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Le Congrès Conférence d’Essentiel © 2017, Sfar, Paris
Ce que l’anesthésiste-réanimateur doit savoir de la cirrhose
Emmanuel Weiss 1,2,3, Catherine Paugam-Burtz1,2,3
1. Département d’anesthésie-réanimation, Hôpitaux Universitaires Paris Nord Val de Seine
(HUPNVS), APHP, Hôpital Beaujon Clichy
2. UMR_S1149, Centre de Recherche sur l’Inflammation (CRI), Inserm et Université Paris
Diderot-Paris 7
3. Université Sorbonne Paris-Cité
Auteur correspondant : Emmanuel Weiss
Département d’anesthésie –réanimation, Hôpital Beaujon
100, Boulevard du Général Leclerc
92110 Clichy La Garenne
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Points essentiels
• La cirrhose provoque une destruction de l’architecture du foie responsable d’une
altération de ses fonctions de synthèse et d’épuration et d’une hypertension portale.
• La cirrhose a aussi des conséquences sur de nombreux organes ou fonctions « extra-
hépatiques » : cardiovasculaire, rénale, pulmonaire, coagulation, immunitaire
• La cirrhose est un facteur de risque majeur de morbi-mortalité postopératoire; le risque de
décès postopératoire est multiplié par 3,6 par rapport à un patient non cirrhotique
• La morbi-mortalité postopératoire des patients cirrhotiques est liée à une susceptibilité
accrue aux infections postopératoires, aux complications hémorragiques, au risque
d’insuffisance rénale aiguë et au risque de décompensation aiguë de la maladie hépatique.
• La morbi-mortalité postopératoire dépend de la gravité de l’atteinte hépatique, des
comorbidités et de l’état préopératoire du patient, du risque et de l’urgence de la chirurgie.
• Les différents facteurs et scores pronostiques doivent être utilisés pour anticiper le risque
postopératoire, discuter de la balance bénéfice/risque de la chirurgie et optimiser la prise
en charge périopératoire
• En cas de risque postopératoire modéré ou élevé, il est important de connaître le projet
médical du patient, notamment l’existence d’un éventuel projet de transplantation
hépatique
• L’optimisation périopératoire de ces patients est multimodale (nutritionnelle,
hémodynamique, respiratoire) et vise à limiter l’impact des conséquences hépatiques et
extrahépatiques de la chirurgie.
• En cas de complication aiguë, une prise en charge spécifique conforme aux
recommandations en vigueur (hémorragie digestive, infection du liquide d’ascite,
insuffisance rénale) est nécessaire.
La cirrhose, stade terminal des maladies chroniques du foie, est une des principales causes de
décès en Europe. Initialement asymptomatique et dite compensée, sa décompensation à
l’occasion d’une complication aiguë est un événement majeur de l’histoire naturelle de cette
maladie qui aggrave considérablement son pronostic en réduisant la survie de 95 à 55 % à 1
an [1]. La chirurgie et l’anesthésie sont, au même titre que les infections et les complications
de l’hypertension portale des causes bien connues de décompensation aiguë. Lorsque la
3
décompensation s’accompagne d’une ou plusieurs défaillance(s) d’organe, on parle d’
« Acute on Chronic Liver Failure » (défaillance hépatique aiguë sur insuffisance hépatique
chronique), syndrome dont la mortalité à court terme, est supérieur à 25 % [2]. Ainsi, il est
démontré que la chirurgie chez ce type de patients est associée à une morbi-mortalité
périopératoire élevée.
Les objectifs de cet article sont 1) Décrire la physiopathologie de la maladie cirrhotique 2)
Décrire la morbi-mortalité de la cirrhose en chirurgie et en réanimation et les facteurs
pronostiques 3) Définir les différents points d’évaluation et de prise en charge périopératoire
d’un patient cirrhotique pour chirurgie 4) Décrire brièvement la prise en charge des
principales complications de la cirrhose : insuffisance rénale dont syndrome hépatorénal,
sepsis, décompensation aiguë
I. Physiopathologie de la maladie cirrhotique
Conséquences hépatiques de la cirrhose
Au sein du parenchyme hépatique normal, les flux sanguins veineux (70 % de la
vascularisation) et artériel (30 %) se mêlent au sein de capillaires sinusoïdes dont
l’endothélium fenêtré permet les échanges avec hépatocytes en charge de la plupart des
fonctions métaboliques du foie. Le sang est ensuite collecté au sein de veinules sus-hépatiques
qui se drainent successivement dans une des trois veines sus-hépatiques puis dans la veine
porte.
