WWOOFing et droit du travail : le bonheur est-il dans le pré

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1 WWOOFing et droit du travail : le bonheur est-il dans le pré ? Lucas Bento de Carvalho L’essentiel : Le WWOOFing séduit chaque année en France plusieurs milliers de volontaires venus découvrir et apprendre les techniques de l’agriculture biologique. Son essor suscite néanmoins des réactions contrastées au sein du monde agricole. Tandis que les défenseurs du mouvement mettent en avant la dimension écologique et humaine de ce « retour à la terre », certains professionnels émettent de sérieux doutes quant à la légalité d’une pratique dépourvue de cadre légal, en particulier au regard du droit du travail. L’analyse des aspects juridiques du WWOOFing démontre pourtant que ce mode d’échange ne constitue pas une énième stratégie d’évitement de la législation travailliste. Elle permet, en outre, de souligner que le droit commun fournit un cadre juridique satisfaisant pour appréhender les éventuels litiges nés à l’occasion du WWOOFing. Dans son inspiration originelle, l’agriculture biologique se singularise par une démarche à la fois écologique et sociale 1 . Cette double ambition a favorisé l’apparition de modes d’échanges alternatifs, dont certains connaissent aujourd’hui un essor remarquable. C’est le cas, notamment, des Associations pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne (AMAP) 2 , et peut être encore davantage du WWOOFing. Lacronyme « WWOOFing » - pour World Wide Opportunities on Organic Farm 3 - renvoie à une participation volontaire aux activités d’une ferme biologique, en échange du gîte et du couvert 4 . Apparu en Angleterre dans les années 1970 5 , le mouvement s’est depuis considérablement développé, jusqu’à impliquer aujourd’hui plus de 6 000 fermes dans près d’une centaine de pays 6 . En France, l’essentiel des offres de WWOOFing est répertorié dans une base de données gérée par l’association WWOOF France et dont l’accès est réservé à ses membres 7 . Lassociation met l’accent sur l’expérimentation de modes de vie alternatifs et écologiquement sains ; elle insiste également sur l’opportunité pour les citadins de vivre et de participer aux activités d’un lieu biologique, autour de l’agriculture ou de l’éco-construction 8 . Tandis que le WWOOFing séduit chaque année plusieurs milliers d’individus 9 , la nature de l’activité accomplie par le WWOOFer fait néanmoins l’objet de prise de positions très hétéroclites. Chez WOOF France, l’emploi du mot « travail » est proscrit ; le WWOOFer 1 Voir par exemple la Charte éthique de l’agriculture biologique adoptée par la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique (FNAB), disponible sur http://www.agrobioperigord.fr/upload/charte-ethique.pdf ; voir également l’adaptation littéraire de l’excellent documentaire de Coline Serreau, Solutions locales pour un désordre global, Actes Sud, coll. Babel, Paris, 2011 ; 2 H. ANEMIYA, Du teikei aux AMAP : le renouveau de la vente directe de produits fermiers locaux, Presses universitaires de Rennes, 2011 ; pour une analyse juridique de ces structures, S. GRANDVUILLEMIN, « Le système AMAP : zone de "non-droit" ? ». JCP E 2015, n°24, p. 27. 3 Que l’on peut traduire par « des opportunités au sein des fermes biologiques du monde entier ». 4 Commission générale de terminologie et de la néologie, Vocabulaire de l’agriculture et de la pêche, JO du 15 décembre 2013, n°291, p. 20439. 5 N. JOUAT-BONNIOT, Wwoofing : pour des vacances solidaires, économiques et écologiques, Y. Michel, Gap, 2 ème éd, 2013. 6 N. JOUAT-BONNIOT, op. cit. 7 Fondé en 2007, WWOOF France apparaît comme l’organe de mise en relation le plus structuré et le plus populaire chez les amateurs de WWOOFing. C’est donc principalement à sa conception des principe s du WWOOFing et de ses modalités d’exercice que nous nous référerons au cours de nos développements. D’autres organisations disposent de leur propre réseau, comme par exemple les organisations « HelpX » ou « Workaway », et se proposent de faciliter des modes d’échange similaires, moyennant le paiement d’une cotisation. Il arrive enfin que la mise en relation des WWOOFers avec leurs futurs hôtes s’opère directement par le biais d’annonces publiées par ces derniers sur internet. 8 Aux termes de la charte du WWOOFing adoptée par l’association WWOOF France. 9 Plus de 10 000 volontaires sont accueillis chaque année par l’intermédiaire de WWOOF France.

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WWOOFing et droit du travail : le bonheur est-il dans le pré ?

Lucas Bento de Carvalho

L’essentiel : Le WWOOFing séduit chaque année en France plusieurs milliers de volontaires venus découvrir

et apprendre les techniques de l’agriculture biologique. Son essor suscite néanmoins des réactions contrastées au

sein du monde agricole. Tandis que les défenseurs du mouvement mettent en avant la dimension écologique et

humaine de ce « retour à la terre », certains professionnels émettent de sérieux doutes quant à la légalité d’une

pratique dépourvue de cadre légal, en particulier au regard du droit du travail. L’analyse des aspects juridiques

du WWOOFing démontre pourtant que ce mode d’échange ne constitue pas une énième stratégie d’évitement de

la législation travailliste. Elle permet, en outre, de souligner que le droit commun fournit un cadre juridique

satisfaisant pour appréhender les éventuels litiges nés à l’occasion du WWOOFing.

Dans son inspiration originelle, l’agriculture biologique se singularise par une

démarche à la fois écologique et sociale1. Cette double ambition a favorisé l’apparition de

modes d’échanges alternatifs, dont certains connaissent aujourd’hui un essor remarquable.

C’est le cas, notamment, des Associations pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne

(AMAP)2, et peut être encore davantage du WWOOFing. L’acronyme « WWOOFing » - pour

World Wide Opportunities on Organic Farm3 - renvoie à une participation volontaire aux

activités d’une ferme biologique, en échange du gîte et du couvert4. Apparu en Angleterre

dans les années 19705, le mouvement s’est depuis considérablement développé, jusqu’à

impliquer aujourd’hui plus de 6 000 fermes dans près d’une centaine de pays6. En France,

l’essentiel des offres de WWOOFing est répertorié dans une base de données gérée par

l’association WWOOF France et dont l’accès est réservé à ses membres7. L’association met

l’accent sur l’expérimentation de modes de vie alternatifs et écologiquement sains ; elle

insiste également sur l’opportunité pour les citadins de vivre et de participer aux activités d’un

lieu biologique, autour de l’agriculture ou de l’éco-construction8.

Tandis que le WWOOFing séduit chaque année plusieurs milliers d’individus9, la nature de

l’activité accomplie par le WWOOFer fait néanmoins l’objet de prise de positions très

hétéroclites. Chez WOOF France, l’emploi du mot « travail » est proscrit ; le WWOOFer

1 Voir par exemple la Charte éthique de l’agriculture biologique adoptée par la Fédération Nationale de

l’Agriculture Biologique (FNAB), disponible sur http://www.agrobioperigord.fr/upload/charte-ethique.pdf ; voir

également l’adaptation littéraire de l’excellent documentaire de Coline Serreau, Solutions locales pour un

désordre global, Actes Sud, coll. Babel, Paris, 2011 ; 2 H. ANEMIYA, Du teikei aux AMAP : le renouveau de la vente directe de produits fermiers locaux, Presses

universitaires de Rennes, 2011 ; pour une analyse juridique de ces structures, S. GRANDVUILLEMIN, « Le

système AMAP : zone de "non-droit" ? ». JCP E 2015, n°24, p. 27. 3 Que l’on peut traduire par « des opportunités au sein des fermes biologiques du monde entier ». 4 Commission générale de terminologie et de la néologie, Vocabulaire de l’agriculture et de la pêche, JO du 15

décembre 2013, n°291, p. 20439. 5 N. JOUAT-BONNIOT, Wwoofing : pour des vacances solidaires, économiques et écologiques, Y. Michel,

Gap, 2ème éd, 2013. 6 N. JOUAT-BONNIOT, op. cit. 7 Fondé en 2007, WWOOF France apparaît comme l’organe de mise en relation le plus structuré et le plus

populaire chez les amateurs de WWOOFing. C’est donc principalement à sa conception des principes du

WWOOFing et de ses modalités d’exercice que nous nous référerons au cours de nos développements. D’autres

organisations disposent de leur propre réseau, comme par exemple les organisations « HelpX » ou

« Workaway », et se proposent de faciliter des modes d’échange similaires, moyennant le paiement d’une

cotisation. Il arrive enfin que la mise en relation des WWOOFers avec leurs futurs hôtes s’opère directement par

le biais d’annonces publiées par ces derniers sur internet. 8 Aux termes de la charte du WWOOFing adoptée par l’association WWOOF France. 9 Plus de 10 000 volontaires sont accueillis chaque année par l’intermédiaire de WWOOF France.

