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Quand les intérêts compensatoires deviennent moratoires

Cass., 22 juin 2010 mercredi 20 octobre 2010. Un article de Gilles CARNOY Des intérêts de retard sont dus sur l’indemnité fixée par la décision judiciaire à compter de la date de la prononciation jusqu’au moment du paiement. En vertu de l’article 1153 du Code civil, le taux de l’intérêt de retard correspond, en règle, à l’intérêt légalVoir aussiAutres documents liés au thème "Litiges / responsabilité"

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Un arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 2010 rappelle les principes, souvent méconnus ou mal appliqués, en matière de taux des intérêts compensatoires.

Rappelons d'abord que les intérêts compensatoires ne sont pas des intérêts à proprement parler. Ils sont une indemnisation.

Les intérêts compensatoires « font partie intégrante des dommages et intérêts alloués en réparation du dommage causé par une faute ; qu'ils constituent une indemnité complémentaire destinée à compenser le préjudice né du retard de l'indemnisation ; » (Cass., 22 octobre 2003, rôle n° P.03.0669.F ; Cass. 7 septembre 2005, rôle n° P050500F, www.juridat.be).

Le droit à la réparation naît au moment où survient le dommage. Le juge détermine ce dommage en se portant à ce moment, mais il évalue le dommage au moment de son prononcé. C'est pourquoi il alloue des intérêts compensatoires, entendez une réparation complémentaire, pour tenir compte du temps passé (Cass., 26 octobre 2005, rôle n° P041258F, www.juridat.be).

Ce dommage complémentaire ne doit d'ailleurs pas forcément être fixé comme un intérêt. Dans son évaluation, le juge utilise la référence d'actualisation qui répare le plus adéquatement le dommage.

Il peut faire usage des intérêts au taux légal, ou à un autre taux comme le taux des rendements d'obligations ou le taux des crédits si le créancier a dû supporter un financement, ou encore une indexation ou l'indice ABEX, etc. Le juge apprécie ce dommage in concreto et souverainement (Cass. 8 janvier 1973, Pas., I, 1973, p. 750).

Bref, les intérêts compensatoires sont dus sur une obligation de valeur et constituent aussi une obligation de valeur.

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Mais lorsque l'obligation de valeur est liquidée par le juge, par le prononcé de son jugement, elle devient une obligation de somme. Or les intérêts sur l'obligation de somme sont régis par l'article 1153 du Code civil.

Cela signifie que les intérêts compensatoires courent jusqu'à la date de la décision judiciaire qui fixe les dommages-intérêts. A dater de la décision de justice, ce sont des intérêts moratoires, qui courrent sur la condamnation devenue de somme, et aussi sur les dépens (Cass., 30 mars 2001, rôle n° C970330N, www.juridat.be).

A quel taux sont dus ces intérêts devenus moratoires puisque portant sur une obligation de somme ? Au taux légal en matière civile, comme le prévoit l'article 1153 du Code civil, à partir du jour de la décision et jusqu'à leur paiement.

Notons que ces intérêts sur le jugement ne doivent pas être confondus avec les intérêts judiciaires. La notion d'intérêt judiciaire est plus large. Les intérêts judiciaires peuvent être compensatoires ou moratoires. Ils sont tout simplement ceux que le juge alloue (P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, Bruylant, 2010, T. II, p. 1641 ; Cass., 4 novembre 1985, Pas., I, 1986, p. 254).

On aperçoit immédiatement un problème : supposons que le juge accorde des intérêts compensatoires de 7 % l'an. A dater de son jugement, les intérêts deviennent moratoires et sont régis par l'article 1153 précité selon lequel le taux légal s'applique, soit à présent 3,25 % ...

Par le jugement, le retard de paiement devient donc moins indemnisé. Est-ce bien normal ?

C'est l'application stricte de l'article 1153, alinéa 1er, du Code civil. Selon cette disposition « dans les obligations qui se bornent au payement d'une certaine somme, les dommages et intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans les intérêts légaux, sauf les exceptions établies par la loi. »

Quelles sont les exceptions établies par la loi ?

Tout d'abord, en cas de dol, le juge n'est pas tenu de se limiter au taux légal (art. 1153, alinéa 4).

Ensuite, il y a la convention des parties. En responsabilité contractuelle, le juge doit, à mon sens, continuer à appliquer l'intérêt au taux contractuel en cas d'inexécution, même après avoir liquidé l'indemnité. Cependant, ces clauses sont en général dédiées au retard de paiement des obligations de somme, et non de valeur.

Enfin, on peut se demander si les articles 1182 et 1183 du Code civil ne pourraient pas permettre au juge de déroger au taux légal sur l'indemnité liquidée par jugement.

