Y a-t-il une bonne et une mauvaise dette · 2014-04-24 · générale des politiques publiques...

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Le 8 décembre 2009 Les Rendez-vous Parlementaires du Contribuable N° 28 Y a-t-il une bonne et une mauvaise dette ? Présidé par Lionel Tardy, député UMP de Haute Savoie 42, rue des Jeûneurs, 75077 Paris 02 Tél. : 01 42 21 16 24 - Fax : 01 42 33 29 35 - www.contribuables.org Bonne ou mauvaise, la dette ? La mauvaise empoisonne nos finances publiques. Lionel Tardy, député UMP de Haute-Savoie et chef d’entreprise, souligne que la Révision générale des politiques publiques (RGPP) qui représente 7 milliards d’économie sur trois ans, est bien loin du compte : 115 milliards de déficit public sont prévus dans le projet de loi de finance 2010. Il appelle à une plus forte mobilisation des députés pour remplir leur mission d’évaluation et de contrôle de la dépense publique. Michel Brulé, cofon- dateur de l’institut BVA, fait état de sondages Ifop-Le Cri édifiants : 83% des Français sont inquiets du déficit et de la dette publics ; 90% pensent que la priorité, en ces temps de crise, est de diminuer la dépense publique ; 60% critiquent le Grand Emprunt. Un État peut faire faillite, en particulier le nôtre, explique Philippe Herlin, chercheur en finance. La dette publique est un risque majeur : si la France venait à perdre la confiance des marchés internationaux, elle serait en faillite parce que les 2/3 de sa dette publique sont détenus par des non-résidents. Réduire rapidement son surendettement est vital pour elle.Valentin Petchankin, chercheur à l’institut économi- que Molinari, montre que c’est possible : le Canada l’a fait. Tout comme la France, ce pays s’enfonçait depuis les années 70 dans un surendettement qui atteignit 102% en 1995-96. Il prit alors le taureau par les cornes, ramenant sa dette à 68% en 2008. Les dirigeants ayant mis en place cette politique d’austérité ont été réélus… Certes, la crise a fait repartir à la hausse l’endettement du Canada, mais, pour l’affronter ce pays reste en meilleure position que la France. Résumé

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Le 8 décembre 2009

Les Rendez-vous Parlementairesdu Contribuable

N° 28

Y a-t-il une bonne et une mauvaise dette ?

Présidé par Lionel Tardy, député UMP de Haute Savoie

42, rue des Jeûneurs, 75077 Paris 02Tél. : 0142 211624 - Fax : 014233 2935 - www.contribuables.org

Bonne ou mauvaise, la dette ? La mauvaise empoisonne nos finances publiques.Lionel Tardy, député UMP de Haute-Savoie et chef d’entreprise, souligne que la Révisiongénérale des politiques publiques (RGPP) qui représente 7 milliards d’économie sur troisans, est bien loin du compte : 115 milliards de déficit public sont prévus dans le projetde loi de finance 2010. Il appelle à une plus forte mobilisation des députés pour remplirleur mission d’évaluation et de contrôle de la dépense publique. Michel Brulé, cofon-dateur de l’institut BVA, fait état de sondages Ifop-Le Cri édifiants : 83% des Françaissont inquiets du déficit et de la dette publics ; 90% pensent que la priorité, en cestemps de crise, est de diminuer la dépense publique ; 60% critiquent le GrandEmprunt. Un État peut faire faillite, en particulier le nôtre, explique Philippe Herlin, chercheur en finance. La dette publique est un risque majeur : si la France venait à perdre la confiance des marchés internationaux, elle serait en faillite parce que les 2/3de sa dette publique sont détenus par des non-résidents. Réduire rapidement sonsurendettement est vital pour elle.Valentin Petchankin, chercheur à l’institut économi-que Molinari, montre que c’est possible : le Canada l’a fait. Tout comme la France, cepays s’enfonçait depuis les années 70 dans un surendettement qui atteignit 102% en1995-96. Il prit alors le taureau par les cornes, ramenant sa dette à 68% en 2008. Lesdirigeants ayant mis en place cette politique d’austérité ont été réélus… Certes, la crisea fait repartir à la hausse l’endettement du Canada, mais, pour l’affronter ce pays resteen meilleure position que la France.

Résumé

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Les Rendez-vousParlementaires du Contribuable

N° 28le 8 décembre 2009

Y A-T-IL UNE BONNE ET UNE MAUVAISEDETTE ?

Députés participants

2

ABOUD Elie

BLUM Roland,

CAILLAUD Dominique,

CINIERI Dino,

COLOMBIER Georges,

COURSON de Charles,

DIEFENBACHER Michel,

FASQUELLE Daniel,

FERRAND Jean-Michel,

FOURGOUS Jean-Michel,

GARRAUD Jean-Paul,

GATIGNOL Claude,

GILARD Franck,

GOSSELIN Philippe,

GRALL Michel,

GUÉDON Louis,

HILLMEYER Francis,

HUNAULT Michel,

HUYGHE Sébastien,

JACQUAT Denis,

LAMOUR Marguerite,

LE NAY Jacques,

LETEURTRE Claude,

LUCA Lionnel,

MARIANI Thierry,

MAURER Jean-Philippe,

MEUNIER Philippe,

MOYNE-BRESSAND Alain,

NESME Jean-Marc,

PERRUT Bernard,

QUENTIN Didier,

ALMONT Alfred

BERNIER Marc,

BESSE Véronique,

BODIN Claude,

BONNOT Marcel,

BOUCHET Jean-Claude,

BOURRAGUÉ Chantal,

BOYER Valérie,

BOURRAGUÉ Chantal,

BRIAND Philippe,

BROCHAND Bernard,

CECCALDI-RAYNAUD Joëlle,

DALLOZ Marie-Christine,

DEBRÉ Bernard,

DECOOL Jean-Pierre,

DELONG Sophie,

DEPIERRE Bernard,

DESCOEUR Vincent,

DOOR Jean-Pierre,

DOUILLET David,

REMILLER Jacques,

ROUBAUD Jean-Marc,

SPAGNOU Daniel,

TARDY Lionel,

TERROT Michel

TAUGOURDEAU Jean-Charles,

TIAN Dominique,

VANNESTE Christian,

VANNSON François

VERCHERE Patrice.

Députés représentés

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DUPONT Jean-Pierre,

FERRY Alain,

FORT Marie-Louise,

FRANCO Arlette,

FRANCINA Marc,

FROMION Yves,

GAUDRON Gérard,

GEST Alain,

GORGES Jean-Pierre,

GROSSKOST Arlette,

HAMEL Gérard,

HERBILLON Michel,

HERTH Antoine,

HOUILLON Philippe,

JEANNETEAU Paul,

LECOU Robert,

LE FUR Marc,

LE MÉNER Dominique,

LETT Céleste,

MALLIÉ Richard,

MARTINEZ Henriette,

MESLOT Damien,

POLETTI Bérengère,

PREEL Jean-Luc,

REYNES Bernard,

SOISSON Jean-Pierre,

SOUCHET Dominique,

TEISSIER Guy,

TIBERI Jean,

TRON Georges,

VERPILLERE de la Charles,

VITEL Philippe,

WOJCIECHOWSKI André.

3

Sommaire :

Accueil par Benoîte TAFFIN, porte-parole de Contribuables Associés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 4

I. Les grandes réformes sont impossibles à mener sans y associer les Français

par Lionel TARDY, député UMP de Haute Savoie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 5

II. Le déficit public inquiète les Français

par Michel BRULE, co-fondateur de l’institut BVA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 10

III. La dette publique française est un risque majeur

par Philippe HERLIN, chercheur en finance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 13

IV. Comment le Canada a maîtrisé sa dette et ses déficits

par Valentin PETKANTCHIN, chercheur à l’institut économique Molinari . . . . . . . . . . . Page 19

Débat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 22

Conclusionpar Alain Mathieu, président de Contribuables Associés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page 25

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Accueilpar Benoîte Taffin,porte-parole de Contribuables Associés

Nos Rendez-vous parlementaires ont débuté il y a cinq ans. Ils vouspermettent d’entendre des interventions de vos collègues mais aussid’experts, comme vous avez pu le constater. Nous faisons parvenir le compte-rendu écrit aux 577 députés : même s'ils n'ont pas participé à nos travaux, ilsont accès à leur contenu. Nous nous en faisons aussi l’écho dans notre journalmensuel le Cri du contribuable : nos 146 000 adhérents sont au courant de cesréunions et des personnes qui y ont assisté. On y débat de sujets d'actualité,souvent un peu difficiles voire tabous. Nos réunions ont souvent débouchésur des propositions de loi cosignées par de nombreux députés. Même si ellesne sont pas soumises au vote, cela fait avancer le débat.