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prend simplement part à un échange, une solidarité, une découverte10, une action libre et

bénévole11. Selon le Ministère de l’agriculture, le WWOOFing ne peut être assimilé à

l’entraide agricole ou au bénévolat, mais doit être considéré comme « des vacances actives à

la campagne » permettant à la personne d’accompagner l’exploitant dans certaines de ses

activités en dehors de toute relation de travail. Le Ministère ajoute cependant que toute

fourniture d’une prestation de travail par le WWOOFer ayant comme contrepartie une

rémunération sous une forme quelconque, fut-elle en seuls avantages en nature, gîte et

couvert, et dans un rapport de subordination, caractérisé par l’intervention de l’hôte dans

l’exécution du travail, l’exercice d’un droit de contrôle et de direction sur le WWOOFer,

serait constitutive d’une relation salariale12. Du côté de la Mutualité sociale agricole et de

l’inspection du travail, le sujet ne suscite pas les mêmes réactions. Ainsi, la MSA indique que

la notion de travail bénévole ne peut être retenue et qu’en fonction des conditions dans

lesquelles se déroule le WWOOFing sur l’exploitation, la qualité de salarié agricole est à

privilégier. Certaines antennes locales de l’inspection du travail se montrent plus

catégoriques, en contestant fermement le recours à des bénévoles dès lors que ceux-ci se

trouvent rattachés à une structure économique à vocation lucrative13. La presse écrite s’était

d’ailleurs fait l’écho de ces cas d’agriculteurs poursuivis pour avoir accueilli des

WWOOFers14. Le 30 novembre 2010, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait elle aussi

attiré l’attention des médias, en retenant, à la demande de la MSA, l’existence d’un lien de

subordination entre un viticulteur et des WWOOFers venus participer aux vendanges15. La

pratique suscite enfin l’opposition de la part de certaines organisations syndicales qui

craignent de voir les travailleurs saisonniers remplacés par des volontaires16. Elles dénoncent

également ce qu’elles considèrent comme un recours à du travail dissimulé, préjudiciable à la

protection sociale des salariés ainsi qu’à son financement17. Afin d’encadrer le WWOOFing,

une proposition de loi tendant à reconnaître la liberté et le droit à l’activité bénévole au sein

des exploitations agricoles avait été déposée en 200918, sans toutefois être adoptée. Début

2014, lors de l’examen du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt19,

un amendement similaire avait été défendu20, et finalement retiré à la demande du Ministre de

10 www.wwoof.fr, FAQ, n°20. 11 Selon le troisième des onze engagements du WWOOFer prévus dans la Charte du WWOOFing, consultable

sur www.wwoof.fr. 12Rép. min. n°47417, JOAN Q 11 mars 2014, p. 2321. Déjà sollicité sur le même sujet en 2012 le Ministère,

avait alors considéré qu’ « une telle relation de travail [était] a priori étrangère à la pratique du WWOOFing »,

Rép. min. n°9345, JOAN Q du 25 décembre 2012, p. 7830. 13 Voir http://www.bourgogne.direccte.gouv.fr/IMG/pdf/Vendanges_2014_Benevolat.pdf. 14 A. CAILHOL, « Le "wwoofing", une pratique en vacance de statut juridique ». Libération, 20 août 2013 ; J.

PASQUIER, « Le "wwoofing", coup de pouce ou travail au noir ? ». Charente libre, 27 février 2014 ;

« Aspiran : un maraîcher poursuivi par la mutuelle sociale agricole pour cause de "wwoofing" ». France 3

Languedoc-Roussillon. 15 CA Aix-en-Provence, 30 novembre 2010, n°2010/1254. 16 « La CFDT sensibilise les travailleurs saisonniers sur leurs droits ». AFP/L’express, l’entreprise, 5 juillet

2013. 17 Du côté de la FGA-CFDT, « Wwoofing et conditions de travail ne font pas bon ménage »,

https://www.cfdt.fr/portail/theme/commuanication/pour-la-fga-cfdt-woofing-et-conditions-de-travail-ne-font-

pas-bon-menage-prod_155166 ; chez la CGT, « L’amour, le bonheur... et le travail dissimulé sont dans le pré »,

http://ladncgt.over-blog.com/l%E2%80%99amour-le-bonheur.-et-le-travail-dissimul%C3%A9-sont-dans-le-pré. 18 Celle-ci ciblait notamment le WWOOFing et prévoyait d’autoriser l’aide bénévole de tierces personnes pour

l’exercice de tâches agricoles déterminées. 19 Loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. 20 JOAN du 9 janvier 2014, p. 2018. L’amendement n°303 était destiné à promouvoir les expérimentations

pédagogiques ainsi que l’immersion dans les exploitations et il visait notamment la pratique du WWOOFing.

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l’agriculture21. Actuellement, le WWOOFing ne bénéficie donc d’aucun cadre juridique

spécifique.

Pour autant, cette situation de « non-droit » - au sens où l’entendait Carbonnier lorsqu’il

décrivait l’abandon par le droit d’un domaine qu’il aurait été de sa compétence d’occuper22 -

est-elle véritablement problématique ? Nous ne le pensons pas. À notre connaissance, aucune

sanction judiciaire n’a été prononcée à la demande d’anciens WWOOFers, ni à l’initiative de

personnes physiques ou morales dont les intérêts auraient été affectés par la pratique du

WWOOFing. Partant, et bien que la règle de droit ait aussi une fonction programmatique23,

l’utilité d’une intervention législative est loin de s’affirmer avec la force de l’évidence. Elle ne

ferait probablement qu’ajouter au phénomène d’inflation normative que beaucoup déplorent24,

notamment en droit du travail25. Les réserves que suscite l’essor du WWOOFing peuvent

parfaitement se comprendre d’un point de vue sociétal ou politique, en particulier lorsqu’elles

émanent d’organisations pour lesquelles le travail en milieu agricole est synonyme d’activité

professionnelle. Sur le terrain juridique, en revanche, les suspicions de tentative d’évitement

du droit du travail26, ou les menaces de requalification auxquelles serait confronté le

WWOOFing ne nous semblent guère fondées. Il convient ainsi de démontrer que ce mode

d’échange solidaire s’accommode fort bien de la législation en vigueur, aussi bien en matière

de droit du travail qu’au regard des autres règles de droit susceptibles d’être mobilisées en cas

d’incident27. Tout d’abord, lorsqu’il est pratiqué dans le respect des principes et des modalités

fixées par les associations, le WWOOFing ne saurait être assimilé à une relation de travail

salarié (I). Ensuite, dans le cas où la relation de WWOOFing prendrait une tournure

conflictuelle, et si le désaccord devait être porté devant les tribunaux, le droit commun

pourrait fournir un cadre juridique adapté au traitement du contentieux (II).

I. L’improbable assimilation du WWOOFing à une relation de travail salarié

Le contrat de travail est traditionnellement présenté comme le contrat par lequel une personne

physique s’engage à exécuter un travail, sous la subordination d’une personne physique ou

morale, en échange d’une rémunération28. Ce triptyque ne recouvre pas la substance des

rapports noués entre le WWOOFer et son hôte. Il semble en effet difficile de considérer que le

premier réalise un travail (A), sous la subordination du second (B), en contrepartie d’une

rémunération (C).

