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Actes des 10 e Rencontres de La Dur@nce 10e Rencontres de La Dur@nce : l'Afrique Sommaire : Afrique ... Afrique (s) , avant-propos par Gérald ATTALI (IA-IPR) Afrique et développement durable par Gérard GRANIER (conférence) Les indépendances africaines par Catherine COQUERY-VIDROVITCH (conférence) Pour survivre, l’Afrique dévore son capital naturel par Alain GASCON (conférence) Sunjata Keita et Sumaworo Kanté, fondateurs de l’empire du Mali par Francis SIMONIS (conférence) Education et développement durable en Afrique par Christine COLARUOTOLO (atelier) Traite négrière et esclavage par Sandrine KHALED et Dominique SANTELLI (atelier) L'Algérie indépendante (1962-1999) par Muriel MASSE (atelier) Être citadin dans une grande ville d’Afrique noire : entre représentations et réalités par Brigitte MANOUKIAN et Frédérique PLATANIA (atelier) Regards sur le Monomotapa par Patrick PARODI (mise au point) L'histoire de l'Empire du Songhaï (XIIe - XVIe siècles) par Patrick PARODI (mise au point) Sahara, eau et développement durable par Véronique BLUA et Claude MARTINAUD (atelier) L'Afrique dans le regard du peintre par Patrick PARODI (atelier)

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Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

10e Rencontres de La Dur@nce :

l'Afrique

Sommaire :

Afrique ... Afrique (s) , avant-propos par Gérald ATTALI (IA-IPR)

Afrique et développement durable par Gérard GRANIER (conférence)

Les indépendances africaines par Catherine COQUERY-VIDROVITCH (conférence)

Pour survivre, l’Afrique dévore son capital naturel par Alain GASCON (conférence)

Sunjata Keita et Sumaworo Kanté, fondateurs de l’empire du Mali par Francis SIMONIS (conférence)

Education et développement durable en Afrique par Christine COLARUOTOLO (atelier)

Traite négrière et esclavage par Sandrine KHALED et Dominique SANTELLI (atelier)

L'Algérie indépendante (1962-1999) par Muriel MASSE (atelier)

Être citadin dans une grande ville d’Afrique noire : entre représentations et réalités par Brigitte MANOUKIAN et Frédérique PLATANIA (atelier)

Regards sur le Monomotapa par Patrick PARODI (mise au point)

L'histoire de l'Empire du Songhaï (XIIe - XVIe siècles) par Patrick PARODI (mise au point)

Sahara, eau et développement durable par Véronique BLUA et Claude MARTINAUD (atelier)

L'Afrique dans le regard du peintre par Patrick PARODI (atelier)

L'empire du Mali par Daniel GILBERT (atelier)

Afrique ... Afrique (s)

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Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

Gérald AttaliLe 13 octobre 2010IA-IPR d’histoire-géographieAcadémie d’[email protected]

Aussi longtemps que les lions n’auront pas leurs historiens, les histoires se feront à la gloire des chasseurs. (Proverbe africain)

Une page se tourne ! L’Afrique qui fut si longtemps présente en tant que continent, notamment dans le programme de géographie de 5e, disparait dans le nouveau. Inutile de chercher ailleurs trace d’une étude générale dans les autres classes, il n’y en a pas. Pourtant l’Afrique maintient sa présence, mais de manière différente, sous forme d’études de cas en géographie ou par une approche étendue et novatrice de ses spécificités dans les programmes d’histoire. Consacrer les 10e Rencontres de la Dur@nce au continent africain c’était donner l’impression d’aller à rebours de la rénovation en cours dans nos enseignements et risquer d’entretenir un illusoire parfum de nostalgie. Elles ont conduit exactement à l’inverse et imposé une lecture plurielle du continent.

Le caractère massif d’un continent en grande partie à cheval sur la zone intertropicale a sans doute contribué à fixer une apparence d’unité qui a encouragé une approche globalisante de l’Afrique ; approche qui fut longue à disparaître des pratiques pédagogiques. À présent, cette représentation vole en éclats. Le continent bénéficie depuis quelques années d'une conjoncture économique favorable — qui semble persister malgré la crise — liée à la bonne santé des cours des matières premières et à l’augmentation rapide des exportations ; celles-ci ont favorisé une expansion qui draine les investissements extérieurs et accélère l’intégration du continent dans les échanges mondiaux. Ici comme ailleurs, la mondialisation introduit toujours plus de diversité entre les États et entre les régions. Les transformations profondes que connaissent à l'heure actuelle les territoires sous l’effet de la mondialisation nécessitent — aujourd’hui plus qu’hier — de tenir compte de leur pluralité. De ce dynamisme qui contredit l’afro-pessimisme traditionnel, la récente coupe du monde de football qui s’est tenue en Afrique du Sud a témoigné.

L’évolution démographique constitue un autre facteur de différenciation. Après avoir traversé une phase d’exceptionnelle croissance démographique, l’Afrique enregistre à son tour une diminution sensible de la fécondité. Cette nouvelle situation s’est d’abord imposée aux pays du Maghreb avant de s'étendre à l’Afrique subsaharienne, à un rythme certes encore lent, mais qui devrait s’accroître à l’avenir. Cette tendance ne remet pas en cause l’extrême jeunesse des populations ; elle s’accompagne d’une urbanisation accélérée. Si l’Afrique demeure le continent le moins urbanisé — la proportion de la population vivant en ville est jusqu'à maintenant à peine supérieure à 40 % —, c’est aussi celui qui a connu ces dernières

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années le rythme de croissance le plus élevé. Ce bouleversement de grande ampleur place les villes devant des problèmes d’aménagement considérables, mais ceux-ci ne tarissent pas l’exode rural qui alimente l’explosion urbaine. Cette dernière a pour conséquence d’ancrer toujours plus l’Afrique dans la modernité.

Il n’y a pas si longtemps encore, l’opposition entre l’Afrique au nord du Sahara et l’Afrique subsaharienne dessinait une différence majeure dans notre connaissance du passé africain. Tandis que la première pouvait s’appuyer sur de puissantes traditions académiques, l’égyptologie ou l’islamologie, la seconde restait peu connue et mal dégagée de l’exotisme imprimé par l’histoire coloniale. L’histoire de cette Afrique-là est une conquête récente. Sa connaissance confirme le caractère artificiel d’une frontière désertique qui fut autrefois perçue comme étanche aux déplacements des hommes et aux échanges de produits, alors qu’elle ne fut jamais un obstacle au commerce d’esclaves ; les historiens insistent aujourd’hui sur l’ampleur de cette traite musulmane qui précéda celle que les Européens développèrent dans l’Atlantique. La recherche historique révèle surtout la variété des cultures et des sociétés dont le passé est dorénavant mieux connu grâce à la fréquentation des rares sources écrites et à l’intérêt accordé aux traditions orales.

Ces renouvellements trouvent désormais leur place dans les programmes. Les 10e

Rencontres de la Dur@nce avaient pour ambition de promouvoir leur intégration dans les pratiques pédagogiques et d’aider à une lecture des réalités africaines — passées et présentes — dégagée des lieux communs et des préjugés. Espérons que le pari a été tenu. Les textes qui composent ces Actes vous en font juges. Bonne lecture !

Afrique et développement durable

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Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

Gérard GranierLe 13 octobre 2010Agrégé de géographieIA-IPR honoraire

Cette intervention se décomposera en deux temps :

- un premier temps d’approches générales visant à tenter de répondre à 3 questions : quelle place pour Afrique dans les nouveaux programmes de géographie ? Qu’est-ce que le développement durable ? Ce terme peut-il avoir un sens dans le cas de l’Afrique ?

- un second temps d’approches thématiques permettant d’aborder concrètement quelques problématiques de développement durable particulièrement importantes pour le continent africain. Dans le temps disponible, on abordera seulement la question démographique et la question agricole qui se rencontrent autour de l’interrogation : nourrir les hommes.

I. Trois questions préalables

1. Quelle place pour l’Afrique dans les programmes de géographie ?

Le développement durable occupe une place considérable dans les nouveaux programmes de géographie, aussi bien au collège qu’au lycée. En même temps, l’Afrique, en tant que continent, traditionnellement présente en classe de cinquième, disparait de ces mêmes programmes. Mais comme le montrent les tableaux ci-dessous (doc 1), par le biais de la démarche privilégiée de l’étude de cas, l’Afrique peut être présente à de multiples reprises dans le cursus d’un élève, à condition que le professeur veille scrupuleusement à répartir les choix de ces études de cas parmi les différents continents. C’est une recommandation qui figure d’ailleurs en toutes lettres dans les programmes. Car, sans cette vigilance, l’Afrique pourrait être totalement absente puisqu’elle n’est jamais citée comme point d’appui obligatoire.

Afrique et développement durable dans les programmes de géographie

Classe de 6e

« Connaissances »Thème d’étude « Démarches » Etude de cas

Habiter la ville 2 villes dans 2 aires culturelles différentes

Habiter le monde rural 2 espaces ruraux dans deux aires culturelles différentes

Habiter un littoral Un littoral touristique

Habiter un espace à fortes contraintes Un désert chaud

Classe de 5e

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Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

« Connaissances » Thème d’étude « Démarches » Etudes de cas ou exemples

Croissance démographique et développement

Un front pionnier en Afrique

Santé et développement Les infrastructures sanitaires dans un pays pauvre

Education et développement Exemple : alphabétisation et accès à l’éducation dans un pays pauvre

Risques et développement Une catastrophe naturelle dans un pays pauvre

Pauvreté et développement Décrire les conditions de vie de populations pauvres

La sécurité alimentaire mondiale Etude comparée de la situation alimentaire dans deux sociétés différentes

La ressource en eau L’exploitation, la consommation et la distribution de l’eau dans un pays du Maghreb

Classe de seconde (rentrée 2010)

Etude de cas sur thèmes d’études

Nourrir les hommes

L’eau, ressource essentielle

L’enjeu énergétique

Villes et développement durable

Les espaces soumis aux risques majeurs

2. Qu’est-ce que le développement durable ?

Le développement durable fait l’objet d’une définition officielle déjà ancienne puisqu’elle figure dans le célèbre rapport Brundtland, Notre avenir à tous, publié par l’ONU en 1987 : « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Cette « formule magique « (Paul Arnould) se décline en trois volets : un volet économique : poursuivre le développement (à distinguer d’une simple croissance), tout en préservant l’environnement et en réduisant les inégalités (volet social). Un développement durable implique une certaine forme de gouvernance,

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démocratique et participative, d’où le schéma de «la fleur du développement durable », proposé par la géographe Anne Jegou1, la gouvernance participative constituant la sève indispensable à la vitalité des différents pétales…

Le mot de développement durable est donc né au sein de la sphère onusienne, dans le cadre de rapports internationaux et non pas dans des écrits d’universitaires ou de chercheurs, ni dans des programmes politiques nationaux. Il faut aussi être bien conscient du fait que cette notion a été dès le départ fortement promue et soutenue par quelques puissantes ONG, protectrices de la Nature, à forte culture anglo-saxonne On peut citer notamment l’UICN (Union internationale pour la conservation de la Nature) ou le WWF. De manière significative, le terme de « sustainable development » est paru pour la première fois en 1980 dans un rapport commun du PNUE (programme des Nations-Unies pour l’environnement, une institution créée à l‘issue du premier « Sommet de la Terre » de Stockholm en 1972) de WWF et de l’UICN.

Cette notion a ensuite été progressivement intégrée dans tous les programmes et rapports officiels et comme critère de financement des projets de développement par les « bailleurs ». Mais il a quand même fallu de nombreuses années pour que ce mot s’impose dans un pays comme la France (première mention dans loi Pasqua sur l’aménagement du territoire en 1995 puis généralisation dans le grand public dans les années 2000).

Le développement durable ne prétend pas être une réalité d’aujourd’hui. C’est principalement un cadre pour l’action (la notion offre une grille de lecture pour évaluer un projet d’aménagement ou la réalité d’un territoire), un projet politique au sens noble du terme, voire une sorte d’utopie créatrice. Cette notion doit se décliner à différentes échelles et à ce titre elle intéresse particulièrement l’analyse géographique :

- à l’échelle mondiale, on est encore très loin d’un développement durable, faute d’une gouvernance mondiale et de l’égoïsme des nations,

- au niveau local, les perspectives sont plus encourageantes. Les agendas 21, qui se développent rapidement en Europe, constituent un excellent outil d’aménagement durable. En Afrique, des opérations dites de micro-développement, peuvent aussi satisfaire à des critères de développement durable (cf exemple de Guelack présenté ci-dessous)

3. La notion de développement durable peut-elle avoir un sens en Afrique ?

- Au premier abord, la notion de développement durable ne pourrait-elle pas sembler un luxe pour une population africaine qui doit majoritairement d’abord chercher à survivre ? L’idéologie du développement durable, qui distingue voire oppose l’Homme de la Nature, pourrait aussi paraître étrangère aux traditions africaines nourries par l’animisme, pour lequel l’Homme est une composante de la Nature.

- Pourtant, le développement durable doit être un impératif pour ce continent, comme pour les autres, au moins pour trois raisons :

- l’Afrique est fortement concernée par les enjeux mondiaux : changement climatique, épuisement des ressources non renouvelables, etc.

1 Jegou Anne, Les géographes français face au développement durable, L’information géographique, n3, 2007

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- le développement durable implique le développement humain et cherche d’abord à répondre aux « besoins du présent » qui sont dans le cas de l’Afrique des besoins élémentaires : être en bonne santé, se nourrir, se loger, etc.

- l’Afrique sera à l’avenir le continent le plus concerné par la question de l’équilibre à préserver entre croissance démographique et conservation des ressources puisque sa population devrait encore doubler d’ici 2050.

- Allant plus loin, certains auteurs estiment même que les africains seraient des « précurseurs du développement durable » (Sylvie Brunel, A qui profite le développement durable ? Larousse, 2008) en pratiquant déjà, faute de moyens, cette « économie légère » à laquelle aspire nombre d’écologistes.

II. Deux questions de développement durables posées à l’Afrique

1. La question de la croissance démographique : faut-il craindre une « bombe P » 2?

Le retour d’un certain néo-malthusianisme accompagne la montée de l’idée de développement durable au moins dans certains pays comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis. Or une des spécificités du continent africain est de présenter la plus forte croissance démographique au monde associée à la plus forte présence de pays les moins avancés (PMA).

La question du rapport croissance démographique/développement a donc une certaine légitimité même si les réponses à cette question peuvent varier.

a. La situation démographique actuelle en Afrique

Remarque préalable : il existe un gros problème de fiabilité des données statistiques compte tenu de la désorganisation de nombreux Etats. Par exemple, que peut signifier le nombre de 70 millions d’habitants en 2010 pour la République démocratique du Congo alors que le dernier recensement remonte à 1984 et que sévit dans ce pays une situation de guerre larvée depuis de nombreuses années ?

En 2009, la population africaine aurait passé le cap du milliard d’habitants selon l’ONU (contre seulement 225 millions d’hab. en 1950), soit un quadruplement en 60 ans !

L’Afrique affiche en effet les taux de croissance les plus élevés de la planète : de l’ordre de 3% par an, car, globalement, elle n’est pas encore entrée dans la deuxième phase de la transition démographique.

La mortalité a baissé tardivement (après la seconde guerre mondiale) mais fortement. Avec un taux de 16 pour mille en 2007, elle affiche le taux le plus élevé de la planète (moyenne mondiale : 9 pour mille) et ceci pour 3 raisons principales :

- la forte mortalité infantile (2 à 3 enfants sur 10 meurent avant l’âge de 5 ans)

- la mortalité directe ou indirecte due aux guerres

- le rôle du SIDA : 1, 4 millions de morts en Afrique subsaharienne en 2008

2 Erhlich Paul, La bombe P, Fayard 1972

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La fécondité, bien qu’en baisse, demeure très forte : encore près de 5 enfants par femme (moyenne mondiale : 2,5).

(Doc. 3 La fécondité dans le monde en 2005.)3

Même avec une baisse de la fécondité, la natalité demeure exceptionnellement élevée du fait de l’importance des populations en âge de se reproduire. Avec 6 millions de naissances par an, le Nigéria est au 3ème rang mondial en valeur absolue. Le Mali affiche encore un taux de natalité de 43 pour mille.

Cette situation d’ensemble masque cependant une hétérogénéité croissante entre les Etats :

- L’Afrique du Nord est en train de terminer sa transition démographique : en Tunisie, la fécondité est tombée à moins de 2 enfants par femme ; en Algérie, le décrochage a été brutal pour atteindre actuellement 2,4 enfants par femme. Fait nouveau, l’évolution de la fécondité est donc maintenant déconnectée de l’évolution du niveau de vie.

- L’Afrique australe se rapproche aussi de l’achèvement de la transition démographique (Fécondité : 2, 8)

- Avec ses niveaux de fécondité exceptionnellement élevés (Niger : 7,15, Ouganda 6, 38) l’Afrique subsaharienne fait donc un peu exception.

