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Depuis 1895. Le plus ancien magazine bancaire du monde. 2 / 2016
Une vue dégagée. . .
C R E D I T S U I S S E
Bulletin
GottardoDu mythe suisse au plus long tunnel du monde
Photo : Image Source / Keystone
* À partir de décembre 2016, se rendre dans le sud prendra environ
une demi-heure de moins, et même une heure de moins dès 2020.
. . . jusqu’à la Méditerranée*
Notre contribution pour un avenir meilleur : des innovations qui aident les grandes idées à voir le jour.
Il s’agit du plus long tunnel ferroviaire du monde : l’ouvrage du siècle s’étend sur 57 km sous le massif du Saint-Gothard. À partir de décembre 2016, ce sont jusqu’à 260 trains de marchandises et 65 trains de voyageurs qui circuleront chaque jour dans le tunnel, à une vitesse atteignant 250 km/h et sous une hauteur de montagne pouvant atteindre 2300 mètres. Pour y parvenir, le nouveau tunnel de base est tributaire d’une infrastructure parfaite et d’une ventilation extrêmement fiable. ABB a ainsi contribué au système de ventilation le plus puissant du monde avec une technique énergétique et une commande innovantes, poursuivant ainsi une véritable success-story.
Partenaire principal
— Éditorial —
Bulletin 2 / 2016 — 1
Symbole de tous les records, le premier tunnel ferroviaire du Gothard était,
lors de sa mise en exploitation en 1882, le plus long du monde.
Aujourd’hui, le nouveau tunnel de base, inauguré le 1er juin, est avec
ses 57 kilomètres le plus long de sa catégorie.
Le Gothard traduit la force visionnaire de la Suisse, une qualité parfois
contestée à notre pays. Régulièrement, en effet, on entend que la Suisse
n’aurait ni la volonté ni les capacités pour mener à bien des projets d’envergure.
Le Gothard est bien la preuve du contraire, hier comme aujourd’hui.
Le premier tunnel ferroviaire du Gothard, qui doit beaucoup à l’engagement,
à l’esprit de pionnier et au courage d’Alfred Escher, est le « symbole d’une
Suisse dynamique, ouverte sur le monde et tournée vers l’avenir », comme l’histo-
rien Joseph Jung le résume (page 21). Alfred Escher étant également le fonda-
teur du Credit Suisse, nous sommes fiers de soutenir l’inauguration de l’ouvrage
du siècle, le tunnel de base du Gothard, en tant que partenaire principal.
Avec la construction du Gothard, la Suisse a relevé un défi incroyable, en
1882, tout comme aujourd’hui. Peter Jedelhauser, à la tête du projet
du tunnel de base, nous décrit précisément dans un entretien cet esprit
de renouveau qui règne actuellement dans notre pays : « C’est ensemble
que nous avons dit : ‹ Nous allons le faire ! › » (page 14). Dans une vaste étude,
le service Economic Research du Credit Suisse a par ailleurs mis en lumière
les retombées de cette nouvelle ligne ferroviaire (page 26).
Le Gothard conjugue superlatifs, mythes et visions. Mais il est aussi
le symbole, certes moins spectaculaire, mais plus important, de vertus
suisses comme la persévérance, le pragmatisme, la précision et la fiabilité. Ainsi,
le tunnel de base du Gothard n’a présenté qu’une déviation de 0,00014%
lors de sa percée. Une telle précision illustre à merveille les forces de notre pays.
J’ allais presque oublier la vertu la plus célèbre de la Suisse : la ponctualité.
À l’étranger, nos interlocuteurs s’en émerveillent régulièrement
(ce qui nous met toujours un peu dans l’embarras). Ponctualité ?
Surponctu alité ? Le tunnel de base du Gothard entre en service un an avant
la date prévue. Comment l’expliquer à l’étranger ?
Je vous souhaite une excellente lecture.
Thomas Gottstein,
CEO Swiss Universal Bank, Credit Suisse AG
Un élan nouveau, hier comme aujourd’hui
Photo de couverture : AlpTransit Gotthard AG ; photo : Rainer Wolfensberger
HauptpartnerPartenaire principal
Partner principaleMain Partner
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1 . 2.
3. 4.
Une montre pour une locomotive vénérableMises en service à partir de 1952, les 120 locomotives Ae 6/6 ont acheminé des milliers de personnes et tracté des tonnes de marchandises à travers la Suisse. Plus populaire sous le surnom de «locomotive du Saint-Gothard», cette machine a trouvé son terrain de prédilection dans le massif du cœur des Alpes. Cette locomotive vénérable ne traversera pas le nouveau tunnel du Saint-Gothard. En revanche, elle parcourra le monde entier sous la forme d’une montre exclusive «Gottardo 2016». La lunette de ce modèle spécial sera en effet fabriquée à partir du matériel des portes de la «locomotive du Saint-Gothard».
Boîtier en acier, chaque pièce individuellement numérotée, verre saphire inrayable. Mouvement Swiss made avec l’arrêt de la trotteuse (stop2go) comme l’original à la gare. Paquet-cadeau avec certificat et informations. 2 ans de garantie. Pour des plus amples informations visitez
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Gottardo2016 Quantité
1 . A9500.30363.G.SET Beige 750.–
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Gottardo Nord Sud Quantité
3. A669.30305GOT.SET 30 mm 260.–
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Suisse
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Bulletin 2 / 2016 — 3
— Gottardo —
Illustration : Anna Dunn ; photos : Janosch Abel ; PCW / fotolia ; Stefan Meyers / Okapia
Sommaire
4 Le tunnel et moi
Neuf personnes nous racontent
comment le Gothard change
leur vie.
12 Plus rapide, plus long,
plus performant
Un ouvrage monumental
en faits et en chiffres.
14 « Deux voies et beaucoup
de béton »
Peter Jedelhauser, chef
de projet des CFF, a un plan
pour presque tout.
20 Une merveille helvétique
Comment la Suisse moderne
s’est construite grâce à Alfred
Escher.
24 Qui doit payer ?
Le premier chemin de fer du
Gothard fut difficile à financer.
38 De l’intérieur
Six entrepreneurs décrivent
les défis spécifiques à la
construction du tunnel.
43 Le saint et le diable
D’où le Gothard tire son nom.
44 Forteresse de granit
et littérature
De Dürrenmatt à Dobelli :
le Gothard a inspiré plus d’un
auteur.
50 Le Gothard dans le monde
Tour d’horizon des lieux qui
ont hérité de son nom.
52 Les tunnels
dans le monde animal
Une protection contre les préda-
teurs et les rigueurs de la nature.
56 Interconnexion
Comment infrastructures
et croissance économique
s’influencent-elles ?
66 Tout le monde descend !
Un trait d’union entre la Suisse
alémanique et le Tessin.
68 Courrier des lecteurs/
Impressum
70 Quiz
Connaissez-vous
le Gothard ? Sept questions
taillées dans la pierre.
E C O N O M I C R E S E A R C H
26 INTRODUCTION Le Gothard remet les pendules
à zéro.
28 TRANSPORTS PUBLICS La Suisse gomme les distances.
30 DÉVELOPPEMENT D’ALTDORF : l’histoire
se répète-t-elle ?
31 MARCHÉ IMMOBILIER Vivre à Bellinzone, travailler
à Lugano.
33 TRANSPORT DE MARCHANDISES Une ligne pour le commerce.
34 CONSTRUCTION DE TUNNELS Une spécialité suisse bien utile.
35 DÉVELOPPEMENT DE BELLINZONE : une
nouvelle porte sur le Tessin.
36 TOURISME Le Tessin devient plus proche.
Le soleil aussi.
37 MARCHÉ DU TRAVAIL De nouvelles options : NLFA
et flexibilité du travail.
Participez
et gagnez
une traversée
du tunnel !
— Gottardo —
4 — Bulletin 2 / 2016
Le tunnel et moi
Bien sûr, la NLFA
permettra d’aller plus vite.
Mais ce n’est pas tout :
certains utiliseront l’eau
infiltrée pour élever
des poissons, d’autres
iront plus souvent sauter
en parachute. Neuf
usagers du Gothard nous
parlent des avantages
et de leurs projets.
Simon Brunner (texte) et Patricia von Ah (photos)
— Gottardo —
Bulletin 2 / 2016 — 5
VITICULTEURDavide Ghidossi, 33 ans, viticulteur primé et œnologue, Giubiasco (TI)
« Mon grand-père travaillait aux CFF. Je me souviens des voyages avec lui de Bellinzone à Flüelen : l’église de Wassen, que l’on aperçoit trois fois à mesure que le train serpente à travers la vallée, me fascinait. La nouvelle ligne passera sous Wassen. Elle est très importante, et notamment pour les petites entreprises et les PME du Tessin, qui ont besoin d’une connexion ponctuelle et rapide vers leurs clients de Suisse alémanique. »
— Gottardo —
POLITIQUEFabio Regazzi, 53 ans, conseiller national (PDC) et entrepreneur, Gordola (TI)
« J’emprunte le Gothard deux à trois fois par mois. C’est plus commode pour moi d’aller au Palais fédéral en train, car je peux travailler pendant le trajet. Le Gothard est un symbole de cohésion nationale, un trait d’union entre les différentes régions de la Suisse. Avec le nouveau tunnel, notre pays gomme un peu les distances. Et les choses changent aussi beaucoup au Tessin : je ne mettrai bientôt plus que vingt minutes pour aller de Gordola à Lugano, contre le double aujourd’hui. »
ÉTUDIANTENathalie Boissonnat, 30 ans, étudiante en Public Management et politique à Lugano et à Berne, Giubiasco (TI)
« Le Gothard a toujours fait partie de ma vie : c’est dans le tunnel routier que je me suis familiarisée avec les panneaux de signalisation. Je demandais sans cesse à mes parents si nous étions bientôt arrivés, alors ils m’ont appris à lire les indications kilométriques. À présent, je vis à Berne et je rentre tous les quinze jours au Tessin. Je suis une fervente adepte des transports publics. J’aimerais qu’ils soient davantage une priorité, y compris au Tessin. »
6 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
Bulletin 2 / 2016 — 7
CHEF D’ENTREPRISERichard L. Beeler, 64 ans, directeur de Basis57, Adligenswil (LU)
« Le nouveau tunnel s’accompagne d’un drainage de la montagne. Basis57 récupérera cette eau infiltrée pour faire de l’élevage de poissons : des sandres, des perches, mais aussi des espèces locales comme les lottes. L’eau de source de montagne, d’une température de 15 degrés environ, permettra d’engraisser environ 1200 tonnes de poisson par an. Depuis l’été 2015, les premiers poissons vivent dans un laboratoire d’Erstfeld. Nous suivons leur crois sance et leur besoin en nourri-ture et améliorons notre technique. Nous espérons construire le site d’engraissement dès 2018 sur une parcelle du portail nord, puis proposer à la vente dès 2020 les poissons du Gothard pour gourmets. »
8 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
PARACHUTISTEBarbara Gloor, 52 ans, économiste d’entreprise, Aristau (AG)
« Depuis que j’ai commencé à sauter en parachute en 2012, le Tessin est ma seconde patrie. J’aime retrouver cette lumière différente du côté sud des Alpes ; dès que je sors du tunnel, les vacances commencent, même si elles ne durent parfois que le temps d’une journée. La concen-tration absolue que requiert chaque saut me permet de déconnecter totalement. Lorsque je suis au Para Centro de Locarno, je me ressource vraiment. De plus, le paysage pendant le vol ascensionnel, la chute libre et une fois le parachute ouvert est l’un des plus merveilleux au monde. Je suis heureuse que le trajet soit bientôt plus rapide. »
Bulletin 2 / 2016 — 9
— Gottardo —
FANRemo Kölliker, 39 ans, pédagogue social, Zurich
« Depuis que je suis tout gamin, je soutiens le HC Lugano. Il faut dire que mes parents sont Tessinois. J’arrive à assister chaque saison à quelques matches à la patinoire du club. Je dois, hélas, prendre ma voiture, car après le coup de sifflet final, c’est toujours trop juste pour attraper le dernier train. J’espère que grâce aux trajets plus courts, les horaires de départ pourront être différés quelque peu. »
— Gottardo —
10 — Bulletin 2 / 2016
OUVRIER DU BÂTIMENTRené Kempf, 47 ans, installateur sanitaire et chauffagiste, Erstfeld (UR)
« Depuis 2002, je travaille périodi-quement sur le site du tunnel, le chantier est pratiquement devant chez moi. Treize ans durant, la NLFA a fait partie de ma vie. Une fois fini, le tunnel sortira un peu de mon quotidien, dans la mesure où je ne prends guère le train. »
— Gottardo —
Bulletin 2 / 2016 — 11
PROPRIÉTAIRE D’UNE MAISON DE VACANCESIrene Durrer, 49 ans, assistante médicale, Immensee (SZ)
« Je me rends au moins une fois par mois au Tessin : généralement en voiture pour aller à notre maison en pierre du Vallemaggia et en train pour rendre visite à des proches dans le Locarnese. J’espère que le nouveau tunnel ferroviaire amélio-rera aussi la situation sur la route et que davantage de camions embar-queront sur le train. La question du temps n’est pas primordiale pour nous. Nous préférons passer par les cols pour admirer le paysage en prenant tout notre temps. »
LOGISTICIENMarkus Müller, 50 ans, responsable logistique chez Papyrus, un grossiste en papier, Turgi (AG)
« À l’heure actuelle, les wagons sont collectés à 21h30 à Dintikon (AG) et parviennent à 6h00 au Tessin. Un arrivage plus tôt serait un certain avantage pour nos partenaires de distribution tessinois, qui pourraient livrer plus vite les produits. Mais pour nous, la fiabilité est plus importante que le temps gagné. Par le passé, nous avons connu des contretemps. Nos clients dépendent de livraisons planifiables dans le temps, car si le papier vient à manquer dans une imprimerie, les machines ne tournent pas et les employés sont sans travail. Nous espérons donc que ce nouveau tunnel du Gothard assurera une connexion plus fiable avec le Tessin. »
12 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
Plus rapide, plus long, plus performant Le tunnel de base du Gothard
est l’œuvre de tout un siècle.
Faits et chiffres. Illustrations : Anna Dunn, contenu : Simon Brunner
Source : « Auf die Schienen, fertig, los! » (Musée Suisse des Transports de Lucerne/Christian Scheidegger), cff.ch, google.ch/maps
Source : cff.ch
AVANT 1830 CHEMIN MULETIER
1830ROUTE (MARCHANDISES) Ouverture de la route par le col vers 1830.
1830 ROUTE (POSTE) La route pour les calèches de la Poste était organisée à merveille, avec quatre stations pour le changement des chevaux. Le trajet se réalisait à un rythme assez soutenu et presque sans interruption.
1882 RAIL Ouverture du tunnel du Gothard
2015RAILDes locomotives toujours plus solides et rapides raccourcissent les trajets.
2015VOITUREPresque la même vitesse pour la voiture et le train.
TEMPS DE TRAJET
BÂLE–LUGANO
PASSAGERS PAR JOUR –
Chaque jour, 9000 personnes
environ passent par le
Gothard avec les CFF. D’ici
à 2025, ce chiffre devrait
plus que doubler à la faveur
de la densification et
de l’accélération de l’offre.
Les CFF tablent sur au
moins 15 000 voyageurs par
jour dès 2020.
BIENS PAR JOUR – Avantage
pour le transport des biens :
260 trains de marchandises
circuleront chaque jour
dans le tunnel de base
(160 actuellement), plus
chargés et plus longs.
2020RAIL Avec tunnel du Ceneri et assainissement des axes.
2016RAIL et TUNNEL DE BASE.
— Gottardo —
12 — Bulletin 2 / 2016
14 JOURS 6 JOURS 49 h 13,5 h 4 h 06 3 h 59 ~3 h 30 ~3 h 00
Bulletin 2 / 2016 — 13
— Gottardo —
LES COÛTS
Sources : BLS, « Der Spiegel », railway-technology.com, « Today’s railways Europe »
Source : Gottardo 2016 Source : Gottardo 2016
LES CINQ PLUS LONG TUNNELS DU MONDE
MATÉRIEL DÉBLAYÉ – 28,2 millions de tonnes de
déblais ont été extraits. Une grande partie a été
réinjectée dans la montagne sous forme de béton.
Le reste a surtout servi sur le site ou pour remblayer
des digues. Dans le lac d’Uri, trois îlots destinés
à la faune et aux baigneurs ont été créés.
Le tunnel de base du Gothard a coûté – renchérissement, TVA et intérêts de construction inclus – 12,2 milliards de francs.
La NLFA (tunnels de base du Lötschberg, du Gothard et du Ceneri) a coûté 23 milliards de francs.
TUNNEL DE BASE DU GOTHARD, 57,0 KMSUISSE, 2016, COÛTS : 12,2 MRD.
TUNNEL DU SEIKAN, 53,9 KMJAPON, 1988, COÛTS : 4,3 MRD.
TUNNEL SOUS LA MANCHE, 50,5 KMGRANDE-BRETAGNE / FRANCE, 1994, COÛTS : 16,1 MRD.
TUNNEL DE BASE DU LÖTSCHBERG, 34,6 KMSUISSE, 2006, COÛTS : 4,3 MRD.
TUNNEL DE GUADARRAMA, 28,4 KMESPAGNE, 2007, COÛTS : 1,34 MRD.
— Gottardo —
Bulletin 2 / 2016 — 13
14 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo — — Gottardo —
14 — Bulletin 2 / 2016
« DEUX VOIES, DES TONNES DE BÉTON
ET BEAUCOUP DE TECHNOLOGIE »
Mineurs avec le tunnelier « Heidi »
après le percement de la dernière
section du tunnel de base du Gothard
près de Sedrun, le 23 mars 2011.
Photo : Martin Rütschi / Keystone
Bulletin 2 / 2016 — 15
— Gottardo —
Le tunnel de base du Gothard est plus qu’une merveille
du génie civil. Grâce à lui, le réseau de chemin de fer suisse se
réinventera en décembre 2016. C’est depuis un bureau
de Lucerne que tout s’organise, celui du chef de projet des CFF,
Peter Jedelhauser, qui se demande : « Quel sera
le prochain problème ? Et quelle sera la solution ? »
Simon Brunner
Monsieur Jedelhauser, vous avez déjà pu
faire le voyage que toute la Suisse attend avec
impatience : comment se sent-on dans
le plus long tunnel ferroviaire du monde ?
Je vais vous décevoir : les vingt minutes de
ce trajet test n’étaient guère différentes du
quart d’heure dans le tunnel actuel du
Gothard. La grande différence, c’est que
l’on sent l’Italie arriver plus vite. Le
trajet Erstfeld-Biasca prend aujourd’hui
74 minutes, contre un peu plus de
vingt minutes dès décembre prochain.
Et en termes de sensations ?
Le trajet dure cinq minutes de plus – on
ne le remarque pas. Mais le train va
plus vite : 200 km/h environ, contre les
125 km/h actuels du tunnel de faîte.
Remarque-t-on cette vitesse ?
Au contraire : c’est le calme qui frappe.
La qualité des voies est fantastique, on les
survole littéralement.
À l’ouverture de la ligne en 1882, le tunnel
du Gothard avait été qualifié de « merveille
du monde suisse ». Des observateurs internatio-
naux comparaient sa construction à celle
des pyramides de l’Égypte ancienne. Le tunnel
de base est-il une réussite de ce type ?
La société AlpTransit Gotthard AG
(ATG) a construit cette ligne de plaine
passant par le Gothard et le plus long
tunnel du monde (57 km), avec un écart
de 0,00014% sur le percement. Est-ce
une merveille du monde ? Je l’ignore.
Mais c’est à coup sûr une prouesse qui
nous remplit de joie et de fierté.
Les premiers pas sur la Lune ont secoué
les États-Unis. La confiance soviétique a
été décuplée avec le lancement de la
fusée Spoutnik. La Suisse vit-elle un élan
similaire avec le tunnel de base du Gothard ?
À l’évidence, ce tunnel de base est l’œuvre
du siècle. Sa construction a largement
reposé sur les qualités suisses : esprit
pionnier, force d’innovation, précision et
volonté de réussir. C’est ensemble que nous
avons dit : « Nous allons le faire. » Une
décision démocratique, étayée par plusieurs
votations populaires [voir l’histoire du
tunnel de base en page 19, ndlr].
Quel a été le plus grand moment
pour vous ?
J’en citerai deux. D’abord, le percement
avec l’énorme tunnelier à l’extrémité
de la galerie ouest – un moment chargé
d’émotions. Et puis la première fois
où nous avons parcouru le tunnel de
Bodio à Erstfeld, bien avant que les
voies ne soient posées. Il nous a fallu
plus de huit heures, et c’est là que j’ai
vraiment perçu toute l’ampleur du projet.
Abstraction faite du temps gagné,
qu’apporte ce tunnel ?
Le tunnel ne se résume pas à deux voies,
des tonnes de béton et beaucoup
de technologie : il rapproche le Tessin
et la Suisse alémanique, contribuera
significativement au transfert de la route
au rail et nous met en valeur à travers
le monde. Chaque contribuable
peut dire qu’il a apporté sa petite
pierre à l’édifice.
16 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
Quelle importance le tunnel
de base a-t-il pour le système européen
de transport ?