A. Le rejet d’une prestation de travail du WWOOFer

21 Jugeant le sujet extrêmement lourd de conséquences en matière sociale, le ministre Stéphane Le Foll invitait

au retrait de l’amendement et s’engageait à présenter une réflexion sur cette question du bénévolat et des

wwoofers en agriculture, JOAN, ibidem. 22 J. CARBONNIER, Flexible droit, LGDJ, Paris, 10ème éd., 2014, p. 27. 23 Ch. ATIAS, D. LINOTTE, « Le mythe de l'adaptation du droit au fait ». D. 1977, chron. p. 251. 24 Voir dernièrement, A. LAMBERT, J.-Cl. BOULARD, Rapport de la mission de lutte contre l’inflation

normative, La Documentation française, 2013. 25 Notamment, E. DOCKÈS, « Le stroboscope législatif ». Dr. soc. 2005, p. 835. 26 P. LOKIEC, Il faut sauver le droit du travail !, Odile Jacob, Paris, 2015, p. 549 ; voir plus largement Th.

MONPEYSSEN, « Les frontières du salariat à l’épreuve des stratégies d’utilisation de la force de travail ». Dr.

soc. 1997, p. 616. 27 On sait que même les relations qui prospèrent à l’abri du non-droit sont parfois amenées à être saisies par le

droit, lorsqu’un incident intervient dans leur exécution, J. CARBONNIER, op. cit., p. 36. 28 G. AUZERO, E. DOCKÈS, Droit du travail, Dalloz, Paris, 30ème éd., 2016, n°192 ; F. GAUDU, R.

VATINET, Les contrats du travail : contrats individuels, conventions collectives et actes unilatéraux, LGDJ,

Traité des contrats, Paris, 2001, n°25 et s.

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La prestation de travail, en tant qu’élément de qualification, ne fait l’objet d’aucune définition

légale29. Elle est entendue très largement par la jurisprudence qui qualifie comme tel des

activités en apparence très éloignées des représentations traditionnelles du travail salarié,

comme par exemple la participation à un jeu télévisé30. De ce point de vue, les arrêts du 9

avril 2012 relatifs à l’émission L’île de la tentation31, et dont la motivation a par la suite été

reprise32, témoignent d’une évolution jurisprudentielle. Pour retenir ici l’existence d’un

contrat de travail, la Cour de cassation a souligné que la prestation des participants à

l'émission avait pour finalité la production d'un bien ayant une valeur économique. La mise en

évidence de cette intégration économique, pour reprendre les termes du Professeur Radé33,

permet ainsi au juge d’appréhender comme une prestation de travail ce qui, à première vue,

aurait pu apparaître comme un loisir ou une distraction34.

Cet élargissement de la notion de travail amène à s’interroger sur la nature des tâches

accomplies par le WWOOFer. De prime abord, plusieurs éléments peuvent en effet donner

l’impression que ce dernier effectue une prestation de travail. Le WWOOFing implique par

définition une participation du volontaire au fonctionnement d’une exploitation agricole

tournée vers la production de biens marchands35. Or, nombreux sont les auteurs pour qui

l’exercice d’une activité désintéressée, exclusive d’un travail, ne se conçoit qu’au profit d’un

organisme à but non-lucratif36. Dans ces conditions, le rejet de toute obligation de

performance ou de productivité du WWOOFer, tel que formulé par WWOOF France, ne

permettrait pas de nier l’existence d’un travail. Mais ce serait toutefois là une conclusion

hâtive, car fondée sur une représentation erronée de ce qu’est réellement le WWOOFing.

Tout d’abord, l’accueil du WWOOFer au sein de l’entreprise agricole ne signifie pas que

celui-ci s’intègre de facto au modèle économique de la structure. Dans les arrêts L’île de la

tentation, la réalisation d’un profit par l’agence de production reposait entièrement sur

l’engagement de jeunes couples à éprouver, devant les caméras, la solidité de leurs liens

affectifs. Autrement dit, la prestation des participants se confondait avec le bien « culturel »

cédé à titre onéreux. Le WWOOFing repose sur une logique toute différente. L’activité

économique de l’exploitation ne dépend pas, et ne doit pas dépendre, du concours apporté par

le WWOOFer. Sa participation aux travaux agricoles peut certes s’avérer utile, mais il ne

s’agit là que d’une conséquence accessoire et aléatoire. L’accueil du WWOOFer, de même

que la durée de son séjour, ne sont ni subordonnés à une obligation de rendement, ni

conditionnés à la maîtrise d’un savoir-faire particulier. C’est précisément cette absence de

nécessité des tâches accomplies par le WWOOFer qui permet d’exclure l’accomplissement

29 Sur ce point, D. GARDES, Essai et enjeux d’une définition juridique du travail, PU Toulouse 1 Capitole,

Toulouse, 2013. 30 Cass. soc. 3 juin 2009, n°08-40981, RDT 2009, p. 507, obs. G. AUZERO ; Dr.soc. 2009, p. 930, note Ch.

RADÉ ; D. 2009, p. 2517, note B. EDELMAN ; RDC 2009, p. 1507, note Ch. NEAU-LEDUC ; 31 Cass. soc. 4 avril 2012, n°10-28818, inédits, RLDI 2012, n°83, p. 55, obs. M. TRÉZÉGUET ; voir plus

largement Ch. RADÉ, « Des critères du contrat de travail ». Dr. soc. 2013, p. 202. 32 Cass. soc. 25 juin 2013, Mister France, Bull. civ. V, n°165, Dr. ouvr. 2014, p. 101.note A. MAZIÈRE ; Cass.

soc. 25 juin 2013, Koh Lanta, n°12-17660, RDT 2013, p. 622, note D. GARDES. 33 Ch. RADÉ, op. cit. 34 Cass. soc. 3 juin 2009, n°08-40981, RDT 2009, p. 507, obs. G. AUZERO, s’interrogeant sur la frontière entre

amusement et travail. 35 Le troisième pilier du WWOOFing, figurant dans la charte éponyme, proclame que prévoit que le WWOOFer

doit exprimer le souhait sincère de vouloir découvrir la vie et le travail de son hôte. Et pour cela, bien sûr, il doit

être capable physiquement, mentalement et intellectuellement de suivre l’hôte dans ses tâches quotidiennes ». 36 F. GAUDU, R. VATINET, op. cit., n°34 ; E. ALFANDARI, « Insertion et exclusion : l’insertion dans une

communauté de vie exclut-elle le contrat de travail ? ». D. 2002, p. 1705 ; J. SAVATIER, « Le travail non

marchand ». Dr. soc. 2009, p. 73.

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d’un véritable travail37. Dans son arrêt du 30 novembre 201038, la cour d’appel d’Aix-en-

Provence avait décidé, à juste titre, d’assujettir à la MSA des WWOOFers venus vendanger

dans le Var. À cette occasion, les juges du fond avaient pu relever que les volontaires étaient

uniquement affectés au ramassage du raisin sur une période correspondant aux vendanges.

L’employeur avait organisé un roulement des participants non astreints à un horaire à temps

complet, et ce, afin de répondre à l’urgence de la récolte. Dans ces conditions, il semblait

évident que l’aide apportée par les WWOOFers était nécessaire, pour ne pas dire

indispensable, à l’activité du domaine viticole. Mais il s’agissait là d’un recours abusif au

WWOOFing, lequel ne traduit pas une incompatibilité de principe du mouvement avec le

respect du droit positif. Ainsi, il sera toujours possible au juge saisi d’une demande de

requalification d’ordonner des mesures d’investigation afin de déterminer si l’activité normale

et permanente de l’exploitation repose ou non sur l’aide apportée par les WWOOFers39.

