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    PORTRAIT DE LA RONDEUR

    Claude ZILBERBERG1. Choix du corpus

    Toutes les merveilles que nous avons recenses jusquici ne se passent pas de la collaboration de

    lhomme. Il faut quil y mette la main pour parfaire le vu occulte du minral. Cest en somme quelque

    chose de fabriqu. Mais la perle au fond des mers nat toute seule de la chair vivante : pure et ronde, elle

    se dgage immortelle de cet tre phmre qui la enfante. Elle est limage de cette lsion que cause en

    nous le dsir de la perfection et qui, lentement, aboutit ce globule inestimable1.

    Le choix de ce fragment dun texte en prose de Claudel correspond au dsir daborder un auteurdiffrent de ceux que jaborde habituellement, afin dviter le mimtisme, la relation fusionnelle souvent

    releve, toujours ambivalente entre lanalyste et lauteur analys. Si lon sarrte luvre de Proust, une

    double question peut tre, lespace dun instant, souleve : est-ce Proust qui se trouve smiotis,

    vampiris ? ou bien la smiotique, mme si le terme est loin dtre heureux, proustise ? Les deux sans

    doute, des gards distincts, mais la problmatique relve de la smiotique discursive. La mme

    interrogation se pose propos de luvre de G. de Maupassant.

    Le Claudel que nous avons retenu est moins connu encore que ce terme nait pas grand sens

    que lauteur dramatique ; cest, si lexpression est permise, un Claudel plutt bachelardien, lcoute des

    voix de certaines matires prcieuses, ce qui pose le problme de la valeur, de la manifestation de lavaleur dans le discours. Il sagit dun ensemble de textes figurant entre les pages 336 et 360 dans ldition

    La Pliade : Magie du verre, La Mystique despierres prcieuses,LArgent et largenterie ; le fragment

    que nous avons choisi appartient un texte intitul La perle,qui est une sous-partie de La Mystique des

    pierres prcieuses ; il date de 1937. Dans la terminologie dAristote, ces textes enthousiastes relvent du

    genre dit pidictique. Du point de vue thorique, il sagit, pour nous, de mettre lpreuve certaines

    hypothses relatives la progression des discours ds lors quils ne sont pas rabattus sur la narrativit.

    Notre corpus est laboutissant dune srie de slections svres : nous avons slectionn le dbut

    du premier paragraphe ; puis de ce dbut la quatrime phrase : Mais la perle au fond des mers nat toute

    seule de la chair vivante : pure et ronde, elle se dgage immortelle de cet tre phmre qui la en-

    fante. Dans la quatrime phrase, nous prlevons la seconde partie : pure et ronde, elle se dgage

    immortelle de cet tre phmre qui la enfante.Dans la seconde partie, nous gardons le syntagme mis

    en apposition : pure et ronde. Et la limite , la suite dune ultime focalisation, nous pointons le et

    qui pose une concordance entre pureet rondeque nous nous proposons de rsoudre.

    1P. Claudel, La perle, in uvres en prose,Paris, Gallimard, coll. La Pliade, 1973, pp. 350-353.

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    2. Le dgagement

    Le texte insiste demble sur la spcificit de la perle. Les pierres prcieuses doivent, selon

    Claudel bien sr, leur existence au fairede la nature, notamment des pressions colossales sexerantdans les entrailles de la terre ; ainsi, propos du diamant, on peut lire : Il a fallu la presse cosmique,

    laction qui est passion dun monde en rvolte contre sa propre inertie, ltreinte tellurique, le

    vomissement du feu intrieur, ce qui de plus central est capable de jaillir sous une main inexorable,

    lcrasement millnaire de ces couches qui se compntrent, tout le mystre, toute lusine

    mtamorphique, pour aboutir ce brillant, ce cristal sacr, cette noix parfaite et translucide qui

    chappe la pourriture du brou.