Il décongestionne aussi les autoroutes
de l’étranger, voilà pourquoi l’Allemagne
développe notamment le tronçon du
Haut-Rhin. Il fera gagner du temps entre
le port de Hambourg, sur la mer du
Nord, et Gallarate. Il étoffera également les
capacités : les trains pourront être plus
longs et plus hauts. Les besoins logistiques
de nos clients Cargo seront donc satisfaits
par des solutions efficaces, sans bouchons
et écologiques. De nouvelles possibilités
s’ouvrent aussi pour le transport de biens
en Suisse. Désormais, nous pourrons
par exemple relier de nuit le Tessin et la
Suisse romande : un conteneur remis
le soir au Tessin arrivera le lendemain
matin en Suisse romande.
Le tunnel sera-t-il donc plus
utile pour le transport des biens,
que des voyageurs ?
Disons pour simplifier que la nouvelle
ligne a été conçue pour les biens,
mais qu’elle avantagera les voyageurs.
Du point de vue d’un ingénieur, quelle
est la différence entre le tunnel de base du
Gothard et les autres tunnels de Suisse ?
Le tunnel de base du Gothard se compose
de nombreux systèmes complexes.
Les maîtriser est au moins autant un défi
que la construction proprement dite.
Systèmes du tunnel, de drainage, de
ventilation, sécurité, contrôles, technologie
de commande : notre personnel doit tout
gérer pour que la ligne soit exploitée en
permanence de manière sûre, fiable et
ponctuelle.
Cette nouvelle philosophie vaut-elle
aussi pour l ’entretien ?
Absolument. Imaginez, cela équivaut à
entretenir le tronçon Zurich-Olten,
à peu près aussi long, mais avec un accès
depuis deux côtés seulement. Le processus
standard des CFF ne fonctionne pas.
Enfin, la planification de l’horaire a aussi
été compliquée, au vu surtout de tous
les chantiers. Tous ces éléments exceptés,
le tunnel de base du Gothard est
un tunnel tout à fait normal (rires) !
La sécurité est l ’un des thèmes principaux.
C’était l’un des principaux critères de
la planification. Ainsi, nous avons par
exemple deux galeries séparées et deux
stations d’arrêt d’urgence. Honnêtement,
je préfère emprunter le nouveau tunnel
de base plutôt que l’ancien tunnel de faîte.
Pourquoi ?
Imaginons que le train reste immobilisé.
Cela peut arriver. Tous les 325 mètres,
on trouve l’un des 178 passages menant à
l’autre tube, où un autre train peut
embarquer les voyageurs. Idéalement, le
train s’arrête dans une station d’arrêt
d’urgence après un incident. De là, de
grandes galeries d’évacuation permettent
de mettre en sécurité les passagers. Dans
l’ancien tunnel de faîte, ce transbordement
est presque impossible. Le chantier de
1882 aurait pu être complété en partie,
mais il n’aurait jamais atteint le niveau
du tunnel de base.
Peut-on affirmer que les 57 kilomètres du
nouveau tunnel sont les plus sûrs de Suisse ?
Sans hésiter, oui.
À propos de sécurité, vous parlez de « train
malade ». Qu’entendez-vous par là ?
Un train qui ne peut pas emprunter le
tunnel. Par exemple un train avec
des freins qui ne se desserrent pas. Un
train où une bâche d’un des camions
embarqués est mal fixée. Un train avec
un wagon-citerne qui perd du liquide.
Un train avec l’antenne d’un camion qui
flotte au vent. Une locomotive où le
pantographe ne fonctionne pas parfaite-
ment. Un train chargé asymétriquement.
Ou un train en feu.
Vous diagnostiquez toutes ces « maladies »
avant que le train n’entre dans le tunnel ?
Oui. Les accès nord et sud sont dotés de
systèmes qui examinent le matériel
roulant ferroviaire. Ces dispositifs de con-
trôle détectent les défauts cités avant
qu’ils ne provoquent des dommages plus
graves dans le tunnel. Les « trains
malades » sont arrêtés.
Quelques mois à peine avant la mise en
service, vous réveillez-vous parfois la nuit
PORTRAIT
Peter Jedelhauser, 57 ans, est aux manettes de l’Organisation du projet de l’axe nord-sud du Gothard (PONS). Il a travaillé plus de vingt ans dans l’industrie énergétique et a construit dans le monde entier des installations d’énergie hydraulique et d’irrigation. Cet ingénieur EPF (en génie ferroviaire) travaille depuis onze ans aux CFF.
L’ORGANISATION DU PROJET
L’Organisation du projet de l’axe nord-sud du Gothard (PONS) est un projet des CFF composé de neuf sous-projets. Elle est en charge de la mise en service des tunnels de base du Gothard et du Ceneri et du corridor 4 mètres.
Photo : Janosch Abel ; graphisme : © SBB CFF FFS
Bulletin 2 / 2016 — 17
— Gottardo —
en pensant : « Et si j’avais oublié un point
important... » ?
Nous avons articulé la planification un
peu différemment de celle de projets
comparables en partant des risques : et si
quelque chose tournait mal ? Ou, comme
l’on dit aujourd’hui : « What if ? »
Nous avons ainsi abouti à de nombreuses
réflexions et conclusions. Et s’il nous
manque un justificatif pour un type de
matériel roulant ? Si nous rencontrons
des difficultés avec un permis de construire ?
Que faire ? Quelle est la solution de
rechange ? Et quand y recourir ? Comme
nous n’avons cessé de nous poser ces
questions et que nous avons à chaque fois
« Chaque contribuable peut
dire qu’il a apporté sa
petite pierre à l’édifice. »
élaboré des alternatives, je suis assez
tranquille. Évidemment, des choses
peuvent encore se passer, mais je crois que
nous sommes prêts.
Vous êtes le chef de projet des CFF pour la
mise en service du chantier du siècle.
Pourtant, dans votre petit bureau de Lucerne,
le projet tient sur un poster, comme si vous
étiez en train de préparer une grande fête de
Noël. Comment est-ce possible ?
Il s’agit de l’image globale, d’un tableau de
bord, où tout doit être clair. Pour tout
ce que vous voyez ici, environ 1600 jalons
ont été posés.
Comment exécuter autant de jalons sans
tomber dans le chaos ?
En définissant des paquets de travail et
des domaines bien délimités – neuf,
dans notre cas. Nous avons sciemment
commencé non pas par les aspects
techniques, mais par le client. Que faire
pour qu’il soit satisfait ? Afin
qu’il obtienne ce pour quoi il a payé ?
Votre réponse ?
Il faut d’abord un horaire bien conçu pour
le transit ferroviaire longue distance,
régional ou de marchandises le long de
l’axe nord-sud. Pour le mettre en œuvre,
il faut développer les lignes d’accès, car la
capacité du tunnel de base du Gothard
ne sert que si ces tronçons peuvent eux aussi
absorber le trafic supplémentaire. Il
faut ensuite du courant – des sous-stations
doivent donc être construites. Et du
matériel roulant (nouveau et existant). Du
personnel pour transporter les voyageurs
et les marchandises. Finalement, après
l’ouverture, l’exploitation et la maintenance
doivent être garanties. Il faut ainsi
former en conséquence notre personnel
(environ 2900 employés et 1000 externes).
Aviez-vous ces 1600 jalons en tête ?
Non, peut-être 30% d’entre eux – plus que
la planification académiquement correcte,
c’est la gestion qui compte. Chaque paquet
de travail sur le poster correspond à
un responsable de projet. Chacun peut
Peter Jedelhauser, à propos
du tunnel de base du
Gothard (image) : « Nous
avons articulé la planification
un peu différemment. »
Photo : Gerry Amstutz
18 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
échouer à respecter un jalon et donc un
délai. Une question est importante :
quelles seront les conséquences pour mes
collègues et leur paquet de travail ?
Comment maîtriser et limiter les éven-
tuelles retombées ? Cette perspective
intégrée est à mes yeux un composant
central de notre réussite.
Il n’est pas simple pour tout un chacun de
reconnaître qu’un point ne fonctionne pas.
C’est une question de culture ! Deux
valeurs sont à mes yeux essentielles en la
matière : la transparence, même si elle
est douloureuse (mais par expérience,
je dirais que c’est pire si une erreur
En 2010, à l’occasion d’une coordination
et d’un réajustement des programmes
de construction et de montage, l’entreprise
ATG, en charge de la construction,
avait constaté qu’il serait possible de faire
entrer en service le tunnel un an plus
tôt que prévu. Une très bonne nouvelle
dans l’absolu, mais un réel défi pour les
CFF. Car nous n’avions plus que cinq ans
au lieu de six pour mener à bien nos
tâches. Notre réserve de temps s’amenuisait.
Vous étiez en colère ?
D’abord, j’ai pensé aux nombreux risques
et problèmes. Puis un jour, un collègue
d’ATG m’a dit : « C’est votre chance de
pouvoir vous donner à fond. » Il avait raison.
Si les délais sont serrés, on discute moins
de détails insignifiants au mauvais moment.
Il faut trouver des solutions simples,
pragmatiques et les appliquer ensemble
de manière ciblée. L’efficacité règne ainsi.
apparaît ultérieurement). Et la fiabilité.
Finalement, toutes deux ont très
bien fonctionné – je remercie d’ailleurs
chaleureusement mes collaborateurs.
Avez-vous rencontré des difficultés ?
Oh que oui ! Sans cesse, notamment avec
des permis de construire, des évolutions
technologiques ou la livraison de nouveau
matériel roulant. Des moments délicats,
mais nous n’étions jamais complètement
pris au dépourvu puisque nous avions
déjà pensé en amont à des alternatives.
Dans la plupart des cas, nous avons
pu contourner ces écueils en recourant
à un plan B.
Les grands projets d’infrastructures interna-
tionaux accusent un retard notoire ou
ne sont jamais terminés. Le tunnel de base
du Gothard, lui, entrera en service un
an plus tôt que prévu. Par quel miracle ?
« Ambitieux oui,
mais pas inconscients ! »
Salle de contrôle du
tunnel de base
du Gothard à Pollegio.
Photo : Alexandra Wey / Keystone
Bulletin 2 / 2016 — 19
— Gottardo —
Vous dirigez l ’un des plus grands projets
de Suisse. Durant votre temps libre, êtes-
vous organisé ou plutôt chaotique ?
Je suis à mi-chemin : je suis spontané.
Quand ma fille, qui travaille chez
Swiss, me dit : « Tu m’accompagnes
à New York demain ? » et que je peux
m’arranger, je fonce.
Aviez-vous du mal à trouver le sommeil
à cause du projet ?
Au début, souvent.
Parce qu’il était difficile de prendre
vos distances ?
Je n’aime pas cette expression. À mon
sens, penser par recoupements est plus
efficace qu’isoler les différentes réflexions.
À trop délimiter les concepts, des
éléments peuvent facilement se perdre.
Comment avez-vous évité que cette tâche
gigantesque ne vous consume ?
C’est une illusion de penser qu’en
rentrant à la maison le soir, on éteint
l’interrupteur et on a l’esprit léger.
Lorsqu’on a la chance d’être en charge
d’une telle tâche, il faut une bonne
dose de feu sacré. Un enthousiasme
intérieur. Et j’ai aussi le bonheur
extraordinaire que ma famille s’intéresse
à ce que je fais. Par contre, j’ai dû
apprendre à déconnecter. Je crois que
j’y arrive mieux qu’auparavant.
Les objectifs peuvent aussi être trop élevés.
Et dans ce cas, nous parlons d’un projet
de 12 milliards de francs…
C’est clair. Le courage est une chose,
l’inconscience une autre. En 2011, nous
avons décidé de tout mettre en œuvre
ensemble pour une mise en service en
décembre 2016, selon les plans. Nous
avons alors fixé un point de contrôle : nous
reverrions les comptes deux ans avant
cette date et déciderions alors définitive-
ment, sur la base des progrès et des risques,
si la mise en service aurait vraiment
lieu en décembre 2016. Ambitieux donc,
mais pas inconscients.
Cela dit, il est rare qu’ailleurs dans le
monde, de tels mégaprojets soient terminés
un an en avance. Pourquoi en Suisse ?
Trois facteurs expliquent ce constat.
Premièrement, nous n’avons jamais dû
débattre de la légitimation politique.
Le projet, approuvé par la population,
avait été voté démocratiquement à la
majorité. Un accueil positif lui était donc
réservé. Des oppositions auraient pu
nous compliquer la vie. Le soutien est
bien moindre lorsque des entreprises
privées ou des gouvernements décident
d’un projet sans un large appui de la
population. En outre, il s’agit d’un projet
ferroviaire. Traditionnellement, la popula-
tion suisse y est très favorable.
Deuxièmement ?
Deuxièmement, l’Office fédéral des
transports a été un organe d’autorisation
et de décision très fiable. Les autorisations
ou permis de construire n’ont jamais
pris plus de temps que prévu. Et troisiè-
mement, aussi bien ATG que les CFF
ont mis en place des équipes à même de
prendre en permanence des décisions
et de collaborer de manière constructive.
Avec ce projet, avez-vous appris quelque
chose qui vous sert dans votre vie privée ?
La sphère privée est peut-être l’un des
rares domaines où l’on ne doit pas
systématiquement disposer de plusieurs
options. Mais j’ai déjà pu faire passer
un message à mes enfants en leur disant :
« Si votre plan ne marche pas,
que ferez-vous ? »
L’HISTOIRE DE LA LIGNE DU GOTHARD
Entre la première esquisse et l’inauguration du tunnel de base du Gothard, presque une éternité s’est écoulée.
1947L’ingénieur Carl Eduard Gruner esquisse l’idée visionnaire d’un tunnel de base du Gothard.
1963La Confédération évalue différentes variantes de tunnel ferroviaire.
1971Les CFF reçoivent le mandat de développer la ligne de base du Gothard Erstfeld-Biasca.
1992Le peuple suisse vote oui à la « Nouvelle ligne ferroviaire à travers les Alpes » (NLFA) et à la construction des nouveaux tunnels de base du Lötschberg, du Gothard et du Ceneri.
1993De premiers sondages dans la Piora donnent des indications sur le tracé géotechniquement le plus favorable.
1994L’« Initiative des Alpes » est approu-vée lors d’une votation populaire etla protection des Alpes ancrée dans la Constitution.
1995Le Conseil fédéral approuve le tracé entre Erstfeld et Bodio et le tronçon ouvert Bodio-Giustizia.
1999Début des travaux de percement du tunnel de base du Gothard en novembre.
2010Percement principal du tunnel de base du Gothard entre Sedrun et Faido.
2016Ouverture du tunnel de base du Gothard le 1er juin ; mise en service en décembre.
2020L’axe nord-sud est totalement fonctionnel après la mise en service du tunnel de base du Ceneri et le corridor 4 m.
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20 — Bulletin 2 / 2016
Alfred Escher (1819-1882) :
De son vivant, le visionnaire du Gothard
n’a jamais traversé le tunnel qui
a été construit en partie grâce à lui.
Illustration : Gregory Gilbert-Lodge ; photo : Noë Flum / 13 Photo20 — Bulletin 2 / 2016
Bulletin 2 / 2016 — 21
— Gottardo —
Aucun ouvrage d’art n’a aussi profondé-
ment changé la Suisse que le chemin de
fer du Gothard, ouvert à la circulation le
1er juin 1882. Mêlant audace, courage, es-
prit pionnier et pensée visionnaire, il est le
symbole d’une Suisse dynamique, ouverte
sur le monde et tournée vers l’avenir. Grâce
à lui, le canton du Tessin fut enfin relié au
reste du pays par l’intermédiaire du réseau
ferré, ce qui lui donna une impulsion vitale.
Artère majeure pour l’économie d’exporta-
tion suisse, la ligne du Gothard avait avant
tout une vocation internationale. Néan-
moins, si elle donna d’abord une nouvelle
dimension aux relations économiques et
culturelles entre l’Italie, l’Allemagne et la
Suisse, sa portée finale fut bien plus vaste.
Un besoin d’infrastructures
En franchissant les Alpes, elle devint en ef-
fet une voie mondiale reliant le nord de
l’Europe au canal de Suez et à l’Orient via
la Suisse. Il n’est donc pas surprenant que la
Suisse ait célébré à l’époque son inaugura-
tion en grande pompe, offrant au monde
un spectacle des plus grandioses.
Au cours de la première moitié de ce siècle,
le Zurichois Alfred Escher reconnut à quel
point ces lacunes étaient préoccupantes.
Lors de son premier discours au Conseil
national, il attira l’attention sur cette situa-
tion dramatique. Il déclara que les rails se
rapprochaient de la Suisse de tous côtés
sans que celle-ci n’y fasse rien. Selon lui, le
pays risquait de se retrouver isolé et de
constituer un triste ermitage au milieu de
l’Europe. Effectivement, il n’existait à
l’époque en Suisse qu’une seule voie ferrée
longue de 23 kilomètres, la ligne
Zurich–Baden (dite « Spanisch-Brötli-
Bahn »). Cette intervention d’Escher fut le
point de départ de l’avènement de la Suisse
moderne, une histoire fascinante dans la-
quelle cet homme à la fois visionnaire,
pionnier, responsable politique et leader
économique joua le rôle de sa vie.
Après la fondation de l’État fédéral
en 1848, face à la complexité des défis liés à
la politique ferroviaire, les parlementaires
eurent à déterminer si les chemins de fer
devaient être installés et exploités par l’État
ou par une société privée. Il fallait en
Une merveille du monde, helvétiqueVoici comment la Suisse, après avoir raté le train
du progrès, est devenue un État moderne. C’est
l’histoire du chemin de fer du Gothard, dans laquelle
un certain Alfred Escher a joué le rôle de sa vie.
Joseph Jung
1882 CHEMIN DE FER
DU GOTHARDLe chemin de fer du Gothard fut ouvert
à la circulation le 1er juin 1882. Artère majeure pour l’économie
d’exportation suisse, la ligne du Gothard avait avant tout une voca-
tion internationale et permit de renforcer les relations économiques
et culturelles entre l’Italie, l’Allemagne et la Suisse.
Si l’on remonte trente ans avant l’inaugu-
ration de la ligne du Gothard, on se re-
trouve dans une Suisse très différente : un
pays qui, dans des domaines essentiels,
s’est laissé distancer par les grandes na-
tions industrialisées. Jusqu’au milieu du
XIXe siècle, les infrastructures d’un État
moderne y font défaut.
Photo : Musée Suisse des Transports de Lucerne / Keystone
— Gottardo —
22 — Bulletin 2 / 2016
suite, ni les nombreuses tentatives de prise
de contrôle, ni même le fait que la plupart
d’entre elles devinrent plus tard dépen-
dantes vis-à-vis de l’étranger avant d’être
finalement nationalisées au début du
XXe siècle. Après le milieu du XIXe siècle,
grâce à des entreprises privées, la Suisse
avait rattrapé en un temps record son re-
1854 EPF DE ZURICH
À l’époque du boom ferroviaire, il n’existait en Suisse aucun centre
de formation pour les ingénieurs, les techniciens, les mathématiciens
et les géologues. Ainsi, pour faire face à la demande,
l’École polytechnique fédérale, l’actuelle EPF de Zurich,
fut fondée en 1854. Jusqu’à sa mort, Escher en demeura
membre du Conseil d’administration.
tière de concessions), et uniformise l’ex-
ploitation au profit des voyageurs et du
transport de marchandises ?
Mais ces discussions éludent l’essen-
tiel. Au milieu du XIXe siècle, l’urgence
pour la Suisse était de déterminer com-
ment mener au plus vite la construction du
réseau ferré. Imaginons un peu : comment
les voies ferroviaires se seraient-elles déve-
loppées si l’État fédéral avait été aux com-
mandes ? À l’époque, celui-ci n’avait tout
simplement pas les moyens de financer
substantiellement, en plus de la mise en
place de l’Armée suisse, des projets d’in-
frastructures supplémentaires. Et avec le
peu de fonds qu’il aurait pu affecter aux
chemins de fer, la couverture du Mittelland
se serait étalée sur plusieurs décennies.
Autre aspect peu réjouissant : on devine ai-
sément à quel point les parlementaires à
Berne se seraient chamaillés au sujet des
lignes à construire en priorité.
La Suisse, pays de transport
Mais heureusement, ce scénario catas-
trophe n’eut pas lieu. Les faits sont là pour
en attester. La décision de l’été 1852 donna
un véritable coup de fouet à la construc-
tion des voies ferrées fédérales. La Suisse
connut alors un essor ferroviaire sans pré-
cédent à l’échelle européenne. Des sociétés
de chemins de fer sortirent de terre de
toutes parts. Moins de dix ans plus tard,
le Mittelland était raccordé et les rails
reliaient le lac de Constance au lac Léman.
Alfred Escher lui-même – conseiller
d’État, député au Grand Conseil et
conseiller national, entre autres – prit la
direction opérationnelle des Chemins de
fer du Nord-Est (1853), l’une des plus
grosses sociétés de chemin de fer, fit
construire une nouvelle gare à Zurich
(1865-1871) et transforma la ville en un
important nœud de communication.
