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Yue Minjun, l'ombre du fou rire Extrait de Voir & Dire http://www.voir-et-dire.net/?Yue-Minjun-l-ombre-du-fou-rire Yue Minjun, l'ombre du fou rire - Décrypter et débattre - V&D décrypte des oeuvres et des expos - Date de mise en ligne : samedi 9 mars 2013 Description : Copyright © Voir & Dire Page 1/9

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Yue Minjun, l'ombre du fou rire

Extrait de Voir & Dire

http://www.voir-et-dire.net/?Yue-Minjun-l-ombre-du-fou-rire

Yue Minjun, l'ombre du fou rire- Décrypter et débattre - V&D décrypte des oeuvres et des expos -

Date de mise en ligne : samedi 9 mars 2013

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Yue Minjun, l'ombre du fou rire

L'homme au fou rire, nous le connaissons tous. Car dans les années 2005-2010, temps de la grande spéculation internationale sur l'art contemporain

chinois, ses autoportraits hilares étaient des icônes ! Mais il a aussi les yeux fermés, signe d'intériorité et de réflexion sur lui-même, sur l'homme, sur la

société.

Le fou rire, sa signature en peinture, et l'émotion sont les premiers liens avec un large public, puis vient le reste, la peinture d'histoire, le retour aux grands

maîtres.

Yue Minjun est le représentant d'une génération dite réaliste cynique, plutôt résistante et humaniste. La Fondation Cartier a fait un remarquable travail

pour présenter l'évolution de son travail sur une trentaine d'années.

Un titre tout en subtilité (>>>)

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Yue Minjun, l'ombre du fou rire

L'homme au fou rire, nous le connaissons tous. Car dans les années 2005-2010, temps de lagrande spéculation internationale sur l'art contemporain chinois, ses autoportraits hilaresétaient des icônes !

Mais il a aussi les yeux fermés, signe d'intériorité et de réflexion sur lui-même, sur l'homme,sur la société.

Le fou rire est certes sa signature en peinture, mais l'artiste parle de bien d'autres choses. Àpartir de sa culture profondément chinoise il va à la recherche d'un public très vaste auxautres références. Le fou rire est ce premier point commun de l'émotion et du dialogue, puisvient le reste, la peinture d'histoire, le retour aux grands maîtres.

Il est le représentant d'une génération dite réaliste cynique, plutôt résistante et humaniste. LaFondation Cartier a fait un remarquable travail pour présenter l'évolution de son travail surune trentaine d'années.

Un titre tout en subtilité.

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Lorsque Yue Minjun sort de son école des Beaux Arts, il se retrouve dans un quartier Bohème de Pékin avecd'autres artistes. Les évènements de Tian'anmen en 1989, et surtout la répression qui suivit tétanisent les artistesqui traversent une dépression collective durant quelques années. Dans une grande désillusion, ils se referment sureux-mêmes et peignent ce qu'ils ressentent, mais pas à la manière des peintres précédents, expérimentaux etabstraits, qui entendaient sortir des canons de l'esthétique socialiste. La question du corps est centrale pour bonnombre. En utilisant les outils des peintres réalistes, Yue Minjun commence par peindre ses amis, ce milieu proche,cette communauté de solidarité qui riait et ironisait pour échapper à la lourdeur du monde. Puis il simplifie son trait etremplace tous les personnages par sa propre silhouette, yeux clos et visage souriant ; ces principes dereprésentation utilisant largement l'absurde lui permettent alors d'aborder des questions les plus diverses.

D'autres peintres utilisèrent aussi le corps, Fang Lijun, Liu Wei, ou encore le photographe Liu Bolin ( lire articleV&D) et, sur un mode plus radical, Ai Weiwei (lire article V&D Au début des années 90, on les regroupa sous ladésignation de génération réaliste cynique.