    Mais quelque grandiose que soit le processus, la continuit du /non-anim/ reste intacte, tandis que

    dans le cas de la perle, comme pour le texte de Valry intitul Lhomme et la coquille2 et qui est

    contemporain de celui de Claudel, la transition va de l/anim/ vers le /non-anim/. Ces textes supposent

    une autre narrativit, ou si lon veut : un autre style narratif que celui que Greimas a dduit de Propp : ils

    explorent le passage dun ordre un autre ; ils admettent des ruptures dchelle spatiale et temporelle : le

    temps ralenti de la production, de la pose na rien voir avec le temps acclr de la production dun

    artefact par lhomme ; la dlocalisation est extrme, puisque la perle est transfre du fond des mers

    vers la boutique du plus grand joaillier de Paris, avant dapparatre dans la main mme de

    lnonciateur. Quand je dis que pour la perle il y a transition de va de l/anim/ vers le /non-anim/, je

    simplifie dans la mesure o, pour lauteur, la perle relve dune alchimie temporelle qui permet de

    solidifier le temps en ternit.Si le discours nest plus dans la dpendance troite de la narrativit, sil dispose dune autonomie

    certaine, selon quelles voies se dveloppe-t-il ? titre dhypothse en cours de validation, nous en

    supposons trois : (i) la problmatique de la position permettant de prciser si la grandeur est situe au

    centre ou la priphrie ; (ii) la problmatique de la direction permettant de savoir si la grandeur

    sloigne ou se rapproche du sujet de qute ; ( iii) la problmatique de la force qui invite examiner la

    circulation et lattribution de laccent que le discours orchestre. Cette trinit est, avec quelques liberts,

    ou quelques trahisons, pour partie dmarque des dernires pages de La catgorie des casde Hjelmslev,

    mais je naborderai pas ce point ici3.

    3. La puret

    2P. Valry, Lhomme et la coquille, inuvres, tome 1, Paris, Gallimard, coll. La Pliade,1968,

    pp. 886-907.3Cf. Cl. Zilberberg, Raison et draison dans la Lettre de Lord Chandos de Hofmannsthal, in

    Prote, volume 29, numro 1, printemps 2001, pp. 98-99.

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    Le premier segment pure et ronde, elle se dgage ()pose explicitement la puret et la rondeur

    comme conditions du dgagement. Nous nous attacherons dabord la puret. Cette dernire est moins

    un sme quune catgorie discursive denvergure. Pour la pense mythique, telle quelle est apprhende

    par Cassirer dans le second volume de La Philosophie des formes symboliques,mais galement pour ce

    qui regarde nos propres vcus de signification, lune des priorits consiste valuer le degr deconjugaison ou dincompatibilit que tel univers de discours, telle culture dcrte dabord, justifie ensuite

    entre les choses ; pour lethnologie et lanthropologie, cette tche est celle qui incombe aux systmes

    de classifications lesquelles tablissent les distances convenables entre les diffrents ordres comme

    lintrieur de chaque ordre ; en raison du primat de la complexit, que nous admettons, toute distance

    composerait un degr daffinit et un degr dinconciliabilit, lun comme lautre ventuellement nuls ;

    ainsi, indpendamment de sa relation au sujet, lobjet serait porteur de ce que nous aimerions appeler un

    coefficient de composition, permettant de prciser la dhiscence entre la chose et lobjet :

    objet chose + coefficient de composition

    Du point de vue tensif, cet espace paradigmatique renvoie aux oprations canoniques de tri et de

    mlange et aux valeurs qui les finalisent lorsque ces oprations sont actualises, leurs objets de valeurs

    lorsquelles sont ralises. Les oprations de tri ont pour exposant le ou ou, les oprations de

    mlange, le et et

    Quelle que soit lisotopie envisage, la finalit des oprations de tri est prcisment ce que lon

    nomme la puret ; le Micro-Robert lapproche en ces termes : Etat dune substance ne contenant, en

    principe, aucune trace dune autre substance (en pratique, aucune impuret dcelable). Nous

    nentreprendrons pas ici lanalyse de cette squence dont le dtail savre singulirement compliqu :

    nous ne retenons que sa vise, son principe selon le Micro-Robert : la dngation du mlange, ou

    encore une configuration dfinie par la nullit du coefficient de composition. La puret est affirme

    quand le coefficient de composition est nul et, aprs catalyse de laspectualit, absolument nulle. Pour

