peut-être mieux : elle avait l’intuition
qu’il ne l’aurait pas touchée s’il avait su la vérité. Elle se
demanda alors quel âge il pouvait avoir. Environ trente-
cinq ans, supposa-t-elle. Et il avait un corps... qu’elle
connaissait maintenant dans les moindres détails. Un
sourire se dessina sur ses lèvres. Elle était enfin une
femme, et elle était à Jake ! Elle leva les bras au ciel et se
mit à crier :
— Oui ! Oui ! Oui !
Une serviette nouée autour de la taille, Jake s’arrêta sur
le seuil de la chambre. Les cheveux blonds tombant en
cascade sur son dos, le visage sans fard, Charlotte faisait
de grands mouvements de bras comme une pom-pom girl
dont l’équipe aurait marqué un point.
Il n’avait jamais rencontré une femme aussi
naturellement sexy. En ce moment, il lui aurait donné
seize ans, songea-t-il en souriant.
— Est-ce un oui pour moi ?
Il éclata de rire devant son air interdit. Elle plongea
aussitôt sous les draps.
— Non ! Oui. Enfin, peut-être, bredouilla-t-elle.
Elle se sentait au comble de l’embarras d’avoir été
surprise ainsi, alors qu’elle voulait passer pour urne
femme sophistiquée à ses yeux.
Jake fronça les sourcils en ressentant soudain un étrange
besoin de la protéger. Cette pensée le dérangeait. Il avait
eu l’intention de mettre Charlotte dans son lit puis de la
laisser tomber. Mais cela ne fonctionnait pas comme
prévu : il la désirait toujours autant... Il l’avait prise avec
une ardeur incontrôlable, et quand il l’avait sentie proche
de l’extase, quand elle avait crié son prénom, il était
arrivé à la jouissance en même temps qu’elle, ce qui ne lui
était jamais arrivé avec une autre femme.
Et maintenant, il mourait d’envie de retourner sous les
draps avec elle et de lui refaire l’amour...
Soudain, le souvenir d’Anna et du mal que Charlotte lui
avait fait l’arrêta net. La femme avec qui il venait de
passer la journée et de faire l’amour ne ressemblait pas à
une petite peste capricieuse, mais l’expérience lui avait
appris que les femmes étaient très douées pour la
dissimulation.
— Je vais commander un dîner. Rejoins-moi quand tu
seras prête, dit-il abruptement avant de tourner les talons
et de quitter la pièce.
Charlotte le regarda sortir, un peu déconcertée. Elle
s’était conduite comme une gamine, pas étonnant qu’il
préfère s’en aller. Mais la nuit ne faisait que commencer,
se dit-elle en souriant, et Jake était désormais son amant.
Elle s’étira paresseusement. Une douche, un bon repas,
puis Jake... Voilà un programme qui la comblait. Elle
sortit du lit, ramassa ses vêtements épars et se dirigea
vers la salle de bains.
Elle fut impressionnée par la splendeur de la pièce,
toute de marbre blanc, avec de nombreux miroirs et une
immense douche de verre. Elle pénétra dans la cabine et
tourna les robinets. Quand l’eau atteignit la bonne
température, elle parcourut la série de luxueux produits
de toilette et choisit un savon aux huiles essentielles,
avant de s’exposer au jet apaisant avec un soupir de
satisfaction.
C’était donc ça, l’amour... Elle soupira encore, laissa
aller sa tête en arrière et ferma les yeux. Elle savonna ses
bras, ses épaules, ses seins. En caressant sa peau, elle se
rappela les mains de Jake sur chaque centimètre de son
corps, la puissance incroyable de sa passion, et laissa
échapper un petit gémissement.
Jake donna un pourboire au groom et retourna dans la
chambre. A la vue du lit vide, son ventre se contracta
douloureusement et ses yeux s’assombrirent de colère.
Elle était partie ! Puis il entendit le bruit de l’eau qui
coulait : bien sûr, elle était sous la douche.
Il entra en silence dans la salle de bains et fut d’abord
saisi par la vision du corps de Charlotte qui se reflétait
dans tous les miroirs. Puis il la vit à travers l’écran de
verre, la tête renversée, ses cheveux mouillés dégoulinant
dans son dos, ses mains parcourant tout son corps. Il
n’avait jamais rien vu d’aussi érotique. L’expression de
plaisir sensuel qu’il lut sur son visage eut raison de lui.
Charlotte n’entendit pas la porte s’ouvrir. Elle sut
qu’elle n’était plus seule quand elle entendit une voix
rauque demander derrière elle :
— Tu permets ?
Elle ouvrit les yeux et se retourna vivement, manquant
de glisser sur le carrelage. Le bras de Jake autour de sa
taille l’empêcha de tomber.
— Qu’est-ce que tu fais là ?
Il était nu, l’eau tombait sur ses cheveux noirs, et ses
yeux brûlaient d’une exquise promesse sensuelle.
— La même chose que toi, Charlotte,, dit-il en se
saisissant du savon pour le faire glisser sur ses seins. Je te
lave.
Il étala la mousse sur sa poitrine.
— Ce n’est pas mieux ainsi ?
— Oh si, soupira-t-elle.
Elle avait très chaud, mais cela n’avait plus rien à voir
avec la température de l’eau. Jake la plaquait contre la
paroi de la cabine et ses mains savonnaient
voluptueusement son corps frémissant.
— Ne t’arrête pas ! supplia-t-elle.
Il rit de sa franchise et pencha la tête pour l’embrasser
avec avidité.
— Je n’en ai pas l’intention, répondit-il en la soulevant
de terre.
D’instinct, elle croisa les jambes au tour de la taille de
Jake.
— Je vais tomber, protesta-t-elle en s’accrochant à son
cou.
Mais il plaqua fermement ses deux mains sur les
hanches de Charlotte, et, en un mouvement, il entra en
elle. Elle ferma les yeux et renversa la tête en arrière,
tandis que ses cuisses se refermaient autour de lui. Le fait
de se sentir possédée si vite et si complètement la fit
basculer dans un plaisir insensé.
Jake accéléra le rythme. Emporté par une passion qu’il
ne pouvait maîtriser, il cria le prénom de Charlotte. Il la
sentit trembler contre lui quand il la reposa enfin au sol.
Les pupilles de ses beaux yeux bleus étaient dilatées par
le plaisir.
— Je n’aurais pas dû faire ça, murmura-t-il.
— Sous la douche, souffla-t-elle d’un air médusé et ravi.
Je ne savais pas que c’était possible.
— On dirait qu’avec toi, tous les endroits sont possibles,
dit-il, tout en réalisant que la jeune femme n’était pas
aussi expérimentée qu’il le pensait si elle n’avait jamais
pris une douche avec un homme.
Soudain, il se rappela son petit gémissement de douleur
la première fois qu’ils avaient fait l’amour. L’impression
gênante qu’il ait pu faire une énorme erreur lui fit
involontairement serrer les mains autour de la taille de
Charlotte. Il l’étudia en fronçant les sourcils. Non, ce
n’était pas possible. Il secoua la tête pour oublier cette
idée.
— En fait, j’étais venu t’annoncer que le dîner était
arrivé, mais j’ai été un peu distrait.
— On l’a été tous les deux ! dit-elle en déposant un
baiser sur sa joue. Mais maintenant, laisse-moi sortir pour
me sécher et m’habiller.
Le fait que Jake ait été emporté par la passion à cause
d’elle la rendait fière et plus sûre d’elle.
Mais son assurance retomba quand, dix minutes plus
tard, elle entra pieds nus dans le salon de la suite. Jake
était très élégamment vêtu d’une chemise blanche et d’un
pantalon bleu marine à pinces, et elle se sentit soudain
peu à son avantage dans la tenue qu’elle avait portée
toute la journée. Il lisait un journal dans l’un des deux
canapés, devant le dîner posé sur une desserte, et ne fit
pas un geste à son arrivée. Ce n’est que lorsqu’elle prit
place près de lui qu’il daigna la regarder.
— Ce n’est sans doute plus très chaud, dit-il d’une voix
distante. Si tu veux, je peux commander autre chose avant
que tu partes.
« Avant que tu partes » ? Le cœur de Charlotte se serra,
mais elle s’ordonna d’être raisonnable. Il avait raison,
quel embarras si elle avait passé la nuit ici et dû traverser
l’hôtel le lendemain matin ! Tout le monde aurait su ce
qu’elle venait de faire. Non, Jake se conduisait
simplement en gentleman. Pourtant, elle frissonna en
voyant que ses yeux sombres n’exprimaient plus ni
chaleur ni tendresse «mais une froideur distante.
— Ce sera très bien comme ça, je n’ai pas très faim de
toute façon.
— Bien, mais tu dois manger quelque chose.
Il souleva les cloches des plats pour lui servir de la
viande et des légumes dans une assiette.
— Bon appétit, ajouta-t-il en souriant.
Mais ses yeux ne souriaient pas. Se sentant de plus en
plus mal à l’aise, Charlotte prit l'assiette et en fixa le
contenu, persuadée qu’une seule bouchée allait l’étouffer.
Mais elle se força à manger, tout en essayant de
comprendre le comportement plus qu’étrange de Jake. Il
était peut-être fatigué après avoir fait l’amour, se dit-elle.
Mais elle n’en était pas vraiment convaincue, car elle se
rappelait qu’il avait eu la même attitude à certains
moments, la veille, pendant le dîner.
— Tu ne parles pas beaucoup, dit-elle.
— Je suis en train de manger. répondit-il en haussant les
sourcils avant de se resservir avec appétit.
Elle avala encore quelques bouchées, mais reposa son
assiette sur la desserte. Elle n’avait vraiment pas faim.
Qu’avait-elle fait de mal pour qu’il se montre aussi
lointain ? Peut-être avait-il été déçu par sa performance
au lit ? Elle avait lu que les talents d’une femme dans ce
domaine comptaient beaucoup pour les hommes, et Jake
devait s’y connaître. Il avait dû coucher avec beaucoup de
femmes.
— Quel âge as-tu ? demanda-t-elle soudain.
Elle se mordit aussitôt la lèvre en regrettant sa curiosité,
mais au moins la question retint-elle l’attention de son
compagnon.
— Trente-huit ans. Je suis sans doute assez vieux pour
être ton père, dit-il avec une note de mépris.
Tout à coup, tout lui sembla clair : il se sentait coupable
à cause de leur différence d’âge ! Spontanément, elle se
leva pour s’asseoir près de lui. Elle posa une main sur sa
cuisse, décidée à le rassurer.
— Il aurait fallu que tu commences très jeune ! J’ai
vingt-six ans, tu sais, je ne suis plus une petite fille !
Il tourna la tête vers elle.
— Tu trouves qu’il n’y a rien de mal à ce qu’un homme
ait une maîtresse beaucoup plus jeune que lui ? demanda-
t-il avec amertume.
— Pas s’il... Pas s’il a vraiment envie d’elle et que le
sentiment est réciproque.
Elle allait dire « pas s’il l’aime », mais elle s’était corrigée
à temps. Elle n’osait pas sous-entendre que Jake pouvait
l’aimer, mais elle tenait à le convaincre que l’âge n’avait
aucune importance à ses yeux.
— Tu dis sans doute ça parce que tu as vu ton père avec
de très jeunes femmes. Mais il ne t’est jamais venu à l’idée
que certaines personnes pouvaient ne pas partager cette
opinion ?
— Non, pas vraiment. Quant à mon père, il ne
connaissait pas d’autre loi que la sienne. En fait, je n’ai
pas rencontré ses maîtresses. Sauf une. Mais je préférerais
que nous parlions de toi.
— Ah oui ?
Jake croisa les bras sur sa poitrine. En reconnaissant
qu’elle n’avait jamais rencontré les maîtresses de son
père, Charlotte venait de confirmer les dires d’Anna. Mais
en sentant la main de la jeune femme sur sa cuisse, il
sentit le désir renaître en lui.
— Pourquoi as-tu mentionné la différence d’âge ?
insista-t-elle.
— Pour rien, cara. Tu as raison, que sont douze ans entre
deux amis ?
Mais Charlotte lut dans ses yeux sombres qu’il ne disait
pas la vérité, et qu’il ne cherchait qu’à abréger cette
conversation.
Il saisit alors son menton pour déposer un bref baiser
sur ses lèvres. Elle poussa un soupir de soulagement au
contact de sa bouche et Jake en profita pour approfondir
son baiser.
— Si tu ne sors pas d’ici tout de suite, dit-il à son oreille,
je vais te prendre sur le canapé.
5.
L’idée fit naître des images érotiques dans l’esprit de
Charlotte, qui sentit son pouls s’accélérer. La chaleur se
concentra dans son ventre, et ses doigts se refermèrent
involontairement sur la cuisse musclée de Jake.
Le regard brûlant, celui-ci prit une profonde inspiration.
— Il est temps que je te raccompagne chez toi, dit-il.
Il se leva. Aveuglé par le désir, il lui avait déjà fait
l’amour sous la douche sans penser aux conséquences, et
avait failli recommencer à l’instant. Une petite voix dans
sa tête le mettait en garde contre les réactions
incontrôlables qu’il avait face à cette femme.
— Je vais t’appeler un taxi, dit-il rapidement.
Il marqua un temps d’arrêt avant d’ajouter, cette fois
plus doucement :
— Je dois travailler demain.
— Mais... demain, c’est dimanche !
Charlotte secoua la tête. Elle ne comprenait plus rien à
son attitude.
— Et alors ?
La chaleur dans son ventre se mua en une froide
sensation d’humiliation. Il essayait de la mettre poliment
à la porte. Elle se leva en évitant son regard.
— J’en ai pour une minute. Je vais chercher mes
chaussures et mon sac dans la chambre et ensuite Je te
laisse en paix.
Elle allait passer devant lui quand il lui saisit le poignet
d’une main ferme pour l’arrêter. Il lut dans ses yeux qu’il
l’avait blessée.
— La paix est une chose que je ne pourrai jamais
éprouver avec toi, cara.
Il serra les dents. La désirer était une faiblesse, il le
savait. Il avait toutes les raisons de la haïr, mais elle
produisait sur lui un effet extraordinaire. Il avait eu envie
d’elle dès qu’il l’avait vue. Et il avait toujours envie d’elle.
Seul un fou pouvait refuser ce qu’elle lui offrait en ce
moment. Il l’attira à lui.
— Tu me fais même l'effet inverse, si tu veux savoir, et
j’adore ça, poursuivit-il.
— Vraiment ? s’étonna Charlotte.
Elle ne savait plus que penser. Elle ne comprenait pas
pourquoi il soufflait ainsi le chaud et le froid.
— Si tu as besoin que je te le confirme après les
dernières heures que nous avons passées ensemble, c’est
que je n’ai pas comblé tes attentes.
Il prit alors sa bouche avec une telle sensualité qu’elle ne
put plus douter du désir qu’il éprouvait pour elle.
— C’est de la folie, souffla-t-il un instant plus tard. Mais
tu es comme une flamme qui se répand dans mes veines.
Je ne peux pas te résister.
Charlotte aurait dû se sentir flattée, nais elle lisait
quelque chose comme de la colère dans le regard de Jake,
et cela l’alarmait. Elle était amoureuse de lui, mais que
savait-elle vraiment de lui, à part qu’il était un amant
fabuleux. Ils ne se connaissaient que depuis deux jours !
— Je devrais peut-être y aller, protesta-t-elle. Il est tard.
Jake se figea, déconcerté par cette soudaine volte-face.
Pour une fois, ce n’était pas lui qui décidait.
— Tu as raison, il est plus de 1 heure du matin, dit-il en
regardant sa montre. Inutile d’attendre un taxi. Je vais te
reconduire chez toi.
Charlotte se sentit soulagée quand Jake arrêta sa voiture
devant son immeuble et qu’il se tourna vers elle en
souriant. Il n’avait pas l’air fâché, constata-t-elle.
— Merci pour cette merveilleuse journée, et pour cette
soirée. Donne-moi ton numéro et je t’appellerai demain.
Elle sortit rapidement une carte de visite et un crayon, et
nota le numéro de Dave au dos. Jake mit le carton dans sa
poche et sortit lui ouvrir la portière. Il lui tendit la main
pour l’aider et l’accompagna jusqu’en haut de l’escalier.
Puis elle introduisit sa carte dans la serrure magnétique
et les portes vitrées s’écartèrent.
— Bonsoir, mademoiselle Summerville, dit l’agent de
sécurité dans l’entrée.
Elle le salua à son tour, avant de jeter un regard en
arrière vers Jake. Elle regrettait de se séparer de lui, mais
ne savait trop comment se comporter. Avant de le
rencontrer, elle pensait que l’amour était un rêve qui
faisait voir la vie en rose, mais ce qu’elle ressentait en ce
moment était plus proche de l’incertitude et de
l’appréhension.
Jake prit alors son visage dans ses mains et effleura ses
lèvres d’un baiser.
— Bonne nuit. Je t’appellerai, dit-il avant de partir.
Son sourire et son baiser si doux laissèrent une
empreinte sur les lèvres de Charlotte, comme une
bénédiction. Quand elle arriva à son appartement, elle
s’effondra sur le lit et s’endormit aussitôt.
Charlotte bâilla et s’étira, puis gémit, ressentant des
courbatures qu’elle n’avait jamais eues auparavant. Des
images de la veille défilèrent alors dans son esprit. Elle
laissa échapper un long soupir.
Elle jeta un œil à son réveil : déjà 10 heures ! Elle avait
dormi comme un loir. Jake avait peut-être déjà
téléphoné... Elle sauta du lit et se précipita sous la douche.
Elle enfila en hâte son jean préféré et une chemise
blanche, puis attacha ses cheveux en une queue-de-
cheval. En mettant un peu de crème hydratante, elle
remarqua que ses yeux brillaient d’un éclat particulier et
que ses pommettes étaient rouges d’excitation. Cet
homme l’avait métamorphosée. Elle avait du mal à croire
qu’elle ait pu devenir la créature sensuelle dont elle
voyait le reflet dans le miroir. Le sourire aux lèvres, elle
entra dans la petite cuisine et pressa le bouton du
répondeur. Son sourire s’évanouit quand elle entendit
une voix automatique lui annoncer : « Vous n’avez pas de
message. »
Elle alluma la machine à café et se consola en se
rappelant que Jake devait travailler. Elle se rendit alors
compte qu’elle n’avait plus de lait. Même si elle n’aimait
pas le café noir, elle en but tout de même une tasse, en
raccompagnant d’une pomme, la seule chose à manger
dans son frigo. Elle avait besoin de faire des courses, mais
elle craignait de manquer l’appel de Jake si elle sortait.
Après avoir lavé sa tasse, elle retourna dans le salon.
Elle mit une dizaine de minutes à ranger ce qui traînait,
puis monta dans la chambre pour faire son lit. Pendant
deux heures, elle arpenta l’appartement, tantôt
transportée de joie, certaine qu’il allait appeler, tantôt
désespérée.
Finalement, vers midi, elle se dit qu’elle se comportait
comme une idiote. Elle saisit son sac et ses clés et sortit
acheter du lait. Le portier de l’immeuble lui indiqua
l’épicerie la plus proche, et elle se retrouva enfin dehors,
sous le doux soleil du printemps.
Si Jake téléphonait, il lui laisserait sûrement un numéro,
et elle n’aurait qu’à l’appeler à son retour.
Le magasin était bien plus loin que ce qu’elle avait cru,
et ce n’est qu’une heure plus tard qu’elle revint à
l’immeuble, la mine sombre et chargée de courses.
— Buon giorno, cara, fit une voix profonde et mélodieuse.
Te voilà enfin !
Jake attendait dans le hall. Il avança vers elle en
souriant.
Charlotte sentit les battements de son cœur s’accélérer et
elle se mit à rougir.
— Laisse-moi t’aider à porter ça, dit-il en lui prenant son
sac de provisions des mains.
Il sourit et se pencha pour l’embrasser sur la joue.
— Je suis passé pour savoir si tu voulais déjeuner avec
moi.
— Jake... Tu es venu, dit-elle en retrouvant la parole. Je
croyais que tu allais téléphoner.
Il se raidit et ses yeux s’assombrirent.
— J’espère que je ne tombe pas au mauvais moment. Tu
étais peut-être occupée.
— Non, non, pas du tout, s’empressa-t-elle de répondre.
Monte avec moi, je dois juste mettre mon lait au
réfrigérateur, et je suis à toi.
— Tu en es sûre ? S’il y a déjà quelqu’un dans ta vie, dis-
le-moi maintenant, Charlotte.
— Bien sûr que non ! Qu’est-ce qui te fait penser ça ?
— Peut-être le fait que tu habites dans l’appartement
d’un autre homme.
Soulagée, elle se mit à rire.
— Dave est juste un vieil ami !
— Alors j’espère bien qu’il le restera, et que je suis ton
seul amant en ce moment. Je n’aime pas partager, et
j’imagine que toi non plus, n’est-ce pas ?
— Non... Je veux dire, oui, bien sûr que tu es le seul !
Jake était-il jaloux ? Elle allait lui expliquer qu’il n’avait
aucune raison de l’être et lui dire que Dave était son
supérieur chez Sauveteurs sans frontières, mais elle n’en
eut pas le temps : il passa un bras autour de sa taille et
l’entraîna dans l’ascenseur.
— Bien, c’est au troisième, c’est bien ça ?
Légèrement offensée par sa brusquerie, elle lui demanda
:
— Tu ne devais pas travailler aujourd’hui ?
— Le souvenir d’une jeune femme m’a empêché de
fermer l’œil, alors j’ai travaillé toute la nuit.
— Vraiment ? C’est drôle, moi, j’ai dormi comme un
loir.
— Ensorceleuse ! s’écria-t-il en riant.
Lorsqu’ils entrèrent dans l’appartement, elle lui proposa
de se mettre à l’aise pendant qu’elle rangeait ses courses
dans la cuisine. Elle préférait s’éloigner, de peur de se
jeter tout de suite à son cou.
Pendant ce temps, Jake parcourut le duplex d’un regard
inquisiteur. L’endroit était peu spacieux Un coin salon
était aménagé avec un canapé, un tapis en laine vierge
posé sur le parquet, une télévision et une chaîne hi-fi. Un
petit escalier menait à une mezzanine qui ne contenait
qu’un lit et une porte, qui donnait vraisemblablement sur
une salle de bains. Un bureau et une étagère logés sous
l’escalier complétaient le mobilier.
Cela confirmait ses soupçons : cet endroit était une
garçonnière. Il se maudit d’être venu chercher Charlotte.
Cela ne lui ressemblait pas. Mais après une nuit blanche
passée devant son ordinateur sans pouvoir se concentrer
sur son travail, il avait cédé à la curiosité... et à sa libido.
Et il avait décidé de la revoir. Il n’aurait pas dû.
Il traversa la pièce et regarda par la fenêtre, qui donnait
sur des entrepôts. Il remarqua alors un petit cadre sur le
rebord de la fenêtre et fronça les sourcils en voyant la
photo qu’il contenait : elle représentait un homme blond,
de large carrure, avec une petite femme brune à ses côtés
et trois enfants agenouillés devant eux. Charlotte n’était
tout de même pas la maîtresse d’un homme marié ?
— C’est Dave et sa famille, expliqua la jeune femme
depuis le seuil de la cuisine.
Jake resta près de la fenêtre, ayant du mal à contenir son
dégoût. Le visage de Charlotte était rayonnant, innocent.
Elle ne paraissait ressentir aucune honte alors qu’elle
vivait dans l'appartement d’un autre homme. Un homme
marié qui plus est.
— Jolie photo, dit-il en reposant le cadre. Et
l’appartement est très confortable, mais ce n’est pas
vraiment fait pour accueillir toute une famille, n’est-ce
pas ?
