Zoreil erotomania

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Table des matièresEROTOMANIA..........................................................................................1

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Auteur : zoreilCatégorie : Romans / Nouvelles

Un soir de mélancolie et de beuverie solitaire, me les remémorant, jem'avisai qu'en une vingtaine d'années, j'avais glané les beautés éparses dela femme au physique idéal. Que j'avais aimé ma Vénus personnelle, maisen pièces détachées.

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Longues et fines, avec tout juste ce qu'il fallait de muscle au molletet sur la cuisse, un coup de pied cambré comme celui d'une danseuse, lesjambes de Sophie étaient un miracle de la nature. Elles correspondaientexactement, j'en suis certain, aux jambes idéales que dessinerait unordinateur d'après les données fournies par un échantillon de populationmâle représentant toutes les tranches d'âge. Sophie mettait les siennes envaleur en arborant des mini-mini-jupes et des chaussures qui, parl'élégance de leurs formes et la richesse des matières employées, étaient devéritables œuvres d'art. Jusqu'à la ceinture donc, Sophie était digne de figurer sur la couverturedes magazines de mode. Aussi, grande était la déception de qui, portantplus haut son regard, découvrait son dos voûté, ses omoplates saillantes,ses épaules osseuses, son teint brouillé, ses cheveux ternes. Je fis la connaissance de Sophie à l'occasion d'une exposition organiséeà l'Hôtel des Monnaies, où j'étais employé. La contradiction vivantequ'était son corps me choqua et m'émut profondément, comme uneinjustice de la nature. Si profondément que je me sentis investi de lamission de compenser cette injustice par mes attentions et mon amour. Cequi supposait, d'abord, que la jeune femme souffrît de sa disgrâce et,ensuite, que je fusse en mesure de lui apporter une consolation. Sur le premier point, je faisais fausse route. Sophie se sentaitparfaitement à l'aise dans sa peau.Elle ne se considérait pas comme dévaluée par la partie ingrate de sonphysique, mais valorisée par la splendeur de l'autre. Elle n'éprouvait donc,nul besoin de pitié, de consolation, mais d'amour, oui. Divorcée depuispeu, et ne supportant pas la solitude, elle cherchait un compagnon. Elle

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crut le trouver en moi pour une raison que je découvris en tombant parhasard sur des photos qu'elle avait oublié de détruire. J'étais l'exact opposéde son ex-mari, cette brute au visage d'aventurier que j'aurais tant aiméêtre. Je commis la faute de ne pas tirer immédiatement les conclusions demon erreur et de lui donner le temps de s'éprendre véritablement de moi.Avec une lâche fierté, je me laissai entortiller dans cette tendresse que l'onme prodiguait pour la première fois. Même si, auparavant, quelques-unesde mes maîtresses m'avaient manifesté des sentiments que je ne m'efforçaispas toujours de leur rendre.

J'ai connu un nombre passable de femmes, sans très bien comprendred'ailleurs ce qui en moi leur plaisait. Ni beau, ni laid, avec un corps bienproportionné et un visage d'intellectuel plus que séducteur viril, je trouvaisassez faci lement des femmes complaisantes et même, parfois ,apparemment amoureuses de moi. Ne prenant jamais l'initiative despremières approches, je m'étais cantonné dans la catégorie des ni belles nilaides par l'effet d'une sorte de résignation sublimée en choix. Ayant toujours refusé de me laisser imposer ma conduite par autrui oupar mes propres insuffisances, j'étais venu à bout de me convaincre que lesfemmes quelconques étaient beaucoup plus désirables que les très belles.À la condition toutefois qu'elles eussent un élément de leur anatomie quifût irréprochable. Une chevelure descendant jusqu'à la taille me faisaitoublier l'épaisseur de celle-ci. Des yeux immenses et lumineux, un nez tropfort. Une poitrine de cariatide, un bassin trop large. Ces toquadesétroitement ciblées ne pouvaient durer très longtemps. Quelques moissuffisaient à faire prévaloir, dans mon esprit et dans mon cœur, les défautsphysiques de mes amantes sur ce qui m'avait tant plu en elles. Je ne lesabandonnais pas, néanmoins, par obstination dans l'erreur autant que parune sorte de tendresse routinière. C'étaient elles qui me quittaient, encolère, en pleurs ou dans un silence méprisant – attitude qui avait, de loin,ma préférence – lorsqu'elles découvraient mes nouvelles liaisons. Jeperdais mes maîtresses comme un pommier ses fruits trop mûrs, sans quel'on ait à en secouer les branches. Un soir de mélancolie et de beuveriesolitaire, me les remémorant, je m'avisai qu'en une vingtaine d'années,

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j'avais glané les beautés éparses de la femme au physique idéal. Que j'avaisaimé ma Vénus personnelle, mais en pièces détachées.

