Dynamiques & enjeux à Hong Kong
depuis la rétrocession
IEP de Toulouse
Mémoire de recherche présenté par Romain Warnault
Directrice du mémoire : Danielle Cabanis
Date : 2012
Dynamiques & enjeux à Hong Kong
depuis la rétrocession
IEP de Toulouse
Mémoire de recherche présenté par Romain Warnault
Directrice du mémoire : Danielle Cabanis
Date : 2012
Au terme de ce travail, je tiens à remercier chaleureusement Danielle Cabanis qui
m’a fait l’honneur d’accepter de diriger ce mémoire. Ses conseils m’ont permis
d’accomplir ce travail avec rigueur et enthousiasme. Je l’assure de ma profonde
reconnaissance pour sa patience et sa confiance.
Je tiens également à exprimer ma gratitude envers Paul Rothman pour son aide
précieuse et ses encouragements tout au long de la réalisation de ce mémoire.
Avertissement : L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni
improbation dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être
considérées comme propres à leur auteur.
Sommaire
Introduction ................................................................................................................................ 1
Première partie / Les Hongkongais face au devenir de leur ville ............................................. 10
Section 1 - La liberté d’expression à Hong Kong : entre inquiétude et mobilisation .......... 11
Section 2 - Décolonisation et renationalisation : Hong Kong en quête d’identité ? ............ 25
Section 3 - Société civile & mobilisation politique .............................................................. 42
Seconde partie / Quels particularismes pour une Hong Kong intégrée ? ................................. 50
Section 1 - Une réforme politique orchestrée par Pékin : quelle partition pour Hong Kong
en 2011 ? .............................................................................................................................. 51
Section 2 - Hong Kong : un dragon qui cherche à raviver la flamme ................................. 67
Conclusion et perspectives ....................................................................................................... 85
Bibliographie ............................................................................................................................ 86
Livres .................................................................................................................................... 86
Articles scientifiques ............................................................................................................ 86
Articles de presse ................................................................................................................. 90
Rapports d’étude .................................................................................................................. 92
Discours ................................................................................................................................ 92
Reportages ............................................................................................................................ 92
Table des matières .................................................................................................................... 93
Introduction
The Death of Hong Kong » ou la prédiction peu optimiste du journal Fortune
Magazine en 1995. Les années qui précédèrent le retour de la colonie britannique
de Hong Kong sous souveraineté chinoise en 1997 donnèrent lieu à de nombreuses
prophéties de la part des journaux occidentaux. Fortune Magazine publia à cet effet un long
article expliquant pour quelles raisons le monde était en train d’assister à la mort annoncée de
sa ville commerciale la plus vibrante : « the naked truth about Hong Kong's future can be
summed up in two words: It's over »1.
Aux fantasmes entourant l’un des derniers régimes communistes du XXème siècle,
s’ajoutait l’inconnu de l’évènement en lui-même. Si l’on avait assisté jusqu’alors à
l’accession à l’indépendance d’anciennes colonies, la rétrocession d’un territoire perdu au
profit du Royaume-Uni à la fin du XVIIIème siècle à la Chine était inédite. D’autant plus
qu’il s’agissait alors de rendre un territoire où libéralisme et État de droit étaient maîtres mots
à un régime qui intervenait fortement dans l’économie et s’embarrassait peu du respect des
droits de l’Homme, comme la répression des manifestations de Tiananmen l’avait montré en
juin 1989.
Qu’allait-il alors advenir de la ville ? Et de son peuple d’entrepreneurs talentueux ?
Qu’allait-il advenir de sa presse libre, de sa liberté d’expression une fois sous souveraineté
chinoise ? L’article de Fortune Magazine offre un bon exemple du pessimisme qui régnait
alors dans les milieux politiques et économiques occidentaux. Et lorsque, peu avant minuit le
30 juin 1997, l’Armée Populaire de Libération pénétra dans la ville pour rendre effective le
retour sous souveraineté chinoise, Hong Kong était laissée seule face à son destin.
En 2011, plus d’une décennie après la rétrocession, il s’avère que les prophéties les plus
pessimistes ne se sont pas réalisées. Car, au demeurant, la réalité n’était pas en 1997, comme
elle ne l’est pas aujourd’hui, aussi simple qu’elle fut parfois dépeinte dans les journaux. La
rétrocession de Hong Kong, acte par lequel a été rendu à la Chine ce territoire administré par
la Couronne britannique depuis 1842, ne doit en effet pas seulement s’envisager comme le
transfert d’une entité associée à des chiffres macroéconomiques et des corpus juridiques.
1 KRAAR (Louis) & MCGOWAN (Joe), «The Death of Hong Kong», Fortune Magazine, 26/06/1995
«
Certes, ces éléments sont nécessaires pour l’appréhender. Néanmoins, il ne faut pas nier les
dynamiques à l’échelle des individus qui composent la société hongkongaise. Ces femmes et
ces hommes qui ont pu un temps craindre pour leurs libertés, tenter de fuir le territoire avant
la date fatidique du 30 juin 1997, et qui, depuis lors, vivent sous souveraineté chinoise. Ces
habitants d’une société qui est traversée par d’importants changements identitaires, politiques
et économiques. Et somme toute, les premiers acteurs de ces changements.
Afin de mieux saisir la complexité de la rétrocession, il est nécessaire de revenir un
instant sur l’Histoire de la ville. Dès sa naissance, la colonie britannique s’est inscrite dans
des jeux de puissance et d’intérêts qui la dépassait. La ville n’a jamais eu sa gestion en main,
dépendante du Royaume-Uni, puis de la Chine pour gouverner sur sa destinée. Des enjeux
plus profonds que la simple réappropriation d’un modeste territoire sont à l’œuvre, et les
dynamiques propres à la société hongkongaise ne se comprennent qu’à l’aune de son Histoire.
Petit village de pêcheurs avant l’arrivée des colons, la colonie n’avait rien qui, a priori,
aurait pu intéresser un empire colonial sur lequel le soleil ne se couchait jamais : un paysage
découpé et une topographie agitée pour une île d’une taille plus que modeste. Un confetti
certes, mais situé à l’embouchure de la rivière des Perles : un atout crucial à l’aube des
guerres qui opposeront la Chine impériale aux puissances occidentales. Ces dernières, au
premier rang duquel le Royaume-Uni, cherchent à l’époque à ouvrir la Chine au commerce
international afin d’écouler leurs stocks de marchandises. À quelques encablures de Hong
Kong, Canton fait office de comptoir commercial à partir de 1760, dans un cadre très
rigoureux imposé par les Chinois : les étrangers ne peuvent pénétrer dans la ville et sont
confinés sur une île où ils sont établis. Grande importatrice de thé notamment, la compagnie
des Indes cherche à équilibrer sa balance commerciale avec l’empire du Milieu et écoulent à
partir des années 1830 sa production indienne d’opium. Les Chinois deviendront vite des
consommateurs importants, et ce malgré son interdiction par édit impérial. Face à la
contrebande et à l’essor de la consommation, le gouvernement de Pékin envoie un émissaire
chargé de confisquer les cargaisons des Occidentaux. Après un long blocus, ces derniers
fuient vers le port portugais de Macao, puis vers une rade de l’autre côté de l’embouchure,
surnommée « port aux parfums » par les pêcheurs locaux.
La destruction des caisses d’opium et la fuite des étrangers est un casus belli pour le
secrétaire des affaires étrangères britannique, Lord Palmerston. Il décide d’envoyer un corps
expéditionnaire afin de forcer l’empereur chinois à consentir à de nouveaux traités
commerciaux et à des cessions de territoires pour que les marchands anglais puissent s’établir.
La première guerre de l’opium (1840-1842) débouche sur l’acquisition par les Anglais de l’île
de Hong Kong. La cession sera inscrite dans le traité de Nankin du 29 août 1842. Outre
l’ouverture d’un certain nombre de ports à l’empire britannique, l’île de Hong Kong leur est
cédée à perpétuité avec « le bénéfice du gouvernement et de l’administration selon les lois et
règlements qu’il plaira au souverain britannique d’édicter »2. Le 26 juin 1843, Hong Kong est
officiellement déclarée colonie de Sa Majesté. Dès l’origine, la ville s’affirme comme un
havre pour les marchands : elle est administrée comme un port franc, à quelques encablures
de la trépidante Canton.
Devant la lenteur de la mise en place des traités et avec un appétit toujours plus grand, les
soldats britanniques provoquent une nouvelle guerre (la seconde guerre de l’opium, 1856-
1860). La Convention de Pékin du 24 octobre 1860 donne à vie aux Anglais la péninsule de
Kowloon et les îles Stonecutters. Plus tard, alors affaiblie par sa défaite contre le Japon en
1895, la Chine consent à louer lors d’une seconde Convention à Pékin en 1898 les Nouveaux
Territoires et 240 îles et îlots de la rade pour un bail de 99 ans.
Au sortir de deux guerres entre les puissances occidentales et l’empire chinois, l’intégrité
territoriale de la colonie de Hong Kong est ainsi parachevée dans la honte pour l’empire du
Milieu. A une île et une péninsule, cédées à la couronne britannique à perpétuité, s’ajoutent
des territoires représentant plus de 80% de la superficie totale de la colonie, loués par bail
emphytéotique. Et même si le Royaume-Uni ne possède pas de souveraineté sur cette portion,
il aura tôt fait de la considérer comme une extension de la colonie et de son régime
d’administration.
La colonie ploie sous l’invasion des Japonais du 8 décembre 1941 au 14 août 1945. Sa
libération est l’objet d’une confrontation entre Churchill et Tchang Kaï-chek. Le britannique
réussira à peser auprès des États-Unis pour s’assurer le retour de la colonie sous son contrôle.
Une fois la parenthèse de l’occupation refermée, Hong Kong demeurera ainsi jusqu’en 1997,
se développant à l’abri de la guerre civile entre les communistes et les nationalistes fait rage
de l’autre côté de la frontière. En 1949, alors qu’elle a l’opportunité de reconquérir la ville,
l’Armée Populaire de Libération s’arrête à quinze kilomètres seulement de la frontière. Il n’y
aura jamais ensuite de volonté ferme de récupérer Hong Kong par la force. Cette question
2 DE SACY (Alain), Hong Kong et le delta de la rivière des Perles, Paris, Vuibert, 2005, p. 16.
servira de rhétorique à la propagande du parti communiste chinois pour dénoncer l’illégalité
des traités et réclamer le retour à la patrie des frères de Hong Kong.
De façon pragmatique, la dictature communiste se sert de la colonie comme une fenêtre
sur le monde capitaliste et un moyen de se procurer des devises étrangères. La frontière
n’arrête cependant pas toute influence de la République Populaire de Chine (R.P.C.), comme
l’illustrent les violents conflits sociaux qui éclatent en 1967 avec le soutien du parti
communiste, lors de manifestations anticoloniales qui entrainèrent la mort de 51 personnes.
La R.P.C. entre à l’Organisation des Nations Unies et y remplace la République de Chine
(Taïwan) en 1972. Elle demande en 1973 à ce que Hong Kong et Macao soient retirés de la
liste des territoires appelés à devenir indépendants. La question devient alors une affaire
bilatérale entre la Chine et, respectivement, le Royaume-Uni et le Portugal, hors de portée des
institutions internationales.
La mort de Mao Zedong et l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping constituent une
nouvelle étape dans l’Histoire de la ville. Ce dernier brise le statu quo en 1979 lors d’une
visite d’officiels britanniques à Pékin. Il leur annonce son intention de réaffirmer la
souveraineté de la Chine sur Hong Kong, envisageant néanmoins, pour une certaine durée, la
possibilité pour la ville de pratiquer le capitalisme.
La question commence à se poser de manière aigüe à partir de 1982. En effet, les
garanties d’assurance sur les crédits immobiliers à Hong Kong se négocient pour quinze ans.
Or, si l’île de Hong Kong et Kowloon sont cédés à vie, le bail de quatre-vingt-dix-neuf ans
des Nouveaux Territoires (institué par la seconde Convention de Pékin de 1898) vient à
expiration en 1997. L’incertitude agite la communauté économique de la ville quant au
devenir de la colonie. 1982 représente ainsi une année tournant. Margaret Thatcher se rend à
Pékin en septembre et doit rapidement se résigner à l’idée que le Royaume-Uni ne pourra
proroger le bail ou conserver la gestion administrative de la ville. C’est également cette année
que Deng Xiaoping soumet une nouvelle Constitution devant l’Assemblée Nationale
Populaire (A.N.P.), toujours en vigueur bien qu’amendée depuis, qui stipule à l’article 31 que
« the state may establish special administrative regions when necessary »3. Le statut de
3 Article 31 de la Constitution chinoise de 1982 : « The state may establish special administrative regions when
necessary. The systems to be instituted in special administrative regions shall be prescribed by law enacted by
the National People's Congress in the light of the specific conditions. ».
Région Administrative Spéciale (R.A.S.) est ainsi créé afin de pouvoir offrir un cadre
constitutionnel à l’éventuelle réappropriation de Hong Kong.
Pékin tente de rassurer la population de la ville en dessinant les contours possibles d’un
statu quo, dont la nature n’est pas définie initialement. Une formule de compromis émerge
pour un retour sous souveraineté chinoise mais offrant des garanties au mode de vie des
Hongkongais : « un pays, deux systèmes ». Si Hong Kong est destinée à revenir sous
souveraineté chinoise, son système économique capitaliste, ses libertés civiles et son régime
juridique seraient préservés. L’idée est alors d’offrir un modèle attractif à Taïwan, que la
R.P.C. espère réintégrer. Deng Xiaoping déclare que Hong Kong sera aux Hongkongais, et
qu’ils gèreront leurs propres affaires. Si ces avancées permettent de réinstaurer la confiance
de la population et du milieu des affaires pour un temps, ces promesses se heurtent à des
limites certaines dès les négociations quant au devenir de la ville : pas une seule fois il n’y
aura de délégation la représentant pour prendre au part aux discussions. Le couple sino-
britannique ne laisse pas l’opportunité à la colonie de participer à l’écriture de son futur.
Le 19 décembre 1984, la Déclaration Conjointe sino-britannique est signée. Le texte vient
parachever l’ensemble des négociations et figer les engagements des deux parties. Elle prévoit
que la colonie sera restituée à minuit le 30 juin 1997 et deviendra une « Région
Administrative Spéciale », telle que définie par la Constitution chinoise. Elle garantit par
ailleurs aux Hongkongais que leur mode de vie sera maintenu pendant les 50 ans qui suivront
la rétrocession. Ainsi, jusqu’au 30 juin 1947, la propriété privée, les droits et les libertés
seront respectés. Et si la ville possédera un degré d’autonomie important, Pékin restera maître
de l’interprétation des accords. Accords qui, par ailleurs, sont exorbitants des règles de droit
international : ils organisent « le régime de souveraineté de la Chine sur une partie de son
propre territoire »4.
La Loi Fondamentale, ou Basic Law, constitue un autre texte fondateur. Elle est votée par
l’A.N.P. puis promulguée le 4 avril 1990. Elle représente le socle juridique qui viendra
organiser la R.A.S. dès le 30 juin 1997. Il s’agit d’une « mini-constitution », qui pose un
certain nombre de droits et de règles. Suite aux évènements de Tiananmen, le gouvernement
chinois est quelque peu revenu sur certains de ses engagements, craignant qu’un foyer de
contestation puisse se développer dans la colonie si des avancées démocratiques réelles,
même minimes, avaient lieu. La répression sanglante des manifestations étudiantes à
4 LAWSON (David), Hong Kong, Chine, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 64.
Tiananmen en juin 1989 jette par ailleurs un froid dans la colonie, où des manifestations de
soutien sont organisées. C’est une nouvelle source de crainte, qui explique en partie le nombre
important d’habitants qui fuirent entre 1984 et 1994 (plus de 600 000 personnes).
Ces évènements dramatiques suscitent une prise de conscience alors qu’une société civile
commence à émerger. Outre le développement du secteur associatif, on assiste à l’apparition
de partis politiques. Le parti pro-démocratique des United Democrats of Hong Kong est ainsi
créé en 1990, tout comme le parti pro-Pékin Democratic Alliance for the Betterment of Hong
Kong en 1992. Au tournant des années 90, le champ politique Hongkongais s’organise ainsi,
annonçant les transformations de la vie politique locale à venir.
Les avancées pour la démocratie locale ont été marquées par l’action du dernier
gouverneur britannique de la colonie, Chris Patten. Il contraste avec ses prédécesseurs,
sinologues avertis, et ses tentatives pour imposer de véritables réformes démocratiques
provoquent un regain de tension avec Pékin. Peut-être parce qu’il n’est pas un diplomate, il va
plusieurs fois franchir la ligne rouge tracée par Pékin : les Chinois dénoncent l’hypocrisie du
discours sur la démocratie du nouveau gouverneur et, à leurs yeux, la remise en question de la
Déclaration sino-britannique. Selon eux, tout non-respect des clauses de la Déclaration
conjointe entrainerait une rupture de contrat et ne les lierait pas au-delà de 1997.
Malgré un retour officiel prévu pour le 30 juin 1997, la Chine avance ses pions dans la
colonie en s’appuyant sur l’influence qu’elle a auprès des hommes d’affaires. Cette
cooptation lui permet de peser sur certaines politiques menées par l’administration de Patten.
Pékin fait ainsi miroiter les contrats potentiels auprès d’entrepreneurs qui ne veulent pas
risquer de se mettre à dos le futur maître des lieux. Une certaine ambivalence chez la
population apparaît également, qui bien que soutenant certaines réformes démocratiques, ne
veut pas payer le prix lourd en fâchant la Chine.
C’est donc le 30 juin 1997 à minuit qu’Hong Kong est officiellement redevenue partie
intégrante de la République Populaire de Chine. Une cérémonie en présence du Prince
Charles et du président chinois Jiang Zemin marqua la passation de pouvoir entre les deux
États. La rétrocession de la colonie, suivie en 1999 par celle de Macao, clôt la parenthèse du
« morcellement du territoire chinois et de l’ancrage européen sur le continent »5. C’est une
5 SANJUAN (Thierry), TROLLIET (Pierre), La Chine et le monde chinois – Une géopolitique des territoires,
Paris, Armand Colin, 2010, p. 318.
fois les drapeaux du Royaume-Uni et de la colonie de Hong Kong abaissés que ceux de la
R.P.C. et de la R.A.S. de Hong Kong furent élevés.
« Frontière » et « identité » ont ainsi toujours été au cœur de la construction de l’ancienne
colonie britannique puis, depuis 1997, au cœur de son développement sous souveraineté
chinoise. Un trait de 30 kilomètres qui pendant des décennies a représenté une cicatrice dans
le territoire chinois, figeant une séparation entre deux entités qui se sont développées en vase
clos. La frontière marque encore aujourd’hui une limite fictive géographiquement au sein
d’un même État, mais bien réelle en termes économiques, politiques et sociaux. « Frontière »
et « identité » viennent souligner les contrastes, les dynamiques et les limites de l’intégration
de Hong Kong à la Chine.
S’intéresser à la question des récents développements au sein de la R.A.S. de Hong Kong
nécessite ainsi d’avoir conscience de l’héritage historique induit. La frontière ne doit pas être
considérée comme un mur ou une limite mais comme une interface à partir de laquelle se
définissent aujourd’hui des identités différentes, des régimes politiques distincts et des
trajectoires économiques interdépendantes. Si bien que si l’on peut regretter qu’Hong Kong
ne fût jamais considérée comme une entité propre, il est difficile de s’affranchir des cadres
posés par le Royaume-Uni et la Chine pour s’intéresser à sa société. Celle-ci s’est certes
développée sous l’influence britannique, mais dans un terreau culturel asiatique, et a fortiori
chinois. La question de l’identité s’y pose donc dans des termes aigus : qu’elle s’appréhende à
l’échelle du territoire comme à celle des individus. S’intégrer à la Chine signifie-t-il devenir
une ville chinoise comme les autres ? Comment rester la figure de proue de libéralisme et du
commerce international en Asie alors que Shanghai se développe à toute vitesse ? Avoir la
nationalité chinoise signifie-t-il se définir comme Chinois ? Autant d’interrogations qui
traversent la société et auxquelles il nous appartiendra de tenter de répondre.
Il existe de nombreuses façons de se saisir de la question des dynamiques en jeu à Hong
Kong depuis la rétrocession. Une approche disciplinaire est possible, en s’attardant sur
l’intégration économique par exemple, ou encore en choisissant d’étudier l’évolution des
réformes démocratiques dans la R.A.S. Se limiter à une approche offre l’avantage de pouvoir
aborder l’ensemble de ses facettes. Cependant, s’il est possible de tracer une frontière
théorique entre les disciplines, sur le terrain, les phénomènes se conjuguent et interagissent.
Comment n’aborder que des perspectives politiques alors que celles-ci dépendent fortement
du climat économique ou des construits culturels de la population ? Nous avons ainsi fait le
choix d’aborder la question avec un spectre disciplinaire large. Toutefois, afin de garder une
cohérence à nos propos et notre étude, nous avons construit le travail d’analyse au prisme des
notions d’ « identité » et de « frontière », notions qui nous ont permis de faire résonner
différentes approches disciplinaires.
Le temps et les ressources manquant pour établir notre propre travail de recherche, et
l’exercice même qu’est le mémoire nous invitant à nous appuyer sur la littérature scientifique
existante, nous avons choisi de baser notre travail sur une large palette de sources. La
littérature anglophone est foisonnante à ce sujet : non seulement étant donné les liens
historiques certains avec le Royaume-Uni, mais aussi par l’importance stratégique et politique
qu’a été la rétrocession pour les États-Unis par exemple. Les chercheurs hongkongais publient
également en langue anglaise. Cette variété de sources scientifiques nous a ainsi permis de
confronter les points de vue et les analyses.
Nous avons également choisi de construire notre travail de recherche en deux temps :
poser des bases théoriques solides à l’aide la littérature existante, puis les mettre au regard
d’évènements récents reportés dans la presse. Là encore, nous avons fait le choix de la
diversité et de la pluralité en ayant recours à la presse anglophone, la presse locale, qu’elle
soit pro-Pékin ou non, et la presse chinoise. La pluralité des regards sur un même fait
représente un intérêt indéniable. Notre objet n’est en effet pas de faire preuve de complaisance
vis-à-vis de la politique de la Chine dans la R.A.S., ni de porter un regard trop critique et donc
réducteur sur cette même politique. Il s’agissait, par conséquent, de baser une réflexion
théorique sur des articles de presse, mais d’éclairer cette même réflexion avec des faits récents
venant compléter les travaux de recherches sur la question. Les derniers faits d’actualité pris
en compte ont eu lieu au début du mois de septembre 2011. Notre démarche vise à aborder
une question certes déjà débattue, mais en essayant d’adopter un angle différent. Elle
permettra également de s’intéresser à de nombreux auteurs anglophones qui ne sont
malheureusement pas traduits en français.
Nous tenterons ainsi de répondre à la question : quelles dynamiques et quels enjeux pour
Hong Kong depuis sa rétrocession à la Chine ?
Il s’agira dans un premier axe d’aborder la recomposition de la société à l’échelle de ses
individus : acteurs des changements ou forces de résistances, l’évolution de la perception
qu’ils ont de leur identité et de leurs particularismes est un indicateur intéressant pour juger de
l’intégration de Hong Kong à la Chine. Nous vous invitons ainsi dans ce premier temps de
notre réflexion à étudier la question des libertés civiles à travers le prisme de la liberté
d’expression. Garantie par la Loi Fondamentale, celle-ci n’en est pas moins parfois entravée
par Pékin. Nous développerons également la question de l’émergence d’une société civile et
les enjeux autour de l’identité des habitants. Notre deuxième axe tentera d’analyser
l’intégration de la ville, en tant qu’entité, à la Chine. Cette intégration pose de nouveaux
enjeux : quelle spécificité garder lorsque l’intégration implique la standardisation ? Hong
Kong est-elle vouée à devenir une ville chinoise comme les autres ? Frontière physique et
frontière symbolique se confrontent quand la première disparait au profit d’une meilleur
interpénétration économique et que la seconde s’affirme dans un processus de
démocratisation distinct. Cette deuxième partie répondra ainsi à la question des
particularismes de la ville face aux mouvements d’intégration.