Aujourd’hui nous posons une question qui vous préoccupetous : il y a-t-il une bonne et une mauvaise dette ? C’est un sujetd’actualité rendu brûlant par la dette, le déficit et l’emprunt.

Je remercie Lionel Tardy, député UMP de Haute Savoie, l’un desfidèles de nos rendez-vous parlementaires, de bien vouloir présider cetteréunion : le sujet de la dette lui tient particulièrement à cœur. Après sonintroduction, nous entendrons Michel Brulé, co-fondateur de l’institut BVA.Il vous présentera un sondage réalisé le mois dernier sur l’opinion desFrançais sur la dette. Ce n’est pas celle des médias. Il vous parlera d’un autresondage, non encore paru, mais qui vous intéressera sûrement. Puis vousentendrez Philippe Herlin, économiste, chercheur en finance, qui anime leblog ladettedelafrance.fr présenté dans le dossier qui vous a été remis. Ilanalysera les risques et perspectives liés à la dette française. Et enfin ValentinPetkantchin, directeur de la recherche à l’institut économique Molinari,décrira l’expérience canadienne qui prouve qu’un pays peut réduire sesdéficits et se débarrasser de sa dette. Le président de Contribuables Associés,Alain Mathieu, conclura la séance.

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« L’opinion des Français

sur la dette n’est pas celledes médias. »

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I. LES GRANDES RÉFORMES SONTIMPOSSIBLES À MENER SANS Y ASSOCIERLES FRANÇAIS par Lionel TARDY, député UMP de Haute Savoie

Vaste sujet : il y a-t-il une bonne et une mauvaise dette ? Pour mapart, je vais me cantonner à l’endettement et à l’inquiétude desFrançais, pour dire que nous, les députés, sommes conscients duproblème. Nous en sommes si conscients que nous avons organiséen juin – c'est une première - les États généraux de la dépensepublique, à l’initiative du groupe UMP de l’Assemblée : 102 réunionspubliques en circonscriptions ont permis de relayer les attentes desFrançais concernant cette dette. Au début de ces réunions, un question-naire rapide était remis aux participants. Les réponses montrent que lesFrançais sont conscients du problème. Mais ils ont des difficultés avec leschiffres et ont tendance à tout mélanger : dette publique, produit intérieurbrut (PIB), déficits publics. Nous nous sommes efforcés de clarifier lesdonnées pour que tout le monde prenne bien conscience de ce problème dedette : c’est par la base qu’on réussira à faire changer les choses. Lesgrandes réformes que requiert la situation seront impossibles à mener à biensans y associer les Français.

Au fil de ces réunions (tout au moins celles que j’ai organisées), aucunemesure phare n’a été proposée en dehors de la réduction du nombre defonctionnaires. Ne furent préconisées que de petites mesures d’économie :100 millions d'euros par-ci, 100 millions d'euros par-là. Les Françaiscomprennent la gravité de la situation mais quand on entre dans ledétail – que faudrait-il supprimer, comment faire ? –, il leur est plusdifficile de répondre. Dans ces réunions des États généraux de la dépensepublique, j’ai rappelé les chiffres : en 2009 (on verra 2010 après), 140 milliardsd’euros de déficit (1 000 milliards de francs), c’est assez impressionnant. Ces140 milliards se décomposent en déficit structurel (50 milliards), et en déficitde crise qui représente 52 milliards de pertes de recettes et 38 milliards deplan de relance. C’est ce dont on va débattre aujourd’hui.

Ces réunions ont mis en évidence des chantiers structurels àmener : la réforme des collectivités locales, les financements croiséset plus d'équité entre le privé et le public. Ce dernier point correspondà une préoccupation majeure des Français : ils ont l’impression qu’ils ne sontpas tous traités de la même façon. En période de crise, disent-ils, il faudraitque tout le monde soit sur un pied d'égalité, qu’une remise à plat des aidessociales soit effectuée. Ça pose le problème de la fraude qui représente à

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« Les Françaispensent qu’enpériode de criseune remise à platdes aidessociales doit êtreeffectuée. »

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peu près 60 milliards d’euros par an en France. Tout le monde a cité desexemples de dysfonctionnements de l’administration et proposé desmesures à intégrer au projet de loi de finances : simplification desdémarches administratives, non remplacement de deux fonctionnaires surtrois, et surtout simplification de l’écheveau des opérateurs de l’État - jerappelle qu’il y en a plus de 655 : il y a certainement moyen de regrouperquelques structures.

J’ai rappelé que l’État aura emprunté 250 milliards d’euros en 2009 :150 pour son déficit et 100 pour le remboursement du capital. Ce moded'endettement entraîne un effet pervers. L’État aujourd’hui emprunte à untaux relativement bas : de 0,2 à 0,3% d’intérêt sur un an au lieu de 4% sur 5ans. L’État est en déficit mais il emprunte pas cher. Cela le pousse àemprunter, mais sur des périodes courtes : avec ce système, la dette de l’Étatà moins d’un an est passée de 80 milliards à 200 milliards d’euros. Vousvoyez les problèmes que ça peut poser par la suite puisque 1% de hausse destaux d’intérêt représente 4 milliards de dette supplémentaire - 2 fois lebudget de la culture - : l’État a emprunté à très court terme. Il suffit que lesconditions changent d’ici un an ou deux pour qu’on aie un retour de bâtonen termes d’intérêts supplémentaires.

Dans le projet de loi de finances 2010 que nous venons devoter (cela aussi on pourra en débattre), le déficit public annoncé de 115milliards (contre 141 milliards en 2009), représentera 8,5% du PIB :c’est énorme. Même en temps de guerre, je ne sais pas si on arrive à cesniveaux-là. Il faut être conscient du déficit de la Sécurité sociale - plusde 30 milliards - et des taux de prélèvements, qui sont à 41% du PIB.La situation n’est vraiment pas reluisante.

Je rappelle la composition des recettes de l’État : la principaleest la TVA, 127 milliards d’euros (44% des recettes). En période decrise, ça fait mal. L’impôt sur le revenu rapporte 58 milliards, 20% desrecettes, l’impôt sur les sociétés, 44 milliards, 15% des recettes.Concernant l’impôt sur les sociétés, un certain nombre d'entre nous nepartageons pas l'optimisme du gouvernement quant il annonce que l’anprochain ça ira mieux, que les recettes reviendront aussitôt que la crise serapassée. Bercy a tendance à ignorer ce qu’on appelle les déficits reportables. Àpartir du moment où une société fait du déficit, tant qu’elle n’a pas engrangéles bénéfices qui annulent ce déficit, elle peut le différer sur plusieurs années :en termes d’impôt sur les sociétés, la situation ne reviendra pas normaleavant deux ou trois ans, et non pas un comme certains l’espèrent. Cesdonnées ne sont pas assez prises en compte. Les autres recettes sont laTaxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP), 19 milliards, 7%

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« L’Etat auraemprunté 250

milliards d’eurosen 2009 : 150

pour son déficitet 100 pour le

remboursementdu capital. »

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des recettes, l’Impôt sur la fortune (ISF), 14 milliards, 5% desrecettes, ainsi que diverses recettes non fiscales.

Les dépenses sur lesquelles il faut travailler, on les connaît : c’estl’Éducation nationale, le premier poste de dépenses de l’État (quand on veutréformer, on est obligé de passer par là) ; c’est l’intérêt de la dette : 40milliards par an ; c'est aussi la Défense et les autres ministères.

Face à tout ça, le rythme de croisière de la Révision généraledes politiques publiques (RGPP) – censée passer à la paille de fer lesdépenses inutiles - est de 7 milliards sur 3 ans. Ce n’est pas du toutà la hauteur des enjeux. Quand on a un budget de 250 milliards avecun déficit de 114 - 115 milliards, ce n’est pas 7 milliards économiséssur 3 ans qui ramèneront les comptes de la Nation à l’équilibre.

L’État vit au dessus de ses moyens. Pour arriver à l’équilibre en2014, il faudrait faire 70 milliards d’économies par an. Ceci à partir de 2012seulement : on sait que ce ne sera pas possible en 2010 et 2011, qui serontdes années très dures. Pour résorber ce déficit, il faudrait doubler l’impôt surle revenu ou passer la TVA à 25,5%.

Aujourd’hui, 40% de nos dépenses ne sont pas financées :c’est beaucoup. Dans le budget 2010, sur 265 milliards d’euros, on a115 milliards de déficit non financés. Ce sont des pertes, il n’y a pas derecettes en face. Depuis le 30 juin, l’État vit à crédit. Les 140 milliards d’eurosdu déficit 2009 représentent 16 millions par heure : c’est frappant. La dettede l’État, c’est 23 000 euros par habitant. Par actif, c’est plutôt 30 à35 000 euros. Mettre ces chiffres en parallèle avec les 16 millions d’eurosde déficit par heure est hautement significatif.