    Claudel comme pour le Micro-Robert , la puret fait lobjet dune apprciation positive mais, dans la

    terminologie de Hjelmslev, cette apprciation est le fait de lusage, non du schma. Tout ce que le

    schma serait en mesure de dire sil tait sollicit, cest : (i) que le tri et le mlange varient en raison

    inverse lun de lautre ; (ii) que toute position est une composition de valences, lune de tri, lautre de

    mlangetri

    tonicit

    atonie

    aire

    duou

    aire

    du et

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    mlange ; (iii) que la pjoration et la mlioration ne sont pas le fait de la chose, mais de lobjet, cest--

    dire de ce qui se dcouvre quand le mlange est examin du point de vue du tri, et vice-versa.

    Dans louvrage intitul Eloge de lombre,Tanizaki prend la mesure du renver-sement axiologique

    que lon constate quand on compare lattitude de lOccident celle de lOrient propos de la puret,

    ici peu gote, l hautement apprcie : Pour en venir au cristal de roche, lon en a, ces temps-ci,import de grandes quantits du Chili, mais compar au cristal du Japon, celui du Chili pche par excs

    de puret et de limpidit. Le cristal que lon trouve depuis toujours dans la province de Ka.i, dont la

    transparence est toute brouille de lgers nuages, donne de ce fait limpression dune plus grande

    densit ; quant au cristal qui contient des pailles , celui qui dans sa masse renferme des parcelles de

    matire opaque, celui-l nous procure un plaisir plus vif encore4. Cette rflexion de Tanizaki, qui dcrit

    moins quelle nanalyse, oppose deux orientations valuatives : (i) lune relative au regard occidental qui

    apprcie la puret et la transparence, laquelle permet de runir dans le mme espace lespace situ entre

    le regard de lobservateur et le corps transparent et lespace situ au-del de ce corps ; lautre relative au

    regard oriental qui apprcie lopacit, cest--dire le dni de la transparence ; lopposition est rsume par

    le face--face de la puret et de la densit ; (ii) la mlioration et la pjoration manifestent en discours les

    contraintes schmatiques : lexcs et linsuffisance ne sont pas le propre de la chose, mais celui de

    lobjet ; ces valuations corrlatives apparaissent dans le discours lorsque lune des grandeurs du couple

    reconnu [A-B] est promue comme point de vue et lautre comme objet : la densit tant pose comme

    critrium, la puret ne peut tre qualifie que dexcessive, de mme la densit, telle quelle est dcrite

    dans ce fragment par Tanizaki, sera taxe dimpure et dprcie dautant. La puret est isolante, la

    densit selon Tanizaki intgrante. Soit :

    Les excs et les insuffisances apparaissent comme des syncrtismes rsolubles un triple titre :

    (i) ils supposent une orientation tensive accuse : la prvalence du tri sur le mlange pour un Occidental,

    la prvalence inverse pour un Oriental ; (ii) la dnonciation de telle valence comme extrme et sa

    disqualification comme excessive : mais compar au cristal du Japon, celui du Chili pche par excs de

    4J. Tanizaki, Eloge de lombre,Paris, Publications Orientalistes de France, 1986, p. 36.

    puret

    densit

    mlange

    tri V1

    1

    0 1v4

    v1

    V2v2

    v3

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    puret et de limpidit. (iii) la croyance lefficience dun obscur principe de constance rglant le

    devenir des valences : en raison de la souplesse, de llasticit du dispositif, il est manifeste quun objet

    gagne en puret ce quil perd en densit, et rciproquement ; cette donne est la fois intuitive et

    raisonnable : elle est intuitive en ce quelle admet que le sens, en raison de sa dpendance lgard des

    valences, circule, se dplace incessamment et ne se pose jamais que provisoirement ; elle est raisonnablesi lon introduit les prcisions suivantes : deux valeurs [V1] et [V2] tant donnes en discours, pourvues

    lune et lautre de leurs valences propres : [V1 [v1 + v3]] et [V2 [v2 + v4]], lassertion dune