L’hétérogénéité villes/campagnes mérite aussi d’être soulignée. L’indice synthétique de fécondité (ISF) est en moyenne de 4 dans les villes contre 6 dans les campagnes. Dans les villes du Kenya, cet indice est passé en quelques années de 7 à 3,5. Mais la population urbaine reste moins importante en Afrique que dans les autres continents.

3 Carte extraite de Granier Gérard (sous la dir de), Enseigner le développement durable. Géographie 5e, CRDP Amiens, 2010

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b. Croissance démographique et développement durable

Cette croissance démographique forte est-elle un obstacle au développement ou au développement durable ? A cette question ancienne, les réponses des auteurs restent divergentes. Roland Pourtier (2009) parle de « bombe démographique ». Sylvie Brunel (2004) annonce pourtant « la fin de l’exception démographique africaine ».

- La croissance démographique peut-elle conduire au surpeuplement ?

La notion de « surpeuplement » est à utiliser avec la plus grande précaution même si le succès de l’indicateur « empreinte écologique » la réactive indirectement. Il en va d’ailleurs de même pour la notion de « capacité de charge des terres ».

La définition de l’INED montre bien ses limites : « Etat d’un territoire ou d’un espace où les ressources disponibles ne sont plus suffisantes pour subvenir aux besoins de la population qui y réside ». Cette définition semble ne pas tenir compte des échanges extérieurs d’un territoire ou bien elle conviendrait davantage pour caractériser une situation alimentaire conjoncturelle de disette ou de famine. En fait, on sait bien qu’il n’existe pas de lien déterministe entre densité de population et surpeuplement : les Pays-Bas ne sont pas surpeuplés ! Dans une économie ouverte, les échanges commerciaux peuvent compenser des insuffisances locales.

Cependant un « surpeuplement relatif » peut être admis dans le cas d’une croissance rapide dans un contexte d’agriculture extensive. Des tensions entre éleveurs et agriculteurs ayant des pratiques différentes sur une même espace, comme au Sahel, peuvent en résulter. On peut plus rarement déboucher sur une guerre civile : la faim de terres a été évoquée comme une des causes possibles du conflit rwandais de 1994.

- le poids considérable des jeunes

L’Afrique subsaharienne compte 41% de moins de 15 ans dans sa population (moyenne mondiale : 28 %). Il est évidemment difficile de scolariser la totalité d’une population aussi abondante et en croissance rapide. Mais surtout l’insertion sur le marché du travail est problématique. Le secteur informel prolifère (par exemple nombreux enfants ou jeunes cherchant à profiter des embouteillages des grandes villes pour vendre quelques produits aux automobilistes). La dilution des vieilles solidarités familiales explique les multiples formes de déviance (prostitution, drogue, violences). L’émigration à l’étranger apparaît alors souvent comme le seul espoir mais la « forteresse Europe » se protège relativement bien.

Face à cette situation le géographe Roland Pourtier (2009) porte un jugement sans nuance : « il n’ya pas d’autre choix que le préservatif aujourd’hui ou la kalachnikov demain».

c. Quels scénarios démographiques pour demain ?

Selon le « Population Reference Bureau », organisation indépendante basée à Washington, le continent africain pourrait compter deux milliards d’hab en 2050, soit un doublement en 40 ans. Il représenterait alors 20 % de la population mondiale, retrouvant approximativement la part relative qu’il occupait au milieu du XVIIeme siècle, avant les ravages de la traite et de l’esclavage.

Mais quel crédit peut-on accorder à cette projection ?

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- Il est certain que les populations subsahariennes semblent peut concernées par les politiques antinatalistes (rôle de l’Islam et des églises évangéliques). Mais après l’Afrique du Nord, l’Afrique australe (Zimbabwe, Afrique du Sud) est maintenant touchée par des politiques de contrôle des naissances. L’urbanisation s’accompagne aussi toujours d’une diminution de la fécondité. Si elle baissait pus vite que prévu, les 2 milliards d’habitants ne seraient pas atteints.

- Une grosse incertitude concerne les effets démographiques du SIDA. L’Afrique subsaharienne est le sous continent le plus touché (5,2 % de la population contre seulement 0,8 % au niveau mondial).

(doc 4 carte Taux de prévalence du VIH dans le monde) 4

Mais, tout récemment, grâce a la diffusion des trithérapies et à la politique de prévention, on observe une stabilisation du taux de prévalence. Les scénarios catastrophes prévoyant une diminution de la population de certains pays comme le Bostwana pourraient donc ne pas se réaliser.

2. Les campagnes d’Afrique noire face au développement durable

L’Afrique noire reste majoritairement rurale et agricole malgré une urbanisation galopante : ¾ des pauvres en Afrique occidentale et centrale vivent dans les campagnes, le secteur agricole représente entre 50 et 70 % de la population active (72% au Sénégal) et fournit une part importante du PIB (31% au Burkina Faso). Il n’y aura donc pas de développement durable sans une évolution forte des systèmes agricoles et des campagnes.

a- Des insuffisances notoires demeurent4 Carte extraite de Granier Gérard (sous la dir de), Enseigner le développement durable. Géographie 5e, CRDP Amiens, 2010

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Problème majeur, la croissance de la production agricole est demeurée inférieure à celle de la population (contrairement à ce qui s’est passé en Asie ou en Amérique latine). Il en résulte un accroissement de la dépendance alimentaire.

L’Afrique est ainsi le continent le plus frappé par la malnutrition. Sur le milliard d’humains concernés, selon la FAO, 236 millions sont en Afrique. Une personne sur trois est sous-nutrie et, plus grave, la disponibilité alimentaire par habitant n’a pas progressé depuis 50 ans (2100 cal/jour/hab. en 1961-63 et 2100 cal/jour/hab. en 2010).

(Doc 5 carte la sous-alimentation dans le monde)5

L’absence de progrès tient en partie à ce que les méthodes agricoles sont restées très extensives : très peu d’irrigation (5% des terres contre 37 % en Asie), très peu d’engrais (11 kg par ha contre 67 kg en Amérique latine et 129 kg en Asie), des rendements faibles (10 à 12 qx/ha).

Pour augmenter la production, on a privilégié deux autres choix : réduction des jachères, avec le risque de baisse des rendements et de dégradation des sols qui l’accompagne, mise en culture de nouvelles terres (le programme de 5e invite à étudier un «front pionnier » africain).

Cette stagnation agricole répond à des facteurs généraux multiples (insuffisance de la formation des agriculteurs, manque d’investissements, désintéressement des Etats, etc.). On pourrait aussi retenir deux données spécifiquement africaines : le statut foncier, défavorable à l’initiative individuelle, l’effet pervers de l’aide alimentaire en blé ou riz importés à faible prix, qui ne permet pas une juste rémunération des producteurs locaux.

5 Carte extraite de Granier Gérard (sous la dir de), Enseigner le développement durable. Géographie 5e, CRDP Amiens, 2010

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b- Mais des leviers de changement existent.

On peut citer notamment :

- les marchés urbains locaux, qui constituent un débouché considérable et en croissance rapide. Le dynamisme des agricultures péri-urbaines (voire intra-urbaines) est réel et n’empêche pas des spécialisations rémunératrices dans des régions plus éloignées des grandes villes (exemple de la culture des oignons en pays dogon au Mali). Cette explosion du « vivrier marchand » rend largement obsolète la vieille distinction cultures vivrières/cultures commerciales.

- les marchés mondiaux peuvent offrir aussi de réelles opportunités de développement. Certes le débat idéologique sur le caractère « durable » d’une mondialisation des échanges agricoles est posé. Mais pourquoi l’Afrique devrait-elle rester à l’écart d’un mouvement qui a largement profité à d’autres pays du Sud (Brésil, Asie du sud-est par exemple) ? Certains marchés traditionnels (café, cacao, huile de palme) sont menacés par la concurrence d’autres pays du Sud. Mais l’Afrique peut connaître aussi des succès spectaculaires sur des marchés de « niche » comme celui des roses au Kenya. La culture des roses est devenue la première source de devises du pays et offre 80 000 emplois directs et 500 000 emplois indirects. Les exportations sont massives vers les Pays-Bas, plaque tournante du marché mondial. Les effets pervers en terme de développement durable ne sont cependant pas négligeables : problème de l’utilisation massive de pesticides, surconsommation d’eau pour l’irrigation des plants, etc. (cf. Le Monde du 14-15 février 2010, Le parfum sulfureux des roses kenyanes).

L’Afrique offre donc des potentialités réelles si on combine :

- l’importance des surfaces cultivables non encore exploitées. Selon Sylvie Brunel, l’Afrique compterait 220 millions d’ha cultivés pour 1000 millions d’ha cultivables. On comprend que l’Afrique soit actuellement le continent de prédilection pour l’acquisition de terres par des intérêts étrangers. Le Soudan a fait paraître en août 2008, dans le Financial Times, l’annonce suivante : « Etat cède 880 000 ha de terres arables pour 670 millions d’euros ».

- les fortes réserves d’intensification. Les plantes africaines n’ont pas fait l’objet des mêmes efforts de recherches que le blé ou le riz. Leurs rendements pourraient donc fortement progresser.

Selon Sylvie Brunel, l’Afrique est « un continent qui, demain, pourrait tout à fait devenir un des greniers du monde » mais il faut pouvoir garantir à l’agriculteur des prix suffisamment rémunérateurs et stables.

c. L’exemple du terroir de Guelack au Sénégal

Pour terminer cette intervention sur une note positive et moins misérabiliste que nombre de reportages médiatiques sur l’Afrique, j’évoquerai en quelques mots un exemple de développement local au Sénégal (non loin de Saint-Louis). Dans des conditions climatiques difficiles (précipitations moyennes annuelles de l’ordre de 300 mm seulement), sous l’impulsion de deux leaders locaux et avec l’appui technique et financier de la coopération décentralisée (ONG, collectivités locales), cette communauté peule, donc au départ composée d’éleveurs, a réalisé des progrès substantiels au plan du développement humain

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(amélioration de la santé publique, généralisation de l’enseignement primaire, amélioration de l’habitat) en diversifiant ses activités économiques (introduction d’un élevage bovin et d’un élevage caprin sédentaire plus intensif que l’élevage semi-nomade traditionnel, développement de cultures irriguées, artisanat, tourisme solidaire).

(Doc. 6 Cases pour hôtes de passage dans le village de Guelack. Photo G. Granier).

Pour garantir la durabilité de son développement, la population locale a aussi compris qu’elle devait prendre soin de son environnement naturel malgré une réelle pression démographique. D’où la mise en œuvre d’une politique de reboisement, des méthodes agricoles limitant l’usage des pesticides et même des efforts d’enfouissement des déchets plastiques, qui sont devenus une des plaies de l’Afrique.

(Pour plus de précisions, voir le manuel de géographie seconde Magnard, édition 2010, p 44-45)

Conclusion

Souvent moins citée que d’autres continents, l’Afrique n’en reste pas moins un enjeu majeur de développement durable car elle doit faire face à des problématiques très contradictoires. Les environnementalistes y voient d’abord un des derniers terrains de conservation d’une nature sauvage et s’attachent à préserver les écosystèmes, la biodiversité au risque d’une « patrimonialisation » abusive (voir les travaux d Marie-Christine Cormier-Salem de l’IRD). A l’inverse les géographes urbanistes soulignent les énormes difficultés pour aller vers une ville africaine plus durable face aux dégâts d’une urbanisation galopante et incontrôlée (voir les travaux d’Elisabeth Dorier-Aprill). Au cœur de l’avenir africain demeure d’abord le défi d’une croissance démographique qui reste à maîtriser.

Quelques ressources documentaires sur l’Afrique subsaharienne

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Les travaux de Sylvie Brunel, en particulier

- L’Afrique, un continent en réserve de développement, Bréal, 2004- L’Afrique dans la mondialisation, Documentation photographique n°8048, 2005- Le développement durable, Que sais-je n°3719, PUF, 3ème éd., 2009- A qui profite le développement durable ?, Larousse, 2008- Nourrir le monde, vaincre la faim, Larousse, 2009

Pourtier Roland (sous la direction de), Géopolitique de l’Afrique et du Moyen-Orient, Nathan, 2ème éd. 2009. Ouvrage destiné à la préparation des concours d’entrée dans les écoles de commerce

Dubresson Alain, Raison Jean-Pierre, L’Afrique subsaharienne, une géographie du changement, Coll. U, A. Colin, 2ème éd., 2003

Courade Georges, L’Afrique des idées reçues, Belin, 2006

http://pedagogie.ac-amiens.fr/histoire_geo_ic/?-L-Afrique-et-le-developpement-

Compte-rendu d’un stage de formation continue en 2007 sur « Afrique et développement durable »

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Les indépendances africaines

Catherine Coquery-VidrovitchLe 13 octobre 2010Professeure émérite Université PARIS-Diderot (PARIS VII)

Remarque préalable : il est désormais devenu important chez les chercheurs de dénommer l’Afrique, naguère dite noire, « Afrique subsaharienne ». C’est donc une habitude à prendre dès l’école. La dénomination « Afrique noire » est longtemps restée un héritage colonial inconscient. On ne définit pas tous les habitants d’un subcontinent par un aspect physique, fut-ce la couleur de peau, ce qui est d’ailleurs assez loin d’être vrai pour tous (cela reviendrait à traiter tous les Scandinaves de « Bleus » sous prétexte qu’ils ont en général les yeux de cette couleur). Être « noir » (ou « beur ») ne se remarque que si la majorité des autres sont différents. Les Africains en Afrique ne se sentent donc pas plus « noirs » que les Européens ne se pensent d’abord « blancs » en Europe. Un exemple fera comprendre ce fait qui a son importance : pour un Français qui va pour la première fois en Afrique subsaharienne, tous les Africains se ressemblent à première vue car la couleur saute aux yeux et efface le reste. Mais pour un Africain qui arrive en France, il advient exactement la même chose dans le sens inverse. La « condition noire » », selon le titre de l’ouvrage de Pap Ndiaye (2009), peut donc poser question en France, mais assurément pas en Afrique. Cette simple remarque peut permettre de relativiser le regard « eurocentré » posé sur le continent africain. Dans le même ordre d’idée, il faut éviter l’expression pourtant si répandue d’ « Afrique précoloniale ». Elle préjuge et projette dans le passé un état et des processus qui sont advenus très tard dans l’histoire du continent, et dont alors les Africains n’avaient évidemment pas la moindre idée. Il faut au contraire retenir l’idée que la quasi totalité des peuples africains ont ignorés très tard la colonisation issue d’autres continents (sauf l’Égypte conquise par les Grecs et colonisée par les Romains, et au XIXe siècle la côte orientale d’Afrique colonisée par le sultanat d’Oman puis de Zanzibar). Certains peuples africains, en revanche, ont été colonisés par d’autres (là encore, comme sur les autres continents). Mais ils sont restés indépendants des Européens, dans leur quasi totalité, jusqu’à la fin du XIXe siècle, y compris pendant la période de la traite atlantique sauf exception (par exemple le port de Luanda occupé continument par les Portugais depuis le XVIe siècle). On préférera donc, faute de mieux, l’expression plus exacte : « avant la colonisation européenne ». L’indépendance à partir de 1960 (1956 au Soudan, 1957 au Ghana) n’est pas une découverte (pour un certain nombre au moins de vieux Africains qui étaient nés avant la colonisation), même si évidemment le processus tel qu’il advient alors n’a plus grand chose à voir avec les indépendances de jadis.

1. L’Afrique est un immense continent, trois fois grand comme les États-Unis, et composé de 45 États continentaux, sans compter les îles environnantes. Donc l’Afrique n’est pas une

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entité, encore moins un pays ou un État. « Les Africains », cela n’a pas plus de sens que « les Européens » ou « les Asiatiques ». Des comparaisons non précisées ne tiennent pas, par ex. entre l’Afrique (un continent) et la Chine (un État).Pour renforcer ceci sur le plan climatique : tous les climats, donc tous les modes de vie (ruraux) existent en Afrique, du désert et du sahel (pastoral) à la forêt dense équatoriale, en passant par la savane où dominaient les agriculteurs.L’Afrique a l’histoire la plus vieille du monde et les Européens ne l’ont pas « découverte » : ils ont découvert et construit l’idée de « leur » Afrique, dont l’histoire comme partie prenante du monde méditerranéo-asiatique musulman et du monde de l’Océan Indien (dont l’essor intervint entre le Ve et le XVe siècle) leur est demeurée tardivement inconnue. Or elle fut très importante. Les Européens n’ont commencé à pénétrer le continent qu’en 1795 (Mungo Park sur le fleuve Niger). Mais les Arabes du Maghreb sont arrivés sur le fleuve dès le IXe siècle. L’histoire africaine avant la colonisation a été très variée, et est maintenant relativement bien connue par les travaux des historiens qui se sont multipliés depuis l’indépendance, justement.Il y a eu néanmoins une relative unité récente, due à deux phénomènes dramatiques successifs :- les traites des esclaves, qui ont commencé bien avant la traite atlantique, mais qui se sont généralisées à partir du XVIe siècle et jusqu’au XIXe siècle dans toutes les directions (Méditerranée, Océan Indien et Océan Atlantique) - La colonisation européenne, qui a concerné le continent tout entier, c’est chose faite en 1900 sauf l’Éthiopie (et encore, elle sera colonisée quelques années par l’Italie de Mussolini) et le tout petit Libéria (république suscitée au milieu du XIXe siècle par les sudistes américains qui voulaient « renvoyer en Afrique » les esclaves affranchis qui les inquiétaient). La colonisation, sauf en Algérie et en Afrique du Sud, a duré moins d’un siècle, et parfois beaucoup moins, n’ayant souvent débutée institutionnellement qu’entre les années 1890 et 1919 (cas de la Haute-Volta ou du Tchad, tout au plus territoires militaires à partir de 1900).