Première partie / Les Hongkongais face au devenir de leur
ville
e 1er
juillet 1997, ce n’est pas seulement une entité administrative et une parcelle de
territoire qui ont été rétrocédées à la Chine. Ce sont également plus de six millions
de Hongkongais qui ont vu leur sort passer des mains des Britanniques à celles des
Chinois. S’intéresser aux dynamiques de la société hongkongaise depuis la rétrocession nous
impose donc de nous pencher, au niveau micro, sur les comportements des citoyens et les
transformations qui ont affecté ces derniers. Les changements de repères identitaires ou les
perceptions du respect de leurs droits civiques sont autant d’indicateurs qui nous renseignent
sur les enjeux, encore actuels, auxquels fait face la population de Hong Kong.
Nous nous pencherons sur ces questions dans une analyse en trois temps. Il s’agira tout
d’abord d’étudier l’un des sujets les plus sensibles lorsque l’on aborde l’intégration à la Chine
continentale : le respect des libertés civiles. La première section reviendra ainsi sur le corpus
juridique existant pour protéger ces dernières, en s’attachant à étudier leur application à
l’épreuve de la réalité. Nous verrons ensuite que, même si Hong Kong et la Chine présentent
de grandes similitudes culturelles, la rétrocession a opéré un glissement dans la manière
qu’ont les Hongkongais de s’identifier. Se percevoir comme « citoyen chinois et habitant de
Hong Kong » ou « habitant de Hong Kong et citoyen chinois » ne reflète pas la même identité.
Nous terminerons enfin cette première partie par l’analyse de la société civile Hongkongaise,
en ce qu’elle traduit le mode d’expression politique d’une ville où l’expression démocratique
n’est pas la règle.
L
Section 1 - La liberté d’expression à Hong Kong : entre inquiétude et
mobilisation
« Hong Kong residents shall have freedom of speech, of the press and of
publication; freedom of association, of assembly, of procession and of
demonstration; and the right and freedom to form and join trade unions, and to
strike. » - Article 17 de la Loi Fondamentale de Hong Kong.
es libertés civiles sont un élément clef dans l’analyse des dynamiques politiques et
sociales à Hong Kong à la suite de la rétrocession du territoire à la Chine en 1997.
C’est un des marqueurs centraux qui, encore à ce jour, fonde le principe « un pays,
deux systèmes » tant le contraste est important de part et d’autre de la frontière.
Point d’achoppement durant les négociations menant à la rétrocession, les libertés
civiles font l’objet de plusieurs clauses de sauvegarde dans le corpus juridique de Hong Kong.
Leur protection repose sur les textes propres de la Région Administrative Spéciale (RAS),
ainsi que dispose l’article 17 de la Loi Fondamentale, mais aussi sur des sources extérieures à
travers l’application des conventions internationales. L’article 39 de la Loi Fondamentale et
l’article 16 du Bill of Rights de Hong Kong font ainsi référence de façon explicite à l’article
19 du Pacte International Relatifs aux Droits Civils et Politiques qui dispose au paragraphe 1
que « nul ne peut être inquiété pour ses opinions » et au paragraphe 2 que « toute personne a
droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de
répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous
une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ». Les
citoyens de Hong Kong jouissent par conséquent d’une liberté d’expression proclamée dans
l’acte fondateur de la Région Administrative Spéciale et protégée par son système juridique.
Régulièrement pourtant, des faits d’actualité viennent apporter la preuve pour certains
que l’on assiste à une dégradation des libertés dans l’espace public. Cette question est
récurrente sur la scène hongkongaise tant l’attachement de la population à ses droits semble
être vivace. Cette section vise dès lors à analyser l’état des libertés civiles à Hong Kong et les
manifestations d’une potentielle érosion. Il convient tout d’abord de rappeler qu’il est
L
nécessaire d’éviter de considérer avec une certaine naïveté la situation de telles libertés avant
la rétrocession à la Chine en 1997. Celles-ci faisaient l’objet d’un contrôle étroit par les
colons britanniques6, et, faut-il le rappeler, les citoyens de Hong Kong n’ont jamais joui d’une
démocratie complète. Les colons britanniques et les dirigeants chinois ont eu et ont toujours
tendance à considérer que les libertés économiques, qui ont fait la richesse de la ville,
primaient sur les libertés civiles. Et ce bien que les citoyens de Hong Kong semblent avoir
prouvé leur attachement à être autre chose que de simples acteurs économiques.
Nous allons ainsi nous demander si l’on peut parler d’une dégradation des libertés à
Hong Kong depuis la rétrocession à travers une analyse du champ médiatique dans un premier
temps, caisse de résonnance importante de l’opinion publique. Nous nous concentrerons
ensuite sur un évènement en particulier qui a mobilisé la communauté artistique au printemps
2011 et qui symbolise les craintes de certains de voir leurs libertés s’éroder.
I - La condition des médias à Hong Kong : la vigilance face aux pressions de
Pékin
« Everyone shall have the right to freedom of expression; this right shall
include freedom to seek, receive and impart information and ideas of all
kinds, regardless of frontiers, either orally, in writing or print, in the form
of art, or through any other media of his choice. » – Article 16 du Bill of
Rights de Hong Kong.
L’analyse de la liberté de la presse à Hong Kong est essentielle au sens où les
médias y sont incontournables. Dans une démocratie partielle où l’expression des
citoyens par le suffrage universel a peu de poids, ils représentent une plateforme de
discussion et d’expression d’opinions contraires. Leur évolution depuis la rétrocession
est donc un gage pour l’ensemble du climat politique dans la RAS. Hong Kong
possédant un accès à internet libre et sans entrave, nous nous concentrerons
principalement sur les autres médias, et plus spécialement la presse écrite.
6 MORIARTY (Francis), «Press Freedom in Hong Kong: the Trend Is Down», HK Journal, 2007.
La société hongkongaise est férue de journaux, publiés en anglais tout comme en
chinois. Les titres de presse écrite sont nombreux sur un spectre politique varié, du très
libéral Apple Daily interdit en Chine continentale au Wen Wei Po pro-Pékin. Le
Standard et le South China Morning Post sont des journaux imprimés en langue
anglaise qui jouissent d’une réputation de qualité. Des journaux comme le China Daily
possèdent par ailleurs une antenne à Hong Kong et s’y font le relai de la ligne du Parti
communiste chinois (P.C.C.). Les grands papiers internationaux, tout comme les
grandes chaînes d’information internationales, possèdent des correspondants sur place.
Hong Kong est attachée à cette diversité et au dynamisme de ses médias, si bien que les
citoyens lui confèrent un réel pouvoir de substitution à la démocratie (surrogate
democracy function) : en 2002, 83% des personnes interrogées dans le cadre d’une
étude déclaraient qu’il était important que les médias soient « le porte-parole du
peuple » et 78% qu’il était de leur rôle d’améliorer la communication en le
gouvernement et les citoyens7.
Dans une société aussi développée et attentive à la condition de ses libertés, les
atteintes à l’indépendance des médias ne se font pas aussi arbitraires et grossières qu’en
Chine continentale. Il conviendra par conséquent d’étudier les différentes manières dont
la liberté de la presse pourrait être affectée, et par quelles dynamiques. Malgré une
liberté d’expression garantie par un corpus juridique et des Cours indépendantes, les
entraves à la liberté de la presse se produisent ainsi plus ou moins indirectement par
l’intervention de Pékin, ou par les acteurs du champ médiatique eux-mêmes.
A) Une autocensure corrosive
Le phénomène le plus constaté, bien qu’il est difficile à repérer, est celui de
l’autocensure. Il a débuté avant la rétrocession, les journalistes se projetant déjà dans
l’après 1997 et Pékin avançant ses pions. L’autocensure se définit comme un
processus d’intériorisation par les journalistes de la contrainte éventuelle que pourrait
exercer un pouvoir politique sur ces derniers, qui vont d’eux-mêmes s’interdire de
publier une information trop subversive ou s’attaquer au gouvernement par crainte de
représailles.
7 CHAN (Joseph) et SO (Clement), « The Surrogate Democracy Function of the Media: Citizens’ and Journalists’
Evaluations of Media Performance in Hong Kong », dans Angela Romano and Michael Bromley dir.,
Journalism and Democracy in Asia, Londres, Routledge, 2005, p. 73.
L’autocensure est un fait qui n’est pas propre à Hong-Kong et se manifeste
dans la plupart des pays8. C’est également un phénomène difficile à discerner car il
ne s’affiche pas. C’est alors le ton général du journal qu’il convient d’étudier sur une
période longue pour constater une évolution et un adoucissement des positions tenues.
L’autocensure est ainsi un phénomène corrosif, car si la liberté d’expression est aussi
le droit d’obtenir des informations, ces informations ne peuvent circuler librement si
les journalistes n’en font pas écho9.
La métaphore de la corrosion illustre bien que c’est un phénomène qui peu à
peu va éroder la liberté de la presse et non faire l’objet d’une attaque violente de
Pékin. J. M. Chan et F. Lee expliquent dans l’article Media and politics in post-
handover Hong Kong qu’ « un acte au départ conscient d’autocensure pourrait
devenir naturel et se banaliser avec le temps et/ou s’avérer conforme au nouveau
« sens commun » ». Un glissement va progressivement se produire chez un certain
nombre d’acteurs médiatiques vers une position plus neutre sur le spectre des
opinions; si bien que ceux qui ont conservé une liberté de ton vont apparaître
marginaux et plus radicaux dans leurs opinions10
.
L’autocensure de la presse à Hong Kong a fait l’objet de plusieurs études
auprès des journalistes, pour connaitre leur point de vue sur un phénomène qui les
concerne directement. Dans l’une d’elle11
, 26.6% des journalistes interrogés pensent
que l’autocensure existe et que c’est un problème sérieux, 47.2% qu’elle existe mais
ne représente pas un problème sérieux. Seuls 3.2% ne pensent pas que l’autocensure
soit pratiquée.
Les chercheurs ont ensuite détaillé six exemples d’autocensure existants en
demandant aux journalistes de leur attribuer un chiffre sur une échelle de 1 à 5 (5
représentant la fréquence la plus élevée) : atténuer les mauvaises nouvelles relatives
au gouvernement local / chinois, omettre des mauvaises nouvelles sur le
gouvernement local / chinois, faire preuve de parti pris en faveur du gouvernement
local / chinois. Celle qui apparait comme étant la plus récurrente est « atténuer les
8 LO (Shiu Hing), « Mass media and politics in the Hong-Kong SAR », East Asia, 1998, p.111-136.
9 MORIARTY (Francis), op. cit.
10 CHAN (Joseph) et LEE (Francis), « Media and Politics in Post-handover Hong Kong: an introduction », Asian
Journal of Communication, Vol. 17, n°2, 2007, p 127-133. 11
LEE (Francis) et CHAN (Joseph), « Les medias et la politique à Hong Kong », Perspectives chinoises,
n°2007/2, p. 54.
mauvaises nouvelles relatives au gouvernement chinois », la fréquence « 5 »
obtenant 14.9% des voix et la fréquence « 4 » 31.1% des voix, soit les chiffres les
plus importants. Le « parti pris en faveur du gouvernement chinois » apparaît comme
la deuxième récurrence. L’autocensure semble par conséquent être plus utilisée
lorsqu’il s’agit de ne pas aller à l’encontre de Pékin.
Cette autocensure prend racine dans différents mouvements de pression directs
ou indirects de la part de Pékin, qui manie à la fois « le bâton et la carotte ». L’une de
ses manifestations les plus importantes est la stratégie de cooptation exercée par la
Chine sur les propriétaires des médias locaux, afin de s’assurer que les journaux
qu’ils possèdent ne tiennent pas une ligne éditoriale trop en décalage avec les intérêts
du P.C.C. La Conférence consultative politique du peuple chinois, organe de
consultation sans réel pouvoir de décision, est ainsi un moyen de coopter ces
magnats hongkongais en les y faisant siéger. Dix propriétaires siègeraient ainsi à la
Conférence12
. La cooptation demeure le meilleur moyen pour Pékin d’influencer les
médias locaux sans pour autant le faire de façon flagrante. La « politique de la
carotte » leurs permet ainsi de les récompenser en facilitant par exemple leur entrée
sur le marché chinois13
. Ces potentiels investisseurs n’ont alors pas intérêt à
mécontenter ceux qui vont conditionner leur source future de revenus14
.
L’argent étant le « nerf de la guerre », le gouvernement central peut couper les
sources de revenus des journaux qui s’écarteraient un peu trop de sa ligne politique
en faisant pression sur les investisseurs publicitaires potentiels de tels journaux15
.
L’Apple Daily et l’Epoch Times ont ainsi connu des difficultés lors de la recherche
de publicitaires, car ceux-ci craignaient que les publications n’entachent leurs intérêts
économiques de l’autre côté de la frontière16
. Limiter les accréditations permettant
aux journalistes de Hong Kong de se rendre en Chine représente également un
moyen fréquemment utilisé par les autorités chinoises pour faire pression sur les
médias locaux. En février 2009, ces autorités ont ainsi imposé aux journalistes
hongkongais d’obtenir une autorisation spéciale pour pouvoir se rendre en Chine, en
12
Rapport de l’ONG FreedomHouse, Freedom in the world 2010 - Hong Kong. 13
CHAN (Joseph) et LEE (Francis), « Media and Politics in Post-handover Hong Kong: an introduction », Asian
Journal of Communication, Vol. 17, n°2, 2007, p. 129. 14
MORIARTY (Francis), op. cit. 15
LO (Shiu Hing), «Mass media and politics in the Hong-Kong SAR», East Asia, 1998, p. 118. 16
Rapport de l’ONG FreedomHouse, Freedom in the world 2010 - Hong Kong.
s’assurant que les sujets couverts et les personnes potentiellement interviewées
n’avaient rien de subversifs17
.
Des exemples moins subtils d’entrave à la liberté de la presse apparaissent
parfois, provoquant l’émoi de la communauté journalistique hongkongaise. En 2009,
un journaliste du magazine Esquire s’est ainsi fait licencier après avoir écrit un
article de seize pages sur le massacre du 4 juin 1989 à Tiananmen, qui lui-même ne
fut pas publié. L’affaire a symbolisé une couverture en demi-teinte de l’anniversaire
par les médias qui ne lui auraient pas accordé une place significative18
. Par ailleurs,
les licences nécessaires pour émettre ou publier sont distribuées par un organe
exécutif de la R.A.S., l’Office de l’Autorité des Télécommunications, et non un
organe indépendant. La radio pro-démocratique Citizen’s Radio se voit ainsi refuser
une licence de diffusion depuis 2005, date à partir de laquelle elle avait commencé à
émettre de façon clandestine. La justice a poursuivi plusieurs responsables et six
d’entre eux furent condamnés en 2006 pour diffusion sans licence à des amendes19
.
Lors des élections législatives d’août 2004, qui s’annonçaient comme un
camouflet pour le front uni pro-Pékin, la démission d’animateurs radio de talk-show
populaires ont attiré l’attention sur les pressions exercées par Pékin dans un contexte
politique tendu. A. Cheng présentait alors l’émission « Teacup in a storm » sur
Commercial Radio, un talk-show très suivi qui permettait aux auditeurs de
s’exprimer sur des sujets d’actualité. Souvent critique avec les gouvernements central
et local, il a démissionné en mai, arguant d’un climat politique « suffoquant » à Hong
Kong. A. Lee le remplaça, mais démissionna ensuite deux semaines seulement après
son arrivée, après avoir reçu l’appel d’un officiel chinois qui désirait lui parler de son
nouveau talk-show et insinuait des menaces contre sa famille20
. A. Lee était pourtant
un membre de l’Assemblée Nationale du peuple chinois et membre du front uni pro-
Pékin. La polémique suite à ces démissions fut telle que le gouvernement de la R.A.S.
dut réaffirmer publiquement à plusieurs reprises son attachement plein et entier à la
liberté d’expression.
17
Rapport de l’ONG FreedomHouse, Freedom of the press 2010 - Hong Kong. 18
Rapport de l’ONG FreedomHouse, Freedom in the world 2010 - Hong Kong. 19
Idem. 20
LAU (David), « Is there an erosion of freedom of speech in Hong Kong? », Civic Exchange, 2004, p. 3.
B) L’objectivisme journalistique comme stratégie de contournement
Le champ médiatique hongkongais a néanmoins développé des stratégies pour
s’affranchir des pressions politiques. J. M. Chan et F. Lee montrent ainsi dans
« Media and politics in post-handover Hong Kong » que les journalistes ont recours à
une « juxtaposition d’opinions positives et négatives à propos des détenteurs du
pouvoir, [au] recours croissant aux sondages comme indicateurs « objectifs » [et à]
l’implication accrue d’experts non politiques »21
.
L’objectivité devient ainsi un moyen de répondre aux éventuelles pressions
en arguant d’une couverture neutre de l’actualité. L’étude de W. Cheng et P. Lam
Media discourses in Hong Kong : change in representation of human rights offre un
regard original sur la question : ces chercheurs ont examiné la représentation des
droits de l’Homme dans un corpus de plus de 5 000 articles du South China Morning
Post avant et après la rétrocession, en analysant à quels termes lexicaux ils étaient
associés. Leur étude montre ainsi, qu’après la rétrocession, les termes « human
rights » sont souvent associés à des noms propres ou à des organisations : « the
quoting of human rights lobby groups seems to be a common strategy employed by
the writers »22
. Les sources sur lesquelles se basent les journalistes pour rédiger leurs
articles leur permettent, tout en arguant de rester objectifs, d’aborder des sujets
controversés : « human rights is possibly used to introduce a particular view chosen
by the newspaper while maintaining alleged objectivity and neutrality through
reporting a third party »23
. Leur étude montre également que le South China Morning
Post a glissé vers une position plus timorée envers la Chine en renonçant à des points
de vue critiques (représentés par la juxtaposition dans la période pré-récession des
termes United States et human rights traduisant une perspective occidentale jugeant
la situation pour les droits de l’Homme en Chine). Enfin, W. Cheng et P. Lam nous
montrent que « in post-handover Hong Kong, doubts about human rights issues in
the local setting recede from the media’s spotlight and are replaced by the growing
voices from locally-based groups as a source of authority, neutrality or reliability on
related topics taking place elsewhere »24
. Les points de vue critiques envers les
21
CHAN (Joseph) et LEE (Francis), « Les médias et la politique à Hong Kong», Perspectives chinoises, n°
2007/2, p. 60. 22
CHENG (Winnie) et LAM (Phoenix), « Media discourses in Hong Kong: change in representation of human
rights », Text & Talk, Vol. 30, n°5, 2010, p. 516. 23
Ibid., p. 517. 24
Ibid., p. 523.
gouvernements central et local sont ainsi portés par des « sous-traitants de
l’opinion » que les journalistes vont citer en prenant soin d’adopter un ton neutre, se
contentant de confronter les sources.
C) Peut-on parler d’une liberté de la presse en danger à Hong-Kong ?
Il est toutefois nécessaire de relativiser un portrait quelque peu sombre de la situation
de la liberté de la presse à Hong Kong. Rappelons encore une fois que même sous
administration britannique il existait une influence et un contrôle du gouvernement25
.
Peut-on pour autant dire comme le rapporte le journal pro-gouvernemental chinois
People’s Daily en 2007 que « freedom of speech and press freedom have improved
since 1997 when it returned to China’s motherland »26
?
Les voix dissidentes se font en effet toujours entendre, comme dans le très
populaire et tout aussi critique envers le gouvernement local Apple Daily, même si
l’on a assisté à un glissement vers une position plus neutre de la plupart des médias
locaux. Et après tout, comme le déclare Zhang G., directeur du Wen Wei Po, en 2007
lors d’une interview, la liberté d’expression c’est aussi de pouvoir soutenir le
gouvernement local : « some people who talk about press freedom are really
overbearing – they allow them to talk on, but they don’t allow you to praise. They
attack the Chief Executive, and that’s press freedom; you say the Chief Executive is
good, and they say you aren’t supporting press freedom. This is not right. » 27
Plusieurs études pointent aussi que c’est un mouvement naturel de
rapprochement et d’interaction entre la société de la RAS et la Chine continentale qui
s’est exercé, amenant à une cognition positive de la part des médias hongkongais28
.
Les deux sociétés ont appris à se connaitre, et l’intensification des échanges sociaux
entre elles a conduit à une meilleure compréhension réciproque. L’identification des
citoyens de Hong Kong à la Chine a d’une certaine façon adoucit les postures
critiques induites par la peur de l’inconnu avant 1997.
Par ailleurs, en tant que ville d’envergure mondiale, Hong Kong jouit d’une
présence importante de médias internationaux, tels que la BCC ou CNN pour ne citer
25
MORIARTY (Francis), op. cit. 26
«Press freedom in Hong Kong has improved since 1997», People’s Daily, Juin 2007. 27
XU (Chunliu), «Press freedom in Hong Kong : Interview with Zhang Guoliang», Danwei, 2007. 28
CHAN (Joseph) et LEE (Francis), « Les médias et la politique à Hong Kong», Perspectives chinoises, n°
2007/2, p. 55.
qu’eux. En couvrant eux-mêmes l’actualité chinoise, ils empêchent les médias locaux
de passer sous silence certaines actualités relatives à la Chine : les médias locaux qui
tairaient l’information sortiraient décrédibilisés par leur silence sur le sujet29
.
La Chine tient par ailleurs à montrer que le principe « un système, deux
pays » fonctionne car c’est dans intérêt. La circulation sans entrave des informations
est une des conditions essentielles au dynamisme économique de la ville comme hub
mondial et représente une exigence pour la communauté commerciale de la ville qui
ne pourrait accepter trop d’atteintes à cette liberté30
.
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
Hong-Kong 18 56 34 39 58 61 51 48 34
France 11 26 19 30 35 31 35 43 44
États-Unis 17 31 22 44 53 48 36 20 20
Royaume-Uni 20 17 28 24 27 24 23 20 19
Chine 138 161 162 159 163 163 167 168 171
Classement mondial des pays en fonction de la liberté de la presse / Reporters Sans Frontières31
Un nombre plus faibles de pays pris en compte pour l’étude de 2002 explique l’écart dans le
classement avec 2003.
Enfin, la rétrocession, en attirant l’attention sur la condition de la liberté
d’expression et donc de la liberté de la presse, a exacerbé la vigilance des
commentateurs qui ne manquent pas de dénoncer toute atteinte. Le classement des
pays en fonction de la liberté de la presse, établi par Reporters Sans Frontières depuis
2002, montre que cette dernière n’est pas moins constante à Hong Kong qu’ailleurs.
D’après l’ONG, la presse de Hong Kong serait même plus libre en 2010 que la
presse française.
La liberté de la presse à Hong Kong connait par conséquent sans conteste des
pressions, des entraves plus ou moins flagrantes ainsi que nous l’avons constaté. La
ville jouit néanmoins d’une presse variée et dynamique, et la vigilance particulière
29
CHAN (Joseph) et LEE (Francis), op. cit., p. 57. 30
LO (Shiu Hing), « Mass media and politics in the Hong-Kong SAR », East Asia, 1998, p. 131. 31
Classement mondial des pays en fonction de la liberté de la presse / Reporters Sans Frontières.
qui l’habite participe à son maintien. La rétrocession à la Chine autoritaire a marqué
paradoxalement une demande plus forte de liberté et de protection32
.
II – La mobilisation de la société civile contre les atteintes à la liberté
d’expression
« If you’re too afraid to turn on your camera, it’s like they have already
taken it away. » - Ai Weiwei
La « disparition » de l’artiste Ai Weiwei au printemps 2011 a jeté un trouble dans la
communauté artistique de Hong Kong33
. Alors que la R.A.S. jouit d’une relative liberté
d’expression, elle est venue rappeler à ses habitants qu’au-delà leur frontière, au sein du
pays même auquel ils appartiennent, cette liberté d’expression n’existe pas. La
mobilisation de la communauté artistique locale nous offre un regard intéressant sur la
perception par les Hongkongais de leur spécificité, en contraste avec la Chine
continentale, mais aussi de l’émergence d’une prise de conscience de leur rôle de porte-
parole pour une plus grande liberté. C’est dans le cadre légal offert par l’article 27 de la
Loi Fondamentale de Hong Kong qu’une mobilisation de la société civile a pu
s’effectuer. Nous allons voir par le biais de cette étude de cas quelles sont les formes
possibles de l’expression d’un art politique à Hong Kong ainsi que la réaction du
gouvernement local qui illustre la tension du politique face à des mouvements de
protestation qu’il ne peut contrôler.