Les caisses de l’État sont vides depuis le 30 juin. Les recettes au1er semestre 2009 sont de 108 milliards, en baisse de 25 %, et celles del’impôt sur les sociétés du 1er semestre 2009 sont en baisse de 80,5 %. Ledéficit structurel de 50 milliards d’euros représente 4,5 % du PIB. Les normeseuropéennes prescrivent un plafond de 3 %.

Quelles sont les perspectives de retour à l’équilibre ? Il y a moyen defaire des économie par différents biais, on va avoir l’occasion d’en parler. Leplus grand danger est qu’on n’a pas complètement purgé cette crise. Nous enparlions un an auparavant avec Dominique Strauss-Kahn : l’économie nepourra repartir comme il faut, disait-il, que lorsque tous les actifs pourrisauront été purgés. On dit souvent qu’au pays de la finance, les aveugles sontrois. Le récent exemple de Dubaï doit nous ramener à la réalité. On savait

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« Les 140milliards d’eurosdu déficit 2009représentent 16 millions par heure. »

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depuis plusieurs mois que les Émirats-Arabes-Unis finançaient la dette deDubaï : ils avaient avancé plus de 10 milliards de dollars en février dernier.

On a découvert ça dans la presse du jour au lendemain, sans que dessignaux d’alerte eussent été émis auparavant. Il y a encore beaucoup dechoses à revoir dans le domaine de la finance... On nous dira : « Les fondsstratégiques au Moyen-Orient, c’est 800 milliards de dollars, donc on ne peut pasfaire étalage de ces anomalies sur la place publique. » Quoi qu’il en soit, il nefaudrait pas qu'une éventuelle prolifération d’affaires de ce type nous fassebasculer à nouveau dans l’ornière.

Il subsiste beaucoup de bulles spéculatives. Il y a les déficitspharamineux des États. Pour vous donner un ordre d’idée, alors quenos déficits sont dignes des temps de guerre, la dette publique despays développés pourrait augmenter de 50 % d’ici 2011. Leur dettecumulée passerait à 45 000 milliards de dollars contre 35 000milliards en 2009. On entend souvent dire que les États ne peuvent pasfaire faillite : en est-on bien sûr ? Prenons le cas de la Grèce. Son déficit étaitofficiellement de 6%. Un changement de gouvernement a donné l’occasionde passer les comptes à la paille de fer : le nouveau gouvernement s’estaperçu que le déficit était plus proche des 12,7 %. Il y a sûrement d’autresÉtats sur lesquels on pourrait s’interroger...

Se pose aussi le problème des dettes cumulées des sociétés rachetéesen leveraged buy-out (LBO) : personne n’en parle mais c’est une autre bombeà retardement. Le baril de pétrole se maintient à 80 dollars : alors quel’économie tourne au ralenti, pourquoi ce prix ne diminue-t-il pas ? La Chinea un taux de croissance de 10 %. Mais les banques chinoises ont prêtélargement au-delà des plafonds qu’avait indiqués le Gouvernement. Et leplan de relance chinois s’est élevé de plus de 800 milliards de dollars. Sijamais il y a le moindre pépin, que se passera-t-il, sachant que les banqueschinoises financent en grande partie la dette américaine ? Voilà les questionsqu’on peut se poser.

Dans tout cela, quel est le rôle des députés ? Les participants à cesréunions sur la dépense publique se sont étonnés que les députés soientabsents du contrôle de la dépense publique : « Ce n’est pas normal que vousvotiez des budgets de ce style-là ». De fait, en 2010, on aura 116 milliards d’eurosde déficit alors qu’avant la crise on en était à 42 milliards seulement.

Je ne suis pas membre de la commission des Finances – un gros travaily a été effectué - mais nous possédons un outil capable de faire changer leschoses : la réforme constitutionnelle a ajouté à la fonction législative du

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« En 2010, on aura

116 milliardsd’euros de déficit

alors qu’avant la crise on était à 42 milliards

seulement. »

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Parlement celles d’évaluation et de contrôle. Un comité d’évaluation et decontrôle des politiques publiques a été institué, composé de 32membres, exclusivement des parlementaires. Il se met en place petit àpetit – ça ne se fera pas en deux jours – et il disposera de pouvoirs trèsétendus pour évaluer les politiques publiques. Car le gros problème c’estl’évaluation des politiques publiques, à la fois en amont et en aval des lois.Ce sera important.

L’autre problème, c’est l’implication des députés. Avec cetteréforme constitutionnelle, le travail devrait se répartir sur 3 jours : le mardi,le mercredi et le jeudi. Si tout le monde était là le jeudi, on pourrait faire lesréunions de Contribuables Associés ce jour-là et ce serait sûrement plus confor-table. Mais s’il se contente d’être là un jour et demi par semaine seulement,le député ne fait que légiférer et les rôles d’évaluation et de contrôle sontentièrement assumés par l’administration. Conséquence : rien ne bouge. Ilfaut que les députés assument leur mission dans sa plénitude : nousdétenons davantage de pouvoir mais il faut que nous puissionsl’exercer. Pour arriver à bonne fin, moi - qui suis adepte du mandat unique- je pense qu’il faut à l’Assemblée un noyau dur beaucoup plus important quecelui des 100-150 députés actuels pour se répartir les tâches, mettre en placedes mesures de contrôle bien plus strictes, descendre dans le détail. Lasolution passe par une mobilisation des députés : c’est vraiment parlà qu’il faut commencer pour s’atteler à ces différents problèmes.

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II. LE DÉFICIT PUBLIC INQUIÈTELES FRANÇAISpar Michel BRULE, co-fondateur de l’institut BVA

Je vous apporte quelques éléments d’information sur la façon dont lesFrançais réagissent aux problèmes qui viennent d’être évoqués : l’état desfinances publiques, du déficit, de la dette, du rapport avec la crise. Je vaism’appuyer sur deux sondages que Contribuables Associés a fait réaliser parl’IFOP : l’un a été publié dans un numéro récent du Cri du Contribuable etl’autre est une primeur puisqu’il n’a pas encore été publié.

Le premier sondage, portant sur la dette et le déficit, se caractérise parle côté massif des réponses. On a demandé aux Français : « Vous personnelle-ment, en pensant au déficit public et à la dette de l’État, êtes-vous inquiet ou pasinquiet, très inquiet, etc. » Les réponses sont sans ambiguïté : 83% des Françaissont inquiets contre 17% qui ne le sont pas. Par rapport à la même questionposée au début de l’année, on a encore enregistré une progression,notamment de ceux qui se disent très inquiets. Aujourd’hui 28% desFrançais - ça fait une grande masse de gens - sont très inquiets duniveau des déficits publics.

Ensuite on a essayé de voir comment les gens situaient ce problèmede déficit par rapport aux moyens de lutter contre la crise. On a constaté que,au fur et à mesure qu’on s’éloigne du pic de la crise financière, le raisonne-ment selon lequel « les déficits, c’est regrettable, mais ce n’est quand même pas leproblème prioritaire, il faut d’abord s’occuper de relancer la machine » est de moinsen moins bien accepté. On a posé la question : « De laquelle des opinions êtes-vous le plus proche : face à l’ampleur de la crise, la réduction du déficit et de l’endet-tement n’est pas une priorité. Et l’autre opinion : malgré la crise, la France doit, coûteque coûte, éviter d’accroître son endettement et son déficit ». Résultat : 72 % depersonnes sont favorables à donner la priorité à la réduction del’endettement, en tout cas à son non accroissement, contre 28 % quidisent : il faut d’abord s’occuper de combattre la crise même si ça doitgénérer du déficit. Quand on avait posé cette question au début de l’année,le rapport était moins accentué : 60 % des personnes interrogées étaienthostiles à l’accroissement des déficits, contre 40% qui donnaient la prioritéau combat contre la crise.

La troisième question portait sur les remèdes pour faire face à lasituation actuelle, sur la solution à privilégier : baisser les dépenses de l’Étatet celles des collectivités locales ou augmenter les prélèvements.L’augmentation des prélèvements est rarement très populaire mais là le refus

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« 83% desFrançais sontinquiets de la

dette et dudéficit. »

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est vraiment massif : 90 % des personnes interrogées disent qu’en tout cas lapriorité c’est diminuer les dépenses, contre 10 % qui préfèreraient qu’onaugmente les impôts.