À l'époque où je rencontrai Sophie, j'approchais de la quarantaine et cevagabondage décevant commençait à me peser. Forçant, tel le jardinier sestomates de serre, la cristallisation stendhalienne par la méthode Coué, jem'astreignis à me persuader que je l'aimais en le lui répétant à l'envi etavec une telle apparence de sincérité qu'elle me crut. Prisonnier de monrôle, j'allais même jusqu'à m'attribuer faussement une préférence pour lesfemmes vêtues de pantalons, afin d'obtenir qu'elle cachât ce qu'elle avait desublime pour me permettre de centrer mon amour sur son buste et sonvisage ingrats.Je parvins ainsi à regarder comme une grâce l'aspect souffreteux quedonnaient à mon amie ses joues d'enfant mal nourrie, ses cheveux tristes,ses épaules maigres dont elle accentuait la déformation en croisantfrileusement ses bras sur sa poitrine, creuse en dépit du volume appréciablede ses seins tombants. Je l'étreignais à tout instant, avec ardeur, la comblaisde mots passionnés, pour la consoler d'une infortune dont elle ne souffraitnullement, comme je le compris à la longue. C'est ainsi que Sophie et moi avons vécu, pendant plus d'un an, dans uneincompréhension réciproque dont nous ne sommes sortis intacts ni l'un nil'autre. Il me vînt à l'esprit que l'effort que j'avais accompli pour aimer lamoité disgracieuse de son corps eût été beaucoup plus méritoire si lasatisfaction de posséder l'autre moitié, ses admirables jambes, n'eûtsoutenu mes efforts dans cette entreprise d'auto-persuasion. Que noncontent d'adorer ce que j'eusse autrefois brûlé, je devais maintenant brûlerce que j'avais adoré, en aimant une femme entièrement laide. Voué momentanément à la maigreur morbide, je cédai aux sollicitationsde Claudine qui, avec des jambes aussi décharnées que le reste de sonanatomie, avait l'air d'une anorexique, en dépit de son robuste appétit. Moiqui croyait n'aimer que les seins épanouis, étais ému et excité de serrercontre le mien ce corps fragile et de sentir sur ma peau le contact du boutérigé de ses maigres appâts. Lorsque Sophie eut découvert mon infidélité, son équilibre nerveux,fragilisé par son divorce, ne résista pas à cette nouvelle agression.

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Elle sombra bientôt dans un état de dépression profonde dont je craignisqu'il ne la conduisît au suicide. Nous eûmes une dernière entrevue, d'autantplus pénible pour moi que Sophie ne m'adressa aucun reproche. « Ronald,Ronald, me dit-elle seulement, en éclatant en sanglots, je t'aimais tant! » Égoïstement, cet imparfait me rassura. Tout était fini entre nous, sansviolence. Mais je n'étais pas très fier de moi. À des critiques, à des insultesj'eusse répondu par mes mensonges habituels. Son désespoir silencieux mecontraignit à la franchise. Pour la première fois de ma vie, j'exprimai àhaute voix l'opinion peu flatteuse que j'avais de moi-même. « Cesse de pleurer, je t'en supplie, lui dis-je, car je n'en vaux pas lapeine. Les qualités que tu m'as peut-être attribuées ne sont qu'uneapparence. Ma seule excuse est de ne rien faire pour créer l'illusion dont jebénéficie habituellement. Je me sens incapable d'aimer. J'ai été un mauvaisfils,par indifférence, et je serais un mauvais père, pour la même raison. Jene parviens pas à ressentir par moi-même les sentiments ordinaires del'homme. J'ai besoin qu'un esprit plus sensible que le mien me les rendeperceptibles par l'intermédiaire d'un livre, d'un film, avec des mots et desimages qui me touchent. Je suis un infirme affectif qui s'efforce decompenser sa carence par la multiplication des liaisons et l'intérêtmaniaque qu'il porte au physique de ses compagnes. » Il m'arrivait alors d'imaginer que je vouais mon existence à faire lebonheur d'une jeune femme infirme, clouée sur un fauteuil roulant, alorsque je regimbais d'habitude à apporter une aide beaucoup moins pesante,mais aussi moins héroïque, à ma compagne du moment.Mon esprit chimérique me faisait oublier la sécheresse de mon cœur, malâcheté, mon égocentrisme. Par besoin de reconnaissance, dans les deuxsens du mot, gratitude et considération, j'étais un Saint-Bernard prêt àaccourir avec son petit tonneau de tendresse. Mais si la personne que jecroyais en péril ne souffrait que d'un rhume ou d'une crampe, je redevenaisun clebs comme les autres, un insatiable flaireur de derrières. Je parlai ainsi à Sophie durant une partie de la nuit. Bouleversé par cetaveu de mon inaptitude à l'amour ordinaire, normal, aveu que je refoulaishabituellement quand l'idée m'en effleurait, je pleurai avec Sophie sur moi,sur elle, sur le gâchis que j'avais provoqué. Je ne la quittai que lorsqu'ellese fût endormie, épuisée par le chagrin. Par acquit de conscience, je

