7/24/2019 348-thique+et+signifiance.+De+Lvinas++un+personnalisme+de+contextualit
1/14
Ethique
et
signifiance
DE
LVINAS
UNPERSONNALISMEDE
CONTEXTUALIT
Cettecontribution proposed'aborder laquestionduprocs
de
signifiance encorrlation avec la notionde
souci
de
l'autre, parti-
culirement dveloppepar
Emmanuel Lvinas.
Il va s'agir
ici
de
mesurer ceque
la thorie lvinassienne
du
langage
fait surgir
de
neuf et de regarder les
interrogations
qu'elle suscite. Dans le
deuxime
mouvement de
cette
rflexion,
nous
proposerons une
approche critique
s'appuyant
sur
la
ncessit
de
pensercette
pro-
blmatique
sous
l'angle
d'une dialogique
transcendantale
(Fr.
Jacques),mais
aussi de
prendreen compte
de
faon radicale
la
cor-
rlationentre lecontexte et latemporalit.L ide
consiste
mon-
trer que le contexte
ne se rduit pas
ce
qui
permet le
sens;
il
construitgalement
l'identit
d'unepersonne.
Chacun,
d'unecer-
taine
faon, intriorise les divers contextes de communication
danslesquels
il
s'esttrouv
au
cours
de
son
existence.
Cela
contri-
bue
constituer
sonidentit.Pour le m eilleur
et
pour
le
pire.
Les
incidencesde
cedplacement
sur leplan
d'uneproccupation de
laparoled'autruinesemblentpas
ngligeables.
I.- Lvinas,
signifiance et
rapport
l autre
1 Quand le bonjour prcde le cogito
Emmanuel Lvinasopreune
rupture avec
une tradition
philo-
sophique quiinterprtetouterelation
l'autre
sous
le
registre
du
sav oir. Ildveloppe
l'importance
dela relation
autruiet
plus
pr-
cisment de
l'thique
comme
philosophie
premire.
Ce
n'est
pas
larelation de l'homme aumonde qui setient au
commencement,
mais la
relation
avec l'autre homme. L'tonnement,
dont on dit
qu'il estl'originemme de laphilosophie,n'estpas que lemonde
soit,maisquautrui
soit
en facedu
moi
1
. Ils'agitdonc
de renver-
serl'ide
selon laquelle l'ontologie serait laphilosophiepremire.
De toute vidence, ici, le bonjourprcde
le
cogito.Autrement
1 G . B A I L H A C H E L e su je tch e z E m m a n u e lL v inas ,Paris,P .U.F,,1994, p. 156,
7/24/2019 348-thique+et+signifiance.+De+Lvinas++un+personnalisme+de+contextualit
2/14
THIQUE
ET SIG NIP IANCE 47
dit,
contrairement
Descartes, il ne
s'agit
pas
de
repartir de la
conscience, car
celle-ci
sevoit toujours
prcdepar
la relation
interlocutive.
Commententendre
la
rupture
avec
le
primat
de
l'ontologie?
Le
traitfondamental
del'treest la
proccupation
de
son tre
mme.
Ainsi, trs concrtement, les
plantes,
les animaux et l'ensemble
des vivants
s'accrochent
leur existence. Pour chacun, c'est
la
luttepour la vie.
Or,
dansl'humain,apparat la
possibilitd'une
absurditontologique. Le
souci
d'autrui peut
l'emporter
sur le
souci de
soi.D'ol'intrtduphilosophe
pour
lelangage, car il
s'adresse
autrui,
comme
si
on
ne
pouvait
pas
penser
sans
se
sou-
cier dj
d'autrui. D'oreset d j
ma
penseestdansun
dire.
Au
plusprofond
de
la pense s'articule le 'pour-1'autre',
autrement
dit, la bont,l'amourd'autruiplusspirituel que la
science
2
.
De
faon
plus
prcise,
le
rapport l'autre
n'estpasrductibleaurap-
portdel'homme
la
chose.
Pour sa dmonstration,Lvinas reprend la
distinction
entre le
Je-Tu
et
le
Je-Cela
de Buber.
S elon
ce
philosophe,
en
effet, le
Moi
n'est
pas une substance
mais
une relation. U existeuniquement
commeunJe
s'intressant
unTuou saisissantun
Cela
(enten-
dons iciunobjet,une
chose).
Ledomaine du Celaconcide avec
ce que leJe saisit
dans
une exprience objective
et pratique.
Ainsi, je peux
percevoir
quelque chose,
avoir la
sensation
de
quelque chose,
me
reprsenter ou penser quelque chose. Tout
cela
et
tout
ce
qui
lui
ressemble
fondent
ensemble
le
domaine du
Cela
3
. Mais
la
relation qu'instaure le langage
ne
se limite
pas
celle
qui
lie
un
sujetetun ob je t
(registredu
Je/Cela)
4
.
Le langagenepeutengloberautrui:
autrui,dont
nousutilisonsen
ce
moment
le mme concept, n'est pas invoqu comme concept,
mais
commepersonne.
Dans la
parofe,
nousne
pensons pas
seule-
ment
l'interlocuteur, nous
parlons avec lui,
nous lui
disons le
concept
mme
que
nous
pouvons
avoir
de luicomme
interlocuteur
en gnral
5
.
Incontestablement, lelangageinstaureunerelation qui
n'esten
aucune
faon
rductible au
rapport
sujet-objet.
L'autre
interpell
n'estaucunementunreprsent,
un
donn,unparticulier offert
2. E. LVINAS, L e s i m p r v u s d e l h i s t o ire , Montpellier, Fa ta
Morgana, 1994 ,
p.201.
3.
ID.,
Noms
propre s ,
Montpellier,
F a ta Morgana,
1976,
p. 28. Cf. M . BUBER,
Ic h undDu,1923 (Je e t
Tu ,
Paris, Aubier, 1969) .
4 . L. WENZLER, Postface
l'dition
a l lemande
du T e m p s e t l Autre, dans
C a h i e r
d e l Herne. Emmanuel L v i n a s , dit. C. CHALIER
et M . ABENSOUR,
Paris,
L'Herne,
1991,
p .
161-162.
5 .E.
LVINAS,
E n t r e - n o u s . E s s a i s
s u r
le p e n s e r -a - l a u t re , P aris,
Grasset,
1991,
7/24/2019 348-thique+et+signifiance.+De+Lvinas++un+personnalisme+de+contextualit
3/14
4 8
F .
POCH
la
gnralisation.