— En effet, Dave possède une maison dans le Dorset, et
n’utilise cet appartement que lorsqu’il est à Londres pour
affaires.
— Pratique, dit-il en se raidissant. Pour toi, ajouta-t-il.
Sa relation avec Charlotte avait été assez loin, il aurait
dû s’en tenir à la nuit dernière. Ainsi, sa vengeance aurait
été accomplie.
Elle s’approchait de lui en souriant, ses grands yeux
clairs levés vers lui.
— Pour tout le monde. Lisa, sa femme, adorait cet
endroit. Elle disait que c’était un refuge parfait pour eux
deux quand ils en avaient assez des enfants. Au mois de
septembre, c’est Joe, l’aîné, qui va venir vivre ici pour
suivre ses études à l’université.
— Tu connais toute la famille ?
— Je les ai presque toujours connus. Ils viennent passer
leurs vacances à l’hôtel depuis près de vingt ans. C’est
une vieille photo, quand les enfants étaient petits. Ils sont
tous adolescents maintenant. Lisa était une très bonne
amie de ma mère. Quand celle-ci est morte, Dave et elle
ont été très bons pour moi, un peu comme un oncle et une
tante de substitution. Ils m’ont accueillie plusieurs fois
chez eux dans le Dorset
Soulagé, il passa son bras autour des épaules de
Charlotte et lui prit le cadre des mains pour le reposer sur
la table. Elle leva vers lui des yeux voilés de tristesse,
sûrement à cause des souvenirs qu’elle venait d’évoquer.
Elle était comme lui, seule au monde. Il fit alors ce qu’il
mourait d’envie de faire depuis qu’il l’avait revue.
Charlotte eut juste le temps de voir que le regard de Jake
s’était assombri avant qu’il ne se penche vers elle pour
prendre ses lèvres entrouvertes. Elle passa les doigts dans
ses cheveux épais, laissant échapper un petit cri quand il
embrassa le lobe de son oreille et qu’il se mit à
déboutonner la chemise qu’elle portait. Elle s’était
habillée en hâte et n’avait pas mis de soutien-gorge. Il
découvrit ses seins nus et les prît à pleine main. Tout son
corps réagit instantanément et elle émit un gémissement
de plaisir.
— Non ! s’écria soudain Jake en relevant la tête.
Il lisait le désir dans ses yeux bleus embrumés mais il
s’obligea à reboutonner sa chemise. Il la serra contre lui.
Non, elle méritait mieux qu’un bref moment de passion.
— Pas ici, cara. Je suis venu pour t’emmener déjeuner,
ne l’oublie pas.
— Je n’ai pas vraiment faim !
— Moi, si. Mon hôtel possède un très bon restaurant... Et
le service d’étage est excellent.
— Dans ce cas, je crois que je meurs de faim ! répondit-
elle en comprenant le sous-entendu.
Son sourire franc et la sensualité qui brillait si
ouvertement dans ses yeux achevèrent de le conquérir.
— Tant que nous y sommes, poursuivit-il, que dirais-tu
de faire tes bagages et de venir profiter du confort d’un
hôtel cinq étoiles — et de mes services — pour les deux
semaines à venir, plutôt que de rester dans ce petit
duplex ?
— Que j’emménage avec toi ? Mais nous nous sommes
rencontrés il y a deux jours : nous nous connaissons à
peine !
— Raison de plus ! Cela nous donnera le temps de nous
connaître.
— Je ne sais pas, murmura-t-elle.
Elle en avait envie, mais elle hésitait. Une petite voix
prudente lui rappelait que Jake ne lui promettait rien de
sérieux. Mais les sentiments qu’elle éprouvait pour lui
effacèrent bientôt toute autre considération.
— Si, tu le sais, dit-il d’une voix assurée. Il existe une
alchimie indéniable entre nous. Nous voulons tous les
deux la même chose, nous en mourons d’envie.
Il lui caressa la joue du bout des doigts, et elle pencha
instinctivement la tête pour prolonger la caresse, comme
une chatte câline.
— D’accord pour ton hôtel, répondit-elle en souriant. Je
vais prendre mes affaires.
Résistant à l’envie de la suivre dans la chambre, Jake
s’assit sur le canapé. Il se sentait mal à l’aise. Il n’avait
jamais proposé à aucune femme de passer autant de
temps avec lui. Il secoua la tête. Cela faisait deux fois
aujourd’hui qu’il agissait de façon impulsive, cela ne lui
ressemblait pas.
Dix minutes plus tard, Charlotte descendait l’escalier,
un sac de voyage sur l’épaule.
— Voilà, je suis prête !
— C’est tout ? demanda-t-il en voyant la petite taille de
son sac. Je croyais que tu étais ici pour deux semaines ?
— En effet, mais je voyage léger.
— Impressionnant !
— Pas vraiment. Il suffit de réfléchir à ce dont on a
vraiment besoin et de savoir ranger.
— Si tu le dis, dit-il en prenant son sac d’une main et en
l’entraînant dehors de l’autre.
Au moment d’entrer dans l’hôtel de Jake, Charlotte
sentit la panique la gagner. Elle regrettait que sa mère ou
Lisa ne soient plus en vie. Elle aurait aimé parler à une
femme de ce qui lui arrivait et de ce qu’elle ressentait.
Elle parcourut du regard le vaste hall et les gens qui
allaient et venaient. Les clients étaient habillés avec
élégance, et elle prit conscience de la modestie de sa
tenue. Pourquoi ne s’était-elle pas changée, ou au moins
recoiffée, au. lieu d’arborer cette queue-de-cheval qui la
faisait ressembler à une gamine ? Jake, au contraire, était
très élégant dans ses vêtements décontractés.
Il perçut sans doute sa nervosité, car il posa une main
rassurante sur son bras.
— Tu n’as pas changé d’avis ?
— Non, mais je ne ressemble à rien dans cette tenue,
comparée aux gens ici.
— Tu ne ressembles à personne car tu es la plus belle
femme ici. Mais si tu te sens mal à l’aise, il est facile d’y
remédier.
Avant qu’elle comprenne ce qu’il avait en tête, Jake
l’avait conduite à l’autre bout du hall jusqu’à une
boutique de prêt-à-porter. Il s’adressa à la vendeuse.
— Voici Mlle Summerville. Je voudrais que vous lui
trouviez tout ce dont elle a besoin.
Il sortit une carte de crédit de sa poche et la posa sur le
comptoir, avant de se tourner vers Charlotte avec un
sourire cynique.
— Le problème est réglé. Choisis ce que tu veux, mais
ne traîne pas trop, j’ai faim.
Les yeux brillants de colère, Charlotte répondit entre ses
dents.
— Mon, merci.
S’ils avaient été seuls, elle l’aurait giflé. Il ne voyait sans
doute aucun problème à dépenser son argent pour
habiller ses maîtresses, mais elle n’avait jamais connu une
telle humiliation. Furieuse, elle sortit de la boutique.
Jake passa un bras autour de sa taille.
— Je comprends que tu aies hâte de te retrouver seule
avec moi, mais c’est un peu impoli de laisser cette
charmante vendeuse en plan, dit-il d’un air amusé en
l’entraînant dans l’ascenseur.
Dès que les portes se refermèrent, Charlotte s’écarta de
lui
— Je suis partie parce que je ne me suis jamais sentie
aussi gênée de ma vie ! s’exclama-t-elle. Je suis tout à fait
capable de m’acheter mes propres vêtements et de payer
mes factures tonte seule.
— Payer ? Oublie ! Tu es mon invitée. Mais, cara,
pourquoi t’es-tu sentie gênée ? Une femme attend de
l’homme qui partage son lit qu’il lui offre des cadeaux et
paie les factures. Il n’y a pas de quoi être honteuse.
Elle n’en croyait pas ses oreilles.
— Tu as dû coucher avec des femmes abominables pour
croire ces âneries !
Jake sembla si offensé qu’elle faillit éclater de rire.
— Aucune n’avait ton franc-parler, en tout cas,
rétorqua-t-il. Et je sens que tu ne vas pas tarder à me dire
que tu n’as jamais passé de vacances ni vécu avec un
homme en lui laissant payer les additions !
Charlotte ouvrit la bouche, prête à hurler, mais elle
s’arrêta. C’était en partie de sa faute s’il pensait cela
d’elle. Elle avait essayé de paraître beaucoup plus
sophistiquée qu’elle ne l’était en vérité.
Elle l’observa à la dérobée. Ses traits étaient impassibles,
mais elle pouvait sentir la passion sous cette surface lisse.
Elle n’aspirait qu’à être dans ses bras et dans son lit, et
elle savait que, pour que leur relation ait une chance de
durer plus de deux semaines, elle devait se baser sur la
confiance et l’honnêteté.
Des sentiments en lesquels Jake ne semblait pas
vraiment croire...
— Non, en effet, ça ne m’est jamais arrivé.
Elle fut surprise de l’entendre jurer en italien entre ses
dents.
Il s’approcha d’elle juste au moment où les portes
s’ouvraient et il l’entraîna dans le couloir avec une hâte
presque indécente.
Ils entrèrent dans la suite et il se tourna vers elle.
— Tu es incroyable. Tu ne cesses jamais de me
surprendre, dit-il en capturant sa bouche dans un baiser
passionné.
Il l’emprisonna dans ses bras et la pressa contre lui. Elle
sentait i les battements sourds de son cœur, son corps qui
se durcissait et cherchait à fusionner avec le sien. Elle
tremblait sous les baisers qu’il déposait sur ses tempes et
dans son cou.
— Dio, j’ai envie de toi, murmura-t-il à son oreille avant
de la soulever dans ses bras pour la porter jusqu’à la
chambre.
Ils passèrent le reste du dimanche au lit, et toute la nuit
suivante. Quand Charlotte vit arriver le lundi matin, elle
se sentit devenue une autre femme. Il n’existait pas
d’amant plus ardent que Jake, elle en était certaine II lui
avait tant appris sur le plaisir...
Elle s’étira langoureusement et le regarda. Il s’était levé
dix minutes plus tôt pour prendre une douche et
regagnait à présent la chambre avec une serviette autour
de la taille. Il avait un corps magnifique et, après la nuit
qu’ils venaient de passer, elle n’avait plus honte de le
regarder.
Charlotte le suivait des yeux tandis qu’il sortait un
costume gris et une chemise blanche du dressing.
— Tu vas quelque part ? demanda-t-elle en se redressant
sur un coude.
Jake se retourna, une paire de chaussettes noires dans la
main, et vint s’asseoir sur le lit.
— J’ai une réunion ce matin. Je t’avais prévenue, cara, je
suis ici pour affaires.
Il sourit en voyant sa moue et passa la main dans ses
cheveux.
— Non, je ne vais pas t’embrasser, sinon je n’arriverai
jamais à mon rendez-vous ! Après ces dernières dix-huit
heures, tu as peut-être besoin de te reposer, à moins que
tu ne préfères faire un peu de tourisme. Mais je veux que
tu sois rentrée pour 18 heures. Je t’attendrai.
Il déposa un baiser sur le bout de son nez, et acheva de
se préparer.
— Tu es bien silencieuse, Charlotte.
— J’étais en train de me demander si je ne devrais pas
défaire mon sac dans l’autre chambre, le taquina-t-elle.
— Hum... J’ai peut-être un peu menti à ce propos,
répondit-il avec une lueur d’amusement dans les yeux. La
deuxième chambre a été transformée en bureau pour la
durée de mon séjour, alors à moins que tu ne veuilles
dormir sur la table... Mais il est vrai qu’une table peut
avoir plusieurs utilisations...
Charlotte saisit un oreiller et le lui lança.
— Honte à toi ! cria-t-elle avant d’éclater de rire.
— J’aurai ma revanche plus tard, dit-il en posant
l’oreiller au pied du lit. Tu peux déjà trembler de peur !
ajouta-t-il avec un sourire dévastateur.
Il traversa alors la pièce et lui fit un signe de la main.
— Ciao, cara !
Charlotte ne fit pas de tourisme ce jour-là. Elle préféra
faire les boutiques et dépensa en un après-midi ce qu’elle
dépensait d’habitude en un an, juste pour être belle aux
yeux de Jake.
Quand elle rentra peu après 18 heures, Jake l’attendait.
— Typiquement féminin : ne pas résister à l’envie de
faire du shopping et arriver en retard ! se moqua-t-il.
— Oui, mais je suis allée dans des magasins normaux, et
non pas dans la boutique hors de prix de l’hôtel. Et c’est
moi qui ai payé !
Sans prévenir, il la saisit de ses deux mains puissantes et
l’attira à lui pour la couvrir de baisers fous. Les sacs
tombèrent épars sur le sol quand Charlotte enroula ses
bras autour de son cou.
Quelques heures plus tard, ils appelèrent le service
d’étage pour dîner.
Et cela continua ainsi pendant les jours qui suivirent. A
cause de ses affaires, Jake ne pouvait pas accompagner
Charlotte dans ses promenades dans Londres, mais cela
ne la dérangeait pas : elle savait qu’elle le verrait le soir.
Leurs nuits dans l’intimité de la suite étaient ce qu’elle
préférait. Il suffisait qu’il pose son regard sur elle pour
qu’elle sente instantanément son corps brûler de désir.
6.
Le vendredi suivant s'annonçait comme une magnifique
journée de printemps. Encore en peignoir, Charlotte se
demandait si elle pourrait convaincre Jake de passer cette
journée avec elle. Elle le regarda, de l’autre côté de la
table, dans son élégant costume noir, et se dit qu’elle
pourrait le regarder sa vie durant.
— TU bois trop de café, dit-elle en le voyant remplir sa
tasse pour la troisième fois. Et tu travailles trop. Si tu n’es
pas à un rendez-vous, tu es au téléphone ou sur ton
ordinateur. Tu as besoin de te détendre un peu. Tu ne
veux pas passer la journée avec moi ?
— Si je me détends encore avec toi, cara, je risque de
faire une crise cardiaque, dit-il d’un ton moqueur en
laissant errer son regard sur l’échancrure de son peignoir.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire, protesta-t-elle en
rougissant. Je vais visiter les serres de Kew Gardens pour
errer parmi les plantes tropicales et imaginer que je suis
sur une île déserte.
— Je te vois déjà, vêtue d’une simple jupe en raphia sur
une île paradisiaque... Nous ferons ça en vrai quand j’en
aurai le temps. Mais malheureusement, je ne peux pas
t’accompagner aujourd’hui. J’ai une grosse société à
diriger et plusieurs milliers de personnes dépendent de
mon travail.
— C’est très louable, dit-elle en se réjouissant
intérieurement qu’il ait parlé d’eux au futur. Mais tu
devrais te souvenir du vieil adage : « Il faut travailler
pour vivre et non vivre pour travailler. »
Son sourire s’effaça en voyant que les traits de Jake
s’étaient assombris.
— Je plaisantais, dit-elle timidement.
Mais Jake n’avait pas envie de rire, car il savait qu’elle
avait en partie raison. Il remarqua l'inquiétude: dans ses
yeux, et il s’en voulut.
— Je sais bien, cara, la rassura-t-il
Elle l’avait étonné pendant cette semaine. Il pouvait
compter sur les doigts de la main les femmes avec qui il
avait passé plus d’un week-end. Il préférait en général
inviter sa conquête du moment à dîner, puis lui faire
l’amour avant de rentrer dormir seul chez lui.
Charlotte était une exception, sans doute parce qu’elle
n’exigeait jamais rien. Et elle ne ressemblait en rien à la
garce avide et égoïste qu’il avait imaginée. Il n’avait pas
dépensé un sou pour elle, et il réalisa avec remords qu’il
ne l’avait emmenée nulle part de toute la semaine.
— Avant de te rencontrer, expliqua-.-il, je venais de
passer trois mois enfermé chez moi en Italie, parce que
mes parents adoptifs avaient des ennuis de santé et qu'ils
avaient besoin de moi. Ce voyage à Londres est le
premier d’une longue série de visites que je dois effectuer
pour rattraper le retard que j’ai pris. Dans les mois à
venir, je dois me rende aux Etats-Unis et en Amérique
latine, c’est pour ça que j’ai l'air très préoccupé par mon
travail en ce moment. Mais tout cela va changer.
Souriant, il se leva, vint près de sa chaise et prit son
menton dans sa main.
— Sois de retour de ton aventure dans la jungle de
bonne heure. Nous avons des billets de théâtre pour ce
soir et le rideau se lève à 19 h 30.
Il mentait : il n’avait pas encore les billets. Mais il en
trouverait.
— Quant à demain, je me mets à ta disposition. Tu
pourras m’emmener où tu voudras. Je dois juste visiter
une propriété dans la matinée. Peut-être pourrions-nous y
aller ensemble, d’ailleurs.
Charlotte lui sourit, radieuse. C’était la première fois
que Jake évoquait ses difficultés familiales et
professionnelles devant elle, et elle en était heureuse.
C’était le signe qu’il commençait à lui faire confiance.
Il était presque 19 heures et Charlotte était en retard.
Sortant précipitamment de l’ascenseur, elle ouvrit la porte
de la suite et s’arrêta net en voyant Jake debout au milieu
de la pièce, impeccable dans son smoking, mais furieux.
— Où diable étais-tu passée ? Nous devons être au
théâtre dans trente minutes.
— Je sais, je sais, gémit-elle. Mais le métro avait du
retard et je me suis retrouvée coincée à l’heure de pointe.
— Tu as pris le métro ? Tu es folle ?
— Pas trop, j’espère ! Ne t’inquiète pas, je serai prête
dans un quart d’heure.
— Le métro est dangereux pour une femme seule, dit-il
en la retenant par le bras. Es-tu inconsciente ?
— Je l’ai pris toute la semaine, et personne ne m’a sauté
dessus.
— Comment... toute la semaine ! répéta-t-il,
apparemment au comble de la colère. Tu ne prendras
plus le métro, Charlotte. Tu auras une voiture et un
chauffeur à ta disposition désormais. Ce sera beaucoup
plus pratique et, quoi que tu en dises, il n’est pas question
que je te laisse courir le moindre danger.
— Oh, je ne savais pas que tu tenais autant à moi, dit-
elle avec un grand sourire.
— Je tiens à la sécurité de toutes les personnes qui sont
sous ma responsabilité, dit-il en lâchant son bras.
Dépêche-toi de t’habiller. Nous allons être en retard.
Fouillant dans son sac à dos, elle sortit une petite boîte.
— Tiens, c’est pour toi. Je l’ai trouvé à Kew Gardens.
Quand je l’ai vu, j’ai pensé à toi.
Elle lui mit le paquet dans les mains et fila dans la
chambre.
Décontenancé, Jake regarda la boîte comme si elle allait
lui exploser dans les mains. Puis, lentement, il l’ouvrit. Il
en sortit un globe de verre et fut ébloui par la beauté de la
délicate fleur exotique qu’il contenait. Il ne se souvenait
pas qu’on lui ait déjà offert un cadeau sans raison
apparente, surtout un cadeau aussi délicieux, et il en fut
profondément ému.
Après une douche rapide, Charlotte se précipita dans la
chambre. Elle enfila une culotte de dentelle blanche et
sortit du dressing la robe qu’elle avait achetée lundi. Elle
l’avait adorée dans le magasin, avec son bustier rose pâle
et sa jupe courte et droite, mais à présent, elle avait peur
qu’elle soit un peu trop osée. Elle se demanda si Jake
l’aimerait... Et avait-il apprécié soi cadeau ?
C’était une orchidée noire emprisonnée dans un bloc de
verre qui pouvait servir de presse-papier. La fleur
possédait la même beauté sombre que Jake, et son cœur
était enfoui sous une épaisse protection, comme lui.
Elle se leva et mit un peigne dans ses cheveux. Elle
n’avait pas le temps de mieux se coiffer. Elle saisit son
étole et son sac et sortit de la chambre.
Jake était toujours au milieu de la pièce, tenant le presse-
papier dans ses mains. Il se tourna vers elle et elle vit que
ses yeux brillaient.
— Ça te plaît, devina-t-elle en souriant.
Il plaça le presse-papier sur la table et avança vers elle.
— Merci pour ce cadeau, Charlotte. Je le garderai
toujours avec moi.
Avec douceur, il l’attira à lui et pencha la tête. Ce baiser,
incroyablement tendre, ne ressembla à aucun autre. Mais
quand Charlotte posa une main sur la nuque de Jake,
celui-ci releva la tête avec un soupir.
— J’ai promis de t’emmener au théâtre, nous allons être
en retard.
Il prit son étole et la déposa sur ses épaules.
— Tu es belle à couper le souffle, dit-il avec une étincelle
d’amusement et de désir dans les yeux. Mais c’est une
robe dangereuse. Je ne vais pas pouvoir te quitter des
yeux.
Ils arrivèrent trop tard pour voir le premier acte, mais ils
furent autorisés à gagner leurs places pour le deuxième.
Au second entracte, Jake lui offrit une coupe de
champagne et lui demanda ce qu’elle pensait de la pièce.
— Franchement ? répondit-elle. Cela n’aurait fait aucune
différence si nous avions vu le début. La pièce est
incompréhensible. Quant à ce pauvre petit garçon qui ne
cesse d’apparaître dans cette espèce de pagne qui
ressemble plutôt à une couche... Mais à quoi pensait sa
mère en le faisant monter sur scène ? Il pourrait être
traumatisé à vie.
Jake éclata de rire.
— Eh bien, c’est franc et direct ! Je n’aurais pas pu mieux
résumer. Sortons d’ici et allons manger quelque part.
Le lendemain, Charlotte se leva avant Jake. Elle prit une
douche et choisit soigneusement ses vêtements parmi ses
derniers achats : un pantalon en lin naturel, un débardeur
cintré dans la même matière et une veste décontractée
qu’elle ne mit pas tout de suite. Elle commanda leurs
petits déjeuners à la réception et fit rouler la desserte
jusque dans la chambre quand le garçon d’étage
l’apporta.
Jake était étendu en travers du lit, le drap remontant à
peine sur ses hanches. Avec ses cheveux ébouriffés et sa
barbe naissante qui ombrait ses joues, il ressemblât à un
pirate. Il ne lui manquait qu’un anneau d’or à l’oreille,
songea Charlotte.
— Vas-tu enfin me donner mon café ? demanda-t-il, la
faisant presque sursauter.
— Oh, tu es réveillé ! Je me suis dit que ta aimerais
prendre ton petit déjeuner au lit, dit-elle en s’approchant.
Il s’appuya sur un coude et la couvrit d’un regard
sensuel.
— A condition que tu te joignes à moi...
— Pas question ! Malgré mon amour pour toi, je te
rappelle que tu m’as promis de passer la journée dehors
avec moi.
Les yeux de Jake s’assombrirent et Charlotte se rendit
alors compte de ce qu’elle venait de dire. Mais elle
refusait d’en éprouver de la gêne. C’était la vérité et il
pouvait l’accepter, feindre de l’ignorer ou lui dire de s’en
aller. Elle en avait assez d’essayer de jouer son jeu et ne
voulait plus cacher ce qu’elle ressentait.
— Alors verse-moi un café, dit-il enfin, et je serai prêt en
un rien de temps.
Manifestement, il avait choisi d’ignorer sa déclaration
d’amour. Au moins ne lui avait-il pas demandé de s’en
aller, se consola-t-elle. Elle lui tendit une tasse de café et
sortit de la pièce.