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repassai chez elle, le lendemain, ma journée de travail terminée. Sansouvrir sa porte, elle me signifia son désir de ne jamais plus me revoir.J'ignore ce qu'elle est devenue.

Lorsque je fus las de palper les côtes et les vertèbres saillantes deClaudine, je sautai d'un extrême à l'autre en pétrissant avec frénésie lesseins volumineux et mous, soutenus par un triple bourrelet, de Sarita,étudiante indienne récemment arrivée à Paris. Par un juste retour deschoses, ce fut elle qui me déclara me trouver très exotique, avant que jen'eusse le temps de lui adresser le même compliment, ce qui, compte tenude ma double supériorité d'Européen et de mâle ainsi que de monégocentrisme naturel, m'eût paru plus conforme à la réalité et à labienséance.Ajoutant à ce que j'ai déjà mentionné de son physique un visageboursouflé, des bras et des jambes dont la graisse surabondante débordaitsur les coudes et les genoux, Sarita était franchement laide. Mais étendu sur ce matelas épais et mou, le visage enfoui dans unechevelure soyeuse, parfumée d'essences aphrodisiaques – du moins lesupposais-je : l'Orient mystérieux... - je goûtais, de toute ma peau, ladouceur velouteuse de la sienne, me frustrant momentanément du plaisird'en admirer la couleur de caramel clair, celle que les femmes blanchesessaient d'obtenir, au péril de leur vie,en gorgeant leur épiderme de rayonsultraviolets. Cette extase était pour moi précédée d'un supplice. Avant de monterchez elle – jamais chez moi – nous dînions ensemble dans un restaurant où,même s'il était indien, j'avais honte de me montrer en compagnie de cetteGargamelle asiatique. Je croyais lire dans le regard des hommes assisautour de nous qu'ils devinaient la nature du plaisir que je prenais avecelle, et mon amour propre en souffrait. Pour moi, il y avait deux catégoriesde femmes, celles avec qui on sort, qu'on est heureux d'exhiber, et cellesavec qui on couche. Souhaitables avec les premières, la confusion des rôlesest à proscrire rigoureusement avec les autres. Combiné avec ma lâcheté congénitale, ce principe régissait moncomportement à l'égard de Sarita. Pour conférer à notre tête-à-têtel'apparence d'un dîner entre collègues de bureau, je me gardais de toute

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manifestation de tendresse et trouvais toujours un prétexte pour retirer mamain lorsqu'elle tendait la sienne pour la prendre.Mon amie finit par percer le secret de mon dédoublement de personnalité,réserve en public, sensualité débridée sitôt sa porte franchie. Ellem'exprima son mépris dans un français presque parfait, tant avaient étérapides ses progrès dans notre langue. L'idée que nos conversations yavaient contribué quelque peu effaça sans difficulté mes remords et mahonte. Mais, en me privant d'un type de plaisir dont je n'étais pas encorerassasié, cette rupture me plongea dans un état de manque qui me poussa ànouer des relations avec des femmes auprès de qui Sarita aurait pu passerpour un top model. J'eus la chance qu'elles fussent toutes de bonnesvivantes et non des obèses honteuses écartelées entre boulimie et weightwatchers. J'ai passé avec elles de très bons moments de détente. Je sais, je sais, ma vie érotico-sentimentale est peu glorieuse. Proustsuggère de laisser les jolies femmes aux hommes dépourvus d'imagination.Mais qu'aurait-il à proposer à ceux à qui celle-ci fait défaut alors quecelles-là leur sont inaccessibles? À ceux dont le guide en matièreamoureuse se situe au niveau du bas-ventre? Qui ne savent pasintellectualiser leurs pulsions? Au lieu de nous condamner, bonnes gens, plaignez-nous, plaignez-moi!