Ensuite, l’image de l’appropriation du travail d’un individu subordonné, le plus souvent en

situation de dépendance économique40, s’accorde mal avec la démarche mise en oeuvre par le

WWOOFing. La cause de l’engagement du WWOOFer, au sens juridique du terme, ne vise

pas l’obtention d’un revenu. Elle réside avant tout, et objectivement, dans la découverte d’un

environnement rural et l’apprentissage des techniques de l’agriculture biologique. Que

l’activité du WWOOFer puisse s’intégrer au fonctionnement de l’exploitation ne signifie pas,

d’une manière plus générale, que la relation poursuit un objectif économique. Nous pouvons

en effet raisonner ici par analogie avec la situation du stagiaire. À la différence du stage en

entreprise, le WWOOFing n’est certes pas adossé à un cursus pédagogique. Il n’en demeure

pas moins que le WWOOFer va tirer profit de cette expérience concrète pour acquérir un

savoir-faire ou découvrir un nouveau milieu social. De plus, on sait que le stage implique

parfois, selon le niveau d’étude, une mise en situation réelle de travail41. Pour autant, parce

que le travail effectué est avant tout formateur, il ne donne pas lieu à la conclusion d’un

contrat de travail dans l’entreprise42. Il en va de même du WWOOFer qui accompagne son

hôte au cours de ses travaux, mais sans pour autant être placé dans des conditions normales

d’emploi43.

En cas de litige sur la nature de la relation, il appartiendra au juge d’apprécier si les tâches

confiées au WWOOFer s’inscrivent ou non dans une logique d’apprentissage et de

transmission de savoir-faire véritables : l’affectation d’un volontaire isolé à des travaux

subalternes ne nécessitant aucune formation est à proscrire, l’hôte doit aussi être un

37 À l’inverse, la nécessité du poste de travail à la bonne marche de l’entreprise exclut la qualification de travail

bénévole, Cass. crim. 26 octobre 2004, n°03-87916, inédit ; Cass. crim. 5 janvier 2010, n°09-83693, inédit. 38 CA Aix-en-Provence, 30 novembre 2010, n°2010/1254. 39 À l’image du critère mobilisé pour requalifier les contrats à durée déterminée lorsque ceux-ci se rapportent à

un emploi correspondant à l’activité normale et permanente de l’entreprise, C. trav. art. L. 1242-1, par exemple

Cass. soc. 1er février 2012, Bull. civ. V, n°48. 40 Par exemple, A. SUPIOT, Critique du droit du travail, PUF, Paris, 1994, p. 117 ; dans le même sens A.

TISSIER, « Le Code civil et les classes ouvrières ». in Le Code civil 1804 - 1904, Livre du centenaire, Rousseau,

Paris, 1904, p. 71. 41 C. ROY-LOUSTAUNAU, JCP 2001, II, 10482, note sous Cass. soc. 17 octobre 2000, Bull. civ. V, n°336. 42 S. TOURNAUX, « La distinction entre stage et notions voisines ». Lexbase Hebdo éd. soc. 2006, n°213. 43 Ce critère des conditions normales d’emploi est retenu par la jurisprudence afin de distinguer le test

professionnel de la période d’essai. Tandis que le premier permet de vérifier le niveau de compétence d’un

candidat à l’embauche, le second vise l’aptitude de ce dernier à occuper l’emploi proposé. Voir par exemple

Cass. soc. 26 novembre 2008, n°07-42673, inédit, S. TOURNAUX, « Le test professionnel n’est pas un contrat

de travail ». Lexbase Hebdo éd. soc. 2008, n°330 ; Cass. soc. 4 janvier 2000, Bull. civ. V, n°4, Dr. soc. 2000, p.

550, obs. J. MOULY.

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pédagogue. Dans le cas contraire, et à l’instar des règles entourant le stage en entreprise44, la

relation pourra être requalifiée en contrat de travail. Cette hypothèse ne doit toutefois pas jeter

le doute sur le mouvement dans son ensemble car il s’agirait simplement là d’un recours

abusif au WWOOFing. Si l’hôte respecte les principes de la charte du WWOOFing, la

pratique n’implique ni l’accomplissement d’un travail par le WWOOFer, ni son placement

dans un état de subordination.

B. L’invraisemblable état de subordination du WWOOFer

Aux termes de l’arrêt Société générale, la subordination s’entend de l’exécution d’un travail

sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en

contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné45. En dépit d’une

conception juridique de la subordination46, la preuve de ce rapport hiérarchique doit être

apportée à partir des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs47.

Ainsi, la démonstration de l’état de subordination ne se confond pas avec la recherche de son

fondement juridique : la subordination juridique s’analyse davantage comme un effet de la

qualification de contrat de travail48, elle procède du contrat mais n’en constitue pas un

critère49. En définitive, la question est de savoir si des pouvoirs étaient exercés en fait ; elle

n’est jamais de savoir si l'employeur avait le droit de les exercer50.

À première vue, la physionomie des rapports entretenus entre l’hôte et le WWOOFer pourrait

rappeler les caractéristiques de l’état de subordination. Prenons le cas du département de la

Gironde, pour lequel la base de données de WWOOF France répertorie actuellement huit

annonces. Les activités proposées sont variées : cueillette de plantes sauvages, maraîchage,

fabrication du pain, construction d’une kerterre en chaux51, rénovation de bâtiments,

vendanges et vinification, élevage de brebis, de chevaux, marcottage des arbres fruitiers... À

la lecture de cet inventaire, on imagine mal que la participation du WWOOFer puisse

s’effectuer en dehors de toute indication de l’exploitant. En outre, comment parler de

transmission de savoir-faire ou d’initiation à l’agriculture biologique sans que celui-ci ne

s’implique dans la conduite des opérations ? De la même manière, on conçoit difficilement

que ce dernier ne contrôle pas non plus l’exécution des tâches accomplies. Premièrement, il

en va de la sécurité du WWOOFer appelé à manier des outils potentiellement dangereux en

cas d’usage inapproprié. Deuxièmement, l’hôte doit veiller à la protection de ses biens, de ses

cultures ou de son cheptel, sans pouvoir les confier aveuglément aux bons soins d’un non-

initié.

Toutefois, si l’orientation de l’activité du WWOOFer relève de l’essence même du

WWOOFing, elle n’est pas pour autant de nature à placer le volontaire dans un état de

subordination juridique. S’agissant de la conduite des tâches, celle-ci ne donne pas lieu à la

formulation de véritables ordres. L’hôte propose simplement un encadrement technique de

l’activité, dans un esprit d’initiation et de découverte. De plus, comme l’indique WWOOF

44 C. éduc. art. L. 124-7. 45 Cass. soc. 13 novembre 1996, Bull. civ. V, n°386, J. PÉLISSIER, A. LYON-CAEN, A. JEAMMAUD, E.

DOCKÈS, Les grands arrêts du droit du travail, Dalloz, Paris, 2008, 4ème éd, n°2. 46 Cass. civ. 6 juillet 1931, J. PÉLISSIER, A. LYON-CAEN, A. JEAMMAUD, E. DOCKÈS, op. cit., n°1. 47 Cass. soc. 19 décembre 2000, Bull. civ. V, n°437, Dr. soc. 2001, p. 227, note A. JAMAÏQUAIN. 48 E. DOCKÈS, « Notion de contrat de travail ». Dr. soc. 2011, p. 546. 49 Ch. RADÉ, « Des critères du contrat de travail ». Dr. soc. 2013, p. 202 50 E. DOCKÈS, op. cit. 51 Une kerterre est un habitat de petite taille en forme d’igloo construit à partir de chanvre et de chaux (ou

d’argile).

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7

France52, il n’existe pas de journée « type » à la ferme53. Le déroulement des activités dépend

de ce que le WWOOFer et son hôte auront convenu ensemble, en fonction des préférences du

premier et des travaux programmés par le second. On est décidemment bien loin d’une

détermination unilatérale des conditions de travail caractéristique d’un service organisé54. En

outre, le concours du WWOOFer n’est assorti d’aucune obligation de résultat ou de

performance. Il est vrai qu’à défaut de clauses particulières d’objectifs, la prestation du salarié

s’analyse elle aussi en une obligation de moyens55 ; mais il faut bien voir que là où

l’insuffisance professionnelle du salarié peut légitimer la rupture du contrat de travail, une

moindre performance du WWOOFer n’affecte en rien le maintien de la relation.