Lelangage
instaure
la
rvlationdel'Autre
6
.Et
cederniernepeutpastre
compris
dans la catgoriedel'tre.
En face de l autre, l acte de comprendre et de saisir dans la lumi-
rede
l'tre
apparat comme
un
acte
deviolence.
La
comprhension
quisesaisitde l'autre
sous
lemode
ontologique
qui
n'enrpond
pas sous
mode thique estviolence
son gard,
parce
qu'elleeffa-
ce
prcisment
l'altritdel'autre,se
l'assujettit
et l'extrme
parce
qu'elletue l'autre.
Maisen
mme
temps,
cette violencedoitchouer
face
autrui.
La violence du pouvoir
et du comprendre
heu rte dans
autrui
sur
une
limite absolue:
ce
qui
prcisment
faitl'autre
comme
tel chappe
aupouvoir
du
sujetautonome
7
.
Aussi, contre
la violence
de la comprhension, l'autre,
selon
le
philosophe,opposeunersistance. Rsistancequinedoitpastre
entendue comme
violence mais
qui tient plutt, au contraire,
l'absencedeprotectiondel'autre.L'autre
dans
sa fragilit
s'expri-
me: tune
tueras pas.Cette
demande
a
la
valeur
d'un
comman-
dement.
Larsistance
la violence est
une
rsistance
thique
8
.
Or
et
c'est
l
que
nous
rejoignons
le
sujet
de
cette
prsente
contri-
bution
,
au sein
de
cettersistancethique, en dehorsde toute
violence, s'exprimeune signification
quin'mane
pas de l'inten-
tionnalit donatricede
sens
d'un
suje tconnaissant,
mais
quivient
plutt
de
l'autre.
Ilnous
f a u t
mettre en relief ici ledpassement
de
la phnom-
nologiehusserlienne
9
tellequ'onse la reprsentegnralement.
En
effet,
chez
le
philosophe
allemand,
le
sens
est
produit
par
un
sujet.
La
subjectivit
intentionnelle
de la conscience se
pose
au com-
mencement.Lorsque
j e
parle,
j e
suis l'initiative du sens.
Con-
crtement, onpeut
penserau
schmade
communication
metteur-
rcepteur. L'unproduitdusenset l'envoie
l'autre.La
parole
se
dplace d'unpoint
un autre,
l'image du liquide dans l'exp-
6 .
E.
LVINAS,
Totalit
e t
Infini.
E s s a i
s u r
l extriorit.
La
Haye,
Martinus
Nijhof f ,1971,p.70. Lvinas rejointainsiMauriceBlanchot,
selon
quiparler
quelqu'un, c'est accepter de ne pas
l'introduire
dans le systme des choses
savoir
ou destres
connatre,
c'est
lereconnatre inconnu
etl'accueillir
tran-
ger,
sans
l'obliger
rompre
avec
sa
diffrence (M . BLANCHOT, L entretien
infini,
Paris, Gallimard,
1969,p. 187).
7.L.W ENZLER ,
Postface... (cit s u p ra ,n. 4 ),p.161-162.
8.Ibid.
9 .
Introducteur
de
la
phnomnologie
en
F rance
et
cela
mme
avant
Sa rtre ,
E.
LVINASsouligne en 1931 la vise dece mouvement:
Phnomnologie
signi-
fie science des phnomnes.
Tout cequi
se
donne,
se montre, se dvoile
notre
regard,
est
phnomne.
Mais alorstout est
phnomne
etchaquescience phno-
mnologie Nullement.
Ce
qui
se
donne
la conscience
ne
mrite le
nomde
phnomne
que si on
le
saisit travers
le rle
qu'il j oue et
la
fonction
qu'il
exercedans la v ie
individuelle
et
effective dont il estl'objet.Sans cela c'est
une abstraction... La phnomnologie est conduite par
la
conviction que la
significationphilosophique et
dernire duphnomne
est
atteinte
quandon
le
replacedans
la
v ie
consciente,
dans
l'individuel
et
l'invisible
de
notre
existence
concrte(Lesim rvus...[cit s u ra ,n.2], .
9 5 -9 6 ).
7/24/2019 348-thique+et+signifiance.+De+Lvinas++un+personnalisme+de+contextualit
4/14
THIQUE
ET SIG NIFIANCE 49
rience
des vases communiquants.
Or cette
prtention
de
la
conscience
se
posercommeconstituante
court
le risquederame-
ner l'altrit d'autrui
et
celle de
toute
ralit
au sujet.
En
bref,
d'enfermer
l'Autre
dans
le
Mme
10
.
Inversement,
ce
que
met
en
relief Lvinas, c'est un sens qui
mane
de l'autre". Nous avons a f fa i re
alors
un renversement
radical.
Ce
sens
12
,dans
lequel
l'autre
s'exprime lui-mme
et dans
lequel il
s'oppose
vritablementcomme
rsistance
thique tout
dsir
desaisie,s'appelle le Visage.
Ce
Visagedel'autremeparle
et
exigede ma
part
unerponse'
3
.Necroyonspasqu'aveccette
ide
nous
sortions
du
langage,
registre
de
l'entendre,
pour
le
registre
du visible. LeVisage,
chez
Lvinas,
ne
renvoiepas
une ralit
plastique, un donn
empirique, mais doit
s'entendre comme un
parler...Il signifie
de
parlui-mme.
Ainsi,le
Visage
me
parle, ilm'invoqueet
mmemecon-voque.
Et
ce vocare, cet appel,
m'invite
une
rponse'
4
.
Rpondre
autrui, rpondre d'autrui, incontestablement
le
l an g ag e
se pose
vritablement
comme
le
lieu
de
l'thique.
La
relation
qu'il instau-
re
est donc
de
l'ordre
de
l'interpellation.
Cet autre
qui j e
m'adressereste
dans
sonhtrognitds
lors que
j e
l'interpelle,
mme
sic'est pour
lui
dire que jenepuis
lui parler,
ou que
je
le
classecommemalade, oubienpire,que
j e
luiannonce sa condam-
nation
mort.
Paradoxalement, en
mme
temps
qu'il se
trouve
violent,voirebless,ilest
respec t .
10. Cette
approche
de Husserl peut tre
aujourd'hui
n u a n c e g rce la
connaisance
de certains cri ts . Ainsi, dans une lettre adresse
au
philosophe
polonais
RomanIngarden,
date
du26mai
1 9 2 9 ,
Husserl
a f f i r m equ'iln'est p a s
satisfai t
de
la
rdaction de
son Introduction
la phnomnologie.