Il convient tout d’abord de revenir sur le parcours d’Ai Weiwei afin de mieux
comprendre pourquoi son arrestation a pu mobiliser de la sorte et interpeller jusqu’aux
puissances occidentales. L’artiste est connu pour son travail subversif et ses prises de
position en faveur de la démocratie et contre la corruption du gouvernement chinois. Il
faisait ainsi régulièrement l’objet de surveillance policière à son domicile. Ai Weiwei a
été appréhendé par la police chinoise le 3 avril 2011 à Pékin alors qu’il s’apprêtait à
embarquer pour Hong Kong. Il n’a pas été vu depuis et est détenu dans un lieu tenu
secret. Les autorités ont justifié l’arrestation pour ces quelques motifs que rapporte The
32
LO (Shiu Hing), « Mass media and politics in the Hong-Kong SAR », East Asia, 1998, p. 130. 33
Ai Weiwei a été libéré depuis la rédaction de ces pages et vit actuellement en résidence surveillée.
Guardian : « polygamie, fraude fiscale, distribution de pornographie et plagiat » 34
. Elle
s’est toutefois produite dans un contexte de durcissement de la position de Pékin vis-à-
vis de la communauté artistique à la suite du printemps arabe.
La tenue de la « Hong Kong International Art Fair », connue sous le nom de
ART HK, du 26 au 29 mai 2011 a été l’occasion d’observer les réactions parmi les
cercles du commerce de l’art asiatique. Celles-ci ont été bien plus mesurées que la
mobilisation des électrons libres de la communauté artistique hongkongaise que nous
aborderons par la suite. À l’occasion d’un discours, le directeur de ART HK a soutenu
l’artiste : « Ai Weiwei’s works have been greatly admired.»35
Par ailleurs, la galerie
britannique Lisson, qui représente l’artiste et participe régulièrement à la foire, a dans
un communiqué déclaré « on the record as deploring the detention of Ai WeiWei by the
Chinese authorities » et souligné le « democratic progress, greater freedom of press and
an independent judiciary » dont jouit la R.A.S.36
.
A) La mobilisation d’une communauté artistique consciente de son rôle
C’est néanmoins dans le quartier plus informel de Chai Wan, haut lieu de l’art à
Hong Kong, que la mobilisation en faveur de l’artiste et de la liberté d’expression en
général a été la plus animée. Un collectif regroupant les artistes locaux et baptisé
« Art Citizens » s’est créé après la disparition d’Ai Weiwei pour organiser des
expositions et des manifestations. Kacey Wong, l’un des meneurs du groupe, a pour
l’occasion pris la parole dans de nombreux médias internationaux afin de montrer
que Hong Kong avait conscience des enjeux en présence : « We Hong Kongers like
to think we’re separate, but we have to sometimes remind ourselves that’ we’re
technically living in China and flying the Communist flag. We think we live in this
bubble but maybe the skin on that bubble is growing thin. On the mainland, Ai
WeiWei is already a taboo subject ».
37
Kacey Wong a organisé une exposition intitulée « Love the future » (爱未
来 en chinois se prononçant Ai Wei Lai en écho au nom de l’artiste chinois
emprisonné). Trois caractères qui sont censurés sur l’Internet chinois. Cette
34
SEARLE (Adrian), « Where is Ai Wei Wei ? », The Guardian, Mai 2011 35
HORD-CHUNG LAU (Joyce), « Defending dissident artist, Hong Kong takes role as Chinese rebel », The
New York Times, Juin 2011. 36
Idem. 37
Idem.
exposition est un symbole politique fort au sens où elle a lieu à Hong Kong même,
territoire sous souveraineté chinoise, et non à Londres ou New-York où pourtant des
expositions regroupant les œuvres d’Ai Weiwei ont déjà lieu.
B) Une réaction forte du gouvernement de la RAS
Si Hong Kong jouit sans conteste de plus de libertés que le reste de la Chine, la
frontière qui les sépare dans ce domaine est régulièrement testée. La réaction du
gouvernement local à la contestation de la communauté artistique locale interpelle
donc sur la question des limites à la liberté d’expression et du droit que se réserve
l’autorité du gouvernement central de hausser le ton.
Des graffitis représentant le visage d’Ai Weiwei, accompagnés de la
question « Who is afraid of Ai Weiwei ? », ont ainsi fleuri dans le centre-ville de
Hong Kong une semaine après sa disparition. Cet acte politique a fait l’objet d’une
forte réaction du gouvernement local. Comme le rapporte un article de NPR38
, alors
que la plupart des graffitis est souvent ignorée, des équipes de nettoyeurs sont
intervenues moins de trois heures après l’apparition des premiers pochoirs pour les
effacer. Les graffitis ont recouvert les couloirs de métro, les piliers de ponts et les
murs de la ville, les artistes cherchant à interpeller les passants. Pour eux, cet acte
artistique a une valeur symbolique. Ils souhaitent utiliser leur liberté de s’exprimer
pour palier à l’absence de celui qui est disparu pour l’avoir revendiqué. C’est une
jeune femme de 22 ans appelés Tang Chin qui, bien que se cachant de la police, a
revendiqué l’acte39
. Elle a déclaré que « if [Ai Weiwei] can be arrested, then there’s
no identity we can hide behind. Being a Hong Kong citizen doesn’t help anymore;
[…] there’s no shield any more against this very naked power that’s trying to engulf
us ». Selon elle, la détention de l’artiste chinois concerne tout le monde.
Il est intéressant de se pencher sur la réaction du gouvernement de la R.A.S.
pour comprendre au combien le cas d’Ai Weiwei représente un symbole que les
autorités ne veulent pas prendre à la légère. L’enquête chargée de traduire en justice
la jeune femme pour dégradation volontaire a été confiée à une unité de police
habituellement chargée d’enquêter pour des crimes sérieux tels que meurtres et
viols40
. Si des dégradations s’accompagnent généralement pour la peine la plus
38
LIM (Louisa), « Hong Kong graffiti challenges Chinese artist’s arrest », NPR, Mai 2011. 39
WONG (Natalie), « Mark of defiance as cops chase Ai artist », The Standard, Avril 2011. 40
Idem.
sévère de trois ans d’emprisonnement et d’une amende, la jeune femme encourt
jusqu’à dix ans de prison. Cette forte sanction serait pour certains la preuve du
durcissement du gouvernement local et une tentative de faire pression par la peur sur
les artistes qui seraient tentés de politiser leur message.
Par ailleurs, le collectif « Art Citizens » s’est attiré les foudres de la police
et de l’Armée Populaire de Libération (A.P.L.) en projetant sur les murs de bâtiments
officiels tels que les baraquements de l’A.P.L. des photographies d’Ai WeiWei41
.
Pour Kacey Wong, les récents évènements ont galvanisé et politisé les artistes locaux
qui avaient eu tendance à vivre dans un bulle déconnectée de la répression envers
leurs pairs en Chine continentale et de la dégradation de leurs droits dans la R.A.S.42
.
Conclusion
« In a civil society as sophisticated and developed as Hong Kong, violations of
human rights will not be manifested in the form of cruelty or inhuman treatment of
individual but always as conflicts between the rights of some against the wishes of
other members of society.» - Extrait du discours d’Alan Leong devant la Hong Kong
Democratic Foundation le 18 décembre 2000.
En catalysant les craintes, les doutes ou même les discours optimistes, la question de l’état de
la liberté d’expression est centrale à Hong Kong. Plus que la question de l’intégration et de la
santé économique de la ville depuis 1997, elle représente un aspect clef de la réussite, ou de
l’échec, du principe « un pays, deux systèmes ». Son étude relève par ailleurs d’un objet de
recherche inédit, puisque jamais un territoire sous la souveraineté d’un des Etats les plus
libéraux au monde n’était passé sous la souveraineté d’un pays communiste et notoirement
autoritaire.
Il ne s’agissait pas ici de prendre parti et de répondre catégoriquement à la question de
l’érosion des droits des citoyens de la R.A.S., mais plutôt de confronter des opinions et des
points de vues contradictoire en se penchant sur un corpus d’articles scientifiques et de presse
le plus large et divers possible. Il nous est apparu qu’un des aspects majeurs, lorsque l’on
41
HOR-CHUNG LAU (Joyce), op. cit. 42
LIM (Louisa), « Hong Kong graffiti challenges Chinese artist’s arrest », NPR, Mai 2011.
aborde la question des libertés, est la vigilance extrême dont la société civile fait preuve à son
égard, et le travail de dénonciation qu’elle effectue. Comme nous l’avons déjà abordé et
comme le traduit l’extrait du discours d’Alan Leong, figure politique du mouvement pro-
démocratique à Hong Kong, les valeurs qui fondent le respect des libertés dans la ville ne
s’effondreront pas du jour au lendemain et ne feront pas l’objet d’une remise en cause directe
de Pékin. La vigilance et la mobilisation rapide de la société civile permettent alors de réagir à
cette érosion graduelle et ciblée des libertés qu’elle considère comme non négociables. Ces
réactions qui prennent des formes diverses, de l’utilisation d’un certain objectivisme
journalistique pour répondre aux pressions éditoriales à un acte d’art politique couvrant les
murs de la ville, sont la forme même d’une liberté d’expression qui n’existe plus une fois
franchie la frontière avec le continent.
Cette vigilance a permis le développement d’une conscience politique dans la ville, si
bien que pour A. Leong, la liberté d’opinion pour les individus est un droit que « all Hong
Kong residents should guard jealously and strenuously defend ».
Section 2 - Décolonisation et renationalisation : Hong Kong en quête
d’identité ?
« The real transition is about identity, not sovereignty »43
.
es quelques mots d’Anson Chan, Chief Secretary for Administration (deuxième
position dans le gouvernement), décrivent les enjeux majeurs que pose la question
de l’identité des habitants de Hong Kong au moment de la rétrocession. Bien
qu’elle ait émergé dès 1984 avec la signature de la Déclaration Conjointe sino-britannique et
l’annonce de la rétrocession, ou encore en 1989 avec les évènements de Tiananmen, c’est
véritablement lors du passage sous souveraineté chinoise que l’identité d’Hong Kong est
entrée dans une période de trouble.
Modeste village de pêcheurs avant l’arrivée des colons britanniques, le territoire n’a
pas pu se tourner vers ses racines précoloniales, comme cela peut être le cas lors des
mouvements d’indépendance nationaux. Il ne s’agissait d’ailleurs pas d’émancipation mais de
(re)prise de contrôle par un autre pays, la Chine. La rétrocession se caractérise donc par une
renationalisation par la République Populaire de Chine d’un territoire qu’elle a toujours
considéré comme sien et par l’adaptation des citoyens de Hong Kong à une nouvelle
souveraineté44
.
L’identité se définit comme une source de significations et de différences par rapport à
un « autre » dont l’espace, le temps, les construits historiques et culturels nous séparent. C’est
un mouvement de construction à la fois interne et externe, en tant qu’il se vit par rapport à une
ligne de contact et de séparation. Hong Kong ne doit alors pas se voir comme un « élément »
séparé d’un « tout » chinois. La ville n’est pas plus un melting pot cosmopolite comme peut
l’être Singapour et possède une très forte identification à la culture et la civilisation chinoise45
.
Le développement de la ville derrière la frontière avec la Chine lui a néanmoins permis de
développer sa propre identité, ses propres coutumes populaires ou productions culturelles :
« the rise of Hong Kong identity can be seen as a process of dissociation from the social and
political life of the mainland, as well as a natural formation of local culture vis-à-vis colonial
43
Communiqué de presse du gouvernement de la R.A.S, 12 juin 1998. 44
FUNG (Anthony), « Postcolonial Hong Kong Identity: Hybridizing the local and the national », Social
Identities, Vol. 10, n°3, 2004, p. 400. 45
FOK (Shui Che), « Political change in Hong Kong and its implications for civic education », Journal of moral
education, Vol. 26, n°1, 1997, p. 86.
C
cultural domination »46
. C’est avec la deuxième génération des enfants d’immigrés qui
avaient fui la Chine après la révolution de 1949 qu’une identité spécifique s’est développée,
ses derniers n’ayant jamais eu que Hong Kong pour seul repère.
La réaction de la société hongkongaise face à ce mouvement de construction et de
reconstruction identitaire mené par la Chine nous renseigne sur la perception de leur propre
identité. Nous nous attacherons ainsi à analyser dans un premier temps l’évolution du
sentiment d’appartenance de la population de Hong Kong à la R.P.C., pour voir quels peuvent
être les évènements ou les facteurs conduisant à une plus ou moins importante identification.
Nous verrons ensuite quelle est la stratégie de Pékin pour renforcer le comportement
patriotique de la population locale et le rôle important joué par l’éducation. Nous étudierons
enfin la défense du patrimoine urbain de la ville comme un mouvement d’affirmation
identitaire.
I – Les dynamiques de l’identification à Hong Kong
Lieu de passage, d’immigration et d’émigration, Hong Kong a toujours connu un déficit
d’identité commune. En 1997, alors que la ville était rétrocédée à la Chine, ses habitants
ont été confrontés à de nouveaux compatriotes qui n’étaient pourtant en rien semblables,
amenant la nécessaire question du « qui suis-je ? »47
. À 95% d’ethnie chinoise, la ville
n’en a pas moins développé une identité différente de celle des Chinois continentaux.
Le principe « un pays, deux systèmes » leurs confère aujourd’hui la nationalité chinoise,
mais aussi un passeport propre leur permettant de voyager plus librement que leurs
compatriotes, et la possibilité pour le gouvernement local d’appliquer ses règles en
matière de visas.
Jamais vraiment britanniques, considérés comme des étrangers par les
continentaux et se sentant eux-mêmes différents de ces derniers, la rétrocession a donc
été un moment de questionnement identitaire pour les Hongkongais. Cette dynamique
est d’ailleurs toujours en cours, sous l’œuvre du mouvement de renationalisation opéré
par le gouvernement chinois, comme nous le verrons dans la partie suivante. Nous
allons ici nous concentrer sur la perception par les habitants de la R.A.S. de leur identité
46
FUNG (Anthony), op. cit, p. 401. 47
LAU S.K. et KUAN H.C., « The ethos of the Hong Kong Chinese », the Chinese University Press of Hong
Kong cité par FOK (Shui Che) dans « Political change in Hong Kong and its implications for civic education ».
ainsi que des facteurs qui entrent dans la dynamique d’appartenance à la Chine
continentale. Nous allons nous appuyer sur les enquêtes d’opinion menées par the
Public Opinion Programme of the Hong Kong University (HKU POP) 48
, qui font
référence en la matière.
La question suivante a été posée à un échantillon d’en moyenne 1.010 habitants
de Hong Kong âgés de plus de 18 ans et parlant cantonais : « You would identify
yourself as a Hong Kong citizen / Chinese citizen / Hong Kong Chinese Citizen /
Chinese Hong Kong citizen? ».
Les réponses « Hong Kong citizen » et « Chinese Hong Kong citizen » marquent
un plus grand attachement à Hong Kong alors que les réponses « Chinese citizen » et
« Hong Kong Chinese citizen » accentuent l’identification à la Chine. Par ailleurs, les
réponses « Chinese Hong Kong citizen » et « Hong Kong Chinese citizen » reflètent le
sentiment d’une identité partagée et floue.
Les résultats obtenus montrent ainsi que le sentiment d’appartenance n’est pas
figé et fait l’objet de nombreuses fluctuations. Avant de nous pencher sur les raisons
possibles d’une telle instabilité, expliquée en partie par de grands évènements ayant pu
influencer l’opinion publique, remarquons que la catégorie « Hong Kong Chinese
citizen » est invariablement la plus faible et relativement la plus stable (Tableau 1).
Nous pouvons émettre l’hypothèse que lorsqu’un habitant de Hong Kong se considère
avant tout comme membre à part entière de la République Populaire de Chine, il tend à
s’identifier plus fortement à la seule identité chinoise en s’attachant moins à l’idée
d’une possible spécificité hongkongaise.
Les données récoltées nous apprennent que jusqu’en 2006 la réponse « Chinese
citizen » est celle la plus citée, alors que la réponse « Hong Kong citizen » décroit
régulièrement jusqu’à un plus bas en 2008 (Tableau 1). Plusieurs facteurs expliquent les
39% de réponses pour « Chinese citizen », record depuis la rétrocession en 1997 : 2008
a en effet été marquée par les tremblements de terre meurtriers au Sichuan qui ont
nécessairement rapproché les habitants de la R.A.S. de leurs compatriotes par empathie.
L’enquête a également été réalisée à l’aube du lancement des Jeux Olympiques de Pékin,
48
L’ensemble des données récoltées et retranscrites dans les tableaux 1, 2, 3 et 4 proviennent des communiqués
de presse d’HKU POP datant de 2002, 2003, 2004, 2005, 2006, 2007, 2008, 2009, 2010 et 2011. Ils sont
accessibles à l’adresse suivante : http://hkupop.hku.hk/
moment fort de cohésion et de fierté nationale que le gouvernement central a veillé à
partager en faisant par exemple passer la flamme olympique par la ville. Les
polémiques affectant les Jeux et les incidents à Londres ou Paris ont par ailleurs pu
renforcer l’identification avec la Chine. Enfin, cette même année a été lancé le projet de
construction d’un chemin de fer à grande vitesse entre Hong Kong, Shenzhen et Canton,
marquant une plus grande intégration de la R.A.S. dans l’arrière-pays du Guangzhou.
L’ensemble de ces évènements représentent autant de repères communs avec la Chine
continentale, facteurs d’identification pour les habitants de Hong Kong.
Inversement, l’année 2009 marque un contrecoup pour la réponse « Chinese
citizen » et le plus haut niveau de réponse pour « Hong Kong citizen » depuis 2000.
C’est à nouveau un évènement sportif majeur qui semble expliquer ces résultats : la
R.A.S. a en effet organisé cette année-là les Jeux Olympiques d’Asie de l’Est (East
Asian Games), évènement majeur pour la ville et occasion d’exprimer la fierté locale.
L’année 2009 a ainsi connu l’un des plus forts taux d’appartenance à Hong Kong au
sens large récolté depuis 2002 (Tableau 2). Les soixante ans de la naissance de la
République Populaire de Chine ont par ailleurs étaient célébré en 2009 ; c’est un
anniversaire sur lequel les Hongkongais portent certainement un regard différent de
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011
HK citizens 29 29 26 25 22 23 18 38 25 44
Chinese HK citizens 22 22 23 27 24 32 29 24 31 21
HK Chinese citizens 15 15 16 17 20 17 13 13 15 10
Chinese citizens 33 32 32 31 32 26 39 24 28 23
0
5
10
15
20
25
30
35
40
45
50
Ex
pri
mé
en p
ourc
enta
ge
Identification ethnique des habitants de Hong Kong
(Tableau 1)
celui des continentaux, qui rappelle que de nombreux Hongkongais ont fui la Chine en
1949 à cette occasion et met en exergue les cinq décennies de développement des deux
entités de part et d’autre d’une frontière.
Les résultats des réponses sont à peu près équivalents en 2010, année de
l’organisation de l’Exposition Universelle de Shanghai, fierté nationale où Hong Kong
avait néanmoins son pavillon dédié au pied de l’imposant pavillon chinois, mais aussi
année des polémiques sur l’impasse de la réforme de la démocratie à Hong Kong.
Le Tableau 2 montre un rapport de force en moyenne favorable à l’identité
hongkongaise au sens large. Ces résultats se retrouvent également dans une autre
enquête menée en parallèle par HKU POP qui mesure l’intensité du sentiment
d’appartenance au sens large (Hong Kong ou Chine) sur une échelle de 0 à 10. À
l’exception de 2008, le sentiment d’appartenance à Hong Kong s’apprécie plus que
celui d’appartenance à la Chine (Tableau 3).
51 51 49 51 47 55 47 61 57 65
48 47 48 48 52 43 52 37 43 34
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011
Identification au sens large
(Tableau 2)
HK people Chinese people
L’étude révèle enfin que le sentiment d’être « asiatique » est assez fort dans la
R.A.S. Sa moyenne est de 8/10 entre 2007 et 2011, alors que le sentiment
d’appartenance à « la race chinoise » a une moyenne de 7.76/10 sur ces cinq ans. Par
ailleurs, le sentiment d’être un « citoyen du monde » s’apprécie à 6.98/10 en moyenne
de 2007 à 2011 contre 6.76/10 en moyenne pour « citoyen de la R.P.C. » sur la même
période. Il semble ainsi y avoir une dichotomie entre le sentiment d’être un citoyen
chinois et le sentiment d’être un citoyen de la R.P.C. L’identité internationale de la ville
se reflète également dans les résultats.
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011
HK people 7,97 8 7,54 7,91 7,98 8 7,8 8,14 7,9 7,63
Chinese people 7,82 7,8 7,47 7,73 7,82 7,66 8,02 7,79 7,63 7,24
6,6
6,8
7
7,2
7,4
7,6
7,8
8
8,2
8,4
Inte
nsi
té d
e l'i
den
tifi
cati
on d
e 0
-10
Intensité de l'identification éthnique
(Tableau 3)
8
7,76
6,98
6,76
6 6,2 6,4 6,6 6,8
7 7,2 7,4 7,6 7,8
8 8,2
Asiatique Membre de la
race chinoise
Citoyen du
monde
Citoyen de la
R.P.C.
Intensité du sentiment d'appartenance
(Tableau 4)
Moyenne de l'intensité du
sentiment d'appartenance entre
2007 et 2011 (sur une échelle de
0 à 10)
Ainsi que nous l’avons vu les facteurs externes sont importants dans les
dynamiques identitaires à Hong Kong. Une personne se sentira plus chinoise ou
hongkongaise avant tout en fonction d’évènements qui font l’actualité et qui mobilisent
l’opinion publique. L’exemple des jeux olympiques de Pékin est à ce titre révélateur,
tant l’on sait que ce fut un moment de célébration patriotique pour le régime. Les
identités mixtes, « Chinese Hong Kong citizen » et « Hong Kong Chinese citizen »,
représentent par ailleurs une part importante des réponses de l’échantillon : 40% en
moyenne de 2002 à 2011. Cela semble illustrer l’idée que les habitants se considèrent
certes comme des habitants de Hong Kong et des nationaux Chinois, mais qu’ils ne
considèrent pas l’une ou l’autre catégorie comme exclusive mais plutôt complémentaire :
Chinois, oui, mais différent.
L’étude d’Anthony Fung sur la perception des symboles nationaux chinois par
les Hongkongais apporte une perspective intéressante à notre analyse. Il montre ainsi
que les symboles culturels, tels que la Grande Muraille, font l’objet d’une adhésion
massive : « between 1996 and 1999, nearly 80% of the respondents said that they had a
“strong sense of pride” on the Great Wall »49
. La culture ne semble pas être un
marqueur important de l’identité des habitants de Hong Kong, tant ceux-ci se sentent
proches de la Chine en la matière. Les symboles politiques apparaissent comme plus
pertinents dans son analyse. La population de Hong Kong était ainsi en 1996 à 38.9%
« unease » vis-à-vis de la « public guard » (police nationale) et à 30.3% vis-à-vis de
l’Armée de Libération Populaire (A.L.P), tous deux symboles dans la mémoire
collective de la répression sanglante de 1989 à Tiananmen. A. Fung écrit que « when
the handover settled, they were more positively perceived as they did not disturb the
daily lives at the local »50
. Le pourcentage de la population se sentant « unease » avec
ces symboles baissèrent respectivement à 20.7% et 8.5% en 1999. Une fois le fantasme
de la rétrocession tombé, les habitants de la R.A.S. ont réalisé qu’en quelque sorte leur
quotidien n’avait pas tant changé et que leurs droits étaient toujours respectés. Robert
Chung, directeur du programme HKU POP, soulève par ailleurs dans ses analyses des
enquêtes d’opinion qu’une actualité de portée négative envers la Chine n’entraîne pas
forcément une hausse de l’identification à « Hong Kong citizen », au contraire : les
images négatives des autorités chinoises ou de leurs politiques n’en restent pas moins
49
FUNG (Anthony), op. cit., p. 406. 50
FUNG (Anthony), op. cit., p. 408.
chinoises, et provoquent de ce fait le sentiment chez les habitants d’appartenir à ce
même pays dont les politiques affectent la R.A.S.. En partageant les mêmes sujets
d’actualité que leurs voisins continentaux, les Hongkongais partagent un même espace
public, facteur d’identification.