La vitesse avec laquelle les lignes
ferroviaires furent installées en Suisse dans
les années 1850-1860 et l’impulsion in-
croyable que ces nouvelles infrastructures
donnèrent au développement industriel et
à l’économie confirment a posteriori le
bien-fondé des positions défendues par
Escher. Rien ne changera jamais cette réa-
lité : ni les turbulences financières qui tou-
chèrent les sociétés de chemins de fer par la
outre définir le tracé des lignes et fixer les
priorités pour le déroulement des travaux.
Escher identifia clairement les risques et
les opportunités associés aux décisions po-
litiques prises à Berne pour le canton de
Zurich. Et il craignait que la Suisse orien-
tale soit traitée comme le parent pauvre si
le projet de voie ferrée était chapeauté par
la Confédération.
Quel rôle pour l’État ?
Bientôt, les discussions politiques sur le
chemin de fer se concentrèrent sur la ques-
tion du financement. Le sujet devint en-
core plus explosif lorsque les débats abor-
dèrent non seulement le projet de voie
ferrée mais aussi celui d’une université fé-
dérale. Le Parlement se vit alors contraint
de définir très clairement les tâches in-
combant à l’État et celles relevant de l’éco-
nomie privée.
Les élus ne cachèrent pas leur in-
quiétude à l’idée de devoir financer simul-
tanément deux projets titanesques : le ré-
seau ferroviaire et l’université. Face à cette
situation, Escher obtint la séparation des
deux initiatives. Contre la volonté de la
Commission du Conseil national, il rem-
porta la majorité au sein des deux
Chambres fédérales en faveur d’une loi
confiant la construction et l’exploitation
des chemins de fer à l’économie privée. La
Confédération fut exclue de facto de la Loi
fédérale sur les chemins de fer, sans la
moindre marge de manœuvre légale. Elle
ne disposait même pas d’un droit de sur-
veillance sur les sociétés ferroviaires et
pouvait uniquement intervenir sur le tracé
des lignes pour des raisons de politique
militaire.
Cette décision cruciale de l’été 1852
influa sur l’évolution économique, sociale
et politique de la Suisse. En effet, dès
l’adoption du décret, des sociétés de che-
mins de fer privées virent le jour partout
dans le pays. Leur objectif était de
construire plus vite que leurs concurrentes
et sur un tracé optimisé comprenant peu
de ponts et de tunnels. Une question se
pose : aurait-il été bénéfique que la loi li-
mite un peu l’omnipotence des sociétés
ferroviaires privées, instituée de fait en
1852 (et seulement faiblement entravée
par les compétences des cantons en ma-
tard par rapport à ses voisins. En l’espace
d’un an, le trafic ferroviaire privé fut en me-
sure de fournir au marché national les ca-
pacités de transport dont il avait besoin.
La place industrielle et financière suisse
La décision de 1852 ne fut pas seulement
judicieuse sur le plan de la politique ferro-
Photo : bibliothèque de l’EPF de Zurich, archives photographiques / photographe inconnu / Ans_02467/CCBY-SA 4.0
Bulletin 2 / 2016 — 23
— Gottardo —
viaire. En effet, au milieu du XIXe siècle,
la Suisse accusait également un retard
dans d’autres domaines. Le boom du che-
min de fer nécessita le recrutement d’une
main-d’œuvre qualifiée répondant aux
exigences des entreprises de chemin de
fer. Le tracé des lignes requérait de trouver
la meilleure solution topographique, il fal-
lait construire des gares, renforcer les
ponts, prévoir des tunnels.
Toutefois, il n’existait alors en Suisse
aucun centre de formation pour les ingé-
nieurs, les techniciens, les mathématiciens
et les géologues. C’est ainsi que fut fondée
en 1854 l’École polytechnique fédérale,
l’actuelle EPF de Zurich. L’influence d’Al-
fred Escher dans ce domaine est encore
une fois incontestable. Jusqu’à sa mort,
Escher demeura membre du Conseil d’ad-
ministration de l’École polytechnique.
Cette haute école assura le transfert de
connaissances de la théorie à la pratique.
Les enseignants venus pour la plupart de
l’étranger menèrent des travaux avant-gar-
distes sur le plan scientifique. L’École poly-
technique posa pour ainsi dire la première
pierre qui permit à la Suisse de se forger
une tradition de recherche.
Néanmoins, le besoin en capital pla-
ça aussi les sociétés de chemin de fer face à
de grands défis. Étant donné qu’il n’existait
alors aucune banque commerciale en
Suisse, il fallait aller chercher le capital ail-
leurs. Or les bailleurs de fonds et les inves-
tisseurs étrangers voulaient participer aux
décisions relatives au développement des
sociétés de chemin de fer helvétiques, y
compris aux questions du tracé des lignes.
Cette ingérence n’était pas du goût
d’Escher. La Suisse avait besoin de sa
propre infrastructure de financement. Il
fonda donc le Crédit Suisse en 1856, au-
jourd’hui le Credit Suisse sans accent. Un
an plus tard, il fonda la Société suisse
d’Assurances générales sur la vie humaine,
l’actuelle Swiss Life. Le Crédit Suisse per-
mit en premier lieu à Escher de satisfaire
les besoins financiers de sa société des
Chemins de fer du Nord-Est. Il fut en
outre le moteur de l’économie helvétique :
il mit du capital-risque à la disposition
d’entreprises privées, aida à la création de
sociétés et s’engagea auprès d’institutions
publiques, par exemple pour la construction
celles-ci se trouvait le Genevois Louis
Favre, à qui fut confiée la construction du
tunnel long de 15 kilomètres.
Dans l’euphorie du moment, le che-
min de fer du Gothard fut qualifié de mer-
veille du monde helvétique, car le parcours
le long de la « world’s most picturesque
route » suscitait l’enthousiasme des voya-
geurs de la Belle Époque. Aujourd’hui, au
XXIe siècle, on s’étonne encore du génie, de
la grandeur visionnaire et de la qualité
technique avec lesquels le chemin de fer du
Gothard fut planifié et réalisé.
Le plus grand chantier du monde fut
mis en place entre Airolo et Göschenen.
Des milliers de travailleurs affluèrent de
l’étranger, la plupart d’Italie. Si la ligne du
Gothard a conservé jusqu’à ce jour son sta-
tut incontesté d’ouvrage d’art grandiose,
l’hygiène dans les baraquements ou les ca-
sernes de l’entreprise Favre où logeaient
les ouvriers était notoirement douteuse. S’y
ajoutaient des conditions de travail ex-
trêmes à l’intérieur du tunnel. De nom-
breux ouvriers souffrirent de maladies et
furent terrassés par des épidémies. Plus de
300 hommes périrent durant les travaux de
construction, auxquels il faut ajouter les
ouvriers malades et accidentés qui ne
moururent que plus tard, une fois rentrés
chez eux.
La tragédie du héros …
Le projet du Gothard, grâce auquel Al-
fred Escher entra dans l’histoire, repré-
senta pourtant un grand échec personnel
et l’une des principales déceptions de sa
vie : en 1878, il fut en effet contraint de se
retirer de la construction en raison de dé-
passements de devis, qui se révélèrent en
fin de compte négligeables. Ce n’était plus
son heure. La Suisse avait changé, la dé-
mocratie directe (1874) lui conférait une
nouvelle identité. « Nous sommes de moins
en moins nombreux », avait fait remarquer
Escher à un ami. Les pionniers de la géné-
ration fondatrice avaient vieilli, beaucoup
étaient décédés. Escher apparaissait de plus
en plus comme une relique d’un passé de-
puis longtemps révolu.
En 1880, devenu « persona non grata »
dans le projet du Gothard, il ne fut même
pas mentionné lors des célébrations orga-
nisées à l’occasion du percement. Deux
1856 CRÉDIT SUISSE
DE ZURICHAfin de couvrir le besoin en capital
des sociétés de chemin de fer, Escher fonda le Crédit Suisse en
1856, aujourd’hui le Credit Suisse sans accent. En 1857, il fonda la Société suisse d’Assurances
générales sur la vie humaine (Swiss Life).
de routes. Grâce au Crédit Suisse, Escher
fit de Zurich la place bancaire suisse.
La voie vers le Sud
Dans les années 1860, la Suisse faillit en-
core une fois laisser passer le train du déve-
loppement européen. En effet, le pays
manquait toujours d’une liaison nord-sud à
travers les Alpes, alors que des voies ferrées
alpines existaient déjà en France et en Au-
triche. Différentes variantes de transversale
alpine furent débattues, mais aucune ne fut
retenue. Les projets allaient du Lukmanier
au Simplon en passant par le Splügen.
Dans ce contexte, Alfred Escher soutint le
projet du Gothard et devint président de la
Société des chemins de fer du Gothard en
1871. Pour mener à bien ce gigantesque
projet, il mit toute sa force politique et éco-
nomique dans la balance. Il s’occupa du
budget et du financement, négocia avec les
décisionnaires suisses, allemands et italiens
et fit tout pour rassembler les personnes les
plus compétentes autour du projet. Parmi
Photo : Wikimedia Commons
24 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
À qui revient le financement du projet ?En 1882, les fonds publics locaux jouaient un rôle infime dans
le projet de construction. À l’inverse, le nouveau tunnel
de base du Gothard est financé exclusivement par des impôts
et des taxes.
Lors de la conférence internationale du
Gothard qui s’est tenue en 1869 à Berne,
les frais de construction de la ligne du Go-
thard furent estimés à 187 millions de
francs suisses (ce qui équivaut aujourd’hui à
environ 1,5 milliard). Environ un tiers était
prévu pour le tunnel reliant Göschenen et
Airolo ; les deux autres tiers revenaient aux
tronçons allant d’Immensee à Chiasso. Sur
cette somme totale, 102 millions devaient
être obtenus sur le marché financier inter-
national et 85 millions devaient être appor-
tés sous forme de subventions par l’Alle-
magne (20 millions), l’Italie (45 millions)
et la Suisse (20 millions). Quinze cantons
et trois villes participèrent aux paiements
auxquels la Confédération s’était engagée.
Ils ne purent rassembler que 13 millions de
francs suisses. Il fallut faire appel aux socié-
tés privées des Chemins de fer du Nord-
Est et du Chemin de fer Central suisse, qui
participèrent à hauteur de 7 millions de
francs, soit un tiers de la somme garantie
par la Suisse – en plus du capital d’investis-
sement de 9 millions qu’elles avaient cha-
cune déjà mis à disposition.
Le pourcentage des fonds publics
provenant de la Suisse s’élevait à près de
7% des coûts totaux, mais il faut préciser
que la Confédération n’apporta aucune
aide durant cette phase. Les entreprises
gérées par Alfred Escher, le Crédit
Suisse et les Chemins de fer du Nord-
Est, financèrent, quant à elles, plus de
11%, des coûts.
Des coûts trop élevés
Après 1875, la Société des chemins de fer
du Gothard plongea dans une crise fi-
nancière. Les frais de construction
avaient été estimés trop bas en 1869. Les
raisons étaient multiples : coûts plus
hauts en raison de calculs techniques er-
ronés, salaires et coûts des matériaux plus
élevés, infiltrations dans la galerie et sur
les lignes d’accès, manque d’expérience
en relation avec le granit du Gothard. La
mauvaise humeur régnant entre la direc-
tion générale et l’ingénieur en chef en-
traîna de vilaines querelles publiques :
Escher fut confronté à des diffamations
et à des écrits injurieux. Au final, la ques-
tion des coûts mena à son départ forcé en
tant que président de la direction de la
Société des chemins de fer du Gothard
(1878). Mais avant de signer sa lettre de
démission, il se sentit obligé de désenve-
nimer la problématique complexe des
frais supplémentaires et de procéder à
une restructuration.
Il parvint ainsi à réduire les frais
supplémentaires à 40 millions de francs
suisses. Suite à d’âpres négociations, il
put se procurer 12 millions de francs
suisses sur les marchés financiers interna-
tionaux. L’Allemagne et l’Italie partici-
pèrent également à hauteur de 10 mil-
lions chacune. La Suisse s’engagea à
fournir la somme de 8 millions de francs
(traité d’État de 1878), laquelle devait
être répartie entre les différents cantons
et les deux grandes compagnies ferro-
viaires privées. Mais cette promesse
n’était pas réaliste. Dans ce contexte, le
Conseil fédéral demanda au Parlement
une subvention de 6,5 millions de francs
suisses. Suite à des débats émotionnels et
humiliants pour Escher, un montant de
subvention de 4,5 millions de francs
suisses fut approuvé. Ainsi, la Confédéra-
tion finit elle aussi par participer à la voie
mondiale helvétique inaugurée en 1882,
même si ce ne fut qu’à hauteur d’environ
2% des coûts totaux.
La Nouvelle ligne ferroviaire à tra-
vers les Alpes (NLFA) est en revanche
entièrement financée par les pouvoirs pu-
blics, c’est-à-dire au moyen d’impôts et
de taxes. Selon les indications officielles,
la NLFA, y compris le tunnel de base du
Lötschberg, le tunnel de base du Go-
thard et le tunnel de base du Ceneri,
coûte plus de 23 milliards de francs
suisses. Elle est financée par le « fonds
FTP », qui est alimenté par la redevance
sur le trafic des poids lourds liée aux pres-
tations (RPLP) (60%), l’impôt sur les
huiles minérales (10%) et la taxe sur la
valeur ajoutée (30%).
Texte : Joseph Jung
Joseph Jung est historien, journaliste et directeur
de la Fondation Alfred Escher. Il est l’auteur
de travaux importants sur l’histoire économique
et culturelle de la Suisse, du XIXe siècle à nos
jours. Sa biographie d’Alfred Escher est un best-
seller : « Alfred Escher. Un fondateur de
la Suisse moderne. »
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ans plus tard, il ne fut pas invité non plus
à la grande fête d’inauguration du chemin
de fer à Lucerne, à laquelle furent pourtant
conviés environ 460 dignitaires italiens et
allemands ainsi que quelque 400 Suisses.
A la dernière minute, le président de la
Confédération lui envoya tout de même
une invitation. Mais Escher, déjà très ma-
lade, ne put se rendre à Lucerne. Il lui fut
ainsi épargné de ne pas entendre son nom
cité par le président de la Confédération
ni par aucun autre intervenant. De son
vivant, il n’a jamais traversé le tunnel. Si
Alfred Escher n’a pas non plus obtenu de
remerciements de la part de ses contem-
porains, ses initiatives, ses interventions,
ses projections et son engagement pour le
bien de la Suisse sont désormais considé-
rés sous un tout autre jour. Car il a amorcé
comme nul autre le développement de la
Suisse moderne.
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26 — Bulletin 2 / 2016
E C O N O M I C R E S E A R C H
BÂLE, ZURICH, LUCERNE BELLINZONE
MOINS 42 MIN. 1
LE GOTHARD REMET
LES PENDULES À ZÉRO
Illustration : Crafft
Le rail modèle la Suisse. Ses artères
relient les régions, acheminent biens et
voyageurs et alimentent la population
ainsi que l’économie. Après l’euphorie
de la route des années 1960, le rail
est désormais un axe central du
commerce, du développement
territorial et du tourisme. La
croissance passée d’Olten, ville
du chemin de fer par excellence,
témoigne de son influence.
Dans les agglomérations, de
nouvelles lignes de trains
de banlieue ou de tram ont
fait naître un boom de la
construction encore perceptible.
La NLFA changera-t-elle
la Suisse ? Assurément ! Le service
Economic Research du Credit Suisse
a mis en évidence les gagnants –
économiques – et les éventuels
perdants de la nouvelle ligne dans
une étude exhaustive centrée sur
le transport des marchandises,
l’amélioration de l’accessibilité, le
tourisme journalier, les marchés
immobiliers et les gares d’Altdorf et
Bulletin 2 / 2016 — 27
ECONOMIC RESEARCH
BELLINZONE LUGANO
MOINS 10 MIN. 1
LUGANO LOCARNO
MOINS 29 MIN. 1
de Bellinzone. En marge de la « vue
dégagée sur la Méditerranée », la
NLFA pourrait accélérer la connexion
vers les marchés asiatiques et
contribuer à flexibiliser les marchés
du travail.
En 1882, la ligne du Gothard a réin-
venté la traversée des Alpes. Si
les visionnaires de l’époque ciblaient
déjà les avantages économiques
du tunnel, il était difficile d’en évaluer
tous les effets. Il en va de même
pour la NLFA, qui pourrait permettre
des avancées encore inimaginables.
Credit Suisse Economic Research, équipe de projet : Thomas Rühl (direction), Simon Hurst, Sara Carnazzi Weber, Jan Schüpbach, Tim Maurer
52 minutes de moins entre Zurich
et Lugano
ACCESSIBILITÉ → P. 28
120 000 m2 d’aire industrielle
et artisanaleà la nouvelle gare
cantonale d’Altdorf
ZONE DE
DÉVELOPPEMENT → P. 30
Les logements en propriété 41%
plus chers à Lugano qu’à
Bellinzone. La NLFA reliera les marchés
du logement
MARCHÉ DU LOGEMENT
→ P. 31
40 mio. de tonnes : deux
fois plus de marchandises
chaque année
TRANSPORT DE
MARCHANDISES → P. 32
70 000 CHF le mètre de tunnel
de baseDANS LE TUNNEL → P. 34
3150 m2 de bureaux
et commerces à la gare NLFA de Bellinzone
ZONE DE
DÉVELOPPEMENT → P. 35
260 000 touristes
journaliers de plus
dans la zone d’attraction de Locarno
TOURISME
→ P. 36
42% des employés pourraient
profiter d’une flexibilisation de leur lieu de travail
MARCHÉ DU TRAVAIL
→ P. 37
SOMMAIRE
1 Dès 2020, d’après
les indications
actuelles
ECONOMIC RESEARCH
28 — Bulletin 2 / 2016
En 1775, le géologue britannique Charles Greville
est le premier à franchir le col du Gothard. Le
voyage s’effectue en calèche. À chaque obstacle,
celle-ci est démontée et portée à bout de bras par
78 personnes. En comparaison, la route ouverte
en 1830 est un réel progrès. Cela dit, jusqu’à l’ou-
verture des premiers tunnels alpins à la fin du
XIXe siècle, les chemins vers le sud du pays restent
pénibles, et les échanges économiques timides.
Les connexions bien plus rapides par le rail et la
route transforment la traversée des Alpes – autre-
fois périlleuse – en un saut de puce que l’on ne fait
plus trois fois dans une vie seulement comme
Goethe, mais chaque année, chaque semaine,
voire chaque jour.
La NLFA améliorera l’accessibilité du Tessin
et d’Uri, qui se rapprocheront des grands centres
et verront leurs zones d’attraction s’étendre. Pour
mesurer les effets de la nouvelle ligne en chiffres,
Credit Suisse Research a modélisé l’ensemble des
horaires des transports publics après l’ouverture
des tunnels de base du Gothard et du Ceneri. Sur
la base des 450 millions de connexions entre tous
les kilomètres carrés habités et compte tenu des
trajets préférés, l’institut a calculé les zones d’at-
traction de toutes les localités suisses. L’influence
des agglomérations étrangères a été intégrée
à l’équation.1 L’accessibilité est la somme de
toutes les personnes accessibles, pondérée par la
probabilité qu’elles entreprennent un tel voyage.
TRANSPORTS PUBLICS
LA SUISSE GOMME LES DISTANCES
Les longs trajets sont des grains de sable dans l’économie :
ils freinent les flux de biens et de personnes ainsi que
la collaboration entre les régions. Les sites accessibles ont plus
de chances de se développer.
Bellinzone profite le plus de la NLFA
Mieux accessible, et donc plus attractif : le centre-ville de Lugano.
Photo : Martin Rütschi / Keystone
Bulletin 2 / 2016 — 29
ECONOMIC RESEARCH
Lorsque les entreprises décident où s’établir et les
personnes où vivre, la connexion aux transports
publics est essentielle. Les régions bien acces-
sibles sont plus intéressantes et ont donc de meil-
leures perspectives économiques.
Connexions et développement vont de pairLes agglomérations ont la meilleure accessibilité
ou centralité, tandis que les régions périphériques
et de montagne obtiennent de par leur situation
des valeurs moins élevées. Contrairement aux
transports individuels, l’accessibilité aux trans-
ports publics est ponctuellement plus importante
autour des gares longue distance. L’agglomération
de Zurich est en tête du classement de l’accessibi-
lité, devant Bâle et Berne. En marge des connexions
de transport, la densité de population est essen-
tielle, d’où la valeur assez faible d’Altdorf. La nou-
velle gare cantonale, avec sa connexion directe
vers Zurich, accroît la zone d’attraction des pen-
dulaires d’Altdorf de 13 200 personnes ou 15%.
C’est Bellinzone qui profite le plus de la
NLFA, avec une zone d’attraction en hausse de
33 000 personnes. Le trajet plus rapide vers la ré-
gion de Lugano accroît l’attractivité du district de
Bellinzone pour les pendulaires et devrait intensi-
fier les échanges entre les deux parties du canton.
Les entreprises pourront balayer un territoire plus
grand pour recruter leur personnel, et les deman-
deurs d’emploi auront plus de choix. L’améliora-
tion la plus significative est à Locarno : le trajet
bien plus rapide vers Lugano – sans détour par
Giubiasco – accroît la zone d’attraction de 24% ou
21 000 personnes.