Souvent, la nuit, en rêve, ou durant mes insomnies, je revois Anne,Catherine, Sophie, Valérie, Claire, Nicole... Les autres aussi, dont je gardeun souvenir moins précis. Celles que j'ai complétement oubliées et qu'unéclair de ma mémoire me rend tout à coup.Images fugitives de visages; de cheveux, ceux de Thérèse, soigneusementcrantés, chaque jour à l'identique, et qui doivent l'être encore à cette heure,mais gris ou blancs; de jambes, de seins sur lesquels je ne parviens mêmeplus à mettre un prénom. Je revis notre liaison, souvent trop brève, notrerencontre, notre premier baiser, et tous les instants de bonheur passésensemble,dont je n'ai conscience que maintenant. Je les appelle dans lanuit. Je leur demande pardon pour mon indifférence à ce qu'il y avait debeau et bien en elles, indépendamment de leur apparence physique qui, leplus souvent, avait seule retenu mon attention. La conviction, qui m'alongtemps donné bonne conscience, qu'en me quittant elles avaient pris la

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décision la plus sage de leur vie, n'a plus pour moi ce pouvoir lénifiant.J'implore spécialement la grâce de Sophie et maudis l'aveuglement, lestupide égoïsme, l'absurde logique érotomaniaque qui m'ont fait manquerma dernière occasion de connaître une vie normale. D'échapper à lasolitude qui me ronge désormais. J'ai bien conscience que cette évocation de ma vie amoureuse peut offrirde moi l'image d'un cynique, voire d'un antiféministe. Il est vrai que laplace que j'y accorde au physique des femmes et au coït en laisse peu àleur âme, à leur intelligence et à l'amour-sentiment. Mais il m'est aiséd'expliquer ce déséquilibre flagrant. Dans le cynisme, il y a volonté dedéplaire, de choquer; dans l'antiféminisme, le parti pris de mépriser, voirede brimer les femmes. Rien de tel chez moi. La triste vérité est que je n'aijamais compris ni les femmes, ni l'amour. La femme n'est pas spécifiquement un mystère. Je récuse

ce lieu commun qui faisait ricaner Montherlant, car pour moi toutepersonne est mystère. Je n'ai jamais compris aucune de celles que j'ai étéamené à fréquenter, ou alors trop tard, quand le rapport, l'intérêt qui nousunissait n'existait plus. D'ailleurs, même dans ce cas, le plus favorable, lapart de subjectivité inhérente à toute appréciation de ce genre, le fait quel'autre réagit en fonction de l'image qu'il perçoit de nous-même, rendentbien hypothétiques et prétentieuses toute affirmation d'objectivité, toutecertitude en ce domaine.Quant à l'amour, je confesse humblement ignorer encore ce que c'est. Lesentiment que j'éprouvais pour Sophie comportait une forte proportion detendre pitié et de dévouement. Ce qui démontre que je ne suis pastotalement insensible, même si les affects dont je me targue n'étaient pasentièrement désintéressés, destinés qu'ils étaient aussi à me valoriser à mespropres yeux. Pour toutes mes autres compagnes j'éprouvais une attirancedans laquelle se mêlaient désir et sentiment, ces deux composantss'évanouissant simultanément, en quelques semaines ou quelques mois. Jepeux d'ailleurs ajouter pour ma défense que le comportement de mesprétendues amantes était généralement identique au mien. Lorsqu' elles mequittaient, je les sentais plus vexées que sentimentalement déçues.

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À n'en pas douter, les femmes que j'ai connues m'ont bien aidé à mettre enœuvre mon penchant naturel pour la déroute et, finalement , la solitude.

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