Nous avons ainsi vu que les dynamiques identitaires à Hong Kong restent en
mouvement et sont susceptible de changement. L’exemple de 2008 est à ce titre
révélateur. C’est à plus long terme que l’on pourra constater si de véritables
changements ont lieu. Nous allons maintenant étudier les questions identitaires à l’aune
de l’éducation civique et patriotique, afin de comprendre pourquoi la jeunesse a un
intérêt particulier aux yeux de Pékin dans l’optique de changements identitaires à long
terme.
II – Éducation et patriotisme : la jeunesse de Hong Kong au cœur de la
stratégie de Pékin
« 爱中国,爱香港 » – Aimer la Chine, aimer Hong Kong.
Cinquante heures d’éducation civique patriotique : c’est le projet qu’a soumis à
consultation le 5 Mai 2011 le Comité ad hoc d’éducation morale et nationale51
. Ce
projet vise à « building national harmony, identity and unity among individuals » ainsi
que l’a déclaré à l’AFP un porte-parole du Bureau de l’éducation, afin de « develop a
sense of belonging to the motherland » qui passe tout aussi bien par « support national
sports teams » ou « appreciate Chinese culture » de manière générale52
. Si d’après
l’article 136 de la Loi Fondamentale de Hong Kong le gouvernement de la RAS est
indépendant en matière d’éducation53
, le sujet est au cœur des attentions de Pékin dans
51
Communiqué de presse officiel du 5 mai 2011. 52
Dépêche AFP du 05/05/2011, « Lessons in patriotism for Hong Kong children ». 53
Article 136 de la Loi Fondamentale de Hong Kong : « On the basis of the previous educational system, the
Government of the Hong Kong Special Administrative Region shall, on its own, formulate policies on the
development and improvement of education, including policies regarding the educational system and its
administration, the language of instruction, the allocation of funds, the examination system, the system of
academic awards and the recognition of educational qualifications ».
le processus de renationalisation. Cette actualité met en avant la situation actuelle à
Hong Kong.
A) Pourquoi l’éducation patriotique est-elle nécessaire ?
L’éducation civique à Hong Kong n’est pas nouvelle et remonte à l’administration
britannique. Elle insistait alors sur la conscience citoyenne des élèves envers leur
société. Avec la signature de la déclaration commune sino-britannique, le parti
communiste chinois a progressivement marqué de son empreinte la gestion de la
colonie, et notamment en matière d’éducation. Dès 1994, le Comité de travail
préliminaire du gouvernement chinois a ainsi émis sa préoccupation quant aux
manuels scolaires dans lesquels il était fait référence à la Chine comme un pays
tiers54
.
Alors que les premières générations d’habitants de Hong Kong sont des
émigrés, ayant notamment fui la Chine communiste et possédant donc un rapport
marqué négativement avec cette dernière, l’éducation des enfants est primordiale
pour construire leur relation avec la « mère patrie ». Même si les autorités chinoises
ont eu tendance à considérer l’identité locale comme façonnée par les britanniques,
elles ont maintenant l’opportunité en gérant l’éducation à travers le gouvernement de
la R.A.S. d’élever une génération de patriotes, qui n’auront alors pas de
prédisposition négative envers la Chine et n’auront pas de comportements subversifs :
« China is anxious to win the acceptance of the younger generation. The promotion
of patriotism may be a convenient tool »55
.
Cette idée est notamment démontrée par une étude de 2009 qui, après
enquête auprès de collégiens, a établi un certain nombre de conclusions intéressantes.
L’intérêt de ces travaux est notamment que les échantillons interrogés l’ont été à dix
ans d’intervalle : 9 226 collégiens en 1996 et 3 993 en 200656
. Il apparaît dans un
premier temps que l’identification à « Chinese, secondarily Honkonger » est la seule
ayant progressé au cours de ces dix années à près de 41%. La proportion de
collégiens s’identifiant principalement comme Hongkongais au sens large reste
néanmoins majoritaire en 2006 à 68.1%.
54
FOK (Shui Che), op. cit., p. 91. 55
Idem. 56
LAU (Y.M.I.), Lam (S. F.), CHIU (C. Y.) et HONG (Y. Y.), « Changes of Social Identity of Hong Kong
Adolescents : A Comparison in Ten Years, 2009 ». Article présenté à la cinquième SELF Biennial International
Conference.
L’élément qui nous intéresse dans cette étude, et sur lequel les auteurs
concluent leur article, est l’augmentation sensible de la corrélation entre deux
variables : « sense of responsibility for the future of the nation and its people » et « to
be patriotic, one will have to support the state’s policies ». Cette corrélation était de
0.08 en 1996, les valeurs n’ayant alors presque aucune relation entre elles, mais
s’établit à 0.17 en 2006, montrant une augmentation sensible. En comparaison, la
corrélation entre ces deux variables était de 0.27 dans une étude similaire menée dans
les cinq villes principales de la Chine continentale. L’étude sur les collégiens
hongkongais identifie néanmoins que « there was no relation between social
identification and agreeing that to be patriotic, one will have to support the state’s
policies »57
. Pour conclure, le gouvernement de la R.A.S., en basant sa stratégie de
renationalisation sur la jeunesse de la ville, s’assure qu’en grandissant ces
générations auront un sentiment d’appartenance plus fort avec la Chine, et qu’ainsi,
leur propension à dénoncer le gouvernement local et central sera moins forte.
57
LAU (Y.M.I.), Lam (S. F.), CHIU (C. Y.) et HONG (Y. Y.), op. cit., p. 6.
33,9 28,7
40 39,4
15,8 22,3
10,4 9,6
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
1996 2006
Identification ethnique des adolescents Tableau tiré de l'étude «Changes of Social Identity of Hong Kong Adolescents : A
Comparison in Ten Years», 2009.
Chinese
Chinese, secondarily Hongkonger
Hongkonger, secondarily Chinese
Hongkonger
B) L’Histoire de Hong Kong revisitée
Les médias prochinois ont beaucoup insisté, lors de la rétrocession, sur le fait
qu’Hong Kong rejoignait la mère patrie dont elle avait été trop longtemps séparé.
Comme nous l’avons vu précédemment, l’enjeu du sentiment d’appartenance étant
au cœur des dynamiques sociales locales, l’objectif pour Pékin est de stimuler
l’identification à la Chine afin de mieux intégrer la population.
Ainsi que l’analysent Elizabeth Kentworthy et Chun Shing Chow, « it is
vital for Beijing to foster Hong Kong’s Chinese past in order to attract the gaze of
citizens in Hong Kong towards the mother country »58
. L’éducation permet alors dès
le plus jeune âge d’inculquer aux élèves l’idée que les racines chinoises de Hong
Kong remontent à plusieurs siècles, que la légitimité de la souveraineté chinoise n’est
ainsi pas contestable et que l’identité des citoyens de la R.A.S. doit s’appréhender à
l’aune de ces racines historiques. Edward Vickers et Flora Kan rapportent dans leur
étude sur l’éducation dans le Hong Kong postcolonial un ensemble de directives
publiées par le ministère de l’éducation local qui montre l’attention particulière
donnée dans le programme d’Histoire sur les racines ancestrales de la ville : « By the
time of the Qin and Han dynasties, Hong Kong had already come under the
administration of China’s central government, and had become part of the Great
National Family »59
. L’ensemble du faisceau de preuves arguant des relations entre la
Chine et l’ancienne colonie britannique « can enable students more deeply to
appreciate that Hong Kong has been part of China from time immemorial »60
.
Ces chercheurs rapportent également un autre phénomène que nous avons
abordé lors de notre étude du champ médiatique hongkongais et qui semble avoir eu
lieu dans l’univers de l’édition : l’autocensure. À l’approche de 1997, les éditeurs de
livres scolaires auraient ainsi modifié la formulation et la présentation de certains
évènements historiques afin, d’une part, de ne pas être retirés du marché
hongkongais, et, d’autre part, de consolider leurs chances d’entrer sur le marché
chinois. Un éditeur publia ainsi un livre où toutes les références à Hong Kong « had
been changed to “Hong Kong SAR” even in sections devoted to prehistoric life in the
58
KENWORTHY (Elizabeth) et CHUN (Shing Chow), « Identity and place: the testament of designated heritage
in Hong Kong », International Journal of Heritage Studies, vol. 9, n°2, 2003, p. 113. 59
VICKERS (Edward) et KAN (Flora), « The reeducation of Hong Kong: identity, politics and education in
post-colonial Hong Kong », American Asian Review, Vol. 21, n°4, 2003, p. 223. 60
Idem.
territory »61
. Le terme de « colonie » britannique semblait lui-même poser un
problème au sens où, pour la Chine continentale, les traités qui avaient cédé le
territoire au Royaume-Uni étaient inégaux, et donc non reconnus. Le ministère de
l’éducation a ainsi préconisé l’utilisation des mots « British administration »,
« British rule » ou « British control ». Le pouvoir normatif des mots leurs confère un
poids important au sein des manuels, et ces changements ne sont ainsi pas anodins. Il
s’agit de renforcer le processus d’identification à la mère patrie dès le plus jeune âge.
C) Un patriotisme dans la lignée de l’orthodoxie communiste
Le fait d’actualité que nous rapportions plus tôt sur les cinquante heures d’éducation
civique renvoie à la question de l’influence d’un tel programme. Si l’éducation
civique est également présente dans nos démocraties occidentales, argument par
ailleurs porté par le gouvernement de la R.A.S., la distinction est faite entre le régime
politique, et son fonctionnement, et les valeurs politiques qui l’animent. Le projet
semble à Hong Kong insister sur l’attachement à la vision orthodoxe du Parti
Communiste Chinois et écarter toute vision différente du passé local ou national.
Les propos du Culture Chief of Beijing’s liaison office in Hong Kong, Hao
Tiechan, ont agité la blogosphère hongkongaise au début du mois de mai 2011 alors
qu’il qualifiait le programme d’éducation civique centré sur le patriotisme comme un
« lavage de cerveau nécessaire » sur son blog : « Regarding the moral and national
education in Hong Kong primary and secondary schools, some people say it amounts
to `brainwashing’. But if we look at such systems in Western countries like the
United States and France, we will find this kind of `necessary brainwashing’ is an
international convention »62
. Son article a été retiré suite au tollé suscité et le nombre
important de commentaires d’internautes.
Le projet prévoit ainsi de demander aux élèves de parler de leurs émotions
devant des évènements patriotiques tels que la victoire de l’équipe nationale aux Jeux
Olympiques. Ces cours ne donnent pas lieu à un examen mais à évaluation par les
parents et les camarades. Quid de l’enseignement des évènements tels que le
61
Ibid, p. 213. 62
Propos rapportés dans un article de CHANG (Gordon), « China tries to “brainwash” Hong Kong », World
Affairs, 16 Mai 2011
massacre de Tiananmen qui sont censurés en Chine continentale ? L’étude d’Edward
Vickers et Flora Kan, bien qu’antérieure à cette actualité, nous offre une piste de
réponse. Elle rapporte que, dans le Hong Kong Museum of History ouvert en 2002,
les manifestations massives de juin 1989 en soutien aux étudiants de la place
Tiananmen sont traitées comme des preuves de l’union des deux peuples : « the
museum thus focuses exclusively on the significance of this even as a manifestation
of Hong Kong People’s Chinese patriotism, implicitly invoking their “blood union”
with their “racial” brethren on the mainland »63
. Ce qui est en jeu autour de ce projet
de modification des programmes scolaires est donc de savoir si, comme l’on revisite
l’Histoire à Pékin, la jeunesse de Hong Kong sera elle aussi soumise à un
endoctrinement patriotique afin de former de bons citoyens chinois.
III – Espace urbain et construction identitaire.
Porte d’entrée occidentale sur la Chine ou fenêtre chinoise sur le monde, Hong Kong a
longtemps eu un rôle d’interface entre l’Orient et l’Occident. Cette rencontre s’est
traduite par une architecture variée, entre influences chinoises et style colonial. Coincée
entre la mer et la montagne, la ville s’est construite avec une contrainte spatiale certaine
qui rend chaque parcelle de terre vitale : seuls 20% du territoire sont ainsi construits,
38% étant des parcs protégés64
. La politique urbaine dynamique du gouvernement local
pousse ainsi à construire et conquérir ou reconquérir l’espace, au prix parfois
d’aménagements ou de destruction. C’est sur quoi nous allons maintenant nous pencher.
Nous nous attacherons à montrer comment la politique urbaine, et l’espace urbain en
lui-même, est un vecteur de construction identitaire pour ensuite montrer, dans le cas de
Hong Kong, comment il est facteur de mobilisation sociale pour la défense d’une
identité particulière.
La question du patrimoine urbain semble plus sensible à Hong Kong qu’en
Chine où les quartiers populaires disparaissent comme « peau de chagrin » dans les
grandes villes du pays en proie à une frénésie immobilière. L’attachement des habitants
à leur mode de vie et à l’espace au sein duquel il s’exprime s’est développé depuis la
rétrocession, au point de se focaliser sur la défense de certains bâtiments en particulier,
63
VICKERS (Edward) KAN (Flora), op. cit., p. 200. 64
DOUAY (Nicolas), « La remise en cause du modèle d’urbanisme hongkongais par l’émergence d’une approche
collaborative de la planification », Perspectives chinoises, n° 2010/1, p. 110.
comme nous le verrons ensuite. L’espace urbain, en tant que cadre de vie, donne en
effet forme à la société, si bien que son altération n’est pas sans conséquence sur la
société elle-même. Sans cadre national auquel se rattacher65
, l’espace urbain est le
réceptacle des pratiques culturelles et de l’héritage historique auquel les habitants
peuvent s’identifier dans une période de doute et de questionnement sur leur identité.
C’est dans ce sens que la politique urbaine a un impact direct sur la réflexion identitaire
de la population.
Le gouvernement local de Hong Kong fait preuve d’un grand interventionnisme
en matière de politique urbaine. Propriétaire des sols, il dispose d’un véritable pouvoir
de levier pour façonner la ville et lancer les grands projets. L’Urban Renewal Authority
(U.R.A.) est depuis 2001 l’organe de gestion public de l’urbanisme. L’une de ses
priorités, telle que définie dans son programme, est « to preserve by maintaining and
restoring buildings of historical and architectural value, and to sustain local
characteristics »66
. Ainsi que le développe Nicolas Douay dans son article, « la tradition
coloniale britannique, puis la pratique du pouvoir par les autorités de la R.A.S. laissent
peu de place à la consultation et à la participation des citoyens dans la prise de
décision »67
. Les décisions sont régulièrement prises par le haut sans avoir pris
connaissance de l’avis des habitants des quartiers concernés et dans le cadre de
considérations économiques plutôt qu’humaines.
Nous allons maintenant aborder deux cas concrets de rénovation urbaine qui ont
mobilisé les habitants de la ville d’une façon inattendue : la démolition de
l’embarcadère Star Ferry (Star Ferry Pier), dans le district Central, ainsi que la
disparition de la « Wedding Card Street ». Le premier soulève la question intéressante
du rapport entre héritage historique et développement économique tandis que le second
pose la question du vecteur identitaire de bâtiments ordinaires.
Dans le cadre d’un projet d’aménagement du front de mer le long de la baie,
« Central and Wan Chai Reclamation », le gouvernement a décidé de fermer et démolir
un embarcadère de la compagnie emblématique de ferry Star Ferry qui transporte des
dizaines de milliers de personnes entre Kowloon et l’île de Hong Kong chaque jour.
65
BARBER (Lachlan), « Locating postcolonial heritage in Hong-Kong: The Star Ferry Pier as a site of politics,
memory and encounter », University of British Columbia, 2009. 66
Site officiel de l’URA : http://goo.gl/Qwu8K / Visité le 02/07/2011. 67
DOUAY (Nicolas), op. cit., p. 112.
L’embarcadère Edinburgh Place Ferry Pier, construit en 1957, n’était vieux en 2006 que
de 48 ans, et ne prétendait à ce titre pas au statut de monument ou héritage historique
qui aurait pu assurer sa protection. Reconnaissant son intérêt architectural et touristique,
les promoteurs ont néanmoins décidé de construire le nouvel embarcadère, quelques
mètres plus loin, dans le style édouardien. La reconstruction du quai l’a par ailleurs
pourvu d’un nouvel espace commercial afin d’augmenter sa rentabilité économique.
Comme nous l’avons dit, cette destruction programmée pour décembre 2006,
après l’ouverture du nouveau terminal en novembre de la même année, a soulevé l’émoi
de la population attachée à la figure emblématique de cet embarcadère. The
International Herald Tribune rapporte dans un article du 10 novembre 2006 les propos
de Martin Wan, acteur de la campagne de protestation et membre de Conservancy
Association (ONG promouvant la protection de l’environnement et a conservation de
l’héritage naturel et culturel) : « If we demolish historical buildings simply because they
cause inconvenience to urban development, will we have any heritage left in the
future? »68
. Couplée à un manque de consultation publique, la démolition de cet héritage
colonial a été perçue comme une atteinte à un lieu de mémoire collective plus qu’à un
héritage architectural. Des sit-in et manifestations ont été organisées en novembre 2006
afin d’attirer l’attention des médias et de la population allant jusqu’à une grève de la
faim de 49 heures pour marquer les 49 années de l’histoire du quai des manifestants les
plus actifs. Cette grève de la faim fait par ailleurs écho aux manifestations violentes qui
avaient eu lieu en 1966 contre le gouvernement colonial qui avaient décidé d’augmenter
le prix du ticket pour la traversée de 25%. Des centaines de personnes avaient alors été
interpellées et un couvre-feu avait dû être instauré pour ramener le calme.
Le député du Democratic Party Lee Wing a interpellé sur la R.T.H.K. (Radio
Television Hong Kong) le Chief Executive Daniel Tsang: « Can you not see the
apparent consensus by the people to preserve our common memories, our history and
our culture? »69
. Pour son dernier jour d’exploitation, le Star Ferry Pier a attiré jusqu’à
150 000 personnes venues lui rendre un dernier hommage70
, signe de l’attachement de
la population à ce lieu emblématique du port.
68
NG (Tze-Wei), « Not even HK's storied Star Ferry can face down developers », International Herald Tribune,
10 novembre 2006 69
CHENG (Jonathan), « Pier battle throws light on landmarks», The Standard, 18 décembre 2006 70
BARBER (Lachlan), op. cit., p. 9.
Intéressons-nous maintenant à la réhabilitation de la rue Lee Tung, aussi connue
sous le nom de « Wedding Card Street ». Haut lieu de l’édition hongkongaise, cette rue
a été pendant des décennies un lieu de rencontre, d’échange et de vente de faire-part de
mariage, de calendriers traditionnels chinois ou encore de cartes de visite après que le
gouvernement colonial britannique y ait regroupé les éditeurs dans les années 1950. Un
projet lancé en 2003 par l’U.R.A. visa à réhabiliter la rue pour faire face au
vieillissement de ses bâtiments. Le gouvernement racheta les échoppes des marchands
et procéda ensuite à leur démolition, considérée comme moins coûteuse qu’une
réhabilitation. The Standard rapporte que le projet de 3.58 milliards de dollars
hongkongais (environ 320 millions d’euro) est le plus important et le plus cher projet
que l’agence a jamais conduit71
. Il vise à créer un grand espace commercial ainsi qu’à
conserver la thématique du mariage liée à l’histoire de la rue en créant un musée sur la
culture du mariage à Hong Kong. Là encore, la mobilisation populaire n’a pas suffi à
faire reculer le gouvernement. Il conduit le projet à terme malgré l’occupation des
locaux et le refus de vendre leurs biens de certains propriétaires regroupés sous le nom
de « H15 Concern Group » (H15 représentant le nom de la zone où se trouve Lee Tung
Street sur la carte de planification urbaine de l’U.R.A.). Forme intéressante
d’organisation de la société civile locale, le H15 Concern Group avait proposé, avec le
concours du milieu associatif et d’architectes, un projet alternatif. Ce projet prévoyait
entre autre de conserver au centre de la rue les échoppes dans leur état en 2006 en les
réhabilitant afin de conserver l’héritage culturel de la rue72
.
En effet, plus que la dénonciation de la destruction d’immeubles sans grand
intérêt historique ou architectural, c’est dans ce cas la perte du tissu social en lui-même
qui est dénoncée. Il existe un manque d’intérêt de la part du gouvernement pour
l’expression d’une culture populaire et d’un tissu social en dehors des sentiers balisés et
d’une certaine forme élitiste de la culture73
. Cette rue était le théâtre d’un patrimoine
immatériel propre à Hong Kong dont les immeubles vétustes qui la composaient ne
sauraient témoigner.
À la différence de Macao dont le centre historique est labélisé « patrimoine
mondial de l’humanité » par l’UNESCO, peu d’édifices à Hong Kong jouissent d’une
71
YUNG (Chester), « A community fights for its soul », The Standard, 11 juillet 2005 72
Rapport d’étude : « The Achievements and Challenges of Urban Renewal in Hong Kong », University of
Hong Kong 73
VEG (Sebastian), « Le patrimoine culturel à Hong Kong », Perspectives chinoises, n°2007/2, p. 50.
véritable protection. Les prometteurs immobiliers associés au gouvernement local, qui
n’a pas recours à un processus participatif avec la société civile locale, redessinent ainsi
la ville en omettant parfois de prendre en considération le fait que la culture représente
aussi un tissu social au-delà de l’architecture. Sébastien Veg écrit que « la montée en
force des demandes de préservation du patrimoine culturel révèle de nouvelles
préoccupations s’agissant de l’histoire et de la géographie locales »74
. Dans un contexte
où la ville s’interroge sur son identité et sur sa relation avec la Chine, la population
éprouve un regain d’intérêt pour son héritage colonial, mais également pour les formes
d’expression populaire de la culture hongkongaise. Loin d’une mélancolie sur l’époque
coloniale, cet intérêt traduit le désir de maintenir une spécificité par rapport à la Chine
continentale, spécificité héritée d’une riche histoire et d’influences culturelles diverses.
Être hongkongais, c’est être Chinois, mais sans pour autant perdre des traits identitaires
spécifiques et devenir une énième ville chinoise au centre-ville homogénéisé.
Conclusion
Si les habitants de Hong Kong ont appris à vivre sous la souveraineté chinoise et s’ils
s’identifient volontiers à des traits culturels communs, il n’en reste pas loin qu’ils ont
conscience de leur particularité. Ils ne voient pas d’antagonisme entre leur passé colonial,
pour lequel ils ont eu un regain d’intérêt suite à la rétrocession, et leur culture chinoise au sens
large. Ils font face à une recomposition de leur identité, qu’elle soit ethnique, culturelle,
politique ou économique. De leur réaction face à la renationalisation opérée par la République
Populaire de Chine et de leur attachement à leur héritage dépendra la vitalité de leurs
particularismes.
74
Ibid., p. 48.
Section 3 - Société civile & mobilisation politique
orsque l’on se penche sur la question de la vitalité d’un régime démocratique, il
convient de ne pas faire abstraction de la société civile, à la fois partenaire et
opposante du champ politique. Dans le contexte particulier d’un régime politique
hybride, où les décisions sont aux mains d’un petit groupe mais où les libertés civiles sont
respectées, Hong Kong et sa société civile nous offrent un regard intéressant sur les
caractéristiques de son identité civique. Elle représente un marqueur identitaire avec la Chine
où, malgré la participation surévaluée des netizens, il n’existe pas une pluralité de partis
politiques ou d’organisations aptes à s’emparer des débats qui agitent la société et à offrir un
espace de réflexion. Par ailleurs, nonobstant l’article 35 de la Constitution chinoise75
, le droit
de manifester n’est pas respecté sur le continent. C’est, en contraste, un droit que n’hésitent
pas à exercer les citoyens de la R.A.S.