Ce
texte
f it
l'objet
de confrences
prononces quelques
mois auparavant en France (
la
Sorbonne),
et
que
l'on connat sous le titre, traduit par
L v i n a s
lui-mme, de
Mditations cartsiennes. Or ce sur quoi
Husserl
n'est pa s sa t isfai t concerne
justement
ce
problme
de
l in te rsubjec t iv i t .
Il semble
alors
possible que
la
critiqueselon
laquelle,
chez
Husserl, la relation
autrui
ne
seraitpas
indispen-
sable
au su je t transcendantal appe l l e
quelques nuances. Cf. J.-L.
PETIT,
Solipsisme e t intersubjectivit.
Quinze
l e o n s s u r Husserl e t
Wittgenstein,Paris,
Cerf,
1996.
11.
E. LVINAS,
Entre-nous...
(cit
supra,
n. 5 ),
p.
44.
12.Il
n'est
pas faci le
de
c lasser
la
terminologie
de Lvinas. Cela dit,
on peut
noter
qu'il d i s t ingue parfois la signification
du
sens.La signification est
cultu-
relle, contingente,
relative.
Lt
le
sens
sera i t
plutt
orient
vers
la
t r a n s c e n d a n c e .
Autrement
dit
versl'absoludel'altrit.Nefaut-ilpas...distinguer,d'unepart,
les significations, d a n s
leur
p l u r a l i s m e
culturelet,
d'autrepart,
le
sens, orienta-
tion
et unit de l'tre, vnement primordial
o
viennent
se p l a c e r
toutes
les
autresdmarchesde la pense
et toute
la
vie
historique
d e l t re?
(E .
LVINAS,
Humanisme d e l autre
homme,
Montpellier,Fata
Morgana,
1972,p.39).
13. L. W N Z L E R , L e
temps
comme
proximit de
l'absent.
Diachronie de
l'thique et
diachronie
de
la
sensibi l i t, d a n s
Cahier
d e l Herne. Emmanuel
Lvinas(cit
supra,
n.
4 ) ,
p.
161-162.
14.
Cf.Fr. POCH,Dumal
radical
au
respect
d e
l autre.
P e n s e r
avecArendtet
7/24/2019 348-thique+et+signifiance.+De+Lvinas++un+personnalisme+de+contextualit
5/14
5 0
F .POCH
Lorsque
j'invoque
une personne, jene l enferme pas sous une
catgorie, dansun essaid'analyse,de conceptualisation (le Begrif f
al lemanddonne entendre
encoreune
notion
d'emprise...), mais
je
m'adresse
elle.
L'Autre
n'est
pas
un
objet ,
il
sort
de
mon
emprise
et, grce au langage,
fait
l'exprience
de
la
justice, quel'on
doit
entendre
ici
comme cetabord de facedans le discours
15
.
Ceuxqui
essaient
de maintenir
un
change de
paroles
avec
des
personnes
devenues
particulirement
agressives,
cause
du
senti-
mentde rejet,
d'exclusion
par
exemple,
dans desquartiers dfa-
voriss,
des banlieues ,
mesurent au
quotidien l'importance de
cette
parole.
La
violence
qui
s'exprimeverbalement
est
celle
qui
commence
entrer
dans
le
registre
de
la
raison.De par
ce
fait,
elle
amorce,
d'unecertaine
faon,
un
processusde
sortie
de la violence.
LeDire et le
it
Lvinas
opre
une
distinction
entre
leDit,
situ
dans le
registre
de
l'information,
du
savoir,
et
le
Dire
qui
exprime,
pour
sa
part,
le
faitde ne
pas
simplement
rester
contempler
le
V isage,ma is de
lui
rpondre.
Car,encoreune fois, ce
n'est
pasl'ordre de la connais-
sancequiimporte ici, mais l'interlocution
16
. Le
fait
que
la
parole
ncessite toujours un
autre,
une pluralit
17
.
Le Dire prcde les
signesverbaux.Antrieur
aux systmeslinguistiques et aux
cha-
toiements smantiques avant-propos des langues , il
est
proximit
de
l'un
l'autre,
engagement
de
l'approche,
l'un-pour-
'autre,
la
signifiance
mme de
la
signification
8
.
En
d'autres
termes,
comme
Dit,
le langage parle
de quelque
chose etexprime la relation de celuiquipane la ralit
dont il
parle, exprimant
ce qu'il
en
est.
Comme on parle
pour dire
quelque chose, viser
unobjet"
quelconque,
le
dialogue
lui-mme
apparatcommeune modalitduJe-Cea.Cequi ferait
penser
le
rapport
avec
autrui
dans
le
registre
de
la
vrit
et
de
l'objectivit.
On
se situerait,
au
fond, sur le plan du connatre. Dialoguer
consisteraituniquement viser ensemble une vrit.
M ais Lvinas
propose d'entendrele
langage
commeunDire.On
peut en effet, s'interroger: le
langage
serait-il fondu dans le
Dit
sanss'en diffrencier?Justement,
non. Il
s'agitplutt de penser la
singularit
de
ce
Dire.
Certes,
le
langage
dit
ceci
ou
cela,
il
pose
15.E.
LVINAS,
Totalit...
(cit s u p ra ,n.
6 ),
p.
4 3.
16.Cf. ID., thique e t Infini,Pans,
Fayard,
1982,p.39 .
17.Cf. ID.,
Total i t . . . (cit s u p ra ,n.
6 ),
p.
4 5 .
18. ID., Au-del d e
l e s s e n c e , dans
Revue d e Mtaphysique e t d e Morale,
Juillet 1970,
n
3,repris
dans
L i n t ri g u e
d e
l infini,
textes
de Lvinasprsents
par M.-A.LESCOUR R ET,Paris,Flammarion,1994,p.139.
19 .
J'emploie
ce
terme
au
sens
large
du
terme,
c'est--direun
obje t
de
conver-
sation ou
un
objet de discussion...
7/24/2019 348-thique+et+signifiance.+De+Lvinas++un+personnalisme+de+contextualit
6/14
THIQUE
ET SIG NIP IANCE 51
uneralit,mais il dit en mmetemps toi, ils'adresse
l'autre.
LeDiredit Toi
souvent sansmmeque le termene soitpro-
nonc
tout
simplement
cause
de
sa
naturedediscours
direct
qu'il
est
ouauquel,
en fin
de
compte,
il
a ppart ient
20
.
Le
Dire sesitueavant ledploiement dessignes, avantmme
le
systme
des
renvois,qui constitue une
culture.