2. Ethnies (mot à bannir) et tribalismeLes ¾ des langues africaines appartiennent à la famille des langues bantu. Bantu n’est pas un terme ethnique, mais linguistique (c’est un peu l’équivalent des langues indo-européennes, en fait l’équivalent le plus proche c’est la grande famille des langues indo-européennes. En fait il s’agit exactement du groupe des langues Congo-Kordofaniennes dont un sous-groupe (dont le nom est utilisé pour simplifier) est la famille bantu. Mais il y a plusieurs centaines de langues bantu dont les locuteurs (on devrait dire bantouphones et non Bantous, encore qu’on ne dit pas « indoeuropéophone », et que la langue originelle, qui remonte à des millénaires, dans les deux cas demeure inconnue) sont très loin de se comprendre entre eux (un peu comme l’anglais et le français, tous deux pourtant dits de la famille indo-européenne). Le groupe dominant en Afrique du Nord est celui des langues dites afro-asiatiques dont font partie le berbère (parlé en Afrique du Nord depuis plusieurs millénaires) et l’arabe (qui ne s’y est répandu qu’au VIIIè siècle de notre ère). A noter que l’utilisation courante du terme « Arabe » pour désigner un peuple est une hérésie scientifique (sauf s’il s’agit dans les temps anciens des habitants de l’Arabie, ou aujourd’hui des nationaux de l’Arabie saoudite) : on devrait parler d’arabophones, en particulier pour l’Afrique du nord où la grande majorité des peuples étaient berbérophones, beaucoup le sont restés, et les « Arabes » musulmans tous supposés arrivés d’Arabie sont en fait, en majorité, des descendants autochtones d’ascendance berbérophone convertis à l’islam.

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Le mot ethnie est désormais à bannir chez les historiens et les géographes car il est trop chargé. C’est un faux concept comparable à celui d’ « identité nationale », aussi mouvant, fluctuant et insaisissable : avant la colonisation (attention, à nouveau, de ne pas utiliser la formule : « à l’époque précoloniale », car sans le vouloir on induit le futur, les Africains de l’époque ignorant qu’ils allaient être colonisés !), comme partout, il a existé en Afrique de nombreuses formations politiques, de la plus petite (chefferie) à la plus grande (Empires, cf. programme de 5ème). Ces sociétés politiques ont eu une histoire commune parfois sur plusieurs siècles, un système hiérarchisé, un mode de production et de vie, et le plus souvent une langue commune (ex. : le fon dans le royaune négrier d’Abome, l’ewe sur la côte togolaise actuelle, le yoruba ou l’igbo au Nigeria (d’aujourd’hui), etc. C’était des États, et même souvent des États-nations, même si leurs bases et leurs règles étaient différentes de celles des États européens en formation depuis le XVIe siècle. Les Européens les appelèrent des « tribus » ou même des « races » (mention présente sur les formulaires d’identité en AOF jusqu’en 1960). Pour faire moins « colonial », les ethnologues, s’inspirant des premiers chercheurs allemands, les appelèrent des « ethnies » ou des « groupes ethniques ». Il en est issu des confusions entre « peuple », « État », et « ethnie ». A l’époque coloniale, le souci des administrateurs fut de fixer des populations jusqu’alors très mobiles : on dessina sur les cartes des frontières-lignes, à l’intérieur desquelles on traça des subdivisions (les « cercles »). À l’intérieur de chacun, on obligea les gens à résider, et on les « catégorisa » en tribus à nouveau dites ethnies par les chercheurs, comme si c’était les mêmes qu’avant (ainsi le terme Yoruba - qui désignait juste auparavant les habitants de la ville d’Oyo - fut imposé par les Britanniques pour regrouper dans la même « ethnie » tous les gens de langue et de culture proche mais dont l’organisation politique était auparavant très diverse). De leur côté, les groupes africains soumis réagirent contre le pouvoir blanc : ils se retournèrent vers un passé plus rêvé que réel que, comme tous les peuples, ils reconstruisirent plus beau et plus uni. Ces mythes d’origine furent renforcés par une réaction traditionniste, qui avait d’ailleurs déjà commencé à prendre forme avant la colonisation européenne, puisque le XIXe siècle fut caractérisé par de grands empires de conquête intérieurs. Ethnographes et ethnologues coloniaux se sont engouffrés dans cette faille et ont largement contribué à renforcer cette reconstruction identitaire. Ce double courant rigidifia ou même parfois créa des « ethnies » dont désormais on cartographiait le territoire.À l’indépendance, les élections furent introduites : les députés devaient se faire élire dans leur région d’origine. D’où l’argument : « je suis de votre région, je suis de la même ethnie que vous » : il s’agit cette fois de manipulations ethniques à des fins politiques modernes : c’est le tribalisme. Ce phénomène, si caractéristique du génocide rwandais (1994), fut peu ou prou exploité partout. Il est donc faux de parler de guerres « ethniques ». Ce sont des guerres modernes de lutte pour le pouvoir, à revendications identitaires recréées et manipulées. Cela ne signifie pas que les « ethnies » n’existent pas. Elles existent de façon différente et assurément souvent bien plus rigides qu’autrefois. Ce sont des créations modernes greffées sur des héritages historiques et culturels anciens mais souvent très différents. Donc ethnie est un mot et un concept piège à éviter au maximum quand on est historien. C’est essentiel pour comprendre l’histoire récente du Rwanda ou de la Côte d’Ivoire (par exemple) : ce sont des problèmes politiques et non des problèmes ethniques, même s’ils en empruntent le discours et la forme.Tout ceci relève d’un regard eurocentré, qui ne cherche à comprendre les questions africaines que du point de vue de l’observateur européen. D’où l’intérêt des idées

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postcoloniales, qui essaient de se défaire de ce prisme déformant (voir là-dessus, par exemple, le chapitre 3 de mon ouvrage sur les Enjeux politiques).Ainsi colonisation et décolonisation sont inséparables : on ne peut comprendre l’un sans l’autre pour plusieurs raisons

3. Les Etats africains contemporains ne sont pas nés en 1960 (États francophones, Congo belge, Nigeria), mais pour la plupart (il en existait déjà auparavant comme l’Union sud-africaine devenue indépendante dès 1910) entre 1885 (Conférence internationale européenne de Berlin) et 1900. C’est alors qu’ont été reconnues les frontières-lignes des territoires coloniaux dessinées dans les chancelleries européennes, qui ont été confirmées comme intangibles dans la charte de l’OUA (Organisation de l’Union africaine, 1963), qui a estimé à l’époque qu’elle avait d’autres problèmes bien plus aigus à résoudre dans l’immédiat, à commencer par l’indépendance de toutes les colonies qui ne l’avaient pas encore. On constate effectivement que toutes les tentatives de sécession (Biafra au Nigeria, Katanga/Shaba au Zaïre) ont échoué, sauf pour l’Érythrée. C’est que le nationalisme érythréen a été construit par l’histoire. L’Érythrée était une province ancienne de l’empire éthiopien, déjà différenciée par son accès sur la Mer Rouge, liée à l’histoire des provinces du nord de l’Abyssinie plus qu’à celle du Choa central qui allait devenir le centre de l’empire au XIXè siècle seulement. La sécession a été préparée de longue date. C’est l’Empereur Ménélik, qui sut par ailleurs préserver son indépendance par la célèbre bataille d’Adoua remportée en 1896 contre les Italiens, qui avait vendu la province aux mêmes Italiens six ans auparavant, en 1890. À partir de 1941, à l’occasion de la seconde guerre mondiale, l’Érythrée fut occupée par les Anglais qui en ont fait une tête de pont essentielle sur la mer Rouge; ils y ont encouragé l’industrialisation et la modernisation de l’économie. Protectorat britannique à partir de 1944, l’Érythrée a vu, en particulier, se développer une classe ouvrière et une vie syndicale actives. Le retour à l’Éthiopie, en 1960, près d’un siècle plus tard, a été vécu comme une régression étatique et une retombée dans une économie de style médiéval. La réaction nationale s’explique donc aisément.Ailleurs, l’État-nation, malgré les pires difficultés, ne paraît pas en danger, même au Congo Kinshasa (RDC) ou en Côte d’Ivoire. Sous la colonisation, au moins trois générations ont vécu dans les mêmes limites, avec les mêmes lois, le même régime politique (aussi autocratique fût-il), la même langue de colonisation. Le cas est clair pour l’Afrique du Sud, où pourtant les oppositions raciales connurent un paroxysme inégalé ailleurs. Or l’unité de la nation, en dépit de pulsions de sécession très minoritaires aussi bien chez les noirs (Zulu de l’Intakha) que chez les blancs (ultra-nationalistes), en construction depuis plus d’un siècle, n’a jamais été mise en question, ni d’un côté ni de l’autre : c’est que celle-ci s’est construite non pas sur une “identité ethnique” - la complexité du peuplement est au contraire très grande dans le pays, résultant dans le cas des blancs comme des noirs, tout au long du XIXè siècle, de migrations et de brassage de populations considérables - mais sur un projet intégré reposant sur un système cohérent d’économie libérale, installé depuis longtemps sous la forme minière et industriel. Ce projet, l’évolution politique actuelle entend le poursuivre, mais en le sous-tendant désormais d’une volonté politique égalitaire entre Sud-Africains noirs et blancs. C’est donc lorsque le projet économique aboutit à une impasse - ce qui est un cas fréquent aujourd’hui en Afrique -, que les peuples se réfugient dans la construction identitaire et les haines ethniques. La confrontation s’impose avec l’Europe centrale des deux derniers siècles, montrant que l’histoire des nationalités (dites "ethnies") africaines n’est que le résultat de l’échec répété d’expériences nationales.

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4. Les mouvements de décolonisation qui ont abouti à l’indépendance ont commencé avec la colonisation, et même avant (les premiers nationalistes « ghanéens » apparaissent dans la seconde moitié du XIXe siècle). Les résistances paysannes, locales, régionales ou territoriales, ont été incessantes un peu partout. Malgré la police, le mouvement anticolonialiste africain a pu se développer en métropole entre les deux guerres (la censure était trop répressive sur place). Il y a des cas étonnants : l’insurrection camerounaise des années 1950 (sous la direction du syndicaliste Ruben Um Nyobe) exigea d’abord la réunification des deux Camerouns, or cela se réfère à la guerre de 1914-18, quand la colonie allemande créée à la fin du XIXè siècle avait été partagée entre les colonisateurs français et britannique. Même constat pour la Haute-Volta (Burkina-Faso aujourd’hui) : créée en 1919 seulement, et supprimée en 1933 pour être partagée entre Niger, Soudan (Mali) et Côte d’Ivoire, elle est reconstituée en 1947 à la demande expresse des hommes politique voltaïques !

Les tournants essentiels furent la Première Guerre mondiale qui ouvrit au monde les soldats recrutés d’Afrique (près de 200 000 en AOF et autant au Maghreb), et la Seconde Guerre mondiale (charte de l’Atlantique, 1941, et Charte des Nations unies, 1945, affirmant solennellement le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »).Le sort en était jeté dès 1947, avec l’indépendance de l’Inde (et du Pakistan) par les Britanniques, et celle de l’Indonésie par les Hollandais (1945-49). L’aveuglement du gouvernement français, qui n’en entreprend pas moins deux guerre coloniales (Indochine et Algérie) étonne a posteriori. Il s’explique par une idéologie impériale développée plus tardivement qu’ailleurs : aussi bien le gouvernement de Vichy que celui de la France libre, pour des raisons évidemment opposées, ont glorifié l’empire, Pétain parce qu’il pouvait faire mine de préserver par l’empire la souveraineté française, et De Gaulle parce qu’il lui fallait affirmer sa légitimité de chef d’État sur le sol français (Conférence de Brazzaville, janvier –février 1944). L’idéologie politique de beaucoup de dirigeants africains francophones fut gagnée par le même courant : ce que demandaient les « élites » de l‘époque, ce n’était pas l’indépendance, mais les mêmes droits que les citoyens français de façon à administrer leurs territoires eux-mêmes. Le mythe de l’ « assimilation » avait disparu depuis longtemps (remplacé du côté français par le terme plus prudent d’ « association ») ; mais il avait connu un début de réalisation en Afrique même, dans ce qu’on appelait les « quatre communes du Sénégal » (Saint-Louis, Gorée, Rufisque et Dakar), dont les « Originaires » reçurent la nationalité française dès 19166. Cette revendication de la nationalité française pour obtenir l’égalité pesa longtemps sur la politique interne.La colonisation presque intégrale du continent avait, pour une période relativement brève, retiré l’Afrique du champ des concurrences mondiales. « Mise en réserve » et utilisée comme telle par les différentes métropoles, surtout pendant la grande dépression des années 1930, l’Afrique paraît alors disparaître du jeu global. Mais la parenthèse fut brève. De la Deuxième Guerre mondiale à la fin de la guerre froide, l’Afrique a retrouvé toute sa place dans le système mondial. Redevenue un enjeu international majeur, elle a joué son jeu dans la politique de non-alignement des pays émergents du tiers-monde car elle devenait aussi

6 Blaise Diagne, député élu à l’Assemblée nationale française (selon un héritage de la révolution française dont relevait les quelques colonies rescapées du premier empire colonial, celui d’avant les guerres napoléoniennes, qui avaient le droit d’élire un représentant national), négocia cet acquis contre la promesse de lever chez les « sujets » d’AOF les troupes nécessaires pour la guerre des tranchées. La citoyenneté des Quatre communes acceptait le droit civil musulman (c’est à dire la polygamie). C’est là l’origine, on l’ignore souvent, de la tolérance longtemps accordée en France métropolitaine aux ménages polygames, y compris lors des migrations du travail d’après la seconde guerre mondiale.

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consciente de ses atouts, par la conférence afro-asiatique de Bandung et la conférence de non-alignement (Tito, Nasser et Nehru, 1955 et 1956).Ce rôle fut renforcé par les indépendances des années 1960 puisque, désormais, les quelque 45 États africains, bientôt 55 en comptant les îles, font entendre leur voix aux Nations unies. L’OUA joue alors un rôle important. La cartographie est explicite : l’Afrique se situe au centre des rivalités, elle devient une zone-tampon essentielle, courtisée à la fois par l’Est et par l’Ouest, entre les États-Unis et l’Europe occidentale d’une part et l’URSS et la Chine d’autre part, déchirée elle-même entre les modérés et les radicaux (dits groupe de Monrovia et groupe de Casablanca).

5. L’indépendance n’a pas été « octroyée » par la FranceC’est une idée fausse. La décolonisation a correspondu à la conjonction d’une série de facteurs complexe où la France était plutôt en retard sur les autres métropoles. D’une part, Jacques Marseille a bien montré (Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, 1984) qu’il y a eu « divorce » en métropole entre l’idéologie impériale (particulièrement tenace en Algérie) et les intérêts économiques qui n’avaient plus besoin de la colonisation dès lors qu’elle entraînait plus de dépense que de profit (notamment par la promulgation en 1952 du Code du Travail Outre mer démarqué du Code français du Travail) ; d’autre part les réformes proposées par la Conférence de Brazzaville ont accéléré le processus. Ainsi la décentralisation administrative qui provoqua la création d’assemblées territoriales élues qui ont ouvert la voie à la vie politique ; elle prévoyait dans les fédérations d’AOF (Afrique occidentale française) et d’AEF (Afrique équatoriale française) une déconcentration des pouvoirs, avec un début de participation des Africains aux affaires sous la forme d’un collège électoral censitaire, réservé aux “élites” modernisées en même temps qu’aux chefs traditionnels. Les élus siégeaient aux côtés du collège métropolitain à suffrage universel. Chaque territoire fut doté d’un Conseil général, devenu Assemblée territoriale en 1948, votant le budget et les impôts ; le Gouverneur général de la Fédération fut assisté d’un Grand conseil. Malgré la mauvaise volonté des administrations locales, les syndicats ont forgé leurs militants, les personnalités politiques africaines se sont démultipliées, les élections ont joué leur rôle, et la revendication nationale s’est enracinée dans ce qui étaient encore des "territoires" : en AOF avec la création du parti RDA ou Rassemblement démocratique africain affilié un temps au parti communiste français (1947), au Gabon et au Congo, au Ghana (indépendant en 1957), au Nigéria, au Kénya, au Tanganyika… Les futurs chefs d’État, Sekou Touré, Houphouët-Boigny, Mamadou Dia et Léopold Sédar Senghor, et même Léon Mba au Gabon ou Fulbert Youlou au Congo, Nkrumah, Kenyatta ou Nyerere ont été des hommes politiques au sens plein du terme. De nombreuses élections ont scandé ces années d’apprentissage, et la liberté s’apprend vite… ce qui explique comment la Guinée de Sekou Touré refusa en 1958 la Communauté, malgré une propagande française effrénée. Il y eut, à ce moment-là, adéquation entre la constitution de l’État, la formation de la nation (« moderne »), et la volonté (voire le rêve) d’autonomie économique. L’enthousiasme des fêtes de l’indépendance montre à quel point les peuples en attendaient la délivrance (voir sur internet la vidéo 7 sur l’indépendance du Ghana de la série tournée par le grand historien Basil Davidson dans les années 1985). À quel point aussi les visionnaire de l’indépendance étaient encore inaudibles des pouvoirs coloniaux (écouter en CD ou lire sur internet le superbe discours de Patrice Lumumba lors des fêtes de l’indépendance du Congo Belge, le 30 juin 1960, devant le roi des Belges Baudoin, qui détermina son assassinat quelques mois plus tard).