La société civile s’entend comme un champ intermédiaire entre la sphère politique et
la sphère du marché économique, qui s’organise indépendamment de ces derniers mais
interagit néanmoins avec eux. Elle contribue au débat politique, offre un espace d’action et
d’expression pour les citoyens ou donne forme à l’agenda politique. Son intégrité se mesure,
comme le reprend la littérature scientifique relative à son étude, à son degré d’autonomie par
rapport à l’État, son indépendance financière, son caractère volontaire, ainsi que son exercice
dans le cadre légal. D’après Rikkie Yeung, les activités de la société civile hongkongaise se
concentrent sur quatre thèmes principaux : la démocratie, l’environnement et l’urbanisme, la
défense de l’identité et le patrimoine hongkongais et enfin l’émergence de nouvelles
plateforme d’échange et de débats76
.
Afin de mieux appréhender le fonctionnement et les caractéristiques de la société
civile hongkongaise, nous analyserons dans un premier temps ses dynamiques internes, pour
ensuite nous concentrer sur ses actions à l’aide d’un cas d’étude.
75
Article 35 de la Constitution chinoise de 1982 : « Les citoyens de la République populaire de Chine disposent
de la liberté de parole, de presse, de réunion, d'association, de défilé et de manifestation ». 76
YEUNG (Rikkie), « Post-2003 Hong Kong: The rise of civil society activism vs decline of autonomy? »,
présenté le 15 Novembre 2006 à The Brookings Institution, Washington D.C.
L
I – Une société civile animée mais qui peine à jouer son rôle
L’étude des dynamiques de la société civile s’insère dans l’analyse de la société
proprement dite, de son gouvernement et de leurs interactions. Elle va en effet être une
interface entre l’action des politiques et les citoyens, en offrant une plateforme de
débats ou en tentant de mobiliser l’opinion. Si les « organisations de la société civile »
(le terme consacré en anglais étant civil society organisations ou C.S.O.) remontent aux
premières années de la colonisation britannique, avec l’arrivée de missionnaires ou
l’organisation de la vie de quartier, c’est à partir des années 90 que des organisations
tournées vers des thématiques politiques sont véritablement apparues après qu’une
scission s’est opérée avec la sphère politique. Ma Ngok désigne comme « new social
movement » des organisations qui, face à une déception vis-à-vis du champ politique
institutionnel, vont s’en détourner pour se centrer sur une action collective : « the new
social movement activists stressed the initiatives and participation of the masses to
empower them, and believed that direct action confronting the authorities could
transcend the limitations of the media and elected politicians »77
. C’est par ailleurs dans
un contexte politique agité, avec la signature de la Déclaration sino-britannique et les
évènements de Tiananmen de 1989, que cette mobilisation politique pour la défense des
droits et des libertés s’inscrit.
La riche étude menée par CIVICUS (organisation qui promeut le renforcement
des sociétés civiles nationales) sous le nom de Civil Society Index Report nous
renseigne sur de nombreux aspects de la relation entre la société civile et le monde
politique. L’une des forces mises en avant dans ce rapport est sa capacité à influer sur
l’agenda politique et donc à mettre des thèmes sur le devant de la scène : « In the
absence of a fully democratic government, CSOs’ efforts in overseeing the government
contribute significantly to upholding civil rights and freedoms in society, and to making
certain that the government is responsive to societal needs and demands »78
. Dans un
contexte où les élections n’ont que peu de poids, elles tentent de se faire les porte-parole
de la population et de faire un travail de suivi de la politique gouvernementale. Ce
même rapport souligne néanmoins qu’elles éprouvent un certain mal à s’insérer
concrètement dans le policy making : sa participation est ainsi qualifiée
77
MA (Ngok), « Social movement, civil society and democratic development in Hong Kong », présenté à la
Conference on Emerging Social Movements in China, March 23-24, 2005, Hong Kong. 78
Rapport du CIVICUS, «The Hong Kong special administrative region: a vibrant but loosely organised civil
society», 2006, p. 68.
d’ « erratique »79
. Les organisations ne parviennent pas à unifier leur voix et les canaux
de communication ou de lobbying avec les organes du pouvoir sont limités. Si elles
parviennent à mettre certains sujets au cœur des débats, elles ne contribuent pas pour
autant au processus politique qui s’en suit. Par ailleurs, leurs ressources limitées, et
parfois dépendantes des fonds gouvernementaux, ainsi que leurs faibles relations avec
les partis politiques ou les élus vont dans le sens de ce constat80
.
Le graphique ci-dessous, tiré du même rapport, illustre les faiblesses de
l’influence des organisations dans le domaine politique : leur capacité à s’insérer dans le
policy making est évaluée à 1.7, c’est à dire entre « limitée » et « modérée ». Les
activités qui relèvent du plaidoyer ou de la sensibilisation du public sont quant à elles
mieux évaluées. Le maillage des associations de quartier est par ailleurs très important.
De telles organisations représentent environ la moitié de l’ensemble des structures de la
société civile hongkongaise. Elles participent ainsi aux actions sociales du
gouvernement en recevant des subsides.
Outre les faiblesses de leur influence, le point noir soulevé par le rapport du
CIVICUS constitue les relations entre les organisations : le rapport est notablement
79
Rapport du CIVICUS, op. cit., p. 68. 80
MA (Ngok), op. cit., p. 14.
1,7
1,5
2
2
2,5
0 0,5 1 1,5 2 2,5 3
Influencing public policy
Holding state and private corporations
accountable
Responding to social interests
Empowering citizens
Meeting societal needs
Capacité d'influence des organisations de la société civile
sur une échelle de 0 à 3 [0 étant insignifiant, 1 limité, 2 modéré et 3 significatif]
intitulé « A vibrant but loosely organised civil society » (une société civile pleine de vie
mais sans liens). Les menaces envers l’État de droit étant faibles et la liberté
d’expression garantie, les organisations n’ont pas la perception d’une urgence à s’unir.
La lutte pour plus de démocratie fait donc l’objet d’actions disparates, chaque
organisation souhaitant conserver une marge de manœuvre et une identité propre81
. La
société civile hongkongaise semble néanmoins capable de se mobiliser et de s’organiser
collectivement lors d’évènements spécifiques, comme nous allons maintenant le
développer.
II – Étude de cas : la mobilisation citoyenne de 2003
« Large-scale demonstrations have constituted one of the most prominent
features of the political scene of post-handover Hong Kong »82
.
Une mobilisation politique très large de la population de Hong Kong ressort
fréquemment dans la littérature consacrée à la R.A.S. : la manifestation du 1er
juillet
2003. Charles Tilly définit un mouvement social comme « a campaign in which
collective actors make collective claims on target authorities by an array of public
performances which represent the cause’s worthiness and the actors’ unity, numbers and
commitment »83
. L’étude de la manifestation du 1er
juillet 2003 et de ses caractéristiques
nous offrira ainsi un regard sur les forces et les faiblesses de la société civile de Hong
Kong.
Revenons tout d’abord sur la raison de l’importante mobilisation. L’article 23 de
la Loi Fondamentale84
prévoit que le gouvernement de la R.A.S. conçoive une loi
veillant à ce qu’aucune activité ou organisation subversive ne puisse exister à Hong
Kong, afin de ne pas menacer Pékin. C’est à l’automne 2002 que le gouvernement local
81
MA (Ngok), « Civil society and democratization in Hong Kong. Paradox and duality », Taiwan Journal of
Democracy, Vol. 4, n°2, p. 166. 82
CHAN (Joseph) et LEE (Francis), « Making sense of participation: the political culture of pro-democracy
demonstrators in Hong Kong », The China Quaterly, n°193, 2008, p. 84. 83
TILLY (Charles), Social movements, 1768-2004, Londres, Paradigm Publishers cité par CHAN (Joseph) et
LEE (Francis), op. cit., p. 85. 84
Article 23: « The Hong Kong Special Administrative Region shall enact laws on its own to prohibit any act of
treason, secession, sedition, subversion against the Central People's Government, or theft of state secrets, to
prohibit foreign political organizations or bodies from conducting political activities in the Region, and to
prohibit political organizations or bodies of the Region from establishing ties with foreign political organizations
or bodies ».
a lancé un processus de consultation en vue de mettre en pratique cet article, projet qui
souleva rapidement une opposition de la société civile qui le percevait comme une
menace pour la liberté d’expression. Un collectif d’associations réunissant quarante-
quatre d’entre elles en juillet 2003, créé en septembre 2002 sous le nom de Civil Human
Rights Front (C.H.R.F.) afin de servir de plateforme d’interactions entre organisations,
est rapidement devenu le faire de lance du combat contre le projet. Cette création
s’inscrit dans ce que Ma Ngok désigne comme des fronts ad hoc : « instead of unifying
into a formal alliance, since the mid-1990s, they have opted to act in ad hoc loose fronts
to maintain their flexibility and autonomy »85
. Certaines organisations se réunissent
ainsi de façon éphémère sur des lignes de combat politique commune, union qui cesse
lorsqu’elles obtiennent gain de cause ou que leur action a définitivement échoué. Le peu
de contrainte structurelle garantie par ces fronts ad hoc permet de rassembler le plus
grand nombre, mais peut dès lors également devenir une coquille vide. Le C.H.R.F.
représente une de ces unions ad hoc, réunissant des groupes religieux, des journalistes,
des syndicats, des chercheurs qui craignaient tous d’être suspectés de sédition ou
trahison. L’hétérogénéité du front peut expliquer la mobilisation large de la société
hongkongaise, notamment grâce à l’influence des médias.
L’étude de Hao-Chieh Chang et Hsiang Iris Chyi s’intéresse aux raisons qui ont
poussé 500 000 Hongkongais à descendre dans la rue, en se fondant sur les notions de
internal efficacy et external efficacy. Ces construits scientifiques représentent les deux
vecteurs qui influencent l’attitude et la participation d’un citoyen : sa propension à
comprendre et participer au débat politique dans le cas de le l’efficacité interne, les
réponses et réaction du gouvernement aux demandes du citoyen dans le cas de
l’efficacité externe86
. Leur recherche réalisée auprès d’un échantillon de 853 personnes,
interrogées lors d’entretiens à l’automne 2002 (soit avant l’importante mobilisation de
l’été 2003), sur la perception de l’application de l’article 23 et de la propension à
participer à la mobilisation des citoyens, permet de comprendre pourquoi la
mobilisation a été aussi importante. D’après les résultats, « individuals with a high
degree of internal efficacy and low degree of external efficacy had a stronger propensity
85
MA (Ngok), op. cit., p. 165. 86
Corpus d’auteurs repris par CHANG (Hao-Chieh) et CHYI (Hsiang Iris), «Voting with their feet. The
relationship between political efficacy and protest propensity among Hong Kong residents », Taiwan Journal of
Democracy, Vol. 5, n°2, 2009, p. 129.
to participate in protest marches »87
. Un sentiment d’implication, couplé à la certitude
que le monde politique est sourd aux revendications des individus, poussent par
conséquent à la mobilisation des individus dont l’efficacité interne est forte et
l’efficacité externe faible. Il est un constat, partagé par d’autres études, que
l’environnement particulier de Hong Kong, où les décisions sont prises par un groupe
réduit et où les élections n’ont pas d’impact significatif, est propice à la mobilisation
sociale lorsque plusieurs facteurs sont réunis. L’impopularité du Chief Executive Tung
Chee Wa à l’époque, le chômage record en 2002 et 2003 et l’ampleur des secteurs
mobilisés expliquent pourquoi la participation a particulièrement su se cristalliser sur ce
texte législatif. Hao-Chieh Chang et Hsiang Iris Chyi écrivent ainsi que « the anti-
Article 23 sentiment was not based so much on political knowledge as on negative
perceptions of the political system »88
. Si la manifestation a attiré autant de personnes,
c’est parce qu’elle a su catalysé les mécontentements contre le gouvernement de la
R.A.S. dans son ensemble, en offrant une caisse de résonnance en période de crise.
Le C.H.R.F. a ainsi réussi à mobiliser largement la population en réunissant
500 000 personnes dans la rue le 1er
juillet 2003, au-delà des 100 000 qu’ils espéraient.
Le New York Times rapporte dans un article daté du même jour que le gouvernement
local a tenté de limiter l’ampleur de la mobilisation en distribuant 10 000 tickets gratuits
de cinéma, ou encore en ouvrant gratuitement pour la journée les piscines publiques et
les musées89
. La mobilisation eut néanmoins un impact politique certain avec la
démission d’un membre du cabinet exécutif, James Tien, également leader du Liberal
Party (parti libéral conservateur pro-business et proche de l’aile pro-Pékin), faisant
perdre la majorité du camp pro-gouvernemental au LegCo. Le National Security Bill fut
définitivement retiré le 5 septembre 2003. Si dans la littérature sur Hong Kong cette
manifestation de 2003 revient régulièrement comme une preuve de la conscience et du
pouvoir politique des citoyens de la ville, le rapport du CIVICUS dont nous avons parlé
précédemment temporise : « The government did in the end stop the legislative process;
the influence of CSOs to this end was, however, only indirect. Even after the July 1
2003 rally, the government insisted on proceeding with the legislative process. […] The
87
CHANG (Hao-Chieh) et CHYI (Hsiang Iris), op. cit., p. 142. 88
Ibid, p. 143. 89
BRADSHER (Keith), « Hundreds of thousands in Hong Kong protest security laws », The New York Times, 1er
juillet 2003.
government had not yielded to public pressure and thus CSOs’ impact on the decision
of the government to shelve the bill was at best indirect »90
.
Si la manifestation du 1er
juillet avait lieu annuellement depuis 1997 pour
marquer l’anniversaire de la rétrocession, elle est véritablement devenue un rendez-vous
régulier de la scène politique hongkongaise et est une journée de mobilisation en faveur
de la démocratie pour le Civil Human Rights Front depuis 2003. La mobilisation
importante de 2003 reste comme un évènement incontournable par sa taille. Car si le
graphique ci-dessous semble laisser croire que le nombre de manifestants était plus
élevé en 2004, de nombreuses sources, académiques notamment, laissent à penser que le
chiffre serait en fait en dessous des 200 000. Il est à noter que la manifestation du 1er
juillet 2011, qui a eu lieu dans un contexte économique dégradé et un taux de popularité
dégradé pour le Chef de l’exécutif (seuls 20% des Hongkongais se disaient satisfaits par
l’action du gouvernement91
), a été l’une des plus importantes de ces dernières années.
Le 1er
juillet 2003 représente par conséquent un évènement important pour
comprendre les dynamiques de la société civile hongkongaise. Car si la mobilisation a
été un succès, ses suites sont le reflet de la faiblesse structurelle de ces rassemblements
ad hoc d’organisations. Le C.H.R.F. n’a pas réussi à rester une plateforme
d’organisation en faveur de la lutte pour la démocratie. Car si sa souplesse idéologique a
permis de réunir des acteurs divers, mener un combat politique est un pas que n’a pas
voulu franchir un certain nombre d’organisations apolitiques, comme les associations de
90
Rapport du CIVICUS, «The Hong Kong special administrative region: a vibrant but loosely organised civil
society», 2006, p. 58. 91
« Monsoon of their discontent», The Economist, 7 juillet 2011.
0
100 000
200 000
300 000
400 000
500 000
600 000
2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011
Estimations de participation aux manifestations du 1er
juillet
Organisateurs
Police
journalistes ou les syndicats, qui ne voulaient pas être utilisés dans un débat qui les
dépassait92
.
Conclusion
Si le 1er
juillet 2003 a montré l’importante capacité de mobilisation de la société civile
hongkongaise, et à travers elle de la population, il en illustre aussi les limites. La lutte pour
l’obtention du suffrage universel ne mobilise qu’un noyau dur de militants et les
manifestations peinent depuis à rassembler autant. Il est par conséquent difficile de maintenir
un mouvement pérenne, d’une part à cause de la faiblesse structurelle de la société civile de la
R.A.S., et d’autre part car ses habitants jouissent d’une liberté certaine que n’ont pas leurs
compatriotes continentaux. Si la société sait se mobiliser aux moments-clés, en prenant en
considération un contexte économique et politique non négligeable, la principale difficulté à
laquelle font face les organisations dans leur combat politique serait due à l’existence même
de l’Etat de droit et des libertés.
92
MA (Ngok), op. cit., p. 23 et p. 24.
Seconde partie / Quels particularismes pour une Hong Kong
intégrée ?
ujourd’hui ville chinoise, Hong Kong se trouve tiraillée dans un double
mouvement. D’intégration avec le continent d’une part, de par la forte dépendance
que le territoire observe par rapport à ce dernier, mais également de différenciation
tant la ville, si elle souhaite continuer à peser sur la scène mondiale, doit tenter de garder une
identité propre et une certaine image. Au niveau politique, il s’agit pour la R.A.S. de
maintenir une frontière plus que symbolique avec la Chine pour continuer à aller de l’avant
dans son processus démocratique. Au contraire, sur le plan économique, la frontière devient
un obstacle qu’il faut gommer afin de mieux intégrer la ville dans les flux régionaux.
Autrefois carrefour privilégié entre le monde occidental et la Chine, Hong Kong est contrainte
de repenser sa place et son identité.
Cette seconde partie s’attache ainsi à analyser les mouvements d’intégration et d’identité à
l’échelle de la ville. Une première section reviendra sur les réformes politiques en faveur
d’une démocratisation à terme. Ces dernières révèlent la forte prégnance de Pékin sur le
processus, et la difficulté qu’il en résulte de les développer de façon autonome. Elles révèlent
certes la spécificité de Hong Kong par rapport au continent, mais également le mouvement
centrifuge exercé par Pékin. Nous développerons dans une seconde section la question du rôle
économique de la R.A.S. au sein de la nouvelle deuxième puissance économique mondiale.
Peut-être plus que tout autre aspect, les questions économiques illustrent la forte dépendance
et la nécessité d’une meilleure intégration d’Hong Kong au continent, tout en révélant la
nécessité impérieuse de garder une identité forte pour pouvoir se démarquer des autres villes
chinoises. Un paradoxe à l’image des mouvements qui habitent la ville.
A
Section 1 - Une réforme politique orchestrée par Pékin : quelle partition
pour Hong Kong en 2011 ?
« The ultimate aim is the selection of the Chief Executive by universal suffrage
upon nomination by a broadly representative nominating committee in
accordance with democratic procedures. » - Extrait de l’article 45 de la Loi
Fondamentale de Hong Kong.
n 1990, dans le cadre établi par les accords communs sino-britanniques, est votée
par l’Assemblée Nationale Populaire de Chine la Loi Fondamentale de Hong Kong,
qui aura valeur de mini-constitution pour la nouvelle Région Administrative
Spéciale. Les libertés et droits qu’elle garantit forment le socle de la formule « un pays, deux
systèmes » dans lequel Hong Kong conserve une part d’autonomie. La Région possède ainsi
son propre gouvernement (Executive Council ou ExCo) et sa propre assemblée législative
(Legislative Council ou LegCo). C’est à leur fonctionnement, et plus précisément à la
question de leur réforme, que nous allons nous intéresser dans cette partie.
Comme le dispose l’article 45 de la Loi Fondamentale, le « but ultime » pour la R.A.S.
est l’élection au suffrage universel direct de son Chief Executive. L’article 68 réfère à ce
même but pour le LegCo93
. Ce point d’horizon pour la politique hongkongaise est ainsi,
depuis 1997, le fer de lance des mouvements démocratiques, qui réclament son application
afin que la ville puisse jouir d’une véritable démocratie. Toutefois, certains auteurs comme
Dexter Bonniface et Ilan Alon mettent en avant que, si la ville ne répond pas aux critères
essentiels de la démocratie, elle représente l’un des régimes politiques les mieux gérés au
monde94
: sur les six critères que sont la stabilité politique, l’efficacité du gouvernement, la
qualité normative, l’État de droit, le contrôle de la corruption ainsi que l’expression et la
responsabilité politiques, « Hong Kong’s governance scores are in the top quartile globally for
all six dimensions » excepté pour le dernier critère cité.95
93
Article 68 de la Loi Fondamentale : « The ultimate aim is the election of all the members of the Legislative
Council by universal suffrage ». 94
KAUFMANN (Daniel), KRAAY (Aart) et MASTRUZZI (Massimo), «Governance Matters VI: Aggregate
and Individual Governance Indicators 1996–2006 », Rapport de la Banque Mondiale, 2007. 95
BONIFACE (Dexter) et ALON (Ilan), « Is Hong Kong democratizing ? », Asian Survey, Vol. 50, n°4, 2010, p.
796.
E
Comme nous le verrons dans cette partie, les citoyens de la R.A.S., bien que désirant en
partie plus de participation directe, semblent dans leur majorité se contenter de la situation
politique actuelle. Oscillant entre semi-oligarchie et avancées démocratiques, l’environnement
particulier de la ville offre un cadre d’étude tout à fait intéressant sur les questions de régimes
politiques et de transitions démocratiques. Les débats autour des articles 45 et 68,
précédemment cités, animent ainsi la scène politique locale depuis la rétrocession.
Nous allons ainsi, dans cette section consacrée aux réformes politiques, nous pencher
dans un premier temps sur la conception qu’ont les habitants de la ville de la démocratie, pour
ensuite observer qu’elles sont les sources de légitimité pour le gouvernement. Nous
terminerons avec une analyse de l’évolution de la position de Pékin sur la question de la
démocratie à Hong Kong.
I – La conception de la démocratie à Hong Kong : entre pragmatisme et
approximation.
Souvent dépeints comme plus attachés à leur carte de crédit qu’à leur carte électorale,
les Hongkongais constituent un cas d’étude tout à fait particulier. Nous allons en
conséquent nous intéresser dans cette première partie non au jeu politique et à ses
acteurs, mais au terreau sur lequel il repose. De la conception qu’ils se font de la
démocratie et du système politique en général dépendent en effet de nombreux facteurs
qui viendront influencer leur soutien, ou non, au processus de démocratisation. Nous
verrons tout d’abord que l’utilitarisme imprègne fortement la vision de la politique dans
la ville, puis qu’il apparait qu’il existe une certaine approximation dans l’appréhension
des critères démocratiques.
A) Quel terreau pour la démocratie ?
Lorsque l’on s’intéresse à la question de la démocratie dans le cas de Hong Kong, il
est nécessaire de contextualiser afin de comprendre dans quel terreau culturel elle
peut évoluer. De nombreux auteurs ont en effet mis en avant l’antagonisme des
valeurs asiatiques et des valeurs démocratiques. L’influence du confucianisme en
Chine et sa vision paternaliste de l’autorité, ainsi que du collectif qui prime sur
l’individuel, participeraient à atténuer le désir de démocratie chez les populations
asiatiques. Les colons britanniques, en charge jusqu’en 1997, n’appartenaient
pourtant pas à l’aire de culture confucéenne. Et comme le rappellent d’autres
auteurs96
, la démocratisation de pays asiatiques comme le Japon, la Corée du Sud et
même Taïwan contrastent avec cette vision culturelle du phénomène démocratique,
toutes particularités à ces régimes gardées.
L’idée que les citoyens hongkongais s’intéressent plus à leur sort économique
qu’à la vie politique est également un stéréotype ancré jusqu’aux partis pro-Pékin,
qui utilisent cette idée d’un homo œconomicus bien loin des considérations politiques
pour justifier le peu de nécessité d’une réforme démocratique. Cette idée est
également portée par Pékin qui met en avant la croissance économique comme gage
de stabilité et de légitimité. Comme nous le verrons ensuite, il est difficile
d’apprécier cette domination de l’économique sur le politique dans l’esprit des
habitants. Certains ont par exemple fait remarquer que la manifestation du 1er
juillet
2003 a été très importante car les conditions économiques n’avaient jamais été aussi
dégradées. C’est donc en écartant ces présupposés, et en s’intéressant à la conception
que les citoyens ont de la politique et de la démocratie, que l’on peut comprendre les
dynamiques à l’œuvre.
Joseph Cheng écrit qu’ « une majorité de Hongkongais [a] une approche
encore utilitariste envers la démocratie, qu’ils voient comme un moyen de réaliser
des objectifs pratiques, concrets »97
. Ils ne voient pas la démocratie comme de grands
idéaux que le régime doit respecter et qui fondent la nation, mais comme des
dispositifs souvent sans grand intérêt pour leur quotidien et qui ne doivent pas
menacer le progrès et le développement économique. C’est un problème qui peut leur
apparaitre comme abstrait et qui passionnent surtout les cercles politiques, assez
éloignés des préoccupations quotidiennes. C’est, en résumé, un pragmatisme dont
font preuves les Hongkongais dans leur relation avec les réformes démocratiques, qui
ne veulent pas dans leur majorité s’aliéner Pékin et mettre en péril une stabilité chère
à leurs yeux.