La cirrhose est caractérisée par la constitution d’une fibrose annulaire extensive responsable
d’une destruction de l’architecture et de la vascularisation normale du parenchyme hépatique
compromettant les échanges avec les hépatocytes. Les conséquences cliniques de la cirrhose
sont alors une altération des fonctions métaboliques (synthèse et épuration) du foie et une
augmentation des résistances dans le système porte aboutissant à une hypertension portale
(HTP) et à la constitution d’une circulation veineuse collatérale.
Conséquences extrahépatiques de la cirrhose
Conséquences hémodynamiques
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Figure 1. Conséquences hémodynamiques de la cirrhose
Conséquences rénales
L’insuffisance rénale aiguë (IRA), souvent multifactorielle, survient chez plus de 20 % des
patients cirrhotiques hospitalisés et aggrave considérablement leur pronostic [3]. La
prévalence et les mécanismes d’IRA des patients cirrhotiques sont décrits dans la figure 2. Le
syndrome hépato-rénal (SHR) est une cause d’IRA fonctionnelle spécifique ne répondant pas
au remplissage. Il s’agit d’un diagnostic d’exclusion qui doit être évoqué en cas de 1) cirrhose
avec ascite, 2) créatinine sérique > 133 µmol/l, 3) Absence d’amélioration de la créatininémie
(< 133 µmol/l) après au moins 2 jours d’arrêt des diurétiques et remplissage par albumine
(1g/kg), 4) En l’absence de choc, 5) En l’absence de traitement néphrotoxique, 6) En
l’absence d’argument pour une anomalie rénale parenchymateuse (protéinurie > 500 mg/jour,
microhématurie (>50 GR/champs) et/ou échographie rénale anormale) [4]. Sa survenue
aboutit au décès dans plus de 90 % des cas en l’absence de transplantation hépatique.
5
Figure 2. Prévalence et type des insuffisances rénales aiguës dans la cirrhose
Conséquences pulmonaires
Les conséquences pulmonaires de la cirrhose sont bien décrites. Des atélectasies et un
syndrome restrictif, favorisés par l’ascite, éventuellement pleurale (hydrothorax) sont
fréquemment retrouvés [5]. La dysfonction cardiaque diastolique décrite chez plus de 50 %
des patients favorise la survenue d’épisodes d’œdème aigu du poumon [6]. Enfin, deux
complications pulmonaires vasculaires sont spécifiques de la cirrhose: le syndrome
hépatopulmonaire (20 % des patients) associe HTP, hypoxémie non corrigée par l’oxygène et
dilatations vasculaires intrapulmonaires aboutissant à un shunt droite-gauche et le syndrome
portopulmonaire caractérisé par une HTAP liée à une obstruction des capillaires
intrapulmonaires.
Coagulopathie du patient cirrhotique
La cirrhose est associée à des altérations impliquant toutes les phases de l’hémostase [7]. Ces
anomalies sont prohémorragiques pour certaines et procoagulantes pour d’autres (Tableau 1).
Le « résultat net » de ces anomalies serait finalement la constitution chez ces patients d’un
nouvel équilibre hémostatique « fragile » pouvant rapidement évoluer vers un risque
hémorragique aigu. Cependant, à l’heure actuelle, les méthodes usuelles de monitorage de
Pa#ents(hospitalisées(a/eints(de(cirrhose(
Insuffisance(rénale(chronique(1%( Insuffisance(rénale(aiguë(19%(
Pré<rénale(70%( Intra<rénale(30%( Post<rénale((obstruc#ve)(
<1%(Réponse(au(remplissage(
(66%)(
Pas(de(réponse(au(remplissage(
(33%)(
Hypovolémie:(< Hemorragie(
diges#ve(< Ponc#on(Ascite(< Sepsis(
débutant(
SHR(de(type(1(
Nécrose tubulaire aiguë:
- Etat de choc - Sepsis prolongé
ou compliqué - Médicamenteux
(aminosides, AINS)
- Produits de contraste
6
l’hémostase (TP ou numération plaquettaire par exemple) évaluent le risque hémorragique,
mais pas le risque thrombotique chez ces patients qui est accentué chez les patients
cirrhotiques. Ces tests ne permettent donc pas de prédire de manière fiable le risque de
saignement peropératoire.