    prdilection par le sujet, la profession dun superlatif suppose ladmission des deux propositions

    suivantes : dans la perspective de Tanizaki, savoir la supriorit dclare de la densit sur la puret, il

    est ncessaire que v4soit suprieure v3, et v2infrieure v1; mais cette double affirmation suppose que

    le produit des valences dfinissant une valeur soit constant :

    v1x v3 v2x v4 k

    Lintroduction dune tierce valeur [V3] ne modifie pas lapproche, dans la mesure o la comparaison

    porte dans ce cas de figure sur deux couples de paires : dabord [V1] et [V2], puis [V2] et [V3], ou [V1]

    et [V3].

    Le dgagement intervient pour les trois catgories mentionnes : la position, la direction et la

    force. la question : de quoi se dgage-t-on ? Pour le Micro-Robert, notre guide, la rponse se situe bien

    entendu au niveau figuratif :1 Librer son corps de ce qui lenveloppe, le retient. 2 Se librer (dune

    obligation, dune contrainte. 3 Devenir libre de ce qui encombre. 4 Sortir dun corps. En termes

    figuratifs, le dgagement se prsente comme une dlocalisation, labandon du lieu natal : le fond des

    mers,mais la destination nouvelle demeure, ce moment du texte, virtualise, elle ne sera connue que

    plus tard. Pour ce qui regarde la direction, ntant plus prisonnire du fond des mers,la perle peut tredplace et rapproche, par la mdiation du ngoce ou du don, du sujet. Enfin, pour ce qui regarde la

    force, le programme contraignant qui maintient la perle au fond des mersest domin par un contre-

    programme de dtachement plus puissant que le programme de fixation ; cette domination dans lordre

    du vivant et de lhumain affirme la libert comme valeur existentielle : tre libre, nest-ce pas dabord

    tre libr de ?

    La configuration spatiale du dgagement est associe une configuration temporelle : elle se

    dgage immortelle de ltre phmre qui la enfante.de laquelle nous recueillons lopposition :

    phmre vsimmortel

    Elle renvoie, pour nous, ce que nous avons appel ailleurs le temps phorique des tendues, articul

    selon [bref vslong] ; la syntaxe est soit implicative lorsquelle met en uvre, en prnant la mdiocrit,

    les syntagmes lmentaires : abrger le long et allonger le bref, soit concessive lorsquelle dveloppe, au

    nom de la beaut au superlatif, de la tenue suprme de lhomme (Hlderlin), les syntagmes

    lmentaires : abrger le bref et allonger le long. La transformation dcrite dans le texte de Claudel est

    double : dabord implicative en amenant la perle se dgagerdu vivant, puis, un peu plus loin dans le

    premier paragraphe, concessive, puisquil est question de solidifier le temps en ternit ; en vertu

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    dune catalyse insistante, bien que dj long, le temps est port la plus longue longueur de temps

    propre notre univers de discours : lternit. Ce rebond de limplication vers la concession est lune des

    marques du sublime.

    4. La rondeur

    Jen viens mon propos : la collusion dans le texte de Claudel des deux adjectifs : pure et

    ronde.Le rapprochement de la puret et de la rondeur ne peut invoquer aucun trait commun au moins

    ce stade de la lecture, dautant que la puret en qualit daboutissante des oprations de tri a t envisage

    du point de vue figural et que la rondeur, aussi longtemps que lanalyse nest pas engage, demeure

    intelligible mais au plan figuratif. Il se peut que la dfinition de la rondeur embarrasse les sujets, il nen

    demeure pas quils savent reconnatre la rondeur si on la leur prsente en toute bonne foi. Comme

    ltablissement dune concordance figurative entre la puret et la rondeur nest pas envisageable, nous

    nous proposons de rechercher cette concordance au plan figural.