On a eu aussi la curiosité de poser une question sur les finances descollectivités locales. D’abord parce que cela va être d’actualité. Et ensuiteparce que l’expérience m’a montré que la fiscalité locale est souvent mieuxacceptée par les contribuables que les prélèvements nationaux, probable-ment parce qu’ils en discernent mieux l’utilisation. On a demandé : « Diriez-vous de l’augmentation des impôts locaux qu’elle est justifiée ou pas justifiée » ? Onproposait deux réponses : « Elle est justifiée parce que les collectivités locales ont encharge de plus en plus de domaines d’intervention », ou bien : « Elle est injustifiéeparce que les collectivités locales ne font pas assez d’efforts pour réduire leurs dépensesde fonctionnement ». C’est cette seconde réponse, critiquant l’excès desdépenses de fonctionnement des collectivités locales, qui l’emporte d'assezloin : 72 % contre 28 %.

Récapitulons ce premier des deux sondages sur les finances publiques :il donne des réponses très nettes et massives exprimant une inquié-tude quant au déficit et à la dette, souhaitant que cela ne conduisepas à une augmentation des impôts et donnant la priorité au nonaccroissement de la dépense publique sur la relance économique.Même pour les finances locales, pour lesquelles on est habituellement pluscompréhensif, on estime que, plutôt que d’augmenter les impôts, on auraitdû faire des efforts qu’on ne constate pas sur la réduction des dépenses defonctionnement. Ce sondage se caractérise par le fait que les réponses sonttrès peu clivées par famille politique : elles sont pratiquement les mêmes àgauche et à droite, avec juste un petit bémol sur la question des financespubliques où la gauche est un peu plus indulgente pour l’accroissement desimpôts locaux. Sinon, sur les grandes questions, la confiance, l’acceptationdu déficit pour relancer l’économie, les électeurs de gauche et de droiterépondent la même chose.

Il n’en va pas de même pour le second sondage, qui a trait à l’emprunt.Peut-être parce que celui-ci est une action qui caractérise davantage lesdécisions gouvernementales et qu’on y retrouve les clivages majorité-opposi-tion. On a posé une première question sur la crédibilité de l’affirma-tion de François Fillon : « La France sera en mesure de respecter sesengagements européens en matière de déficit à l’horizon 2014 ». Il n’a pasconvaincu les Français : 80 % disent qu’ils ne pensent pas que legouvernement sera à même de tenir ses engagements, contre 20 %qui pensent l’inverse. Il y a une certaine différence selon les familles politi-ques : à gauche, 91 % des sondés doutent de l’aptitude du gouvernement à

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« 90% desFrançais pensentque la priorité,c’est diminuer les dépensespubliques. »

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tenir cette promesse. Mais dans l’électorat de droite, il se trouve tout de même63 % des électeurs – plutôt enclins à soutenir les initiatives du gouvernement- qui sont sceptiques sur son aptitude à tenir ces engagements-là.

Après on a abordé le grand emprunt en lui-même. « Selon vous, legrand emprunt national est-il une bonne chose ou une mauvaise chose ? » On trouve40 % des Français pour dire que c’est une bonne chose et 60% – une majoritéassez nette – pour le critiquer. Là, les réponses sont beaucoup plus clivéesselon les électeurs de gauche ou de droite. Les 3/4 des électeurs de gauchedisent : « C’est une mauvaise chose », alors que les 2/3 des électeurs de droitedisent : « C’est une bonne chose ». Ce qui veut dire qu’un tiers desélecteurs de droite critiquent cette décision gouvernementale.

Troisième question : « Vous, personnellement, en pensant à ce grandemprunt et à ses conséquences dans les années qui viennent, l’envisagez-vous d’abordcomme un moyen de financer des secteurs clefs de l’économie ou un alourdissement desdéficits et de la dette publique ? » Les 2/3 des Français y voient d’abord unalourdissement et 35 % un moyen de financer les secteurs clefs, aveclà aussi, des réponses très contrastées selon la gauche et la droite.Tout de même, 39 % des électeurs de droite disent : « Pour moi l’emprunt, c’estd’abord un accroissement de la dette publique ». De ces quelques éléments, ondégage l'idée que la décision de lancer l’emprunt fait prendre un certainrisque politique à la majorité dans la mesure où elle la met en porte-à-fauxavec une fraction de 30 à 40% de son électorat. Prendre à rebrousse-poil 30à 40 % de son électorat, c’est beaucoup. Ça fait penser un peu à l’exempleaméricain. On sait que le Président Obama a du mal à faire passer uncertain nombre de ses décisions parce que l'opinion publique trouveque ce n’est pas le moment d’accroître les dépenses fédérales. En mepromenant sur les sites de mes confrères américains, j’ai trouvé la questionsuivante : « Faut-il plutôt stimuler l’économie même si ça creuse les déficits ou réduireles déficits même si ça retarde la reprise ? » C’était une formulation assezvigoureuse. 62 % des Américains estiment qu’il vaut mieux réduire lesdéficits, même si ça retarde la reprise. Il faut se souvenir qu’Obama avait faitune campagne fiscalement prudente, conservatrice, critiquant les dépenses àtout va de l’administration Bush : ça le met en porte-à-faux aujourd'hui. Je nesais pas si la campagne présidentielle de 2007 produira le même effet cheznous, mais il est certain qu’on est sur un terrain politiquement périlleux.

Il est clair que le grand emprunt ne suscite pas un élan demobilisation nationale. À partir du moment où on l’a rétréci et où ensuiteon a décidé de ne pas faire appel aux particuliers, le fait qu’il n’y ait pas ungrand élan vers la souscription a peut-être moins d’importance. Mais, politi-quement, le problème est posé.

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« 60% desFrançais

critiquent le Grand

Emprunt. »

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III. LA DETTE PUBLIQUE FRANÇAISE EST UN RISQUE MAJEURpar Philippe HERLIN, chercheur en finance

On connaît le rythme d’accélération de la dette publique, je n’yreviendrai pas. Je parlerai ici des risques associés à la dette, des faussessolutions et des perspectives envisageables. Je commencerai enévoquant deux risques, la plupart du temps négligés.

Le premier risque est le fait que les deux tiers de notre dette sontdétenus par des non-résidents. Cette part est en forte augmentation, cechiffre était de 50 % en 2005 et seulement 12 % en 1998 ! Pourcomparer, la part des non résidents est quasiment nulle pour le Japon, de25 % pour les États-Unis (en 2007). Soit dit en passant, quand on entendsouvent dire que la Chine finance la dette des États-Unis, c’estlargement exagéré : les non-résidents représentent un quart desdétenteurs, et parmi eux la Chine arrive en tête avec un quart de cettepart, soit au total un peu plus de 6 % (un quart de un quart).Remettons les choses en place : l’économie américaine peut absorber les troisquart de la dette publique et la Chine représente un poids certes importantmais tout de même pas vital.

Pour la France, la part des non-résidents s’élève aux deux tiers ce qui,pour le coup nous rend très dépendants des investisseurs étrangers. Alorsbien sûr, jusqu’ici tout va bien et nos émissions obligataires sont largementsouscrites. Mais si une défiance envers la signature de la France venaità apparaitre, cela nous mettrait immédiatement en situation defaillite puisque notre économie ne pourrait pas suppléer d’un coup àces investisseurs étrangers. Il y a donc ici une fragilité très grandequ’il faut prendre en compte, au-delà du montant de la dette.

Le second risque, lié à celui que nous venons de voir, concerne notrenotation : triple A, c’est la meilleure possible, très bien. Mais son importanceest cruciale car il faut savoir que la plupart des banques centrales et des fondsde pension dans le monde ont l’obligation statutaire de placer leurs fondsdans des placements notés AAA. Or, nous venons de le voir, nous dépendonsbeaucoup d’investisseurs étrangers, qui n’hésiteront pas à nous rayer de leurslistes en cas de rétrogradation, alors que les institutions financièresnationales peuvent subir d’amicales pressions du pouvoir…

Et les déficits de la France inquiètent les agences de notation…Dernière en date, l’agence Fitch a déclaré le 10 novembre : « Nous avons des

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« Les deux tiersde notre dettesont détenus par des non-résidents. »

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craintes au sujet de la France. Nous voyons une détérioration sensible des déficitsfiscaux en France, une certaine pression commence à s'y faire sentir ».