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6. Une proposition de périodisationOn peut décomposer les 50 ans d’indépendance en trois phases principales 1. La période « néocoloniale »Les États africains sont jeunes (mais après tout pas plus que nombre d’États d’Europe centrale nés seulement de la Première, voire de la Deuxième Guerre mondiale, à l’évolution assez comparable). Car la démocratie ne tombe pas du ciel, elle s’apprend et se construit : la France a eu besoin d’un siècle de guerres et de révolutions (1789-1870). Le projet démocratique africain s’avéra irréalisable dans un terme aussi court. L’école coloniale restait rare et la grande majorité des gens analphabètes. La classe politique, avertie mais limitée, était déphasée par rapport aux peuples qui attendaient la délivrance dans l’immédiat. Or les États furent dans l’incapacité de rompre avec l’extraversion économique, fondement du projet colonial. Cette contradiction a rejeté les peuples vers un imaginaire identitaire de compensation, capable du pire (génocide du Rwanda).

Le régime présidentiel fit des ravages. Les peuples se jetèrent, au nom de l’État-nation à construire, entre les mains de dictateurs qui incarnèrent le contraire de l’idée démocratique qu’ils étaient supposés importer d’Occident. Devenus chef de l’État, ces anciens parlementaires n’eurent qu’une idée en tête : accélérer le processus de façon artificielle. D’où le parti unique, le syndicat unique (Senghor, l’un des premiers à le faire, n’y mit fin qu’en 1976 au Sénégal) : c’était à l’État de construire la nation. C’était nier la seconde au profit du premier. Les anciens militants virèrent au despote implacable : Sekou Touré en Guinée, Léon Mba au Gabon, Fulbert Youlou au Congo et bien d’autres. Les putschs (le premier fut en 1963 celui d’Eyadema au Togo) accélérèrent le passage à la dictature, le divorce devint évident entre l’État et la nation. Autrement dit, la première période de l’indépendance, dénommée néocolonialisme par Nkrumah, fut une phase de régression qui a permis toutes les dérives totalitaires, civiles et militaires, libérales comme « marxistes-léninistes », le tout soutenu par les accords militaires plus ou moins secrets avec les anciennes métropoles.

2) Les années 1968-80 (le Président Senghor au Sénégal exerça une répression violente contre les étudiants de l’université de Dakar en 1968) virent se préciser les exigences des jeunes Africains toujours plus nombreux, réclamant (de la France) la révision d’accords de coopération léonins et l’africanisation des cadres rendue possible par l’essor énorme de l’éducation et l’explosion urbaine. Or, jusqu’alors les institutions n’avaient le plus souvent subies qu’un habillage masquant leur continuité effective : Ainsi le Fonds d’Aide et de Coopération (FAC) géré par la Caisse Centrale de coopération économique (CCCE) et suivi de près par le ministère français de la Coopération (où l’on continua longtemps de parler des « pays du champs » ou encore du « pré carré » français) avait pris la suite quasi directe du Fonds d’Investissement et de Développement économique et social (FIDES) créé en 1946, financé par la Caisse de Coopération de la France d’Outre-Mer (CCFOM) et contrôlé par le Ministère des Colonies.

La longue récession inaugurée par les chocs pétroliers (1973 et 1978) a rendu la progression difficile et heurtée. Il n’empêche : sans que ce soit encore visible, le travail souterrain progressait dans la société civile, malgré la répression sévère de régimes dictatoriaux implacables et durables (Mobutu au Zaïre, Eyadema au Togo, etc.).

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3) Le tournant décisif intervient avec la chute du mur de Berlin (novembre 1989), qui libéra au moins en partie les forces sociale et politiques internes jusqu’alors violemment réprimées (explosion des « conférences nationales », la première se tint au Bénin dès février 1990). Depuis lors, les transformations internes n’ont plus cessé, et la genèse d’une société civile et politique est en marche dans un continent où désormais, en moyenne, la population urbaine dépasse (parfois de beaucoup, comme au Congo-Brazzaville, au Gabon ou en Afrique du Sud) la population rurale. Mais les « remèdes » économiques imposés par le FMI et la Banque mondiale dans les années 1990, dits PAS (politique d’ajustement structurel), ont eu des conséquences sociales tragiques : écoles, universités, hôpitaux sont dans une situation désastreuse, et la démocratisation, qui a fait dans certains pays (Mali, Bénin, Botswana …) des progrès évidents, demeure fragile (Sénégal, Niger) ou encore en échec (Cameroun, Togo, Kenya …). Dans le pire des cas (Congos), l’imbrication étroite des intérêts des dictateurs et de leurs féaux toujours en place (mais malgré tout de plus en plus surveillés par la société) avec ceux des stratégies internationales et des multinationales pétrolières et minières paraît rendre la situation inextricable. Il n’empêche : l’opposition s’organise, la presse devient de plus en plus libre, une bourgeoisie d’affaires nationale se développe, internet et le téléphone portable révolutionnent l’ensemble de la société, campagnes incluses, et de plus en plus de filles vont à l’école, la parité est même parfois atteinte sauf en pays d’islam.

7. Les femmes, avenir de l’Afrique ?

Depuis la fin des années 1990, la vision de la condition féminine deviendrait plutôt « afro-optimiste ». Les observateurs, tout en soulignant les handicaps des femmes dans une société globalement machiste, mettent aussi en lumière leur capacité d’invention et d’innovation. La très grande majorité des femmes, encore souvent analphabètes à l’âge adulte, est attachée à la subsistance, aujourd’hui urbaine. Le travail informel des femmes est étudié sous la forme privilégiée des « marketwomen » qui ont pris une importance déterminante surtout depuis l’indépendance, car elles assurent la survie de l’ensemble de villes désormais millionnaires en veillant à l’approvisionnement des marchés, souvent en liaison et en collaboration avec celles de la campagne. Les femmes sont d’aillerus désormais plus nombreuses que les hommes dans la plupart des grandes villes africaines dont on ne comprendrai pas comment les gens y survivent sans leur rôle essentiel dans les activités « informelles » (non ou peu comptabilisées) consacrées à la subsistance.

Mais il existe aussi aujourd’hui des femmes diplômées (y compris par les grandes universités américaines) et responsables d’entreprises dans le secteur moderne. Ainsi, à Bamako (Mali), Mme Aminata Traoré, sociologue de formation et ancienne ministre de la Culture, a fondé une entreprise de luxe destinée à mettre en valeur le très bel artisanat de son pays (tissage, poteries, vannerie, etc.). Elle a, dans le même esprit, monté deux restaurants de couleur locale, d’un goût exceptionnel. C’est une vraie chef d’entreprise, au sens moderne du terme, qui fait vivre au moins une vingtaine de salariés. Ces exemples se multiplient. La distorsion entre la réalité et la recherche se traduit par un fait simple : on ne sait encore presque rien de l’Association panafricaine des femmes d’affaires qui, signe des temps, a tenu son premier congrès en 1999 à Accra - ville où effectivement les commerçantes sont reines depuis

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longtemps, le deuxième à Addis Abéba et le troisième … à Orlando en Floride (USA). Ces femmes, que leur formation et leur milieu inscrivent au sein des ressources vives internes du pays, savent désormais à merveille utiliser les ressorts du capitalisme contemporain, - réseau internet inclus évidemment -, pour en assurer la rentabilité. Le phénomène est en plein essor. Signalons que c’est en Afrique qu’a été élue la première chef d’État (et pas seulement de gouvernement) : au Liberia. Il existe aussi un congrès annuel panafricain des femmes.

8. Villes, gouvernance et démocratie

Le travail dit « informel » de la masse de citadins (de l’ordre de 70% des activités aujourd’hui) est apparu dès le début de la colonisation : car tous ces employés par les blancs (cheminots, facteurs, porteurs, maçons, artisans, « boys »), il fallait bien que quelqu’un s’en occupât chez eux. D’où, dès le début, une migration féminine urbaine encore plus mal contrôlée. Dans les villes hypertrophiées qui n’ont cessé d’augmenter depuis les années 50, les gens se sont urbanisés tout seuls en inventant de nouvelles formes de citadinité, dont les processus et les mécanismes sont largement méconnus des services officiels. C’est pourquoi il demeure si difficile aujourd’hui d’adapter des solutions d’urbanisme classiques à un phénomène hérité d’un long passé de malentendus et d’incompréhension réciproques, entre la vie quotidienne et concrète d’une immense majorité de citadins, ceux des classes défavorisées, et la gouvernance urbaine d’aujourd’hui. Celle-ci cherche à remédier à l'absence ou aux difficultés de la démocratisation politique. Le problème, c’est que la démocratie exige, pour bien fonctionner, une bonne gouvernance (c’est à dire une gestion administrative saine et exigeante), mais que toute « gouvernance » sans démocratie est un leurre.

Les études récentes sur la ville africaine, plutôt que d’insister sur la nécessaire « adaptation » des Africains à la ville (occidentale) — ce qui fut le thème dominant de l’anthropologie africaniste des années 1960-1980 où l’Africain était sensé être un rural par essence (ce qui a donné lieu à des clichés comme celui exprimé dans le fameux discours du président Sarkozy à Dakar en juillet 2007) —, mettent l’accent sur la créativité africaine urbaine ; les villes ne sont pas pour les Africains des lieux d’adaptation, ce sont (comme ce le fut toujours et partout) des lieux de syncrétisme et d’échange. Ce ne sont pas les Africains qui doivent « s’adapter » à un modèle urbain qui leur est étranger (il ne leur est plus du tout étranger, et bon nombre d’enfants des villes ne sont jamais allés à la campagne, faute de moyens), ce sont les Occidentaux (experts de l’urbanisme inclus) qui doivent accepter de recourir à de nouveaux instruments d’analyse pour comprendre comment et pourquoi les Africains génèrent des modèles urbains pour lesquels les instruments conceptuels d’analyse habituels s’avèrent inopérants. En d’autres termes : qu’est-ce qui fait que des villes qui, selon les normes occidentales, ne devraient pas « marcher », fonctionnent, et même ne fonctionnent pas si mal que cela, en tous les cas répondent souvent aujourd’hui mieux que les campagnes aux besoins et aux demandes de citadins en passe de devenir majoritaires (par exemple, Ibadan, ville de plus de 3 millions d’habitants, ne compte qu’un seul feu rouge, et pourtant la circulation automobile y fonctionne relativement normalement). Ce qui entrave la circulation dans les métropoles africaines (de façon parfois dramatique comme à Kinshasa où les embouteillages de longue durée font partie de la vie quotidienne), c’est moins

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l’absence de feux rouges que l’insuffisance criante du réseau routier face à l’augmentation exponentielle des automobiles.

Les espaces urbains exercent une influence déterminante sur les processus de changement sociaux et culturels. Plus que jamais les villes africaines sont comme ailleurs des lieux de médiation et de pouvoir et donc d’élaboration sociale et politique et d’invention culturelle. La vie n’y est pas facile, certes, mais elle n’y est pas désespérée.

Conclusion

Le gros problème demeure l’inadéquation entre les aspirations, voire les volontés des populations (en matière de santé, d’éducation, de transparence électorale, etc.) et la très fréquente corruption d’une nomentaklura politique au pouvoir de plus en plus déphasée des réalités, mais qui gangrène une grande partie de la société par le clientélisme. L’économie « officielle » va mal, et la grande majorité des gens ont coutume de vivre selon l’article 14 ou 15 d’une constitution qui n’en possède que 13 ou 14 (plaisanterie usuelle dans les deux Congos où l‘on ne manque pas d’humour) : autrement dit, la « débrouillardise » et les activités dites informelle (c’est-à-dire non contrôlées). Ceci dit, on ne peut qu’être admiratif devant la vitalité et la créativité d’une population (qui dépasse aujourd’hui le milliard d’individus) dont désormais les ¾ ont moins de 25 ans et sont nés largement après l’indépendance. L’Occident en connaît la musique et la danse, mais gagnerait à en découvrir tous les autres aspects.

En dépit des déclarations « afro-pessimistes » classiques des medias, le rôle international de l’Afrique demeure très important. On peut même arguer que la fin de la guerre froide, en interrompant la course directe entre les deux grands blocs mais sans mettre fin au commerce des armes, a fourni l’occasion de transformer une partie du continent en marché désormais majeur de consommation des armes produites par les grandes puissances internationales. L’histoire politique interne souvent tragique répond évidemment à ces nouvelles donnes ; il relève de la malhonnêteté politique de ne l’attribuer qu’à l’impéritie des pouvoirs en place. Celle-ci est trop souvent réelle, mais elle est, au contraire, de plus en plus imbriquée dans la globalisation économique mondiale, puisque les développements récents sont en passe de faire de l’Afrique, pour encore un certain nombre d’années, le premier producteur mondial de pétrole (et de bien d’autres minerais très riches). C’est dire à quel point le continent, une fois de plus, se trouve en prise avec le monde.

A l’échelle de l’histoire, 50 ans, c’est court. Aucun jugement définitif ne peut être porté. Et l’Afrique du sud est là pour montrer que, en dépit des énormes difficultés encore existantes, les Sud-Africains ont su en quarante ans changer de fond en comble leur pays, même si la route est encore longue. Rien ne sera plus comme avant.

La bibliographie n’est pas très riche en histoire mais néanmoins suffisante.

- Dans sa dernière partie, le manuel d’Hélène d’Almeida-Topor : L’Afrique au XXe siècle, 2e édition révisée, Colin, collection U, 2002.

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- De la même, un petit livre percutant : l’Afrique, collection Idées reçues, Le Cavalier Bleu, 2e éd. 2009, 125 p. (ne pas confondre avec l’ouvrage de titre analogue de Courade et al., bon aussi mais beaucoup plus gros) ; et Naissance des États africains, XXe siècle, Casterman / Giunti, 1996, 126 p.- Sur la période des indépendances, les chapitres VI, XV et XVII de C. Coquery-Vidrovitch et H. Moniot, L’Afrique noire de 1800 à nos jours, PUF, Nouvelle Clio, 5è édition révisée, 2005.- Voir aussi, sur les séquelles de la colonisation dans la société française d’aujourd’hui, le petit ouvrage de synthèse-bilan ; C. Coquery-Vidrovitch, Enjeux politiques de l’histoire coloniale, Marseille, Agone, 2009, 190 p. - Malheureusement, le chapitre sur la période de l’excellent (par ailleurs) ouvrage collectif dirigé par Elikia Mbokolo, Afrique noire. Histoire et civilisations, tome II, XIXe et XXe siècle, non écrit par un historien, est décevant.- A signaler la publication (sous presse) d’un dossier hors série de l’Humanité consacré aux Indépendances africaines, qui rassemble nombre d’excellents spécialistes.

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Pour survivre, l’Afrique dévore son capital naturel

Alain GasconLe 13 octobre 2010Professeur à l'Institut français de géopolitiqueUniversité de PARIS VIIIChargé de cours à l'INALCO

Ce titre, inspiré d’un article « à sensation » d’un ancien journaliste du Mondei, applique à l’ensemble de l’Afrique la vision catastrophiste qui colle à l’Éthiopie, telle une tunique de Nessus, depuis les grandes famines de 1973-75 et 1984-85. Par ce titre, il affirme que, face aux crises qui se répètent, les Africains et les Éthiopiens surtout, dilapident leur « capital naturel » afin de se maintenir en survie. Ils seraient, à la fois, causes et victimes des crises climatiques et de leurs inconséquences. Insouciants, toujours plus nombreux, et ne sachant pas préparer l’avenir parce qu’ils seraient incapables de s’y projeter, ils dévorent, non pas la main qui les nourrit, mais la terre qui les nourrit. Ils pratiquent une agriculture de subsistance minière et dans les basses terres, un élevage nomade prédateur : tout le contraire du développement durable. Pour faire face à la croissance de la population et donc de la demande, ils n’ont d’autre solution que de défricher toujours plus après avoir supprimé les jachères. Incapables d’accroître les rendements, car ils ne maîtrisent pas l’irrigation, ils sacrifient leurs forêts et ne protègent pas, car ils ne connaissent pas les terrasses… Cet article n’a pas grand contenu scientifique, mais il s’ajoute à d’innombrables autres publications qui rendent un verdict unanime : la faillite de la production paysanne éthiopienne et donc éthiopienne.