AUTEURS : THOMAS RÜHL ET JAN SCHÜPBACH
1 Autres informations : qualité de la localisation des
cantons et régions suisses. Credit Suisse 2013.
Accessibilité aux transports publics de la population suisse
Indicateur synthétique, km2, variations entre l’horaire 2016
et l’horaire 2020 modélisé
Sou
rces
: se
arch
.ch,
Geo
stat
, Cre
dit S
uiss
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Genève
Lausanne
Neuchâtel
Fribourg
Sion
Berne
Soleure
Delémont
Bâle
Aarau
Zurich
Zoug
Lucerne Glaris
Coire
Chiasso
Frauenfeld
St-Gall
Schaffhouse
élevée
Accessibilité
faible
Tunnel de base du Ceneri
Tunnel de base du Gothard
+23% Bellinzone
+ 33 000 personnes
+ 24% Locarno + 21 000 personnes
+15% Altdorf
+ 13 200 personnes
+8,5% Lugano
+ 23 300 personnes
30 — Bulletin 2 / 2016
ECONOMIC RESEARCH
En 1882, les bâtisseurs de la première
ligne du Gothard n’ont pas voulu faire de
détour par Altdorf. Les voies filaient
donc tout droit de Flüelen à Erstfeld à tra-
vers le fond de la vallée d’Uri. La gare
d’Altdorf a été édifiée au milieu de la
plaine de la Reuss, loin de la commune, au
grand dam de la population. Le rail a néan-
moins attiré entreprises et commerces,
insufflant un élan à Altdorf. L’histoire
pourrait se répéter près de 140 ans plus
tard : dès 2021, l’InterCity Bâle-Lugano,
qui empruntera le tunnel de base du Go-
thard, fera halte toutes les deux heures à
Altdorf. Un InterRegio desservira la gare
chaque heure et, pour les pendulaires,
l’Innerschweizer Sprinter reliera celle-ci à
Zoug et à Zurich matin et soir.
Cette fois, Altdorf attend de pied
ferme la ligne du Gothard : une nouvelle
gare cantonale sera la pierre angulaire du
fond de la vallée, où résident 80% des
Uranais. Le transport par bus sera réorga-
nisé, étoffé et adapté aux nouvelles
connexions. Le canton construit aussi
une grande zone artisanale et industrielle
de 120 000 m2 juste à côté de la ligne.
La surface peu accessible et délaissée
entre le canal de la Reuss, l’autoroute
et les voies devrait donc devenir un pôle
de croissance bien desservi. Selon des
calculs officiels, 1300-1400 places de
travail devraient être créées et 170-260
nouveaux habitants devraient s’installer
aux alentours de la gare. Les pouvoirs pu-
blics et les CFF prendront en charge les
coûts : environ 80 millions de francs, sans
compter le nouveau bâtiment de la gare.
Uri saisit sa chanceGlobalement, le canton affiche une qua-
lité de localisation inférieure à la moyenne.
Une bonne partie de son territoire con-
siste en des régions de montagne : 2%
seulement sont des zones à urbaniser ;
40% de ces dernières sont dédiées à des
infrastructures de transport (routes, au-
toroutes, chemin de fer), pour beaucoup
des voies de circulation nationales. Les
possibilités d’augmenter l’attractivité
sont de ce fait très limitées. Un aména-
gement global du territoire et une meil-
leure accessibilité dans le canton (l’ob-
jectif d’Uri) sont d’autant plus importants.
Avec son nouveau quartier industriel, Uri
utilise sa dernière grande réserve de ter-
rains connexes pour amener à Altdorf en-
treprises, places de travail et recettes
fiscales.
Les 1300 places de travail visées
équivalent à 10% de l’emploi actuel à Uri.
Et si le « pôle de développement du fond
de la vallée d’Uri » s’articule sur plusieurs
décennies, l’optimisme est de mise. Le
nombre d’employés dans le canton est en
recul, mais un retournement de la ten-
dance est possible. La croissance démo-
graphique attendue de 170 à 260 habi-
tants à Altdorf semble réaliste. Avec
l’InterCity, la commune gagne aussi en
attractivité pour les pendulaires.
Malgré tout, le « boom du Gothard »
sera moins marqué que la dernière fois :
en 1882, la ligne avait été une alternative
de choix aux chemins muletiers et aux
sentiers caillouteux. Aujourd’hui, un axe
routier et ferroviaire bien fréquenté tra-
versant le canton existe déjà. Néan-
moins, grâce au nouveau concept de
transport et à de meilleures connexions,
le fond de la vallée se rapproche lui aussi
des centres économiques du Mittelland.
Et en sa qualité de membre de l’organisa-
tion de promotion de la Greater Zurich
Area, Uri appartient depuis 2016, virtuel-
lement du moins, à l’espace économique
zurichois.
AUTEUR : SIMON HURST
ALTDORF, ZONE DE DÉVELOPPEMENT
L’HISTOIRE SE RÉPÉTERA-T-ELLE ?
La gare d’Altdorf connectera Uri à la NLFA.
Gros plan sur ce que le canton gagnera (ou pas) avec la nouvelle ligne.
Étude préliminaire de la gare d’Altdorf, qui devrait être inaugurée en 2021.
Illustration : Germann & Achermann AG
Bulletin 2 / 2016 — 31
ECONOMIC RESEARCH
MARCHÉ IMMOBILIER
VIVRE À BELLINZONE, TRAVAILLER À LUGANO
Le tunnel de base du Ceneri reliera les marchés
tessinois de la location et de la propriété.
Au Tessin, les prix de la propriété du logement
suivent la tendance suisse avec une progression
de 76% en moyenne depuis l’an 2000. La région de
Lugano caracole en tête des chiffres du canton
avec une hausse de 96%, loin devant celles de
Bellinzone (+68%) et des Tre Valli (+32%). Comme
la demande d’un bien immobilier dépend, entre
autres, fortement de son accessibilité, la NLFA
aura des répercussions sur le marché du logement
tessinois.
Bellinzone gagne en attractivitéAssocié aux nouvelles technologies et à la flexibi-
lisation des contrats de travail, le gain de temps
permis par le tunnel de base du Gothard pourrait
consolider la position du Tessin comme lieu de ré-
sidence principale (cf. page 37). L’influence sur
les prix des logements devrait n’être que margi-
nale. Le tunnel de base du Ceneri (le tronçon sud
de la NLFA) devrait jouer un rôle majeur pour le
marché tessinois des résidences principales. Avec
des coûts de logement bien moindres à Bellinzone
et un trajet réduit à douze minutes entre les deux
villes, il sera plus intéressant de vivre à Bellinzone
et de travailler à Lugano.
Aujourd’hui, le mètre carré en location est en
moyenne 17% plus cher à Lugano qu’à Bellinzone.
Cet écart est même de 41% lorsqu’on parle de la
propriété. Ces chiffres pourraient évoluer à l’ou-
verture du tunnel de base du Ceneri en 2020.
Ainsi, les locataires et propriétaires qui ont quitté
Lugano pour son agglomération du fait des prix
élevés devraient à l’avenir toujours plus opter pour
Bellinzone, un lieu de résidence qui aura donc le
vent en poupe dans le sillage de la NLFA.
Le tunnel de base du Gothard ne devrait pas boule
verser le marché des résidences secondaires. Le
potentiel de demande supplémentaire est limité ;
pour les excursions comme pour les vacances, les
transports publics ne sont utilisés que dans 19%
des cas, selon l’Office fédéral de la statistique.
Les résidences secondaires dans les hauteurs ou
dans les vallées latérales, notamment, sont sou-
vent difficilement accessibles en train ou en bus
– les transports publics sont donc encore moins
privilégiés dans ces cas.
À long terme toutefois, des véhicules auto-
nomes pourraient parcourir plus efficacement les
petites distances entre gares centrales et résiden-
ces. Les transports publics seraient donc plus sé-
duisants pour les propriétaires de résidences se-
condaires. En plus du potentiel de demande limité,
l’initiative sur les résidences secondaires freine la
construction : les communes attrayantes du Tes-
sin comptent une part si élevée de résidences se-
condaires qu’il n’est plus autorisé de construire.
Lugano et Bellinzone sont l’exception : le taux
critique n’y a pas encore été atteint et la meilleure
accessibilité devrait un peu tirer vers le haut la
demande en résidences secondaires.
AUTEUR : TIM MAURER
Bellinzone : hausse attendue de la demande en logements.
Il est plus cher de vivre à Lugano qu’à Bellinzone :
+41% logements en propriété
+17% en location
Photo : fotoember / fotolia
Sou
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: « W
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er »
32 — Bulletin 2 / 2016
ECONOMIC RESEARCH
Lenteur, lourdeur, complexité: c’est en ces termes
peu flatteurs que le Conseil fédéral évoquait en
1990 les passages alpins suisses dans son mes-
sage sur la Nouvelle ligne ferroviaire à travers les
Alpes (NLFA). Au vu du flux de marchandises en
hausse, la Suisse devait défendre activement sa
position en matière de politique des transports en
Europe et présenter un gage pour négocier avec
l’UE (à l’époque CE). Le projet de la NLFA a donc
été lancé pour transporter des biens. Une ligne de
plaine moderne par les Alpes devait gérer le tran-
sit en hausse et consolider les parts de marché à
la baisse du rail.
Entre 1980 et 2014, la quantité de biens
transportés par route et rail via les Alpes a doublé
(de 50 à 100 millions de tonnes). Quatre tonnes
sur dix sont acheminées par des passages alpins
suisses ; les six autres sont réparties entre l’Au-
triche et la France.
Contrairement à ce qui se passe dans les
pays voisins, la position du rail est solide en
Suisse, à la faveur de sa politique de transfert
ancrée dans la loi. De ce fait, près de 70% des biens
qui transitent par les Alpes dans le pays sont trans-
portés en train (Autriche : 30%, France : 15%).
Les flux transalpins de marchandises par la Suisse
sont avant tout à mettre au crédit du commerce
entre l’Allemagne et l’Italie (40%), suivi du couple
commercial Benelux-Italie (30%). Ce n’est qu’en
troisième position que l’on retrouve les échanges
entre la Suisse alémanique et le Tessin (12%).
Le transfert du transport des marchandises
de la route au rail se poursuit : en 2000, environ
1,4 million de camions empruntaient les routes al-
pines suisses chaque année, contre 1 million au-
jourd’hui (–28%). Un chiffre d’autant plus remar-
quable que, dans le même temps, le volume des
biens acheminés par les Alpes suisses a progressé
de 32%. Cette réduction s’explique également par
l’autorisation de circuler des camions jusqu’à
40 tonnes (contre 28 auparavant) en vigueur de-
puis 2001, et par l’introduction d’une redevance
sur le trafic des poids lourds liée aux prestations
(RPLP). Malgré tout, l’objectif de transfert pour
2018 ne sera pas atteint, du propre aveu du Con-
seil fédéral. La loi vise 650 000 trajets par an.
Qu’apporte la NLFA ?Une question se pose, celle de l’influence des
chantiers actuels sur ce transfert. En 2020, la
ligne de plaine transalpine sera une réalité : entre
Rotterdam et Gênes, grâce aux tunnels de base du
Gothard et du Ceneri, les trains n’auront plus
de grand dénivelé à franchir. Le point culminant
du trajet aura une altitude de 550 m – comme
la ville de Berne. Pour le transport de biens, les
avantages sont évidents : des trains plus chargés,
TRANSPORT DE MARCHANDISES
UNE LIGNE POUR LE COMMERCE
La NLFA a été conçue pour transporter des marchandises.
Près de trente ans après le début du projet, la nouvelle ligne contribuera bien
au transfert de la route au rail, mais pas autant que prévu.
moins de locomotives et de personnel, des trajets
plus courts, moins d’énergie consommée. Mais
des restrictions demeurent. La NLFA ne donnera
sa pleine mesure que lorsque le tronçon entre Bâle
et les terminaux conteneurs du nord de l’Italie se-
ront praticables en continu pour des trains plus
longs et plus hauts. Il faudra pour ce faire aména-
ger une galerie de quatre mètres de hauteur.
Selon les prévisions officielles, les nouveaux
tunnels de base réduiront le trafic des poids lourds
de 240 000 trajets d’ici à 2030 (comparé à un
scénario sans la NLFA). Mais comme le transport
de biens progresse globalement, ce nombre devrait
néanmoins augmenter à long terme par rapport
Des marchandises ou des voyageurs, qui a la priorité ?
Photo : © SBB CFF FFS
Bulletin 2 / 2016 — 33
ECONOMIC RESEARCH
à aujourd’hui. Il faudra attendre la modernisation
complète du corridor entre Gênes et le nord pour
que le potentiel du rail s’exprime pleinement. Diffi-
cile de dire à quel point il sera utilisé. De nombreux
facteurs entrent en jeu, tels que la qualité d’amé-
nagement en Italie et en Allemagne ou la gestion
des créneaux sur toute la ligne (qui a la priorité, les
trains de marchandises ou de voyageurs ?).
Des obstacles demeurentLa capacité limitée des voies d’accès en Italie
mine l’efficacité de la NLFA. Fort de ce constat,
Berne a débloqué un crédit de 300 millions de
francs (convertis) pour des projets de développe-
ment avec le pays transalpin. À l’heure actuelle, le
franc fort plombe aussi les logisticiens du rail :
leurs coûts sont en francs, mais leurs recettes en
euros. Et les prix peu élevés du diesel réduisent
l’attractivité du rail par rapport à la route.
Le transport des marchandises par rail fait
aussi face à des obstacles. Le réseau suisse a la
plus forte densité au monde. Et si les trains de
voyageurs circulent jusqu’à 200 km/h dans le tun-
nel de base du Gothard, les trains de marchandi-
ses sont limités à 100 km/h environ. Plus les
différences de vitesse sont importantes dans le
tunnel, plus la distance requise entre les trains
doit être élevée pour empêcher que les deux con-
vois ne se rejoignent. Selon le concept d’exploita-
tion, six trains de marchandises et deux de voya-
geurs peuvent circuler chaque heure et dans
chaque direction. Les trains de marchandises sont
donc réunis sur des voies d’évitement devant les
portails, puis éclusés conjointement entre les
trains de voyageurs qui circulent toutes les de-
mi-heures.
Objectif pas totalement atteint, mais nécessaire L’augmentation des volumes de biens transportés
devrait aussi être renforcée par l’attrait en hausse
des ports du nord de l’Italie, qui comptaient
peu jusqu’ici dans le commerce entre l’Europe et
l’Extrême-Orient en raison des capacités des
ports du nord. Cela dit, Rotterdam, Hambourg et
Anvers étant de plus en plus surchargés, et compte
tenu de l’ouverture de la NLFA, les investisse-
ments dans les infrastructures portuaires et de
transport ont fortement augmenté en Italie.
Conclusion : de plus en plus de biens transi-
teront par les Alpes, mais la route ne sera pas
décongestionnée autant que prévu à l’origine.
Cependant, sans la NLFA, il est clair que bientôt
plus personne ou presque ne prendrait de son
plein gré le chemin du Tessin par la route, car les
bouchons de camions s’étireraient de Bâle à
Lugano.
AUTEUR : SIMON HURST
Principales connexions (volumes)
Flux de marchandises, en millions de tonnes (2014),
par connexion (route et rail)
Route et rail (volumes)
En millions de tonnes
Scandinavie–Italie 0,5
0
10
20
30
40 Route Rail
Sou
rce
: OF
T, O
FRO
U, O
FS
20151980 1990 2000
* Une grande partie du commerce avec l’Extrême-Orient passe par les ports de Rotterdam, Hambourg et Anvers.
France–Italie 2
R.-U.–Italie 1
Transport transalpin de marchandises par la Suisse
Sou
rces
: O
FT,
CA
FT
Autres 5
Allemagne*– Italie
15
Benelux*– Italie 11
Suisse du Nord–Italie
5
Route (trajets)
En milliers de camions
0
400
800
1200 Tous les passages des Alpes
Gothard
Sou
rces
: O
FT,
OFR
OU
, OFS
1981 1991 2001 2015
1600
Objectif de transfert de 650 000 camions dès 2018
34 — Bulletin 2 / 2016
ECONOMIC RESEARCH
CONSTRUCTION DE TUNNELS
TRAVERSER LES MONTAGNESSi la construction de tunnels est une spécialité suisse, l’intérêt économique
de ces chantiers onéreux n’est pas toujours évident.
Jusqu’à la moitié du XXe siècle, les tunnels percés
en Suisse étaient presque tous ferroviaires. Puis,
dès 1980, le développement des autoroutes s’est
traduit par des centaines de kilomètres de tunnels
routiers. Avec la NLFA, les tunnels ferroviaires
sont à nouveau à l’ordre du jour : entre 2000 et
2020, la longueur totale des galeries passera de
400 à 800 km environ.
Les tunnels sont parmi les chantiers les plus
coûteux : 70 000 francs par mètre environ pour le
tunnel de base du Gothard, si l’on répartit les
10 milliards de francs d’investissements entre les
153 km de galeries (y c. les galeries transversales
et de raccordement). Quel est l’intérêt de cette
connexion directe à travers la montagne ? Sou-
vent, il s’agit de promouvoir des régions isolées,
comme avec le tunnel de base de la Furka (1982),
entre Oberwald (VS) et Realp (UR) ou le tunnel de
la Vereina (1999) entre Klosters et Sagliains (GR),
lequel devait doper l’économie et le tourisme
d’une région moins développée. Avec le tunnel du
Grimsel, le prochain projet ferroviaire est déjà sur
les rails : trois galeries d’un total de 22 km de-
vraient relier Oberwald et Innertkirchen (BE).
Si le tunnel de la Vereina a bien fait augmen-
ter le nombre de nuitées en Basse-Engadine, au-
cun effet direct n’a été observé sur le reste de
l’économie, car l’accessibilité est un facteur d’im-
plantation, mais ce n’est pas le seul.
Apprendre du LötschbergDifficile de comparer le tunnel de base du Gothard
avec les autres chantiers : il n’a pas été conçu
comme alternative à une route de montagne me-
nacée par les avalanches, mais pour déconges-
tionner un axe de transit très fréquenté. Afin
d’évaluer les retombées sur les régions environ-
nantes, nous nous pencherons sur le cas similaire
du tunnel de base du Lötschberg (le deuxième
axe de la NLFA) inauguré en 2007 entre Frutigen
(BE) et Rarogne (VS). Grâce à ce tunnel de base,
le Valais s’est rapproché des centres du Mittel-
land. C’est d’ailleurs la partie sud du canton qui
a surtout bénéficié des retombées : des trajets
raccourcis de trente à soixante minutes per-
mettent par exemple de vivre à Brigue et de tra-
vailler à Berne.
Le trafic de loisirs a encore plus augmenté, à
l’image du nombre de touristes visitant le Valais le
temps d’une ou de plusieurs journées. Pour déter-
miner à quel point cette évolution est à imputer au
tunnel, des usagers du tunnel de base du Lötsch-
berg ont été interrogés. Deux sur trois ont ré-
pondu qu’ils utiliseraient la route de montagne
existante plutôt que le nouveau tunnel de base.
Et quid des régions le long de la route de
montagne ? Reportons-nous une fois encore à
l’exemple du Lötschberg : dans le Kandertal et le
Lötschental, où l’on redoutait un recul du tou-
risme, les chiffres liés aux nuitées et à la popula-
tion sont restés constants après l’ouverture. Au
sud du Gothard, la Léventine craint pour son po-
tentiel, tandis qu’Uri espère davantage de tou-
ristes du sud. Aucun bouleversement n’est at-
tendu au Gothard. Avant même la NLFA et en
dépit de leur situation sur un axe nord-sud très
fréquenté, les régions des deux côtés du tunnel
n’étaient pas précisément florissantes. Les
grandes tendances de ces dernières décennies –
émigration vers les centres régionaux, vieillisse-
ment démographique, emploi en baisse – de-
vraient compter au moins autant pour le futur de
ces régions que le tunnel de base.
La qualité du réseau des transports suisses
étant déjà supérieure à la moyenne, l’effet des
optimisations et des transformations n’est évi-
demment pas aussi important que si le niveau
était bas.
AUTEUR : SIMON HURST
Sou
rce
: Gro
upe
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ialis
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ur
les
trav
aux
sout
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Longueur des tunnels en Suisse
Longueur totale des galeries, en km
0
250
500
750
1000
1930-1969 1970-20191890-19291850-1889
Tunnel ferroviaire Tunnel routier
Bulletin 2 / 2016 — 35
ECONOMIC RESEARCH
Au tournant du XXe siècle, le chemin de
fer du Gothard a eu l’effet d’un boom à
Bellinzone. Le rail a généré la plupart des
postes de travail, et les ateliers sont vite
devenus le principal employeur de la ré-
gion – ils le sont toujours, avec l’adminis-
tration cantonale. Bien d’autres entre-
prises ont profité de leur emplacement
sur cet axe nord-sud. Par la même occa-
sion, le Tessin s’est ouvert au tourisme.
La population de Bellinzone a rapidement
augmenté.