À partir de là, quel pourrait être le scénario d’une remise en cause denotre AAA ? Certains d’entre vous ont certainement lu « Le jour où la Francea fait faillite » de Philippe Jaffré et Philippe Riès, paru en 2006 chez Grasset.Dans cette fiction, ou ce roman d’anticipation, la note de la France estprogressivement dégradée, jusqu’à un niveau qui déclenche la rupture deconfiance des investisseurs dans le monde. Avec ce scénario, au moins a-t-onle temps de réagir et de mettre en place des réponses politiques et économi-ques. Mais je ne crois pas que cela va se passer de cette façon. Il suffit deconsidérer la faillite de Dubaï : un enseignement à bien noter concernantcelle-ci est que les agences de notation sont les dernières à réagir, alors queleur métier consiste à anticiper les problèmes de solvabilité ! C’est commepour les Subprimes qui étaient notées AAA jusqu’à ce que tout le monde serende compte que ça ne valait plus grand-chose.

Il se passera la même chose pour la dette de la France, du Royaume-Uni ou d’un autre grand pays : aucune agence n’osera prendre les devants,même si elle a toutes les informations en main. C’est politiquement tropchaud. En outre, selon une source personnelle, les agences de notation sontlargement noyautées par d’anciens salariés des banques centrales... Lesagences de notation attendront l’incident de paiement pourrétrograder la note, et nous serons mis devant le fait accompli. C’estun risque important à prendre en compte.

Je dirai un mot sur l’autre dette, car la dette publique c’est cellede l’État, mais aussi des collectivités locales et des organismessociaux. Concernant la Caisse d'amortissement de la dette sociale(CADES)1, je signale un fait hallucinant : elle emprunte en dollars, pour uncinquième de sa dette ! Pourquoi la CADES ne s’endette-t-elle pas uniquementen euros comme l’Agence France Trésor (AFT) qui gère la dette de l’État ?Certes ces emprunts en devises sont couverts sur toute la durée contre lerisque de change par un swap, mais toute couverture implique un coût.L’avantage d'un emprunt en dollars ? Émanant d’une structure notée AAA, ilse place sans difficulté auprès d’investisseurs américains. L’opérationcomporte sa rationalité, mais à l’heure où tout le monde se plaint de l'hégé-monie du dollar et où, en Europe, on cherche à contrebalancer l'influence dubillet vert avec l’euro, on s'étonne de voir un organisme public françaiscontribuer à la prépondérance de la monnaie américaine.

Seconde remarque : dans l’indifférence générale, l’Unedicvient d’emprunter... et pas qu’un peu : 4 milliards d’euros. On reste

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« Les agences denotation sont les

dernières à réagir,alors que leur

métier consiste àanticiper les

problèmes desolvabilité. »

1. La CADES a été créée en 1996 pour gérer la dette de la Sécurité sociale – rendue distincte de celle de l'État - et la résorber.

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confondu par la légèreté de son directeur général, Jean-Luc Berard, quiaffirme : « Les difficultés financières de l'Assurance chômage, essentiellementconjoncturelles, devraient se résorber avec la reprise économique ». Comme si derien n’était ! Hormis le fait que miser sur un retour rapide à la croissanced’avant la crise est très optimiste, de toute façon il faudra rembourser cetemprunt, ce qui ponctionnera les cotisations chômages futures.

Face à cette dette et à son emballement, plusieurs faussessolutions sont à écarter :

La première est la distinction déficit structurel/déficit conjonc-turel. Le ministère des Finances divise le déficit prévu en 2010 en un « déficitstructurel » de 45 milliards d’euros et un « déficit de crise » de 96 milliardsd’euros (57 milliards de baisse des recettes fiscales + 39 milliards du plan derelance). Sous entendu : lorsque la reprise sera revenue, ce déficit de crises’évanouira comme par enchantement. Mais la distinction est spécieuse etinduit en erreur. Le « déficit structurel » n’est lui-même qu’un déficit conjonc-turel qui dure, concrètement depuis le premier choc pétrolier et le budget1975 présenté alors pour la première fois en déficit.

La crise déclenchée le 15 septembre 2008 ne va pas s’effacer desitôt. Les prévisions de croissance prévoient 1 à 2 % seulement ce qui veutdire ipso facto qu’une partie de ce que le gouvernement nomme le déficit decrise ou conjoncturel va devenir structurel… Et mécaniquement, le poste «service de la dette » va augmenter, ce qui accroîtra la force d’inertie du déficit.

Une autre fausse solution, voisine de l’imposture, est liée à lanotion d’actifs publics dont le montant serait, selon l’Insee, supérieurà la dette publique : c’est formidable, on peut encore s’endetter ! Maisquels sont-ils, ces actifs publics ? Citons l’Insee : « Il s’agit essentiellement debâtiments non résidentiels (bureaux, écoles, hôpitaux...), d’ouvrages de travauxpublics (routes...) et surtout de leurs terrains sous-jacents. Ce patrimoine non financierest principalement détenu par les administrations publiques locales en conséquence dela politique de décentralisation engagée à partir de 1982. »

Bien, mais la dette, c’est surtout celle de l’État, les collectivités localesétant, pour le moment, relativement peu endettées. Or ces actifs appartien-nent aux collectivités locales ! S’il voulait « réaliser » ces actifs pour payer sadette, l’État devrait donc (par une loi qui confinerait au coup d’État)commencer par dépouiller les communes, départements et régions de leursécoles, collèges et lycées, infrastructures routières, hôpitaux… pour ensuiteles vendre à des investisseurs et des fonds de placements. Et ainsi, l’Éducationnationale et l’hôpital devraient payer un loyer aux nouveaux acquéreurs pour

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« Le « déficitstructurel » n’est lui-mêmequ’un déficitconjoncturel qui dure, depuis 1975. »

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continuer de fonctionner, des routes départementales et des ponts devien-draient payants, etc. Les Français deviendraient locataires de leur proprepays ! Et ils paieraient deux fois les mêmes équipements, d’abord par leursimpôts, ensuite par des redevances, ou bien des impôts supplémentaires. Ils’agit là d’une arnaque, disons le clairement. Les seuls actifs publics àconsidérer sont les parts détenues dans les sociétés publiques et privées, quipeuvent être cédées sur le marché, et leur montant est faible par rapport àla dette. La valeur de portefeuille des participations cotées de l’État s’élèveà 103 milliards d’euros (rapport du sénateur Jean-Pierre Fourcade du 19novembre 2009).

Troisième mauvaise réponse, le Grand Emprunt. Sous unemballage séduisant où l’on annonce investir dans la recherche, l’innovation,les nouvelles énergies…, on s’aperçoit que les 35 milliards d’investissementvont passer par la tuyauterie déjà largement percée et inefficace d’organismespublics existants comme l’Agence nationale de la recherche (ANR), l’Agencenationale pour la rénovation urbaine (ANRU), Oséo (aide aux PME), l’Agencede l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). On déplorel’absence de tout dispositif fiscal ou réglementaire pour encouragerl’initiative privée.

En fait, hormis les 10 milliards pour les campus, ce sont danstous les cas des dépenses de un à deux milliards de ci-de là (biotech-nologies, nucléaire, aérospatial, transport collectif, isolation,véhicules électriques…) qui auraient pu être réalisées dans le cadredu budget normal de l’État, si celui-ci avait engagé un programmed’économie ! Le Grand Emprunt traduit surtout l’incapacité de l’Étatà se réformer.

Il y a de la poudre aux yeux dans le rapport puisqu’on veut nous fairecroire à la rentabilité économique de ces dépenses. Le rapport affirme : « Lesdépenses d’investissement retenues par la Commission donnent lieu à la constitutiond’actifs à hauteur de près de 60 %. Les autres dépenses sont accompagnées d’uneexigence de retour. » (Pages 15, 25). Mais lorsque l’on regarde ce « retour » dansle détail de chaque projet, on a le plus souvent ces phrases : « La rentabilité decet investissement est d’ordre socio-économique » ou aussi « en cas de succèséconomique »… Interdit de rire. Le seul organisme public important qui prenddes participations, le Fonds stratégique d’investissement (FSI), ne sera dotéque d’un milliard d’euros ! Mais il faut bien vendre le Grand Emprunt auxdéputés et à l’opinion.

Quand le krach de la dette se produira-t-il ? On ne peut pas savoir,et quand on saura il sera trop tard ! On ne peut pas savoir parce que cela

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« Quand lekrach de la dettese produira-t-il ?

On ne peut passavoir, et quandon saura il sera

trop tard ! »

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dépend de la confiance des investisseurs internationaux, c'est-à-dire dequelque chose d’insaisissable. Il peut arriver qu’un beau jour unetranche d’emprunt ne soit pas souscrite à 100 % - ce qui en soin’est pas catastrophique - mais une défiance généralisée sepropagera et le risque associé à la dette de la France explosera.Cela conduira, on l’a vu, les agences de notation à nous faireperdre notre AAA, ce qui nous amènera très vite à l’insolvabilitédu fait que les deux tiers de notre dette sont placés à l’étranger :notre économie ne peut pas compenser. La fragilité de notresituation nous explosera alors à la figure.

