XX-161 ~ Enjeux Du Cubisme - Reconstruire La Forme

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XX-161 ~ Enjeux du cubisme - reconstruire la forme / octobre 2011 – page 1/2 Prépa C2 / Documents et Annexes au cours d'histoire et théorie de l'art ENJEUX DU CUBISME : LA RECONSTRUCTION NON MIMETIQUE DE LA FORME 1. L’EMPRUNT AUX ARTS PRIMITIFS... RAISONS ET DEMARCHES Vers 1900/1914, inventer l’art moderne revenait paradoxalement à se ressourcer auprès de références primitives, supposées exemptes des tares académisques. Ceci pose la question de l’emprunt, que Jean Laude structure selon deux axes: 1. La démarche romantique allemande, qui considère l’art extra-européen comme une «source exotique», propice à offrir des effets pathétiques et des schémas stylistiques dont l’artiste nourrira sa manière. 2. La démarche réaliste française, qui considère l’art extra-européen comme un gisement de matière première,que l’on peut appréhenderconcrètement, sans en connaître le symbolisme . L’artiste y reconnaît des «références» plastiques qui correspondent fonctionnellement à ses questionnements du moment, Il y puise alors des moyens, sans y projeter ses propres mythologies. « Lorsque l'art nègre est pris comme source exotique, les interprétations dont il est l'objet coïncident avec son utilisation à des fins expressives. Elles n'interviennent pas dans le sens d'un renouveau fondamental. Principalement les peintres allemands, mais aussi Vlaminck et Derain, procèdent par un maquillage superficiel des formes qui laisse intacte la vision traditionnelle. Lorsqu'il y emprunt direct, il est effectué dans le sens d'une substitution d'apparences inédites aux modèles plus conventionnels et familiers. Figurer le visage d'une femme par une copie de masque Dan, comme le fera Schmidt- Rottluff, c'est spéculer sur la production d'effets insolites, d'ailleurs vite éventés. (...) On doit remarquer qu'ils étaient constitutifs beaucoup moins d'un style (comme le groupe die Brücke le pensait alors) que d'une manière. Lorsque la sculpture africaine est considérée comme référence, c'est à des fins plastiques que les peintres en utilisent les données, après les avoir analysées et sélectionnées, pour les adapter à leurs propres recherches. Les interprétations du premier type restaient relativement homogènes, se groupaient autour d'une tendance qui se définissait, au niveau le plus général, dans une perspective morale (ou même métaphysique). Sans être absolument divergentes, les interprétations de Matisse, celles de Picasso et de Braque, celles de Gris ou de Léger sont personnelles: elles ne se laissent pas facilement réduire à un commun dénominateur (...) Ce qui intervient dans leurs œuvres, ce n'est pas l'art nègre, ce sont des solutions plastiques localisées qui tantôt furent réservées à des éléments et à des détails, au court de leur transfert, tantôt furent étendues à l'ensemble d'un tableau. Si l'on peut signaler des emprunts de formes, l'on doit noter que ces emprunts furent d'une part limités et transposés, que d'autre part ils disparurent assez rapidement pour céder la place à une intervention s'exerçant dans l'ordre des structures plastiques ou même au niveau de l'esthétique. » Jean Laude, op.cit. p.45/46 Deux classiques : Jean Laude: la peinture française et l'art nègre En consultation : A 501072 William Rubin: le primitivisme au XXe siècle En consultation : B 35574 Masque du Musée de l’homme et La guitare en carton, fin 1912. Picasso a trouvé dans l’un des références pour construire l’autre... LES VERITABLES ENJEUX DE L’EMPRUNT EN ART « On se rend compte que la profonde signification d'un emprunt n'est pas dans le fait d'un emprunt, mais bien dans l'affinité d'esprit entre celui qui exerce une influence et celui qui la reçoit. Il est clair qu'il est impossible d'utiliser valablement une leçon sans qu'elle corresponde à un besoin conscient ou inconscient. On ne peut subir une influence que si l'on est déjà engagé dans des recherches parallèles... Les influences ne sont que des symptômes d'un état d'esprit qui est, lui, la seule réalité vitale de tout notre intérêt, car il représente les intentions créatrices de ceux qui se laissent influencer. » Charles Sterling. La nature morte dans l'art, de l'antiquité à nos jours, 1952 cité par J. Laude, op. cit.