Rien ne prédisposait la ville à deve-
nir un point de jonction de la NLFA plus
d’un siècle plus tard. À l’origine, les trains
de la nouvelle ligne devaient contourner
par l’ouest le chef-lieu du Tessin grâce à
un autre tunnel – pour notamment pré-
server du bruit cette région peuplée. Une
nouvelle gare devait servir d’arrêt à la
NLFA à Camorino, un point de jonction au
sud-est de la ville à l’entrée nord du tun-
nel de base du Ceneri, là où convergent
les routes vers Lugano, Locarno et Bellin-
zone. Contre la volonté du Tessin, ce pro-
jet de contournement a été abandonné.
Pour les voyageurs arrivant du nord, Bel-
linzone sera désormais le premier arrêt à
la sortie du tunnel de base du Gothard.
Pour le tourisme, le nouveau tunnel aura
une influence la journée et le week-end.
Pour les pendulaires, les centres écono-
miques de Suisse alémanique restent trop
éloignés, même si les durées des trajets
sont bien raccourcies. Le fond de la vallée
d’Uri et Bellinzone sont eux des centres
isolés et trop petits pour que le tunnel
puisse leur permettre de devenir une ré-
gion économique.
Il en va tout autrement au sein même
du Tessin : à l’instar des autres régions du
nord du canton, la qualité de la localisation
de Bellinzone est inférieure à la moyenne,
car l’accessibilité, la main-d’œuvre haute-
ment qualifiée et l’attractivité fiscale pour
les entreprises sont notamment relati-
vement limitées. La nouvelle liaison ferro-
viaire y remédiera, puisque le tunnel de
base augmentera l’accessibilité vers le
nord et surtout vers le sud.
Deux fois plus d’usagers ?Dès 2020, le trajet Bellinzone–Lugano
sera réduit à douze minutes grâce au tun-
nel de base du Ceneri. La NLFA aura ainsi
des retombées concrètes importantes au
Tessin : ce tunnel ne sera pas qu’une
connexion de transit entre deux régions ;
il contribuera aussi à la mise en relation
des espaces économiques du nord et du
sud du Tessin.
C’est avec une zone de la gare tota-
lement rénovée que Bellinzone deviendra
une porte d’entrée sur le sud. Des quais
plus longs et une voie supplémentaire
étofferont les capacités, tandis qu’un bâti-
ment moderne accueillera magasins et bu-
reaux. Cette nouvelle gare doit permettre
à la NLFA de doubler le nombre d’usagers
en dix ans – tel est l’espoir de Bellinzone.
Une importante gare routière et plusieurs
nouvelles connexions de transport urbain
devraient suivre. À lui seul, le bâtiment
de la gare coûte 36 millions de francs. La
ville veut aussi mettre en valeur ses sites
touristiques et attirer ainsi de nouveaux
touristes. Bellinzone veut également se
réorganiser politiquement : la fusion avec
seize communes périurbaines pour former
une ville de 50 000 habitants a passé les
premiers obstacles politiques.
La dynamique économique pourrait
ainsi s’épanouir au Tessin et à Bellinzone
ces prochaines années. Après celle de Lu-
gano, la région affiche déjà la deuxième
croissance démographique du canton, et la
tendance se poursuivra dès que Bellinzone
sera un point de jonction de la NLFA.
AUTEUR : SIMON HURST
BELLINZONE, ZONE DE DÉVELOPPEMENT
NOUVELLE PORTE SUR LE TESSINLes infrastructures de transport rapprochent Bellinzone de la Suisse alémanique.
Mais c’est pour le cœur du Tessin que la NLFA aura un impact plus marqué.
La nouvelle gare de Bellinzone, qui sera inaugurée en 2016 (visualisation).
Image : © SBB CFF FFS
36 — Bulletin 2 / 2016
ECONOMIC RESEARCH
TOURISME
UNE JOURNÉE AU SOLEILLe Tessin va accueillir davantage de touristes journaliers.
Si l’hôtellerie s’adapte à cette nouvelle donne, elle pourra,
elle aussi, tirer parti de la situation.
Au sud des Alpes, le soleil brille en moyenne une
fois et demie plus souvent qu’au nord. Plombés par
le brouillard, les Suisses alémaniques font volon-
tiers du chemin pour s’offrir des excursions d’une
journée – et le Tessin a évidemment plus à offrir
que du soleil. Pour ces touristes, le temps du trajet
est déterminant : à partir d’une certaine durée, des
visites sans nuit à l’hôtel ne valent plus la peine.
Selon l’Office fédéral de la statistique, 47%
des excursions journalières vont de pair avec un
aller-retour d’une heure maximum. De même,
seuls 8% des voyageurs journaliers sont prêts à
faire des trajets de 2h41 (la durée actuelle d’un
Zurich–Lugano). Avec la NLFA, ce voyage passera
à 1h49 environ, et le Tessin devient ainsi bien plus
séduisant pour des excursions spontanées : 25%
des touristes journaliers envisageraient de telles
durées de voyage. Grâce à la nouvelle ligne, la
zone d’attraction de Bellinzone s’enrichit de
380 000 touristes journaliers helvétiques poten-
tiels. Tournée vers le tourisme, Locarno peut ga-
gner 260 000 Suisses supplémentaires attirés par
cette destination et Lugano 315 000.
La NLFA devrait donc doper le tourisme
journalier dans le Tessin. Pour la restauration, cela
signifiera surtout davantage de repas de midi, tan-
dis que des attractions telles que le musée des
fossiles du Monte San Giorgio verront leur af-
fluen ce augmenter. L’avantage temporel du rail
sur la route (sujette aux bouchons) pourrait en
outre amener les visiteurs du nord à davantage
opter pour le train.
Plus vite dans les deux sensPour l’hôtellerie, les perspectives sont moins
claires : si les hôtes arrivent plus rapidement sur
place, ils rentrent aussi plus vite chez eux. Les
Suisses alémaniques (le principal groupe de tou-
ristes dans le Tessin) pourraient, par exemple,
visiter le nouveau centre culturel LAC à Lugano
puis repartir. Néanmoins, les trajets dans la plu-
part des agglomérations au nord du Gothard ne
sont pas courts au point que la majorité d’entre
eux renonce à des nuitées. Le service Economic
Research du Credit Suisse ne table donc pas sur
un recul du nombre total de nuitées. De fait, le
tunnel de base du Lötschberg n’a pas eu d’effet de
ce type sur les retours. Si les hôteliers tessinois
saisissent leur chance et axent leurs offres sur les
utilisateurs de la NLFA, les tunnels de base pour-
raient tout à fait leur insuffler un nouvel élan.
Pour les destinations touristiques d’Uri et
de la Léventine, peu de changements à signaler : la
connexion par l’ancienne ligne du Gothard est
maintenue. Elle pourrait même devenir une attrac-
tion touristique: CFF Historic souhaite en effet
mettre en scène et en valeur la locomotive « cro-
codile » et d’autres légendes du Gothard.
AUTEURS : THOMAS RÜHL ET JAN SCHÜPBACH
Élargissement des zones d’attraction touristiques
par km2, transports publics, variations entre l’horaire 2016
et l’horaire 2020 modélisé
Chiasso
Tunnel de base du Saint-Gothard
Lugano
Altdorf
Stans
Sarnen
Locarno
Coire
Bellinzone
0
Touristes journaliers dans la zone d’attraction en hausse de
380 000180 000 Sou
rces
: se
arch
.ch,
Geo
stat
, Cre
dit S
uiss
e
Tunnel de base du Ceneri
Bulletin 2 / 2016 — 37
ECONOMIC RESEARCH
MARCHÉ DU TRAVAIL
NLFA ET FLEXIBILITÉ DU TRAVAILAu quotidien, il faut toujours moins être présent physiquement au travail :
de nouvelles technologies ont révolutionné la façon de travailler.
Et meilleure accessibilité rime avec nouvelles opportunités.
Le monde du travail évolue : de nouvelles technolo-
gies de l’information et de la communication, des
habitudes de vie en pleine évolution et une part en
hausse des métiers axés sur les connaissances ont
fait apparaître toute une palette de formes de tra-
vail flexibles. Près de 50% des personnes actives en
Suisse recourent déjà à certaines formes de travail
modernes (travailleurs indépendants, à temps par-
tiel, temporaires) ; au sein de l’OCDE, seuls les
Pays-Bas affichent une valeur plus élevée. De plus,
23% des salariés suisses saisissent dès aujourd’hui
l’occasion de travailler en partie depuis chez eux. La
surcharge du trafic routier et des transports publics
consécutive à des hausses des mouvements de
pendulaires renforce cette évolution. De même, la
part de parents actifs progresse. Pour eux, concilier
emploi et famille dans un foyer et un lieu de travail
séparés est un défi clé.
Dans ce contexte, la meilleure accessibilité
sur l’axe nord-sud offre de nouvelles options aux
régions concernées. Si le travail est possible où
que ce soit, les régions périphériques peuvent,
elles aussi, se positionner comme des zones rési-
dentielles de qualité. Les collaborateurs en mesure
d’exercer une partie de leur activité depuis chez
eux ou un site proche peuvent renoncer à démé-
nager dans la région de leur emploi ou doivent
moins souvent jouer les pendulaires – mais, en
contrepartie, sur de plus longues distances.
Ainsi, ces dix dernières années, 400 per-
sonnes environ ont quitté le Tessin pour la région
de Zurich-Zoug : dans 55% des cas, il s’agissait de
main-d’œuvre hautement qualifiée avec une for-
mation tertiaire, surtout active dans la finance, les
services aux entreprises, le commerce, les trans-
ports ou les services publics. La majorité des
1500 pendulaires tessinois de la région de Zurich-
Zoug se retrouve aussi dans ces branches, même
si 54% ne retournent pas tous les jours de la
semaine dans leur canton de domicile.
Dans une région, le potentiel d’un travail géo-
graphiquement flexible augmente proportionnelle-
ment avec la part des salariés du secteur de la
connaissance, lequel inclut surtout des emplois de
bureau classiques et des services modernes. Mais
le potentiel de l’industrie ne doit pas être négligé.
Les services proches de la production – analyses
des besoins, services à distance, exploitation com-
plète d’installations pour le client – progressent.
Une analyse de la structure des employés selon les
caractéristiques de leur emploi nous révèle que
41,8% des employés en Suisse pourraient à l’avenir
profiter d’une flexibilisation des horaires et du lieu
de travail (42,3% pour le Tessin et 34,5% pour Uri).
La flexibilisation du travail se poursuit, également
à la faveur de l’encombrement croissant des cent-
res et d’une conscience en hausse pour l’environ-
nement et le numérique.
Le monde du travail du futur pourrait être
fortement fragmenté et constitué de quantité
de réseaux et de petits prestataires hautement
spécia lisés offrant leurs services projet par projet.
Les entreprises ne conserveront, quant à elles, que
leurs fonctions principales.
AUTEUR : SARA CARNAZZI WEBER
Évolution du monde du travail
23% des salariés
suisses travaillent
parfois depuis
chez eux.
42% des salariés suisses
pourront profiter
d’une flexibilisation
de leur travail à
l’avenir(Uri: 35%; Tessin 42%).
La vision d’un monde du
travail atomisé :
Salariés Groupes de travail
Réseaux Entreprises
38 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
Des milliers d’ouvriers et de spécialistes, des millions de tonnes de pierre…
Le tunnel de base du Saint-Gothard (TBG) est le fruit d’une
collaboration complexe. Six entrepreneurs nous parlent des temps
forts et des défis de ce projet pharaonique.
Par Simon Brunner (interviews) et Anne Morgenstern (photos)
Histoires des profondeurs
STRABAG AG SCHWEIZ
PORTRAIT : Le groupe technologique
Strabag est l’un des leaders européens
de la construction (chiffre d’affaires :
14 milliards d’euros/73 300 colla-
borateurs). Strabag Schweiz opère dans la
planification et l’exécution de travaux
de construction, tous domaines confondus.
SIÈGE : Schlieren
CRÉATION : 1835
EFFECTIF : 1350 (Suisse)
Quelle a été votre contribution au TBG ?
La Strabag AG Österreich et la Strabag
AG Tunnelbau Schweiz ont remporté
les lots d’Amsteg et d’Erstfeld de l’appel
d’offres. Nous avons donc réalisé
toute la partie nord du TBG. Volume de
la commande : 1100 millions de francs.
Quelles différences entre un tunnel et
d’autres constructions ?
Comme le dit un vieil adage de mineurs,
les pioches avancent sur l’obscurité.
La construction d’un tunnel compte
parmi les projets les plus complexes
et les plus risqués.
Des pierres d’achoppement ?
D’après un autre dicton, la montagne est
plus forte que tout. Alors que sur
le lot d’Erstfeld, nous avons battu le
record journalier du TBG à une vitesse
de percement de plus de 56 mètres,
STRABAG AG SCHWEIZ, Peter Murer
Bulletin 2 / 2016 — 39
— Gottardo —
GROUPE ELKUCH, Günther Elkuch
40 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
le même tunnelier est resté enseveli à
Amsteg. Il a suffi d’un mètre pour que les
conditions géologiques passent d’un
gneiss solide à des cailloutis, qui se sont
déversés comme une coulée de boue dans
le tunnel, bloquant notre tête de forage.
Malgré ses 5000 CV, la machine a été
immobilisée. Avec de l’inventivité, du
savoir-faire et beaucoup d’huile de coude,
l’équipe l’a libérée de sa cage de pierre
au bout de six mois.
Réponses de Peter Murer,
président du conseil d’administration
GROUPE ELKUCH
PORTRAIT : Le groupe réunit sept
sociétés dans le domaine de la tôle.
Elkuch Bator AG fabrique des portes
industrielles et coupe-feu et a tenu
un rôle clé pour le TBG.
SIÈGE : Bendern, LI (groupe)/
Herzogenbuchsee (Bator AG)
CRÉATION : 1949
EFFECTIF : >350
Quelle a été votre contribution au TBG ?
Nous avons installé environ 750 portes et
portails, dont 353 portes reliant les deux
tubes principaux tous les 320 mètres, ainsi
que 24 portes aux stations de secours et
4 portes de 22 tonnes et quelque 68 m de
haut dans les zones de changement de voie.
Quelles différences avec d’autres mandats ?
Nous avons souvent fait œuvre de
pionniers, car il n’y avait ni standards ni
normes pour les lignes à grande vitesse
dans les tunnels. Dans un tunnel par
exemple, un train se comporte comme une
cartouche dans le canon d’un fusil ; il
exerce une pression brève et énorme qui
va et vient par vagues. Si plusieurs
trains circulent, ces vagues de pression
se superposent – une charge extrême
pour l’infrastructure. Il nous a d’abord
fallu identifier ce qui influe sur la
durée de vie des différents éléments.
Qu’est-ce qui vous a marqué ?
Les mineurs. Ils passent quasiment la
journée dans l’obscurité, dans une chaleur
étouffante et forment une communauté
soudée d’individualistes à l’esprit
d’équipe. Les jalons tels que la dernière
« traverse d’or » ont été allègrement
célébrés. Fascinés par ce rituel, nous avons
décidé de fêter nous aussi une étape :
l’installation du dernier battant « d’or »,
un geste simple mais fort, qui a eu
un écho retentissant.
Réponses de Günther Elkuch,
président du conseil d’administration
REX ARTICOLI TECNICI SA
PORTRAIT : Développement et
fabrication de produits techniques en
caoutchouc et thermoplastique
SIÈGE : Mendrisio
CRÉATION : 1935
EFFECTIF : >100
Quelle a été votre contribution au TBG ?
Nous avons fabriqué et livré les
380 000 sabots en caoutchouc des
traverses sur lesquels les rails sont posés.
La voie sans ballast du TBG est très
spéciale : elle est dépourvue des pierres
habituellement présentes entre les
voies – pour une maintenance minimale.
Quelle a été l ’importance de ce mandat
pour vous ?
Cette mission a été la plus importante
jamais exécutée par l’entreprise en
80 ans d’activité et se chiffre à plus de
4,5 millions de francs. Fait notable,
nos instructions tenaient sur quelques
pages, alors que l’on aurait pu écrire
des romans avec les descriptifs de missions
comparables à l’étranger.
Quelle était l ’ambiance sur le chantier ?
L’organisation n’a eu de cesse
de nous surprendre. Tous ont montré
un engagement sans limites,
dans une atmosphère de travail
que je n’avais encore jamais
vue – et les machines d’assemblage
construites pour l’occasion étaient
tout simplement incroyables.
Réponses de Marco Favini,
président du conseil d’administration
AGIR AGGREGAT AG (AAA)
PORTRAIT : AAA compte parmi
les plus grands prestataires
de systèmes logistiques pour les gros
chantiers
SIÈGE : Gurtnellen
CRÉATION : 1967
EFFECTIF : 350
Quelle a été votre contribution au TBG ?
Nous avons évacué du tunnel ou transformé
en granulats pour béton 20,1 millions
de tonnes, soit près de 80% des matériaux
comme la roche ou les eaux usées, pour
un contrat à hauteur de 380 millions de
francs.
Votre anecdote préférée ?
Un petit problème linguistique, comme
cela peut arriver sur un chantier :
nous voulions disposer six conteneurs
et demandions l’accord de la direction
du chantier. Mais la collaboratrice
allemande n’a pas compris notre « säggs
Container » (six conteneurs, en suisse
alémanique) et a entendu « sex container ».
Comme vous l’imaginez, elle s’est
énervée, il était hors de question de
placer ce genre de conteneurs sur
le chantier. Mais nous ne comprenions
pas en quoi ils posaient problème.
Il nous a fallu un long moment pour
dissiper ce malentendu.
Quel a été votre plus grand défi ?
Éviter les accidents, voire les décès.
Tout accident ébranle nécessairement
un gros chantier où tout le monde
s’est déjà rencontré à un moment ou
à un autre. C’est pourquoi la
Sainte-Barbe, le 4 décembre, a une
grande importance pour les
personnes mobilisées, même si
la plupart ne sont pas religieuses.
Réponses d’Andreas Meyer,
gérant
Bulletin 2 / 2016 — 41
— Gottardo —
AGIR AGGREGAT AG (AAA), Andreas Meyer
42 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
TENCONI SA
PORTRAIT : Construction métallique
et mécanique dans le secteur ferroviaire
SIÈGE : Airolo
CRÉATION : 1871
EFFECTIF : 130
Quelle a été votre contribution au TBG ?
Côté sud, nous avons notamment fabriqué
les pièces mécaniques des tunneliers
ou réparé les pièces défectueuses, confec-
tionné les pièces d’usure, construit les
appareils de forage, soudé les structures en
acier, monté les murs de séparation pour
la ventilation.
De quoi êtes-vous le plus fier ?
Tenconi a été très appréciée pour
sa simplicité, sa fiabilité, son respect
des délais et la qualité des travaux
exécutés – et surtout pour sa polyvalence.
Nous avons été appelés un nombre
incalculable de fois dans les tunnels pour
discuter des problèmes survenus. Et nous
avons été invités à toutes les fêtes, pour
notre plus grand plaisir.
En quoi votre société est-elle liée
au tunnel du Gothard ?
La fondation de Tenconi SA Airolo
coïncide avec le début des travaux
du premier tunnel ferroviaire du Gothard.
Les frères Tenconi, alors maréchaux-
ferrants et charrons, avaient eu vent de
ce projet de construction et avaient
quitté la Ligurie pour Airolo, où le travail
ne manquait apparemment pas.
Réponses de Fabrizio Lucchini,
directeur des ventes
WOERTZ
PORTRAIT : Fabricant de systèmes
d’installations électriques, systèmes
domotiques, systèmes de sécurité incendie
SIÈGE : Muttenz
CRÉATION : 1928
EFFECTIF : 230
Quelle a été votre contribution au TBG ?
Le câblage de l’éclairage de secours et
l’installation de câbles de sécurité
incendie et de boîtes de dérivation.
Quel a été votre plus grand défi ?
Nous adapter aux nouvelles exigences.
Nous avons dû mettre au point de
nouveaux boîtiers de raccordement
conformes aux exigences techniques
strictes. Dans cette optique, nous avons
notamment précâblé les éclairages et
boîtes de dérivation pour câble plat avant
la livraison, de sorte qu’il ne reste qu’à
fixer les éclairages sur le chantier
et à raccorder les boîtes de dérivation au
câble plat.
Comment avez-vous perçu l ’ampleur
du projet ?
La concurrence était rude, la pression sur
les prix et les délais énorme, et il a
fallu concevoir des produits selon des
spécifications détaillées très strictes.
Réponses de Tamas Onodi,
gérant
TENCONI SA, Fabrizio Lucchini
Bulletin 2 / 2016 — 43
— Gottardo —
À l’ère de la mobilité, Gothard est l’un
des noms de saints chrétiens les plus
idiomatiques de notre quotidien. Ce saint
du Xe et du XIe siècle, qui a donné son
nom au roi des cols, s’appelait Godard, ou
Godehard en ancien haut allemand.
Par Hansjörg Schultz
En 1236, les premières
chroniques font état du
lien entre Godard, ancien
évêque d’Hildesheim, et le
col du Gothard. Un moine
bénédictin de Brême avait
fait le voyage à Rome pour de-
mander au pape de prier pour le
pardon de ses péchés. Sur le pé-
nible chemin du retour le menant
à Bellinzone, Airolo puis Lucerne, il
entend le nom du col du Saint-Go-
thard et rapporte cette nouvelle à son
retour dans le nord. Dès le XIe siècle, le
col abritait une chapelle que l’archevêque
de Milan avait consacrée à Saint Godard
en 1230. Dans le même temps, un hospice
dirigé par des moines avait été érigé pour
offrir le gîte aux voyageurs.