Tableau 1. Anomalies de l’hémostase observées au cours de la cirrhose
Anomalies
« prohémorragiques »
Anomalies
« procoagulantes »
Hémostase primaire Thrombopénie
Thrombopathie
Inhibition plaquettaire par NO et
prostacycline
Production de thrombopoiétine
diminuée
vWF augmenté
ADAMTS-13 diminué
Hémostase
secondaire
Synthèse hépatique des facteurs II,
V, VII, IX, X, XI diminuée
Déficit en vitamine K
Anomalies quantitatives et
qualitatives fibrinogène
Protéines anticoagulantes :
(ATIII, protéines C et S,
α2macroglobuline et
cofacteur II héparine)
diminuées
Facteur VIII augmenté
Fibrinolyse α2 antiplasmine, facteur XIII et
TAFI diminués
Activateur plasminogène tissulaire
augmenté
Plasminogène
Diminué
Taux normal ou augmenté de
PAI-1
vWF : facteur Willebrandt, PAI-1 : inhibiteur de l’activateur du plasminogène, TAFI : Inhibiteur de la
fibrinolyse activée parla thrombine
Risque infectieux : dysfonction immunitaire et dénutrition
Les patients cirrhotiques ont une susceptibilité particulière au sepsis bactérien et un risque
accru de développer des défaillances d’organes lors de ces épisodes [8]. Ainsi, alors que la
mortalité du choc septique dans la population générale est de 30-40%, elle approche les 70 %
chez les patients cirrhotiques. Cette surmortalité est liée à une dysfonction immunitaire
associée à la cirrhose combinant une immunoparalysie qui altère la réponse aux pathogènes et
7
une inflammation systémique excessive responsable de lésions tissulaires qui favorisent les
défaillances d’organes.
Le risque infectieux est également favorisé par une dénutrition retrouvée chez près de 70 %
des patients atteints de cirrhose sévère [9]. Cette dénutrition est de mécanisme multifactoriel :
diminution des apports, malabsorption et maldigestion des nutriments, et altérations des
métabolismes glucidique, protéique et lipidique ; sa mesure est difficile puisque
l’albuminémie et la préalbuminémie ne sont pas adaptées dans ce contexte d’hépatopathie.
Modifications induites par la cirrhose sur la pharmacologie des agents anesthésiques
La pharmacopée moderne de l’anesthésie ne pose plus de problème d’hépatotoxicité. Les
modifications pharmacocinétiques et pharmacodynamiques (augmentation du volume de
distribution, réduction de la clairance, réduction de la forme liée (hypoalbuminémie))
observées dans la cirrhose imposent une titration des agents anesthésiques [10]. De plus, la
réduction de la perfusion hépatique explique la plus grande sensibilité du foie cirrhotique à
l’hypotension et l’hypoxie. Enfin, la préservation de la fonction rénale nécessite également
d’éviter toute utilisation de médicaments néphrotoxiques tels que les, AINS.