Ce n’est pas de la science-fiction. La presse s’est fait récemmentl’écho d’un rapport de la Société générale envisageant, comme scénariopossible, une crise de surendettement des États dans une économie anémiée,déclenchant un « effondrement global ». Il faut donc agir rapidement.

Quelles solutions peut-on envisager ?

Il faut réduire la dette et cela passe par la réduction dudéficit budgétaire, sans oublier celui de la Sécurité sociale. Celapasse notamment par le renforcement du rôle du Parlement. Quellesactions concrètes les députés pourraient-ils entreprendre ? Je ne parle pasdes mesures d’économie proprement dites, la liste serait longue et ce n’estpas le sujet, mais du rôle du Parlement face à la dette publique. LeParlement peut indiquer une direction, fixer un objectif. On connaitl’exemple de l’Allemagne : à partir de 2016, le déficit du gouvernementfédéral ne pourra pas dépasser 0,35% du PIB, et à partir de 2020, lesdéficits dans les Länder seront proscrits. C’est un objectif ambitieux maisil a été soutenu à la fois par la CDU et le SPD. Alors pourquoi pas enFrance, rêvons un peu !

On en a évoqué le fait que les deux tiers de la dette sont détenus pardes non-résidents. Mais il faut signaler que l’on n’a aucune informationsupplémentaire. Pour le tiers détenu par les résidents, on connaît la réparti-tion entre les organismes de placement collectif en valeurs mobilières(OPCVM), les établissements de crédits, etc. Pour les deux tiers détenuspar les non-résidents on n’a aucune information : on ignore quelssont les principaux pays détenteurs ou les types d’institutionsfinancières. Cette information est tout à fait publique aux États-Unis,par exemple. Une action que pourraient entreprendre les députés consiste-rait à interroger à ce sujet le ministère des Finances ou le directeur général del’Agence France Trésor (AFT). Le simple fait que cette information soitcachée pose problème et empêche d’y voir plus clair.

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« En Allemagne,à partir de2016, le déficitdu gouvernementfédéral nepourra pasdépasser 0,35%du PIB, et àpartir de 2020,les déficits desLänder serontproscrits. »

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On a parlé du Grand Emprunt qui, soi disant, donnera lieu à la consti-tution d’actifs à hauteur de près de 60 %. Sur cet élément, fondamental pourla logique du dispositif, il faut demander des éléments précis et chiffrés (voirce que ça a donné avec Oséo, études statistiques, etc) afin de mettre enévidence cet effet d’annonce et de remettre en cause de l’intérieur le GrandEmprunt (c’est la faille du rapport).

Il faudrait aussi mettre son nez dans la gestion de la dettesociale dont la Cour des comptes a récemment critiqué la gestion. Ainsi ladette de la Sécurité sociale est gérée par trois organismes : la Caissed’amortissement de la dette sociale (CADES), l’Agence centrale desorganismes de Sécurité sociale (ACOSS) et le Fonds de financement desprestations sociales des salariés (FFIPSA) ! La CADES, on l’a vu, s’endetteen dollars pour un cinquième : un choix hallucinant ! D’autre part, l’Unedicvient de lever 4 milliards d’euros dans l’indifférence générale, alors que celadevrait être interdit par principe : on va faire payer nos allocationschômage par nos enfants ! On leur fait déjà payer notre santé avec la dettede la Sécu, ça continue !

Il faut plus fondamentalement renforcer le contrôle duParlement sur la dépense publique. Je me rappelle d’une initiative dudéputé Jean-Michel Fourgous visant à permettre aux députés depouvoir auditer les comptes dans les ministères : il l’a présentée àplusieurs reprises et l’exécutif l’a toujours repoussée. Il serait temps deremettre sur le tapis une telle initiative et d’invoquer l’urgence nationale faceà la dette pour que le gouvernement s’y associe, ce serait un pas important.

Plus d’infos sur : ladettedelafrance.fr & philippeherlin.com

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« On va fairepayer nos

allocationschômage par

nos enfants ! Onleur fait déjà

payer notresanté avec la

dette de la Sécu,ça continue ! »

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IV. COMMENT LE CANADA A MAÎTRISÉSA DETTE ET SES DÉFICITSpar Valentin PETKANTCHIN, chercheur à l’institut économique Molinari

Ce qui vient d’être décrit est sombre. Je voudrais vous donner unepetite lueur d’espoir en racontant l’expérience canadienne de réduction de ladette publique. Il est très facile de laisser filer la dette. En revanche, commeon va s’en apercevoir, il est beaucoup plus difficile d’inverser la vapeur. Lacrise montre aussi que, même quand on a réussi à inverser la vapeur, toutn’est pas gagné. La dette, et puis les déficits, commencent à se creuser denouveau dès qu’on s’essouffle, dès qu’il y a le moindre pépin. L’expériencecanadienne est intéressante. D’abord parce que le Canada se trouvait dansune position défavorable au milieu des années 90 avec un niveau de dettealarmant : selon l’OCDE, la dette brute en pourcentage du PIB dépassait les100 %, elle était de 102 % en 95 et en 96. Grâce à de très gros efforts, leCanada a réussi à réduire cette part à quelque chose comme 68 % en 2008,rejoignant des pays comme l’Allemagne (69 %) et faisant beaucoup mieuxque la France (76 %).

Je me concentrerai surtout sur la dette fédérale : c’est à ce niveau-làque la plupart des efforts ont été entrepris pour réduire le fardeau de la dette.En 1994, la dette fédérale constituait les trois quarts de la dettepublique totale du Canada. La dette provinciale n’a pas suivi exactementla même dynamique que la dette fédérale. J’aborderai cette question en troispoints principaux.

Premier point : pourquoi le gouvernement canadien a-t-il décidé deréduire sa dette ? Quelle était la situation du Canada au milieu des années90 ? Petit rappel historique : les déficits en France se succèdent depuis lemilieu des années 70. Au Canada, c’était un peu pareil : après 1974, il yavait un écart croissant entre les dépenses qui augmentaient en flèche, etles recettes. Une sorte de ballon - le ballon de la dette - se gonflait entre74 et le milieu des années 90. Quelques chiffres : les dépenses per capita,indexées sur l’inflation, ont augmenté de 60 % entre 74 et 95. La dette percapita, toujours indexée sur l’inflation, a été multipliée par quatre entre 74et 96, où elle atteignit son sommet. Les charges de la dette, ou les intérêtssur la dette fédérale, ont représenté plus d’un tiers des recettes du gouver-nement fédéral avec un pic, notamment, à 36 cents pour chaque dollar derecette en 1990. Pour chaque dollar de recette, 36 cents s’en allaient pourpayer les intérêts de la dette ! Voilà la situation devant laquelle se trouvaitle gouvernement du Canada au milieu des années 90. Le gouvernement

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« Le Canada a ramené sadette de 102%du PIB en 95-96 à 68% en 2008. »

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décida d’agir et de changer de cap pour ne pas hypothéquer l’aveniréconomique des Canadiens.

Qu’est-ce qui s’est passé au milieu des années 90 ? On a pris letaureau par les cornes. Il n’y a pas de secret : pour réduire la dette ilfaut d’abord et surtout maîtriser les dépenses publiques. La grosseréduction des dépenses publiques a été effectuée entre 1995 et 1998, sur troisannées. Par exemple, les dépenses de programmes ont baissé de 12 % entre94 et 99. Même en dollars courants, il y a eu des baisses de dépenses deprogrammes.

Deux types de postes de dépenses doivent, à mon avis, êtremaîtrisées pour que les déficits le soient et pour ramener la dette àun niveau plus normal. Le premier type de dépenses, ce sont lesdépenses ministérielles. Le gouvernement canadien y a fait de gros efforts,passant en revue tous les programmes fédéraux. Toutes les dépensesministérielles, dans le budget de 95-96, ont été coupées d’à peu près 20 %.Sur trois ans, les dépenses ministérielles ont été coupées d’à peu près 1/5ème

en moyenne. Et pour certains ministères, comme celui des Transports, c’estallé beaucoup plus loin, au-delà de 50 %. Deuxième poste qui doit êtremaîtrisé et qui a été aussi dans la ligne de mire du gouvernementfédéral canadien : les subventions aux entreprises. Après l’élection de93-94, il y a eu un changement de cap : Le gouvernement fédéral a annoncéqu’il ne lui appartenait pas de financer les entreprises, car les emplois ainsicréés n’étaient pas pérennes. Les subventions ont été réduites de 60 %.Certaines subventions, notamment dans le transport, ont été complètementéliminées. Les subventions directes à l’agriculture ont été, elles aussi, soitsensiblement réduites, soit supprimées. J’ai quelques exemples qui pourrontinspirer certains députés. Dans le budget 95-96, on a réduit de 1,6 milliard dedollars les dépenses de la Défense, de près de 500 millions celles de l’aideinternationale, de 1,4 milliard celles des Transports. Plus de 600 millions ontété enlevés aux Ressources naturelles, près de 900 millions au développe-ment des Ressources humaines, plus de 200 millions à la Pêche, près de 900millions à l’Industrie, plus de 550 millions aux organismes régionaux, près de450 millions à l’Agriculture, et ainsi de suite… Le total représente descentaines de millions : une sacrée réduction dans les dépensespubliques.