« Ce masque impénétrable fait écran à toute quête d'intentionnalité, dresse un mur, interdit le dedans,bloque toute sensibilité [...] et affiche sous son explosion qu'il ne peut rien y avoir à communiquer » (FrançoisJulien)

ou encore

« Une réaction auto ironique au vide spirituel et à la folie de la Chine moderne » ( Li Xianting)

LE CLONE ET LE FOU RIRE

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Les oeuvres à base d'autoportraits, cette figure générique avec clones, ne traduisent pas un narcissisme débordant.C'est d'abord uneattitude politique. En effet, du temps du maoïsme, les seuls portraits autorisés étaient ceux duGrand Timonier et des figures mythiques du paysan, du travailleur, du soldat. En se représentant, non pas sur lemode du beau, ce qui était la norme des professeurs des Beaux Arts, Yue Minjum affirme une volonté individuelleface au pouvoir normatif et d'État. Ce personnage multiple est la dénonciation d'une disparition politique de l'individu.

Il y a aussi de l'autodérision dans cette manière simplifiée de peindre, en à-plats et sans nuances, de se mettre enscène systématiquement. Son rire est fou rire, celui qui vous prend pour mettre à distance une émotion trop forte etdonne un sens à toute une réalité enfouie. Il est souvent collectif et soude le groupe qui s'y adonne, il peut aussi êtreincontrôlé et hystérique.

Le fou rire cache la douleur mais est aussi la meilleure manière d'y faire face ; il la suggère avec légèreté et non surun mode brutal. L'artiste renvoie alors silencieusement le spectateur à sa propre douleur issue pourtant d'une touteautre histoire personnelle. Le fou rire permet d'affronter le tragique de la vie. L'objectif de l'artiste s'appuie sur lesfondements de ce fou rire communicatif pour communiquer avec le spectateur et l'atteindre en dépit des distancesculturelles.

La couleur est un rose acidulé, et non le rouge de la révolution. C'est du pop, on a appelé pop politique ce style. Ladentition a plus de 32 dents et le ciel est bleu, peuplé de cigognes ou de grues symboles de la longévité en Chine.Tout se mêle avec cocasserie.

Ces cohortes d'hommes habillés de la même vareuse grise et serrés évoquent le quotidien de son enfance, celui des

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queues faites pour tout, et le sourire résulte de ce qu'ils obtiennent et ne les satisfait pas.

Avec le vaste tableau d'hommes semblables se tenant la taille, une frise de 5 m de long qui aurait pu être bien pluslongue, c'est l'idée d'infini qui transparait. Mais alors que Brancusi avait voulu l'évoquer en dressant sa « colonnesans fin », verticale de 30 m, Yue met ses hommes à l'horizontale, genoux à terre. Une belle évocation de lasoumission à la prégnance idéologique du Parti, mais aussi, de manière ambivalente, de la solidarité humaine faceau régime. Il n'y a pas d'interprétation unique, car l'artiste peint pour explorer ses émotions face à une situationsociale ou familiale. Le spectateur sent inconsciemment que ces thèmes ne sont pas un simple produit du terreauimaginaire de l'artiste, mais témoignent d'une introspection personnelle à valeur universelle.

Les cigognes qui vont vers l'ouest avec ces hommes assis, en slip, ont été peintes à la mort accidentelle de sonpère. Peut-être, s'agit-il de lui souhaiter une belle éternité ?

Le grand labyrinthe est en l'honneur de sa mère. C'est en fait une suite d'idéogrammes révolutionnaires : « Vive larépublique populaire de Chine. Vive la grande union du monde. » Avec ces cases truffées de figures rassurantes ouludiques et de détails ordinaires, l'artiste s'est interrogé sur ceux qui avaient créé ces labyrinthes pour enfants, lesdessinateurs, mais bien plus les adultes en général mais aussi dans ce monde apparemment heureux, le Parti etpourquoi pas une figure protectrice de mère, veillant sur les multiples facettes de la vie d'un enfant.