Deux heures plus tard, Charlotte se trouvait sur la
terrasse d’un appartement situé au sommet d'un
immeuble, au bord de la Tamise. Elle regardait autour
d’elle, absorbée par la vue magnifique qui s’étalait devant
elle. Elle aimait la campagne, mais elle aurait adoré
habiter ici... Ce qui ne risquait pas de lui arriver, songea-t-
elle en se moquant d’elle-même. Elle s’approcha de Jake
qui était penché sur une table pour étudier un plan.
— Tu vas vraiment acheter cet appartement ?
— A vrai dire, je pensais même acheter tout l’immeuble.
C’est un excellent investissement à long terme. Mais il se
trouve que cet appartement est libre. Il pourrait être utile
d’avoir un pied-à-terre à Londres. Qu’en penses-tu ?
— J’adore cet endroit, répondit-elle, flattée qu’il la
consulte. Mais mon avis n’est pas celui d’un expert.
— J’ai besoin de l’avis d’une femme, dit-il en passant un
bras autour de sa taille. Par exemple, où préférerais-tu
vivre avec un homme ? Ici ou à l’hôtel ?
— Si j’étais avec l’homme que j’aime, cela n’aurait pas
d’importance, répondit-elle avec sincérité.
Ils restèrent un long moment à se regarder dans les
yeux, jusqu’à ce que Jake se détourne.
— C’est une réponse très romantique, dit-il froidement.
Tu ne dois pas savoir grand-chose des femmes pour
imaginer des choses pareilles. Crois-moi, la plupart
s’enfuient en courant si leur partenaire ne leur fournit pas
le confort qu’elles exigent.
— Il ne faut pas généraliser.
— Explique ça à mon ancienne fiancée. Elle s’est
évaporée dès qu’elle a su que je n’étais pas aussi riche
qu’elle le croyait.
— Tu as dû beaucoup souffrir.
— Non. Son départ ne m’a pas fait souffrir. Mais
comment se fait-il que je te raconte autant de choses sans
le vouloir ? demanda-t-il en l’attirant à lui.
— Ce doit être mon charme fatal, répondit-elle en le
défiant du regard.
— Tu dois avoir raison, dit-il en se penchant vers elle.
Involontairement, elle avait déjà entrouvert les lèvres,
mais il lui chuchota à l’oreille :
— Tu pourras me le prouver plus tard. En réalité, j’ai
déjà acheté cet appartement hier. Viens, Le reste de la
journée est à toi.
Ils visitèrent le zoo de Londres. Tandis qu’ils marchaient
bras dessus bras dessous, Charlotte avait l’impression
qu’ils formaient un vrai couple.
Ils rirent comme des enfants devant les singes, elle
frissonna dans ses bras devant les serpents. Et quand elle
s’attendrit devant un petit panda en peluche, dans la
boutique du zoo, Jake le lui offrit.
Plus tard, ils dînèrent de fish and chip à la terrasse d’un
pub au bord de la Tamise. Jake lui expliqua qu’il était
convaincu que ce plat populaire ne contenait pas
vraiment de poisson, et ils se disputèrent en riant sur les
mérites respectifs des cuisines italienne et anglaise en
rentrant à l'hôtel. Une fois de retour dans leur suite,
Charlotte finit par lever les mains au ciel en admettant la
supériorité de la gastronomie italienne. Jake en profita
pour lui enlever son débardeur...
Le vendredi de leur deuxième semaine ensemble
commençait.
— Parfois, j’ai besoin de me pincer jour m’assurer que je
ne rêve pas, dit Charlotte.
Jake rit paresseusement, et lui conseilla de le toucher
pour être sûre qu’il était bien réel, ce qu’elle fit avec
délectation.
— Tu es la sensualité incarnée, murmura-t-il avant de
lui faire l’amour avec passion, l’entraînant une nouvelle
fois jusqu’aux sommets du plaisir.
Épuisés, ils restèrent ensuite étendus sur le lit,
immobiles.
— Maintenant je sais pourquoi je t’aime, dit-elle hors
d’haleine. Et je suis bien convaincue que tu es réel.
Elle caressa le torse moite de Jake, sentant les battements
rapides de son cœur sous sa paume. Il se mit à rire
comme si cette caresse le chatouillait.
— Tu trouves ça amusant ? demanda-t-elle d’un ton
taquin.
Mais la sonnerie du téléphone empêcha Jake de
répondre.
Il décrocha et parla en italien, d’une voix tendue. A la
fin de la conversation, il sortit du lit.
— C’était mon bureau en Italie. Je dois partir tout de
suite. Et sans autre explication, il partit s’enfermer dans la
salle de bains, la laissant désemparée. Il partait... Cela
devait arriver, elle le savait, mais elle avait jusqu’à
présent repoussé cette idée. A présent, elle était bien
obligée d’affronter la réalité. Qu’avait-elle espéré ? Il
dirigeait une immense société, et elle-même était de toute
façon attendue dimanche dans le Lake District pour
prendre la relève de son gérant.
Que Jake doive partir un jour plus tôt que prévu n’était
pas dramatique. Elle le reverrait.
Il revint dans la chambre et s’habilla rapidement.
Charlotte le regardait toujours dans ces moments-là, mais
aujourd’hui, elle ne pouvait pas. Elle avait trop peur de
laisser voir sa détresse. Elle sortit donc du lit, prit un
pantalon bleu marine, un pull à côtes et des sous-
vêtements, et se réfugia dans la salle de bains.
Sous la douche, elle s’efforça de se reprendre. Si les deux
semaines qui venaient de s’écouler prouvaient bien
quelque chose, c’était qu’ils s’entendaient à merveille. Elle
l’aimait et elle pressentait qu’il tenait à elle. Ils avaient
tous les deux des métiers exigeants et il était naturel qu’ils
soient séparés de temps en temps.
Quand elle revint dans le salon, elle se répéta qu’il ne
fallait pas qu’elle s’inquiète. Jake avait déjà faits ses
bagages et était en train de feuilleter des documents, l’air
très concentré. Dans son costume sombre à rayures, il
avait l’air d’un homme d’affaires implacable. Mais elle
connaissait l’antre Jake, l’amant tendre et passionné... Elle
retint un sanglot à l'idée qu’il était sur le point de partir.
Elle dut émettre un son, car il leva la tête.
— Je suis désolé de partir si vite, mais; on a besoin de
moi en Italie.
— Je comprends, c’est juste dommage que cela tombe
sur notre dernier jour ensemble, dit-elle d’une voix
tremblante.
Jake se leva et lui posa un doigt sur la bouche.
— Nous aurons d’autres moments, Charlotte. Je
t’appellerai ce soir. Reste ici et profite de ton dernier jour.
— Non, je ne serais pas à l’aise ici sans toi. Je vais
rentrer.
— Comme tu voudras, répondit-il d’un ton bourru.
D’habitude, il avait des relations brèves qui se
terminaient avec le sourire, d’autant plus qu’il savait ses
montrer généreux dans ce genre d’occasion. Mais avec
Charlot te, c’était différent. Il ne pouvait pas la quitter
comme ça. Il fit donc quelque chose qu’il ne faisait jamais
: il écrivit un numéro au dos d’une carte de visite.
— Voici mon numéro à Gênes. En cas de besoin,
appelle-moi. Maintenant, il faut vraiment que j’y aille, le
jet m’attend.
Charlotte le regarda fermer son attaché-case, clignant
des yeux pour chasser ses larmes.
— Déjà ? demanda-t-elle d’une petite voix.
— Hélas, oui.
Un groom arriva pour prendre ses bagages. Jake effleura
ses lèvres tremblantes d’un baiser rapide et sortit.
Le Dr Jones s’était toujours occupé de Charlotte. Il dînait
régulièrement au restaurant de l’hôtel, et elle partageait
souvent son repas avec lui. Il était autant son ami que son
médecin. Mais elle le regardait en ce moment d’un air
horrifié.
— Vous êtes sûr ? demanda-t-elle pour la troisième fois.
— Oui, ma petite Charlotte. D’après la date que tu m’as
indiquée, tu es enceinte de presque sept semaines.
— Mais nous avons pourtant utilisé des protections,
murmura-t-elle en secouant la tête.
— Manifestement, pas suffisamment. Mais ce n’est pas
la fin du monde, Charlotte. Je suis sûr que tu vas avoir un
beau bébé en bonne santé. Tu n’as aucune raison de
t’inquiéter. Rentre chez toi et annonce la nouvelle à
l’heureux papa !
Plus facile à dire qu’à faire, songeait Charlotte trois jours
plus tard, en regardant une pile de factures sur son
bureau.
— Alors, on rêvasse ? la taquina Jeff, le gérant.
— Je ne rêvais pas, répondit-elle sèchement. J’essaie de
travailler.
— Si tu le dis, répondit-il avec gentillesse. Tu devrais le
dire au père. Il a le droit de savoir. Cela ne te ressemble
pas de fuir tes responsabilités.
Jeff fronça les sourcils. Il connaissait Charlotte depuis
qu’elle avait douze ans. A cette époque, il avait été
embauché par son grand-père pour gérer l’hôtel. Elle était
une enfant intelligente, très éveillée, que tout le monde
adorait. Il n’aimait pas la voir aussi déprimée.
— J’aimerais bien savoir comment tout le monde dans
cet hôtel semble savoir que je suis enceinte !
— Peut-être parce que tu es rentrée de vacances
rayonnante comme une femme amoureuse, que tu as
mentionné le nom de Jake d’Amato à de nombreuses
reprises, et que tu t’es acheté L'italien pour les débutants...
Et bien sûr, comme tu as des nausées, nous nous sommes
doutés de quelque chose. Mais ne te mets pas martel en
tête pour ça. Les gens ici tiennent à toi. Elle soupira.
— Que vais-je faire ?«
— Je te l’ai dit : téléphone à cet homme, maintenant. Je
dois aller remplacer Amy à la réception par ce qu’elle a
un rendez-vous chez l’ophtalmo. A tout à l’heure !
Charlotte se mordit la lèvre. Le problème était qu’elle
avait déjà téléphoné trois fois à Jake depuis que le docteur
avait confirmé sa grossesse. Elle avait espéré pouvoir lui
laisser un message, mais elle n’avait pu parler qu’aune
dénommée Marta, dont l’anglais était aussi mauvais que
son propre italien.
Cinq semaines s’étaient écoulées depuis qu’ils s’étaient
quittés. Le lendemain de leur séparation, Jake avait
téléphoné pour s’assurer qu’elle était bien rentrée. Puis il
avait appelé pour lui annoncer qu’il partait en Amérique
qu’il la contacterait à son retour. Depuis, aucune nouvelle
de lai. Devant ce manque d’attention, elle avait cessé
d’espérer qu'il puisse partager ses sentiments...
Et la veille, en feuilletant un magazine qu’un client avait
oublié dans une chambre, elle était tombée sur un article
consacré à un prestigieux dîner de charité à New York,
avec une photo de Jake... en compagnie d’une sublime
jeune femme brune. La légende disait que Jake d’Amato
était accompagné de Melissa — une « amie » de longue
dite —, un mannequin plus connue pour ses frasques
amoureuses que pour sa carrière professionnelle.
Depuis, Charlotte avait renoncé à téléphoner. Il fallait
qu’elle regarde les choses en face : il l’avait bien eue. Elle
était tombée amoureuse, alors que pour Jake il ne
s’agissait que d’une aventure passagère.
Elle refoula les larmes qui mouillaient ses yeux. Elle ne
voulait pas pleurer, elle l’avait suffisamment fait ces
dernières semaines. Elle aurait dû se douter qu’un
homme comme lui ne pouvait pas être longtemps attiré
par une jeune fille aussi naïve et inexpérimentée qu’elle.
Elle se souvenait de son attitude distante le jour de son
départ. Il l’avait à peine embrassée pour lui dire au
revoir. En fait, il était même étonnant qu’il ait pris la
peine de lui téléphoner !
Diriger un hôtel, escalader une paroi rocheuse,
rechercher des disparus, tout cela, elle savait le faire...
Mais elle réalisait avec douleur qu’elle ne savait rien des
rapports entre les hommes et les femmes. En revanche,
elle avait appris que l’amour pouvait vous emmener au
paradis ou en enfer.
Elle décida qu’elle s’était assez lamentée sur son sort.
Sur une impulsion, elle saisit le téléphone et composa le
numéro qu’elle connaissait par cœur. Elle entendit le «
Pronto » désormais familier de Marta, et déversa un flot
de paroles. Peu importe si cette femme ne comprenait
qu’un mot sur dix, elle avait besoin de se libérer.
— Dites à votre patron que je suis enceinte et qu’il va
être papa. Charlotte incinta, Jake papà — capito ?
Après quoi elle raccrocha violemment. Voilà, c’était fait.
Elle se sentait beaucoup mieux. Elle pourrait dire à tout le
monde que oui, elle avait prévenu le père, et on la
laisserait tranquille avec ça !
— Je peux remplacer Amy si tu veux, Jeff, proposa-t-elle
en arrivant devant le comptoir de la réception.
Le gérant se tourna vers elle.
— Non, merci, ça ira. Pourquoi ne prends-tu pas ta
journée ? Tu restes enfermée depuis des semaines. Dave
et ses enfants vont justement faire de la voile et le chef est
en train de leur préparer un pique-nique. Je vais lui dire
d’ajouter quelques sandwichs pour toi et tu pourras partir
avec eux. Ça te fera le plus grand bien.
— Tu as sans doute raison, Jeff. Comme d’habitude,
admit-elle.
À cet instant, Dave sortit de la salle à manger avec ses
trois enfants, Joe, James et Mary, qui avaient entre douze
et dix-huit ans.
— Si tu pouvais m’aider à encadreras trois jeunes gens
pour la journée, Charlotte, je t’en serais éternellement
reconnaissant, dit leur père en souriant
Faire du bateau avec des amis valait mieux que de rester
à broyer du noir et à tourner en rond une journée de plus,
se dit-elle.
— Bien, c’est d’accord ! Je vais me changer et je vous
retrouve sur l’embarcadère dans vingt minutes.
— Allez viens, Charlotte, l’eau est banne ! D’habitude,
tu es toujours la première à te baigner !
Étendue en Bikini à l’avant du bateau, elle se sentait
étonnamment bien.
— Non, j’ai beaucoup trop mangé, répondit-elle en
souriant. Peut-être tout à l’heure.
Ils avaient rejoint l’autre rive du lac et avaient jeté
l’ancre devant une de leurs criques préférées pour pique-
niquer.
— Très raisonnable de ta part, dit Dave. Tu dois faire
attention dans ton état.
— Oh non ! Toi aussi, tu es au courant ? Tu n’es arrivé
qu’hier !
— Et oui... Jeff me l’a dit en buvant une bière avec moi
hier soir. Il pensait que je devais le savoir en tant que chef
d’équipe. Et surtout en tant qu’ami, Charlotte. Tu te
doutes qu’il n’est plus question que tu participes aux
interventions de Sauveteurs sans frontières. Je te connais
depuis presque vingt ans, et tu es comme une fille pour
moi. Je sais que Lisa dirait la même chose si elle était
encore là.
Le ton sérieux et attentif de Dave lui fit monter les
larmes aux yeux.
— Je ne peux pas m’empêcher de me sentir responsable
de cette situation, continua-t-il. Si je ne t’avais pas
encouragée à rester à Londres pour te changer les idées et
si je ne t’avais pas prêté le studio, tu n’aurais peut-être
pas rencontré cet homme. Mais ce qui compte, c’est : est-
ce que vous vous aimez ?
Inutile de nier la vérité, Dave la connaissait trop bien
pour ça.
— J’aime Jake, mais je ne crois pas qu’il m’aime.
— Selon Jeff, cet homme est un milliardaire qui vit à
l’étranger. Mais tu es toujours en contact avec lui, n’est-ce
pas ? Qu’il t’aime ou non, tu dois lui dire que tu es
enceinte. C’est normal que tu aies des doutes, mais tu
pourrais être agréablement surprise. Crois-moi, n’importe
quel homme serait ravi d’avoir une femme comme toi
pour mère de ses enfants.
A ce moment-là, les trois adolescents remontèrent sur le
pont, les empêchant de poursuivre la conversation, au
grand soulagement de Charlotte.
Il était presque 18 heures quand ils amarrèrent le bateau
à quai.
— Le premier arrivé à l’hôtel ! s’écrièrent les enfants.
— Ah, si j’avais trente ans de moins, dit Dave en les
regardant courir.
Charlotte lui sourit et se mit à courir à leur suite. La
journée de bateau lui avait fait du bien, mais elle se
sentait fatiguée, et elle dut finalement s’arrêter pour
retrouver son souffle. Elle leva les yeux vers l’hôtel, avec
le bois en toile de fonds. Contemplant les murs de pierres
grises qui brillaient sous le soleil du soir, et le parc qui
descendait jusqu’au lac, elle se dit que cet endroit n’avait
jamais été aussi beau.
— Quoi qu’il nous arrive dans la vie, dit-elle en portant
la main à son ventre, toi et moi aurons toujours un foyer
ici.
Cette journée lui avait éclairci les idées. Elle aimait Jake
et elle aimait déjà leur bébé. Mais elle savait aussi que
rien n’était garanti dans la vie. Malgré cela, elle avait la
certitude de posséder la force et la volonté d’offrir une
belle vie à son enfant. Désormais, elle s’occuperait avant
tout de lui.
— L’âge te rattrape, toi aussi ? demanda Dave en
arrivant à sa hauteur. Viens, dit-il en passant un bras
autour de sa taille, je vais t’aider dans la montée.
— Ça ne devrait pas plutôt être le contraire ? demanda-
t-elle en riant.
L’hôtel Lakeview était un beau bâtiment ancien, situé
dans un décor magnifique, et ne ressemblait en rien à. ce
que Jake avait imaginé. L’hôtel devait dater de plus de
cent ans et possédait une élégante terrasse. L’intérieur
était de style victorien avec des fenêtres à meneaux et des
lambris acajou patinés par les années. L’endroit semblait
n’avoir guère changé depuis sa construction. Jetant un œil
au tableau des clés derrière le réceptionniste, Jake vit qu’il
n’y avait que vingt chambres. Cela ne devait pas
permettre de faire beaucoup de bénéfice, calcula-t-il. « Pas
étonnant que Charlotte insiste pour me contacter », se dit-
il avec cynisme.
Pendant les deux semaines qu’ils avaient passées
ensemble, il avait commencé à croire qu’elle n’était pas
aussi intéressée qu’il l’avait d’abord cru. Mais
maintenant, il savait qu’elle était redoutablement
intelligente, car elle avait trouvé le moyen de toucher le
gros lot, le confort à vie. Il pianota avec impatience sur le
comptoir. Où diable était donc passé le réceptionniste ?
Un grand homme maigre apparut.
— Puis-je vous aider, monsieur ?
— Oui, je veux voir la propriétaire, Charlotte
Summerville, dit-il d’un ton agacé, peu habitué à devoir
attendre.
— Quel est votre nom, monsieur ?
— Jake d’Amato. Elle sait qui je suis.
— Je suis le gérant, peut-être puis-je faire quelque
chose?
Jake le regarda et perçut une lueur d’amusement dans
ses yeux.
— Non, bon sang, vous ne pouvez pas. Je veux voir
Charlotte, répéta-t-il, furieux. Dites-lui que je suis ici !
— Je crains que cela soit impossible, monsieur, car elle
est partie faire de la voile pour la journée. Elle devrait
rentrer vers 18 heures. Si vous souhaitez l’attendre, je vais
demander que l’on vous apporte une tasse de thé.
Jetant un œil à sa montre, Jake comprit qu’il devrait
encore patienter une heure. Inutile de s’énerver, ce n’était
pas après cet homme qu’il en avait.
Il s’assit donc dans le salon et une serveuse au visage
impassible lui apporta un thé qu’il but malgré son dégoût
pour ce breuvage. Il avait l’impression que tous les
employés lui jetaient en passant des regards froids,
presque hostiles. Il en avait assez. Jetant sur la table le
journal qu’il essayait de lire, il se leva et sortit sur la
terrasse.
Trois adolescents couraient vers l’hôtel, riant et criant à
tue-tête. Mais où Charlotte pouvait-elle bien être ? se
demanda-t-il en parcourant le parc du regard.
C’est alors qu’il l’aperçut.
Vêtue d’un short blanc très court et d’un petit
débardeur, elle était incroyablement belle avec ses longs
cheveux blonds aux reflets dorés sous le soleil. Il admira
la grâce de ses longues jambes tandis qu’elle courait vers
lui. Il sourit avec satisfaction : elle était toujours folle de
lui. Et il oublia sa colère. Cela faisait cinq semaines qu’il
ne l’avait pas vue et une montée de désir enflamma son
corps.
Soudain, il passa de l’euphorie à la fureur. Charlotte ne
courait pas vers lui, non, elle ne l’avait même pas vu. Et
surtout, elle n’était pas seule. Elle riait joyeusement avec
un homme plus âgé, qui avait passé un bras autour de sa
taille...
Jake prit profonde inspiration. Aucun houx me ne
toucherait sa femme, jamais. Hors de lui, il sauta, par-
dessus la balustrade.
Charlotte était en train de raconter en détail son
expédition à Kew Gardens quand Dave l’interrompit et
retira son bras de sa taille.
— Ne regarde pas tout de suite, mais un homme très
grand, très brun et très en colère vient de sauter de la
terrasse et arrive vers nous.
Elle tourna aussitôt la tête. C’était Jake, en chair et en os!
Un frisson d’excitation la parcourut, suivit d’an
tremblement de peur, car elle sentait déjà la colère qui
émanait de lui.
— Charlotta, dit Jake de sa voix: grave en l’attirant dans
ses bras et en l’écrasant contre sa poitrine. Je suis venu à
ton appel, cara.
Elle resta figée pendant quelques secondes. Puis elle se
mit à trembler, un désir familier jaillissant dans ;ses
veines quand il inclina la tête et prit ses lèvres
entrouvertes. Il lui donna un baiser sauvage et passionné
qui lui coupa le souffle.
— Je t’ai manqué, n’est-ce pas ? murmura-t-il.
Elle acquiesça de la tête, heureuse. Jake était là et il la
désirait toujours...
— Bien, alors peut-être daignerais-tu me présenter à ton
compagnon.
— Mon compagnon ?
Charlotte avait du mal à rassembler ses pensées. Elle
leva vers lui un regard intrigué et se souvint tout à coup
de la présence de Dave. Elle se retourna, rouge de
confusion, et essaya de se libérer de l’étreinte de Jake,
mais il ne la lâcha pas. Au contraire, il la coinça avec son
bras contre son torse et tendit sa main libre à Dave. Cette
position disait mieux que des mots que Charlotte lui
appartenait.
— Jake d’Amato, et vous êtes... ?
— Dave Watts, répondit l’autre d’un ton tranquille. Un
très vieil ami de la famille et une sorte de second père
pour Charlotte depuis la mort de ses parents.
— Et vous êtes très proche d’elle, bien sûr.
— Oui, en effet.
Les deux hommes se défiaient du regard.
Charlotte commençait à bouillonner de rage : Jake ne
l’aimait pas mais son ego surdimensionné ne pouvait pas
supporter l’idée qu’elle ait un autre homme dans sa vie !
C’est alors que Dave éclata de rire.
— Vous ferez l’affaire ! déclara-t-il en donnant une
claque dans le dos de Jake. Mais si vous la faites souffrir,
vous aurez affaire à moi. Maintenant, je ferais mieux de
rattraper les enfants avant qu’ils ne fassent des bêtises. A
plus tard !
Charlotte n’avait pas voulu faire de scène devant Dave,
mais une fois que celui-ci fut parti, elle ne cacha pas sa
colère.
— Laisse-moi ! fit-elle en s’écartant brusquement.
— Comme tu veux, répondit-il en l’obligeant à se
tourner vers lui. Ce Dave me semble très protecteur avec
toi, non ?