Quel a été le résultat de ces efforts de contrôle des dépenses ministé-rielles et, en fait, des dépenses fédérales ? Les déficits ont été réduits et en97-98, on a réalisé les premiers excédents : un budget équilibré pourla première fois, depuis l’année 69-70. La charge de la dette a été ramenéede plus d’un tiers – 36 cents par dollar – à 13,2 % des recettes en 2007. La

« Legouvernement

fédéral aannoncé qu’il ne

lui appartenaitpas de financerles entreprises,car les emplois

ainsi créésn’étaient pas

pérennes. »

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dette per capita ajustée pour l’inflation a connu une baisse vertigineuse : entre96 et 2008, elle a baissé de 42 %.

Pourquoi disais-je tout à l’heure que, si au prix de gros efforts on arriveà contrôler les déficits et à ramener la dette, cela ne procure qu’une petitelueur d’espoir ? On observe que, avec la crise, la dette et les déficits ont faitleur réapparition. La dette est repartie à la hausse et, selon la Fédérationcanadienne des contribuables – l’organisation homologue de ContribuablesAssociés qui suit de près l’évolution de la dette fédérale -dans les deuxprochaines années, avec les déficits et l’augmentation de la dette, onrisque d’effacer tous les remboursements effectués au cours des huitdernières années.

J’aborde mon troisième point : quelle leçon tirer de l’expériencecanadienne ? Il faut des efforts énormes pour inverser la vapeur, maîtriser lesdéficits et faire repartir la dette à la baisse. J’imagine mal comment, enFrance, on pourrait procéder à des coupes aussi drastiques dans les budgetsministériels. Mais une question se pose – et je n’ai pas la réponse : ceque les Canadiens ont réussi à faire est-il durable ou bien mainte-nant, avec la crise, la dette et les déficits sont-ils voués à repartis à lahausse ? Le Canada ne va-t-il pas se retrouver dans une situation aussicatastrophique que celle du Japon, qui dure depuis 20 ans ?

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Débat

u Benoîte TAFFINLa fin de l’exposé de Valentin Petkantchin était moins optimiste

mais, les gouvernements qui avaient fait ces coupes drastiques ont étéréélus. C’est une bonne information pour nos hommes politiques : ceux quiont réduit les dépenses de 20 % ont été réélus.

u Valentin PETKANTCHINOui, et les dirigeants canadiens ont véritablement assaini les finances

publiques. La dette brute du Canada (68%) est proche de celle del’Allemagne (69%). Elle est moins importante que celle de la France, qui semonte à 76% : on ne peut pas dire qu’il y a une différence énorme.Cependant, le Canada est dans une situation beaucoup plusfavorable que la France : sa dette nette et les charges de sa dette sontbeaucoup moins importantes. Si, d’ici quelques années, la crise fait placeà la croissance - comme dans les années 2000 -, le Canada pourra maîtrisertrès facilement les déficits qui l’auront affecté pendant la période 2009-2012.

u Lionel TARDYQuelle a été la réaction des Canadiens aux mesures d’austérité ? Je

suppose qu’il y a eu une baisse des services à un moment donné. On saitqu’en France un « bon ministre » se doit de drainer plus d’argent quel’année d’avant. Et puis, dans notre pays, dans chaque niche fiscale, il y aun chien : quand on veut faire bouger quelque chose en légiférant - j’en aiencore eu l’expérience la semaine dernière pour le projet de loi de Finances- les groupes de lobbying s’activent en faisant un chantage à l’emploi ouautre chose. Vingt associations viennent vous voir pour vous expliquerqu’il ne faut rien changer. Ce que l’on a voté à l’Assemblée, on fait en sortede le casser au Sénat, ce qui est fait au Sénat est cassé à l’Assemblée, c’estun sport national. Fatalement, quand on fait des économies, il y a duservice en moins : je voudrais savoir comment cela a été ressenti par lapopulation canadienne. Dans les États généraux de la dépense publique quenous avons organisés, l’important était d’alerter les Français et même d’êtrealarmistes. Il s’agissait de leur dire : voilà, on a fait un état des lieux,maintenant il faut passer à la phase pratique et trancher un peu plus dansle vif. Mieux les Français seront informés, plus il sera facile d’intervenir. Sion intervient sans qu’ils se soient rendus compte de la réalité de lasituation, on risque de voir tout le monde dans la rue, comme ce futle cas pour bien des réformes.

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« Si, d’iciquelques années,

la crise faitplace à la

croissance, leCanada pourra

maîtriser trèsfacilement les

déficits quil’auront affecté

pendant lapériode

2009-2012. »

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u Valentin PETKANTCHINCette question est très intéressante. Je ne sais pas si je pourrai apporter

tous les éléments de réponse. Le Canada avait le dos au mur au milieu desannées 90. Tout le monde savait qu’il faudrait réagir en coupant les dépenses.Le mandat du gouvernement issu des dernières élections étaitd’assainir les finances publiques et de contrôler la dette et le déficit. LesCanadiens s’attendaient donc aux mesures d’austérité.Vous avez raisonde soulever aussi la question de la baisse possible du service. Il y a probable-ment un domaine où le fait de réduire les dépenses sans avoir à libéraliser lesecteur frappé par ces coupes, peut avoir des effets inattendus : c’est la santé.On observe, je le disais tout à l’heure, que les déficits, les dépenses publiques,avaient dérapé au Canada après les années 74. Il faut remettre ça en perspec-tive : le système canadien, notamment l’assurance-maladie universelle, a étémis en place dans les années 60, au Québec au début des années 70. Tout cequi touche aux dépenses de santé se répercute dans les budgets provinciaux.L’emballement de la dépense publique à partir des années 70 est en partie lié àl’augmentation des dépenses de santé. Il y eut les coupes du milieu des années70. Le résultat fut éphémère : les réductions des dépenses de santé ne durèrentque trois ans seulement. Après les dépenses sont reparties à la hausse, les filesd’attente se sont généralisées : cela date de ces années-là. Il faut se demanders’il ne faut pas libéraliser, responsabiliser, un secteur avant de procéder à descoupes budgétaires. Si le secteur en question, comme c’est le cas de la santé,est entièrement étatisé, vous pouvez avoir des effets de ce genre.

u Alain MATHIEUOn peut citer un exemple pour M. Tardy : la suppression des subven-

tions aux chemins de fer canadiens a eu comme conséquence une grèveimmédiate. Dans les 8 jours, le gouvernement canadien a fait voter une loirendant cette grève illégale, qui s’est arrêtée aussitôt.

u Valentin PETKANTCHINUn point que je n’ai pas évoqué : il y a d’autres moyens de

réduire les déficits. C’est, par exemple, la privatisation de servicesfinancés jusque-là à 100% par les contribuables. C’est le cas deschemins de fer canadiens.

u Michel BRULEJe voudrais vous poser une question concernant les agents publics. La

France se caractérise par leur poids dans le budget de l’État, dû à leur nombre et àleur coût unitaire. Cette charge – qui comprend les rémunérations et les pensions- approche la moitié des dépenses de l’État. Chez nous, c’est un poste sur lequel

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« Il faut sedemander s’il ne faut paslibéraliser,responsabiliser,un secteur avantde procéder àdes coupesbudgétaires. »

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il est très difficile d’agir parce que le statut des agents publics empêche de leslicencier. Aussi a-t-on contourné l’obstacle en disant : on ne va pas remplacer tousceux qui partent à la retraite. Personne n’est très sûr finalement du nombre deceux qui ne sont pas remplacés. Mais au rythme où ça va, il y en a pour plusieursdécennies avant d’arriver à un impact sensible sur les finances publiques. AuCanada, a-t-on procédé à des suppressions de postes d’agents publics ?

u Valentin PETKANTCHINJe n’ai pas exactement le chiffre en tête mais oui, on a procédé à des

suppressions de postes, quelque chose comme 45 000. On a demandé à desagents qui étaient dans des organismes qui n’existaient plus de changer deposte, donc de travail. Dans certains ministères on leur a même donné un délaipour choisir. Les rigidités qui existent en France dans ce domaine ne sont pasaussi prononcées au Canada.