Cette condamnation hâtive est trompeuse : environ 7 % des Éthiopiens souffrent régulièrement de disette grave, 11 % avec ceux qui ont besoin d’une aide temporaireii. Comme la population éthiopienne a triplé en quarante ans, en chiffre absolu, l’effectif des victimes augmente constamment. C’est le cas d’école, comme dans tout le continent, du paradigme malthusien. Toutefois, en dépit d’un contexte défavorable (guerres, sécheresses, inondations, mesures coercitives), les efforts des paysans éthiopiens n’ont pas été vains. En 1970, ils nourrissaient un peu plus de 20 millions d’habitants et en 2007, plus de 65 millions (en dévorant leur capital naturel !). Or en Éthiopie, à l’encontre de l’Afrique subsaharienne, les archives écrites donnent la dimension historique des crises de subsistance (et de la lutte contre leurs ravages). Isolement et immobilisme sont confondus : des plantes nouvelles ont été introduites dans les systèmes agraires bien avant l’arrivée des Européens qui ont contraint les paysans à la monoculture d’exportation.

1. Les malheurs de l’Afrique et de l’Éthiopie

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« Suisse africaine » (Rimbaud) ou « Auvergne africaine » (Gallais), les montagnes et plateaux éthio-érythréens, « la montagne la plus peuplée du monde » échappent, au-dessus de 1 800 - 2 000 m, au paludisme et à la maladie du sommeil (Gallais, 1989). Pendant l’été de l’hémisphère nord, les masses d’air humide tropical provoquent les abondantes précipitations orographiques de la saison des pluies (kerämt). Les géographes (d’Abbadie, Reclus), qui, les premiers, ont décrit l’étagement éthiopien des « tropiques froids » selon 3 niveaux jusqu’aux environs de 3 500 m, où s’arrêtent les cultures.

L’étagement bioclimatique et les cartes des précipitations ne coïncident pas. Un pôle humide (plus de 1 600 mm tout le long de l’année) s’individualise au sud-ouest de la capitale. Le « croissant aride » (Gallais) inclut les basses terres de l’Est et se recourbe vers le Nord sur les hautes terres du Tegray, du Gondär, du Wällo et d’Érythrée et, par le Harär, vers le Sud jusqu’au Rift. Les versants exposés à l’Ouest reçoivent plus de pluies que ceux tournés vers l’Est où la saison humide se fractionne. Depuis l’Antiquité, on a observé le retour, tous les dix ansiii, d’années plus sèches qui se traduisent par des disettes et des famines. Toutefois, cette alternance ne s’observe pas dans toutes les régions d’Éthiopie avec la même gravité. Le coefficient de variabilité annuelle du volume des précipitations, dans la moitié ouest avoisine 14 % alors qu’elle atteint 65 % dans les basses terres de l’Est. La carte de la longueur de la saison végétative délimite deux ensembles de part et d’autre de ligne des 120 jours, car il faut, au moins, 4 mois pour que les plantes, à la base de l’alimentation, arrivent à maturité. Il pleut moins de 120 jours dans les périphéries basses et arides de l’Est et du Sud mais également les hautes terres du Tegray et du rebord des plateaux. Au Sud-Ouest et au Sud, sur les hautes terres, il n’y a pratiquement pas d’interruption de la saison végétative.

Du château d’eau des hautes terres sortent de grands fleuves allogènes : le Nil bleu (86 % des eaux à Assouan) qui donne vie à la Gezireh au Soudan et à l’Égypte ; le Wabi Shabeele, le « Nil de Mogadiscio » des géographes arabes ; l’Awash, endoréique, qui se perd dans le Triangle Afar aride. En 1999 et en 2006, des inondations ont ravagé l’Est de l’Éthiopie et la Somalie. Toutefois, les averses violentes et drues pénètrent les sols et rechargent les nappes profondes où les végétaux puisent, la sécheresse revenue. À chaque saison des pluies, les ravages du ravinement sont visibles, mais ces sédiments fertilisent les piémonts et les vallées depuis des millénaires : l’Égypte, le Soudan et la Somalie !

En résumé, l’ambivalence règne en Éthiopie heureuse : les riches possibilités se heurtent à de fortes contraintes. Distribuée massivement et irrégulièrement dans le temps, l’eau peut, de ressource, devenir calamité par son abondance ou, au contraire, par son manque. Le fort gradient altitudinal accélère le ruissellement agressif et dévastateur qui peut produire de l’hydroélectricité et entraîner aussi la recrudescence du paludisme. Instruits par l’expérience, les Éthiopiens (et les Africains) ne mobilisent qu’une faible part de leur capital naturel sur les plateaux frais et salubres (80 % de la population) pris entre les basses terres arides et impaludées et les sommets où le gel proscrit l’installation humaine. Il y a 20 ans, les terres

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exploitées (à 68 % sur les plateaux) représentaient 14 % de l’Éthiopie et de l’Érythrée réunies et assuraient 66 % de la production vivrière. En 2006, les terres cultivables sont estimées à 21 % de la superficie de l’Éthiopie comme dans l’ensemble du continent, faisant naître l’idée d’un continent « sous-exploité ».

2. Africains et Éthiopiens prédateurs ?

Beaucoup d’auteurs affirment que les agriculteurs et éleveurs éthio-érythréens (et somaliens) pratiquent une activité minière. Or, ils la pratiquent depuis des milliers d’années. Les hautes terres furent, selon Vavilov, un centre secondaire de domestication à la confluence de l’Afrique et du Moyen-Orient. Bien avant le XIXe siècle, haricot, maïs et pomme de terre étaient entrés dans les systèmes de culture des hautes terres. L’acclimatation la plus spectaculaire concerne les eucalyptus devenus les commensaux de toute habitation en Éthiopie. Cette naturalisation réussie entretient toujours une vive controverse : leur origine non native [étrangère] favoriserait l’érosion, assécherait les sols et diminuerait la fréquence et le volume des pluies. Si cet arbre, qu’ils plantent depuis un siècle, avait de tels inconvénients, les paysans éthiopiens ne l’auraient sans doute pas adopté. En outre, les Éthiopiens entretiennent avec les hautes terres, qu’ils assimilent au Paradis, une relation forte. Ils l’expriment dans le mythe fondateur salomonien qui fait des fils d’Israël, les habitants la Terre sainte (Gascon, 2006). La mise en valeur des plateaux éthio-érythréens est ancienne et intense si bien qu’il est très difficile de reconstituer la végétation originelle. Depuis plus d’un siècle, d’innombrables procureurs ont requis contre les Éthiopiens qui, comme les Mnong de Condominas, auraient « mangé la forêt ». L’examen des documents n’emporte pas la conviction : il n’y a d’accord entre les accusateurs ni sur la proportion des hautes terres couvertes de forêt ni si c’était il y a 100, 150 ou 50 ans.

La Corne de l’Afrique, depuis 2000 ans, a été le siège de configurations étatiques qui, très tôt, rassemblèrent des populations nombreuses. En témoigne la longue histoire des expéditions militaires, des famines et, sans doute, du défrichement des forêts. Reclus estimait la population de la Corne à 8,6 millions d’habitants à la fin du XIXe siècle, les Italiens à 7,6 millions dans l’Africa Orientale Italiana et le gouvernement éthiopien à 10 ou 12 millions en 1946 (dans les frontières actuelles) avant que la révolution démographique n’aboutisse au triplement de l’effectif après 1970 (Gascon, 2006). S’appuyant sur les travaux des tropicalistes allemands promoteurs de la notion de Tragfähigkeit [capacité de charge], Smeds (1965) calcula la capacité de population des hautes terres éthiopiennes qu’il évalua à 40 millions. Au recensement de 1984, l’Éthiopie a atteint 42 millions d’habitants, rattrapant ainsi ses estimations : son article est prémonitoire des grandes famines de 1973-74 et de 1984-85. Contrairement à ce qu’il pensait Smeds, le centre de gravité démographique n’est pas descendu des hauteurs. Il a suivi le glissement du centre politique vers le sud de l’Éthiopie, vers son pôle humide. En fait, pour survivre, les Éthiopiens, plutôt que de dévorer leur capital naturel, l’ont augmenté.

Augmenter le capital naturel ?

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Le monde paysan, dépeint comme immobile, a intensifié et augmenté les surfaces cultivées dans une Éthiopie qu’on dit — et c’est un lieu commun — « hors du temps » ! Avec la conquête de Menilek (1889-1913), l’araire a gagné le Sud et l’Est. Les labours croisés et l’enfouissement de l’engrais vert se sont généralisés ainsi que la suppression de la jachère. L’irrigation, le long des rivières ou à partir de lacs collinaires, s’est répandue sur les hautes terres. Les travaux anti-érosifs et la lutte contre les effets du ruissellement se propagent. Les cultures de petites pluies (printemps) se sont imposées au Sud, apportant des compléments nécessaires aux récoltes des grandes pluies. Encadrés par les autorités, les paysans du Sud-Ouest et du Sud, depuis un siècle, ont introduit une culture de rente, le café, dans des microexploitations, mais, au Harär, un stupéfiant, le tchat plus rémunérateur que le café, s’est imposé.

La diffusion des innovations, qui accroissent le capital naturel, tarde quand les paysans ne s’estiment pas rétribués de leurs efforts. Sous l’Ancien régime, ils n’avaient pas la sécurité de la tenure dans la moitié sud de l’Éthiopie. Après avoir décrété la Réforme agraire, la Révolution éthiopienne lança la collectivisation des terres, la villagisation et les réinstallations paysannes à l’instar de l’ujamaa imposée en Tanzanie par Nyerere. Ces mesures brutales se heurtèrent à une grève du zèle de la paysannerie. Bien qu’éprouvée par la famine de 1984-85, elle fut embrigadée dans un Food for Work Programme qui la contraignit à aménager les pentes et à reboiser au Nord (Choa, Wällo). Les autorités, au pouvoir depuis 1991, ont renoncé à la coercition et choisi de favoriser le maïs amélioré (12 % des exploitations) et l’utilisation des engrais chimiques (30 % des exploitations). En résumé, les paysans éthiopiens ont réussi, malgré tout, à faire fructifier une partie de leur capital naturel sans le dévorer dans un contexte politique très souvent adverse. Avec le retour de la paix, le sort des ruraux s’est amélioré, mais la pression sur les ressources naturelles (terre et eau) s’est encore accrue.

En 2025, s’annoncent 108,7 millions d’Éthiopiens et cette estimation est corroborée par le pourcentage (43 %) d’Éthiopiens qui ont moins de 15 ans. Même s’ils ont migré, nombreux, vers les villes, il faudra les nourrir, les désaltérer, les loger, les éclairer, les soigner, les éduquer et les employer. La pression sur les terres et les milieux est particulièrement élevée, au Nord, sur le rebord des plateaux du Tegray et du Wällo et au Sud-Ouest (région Sud, Jimma et Gambéla) : régions où les Éthiopiens ont besoin de secours alimentaires. Même si la taille moyenne des familles est passée de 7, il y a un peu plus de 20 ans, à 5,2 actuellement, la dimension moyenne des exploitations a été divisée par deux : 0,8 ha en 2006 contre 1,5 ha (Gallais, 1989) et. L’extraordinaire expansion de la culture des roses sous serre dans un rayon de 100 km autour de la capitale sur les hautes terres aux dépens du vivrier suscite beaucoup de craintes. Des investisseurs indiens et saoudiens ont obtenu la concession de 1,400 000 ha, dans les basses terres, pour développer des fermes monoculturales irriguées aux dépens des pacages des éleveurs (2009).

L’Éthiopie est prise dans l’étau de Malthus : la production alimentaire ne pourra-t-elle jamais rattraper la croissance de la population ? Il y a, sûrement, une marge importante

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d’accroissement des rendements céréaliers, mais en important des engrais dont le prix dépend des cours du pétrole. Peut-on encore affirmer, comme longtemps les autorités, que l’Éthiopie pourrait nourrir cinq fois (sic.) sa population de 1984 ? Depuis 2000, à la périphérie des villes en expansion s’exerce une forte pression foncière qui s’ajoute à l’extension des cultures florales. On doit s’attendre à ce que la ruée vers les terres déclenche en Éthiopie, les mêmes protestations violentes qu’elle a provoquées dans toute l’Afrique subsaharienne, notamment à Madagascar.

juillet 2010

Bibliographie

GALLAIS Jean, Une géographie politique de l’Éthiopie. Le poids de l’État, Paris, Économica, Liberté Sans Frontières, 1989.

GASCON Alain, La Grande Éthiopie, une utopie africaine. Éthiopie ou Oromie, l’intégration des hautes terres du Sud, Paris, CNRS éditions, Espaces et milieux, 1995.

ID., « La forêt perdue d’Éthiopie, un mythe contemporain », M. Chastanet (dir.), Plantes et paysages d’Afrique. Une histoire à explorer, Paris, Karthala-CRA, pp. 383-409, 1998.

ID., Sur les hautes terres comme au ciel. Identités et territoires en Éthiopie, Paris, Publications de la Sorbonne, 2006.

ID., « Oublier Malthus : Éthiopie, la crise alimentaire surmontée ? », Hérodote. Revue de géographie et de géopolitique, « Les enjeux de la crise alimentaire », n° 131, 4e tr., pp. 73-91, 2008.

ROSSI Georges, L’ingérence écologique. Environnement et développement rural du Nord au Sud, Paris, CNRS éditions, Espaces et milieux, 2000.

Smeds HELMER, « THE POPULATION CAPACITY OF THE ETHIOPIAN HIGHLANDS », COMPTE RENDU DU xviiE CONGRÈS INTERNATIONAL DE GÉOGRAPHIE (RIO DE JANEIRO 1956), RIO DE JANEIRO, UGI, T. iii, PP. 465-473, 1965.

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Sunjata Keita et Sumaworo Kanté, fondateurs de l’empire du Mali

Francis SimonisLe 13 octobre 2010Maître de ConférencesUniversité de ProvenceAIX-EN-PROVENCE

On sait peu de choses du Mali primitif, en dehors des références constantes aux royaumes de Do et de Kri, indissociablement liés dans les traditions orales, mais que les historiens peinent encore à situer avec précision. Dans des régions où les sources écrites sont rares et les apports archéologiques très limités, les traditions orales prennent tout naturellement une importance capitale. Un rôle primordial est ici joué par les jeli, que nous appelons griots en français et que l’on décrit parfois comme les bardes de l’Afrique occidentale. Les griots sont spécialisés dans la louange et la déclamation des récits historiques qui font la part belle aux héros fondateurs et au merveilleux. En fait, les récits des griots mandingues, liés le plus souvent à la famille Keita, célèbrent avant tout la geste de Sunjata, présenté comme l’unique fondateur de l’empire du Mali au XIIIe siècle. Pendant longtemps, la vision des choses donnée par les historiens à partir des récits de griots fut donc des plus simples : au héros Sunjata s’opposait le tyran Sumaworo. C’est encore aujourd’hui la version la plus répandue, du fait de la popularité non démentie depuis 1960 de l’ouvrage de Djibril Tamsir Niane, Soundjata ou l’épopée mandingue.Les traditions sont pourtant unanimes pour dire que Sumaworo fut « le premier roi et le roi le plus authentique » du Manden. L’apport de nouvelles sources, comme les récits des forgerons Kanté ou les traditions de Kirina, permet de mieux cerner la réalité. Il n’est plus contesté que Sumaworo fut le véritable fondateur de l’empire du Mali et on peut dire sans exagération que Sunjata ne fut que le continuateur de son œuvre politique, reprenant à son compte le programme de son ennemi. L’image simpliste longtemps rapportée, qui opposait un Sunjata, héros bienveillant, au tyran malfaisant Sumaworo, ne peut plus être acceptée de nos jours. Les deux personnages sont en fait les deux pôles d’un même processus : le passage d’un Manden aux mains de multiples roitelets insignifiants à un empire unique et puissant. Sunjata n’est donc pas tant un vainqueur que le continuateur d’une œuvre qu’il n’a pas conçue, mais qu’il sut reprendre à son compte.Comprendre l’histoire du Mali passe ainsi nécessairement par un détour par l’histoire de Soso. Là encore, on sait peu de choses sur l’origine de ce royaume, situé au nord du Manden, qui aurait détruit le Ghana au début du XIIIe siècle sous l’impulsion de son roi forgeron, le redoutable Sumaworo Kanté. La puissance de Sumaworo reposait semble-t-il sur le fait que le meilleur fer était produit au Soso. Les traditions représentent Sumaworo comme un roi puissant qui s’appuyait sur une armée de forgerons bien équipés et valeureux au combat. Il apparaît aussi comme un thaumaturge et un maître des forces occultes.Selon la version développée par Wa Kamissoko, c’est d’abord en ami et pour proposer une alliance que Sumaworo serait entré au Manden, son objectif principal étant de mettre fin aux razzias esclavagistes venues du Nord, dont souffrait tout particulièrement la population qu’il avait en charge. L’esclavage était alors un fléau qui ravageait le pays Malinké. L’insécurité la plus absolue régnait, les Malinké réduisant d’autres Malinké en captivité pour les vendre aux Marka ou aux Maures du Sahel qui introduisaient ensuite les esclaves dans le réseau