II. Morbi-mortalité de la cirrhose en chirurgie et en réanimation et facteurs
pronostiques
Morbi-mortalité périopératoire des patients cirrhotiques
La morbidité et la mortalité postopératoires chez des patients cirrhotiques varient
respectivement de 14 à 50 % et de 1,2 et 19 %. Dans une étude de cohorte européenne (sur 7
jours) ayant analysé le pronostic postopératoire de 46 539 patients dans 498 hôpitaux de 28
pays européens, le risque de décès postopératoire était 3,64 fois plus élevé chez les patients
cirrhotiques que chez les patients non cirrhotiques [11]. Cette surmortalité est principalement
liée à la survenue de complications postopératoires précoces qui diffèrent selon que la
chirurgie est liée à une complication de la cirrhose (résection de carcinome hépatocellulaire,
réparation de hernie ombilicale liée à l’ascite), ou non (chirurgie « extrahépatique »). Dans la
première situation, il s’agit de patients dont la maladie peut être évoluée au moment de la
chirurgie avec un risque majeur de décompensation hépatique postopératoire. Il semble donc
légitime que ces patients soient pris en charge dans des unités rompues au traitement de la
cirrhose et de ses complications. Dans le second cas, le type de complications postopératoires
8
varie en fonction des études. Dans un travail incluant 24282 patients cirrhotiques appariés à
97127 patients contrôles en fonction de l’âge, du sexe et du type de chirurgie et d’anesthésie,
Lin retrouvait un risque accru de sepsis postopératoire (6 % de bactériémie, 3 % de
pneumonie et 1 % d’infection du site opératoire), d’hémorragie et insuffisance rénale aiguë
chez les patients cirrhotiques [12]. Ces complications sont étroitement liées puisque
l’agression chirurgicale combinée à la survenue d’infections postopératoires précoces à
distance font le lit de la décompensation hépatique qui peut prendre la forme d‘ascite
réfractaire, d’insuffisance rénale, d’hémorragie digestive ou de décompensation de la fonction
hépatocellulaire et survient dans 5 et 10 % suivant les études. Dans ces cas, une discussion
pluridisciplinaire doit évaluer l’intérêt d’un traitement spécifique : TIPS ou transplantation
hépatique. En l’absence de transplantation, la mortalité en cas de décompensation hépatique
aiguë est supérieure à 70 %.
Facteurs pronostiques
La morbi-mortalité postopératoire est très bien corrélée à la sévérité de la cirrhose, quel que
soit le critère clinique (ascite, ictère, encéphalopathie) ou le score de gravité (Score de Child-
Pugh ou score de MELD) utilisé. En chirurgie cardiaque par exemple, la morbidité
postopératoire varie suivant les études entre 10 et 53 % chez les patients Child A, 56 et 100 %
chez les patients Child B et 100 % pour ceux Child C. La mortalité postopératoire est, elle,
comprise entre 3 et 11 % chez les Child A, 18 et 41 % chez les Child B et 67 et 100 % pour
les Child C. La même valeur pronostique a été retrouvée pour le score MELD. Dans une étude
effectuée sur 772 patients opérés de chirurgie majeure (orthopédique, digestive et vasculaire),
la mortalité postopératoire n’était que de 6 % en cas de MELD<8 alors qu’elle atteignait
50 % si ce dernier était supérieur à 20 [13]. Ainsi, la sévérité de la maladie hépatique apparaît
avoir une valeur pronostique au moins aussi importance que la classe ASA chez ces patients
bien que la validité externe de ces études soit critiquable. En effet, si l’effectif de ces études
est important, leur caractère rétrospectif et souvent monocentrique, et l’hétérogénéité des
populations incluses doivent être soulignés. Enfin, dans la cadre spécifique de la chirurgie
hépatique, la capacité des scores de sévérité de la cirrhose (tels que le MELD) à prédire le
pronostic reste significatif mais paraît amoindrie par plusieurs autres facteurs, le degré
d’hypertension portale et le volume de l’hépatectomie notamment.
Les autres facteurs de risque de morbi-mortalité postopératoire décrits sont plus
« classiques ». Ils concernent le patient : ses comorbidités (insuffisance rénale, BPCO, âge) et
son état préopératoire (classe ASA, sepsis préopératoire) ; le risque et le degré d’urgence de la
9
chirurgie et les évènements peropératoires : besoins transfusionnels, hypotension
peropératoire à laquelle le foie « cirrhotique » est plus sensible [14]. Ainsi, certaines équipes
ont tenté d’améliorer la prédiction du risque postopératoire individuel chez ces patients.
L’équipe de la « Mayo Clinic » a ainsi développée et mis en ligne un score simple basé sur la
classe ASA, l’âge, la gravité de l’hépatopathie et son étiologie permettant de calculer la
probabilité de décès après chirurgie majeure des patients cirrhotiques
(http://www.mayoclinic.org/meld/mayomodel9.html). Prenant l’exemple d’un patient ASA3
de 60 ans dont le score MELD est égal à 30, son risque de décès à 30 jours serait, selon ce
score, de 14,2 %. Bien que basé sur une étude monocentrique rétrospective [13], ce score
permet une évaluation individualisée du risque et d’ajuster la prise en charge périopératoire à
chaque patient.