Gothard – aussi appelé Godard en
français ou Godehard en haut allemand an-
cien – d’Hildesheim naît en 960 à Reichers-
dorf (Basse-Bavière) dans une famille de
paysans pauvres. À 30 ans, il entre dans un
couvent bénédictin comme moine et devient
bientôt prieur. Il était communément appelé
l’abbé de la réforme, parce qu’il avait fait siennes
les idées de la réforme née dans l’Abbaye de
Cluny (Bourgogne), qui se centrait sur l’aide aux
pauvres. En 1022, l’empereur Henri II nomme
Godard, 62 ans, évêque d’Hildesheim. Durant
les seize ans de son apostolat, il se révèle un maître
d’ouvrage appliqué en faisant agrandir la cathé-
drale et construire plus de trente églises. Au sein
du grand évêché, son apostolat a coïncidé avec
l’âge d’or de la dynastie saxonne : de fait, les tré-
sors de l’architecture et de l’art de l’époque im-
prègnent la ville aujourd’hui encore.
Les sources évoquent la sérénité placide
de Godard. Plusieurs légendes gravitent au-
tour de lui. Il est ainsi généralement repré-
Le saint et le diable
Hansjörg Schultz est rédacteur et présentateur
de la radio SRF 2 Kultur. Auparavant, il avait
présenté l’émission de télévision « Sternstunde
Religion » et dirigé jusqu’à début 2014 la rédaction
« Religion » à la radio et télévision suisse SRF.
senté avec des charbons ardents sur son manteau, car il aurait, lors-
qu’il était enfant de chœur, porté dans son habit des charbons
incandescents jusqu’à l’encensoir. Et la légende ajoute qu’il n’aurait
pas été brûlé à cette occasion.
Le 5 mai 1038, l’évêque meurt à l’âge respectable pour l’époque
de 76 ans. Ses reliques sont conservées à la cathédrale d’Hildesheim.
Aujourd’hui encore, cette date souvenir est célébrée à la fois dans le
catholicisme et le protestantisme. En 1131, Godard est canonisé par
le pape Innocent II. La basilique de Saint-Godard a été érigée en
son honneur à Hildesheim. De même, des sites et des églises ont été
baptisés à son nom, à la fois dans les pays scandinaves et en Italie.
Et donc, sur le chemin vers l’Italie. La chapelle
au sommet du col du Gothard lui est consacrée,
tout comme l’hospice (mentionné pour la pre-
mière fois en 1236) bâti pour les pèlerins de
Rome et devenu une auberge dirigée par des
moines capucins dès le XVIIe siècle. En
raison de la neige, les moines avaient d’ail-
leurs reçu l’autorisation exceptionnelle de
porter des chaussures.
Selon une autre légende, l’évêque Godard
aurait même ressuscité des morts pour qu’ils
puissent lui confesser leurs péchés. Il n’est
pas seulement le saint patron du col du
Gothard, il protège également de
l’éclair et de la grêle, des rhuma-
tismes, de la goutte et des accou-
chements difficiles. Une statue le
représente, un dragon (symbole du
diable) à ses pieds, affairé à planter sa
crosse dans la gorge de l’animal. Et
le diable nous ramène au col du Saint-
Gothard, puisque le pont qu’il faut fran-
chir dans les gorges de Schöllenen est
plus connu sous le nom de Pont du
Diable. Le saint et le diable – tous deux
se retrouvent dans la longue histoire du
col du Saint-Gothard.
Le saint était le fils de
paysans pauvres
(statue de la basilique
de Saint-Godard,
Hildesheim)
Photo : Wikimedia Commons / Hildesia / CC BY-SA 3.0
res
du
ncien
, et le
moine
me avait
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rier pour le
. Sur le pé-
ur le menant
puis Lucerne, il
l du Saint-Go-
te nouvelle à son
Dès le XIe siècle, le
lle que l’archevêque
crée à Saint Godard
me temps, un hospice
s avait été érigé pour
geurs.
si appelé Godard en
d en haut allemand an-
naît en 960 à Reichers-
dans une famille de
30 ans, il entre dans un
omme moine et devient
it communément appelé
arce qu’il avait fait siennes
me née dans l’Abbaye de
qui se centrait sur l’aide aux
mpereur Henri II nomme
que d’Hildesheim. Durant
ostolat, il se révèle un maître
n faisant agrandir la cathé-
us de trente églises. Au sein
n apostolat a coïncidé avec
tie saxonne : de fait, les tré-
et de l’art de l’époque im-
urd’hui encore.
quent la sérénité placide
légendes gravitent au-
nsi généralement repré-
Hansjörg Schultz est rédacteur et z
de la radio SRF 2 Kultur. Auparava
présenté l’émission de télévision «
Religion» et dirigé jusqu’à début 20
«Religion» à la radio et télévision s
Et donc, sur le chemin vers l Italie. L
au sommet du col du Gothard lui est
tout comme l’hospice (mentionné po
mière fois en 1236) bâti pour les p
Rome et devenu une auberge diri
moines capucins dès le XVIIe
raison de la neige, les moines av
leurs reçu l’autorisation exceptio
porter des chaussures.
Selon une autre légende, l’évêq
aurait même ressuscité des morts
puissent lui confesser leurs péch
pas seulement le saint patron
Gothard, il protège éga
l’éclair et de la grêle, d
tismes, de la goutte et
chements difficiles. Un
représente, un dragon (s
diable) à ses pieds, affairé
crosse dans la gorge de l
le diable nous ramène au co
Gothard, puisque le pont qu’
chir dans les gorges de Sch
plus connu sous le nom d
Diable. Le saint et le diable –
se retrouvent dans la longue
col du Saint-Gothard.
pay
(statue de la basilique
de Saint-Godard,
Hildesheim)
44 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
Dans les entrailles en granit de l’Helvétie
Bulletin 2 / 2016 — 45
— Gottardo —
Pour les planificateurs
des transports, le Gothard
est le chemin le plus
court entre nord et sud.
Pour les écrivains suisses,
il est avant tout un sujet
d’inspiration sans fin. Gros
plan sur sept livres phares
autour du « Sinaï helvétique »
et d’un autre tunnel suisse.
Daniele Muscionico (texte) et Maiko Gubler (illustration)
46 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
Que serait la Suisse sans le
mythe littéraire du Go-
thard ? La perspective est
effrayante : peut-être un
pays comme un autre. Pour les écrivains et
les auteurs de Suisse (alémanique), le géant
de granit nimbé de légendes est un thème
central, une montagne d’inspiration. « Que
penses-tu du Gothard ? » est la question qui
revient d’un côté comme de l’autre. Pour
Peter von Matt, grand philologue, écrivain
et spécialiste de littérature de Suisse, le
Gothard est le « Sinaï helvétique ».
D’autres exégètes sont tout aussi
dithyrambiques. Curieusement, les auteurs
masculins privilégient l’aspect biogra-
phique de ce géant helvétique de granit,
tandis que leurs homologues féminines
préfèrent en explorer les aspects fantas-
tiques. Au siècle dernier surtout, les auteurs
du Tessin – Piero Bianconi, Plinio Martini
et Albero Nessi – dépeignaient le Gothard
comme un espace social. À l’heure actuelle,
ce n’est guère un thème abordé en Suisse
méridionale et romande. Dans la littérature
de Suisse alémanique, en revanche, les pers-
pectives et les histoires liées au Gothard
peuvent combler tous les types d’amateurs
de lecture. Les exemples ci-après sont vo-
lontairement contemporains, qu’il s’agisse
de découvertes ou de redécouvertes, de
classiques modernes ou d’ouvrages pointus
de science-fiction.
Pour les aficionados de la Grèce antique
Rolf Dobelli —« Massimo Marini »
Le destin est cruel. Les Grecs anciens l’ont
maintes fois souligné dans leurs tragédies.
Si Rolf Dobelli (né en 1966) est un peu
plus jeune qu’eux, son roman a la force de
ce genre littéraire.
Il narre l’histoire fabuleuse de la vie
de Massimo Marini et est tout à la fois un
grand récit politique et un instantané de
la société suisse sur la seconde moitié
du siècle dernier. Intégration, immigra-
tion, travailleurs étrangers, fatalité œdi-
pienne, soap opera sur une jolie violoncel-
liste de l’opéra de Zurich – tels sont les
différents ingrédients que Rolf Dobelli
inclut à son récit.
Roman · Diogenes
Rolf DobelliMassimo
Marini
Roman · Diogenes
Rolf DobelliMassimo
Marini
« L’ascension et la chute de
Massimo Marini, avec
le Gothard comme décor. »
Détail croustillant : l’ascension et la chute
de Massimo Marini qui, nourrisson, était
arrivé en Suisse dans les années 1950 dans
la valise de ses parents, des saisonniers des
Pouilles, sont narrées avec le Gothard
comme décor. Et, ironie du destin, ce se-
ront Massimo Marini et les travailleurs de
sa société de construction qui bâtiront
plus tard le tunnel de base du Gothard. Le
lien entre l’ancienne et la nouvelle patrie
du héros portera chance à son entreprise,
la merveille politico-technique verra le
jour, mais sur le plan personnel, l’homme
sans identité échouera lamentablement.
La vie de Massimo Marini est l’exemple
d’une vie tragique oscillant entre sommets
et abîmes.
La perspective sur le Gothard de
Rolf Dobelli est celle d’un sceptique : « Seul
celui qui parvient à laisser derrière lui tout
son passé biographique trouve sa patrie. »
Son héros n’y arrive pas. Mais ce n’est pas
de sa faute. C’est le destin qui lui joue des
tours. Cette saga du Gothard a tout le
grandiose de la Grèce antique.
Pour les théologiens
Friedrich Dürrenmatt — « Le Tunnel » et« La guerre dans l’hiver tibétain »
Du grand Friedrich Dürrenmatt : un train
sans conducteur de locomotive – mais avec
des passagers qui ne se doutent de rien
(« Nous étions assis dans nos comparti-
ments sans savoir que tout était déjà per-
du ») – gronde dans un petit tunnel (qui
n’est pas le Gothard). Il file toujours plus
vite. Au fur et à mesure, le tunnel semble
s’allonger et la vitesse du train s’accélérer.
À la dernière phrase du scénario, face à
la catastrophe imminente, le personnage
principal demande au dernier membre du
personnel du train : « Que devons-nous
faire ? » Et celui-ci lui répond impitoyable-
ment : « Rien du tout. »
Une réponse prononcée sans détour-
ner son visage du spectacle mortel mais
non dépourvu d’une certaine sérénité fan-
tomatique, avec tous ces éclats de verre
provenant du tableau de bord brisé. Le nar-
rateur résume alors brièvement, froidement
et prosaïquement la situation : « Rien du
tout. Dieu nous a laissé tomber, et cette
chute nous mène à lui. »
Dans la nouvelle surréaliste de Frie-
drich Dürrenmatt (1921-1990) « Le Tun-
nel », un jeune étudiant plonge dans le
désespoir, avant de trouver Dieu. En pré-
sence de Dieu, face à la catastrophe, il
vit même un moment d’absolue sérénité.
Comment procède l’auteur ? Il con-
fronte l’absurde à l’ordinaire, boycotte le
temps réel en recourant à un événement
surréaliste. Cette parabole de l’absurdité
paradoxale de la vie humaine se déroule au
cœur de la montagne, dans l’obscurité, là où
l’être humain est tout à fait désorienté. Et
c’est pourtant là que se révèle l’objectif de
toute une vie : l’absence de but. Cette
conclusion est cependant orientée vers le
rapprochement avec Dieu.
Bulletin 2 / 2016 — 47
— Gottardo —
Diogenes
FriedrichDürrenmattDer Tunnel
und andere Meistererzählungen
Diogenes
FriedrichDürrenmattDer Tunnel
und andere Meistererzählungen
« Rien du tout. Dieu nous
a laissé tomber, et
cette chute nous mène à lui. »
La fiction au cœur d’une montagne que
Friedrich Dürrenmatt narre des années
plus tard est un peu plus vive. Dans une
œuvre ultérieure « Mise en œuvres », l’au-
teur imagine dans une satire politique
critique une Suisse après la Troisième
Guerre mondiale. Le narrateur à la pre-
mière personne est un genre de merce-
naire qui lutte depuis vingt ou trente ans
dans les montagnes tibétaines. « La guerre
dans l’hiver tibétain » est un cauchemar
sans fin dans le style typique de l’auteur,
avec des labyrinthes souterrains et des
puits de plusieurs niveaux. Le Gothard a
servi d’inspiration, c’est un secret de Poli-
chinelle. Car dans cette nouvelle, même le
gouvernement suisse s’est judicieusement
retranché dans un bunker d’une forteresse
des Alpes située sous le Blüemlisalp. Cette
parabole de Dürrenmatt sur la montagne
se veut une parabole sur le monde. Mais
elle met aussi en exergue le grotesque de
cette échappatoire.
Pour les poètes
Gertrud Leutenegger — « Juste après le Gothard, le Dôme de Milan »
Ce récit à la première personne commence
ainsi : une rue animée traverse l’enfance (de
la narratrice). Juste derrière le jardin, des
voitures roulent, des freins crissent, puis de
la tôle est froissée : hagarde, la mère se lève
de sa chaise longue, se couvre le visage de
ses mains, et le village se vide de tous ses
habitants. Les uns derrière les autres, tous
filent avec des coussins jusqu’au lieu de
l’accident. Où se dirigent ces voyageurs
avides de mort ? La rue de l’enfance n’a
qu’un panneau indicateur : Gothard-Italie.
Où mène-t-elle ? Cette question de
la jeune fille ne trouvera sa réponse que
bien plus tard dans un album de photos de
son père : elle reconnaît une « ville gigan-
tesquement édulcorée ». Cette ville doit
être derrière le tunnel, créé par ceux qui
aiguisent leur regard dans les longues nuits
des tunnels, exposés au reflet de la neige
des glaciers, au sommet glacé du Gothard.
C’est ainsi que l’enfant s’imagine cette ville
éthérée. Lorsque plus tard, elle découvre
sur un panneau d’école la situation géogra-
phique, son « intime conviction » s’avère
exacte : « Juste après le Gothard, le Dôme
de Milan. »
Gertrud Leutenegger
Gleich nach demGotthard kommt der
Mailänder DomSuhrkamp
« Dans le récit, le Gothard
est un bastion de Dieu
incomparablement léger. »
Dans le texte succinct mais prégnant de
Gertrud Leutenegger (née en 1948), le
Gothard est un bastion de Dieu incompa-
rablement léger. C’est la fantaisie de l’en-
fance qui parle : la montagne encombrée et
pourtant sacrée de Suisse se laisse modeler
par l’imagination.
L’artiste associe léger et lourd, idéo-
logie et subjectivité, et fait aboutir son
lecteur à une opinion : le poids de chaque
histoire, de chaque légende ou mythologie
est lourd ou léger, suivant notre bon vouloir.
Pour les fantasques
Christian Kracht — « Je serai alors au soleil et à l’ombre »
Ce jeune auteur suisse aux racines alle-
mandes s’est toujours senti plus proche de
la folie des grandeurs que de l’amour du
rapetissement cher à de nombreux Suisses.
Né en 1966, il a écrit un livre, « Je serai
alors au soleil et à l’ombre », qui est rien de
plus et rien de moins qu’un recueil d’his-
toires baignant dans l’Histoire. Mais pour
ceux qui ne comprennent pas l’ironie, il
s’agit d’un adieu teinté d’impertinence à la
« Suisse bunker ».
« D’autres grands peuples
de l’histoire ont bâti
des pyramides. Nous, nous
creusons des tunnels. »
À grand renfort d’absurde, Christian
Kracht invente une version de l’histoire
suisse trop abstraite pour pouvoir la résu-
mer. Une chose est sûre : la Suisse qu’il dé-
peint, comme d’ailleurs le monde entier, a
été convertie au bolchevisme par Lénine,
révolutionnaire en exil à Zurich, ce qui a
pour résultat une guerre perpétuelle. Un
commissaire du parti de « Nouvelle Berne »,
quant à lui, est chargé de capturer un colo-
nel controversé. L’auteur a appris de sa pa-
trie le rôle stratégique des tunnels, sur le
plan militaire et des infrastructures. Pour
citer le narrateur : « D’autres grands peuples
de l’histoire ont bâti des pyramides. Nous,
nous creusons des tunnels. » Mais durant
les années de guerre, le pays, notre pays,
s’est rétréci jusqu’à se limiter au territoire
du Réduit, cette « œuvre du siècle des
Suisses, essence, vivier et expression de
notre existence ».
Le colonel recherché et idéologique-
ment friable se cache justement dans ce tun-
nel, au sein de la construction défensive, cet
ancien emblème du pouvoir que la Suisse
avait édifié dans les Alpes pendant la Deu-
xième Guerre mondiale pour faire office de
Réduit. Pas la peine pour l’auteur hardi de
donner à cette blague massive le nom de
« Gothard » : son nom transparaît pour
48 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
ainsi dire à chaque ligne. Le Gothard
imaginé par Christian Kracht est aussi
utopique que le programme du Gothard a
dû l’être à son époque.
Pour les épris d’érotisme
Hermann Burger — « La Mère artificielle »Un récit portant sur une caricature de la
démence qui se déroule dans la montagne.
Dans ce roman d’Hermann Burger (1942-
1989), tout ce qui peut sembler pontifiant
chez ses contemporains Dürrenmatt et
Frisch a la légèreté d’un jeu d’enfants. Il
traite de thèmes récurrents en Suisse : viri-
lité, identité, patrie. La forteresse militaire
qui sert de décor s’inspire sans camouflage
du Gothard. Un tunnel du Gothard est
même l’infirmerie pour une thérapie éro-
tique en profondeur.
« Un tunnel du Gothard est
même l’infirmerie
pour une thérapie érotique
en profondeur. »
Cette œuvre puissante d’Hermann Burger
se centre sur Wolfram Schöllkopf, un pro-
fesseur privé de germanistique et glaciologie
souffrant. Il est en quête de rédemption –
d’après lui, sa mère l’a privé d’amour – au-
près de la mère originelle, dans le giron
maternel de la République. Après avoir
perdu son emploi à l’EPFZ, le héros
s’effondre et part chercher son salut au
Gothard, auprès des « sœurs du Gothard ».
L’une d’entre elles l’a tout particulièrement
charmé : la blonde « Dagmar Dom », une
figure lumineuse et germanique. Elle est la
sœur préférée du patient. D’aucuns pour-
raient voir en elle la caricature de la pré-
sentatrice allemande du journal télévisé
Dagmar Berghoff. Grâce à elle, une nou-
velle vie s’offre au malade. La « thérapie de
la galerie » qu’elle dispense doit le guérir et
soigner ce qu’on appelle la « migraine du
bas-ventre » durable et mystérieuse : l’im-
puissance de Wolfram Schöllkopf.
La relecture ironique par l’auteur
du mythe du Réduit s’élève avec le désir
d’une libération définitive de l’étroitesse
du carcan suisse. La chaleur du cœur de la
montagne – matrice du massif – devient
son alter ego, qui finit par transformer
les personnes cérébrales émotionnellement
froides en quelque chose de grandiose :
Wolfram Schöllkopf « explose comme une
double fusée » (Burger) au Tessin. Guéri,
il renaît et se dédouble et s’italianise,
devenant « Armando » (« le bien armé »).
Et la montagne ? Elle n’explose pas, elle se
décompose élégamment et efficacement.
De l’intérieur.
Pour les contemporains
Zora del Buono — « Gotthard »
Cette petite nouvelle est également un
horaire cadencé. La compagne de voyage
idéale au moment d’emprunter la nouvelle
ligne ferroviaire du Gothard. Zora del
Buono (1962), née à Zurich et habitant
à Berlin, est un auteur qui sait comment
écrire, et surtout comment écrire à l’heure
actuelle.
Architecte de formation et autrefois
constructrice de chantier, elle nous fait
ressentir ces expériences en nous racon-
tant des événements inouïs, des destins et
des aventures humaines sur le grand chan-
tier du portail sud du tunnel de base du
Gothard.
Elle y parvient joliment et ne s’arrête
pas là. L’action charmante et fascinante de
ce livre cadencé se déroule sur une seule
journée et dure exactement six heures et
« Divertissement,
raffinement, volupté et
ingénierie de la technique
narrative »
vingt-trois minutes, durant lesquelles une
personne périt d’une manière inouïe et édi-
fiante, des hommes commettent des actes
immoraux terribles et un meurtre ancien
est enfin résolu. Divertissement, raffine-
ment, volupté et ingénierie de la technique
narrative à la manière d’un mineur – Del
Buono a consacré son livre de 2015 à la
montagne du siècle.
Bibliographie :
— Rolf Dobelli. « Massimo Marini ».
Zurich, Diogenes, 2010.
— Friedrich Dürrenmatt. « Le Chien, Le Tunnel,
La Panne ». Trad. de Walter Weideli et Armel
Guerne, Genève-Carouge, Éditions Zoé, 1994.