Cette indifférence à l’égard de la qualité des prestations fournies par le WWOOFer révèle,

plus largement, une absence de pouvoir exclusif de sanction reconnu à l’hôte. Si les liens

entre les deux protagonistes se détériorent - selon que le WWOOFer refuse de prendre part

aux activités convenues ou qu’il entende protester contre un agriculteur tirant profit d’une

main d’œuvre bon marché - le WWOOFing prendra fin à l’initiative de l’une ou l’autre des

parties. On imagine mal, en effet, que l’apprenti paysan décide de demeurer dans les lieux s’il

n’est pas satisfait de son expérience, ou que son hôte multiplie les mesures de rétorsion

jusqu’à obtenir l’accomplissement de la tâche convenue. Pourtant, même dans le cas où la

cessation du WWOOFing serait décidée par l’accueillant, il ne saurait agir d’une rupture

imputable à un manquement du WWOOFer dans l’exercice de son activité. La qualité de sa

prestation ne pouvant entrer en ligne de compte, le terme unilatéralement mis à l’échange doit

être compris comme une réponse à un manquement aux règles de vie de l’exploitation.

On pourrait alors objecter que l’éviction du WWOOFer en raison de son comportement est

assimilable à une rupture pour motif disciplinaire. Néanmoins, et à supposer que la volonté de

mettre fin au séjour du WWOOFer puisse ne pas être commune aux deux parties56, l’argument

n’emporte pas davantage la conviction au moment de s’interroger sur l’état de subordination

du volontaire. D’une part, la jurisprudence laisse penser que la nature du manquement visé

par la sanction peut avoir une influence sur la qualification de la relation litigieuse. Ainsi,

dans un arrêt du 9 mai 200157, la Cour de cassation censura une cour d’appel qui avait

caractérisé un lien de subordination entre un compagnon Emmaüs et la direction de sa

communauté. Pour justifier sa décision, elle fit valoir que l’exclusion du compagnon ne visait

pas un manquement au travail, mais sanctionnait une méconnaissance des règles de vie

communautaire58. D’autre part, il a été démontré que l’existence d’un pouvoir disciplinaire

n’est pas propre à la qualité d’employeur59, et dépasse la seule relation de travail salarié60. En

ce sens, il suffit d’observer qu’en droit commun, la gravité du comportement d’un contractant

52 www.wwoof.fr, FAQ, n°12 53 WWOOF France propose néanmoins une base d’une demi-journée de présence quotidienne, à raison de cinq

jours par semaine. 54 F. GAUDU, R. VATINET, op. cit., n°30. 55 Ce qui constitue parfois un élément de distinction entre le contrat de travail et le contrat d’entreprise, B.

TEYSSIÉ, J.-F. CESARO, A. MARTINON, Droit du travail. Relations individuelles, LexisNexis, Paris, 3ème

éd., 2014, n°453. 56 Si l’hypothèse ne doit pas être exclue, en pratique cependant, la fin prématurée de l’expérience repose le plus

souvent sur un constat d’échec partagé. 57 Cass. soc. 9 mai 2001, Bull. civ. V, n°155, Dr. soc. 2001, p. 798, note J. SAVATIER. 58 Sur cette interprétation, Y. AUBRÉE, « Contrat de travail (Existence - Formation) », Rep. trav. Dalloz, n°177. 59 Ch. RADÉ, op. cit, n°10 et s. 60 Voir en ce sens, J. BERTHE de la GRESSAYE, A. LEGAL, Le pouvoir disciplinaire dans les institutions

privées, Paris, Sirey, 1938.

Page 8: WWOOFing et droit du travail : le bonheur est-il dans le pré

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peut justifier une rupture anticipée de l’engagement61. Ainsi, quand bien même le départ du

WWOOFer procéderait d’une sorte de renvoi62, il serait malvenu d’y associer l’expression

d’un pouvoir de sanction au sens où l’entend la jurisprudence relative à l’état de subordination

de son destinataire. Cette inadaptation de la figure du salariat trouve confirmation dans le fait

que les avantages dont bénéficie le WWOOFer au cours de son séjour à la ferme ne peuvent

être qualifiés de rémunération.

C. L’absence de rémunération versée au WWOOFer

La rémunération n’est pas considérée comme un critère déterminant au moment de distinguer

le contrat de travail des autres contrats à titre onéreux63. Son incidence sur la nature juridique

du WWOOFing est d’autant plus limitée que le volontaire ne se livre pas à un travail et qu’il

n’est pas non plus placé dans un état de subordination. Dans un cas de figure similaire, la

jurisprudence a pu rejeter l’existence d’une relation de travail entre les compagnons

d’Emmaüs et leurs structures d’accueil64, alors même que ceux-ci perçoivent un « pécule »

qualifié de « rémunération »65.

La question de la rémunération n’est pourtant pas dénuée d’intérêt. Elle permet en effet de

déterminer si la prestation à laquelle elle se rapporte revêt ou non un caractère bénévole66.

L’absence de rémunération versée au WWOOFer contribue alors à souligner le caractère

désintéressé de sa démarche en comparaison avec le salariat67. Elle démontre du même coup

que le WWOOFing ne peut donc être assimilé à un travail salarié accompli dans la

perspective d’un gain économique68.

En apparence, les conditions d’accueil du WWOOFer au sein de l’exploitation agricole

peuvent sembler contredire cette affirmation. Tout d’abord, lorsqu’elle n’est pas expressément

envisagée par le législateur, comme par exemple en matière d’entraide agricole69, l’idée d’un

service gratuit en dehors de la sphère familiale ou amicale fait souvent l’objet d’une forte

suspicion70. Ensuite, la fourniture du gîte et du couvert s’apparente généralement à des

avantages en nature71, lesquels, dans des circonstances similaires, ont pu conduire à exclure

l’accomplissement d’une prestation bénévole72. Enfin, la Cour de cassation exige que les

61 Cass. civ. 1ère 13 octobre 1998, Bull. civ. I, n°300, D. 1999, p. 197, note Ch. JAMIN ; JCP 1999, II, 10133,

note N. RZEPECKI ; Defrénois 1999, p. 374, obs. D MAZEAUD. 62 Ce qui constitue l’hypothèse la plus favorable à l’analyse que nous réfutons. 63 G. AUZERO, E. DOCKÈS, op. cit., n°194. 64 Cass. soc. 9 mai 2001, précité. 65 La Cour de cassation considère qu’il importe peu que l’activité liée au versement du pécule s’exerce hors de

tout lien de subordination, celui-ci constitue une rémunération qui doit donner lieu au paiement de cotisations

sociales, Cass. civ. 2ème 14 février 2013, Bull. civ. II, n°27 ; voir aussi Ass. plén. 8 janvier 1993, Bull. A.P., n°2, à

propos d’une religieuse percevant des avantages en nature en contrepartie de son activité. 66 H. GUICHAOUA, « La frontière entre l’activité professionnelle et le bénévolat ». Dr. ouvr. 2013, p. 229. 67 Voir plus largement Ch. WILLMANN, « Le service gratuit à la recherche de son contrat, à propos de l’article

10 de la loi du 29 juillet 1998 ». RDSS 1999, p. 350 ; S. MOREAU, « L’activité désintéressée, fiction ou réalité

du droit social ? ». RDSS 1981, p. 508. 68 B. TEYSSIÉ, J.-F. CESARO, A. MARTINON, op. cit., n°423. 69 L’article L. 325-1 du Code rural et de la pêche maritime dispose que l’entraide entre agriculteurs est un contrat

à titre gratuit. L’entraide agricole ne se conçoit qu’entre agriculteurs professionnels, de sorte que le WWOOFing

ne peut être rattaché à ce dispositif. 70 Sur cette question, Ch. WILLMANN, op. cit., n°21 et s. 71 Cass. soc. 25 janvier 1989, Bull. civ. V, n° 65 ; Cass. soc. 19 septembre 1991, Bull. civ. 1991, n°376. 72 Cass. soc. 17 avril 1985, Bull. civ. V, n°238, considérant que les avantages en nature de logement et de

nourriture reçus par un accompagnateur scolaire lors d’un séjour à la montagne n’étaient pas compatibles avec

l’accomplissement d’une activité bénévole ; voir également Cass. crim. 27 septembre 1989, Bull. crim. n°332, à

Page 9: WWOOFing et droit du travail : le bonheur est-il dans le pré

9

compensations accordées aux bénévoles correspondent au strict remboursement des frais

exposés par eux73. En dépit de cette formulation rigoureuse, il n’est pourtant pas certain que la

conception de la gratuité retenue ici par la Haute juridiction s’oppose à l’admission du

caractère désintéressé du WWOOFing.