— Bon sang, sa femme est morte l’année dernière d’un
cancer du sein ! Et laisse-moi te dire que tous les hommes
n’ont pas des mœurs dissolues.
— Ce qui sous-entend que c’est mon cas ?
Jake serra les dents : il ne voulait pas fléchir devant l’air
innocent de Charlotte. Pour ne pas se laisser attendrir, il
repensa à la colère qu’il avait éprouvée quand Marta lui
avait transmis le message de la jeune femme. Il avait pris
le premier vol pour l’Angleterre.
— Pourquoi, tu te sens visé ? répliqua-t-elle.
Les mains sur les hanches, Charlotte planta son regard
dans le sien. En dépit de sa colère, elle se sentait
succomber à son charme. Il avait l’air si maître de lui, il
était si impeccable dans son costume gris anthracite...
— Que fais-tu ici, Jake ? A part insulter mes amis, je
veux dire ?
— Je ne suis pas venu me disputer avec toi à propos de
ton ami.
— J’imagine ! Tu t’es bien amusé à New York ? Il paraît
que tu as retrouvé ta « vieille amie » Melissa ?
— Tu as lu l’article, dit-il avec un sourire suffisant qui
lui donna envie de le frapper.
— Oui, et vu ton sourire sur la photo, la soirée a dû être
délicieuse, n’est-ce pas ?
— En effet, et c’était pour une très bonne cause. Melissa
est bien une vieille amie et, avant que tu poses la
question, oui, nous avons été amants, mais c’était
plusieurs mois avant que je te rencontre. Elle m’a quitté
pour un autre homme qui était d’ailleurs son cavalier à ce
dîner.
— Elle t’a quitté ! s’exclama-t-elle, refusant de croire
qu’il était possible de vouloir se séparer de Jake d’Amato.
— Ce n’était pas dramatique. Nos chemins se sont
simplement séparés. Mais assez parlé de mon passé. Je
suis venu parler du présent, et si possible en privé.
Charlotte prit alors conscience de la présence de
plusieurs clients dans le parc. Sa colère fit alors place à la
gêne.
— A moins bien sûr que tu ne veuilles que tout le
monde sache que tu es enceinte. Après tout, tu n’as pas
hésité à prévenir ma gouvernante avant moi. C’est pour
ça que tu m’as appelé, n’est-ce pas ?
Elle se sentit devenir écarlate. Son italien devait être
meilleur qu’elle ne l’avait cru. Ainsi, il savait... Elle
m’osait penser à sa colère s’il découvrait que tout le
monde ici était déjà au courant.
— Je... euh... Oui. C’est vrai, il vaut mieux que nous
parlions en privé. Si tu veux bien me suivre, j’habite à
l’arrière du bâtiment.
7.
— Tu veux boire quelque chose ? demanda Charlotte
quand ils furent arrivés chez elle. Un thé ou un café ? Ou
peut-être quelque chose de plus fort ?
Jake se tenait au milieu de la pièce, grand, sombre,
menaçant.
— Non, merci. J’ai bu assez de ce satané thé anglais.
Elle restait sur le seuil de la cuisine, ne sachant trop que
faire. À cet instant, elle se maudit d’avoir passé ce coup
de téléphone.
— Donc tu as eu mon message, commença-t-elle avec
nervosité.
— Oui, et je n’ai pas beaucoup apprécié.
Elle ne l’avait jamais vu aussi furieux:.
— "Tu n’étais pas obligé de te déplacer, tu aurais pu te
contenter de téléphoner, murmura-t-elle.
Elle avait certes été maladroite, mais il pouvait tout de
même comprendre qu’elle n’avait agi ainsi que par
désarroi. Quand elle avait vu cette photo dans le
magazine, elle avait craqué.
— Non, un coup de téléphone n’aurait pas suffi,
rétorqua-t-il. Je veux que tu me dises dans les yeux que je
vais être père.
Il saisit le menton de la jeune femme dans: sa main pour
l’obliger à le regarder en face.
— Es-tu enceinte, Charlotte ?
— Oui, dit-elle, tremblant à la fois d’excitation et de
peur, espérant qu’il allait la prendre dans ses bras et lui
dire que tout allait bien se passer.
— De combien ?
— De sept semaines.
Elle n’en revenait toujours pas : elle était tombée
enceinte la première ou la deuxième fois qu’ils avaient
fait l’amour.
— Pas de chance, hein ? dit-elle tout haut, trahissant ses
pensées.
— Pas de chance ? répéta-t-il entre ses dents. Pour moi,
peut-être. Mais ça tombe très bien pour toi. Comme par
hasard, cela correspond exactement au moment où nous
nous sommes rencontrés.
Jake était fou de rage. Était-il vraiment le père de cet
enfant ? Il ne put se retenir de la détailler. Son petit short
blanc moulait ses hanches au plus près, et son ventre
semblait toujours plat. Peut-être ses seins étaient-ils un
peu plus ronds... Non ! Il ne devait pas se laisser entraîner
sur ce terrain. Il ne voulait pas être gouverné par une
petite profiteuse, même si elle était infiniment désirable.
— Est-ce que ce n’est pas un peu tôt pour confirmer une
grossesse ? A moins d’être pressée de tomber enceinte...
— Pas quand on est malade et qu’on vomit tous les jours
depuis trois semaines, répliqua-t-elle. Tu ne me crois pas?
Charlotte le lisait dans ses yeux, dans la courbe amère
de ses lèvres. Elle secoua la tête et alla s’asseoir sur le
canapé, enroulant ses bras autour d’elle, car elle avait
froid tout à coup. Elle n’avait pas envisagé qu’il doute
d’elle.
— Je n’ai pas dit ça, répondit-il.
— Oh, mais tu n’as pas besoin de le dire.
— Tu ne peux pas m’en vouloir ! Tu ne serais pas la
première femme à essayer de piéger un homme riche en
se faisant épouser grâce à une fausse grossesse. Je veux
une preuve.
Les mots résonnèrent dans la tête de Charlotte. Elle ne
se mettait pas facilement en colère, mais là., Jake avait
dépassé les bornes. Il débarquait chez elle sans prévenir,
avait un comportement insultant envers un de ses armis,
et maintenant, il avait le culot de suggérer qu’elle mentait
et qu’elle en avait après son argent !
Elle bondit du canapé et planta son regard dans le sien.
— Tu couches avec moi tous les jours pendant deux
semaines, puis plus rien, sauf deux malheureux coups; de
téléphone. Tu débarques ici, plein de suffisance, et terrifié
à l’idée que je puisse te coûter de l’argent, dit-elle d’un
ton méprisant. Et tu oses exiger la preuve que je suis bien
enceinte !
Tremblante de rage, elle le repoussa du plat de la main.
— Qu’est-ce que tu suggères? Que j’ouvre mon ventre
pour te montrer ? C’est ce que tu veux ? Qu’on y mette
fin, pour que ça ne te coûte pas trop cher ?
Soudain, Jake sembla perdre sa contenance et devint très
pâle.
— No, Dio mio, no ! s’exclama-t-il en saisissant ses
épaules tremblantes pour l’attirer à lui. Ne dis pas ça,
Charlotte. N’y pense même pas.
Cette réaction inattendue calma la fureur de la jeune
femme.
— Ne t’inquiète pas, dit-elle sèchement. J’ai l’intention
de garder mon enfant. Lâche-moi, tu me fais mal.
— Je ne me rendais pas compte, dit-il en desserrant son
étreinte, mais sans la lâcher.
Elle se sentit faible tout à coup, et fut soulagée qu’il la
soutienne toujours.
Cette conversation était un désastre, pensa-t-elle. Toute
l’émotion accumulée durant ces dernières semaines avait
jailli comme d’un volcan. Le fait que Jake pense qu’elle en
avait après son argent n’arrangeait vraiment rien. Le seul
point positif était qu’il ne semblait pas vouloir qu’elle
interrompe sa grossesse.
— Je vais t’épouser, dit-il alors.
— Comment ? s’écria-t-elle en relevant la tête. Jake, je
vais avoir ce bébé et je t’assure que je peux tout à fait
l’élever seule.
La perversité de la situation n’échappait pas à Charlotte.
S’il lui avait fait cette proposition seulement une demi-
heure plus tôt, elle aurait sauté de joie...
Jake se raidit, et laissa retomber ses mains le long de son
corps. Il sembla retrouver tout son calme et son
arrogance.
— Ne sois pas ridicule. Il n’est jamais bon d’élever un
enfant sans son père. Crois-moi, je sais de quoi je parle.
Alors nous allons nous marier dès que possible.
Il avait raison, elle le savait. Alors pourquoi hésitait-elle
encore ? Parce qu’elle voulait plus : elle voulait que Jake
l’aime, comme elle l’aimait. Était-ce insensé de sa part ?
— Tu sais que j’ai raison, insista-t-il. Ce que j’ai dit tout
à l’heure sur le fait d’être piégé et obligé de se marier, je
n’en pensais rien. Je sais que tu n’es pas comme ça. Mais
j’étais sous le choc et encore furieux d’avoir appris la
nouvelle de cette manière. J’ai mal réagi.
— Très mal, en effet.
Mais elle pouvait le comprendre. Elle n’aurait pas dû
prévenir sa gouvernante avant de lui avoir parlé.
— Les deux semaines que nous avons passées ensemble
ont été les plus heureuses de ma vie, poursuivit-il. Nous
nous entendons bien, reconnais-le. Plus que bien. Alors
épouse-moi.
Tu en as envie...
Il fit glisser sa main jusqu’à sa taille et toucha sa peau
nue. Charlotte frissonna à ce contact. Oui, elle en avait
envie. Parce que Jake était l’homme de sa vie. Il lui offrait
tout ce qu’elle avait toujours voulu. Si seulement il
pouvait prononcer le mot « amour » !
Il posa une main sur son ventre, et un sourire se dessina
sur ses lèvres.
— Je suppose que l’enfant est de moi. Mais peu importe.
Charlotte sentit la colère la saisir de nouveau. Elle
repoussa sa main.
— Bien sûr qu’il est de toi ! Ta es le seul homme avec qui
j’ai été assez bête pour coucher, et vois où ça m’a menée !
— Raison de plus pour m’épouser, alors, dit-il avec une
expression indéchiffrable. Puisque tu me trouves
irrésistible par rapport aux autres.
Il lui adressa un sourire ravageur.
— Et puis, tu m’aimes, dit-il.
— C’était juste du sexe ! protesta-t-elle. C’est tout ce que
je représente pour toi, espèce de...
Elle s’interrompit, réalisant ce qu’il venait de dire : peu
importait que l’enfant soit de lui ou non. Il devait donc
l’aimer, même s’il ne parvenait pas à le dire.
— Non, corrigea Jake. Cela n’a jamais été juste du sexe
entre toi et moi.
Une image refit surface dans son esprit. Celle de
Charlotte, nue sous la douche lors de leur première nuit,
les jambes enroulées autour de sa taille, les yeux grands
ouverts quand il l’avait pénétrée sans penser à mettre de
protection, il se souvint alors du petit gémissement de
douleur qu’elle avait poussé la première fois qu’ils
avaient fait l’amour. Il comprenait à présent : elle était
encore vierge, et il s’était conduit avec elle d’une manière
abominable. Pas étonnant qu’elle refuse de l’épouser !
Il parcourut du regard son beau visage bouleversé et
son corps si peu vêtu...
Charlotte tressaillit quand il s’approcha et posa une
main sur son épaule.
— Charlotta, je t’en prie, épouse-moi.
Sa raison lui disait d’attendre, de tergiverser. Mais son
cœur avait perçu la douceur dans la voix de Jake, avait
senti le tremblement de sa main sur son épaule.
— D’accord, finit-elle par dire.
— Dio grazia, dit-il en la serrant dans ses bras et en
trouvant aussitôt ses lèvres.
Charlotte eut l’impression de rentrer enfin au port en
sentant son corps se liquéfier au contact du sien. La
bouche de Jake était avide, et sa passion brûlante effaça
tous les doutes qu’elle avait encore. Il était revenu, et elle
voulait sentir ses mains sur ses seins, sur ses cuisses,
partout. Elle l’enlaça et enfonça ses doigts dans ses
cheveux, l’attirant encore plus près.
— Dio, Charlotte, tu m’as manqué, gémit-il contre sa
bouche.
Il posa les mains sur ses seins et ses doigts caressèrent
ses tétons durcis à travers le tissu en coton.
— Oh, Jake, toi aussi, tu m’as manqué, dit-elle avec un
soupir d’extase. Je t’aime tellement, j’aime ce que tu me
fais, dit-elle dans un murmure presque inaudible.
— Je sais, répondit-il en souriant.
Il adorait le fait qu’elle parle pendant leurs étreintes. Il
fit descendre sa main jusqu’à son short et la glissa entre
ses cuisses. Elle murmura encore son prénom.
Soudain, une voix les interrompit brutalement.
— Est-ce que tu as les clés du coffre, j’en ai besoin pour...
Jake retira aussitôt sa main et saisit Charlotte par la taille
en laissant échapper un chapelet de jurons.
— Oups ! Je vois que je tombe au mauvais moment, dit
Jeff. Mais je suis heureux de voir que vous vous êtes
réconciliés.
Charlotte, le visage écarlate, s’écarta de Jake.
— On ne t’a pas appris à frapper avant d’entrer ?
— Désolé, répondit Jeff d’un ton malicieux. Alors,
Charlotte, est-ce que cela veut dire que je peux annoncer à
tout le monde que nous allons bientôt célébrer un
mariage ?
Jake se raidit, les sourcils froncés. Puis soudain, il sourit.
— Ah, maintenant, je comprends mieux l’attitude du
personnel de cet hôtel.
— Quelle attitude ? Est-ce que quelqu’un s’est montré
incorrect avec toi ?
— Pas vraiment, mais laisse-moi deviner. Ils savent tous
que tu es enceinte, et ils connaissent tous mon nom.
— Eh bien, j’ai peut-être un peu parlé de toi, dit-elle en
rougissant.
Jake éclata de rire et entoura ses épaules de son bras.
— Puisque tu sembles avoir déjà tout raconté, laisse-moi
au moins la primeur cette annonce. Jeff, c’est bien ça ? Je
crois que nous nous sommes déjà rencontrés. Oui,, nous
allons nous marier, très bientôt. Vous pouvez le dire a qui
vous voudrez. Si vous ne le faites pas, je suis sûr que
Charlotte s’en chargera.
— Entendu, monsieur d’Amato, répondit Jeff en riant.
Manifestement, vous connaissez bien notre Charlotte.
Bon, je prends juste les clés et je m’en vais.
— Voilà, c’est fait ! dit Jake lorsque le gérant fut enfin
sorti de la pièce. Nous allons nous marier, impossible de
reculer.
Il l’attira de nouveau à lui.
— Je ne vais pas changer d’avis ! répliqua Charlotte en
riant.
Elle hésita un instant avant de se lancer.
— Mais dis-moi, est-ce parce que je suis enceinte ? Ou
m’aimes-tu vraiment ?
— Je t’adore, cara.
Et il l’embrassa.
Ils se marièrent deux semaines plus tard lors d’une
cérémonie en plein air dans le parc de l’hôtel. Après le
lunch et les discours, Charlotte, dans les bras de Jake, n’en
revenait pas que tout se soit passé si vite.
— Encore une et ce sera bon.
Diego Fortuna, le témoin du marié, était un célèbre
photographe de mode, et Charlotte se sentait un peu
intimidée devant son objectif.
— Allons-nous-en d’ici, souffla Jake. Je te veux pour moi
tout seul, et je ne veux pas perdre un instant de plus de
notre journée de mariage... et encore moins de notre nuit
de noce, à bavarder avec tes amis, même s’ils sont très
gentils.
Il la dévorait des yeux. Elle était magnifique dans sa
robe de soie ivoire.
Et surtout, elle était sa femme. Une fois encore, il se
félicita d’avoir pris la bonne décision. Il ne croyait pas en
l’amour, certes, mais les déclarations de Charlotte ne le
dérangeaient pas. Oui, tout allait bien.
— Tu n’as qu’une idée en tête ! protesta-t-elle en riant.
— Tu m’en veux ? Cela fait sept semaines.
— Non, moi non plus, je n’en peux plus d’attendre.
Elle ne s’était jamais sentie aussi aimée, aussi chérie de
sa vie que lorsque l’officier de l’état civil avait dit « Vous
pouvez embrasser la mariée » et que Jake l’avait prise
dans ses bras pour l’embrasser avec une tendresse qui
l’avait émue aux larmes.
Le jour où il l’avait demandée en mariage, tout le monde
avait fait la fête dans l’hôtel. Jeff et Dave en avaient
profité pour célébrer l’enterrement de vie de garçon de
Jake. Ce dernier avait dû partir tôt le lendemain matin à
cause de ses affaires, mais il avait réussi à organiser le
mariage à distance.
La seule chose dont Charlotte avait dû s’occuper était
son trousseau. Elle s’était acheté des sous-vêtements en
dentelle et plusieurs nuisettes très sexy. Elle avait trouvé
sa robe de mariée chez un créateur : un fourreau de soie
ivoire sans bretelles qui révélait la naissance de ses seins
et moulait sa silhouette toujours mince pour se terminer
sur ses genoux. Écoutant son sens pratique, elle avait
également pris la veste assortie. A part un bouquet de
boutons de roses, sa seule parure était un rang de perles
autour de son cou. La veille du grand jour, Jake, tout juste
descendu de son avion, lui avait offert ce bijou.
Ils avaient dîné à l’hôtel, mais ils n’avaient pas passé la
nuit ensemble. Amy, la réceptionniste, y avait veillé en
dormant dans la chambre de Charlotte, au grand dam du
futur marié...
— Voilà, c’est bon ! s’exclama soudain Diego.
Maintenant, j’ai besoin d’un verre.
Charlotte lui sourit avec chaleur. Celui-ci était arrivé le
matin même, et elle ne l’avait rencontré que quelques
instants avant la cérémonie. D’après ce qu’elle avait
appris, Jake et lui avaient été camarades de pension et
étaient restés amis depuis cette époque.
Charlotte lança son bouquet dans la foule et Amy, sa
demoiselle d’honneur, l’attrapa au milieu des éclats de
rire. Quelques moments plus tard, cette dernière s’avança
et tendit à la mariée sa veste et sa pochette.
— Je te souhaite beaucoup de bonheur.
— Merci, répondit Charlotte en souriant.
— Merci, fit Jake en écho. Mes obligations;
professionnelles nous obligent à retarder notre lune de
miel mais heureusement, pas notre nuit de noce. Enfin, si
cette satanée voiture finit par se montrer !
Il fronça les sourcils, la mine sombre.
— Attends-moi ici, je vais voir ce qui se passe, dit-il en
déposant un baiser sur ses lèvres.
Elle regarda son mari marcher à grandes enjambées vers
Dave, et poussa un soupir de ravissement C’était le plus
beau jour de sa vie.
— La jeune mariée soupire ? demanda Diego en
revenant avec une flûte de champagne à la main.
— Un soupir de bonheur, répondit-elle avec un sourire,
tout en cherchant son mari du regard.
Jake était magnifique dans son costume trois pièces gris
clair. Elle le regarda bouger des mains en parlant. Il était
si typiquement latin ! Et elle l’aimait tant...
— Changer de nom de Summerville à d’Amato semble
bien vous aller, dit Diego en terminant son champagne.
— Oui, répondit-elle distraitement, toutes ses pensées
allant vers son époux.
— Avez-vous un lien de parenté avec l’artiste Robert
Summerville ?
— Oui, c’était mon père. En fait, c’est comme ça que j’ai
rencontré Jake.
— Ah ! Je vois. Vous le connaissez depuis plus
longtemps que je ne le pensais. Je me suis posé la
question quand il m’a annoncé qu’il se mariait dans deux
semaines. Il n’est pas du genre à agir dans la
précipitation. Mais je comprends mieux. Vous avez dû
rencontrer Anna quand elle vivait avec votre père. Vous
avez fait la connaissance de Jake par son intermédiaire ?
Ou à son enterrement, peut-être ? Sa mort, juste après
celle de votre père, a été une telle tragédie.
Soudain, Charlotte revit le tableau que Jake avait acheté.
Elle était certaine qu’il s’agissait de cette Anna, sans
doute une amie très proche de Jake. Mais pourquoi celui-
ci ne lui avait-il rien dit ?
Parcourue d’un frisson malgré la douceur du temps, elle
enfila sa veste.
— Vous parlez d’Anna avec les beaux cheveux bruns
qui descendaient jusqu’aux reins ?
— Oui, c’est bien elle. Donc vous la connaissiez. Une
sale affaire, hein ? Mais où ai-je la tête ! Ce n’est pas un
jour pour parler des malheurs du passé. Nous sommes ici
pour faire la fête ! Jake a beaucoup de chance de ’vous
avoir trouvée. Dommage que je ne vous ai pas vue le
premier, ajouta-t-il d’un ton taquin.
— Vous êtes un charmeur, répondit-elle avec un sourire
forcé.
Diego avait semé le doute dans son esprit Mais il avait
raison : ce n’était pas le moment de remuer le pas se. Jake
l’aimait, il l’avait épousée, et rien ne gâcherait cette
journée.
— J’ai toujours été un charmeur, dit-il en glissant une
main autour de la taille de Charlotte. Jake, lui, préférait le
travail, la compagnie des moteurs à celle des femmes.
Une fois pourtant, il a emmené une fille sur un hors-bord
qu'il avait conçu, mais le bateau a coulé. Inutile de dire
qu’elle ne lui a plus jamais adressé la parole...
A quelques mètres de là, Dave écouta patiemment la
tirade de Jake avant de lui donner une tape dans le dos.
— Du calme, la voiture sera là dans cinq minutes. J’ai
cru comprendre que vous vouliez emmener Charlotte en
Italie ? J’espère que vous avez conscience de votre chance.
C’est une femme sincère et entière. Avec elle, c’est tout ou
rien ! Vous avez intérêt à prendre bien soin d’elle. Elle va
beaucoup nous manquer chez Sauveteurs sans frontières,
mais je lui ai dit que nous avons hâte qu’elle revienne
quand elle aura eu son bébé.
— Qu’elle... quoi ?
Jake découvrait qu’il savait finalement peu de choses
sur sa femme. Le fait que Charlotte soit prête à risquer sa
vie pour rechercher des gens et les secourir dans le
monde entier le plongeait dans l’anxiété. Il la chercha
dans la foule et plissa les yeux sous l’effet de la
contrariété quand il vit qu’elle parlait avec Diego et que
celui-ci avait passé un bras autour de sa taille.
— Ma femme ne travaillera plus, Dave. J’ai d’autres
projets pour elle, dit-il par-dessus son épaule tandis qu’il
se dirigeait droit vers sa femme et son ami d’enfance.
— Qu’est-ce que cela signifie ? dit-il à Diego. Bas les
pattes !
— Ton ami était juste en train de me raconter tes
exploits de jeunesse, dit Charlotte en souriant.
— Ah oui ?
Jake passa son bras autour de son épouse pour l’attirer
contre lui. Il dit quelque chose en italien à Diego, qui lui
répondit avant de lancer un sourire espiègle à Charlotte.
— Dommage que vous deviez partir si vite. J’ai
l’impression que je commençais tout juste à vous
connaître. Mais je comprends que Jake soit pressé. Voici
mon numéro, dit-il en lui tendant une carte de visite. Si
un jour vous en avez assez de lui, appelez-moi !
— Basta, Diego. Arrête de draguer ma femme !
— Je n’oserais pas ! J’ai bien tenté ma chance avec Amy,
mais elle est hélas déjà prise. Heureusement je viens de
repérer une jolie serveuse. Souhaitez-moi bonne chance !