Comme nous l’avons vu dans la section précédente, le sentiment d’urgence ne
domine pas et les Hongkongais se savent privilégiés par rapport à leurs compatriotes
continentaux. Le graphique ci-dessous illustre cette tendance à une satisfaction
envers le caractère démocratique de leur régime : la note sur l’ensemble de la période
96
BONIFACE (Dexter) et ALON (Ilan), op. cit., p. 788 97
CHENG (Joseph), « Le mouvement pour la démocratie à Hong Kong », Perspectives chinoises, traduit par
Elsa Chalaux, n°2007/2, 2007, p. 18.
1997-2011 est à 6.13, soit nettement au-dessus de la moyenne. Nous pouvons
remarquer un creux entre le deuxième semestre de 2003 et le premier de 2004 qui
reflète le climat politique instable à l’époque, instabilité que nous avons abordée dans
une section précédente.
L’article de Ming Sing sur le soutien populaire pour la démocratie à Hong
Kong nous renseigne également sur un autre aspect à prendre en compte dans le
contexte local : la relation à l’autorité. Son étude montre que, dans le cas d’Hong
Kong, « the less respect people have for authority the more they tend to support
democracy »98
. Cette idée est couplée à la théorie du post-matérialisme de Ronald
Inglehart que ce même auteur reprend : elle établit un lien entre le développement
économique et la soif de liberté d’expression et de participation aux activités
politiques qui l’accompagne lorsque les populations ont comblé leurs besoins
économiques. Nous serons amenés plus tard dans notre analyse à étudier le rapport
entre politique et économie.
98
SING (Ming), « Explaining mass support for democracy in Hong Kong », Democratization, Vol. 17, n°1,
2010, p. 194.
5,2
5,4
5,6
5,8
6
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0
1-6
/11
Des Hongkongais plutôt satisfaits du caractère démocratique
de leur régime
Evaluation du caractère démocratique de la société hongkongaise de 0 à 10 (0 étant un
régime absolument autocratique et 10 un régime absolument démocratique)
B) Une conception volatile et parfois erronée de la démocratie
Le trait commun à la conception dont les Hongkongais se font de la démocratie est sa
relative approximation. Pour Elaine Chan et Joseph Chan, c’est l’héritage colonial
qui a légué à la ville et ses habitants une vision particulière de la participation
publique à la politique et du système de gouvernance99
. Cette conception floue
explique peut-être une vision idéalisée de leur régime, comme souligné par le
graphique précédent. Le critère de la participation électorale périodique et instituée
ne semble ainsi pas s’imposer dans l’imaginaire collectif comme étant la pierre
angulaire d’un système démocratique. La conception même du vote semble erronée.
La riche étude des deux chercheurs s’intéresse à la représentation du suffrage
universel et son conflit avec le système des collèges électoraux professionnels
(functional constituencies). En effet, jusqu’aux dernières élections législatives de
2008, la moitié des soixante sièges du LegCo étaient élus par de tels collèges. Ils sont
ancrés dans la tradition constitutionnelle locale et existent depuis 1985 : « in the
colonial government’s original conception, the functional constituency was meant to
institutionalize an informal consultative system […] frequently used in the
determination of public policies »100
. Il en existe vingt-huit qui représentent des
secteurs aussi divers que le tourisme, les services médicaux, l’éducation,
l’urbanisme… Ces collèges représentent un groupe de personnes issues de ces
secteurs et qui sont ainsi autorisés à voter deux fois : la première en tant que membre
d’un collège électoral professionnel, la seconde lors des élections des trente autres
sièges soumis au suffrage universel dans les circonscriptions géographiques.
Elles représentent donc une anomalie démocratique puisqu’un tel système ne
respecte pas le postulat « un vote une voix ». Les deux chercheurs ont ainsi produit
une étude en 2004 auprès d’un panel de 1026 individus sur leur conception des dits
collèges et du suffrage universel. Il en ressort que sur les personnes interrogées qui
étaient favorables à l’élection au suffrage universel de l’ensemble du parlement en
2008, « 65.4% contradicted themselves by not agreeing with the elimination of
functional elections »101
. Joseph Chan et Elaine Chan insistent sur le fait que cette
réponse n’est pas une anomalie d’échantillon mais que régulièrement, lors des études
99
CHAN (Joseph) et CHAN (Elaine), « Perceptions of universal suffrage and functional representation in Hong
Kong: a confused public? », Asian Survey, Vol. 46, n°2, 2006, p. 272. 100
Ibid, p. 259. 101
Ibid, p. 264.
qu’ils ont conduites, le soutien au système des collèges électoraux professionnels est
affiché par une majorité du panel (60.9% dans cette étude). Ils avancent l’explication
que : « They do not understand by allowing certain segments of society to have a
second vote, functional voting violated the democratic principle of “one person, one
vote”. Alternatively, it is possible that people do not know what universal suffrage
means »102
. Il semblerait également que la signification et le rôle de ces collèges
soient méconnus par la population, l’étude montrant que plus les citoyens avaient
conscience de leur nature, plus ils étaient enclins à considérer leur suppression103
. La
place de ces collèges électoraux est au cœur des débats concernant la réforme
démocratique de la R.A.S. Mais il semblerait que les mouvements démocratiques,
dans leur rôle de plaidoyer et de mobilisation, doivent également communiquer et
informer sur ce qu’est la démocratie et quels critères ne peuvent être laissés de côté.
La vision déformée de la démocratie qu’a une part importante de la population
explique peut-être pourquoi elle tolère un fonctionnement oligarchique de la société,
où de petits groupes représentant les élites de leurs secteurs ont plus de voix au
chapitre et ne défendent pas nécessairement l’intérêt général.
II – Quelle légitimité sans le suffrage universel ?
Le régime politique satisfaisant actuellement une majorité de la population malgré ses
limites démocratiques, sa légitimité doit donc se chercher ailleurs que dans les résultats
électoraux. Sans légitimité démocratique et avec le soutien de Pékin comme seul poids
politique dans la balance, le Chief Executive et son ExCo doivent se construire un bilan
afin de maintenir la stabilité dans la région et l’approbation de l’opinion. Se crée alors
une forte source de légitimité par la santé économique de la ville, mais aussi par les
baromètres d’opinion. Nous nous interrogerons également sur les changements de
paradigmes qu’introduirait la démocratisation du système
A) Le bilan économique comme faire-valoir
Les récentes crises économiques qui ont secoué la R.A.S. représentent un contexte
intéressant pour s’intéresser au choix de priorité pour les Hongkongais, entre un
102
CHAN (Joseph), CHAN (Elaine), op. cit., p. 265. 103
Ibid, p. 271.
redressement économique et une démocratisation du système, si tant est qu’ils soient
contradictoires.
Lorsque la situation économique se dégrade, les habitants détournent
rapidement leur regard de préoccupations plus politiques et idéologiques pour
s’attacher à l’économie en priorité. L’étude de Ming Sing sur le post-matérialisme à
Hong Kong montre ainsi qu’avec la sortie de la crise économique en 2004 et le retour
de l’inflation, les priorités vont s’inverser. La part des personnes interrogées
catégorisées comme « post-matérialistes » était de 20 % en 2003 pour baisser à 10%
en 2008.
En apposant un graphique représentant l’inflation dans la R.A.S. entre 2002 et
2009 (voir ci-dessous), nous pouvons remarquer que le recul de l’inflation en 2004 et
2005 se répercute dans le précédent tableau par un creux dans l’unité « combattre la
montée des prix ». Le pic à 34.7% pour « maintenir l’ordre dans la société » en 2003
s’explique par les tensions entre les mouvements démocratiques et les dirigeants
chinois autour de la question de la réforme démocratique du processus électoral104
,
pouvant faire craindre à la population une certaine instabilité. L’ordre social
représente une idée importante dans une société influencée culturellement par le
confucianisme. C’est pourquoi, en période d’instabilité à la fois économique et
104
SING (Ming), « Explaining mass support for democracy in Hong Kong », Democratization, Vol. 17, n°1,
2010, p. 188.
0
5
10
15
20
25
30
35
40
Maintenir l'ordre dans
la société
Combattre la montée
des prix
Donner plus de
parole aux citoyens
dans les décisions
importantes du
gouvernement
Protéger la liberté
d'expression
Choix entre quatre éléments constitutifs post-matérialistes
jugés comme prioritaires Graphique produit à partir des données récoltées par l’auteur
2003
2005
2008
politique, la population s’attache à son maintien plus qu’à la possibilité d’exprimer
son opposition à la politique du gouvernement.
La part du panel se prononçant pour « protéger la liberté d’expression »
comme leur choix principal est en baisse constante. Des études diverses montrent
ainsi que l’attention portée par les habitants à la question du suffrage universel pour
les élections en 2008, puis en 2012, ne prime pas sur les questions économiques. Le
pragmatisme de la population s’illustre ainsi : la situation politique les satisfait tant
que l’économie va. C’est un des leviers de légitimité utilisé par les administrations
successives de Tung Chee-hwa et de Donald Tsang.
B) Le poids des sondages
Rikkie Yeung a résumé dans une intervention la légitimité de l’exécutif Hongkongais
comme suit : « legitimacy from polls, but not votes »105
. La popularité et le bilan du
gouvernement n’étant pas mis en jeu lors du rendez-vous d’élections régulières, ce
dernier fait du monitoring de sondages afin de prendre le pouls de la population. Le
Public Opinion Programme de l’université de Hong Kong joue un grand rôle dans la
vie politique de la ville, en publiant de façon presque quotidienne des enquêtes
d’opinion sur la popularité des dirigeants, des partis politiques, ainsi que sur
l’appréciation de la situation politique, sociale ou économique. Les enquêtes
d’opinion viennent alors pallier le manque de démocratie dans le choix de l’ExCo et
du LegCo. Si bien qu’un taux de satisfaction élevé pour le Chief Executive suffit à
renforcer sa légitimité. Ou à l’inverse, le délégitimer.
105
YEUNG (Rikkie), « Post-2003 Hong Kong: The rise of civil society activism vs decline of autonomy? »,
présenté le 15 Novembre 2006 à The Brookings Institution, Washington D.C..
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009
Inflation (%) -1,6 3 -2,6 -0,3 0,9 2,2 2 4,3
-4
-2
0
2
4
6
Inflation dans la R.A.S. entre 2002 et 2009 Donnés tirées du site IndexMundi
La démission du premier Chief Executive de la R.A.S., Tung Chee-hwa, deux
ans avant la fin de son deuxième mandat, illustre les différentes dynamiques que
nous avons évoquées. À partir de 2002, les enquêtes de satisfactions montrent une
érosion qui épouse la forme du taux de croissance de la ville : après une croissance
de 10% du PIB en 2001, cette dernière est atone en 2002 avant de se contracter de
3% en 2003. Tung Chee-hwa perd ainsi un important pilier de légitimation avec un
bilan économique mauvais. Couplée avec la crise politique de 2003 et diverses
maladresses qui suivirent en 2004, la désapprobation de l’action de l’exécutif le fait
passer sous la barre des 45% d’opinions positives, qualifiée par le directeur du P.O.P.
comme la « 45-mark credibility crisis level ». C’est dans ce climat de défiance qu’il
perd la dernière et principale source de légitimité : l’appui de Pékin. La presse
rapporte ainsi le « savon public » (public dressing-down) du président chinois Hu
JinTao au Chief Executive lors d’une conférence en décembre 2004 pour ses erreurs
passées, appelant une nécessaire correction de tir106
. Il démissionna le 10 mars 2005
prétextant des problèmes de santé.
C’est en décrivant le taux de satisfaction de près de 70% de son successeur
que Rikkie Yeung affirme : « if gradual subsidence of political excitement and high
poll ratings are the yardsticks for measuring success, this strategy seems to work »107
.
106
YAU (Cannix), « Hu Reprimands Tung », The Standard, 01/12/2004. 107
YEUNG (Rikkie), op. cit.
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20
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0
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/11
Taux de satisfaction du Chief Executive Données collectées à partir des publications de HKUPOP
Tung Chee-Hwa Tsang Donald
La situation semble avoir changé puisque le communiqué de presse du 19 juillet
2011 du P.O.P. insiste sur la baisse inquiétante du taux de satisfaction vers la
« danger line » de 45% : « If the situation persists, the government would fall into a
governance crisis. […] His approval rate now stands at 24%, disapproval rate at 64%,
net popularity at negative 40 percentage points, and his performance is close to
"disastrous" again »108
. Le poids des sondages est tel qu’en 2000, un des conseillers
du Chief Executive Tung avait fait pression sur le programme d’opinion de
l’Université de Hong Kong pour qu’elle cesse la publication de ses études.
C) Le jeu des élections
Si le Chief Executive n’est pas élu au suffrage universel et que la moitié du LegCo ne
l’est également pas, des élections au suffrage universel ont tout de même lieu à Hong
Kong. C’est le cas pour les élections des conseils de districts et de l’autre moitié du
LegCo. Ces rendez-vous électoraux sont ainsi l’occasion de mesurer l’attachement de
la population à la démocratie d’une part, en observant les taux de participation, et au
mouvement démocratique d’autre part, en analysant les résultats des partis pro-
démocratie.
Le taux de participation aux élections législatives oscille autour des 50%
depuis la rétrocession en 1998. Ce taux peut sembler bas au vue des critères
européens, le record de participation s’établissant à 55.6% en 2004, mais rappelons
qu’une démocratie comme les États-Unis fonctionne aussi avec des taux de
participations aux élections autour de 50%. On remarque qu’un climat politique
particulier permet de mobiliser la population en lui donnant l’impression de pouvoir
se faire entendre : le record de 2004 s’inscrit dans la suite du mouvement
d’opposition à l’article 23 qui avait mobilisé un nombre record de Hongkongais dans
la rue. Tout comme en 1998 où pour Jean-Philippe Béja, « au lendemain de la
rétrocession, […] il était important de montrer son attachement aux élections »109
.
108
Communiqué de presse d’HKU POP du 19/07/2011. 109
BEJA (Jean-Philippe), « L’avènement d’une culture politique démocratique ? », Perspectives Chinoises, Vol.
n°2007/2, 2007, p. 11.
De façon constante le mouvement pan-démocratique obtient une moyenne de
60% des voix aux dernières élections législatives, ce qui ne lui permet néanmoins pas
d’obtenir une majorité des voix au LegCo. Il est intéressant de constater que même
les partis soutenant Pékin comme le D.A.B. (Democratic Alliance for the Betterment
and Progress of Hong Kong) jouent également le jeu des élections en se présentant
devant les circonscriptions géographiques, et donc les électeurs, et en ne se
contentant pas des voix acquises dans les collèges professionnels. Ils légitiment ainsi
le suffrage universel en participant eux-mêmes au jeu électoral. Les réformes
démocratiques devraient encourager ce mouvement ainsi que la nécessité pour les
partis de sortir de l’arène politique classique pour adopter un discours et des
propositions à même de satisfaire les attentes de la population.
III – Les réformes politiques et l’évolution de la position de Pékin
Depuis la rétrocession de Hong Kong à la Chine, la question de la réforme du système
politique, en accord avec les objectifs inscrits dans la Loi Fondamentale, n’a jamais
quitté le devant de la scène grâce à une lutte constante des partis pro-démocratiques.
Nous allons maintenant revenir sur la chronologie des réformes et des avancées
démocratiques, et nous intéresser ensuite à l’attitude de Pékin vis-à-vis des négociations
et de la démocratisation en elle-même.
35,79
53,29
43,6
55,6
45,2
0
10
20
30
40
50
60
1995 1998 2000 2004 2008
Taux de participation aux élections du LegCo
Taux de participation (%)
A) Retour historique sur la réforme démocratique du régime politique de
Hong Kong
Comme stipulé aux articles 45 et 68 de la Loi Fondamentale, le suffrage universel est
l’ « objectif ultime » pour le fonctionnement institutionnel de Hong Kong. Les
annexes à la Loi précisent ainsi que, dans la perspective d’une réforme du système
après 2007, la décision doit être prise par les deux-tiers du LegCo, suivie du
consentement du Chief Executive et enfin avec l’accord de l’Assemblée Nationale
Populaire (A.N.P.) de Chine110
111
.
Amené à interpréter ces dispositions après la crise politique de 2003, le Comité
permanent de l’A.N.P. s’est prononcé en avril 2004 contre une élection du Chief
Executive et du LegCo au suffrage universel en 2007 et 2008, en repoussant les
réformes démocratiques à une date ultérieure112
. Toutefois, comme prévu à l’annexe
II, des modifications sont intervenues concernant le nombre d’élus au LegCo. En
2000, trente élus furent élus par les collèges socio-professionnels, vingt-quatre par le
suffrage universel et six désignés par l’Election Committee. Puis, en 2004, trente
députés furent élus au suffrage universel et trente autres par les collèges socio-
professionnels.
Suite à la publication d’un livre vert par l’administration de Donald Tsang sur
le développement constitutionnel à l’été 2007, le Comité permanent de l’A.N.P. vient
préciser en décembre 2007 la feuille de route pour l’instauration d’un véritable
suffrage universel. Une fois encore, les mouvements pro-démocratiques sont déçus :
le Comité repousse son instauration à 2017 pour l’élection du Chief Executive et
2020 pour l’élection du LegCo. 2012, qui aurait été un symbole avec l’élection de
l’exécutif et du législatif la même année, ne marquera donc pas la première élection
pleinement démocratique :
110
Annexe I alinéa 7 : « If there is a need to amend the method for selecting the Chief Executives for the terms
subsequent to the year 2007, such amendments must be made with the endorsement of a two-thirds majority of
all the members of the Legislative Council and the consent of the Chief Executive, and they shall be reported to
the Standing Committee of the National People's Congress for approval. » 111
Annexe II article 3 : « With regard to the method for forming the Legislative Council of the Hong Kong
Special Administrative Region and its procedures for voting on bills and motions after 2007, if there is a need to
amend the provisions of this Annex, such amendments must be made with the endorsement of a two-thirds
majority of all the members of the Council and the consent of the Chief Executive, and they shall be reported to
the Standing Committee of the National People's Congress for the record. » 112
Texte intégral de la décision du Comité permanent de l’A.N.P. de Chine d’avril 2004 : http://goo.gl/QRcbs
« The election of the fourth Chief Executive of the Hong Kong Special
Administrative Region in the year 2012 shall not be implemented by the method of
universal suffrage. The election of the fifth term Legislative Council of the Hong
Kong Special Administrative Region in the year 2012 shall not be implemented by
the method of electing all the members by universal suffrage »113
.
L’analyste Michael Martin remarque pour le Congrès américain que le
vocabulaire employé n’est pas sans équivoque concernant ce report114
. En chinois,
l’expression可以实行由普选产生的办法 (qui se traduit en français par le processus
d’élection « pourra être mis en œuvre par le suffrage universel ») contient une
certaine ambigüité, entre « the granting of permission or the statement of
possibility »115
.
The Standard rapporte que Martin Lee, figure du Parti Démocrate, dénonça
cette décision « trompeuse et creuse »116
qui, selon lui, a privé les citoyens de Hong
Kong de leurs droits. Les enquêtes d’opinion effectuées après la publication de la
décision illustrent néanmoins qu’une majorité des Hongkongais se satisfait de la
feuille de route117
.
Suite à la publication en novembre 2009 du Consultation document on the
methods for selecting the chief executive and for forming the LegCo in 2012 par
l’exécutif hongkongais, 2010 a représenté une année charnière pour le processus de
démocratisation dans la R.A.S. Elle a été marquée, dès le 26 janvier, par la démission
de cinq députés pro-démocratiques. Ces démissions avaient pour but de provoquer de
nouvelles élections dans leurs circonscriptions afin de les transformer en
« référendum » pour soutenir le processus démocratique. Si les cinq candidats furent
réélus en mai assez largement, la faible participation (17.2% des votants) et le
boycott des partis pro-Pékin ont coupé court aux ambitions du mouvement démocrate.
Ce type de posture récolte par ailleurs généralement peu de soutien de la part de la
113
Texte intégral de la décision du Comité Permanent de décembre 2007 : http://goo.gl/3bVzQ 114
MARTIN (Michael), « Prospects for democracy in Hong Kong: China’s December 2007 decision », CRS
Report for Congress, 2008, p. 3. 115
Idem. 116
CHAN (Carrie) et PATEL (Nishika), « Risk jail to press Beijing, leader urges democrats », The Standard,
31/12/2007. 117
MARTIN (Michael), op. cit., p. 5.
population. Celle-ci reste au demeurant assez pragmatique et ne souhaite pas
brusquer Pékin
En juin 2010, l’exécutif soumit deux motions au parlement visant à amender
la Loi Fondamentale dans l’optique des élections exécutives et législatives. La
première motion prévoyait d’élargir l’Election Committee à 1200 membres, contre
800 alors. Il était prévu dans la seconde que le nombre de sièges du LegCo passerait
de soixante à soixante-dix, ajoutant cinq sièges élus au suffrage universel et cinq
autres élus par les collèges électoraux professionnels.
Tout amendement à la Loi Fondamentale devant être voté à la majorité des
deux tiers, l’adoption de ces deux motions ne pouvait se faire sans le soutien d’au
moins une partie du camp pro-démocrate. Et c’est le Democratic Party qui entrouvrit
la porte du compromis en promettant de soutenir les motions. Il posa pour condition
le statu quo pour le nombre de soutiens nécessaires au dépôt d’une candidature à
l’élection du Chief Executive ainsi que l’abolition pour l’élection de 2020 des
collèges professionnels. Dans les conditions que nous verrons dans la partie suivante,
Pékin et le Democratic Party réussirent à s’entendre et les motions furent votées le 24
et 25 juin 2010 avec une majorité de quarante-six voix sur les cinquante que compte
le parlement.
B) Pékin et la réforme démocratique à Hong Kong
En parallèle à une étude historique des réformes constitutionnelles dans la R.A.S., il
est intéressant de se pencher sur l’attitude des acteurs et sur leurs stratégies. Nous
verrons dans cette sous-partie que Pékin est ainsi passé d’une ignorance affichée
envers les pro-démocratiques à leur cooptation.
L’étude de Zhang Baohui sur la réforme constitutionnelle de 2007 nous offre
ainsi des pistes de réflexion sur l’attitude de Pékin envers la démocratisation118
. Le
gouvernement central a parfois donné l’impression de subir le calendrier des
mouvements démocrates qui ont, avec succès, maîtrisé leur protestation en 2003.
Cependant, à plusieurs reprises, certains officiels chinois ont martelé que le
gouvernement central était le maître du jeu et que rien ne pouvait se faire sans son
aval. Comme nous l’avons déjà dit, une réforme constitutionnelle ne peut avoir lieu
118
ZHANG (Baohui), «Beijing’s 2007 political reform plan and prospects for Hong Kong’s democratization »,
Democratization, Vol. 17, n°3, 2010, p. 442-464.
sans un vote des deux tiers du LegCo : aucune avancée ne peut donc se faire sans que
les partis pro-Pékin et le mouvement démocratique ne s’accordent sur les
dispositions, aucun des deux ne possédant seul le nombre de sièges suffisant. Si ce
pouvoir de veto du camp démocrate prive Beijing d’agir unilatéralement, il place la
balle dans le camp de ces derniers.
Baohui Zhang s’intéresse longuement à cette question du pouvoir de veto. Il
entrevoit, ce qui se confirmera en juin 2010, que le mouvement démocrate ne pourra
pas refuser la feuille de route même imparfaite du gouvernement central pour la
démocratisation de la R.A.S. : « if they veto this less-than-ideal political reform plan,
the result may be no progress at all toward Hong Kong’s democratization. Further,
many democrats fear that vetoing the plan will trigger a backlash from the
public »119
. Ainsi que nous l’avons déjà observé, la population est en effet en faveur
d’une approche pragmatique et ne veut pas s’aliéner Pékin. Sa vision pragmatique et
dépourvue d’arrière-pensée idéologique contraste avec la détermination des leaders
démocrates. Ceux-ci ne désirent pas pour autant perdre l’appui de la population,
nécessaire lors des manifestations du 1er
juillet par exemple, mais aussi pour
conserver un nombre de sièges au parlement l’assurant de ce pouvoir de veto.