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Dans la multiplicité de ses oeuvres, l'artiste se libère de son passé personnel et de celui de la société chinoise en lesréexplorant ; ses tableaux sont autant de surfaces d'autoanalyse.

Le cocasse cache la violence de situations que l'on ne fait que percevoir, car notre culture est différente. Et pourtant« cela parle », comme les oeuvres des surréalistes qui expolraient leurs mondes inconscients individuels.

Les oeuvres des quinze premières années sont donc une accumulation de souvenirs que l'artiste questionne, met àdistance. L'autoportrait revient après 2010, mais différemment. L'homme est seul, dans un petit format, il ne souritpas, il se gratte le nez ou l'oreille. Qu'elle trivialité ! Non, l'artiste indique qu'il n'est pas mort derrière la figure hilare, ilest bien vivant et il s'expose en tant qu'homme, comme chacun de nous tous.

Dans des tableaux très récents, la série Overlappings, il passe même un cap dans le questionnement, il recouvre safigure de peinture, comme les activistes viennois des années 60-70, notamment Arnulf Rainer. Ce n'est passeulement la figure qui est abîmée mais bien plus l'intention du rire qui devient impossible et est mise en tension. LaChine a changé, l'artiste aussi.

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L'HISTOIRE ET SA MISE EN SCENE

Dans les années 95, Yue se saisit des tableaux d'histoire chinoise (Dong Xiwen, Mo proclamant la naissance deRépublique, ou He Kondge, Mao définissant les principes de l'organisation du parti et devenant chef de l'ArméePopulaire), mais aussi de la peinture internationale (David, Manet, Delacroix) selon deux modalités : « Exécution »avec ses hommes hilares, et surtout Marat, où le style change. Le sujet principal disparaît. C'est le vide despersonnages, un manque, qui permet d'interroger l'histoire ainsi que le rôle joué par les arts dans la propagation desidées et des idéologies.

Ce tableau a comme origine une exposition d'oeuvres de David à Pékin dans les années 80 où l'artiste avait étéétonné de voir les visiteurs passer des heures à scruter les moindres détails. Trente ans plus tard, le visiteur françaisse trouve dans la même situation à regarder un tableau aussi précis que l'original, mais dont le personnage estabsent ! La Chine sans Mao ?

Yue Minjun joue aussi sur des registres analogues à ceux du minimalisme : retirer donne à voir l'essentiel de lapeinture et montre qu'elle existe bien ! Ce type de peinture d'une très grande précision est en fait une mise en décor

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théâtral. La technique est au service d'un projet : générer une impression de malaise chez le spectateur. L'histoire,un théâtre ? L'expression réalisme cynique prend ici tout son sens.

Avec la reconnaissance internationale, Yue Minjun nourrit encore son style en revenant à la culture chinoise passéeà laquelle il rend hommage de facto : une immense encre, qui est en fait un labyrinthe de motifs des grandscalligraphes. Ce grand format éblouissant fait de montagnes, chemins et vallées reliés reprend bien sûr son principedes clones, mais ce n'est plus lui-même qui est la base, c'est la montagne, un des éléments fondamentaux de lasymbolique culturelle chinoise. En outre le scénographe de l'exposition Cartier lui a donné un sens nouveau (leslimbes du cerveau) en le plaçant à côté de petits formats sur la puissance décervelante de l'idéologie maoïste !

Avec des dessins et une vidéo en autoportrait, cette exposition se présente comme une mise en spirale de l'oeuvreentière donc comme une vaste spirale sur l'oeuvre entière de ce peintre, la première rétrospective aux oeuvresminutieusement choisies par les commissaire de la Fondation Cartier.

Voir la courte vidéo sur l'artiste et l'expo.

Post-scriptum :

Voir et Dire est le réseau des arts visuels de Saint-Merry, qui accueille des artistes contemporains et leurs oeuvres. Le site Voir et Dire

est une fenêtre sur l'art contemporain, un instrument de découvertes et de réflexion pour tous les curieux, un commentateur critique de certaines

expositions.

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