    4.1 de la puret la rondeur

    La rondeur, nous esprons le montrer, est exemplaire en ce sens quelle permet de prendre la

    mesure de ce qui spare la dtermination encyclopdique relative la chose et la dtermination

    smiotique relative lobjet. La dtermination encyclopdique est gomtrique, selon le cas descriptive

    ou constructive ; elle est tributaire de lespace euclidien tel quil est communment apprhend : continu,

    infini et homogne. Faute de pouvoir invoquer une autorit comparable, la dtermination smiotique est

    plus risque et je considre, titre personnel, que lespace smiotique est sous le signe de lingalit dans

    la mesure o la structure de base relative lespace retient comme primordiale lopposition :

    ferm vsouvert

    Jajouterai aussitt trois correctifs : cette structure fonctionne autant comme prsupposition rciproque

    que comme contraste : pour quun ouvert soit reconnu, il faut au moins un ferm ; dans La potique de

    lespace,G.Bachelard cite un texte tonnant de Supervielle affirmant que, faute de contenir un ferm,

    louvert lui-mme bientt se ferme : cause mme dun excs de cheval et de libert, et de cet horizon

    immuable, en dpit de nos galopades dsespres, la pampa prenait pour moi laspect dune prison, plus

    grande que les autres5.En second lieu, louvert et le ferm sont dabord des directions smantiques, se

    ralisant du ferm vers louvert comme sortir, de louvert vers le ferm comme entrer. Enfin, cette

    tension est celle que Hjelmslev dsigne comme inhrence dans La catgorie des cas : () il y a

    inhrencequand ladistinction est celle entre lintriorit et lextriorit ; ()6.

    Ces donnes introduisent une ncessit. Du point de vue figural, le pur et limpur, dans la mesure

    o nous les reconduisons respectivement des oprations de tri et des oprations de mlange,

    demandent une actantialit productrice, puis une actantialit conservatrice, ou protectrice. Le pur une fois

    5G. Bachelard,La potique de lespace, Paris, P.U.F., 1981, p. 199.

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    obtenu, la question de sa prservation se pose : comment conserver ce pur en ltat ? en tablissant dans

    louvert un ferm, soit :

    ouvert

    impur

    ferm

    pur

    Nous sommes dsormais en mesure de saisir la diffrence entre la dtermination gomtrique et la

    dtermination smiotique :

    rondeurgomtrique

    rondeursmiotique

    circulairesuperficielle

    vide

    sphriquevolumineuse

    pleine

    Une concordance tensive se dcouvre entre la concentration de la valeur, cest--dire sa

    morphologie figurale, puisque toute opration de tri est concentrante, et sa morphologie figurative : sa

    rondeur, laquelle parvient poser dans louvert tous vents une hermticit, que nous recevons comme

    le superlatif du ferm.

    La collusion de la puret et de la rondeur devient intelligible. Lhypothse du schmatisme tensif

    entend saisir ensemble le sensible et lintelligible, lintensit et lextensit, les tats dme et les tats de

    choses. Au lieu de dire comme par scrupule : il y a aussi le sensible, nous disons, entre autres avec

    Cassirer : il y a dabord le sensible, et cest la thorie de saccommoder de cette prsance. Il sagit

    moins dune conversion lesthsie ou dun ralliement tacite la phnomnologie que dun retour sur la

    phorie, cet impens qui permet au carr smiotique de diriger le sens. Chacune des deux dimensions

    retenues propose au sujet un dilemme prcis : ( i) la question propre la dimension de lintensit est :

    renforcement ou attnuation ? (ii) la question propre la dimension de lextensit est : concentration ou

    diffusion ? la premire question, le texte de Claudel rpond : l attnuation ; la fin du premierparagraphe, nous lisons : Elle ne brille pas, elle ne brle pas, elle touche : frache et vivifiante caresse

    pour lil, pour lpiderme et pour lme. Nous avons contact avec elle. la seconde question :

    concentration ou diffusion ? le texte rpond : concentration. Il convient dajouter que le couple concen-

    tration/diffusion ne fonctionne pas selon [s vsnon-s], mais plutt comme lindique Hjelmslev, toujours

    6L. Hjelmslev,La catgorie des cas,Munich, W. Fink, 1972, pp. 129-130.

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    dans La catgorie des cas,en prsentant, en proposant le mme sous deux espces : tantt concentr,

    tantt diffus.