Il estplusprcis-
mentresponsabilitdel'un
l'garddel'autre.Ondoit
entendre
leDire comme
l'actepar
lequel le sujet cessed'tre ce qu'il est,
cesse
de
persvrerdans
son tre,
pourreprendre
le
clbrecona-
tusde Spinoza
21
,
afind'exposer
son tre
mme.
Et
cette
exposition
desoi
est
uneprise
de
risque, un arrachement
soi.
Jem
arrache
moi-mme,
mon
tre-l,
enme
mettant
en
j eu
en
m'exposant
l'autre, en
medcouvrant
commeon sedcouvre en ngligeant
lesdfenses,
en
quittant l'abri,
en
s'exposant l outrage
22
.
Enfin,
autruine
peuttre
thmatis, car il peut
toujoursporter
secours
sa parole,
assistersondit par
son
dire,
ddiresondit parun nou-
veaudire.
C'est
donc
bien lediscours oral
qui
est la
plnitude
du
discours.Il
n'y
a
pasde
signification
sansl'Autre
quidit
le
monde,
c'est--dire
qui
thmatis
ce
monde
par
son entendement
et
son
langage,
et
le lieu
de
la signification
estbien
le langage...
Sans la
parole
le
monde
est
insens
23
.
Nouscommenons mieux
entendre
cequ'ilen estde la
philo-
sophielvinassienne de
la signifiance.
Cettepense
s'oppose
la
fois
au
structuralisme
et une
philosophie
heideggrienne
du
lan-
gage
24
.Expliquons-nous.
Le
structuralisme
rduit
la
signification
au
registre du
dit.
Plus
prcisment,ilneprend en compteque le rapport
des
signesentre
eux,
l'intrieur
du
systme.Cette dmarche
vacue
alors,celui
quiparle,l'interlocuteur et
la
ralit
laquelle
renvoie
le
langage.
Cela
implique,
pour lemoins,
la non-prise
en comptede la rela-
tion
diafogale
instaure
par
le
langage.
Pour
Heidegger,
le sujet
est
absorb
par
l'tre (Greisch).
L'homme
est
le
berger
de
l'tre.
Ce
qui
importe
l'auteur
de
la
Lettre s u rl humanisme, cen'estpas 1nomme,
mais
l'Etre.
Et la
librationdulangage des liens
de la grammaire, en vued'une
arti-
20.
E.
LVINAS,
Hors
Sujet,
Montpellier,
FataMorgana,
1987,p.49-50.
21.
Spinoza
identifie
l'essencede
l'humainpar
cettepuissance
d'trecommune
et
fondamentalecheztout
individu,etqui
consiste
persvrer dansson
tre.
Cet
effort
(conatus)
vers
l'autoconservation
est
une
dimension
essentiellede
la
nature
deschoses.Or, sinous
prenons
comme
chose
l'esprit
del'homme,
nous
voyons
qu'iltendde
faonconsciente
durer
indfiniment.Et
d'autre
pan,
il n'accepte
pas l'ide
de
la
destruction
du corps dont
il
est l'ide. Cf. SPINOZA, L thique.
Deuxime partie,proposition
VI,
Paris,Gallimard,
1 9 5 4 ,
p.156.
22. F R . AUBAY, LeDirecomme dhiscence de la
subjectivit,
dans
Emmanuel
Lvinas.
L thique
comme
ph i l o s o ph i e
premire.Actes
du Colloque
de
Cerisy-la-
Salle,dit. J. GREISCHetJ. ROLLAND,
Paris,
Cerf,1993,p.4 13.
23.G. BAILHACHE, L e s u j e t . . . (cit s u p r a ,n.1),p. 86 .
24 .
C f.
J.
G R EISCH,
L g e
hermneutique
d e
la
raison,
Paris,
Cerf,
1985 ,
p.
2 5 3-25 4 .
Ces quelques pagessont par t iculirementclairantes.
7/24/2019 348-thique+et+signifiance.+De+Lvinas++un+personnalisme+de+contextualit
7/14
52 F.POCH
culation plusoriginelle
deslments, estrserve la pense et
la posie
25
.
En
opposition
l'un
et l'autre,Lvinas
tient
la responsabilit
comme
fondement
mme
de
la
signifiance.
C'est
la
sincrit
du
dire, j amais
galepar le
dit,qui
fait
signevers la signifiance elle-
mme,autrement
dit, elle
instaure la 'donationdesigne'
antrieur
toutedonationde
sens
26
.
Enfin, la dmarchedeLvinasconsistegalement marquerune
distance notoire
l'gard
des
sciences
humaines. Car selon lui,
non
seulement
le
marxisme,
mais
toute
sociologie
et
toutepsy-
chanalyse,
tmoignentd'un
langage
o
le
principal
ne
rside
pas
dans
ce
que
les
mots nous enseignent, mais dans
ce qu'ils nous
cachent
27
. Le philosophe ragit vivement en a f f i rmant , qu'au
bout du
compte,
personne n'coute ce que vous dites; tout le
monde souponne derrirevosparoles du non-dit, uncondition-
nement, une
idologie
28
.
Le danger est de toujours chercher ce
qu'il
y a
derrire.
Le
sociologue cherche les lois
sociales
aux-
quelles
obissent
les
clins
d'il
et
les
sourires
d'autrui;
le
philo-
logueoul'historiencontestent chacun jusqu au pouvoirmme
d'tre
l'auteur
deson
discours.
Ce
n'est
pas uniquement la
paro-
leque dmolissent l'histoire
ou
la psychanalyse,mais aussi le je .
Lapsychanalysejetteunesuspicion fonciresur le tmoignage le
plusirrcusable
de la conscience de soi
29
.
Je
rsiste
pour
ma
part
une
tellecritique.
Car,
aucontraire,les
sciences
humainespeuvent
contribuer
mieux
comprendre
et
mieux
entendre
l'autre
30
.
De
plus,
on
pourraitd'ailleurs
se
demander
si
le concept produit
toujours, ncessairement,
une
rduction
au
Mme.
Cela
dit,
Lvinas
nous aide
nepas
tomberdans
lepan-smiologisme
de
25 . M. HEIDEGGER, Lettre
s u r
l humanisme, 1946, reprise dans ( Q u e s t i o n s
I I I ,
Paris,
Gallimard,1966,p.75.
26 .J. GREISCH
marque, pour
sa part, u n e distance vis--vis
de
la position
de
Lvinas.