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XX-161 ~ Enjeux du cubisme - reconstruire la forme / octobre 2011 – page 1/2

Prépa C2 / Documents et Annexes au cours d'histoire et théorie de l'art ENJEUX DU CUBISME : LA RECONSTRUCTION NON MIMETIQUE DE LA FORME

1 . L ’ E M P R U N T A U X A R T S P R I M I T I F S . . . R A I S O N S E T D E M A R C H E S Vers 1900/1914, inventer l’art moderne revenait paradoxalement à se ressourcer auprès de références primitives, supposées exemptes des tares académisques.

Ceci pose la question de l’emprunt, que Jean Laude structure selon deux axes:

1. La démarche romantique allemande, qui considère l’art extra-européen comme une «source exotique», propice à offrir des effets pathétiques et des schémas stylistiques dont l’artiste nourrira sa manière.

2. La démarche réaliste française, qui considère l’art extra-européen comme un gisement de matière première,que l’on peut appréhenderconcrètement, sans en connaître le symbolisme . L’artiste y reconnaît des «références» plastiques qui correspondent fonctionnellement à ses questionnements du moment, Il y puise alors des moyens, sans y projeter ses propres mythologies.

« Lorsque l'art nègre est pris comme source exotique, les interprétations dont il est l'objet coïncident avec son utilisation à des fins expressives. Elles n'interviennent pas dans le sens d'un renouveau fondamental. Principalement les peintres allemands, mais aussi Vlaminck et Derain, procèdent par un maquillage superficiel des formes qui laisse intacte la vision traditionnelle. Lorsqu'il y emprunt direct, il est effectué dans le sens d'une substitution d'apparences inédites aux modèles plus conventionnels et familiers. Figurer le visage d'une femme par une copie de masque Dan, comme le fera Schmidt-Rottluff, c'est spéculer sur la production d'effets insolites, d'ailleurs vite éventés. (...) On doit remarquer qu'ils étaient constitutifs beaucoup moins d'un style (comme le groupe die Brücke le pensait alors) que d'une manière.

Lorsque la sculpture africaine est considérée comme référence, c'est à des fins plastiques que les peintres en utilisent les données, après les avoir analysées et sélectionnées, pour les adapter à leurs propres recherches. Les interprétations du premier type restaient relativement homogènes, se groupaient autour d'une tendance qui se définissait, au niveau le plus général, dans une perspective morale (ou même métaphysique). Sans être absolument divergentes, les interprétations de Matisse, celles de Picasso et de Braque, celles de Gris ou de Léger sont personnelles: elles ne se laissent pas facilement réduire à un commun dénominateur

(...) Ce qui intervient dans leurs œuvres, ce n'est pas l'art nègre, ce sont des solutions plastiques localisées qui tantôt furent réservées à des éléments et à des détails, au court de leur transfert, tantôt furent étendues à l'ensemble d'un tableau. Si l'on peut signaler des emprunts de formes, l'on doit noter que ces emprunts furent d'une part limités et transposés, que d'autre part ils disparurent assez rapidement pour céder la place à une intervention s'exerçant dans l'ordre des structures plastiques ou même au niveau de l'esthétique. »

Jean Laude, op.cit. p.45/46

Deux classiques :

Jean Laude: la peinture française et l'art nègre En consultation : A 501072

William Rubin: le primitivisme au XXe siècle En consultation : B 35574

Masque du Musée de l’homme et La guitare en carton, fin 1912.

Picasso a trouvé dans l’un des références pour construire l’autre...

L E S V E R I T A B L E S E N J E U X D E L ’ E MP R U N T E N A R T « On se rend compte que la profonde signification d'un emprunt n'est pas dans le fait d'un emprunt, mais bien dans l'affinité d'esprit entre celui qui exerce une influence et celui qui la reçoit. Il est clair qu'il est impossible d'utiliser valablement une leçon sans qu'elle corresponde à un besoin conscient ou inconscient. On ne peut subir une influence que si l'on est déjà engagé dans des recherches parallèles... Les influences ne sont que des symptômes d'un état d'esprit qui est, lui, la seule réalité vitale de tout notre intérêt, car il représente les intentions créatrices de ceux qui se laissent influencer. »

Charles Sterling. La nature morte dans l'art, de l'antiquité à nos jours, 1952 cité par J. Laude, op. cit.

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2 . V E R S U N N O U V E A U C O N C E P T : L E S I G N E A U T O N O M E

La problématique cubiste consiste à réenraciner la peinture dans la pratique réaliste (peindre ce qui est présent à soi) tout en refusant l’illusionnisme (représenter la chose par son simulacre). La solution dialectique résidera dans la mise en œuvre d’un jeu de signes autonomes: liés sémantiquement au réel, mais indépendants dans leur agencement. Encore fallait-il pouvoir la conceptualiser...