— Friedrich Dürrenmatt. «La guerre dans l’hiver
tibétain ». Dans : La mise en œuvres, trad.
d’Étienne Barilier, Paris, C. Bourgois, 1989.
— Gertrud Leutenegger. « Gleich hinter dem
Gotthard kommt der Mailänder Dom.
Geschichten und andere Prosa ».
Frankfurt am Main, Suhrkamp 2006.
— Christian Kracht. « Je serai alors au soleil
et à l’ombre ». Paris, Jacqueline Chambon
Éditeur, 2010.
— Hermann Burger. « La Mère artificielle »,
roman, trad. de Françoise Salvetti et
Olga Weissert, Paris, Éditions Fayard, 1985.
— Zora del Buono. « Gotthard ».
München, C.H.Beck, 2015.
Daniele Muscionico est une journaliste artistique
et culturelle plusieurs fois primée. Elle
travaille pour la « Neue Zürcher Zeitung ». Couve
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Credit Suisse félicite chaleureusement la Croix-Rouge suisse pour ses 150 ans d’existence. Depuis plus de huit ans, nous avons la joie de soutenir la CRS dans ses actions humanitaires. Nous encourageons aussi nos collaborateurs à apporter leur contribution personnelle.
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CRS: une affaire de cœur depuis 150 ans.
— Gottardo —
50 — Bulletin 2 / 2016
St. Gotthard Way,Ceres, CA, États-Unis
Gotthard Street,Sugarcreek, OH, États-Unis
Saint Gotthard Street,Soweto, Afrique du Sud
Sankt Gotthard im Mühlkreis, Autriche
Saint Gotthards Avenue,Martlesham, Ipswich, Royaume-Uni
Le Gothard dans le monde
Photos : 4maksym / iStock Photo ; Google Earth (10) ; Michael Kranewitter / Wikimedia Commons / CC BY-SA 3.0 ; Darinko / Wikimedia Commons / Public Domain
Saint Gotthard Avenue,Anchorage, AK, États-Unis
— Gottardo —
Bulletin 2 / 2016 — 51
Saint Gothard, Dawes Close, Dobwalls, Royaume-Uni
Saint Gothard Road, Londres, Royaume-Uni
Gothard Street, Vancouver, Canada
Gotthardt Street, Newark, NJ, États-Unis
Gothard Street, Huntington Beach, CA, États-Unis
Szentgotthárd,Hongrie
Il désigne une grande montagne en Suisse, mais aussi une simple
rue ailleurs : où se cache le Gothard sur notre planète ?
52 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
Les tunnels dans le monde animal
Photo : Gerard Lacz / FLPA / Minden Pictures
Bulletin 2 / 2016 — 53
— Gottardo —
Le blaireau excelle dans l’art de
construire des tunnels. Avec
son corps trapu, sa tête allon-
gée, son museau pointu et ses
longues griffes recourbées, ce mustélidé
parvient à creuser de véritables labyrinthes
de galeries. Il s’y cache durant la journée et
n’en sort qu’à la tombée de la nuit, en quête
de nourriture : coléoptères, vers de terre, nid
de guêpes, baies et fruits tombés au sol.
Pendant longtemps, on a cru que le
blaireau était un solitaire qui ne rencontrait
ses semblables que lors de la reproduction.
Néanmoins, des études récentes révèlent
que, s’il part seul à la recherche de nourri-
ture, il apprécie la compagnie de ses congé-
nères dans son refuge diurne et pendant les
mois de repos hivernal. Ainsi, les couples
restent unis pour la vie et des clans pai-
sibles comptant jusqu’à une douzaine d’in-
dividus peuvent se former.
Un terrier mis au jour dans l’ouest de
l’Angleterre montre à quel point un tel ha-
bitat peut être spacieux. Douze entrées et
sorties conduisent à 94 galeries d’une lon-
gueur totale de 310 mètres. Vingt-trois
chambres tapissées de feuilles offrent un
excellent confort pour le sommeil, tandis
que plusieurs excavations (pots) rassem-
blées en latrines garantissent la propreté de
l’ensemble. Des ossements découverts dans
des « forteresses » de blaireaux prouvent que
certaines sont habitées depuis plusieurs
siècles ; une grotte karstique près de Bristol,
dans le sud-ouest de l’Angleterre, abrite
même des blaireaux depuis plusieurs di-
zaines de milliers d’années.
Un maître de maison tolérant
Le blaireau est d’un naturel doux. En
témoigne la tolérance dont il fait preuve
à l’égard de son sous-locataire, le rusé re-
nard. Celui-ci profite sans vergogne du
L’être humain construit des tunnels pour permettre à ses voies de transport
de franchir des montagnes et des cours d’eau. Dans le monde animal, les
tunnels constituent une protection contre les prédateurs et une nature hostile.
Auteur : Herbert Cerutti
Sous-locataire rusé : le renard profite sans vergogne
du réseau laborieusement creusé par le
blaireau, n’hésitant pas à y prendre ses quartiers.
54 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
Efficacité : les trous percés par les lombrics
favorisent la croissance des plantes.
Propre et tranquille : le blaireau excelle dans la construction de tunnels.
réseau laborieusement creusé par le musté-
lidé, n’hésitant pas à y prendre ses quartiers.
Pour que les deux protagonistes ne se gê-
nent pas mutuellement, ils occupent des
chambres bien éloignées ayant chacune
leur propre entrée. Leur différence de tem-
pérament – le blaireau est propre et tran-
quille ; le renard est actif et ramène des
proies sanguinolentes – cause tout de
même quelques échauffourées. On a cepen-
dant aussi déjà observé des renardeaux et
des blaireautins jouer paisiblement en-
semble.
Cette cohabitation réserve parfois de
mauvaises surprises aux chasseurs. Lors
de la chasse avec des terriers et des teckels
spécialement dressés pour le déterrage,
les chiens plongent dans les galeries pen-
dant que le chasseur attend, prêt à tirer, de-
vant l’une des sorties de la tanière. Tandis
que le renard se laisse généralement délo-
ger, le blaireau, lui, défend son territoire
avec hargne.
Si le chien ne fait pas marche arrière,
le blaireau s’attaque à lui avec ses griffes
acérées et sa mâchoire puissante. Ou fait
rapidement volte-face et lui projette avec
ses pattes de la terre et des pierres dans le
museau. Très vite, la galerie se referme, sé-
parant les deux adversaires. S’il se met alors
à creuser vigoureusement, le chien finit par
s’enterrer vivant. En effet, il ramène der-
rière lui tant de matière qu’il se coupe toute
issue et arrivée d’air. Parlant d’un immense
terrier en Forêt-Noire, un garde-chasse
local a déclaré : « Cinq excellents chiens
de chasse gisent ici, et le vieux blaireau vit
encore. »
Un rôle écologique important
Le ver de terre est plus discret, mais pas
moins efficace pour ce qui est de creuser
des tunnels. Parmi les plus de 3000 espèces
de lombric recensées sur Terre, notre ver de
terre commun est un véritable artiste du
terrassement. Dans des sols sableux et argi-
leux, il s’aménage des galeries d’habitation
verticales. Il peut ainsi y avoir jusqu’à mille
tunnels par mètre carré de terre, dont cer-
tains peuvent atteindre huit mètres de pro-
fondeur ! Ce réseau crée un système d’aéra-
tion exceptionnel qui approvisionne
amplement le sol en oxygène et en azote.
Le ver de terre rampe dans l’obscurité
jusqu’à la surface et tire du matériel végétal
dans son habitation tubulaire. À l’aide de
bactéries et de champignons, les parois in-
digestes des cellules végétales sont décom-
posées, puis les nutriments passent dans le
sang à travers la paroi intestinale. Tout ce
qui n’est pas digéré est excrété et déposé
sous forme de tortillons à l’entrée de la ga-
lerie. Bactéries, larves d’insectes et collem-
boles se jettent alors sur ces turricules, libé-
rant à leur tour des nutriments. Pour le ver
de terre, c’est une invitation à ingérer de
nouveau ses propres déjections ainsi enri-
chies. La même bouillie alimentaire tra-
verse donc plusieurs fois l’intestin du ver,
sans cesse complétée par de nouveaux mi-
néraux, restes végétaux et micro-orga-
nismes. Ces rejets deviennent un mélange
qualitatif de substances organiques et mi-
nérales que les plantes peuvent facilement
assimiler.
Les galeries des vers constituent en
outre un système de drainage efficace, car
de fortes pluies peuvent s’infiltrer sous terre
comme dans une éponge. Les sols creusés
par des vers absorbent quatre à dix fois plus
d’eau que ceux où il n’y en a pas. C’est pour-
quoi un tel drainage naturel protège les
terres cultivées de l’érosion. Pour que les
parois de ses galeries de seulement quelques
millimètres de diamètre ne s’effondrent pas,
le ver les tapisse de ses excréments. Lors-
Le ver de terre est
un artiste du terrassement.
Photos : Stefan Meyers / Okapia ; National Geographic Creative
Bulletin 2 / 2016 — 55
— Gottardo —
Talentueuse experte en construction : la dame blanche creuse des galeries dans les dunes
de sable de Namibie.
qu’un tunnel a été abîmé par son va-et-
vient incessant, son habitant ajoute de nou-
velles couches de déjections afin de le
réadapter à la forme de son corps. Car il lui
faut un tube sur mesure pour pouvoir se
hisser vers le haut par vagues de contrac-
tions en alternant, à l’aide de ses muscles
longitudinaux et circulaires, l’allongement
et le raccourcissement des différentes par-
ties de son corps.
Les galeries désertées sont immédia-
tement colonisées par des racines qui
trouvent ainsi un chemin aisé vers les pro-
fondeurs humides, tandis que la couche de
déjections constitue pour la plante affamée
un excellent engrais. L’importance biolo-
gique de l’animal pour la croissance des
plantes a été prouvée par des expériences
menées aux Pays-Bas. On y a introduit de
façon ciblée des vers de terre dans des pol-
ders nouvellement gagnés (terres endi-
guées) : par rapport à de nouveaux champs
sans vers de terre, le rendement est deux
fois supérieur pour le blé d’hiver et même
dix fois pour le trèfle.
Lutte pour la survie dans le sable
Dans le désert du Namib, dans le sud-ouest
de l’Afrique, une araignée connue sous le
nom de dame blanche et une espèce de
guêpe pompile se livrent à un concours
d’architecture souterraine d’un genre parti-
culier. La dame blanche vit sur les majes-
tueuses dunes de sable. Pour se cacher, elle
creuse à la verticale de la pente des galeries
pouvant mesurer jusqu’à 50 centimètres de
profondeur. Une prouesse difficile à réaliser
dans le sable glissant. Mais l’araignée s’en
sort en stabilisant la paroi du tunnel avec
de la soie au fur et à mesure de sa progres-
sion. Puis, elle en obstrue l’entrée avec un
mélange de sable et de soie afin de se pro-
téger des prédateurs. La nuit, elle part
chasser et ramène de petits insectes ; il lui
arrive aussi parfois de capturer un coléop-
tère ténébrionide ou un gecko.
L’ennemi mortel de la dame blanche
est la guêpe pompile. Lorsque celle-ci at-
trape une araignée, elle la paralyse à l’aide
de son dard venimeux. Puis, elle pond un
œuf sur le corps inerte ; la larve éclose est
ainsi directement approvisionnée en nour-
riture fraîche. Inlassablement, les guêpes
femelles sillonnent les dunes à la recherche
de dames blanches. Lorsqu’elles trouvent
une porte en soie, elles s’introduisent dans
le repaire. Dans l’étroit conduit, l’araignée
se défend avec ses pattes avant ou arrache,
si besoin, le revêtement de soie qui soutient
la paroi. Si la dame blanche parvient à re-
pousser la première attaque, la guêpe passe
au plan B, plus fastidieux : au-dessus du re-
fuge de l’araignée, elle creuse un trou en
forme d’entonnoir dans la dune. Elle pour-
suit son travail pendant de longues heures
afin d’atteindre son but. Pour obtenir un
cratère de 15 centimètres de profondeur,
elle doit retirer à l’aide de ses seules pattes
cinq kilogrammes de sable, soit 80 000 fois
son poids d’environ 60 milligrammes.
Si la guêpe réussit à entrer, l’araignée
saisit sa dernière chance. Passant devant
l’ennemi, elle file jusqu’au bord du cratère,
descend un peu la dune et se jette subite-
ment sur le côté, ses huit pattes repliées
autour de son corps au niveau de la troi-
sième articulation : elle se transforme en
roue. Sur la couronne formée par ses pattes,
elle dévale la pente en roulant toujours plus
vite. Des biologistes ont mesuré jusqu’à 44
tours par seconde, ce qui équivaut à la vi-
tesse de rotation des roues d’une Ferrari
lancée à 300 km/h. La dame blanche par-
court ainsi facilement une dizaine de mètres
en dix secondes et ne rebascule probable-
ment sur ses pattes qu’après avoir effectué
une course de 100 mètres jusqu’au pied de
la dune. La guêpe a perdu l’araignée des
yeux. En effet, même si elle sait voler, il lui
est impossible de retrouver sa proie dans le
désert.
Que ce soit le blaireau, le ver de terre
ou l’araignée dame blanche, le monde ani-
mal compte de nombreux experts de l’ar-
chitecture souterraine, dont les réseaux de
tunnels cachent des univers fascinants.
Herbert Cerutti est un physicien expérimental
qui a reçu de nombreux prix en tant que journaliste
scientifique. Il vit à Maseltrangen (SG).
Inlassablement, les guêpes
sillonnent les dunes
à la recherche de dames
blanches.
Photo : Solvin Zankl / Nature Picture Library
56 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
InterconnexionComment les infrastructures et la
croissance économique interagissentelles ?
Poser des rails à 2000 milliards de
dollars selon le modèle chinois ne suffit
pas. Mais ne pas rénover les tunnels,
les lignes de métro et les aéroports
comme à New York est encore pire.
Par Lars Jensen
— Gottardo —
56 — Bulletin 2 / 2016 Photo : Tom Nagy / Gallery Stock
Bulletin 2 / 2016 — 57
— Gottardo —
2000 — SUÈDE–DANEMARK Un plan parfait : le pont de l’Øresund entre Copenhague et Malmö
devrait générer 8 milliards de dollars.
— Gottardo —
Bulletin 2 / 2016 — 57
58 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
2016 — WORLD TRADE HUB Le budget alloué à la gare au sous-sol de Ground Zero a été dépassé
de 3 milliards de dollars.
Photo : Connie Zhou / Otto
Bulletin 2 / 2016 — 59
— Gottardo —
Fin janvier, le gouverneur de l’État de
New York, Andrew Cuomo, a surpris ses
concitoyens en annonçant vouloir investir
8 milliards de dollars dans l’infrastructure
de la ville. Selon ses dires, l’avantage économique
pour la région serait largement supérieur. Chaque
dollar dépensé serait rentabilisé et doublé, voire tri-
plé. Il en est convaincu, New York doit enfin rattra-
per son retard.
Il veut percer deux nouveaux tunnels sous
l’Hudson River, moderniser l’aéroport de LaGuar-
dia – avec un train express vers Manhattan –, dépla-
cer la gare de Pennsylvania Station de quelques
blocs, développer les lignes ferroviaires vers Long
Island et Upstate New York, construire un centre de
congrès, des lignes de métro et 100 000 logements
sociaux. La ville doit également s’équiper contre les
inondations et rénover son réseau électrique. À
l’avenir, plus aucun câble ne pendra sur les façades
des cours intérieures. Ces projets ne datent pas
d’hier, mais aucun responsable politique new-yorkais
ne les a jamais mis en œuvre. Pourquoi ?
L’annonce du gouverneur a été accueillie avec
indifférence. Les habitants, qui considèrent leur ville
comme le nombril du monde, se sont habitués à une
infrastructure qui ressemble à celle d’un pays en dé-
veloppement. Seules les tentatives de mise en œuvre
de projets sont plus désastreuses. Un métro sous la
Second Avenue, en construction depuis 1972, est
loin d’être opérationnel. Le budget du World Trade
Hub, une gare régionale au sous-sol de Ground
Zero, a été dépassé de 3 milliards de dollars. En rai-
son d’erreurs de planification et de corruption, le
nouveau Tappan Zee Bridge – l’un des vingt ponts
délabrés de la région – va coûter plus de 4 milliards
de dollars. Dans ce contexte, le programme
d’Andrew Cuomo a-t-il un sens ?
Qu’apportent les projets d’infrastructure ?
L’économie new-yorkaise prospère, la ville attire les
entreprises high-tech et les touristes. Chaque année,
elle gagne des dizaines de milliers d’habitants.
Même l’ouragan Sandy n’a pas stoppé son essor.
La situation de New York soulève des ques-
tions d’intérêt mondial. Quels sont les avantages
réels des projets d’infrastructure pour une écono-
mie ? Les responsables politiques, les banquiers et
les entrepreneurs ont-ils raison d’affirmer que les
investissements importants apporteront des béné-
fices exponentiels à l’ensemble de la société ? Ou
serait-il préférable de s’habituer aux retards des
trains et des avions new-yorkais, aux embouteillages
et aux pannes d’électricité ? Devrait-on réduire les
impôts au lieu de construire des autoroutes ?
Il est difficile de mesurer les répercussions des
projets majeurs sur une économie. Pour le tunnel de
base du Gothard par exemple, le Credit Suisse pré-
voit que la meilleure accessibilité du centre et du sud
de la Suisse permettra d’accroître les performances
économiques annuelles (voir p. 26).
Parmi les grands gagnants, les entreprises et
les opérateurs logistiques, qui pourront transporter
leurs marchandises par-delà les Alpes plus facile-
ment et à moindre coût. Touristes et commerciaux
gagneront une heure pour aller de Zurich à Milan.
En revanche, le tunnel n’aura aucun intérêt direct
pour les travailleurs qui effectuent de petits trajets
et voyagent rarement. Ils doivent miser sur les ef-
fets de synergie, par exemple sur les entreprises qui
s’installeront en Suisse, attirées par de meilleures in-
frastructures.
Il n’existe aucune réponse universelle à ces
questions, soulevées par chaque projet d’envergure,
qu’il s’agisse d’une piste de décollage supplémen-
taire à l’aéroport londonien d’Heathrow ou d’une
canalisation à Mumbai. Avant le lancement, les
avantages économiques ne peuvent être estimés que
vaguement et ce n’est que des années plus tard que
les économistes en débattent : dans quelle mesure
le bruit aérien et la baisse des prix de l’immobilier
à proximité d’un aéroport sont-ils négatifs pour la
communauté ? Combien une grande ville indienne
économise-t-elle quand elle améliore la santé pu-
blique grâce à des mesures d’hygiène ?
Un dollar fois deux
La Banque mondiale a établi et diffusé une règle in-
ternationale de base : chaque dollar investi dans l’in-
frastructure (énergétique, logistique ou immobilière)
génère deux dollars de performance économique
supplémentaire. Un chiffre qui peut être correct à
titre de moyenne. Les exploitants du pont de l’Øre-
sund entre Copenhague et Malmö escomptent un
impact économique de huit milliards de dollars pour
un investissement de quatre milliards. Chaque pro-
jet a toutefois ses propres défis et opportunités.
Un investisseur qui équipe en électricité, ali-
mente en eau et dote d’une école un village de
Devrait-on réduire
les impôts au lieu de
construire des autoroutes ?
60 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
Mauritanie, génère pour chaque dollar investi une
plus grande valeur ajoutée que celui qui ajoute deux
voies à une autoroute allemande qui en comptait
déjà quatre. Les gains de productivité sont plus éle-
vés en Afrique qu’en Europe centrale.
Par ailleurs, l’impact de projets quasiment
identiques peut différer énormément au sein d’un
même pays. D’après le Forum international des
transports (FIT), la portion à grande vitesse du che-
min de fer chinois reliant Zhengzhou et Xi’an est un
gouffre financier, faute d’usagers. La voie ferrée entre
Jinan à Qingdao, tout aussi chère, dégage, quant à
elle, des bénéfices et a contribué à l’essor durable des
deux villes.
Les chemins de fer chinois sont un bon exemple
de la difficulté d’estimer les répercussions des investis-
sements infrastructurels sur une économie. En quinze
ans, la Chine a investi plus de 2000 milliards de dol-
lars dans 10 000 km de voies de chemin de fer à
grande vitesse. Le pays compte environ quarante villes
plus peuplées que Berlin (3,5 millions d’habitants en-
viron) et pour ces citoyens, le train est le moyen le plus
efficace pour rallier ces centres urbains. Le miracle
économique chinois n’aurait pu se produire si le pays
avait, à l’instar des États-Unis, misé sur les voitures et
les avions. Le Ministère de l’économie estime que
sans les trains à grande vitesse, le PNB de la Chine
serait réduit de 10%.
Toutefois, deux économistes de la Commis-
sion nationale chinoise pour la réforme et le déve-
loppement ont émis des doutes sur l’efficience de ces
investissements massifs. Selon le magazine « For-
tune », les deux scientifiques anonymes ont calculé
que depuis 2009, la Chine a gaspillé près de 7 mil-
liards de dollars en projets d’infrastructure « super-
flus ». Durant la phase de récession mondiale, la
Chine a décidé de stimuler la croissance à l’aide
d’investissements financés par des crédits. Les deux
experts proches du gouvernement ont calculé que le
rapport coûts/utilité des investissements avait aussi
baissé de moitié en raison des coûts de financement.