— Diego est amusant, dit-elle en le regardant s’éloigner
vers le bar. Je l’aime bien.
— Pas trop, j’espère. Tu es à moi, maintenant, dit-il en
l’attirant à lui pour l’embrasser avec passion.
Charlotte rougit en entendant les invités les acclamer.
Enfin, Dave cria que la voiture était arrivée. Jake la
souleva alors dans ses bras pour l’emmener jusqu’au
véhicule.
— Oh, mon Dieu ! s’écria-t-elle.
Comme elle l’avait deviné, des casseroles avaient été
accrochées à la limousine blanche, décorée de tulle et de
fleurs. Jake l’installa sur la banquette arrière et s’assit à
son tour.
— Maintenant je comprends pourquoi la voiture a mis
du temps à arriver, dit-il en riant. Mais je ne peux plus
attendre ! Tu es tellement belle que c’en est douloureux.
Sa bouche prit alors te sienne dans un baiser si
passionné et prometteur que Charlotte sut que, quoi qu’il
advienne, elle aimerait toujours son mari.
8.
Une voiture vint les prendre à l’aéroport de Gênes.
Pelotonnée dans les bras de Jake, Charlotte regardait le
paysage par la vitre tandis qu’ils empruntaient une route
sinueuse dans les collines qui longeaient la mer. Ils
s’arrêtèrent devant un imposant portail en fer qu’un
vigile vint ouvrir, puis ils roulèrent sur une allée pendant
plusieurs minutes.
Enfin, Jake aida Charlotte à sortir de la voiture. Elle leva
les yeux, impressionnée, sur une demeure somptueuse.
L’architecture était très moderne, presque entièrement de
verre et en acier. Elle avait les Dolomites en toile de fond
et une vue magnifique sur la mer Méditerranée.
— Voici ta nouvelle maison, signora d’Amato. Elle te
plait ?
— C’est spectaculaire...
En riant, Jake la souleva dans ses bras et lui fit franchir
la double porte.
— Oh ! Un escalier de verre ! C’est fantastique !
Elle aperçut alors un petit comité d’accueil posté dans
l’immense hall. Jake la reposa sur ses pieds et lui présenta
Marta, une jolie dame brune. Charlotte rougit en lui
serrant la main, se remémorant son appel hystérique. Puis
on lui présenta un adorable petit garçon, Aldo, le fils de
Marta, qui s’adressa à elle dans un bon anglais scolaire.
Le mari de Marta, Tomas, les rejoignit : c’était le
chauffeur. Ou ouvrit une bouteille de champagne pour
porter un toast. Puis Tomas et sa famille se retirèrent dans
leur cottage situé dans le domaine.
Jake referma la porte derrière eux et actionna le verrou.
Charlotte regarda autour d’elle. L’ameublement était un
mélange, éclectique de tradition et de modernité, mais les
tableaux surtout attirèrent son attention. Elle reconnut un
Matisse et deux Monet.
— Enfin seuls ! s’exclama Jake en la soulevant dans ses
bras pour la porter dans l’escalier.
Ses escarpins tombèrent par terre et elle s’accrocha à son
cou en poussant un petit cri étonné.
— Ce sera ça de moins à enlever, dit-il avec un sourire
malicieux.
Ils riaient en entrant dans la chambre. Jake trébucha sur
une valise posée sur le sol.
— Tu n’as pas intérêt à me laisser tomber ! le prévint
Charlotte en riant de plus belle.
— Jamais !
Leurs regards se rencontrèrent et ils cessèrent de rire. Il
la posa doucement sur le sol et dessina le contour de ses
lèvres du bout des doigts. Elle se sentait incroyablement
nerveuse. Elle avait fait l’amour avec lui un grand
nombre de fois, mais cette fois-ci, c’était différent.
Sans la quitter des yeux, Jake recala d’un pas pour
enlever sa veste et sa cravate. Puis, avec des mouvements
délibérément lents, il ôta le reste de ses vêtements jusqu’à
se retrouver devant elle, grand, bronzé, musclé, ne
portant plus qu’un slip blanc qui ne dissimulait rien de
son excitation. Elle sentit le rouge lui monter aux joues et
resta un long moment à le regarder, tandis, que la tension
sexuelle montait entre eux.
— Tu n’as pas besoin d’être nerveuse, Charlotte, dit-il
comme s’il lisait dans son esprit. T’ai-je dit aujourd’hui
combien tu étais belle, cara ?
Il se pencha sur elle. Charlotte sentit son corps
s’enflammer quand il fit glisser la veste de soie de ses
épaules et laissa échapper un gémissement quand ses
lèvres touchèrent les siennes. Il effleura ses seins,
descendit vers ses cuisses, et sa robe tomba à ses pieds en
un mouvement fluide.
Jake recula pour mieux admirer le corps parfait de sa
femme, si sensuel, mis en valeur par le rang de perles et la
fine dentelle de sa culotte. Ses seins étaient plus pleins,
mais son ventre toujours plat.
— J’ai l’impression que cela fait une éternité que
j’attendais de te voir ainsi.
Charlotte, qui avait en général confiance en elle, doutait
soudain d’elle-même sous le regard sombre et intense de
Jake. Il était tellement parfait ! Et il était habitué à la
perfection, il suffisait de voir sa maison, ses tableaux...
Elle regarda pardessus son épaule dans un mouvement
de légère nervosité et vit la peinture accrochée au mur
derrière lui. C’était un Gauguin, une Tahitienne avec de
longs cheveux bruns, qui lui rappela le tableau de son
père et les étranges confidences de Diego.
Jake la saisit par la taille, et elle s’approcha de lui, se
perdant dans son regard brûlant.
— Qui était Anna ? demanda-t-elle pourtant.
— Pourquoi est-ce que tu parles de ça maintenant ?
— Ce n’est rien, répondit-elle rapidement. J’ai vu le
tableau sur le mur et ça m’a fait penser à celui que tu
avais acheté et à ce que Diego m’a dit aujourd’hui.
— Diego parle trop. Quoi qu’il ait dit, oublie-le et n’en
parlons plus.
C’est ce qu’elle aurait sans doute fait s’il ne lui en avait
pas donné l’ordre aussi brusquement, mais son attitude
curieuse la fit insister.
— Diego m’a dit que cette Anna avait été la maîtresse de
mon père. Il pensait que c’était elle qui nous avait
présentés. A-t-elle été une de tes maîtresses ?
— Dio, non !
Jake serra les dents. Il était en colère, mais il savait qu’il
n’en avait pas le droit. Les questions de Charlotte
tombaient au mauvais moment, mais elles étaient tout à
fait légitimes. Malheureusement, le sujet d’Anna réveilla
en lui des émotions contradictoires : la loyauté qu’il
devait aux Lasio, la culpabilité vis-à-vis d’Anna qu’il ne
parvenait pas à effacer, et la contrariété que sa femme le
regarde soudain avec plus d’effroi que de passion.
— Alors pourquoi ne me dis-tu pas qui elle était ?
demanda-t-elle encore.
— Tu le sais très bien. Elle était la maîtresse de ton père,
malgré leurs vingt ans de différence. Mais oublions ça,
dit-il en l’attirant violemment à lui. C’est notre nuit de
noce, et je n’ai pas prévu de me disputer avec toi.
Charlotte regretta de ne pas avoir su tenir sa langue. Il
avait raison, elle était en train de tout gâcher, se dit-elle en
soupirant.
— J’aimerais croire que c’est un soupir de désir pour
moi, dit-il, mais je pense que c’est plutôt un soupir de
frustration due à ton insatiable curiosité.
Elle se sentit rougir mais ne nia pas.
— Tu veux savoir la vérité ? Pourquoi pas ! Après tout,
il paraît que c’est la condition d’un mariage réussi, dit-il
d’un ton sardonique. Anna était la fille de mes parents
adoptifs et je l’adorais. J’étais là quand elle est née, je l’ai
vue grandir, devenir une belle jeune femme, et je l’ai vue
détruite par ton père. Elle s’imaginait qu’il l'aimait et,
pendant deux ans, elle a cru qu’il l’épouserait.
Charlotte pâlit. La vérité était bien plus dure qu’elle ne
l’avait imaginée. Une ancienne maîtresse pouvait
s’oublier, pas une sœur...
Quand elle avait rencontré Jake, il lui avait dit que
c’était le seul tableau qu’il voulait. Elle se souvint de
l’expression éperdue dans les yeux du modèle, et le
regard troublé que Jake avait posé sur le tableau. Il avait
dû détester le voir ainsi exposé aux yeux de tous.
Les moments qu’elle avait passés avec lui défilèrent
comme un tourbillon devant ses yeux, prenant un sens
nouveau. Elle se rappela sa froideur après lui avoir fait
l’amour et ses questions sur ce qu’elle pensait d’une
relation amoureuse entre une jeune femme et un homme
plus âgé. Dire qu’elle avait cru qu’il faisait allusion à leur
propre histoire !
— Mon Dieu ! Tu détestais mon père, n’est-ce pas ?
demanda-t-elle, horrifiée.
— Je ne l’ai jamais rencontré, mais oui, je le haïssais.
Mais ne pense plus à ça, dit-il en passant une main autour
de sa taille. Il est mort, Anna aussi. Et toi, tu es ma
femme, et nous avons déjà perdu assez de temps.
Il détacha le collier de perles, qui roula sur le sol, puis
prit ses seins à pleine main pour en taquiner les tétons
avec ses pouces.
— Non, laisse-moi ! protesta-t-elle malgré le désir qui
s’allumait dans son corps. Nous avons besoin de parler.
— Ce dont tu as besoin est évident, dit-il en contemplant
ses seins aux pointes durcies. Et ce n’est certainement pas
d’une discussion. C’est de moi que tu as besoin, cara.
Il venait d’admettre qu’il haïssait son père et il
s’attendait à ce qu’elle reste sans rien dire dans ses bras !
Son arrogance était sans pareille. Se libérant de son
étreinte, Charlotte recula et croisa les bras sur sa poitrine,
comme pour se protéger.
— Non, Jake, ce dont j’ai besoin, c’est la vérité, dit-elle
en parvenant à maîtriser le tremblement de sa voix.
Pourquoi as-tu demandé à Ted de nous présenter à la
galerie ? Si tu détestais tant mon père, je devais être la
dernière personne que tu avais envie de rencontrer, non ?
— J’étais curieux de voir quel genre de fille un homme
aussi peu respectueux des femmes pouvait avoir: Mais
qu’importe ? Nous sommes mariés et nous avons l’avenir
devant nous.
Elle savait qu’il ne disait pas toute la vérité. Mais elle
voyait aussi sa nuit de noce tourner au cauchemar,
malgré tout l’amour qu’elle avait pour lui. Il avait raison,
tout cela n’avait plus aucune importance, se dit-elle en
ouvrant ses bras pour avancer vers lui.
— Je suis désolée pour ta sœur, Jake. Personne ne sait
mieux que moi quel coureur de jupons était non père. Et
si Anna l’aimait, cela a dû être terrible pour elle quand il
est mort. Je sais ce que moi j’ai ressenti, et je sais ce que tu
as ressenti quand elle est morte. Que puis-je dire ?
— Rien, rien du tout, répondit-il, le regard soudain froid
et méprisant. Tout a déjà été dit. Ton père a renvoyé Anna
et nous savons tous les deux pourquoi. Alors tu peux
arrêter ta comédie de la compassion. Tu as refusé de la
rencontrer.
— J’ai refusé de la rencontrer ? répéta-t-elle, certaine
d’avoir mal entendu.
— Anna m’avait tout raconté. Ton père l’avait renvoyée
parce que tu refusais de partager ton père avec une autre
femme. Par égoïsme.
— Tu ne peux pas croire ça ! Non, c’est impossible,
murmura-t-elle en fermant les yeux.
Quand elle les rouvrit, elle le regarda droit dans les
yeux.
— J’adorais mon père, mais...
Elle voulut lui expliquer que c’était son père qui, au
contraire, l’empêchait toujours de rencontrer ses
compagnes ou ses maîtresses, mais Jake ne la laissa pas
finir.
— Tout cela appartient au passé. Ton père est mort — je
l’aurais tué moi-même si j’avais pu — et Anna a eu un
accident de voiture quelques mois plus tard. Le seul point
positif, c’est que tout cela t’a permis de gagner beaucoup
d’argent. Maintenant oublie ça. Le passé est du passé.
C’est le présent qui m’intéresse.
La cruauté des paroles de Jake lui tordait le ventre. Mais
il fallait qu’elle entende la vérité, même si cela la faisait
souffrir. Elle avait été trop longtemps aveuglée par
l’amour.
Elle essaya de se libérer de son étreinte, mais il resserra
son bras autour de sa taille. Elle refusa de s’abaisser à
lutter.
— Si tu pensais que j’étais une garce égoïste, avide
d’argent, dis-moi pourquoi tu as voulu que Ted nous
présente. Dis-moi la vérité cette fois-ci, précisa-t-elle d’un
ton froid.
— Sincèrement ? Parce qu’Anna m’avait donné
l’impression que la fille de Summerville était encore une
adolescente. Quand Ted m’a dit que c’était toi qui
inaugurais l’exposition, j’ai voulu te rencontrer. Ce que je
pouvais excuser de la part d’une toute jeune fille, je ne
pouvais pas le pardonner à une femme adulte et
responsable. Oui, j’admets que j’ai pensé à venger Anna.
Mais honnêtement, il a suffi que je te voie pour que j’aie
envie de toi, cara. Et c’est toujours le cas.
La vengeance... C’était un mot horrible, et Charlotte
refusa d’abord de croire ce qu’elle venait d’entendre.
Mais elle devina que Jake l’imaginait suffisamment
influençable et malléable pour accepter une explication
aussi terrible et continuer comme si rien ne s’était passé.
— Et pourquoi m’as-tu épousée ? demanda-t-elle, prête
à entendre le pire.
— Tu portes mon enfant, répondit-il en posant une main
sur son ventre.
Des larmes de colère et de douleur voilèrent les yeux de
Charlotte, et elle fit un effort surhumain pour les refouler.
Elle était consciente de la proximité du corps nu de Jake
contre le sien, mais aussi consciente qu’il ne l’aimait pas
et ne l’aimerait probablement jamais.
Elle avait envie de hurler sa détresse.
— Quand tu m’as demandée mariage, je t’ai demandé si
tu m’aimais, et tu as prétendu que oui.
— Dans mon souvenir, tu m’as demandé si je voulais
t’épouser parce que tu étais enceinte ou parce que je
t’aimais, et je t’ai répondu que je t’adorais, dit-il en posant
sur elle un regard indéchiffrable. C’est toi qui as
interprété ma réponse.
— Subtile question de sémantique, ironisa-t-elle
sombrement.
Toutes ces révélations l’avaient dévastée, mais elle ne
voulait pas laisser voir sa faiblesse. Elle devait être forte,
pour elle et pour son enfant.
— Sois honnête, Jake, tu ne m’aimes pas. Je n’ai jamais
été pour toi qu’un corps dont tu as profité tout en
étanchant ta soif de vengeance. Malheureusement, je suis
tombée enceinte.
— Tu te trompes. Je n’ai plus aucune envie de me
venger. Quant à ton corps...
Il inclina la tête et elle devina qu’il allait l'’embrasser.
Elle leva alors les mains et les plaqua contre son torse
pour le repousser.
— Non !
Elle se débattit frénétiquement, serra les poings pour le
frapper.
— Non, non ! cria-t-elle.
Il prit sa bouche pour la faire taire. La passion
impérieuse de son baiser suscita en elle une réaction
immédiate qui lui fit honte. Elle se débattit encore, mais il
finit par la soulever sans effort dans ses bras pour la
déposer doucement sur le lit.
Elle lui envoya plusieurs coups de pieds et se redressa.
— Ne me touche pas ! cria-t-elle. Et tu peux reprendre ta
fichue bague.
Elle voulut ôter son alliance.
La rage s’empara de Jake, qui lui saisit les mains avant
qu’elle ait pu enlever la bague.
— N’y touche pas ! rugit-il.
C’est alors qu’il vit la douleur et la fureur dans les yeux
de Charlotte. Il se figea. Qu’était-il en train de faire ? Il
inspira avec difficulté, libéra ses mains et se redressa. Elle
était enceinte, bon sang ! Il n’avait pas le droit de se
disputer avec elle et de la bouleverser ainsi.
Empli de frustration, il la dévorait du regard : ses seins
si ronds, sa taille fine, la courbe douce de ses hanches, la
fine dentelle qui dissimulait à peine sa féminité... Il leva
les yeux sur son visage. Elle le regardait comme s’il était
le diable en personne. L’expert en conjugalité qui avait
recommandé la vérité absolue dans le couple était bon à
enfermer. S’il ne s’était pas laissé dominer par son désir
pour Charlotte, il aurait su tenir sa langue.
Cela faisait plusieurs semaines qu’il avait brûlé ce satané
tableau. Aujourd’hui, la vengeance n’importait plus à ses
yeux. Plus rien d’autre ne comptait que Charlotte, réalisa-
t-il soudain. Hélas, il n’y avait plus trace, dans les beaux
yeux de sa femme, de l’adoration sincère qu’elle lui
portait...
— Je vais m’en aller, dit-elle en brisant le silence.
— TuU n’iras nulle part, c’est moi qui m’en vais. Nous
parlerons de tout cela demain matin, quand tu te
souviendras pourquoi tu as porté ça aujourd’hui, dit-il en
lui jetant au visage la robe qui gisait sur le sol.
Le claquement de la porte résonna longtemps dans le
silence de la chambre. Puis Charlotte saisit sa robe
froissée et la serra dans ses mains. Comment sa nuit de
noce avait-elle pu se transformer en cauchemar ?
Elle se mit à trembler. Agissant comme un automate,
elle se leva et pris dans ses bagages une nuisette en satin
bleu qu’elle enfila. Puis elle enfouit sa robe de mariée au
fond de sa valise avant de la refermer.
La nuisette n’était pas très chaude, mais elle n’avait pas
pensé à cela en l’achetant. Seulement à l’effet qu’elle ferait
sur Jake... Elle se coucha et tira les draps sur elle. Là,
enfin, elle enfouit sa tête dans un oreiller et se laissa ailler
au désespoir qui lui déchirait le cœur.
Elle ne savait plus quoi faire. Envolée l’heureuse mariée
qui riait quelques heures plus tôt. Elle maudissait Jake.
Pour qui se prenait-il ? De quel droit les jugeait-il, elle et
son père, lui qui n’avait aucun sens moral ?
Elle se tournait et se retournait dans le lit, se répétant
qu’il fallait qu’elle soit forte, sinon pour elle au moins
pour son enfant. Elle était pourtant une femme
indépendante jusqu’à ce qu’elle rencontre Jake et qu’elle
se laisse abuser par l’amour... Mais c’était fini, elle ne
pleurerait plus. Et s’il croyait qu’elle allait jouer l’épouse
et la mère soumise et reconnaissante, il allait être déçu.
Elle finit par s’endormir, gagnée par l’épuisement.
9.
— Je vois que tu es réveillée.
Charlotte sursauta et écarquilla les yeux en voyant Jake
sur le seuil de la chambre, les pieds nus et portant un
simple peignoir de soie. Il portait un plateau sur lequel
était posée une rose rouge dans un soliflore.
— Ce n’est pas le traditionnel petit déjeuner au
champagne, vu ton état, mais je t’ai fait du thé et des œufs
brouillés, dit-il avec un sourire en s’approchant du lit.
Jake avait l’air tellement content de lui que Charlotte
dut réprimer l’envie de répondre à son sourire. Du coup,
elle parla plus sèchement qu’elle ne le voulait.
— TU n’aurais pas dû te donner cette peine.
— Les hostilités reprennent, je vois, dit-il d’un ton
moqueur en posant le plateau sur la table de chevet.
Un instant, elle regretta de ne pas avoir saisi cette
occasion de faire la paix. Un instant seulement, car sa
blessure était trop profonde pour qu’elle puisse
pardonner ou oublier.
— Je suis enceinte, pas invalide. J’aurais pu préparer
mon petit déjeuner.
— Inutile, c’est le travail de Marta. Mais je lui avais
donné sa journée.
Il remplit une tasse de thé et la lui tendit. Elle la prit en
faisant attention à ne pas effleurer sa main.
— Merci, murmura-t-elle.
— Prego. Bon appétit ! Mange, nous parlerons ensuite.
— Je ne vois pas de quoi nous pourrions parler. Tu as
tout dit hier soir.
Elle but le thé et replaça la tasse sur le plateau. Elle
n’avait pas envie de lui parler, ni de le regarder. C’était
comme si on avait ôté un voile devant ses yeux et qu’elle
voyait Jake tel qu’il était vraiment. C’était un monstre
sans cœur, assoiffé de vengeance.
— Hier soir, j’ai beaucoup trop parlé. Nous ferions
mieux d’oublier le passé et de tout recommencer.
Il s’assit sur le lit et recouvrit sa main de la sienne. La
chaleur de ce contact déclencha une réaction instantanée
en elle. Elle leva les yeux et fut saisie par la tendresse de
s:on regard. Mais elle se rappela aussitôt combien il
pouvait être fourbe.
— Ce serait sans doute plus pratique pour toi, mais moi,
je n’oublierai jamais. J’ai été folle de me marier avec toi.
Tu n’es qu’un menteur et un hypocrite ! Je veux annuler
ce mariage le plus vite possible.
Il cessa de sourire et, si elle ne l’avait pas aussi bien
connu, elle aurait juré lire de la douleur sur son visage.
Ses yeux noirs lançaient des éclairs menaçants.
— Ne sois pas ridicule, Charlotte, je.
— Je ne suis pas ridicule ! Je veux tout annuler.
— Jamais ! Tu es ma femme.
Jake, à bout de nerfs, serra les poings. Il était furieux.
Personne ne l’avait jamais traité de menteur. Il la regarda
et s’attarda sur son beau visage révolté, puis sur la
naissance de ses seins que révélait le petit bout de satin
qui lui servait de chemise de nuit. En lui préparant son
petit déjeuner, il avait espéré qu’elle oublierait la scène
qu’ils avaient eue la veille, et qu’elle se conduirait en
adulte raisonnable. Mais elle semblait plus déterminée
que jamais à l’affronter, alors que lui était rongé de désir
et de frustration.
— Tu resteras chez moi, ordonna-t-il. Et dans mon lit.
Capito ?
— Tu rêves ! Je pars demain. Je ne resterai pas avec toi.
— Tu n’as pas le choix. Dans cette maison, la sécurité est
infaillible. Tu ne pourras pas partir sans mon
autorisation.
— Tu ne peux pas me forcer à rester ici. Tu n’oserais
pas!
— Je n’aurai pas à le faire. Je te connais, Charlotte. Tu
veux le meilleur pour notre enfant et tu sais que cela
implique que ses deux parents vivent en harmonie.
Il glissa une main derrière sa nuque, l’obligea à
approcher son visage et l’embrassa sur la joue.
— Je sais aussi que tu es trop fière pour rentrer en
Angleterre et admettre ton échec, ajouta-t-il avant de lui
donner un baiser audacieux.
Charlotte sentit aussitôt un feu s’allumer en elle et
couler dans ses veines, réveillant tout son corps, malgré
sa volonté de rester indifférente. Elle avait beau trouver
sa réaction humiliante, elle se sentit pourtant désemparée
quand il mit fin à son baiser. Puis, voyant que ses yeux
noirs s’attardaient sur sa peau nue, elle remonta
précipitamment le drap sur elle, maudissant l’échancrure
de sa nuisette.