III. Évaluation et optimisation de la prise en charge périopératoire d’un patient
cirrhotique pour chirurgie
Anticipation de la stratégie globale de prise en charge
Les différents facteurs et scores pronostiques décrits ci-dessus doivent être utilisés pour
anticiper la prise en charge périopératoire des patients (Figure 3). Si le risque de décès
apparait faible, il est raisonnable de réaliser la chirurgie chez le patient. A l’inverse, un risque
prédit de décès élevé doit inciter à repousser la chirurgie si possible et à réaliser la
transplantation hépatique en premier. Si la chirurgie ne peut être retardée, la stratégie
thérapeutique la moins invasive possible doit être choisie. Enfin, en cas de risque
intermédiaire, le patient doit être évalué en vue d’une potentielle transplantation hépatique en
préopératoire afin de pouvoir réaliser cette dernière en urgence en cas de décompensation
hépatique périopératoire. La réalisation préopératoire de TIPS (Transjugular Intrahepatic
Porto-systemic Shunt) visant à diminuer la pression portale a été décrite par plusieurs
auteurs ; son effet sur la morbi-mortalité postopératoire reste à étudier.
Figure 3. Anticipation de la stratégie de prise en charge en fonction du risque
10
*Risque individuel prédit calculé selon http://www.mayoclinic.org/meld/mayomodel9.html
TH : transplantation hépatique
Optimisation de la prise en charge chirurgicale
La chirurgie doit idéalement être élective. En effet, la cirrhose expose à un sur-risque
particulièrement important en cas de chirurgie urgente [13]. Cependant, si ce dernier cas ne
peut être évité, le choix de la technique chirurgicale est important. Les lithiases hépatiques et
les hernies sont fréquentes chez les patients cirrhotiques en raison d’une augmentation de la
pression abdominales. Dans ce contexte, plusieurs études ont montré une réduction de la
morbi-mortalité en cas d’utilisation de techniques laparoscopiques. La cholécystectomie sous
cœlioscopie est associée à une réduction des complications hémorragiques, de la durée
opératoire et de la durée de séjour en dépit d’un taux de conversion plus élevé,
particulièrement en cas de chirurgie urgente [15]. La cure chirurgicale de hernie dont l’intérêt
chez les patients cirrhotiques est établi (comparativement à une attitude conservatrice) doit
être réalisée de manière élective, après traitement de l’ascite. La voie laparoscopique offre
notamment l’avantage d’éviter une cicatrice qui favoriserait la fuite l’ascite si elle subsiste.
Les bénéfices des techniques chirurgicales mini-invasives sont également bien décrits dans la
chirurgie hépatique. Chez des candidats sélectionnés, les résections hépatiques
CHILD A/ MELD< 8
OU Risque individuel prédit acceptable*
Chirurgie
Centre rompu aux patients cirrhotiques De préférence dans un centre de TH
CHILD B/ MELD 8-20
Ou Risque individuel
prédit intermédiaire*
Chirurgie sous Surveillance
Bilan préTH réalisé au préalable TH en urgence à discuter
CHILD C/ MELD >20
OU Risque individuel
prédit élevé*
Repousser la chirurgie si possible: TH en premier Procédure « minimally invasive » radiologie interventionelle
11
laparoscopiques sont associées à une réduction de la durée d’hospitalisation, de la durée de
l’iléus et de la consommation d’antalgiques comparativement aux techniques à ciel ouvert.
Optimisation de la prise en charge anesthésique
Les difficultés de prise en charge anesthésique de ces patients sont directement liées aux
modifications extrahépatiques induites par la cirrhose
Détection et correction préopératoires de la dénutrition
La détection et la correction préopératoire d’une éventuelle dénutrition sont une des rares
mesures ayant montré son efficacité pour la prévention des complications postopératoires, en
particulier infectieuses [9]. Les patients cirrhotiques sont à risque de dénutrition (cf ci-dessus)
et leur statut nutritionnel doit être systématiquement évalué en consultation d’anesthésie. En
cas de dénutrition, une stratégie de réhabilitation nutritionnelle doit être adoptée pour
optimiser les apports caloriques et protidiques.