Le juge ne pourrait-il pas décider que les intérêts compensatoires qu'il fixe seront aussi dus après sa décision, lorsqu'ils seront devenus moratoires, par application de la règle de l'indemnisation intégrale du préjudice, appliquant tout simplement les articles 1382 et 1383 précités ?

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Or c'est justement cela qui a été sanctionné par l'arrêt de la Cour de cassation qui nous occupe. Malheureusement, à la lecture de l'arrêt (voir ci-dessous), on ne sait pas comment était libellé le dispositif de l'arrêt de la Cour d'appel.

Retenons donc que jusqu'à mieux informé, les intérêts après jugement de réparation seront au taux légal.

Notons pour terminer que par taux légal, on ne peut comprendre celui de la loi du 2 août 2002, car il ne s'applique que pour les transactions commerciales définies comme prestation de service ou livraison de marchandise. C'est donc inapplicable à une indemnité.

Voyons à présent les attendus de l'arrêt de la Cour de cassation :

« 5. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 1153, 1382 et 1383 du Code civil et 2, § 1er, de la loi du 5 mai 1865 relative au prêt à intérêt : les juges d'appel ont accordé à tort un intérêt judiciaire de 5 pour cent.

6. Les intérêts compensatoires sont inhérents à l'indemnité qui est accordée en vue de réparer le dommage causé par un acte illicite. Ils indemnisent le dommage complémentaire causé en raison du sursis de paiement de l'indemnité à laquelle la victime avait droit à la date du dommage. Ils courent jusqu'à la date de la décision judiciaire.

Des intérêts de retard sont dus sur l'indemnité fixée par la décision judiciaire à compter de la date de la prononciation jusqu'au moment du paiement. En vertu de l'article 1153 du Code civil, le taux de l'intérêt de retard correspond, en règle, à l'intérêt légal.

7. En accordant un intérêt judiciaire de 5 pour cent à titre de continuation des intérêts compensatoires à compter de la date de la décision, les juges d'appel n'ont pas légalement justifié leur décision.

Le moyen, en cette branche, est fondé. »

(Cass., 22 juin 2010, rôle n° P.09.1912.N, www.juridat.be).

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Cabinet d'Avocats, Jean-François CARLOT

POINT DE DEPART DES INTERETS DUS PAR L'ASSUREUR DANS LE REGLEMENT DES SINISTRES

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LES INTERETS DUS PAR L'ASSUREUR AVAIENT UN CARACTERE COMPENSATOIRE

Selon la jurisprudence traditionnelle, le point de départ des intérêts dûs par l'assureur ne pouvait être antérieur à la date de la décision judiciaire fixant le montant de l'indemnité revenant à l'assuré ou à la victime, conformément à l'article 1153 du Code Civil.

Cass. Civ. I, 12/12/1995, RGDA 1996, p.436 note Maurice, confirmée par Cass. Civ. I, 7/01/1997, RGDA 1997, p.232, note Kullman.

Ces intérêts étaient qualifiés de compensatoires, c'est à dire étaient inclus dans l'assiette du préjudice de la victime :

En effet, les intérêts compensatoires constituent une réparation complémentaire faisant partie intégrante des dommages-intérêts accordés à titre principal et doivent être distingués des intérêts moratoires de l'indemnité dus par l'assureur en exécution apporté à satisfaire à son obligation de paiement...

Ces intérêts compensatoires étaient donc inclus dans le plafond de garantie de l'assureur qui ne pouvait être dépassé.

Cass. Civ. I, 26/05/1994, RGAT 1994, note Kullman.

LES INTERETS ONT DESORMAIS UN CARACTERE MORATOIRE

Le 28 Avril 1998, la première Chambre de la Cour de Cassation a rendu une décision de principe qui a fixé le point de départ des intérêts mis à la charge d'un assureur de responsabilité à une date antérieure à la décision judiciaire fixant le préjudice.

Les intérêts alloués à la victime en application de l'article 1153-1 du Code Civil pour une période antérieure à la date de la décision qui fixe l'indemnité ayant nécessairement un caractère moratoire, c'est à bon droit qe la Cour d'Appel a qualifié ainsi les intérêts légaux des indemnités allouées par elle, dont elle a discrétionnairement fixé le point de départ à la date de l'assignation.

Doit être rejeté le pourvoi de l'assureur condamné in solidum avec son assuré à payer au tiers lésé, outre des indemnités dont le montant global est égal au plafond de garantie de la police, les intérêts portant sur ces indemnités à compter de la date de l'assignation

RGDA 1998, p.808; Recueil dalloz, Info. Rapides, p.140 - La nature des intérêts dans l'assurance de responsabilité ; incidences sur leur point de départ et le plafond de garantie : H. Groutel, Resp. Civ. et Ass. Septembre 1998, p.7 - Cf.: Indemnité d'assurance et intérêts au taux légal, J.Kullmann, R.G.D.A. 1998, p.662

Désormais, selon la Juridiction Suprême :

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les intérêts alloués à la victime en application de l'article 1153-1 du code civil pour une période antérieure à la date de la décision qui fixe l'indemnité ont nécessairement un caractère moratoire.