— Tu es ma femme, reprit-il. Et bientôt la mère de mon
enfant. Garde ça à l’esprit et nous nous entendrons bien.
Elle ferma les yeux pour ne plus voir son air arrogant, si
sûr de lui. Elle avait envie de pleurer, mais sa fierté l’en
empêchait. Car sa fierté était tout ce qui lui restait...
Elle rouvrit les yeux pour lui faire face.
— Tu prétends donc que je suis prise au piège, dit-elle
d’un ton mordant. Qu’as-tu l’intention de faire ?
M’enfermer ?
— Bon sang, Charlotte, comment veux-tu que je réagisse
quand tu déclares que tu veux annuler notre mariage
avant même qu’il ait commencé ? Tout ça pour un tableau
mal peint !
— Un tableau à propos duquel tu m'as menti dès le soir
où nous nous sommes rencontrés. Quand tu m’as dit que
ce n’était qu’un investissement pour toi, je t’ai cru.
J’aurais dû deviner que tu avais une autre motivation. Et
j’aurais dû passer mon chemin.
— Écoute, j’ai acheté ce tableau pour le détruire avant
que les parents d’Anna ne découvrent son existence, ils
ont assez souffert, je ne voulais pas qu’ils voient le corps
nu de leur fille exposé aux yeux de tous. Tu aurais pu
penser, Charlotte, avant de déballer la collection privée
de ton père sans avoir la décence de demander
l’autorisation des personnes concernées. Tu n’as pensé
qu’à l’argent.
— Dire que tu prétends bien me connaître ! Tu ne sais
rien de moi.
Jake se sentit submergé par la honte, C’était vrai, il avait
pu se rendre compte, en la côtoyant, qu’elle n’était pas
comme il le croyait au départ. Il se rappela qu’elle avait
refusé qu’il lui achète des vêtements, et qu’elle s’était
réjouie comme une enfant quand il lui avait offert une
petite peluche au zoo.
— Peut-être... Mais je veux te connaître.
Charlotte eut l’impression étrange qu’il était nerveux.
— J’ai eu tort de te cacher tout ça. Mais toi aussi. Il a
fallu que quelqu’un m’apprenne que tu étais secouriste en
montagne. Et quand Dave m’a révélé que tu étais membre
de Sauveteurs sans frontières...
— Le sujet n’est jamais venu dans la conversation, se
défendit-elle.
— Nous devrions cesser de nous cacher des choses,
Charlotte. Il faut que nous réussissions ce mariage, pour
notre enfant. Nous avons tous les atouts de notre côté :
nous nous entendons sexuellement — tu ne peux pas le
nier — et je suis un homme riche. Je peux t’offrir tout ce
que tu veux. Toi et notre enfantine manquerez jamais de
rien. Qu’est-ce qu’une femme pourrait vouloir de plus ?
« De l’amour », songea-t-elle avec amertume
— Rien, tu as raison, répondit-elle sans aucune
conviction.
La vision qu’il avait du mariage l’horrifiait. Ce n’était
rien de plus qu’un contrat à ses yeux. Mais que pouvait-
elle faire ? Elle n’en pouvait plus de se disputer avec lui,
de lui tenir tête. Elle porta une main à son front
douloureux.
— Attends, laisse-moi faire, murmura-t-il.
Il prit sa tête entre ses mains et commença à la masser.
Elle se raidit tout d’abord, puis se détendit sous ses gestes
doux et apaisants. La pression dans ses tempes s’atténua
et elle poussa un soupir de soulagement.
— Ça va mieux ?
— Oui, murmura-t-elle.
Son visage n’était qu’à quelques centimètres du sien... Il
posa les mains sur ses épaules et sa bouche ferme et
sensuelle vint recouvrir la sienne. Il profita de sa surprise
pour glisser sa langue entre ses lèvres.
Elle leva les mains pour le repousser mais elle rencontra
son torse dur et brûlant et s’y attarda tandis qu’il
approfondissait son baiser. Quand il quitta sa bouche
pour l’embrasser dans le cou, elle émit un gémissement
de plaisir.
— J’ai envie de toi, dit-il d’une voix rauque. Tu es à moi,
Charlotte. Oublie le reste et commençons notre vie
commune.
Il la poussa doucement contre les oreillers et la suivit sur
Le lit. Charlotte frémit sous l’intensité de son regard
sombre, aussi excitante que menaçante. Elle aurait voulu
ne pas y répondre, mais c’était impossible. Le simple son
de sa voix grave l’envoûtait. Il mordilla sa lèvre
inférieure, puis la caressa avec sa langue avant de
l’embrasser de nouveau.
Ensuite, il se débarrassa de son peignoir et fit glisser les
bretelles de satin bleu sur les épaules de Charlotte pour
lui ôter sa nuisette.
— Tu es si belle, dit-il en la dévorant des yeux.
Elle eut l’impression que tout son corps rougissait de
plaisir. Elle admira le beau visage de Jake, son corps
musclé, parfait.
Il traça un chemin de baisers sur sa joue, ses lèvres, son
cou, ses seins, et s’attarda sur ses tétons durcis. Son corps
s’arqua malgré elle sous l’effet du plaisir quand il passa
sa main entre ses cuisses. Son odeur virile et musquée, ses
caresses exquises avaient allumé en elle un feu qu’il ne
pourrait éteindre qu’en la possédant totalement.
— Dio, j’ai besoin de toi, Charlotte.
Ses baisers étaient de plus en plus pressants, de plus en
plus avides, ses caresses de plus en plus troublantes. Ses
paroles ne faisaient qu’attiser le feu qui la dévorait.
— Je te veux. Je t’ai toujours voulue. Et toi aussi, tu en as
envie.
Charlotte ne pouvait le nier. Mais mène si tout son corps
le réclamait, elle éprouvait par-dessus tout de l’amour
pour cet homme, alors que lui n’éprouvait que du désir
physique. Mais cela n’importait plus. Emportée par la
passion, elle pressa sa bouche contre la gorge de Jake,
mordit sa peau, sentit son corps se tendre et l’entendit
gémir de plaisir. Ses mains parcoururent son corps
puissant avec une avidité irrépressible.
Il se redressa alors, souleva ses hanches et la pénétra,
étouffant en l’embrassant le cri qu’elle allait pousser. Il
alla de plus en plus profondément, de plus en plus vite, et
elle s’ajusta d’instinct à son rythme. Elle ne pensait plus
qu’au bonheur d’être possédée par lui. La fusion de leurs
corps dépassait la raison. Elle dut se mordre la lèvre pour
ne pas hurler son prénom lorsque son corps fut pris de
spasmes violents. Elle atteignit l’orgasme au moment
même où il explosait de plaisir.
Épuisé, il laissa tomber sa tête sur son épaule. Elle
sentait le battement sourd de son cœur contre sa poitrine.
Elle caressa d’une main possessive son corps mouillé de
sueur. Une fois de plus, il venait de lui prouver, si elle en
doutait encore, qu’ils s’accordaient parfaitement
physiquement.
Cependant, Charlotte ne se souvenait pas avoir connu
une extase aussi forte dans ses bras. Peut-être était-ce dû
aux circonstances ? Malgré leur dispute, il avait pris le
temps de stimuler chaque partie de son corps, pour la
mener au plus intense des plaisirs.
Peut-être que leur mariage pourrait fonctionner, après
tout ?
— Maintenant, tu es vraiment ma femme, mia amore, dit-
il en enfouissant sa tête dans ses cheveux.
— Ne m’appelle pas comme ça, dit-elle d’une voix
tranchante.
— Pourquoi pas ? Tu es ma femme, répéta-t-il avec un
sourire en se redressant.
— Comme si je pouvais l’oublier ! répondit-elle en
détournant la tête.
Ce n’était pas le mot femme qui lui faisait mal, mais le «
mia amore » qui lui avait fait l’effet d’un coup de poignard
dans le cœur. Quelle cruauté de sa part... Leur étreinte
avait été parfaite, mais le souvenir de ce qu’il lui avait dit
plus tôt lui donnait envie de pleurer. Il ne l’aimait pas, ne
l’avait pas aimée et ne l’aimerait jamais. Point final.
— Charlotte, dit-il en se redressant sur un coude. Je sais
ce qui se passe : tu n’as rien mangé, c’est de ma faute.
Dans ton état, tu dois manger à intervalles réguliers.
— Depuis quand es-tu médecin ? répondit-elle d’un ton
brusque, ne supportant plus son attitude faussement
attentionnée.
Il ne répondit rien, et jeta un œil à sa montre.
— J’ai une réunion en fin de matinée, annonça-t-il en se
levant. Mais avant cela, toi et moi avons rendez-vous chez
le médecin dans quarante-cinq minutes. Je vais me
préparer dans la chambre d’à côté, puis je te ferai un
sandwich que tu pourras manger dans la voiture. Il te
reste trente minutes pour te préparer.
— Tu ne manques pas d’air ! Je n’irai nulle part avec toi.
Ce n’est pas parce que nous venons de coucher ensemble
que tu as le droit de me donner des ordres.
— Nous n’avons pas juste « couché ensemble », mais
nous n’avons pas le temps de nous disputer. Et tu vas
venir chez le médecin, même si je dois te porter pour cela.
Malgré sa nudité, Jake avait l’air arrogant et menaçant.
— Pourquoi donc ? protesta-t-elle. Je vais très bien.
— Pour confirmer ta grossesse, évidemment. Après tout,
c’est pour ça que je t’ai épousée.
Jake plissa les yeux. Il parlait sous le coup de la colère,
pour la blesser. Il avait espéré que tout rentrerait dans
l’ordre après leur étreinte. Mais il pouvait voir au visage
hostile et fermé de sa femme que c’était loin d’être le cas.
— Il te reste vingt-cinq minutes, dit-il en quittant la
pièce.
Vingt minutes plus tard, Charlotte sortait de la maison.
Jake attendait près d’une limousine noire, en compagnie
d’un homme qu’elle ne connaissait pas.
— Cara, voici Marco. Il veillera sur toi quand Tomas ne
sera pas disponible.
— Merci, je n’ai pas besoin qu’on me surveille, répondit-
elle en lui jetant un regard furieux.
— Fais-moi plaisir, mange ça, dit-il en lui tendant un
sandwich à la viande et en lui faisant signe de monter
dans la voiture.
Pour éviter de devoir parler pendant le trajet, elle céda
et mangea ce qu’il lui avait préparé.
Le Dr Bruno était un homme aimable qui fit d’abord une
bonne impression à Charlotte. Mais elle révisa son
opinion lorsque celui-ci s’adressa à Jake en italien, posant
des questions sur elle sans qu’elle ait son mot à dire. A la
fin de la consultation, elle sortit furieuse du cabinet.
Une fois qu’ils furent dehors, Jake la prit par la main et
la reconduisit jusqu’à la limousine.
— Je sais que tu as une réunion, dit-elle d’un ton léger,
sachant qu’il ne discuterait pas en pleine rue. Alors je
crois que je vais me promener en ville et faire un peu de
shopping.
Elle lâcha sa main, mais Jake la retint par les épaules et
l’étudia d’un air sérieux.
— Ma maison n’est pas ta prison, Charlotte. Je ne crois
pas que tu veuilles partir. Va faire du shopping si tu en as
envie. Marco va t’accompagner. Ne dis pas non, c’est
pour que tu ne te perdes pas. Gênes est une grande ville
que tu ne connais pas encore.
— J’ai l’impression d’être accompagnée par mon geôlier.
Mais elle savait qu’il avait raison.
— Je croyais que nous étions arrivés à un accord ce
matin, visiblement je me suis trompé. Pense ce que tu
veux, mais Marco t’accompagne.
Sur ce, il s’éloigna, la laissant avec un sentiment
d’intense humiliation. C’était douloureux à admettre,
mais elle ne voulait
plus le quitter. Même en sachant qu’il ne l’avait épousée
que parce qu’elle était enceinte, elle l’aimait toujours. Elle
le regarda partir avec un mélange de colère et de tristesse.
Finalement, Charlotte décida qu’elle m’irait pas faire de
shopping. Elle préféra rentrer à la maison, se demandant
si elle s’y sentirait un jour chez elle.
10.
Charlotte prit un petit déjeuner composé de fruits et de
céréales en compagnie du jeune Aldo. Elle s’amusait de
ses louables efforts pour parler en anglais.
Puis le garçon partit à l’école et elle perdit son sourire,
faisant le triste constat que son meilleur ami, celui avec
qui elle passait le plus de temps, était un enfant de huit
ans. Il finissait l’école à 13 heures et, après le déjeuner, ils
partaient généralement explorer le grand domaine.
L’endroit préféré d’Aldo était une grotte au pied d’une
falaise, derrière la maison.
Se sentant très nerveuse, Charlotte se leva et, après avoir
remercié Marta, sortit avec sa tasse de thé sur un petit
patio à l’arrière de la cuisine. A l’ombre de la pergola
contre laquelle grimpait un bougainvillier écarlate, elle
trouva la quiétude dont elle avait besoin. Elle laissa la
douceur de l’air matinal apaiser comme par magie son
esprit préoccupé.
Cela faisait une semaine qu’elle était mariée. Le jour du
mariage lui semblait pourtant bien lointain. La jeune
femme qui souriait dans le parc du Lakeview Hôtel,
convaincue qu’elle vivait le plus beau jour de sa vie,
n’existait plus. Un sourire cynique passa sur ses lèvres.
L’amour de ses rêves... n’était qu’un rêve. Il avait fallu
que Jake le lui dise clairement pour qu’elle le comprenne
enfin.
Elle ne le voyait jamais pendant la journée, et le dîner se
déroulait en silence, hormis quelques répliques
cinglantes. En général, Jake essayait d’engager la
conversation mais elle lui répondait avec une politesse
froide ou avec un sarcasme amer qui ne ressemblait pas à
son caractère d’ordinaire enjoué. Ensuite, son mari,
visiblement exaspéré, se retirait dans son bureau pour
travailler. Et elle allait se coucher.
Ils partageaient le même lit, mais elle commençait à
penser que c’était uniquement pour sauver les apparences
et éviter les rumeurs au sein du personnel. Une ou deux
fois, elle s’était réveillée pendant la nuit et s’était aperçue
qu’ ’il avait posé un bras autour de sa taille, mais ils
n’avaient plus fait l’amour depuis le lendemain de leur
désastreuse nuit de noce. Et leur intimité lui manquait.
Elle ne savait plus comment échapper à cette souffrance
émotionnelle, à moins d’accepter le mariage aux
conditions de Jake. Il y avait des milliers de couples qui
vivaient une union sans amour pour préserver leurs
enfants, cela ne devait donc pas être impossible.
En soupirant, Charlotte termina sa ta se thé. C’était de sa
faute, elle n’arrivait pas à oublier sa colère et sa douleur.
Il fallait qu’elle pense à son enfant... Elle reposa sa tasse et
s’appuya contre le dossier de sa chaise. Le silence ai
faisait du bien et elle commençait à se détendre. Mais
bientôt, une silhouette vint lui faire de l’ombre, celle de
Jake, appuyé à une poutre de la pergola.
D’habitude, il était déjà parti quand elle se réveillait le
matin. Mais pas aujourd’hui.
— TU ne devrais pas être en train de gagner des
millions, au lieu de venir troubler ma tranquillité ? dit-
elle.
— Je suis flatté de savoir que je te trouble. Charlotte,
mais ne t’inquiète pas, je ne reste pas. Je n’ai aucune envie
de passer du temps avec une petite fille immature qui ne
cesse de bouder. J’en ai assez de tes réflexions acerbes !
Tu ne pourrais pas sourire de temps en temps ? Aurais-tu
perdu ton sens de l’humour ?
— Il est normal qu’après avoir découvert que mon mari
ne m’aime pas et ne m’a épousée que par désir de
vengeance et pour l’enfant que je porte, je perde un peu
de mon sens de l’humour.
— L’amour ! Tu répètes ce mot comme un talisman,
mais ce doit être un piètre sentiment s’il ne permet pas de
pardonner.
Surprise par cette explosion de colère, Charlotte essaya
de se défendre.
— Au moins, je crois en l’amour, moi.
— Tu as sans doute besoin de te raccrocher à cette
illusion avec un père comme le tien qui n’avait aucun
respect pour les femmes ni pour le mariage.
Elle pâlit devant la violence de ses paroles et joignit les
mains pour arrêter leur tremblement.
— Tu m’as dit je ne sais combien de fois que tu
m’aimais, dit-il en saisissant son menton, mais ce que tu
ressentais pour moi, cara mia, pour la première fois de ta
vie, c’était du désir sexuel. Et tu le ressens toujours.
Il posa la main sur son sein.
— Non, souffla-t-elle en détournant le regard.
Mais son ventre brûlait déjà et elle sentit ses tétons se
durcir.
— Tu mens, toi, Charlotte ? remarqua-t-il en riant.
— Oh, arrête ! s’écria-t-elle en saisissant un verre pour
en jeter le contenu à son visage.
Mais il saisit son poignet et arrêta son geste.
— Voilà qui ressemble plus à la jeune femme exubérante
que j’ai connue, dit-il en souriant. Plus que la mégère
silencieuse et boudeuse de la semaine qui vient de
s’écouler.
Il la fit se lever et ajouta :
— Nous pourrions vivre heureux, tous les trois. Si
chacun y mettait un peu de bonne volonté.
Elle ouvrit la bouche pour répondre « Jamais ! », mais
elle se ravisa.
— Voilà qui est raisonnable, murmura-t-il en l’attirant
contre lui.
Il l’embrassa avec une infinie tendresse. Cela faisait une
semaine qu’elle n’avait pas goûté à sa bouche, et elle
tenait à peine sur ses jambes quand il la relâcha.
— Tu es toute décoiffée, dit-il en replaçant une mèche
blonde derrière son oreille. Ah, je voulais te dire que nous
sortons ce soir et mon assistante, Sophia, attend dans la
maison pour te rencontrer. Elle a gentiment proposé de
t’emmener en ville pour faire du shopping, aller chez le
coiffeur, et tout ce que tu voudras d’autre.
Il sortit de sa poche intérieure une liasse de billets et une
carte de crédit à son nom.
— Prends ça.
— Je n’ai pas besoin de ton argent.
— Je sais, et je m’en veux d’avoir un jour sous-entendu
le contraire. Alors prends ça pour que je puisse me le
pardonner un jour.
— C’est un peu extrême, protesta-t-elle en riant et en
prenant l’argent.
— Tu as enfin retrouvé ton sourire, Charlotte.
Il la prit par la main et la conduisit à l’intérieur jusqu’au
hall d’entrée. Elle jeta un œil en direction de la jolie petite
brune qui les attendait et se sentit mal à l’aise. La jeune
femme était habillée de manière très chic et Charlotte ne
se sentait pas à son avantage dans sa petite robe jaune
toute simple.
— Charlotte, voici Sophia, mon bras droit,dont je ne
pourrais pas me passer, dit-il en souriant à son assis tante.
Sophia, voici ma femme. Charlotte.
Charlotte s’avança avec réticence et serra la main que la
jeune femme lui tendait, se demandant à quel point celle-
ci était indispensable à son mari... Mais Sophia lui sourit
avec beaucoup de chaleur.
— Je dois y aller, dit Jake. Tomas vous conduira en
voiture et Marco vous accompagnera pour porter vos
achats.
— Tu as peur que je m’échappe, peut-être ?
Elle vit la colère se peindre sur le visage de Jake et se
rendit compte de son erreur. Mais il se pencha vers elle et
l’embrassa, ne s’interrompant que lorsqu’il sentit qu’elle
répondait à son ardeur.
— Ne t’avise pas de recommencer une scène en public,
ou tu le regretteras, murmura-t-il à son oreille avant de se
redresser avec un sourire crispé. Laisse Sophia te montrer
la ville, écoute ses conseils et amuse-toi, d’accord ?
Tournant les talons, il sortit en claquant la porte.
— Ouf ! fit Sophia en passant sa main sur son front. Jake
était prêt à exploser ! Moi qui croyais que mon mari et
moi formions un couple tumultueux !
La jeune femme lui sourit avec sympathie.
— Enfin, vous ne devriez pas être trop dure avec lui. Il a
tendance à être très protecteur avec la femme qu’il aime.
Mais allons-y, les boutiques nous attendent !
Charlotte reposa le combiné avec un sourire doux-amer.
Parler à Jeff lui avait un peu remonté le moral. Elle était
contente de savoir que tout se passait bien à l’hôtel et
qu’elle y était attendue. Elle avait cependant dû mentir en
prétendant que tout allait bien de son côté.
Mais les choses allaient changer, du moins l’espérait-
elle.
En prenant un bain et en s’habillant pour sortir dîner,
elle avait pris une décision : elle allait donner une seconde
chance à leur mariage. Le baiser passionné de Jake n’était
pas étranger à sa décision, certes, mais surtout, elle avait
repensé à sa remarque sur le fait que l’amour était un
piètre sentiment s’il ne pouvait pas lui permettre de
pardonner.
Jake était en retard. Il lui avait demandé d’être prête
pour 19 heures et cela faisait déjà dix minutes qu’elle
l’attendait. Elle se sentait nerveuse et faisait les cent pas
dans le salon à la décoration sophistiquée mais sans
âme... Un peu comme son mariage, songea-t-elle, et c’était
à elle d'y changer quelque chose.
— Comment s’est passée ta journée ? entendit-elle
soudain.
Jake était appuyé au chambranle de la porte et
l’observait. Et ce qu’il voyait le ravissait. Les cheveux de
Charlotte avaient été savamment relevés en un chignon
lisse et sophistiqué. Elle était très élégante. Décidément,
cette femme l’étonnerait toujours... Il aurait pu la regarder
des heures entières...
Sentant le désir naître en lui, il s’éloigna de la porte pour
reprendre le contrôle de lui-même. Ce n’était pas le
moment. Ce soir, ils allaient dans un restaurant renommé
pour une grande soirée qu’il avait demandé à Sophia
d’organiser pour présenter Charlotte à tous ses amis. Il
avait pensé que ce serait une belle surprise, mais à
présent, il redoutait qu’elle réagisse de manière hostile.
— Plutôt bien, admit-elle.
Elle portait une robe bleu vif, de la même couleur que
ses yeux, très décolletée, avec des petites manches
retenant un bustier qui se terminait en pointe et qui
laissait son dos entièrement nu jusqu’à la chute de ses
reins. Sophia lui avait assuré qu’on ne voyait pas son petit
ventre et que la robe, qui se terminait juste au-dessus du
genou, était très à la mode. Elle avait aussi insisté pour
qu’elle prenne les sandales à talons haut qui soulignaient
la longueur de ses jambes.
— Sophia a fait du bon travail. Tu es superbe : la femme
sophistiquée dans toute sa splendeur. Mais prouve-moi
que ce n’est pas qu’une apparence et apporte-moi un
whisky on the rocks à l’étage, s’il te plaît. Je dois me
changer.
Charlotte fut sur le point de refuser, mais elle vit à ses
traits tirés que Jake était fatigué. Elle prit donc une
bouteille dans le bar et versa le liquide ambré dans un
verre en cristal. Elle ajouta deux glaçons et contempla le
verre un instant, se demandant s’il lui avait demandé cela
en maître ou en homme épuisé qui a besoin de soutien
après une dure journée de travail. Pour la première fois
depuis sa nuit de noce, elle laissa la compassion prendre
le pas sur sa fierté et monta l’escalier.
Elle entra dans la chambre déserte. Elle allait poser le
verre sur la table de chevet quand Jake sortit de la salle de
bains attenante à leur chambre.