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d’échanges transsahariens. Cette pratique était généralisée, et, selon Wa Kamissoko, il n’est pas un roi du Manden qui ne s’y soit livré. Les versions divergent sur l’origine de la guerre entre le Soso et le Manden.Le conquérant Soso aurait mené de multiples expéditions contre le Manden. Selon toutes les traditions, Masa Dankaran Tuman lui même finit par prendre la fuite pour se réfugier au Kissidougou (la cité du salut en malinké). La geste de Sunjata est connue par de multiples variantes qui diffèrent sensiblement les unes des autres. La version la plus célèbre est celle rapportée par Djibril Tamsir Niane dans Soundjata ou l’épopée mandingue. On gardera cependant en mémoire que celle-ci n’est en rien plus « authentique » que les autres versions recueillies par les chercheurs, puisque Niane ne nous en donne qu’une version française sans nous permettre d’accéder au texte original Malinké. Il est ainsi impossible de savoir ce qui émane directement de son informateur et ce qui est une interprétation personnelle de cet auteur.Selon Djibril Tamsir Niane, les premiers rois du Manden étaient des chasseurs, ce qui était le cas de Maghan Kon Fatta, ou Nare Maghan, le père de Sunjata. La première femme de Nare Maghan, Sasuma Bereté, eut deux enfants : le futur roi Dankaran Tuman, et une fille, Nana Triban. Tous vivaient à Nianiba, Niani la Grande, qui était la première capitale du Manden. À cette époque, le pays de Do était ravagé par un buffle qui en décimait la population et n’était autre que la tante du roi qui se vengeait ainsi d’une offense qui lui avait était faite. Le buffle fut tué par deux chasseurs Traoré qui choisirent en récompense la plus laide des filles de Do, Sogolon Kedjou, Sogolon la Vilaine qu’ils conduisirent chez Nare Maghan pour qu’il en fasse sa seconde épouse. Sogolon donna naissance à un fils, connu sous de multiples noms : Sogolon Djata, Mari Djata, Sunjata, etc. Nare Maghan mourut quand Sunjata avait 7 ans, et son premier fils Dankaran Tuman lui succéda sur le trône. À cette époque, Sunjata ne marchait toujours pas et se traînait misérablement sur le sol. Un jour que sa mère demandait des feuilles de baobab à sa coépouse pour en faire une sauce, elle fut humiliée par cette dernière qui lui conseilla de dire à son fils handicapé d’aller en cueillir pour elle. Sunjata se décida donc à marcher et alla déraciner un baobab qu’il planta devant la case de Sogolon. Sunjata grandit en s’initiant à la chasse, en proie à l’animosité de Sasuma Bereté qui intriguait pour le faire disparaître. Un jour, Dankaran Tuman envoya Balla Fasséké à la tête d’une ambassade chez le roi de Soso, Sumaworo Kanté. Sunjata ne supporta pas qu’on lui retire le griot qui lui avait été donné par son père et partit pour l’exil. Après diverses pérégrinations, il se fixa finalement à Mema. Sumaworo, pour sa part, retint Balla Fasséké et obtint la soumission de Dankaran Tuman qui lui donna sa soeur Nana Triban. Balla Fasséké découvrit le balafon de Sumaworo et se mit à en jouer. Fakoli, le neveu de Sumaworo dont il dirigeait les armées, se révolta contre son oncle qui lui avait pris son épouse, ce qui donna le signal d’un soulèvement généralisé. Dankaran Tuman marcha contre Sumaworo mais fut battu et s’enfuit dans le Kissidougou. Une ambassade vint alors à Mema chercher Sunjata qui partit pour le Manden après avoir enterré sa mère. Après diverses péripéties, Sunjata vainquit finalement le souverain Soso grâce à sa sœur Nana Triban qui, s’étant échappée de chez son mari avec l’aide de Balla Fasséké, lui révéla le secret de sa protection magique. La bataille finale eut lieu à Kirina, et Sumaworo s’enfuit à Koulikoro où il disparut dans une grotte. Il ne restait plus désormais à Sunjata qu’à détruire Soso et à « partager le monde » à Kurukan Fuga.Quel crédit faut-il accorder à ce récit des origines ? C’est difficile à dire. Deux points, cependant, méritent d’être soulignés. Le premier concerne les différences considérables qui existent entre les multiples versions de l’épopée qui ont pu être recueillies. Celles-ci sont loin de ne porter que sur des détails, comme on le dit souvent. Le second point qui doit de retenir notre attention, et qui plaide pour une fixation tardive de l’épopée au cours du XVIIe siècle,

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est relatif aux nombreux anachronismes qui émaillent les récits que l’on peut recueillir. Les allusions aux armes à feu y sont constantes. Niane nous parle de Do comme du « pays au dix mille fusils ». Pour Wa Kamissoko, Sumaworo possède un fusil de cuivre rouge, et Sunjata rentrant d’exil affirme que son voyage lui fut favorable puisqu’il en rentre avec « le fusil de guerre ». Quant à la version de Kéla recueillie par Jan Jansen, elle évoque tout à la fois la poudre à canon, les fusils, et, plus surprenant encore, le tabac…Au lendemain de la bataille décisive en Sunjata Keita et Sumaworo Kanté aurait été édictée la charte du Manden ou charte de Kurukan Fuga, qui est parfois présentée comme la constitution primitive de l’empire du Mali. Elle se compose d’un ensemble de règles, d’enseignements et de préceptes destinés à organiser la vie en société. Pour Djibril Tamsir Niane, « la découverte de la Charte du Mandé est sans nul doute l’événement culturel majeur de la fin du XXe siècle en Afrique noire. Sans doute est-ce tout simplement l’histoire des institutions politiques et sociales de l’Afrique noire qu’il faut revisiter ». Vaste programme qui mérite d’être interrogé !On notera tout d’abord que les traditions historiques sont muettes sur la fameuse rencontre de Kurukan Fuga, clairière latéritique située à Kangaba où, selon Djibril Tamsir Niane, aurait eu lieu le « partage du monde », à l’exception de la tradition du Hamama sur laquelle cet auteur a lui-même travaillé. La seule référence « scientifique » à la rencontre de Kurukan Fuga se trouve en effet dans Soundjata ou l’épopée mandingue publié par Niane en 1960, sans que celui-ci ne cite jamais ses sources ni ne donne aucun argument convaincant à l’appui de sa thèse. Djibril Tamsir Niane est ici nettement influencé par le mouvement culturel N’ko, fondé au milieu du vingtième siècle en Guinée par Souleymane Kanté qui fut le principal promoteur de cette charte dont il fit une véritable constitution qu’il comparait au Bill of Rights anglais ou à la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. Or, comme l’a très bien montré Jean-Loup Amselle, les écrits de Souleymane Kanté n’ont pas la moindre valeur scientifique. Ils émanent d’un illuminé, fondateur de l’alphabet N’ko qui lui serait apparu comme une révélation le 14 avril 1949 et qui, comme l’arabe, s’écrit de droite à gauche, mais comme le latin, dispose de voyelles et de consonnes… Pour Kanté, Sunjata est une sorte de Saint-Louis — dont il est le contemporain — qui invente la démocratie et est un pionnier des droits de l’homme. De plus, selon Kanté, la charte édictée par Sunjata n’aurait pas compté moins de 150 articles…L’histoire de la « redécouverte » de cette charte du Manden est édifiante. L’invention de la charte, au sens que les archéologues donnent à ce terme, date en effet de mars 1998. Elle eut lieu lors d’un atelier organisé à Kankan en Guinée à l’initiative de l’Agence de la Francophonie par Intermedia Consultants et le Centre d’études linguistiques et historiques par la tradition orale (CELHTO). Ce séminaire regroupait des participants du Burkina Faso, de la Guinée, du Mali et du Sénégal. Il avait pour objectif de favoriser une meilleure compréhension entre traditionnistes, chercheurs et professionnels de la communication en vue de la collecte et de la sauvegarde du patrimoine oral africain, et de déterminer le rôle que les nouvelles technologies de l’information pourraient jouer dans ce domaine. Lors d’une soirée organisée à l’initiative des griots, ceux-ci ont déclamé à tour de rôle ce qu’ils connaissaient de Kurukan Fuga, et le tout fut organisé en texte constitutionnel sous forme de 44 articles par Siriman Kouyaté, magistrat originaire de Nyagassola et frère cadet de l’actuel détenteur du balafon de Sumaworo Kanté, le Sosso-Bala. Dans les premières versions de ce texte, et notamment celle publiée par Siriman Kuyaté lui-même en août 2006, ce qu’il appelle la « Charte de Kurukan-Fuga ou constitution de l’empire du Mali » est présentée comme une constitution de type occidental, précédée d’un préambule. Une version légèrement remaniée de ce texte a été éditée conjointement par la Société Africaine d’Édition et de

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Communication de Conakry, liée étroitement à Djibril Tamsir Niane, et les Éditions de l’Harmattan à Paris en 2008.Le texte établi à Kankan en 1998 et diffusé par le CELHTO a connu un succès immédiat. Depuis, de nombreuses rencontres sur le sujet ont été organisées en Afrique, comme la conférence de Bamako, initiée par le CELHTO du 27 au 30 juillet 2004, ou laa Rencontre internationale sur la charte du Manden initiée par le ministère de la Culture du Mali, qui s’est tenue du 31 mai au 3 juin 2007 à Bamako et à Kangaba. Cette rencontre a mis en lumière qu’il existait pour le moins une ambiguïté sur cette fameuse charte, le chercheur malien Youssouf Tata Cissé promouvant, pour sa part, un texte recueilli en 1965 auprès de Fadjimba Kanté, alors patriarche des forgerons de Téguè-Koro et chef de la confrérie des chasseurs de cette localité du cercle de Kangaba. Selon lui « appelée d’abord Donsolu kalikan, “serment des chasseurs”, puis Dunya makilikan, “Injonction au monde”, cette déclaration fut solennellement proclamée à Dakajalan, la première capitale de l’empire du Mali, sous le nom de Manden kalikan, le Serment du Mandé. C’était le jour de l’intronisation de Soundjata Keïta, le fondateur de l’empire du Mali. Nous sommes fin 1222, et la grande comète dite comète de Halley illumine alors le ciel du Mali… ». On a donc désormais deux chartes du Manden, l’une recueillie en 1965, et l’autre « restituée » en 1998, la première datée de Dakajalan en 1222, la seconde de Kurukan Fuga en 1236 ! Plus grave encore, la quatrième session du comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, qui s’est tenue à Abou Dhabi du 28 septembre au 2 octobre 2009, a inscrit sur sa liste représentative « La Charte du Mandén [sic FS], proclamée à Kouroukan Fouga », ce qui lui donne désormais une légitimité certaine. On nage là pourtant dans la plus grande confusion. Il est en effet affirmé dans la déclaration de candidature qui a servi de base au classement que : « Après sa victoire sur Soumangourou Kanté, Roi du Sosso, lors de l’historique bataille de Kirina au début du XIIIe siècle, Soundiata Keita fit convoquer en assemblée générale les cèkun, “hommes de tête “du Mandén, acquis à sa politique afin de leur soumettre pour approbation, après enrichissement s’il le fallait, la Charte du Mandén nouveau. Car déclara-t-il : “Maintenant que nous sommes maîtres de notre destin, nous allons installer la patrie sur des bases solides et justes. Pour ce faire, édictons des lois que les peuples se doivent de respecter et d’appliquer”. Au terme de l’assemblée générale qui a enregistré la présence du “Mandén tout entier“ et ses alliés, la Charte fut solennellement proclamée à Kouroukan Fouga […] dans l’actuelle République du Mali. Édictée sous forme de serment, la proclamation comprend un préambule et sept chapitres sous forme de règles de conduite de la vie publique au sein de la famille.” Au regard de la description qui en est donnée (un préambule et sept chapitres), il est clair que ce qui a été classé n’est nullement le texte promu par Siriman Kouyaté et Djibril Tamsir Niane. Il s’agit en fait de ce que Youssouf Tata Cissé a appelé la “charte du Manden nouveau” dans son ouvrage paru en 1991, puis le “Serment du Mandé” Manden Kalikan, dans un ouvrage de 2003. Or Youssouf Tata Cissé est formel à ce sujet : cette “charte” ou ce “serment” a été édictée à Dakajalan ! L’UNESCO a donc classé, sans s’être livrée à la moindre expertise scientifique ou historique, un texte qui ne lui a même pas été communiqué et amalgame en un raccourci audacieux les deux versions concurrentes d’une “charte” dont personne n’est capable de dire ce qu’elle est vraiment ! Que conclure de tout cela ? S’il semble aujourd’hui avéré que l’empire du Mali fut fondé au XIIIe siècle suite à la lutte entre Sumaworo Kanté et Sunjata Keita, l’historicité de la charte du Manden est pour le moins douteuse. Quant à la position prise récemment par l’UNESCO, elle a un immense mérite, celui de nous prouver que contrairement à ce que l’on croyait jusqu’à présent Jean-Baptiste Botul n’est pas mort : il travaille pour les Nations Unies !

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Pour aller plus loin :

Youssouf Tata Cissé et Wa Kamissoko, La grande geste du Mali. Des origines à la fondation de l’Empire, Paris, Karthala et Arsan, 1988.

Jan Jansen, Epopée, histoire et société. Le cas de Soundjata. Mali et Guinée, Paris, Karthala, 2001.

Djibril Tamsir Niane, Soundjata ou l’épopée mandingue, Paris, Présence Africaine, 1960.

Francis Simonis, L’Afrique soudanaise au Moyen Âge. Le temps des grands empires (Ghana, Mali, Songhaï), Marseille, CRDP de l’académie d’Aix-Marseille, 2010.

Annexes(Carte et photographies aimablement fournies par l’auteur)

L’empire du Mali à la mort de SunjataD’après Youssouf Tata Cissé

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Rencontre internationale sur la charte du Manden

Plaine de Kurukan Fuga à Kangaba

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Education et développement durable en Afrique

Christine ColaruotoloLe 13 octobre 2010Professeure au Lycée [email protected]

En octobre 2008, se déroulait à Brazzaville, capitale du Congo, le 6e Forum mondial du développement durable qui était accueilli pour la première fois sur le continent africain. Si les enjeux environnementaux liés aux changements climatiques ou à la gestion des ressources de l’Afrique sont souvent mis en lumière par les médias, ils ne doivent pas faire oublier l’importance des composantes économiques et sociales du développement durable et la place centrale que les sociétés humaines doivent tenir. Car analyser ce thème au travers de l’Afrique c’est réfléchir à la « question du développement face au développement durable », rappelle Sylvie Brunel. Le programme de géographie de 5e, applicable à la rentrée 2010, accorde une place centrale à des questions centrées sur le développement durable qui reste également un fil directeur dans les programmes de géographie en lycée. La thématique « éducation et développement » constitue l’une de ces nouvelles entrées proposées par le nouveau programme de 5e au travers de l’étude des inégalités devant l’alphabétisation et l’accès à l’éducation. Second objectif du Millénaire pour le développement des Nations Unies (2000), repris la même année par le Forum Mondial de Dakar, l’éducation constitue un enjeu majeur dans le développement durable. Comment, en effet, participer au développement économique, social, culturel, jouer son rôle de citoyen, comprendre et protéger la biodiversité dans l’espace où l’on vit sans une maîtrise du langage et de l’écrit ? Or, le développement de l’éducation reste un des grands défis que l’Afrique doit relever. Selon l’UNESCO, la moitié des enfants africains seulement vont à l'école primaire. Quant au taux d'alphabétisation des adultes, il n'atteint pas 40 % et plus de 50 % des femmes africaines sont illettrées. Mais ces chiffres ne doivent pas masquer d’autres réalités africaines : les progrès accomplis dans la scolarisation depuis les années 1960, même s’ils sont encore insuffisants et si des reculs ont été enregistrés dans certains pays africains depuis la crise des années 1980, la diversification du champ scolaire dans les villes africaines ou la réussite d’expériences d’alphabétisation dans les campagnes soutenues par des institutions internationales ou des associations locales. À partir de l’exemple de l’Afrique subsaharienne, il s’agira dans cet atelier d’aller au-delà d’un afro-pessimisme encore largement répandu et partagé par les élèves et de tenter de mieux cerner une Afrique plurielle, en cours de mutation, en montrant à partir d’initiatives locales dans le domaine de l’alphabétisation et de la formation pratique, comment un développement local et durable peut être envisageable en Afrique. Ce sera l’occasion d’étudier les corrélations entre éducation et développement durable et de voir comment l’Afrique peut l’appréhender en mettant en œuvre des expériences originales, adaptées aux réalités locales.