Dès lors, conformément à l'article 1153-1 du Code Civil, le point de départ de ces intérêts moratoires peut être fixé discrétionnairement par le juge du fond, notamment à la date de l'assignation : Cass. Civ. I, 28 Avril 1998, n°96-14.762 AXA / Pacte Sécurité: RGDA 1998, p.662, Chr. J.Kullmann : Arrêt destiné à être publié au Bulletin Civil, au Bulletin d'information et au Rapport annuel de la Cour de Cassation.

Par ailleurs, cette position a été renforcée par un arrêt du 16 juillet 1996, selon lequel :

La décision judiciaire condamnant l'assuré en raison de sa responsabilité constitue, pour l'assureur, dans ses rapports avec la victime, la réalisation du risque couvert et fait courir à son encontre les intérêts moratoires.

RGDA 1998, p.809.

Cette décision de principe constitue donc un revirement de jurisprudence lourd de conséquence pour les assureurs pour les deux raisons suivantes :

POINT DE DEPART PEUT ETRE FIXE DES LA DATE DE LA RECLAMATION DE L'INDEMNITE

Le Juge peut mettre à la charge de l'assureur des intérêts moratoires antérieurement à la date de la décision judiciaire qui fixe le montant de l'indemnité, c'est à dire à compter de la réclamation judiciaire que peut constituer une assignation en référé ou au fond, voire une sommation de payer.

Ces intérêts moratoires peuvent être réclamés par la victime depuis la date de la condamnation judiciaire de l'assuré, même si elle n'a pas fait valoir son droit à indemnisation à cette occasion.

En effet, le droit d'action directe de la victime est "cristallisé" au moment de la réalisation du dommage, et fixé dans son montant le jour de son évaluation par le juge.

L'INDEMNITE DUE, MAJOREE DES INTERETS MORATOIRES, PEUT EXCEDER LE PLAFOND DE GARANTIE DE L'ASSUREUR

De plus, ces intérêts moratoires qui s'ajoutent à l'indemnité d'assurance, sont susceptibles de dépasser le plafond de la garantie souscrite.

Il a été jugé que l'article L 113-5 du Code des Assurances ne faisait d'ailleurs pas obstacle à ce que l'indemnité fixée au plafond de la garantie contractuelle produise des intérêts au taux légal en cas de retard, même non fautif.

Cass. Civ. I, 7/07/1992, RGAT 1992, p.901, note Beauchard.

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INCITATION DES ASSUREURS A REGLER RAPIDEMENT

Ce revirement s'explique vraisemblablement par le désir de la Cour de Cassation d'inciter les assureurs à procéder à l'exécution de leurs obligations le plus rapidement possible, et de limiter ou abréger les procédures purement dilatoires.

Elle va donc dans le sens de l'accélération des procédures d'indemnisation des victimes et des consommateurs d'assurance.

Elle est à rapprocher de la confirmation de la jurisprudence incitative de la Cour de Cassation selon laquelle, en cas de recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation, les assureurs peuvent exiger les intérêts légaux à compter deleur quittance subrogative

Ass. Plén., 7/02/1986, D. 1987, p.185 - Cass. Civ. I, 26/02/1991, Argus 1991, p.1339 - Cass. Civ. I, 02/07/1996 n°94-12.849.

Nul doute qu'il sera fait une application systématique de cette nouvelle jurisprudence et que les assureurs auront intérêt à solutionner amiablementtrès rapidement les litiges.

En effet, ils risquent de s'exposer :

à des intérêts courant pendant toute la durée d'une expertise judiciaire, outre la procédure au fond de première instance et d'appel, c'est à dire pendant plusieurs années.

à la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code Civil.

A noter que ces intérêts peuvent être dûs :

soit à l'assuré revendiquant l'exécution d'une obligation de garantie. soit à la victime agissant par voie directe.

Il conviendra donc de tenir compte de ce risque nouveau dans l'estimation des risques et l'évaluation des primes.

En tout état de cause, cette nouvelle jurisprudence devrait inciter les régleurs de sinistre à trouver une solution rapide aux litiges, au besoin en procédant au réglement "pour le compte de qui il appartiendra".

Il conviendra également d'abréger la durée des procédures qui a pourtant tendance à s'allonger compte tenu de l'encombrement des juridictions.