Elle eut le souffle coupé en le voyant et ne parvint pas à
le quitter des yeux. Ses cheveux mouillés peignés en
arrière dégageaient son front et accentuaient la beauté de
son visage. Son corps musclé était nu, à part une serviette
blanche nouée autour de ses hanches.
Elle releva les yeux en hâte.
— Voici le verre que tu as commandé, dit-elle en lui
tendant le whisky dont les glaçons s’entrechoquaient tant
elle tremblait.
— Tu m’as surpris, dit-il en souriant. Merci, j’en ai
besoin.
— Ça me fait plaisir, répondit-elle en s’obligeant à
rencontrer son regard.
Depuis ce matin, elle devait avouer que quelque chose
avait changé entre eux. Charlotte inspira avec difficulté,
sentant ses tétons durcir sous le tissu de sa robe, et elle
détourna les yeux.
Remarquant sa réaction, Jake réprima un sourire de
satisfaction. Elle n’était donc pas aussi indifférente qu’elle
le prétendait.
— Plus tard, ce sera mon tour de te faire plaisir, cara.
Charlotte rougit et s’enfuit, poursuivie par le rire de
Jake.
De retour dans le salon, elle ne savait plus que penser. Il
avait suffi de quelques baisers et d’un sourire taquin pour
qu’elle recommence à se comporter comme une idiote
pleine d’adoration. Ce n’était pas du tout ce qu’elle
voulait. Elle aspirait à une relation d’égal à égale, basée
sur le respect et la confiance.
— Tu es partie avant que je puisse te donner ça, dit
soudain une voix grave derrière elle.
Jake avait revêtu un smoking qui le faisait paraître
encore plus beau que d’habitude. Elle dut lutter pour
garder son calme quand il s’approcha.
— Tu es sublime, mais il manque encore quelque chose
à ta robe, dit-il en sortant des bijoux de sa poche.
Avant qu’elle ait pu protester, il avait refermé un
magnifique collier de saphirs et de diamants autour de
son cou. Elle porta sa main à sa gorge, mais il saisit son
poignet et y accrocha un bracelet assorti.
— Je n’ai pas envie de...
— Oh si, tu en as envie.
Elle n’eut pas le temps de déchiffrer son sous-entendu
qu’il avait déjà glissé à son doigt une bague tout aussi
fabuleuse.
— Voilà qui est mieux. Personne ce soir ne pourra
douter que tu es mon épouse adorée, dit-il en déposant
un baiser sur le bout de son nez. Viens, il faut que nous y
allions maintenant, sinon nos invités vont croire que nous
les avons oubliés.
Dès qu’elle fut libérée de son regard magnétique, elle
voulut retirer le collier.
— N’y pense même pas, dit-il.
— Si tu crois que tu peux m’acheter, tu te trompes. Je ne
suis pas à vendre.
— J’ai pu m’en rendre compte !
Charlotte soupira. Elle ne devait pas se braquer si vite.
Si cela lui faisait plaisir, elle porterait ces magnifiques
bijoux.
*
* *
— Mais que voulais-tu dire par « nos invités » ?
demanda-t-elle quand ils furent dans la limousine. Je
croyais que nous allions dîner au restaurant ?
— En effet.
Il lui expliqua alors qu’il s’agissait d’une réception pour
ses amis et ses relations professionnelles qui n’avaient pas
pu assister à leur mariage en Angleterre.
Charlotte se sentit tellement intimidée à l’idée d’être
l’objet de tous les regards pendant cette soirée qu’elle ne
dit plus un mot pendant le reste du trajet. La main de
Jake, posée sur la sienne, ne faisait rien pour apaiser sa
nervosité.
Dès que la voiture s’arrêta, elle se hâta de sortir,
soulagée d’échapper à ce contact troublant. Mais quand il
sortit à son tour, ce fut pour la saisir par le bras. Ils
montèrent les marches de marbre, menant à un imposant
manoir de pierre.
Lorsqu’ils entrèrent dans la salle à manger, trois
musiciens installés sur une estrade entamèrent une
marche nuptiale, qui fut suivie par les acclamations des
invités.
Charlotte se sentit rougir violemment et s’appuya avec
reconnaissance sur le bras de Jake tandis qu’il la
présentait au couple âgé qui s’était avancé vers eux.
C’étaient ses parents adoptifs, M. et Mme Lasio. En les
voyant embrasser Jake et lui sourire, elle fut frappée par
la tristesse qui voilait leurs regards. Quand ils leur
souhaitèrent un long et heureux mariage, avec une
sincérité évidente, elle se sentit horriblement coupable
pour ce que son père avait fait à leur fille.
— Ne t’inquiète pas, ils ne savent pas, murmura Jake à
son oreille, devinant ses pensées.
Puis il la conduisit vers un autre groupe de personnes.
Dans la demi-heure qui suivit, Jake la présenta à la
centaine d’invités présents.
Elle fit la connaissance de Paulo Bruno, le fils du
médecin qu’elle avait vu, et de sa femme Stephanie qui la
félicita pour sa grossesse. Charlotte se troubla un instant
et jeta un regard mécontent à Jake, qui sembla s’en
amuser. Visiblement, cela ne le dérangeait pas que tout le
monde soit au courant de sa grossesse.
— Nous sommes en Italie, cara. La venue d’un enfant
doit être fêtée le plus tôt possible, et non pas dissimulée.
Mais il est vrai que ta robe ne laisse rien voir...
— Tu es impossible ! Bon, j’ai besoin d’aller aux toilettes,
chuchota-t-elle.
— Je vais vous montrer le chemin, proposa Stephanie.
N’ayez crainte, je me souviens très bien de ma grossesse,
je comprends ce que c’est.
Devant les lavabos, Charlotte sourit à. Stephanie.
— Je suppose qu’il faut que je retourne dans l’arène.
— Oui, à moins que vous ne vouliez que Jake vienne
tambouriner à la porte ! Je ne l’avais jamais vu amoureux,
c’est impressionnant ! Je suis si heureuse pour vous deux,
dit-elle en lui prenant la main. Et surtout pour votre bébé.
Jake sera un très bon père. Surtout, n’allez pas croire ce
que l’on raconte sur les femmes qu’il a connues. Paulo
m’a dit que c’était très exagéré. Jake n’a pas vécu comme
un moine, certes, mais c’est un homme très moral et
même un peu vieux jeu, vous n’avez donc pas à vous
inquiéter. Il sera un merveilleux mari.
Si Stephanie cherchait à la rassurer, elle s;e trompait : ses
révélations avaient eu l’effet opposé.
— Charlotta, je pensais que tu t’étais perdue, dit Jake en
passant un bras autour de sa taille, lorsqu’elle fut de
retour dans la salle. Viens, le dîner va être servi.
Toutes les femmes étaient habillées avec une élégance
recherchée, et Charlotte bénit Sophia de l’avoir guidée
dans ses achats. Comme l’avait prédit Jake, toutes étaient
parées des plus somptueux bijoux.
Ils prirent place autour de l’une des tables rondes,
réparties au bord de la piste de danse. A leur table étaient
déjà assis les Lasio, Sophia et son mari Gianni, enfin
Paulo et Stephanie. Celle-ci lui sourit d’un air complice.
Le repas était exquis, le champagne coulait à flots et les
conversations allaient bon train, sauf pour un couple
d’invités, formé par Diego et une splendide jeune femme
russe qui ne parlait ni italien ni anglais et restait donc
silencieuse.
— Lenka est tout à fait le genre de Diego, murmura Jake
à l’oreille de Charlotte. Il aime les mannequins et les
femmes qui ne parlent pas trop.
— Parce que ce n’est pas ton cas, bien sûr ? ironisa-t-elle
en se rappelant la photo de Jake et de Melissa.
Tout à coup, elle n’avait plus envie de finir son dessert.
— Je suis sorti avec quelques mannequins, c’est vrai.
Mais ma préférence va à une Anglaise blonde, sportive,
un peu associable, et parfois trop directe.
Il lui caressa la joue en lui souriant tendrement.
— Allons, vous deux, arrêtez ça et ouvrez plutôt la
danse ! les interpella Diego.
— Veux-tu danser ? demanda Jake tandis que l’orchestre
entamait une valse.
Charlotte acquiesça. Elle ne pouvait tout de même pas
refuser devant tout le monde...
— Tu te rends compte, je n’ai jamais dansé avec toi. Je ne
sais pas si je vais y arriver.
— Fais-moi confiance, murmura-t-il en souriant. Pour
une femme qui a de tels talents dans un lit, la danse doit
être un jeu d’enfant.
11.
Pendant qu’ils dansaient, Jake caressait discrètement le
dos nu de Charlotte. Ils firent un premier tour de piste
sous les applaudissements, puis d’autres couples les
rejoignirent.
— Dieu merci ! Je déteste être le centre de l’attention
générale, confia-t-elle en levant la tête vers Jake.
— Moi, je remercie Dieu de t’avoir, murmura-t-il.
Ce compliment était si inattendu qu’elle avait du mal à
le croire. Leurs regards se rencontrèrent, brillants de
désir. La main de Jake descendit sur sa hanche pour
l’attirer à lui, plaquant son bassin contre le sien. Elle sentit
sa virilité contre sa cuisse et une chaleur familière envahit
son ventre.
Elle se sentait si bien ! Elle posa la tête contre son épaule,
s’abandonnant entièrement à la musique et au plaisir
d’être dans les bras de Jake.
Ils étaient comme dans une bulle, et elle ne pensait plus
qu’à leurs cuisses qui se touchaient, à la sensualité qui
gagnait leurs corps en harmonie parfaite sur ce slow
langoureux.
Puis le tempo changea et un morceau de musique disco
commença. Jake s’immobilisa, la tenant toujours contre
lui.
— Combien de temps faut-il attendre avant de pouvoir
quitter décemment notre propre réception ? chuchota-t-il
contre sa joue.
Elle répondit par un sourire sensuel.
— Bon, on y va, décida-t-il.
— Nous ne pouvons pas, les invités vont être déçus,
murmura-t-elle, sans grande conviction.
— Pas forcément. Suis-moi !
Cinq minutes plus tard, après que Jake eut parlé à ses
parents adoptifs et à quelques invités, Charlotte se
retrouva assise dans la limousine.
— Mais qu’as-tu raconté à tout le monde pour qu’ils me
regardent avec autant de compassion ?
— Je leur ai dit que tu te sentais faible et que tu avais
besoin de t’allonger.
— Comment ? Quel menteur ! protesta-t-elle en riant.
— Pas vraiment. Moi, j’ai besoin de m’allonger... avec
toi, ajouta-t-il avant de l’embrasser avec une extrême
lenteur.
Elle ferma les yeux, et se sentit réellement faible, sous
l’effet d’une myriade de sensations, sous l’effet de
l’amour... Leur baiser se fit plus avide. Il passa la main
dans ses cheveux et défit sa coiffure sophistiquée,
l’attirant tout contre lui. Elle ne songea pas un instant à
lui résister. Il glissa une main dans le décolleté de sa robe
pour caresser la pointe de ses seins, déclenchant une
fièvre en elle. Elle le voulait, désespérément...
Il fallut que Jake cesse de l’embrasser et lui annonce
qu’ils étaient arrivés pour qu’elle remarque que la voiture
s’était arrêtée.
Ils se précipitèrent dans la chambre et y firent l’amour
intensément, presque violemment, atteignant des
sommets de plaisir.
Ils reposaient tous les deux sur le lit, enlacés et épuisés.
— Dio, j’avais tellement besoin de toi, amore mia, dit-il en
suivant d’un doigt le contour de son épaule, de son sein,
puis de son ventre arrondi.
Il avait besoin d’elle... Cette phrase résonnait comme
une musique douce aux oreilles de Charlotte. Cette fois-
ci, elle acceptait qu’il l’appelle amore mia. Après ce qu’ils
venaient de vivre, elle pouvait croire en sa sincérité.
— Mais je n’aurais pas dû faire ça, ajouta-t-il, détruisant
d’un coup toutes ses illusions.
— Tu veux dire quitter la réception ? Je suis sûre que ça
n’a dérangé personne. En tout cas, ça ne m’a pais
dérangée !
— Peut-être, en effet Mais ce n’est pas ce que je voulais
dire. Je ne supporterais pas d’avoir fait du mal à notre
bébé.
— Oh..., s’exclama-t-elle, soulagée, Tu n’as pas à
t’inquiéter.
— Qu’en sais-tu ? Tu en as déjà eu avant ? se moqua-t-il
gentiment en lui caressant la joue.
— Non, mais toi non plus, répliqua-t-elle.
— J’ai failli pourtant, une fois.
— Mais... tu... Comment cela ?
La détresse de Jake se lisait dans ses yeux. Tout son
corps s’était tendu.
— Je t’ai déjà parlé de cette fille, celle qui m’a quitté. A
l’époque, j’étais jeune et insouciant. J’étais avec elle
depuis cinq mois quand elle m’a annoncé qu’elle était
enceinte. Naturellement, j’ai proposé de l’épouser. Je lui
ai offert la bague de fiançailles qu’elle désirait et je lui ai
donné l’argent qu’elle me demandait pour organiser le
mariage. Mais quand elle s’est rendu compte que j’avais
investi tout mon argent dans la création de mon
entreprise et que je n’étais pas aussi riche qu’elle le
croyait, ma fiancée est partie en vacances avec l’argent et
a avorté.
— C’est affreux !
Elle ressentait sa douleur comme si c’était la sienne.
— Ce qui est vraiment affreux, c’est de savoir qu’en
définitive j’ai payé pour tuer mon propre enfant
— Non, tu ne peux pas dire ça. Ce n’était pas de ta faute.
— On est toujours responsable de ses actes; et de leurs
conséquences, Charlotte. Je n’aurais jamais dû lui faire
confiance. Mais j’ai retenu la leçon : depuis, je n’ai jamais
commis l’erreur de faire confiance à une femme.
Charlotte commençait à mieux comprendre son
comportement. Après ce qui lui était arrivé, il avait le
droit d’être cynique.
— Mais toutes les femmes ne sont pas comme ça, dit-elle
d’une voix douce. Tu ne peux pas vivre toute ta vie sans
faire confiance à personne.
— J’y suis très bien arrivé jusqu’à présent, dit-il en
l’attirant contre lui. Oublie ce que j’ai dit. TU as le don de
me faire parler plus qu’il ne faut. Ce n’est pas bon pour
nous.
— Comment peux-tu dire cela alors que c’est cette
attitude qui t’a conduit à m’accuser d’en vouloir à ton
argent, et même à exiger des preuves de ma grossesse ?
demanda-t-elle, cédant à la colère. C’est pour ça que tu as
insisté pour m’épouser ? Tu as perdu un enfant et tu
voulais être sûr que cela ne se reproduirait pas...
— Charlotte, est-ce que c’est vraiment important ? Nous
sommes mariés et je veillerai sur toi et sur notre enfant, je
vous protégerai.
— De la même façon que tu te protèges de tes émotions
et de tes sentiments, n’est-ce pas ? On ne peut pas vivre
ainsi.
Il se leva subitement et saisit son peignoir qu’il enfila
avec des gestes brusques.
— Je n’en reviens pas d’être en train d’écouter ta
psychologie de bazar en plein milieu de la nuit. Je pars au
Japon demain matin et j’ai besoin de dormir. Je vais dans
la chambre d’à côté.
Charlotte se mit à grelotter, envahie par un froid glacial,
et ses yeux s’emplirent de larmes. L’euphorie qu’elle avait
ressentie dans ses bras fit place à la certitude que Jake ne
la verrait jamais autrement que comme la mère de son
enfant et un moyen de satisfaire son appétit sexuel.
Elle essuya ses larmes du dos de la main, s’en voulant
d’être assez folle pour aimer un homme qui ne savait
même pas ce que le mot amour voulait dire.
Se sentant vidée de toute énergie, Charlotte refusa de se
promener avec le jeune Aldo après le déjeuner et décida
d’aller faire une sieste. Elle n’avait pas beaucoup dormi ni
mangé depuis le départ de Jake, cinq jours plus tôt. Il
l’appelait tous les jours, mais leurs conversations étaient
brèves et crispées. La veille, elle lui avait raccroché au
nez, ne supportant plus ces échanges froids et polis.
Elle avait l’impression de vivre dans un brouillard épais,
qui l’empêchait de voir où elle allait et qui lui ôtait toutes
ses certitudes et toute raison d’être, à part le bébé qu’elle
portait. Autrefois une femme d’action, elle ne se sentait
plus capable de rien, et elle n’aimait pas la femme qu’elle
était devenue.
Sans prendre la peine d’ôter son short et son T-shirt, elle
s’allongea sur le lit et ferma les yeux, espérant pouvoir
oublier sa détresse dans le sommeil.
Le soleil était bas dans le ciel quand elle se réveilla. Elle
avait soif, un verre de jus de fruit lui ferait du bien. Elle se
leva et se rendit dans la cuisine.
Après avoir bu, elle se demanda soudain où tout le
monde était passé. Elle sortit sur le patio et entendit des
voix qui semblaient se disputer, ainsi que le cri plaintif
d'un animal. En se dirigeant vers l’arrière de la maison,
elle fut saisie d’angoisse à la vision qui s’offrait à elle :
Marta était à l’entrée de la grotte où jouait d’ordinaire
Aldo, et elle pleurait, Tomas essayait de la réconforter, et
Marco parlait dans son téléphonie portable. Le vigile qui
gardait d’habitude le portail observait la falaise.
Charlotte entendit encore le même cri étrange avant de
rejoindre Marta, et son cœur s’arrêta. Il ne s’agissait pas
d’un animal... mais d’Aldo.
A quelques mètres au-dessus de la grotte, il y avait une
fissure profonde et étroite dans la roche qui s’élargissait
sur une dizaine de mètres et atteignait presque le sommet
de la falaise. Aldo avait réussi à grimper jusqu’à l’endroit
où la fissure s’élargissait, au niveau d’une légère saillie.
Un cerf-volant coloré était accroché à la saillie, expliquant
la dangereuse escapade du garçon. Malheureusement,
avec ses petites mains agrippées à la corniche, il était
incapable de se hisser : il était coincé.
Évaluant rapidement la situation, Charlotte n’hésita pas.
Les trois hommes étaient tous trop larges pour se glisser
dans l’étroite cheminée. Elle expliqua brièvement à
Marco, qui comprenait le mieux l’anglais, ce qu’elle allait
faire. Il essaya de protester, arguant que les secours
allaient arriver. Mais un coup d’œil à la position
périlleuse d’Aldo confirma à Charlotte qu’ils arriveraient
peut-être trop tard.
— Je suis une grimpeuse confirmée, faites-moi
confiance.
Quelques secondes plus tard, elle attaquait la paroi.
Levant la tête, elle cria des mots d’encouragement au petit
garçon. Elle ne doutait pas de pouvoir l’atteindre, il le
fallait. Mais elle n’était pas sûre de pouvoir le
redescendre en toute sécurité. Elle en conclut que la
corniche était son seul espoir. Avec un peu de chance, elle
parviendrait à le hisser dessus pour attendre les renforts
des sauveteurs.
Elle comprit vite comment Aldo était arrivé si haut. Les
premiers mètres étaient faciles, car il y avait beaucoup de
prises. Mais il était bien plus mince qu’elle, et elle
s’écorcha les cuisses, les genoux et le dos, maudissant le
fait qu’elle soit en short et espadrilles. Enfin, elle arriva à
l’endroit où le passage s’élargissait.
En nage, Charlotte fit une pause pour reprendre son
souffle et pensa à son bébé, priant pour que tout cela ne
lui fasse aucun mal. D’une main, elle chercha la prise
suivante, une petite cavité, assez grande pour les mains
d’Aldo, mais elle ne put s’y agripper que du bout des
doigts. Les articulations blanchies par l’effort, elle se hissa
un peu plus haut. Elle risqua un regard en bas et vit que
tous, saisis par l’attente et l’angoisse, avaient les yeux
fixés sur elle. Elle se força à sourire pour rassurer Marta et
chercha la prise suivante, percevant -ai loin le bruit d’une
sirène et d’une voiture qui roulait à toute allure.
— Reste calme, Aldo, ne bouge pas. , muovere !
Prenant une profonde inspiration, sentant son cœur
battre à tout rompre, elle fit encore un effort. Les jambes
et les bras douloureux, elle serra les dents jusqu’à ce
qu’elle arrive près du petit garçon.
— Charlotte !
Il la regardait, l’air terrifié, les joues baignées de larmes.
— Ne bouge pas. Tout va bien, je suis là.
Utilisant toutes ses compétences acquises par des années
d’entraînement, elle trouva des prises très étroites de
chaque côté de lui pour y poser ses pieds et couvrir son
corps du sien, et tendit le bras pour trouver une prise sur
la saillie qu’elle avait repérée.
C’était la partie difficile, elle le savait. Elle pouvait tenir
ainsi et attendre les secours, mais si Aldo paniquait et
qu’il lâchait, arriverait-elle à le retenir ? Elle craignait le
pire, car le moindre mouvement de l’enfant pouvait la
déstabiliser. La solution alternative était de s’accrocher
plus fort à la saillie d’une main et de le hisser de l’autre
sur cette agacée.
Elle lui parla doucement, lui demandant d'être
courageux, de rester calme et de faire exactement ce
qu’elle lui dirait, et pria pour qu’il comprenne son
mélange d’anglais et d’italien.
Jake laissa échapper un juron lorsque sa Ferrari passa le
portail en trombe. A quoi bon payer un service de
sécurité si les portes restaient ouvertes ? Le fautif allait
passer un sale quart d’heure !
se dit-il en arrêtant net son bolide devant la maison. Il
secoua la tête, se demandant encore une fois ce qu’il
faisait en Italie alors qu’il avait plusieurs rendez-vous au
Japon. Mais depuis que Charlotte, la veille, lui avait
raccroché au nez, il éprouvait un besoin irrationnel de la
voir. Elle pouvait être insolente, se mettre en colère, mais
cette réaction ne lui ressemblait pas. Quelque chose
n’allait pas. Aussi avait-il ordonné qu’on prépare son jet
pour revenir en Italie.
Avec stupeur, Jake vit que les doubles portes de la
demeure étaient grandes Ouvertes elles aussi.
— Dio, Charlotte ! cria-t-il en courant dans toutes les
pièces.
Elle s’était enfuie, elle avait été kidnappée, ou pire...
Non, il ne voulait pas l’imaginer. Tout ce qu’il savait, c’est
qu’il fallait qu’il la retrouve.
Une douleur atroce lui comprimait la poitrine.
Comment avait-il pu être aussi stupide ? Lui, Jake
d’Amato, dirigeant d’une société internationale, renommé
pour son sens aigu des affaires et sa capacité à prendre les
bonnes décisions, il n’avait même pas réussi à protéger
son épouse.
En pénétrant dans la cuisine, il vit que la porte de
derrière était ouverte. Il s’avança et aperçut Marco et le
vigile qui ne quittaient pas la falaise des yeux.
— Mais qu’est-ce que vous fabriquez ? rugit-il.
Puis il se figea lorsqu’ils désignèrent la falaise et lui
firent signe de ne pas faire de bruit. Comme au ralenti, il
leva les yeux et son sang se glaça. Charlotte était
suspendue à plusieurs mètres de hauteur. Il se précipita
au pied de la falaise, chercha à tâtons une prise, mais
deux mains puissantes le tirèrent en arrière. Marco lui
expliqua que c’était inutile : il ne passerait pas, et il
arrivait trop tard. La signora y était presque, et il fallait
qu’il se tienne tranquille.
— No, Dio, no, murmura-t-il en la regardait son cœur
battant sourdement dans sa poitrine.