Optimisation hémodynamique
L’optimisation de l’hémodynamique peropératoire est particulièrement importante chez les
patients. D’un côté, l’impact de l’hypotension peropératoire sur la morbi-mortalité
(indépendamment des autres facteurs de risque) suggère une susceptibilité particulière du foie
cirrhotique à l’ischémie, mais de l’autre, une expansion volémique excessive est susceptible
d’aggraver l’ascite et les œdèmes des membres inférieurs sans bénéfice sur la volémie
efficace. Ainsi, comme recommandé en cas de chirurgie digestive majeure chez les patients
non cirrhotiques, l’optimisation hémodynamique par monitorage du débit cardiaque ou du
volume d’éjection systolique est nécessaire et tout dispositif permettant leur mesure directe ou
indirecte ainsi que l’évaluation de la réponse au remplissage peut être utilisé. Cependant, la
performance de certains dispositifs non-invasifs paraît réduite chez les patients cirrhotiques
vasoplégiques. Cette baisse des résistances vasculaires systémiques associée aux effets des
agents anesthésiques rend le recours peropératoire aux vasopresseurs particulièrement
fréquent ces patients.
Transfusion
L’administration prophylactique de facteurs de coagulation dans le but de corriger les
anomalies des tests d’hémostase « classiques » n’est pas justifiée et potentiellement
dangereuse. En effet, aucune corrélation entre les résultats des examens d’hémostase de
12
« routine » et l’incidence des complications hémorragies après procédure invasive n’a été
démontrée dans la cirrhose. Ainsi, l’absence d’outil de monitorage fiable de la coagulopathie
des cirrhotiques est problématique [7]. Les seuils transfusionnels régulièrement utilisés en
pratique clinique (TP<30 %, fibirinogène<1 g/L, plaquettes<50G/L) sont donc empiriques.
Dans ce contexte, la thromboelastographie et de la thromboelastométrie, deux outils basés sur
la mesure rapide in vivo des propriétés visco-élastiques d’un caillot pourraient permettre de
guider la transfusion via un monitorage de l ‘hémostase globale. A l’heure actuelle, les
paramètres de ces tests visco-élastiques ne sont pas standardisés ce qui explique leur
incapacité à prédire les hémorragies majeures. De même, l’utilisation de ces techniques ne
diminue pas le recours à la transfusion de culots globulaires. En revanche, elle pourrait
réduire la consommation de plasma frais congelé au profit d’une augmentation de celle de
fibrinogène au cours des hémorragies aiguës du patient cirrhotique.
Ventilation peropératoire
Comme décrit précédemment, l’ascite, abdominale et/ou pleurale favorise la survenue
d’atélectasies et de syndrome restrictif chez les patients cirrhotiques. La mise en œuvre d’une
ventilation protectrice peropératoire associant, comme décrit dans l’étude IMPROVE [16], un
volume courant de 6ml/kg de poids idéal, une PEEP de 6-8 cmH2O et des manœuvres de
recrutement, apparaît donc particulièrement recommandée chez ces patients.
Prise en charge des principales complications de la cirrhose : insuffisance rénale dont
syndrome hépatorénal, sepsis, décompensation aiguë
Insuffisance rénale aiguë (IRA) et syndrome hépato-rénal
Le mécanisme le plus fréquent d’IRA est pré-rénal. La correction d’une hypovolémie est donc
une urgence thérapeutique chez ces patients. Une volumineuse ponction d’ascite doit
notamment être compensée par la perfusion d’albumine (8g/l d’ascite ponctionnée) afin de
prévenir une dysfonction circulatoire [17]. De même, les traitements aggravant l’hypovolémie
ou la tolérance du rein à celle-ci doivent être prescrits avec prudence (diurétiques) voire
contre-indiqués (AINS) chez ces patients. En cas d’authentique SHR, le traitement de
première intention associe la terlipressine, puissant vasoconstricteur splanchnique et
systémique (analogue de la vasospressine, 1 mg toutes les 4 à 6 heures et jusqu’à 2 mg toutes
les 4 à 6 heures) afin de lutter contre la vasodilatation en cause dans le SHR, et l’albumine
(1g/kg en début de traitement puis 20-40 g/j). Cependant, l’unique traitement curatif du SHR
13
est la transplantation hépatique puisque seuls 50 % des patients atteints de SHR sont
répondeurs à la terlipressine. L’ensemble des travaux ayant étudié le pronostic de la dialyse
chez ces malades démontre une mortalité proche de 100 % en l’absence de TH. Ainsi le
recours à l’EER chez ces patients doit donc être discuté en fonction du pronostic de la maladie
hépatique et de la possibilité d’utiliser l’EER comme « pont vers la greffe ».