Un dollar investi ne génère plus que 1,2 dollar de
performance économique supplémentaire.
La Chine investit à l’étranger
Toutefois, le gouvernement n’abandonnera pas son
plan quinquennal, qui prévoit la construction de
120 000 km de rails d’ici à 2020. Les planificateurs
espèrent un effet de réseau : plus un système est grand,
plus le nombre d’usagers croît rapidement. Le FIT es-
time que la Chine sera toujours mal desservie en 2020.
Chaque Japonais parcourt près de 70 fois plus de
kilomètres en train par an que le Chinois moyen.
On peut également observer l’importance de
l’infrastructure pour un régime à l’aune de ses inves-
tissements à l’étranger. Beijing paie environ 50 mil-
liards de dollars pour le corridor Chine-Pakistan –
des rails, des routes, des aéroports, des canaux, des
ports, des centrales, qui conféreront à la Chine un
accès à l’océan Indien. La Chine est tout aussi géné-
reuse en Afrique, où elle construit une ligne de che-
min de fer entre Mombasa et Kigali (13,5 milliards
de dollars) et participe à l’établissement d’une cen-
trale d’extraction de méthane au Rwanda (2 mil-
liards de dollars) et d’un pipeline entre le Nigeria et
l’Algérie (9 milliards de dollars). La Banque mon-
diale estime que l’Afrique accroîtrait sa productivité
de 40% si l’infrastructure répondait aux exigences
minimales. La Chine possède les capacités finan-
cières et techniques pour l’aider. Mais est-ce vrai-
ment une bonne affaire pour l’Afrique quand les
Chinois construisent des réseaux de télécommuni-
cations dans des dizaines de pays avec de l’argent
chinois, de la technologie chinoise et de la main-
d’œuvre chinoise ?
Le projet d’infrastructure le plus controversé
au monde est le canal de 278 km que le géant du
bâtiment Wang Jing souhaite percer au Nicaragua
avec le soutien du gouvernement chinois. Compte
tenu des énormes problèmes techniques (mon-
tagnes, volcans actifs, séismes), le projet va coûter
40 milliards de dollars. Le président nicaraguayen,
Daniel Ortega, a cédé les surfaces nécessaires à
Wang Jing sans poser de conditions. Les Chinois
peuvent exproprier des milliers d’habitants, détruire
l’une des réserves naturelles les plus riches du monde
et prélever les gains des cinquante premières années
d’exploitation.
Ce projet ne dégagera jamais de bénéfices : il
est trop onéreux et est concurrencé 500 km plus au
sud. L’ouverture officielle du canal de Panama élargi
est prévue pour avril 2016. Lors du krach boursier
chinois, Wang Jing aurait perdu 85% de sa fortune,
ce qui le pousse à différer l’aventure nicaraguayenne.
Peu de stigmates témoignent aujourd’hui du
passage de l’armée américaine, envoyée à Panama
Effet de réseau :
plus un système est grand,
plus le nombre
d’usagers croît rapidement.
Bulletin 2 / 2016 — 61
— Gottardo —
Lars Jensen vit depuis quinze ans à New York et écrit
notamment pour la « Frankfurter Allgemeine Zeitung »,
« brand eins », la « Süddeutsche Zeitung » et le « Spiegel ».
par Theodore Roosevelt en 1904 pour construire le
canal contre la volonté des habitants. Les Améri-
cains ont anéanti des centaines d’hectares de forêt,
réduit les Panaméens en esclavage et annexé la terre,
jusqu’à ce que Jimmy Carter leur restitue le canal en
1977. Un siècle après son inauguration, il s’agit de
l’un des projets d’infrastructure les plus rentables de
tous les temps. Les Américains l’avaient bâti à des
fins militaires, mais cette voie navigable s’est vite ré-
vélée utile pour le commerce international. Au-
jourd’hui, le Panama est le pays le plus prospère de la
région – conséquence tardive de l’impérialisme de
Roosevelt.
L’histoire du canal souligne une composante
aussi essentielle qu’imprévisible dans la planification
d’infrastructures : la durée de vie de l’ouvrage. Hors
inflation, les États-Unis ont déboursé environ 9 mil-
liards de dollars pour le construire. Un siècle plus
tard, il génère une valeur ajoutée de plus de 10 mil-
liards de dollars par an.
En 1904, aucun économiste ne l’avait prévu.
Tout comme au XIVe siècle, il n’était pas venu à
l’idée des commerçants d’Amsterdam que leurs ca-
naux pourraient donner naissance à l’une des villes
les plus fonctionnelles du monde 600 ans plus tard.
La Grande Muraille de Chine, avec ses 21 000 km, a
survécu plusieurs millénaires, mais les premiers via-
ducs construits pour les trains express chinois ont
commencé à céder dès leur quinzième anniversaire.
New York vit de son passé
Retour à New York, où les trains vers le New Jersey
circulent toujours à vitesse réduite dans le tunnel
sous l’Hudson River, rongé par l’eau salée (quand ils
ne sont pas immobilisés par une panne d’électricité).
En outre, la principale liaison entre Manhattan et
Brooklyn, le L Train, sera bientôt interrompue pour
deux ans. Est-il vrai que cette ville se porte très bien
sans projets d’infrastructure ambitieux ? Bien sûr
que non.
New York fonctionne uniquement parce
qu’elle vit sur les projets pharaoniques de la généra-
tion du baby-boom. Entre 1924 et 1968, le légen-
daire urbaniste Robert Moses a mis en place l’en-
semble du réseau autoroutier de l’agglomération de
New York, treize ponts, deux aéroports, trois stades,
150 000 logements, 700 terrains de jeux, plusieurs
dizaines de piscines et des lignes de métro. Il fut
controversé. Ses autoroutes ont permis l’exode ur-
bain de la classe moyenne blanche et ses grands lo-
tissements se sont vite mués en ghettos. Cependant,
depuis quelques années, les New-Yorkais jettent un
nouveau regard sur son héritage. En effet, bien que
tous ses projets n’aient pas été des réussites, Robert
Moses voulait moderniser New York pour tous ses
habitants.
Cet esprit a disparu. La croissance écono-
mique est majoritairement fondée sur l’essor de l’in-
dustrie de la finance et des branches connexes, la
bulle du marché immobilier et l’arrivée de
super-riches. Dans le même temps, le nombre de
sans-abri a presque doublé depuis 2005. Il atteint
presque 100 000 individus, le plus haut niveau de-
puis la Grande Dépression. Les gratte-ciel avec ap-
partements de luxe se multiplient, mais les pendu-
laires mettent toujours autant de temps pour se
rendre au travail. Sans parler du plomb dans les
conduites hydrauliques du Bronx et des eaux usées
non épurées qui souillent les fleuves lors de fortes
pluies.
Un rapport de la Banque mondiale prend
l’exemple des villes américaines pour prouver que
plus les écarts en termes de fortune se creusent,
moins l’infrastructure fonctionne. Étant donné que
l’État investit trop peu depuis des décennies, les
quartiers les moins bien équipés tombent plus rapi-
dement en désuétude, ce qui entraîne criminalité,
pauvreté et toxicomanie. Autre facteur important :
quel est le prix à payer si l’on ne construit rien ?
13 ponts, 2 aéroports,
3 stades, 150 000
logements et 700 terrains
de jeux.
62 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
62 — Bulletin 2 / 2016
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INACHEVÉ — LE CORRIDOR CHINE-PAKISTAN Beijing investit 50 milliards de dollars
pour accéder à l’océan Indien.
Photo : Huang Zongzhi / Xinhua / Eyevine
Bulletin 2 / 2016 — 63
— Gottardo —
Bulletin 2 / 2016 — 63
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EN CONSTRUCTION — CENTRALE DE MÉTHANE AU RWANDALa Chine investit massivement en Afrique et participe à hauteur de 2 milliards
de dollars à la construction de cette centrale sur le lac Kivu.
Photo : Jason Florio
64 — Bulletin 2 / 2016
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64 — Bulletin 2 / 2016
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2016 — NOUVEAU CANAL DE PANAMALe premier canal de Panama est considéré comme l’un des projets d’infrastructure les plus rentables
de tous les temps. Aujourd’hui, le Panama est le pays le plus prospère de la région.
Photo : Arnulfo Franco / AP Images / Keystone
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66 — Bulletin 2 / 2016
Tout le monde descend !
Le nouveau tunnel de base du
Gothard rapproche la Suisse
alémanique et le Tessin,
mais pas question d’oublier la région
qu’il traverse.
Un essai de Thomas Widmer
D’ici peu, le trajet au quotidien nord-sud, d’Uri au Tessin, sera une
pure merveille du rail : à Erstfeld, le voyageur plongera dans le
tunnel de base du Gothard, puis dans la lumière à Bodio. À peine
vingt minutes auparavant, il était dans le brouillard, et le voilà
devant des palmiers.
Le début d’un nouveau voyage, la fin d’un autre – l’ancienne
ligne du XIXe siècle devrait progressivement être abandonnée. Et
avec elle, toutes ses traditions et ses légendes. La plus célèbre
d’entre elles est naturellement celle du diable, qui aurait construit
pour les Uranais le premier pont sur la Reuss. En échange, les gens
de la vallée lui auraient promis la première âme qui traverserait le
pont. Le moment venu, ils font passer un bouc. Dupé, le diable
veut alors briser le pont avec un rocher. Peine perdue : une femme
a tracé une croix sur ce dernier et le diable manque sa cible.
Cette « pierre du diable » de 2000 tonnes est toujours visible
à Göschenen. Il y a quelques décennies, il a fallu la déplacer de
127 mètres, car elle gênait le chantier de l’autoroute. L’opération
a coûté 300 000 francs – preuve que les Suisses tiennent à leur
Gothard ! Et à ses mythes.
Des aménagements en forme d’appareil dentaire
Le Gothard est lié à tant de choses. Passer par la ligne actuelle, c’est
admirer un kaléidoscope merveilleux et toujours surprenant. Pre-
nons Amsteg par exemple : depuis le train, le sentier sinueux et ir-
réel de la corniche qui serpente jusqu’à la vallée de Maderaner est
un régal pour les yeux.
Gurtnellen ensuite, avec ses aménagements en forme de
bagues d’appareil dentaire : la commune est sous la menace de
53 trajectoires d’avalanches, et notamment celle du Geissberg, qui
a balayé en 1942 une famille de neuf personnes. De l’autre côté de
la vallée de la Reuss, à l’est, derrière la première chaîne de mon-
tagnes, une autre curiosité : la Treschhütte, dans la vallée oubliée de
Felli. Elle porte le nom de Johann Josef Tresch-Indergand, une
figure du XIXe siècle. Ce paysan pauvre, guide de montagne et
chercheur de cristaux, habitait une cabane rudimentaire de la val-
lée de Felli. Il trompait sa solitude en jouant de l’orgue de Barbarie
et avait sculpté ses chaussures de bois. Il a été le premier à accéder
à de nombreux sommets. En 1902, il disparaît dans la brume en
répondant à un appel de détresse. Deux décennies plus tard, sa
dépouille est retrouvée avec un écusson et un couteau de poche.
Le Gothard n’est pas tendre, il est imposant. Le peintre et
poète d’Altdorf Heinrich Danioth déclarait que l’Uranais, entre les
roches sombres, reste fidèle et humble. Depuis peu, le luxe a peu à
peu fait son apparition dans la région. L’auberge « Im Feld » se
Photo : sodapix / Getty Images
— Gottardo —
Bulletin 2 / 2016 — 67
présent. À Giornico enfin, un peu après les gorges, on trouve à côté
des voies du train l’église fortifiée en pierre grise noble de San Ni-
cola, avec sa tour incorporée – un vestige de l’art roman lombard.
Le voyageur a encore ce sentiment d’être hors du temps : s’il plisse
les yeux, il pourrait voir devant l’église des enfants de paysans en
haillons, une charrette tirée par des bœufs ou un soldat avec un
bandage ensanglanté de retour de Marignan.
Le Gothard est un réservoir de l’Histoire et d’histoires.
N’était-il pas considéré comme le centre du monde au Moyen Âge,
l’endroit d’où les grands fleuves du continent jaillissaient puis cou-
laient dans toutes les directions ? Pour le vérifier, il suffit d’aller
jusqu’à Airolo et de prendre un car postal avec vue sur la Tremola.
Si cette route n’est encore jamais apparue dans un film de James
Bond, c’est sûrement parce qu’elle a trop de courbes, même pour
007. En haut du col, on longe pour un temps le chemin des quatre
sources. Retour au glamour ensuite à Andermatt, où un investis-
seur égyptien a construit le tout dernier hôtel cinq étoiles de Suisse.
Le hall du « Chedi » ne détonnerait pas à New York ou à Tokyo.
Toutes ces merveilles risquent de passer dans l’oubli avec la
NLFA. Parfois, il vaudra donc la peine de prendre le temps d’em-
prunter l’ancienne ligne, qui traverse une région où fantaisie et
réalité s’entremêlent comme nulle part ailleurs en Suisse.
Thomas Widmer est rédacteur au « Tages-Anzeiger » et chroniqueur
de randonnée. Il a publié aux éditions Echtzeit trois recueils, tous best-sellers,
de ses plus de 500 promenades en montagne. Ce spécialiste de l’islam et de
l’arabe a été membre du jury du prestigieux prix littéraire Ingeborg Bachmann.
niche ainsi à Gurtnellen, à côté de l’église St. Michael, compacte
avec sa petite tour, en raison des ondes de choc des avalanches.
Au menu, des plats alpins locaux dignes du Gault-Millau aux
noms pittoresques : « Ryys et Boor », « Milchbänzä-Kotlettä » au
« Sywgagglä » ou « Gschtunggätä Pullis ».
Puis la petite église de Wassen, que l’on aperçoit sous trois
perspectives différentes au gré du parcours du tunnel. Comment
imaginer une enfance digne de ce nom sans avoir eu l’occasion de
voir ce classique en traversant les Alpes ?
Hors du temps
Peu après, le tunnel. Puis Airolo, le premier village tessinois. À
nouveau, les curiosités se succèdent. À Piotta, par exemple, le funi-
culaire de Ritom est l’un des plus raides du monde. Ceux qui l’em-
pruntent feraient bien de poursuivre un peu leur route jusqu’au lac
de Cadagno. Des chercheurs de toute la planète font régulièrement
ce chemin, car ce petit lac de montagne présente une particularité
unique : une épaisse couche de bactéries sépare en effet parfaite-
ment les eaux de la surface des eaux des profondeurs.
Un peu plus loin au sud, à Rodi, le téléphérique de Tremor-
gio mène au lac du même nom. Un autre petit bijou. Comme le lac
Tremorgio et sa cuvette sont ronds, il pourrait avoir été créé par la
chute d’une météorite. On étudiera idéalement ce mystère dans un
grotto. Les Tessinois s’y retrouvent souvent entre eux. Car les
étrangers – ces inconscients – traversent à toute vitesse la Léven-
tine. Sans même goûter aux exquis raviolis à la truite de l’hôtel
Baldi à Rodi.
Au sud de la Léventine, l’obscurité règne dans les gorges du
Monte Piottino. Pendant l’Ancien Régime, un droit de douane
était perçu sur les marchandises à son entrée supérieure. Le « Dazio
Grande », l’énorme poste de douane, est désormais un hôtel. La
nuit, dans ses grandes chambres rustiques, les voyageurs oublient le
Le Gothard
n’est pas tendre,
il est imposant.
68 — Bulletin 2 / 2016
— Gottardo —
Impressum : éditeur : Credit Suisse AG, responsabilité du projet : Claudia Hager, Urs Schwarz, contenu, rédaction :
Ammann, Brunner & Krobath AG (www.abk.ch), conception, mise en page, réalisation : Crafft Kommunikation AG (www.crafft.ch), rédaction photo : Studio Andreas Wellnitz, Berlin, adaptation française : Credit Suisse Language & Translation Services préimpression : n c ag (www.ncag.ch), impression : Stämpfli AG, tirage : 181 000
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ne va pas de soi et j’espère que la plus
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J’aime beaucoup le Bulletin du Credit
Suisse. Le contenu est toujours captivant
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InnovationLa nouveauté, fruit inattendu de la pensée
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« Je crois au cheval.
L’automobile n’est rien de plus
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Guillaume II (1859-1941)
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70 — Bulletin 2 / 2016 Illustration : Kerry Hyndman
1 Quel est le tunnel routier
le plus long du monde ?
chem) Lærdalstunnel, Norvège
spec) Zhongnanshan, Chine
rota) Tunnel routier du Gothard,
Suisse
resi) Arlberg, Autriche
2 Le tunnel de base du Gothard
a coûté environ 12 milliards
de francs. C’est :
nour) presque aussi cher
que l’Eurotunnel
inde) env. 25% moins cher
blem) env. 25% plus cher
larg) env. 2 fois plus cher
3 Quel célèbre personnage
littéraire a évoqué le Gothard ?
ferc) Guillaume Tell dans
« Guillaume Tell » de Friedrich
von Schiller (1804)
spec) Jean de Stoffeln dans
« L’araignée noire » de Jeremias
Gotthelf (1842)
naie) Henri Lee dans « Henri le vert »
de Gottfried Keller (1854/5 et
1879/80)
habi) Heidi dans « Heidi »
de Johanna Spyri (1880)
Pas aussi haut que la Pointe Dufour, pas aussi photogénique que le Cervin, moins glamour
que le sommet de la Jungfrau : le Gothard reste la montagne suisse la plus importante.
Mais en est-ce seulement une ? Quiz sur cette légendaire forteresse.
Par Simon Brunner et Mikael Krogerus
Sept questions taillées dans la pierre
Participation au concours
Les lettres correspondant aux bonnes
réponses forment un proverbe connu.
Écrivez-le en objet d’un e-mail à envoyer
d’ici au 15 juin 2016 en indiquant
votre adresse à :
5 × 2: traversées du tunnel « Gottardino »
(1000 CHF)
Pack aller-retour 1 jour 1re classe pour
deux, traversée du tunnel avec halte
à la station multifonction de Sedrun.
Date : 30.08.2016.
1 × montre Mondaine stop2go édition
CFF Gottardo 2016 (750 CHF)
Cadran issu des portes des cabines
de conduite des Ae 6/6, arrêt
secondes comme l’original en gare.
2016 exemplaires.
1 × montre Mondaine édition Nord Sud
(260 CHF)
« Griäzi » et « Buon di » sur le bracelet
en cuir, armoiries des deux cantons sur
l’envers, logo au dos du cadran.
100 × lunettes 3D
Les « Cardboard » de Google permettent
de visualiser l’intérieur du tunnel en 3D.
La participation est gratuite et n’implique pas
la conclusion d’un acte juridique. Le concours
est ouvert à toutes les personnes physiques
domiciliées en Suisse et âgées de 18 ans révolus.
Une seule inscription / participation est
autorisée par personne. Les gagnants seront tirés
au sort et informés par écrit ou par e-mail.
Aucune correspondance ne sera échangée au sujet
du concours. Tout recours juridique est exclu.
4 Il n’y a aucune photo
du sommet du Gothard.
Est-ce bien une montagne ?
hemi) Le Gothard est un massif
montagneux pétrologique
et tectonique. Ce n’est pas
une seule montagne.
hott) Le Gothard existe (3210 m),
sinon il n’y aurait pas de col
du Gothard. En venant du nord,
le sommet est au niveau
du refuge sur le flanc droit.
lern) Les Romains ont nommé Saint
Godehard de Hildesheim le
sentier muletier qui franchit le
col (voir p. 43). Seul le sentier
s’appelle ainsi.
trai) Toutes les réponses ci-dessus
sont fausses.
5 Parmi les idées suivantes
pour franchir le Gothard, laquelle
est vraie ?
pota) Des avions de ligne et un
nouvel aéroport à Andermatt
(idée de l’inventeur égyptien
Samih Sawiris)
cher) Le plus long funiculaire
du monde, entre Airolo et
Göschenen (idée de Suisse
Tourisme)
tase) Un hyperloop entre Zurich
et Milan (idée d’Elon Musk,
fondateur et PDG de Tesla
et de SpaceX)
ndes) Des canaux pour rendre
le Gothard navigable
(idée de l’ingénieur italien
Pietro Caminada)
6 Qui a affirmé que le Gothard
était le plus haut sommet du monde ?
rohi) Napoléon
affa) Jules César
polu) Hannibal
nilo) Johann Wolfgang von Goethe
7 Y a-t-il d’autres tunnels
ferroviaires du Gothard ?
tion) Oui, un à St. Godehard dans
l’Ohio aux États-Unis (615 m)
ires) Oui, un de 318 m entre
Nuremberg (DE) et Egra (CZ)
stin) Les deux premières réponses
sont correctes.
ppes) Non, il n’existe qu’un tunnel
du Gothard, en Suisse
Jouez
et gagnez
une traversée
du tunnel
— Quiz —
Alfred Escher a fondé le Credit Suisse en 1856. Véritable moteur économique d’une Suisse
Depuis 160 ans au service de la Suisse.
credit-suisse.com/gottardo2016
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