Selon
lui, en effet ,
l'accusation
contreHeideggerpourrait tonner,dans la
mesureo
la
pense heideggerienne
du langage
cherche
prcisment
s'orientersur
unDit
antrieur
toute
communication,
la voix mmedel'tre
voix
du silence
(Gelant d e r
Stille)
,Dit
essentiel
( S a g e )o le langage
se
par le
lui-mme seul
seul.Il
est
indniable
quecette
approche
ouvre uneproblmatique
du
dire
etdu
ne
pas dire
Le
dire
pensant suprme
consiste
ne
pas
simplement
passser sous
silence
ce
quidoitvritablementtredit,
mais
ledired'unefaontellequec'estditdans le
non-dire: ledirede la pense
est
un
taire...
C'est cedire-l
qui
correspond
galement
l'essence
la
plus profonde
du
langage,
qui a
son
origine
dans
le silence
(L ge
hermneutique...
[cit
s u p ra ,
n.
24] ,
p.253-254).
27.E.
LVINAS,Difficile
Libert,
Paris,
Albin
Michel,
1963,1976,
p.
266.
28. ID., Du
s a c r
ausaint,Paris,Minuit,1977,p.
108.
29.Cf.
ID.,Entre-nous...
(citsupra,
n.
5),
p.
34.
30.
Cf.
Fr. P O C H ,
La
linguistique,
une c o l e four
la
rencontre
d e l Autre.
Regardet
ouverture
philosophiques
s u r
l e s s c i e n c e s
du langage,
dans
Philologie,
n6,1995,Senda(Japon),
p.
19-37.
7/24/2019 348-thique+et+signifiance.+De+Lvinas++un+personnalisme+de+contextualit
8/14
THIQUEET SIG NIF IANCE 5 3
certaines
thories
3
', ou
dans
une saisie totalisante
de
l'homme,
ncessairement
ngatr ice
deson
irrductible
altnt.
3
Parole e tcitoyennet
Nous
avons
voquprcdemment l'importance
de l'autre,
du
Visage ,
commelieude la
signifiance.Mais
onnedoitpasoublier
galement le tiers, le
sans-visage,
celuique j ene rencontre
pas
dans ma vie quotidienne et qui
pourtant
me
regarde.
Avec
Lvinas, la paroledploiegalement
une
dimensionsociale.
Chacun
est
appel
devenir
un
citoyen
de
la
parole
32
.
En
effet ,
laparolepersonnelle, la parolepropre, celle
qui
s'exprimeenson
nom,ose exercer
sa
libert sans se
rfugier
derrireune autorit
reconnue
par
des
institutions
ou bien
des h a b i t u de s mentales,
pour
s'adresser
l'autre comme
tel. Lapertinencede
la
paroleper-
sonnelle
nedpend
pas
de
l'adaptation du
discours
aux
conditions
conventionnelles du succs
ou
de
l'chec
d'une
intervention
verbale.
La
parole
propre
se
s i tue
au-del
du domaine
des
signifi-
cations
objectivement
tablies.
Elle
se pose comme
l'expression
mmedu su je tcomme force de
rupture
et
comme
ouverture
un
sens
quel'onneprvoyait
pas.
Cetteforcederupturemiseen relief
par
Lvinas
dans
la
parole
propre sesitue
sur
un autre registre quecelui
des
relationspr ives.
Onpeut, la limite,supposerqu'unesocit
totalitaire
admette
la
possibilit
de
la
relation interpersonnelle,
condition
que
celle-
ci
ne
secompromette
pas
dans la
v ie publique
etqu'elle
soit
tout
moment contrlablepar
l'tat.
Mais
ledfi
lanc
par
la 'libertde
parole'concerne l'entrede la parolepersonnellenon seulement
dansl'existence prive
mais
dans la
v ie
publique.
Unesocit
dans
laquelle les institutions confisquent
le
discours reconnu comme
pertinent etlgitime estun
mondesans
parole
33
.
Dans
une soci-
t
tente par
le
totalitarisme,
tout
est
prsum
pouvoir
tre
dit
par
les institutions qui se font entendre
travers
leurs porte-parole
officiels
34
.Alors, la parole
propre
qui se
risquedans
l'espacesocial
devient unevritable
parole citoyenne.
31.Afindenuancerl'apparente radica l i t
du
proposde Lvinas,
on
peut lire
la
contributionparticulirementintressante de
P.-L. ASSOUN, Le
su je t
et
l'Autre
chez Lvinaset L a c a n ,dansRue Descartes.7.
Logiques
d e l thique,di t .P.-J.
LABARRIRE
etJ.R OGOZ INSKI,
Paris,
AlbinMichel, 1 9 9 3 ,p. 123-145 .
32.
Cf.
Fr. POCH,
L homme
et s on langage. Introduction la
linguistique,
Lyon, ChroniqueS ociale,1993.
33.
P .
HAYAT,EmmanuelLvinas,thique
et
socit,Paris, K i m ,
1995,p.
44-
45.
34
E
L V I N A S Difficile
l ibert
cit
par
P .
H A Y A T
dans E m m a n u el
L vinas .
7/24/2019 348-thique+et+signifiance.+De+Lvinas++un+personnalisme+de+contextualit
9/14
5 4 F .
POCH
4 Signifiance e tcritique du
dialogue
socratique
Revenonsmaintenant l'ide qui
consiste
penser la signifian-
ce
partir de l'autre.Etnotonsque
cette position
n'est pas sans
incidences
concrtes.
Nous
mesurons,
en
effet,
l'enjeu
d'une
telle
approche,notamment
pour
une
philosophie
du dialogue.Jepense
principalement la possibilit qu'elle offre de dpasser une d-
marche
de
dialogue
inscrite dans le sens de la maeutique socra-
tique. Dmarche quiconsiste
faire
sortir de soi une
vrit dj
contenue
l'intrieur
de soi.Car dans le dialogue telquenous
le
trouvons chez
le
philosophe
grec,
le sujet
n'a rien
recevoir
d'autrui,
sinon
ce
qui
est
dj
en
lui.
Comme
si
depuis
toujours
chacun
possdait
cequi
lui
vient
dudehors.L'autre
serduit
alors
un
simple
rvlateur
35
.
Or
Emmanuel Lvinas
se
situe bien autrement. Selon luil'es-
sence
de la
parole
se
tient dans
la
rponse qu'ellesuscite.
La
paro-
le est vraielorsqu'elleprocde de larelation
Je-Tu
etquand elle
accomplit la rciprocitde larelation en suscitant la rponse et
en
instaurant
la
personne
singulire
seule
capable de
donner
rpon-
se
36
.Ainsi, la relation
privilgie
du Je avec l'autretient
dans le
face
face de
la conversation, oupeut-treplus prcisment du
dialogue.