Il la vit se rapprocher du petit garçon, l'enjamber en
s’agrippant à la saillie. Elle hésita, puis ses pieds
cherchèrent une meilleure prise et à ce moment il comprit
ce qu’elle allait faire. Il voulut lui crier de ne pas être aussi
imprudente, la cet instant, il ne pensait plus qu’à
Charlotte.
Pour la première fois de sa vie, il se serait impuissant.
Ni sa force ni sa richesse ne pouvaient l’aider dans cette
situation. Il vit la fine silhouette de sa femme se tendre et
il retint sa respiration lorsqu’elle lâcha prise d’une main
pour passer un bras autour de la taille du petit garçon. Il
ressentit la tension et la pression qu’elle devait supporter
dans toit son corps quand elle hissa Aldo sur la saillie.
Soudain, il réalisa que les policiers et le pompiers étaient
arrivés. Sans quitter la falaise des yeux, il leur reprocha
avec colère le temps qu’ils avaient mis pour arriver.
Quand il fut décidé que le déploiement de la grande
échelle était l’option la plus sûre, il exigea d’y monter lui-
même.
— Non, monsieur, dit le commandant ces pompiers.
Seul un agent expérimenté est autorisé à...
Jake n’attendit pas la fin de la phrase et s’avança, mais
un groupe d’officiers le neutralisa. Il se débâtit et parvint
à se libérer, trop tard : un pompier montait déjà à
l'échelle.
Une terreur froide serra alors le cœur de Jake.
Charlotte s’appuya contre la roche, essayait de retrouver
son souffle. Elle maintenait fermement Aldo contre elle
avec son bras. Il se tortillait et pleurait.
— Non, ne bouge pas, dit-elle.
Elle le serra avec précaution contre son épaule, ferma les
yeux et se mit à prier. Quand elle les rouvrit, elle poussa
un soupir de soulagement en voyant un pompier
s’approcher d’eux avec prudence. Aldo fit un mouvement
et elle resserra son étreinte.
— Mais je veux récupérer mon cerf-volant ! La ficelle
s’est cassée, expliqua-t-il naïvement.
Elle ne put s’empêcher de sourire en voyant le jouet en
question se décrocher juste à ce moment et tomber de la
falaise.
— Prenez d’abord Aldo, dit-elle au pompier.
Elle lui remit l’enfant, puis saisit à son tour l’échelle. La
descente jusqu’au sol ne prit que quelques secondes.
Lorsqu’ils furent enfin au sol, les gens applaudirent et
crièrent « Brava Charlotta ! » et d’autres exclamations
qu’elle ne comprit pas.
La première personne qu’elle vit fut Jake, aussi élégant
que d’habitude, à part sa cravate dénouée. Elle pensa
qu’elle rêvait.
— Jake ? Que fais-tu ici ? dit-elle en souriant.
Jake sentit la fureur le gagner. En short et en T-shirt
moulant, les cheveux emmêlés, les bras écorchés, le genou
en sang, elle souriait comme si elle revenait d’une
agréable promenade dans le parc ! Alors qu’il avait failli
mourir de peur pour elle...
— Tais-toi, tais-toi ! souffla-t-il en la prenant dans ses
bras pour la serrer contre lui.
Le sentant frissonner, Charlotte se rendit compte que,
contrairement à elle, il ne savait pas garder son calme en
situation de crise. Ses yeux brillaient de colère, comme la
dernière fois qu’elle l’avait vu. Il la serra encore plus fort
et elle le repoussa.
— Attends, tu me fais mal. Je crois que je me suis
égratigné le dos.
— Ton dos ? répéta-t-il en la relâchant. Mais tu te rends
compte que tu aurais pu mourir ? Es-tu complètement
folle ? Tu es enceinte ! Qu’est-ce qui t’a pris ?
— J’ai eu un réflexe humain en voyant qu’Aldo avait
besoin de moi et que je pouvais l’aider, répondit-elle
sèchement. Une chose que tu ne peux sans doute pas
comprendre.
En quelques mots, il venait une nouvelle fois de lui
prouver qu’il s’inquiétait pour le bébé et non pour elle.
Jake chancela comme si on venait de le frapper, et sa
colère s’évanouit. Charlotte, si belle et si passionnée, le
regardait avec mépris et il le méritait. Il lui faisait des
reproches alors qu’il aurait dû la réconforter, l’aimer...
Oui, il aimait Charlotte ! Il ouvrit la bouche pour le lui
dire, mais il n’en eut pas le temps.
Marta avait pris son fils dans les bras, l’embrassant et le
grondant en même temps. Puis elle prit Charlotte par la
main et la remercia mille fois.
Celle-ci répondit avec humilité, embarrassée par toutes
ces effusions. Les policiers et les pompiers l'encouraient et
les félicitations fusaient de toutes parts. Tous ces gens, la
chaleur et le bruit commençaient à lui donner le tournis.
Soudain, le flash d’un appareil photo l’éblouit et elle eut
juste le temps de voir Jake bondir sur le photographe
pour lui arracher son appareil.
Les jambes de Charlotte faiblirent et, pour sa première
fois de sa vie, elle s’évanouit.
12.
Charlotte ouvrit lentement les yeux. Elle était allongée
sur le lit de la chambre. Jake était penché sur elle, le teint
pâle, les traits tirés et les yeux brûlants. Il avait posé une
main sur la sienne.
— Tu es réveillée, Dieu merci ! Comment te sens-tu ? Où
est-ce que tu as mal ?
— Ça va, murmura-t-elle.
Étonnamment, c’était vrai : elle se sentait bien. Le
brouillard qui emplissait son esprit depuis quelques jours
semblait s’être dissipé. Le fait d’escalader la falaise en y
mettant toute son énergie lui avait rendu ses forces et sa
confiance. Elle n’avait pas besoin que Jake s’inquiète pour
elle, elle n’avait plus besoin de lui. Elle le regarda, sans
ressentir d’émotion.
— Comment va Aldo ?
— Il va bien, il n’a même pas une égratignure. Si cela ne
tenait qu’à moi, il resterait enfermé dans sa chambre à vie.
C’est pour toi que je m’inquiète.
— Inutile, je vais bien. Mais que fais-tu ici ?
— C’est plutôt à moi de te demander pourquoi tu as agi
ainsi. Tout ça parce que tu as décidé d’escalader une
falaise au lieu d’attendre les secours ! Dio, quand je t’ai
vue... Même si je vis cent ans, je n’oublierai jamais cette
image. J’ai cru que j’allais devenir fou. J’ai cru que tu
allais tomber.
— Tu aurais bien aimé, ironisa-t-elle en retirant sa main.
— Ce n’est pas un sujet dont on peut rire. Tu es ma
femme, tu portes mon enfant, et tu aurais pu te tuer.
Elle n’eut pas le temps de répliquer car Marta apparut
sur le seuil en compagnie du Dr Bruno et d’une
infirmière.
Tandis que le médecin l’examinait, Charlotte ignora de
son mieux la présence de Jake. Enfin, le Dr Bruno déclara
que tout allait bien. Ensuite, il la félicita pour son acte
d’héroïsme et lui apprit qu’elle était passée à la télévision.
— Mais comment cela se fait-il ? demanda-t-elle
horrifiée.
— Les voitures de police et de pompiers sont équipées
de caméras vidéo. Ils filment toutes leurs interventions,
l’informa Jake. Ton histoire a fait la une des émissions
locales, et ne devrait pas tarder à arriver sur les chaînes
nationales.
— Oh, mon Dieu !
— Je pense que la maison va être assiégée par les
paparazzis.
— Jake, ne tracasse pas ta femme, l’interrompit le Dr
Bruno. Elle a eu assez d’émotions pour aujourd’hui. Mis
c’est une jeune femme en pleine santé et le bébé va bien,
tu as donc aucune raison de t’inquiéter.
— Vous en êtes sûr ? Je crois qu’elle devrait al 1er à
l’hôpital. Elle a peut-être des traumatismes invisibles.
Que pensez-vous d’un scanner complet ?
Charlotte le regarda comme s’il avait perdu la raison,
mais l’expression de son visage montrait qu’il était
sérieux.
— C’est moi le médecin, Jake, et je t’assure que
Charlotte va bien.
— Mais elle a perdu conscience !
— « Elle » a son mot à dire ! coupa-t-elle Je n’ai pas
perdu conscience, je me suis juste évanouie parce que je
n’ai pris qu’un léger petit déjeuner et que je meurs de
faim après cet exercice physique !
Elle faillit éclater de rire en voyant l’expression ahurie
de Jake.
— Voilà ! fit le Dr Bruno en riant. Une patiente qui a
faim est une patiente qui va bien. Demande à Marta de lui
préparer quelque chose. Quant à vous, Charlotte, mangez
et reposez-vous. .. Et plus d’escalade jusqu’à la naissance
du bébé ! Et toi, Jake, tâche de mieux prendre soin de ta
femme. De mon temps, un homme n’aurait jamais laissé
son épouse seule aussi peu de temps après son mariage.
Jake ne répondit pas. Le docteur avait raison, il aurait
dû mieux s’occuper d’elle. Il n’avait fait que crier depuis
qu’il l’avait retrouvée. Comment pouvait-elle deviner que
c’était parce qu’il était terrifié à l’idée de la perdre ?
Quand Marta arriva pour s’occuper de Charlotte et lui
demanda de les laisser, il s’exécuta. Après la façon
arrogante dont il s’était conduit ces dernières semaines, il
ne se sentait plus le droit de protester. Il serait étonnant
que Charlotte lui adresse encore un jour la parole. Quant
à l’amour qu’elle lui avait jusque-là témoigné, il ne le
lirait sans doute plus jamais dans ses yeux, songea-t-il
avec tristesse en refermant la porte.
Après avoir pris un bain, s’être changée et blottie sous
les couvertures, Charlotte mangea une assiette de
succulentes lasagnes et une énorme part de gâteau au
chocolat. Repue et épuisée, elle dut insister auprès de
Marta pour que celle-ci ne lui serve plus rien à manger.
La gouvernante ne se retira qu’après l’avoir de nouveau
remerciée avec émotion.
Une fois seule, Charlotte s’enfonça dans les oreillers.
Cette journée avait été agitée, mais elle l’avait aidée à
mettre de l’ordre dans ses idées. Elle allait retourner en
Angleterre, que cela plaise à Jake ou non. Elle le lui
annoncerait plus tard, mais pas ce soir.
Pour l’instant, elle se sentait trop fatiguée. Elle ferma les
yeux et allait sombrer dans le sommeil quand la porte
s’ouvrit.
C’était Jake, les cheveux en bataille, la chemise ouverte.
Il vint s’asseoir sur le bord du lit.
— Qu’est-ce que tu veux ? demanda-t-elle. J’essayais de
dormir.
Sentant qu’il la regardait avec insistance, elle remonta le
drap sur la nuisette légère qu’elle avait enfilée en raison
de la chaleur.
— N’es-tu pas censé être au Japon ?
— Si, mais ma femme m’a raccroché au nez... Alors...
Crois-le ou non, je me faisais du souci pour toi. Écoute,
j’ai beaucoup réfléchi dans l’avion et... j’ai réalisé que je
n’ai pas été honnête avec toi, que je n’étais pas honnête
avec moi-même.
— Tu n’as pas besoin d’expliquer, je sais, dit-elle d’une
voix blanche. Notre mariage est une erreur, nous le
savons tous les deux. Tu voulais du bébé, mais pas de
moi. N’essaie pas de le nier.
— Cela n’a jamais été...
— Non, laisse-moi finir. J’ai cru un temps que je
pourrais accepter ce mariage pour le bonheur de notre
enfant, mais je me rends compte que je n’y arrive pas. Je
rentre en Angleterre.
— Charlotte, je suis...
— Mais ne t’inquiète pas, Jake, je ne t'empêcherai pas de
voir ton enfant. Nous sommes deux adultes raisonnables,
je suis sûre que nous trouverons un accord à l’amiable.
— Mais je ne veux pas d’un accord à l'amiable ! Ce que
je veux, c’est toi, et j’essaie de te dire que je t’aime bon
sang !
— Ah oui ? fit-elle avec ironie.
— Je t’aime, Charlotte. Je crois que je t’ai aimée dès la
seconde où je t’ai vue, mais je ne voulais pas croire en
l’amour.
— Et maintenant tu y crois ! s’exclama-t-elle. Comme
c’est pratique, juste au moment où je te dis que je rentre
chez moi.
Malgré le ton sarcastique qu’elle se forçait à adopter, sa
voix tremblait un peu. Il semblait si sincère...
— Non, Charlotte. Quand je t’ai parlé hier au téléphone,
tu semblais différente, détachée, et quand tu as
raccroché... Pour la première fois de ma vie, j’ai eu peur.
Je suis venu ici aussi vite que j’ai pu... Mais même alors, je
n’étais pas prêt à admettre que je t’aimais. Quand j’ai vu
le portail ouvert et la maison vide, des scénarios horribles
ont défilé dans ma tête. J’ai cru que tu étais partie, que tu
avais été kidnappée, ou tuée, et j’ai vécu le pire moment
de mon existence. Mais deux minutes plus tard, je t’ai vue
escalader cette falaise, et j’ai été au supplice.
Il était pâle et semblait réellement inquiet. Mais c’était
normal, se dit-elle, puisqu’elle portait son enfant.
— Tu as dû être soulagé que je n’aie pas été kidnappée.
Pense à l’argent que je t’ai fait économiser !
— TU as donc une si piètre opinion de moi ? Si c’est
vraiment ce que tu penses, tu peux partir quand tu
voudras. Il n’y a rien à ajouter.
Il se leva vivement pour s’en aller.
Charlotte explosa soudain. Ainsi, il recommençait : il lui
tournait le dos et la laissait là ! Sauf que cette fois, ils
n’avaient même pas fait l’amour avant. Non, cette fois,
c’était pire : il lui avait dit qu’il l’aimait.
— Moi, j’ai encore quelque chose à dire ! cria-t-elle. Je te
rappelle que c’est toi qui avais une piètre opinion de moi !
Une garce égoïste et vénale qui vend les tableaux de son
père pour gagner de l’argent... Mais tu ne supportes pas
qu’on renverse les rôles, hein ?
— Je n’ai jamais dit ça...
— Eh bien, sache que tout l’argent de la vente est allé à
une fondation d’aide aux victimes des tremblements de
terre, avec l’accord de Jess, la seule maîtresse de mon père
que j’ai connue. Quant à mon « refus » de rencontrer ta
sœur, c’était l’idée de mon père. Comme la plupart des
séducteurs — tu es bien placé pour le savoir — il était
extrêmement strict en ce qui concernait sa fille. Il ne
voulait pas que je croise ses maîtresses. En fait, tu es
comme lui ! Hyper-protecteur uniquement quand cela
t’arrange ! Alors tu sais quoi ? Je suis bien contente de
partir. Tu n’es qu’un drogué de travail, un mégalomane
qui ne pense qu’à gagner de l’argent. Je te déteste !
Elle s’appuya sur les oreillers et refoula les larmes qui
lui montaient aux yeux.
Sous le choc, Jake resta un moment immobile. Elle avait
raison : au début, il l’avait crue égoïste et cupide. Et
pourtant, cela ne l’avait pas empêché de coucher avec
elle. Oui, il était tout ce qu’elle avait dit, et pire encore. Il
était aussi lâche, car il n’avait jamais eu le courage de lui
dire ce qu’il ressentait, se dit-il en baissant les bras.
Puis il la regarda, la vit essuyer ses larmes du revers de
la main et essayer d’avoir l’air forte, et il perdit tous ses
moyens. Il revint vers le lit et s’assit.
— Tu es encore là ? demanda-t-elle d’une voix
tremblante.
— Je ne vais pas m’en aller, dit-il en l’attirant
brusquement dans ses bras.
— Non ? Alors c’est moi qui pars.
— Non, tu ne partiras pas, murmura-t-il en cherchant sa
bouche pour y déposer un baiser doux et possessif. Je suis
tout ce dont tu m’accuses, Charlotte, mais je t’aime.
Il posa les mains sur ses joues.
— Je ne suis pas très doué pour tout ça parce que je n’ai
jamais aimé personne avant toi, dit-il avant de
l’embrasser sur les paupières. Mais je ne supporte pas de
te voir pleurer, de te voir souffrir. Dio ! Je t’aime tellement
que je ne peux pas te laisser partir.
Tout disait à Charlotte qu’il était sincère : son regard
ému, sa voix déterminée, sa main qui essuyait doucement
une larme sur sa joue et remettait une mèche de cheveux
derrière son oreille.
Alors, l’espoir et la joie se mirent à flamber dans son
cœur, et cette chaleur passa dans ses veines, effaçant
toutes ses peurs en un instant.
— J’aime tout en toi, murmura-t-il, même si aucune
femme ne m’a jamais rendu aussi perplexe et mis autant
en colère. Ni ne m’a autant fait souffrir.
— Toi, souffrir ? Je ne pensais pas que c’était possible.
— Oh, ça l’est, je t’assure, dit-il en la poussant sur
l’oreiller pour prendre sa bouche avec la passion féroce
qui le caractérisait.
Elle laissa échapper un soupir et se pressa contre lui.
— Le soir de notre mariage, j’avais tellement envie de
toi, Charlotte... Mais je ne comprenais pas pourquoi tu
parlais d’Anna et du tableau. J’avais depuis longtemps
abandonné toute idée de vengeance. Ce n’était qu’une
impulsion, une idée stupide. Et je voulais que rien ne
gâche notre nuit, même si je ne voulais pas encore
admettre pourquoi.
— Les révélations de Diego m’avaient perturbée, dit-elle
avec un sourire timide.
— Tu n’imagines pas à quel point cela m’a fait mal de
voir le doute, le manque de confiance dans tes yeux.
J’étais furieux et je m’en suis pris à toi.
— Tu as dit que tu ne m’avais épousée que pour le bébé,
lui rappela-t-elle, tout en sentant son bonheur grandir de
seconde en seconde.
— J’ai menti. Je ne t’ai pas épousée parce que tu étais
enceinte, mais parce que j’avais besoin de toi, plus que
tout au monde. Le bébé est un bonheur supplémentaire.
Il secoua la tête.
— En fait, j’étais en colère contre toi parce que je
n’arrivais pas à affronter ma propre culpabilité. Tu as tort
de dire que je suis comme ton père, trop protecteur. Je
n’ai pas su protéger Anna comme un vrai frère aurait dû
le faire. Je ne lui ai pas accordé assez d’attention. Je
n’avais pas le droit de 'vous en vouloir, à toi et à ton père.
Anna n’était plus une enfant, elle a fait ses propres
erreurs. Et je ne t’ai pas protégée non plus, toi, ma femme,
comme l’a si justement fait remarquer le Dr Bruno.
Charlotte était troublée de le voir si vulnérable.
— Mais si tu me dormes une seconde chance,
poursuivit-il, je jure de prendre soin de toi toute ma vie.
Tu es l’amour auquel je ne croyais pas. Et j’ai besoin de
toi ! Tu es si belle que je n’arrive plus à réfléchir, dit-il
avant de l’embrasser avec une douceur fabuleuse. Mais je
t’en supplie, dis-moi que tu restes. Tu m’as dit un jour
que tu m’aimais, laisse-moi essayer de te persuader de
m’aimer de nouveau.
Il recommença à l’embrasser et elle se mit à trembler
d’émotion.
— Jake..., murmura-t-elle en caressant ses épaules. Je
t’en prie, j’ai besoin de savoir. La première fois que nous
avons fait l’amour, tu m’as tourné le dos et tu es parti en
colère, pourquoi ?
— Oh, cara, ce n’était pas ta faute, mais la mienne. J’étais
furieux. Je venais de te faire l’amour et j’avais encore
désespérément envie de toi. Je ne comprenais pas ce qui
m’arrivait Il a fallu que je m’éloigne, sans quoi je t’aurais
révélé ce que j’éprouvais pour toi, et je n’étais pas prêt.
— Tu avais envie de moi à ce point-là ?
— Oh oui, et c’est toujours le cas, et ça ne cessera jamais.
— Si c’est la vérité, alors pourquoi ne nias-tu plus
touchée après notre nuit de noce ? Je ne te voyais presque
pas. Tu ne venais jamais te coucher avant le petit matin et,
quand tu étais dans le lit, tu m’ignorais. Ensuite, quand
nous avons fait l’amour, après la réception, tu es de
nouveau parti furieux contre moi.
— Ah, Charlotta, il faut vraiment que tu apprennes mon
langage...
Il l’embrassa encore, jusqu’à lui faire perdre haleine, les
yeux pleins d’amour et d’émotion.
— Tout est de la faute du Dr Bruno. Il m’avait dit que
les premiers mois de la grossesse étaient les plus
importants et qu’il valait mieux éviter les rapports
sexuels. Mais après une semaine d’abstinence, je n’ai pas
pu résister et je m’en suis voulu d’avoir si peu de volonté.
Il fallait que je parte. Comment aurais-je pu mettre la vie
de notre enfant en danger ?
— Oh, Jake, c’est une idée archaïque ! Même moi, je sais
ça.
— Dommage que tu ne me l’aies pas dit ! Cela m’aurait
épargné de nombreuses nuits d’insomnie. Et quand
j’osais enfin me glisser entre les draps près de toi, je
restais à te regarder pendant des heures. Je savais que je
t’aimais, mais je luttais encore. Et aujourd’hui, quand tu
es descendue de cette échelle avec Aldo et que j’ai crié
après toi, j’ai su que je ne pouvais plus cacher mes
sentiments. Mais tout le monde est venu t’entourer et je
n’ai pas pu te le dire.
Comme cette confession était douce à l’oreille de
Charlotte ! Elle le regarda et lut un amour infini dans ses
yeux. Il lui avait ouvert son cœur et elle en était
bouleversée.
— Je te crois, dit-elle enfin, car je t’aime, depuis le jour
où nous nous sommes rencontrés.
Jake soupira et une lueur de joie brilla dans ses yeux.
— Tu es à moi, maintenant, et pour l’éternité, déclara-t-il
fougueusement avant de l’embrasser avec passion.
Charlotte sentit une chaleur monter en elle quand la
bouche de son mari descendit le long de son cou. Il releva
la tête et l’interrogea du regard, inquiet. Elle lui sourit
pour le rassurer et l’enlaça en se cambrant pour épouser
son corps. Il perdit alors sa retenue et lui montra à quel
point il l’aimait.
Épilogue
Charlotte jeta un coup d’œil sur la plage depuis la villa.
Ils étaient arrivés la veille sur cette île des Caraïbes
appartenant à un ami, qui ne prêtait ce coin de paradis
qu’à de rares privilégiés. Jake et elle y étaient absolument
tranquilles.
Elle sourit avec un air malicieux en apercevant son mari
allongé sur une chaise longue, le bras tendu, pour
balancer le berceau où dormait leur fille de trois mois,
Samantha. Jake était en adoration devant ce petit ange
aux yeux bruns.
Après un dernier regard autour d’elle, Charlotte
descendit jusqu’à la plage. Jake tourna la tête et se leva,
d’un bond. Le regard qu’il posa alors sur elle était plus
précieux que tout.
— Qu’en penses-tu ? dit-elle en avançant d’un pas léger.
Elle fit un tour sur elle-même en faisant voler la jupe de
raphia qu’elle portait. Un collier de fleurs tressées
dissimulait sa poitrine.
Jake semblait ébloui.
— Tu es belle, tu es magnifique, encore plus que je
n’aurais pu l’imaginer ! dit-il avant de l’embrasser.
— Je me rappelle cette journée à Kew Garderas... Je
n’aurais jamais cru que nous y arriverions, mais nous y
sommes pourtant, dans cette île de rêve. Tous les trois,
murmura-t-elle, les yeux brillant de bonheur et d’amour.
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