Après que le candidat démocrate Alan Leong put participer à l’élection du
Chief Executive en obtenant le soutient d’un nombre suffisant de membres du
Election Committee, et ainsi provoquer une véritable campagne électorale, Donald
Tsang fut mis face à ses promesses de démocratisation. Pour l’auteur, le début du
second mandat de Donald Tsang est le moment où Pékin a décidé de changer sa
stratégie et de reprendre la main sur le processus de démocratisation : « Beijing
realized that it had to take the initiative and prevent the democrats from hijacking the
direction and speed of Hong Kong’s political reform »120
. C’est après avoir réaffirmé
que le gouvernement chinois avait la main sur le processus que Tsang publia son
livre vert, lançant la balle dans le camp des démocrates.
La stratégie de front uni qui dominait le jeu de Pékin, en soudant l’ensemble
des partis sur sa ligne grâce à des moyens plus ou moins orthodoxes, empêchait toute
négociation véritable avec le camp démocratique. Ce dernier était ignoré par le
119
ZHANG (Baohui), op. cit., p. 449. 120
ZHANG (Baohui), op.cit., p. 448.
gouvernement central qui refusait le dialogue et faisait pression sur le milieu
économique local pour que ces partis ne puissent aisément trouver de
financements121
. Dans le cadre des débats sur l’adoption de la feuille de route pour le
suffrage universel en 2017 et 2020, Pékin a changé de stratégie en acceptant de
négocier avec les démocrates qui le souhaitaient, créant par la même occasion une
division au sein du bloc. Cette cooptation du Democratic Party a permis de faire
passer le paquet législatif avec une majorité des deux tiers, alors que d’autres partis
comme le Civic Party n’ont pas apporté leurs voix au dispositif. En acceptant de
négocier avec un parti, certes d’opposition, mais prêt à soutenir les motions contre
certaines exigences, Pékin marginalise ceux qu’il considère comme des
« extrémistes », et montre que le pragmatisme peut mener à la négociation. C’est une
stratégie doublement avantageuse puisqu’elle a permis de faire adopter les motions et
de diviser le camp des partis pro démocratie entre ceux qui étaient prêts à un
compromis et ceux qui ne voulaient pas de réformes bradées.
Conclusion
Apprécier l’avancée de la démocratie à Hong Kong ne peut se faire sans comprendre quelle
représentation la population de la R.A.S. en a, et ainsi ce qu’elle est prête à faire pour
l’obtenir. Il ressort de notre analyse qu’elle préfère le compromis et la négociation aux
postures dogmatiques, et ne ressent pas le manque de démocratie dans le processus électoral
comme une menace. Il faudra attendre les élections de 2012 pour constater un changement ou
non du rapport de force, et a fortiori 2017 et 2020 pour voir si la Chine saura respecter ses
promesses.
121
LAM (Willy Wo-Lap), « La politique de Pékin à Hong Kong et les perspectives de démocratisation dans la
Région administrative spéciale », Perspectives chinoises, n°2007/2, 2007, p. 39.
Section 2 - Hong Kong : un dragon qui cherche à raviver la flamme
epuis l’installation des colons britanniques aux confins de l’empire chinois dans le
delta de la rivière des perles, Hong Kong s’est construite comme un lieu de
passage et d’échange entre l’Occident et la Chine. Profitant de sa position
géographique stratégique, elle a fait du commerce le pilier de son expansion. Avec
l’avènement du communisme au pouvoir en 1959, de nombreux immigrés affluent dans la
ville, comptant parmi eux nombreux hommes d’affaires shanghaiens qui participeront à son
développement. L’ouverture de la Chine sur l’extérieur entrepris par Deng Xiaoping à partir
de 1979 permit à Hong Kong de devenir le point de passage obligé entre l’empire du Milieu et
le reste du monde : « The middleman between China and the rest of the world »122
.
1997 et la rétrocession marquent la dernière étape dans l’Histoire de l’ancienne
colonie et de sa patrie retrouvée. Craintes et prophéties ont précédé cet évènement tant le
doute était grand sur la possibilité pour un îlot, où le capitalisme libéral était roi, de pouvoir
garder son autonomie en matière économique par rapport au géant communiste. Tel que défini
à l’article 5 de la Loi Fondamentale, « the socialist system and policies shall not be practised
in the Hong Kong Special Administrative Region, and the previous capitalist system and way
of life shall remain unchanged for 50 years ». La R.A.S. conserve ainsi sur le papier toute son
autonomie en matière économique.
Le rôle qu’a joué Hong Kong dans le développement de la Chine, et de façon plus
poussée dans celui de sa région voisine du Guangdong, est indéniable. Les disparités
économiques entre les deux entités le sont aussi : en 1997 à l’heure de la rétrocession, la ville
possédait l’une des économies les plus libérales du monde et un écart de richesse important
avec la Chine. Encore en 2010, le PIB par habitant était de 31 590$ dans la R.A.S. d’après le
Fonds Monétaire International contre 4 382$ pour la Chine, soit un chiffre plus de sept fois
inférieur.
Nous allons ainsi dans cette section nous attacher à analyser les dynamiques
d’intégration entre Hong Kong et la Chine. Autrefois un exemple de développement et de
réussite aux yeux des chinois, dont l’image de la baie suffisait à éveiller l’imagination,
aujourd’hui, après plusieurs crises économiques, la R.A.S. se cherche une nouvelle place et
122
SUNG (Yun-Wing) & WONG (Kar-Yiu), « Growth of Hong Kong before and after its reversion to China: the
China factor », Pacific Economic Review, Vol. 5, n°2, 2000, p. 224.
D
une nouvelle identité, dans le monde et en Chine. Nous verrons par conséquent dans un
premier temps les dynamiques de développement régional et national et les raisons pour
lesquelles l’intervention de Pékin en matière économique fut nécessaire, pour ensuite repenser
l’identité de Hong Kong en tant que ville à prétention mondiale et la place qu’elle peut
occuper dans la Chine du XXI siècle. Nous finirons avec une analyse de la question de la
frontière et de l’intégration au sein du delta de la rivière des perles.
I – De l’intégration à la dépendance
Le climat économique a connu de nombreux soubresauts depuis la rétrocession de 1997
après plusieurs décennies de développement régulier et continu. Depuis cette année, la
R.A.S. a en effet était frappée de plein fouet par la crise asiatique, l’explosion de la
bulle internet, le 11 septembre 2001, l’épidémie du SRAS et la crise des subprimes.
Fortement connectée à l’économie mondiale, dépendante des flux d’échanges et de son
marché financier, Hong Kong n’était plus habituée à une croissance molle. C’est un
modèle de croissance que la ville doit repenser avec la délocalisation de l’activité
manufacturière de l’autre côté de la frontière et l’essor du secteur des services. Nous
allons par conséquent nous intéresser à cette mutation à l’aune de l’intégration
économique avec la Chine, et étudier les actions entreprises par Pékin pour soutenir
l’activité de la R.A.S.
Le gouvernement central est en effet attentif à la situation économique dans la
R.A.S. Elle est d’une part garante de la légitimité de l’exécutif hongkongais et source de
0
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10
La croissance hongkongaise depuis 1990
Croissance du Produit
Intérieur Brut (milliards de
dollars) Source : Banque
Mondiale
stabilité sociale, mais aussi une preuve du fonctionnement du principe « un pays, deux
systèmes ». Alors que dans un premier temps la Chine avait érigé les villes voisines du
Guangdong, Canton ou Shenzhen, comme des concurrentes à l’ancienne colonie, elle a
changé de stratégie face au marasme économique et tente aujourd’hui d’intégrer les
deux ensembles pour trouver de nouveaux relais de croissance et de développement des
deux côtés de la frontière.
L’accord CEPA (Closer Economic Partnership Agreement) marque ainsi une étape
importante pour l’intégration économique entre la Chine et Hong Kong, et symbolise le
soutien de Pékin à la ville : « CEPA is regarded as a gift from the Central Government
to Hong Kong amidst its economic problems »123
. Cet accord est né, comme nous
l’avons dit, des difficultés économiques causées par des crises successives. Mais il
prend également sa source dans la nécessaire relance d’une économie dont le rôle de
middleman n’est plus garanti maintenant que l’empire du Milieu a rejoint l’Organisation
Mondiale du Commerce en 2001, facilitant de facto le commerce direct avec les
puissances commerciales étrangères. Plus un entrepôt, Hong Kong n’est plus non plus
un lieu de production manufacturier : ce secteur est passé de 25% du PIB local en 1980
à 5% en 2001124
. De nombreuses délocalisations se sont en effet opérées vers les
provinces chinoises voisines afin de profiter des coûts de main d’œuvre moins élevés et
de faire baisser les coûts de production, alors que la colonie restreignait les flux de
migrants peu qualifiées à sa frontière.
Signé le 29 juin 2003, l’accord est entré en vigueur le 1er
janvier 2004. Il vise à
libéraliser les échanges entre Hong Kong et la Chine et renforcer les investissements de
part et d’autre de la frontière en permettant aux capitaux de circuler plus facilement.
D’une part, l’accord prévoit de supprimer les droits de douanes des produits
originaires de Hong Kong dans un premier temps sur une liste restreinte d’objets, puis
sur tous les produits, dès le 1er
janvier 2006. Sont désignés comme des produits « made
in Hong Kong » ceux dont au moins 30% de la valeur ajoutée a été produite localement
(qu’il s’agisse de coûts de production ou de coûts de développement). Il prévoit
également que des entreprises hongkongaises puissent s’installer en Chine continentale
123
CHIU Y. W. (Peter), «CEPA: a milestone in the economic integration between Hong Kong and Mainland
China», Journal of Contemporary China, Vol. 15, n°47, Mai 2006, p. 275. 124
GIPOULOUX (François), « De l’entrepôt à la ville réseau : Hong Kong dans le corridor maritime est
asiatique», Hong Kong : économie, société, culture, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 145.
avec un capital minimum de 100 000 yuans, soit un capital bien inférieur au seuil requis
pour les entreprises étrangères. Le tourisme représente également un point important de
l’accord, le nombre de touristes chinois autorisés à visiter la ville étant augmenté. Autre
exemple de libéralisation, autrefois tombant dans la catégorie des films étrangers, les
productions cinématographiques hongkongaises ne font plus l’objet de quotat comme
c’est le cas pour les productions étrangères (20 films par an).
D’autre part, en matière d’investissement et de circulation du capital, le CEPA
constitue la première étape de la libéralisation du renminbi, monnaie officielle de la
République Populaire de Chine. Il autorise les banques hongkongaises à proposer des
services bancaires en renminbi pour les particuliers seulement125
. Cela signifie par
exemple que les touristes chinois sont autorisés à utiliser leur carte de paiement à Hong
Kong et que les commerçants peuvent déposer ces yuans auprès de leur banque. Cette
mesure s’arrête cependant à l’achat de bien de consommation, les fonds en renminbi ne
pouvant permettre l’achat de propriété ou être réinvestis à Hong Kong126
. Les banques
de la R.A.S. bénéficient également d’une facilité d’accès au marché chinois, le seuil
d’actifs nécessaires pour y entrer étant abaissé (6 milliards de dollars américains au lieu
de 20 milliards pour les banques hongkongaises avant le CEPA, selon les règles de
l’OMC)127
.
L’étude de Hung-Gay Fung et Jian Zhang sur les premiers effets du CEPA met en
évidence que « Hong Kong has substantially improved its exports to China, implying
that the removal of China’s import-tariff rates has indeed helped Hong Kong. […] Other
countries will use Hong Kong as the conduit for exporting goods and services to
China.»128
Cet accord a en effet permis d’enrayer le déclin du secteur manufacturier
hongkongais en changeant son modèle et en lui donnant une nouvelle impulsion. Avec
la disparition des taxes à l’import, le coût des produits hongkongais s’en trouve baissé
de façon conséquente, permettant de réduire le déficit de compétitivité face aux produits
chinois. Certaines entreprises qui avaient pour habitude de produire dans le Guangdong
ont ainsi relocalisé une partie de leurs activités de production dans la R.A.S. : car le
made in Hong Kong jouit d’une meilleure image que le made in China, ou encore parce
125
DELATTE (Anne-Laure) & SAVARY-MORNET (Maud), « Made in China… financé à Hong Kong»,
Perspectives Chinoises, n°2007/2, p. 68. 126
CHIU Y. W. (Peter), op. cit., p. 286. 127
CHIU Y. W. (Peter), op. cit., p. 284. 128
FUNG (Hung-Gay) & ZHANG (Jian), «An assessment of the Closer Economic Partnership Arrangement
between China and Hong Kong», The Chinese Economy, Vol. 40, n°2, Mars-Avril 2007, p. 47.
que la protection de la propriété intellectuelle ou l’Etat de droit sont quasi inexistants de
l’autre côté de la frontière. Le cadre politique et économique offert par la ville
représente un avantage supérieur au surcoût de la main d’œuvre pour des entreprises qui
ne verront plus leurs produits taxés à l’entrée sur le marché chinois. Ainsi que l’ont
trouvé les auteurs, Hong Kong a profité de CEPA au sens où elle a augmenté ses
exportations vers la Chine et le reste du monde en retrouvant des avantages comparatifs.
La ville est devenue un lieu de production de composants, ensuite exportés en Chine
pour assemblage final. La ville anime ainsi un réseau de production au sein du delta de
la rivière des perles (D.R.P.) où les productions ont été délocalisées, les activités de
commendement et de production d’inputs à valeur ajoutée se faisant dans la R.A.S..
Pour François Gipouloux, « le passage de la ville postindutrielle à la ville internationale
a été rendu possible grâce à la fonction d’atelier » 129
du D.R.P., les activités tertiaires et
commerciales profitant à Hong Kong qui possède l’expertise et l’expérience que n’a pas
la région voisine.
129
GIPOULOUX (François), op.cit., p.146.
62% 7%
7%
4%
3%
4%
2%
13%
Origines des ré-exportations
hongkongaises (2010)
Chine continentale Japon
Taiwan Corée
États-Unis Malaisie
Thailande Autre
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4% 4%
4%
3%
2%
2%
24%
Exportations par destination
(2010)
Chine continentale États-Unis
Singapour Taiwan
Pays-Bas Japon
Suisse Royaume-Uni
Autre
Nous pouvons constater sur les
graphiques représentant les origines
et les destinations des exportations
depuis Hong Kong130
que la Chine
continentale constitue le partenaire
principal de la R.A.S.. Ils illustrent
également nos propos et la
persistance du rôle de middleman
malgré les évolutions récentes. La
ville fait ainsi office de hub
logistique pour les produits chinois
qui représentent 61.5% de ses
réexportations, mais aussi pour
l’ensemble des produits qui circulent sur l’axe maritime de l’Asie orientale. 52.9% des
produits qui arrivent sur l’île sont réexportés en Chine, preuve que son rôle de porte de
l’empire du Milieu se maintient, même s’il ne lui est plus exclusif.
Les graphiques ci-dessous131
illustrent quant à eux la dynamique commerciale entre
la Chine et Hong Kong depuis 1999. On assiste depuis 2004, année de mise en
application du CEPA, à une augmentation croissante des échanges entre les deux entités.
Les exportations chinoises vers Hong Kong ont doublé entre 2002 et 2007, tout comme
les importations chinoises de produits hongkongais. L’accord, en simplifiant les
procédures d’intégration économique et en libéralisant les échanges, a permis de
renforcer les relations commerciales entre la Chine et sa R.A.S..
130
Source : Département de l’Industrie et du Commerce de Hong Kong / http://goo.gl/AUJnZ. 131
LIU (Yanchun), KEMPER (Matthew), MAGRATH (Patrick) et GIESZE (Craig), « China’s global trade
balance discrepancy : Hong Kong entrepôt effects and round-tripping Chinese capital », The Trade Lawyers
Advisory Group LLC, 2008.
53%
11%
4%
3%
2%
2%
2% 23%
Destinations des ré-exportations
hongkongaises (2010)
Chine continentale États-Unis
Japon Allemagne
Inde Taiwan
Royaume-Uni Autre
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1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
Exportations chinoises vers Hong Kong
En milliards de dollars
Le tourisme est également un secteur soutenu de façon importante par l’accord. En
autorisant les touristes chinois à venir en plus grand nombre et avec plus d’argent en
poche, il permet de revigorer un secteur important de l’économie hongkongaise.
L’afflux de visiteurs continentaux a ainsi fait un bond de 40% entre 2003 et le premier
trimestre 2004 avec 3 millions de visiteurs132
. En 2010, d’après la commission du
tourisme de la ville, les touristes chinois représentaient 63% des arrivées totales avec
22.7 millions de visites133
.
C’est à la même période que le gouvernement chinois a décidé de soutenir le projet
de construction d’un parc Disneyland à Hong Kong plutôt qu’à Shanghai. La
construction a commencé en janvier 2003 pour une ouverture en 2005. Son implantation
a permis de stimuler l’économie de la région et de soutenir le secteur touristique. C’est
aussi un moyen pour la ville d’assurer sa stature internationale. Preuve de l’implication
du politique dans le projet, le parc appartient à une société financière co-gérée par la
société Walt Disney et le gouvernement de la R.A.S. qui possède à ce jour 52% des
parts de la compagnie et constitue donc un acteur majeur du développement du parc. Ce
dernier, qui peine à atteindre ses objectifs commerciaux, devra dans un futur proche
composer avec l’installation d’un nouveau parc Disneyland à Shanghai, signe des temps
nouveaux.
C’est toujours dans la ligne d’une intégration économique institutionnalisée que les
deux parties ont signé un traité en 2006 (entré en vigueur en 2007) réformant le système
132
CABRILLAC (Bruno), « Un accord commercial bilatéral entre Hong Kong et la Chine : le CEPA »,
Perspectives Chinoises, n°83, 2004, p. 51. 133
Commission du tourisme de la R.A.S. / http://goo.gl/q17pb
0
50
100
150
200
1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
Importations chinoises de Hong Kong
En milliards de dollars
d’imposition : « Arrangement for the Avoidance of Double Taxation on Income and
Prevention of Fiscal Evasion ». Il cherche à répondre à un problème récurrent pour les
individus ou les entreprises qui se voyaient imposés deux fois, à Hong Kong et sur le
continent, du fait de leurs activités transfrontalières. Cet accord facilite la circulation
des capitaux entre les deux entités, renforçant leur intégration économique et facilitant
l’entrée des capitaux en Chine depuis Hong Kong134
.
Les études relatives à la mise en œuvre du CEPA soulignent sa contribution à la
relance de l’économie de Hong Kong et à son secteur manufacturier en crise. Si
l’application des mesures a été lente et n’a pas toujours apporté les effets escomptés135
,
l’enquête de Peter Chiu révèle que la majorité des entreprises hongkongaises interrogées
était satisfaite par les efforts entrepris par le gouvernement chinois pour faciliter
l’application des mesures, et donc, indirectement, le commerce entre les deux zones136
.
Si la Chine a fait quelques concessions économiques, l’accord profite nécessairement à
la région voisine du Guangdong en terme de relais de croissance et de possibilité de
développement d’un réseau de commerce à l’international. Le gain politique qu’a
permis cet accord n’est quant à lui pas accessoire. Du succès de l’économie
hongkongaise dépend la réussite du principe « un pays, deux systèmes ». C’est aussi le
signal que l’autonomie de Hong Kong en matière économique a ses limites, et que sa
dépendance à l’économie continentale la prive de marges de manœuvre. L’intervention
du gouvernement central a permis de redonner du souffle à une croisse molle, mais
illustre la fin d’une autonomie complète de la R.A.S. en matière économique de facto :
« economic integration with the Mainland, now spearheaded by the SAR government,
conveys the clear message that Hong Kong’s future economic well-being is dependent
on China, increasing the leverage CPG has over developments in the SAR »137
.
134
KNIRSCH (Stefanie) et HOFFMANN (Richard), « Double taxation agreement for Hong Kong and mainland
China in effect for 2007 tax year », China Briefing, 29/09/2007. 135
CABRILLAC (Bruno), op. cit., p.50. 136
CHIU (Peter), « Hong Kong, de l’inflation à la déflation », Perspectives Chinoises, n° 79, 2003, p. 41. 137
HOLLIDAY (Ian), NGOK (Ma) et YEP (Ray), «After 1997: The dialectics of Hong Kong dependence»,
Journal of Contemporary Asia, Vol. 34, n°2, 2004, p. p. 262.
II – Repenser la place et le rôle de Hong Kong
Puissance économique asiatique depuis l’émergence des quatre dragons asiatiques
(Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong et Singapour), la ville jouit d’un statut mondial.
Place financière majeure, hub international traditionnellement ouvert sur le reste du
monde, elle prétend toujours à ce statut en 2011. Les choses ont pourtant changé depuis
la rétrocession. Elle fait face à une concurrence de plus en plus forte qui questionne sa
place en Chine, en Asie et dans le monde. C’est à ces différentes échelles qu’elle va
devoir (re)trouver son identité. En Chine, c’est certes à la concurrence majeure de
Shanghai qu’elle doit faire face, mais aussi à celle de villes comme Pékin et Shenzhen.
En Asie, sa traditionnelle compétitrice Singapour fait toujours preuve de dynamisme et
compte bien s’imposer comme « la » ville asiatique. Enfin, à l’échelle mondiale, elle
veut réussir à s’imposer comme une ville de rang mondial aux côtés de New-York, Paris
ou Londres.
Face à une Chine dont la croissance économique ne semble pas faiblir, Hong Kong
voit de potentielles rivales émerger sur la scène chinoise et prétendre à son titre de ville
la plus développée. Shanghai a connu une extraordinaire ascension si bien que les
analyses du début des années 2000 sur la concurrence entre les deux villes semblent
déjà caduques. La ville a considérablement développé ses activités financières, ses
infrastructures et sa capacité de rayonnement à l’international avec par exemple
l’Exposition Universelle de 2010. Shanghai attire également les sièges des grandes
entreprises mondiales qui la privilégient à Hong Kong pour s’installer en Chine : Coca-
Cola, Nike, Adidas, Mc Donald’s ont ainsi fait ce choix138
. Pékin profite de cette
tendance en s’imposant comme une ville culturelle mais aussi attirant les grands
groupes qui souhaitent développer leur guanxi avec le gouvernement central. Enfin,
Shenzhen, à quelques encamblures de Hong Kong dans le delta de la rivière des perles,
a émergé comme un grand pôle urbain en Chine, possédant la seconde place financière
après Shanghai et un port en plein expansion ouverte sur un hinterland qui abrite l’usine
du monde.
Ce qui apparait dans l’ensemble de ces constatations est l’affaiblissement du rôle de
middleman de Hong Kong. Elle ne constitue plus le passage obligé pour les partenaires
économiques étrangers de la Chine, remettant en question, sinon en doute, l’interface
138
MADDEN (Normandy), «Hong Kong no longer only portal to China for global marketers », Advertising Age,
Vol. 78 n°27, 2007, p18.
jouée par Hong Kong. La R.A.S. possède néanmoins de nombreux atouts à même de lui
permettre de redéfinir son rôle et de trouver de nouveau relais de développement.
D’une part, l’essor des places financières de Shanghai et de Shenzhen en terme de
capitalisation (le Shanghai Stock Exchange représente aujourd’hui une capitalisation
supérieure au Hong Kong Stock Exchange) ne doit pas masquer les disparités entre
celles-ci. Hong Kong bénéficie en effet de son environnement libéral et est ouvert aux
entreprises et investisseurs étrangers quand la bourse de Shanghai ne l’est que
faiblement et est toujours sous la supervision des autorités communistes. C’est
également une bourse qui attire les grands groupes internationaux basés en Chine alors
que Shanghai et Shenzhen accueille des entreprises chinoises plus petites qui ne
répondent pas aux critères du HKEX139
.