Car dans
cet
change
verbal,
thique
de
part en part,
j'accueille
ce
quivient
moide l'autrepluttquejeneprojettesur
l'autrecequi
existe
dj
en
moi
soit
comme besoin,
soit comme
ide,
soit comme fantasme.
L'interaction
verbale
est dfinie
ainsi
comme
un
vritable
enseignement
quinous
donne
un
sens
de
l'ex-
trieur etquiparconsquentn'est
aucunement
rductible
une
maeutique
37
.
La prioritdonne l'autre,dans
sa
radicale
extrio-
rit,
altrit,ouvre deshorizonsbeaucoup
plus
fconds.
II.-
Vers
un
personnalisme
d e
contextualit
1 Approche
dialogique
de lasignifiance
Essayonsmaintenant
de
prendreune
certaine distance
critique
par rapport
la philosophie de la signifiance propose
par
Emmanuel Lvinas. Je rsiste,
pour ma
part,
une
formule qui,
insistantsur
l'asymtrie
dans
le
rapport
l'autre,
ne
met
pas
assez
la
rciprocit interlocutive au cur
mme de
la production
de
parole.
La philosophie de la
signifiance
dveloppe ic i
mrite
35 .
ID., Total i t . ..
(cit su p ra ,
n.
6 ),p. 14 .
36 .
ID.,
Noms Propres, Mon tpellier,
F a ta Morgana, 1976,p.
34 .
37.
R.
KEARNEY,
Postmodernisme
et
imagination
thique, dans
Emmanuel
L v i n a s . . . (cit
s up ra ,
n.
22),
p.35 9.
7/24/2019 348-thique+et+signifiance.+De+Lvinas++un+personnalisme+de+contextualit
10/14
THIQUE
ET S IG NIF IANCE 5 5
d'tre retravaille dans le sens
de la
dialogique transcendantale
inaugure
parlephilosophede
la
communicationFrancis Jacques.
L'ide
consiste
pousser
plus
fond la
notionde
structure
dialo-
gale
de
la
parole.
Reprenons, cet
gard,troisdimensions
de la
thorie
gnrale
des signes
dveloppe
par
Morns.Cephilosopheamricain,n au
dbut
du
sicle (1901),
distingue
l'intrieur de la smio
tique,
l'tude syntactique, qui
s'intresse la
relation des signes
entre
eux, l'tude
smantique,
qui concerne la
faon
dont le signe
dsigne, et
enfin,
la pragmatique qui se proccupe du rapport
entre
les
signes
et
ceux
qui
les
interprtent.
Repartant de
ces
trois
distinctions, Fr.Jacques repense
nouveauxfrais
une
thoriede la
signifiancequi
prend
sesdistances avec
Husserl
d'une
part
et avec
Lvinas de l'autre
38
. Des catgories prcdemment exposes, il
retire troistermes leur
correspondant
respectivement: diffrence,
rfrence,
interlocution. L'articulation
de ces trois
dimensions
forme la signifiance.
a La
dimension
syntactique oul ordre
de
ladiffrence
Ellepense l'articulation entre
les
diffrents signes.Ellecorres-
pond
au fond
l'approche structurale qui vacue la
chose
vers
laquellerenvoie le
langage
(rfrent),celuiqui
parle
(sujet) et
celui
avec
quil'on
parle(interlocuteur).
Onprivilgie ici
la
fois
l'arti-
culation
entre
le
signifiant
et
le
signifi
(qui
forme
le
signe)
et en
mmetemps
les
rapportsentre les d if frents
signes
l'intrieurdu
systme.
Exemple. Ds lors que l'on connat le franais,
on
peut com-
prendre
aisment,sanssavoirqui
parle
etdans quel
contexte,
cette
phrase:
Le
chapeau
de Paul est pluspetit
que
celui
de
Pierre.
Ellepossde doncunesignificationparce quel'organisationdes
mots entre
eux
(ou
signes)
respecte
une
certaine
rgle
propre
au
systme
de la langue f ran aise.Alors
que
la phrase:
Pierre
petit
le
estplus
chapeauqueceluide
Paul
n'estpas
comprhensible.
b. La dimensionsmantiqueoul ordre d e la rfrence
Elleconcernela dimensionsmantique,au sensdes
smanticiens
amricains,
c'est--dire
l'ouverture
du
mot
(signe)
autre
chose
que lui-mme. Ici,
signifier
consiste ncessairement utiliserun
signe
pour
renvoyer unsens propos
d'uneralit
(chose,v-
nement...).
On
parle
alors
du
rapport
entre lesenset la rfrence.
38 .
Cf.
Fr.
JACQUES,
D i f f re n c e e t
su b j e c t i v i t . A n t hr o p o l o g i e
d unpoint
d e
vue
relationnel,
P ar is ,
Aubier
Montaigne,
1982,
ainsi
que De l a ,
s i g n i fi a n c e ,
dans
Von.aoUat f nr .
A -/ 0IQO-7 1
1 70
110
7/24/2019 348-thique+et+signifiance.+De+Lvinas++un+personnalisme+de+contextualit
11/14
5 6 F.
POCH
Exemple.Je
puisdire le papeoul'vquedeRome, il
s'agit
de sens diffrents qui renvoient
une seule
et mme rfrence:
Jean-PaulII.
c
Ladimensionpragmatique
ou
l ordre de
l interlocution
Elle
marque l'ide
f o n da m e n t a l e selon laquelle l'tre
humain
signifie
toujours
avec
quelqu'un.
Intervient,
alors,
la
notion
fconde
de
co-signifiance. Nous sommes ensemble producteurs
du
sens de la parole
que nous changeons.
On parle
alors
des
conditions
dialogiques
la
parole.
En
d'autres
termes, chacun
connat le contexte verbal et
non
verbal
de
la communication
39
.
Cette
connaissance
prend en compte: la propre identit de celui
qui parle;
l'identit
du
partenaire;
les
nonciations dj
faites;
tout
l'arrire-pland'informationprsumcommun.
Defaonfondamentale,
on
peutdire
que
chaquepersonnequi
s'exprime ne dtermine pas la forme de ses
noncs
en
tenant
compte
de
la
seule
information
qu'elle
cherche
communiquer
ou
obtenir. Elle repart de conjectures, d'ides qu'elle
se
fait des
croyances
et des
connaissancesquedtientsonpartenaire.