« Si le siècle prochain doit être celui de l'Afrique, celui du progrès économique et social du peuple africain, marqué par la paix et le développement durable, alors le succès de cette entreprise dépend de la réussite de nos systèmes éducatifs. En effet, aucun pays au monde n'a jamais atteint le développement durable sans un système éducatif efficace, sans un

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enseignement primaire solide et universel, sans un enseignement supérieur et une recherche efficients, sans l'égalité des chances en matière d'éducation. »

C’est par ces mots que le Président sud-africain Thabo Mbeki a ouvert la conférence sur « l'éducation pour la renaissance de l'Afrique au XXIe siècle », qui s’est tenue à Johannesburg (Afrique du Sud) en décembre 1999 rappelant la place importante que l’éducation doit tenir dans le développement de l’Afrique. Car aborder la question du développement durable en Afrique c’est traiter du développement. Or, « Pour que le développement soit durable, encore faut-il qu’il y ait développement »7 rappelle Sylvie Brunel, car si le développement constitue une réalité elle doit être renforcée par un développement durable qui assume sa dimension de progrès économique et social. Et si « les aspects environnementaux sont incontournables », ajoute Yvette Veyret « ils doivent être mis à leur juste place dans des approches où les questions économiques, sociales et culturelles sont aussi toutes premières8 ». L’éducation est donc au cœur de ces enjeux, car elle est une condition essentielle du développement. L’éducation, dont la scolarisation est une composante, est à la fois un processus de formation de la personne, de socialisation et de transmission et de création de la culture. Elle reste une condition incontournable pour participer à la vie politique, économique, sociale et culturelle en favorisant la prise de décision, la participation à la citoyenneté et en permettant la diffusion de comportement innovant. Quant à la protection de l’environnement, elle ne peut reposer que sur une compréhension minimale des enjeux. L’éducation conditionne, par ailleurs, le décollage économique. La performance en termes de croissance et de gain de productivité d’un pays est étroitement liée à la durée moyenne d’étude de ses habitants. Les études rétrospectives sur les différentes régions du monde en développement ont clairement montré que la croissance ne peut s’installer de façon durable sans une production préalable de capital humain attestée par un taux d’alphabétisation de la population adulte d’au moins 50 % et une durée d’étude moyenne de six années. Selon Sylvie Brunel, « la grande différence entre l’Asie orientale et l’Afrique réside dans l’alphabétisation de la population », l’existence d’une main-d'œuvre qualifiée en âge de travailler ayant joué un rôle déterminant dans le décollage de l’Asie orientale lui permettant d’attirer des délocalisations industrielles.

L’éducation est donc à la croisée des droits fondamentaux de l’individu et des enjeux plus globaux. Reposant sur la participation de tous, le développement durable n’est pas possible « sans éducation de tous et toutes, filles et garçons, citoyens reconnus ou groupes marginaux » 2 conclut Yvette Veyret.

Depuis les années 1990, la communauté internationale s’est mobilisée avec pour objectif de faire de l’Éducation pour tous une priorité des gouvernements et de l’aide internationale. Pourtant, dix ans après, il restait 875 millions d’adultes analphabètes et 113 millions d’enfants en âge d’être scolarisés qui restaient à l’écart de l’école primaire, dont 60 % de filles.

En 2000, lors du Forum mondial de l’éducation de Dakar, la communauté internationale a réaffirmé ses engagements et les objectifs du Millénaire pour le développement adopté la

7 Sylvie Brunel, 2004, Le développement durable, Paris, PUF, collection Que-sais-je ?

8 Yvette Veyret et Paul Arnould (dir.) Atlas des développements durables, Paris, Éditions Autrement, 2008, 96 p.

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même année par les Nations Unies ont confirmé cette orientation au travers de deux objectifs : l’éducation primaire pour tous et la promotion d’une égalité des sexes.

L’éducation, un enjeu crucial pour le développement de l’Afrique

Actuellement en Afrique, la moitié des enfants seulement vont à l'école primaire. Plus de 40 % des adultes sont analphabètes et on compte plus de 50 % des femmes illettrées. C’est en Afrique occidentale que la situation est la plus alarmante avec des taux d’alphabétisation inférieurs à 50 %. L’espérance de scolarisation, à savoir le nombre moyen d’années qu’un individu passe à école, est également révélatrice puisqu’elle ne dépasse pas trois ou quatre ans pour certains pays d’Afrique occidentale ou centrale.

Mais le défi d’améliorer l’éducation en Afrique subsaharienne comprend aussi une dimension qualitative. Selon une étude de la Banque Mondiale concernant l’éducation au Ghana, une grande partie des élèves ne sont pas alphabétisés au bout de six ans d’école primaire. Dans d’autres pays de l’Afrique sub-saharienne, la situation est similaire. Il a été estimé par exemple que 25 % des élèves en Namibie terminent la sixième classe du primaire sans connaissances significatives en lecture. D’où l’importance d’une alphabétisation durable. Pourtant, le bilan des systèmes scolaires africains est à relativiser.

Si les débuts de la scolarisation coïncident avec la colonisation et la mise en place des bases d’un système scolaire, on assiste à une accélération de la scolarisation en Afrique entre 1960-1980. Considérée comme un investissement permettant de favoriser le développement économique, l’éducation a bénéficié d'une forte priorité par les États d’Afrique au lendemain des indépendances. Entre 1970-1980, les effectifs scolaires en Afrique subsaharienne ont augmenté de 8,9 % par an, entrainant une nette croissance des taux de scolarisation, la population d’âge scolaire n’ayant augmenté que de 3 % an durant cette même période. Parallèlement, l’enseignement secondaire et supérieur se développe très rapidement. C’est la crise économique et financière du début des années 1980 qui remet en cause la progression de la scolarisation. La crise, aggravée par l’ajustement structurel, contraint en effet les États, sous pression extérieure, à réduire leurs dépenses publiques, en particulier celles qui concernent les personnels de l’État. L’éducation est un des secteurs les plus touchés par ces restrictions budgétaires dans un contexte d’appauvrissement des populations et de réduction des dépenses privées. Elle se traduit par une chute des effectifs scolaires et des taux de scolarisation dans de nombreux pays africains. Cette déscolarisation est variable selon les pays : au Togo, l’un des pays les plus touchés, le taux de scolarisation passe de 72 % entre 1980-1981 à 52 % en 1984-985.

Cette situation va entraîner une augmentation des aides financières internationales pour tenter d’endiguer cette évolution, ce qui « ne sera pas sans influence sur l’idéologie imposée et sans conséquence sur les choix scolaires opérés », rappelle Marie-France Lange3. Les années 1990 sont marquées, néanmoins, par un nouvel essor de la scolarisation dans certains pays (Mali, Sénégal, Togo, Malawi) en liaison parfois avec une démocratisation politique (Mali). La plupart des pays de l’Afrique subsaharienne restent cependant fortement dépendants de l’aide financière extérieure sans laquelle ils ne peuvent financer leur système scolaire. Cette dépendance varie entre 30 et 80 % des sommes publiques destinées à l’éducation.

3 George Courade (sous la dir.), l’Afrique des idées reçues, Belin 2006,

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On assiste parallèlement à une diversification du champ scolaire liée au retrait de l’État et aux carences des systèmes scolaires publics face à une demande très forte. Elle se traduit par la multiplication, aux côtés des établissements publics, de nouveaux types d’écoles, laïques, privées ou confessionnelles et des écoles associatives créées et financées par des parents. Cette tendance traduit l’adhésion croissante des populations africaines à la scolarisation et révèle une reprise des initiatives des populations locales dans le domaine de l’éducation et la diversité des projets éducatifs.

Cependant, même si les progrès réalisés dans la scolarisation primaire depuis les années 1960 sont considérables, la plupart des pays de l’Afrique subsaharienne sont encore loin de pouvoir assurer une scolarisation primaire universelle. De fortes inégalités subsistent entre les villes et les milieux ruraux comme au Burkina Faso par exemple où les inégalités sociales restent fortes.

La généralisation de la scolarisation primaire ne pourra se faire qu’avec la gratuité d’accès à l’école primaire et la mise en place d’une politique économique et sociale en faveur des plus pauvres qui n’envoient leurs enfants à l’école qu’une fois les besoins vitaux assurés. La scolarisation est en effet encore largement perçue comme un investissement devant induire à terme un retour positif pour les parents et le groupe social : si les familles doivent choisir entre scolariser leur enfant et participer aux activités domestiques, l’arbitrage se fera en défaveur de l’école si elle ne répond pas aux attentes de la famille ou si l’élève est en échec (redoublement). Cela suppose aussi de résoudre les défaillances du système scolaire qui se traduit par le manque d’écoles et d’enseignants devenu chronique depuis que la plupart des États ont coupé les vannes du recrutement des fonctionnaires sous la pression des bailleurs qui exigeaient des économies budgétaires. Selon l’UNESCO, il manquera 2,3 millions d’enseignants d’ici 2015 pour satisfaire aux objectifs du Millénaire des Nations Unies. Sous la pression de la demande, les États ont recours aux enseignants communautaires recrutés par les villages. Ces « maîtres parents » comme on les surnomme sont cinq à six fois moins bien payés que les fonctionnaires.

Elle implique, enfin, la prise en compte d’une double dynamique : d’une part la mise œuvre de politiques d’éducation qui répondent au projet d’une école primaire universelle et du droit à l’éducation largement financées par des aides internationales et, d’autre part, les demandes « des populations qui, bien qu’adhérant à ce projet, élaborent des représentations du droit à l’éducation qui apparaissent éloignées des conceptions occidentales à visées universalistes. »

Droit des filles à l’éducation

Le développement durable repose sur la participation de tous, garçons et filles. Or, l’accès des femmes à l’éducation est un des grands défis que l’Afrique doit relever. Là encore, une amélioration a été constatée ces dernières années dans le primaire : au Mali, on enregistre une augmentation du taux d’inscription des filles en primaire qui passe de 21 % en 1991 à 50 % au début de l’année 2000. Mais en dépit des progrès réalisés, l’Afrique accuse un retard dans l’alphabétisation des femmes : 50 % des femmes africaines sont encore illettrées. De fortes disparités existent, par ailleurs, au sein de l’Afrique. L'égalité entre filles et garçons est la plus respectée en Afrique australe : de nombreux pays ayant mis en place un enseignement primaire universel enregistrent des taux élevés d'alphabétisation adulte. Par contre, c’est à l'extrémité sud du Sahara que les disparités entre les sexes restent les

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plus criantes puisqu'il arrive que le taux de scolarisation des filles atteigne à peine la moitié de celui des garçons. Au Sahel, 4/5e des petites filles ne sont pas scolarisées. Au sein des États de fortes inégalités régionales ou entre les villes et les campagnes demeurent.

Ce retard s’explique largement par des obstacles socioculturels : les travaux domestiques restent encore largement le domaine réservé des femmes et des filles, employées aussi aux travaux agricoles dans les campagnes. Les mariages précoces et une méfiance vis-à-vis d’une éducation jugée trop moderne et destructrice des traditions sont également en cause. L’investissement dans la scolarisation féminine n’apparaît pas toujours suffisamment « rentable », ni légitime. En revanche, en milieu urbain le capital scolaire peut représenter une plus-value symbolique favorable au mariage.

Parallèlement aux politiques spécifiques mises en œuvre par certains États africains pour développer l’éducation des femmes, les organisations internationales comme l’UNESCO ou des associations locales soutiennent dans des zones rurales au Mali et au Burkina Faso notamment des actions qui visent à émanciper les femmes au travers de programmes d’alphabétisation durable et du développement d’activités génératrices de revenus. Les expériences montrent que les femmes qui savent lire et écrire gèrent mieux leur activité de micro crédit. Elles sont, par ailleurs, plus aptes à participer à la prise de décision et ont une meilleure compréhension des problèmes de santé. Des études ont montré que les enfants nés de femmes n’ayant pas reçu d’enseignement de type scolaire courent deux fois plus de risques de mourir avant leur premier anniversaire que ceux dont les mères ont suivi des études au-delà du primaire. L’éducation a, enfin, un impact important sur leur capacité à revendiquer d’autres droits et à acquérir un statut social. Des études4 sur les déterminants de la scolarisation dans le primaire ont montré le rôle joué par le niveau d’instruction des parents. Une fille a six fois plus de chances d’être scolarisée en primaire si ses deux parents ont été scolarisés. Il apparaît également que lorsque les femmes sont chefs de ménage, elles scolarisent davantage leurs enfants que ne le font les hommes. Les filles en bénéficient même si les femmes-chefs de ménage investissent davantage dans l’éducation des garçons, qui s’avère être un investissement plus rentable.

Intégrer les langues et les cultures africaines dans le système éducatif

Au-delà des objectifs quantitatifs, l’amélioration de la qualité de l’éducation est aussi au cœur des préoccupations des États africains. Or, pour offrir une éducation pour tous, durable et de qualité, l’éducation doit débuter dans une langue comprise par les enfants. C’est dans cette optique que s’est tenue en janvier 2010 à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, une conférence sur l’intégration des langues et cultures africaines dans l'éducation reposant sur l’idée que l’utilisation de l'enseignement en langue maternelle pouvait améliorer l’accès à l'éducation et la qualité des systèmes éducatifs africains.

L’Afrique est riche d’environ 2011 langues parlées. Pourtant, seulement 68 langues africaines sont utilisées comme médiums d’enseignement. La majorité des pays instruisent dans l’ancienne langue coloniale qui n’est pas maîtrisée par les couches populaires.

4 Marc Pilon, genre et scolarisation dans l’Afrique subsaharienne

http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_6/b_fdi_45-46/010008499.pdf

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Si le modèle d’éducation bilingue est répandu dans les pays qui étaient sous domination coloniale anglaise (l’Afrique du Sud, le Burundi, l’Éthiopie, le Malawi, la Namibie, le Nigeria, la Tanzanie) et dans lesquels les langues africaines étaient déjà utilisées dans les écoles primaires durant la colonisation, la situation est tout autre dans l’Afrique francophone où l’enseignement unilingue, en français, domine largement jusqu’à ces dernières années. C’est le cas au Burkina Faso où le français demeure la langue officielle employée dans l’éducation, l’administration publique et les médias alors qu’elle n’est parlée que par 10 à 15 % de la population. Le Burkina Faso compte, en effet, 59 langues et 90 % de la population parlerait 14 langues nationales.

Le Mali est un des premiers états à se lancer avec le soutien du gouvernement dans la mise en place d’une éducation bilingue sous l’appellation de pédagogie convergente. Au Burkina Faso, l’éducation bilingue se met plus tardivement en place d’abord avec le soutien d’ONG et un timide appui des autorités qui s’est renforcé au début des années 1990 devant l’échec du système unilingue francophone. Depuis, il se développe dans les écoles publiques. Durant la première année, l’enseignement se fait à 90 % dans leur langue maternelle, le français étant intégré graduellement comme matière et médium à l’apprentissage. À la fin du cycle primaire, 90 % du temps d’enseignement se fait en français. Les résultats s’avèrent positifs avec un taux de redoublement plus faible et une diminution du nombre d’abandons scolaires dans les écoles bilingues. Les élèves savent par ailleurs lire et écrire leur langue nationale et réussissent mieux en français. Les cours se déroulant, au départ, dans une langue qu’ils maîtrisent, les élèves participent plus et communiquent plus aisément avec l’enseignant. Le même dispositif est retenu dans les systèmes d’éducation non formels mis en place par les ONG ou les associations locales.

Reste un défi à relever par le Burkina Faso : intégrer l’ensemble des langues afin de représenter le plus possible la diversité ethnique burkinabé et éviter de renforcer des hiérarchies entre ethnies. Mais ce projet se heurte à des obstacles financiers et à un manque de sociolinguistes qualifiés dans certaines langues.

Conclusion

Avec plus de 263 millions de jeunes compris entre 5 et 19 ans en 2002, l’Afrique est la région du monde qui abrite la population la plus jeune du monde. Si la croissance économique africaine est limitée par les investissements nécessaires à la formation de cette jeunesse, l’arrivée d’adultes plus qualifiés devrait accélérer celle-ci dans les années à venir selon Jean-François Trani5. Dans une étude menée à Bamako, Abidjan et Douala auprès de 600 jeunes, il ressort qu’ils espèrent mieux vivre que leurs parents en réussissant professionnellement et grâce à la paix, la famille, la religion et l’éducation. Cette enquête traduit l’adhésion croissante des jeunes à la scolarisation.

Si l’Afrique accuse encore un retard en matière d’éducation par rapport au reste du monde, la plupart des pays d’Afrique subsaharienne ont réalisé malgré tout des progrès notables. Mais la route est encore longue pour que tous les enfants puissent suivre une scolarisation primaire. Les états africains devront également prendre en compte les demandes sociales d’éducation qui s’affirment et se diversifient.