Deux ouvrages de référence : Pierre Daix. La vie de peintre de Pablo Picasso En consultation : A035466

William Rubin. Braque et Picasso, l’invention du cubisme En consultation : B31599

1906/10: Picasso confronté à Cézanne « Picasso tente ses premiers “passages” cézanniens. Il ouvre les formes des arbres, par exemple, pour les faire communiquer avec l'espace qui les environne, conduisant ainsi la vue du spectateur de l'objet à son ambiance. C'est percer cette leçon de Cézanne selon lequel il y a un déchiffrement cérébral de l'espace. La peinture doit donc provoquer l'analyse mentale des formes. Du coup, la crise ouverte par la destruction de l'illusionnisme au cours du travail sur les Demoiselles débouche sur la découverte de la peinture comme langage autonome, avec ses signes plastiques, ses repères, ses communications propres. Picasso dut éprouver cet été-là le sentiment d'être seul aux prises avec des problèmes inouis. (...)

Si nous disons dans notre langage d’aujourd’hui qu’il se heurtait à la spécificité de l’espace pictural, ce type de notion n’existait pas dans l’outillage intellectuel d’alors. Il fallait, d’expérience en expérience, apprendre à déchiffrer chez Cézanne les moyens conduisant à cette réévaluation selon laquelle la peinture ne saurait se réduire à l’apparence sensible de la réalité extérieure »

Pierre Daix - op. cit. p.96

1910/1911: Le cubisme analytique, une démarche intellectuelle, mais fondamentalement réaliste « Le cubisme renferme bien des contradictions: l'une des plus évidentes est qu'en dépit du caractère fortement intellectuel de ce style, la peinture de Braque et Picasso n'en est pas moins restée nettement a-scientifique. La méthode de chacun de ces artistes fut toujours, et avant tout intuitive. La perspective académique était abandonnée, mais aucun système ne lui était substitué ; bien au contraire, la liberté du peintre était devenue absolue... Il lui était possible de tourner autour de son modèle et d'inclure toute indication ainsi découverte, ou acquis au cours d'observations précédentes, dans la représentation qu'il en faisait. Par conséquent, la mémoire de l'artiste jouait un rôle de plus en plus grand dans sa nouvelle appréhension du monde visible. Cela impliquait tout d'abord une grande simplification des formes. Mais en même temps, le peintre se voyait forcé de décrire la multiplicité des informations sur l'objet qu'il peignait, et, dans un sens, cela lui rendait la tâche plus complexe que jamais. Aux problèmes posés, il n'existait plus aucune réponse toute faite.

Si le cubisme est un art fortement intellectuel, préoccupé au plus haut degré par les problèmes purement formels de la peinture, ce ne fut en aucun cas un art abstrait [au sens de «étranger à la réalité», ndlr]. Et de fait, les peintres eux-mêmes et les critiques contemporains cherchant réellement à les comprendre, affirmaient tous que le cubisme est un réalisme. »

John Golding. Le cubisme (1965)

LES CONSEQUENCES DU REFUS DE L’ILLUSIONNISME « Le passage d’un art dont les structures sont refoulées à un art où elles sont délibérément exhibées produit en même temps un change dans l’ordre des conceptions de l’objet et du signe. »

Jean Laude, op. cit.

RESUME THEORIQUE Le post-cezannisme

Selon l’enseignement de Cézanne, l’œuvre s’enracine dans la sensibilité visuelle, et doit être traduite par les seuls moyens plastiques.

Elle est un équivalent, et non un simulacre du modèle, ce qui suppose un difficile travail de traduction et d’articulation.

Un empirisme difficile

Or, les peintres avant-gardistes manquent de documentation théorique. Ils manquent surtout d'outils conceptuels pour désigner et penser leur propre démarche...

Ils ne peuvent donc progresser que par la seule expérimentation...

Vers le cubisme analytique

Les cubistes vont interroger le modèle, déconstruire la forme visuelle et en réorganiser les fragments sur la toile...

Un espace pictural original va finalement s’imposer, composé de signes plastiques de plus en plus abstraits de la perception... Il s’en suivra une nouvelle conscience plastique, fondatrice de l’art moderne le plus abstrait...

Picasso. Nature morte aux petits pois 1910/11