u Lionel TARDYEn France, nous avons un gros problème : le cloisonnement

des corps d’État. Il y a des secteurs où il faut visiblement plus d’emploispublics et il y en a d’autres où ça ne se justifie plus. On a mis en place untexte sur la mobilité des fonctionnaires, pas tant géographique que dans lafonction. Là c’est pareil, on s’est heurté à tous les syndicalistes possibles quinous ont expliqué : « Oui, mais dans ce corps d’État on a des avantages différents,comment allez-vous faire ? ». Autre exemple : la réforme du pôle emploi. L’idéeétait de réunir dans une même structure ceux qui payent les chômeurs etceux qui sont chargés de leur trouver un emploi, ce qui semblait logique. Làaussi, on s’est heurté à deux structures qui n’avaient pas du tout le mêmestatut, le même fonctionnement, avec des personnels ayant des rémunéra-tions différentes. C’est un gros problème en France : on a créé desniches partout, pas seulement fiscales, mais aussi dans d’autresdomaines. Si l’on effectue des regroupements, on fait généralementen sorte que chacun garde son statut parce que c’est l’usage.

u Michel BRULEJ’ai appris beaucoup de choses sur l’exemple canadien en vous

écoutant, ça m’a énormément intéressé. On a eu un précédent en France, avecle retour au pouvoir du général de Gaulle : il a montré que réformer n’était pasimpossible, même dans un pays aussi incrusté dans ses habitudes, sesstructures, ses tendances corporatistes que le nôtre. Une réforme telle que lasuppression des pensions des Anciens Combattants, en 1958, n’était pas facileà faire accepter par l’électeur ! Ça a été fait quand même. Je me dis que lesFrançais ne sont pas irréformables. Évidemment, on n’a pas toujours ungénéral de Gaulle sous la main… mais le cas français n’est pas désespéré.

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« La Révisiongénérale des

politiquespubliques

(RGPP) n’aurapas d’impact

sensible sur lesfinances

publiques avantplusieurs

décennies »

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Conclusionpar Alain Mathieu, président de Contribuables Associés

La réduction des dépenses publiques stimule la croissance

Je voudrais conclure sur le Canada. Ce programme de réductions dedépenses très importantes a été mis en œuvre après des élections : au coursde la campagne électorale, ce programme avait bien été annoncé. Il importede savoir qu’il faut avoir l’opinion publique avec soi quand on lanceun tel programme.

Deuxièmement, depuis cette période de réduction des dépen-ses publiques, le Canada est le pays du G8 qui a la croissance la plusforte, de très loin. Plus forte que les USA, qui occupent la deuxième posi-tion. Donc la réduction des dépenses publiques ne diminue pas la croissance,au contraire elle l’augmente. On entend dire souvent qu’il est impossibled’augmenter les impôts dans notre pays parce qu’ils sont déjà à un montantmaximum, mais qu’une bonne partie des propositions pour réduire les dépen-ses publiques sont des propositions de réduction de ce qu’on appelle des « dépenses fiscales », c'est-à-dire les niches dont M. Tardy a parlé. En réalité,les suppressions de niches fiscales sont des augmentations d’impôts etnon pas des diminutions de dépenses publiques.

Je voudrais dire enfin que, dans son exposé introductif, M. Tardy nousa donné quelques motifs d’espoir. Il nous a dit qu’il faut que les députés semobilisent pour augmenter les réductions de dépenses de façon plus impor-tante que ce que fait la RGPP. Nous sommes d’accords avec lui. Il a suggéréqu’ils travaillent le jeudi : ils resteraient un jour de plus à Paris et ils pourraientainsi améliorer le contrôle des dépenses publiques, ce qui est l’une de leursfonctions des plus importantes. Je voudrais signaler qu’il n’est pas nécessairede réunir beaucoup de députés pour le faire. Le Parlement britannique a ungroupe, le Public Account Committee (PAC), de 15 membres seulement, qui seréunissent une fois par semaine, pendant 3 ou 4 heures et font ce que M. Tardya proposé de faire : ils s’occupent de la réduction des dépenses publiques et çamarche très bien. Mais il faut dire qu’ils sont aidés par le National Audit Office(NAO) : c’est une Cour des Comptes dépendant du Parlement qui prépare cesréunions, elle fait des études sur le réduction des dépenses publiques.

En 2007, le programme électoral de l’UMP a promis la création d’unorganisme d’audit qui dépendrait du Parlement. Pour le moment, il n’a pas étémis en place. Mais malgré tout, bien qu’on ne soit pas très avancé, je pense quedans ce que nous a dit M. Tardy, il y a aussi des pistes très intéressantes pour

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« Au parlementbritannique, un groupe de 15 membresseulement, lePublic AccountCommittee(PAC), se réunitune fois parsemaine, pendant3 ou 4 heures,pour s’occuper deréduire la dépensepublique : çamarche très bien. »

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réduire les dépenses publiques. Il a évoqué la fraude, il a très bien fait. Illa chiffre à 60 milliards d’euros. Nous, nous la chiffrons à 120 milliards,principalement la fraude aux allocations sociales, c’est de ça que nousparlons. On peut assez facilement prouver qu’on est dans les 120 milliards.Un rapport de Dominique Tian, député UMP des Bouches-du-Rhône, a mon-tré que, pour les allocations chômage, la fraude était comprise entre 14 et 28%.C’est donc bien plus que les 10% que vous évoquez. Pour la Caisse nationaled’assurance maladie (CNAM), la fraude porte sur 15 à 17% des arrêts-maladie,selon un rapport. Un autre rapport donne, pour les handicapés, un tiers d’in-justifiés. Et un rapport de la Cour des Comptes sur la prime à l’emploi indiqueque les 3/4 des demandes présentent des anomalies. Je crois qu’on devraitassez rapidement, dans ce domaine, faire des économies substantielles.

De nombreux rapports ont indiqué comment on pouvait faire ces éco-nomies. Il y aurait la carte d’identité infalsifiable, c’est-à-dire avec une photonumérique et des empreintes digitales. Un récent rapport de votre collègueMarc Le Fur, député UMP des Côtes d’Armor, a signalé que tout était prêtpour la réaliser, qu’on n’attendait plus qu’une loi qui n’est toujours pas pré-sentée. Pourtant, l’administration a déjà rendu infalsifiable le passeport,devenu biométrique : elle est prête à en faire autant pour la carte d’identité.Peut-être serait-il bon que le Parlement s’occupe de signaler - comme l’a faitle député Le Fur - qu’il faudrait accélérer le vote de cette loi. Autre moyende faire des économies : les croisements de fichiers, très importantsdans la lutte contre la fraude. Là il y a beaucoup de choses à faire.

M. Tardy nous a dit aussi qu’il faudrait s’occuper de l’égalitépublic/privé, et il a cent fois raison. Si on alignait les retraites du secteurpublic sur celles du secteur privé, on ferait une économie de 30 mil-liards par an. Il nous a parlé également des collectivités locales, et là encoreil a tout à fait raison. Je signale qu’une proposition de loi d’il y a trois ans, devotre collègue Hervé Mariton, député UMP de la Drôme, dit : il faudrait queles dotations de l’État soient en proportion inverse des dépenses par habitantdes collectivités locales. L’État fait le contraire : il encourage les collectivitéslocales à la dépense publique, puisque la dotation globale de fonctionnementet différentes autres allocations sont calculées en fonction de l’effort fiscaldes collectivités. C’est-à-dire que plus elles prélèvent d’impôts et dépensent,plus elles reçoivent de l’argent de l’État.

Il y a beaucoup de choses à faire pour que soient réalisées lesnécessaires réductions de dépense publique. Mais si, comme nousl’espérons, des députés semblables à Lionel Tardy s’attellent à latache, l’espoir qu’elles le soient est grand.

Merci de votre attention.

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« Si on alignaitles retraites

du secteur public sur celles

du privé, onferait une

économie de 30 milliards

par an. »

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Les Monographiesde Contribuables Associés

N° 22Juin 2009

Pour un référendum sur une vraie réforme des collectivités locales

par Alain Mathieu, président de Contribuables Associés

42, rue des Jeûneurs - 75077 Paris 02 - Tél. : 01 42 21 16 24 - Fax : 01 42 33 29 35 - www.contribuables.org

POUR

QUE VIVE

LE DÉBAT

À demander auprès de Contribuables Associés, en écrivant à :Contribuables Associés : 42, rue des Jeûneurs, 75077 Paris Cedex 02. Ou par téléphone au 01 42 21 16 24.

Les monographies sont également consultables sur le site www.contribuables.org.

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