Techniquement, la mise à disposition d’un logement et de nourriture ne constitue certes pas

un remboursement des frais exposés par le WWOOFer. Il n’en demeure pas moins que pour

être en mesure de participer aux activités de l’exploitation, le volontaire doit se loger et se

nourrir. Si son hôte ne lui assurait pas les moyens de répondre à ces besoins, il exposerait

nécessairement des dépenses pour les satisfaire. Par conséquent, la seule différence entre le

WWOOFing et l’hypothèse d’indemnisation fixée par la jurisprudence réside dans le fait que,

pour le WWOOFer, la compensation de ses frais est concomitante à son engagement, tandis

qu’elle intervient a posteriori dans la définition classique du bénévolat. Or, l’idée qui sous-

tend chacune de situation est exactement la même puisqu’il s’agit, dans tous les cas, d’éviter

que celui qui donne gratuitement de son temps s’expose à des frais74. De plus, la qualification

de frais professionnels est réservée aux dépenses liées à l’emploi d’un salarié et supportées

par lui dans l’accomplissement de ses missions. Étant précédemment établi l’absence de

travail et d’état de subordination du WWOOFer, celui-ci ne saurait être considéré comme un

salarié. Partant, ses dépenses ne revêtant aucune nature professionnelle, leur compensation par

la fourniture du gîte et du couvert ne peut être assimilée à des avantages en nature.

Enfin, si le bénéfice d’un logement et de nourriture est certes un élément important de la

relation, il ne constitue pas cependant la cause principale de l’engagement du WWOOFer qui

ne cherche à retirer aucun revenu de son activité75. Tel que nous l’avons vu, et comme

l’atteste son adhésion à la charte du WWOOFing, son expérience répond davantage à la

volonté de s’engager dans une forme originale d’entraide et d’apprentissage, au service d’un

autre type d’agriculture. La contrepartie attendue du WWOOFing n’a donc pas grand chose à

voir avec le caractère lucratif de la prestation de travail. L’altérité des motivations du

WWOOFer et du salarié confirme, là encore, le mal fondé de l’assimilation du WWOOFing à

une relation de travail salarié, sous réserve, que l’accueillant, en pratique, se conforme aux

règles et aux préconisations édictées par la charte du WWOOFing.

Au total, le WWOOFing ne nous semble donc pas constituer une stratégie d’évitement du

droit du travail. Mais si le phénomène n’a pour l’heure donné lieu à aucun contentieux à

l’initiative de ses participants, il n’est toutefois pas interdit d’envisager le cas où la relation

entre le WWOOFer et son hôte serait amenée à quitter « la nuit paisible du non droit »76.

Cette situation n’est certes pas souhaitable, la judiciarisation des conflits nés d’une expérience

négative de WWOOFing, s’accordant mal avec le caractère spontané et militant de

propos de volontaires sur un chantier de reconstruction d’une abbaye bénéficiant d’un logement, de nourriture et

de quelques subsides ; pour de plus amples développements, J. SAVATIER, « La distinction du contrat de travail

et des services bénévoles dans le cadre d’une association ». Dr. soc. 2002, p. 494. 73 Cass. soc. 29 janvier 2002, Bull. civ. V, n°38, RJS 2002, n°387. 74 En ce sens, et à propos des activités associatives, J. SAVATIER, Dr. soc. 2002, note sous Cass. soc. 29 janvier

2002, Bull. civ. V, n°38 ; voir également, du même auteur, « Activités bénévoles et activités salariées, une

incompatibilité fondamentale ? ». in Quel statut pour le bénévole/volontaire ?, B. Halba (dir.), IRIV, Paris, 1998,

p. 43. 75 J. SAVATIER, « Le travail non marchand ». Dr. soc. 2009, p. 78, pour qui la gratuité du travail bénévole est

liée à la continuité des revenus provenant d’une autre source. 76 J. CARBONNIER, Flexible droit, LGDJ, Paris, 10ème éd., 2014, p. 36.

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10

l’échange77. Mais il n’est pas pour autant possible d’écarter définitivement une telle

hypothèse. De plus, si l’hôte et le WWOOFer conviennent de régler à l’amiable leurs

désaccords, il n’en va pas nécessairement de même des personnes susceptibles de subir un

dommage à l’occasion du WWOOFing. Dans ce cas, c’est sur le fondement du droit commun

que le litige sera tranché.

II. La soumission du WWOOFing au droit commun

Le bien fondé d’une soumission du WWOOFing au droit commun se manifeste à deux égards.

D’une part, les caractéristiques de la relation entre le WWOOFer et son hôte permettent de

retenir l’existence d’un contrat (A). D’autre part, le régime juridique instauré par l’application

des règles civilistes semble adapté aux éventuels litiges procédant de la pratique du

WWOOFing (B).

A. L’existence d’un contrat entre le WWOOFer et son hôte

Aux termes de l’article 1101 du Code civil, le contrat est une convention par laquelle une ou

plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas

faire quelque chose. La physionomie des rapports entretenus par le WWOOFer avec son hôte

correspond assez largement à cette définition, malgré certaines affirmations quelque peu

contradictoires dans la charte du WWOOFing. Le troisième pilier du WWOOFing indique en

effet que l’accueil au sein de l’exploitation n’est soumis à aucune promesse d’une quelconque

contrepartie. Pourtant, selon le quatrième engagement du WWOOFer, indiqué par la charte, le

volontaire doit participer à la vie de la ferme, sans être toutefois astreint à une obligation de

productivité. De plus, le troisième pilier pose clairement comme condition au déroulement du

WWOOFing, l’existence d’une volonté de l’accueilli de découvrir la vie et le travail de son

hôte en le suivant dans ses tâches quotidiennes. L’accueil du WWOOFer suppose donc, à

l’évidence, une implication de sa part. Le rejet d’une exigence de performance ne signifie pas

qu’aucune contrepartie n’est attendue de lui : accompagner son hôte, s’essayer aux travaux

agricoles, apprendre par expérimentation, sont autant d’obligations de faire. Ainsi, en

intégrant une exploitation agricole, le WWOOFer s’oblige à une certaine disponibilité envers

l’agriculteur, lequel contracte lui aussi des obligations à l’égard de l’accueilli. Le troisième

engagement de l’hôte vise en ce sens la garantie de conditions d’accueil agréables et

optimales, là où le onzième prévoit la mise en oeuvre d’outils pédagogiques à destination de

l’apprenti paysan.

Mais pour pouvoir qualifier cette relation de contrat, encore faut-il s’assurer que le

WWOOFing ne s’apparente pas à un accord de volonté non obligatoire, exclusif de tout

animus contrahendi. L’existence et la nature du tissu obligationnel contenu dans la Charte du

WWOOFing, à laquelle les parties adhèrent, ne permettent pas de ranger la pratique dans la

catégorie des actes de pure courtoisie78. Le WWOOFing ne paraît pas davantage relever d’un

acte de complaisance, même si la frontière entre ce dernier et le contrat s’avère parfois

difficile à tracer79. Pour distinguer les deux notions, Aubry et Rau avaient soutenu le principe

77 Étant entendu que nous visons ici l’hypothèse d’une relation conflictuelle, mais qui ne reposerait pas sur des

manquements de l’hôte de nature à entraîner sa requalification. 78 Ph. MALINVAUD, D. FENOUILLET, M. MEKKI, Droit des obligations, LexisNexis, Paris, 13ème éd., 2014,

n°70 ; E.-H. PERREAU, « Courtoisie, complaisance et usages non obligatoires devant la jurisprudence ». RTD

civ. 1914, p. 481. 79 F. TERRÉ, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz, Paris, 11ème éd., 2013, n°55.