Cette
approchen'estd'ailleurspastrangre Lvinas,mais elle
radicalise te propos: j eneparlepas
l'autre j e
parle aveclui. La
relationprcde l'acte
de
parole.
La
notionde co-signifiance ou
d'initiative smantique partage
inaugure par Francis Jacques,
implique
une
co-responsabilit
du
sens
dansune
articulation
de
la
diffrence,
la
rfrence
et l'interlocution.
Nous
sommes
produc-
teurs, moi avec l'autre,duprocsdesignifiance.
La corrlation
contexte
e ttemporalit
Mais le
problmen'est
paspour
autant rgl, ca r
il
manque la
dialogique
transcendantale
une
philosophie
de
la
temporalit.
On
ne
peut,
en effet ,rduire le suje tparlant un
simple
e go
commu-
nicans. Les
pragmaticiens
issus de la philosophie analytique
avaientpour
leurpart, d j ,
oubli
cettedimension.Une
philoso-
phie
de
la signifiance
articule
une thorie
de
la temporalit
semblepourtantncessaire.Prenons
un
exemple.
Une
dame
d'un
certain ge
est la mred'une
f e m m e quirside
dans
unpays
tranger.
Cette
j eune
f e m m e est
rapatrie pour
une
opration chirurgicale
importante. Suite
l'opration, le mari
rest l'trangertlphone:Mercide
l'hberger
chezvous.
C'est normal,
rpond
la mre,
on
n'abandonnepas ses
enfants.
Cetterponse
ne semble pas
poserdeproblme en terme
de
signi-
39.
Fr.
JACQUES
Duhaques
r e h e r h e s l o g i q u e s
s u r le
d ialogue
Paris
P.U.F.
1979. .139.
7/24/2019 348-thique+et+signifiance.+De+Lvinas++un+personnalisme+de+contextualit
12/14
THIQUE
ET
SIGNIFIANCE
5 7
fication.
Or,
lelendemain, ce t tedames'explique: Jelui a i
dit
cela,
car, il y a unequinzaine d'annes,
il
nous
avait
reproch
d'avoir
abandonnnotre
fille. Cette
illustration permet
de comprendre
que
le
sens
d'une
parole
ne
peut
parfois
se
dployer
dans
toute
sa
densit qu'en rapport avec le temps
40
.
Au
niveau d'une
prise
en
compte
dela
temporalit,nonseulement les
rflexionssur
la
nar-
ration
mesemblent
fondamentales,mais
galement
lesabondantes
recherches
enpsychanalyse.
Il devient alors primordial de s'interroger sur la mfiance de
Lvinas vis--vis des
sciences
humaines. Lorsque l'on coute
l'autre,
le
dsir
de
comprendre
n'est-il
pas
souvent
ncessaire
a f in
demieux
le
respecter?Defaontrsconcrte,dans
l'accompagne-
mentdepersonnes
en
finde vie,ou dans la proximit
avec
desper-
sonnesmalades,voireendtressesociale,
fa
comprhensiondece
qui
se
dit,parfois
mme l'insu du sujet,
ne
devient-elle
pas
un
outil fondamental
pour
une plus
grande
prise en compte
des
attentesdel'autre?
Nous
mesurons
ici
que
la
thorie
de
la
s ignif iance
s'articule
unephilosophiedu
su je t
parlant.Proposons alors deparlerd'un
suje t
de
contextualit.
Ds
lors que quelqu'un
parle, il se
trouve
en
situation.
Aussi le sens,danssonpaisseur,
sa richesse, sa
densit,
se
dploie
partir
d'uncontexte
4
'.Toutefois la contextualit
ne
se
rduit pas
au
contexte, elle intgre galement l'histoire du su je t
parlant comme tre inscrit
dans
la temporalit en corrlation
avec
le
contexte
,
la
langue
comme structuration
smiotiqueet
enfin
l'inconscient.Je classe ces trois dimensions sous le
registre
dusub-contexte.
Dans ce
sens
il s'agitdedployer la
rflexion
dePaulRicursur
l'identit.
Cedernier, comme chacun
sait,
articule
l'idem
etl'ipsi-
tavec
l'identit
narrative.
La
premire secaractrise par la mme-
t et la secondeprend pourparadigme
la
f idlit. Le
philosophe
souligne
cet
effet
qu'une
chose
est
la
persvration
du
caractre
et
uneautreest la persvrancede la f idl i t la parole
donne
42
.
Enfin,
le
troisime
typed'identitpermet,par lesrcitsque le sujet
4 0 .Je classe cetyped'exemple,
comme
celui
voqu
plus h a u t ,dans
la
catgo-
rie des actes
de
langage temporels. Cf. cet
gard,
Fr. POCH, Sujet,parole e t
exclusion.Une
philosophie
d u
sujet
parlant,Paris,
L'Harmattan,
1996.
4 1.
Prcisons
que
ce
t e r m e
ne
se
confond
pas
avec
le
co - tex te
(BarHillel),
a u t r e m e n t d i t,
l'environnement l inguis t iquepour
parlercomme
les
s t r u c t u r a -
listes
amricains
mais
doit se
comprendre
comme ce q u i
prs ide au
sens.
E. LVINAS cet effet a f f i rme que saisir par
inventa ire
tous
tes contextes
du
langage
et
des
positions o
p e u v e n t
se trouver
les
in te r locuteurs , estuneentre-
prise
insense [Humanisme... [cit
supra. ,
n.
12],
p.
20) .
Celadit,
il
me
semble
que sansprtendre
l'exhaustivit,
une cer ta ine
typologie
es t possible.D'autre
part,
cen'estsansdoute pas t an t la
possibilit
de c lasser
les
d ivers contextesqui
est
importante ic iquede
les
pensercommeunedimension
de
l'identit
du
su je t ,
comme
nous
allons
le
voirun peu
plus
loin.
4 2. P . R IC U R ,Soi-mmecommeunautre,P a r is ,
Seuil ,
1990,p. 148 .
7/24/2019 348-thique+et+signifiance.+De+Lvinas++un+personnalisme+de+contextualit
13/14
5 8 F.
POCH
entend
ou
ralise,
de
faire
ensorte
qu'il
n'y
a it
pasd'unctl'iden-
tit
abstraite du mme,
et
de l'autre l'exprience
quotidienne
du
changement,de la mutation,
ma is
bien
l'interprtation des deux
4 3
.
Proposons
de
complter
cette trilogie
par
la
notion d'identit
de
contextualit. Je reprends, cet gard,une
illustration
analyse
prcdemment
44
,
afin de montrer le caractreconcret d'une
telle
dmarche.