Sepsis
Comme mentionné ci-dessus, les infections postopératoires sont extrêmement fréquentes chez
les patients cirrhotiques. La réduction de la morbi-mortalité liée à ces complications nécessite
un diagnostic précoce et l’introduction rapide d’un traitement efficace. Néanmoins, le choix
de l’antibiothérapie probabiliste est particulièrement difficile dans cette population
fréquemment hospitalisée et/ou exposée aux antibiotiques (via la prévention de l’infection du
liquide d’ascite par fluoroquinolone notamment) [18]. Les facteurs de risque d’infection à
bactérie(s) multiresistante(s) doivent être systématiquement recherchés afin de décider de la
largeur du spectre de l’antibiothérapie à employer. En cas d’infection du liquide d’ascite, un
traitement par albumine doit être associé à l’antibiothérapie, certaines études suggérant son
effet bénéfique dans la prévention de l’insuffisance rénale aiguë. Cet effet de l’albumine n’a
cependant pas été démontré pour les autres causes de sepsis. En cas de choc septique,
l’introduction d’une corticothérapie doit être discutée, à fortiori en cas d’instabilité
hémodynamique majeure [19]. En effet, l’insuffisance surrénalienne liée au stress est
particulièrement fréquente dans la cirrhose, notamment en raison d’un déficit et synthèse et
d’une résistance au cortisol. Cependant, si une réversibilité plus rapide du choc est probable
en cas de traitement par hemisuccinate d’hydrocortisone, aucun effet sur la mortalité n’a été
démontré [19].
Décompensation aiguë de la maladie hépatique chronique : « Acute on Chronic Liver
Failure » (ACLF)
L’ACLF est définie comme la survenue d’une décompensation aiguë de la maladie hépatique
associée à une ou plusieurs défaillances d’organe et une mortalité élevée à court terme [2].
Les facteurs précipitants les plus fréquemment retrouvés sont le sepsis, l’hépatite alcoolique
aiguë et la chirurgie [2]. La prise en charge de première intention consiste à traiter ces
facteurs déclenchants : antibiothérapie et élimination du foyer en cas d’infection,
corticothérapie en cas d’hépatite alcoolique aiguë grave par exemple. Les systèmes de
suppléance hépatique basés sur un principe d’une dialyse à l’albumine ont été suggérés dans
14
cette indication, mais aucun n’a montré d’effet bénéfique (hormis sur l’encéphalopathie
hépatique) dans cette indication. D’autre part, une relation entre la survenue de défaillances
d’organes et une dérégulation de la réponse inflammatoire de ces patients a été avancée et
certains traitements immunomodulateurs sont donc à l’essai à l’heure actuelle (G-CSF,
échanges plasmatiques). Enfin la place de la transplantation hépatique dans cette indication
reste à mieux préciser. En effet, si le bénéfice pour le patient est certain (son décès en
l’absence de transplantation hépatique étant proche de 100 %), le risque de futilité de la
transplantation chez ces patients reste trop peu évalué. Cependant, les données de certains
travaux montrant une survie après transplantation acceptable incitent à considérer ces patients
pour la transplantation une fois les défaillances d’organe stabilisées [20].
Conclusion
La prise en charge d’un patient cirrhotique en vue d’une chirurgie suppose une évaluation de
la sévérité de la maladie et du bénéfice attendu de la chirurgie afin d’en déterminer la balance
bénéfice/risque. L’optimisation périopératoire passe par une prise en charge nutritionnelle
préopératoire, une optimisation hémodynamique, respiratoire et transfusionnelle peropératoire
et un traitement adapté des complications postopératoires. Enfin, la prise en charge de ces
patients notamment les plus sévères nécessite une discussion entre anesthésistes-réanimateurs,
hépatologues et chirurgiens. Il est en effet important de connaître le projet médical du patient
notamment l’existence d’un éventuel projet de transplantation hépatique.
Références
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Conflits d’intérêts
Le Dr E. Weiss déclare une activité occasionnelle de conférencier pour MSD et Gilead
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