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d’une alliance naturelle, et exclusive, entre complaisance et gratuité80. Mais il a été démontré

par la suite que le désintéressement de celui qui s’engage ne s’opposait pas à la mise en

évidence d’un rapport contractuel81. En témoignent plusieurs décisions qui retiennent la

conclusion d’un contrat de service gratuit dans des situations où un individu apporte

bénévolement son concours à autrui82. Le Professeur Viander a alors souligné que l’élément

essentiel de la complaisance reposait plus volontiers sur le service d’autrui sans intention de

devenir son débiteur83. Cette définition éclaire la nature de l’engagement du WWOOFer,

lequel ne repose pas uniquement sur une volonté altruiste de servir son hôte. Son adhésion au

WWOOFing comporte, il est vrai, une dimension militante en faveur d’une agriculture

biologique et respectueuse de l’environnement. Mais le WWOOFer attend aussi profiter de

cette expérience afin d’enrichir ses connaissances et acquérir des compétences, et pour cela, il

s’oblige à participer aux activités de la ferme. Le WWOOFer n’agit donc pas par pure

complaisance84. De la même manière, l’attitude de l’exploitant n’est pas non plus totalement

désintéressée. Il escompte lui aussi une contrepartie objective qui réside dans le concours

apporté par le WWOOFer au fonctionnement de l’exploitation, peu important l’étendue des

talents déployés par l’apprenti paysan. Pour bénéficier de cette aide, il s’engage à transmettre

son savoir-faire tout en fournissant le logement et la nourriture. En définitive, il est donc

possible d’analyser la relation entre les deux protagonistes comme un contrat. Leurs

obligations étant par ailleurs réciproque, comme en dispose la charte du WWOOFing à

laquelle leur engagement se réfère, le contrat peut également être qualifié de synallagmatique.

S’agit-il d’un contrat à titre gratuit ou onéreux ? Il est traditionnellement enseigné qu’hormis

la donation avec charge, la plupart des contrats synallagmatiques sont à titre onéreux85. Selon

l’article 5 du projet de réforme du droit des contrats, le contrat est à titre onéreux lorsque

chacune des parties reçoit de l’autre un avantage en contrepartie de celui qu’elle procure86.

C’est précisément ce qui se passe dans le WWOOFing : l’hôte bénéfice de l’aide apportée par

le WWOOFer au fonctionnement de l’exploitation, et en retour, le volontaire acquiert un

savoir-faire en même temps qu’il se voit offrir le gîte et le couvert. Il est néanmoins important

de préciser que l’exclusion du contrat à titre gratuit ne remet pas en question le rejet du

contrat de travail en matière de WWOOFing. Le bénéfice de certains avantages par le

WWOOFer empêche certes de retenir la qualification de contrat à titre gratuit87, et ce, au sens

des catégories du droit commun88. Toutefois, au regard des critères travaillistes, et tel que

nous l’avons observé, la mise à disposition d’un hébergement et de nourriture n’est pas

assimilable à une rémunération. Non seulement la souscription d’un contrat à titre onéreux ne

doit pas faire suspecter l’accomplissement d’un travail dissimulé, mais elle entraîne

également l’application d’un régime juridique adapté en cas de conflit.

80 Ch. AUBRY, Ch. RAU, Droit civil français, Libr. Tech., Paris, 6ème éd., 1951, n°448. 81 A. VIANDER, « La complaisance ». JCP 1980, I, 2987 ; voir également Ch. WILLMANN, « Le service

gratuit à la recherche de son contrat, à propos de l’article 10 de la loi du 29 juillet 1998 ». RDSS 1999, p.

350,n°35 et s., regrettant une conception restrictive du contrat de bienfaisance cantonné à la sphère familiale ou

amicale. 82 Cass. civ. 1ère 17 décembre 1996, Bull. civ. I, n°463 ; Cass. civ. 1ère 13 janvier 1998, Bull. civ. I, n°15. 83 A. VIANDER, op.cit.,n°24 et s. 84 Voir Cass. civ. 2ème 20 novembre 1970, D. 1971,187, cité par A. VIANDER, op. cit., n°22, à propos du rejet

de la complaisance s’agissant d’un préposé occasionnel ayant profité personnellement de la chose qu’il avait

gardé. 85 F. TERRÉ, Ph. SIMLER, Y. LEQUETTE, op. cit., n°67. 86 Futur alinéa 1er de l’article 1105 du Code civil. 87 L’alinéa 2 du futur article 1105 du Code civil dispose que le contrat est à titre gratuit lorsque l’une des parties

procure à l’autre un avantage sans recevoir de contrepartie. 88 Ph. MALINVAUD, D. FENOUILLET, M. MEKKI, op. cit.., n°70.

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B. Un régime juridique adapté aux conflits nés à l’occasion du WWOOFing

Deux types de conflits sont susceptibles de naître dans le sillage du WWOOFing, soit qu’ils

portent sur les conditions d’exécution du contrat, soit qu’ils découlent de la survenance d’un

accident. S’agissant de la première situation, il n’est pas nécessaire de se livrer à un inventaire

exhaustif des mécanismes contractuels pour observer que, si leur mise en œuvre est

théoriquement envisageable, la nature des rapports que les parties entretiennent la rend

cependant assez hypothétique. On imagine mal un WWOOFer invoquer, par exemple, une

situation de force majeure temporaire pour solliciter la suspension de la relation. De la même

manière, il est douteux qu’un hôte confronté à un participant de mauvaise volonté décide de

se prévaloir d’une exception d’inexécution pour suspendre la fourniture du gîte et du couvert.

Loin de l’image d’une « coopération antagoniste »89, la réalisation de l’objet du WWOOFing

dépend étroitement de la bonne entente du WWOOFer avec son hôte. Si, sur le terrain

juridique, leur relation peut être qualifiée de contrat, elle ne poursuit néanmoins aucune

finalité économique de nature à justifier la continuité d’un engagement devenu conflictuel90.

Le WWOOFer n’entretient pas avec son engagement – et ne doit pas entretenir - un rapport de

subsistance ou de nécessité tel, qu’il appellerait un traitement particulier de l’exécution ou de

la rupture de la relation91. Que les rapports entre les parties se dégradent, ou deviennent

impossibles en raison des circonstances, et le recours à des techniques impliquant un maintien

du contrat devient incertain : la voie de la rupture est de loin la plus vraisemblable. En

présence d’une relation à durée déterminée, elle pourra intervenir soit d’un commun accord,

soit de manière unilatérale lorsque la gravité du comportement d’une des parties le justifie92.

Si aucune durée de WWOOFing n’a été prévue, chacun a la faculté de mettre un terme à

l’expérience, conformément au principe de résiliation unilatérale des engagements à durée

indéterminée.

Le WWOOFing peut également prendre une tournure conflictuelle lorsqu’un individu subit un

dommage à l’occasion de la pratique. Plusieurs situations doivent alors être envisagées. La

première renvoie au WWOOFer victime d’un dommage. N’étant pas salarié, il ne peut être

soumis à la législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. À défaut

de recevoir la qualité de bénévole auprès d’une organisation visée par législateur, il n’est pas

non plus éligible à cette protection93. De plus, l’activité agricole à laquelle il prend part

n’étant pas exercée sous la forme associative, le WWOOFer ne pourra se prévaloir d’une

convention d’assistance tacite entre lui et son hôte94. Enfin, la pratique du WWOOFing ne se

prête pas à la mise en oeuvre des mécanismes de réparation des dommages attachés à

l’entraide agricole95. Cette dernière ne vise en effet que les échanges de services entre

89 J. CARBONNIER, Droit civil - Les biens - Les obligations, PUF, Quadrige, Paris, 22ème éd., 2004, p. 227. 90 Ce qui lui confère une certaine originalité au sein du genre contractuel, L. JOSSERAND, Évolutions et

actualités : conférences de droit civil, Libr. du Recueil Sirey, Paris, 1936, cité par Ch. WILLMANN, op. cit.,

n°33. 91 Voir E. DOCKÈS, « Notion de contrat de travail ». Dr. soc. 2011, p. 546, spé. n°17. 92 Tel que le prévoit le futur article 1226 du Code civil. 93 L’article L. 412-8 6° du Code de la Sécurité sociale étend le bénéfice de l’assurance accidents du travail et

maladies professionnelles aux « personnes qui participent bénévolement au fonctionnement d'organismes à objet

social créés en vertu ou pour l'application d'un texte législatif ou réglementaire, dans la mesure où elles ne

bénéficient pas à un autre titre des dispositions du présent livre » ; voir plus largement L. HÉRITIER, « La

protection sociale des bénévoles et des volontaires ». Revue française des affaires sociales, 2002/4, p. 83 94 Cass. civ. 1ère 10 octobre 1995, n°93-19142, RTD civ. 1996, p. 892, obs. J. MESTRE.. 95 L’article L. 325-3 du Code rural et de la pêche maritime dispose que le prestataire reste responsable des

accidents du travail survenus à lui-même ou aux membres de sa famille, ou à toute personne considérée

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agriculteurs professionnels, ainsi que l’aide apportée par les membres de leur famille96, ou par

le salarié d’un prestataire mis à la disposition du bénéficiaire97.