    Mais ce qui fait la profondeur, la supriorit de la dtermination smiotique, cest

    lactantialit mythique quelle exige ; les formes sont penses comme les aboutissantes dun procs, dun

    faire si bien que la rondeur prsuppose larrondissement. Limaginaire humain distingue deux classesdagents : dune part, les agents naturels lesquels produisent, par une intgration incomprhensible pour

    lhomme, des objets parfaits : les perles irrprochables, les coquillages torsads, les fleurs aux couleurs

    pures, les toiles daraignes, dautre part, les agents humains, certes capables dartefacts prodigieux,

    mais seulement de simulacres grossiers quand lenvie leur prend dimiter la nature. Faute de comprendre

    lefairede la nature, le sujet le rabat sur le fairehumain, cest--dire quil lui impute une intentionnalit

    et une rflexivit ; cette double greffe peut tre ainsi conue :

    tre vouloir-trevouloir-fairevouloir-se faire

    La voix pronominale : elle sedgagedevient lindice dune concordance tensive comparable aux

    concordances grammaticales enseignes aux enfants. Cette prono-minalisation doit tre tendue la

    rondeur :

    rond arrondir sarrondir

    la main humaine intervient certes, mais lorsque le procs est achev pour assurer ce que lon appelle, sur

    une autre isotopie, la finition, ici le polissage.

    4.2 de la rondeur la concentration

    Une question se pose : que la puret, dans notre propre univers de discours, concoure

    lmergence de la valeur de lobjet de valeur se comprend encore assez aisment, mme si nous sommes

    engags dans des processus de brassage acclr, de mtissage tous azimuts qui tendent accorder au

    mlange la rvrence que lon a jusques ici rserve au tri. Mais dans lassomption de la valeur le procs

    de concentration a une part qui lui est propre. Un texte de Michelet comment par G. Bachelard, dont

    nous devons la connaissance P. Fabbri, ltablit indiscutablement :

    Michelet, sans prparation, prcisment dans labsolu de limage, dit que loiseau [est]

    presque tout sphrique. () Loiseau, pour Michelet, est une rondeur pleine, il est la vie ronde. Le

    commentaire de Michelet donne loiseau, en quelques lignes, sa signification de modle dtre.

    Loiseau, presque tout sphrique, est certainement le sommet, sublime et divin, de concentration

    vivante. On ne peut voir, ni imaginer mme un plus haut degr dunit. Excs de concentration qui fait lagrande force personnelle de loiseau, mais qui implique son extrme individualit, son isolement, sa

    faiblesse sociale.7,

    Ce texte permet de mesurer certains points de faiblesse dun consensus plus ou moins clairement

    dclar. En premier lieu, et malgr la rvrence Hjelmslev, la question de la structure des paradigmes

    na pas encore t srieusement aborde, puisque lexcs est encore un intrus et un embarras ; en second

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    lieu, la smantique discursive demeure toujours coupe de la rhtorique argumentative et, malgr

    linsistance de R. Jakobson et Cl. Lvi-Strauss, galement de la rhtorique tropologique. En troisime

    lieu, laxiome greimassien relatif au caractre achronique des structures na pas t formellement

    rvoqu, si bien quil nest demand la temporalit que dassurer la chronologie. Du point de vue tensif,

    seul lintense tant mmorable, rvoquer le temps, et ici singulirement le temps phorique des tendues,revient rvoquer lefficience smiotique de lintensit, cest--dire le cur mme de lhypothse que

    nous nous donnons. Enfin, si la smiotique prend en compte la position, elle ignore encore la pertinence

    de lingalit des intervalles et la syntaxe incessante des accroissements et des diminutions, voire des

    effondrements que le discours prend en charge.

    Le texte de Bachelard que nous venons de citer propose une suite ascendante :

    fermeture concentration sommet de concentrationexcs de concentration

    Cette suite est loin dtre exceptionnelle, et nous avons le sentiment quil est presque impossible douvrir

    au hasard un ouvrage de Bachelard sans y lire aussitt des envoles comparables. Ce qui est en cause,cest la pertinence smiotique de la catgorie du superlatif, de lemphase dans la terminologie de

    Hjelmslev, du sublime8enfin selon une terminologie devenue dsute.