La
scne
sepasse la fin
des
annestrente.
Franoise,
une
petite
fille
juive,
parle
leyiddishcommesesparents.Mais
pro-
gressivementelle
a appris le
franais;dans la
rue,
tout
simplement
aucontact av ec lesmarchands
et
lesenfantsdesonge.
Unjour
la
guerre commence.
Franoise
va
devoir
se
sparer
de
sa
mre,
puis
de son pre
qui
sera dport
du
camp deBeaune-la-Rolande
Auschwitz enaot 1 9 4 2 .
Dans
la tourmenteexterminatriceo
il
fallait
se
mfier de tout,de tous jusque de son ombre
soi,
j a i
perdu
le
yiddish,ma
langue
m aterneUe, enl'oubliantillicosous le
rgime
de
V ichy ,
enjanvier 1943...
Je
nepensais nine
rvaismme
plus
enyiddish,
mais
ducoup
j e
ne
pouvaisplus pleurer.
Le
temps
passe.
Et,
un
jour,
Franoise
retrouve
sa
mre.
Mais
malheureusement ellenepeutplus
lui
parler.Son
yiddish
est en
exil... Plusieurs semaines d'efforts, avec une
inscription
des
cours d'hbreu n'y font rien.Et
pourtant,
un
soir,
alors
que
la
mre
de Franoisefredonneunechansontraditionnelle
et
cherche
tout coupsesmots,la petite
fille poursuit
sa place.Et
les
larmes
reviennentalorsqu'ellestaientretenues depuisvingt
et
unmois...
Cette
histoire
clairemonpropos.
La
langue reste
constitutive
de
l'identit
du sujet,
mais
pas
elle
seule.
Cette
petite
fille,
qui
depuis exerce
le mtier
delinguiste
s'tait
oublieelle-mme, elle
avait
vacu
ce
qui constituait
son
identit. Et
pourtant cette
langue contenantenquelquesorte seslarmes
, lui
revient
un
jour. Comment?
Le
retour de sa mre ne suffitpas.
Les
cours
d'hbreu non
plus.
Mais
alors
quoi?
Une
simple
chanson.Ce
qui
la
fait
retrouver
son identit,c
est
la
langueprofre paruntre
cher
(sa mre)etrenvoyant
une
forme
devie.End'autrestermes,
il
s'agit
du
re-surgissement
d'uneparole
voquantun
contexte,
un
monde, une
inscriptiondans la
temporalit.
Voi l ceque
j'essaiedepenser enparlantdecette
dimension
de
l'identit.Lecontextene se
rduit
unedimension pistmolo-
giquedont onpeut risquer
une typologie,
il
se
pense
galement
comme
une
dimension
ontologique.
Diverscontextesde
commu-
nication accompagnent
unsujet
humain aucours
de
son
existence
et
lui collentvritablement la peau.Unedernireillustration ce
propos. Une personne racontait, un
jour,
que l'estrade
et
le
tableau
avaientfonctionndurant
toute sa scolaritcomme
le lieu
du non-savoir.
Or, devenue
enseignante,
cette personne
remar-
43.
J. G R E I S C H Penser l erci t ,dans Esprit,a 212,1986,
p.
155.
7/24/2019 348-thique+et+signifiance.+De+Lvinas++un+personnalisme+de+contextualit
14/14
THIQUEET SIG NIF IANCE 5 9
quait
que
lorsquedans
certains
cours elle se trouvait
place
dans
unmmecontexte
sa parole
en tait
affecte.
Apprhender
la
question
de la signifiance
en
prenant
en
compte
une
nouvelle
philosophie
du
suje t
parlant
renvoie
ncessairement
uneautreposture
thique. Emmanuel
Lvinas
nous
invite pen-
serque l'autren'est
pas
tant
connatrequ'
reconnatre.
Mais il
me
semble,
la lumire de ce
qui
prcde,
qu'il
ne
f audrai t
pas
oprer
une
dichotomie entre lesdeux.Apprendre,nonseulement
couter l'autremais
l'entendre
45
,peut
ouvrir
unplus grand
respect.
B i e n
sr,ilne
s'agit
pas
d'entendre
le
sens
qui
se
dit
pa rfois
l'insu
du sujet ,
avec l objectif
d'enfermer
autrui
dans descat-
gories
conceptuelles.
Cela bar rera i t sa
singularit, son altrit.
La
vise consiste plutt
mieux
faire face
l'enjeu
thique
qui se
manifestepar leprocs
de signifiance.
F-49008
Angers
Cedex
01
Fred
POCH
3, placeAndr
Leroy-B .P .
808
Facult de
thologie
Univ.
Catholique del'Ouest
Sommaire.
Un premier
mouvement
de cette contribution
consiste
porterson attentionsur
le
procs
de
s ignifiance en
l'articulant
avec
la
notion
de
souci
del'autre
mise
en
relief pa rLvinas.Undeuximemouvement
pro-
pose une
certaine
distance
critique
en
reprenant
ce
questionnement
partir
de
la dialogiquet ranscenda nta le inaugure
par
Francis
Jacques.
Mais ils'agit
galement de
prendre en compte,
de
f aon radicale, la
corrlation entre
le
contexte et
la temporalit
oublie
par les
pragmaticiens. En d'autres
termes, cette tudemontreque
le
contexte
ne
se rduitpas cequipermet
le
sens:
il
contribue construire
l'identit
d'une personne. Chaque tre
humainintriorise les
d i ffrents
contextesdecommunication
d a n s
lesquels
il
s'esttrouv au
cours
de sa vie.
Les
incidencesthiquesde cepersonnalis-
me
de
contextualit,
ne
sont
pa s
ngligeables.
Summary. Th
A. f irstfocuses hisattention on
th
process
of
signifi-
cance,
ar t iculat ing itwith
th
concept of care
for
th
other
emphasized by
Lvinas.
He then proposes certain rservations, re th inking this problem
from
th
dialogique
t r anscendanta le
ini t iated
by
Francis Jacques. At th
same
time,hehas
to
t ake
into
account,in a radical way,
th
corelationbet-
weencontext
and temporahty
(a temporahty
forgot ten
by
th
p ragmat i -
cians).
In
other
words,
this
study
shows
that
th
context
is
not
confined
to
whatallows
th
meaning;
it
contributesto
building thidentity of a person.
Everyhuman being
intriorises
th
various
contexts of communication in
which
hehasfound himself inthcourse
of
h is existence.
Th
ethical
inci-
dences
of
that
personnalism of
contextuahty
a re
not
insigmficant .
Top Related