D’autre part, comme insistent plusieurs auteurs, la concurrence auquelle la ville
doit faire face représente l’occasion de redéfinir une stratégie, puisque c’est cette même
concurrence économique qui a donné naissance à son économie : « Competition is good
for Hong Kong, the more the better, and history proves it »140
. Sa faible corruption, son
expérience, son Etat de droit et enfin sa protection de la propriété intellectuelle sont
autant d’atouts que ne possède pas Shanghai.
Nous allons à présent nous pencher sur une tentative de la ville de Hong Kong de
redéfinir sa place et son image en Asie, expression intéressante dans ses
développements et ses résultats de la prise de conscience par les politiques de la ville de
la crainte de perdre son statut. Le programme gouvernemental « Brand Hong Kong »,
lancé en 2001, vise ainsi à créer une identité visuelle à la ville et un slogan, « Asia’s
World City », pour réaffirmer sa place. L’étude de Simon Shen sur ce programme nous
offre plusieurs exemples de la crise de confiance que traversait alors la ville. Selon lui,
« the Brand Hong Kong campaign […] had two goals : to create a new strategic position
for Hong Kong in the international arena, and to regain the confidence of the local
population in Hong Kong remaining the world city in the region »141
. Il s’agissait non
seulement de réaffirmer la place de la ville sur la scène internationale après les doutes
qui avaient pu apparaître sur son autonomie économique suite à la rétrocession, mais
139
KARREMAN (Basx) et VAN DER KNAAP (Bert), « The financial centres of Shanghai and Hong Kong :
competition or complementarity ? », Environment and Planning, Vol. 41, 2009, p. 578. 140
KWAN (Nicholas), « Will 2020 bring the death of Hong Kong ? », Hong Kong Journal, avril 2010. 141
SHEN (Simon), « Re-branding without re-developing : constraints of Hong Kong’s “Asia’s World City”
brand (1997-2007) », The Pacific Review, Vol. 25, n°2, Mai 2010, p. 204.
aussi de rassurer les habitants de la ville sur son potentiel après le marasme des crises
successives et ses craintes quant au changement de souveraineté. La campagne marque
donc une tentative des politiques de s’assurer que l’image de la ville ne soit pas écornée,
et au-delà, que son rang soit réaffirmé. L’auteur souligne néanmoins que le projet relève
plus d’une prophétie normative que d’une réalisation concrête sur le terrain, le projet ne
se matérialisant pas dans des projets architecturaux ou urbains mais plutôt un logo qui
sera aposé lors de campagnes publicitaires et sur l’ensemble des sites internet officiels.
La campagne illustre toute l’ambivalence de la R.A.S qui, maintenant intégrée à
une nouvelle puissante émergente, doit se fondre dans le tissu urbain, économique et
social chinois tout en maintenant les particularités qui ont fait son succès et sa
réputation : « Hong Kong was caught in the dilemma of selling the city on world
business terms and integrating it into the Chinese urban system »142
. Si la campagne
souhaite montrer que les deux sont possibles, le défi, encore aujourd’hui pour la ville,
est de s’intégrer à la Chine par nécessité économique tout en conservant son identité
propre, seule garante de son statut de ville de rang mondial.
L’étude révèle aussi le manque de soutien de la part du gouvernement central qui a
plusieurs fois souligné son envie de voir Shanghai devenir une ville et une place
financière de rang mondial. Le président Jiang ZeMin et le premier ministre Zhu RongJi
alors au pouvoir durant la rétrocession et jusqu’en 2003 ont été tous les deux
successivement maires de Shanghai et ont participé à l’essor de la ville. Encore
aujourd’hui, si Pékin soutient l’économie de Hong Kong dont la vitalité lui est aussi
profitable, elle ne désire en rien brider le développement de Shanghai pour préserver
son statut.
Août 2011 vient marquer une nouvelle étape dans le repositionnement de la place
financière hongkongaise et dans la mutation du rôle de middleman entre la Chine et le
reste du monde. Du fait de ses ambitions internationales et de sa puissance monétaire à
venir, l’empire du Milieu positionne ses pièces en vue d’une internationnalisation
croisante de sa monnaie, le renminbi (RMB). Le vice-premier ministre Li Keqiang a
annoncé 18 aout 2011 un ensemble de mesure visant à renforcer le statut de centre
financier off-shore pour le RMB. La Chine a procédé ce jour-là à l’émission
d’obligations pour un montant de 20 milliards de RMB, un montant qui représente plus
142
SHEN (Simon), op. cit., p. 210.
du double des deux premières émissions en 2009 et 2010 (respectivement 6 milliards et
8 milliards)143
. Ainsi que le Wall Street Journal rapporte les propos de la Sous-
Secrétaire pour les services financiers et le trésor Julia Leung : « This is the strongest
endorsement yet of using Hong Kong as the platform for the increased use of renminbi
internationally »144
. La place financière de Hong Kong semble ainsi avoir trouvé un
nouveau marché dans lequel se positionner. En apportant son expertise et la
sophistication de son marché, la ville trouve ici un rôle de middleman à sa mesure avec
le soutien et la demande de la Chine. Ce centre financier off-shore pour le RMB attirera
les investisseurs chinois souhaitant se développer à l’étranger et les investisseurs
internationaux souhaitant acquérir la monnaie chinoise une fois que celle-ci aura
poursuivi sa libéralisation.
III – Une nouvelle phase d’intégration au delta de la rivière des perles
« One region and no system »145
Cœur historique du développement économique chinois et du commerce international,
le delta de la rivière des perles souffre aujourd’hui d’une concurrence accrue,
notamment de la part du delta de Yangzi dont Shanghai est la tête de pont. Situé dans le
Sud-Est de la Chine, le delta regroupe une vaste région de Canton en amont jusqu’à
Hong Kong à l’Est et Macao à l’Ouest de l’embouchure. A l’image de la Chine, il
resprésente en espace économique tout en contraste en terme de ressources, de salaires,
d’infrastructures et de situation politique, que l’on soit de part et d’autre de la frontière
entre la R.A.S. et la province du Guangdong.
D’une rare complexité administrative, ses délimitations ont connu de nombreux
changements. La zone économique du D.R.P. correspond à neuf villes chinoises :
Guangzhou (Canton), Shenzhen, Foshan, Zhuhai, Jiangmen, Zhongshan, Gongguan
ainsi que certains districts et comtés de Zhaoqing et Huizhou. Associées aux deux
régions administratives spéciales de Hong Kong et de Macao, ces onze entités forment
143
Xinhua Agency, « China's treasury bond issue helps promote HK's offshore RMB center », People’s Daily
Online, 18/08/2011 144
YUNG (Chester) & LAW (Fiona), « China's Li Unveils Hong Kong Yuan Measures », The Wall Street
Journal, 18/08/2011 145
Propos d’un universitaire hongkongais rapportés dans ROHLEN (Thomas), « Hong Kong and the Pearl River
Delta », Shorenstein APARC, Juillet 2000, p. 29.
le Greater Pearl River Delta. Enfin, le pan-P.R.D. correspond à un projet économique à
l’échelle nationale qui associe neuf provinces chinoises (Fujian, Jiangxi, Hunan, Hainan,
Guangdong, Guangxi, Guizhou, Sichuan, Yunnan) et les deux R.A.S.
Carte du Greater P.R.D.146
Nous nous concentrerons dans cette partie sur les dynamiques d’intégration entre
Hong Kong et le D.R.P. en nous attachant tout particulièrement aux flux transfrontaliers,
la frontière représentant le marqueur d’identité et de différenciation de l’ancienne
colonie par rapport aux villes chinoises voisines. Malgré la rétrocession de 1997, la
frontière hongkongaise reste aujourd’hui plus fermée qu’elle a pu l’être au sortir de la
seconde guerre mondiale par exemple ou en 1949 quand de nombreux migrants chinois
avaient afflué.
Cette région économique souffre d’un manque d’intégration politique et
administrative criant. Celui-ci s’explique par le peu de coopération, l’hétérogénéité des
administrations et une concurrence certaine entre les villes de la zone elle-même. Bien
que première zone d’ouverture sous les réformes de Deng Xiaoping en 1980 avec la
création des Zones Économiques Spéciales (Z.E.S.) de Shenzhen et Zhuhai, le D.R.P.
s’est depuis fait distancer par le delta du Yangzi, locomotive du développement actuel
d’un vaste hinterland de Shanghai à Chongqing. Mesurer la puissance économique
146
Carte tirée de DE SACY (Alain), « Hong Kong et le delta de la rivière des Perles », p. 95.
d’une région ne se limite en effet pas à agréger ses productions de richesses, mais
également à mesurer son intégration et sa capacité à articuler l’espace pour se
développer. Le nombre d’aéroports internationaux que compte le D.R.P. est un exemple
récurrent dans les études pour souligner le manque de cohérence dans le développement
des infrastructures : entre Hong Kong et Canton (138km de centre-ville à centre-ville),
on ne compte pas moins de cinq aéroports internationaux (les aéroports des deux R.A.S.,
des deux Z.E.S. et de Canton). Ces derniers ont signé le 26 mars 2011 un mémorandum
d’accord afin de faciliter la coopération pour, selon le vice-président de
l’Administration Civile Chinoise Xia Xinghua, éviter une concurrence vicieuse entre
ces aéroports147
. Pour Thomas Rohlen, « the current planning vacuum not only slows
down needed improvements, but also encourages the overblown ambitions of local
authorities »148
. Une concurrence contre-productive, des problèmes comme le SRAS ou
la pollution qui ne s’arrêtent pas à la frontière et l’interdépendance économique entre le
D.R.P. et Hong Kong ont progressivement poussé les autorités centrales et régionales
vers une intégration institutionnalisée. Le rôle de Pékin est ici fondamental, le principe
« un pays, deux systèmes » limitant les possibilités d’un rapport direct entre la R.A.S. et
le Guangdong.
Ces dynamiques d’intégration reposent sur un calcul de la part de chaque entité des
coûts et des gains potentiels qu’un rapprochement institutionnel pourrait engendrer149
.
Car une plus grande coordination signifierait également une plus grande difficulté pour
développer ses propres projets afin d’étendre son influence et son rayonnement, comme
le reflète ces aéroports « redondants ». La frontière représente aujourd’hui un intérêt
certain pour Hong Kong. Pour Alan et Josephine Smart, « the border is not an
anachronism, but serves important, although increasingly contested functions. It
protects three highly valued circumstances: the political status quo; major differences in
factor price markets; and Hong Kong’s demographic stability »150
. Le poids du prix de
l’immobilier est important dans ces considérations : en ouvrant la frontière, Hong Kong
diminuerait la tension sur son marché immobilier en permettant à des habitants de la
R.A.S. d’aller vivre dans la ville voisine de Shenzhen et de faire l’aller-retour chaque
147
CHEN (Oswald), « Five airports sign MoU to boost air traffic integration », China Daily, 26/03/2011 148
ROHLEN (Thomas), « Hong Kong and the Pearl River Delta: «one country, two systems » in the emerging
metropolitan context », Shorenstein APARC, Juillet 2000., p. 14. 149
Ibid, p. 8. 150
SMART (Josephine) & SMART (Alain), « Time-space punctuation: Hong Kong’s border regime and limits
on mobility », Pacific Affairs, vol. 81, n°2, 2008, p. 184.
jour. Et, par conséquent, de faire baisser la demande. Mais si les prix vertigineux de
l’immobilier sont régulièrement pointés du doigt comme un problème de compétitivité
pour la ville, sa valeur est un des piliers de la stabilité financière des banques et des
grandes entreprises locales. La frontière fige pour ainsi dire des rapports de forces et de
prix qui permettent à la R.A.S. d’avoir par exemple des salaires bien plus élevés que du
côté du Guangdong et de limiter par ailleurs l’afflux de migrants chinois peu qualifiés
qui représenteraient un coût social important pour la ville.
Il s’agit donc de contrôler les flux de population mais de ne pas brider les flux de
biens afin de ne pas entraver le développement économique. Des réformes ont été
régulièrement mises en place depuis 1997 pour faciliter les flux transfrontaliers. Lok Ma
Chau est le poste frontalier le plus important. Il est le seul à être ouvert 24 heures sur 24,
et ce depuis le 27 janvier 2003151
. C’est également le point de contact entre les réseaux
ferroviaires hongkongais et chinois, permettant par exemple de prendre un train rapide
du centre de Canton jusqu’au centre de Hong Kong. L’intégration régionale repose sur
une modification et un renforcement des infrastructures pour traverser la frontière. C’est
dans ce sens, afin de désengorger le trafic autoroutier, que le chantier du Hong Kong
Shenzhen Western Corridor a débuté en 2003 pour une mise en service en juillet 2007.
En construisant un pont au-dessus de la baie de Shenzhen, il crée ainsi un tout nouveau
point de passage qui permet de relier la R.A.S. à l’aéroport et au port en eaux profondes
de Shenzhen. L’ensemble des postes transfrontaliers sont gérés collectivement entre les
autorités de Hong Kong et de la R.P.C.
151
Communiqué de presse du gouvernement de Hong Kong du 8 janvier 2003 / http://goo.gl/vzAZo
Carte des postes transfrontaliers152
Pour Alain Bertaud, la position géographique de la RAS ne lui permet pas
d’optimiser son intégration. Ceci pourrait néanmoins être pallié par de nouvelles
infrastructures. En manque d’espace et de ressources, Hong Kong se tourne
naturellement vers le vaste hinterland du delta de la rivière des perles. L’auteur note
cependant que le centre de gravité du delta est amené à se recentrer vers Canton avec le
développement économique continu de cette région. L’organisation spatiale du D.R.P.
forme pour lui un « A », avec Canton au sommet et Hong Kong à une extrémité. Dès
lors, « Hong Kong [is] dangling in a dead end without any direct linkage to the western
shore of the Delta »153
. Une étude commanditée conjointement par la Commission
Nationale du Développement et de la Réforme et le gouvernement de la R.A.S. a mise
en forme l’idée ancienne d’un pont reliant les deux rives du delta à son embouchure afin
d’intensifier les échanges et l’intégration. Un groupe de coordination entre les entités
administratives de la région fut établi en 2003 et la construction débuta en 2009, pour
une mise en service programmée en 2015 ou 2016. Pour un coût de 38 milliards de
RMB (environ 4 milliards d’euro), le projet de construction du Hong Kong Zhuhai
Macao bridge reliera les deux rives via la combinaison de deux viaducs entrecoupés par
un tunnel immergé au point de passage le plus profond du delta.
152
Carte tirée de WAN (Ka Ho), « A Study of Hong Kong Cross-Border Transportation Infrastructure
Development: Hong Kong Shenzhen Western Corridor », Hong Kong University, 2008 / http://goo.gl/HBAS5 153
BERTAUD (Alain), « Spatial structure of the Pearl River Delta metropolitan region », proposition d’étude,
décembre 2001 / http://goo.gl/4eP6L
Projet du Hong Kong Zhuhai Macao bridge dans le DRP 154
Ce projet vient ainsi, à l’horizon de quelques années, « boucler la boucle » du delta
de la rivière des perles en permettant à la R.A.S. de sortir de son impasse et d’avoir
accès au vaste hinterland de la rive Ouest. Il lui permet aussi de résister à l’ascension de
Canton dont la position géographique lui garantit un accès à l’ensemble de la zone. Car
si la ville veut conserver son statut de hub logistique, ainsi que de centre financier, elle
doit avoir accès au vaste bassin de production industrielle qu’elle anime selon la
division du travail que nous avons étudiée précédemment. Il transparait toujours dans
cette analyse la concurrence entre les différents pôles de la région pour le leadership.
Reprenant la métaphore de la ponctuation de l’étude d’Alan et Josephine Smart,
« movement into China for Hong Kong citizens is a comma, although the vast numbers
can cause significant delays for this privileged status. For Mainlanders, the border
resembles either a semi-colon, requiring visas, or a full stop »155
. Ainsi que nous l’avons
vu, la frontière entre la R.A.S. et la Chine continentale représente tout le paradoxe du
principe « un pays, deux systèmes ». C’est aujourd’hui, au sein d’un même pays, une
frontière au sens propre, les flux de touristes et de migrants étant contrôlés, mais aussi
au sens figuré, traçant un trait net entre un régime autoritaire et une démocratie
154
Carte tirée de WAN (Ka Ho), Hong Kong’s International Business Committe, « Hong Kong - Zhuhai - Macao
Bridge », n° 17/2009. 155
SMART (Josephine) & SMART (Alain), « Time-space punctuation : Hong Kong’s border regime and limits
on mobility », Pacific Affairs, vol. 81, n°2, 2008, p. 183.
embryonnaire. C’est également une frontière de tous les contrastes pour la R.A.S. : cette
frontière garantit ses spécificités et ses avantages comparatifs, l’assure de son
indépendance, mais représente également un frein à une plus grande intégration avec la
province du Guangdong rendue nécessaire par les difficultés économiques de décennie
passée. Toute la difficulté est donc d’aller vers plus de coordination régionale,
nécessaire pour maintenir son rang de pôle international, tout en s’assurant que la
frontière préserve ses spécificités économiques, juridiques et politiques, atouts
indéniables aux yeux des acteurs économiques internationaux.
Conclusion
Quatorze ans après la rétrocession, la place de Hong Kong dans l’économie mondiale tient
plus que jamais à son intégration à la Chine. C’est en donnant une nouvelle identité à son
ancien rôle d’entrepôt que la Région Administrative Spéciale conservera sa situation
d’interface : c’est le défi d’un équilibre entre intégration et autonomie économique. La ville
ne manque pas d’atouts pour faire face à la concurrence mais sa dépendance à l’économie
chinoise ne cesse de se renforcer : le dragon a perdu de sa superbe.
Conclusion et perspectives
2047 est encore loin. À cette date, la période de cinquante ans durant laquelle Pékin a promis
de respecter le mode de vie et les particularités des Hongkongais prend fin. Il est ainsi à
proprement parler difficile de « conclure » ce mémoire, tant la route est encore longue pour la
ville. Et il serait bien difficile de pouvoir prédire quelle trajectoire elle va prendre.
Notre ambition était de montrer que les phénomènes qui habitent la ville depuis la
rétrocession sont multiples et pluriels. Les habitants, tout comme Hong Kong en tant que tel,
sont traversés par des questions d’identité fortes qui interrogent leur place en Chine et plus
largement dans les échanges internationaux. Le processus de démocratisation se poursuit
lentement, selon le bon vouloir de Pékin, et il apparait que le gouvernement local fonde avant
tout sa légitimité sur la santé économique de la ville. La société civile a réussi à maintenir
vivante une certaine capacité de réaction face aux atteintes aux libertés qui se produisent
parfois. L’enjeu est, comme nous l’avons vu, de savoir si les Hongkongais placeront un jour
l’avenir démocratique au cœur de leurs revendications ou se contenteront d’un statu quo
favorisant le développement de la Région.
Le trait qui sépare la ville du continent est amené à disparaitre : non seulement du fait
d’une étroite imbrication des territoires sur le plan économique et urbain, mais aussi car il est
souhaitable que les avancées politiques que connaît le territoire bénéficient à la Chine. La
question en 1997 était de savoir qui, de la Chine ou de Hong Kong, influencerait l’autre le
plus grandement. Il apparait aujourd’hui que cette question quelque peu binaire ne peut
trouver réponse dans la situation complexe. Quel avenir pour le principe « un pays, deux
systèmes » ? Autrefois conçu comme un modèle pour Taïwan, il ne semble plus à court terme
être le moyen de réintégrer Formose à la « mère patrie ». Comme pour Hong Kong, la force
d’attraction que représente l’économie chinoise crée une dépendance importante, montrant les
limites des discours et ambitions politiques. Ce principe et son application ont par conséquent
avant tout illustré la volonté de la Chine de se réapproprier les marges de son territoire. Hong
Kong était le symbole de l’humiliation face aux Occidentaux. C’est maintenant un vibrant
exemple du dynamisme chinois.
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Table des matières
Introduction ................................................................................................................................ 1
Première partie / Les Hongkongais face au devenir de leur ville ............................................. 10
Section 1 - La liberté d’expression à Hong Kong : entre inquiétude et mobilisation .......... 11
I - La condition des médias à Hong Kong : la vigilance face aux pressions de Pékin ..... 12
A) Une autocensure corrosive ................................................................................. 13
B) L’objectivisme journalistique comme stratégie de contournement ................... 17
C) Peut-on parler d’une liberté de la presse en danger à Hong-Kong ? .................. 18
II – La mobilisation de la société civile contre les atteintes à la liberté d’expression ..... 20
A) La mobilisation d’une communauté artistique consciente de son rôle .............. 21
B) Une réaction forte du gouvernement de la RAS ................................................ 22
Conclusion ........................................................................................................................ 23
Section 2 - Décolonisation et renationalisation : Hong Kong en quête d’identité ? ............ 25
I – Les dynamiques de l’identification à Hong Kong ...................................................... 26
II – Éducation et patriotisme : la jeunesse de Hong Kong au cœur de la stratégie de Pékin
.......................................................................................................................................... 32
A) Pourquoi l’éducation patriotique est-elle nécessaire ? ....................................... 33
B) L’Histoire de Hong Kong revisitée .................................................................... 35
C) Un patriotisme dans la lignée de l’orthodoxie communiste ............................... 36
III – Espace urbain et construction identitaire. ................................................................ 37
Conclusion ........................................................................................................................ 41
Section 3 - Société civile & mobilisation politique .............................................................. 42
I – Une société civile animée mais qui peine à jouer son rôle ......................................... 43
II – Étude de cas : la mobilisation citoyenne de 2003 ...................................................... 45
Conclusion ........................................................................................................................ 49
Seconde partie / Quels particularismes pour une Hong Kong intégrée ? ................................. 50
Section 1 - Une réforme politique orchestrée par Pékin : quelle partition pour Hong Kong
en 2011 ? .............................................................................................................................. 51
I – La conception de la démocratie à Hong Kong : entre pragmatisme et approximation.
.......................................................................................................................................... 52
A) Quel terreau pour la démocratie ? ...................................................................... 52
B) Une conception volatile et parfois erronée de la démocratie ............................. 55
II – Quelle légitimité sans le suffrage universel ? ............................................................ 56
A) Le bilan économique comme faire-valoir .......................................................... 56
B) Le poids des sondages ........................................................................................ 58
C) Le jeu des élections ............................................................................................ 60
III – Les réformes politiques et l’évolution de la position de Pékin ................................ 61
A) Retour historique sur la réforme démocratique du régime politique de Hong
Kong ………………………………………………………………………………….62
B) Pékin et la réforme démocratique à Hong Kong ................................................ 64
Conclusion ........................................................................................................................ 66
Section 2 - Hong Kong : un dragon qui cherche à raviver la flamme ................................. 67
I – De l’intégration à la dépendance ................................................................................. 68
II – Repenser la place et le rôle de Hong Kong ............................................................... 75
III – Une nouvelle phase d’intégration au delta de la rivière des perles .......................... 78
Conclusion ........................................................................................................................ 84
Conclusion et perspectives ....................................................................................................... 85
Bibliographie ............................................................................................................................ 86
Livres .................................................................................................................................... 86
Articles scientifiques ............................................................................................................ 86
Articles de presse ................................................................................................................. 90
Rapports d’étude .................................................................................................................. 92
Discours ................................................................................................................................ 92
Reportages ............................................................................................................................ 92
Table des matières .................................................................................................................... 93
Hong Kong connaît depuis 1997 des changements importants. C’est cette
année que la ville, ancienne colonie britannique, a été rétrocédée à la Chine.
Pour la première fois dans l’Histoire, une ancienne colonie n’accédait pas à
l’indépendance mais était réintégrée dans le giron d’une autre puissance.
Hong Kong est depuis habitée pas des dynamiques particulières où
capitalisme et économie d’Etat, libéralisme politique et autoritarisme se
confrontent.
Ce mémoire vise à analyser les recompositions de la société hongkongaise,
tant à l’échelle de la ville que de ses individus. Hong Kong est aujourd’hui
confrontée à de nombreux enjeux, enjeux qui la contraignent à redéfinir son
identité. Si l’intégration à la Chine estompe la frontière qui existait
auparavant, elle menace également la spécificité de la ville par rapport à ses
consœurs chinoises. Hong Kong a ainsi de nombreux défis à relever pour
conserver son rang et son identité dans la Chine et le monde du XIXe siècle.
***
Mots clefs : Hong Kong, Chine, identité, frontière, intégration, réforme
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