En définitive, il semble que seule la voie de la responsabilité délictuelle puisse permettre au

WWOOFer d’obtenir la réparation de son préjudice. Le succès de sa démarche demeure

toutefois subordonné à la preuve d’une faute de son hôte, hors cas de responsabilité du fait des

choses. Il importe également que ce dernier ne lui oppose pas, à son tour, la commission

d’une faute ou d’une imprudence, hypothèse qui ne peut être négligée compte-tenu de la

technicité de certains travaux agricoles. Un tel régime ne paraît guère satisfaisant, ne serait-ce

que parce que les prestations réalisées dans le cadre du WWOOFing peuvent être utiles à

l’accueillant. Par analogie avec le statut des volontaires du service civique98 et des

participants au VIE99, il serait alors opportun d’étendre au WWOOFer le bénéfice de la

législation sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, moyennant une

cotisation forfaitaire de l’exploitant100.

Mais le WWOOFer peut aussi être l’auteur d’un dommage. À l’image du stagiaire101, une

assurance responsabilité civile devrait être exigée pour le cas où il viendrait à causer un

préjudice à l’exploitant102. Dans l’éventualité où son comportement affecterait les intérêts

d’un tiers, se pose alors la question de l'application des règles relatives à la responsabilité du

fait d’autrui. Deux hypothèses paraissent a priori envisageables. La première concerne la

responsabilité du commettant du fait de son préposé prévue à l’article 1384, alinéa cinq, du

Code civil. Le plus souvent, le lien de préposition suppose un rapport d’autorité consistant à

fixer un but à atteindre et à déterminer les moyens à employer pour y parvenir103. Ce cas de

figure ne recouvre pas exactement les modalités d’accomplissement du WWOOFing qui,

comme nous l’avons vu, reposent sur une détermination concertée des tâches à accomplir. Si

un rapport d’autorité peut naître entre les parties, celui-ci n’est certainement pas tourné vers la

réalisation d’une mission au profit de celui qui dispose d’une expertise technique. Il s’agit

davantage de conseiller et d’orienter le WWOOFer dans ses actions, afin qu’il retire un

enseignement de son expérience à la ferme.

La seconde hypothèse de responsabilité du fait d’autrui, dégagée à partir de l’article 1384,

alinéa premier104, semble se rapprocher davantage du type de relation engendrée par le

WWOOFing. On songe tout particulièrement ici au modèle de responsabilité fondé sur la

légalement comme aide familiale, ou à ses ouvriers agricoles. Il est ainsi fait application de la législation

professionnelle, à l’exclusion du droit commun de la responsabilité, Cass. soc. 14 mars 1967, Bull. civ. V, n°250. 96 Cass. soc. 5 novembre 1999, n°97-12782, inédit. 97 Cass. soc. 3 mai 1974, Bull. civ. V, n°271. 98 C. sec. soc. art. L. 412-8 13°. 99 Les dépenses liées au recours au VIE, comme par exemple le financement de sa couverture accident du travail,

ouvrent droit au crédit d'impôt export. Cela revient indirectement à faire peser sur la collectivité le coût de la

protection sociale du volontaire qui oeuvre au développement d’une entreprise privée. 100 Jusqu’au 31 mars 2014, la cotisation forfaitaire accidents du travail et maladies professionnelles pour les

volontaires du service civique était fixée à 0,05% du salaire minimum retenu pour la rente accident du travail. 101 C. éduc. art. D. 124-4 9°. 102 La balance entre le risque et le profit attaché à l’activité du WWOOFer ne nous semble pas militer en faveur

d’une immunité civile de ce dernier, à l’image de celle dont jouit le salarié vis-à-vis de son employeur ; comp. G.

COUTURIER, « Responsabilité civile et relations individuelles de travail ». Dr. soc. 1998, p. 407 103 J. FLOUR, J.-L. AUBERT, É. SAVAUX, Droit civil. Les obligations. 2. Le fait juridique, Dalloz, Paris, 14ème

éd., 2011, n°263 et s. 104 Ass. plén. 29 mars 1991, Blieck, Bull. civ. n°1, RTD civ. 1991, p. 541, obs. P. JOURDAIN.

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direction des activités d’autrui105, et aux décisions rendues suite à des dommages subis à

l’occasion de pratiques sportives106. Afin de retenir la responsabilité des associations sportives

du fait de leurs adhérents, la jurisprudence considère que celles-ci ont pour mission

d'organiser, de diriger et de contrôler l'activité de leurs membres au cours des compétitions

sportives auxquelles ils participent107. Pour autant, il n’est pas certain que cette forme

d’autorité puisse être caractérisée à l’identique dans le cadre du WWOOFing. L’exploitant ne

s’engage pas, à proprement parler, à diriger ou à contrôler l’activité du WWOOFer. Sa

mission, pour reprendre le terme choisi par la jurisprudence, consiste avant tout à l’initier à

l’agriculture biologique et à lui procurer des conditions d’accueil satisfaisantes.

L’encadrement de l’hôte n’affiche donc pas exactement ni la même fermeté, ni le même

objectif que celui opéré par les associations sportives. Or, cette différence de nature est

susceptible de jouer un rôle décisif au moment de déterminer le régime de responsabilité

applicable. Dans une décision du 26 octobre 2006, la Cour de cassation avait ainsi écarté la

responsabilité d’un syndicat des dommages causés par ses adhérents lors de manifestations,

considérant que le syndicat n’avait ni pour objet ni pour mission d'organiser, de diriger et de

contrôler l'activité de ces derniers108. Face à cette incertitude, et plutôt que d’anticiper une

décision affirmant la responsabilité de l’hôte du fait se son WWOOFer109, il nous semble plus

prudent de raisonner sur la base d’une responsabilité personnelle de l’accueilli. Cette

précaution confirme, si besoin était, que la pratique du WWOOFing, lorsqu’elle respecte les

règles et les valeurs fixées par ses promoteurs, n’a nullement besoin d’une reconnaissance

légale spécifique pour continuer à prospérer.

105 Expression emprunté à Ch. RADÉ, J. Cl. Responsabilité civile, Responsabilité du faits d’autrui - Principe

général, Fasc. 140, n°25. 106 Ch. RADÉ, op. cit, n°28 ; pour de plus amples développements, J.-P. LAYDU, « Un essai transformé : la

responsabilité du fait d'autrui fondée sur l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil dans le domaine sportif », RRJ

2000, p. 1803 107 Cass. civ. 2ème 12 décembre 2002, Bull. civ. II, n°289, RCA 2003, chron. 4, H. GROUTEL. 108 Cass. civ. 2ème 26 oct. 2006, Bull. civ. II, n° 299, RTD civ. 2007, p. 357, obs. P. JOURDAIN. 109 Position que semble néanmoins adopter WWOOF France en stipulant, dans la Charte du WWOOFing, que

l’hôte s’engage à souscrire une assurance couvrant les dommages dont le WWOOFer serait responsable.