    Selon Bachelard : Il[le pote] sait que ce qui sisole sarrondit, prend la figure de ltre qui se

    concentre sur soi9.Lauteur deLa potique de lespacelie ainsi lextrme individualit de loiseau

    la rondeur qui tout la fois le prserve et lisole.Rendu ce point, jaimerais faire deux remarques :

    (i) selon lextension du point de vue, la rondeur est tantt un programme dusage, tantt un programme

    de base : lorsque lextension est rduite, la rondeur peut tre reue comme une finalit dordre

    esthtique ; si lextension saccrot, la rondeur devient un moment, un passage ; cest le cas ici ; (ii) eugard la typologie smiotique des valeurs distinguant entre les valeurs dabsolu, ayant pour assiette

    lexclusion et la concentration, et les valeurs dunivers affirmant la participation et la diffusion, la perle

    pure et rondeest reconnue par Claudel comme une valeur dabsolu.

    Cette identification certaine nous permet de revenir la configuration du dgagement. Du point de

    vue figuratif, ici phrastique, la perle se dgage,ainsi que nous lavons indiqu, dune temporalit de

    lphmre pour accder la temporalit prenne du non-anim. Du point de vue figural, lapparition

    de la perle dans le champ de prsence est lpiphanie dune valeur dabsolu qui se dgage de la

    multiplicit poisseuse et prolifrante des valeurs dunivers. Nous aimerions ajouter que la mlioration et

    la pjoration sont ici ncessaires, dans la mesure o les assertions axiologiques sont situes : par eux-

    mmes, les noncs axiologiques prennent corps en discours quand tel type de valeur est examin du

    point de vue de son corrlat paradigmatique ; sinon telle espce de valeur est rsume par sa

    7G. Bachelard,La potique de lespace, op. cit., p. 212.8Cl. Zilberberg, Esquisse dune grammaire du sublime chez Longin,Langages, n137, mars 2000,

    pp. 102-121.9G. Bachelard,La potique de lespace, op. cit., p. 214.

  • 7/23/2019 ZILBERBERG - rondeur

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    morphologie et sa syntaxe propres. Ce qui signifie que, pour les valeurs dabsolu, clatantes et

    exclusives, les valeurs dunivers sont ternes, impures et indfiniment substituables les unes aux autres ; et

    inversement : pour les valeurs dunivers, les valeurs dabsolu apparaissent excessives, incompltes et

    incapables de communiquer. En dehors de ce double rabattement, les deux types de valeurs ne sont ni

    louer ni blmer, mais seulement dcrire.

    5. Pour finir

    La perle pour Claudel et loiseau pour Michelet et Bachelard, bien quils se situent sur des

    isotopies distinctes, sont, du point de vue figural, des configurations quivalentes du fait, selon une

    littralit pour une part fortuite, pour une part justifie, darborer les mmes valences tensives. Mais le

    rapprochement que nous avons effectu autorise-t-il une induction ?

    Dans le troisime quatrain du pome de Rimbaud intitul LEternit,et reconnu comme un pome

    majeur de luvre, nous lisons :

    Des humains suffrages,Des communs lans,L tu te dgagesEt voles selon.

    Ce quatrain rsume notre propos un double titre : ( i) lisotopie est explicitement celle du partage en soi,

    du dilemme pour le sujet, des valeurs ; (ii) la dngation des valeurs dunivers dans les deux premiers

    vers prcde et prpare la dilection pour les valeurs dabsolu dans le troisime vers et sa temporalisation

    dans le quatrime, contenue tout entire dans le seul adverbe selon.Mais ces rapprochements, qui sont pour ainsi dire les accidents et les bonheurs de la lecture nave,

    doivent tre prciss au niveau figural sous les trois rapports indiqus : la position, la direction et la force,

    qui permettent telle valeur dabsolu de survenir ou de parvenir, et ds lors de rayonner, cest--dire de

    saturer le champ discursif.

    [juin 2001]