5 George Courade (sous la dir.), l’Afrique des idées reçues, Belin 2006,

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Pistes d’exploitation pédagogique

Niveau : géographie 5e

Programme

Thème 2 - DES INÉGALITÉS DEVANT L’ALPHABÉTISATION

CONNAISSANCES Éducation et développement L’inégal accès à l’éducation et au savoir représente un frein majeur au développement, en particulier lorsqu’il touche les femmes. Les inégalités en ce domaine sont mises en relation avec les inégalités de développement.

DÉMARCHES On confronte des cartes de l’accès à l’éducation et de la richesse à l’échelle mondiale. Elles sont expliquées à partir des exemples comparés de l’alphabétisation et de l’accès à l’éducation dans un pays pauvre et dans un pays développé.

CAPACITÉS Localiser et situer les deux pays étudiés ; Décrire la situation de l’alphabétisation et de l’accès à l’éducation dans un pays pauvre et dans un pays développé ;Lire et décrire les principales inégalités sur un planisphère de l’alphabétisation ou de l’accès à l’éducation.

Objectifs

- Montrer que l’éducation est donc à la croisée des droits fondamentaux de l’individu et des enjeux plus globaux.

- Montrer comment des initiatives dans le domaine de l’alphabétisation et de la formation pratique peuvent être le moteur d’un développement local durable et de transformations économiques et sociales.

- Montrer les liens entre inégalités devant l’alphabétisation et les inégalités de développement.

Une étape dans la construction de la notion de développement durable

- Mettre l’accent sur les dimensions humaine et sociale du développement durable.

- Montrer que l’ordre des priorités du développement durable au sein des pays à faible revenu se différencie de celui souvent privilégié dans les pays riches : les dimensions humaine et économique constituent des enjeux cruciaux qui occultent encore en partie les préoccupations environnementales.

I/ À partir des trois extraits de vidéos présentant des expériences locales d’éducation non formelle dans deux villages d’Afrique subsaharienne à Dugunninkoro (Mali) et Nomgana (Burkina Faso).

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1ère étape : montrer au travers de parcours individuels, comment l’alphabétisation et la formation permet de promouvoir des connaissances, des attitudes et aptitudes chez les jeunes et adultes (hommes et femmes) en vue d’améliorer leur condition socio-économique.

- accès à un savoir : formation de pépiniériste, formation de teinturière pour les jeunes filles

- dynamique d’enrichissement personnel : prêt de taureau pour l’élevage

2e étape : repérer les transformations engendrées par l’éducation (alphabétisation et formation) :

sur le plan économique :

- évolution des pratiques agricoles 

- gestion plus rationnelle des engrais - nouvelle répartition des cultures (Dugunninkoro) : cultures d'arachide et de maïs remplacées par une culture du riz pluvial qui entraine une production excédentaire en riz pour la communauté villageoise.

sur le plan social :

plus grande participation à la gestion de la communauté villageoise :

- animation d’un groupe de vulgarisation agricole : gestion des semences (Dugunninkoro)

- gestion du moulin par les femmes (Nomgana)

de la santé : prévention (accoucheuses qui ont suivi formation ; enregistrement des naissances)

3e étape : le rôle de l’association « développement pour tous »

À partir du 3e extrait de la vidéo et des documents (Documents, 2, 3, 4), montrer que ces initiatives locales s’insèrent dans le cadre d’une éducation non formelle qui cherche à pallier les insuffisances du développement du système scolaire public face à une demande croissante. Évoquer la stratégie « du faire, faire » mise en place par l’État burkinabé qui fait appel à différents opérateurs (ONG, association locale) pour le travail d’alphabétisation sur le terrain.

- identifier l’association « développement pour tous » et cerner son rôle dans l’alphabétisation et la formation des enfants et des femmes.

- identifier le fonctionnement de l’association :

association locale gérée par des jeunes

rayonnement sur plusieurs villages environnants

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- rôle des néo-alphabétisés dans association et dans la transmission des savoirs : ils interviennent dans la gestion des structures locales. Ils occupent des responsabilités : tenue des cahiers de gestion dans des activités diverses ; banque de céréales, moulin…

- financement de l’association

4e étape : cerner la spécificité de cette éducation non formelle (vidéo + DOC. 1)

- alphabétisation : lire, écrire, compter

- éducation au plus prés des réalités quotidiennes : préoccupations agricoles, apprentissage des rudiments d’élevage pour les enfants

- éducation au rythme des travaux agricoles (session de trois jours en alternance avec les travaux agricoles pour apprendre la comptabilité)

- utilisation de la langue locale (mooré) pour apprendre le français

- cerner les freins à l’alphabétisation des femmes (problème du temps passé au centre de formation au détriment des activités agricoles et absence de revenus) et les moyens pour remédier : création avec des activités génératrices de revenus.

Ces activités ont aussi pour but de ne pas être dépendant de l’association : jeune femme formée aux techniques d’élevage. Elle rembourse ensuite le prix de l’animal à l’association et renouvelle l’opération pour son propre compte.

- Le néo alphabétisé transmet à son tour son savoir. 

II/ À l’échelle du continent africain, cerner les liens entre inégalités devant l’alphabétisation et les inégalités de développement et montrer la diversité des situations en Afrique (Documents 5, 6, 7).

Supports

- Trois extraits de la vidéo « Sé banw yé, nous aussi nous avons les capacités » (réalisé par l’UNESCO). http://www.lesite.tv/index.cf

DOC.1 Carte du Mali et du Burkina Faso

Source : www.routard.com

DOC. 2 L’association Manegdebzâga (Développement pour tous) à Nomgana (Burkina Faso).

L’Association Manegdebzâga (Développement pour tous) existe depuis le 5 février 1991. Elle a son siège dans le village de Nomgana, situé dans le département de Loumbila à une vingtaine de kilomètres au nord de Ouagadougou. L’association Manegdbzãnga œuvre en faveur de l’éducation (création de centres d’alphabétisation, aide à la création et au

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développement des écoles bilingues). Les acquis de l’association en matière d’alphabétisation se résument en l’an 2000 à travers les statistiques suivantes : 15 centres d’alphabétisation et 2243 déclarés alphabétisés dont 1003 femmes […] Les centres d’alphabétisation ouverts par l’association Manegdbzãnga comprennent généralement deux niveaux (alphabétisation initiale et formation complémentaire de base). La parité femme/homme dans les recrutements constitue un des objectifs visés par l’association. Les apprenants sont essentiellement des jeunes (moins de 30 ans). Parmi les effectifs, on retrouve des jeunes (filles et garçons) ayant déjà fréquenté l’école primaire. Les résultats obtenus dans les différents centres d’alphabétisation laissent apparaître un fort taux de succès : 92 % en « alphabétisation initiale » et 97 % en « formation complémentaire de base ». Le nombre très élevé des femmes dans les centres d’alphabétisation traduit l’intérêt de cette partie de la population pour les activités d’alphabétisation. Pour les apprenants, de nombreuses contraintes compromettent le succès des campagnes d’alphabétisation. […] La contrainte « temps » est surtout citée par les femmes. En effet, la lourdeur des tâches ménagères et des travaux maraîchers complique la fréquentation des centres d’alphabétisation par les femmes. Du fait de leur présence dans les centres d’alphabétisation (6 heures par jour), il y a comme une sorte de manque à gagner par rapport à leur contribution pour la bonne marche de la vie familiale.

Source : Maxime Compaore, Éducation environnementale et programmes d’alphabétisation au Burkina Faso, Vertigo, décembre 2003

DOC. 3 Taux d’alphabétisation chez les adultes et les jeunes au Burkina Faso (2007)

Source : http://stats.uis.unesco.org/unesco/TableViewer/document.aspx?ReportId=289&IF_Language=fra&BR_Country=8540&BR_Region=40540

DOC. 4 Taux nets de scolarisation au primaire par sexe (2007)

Source : http://stats.uis.unesco.org/unesco/TableViewer/document.aspx?ReportId=289&IF_Language=fra&BR_Country=8540&BR_Region=40540

DOC. 5 Dépenses publiques pour l’éducation au Burkina Faso (2007)

Dépenses publiques totales pour l’éducation au Burkina Faso,

2007

en % du PIB 3,7

en % des dépenses totales gouvernementales

23,3

Source : http://stats.uis.unesco.org/unesco/TableViewer/document.aspx?ReportId=289&IF_Language=fra&BR_Country=8540&BR_Region=40540

DOC. 6 Conférence de l'Afrique subsaharienne sur l'éducation pour tous

Préambule

« Si le siècle prochain doit être celui de l'Afrique, celui du progrès économique et social du peuple africain, marqué par la paix et le développement durable, alors le succès de cette

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Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

entreprise dépend de la réussite de nos systèmes éducatifs. En effet, aucun pays au monde n'a jamais atteint le développement durable sans un système éducatif efficace, sans un enseignement primaire solide et universel, sans un enseignement supérieur et une recherche efficients, sans l'égalité des chances en matière d'éducation. »

Thabo Mbeki, Président sud-africain

Source : Allocution liminaire, Conférence sur « L'éducation pour la renaissance de l'Afrique au XXIe siècle », Johannesburg, Afrique du Sud, 6 décembre 1999. http://www.unesco.org/education/wef/fr-leadup/fr_regmeet_frame_afric.shtm

Doc 7 Carte l’analphabétisme dans le monde (2000)

Source : http://www.unesco.org/bpi/fre/unescopresse/2002/map_mondeFR.pdf

DOC. 8 Carte de l’alphabétisation des femmes adultes (2003)

Source :http://www.ladocumentationfrancaise.fr/cartotheque/depenses-publiques-education-afrique-2002-2007.shtml3

DOC. 9 L’indice de développement humain (2001)

Source :http://www.ladocumentationfrancaise.fr/cartotheque/indicateur-developpement-humain-monde-2001.shtml

Traite négrière et esclavage

Sandrine KhaledLe 13 octobre 2010Professeure au Lycée Vauvenargues

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Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

[email protected]

Dominique SantelliProfesseure au Collège Chevreul [email protected]

L’esclavage est la négation de l’être humain, réduit à l’état de force de travail brut. Il ne peut être ramené ni à une civilisation, ni à un espace géographique, ni à une époque donnée ; c’est l’une des formes les plus constantes de la domination d’hommes et de femmes par leurs semblables. En effet, l’esclavage traverse sous différentes formes (esclaves des champs, des mines, des grands travaux, esclaves soldats, galériens ou domestiques…) l’histoire de l’humanité de l’Antiquité au XXIe siècle, jouant selon les époques un rôle de premier plan.

L’esclavage est à distinguer de la traite qui apparaît au VIIe siècle du côté oriental avec l’expansion musulmane et du côté occidental au XVIIe siècle avec la création du système de plantation aux Amériques. La traite des noirs apparaît comme une migration forcée parmi d’autres sauf que le déporté est désigné comme l’Autre absolu et qu’il fait l’objet d’un commerce. Racisme envers les gens de couleur et justification des traites négrières sont apparus simultanément, jetant à partir de là l’opprobre sur les Africains de l’Afrique noire.

Au total, plus de 40 millions d’hommes, de femmes et d’enfants ont été transformés en marchandises.

On l’aura compris, enseigner l’histoire des traites négrières et de l’esclavage c’est enseigner une histoire globale et complexe. Ce à quoi va s’attacher cet atelier…

Dans un article publié par Le Monde9, Serge Daget, spécialiste de l’histoire des traites négrières, aujourd’hui disparu, écrivait :

« À compter du XVe siècle, le monde occidental, possesseur de façades maritimes, de bateaux en bois et à voiles, de plantations dans les îles à sucre de Caraïbe ou sur les terres fermes américaines, pratiquait une traite « atlantique ». Les traites « transsaharienne » et « orientale », plus anciennes, remontent, elles, au plus tard à l’expansion de l’islam dès le septième siècle chrétien, mais des documents sûrs confèrent au phénomène 3500 ans d’âge. On déportait hommes, femmes, enfants des deux sexes de l’Afrique sub-sahélienne vers le Maghreb et l’Égypte ; on les déportait de l’Afrique centrale et orientale par la mer Rouge et l’océan Indien, vers les sultanats du golfe Persique, la Mésopotamie, l’Inde, la Chine… Enfin des africanistes ont analysé les causes et les effets d’une traite intérieure à l’Afrique noire, pas entièrement ignorée des sources orales. Ainsi ce n’est pas une traite négrière, mais des traites négrières (…) »

Afin de mieux comprendre de quoi l’on parle, il nous faut tout d’abord nous arrêter sur les mots et les espaces concernés.

9 Serge Daget, Le prix de la traite des Noirs, Le Monde, 5 mars 1991.

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Le mot traite au singulier concerne l’Époque moderne et désigne un « commerce » incluant divers aspects. Le mot nègre emprunté à l’espagnol negro désigne au XVe siècle selon le Dictionnaire historique de la langue française Le Robert, « une personne de race noire » avant de prendre au XVIIIe siècle le sens « d’esclave noir ». Au pluriel, les traites négrières renvoient à l’idée de pluralités des formes de traites et à des temporalités différentes. Pour Olivier Pétré-Grenouilleau il s’agit « d’une migration forcée parmi d’autres »,10 mais où le déporté est « l’Autre absolu ». Il estime que la combinaison de cinq éléments permet de la définir :

- L’existence des réseaux d’approvisionnement de captifs, organisés et stables, avec des lieux et des routes

- l’insuffisance de la croissance démographique des esclaves sur leur lieu d’importation- différence entre les lieux de production et d’utilisation- des échanges sous forme tributaire avec des courtiers sur place- assentiments d’entités politiques ayant des intérêts convergents.

La réunion de ces facteurs indique tout d’abord les complicités évidentes des populations d’Afrique dans ce funeste commerce sans lesquelles aucune traite n’aurait été possible. Ensuite, si l’esclavage existait depuis l’Antiquité et a même été théorisé par Aristote dans La Politique, il s’agissait de réduction en esclavage, mais sans la traite. En effet, comparativement il y avait peu d’esclaves noirs, essentiellement des prisonniers de guerre issus des régions du haut Nil (Soudan).

L’expansion musulmane dès le VIIe siècle a induit une recherche plus importante de main-d'œuvre servile pour remplacer les hommes dans les campagnes et le transport d’esclaves sur de très grandes distances ; un réseau important de routes et de marchés se développe dans tout l’empire. Or comme tout converti à l’islam ne pouvait être réduit en esclavage et que le prosélytisme musulman a aussi concerné les populations noires, il fallait constamment renouveler les captifs. La première forme de traite concerne donc l’Afrique en interne et entraîne rapidement une théorisation sur l’asservissement du côté des autorités religieuses, débouchant sur un discours raciste et discriminant envers les populations noires.

La traite subsaharienne est née au moment de l’expansion musulmane, la traite atlantique au moment de l’ouverture de l’Europe. À chaque expansion est associé un besoin croissant de main-d'œuvre, le tout sous-tendu par des explications-alibis à caractère religieux et par le rôle central des populations africaines elles-mêmes.

Trois traites se distinguent donc et feront l’objet d’approfondissement : les traites « orientales », internes à l’Afrique noire et occidentale. Mais il n’y avait pas de cloisonnement, plutôt des chevauchements chronologiques où certaines traites prennent appui sur d’autres. Surtout, elles n’ont pas toutes le même impact dans les sociétés concernées, débouchant sur la dilution de la population noire en Orient ou de la ségrégation en Amérique.

Enfin, ce thème est au cœur d’un renouveau dans la recherche scientifique actuelle. Dépassant l’approche quantitative de la fin des années 70 remarquablement traitée par

10 Olivier Pétré-Grenouilleau, Les Traites négrières, essai d’histoire globale, Gallimard, 2004.

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Serge Daget et François Renault11, ce sont consécutivement des approches globales ou l’étude de trajectoires individuelles qui sont menées actuellement. Ce renouvellement est fortement alimenté par des productions anglo-saxonnes et permet de pouvoir effectuer une histoire comparative. Cependant, cet objet d’histoire est aussi un objet de mémoire avec un risque d’instrumentalisation. Il est donc essentiel de faire le point sur ce thème afin de se débarrasser de toute construction erronée, de mythes qui jalonnent les traites négrières.

Traites et esclavages dans les programmes et les manuels

Longtemps, l’histoire des traites et de l’esclavage fut un espace oublié de l’enseignement scolaire et universitaire. Catherine Coquery-Vidrovitch12 fait l’hypothèse « d’une sorte d’accord tacite entre les descendants des esclaves, qui avaient appris à avoir honte de leurs origines et les descendants des esclaves qui n’aimaient guère se souvenir des habitudes de leurs ancêtres. » Le rebond fut à la hauteur du déni, fait d’incompréhension, de revendication et de rancune.

Tout commença avec une initiative de restauration de vérité, dont le premier signe fut la constitution du Comité de la marche du 23 mai 1998, pour fêter le 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage qui eut un énorme retentissement chez les Antillais. La loi Taubira-Delannon de 2001, qui reconnaît l’esclavage comme un crime contre l’humanité fut également un événement majeur. Le texte affirme dans son article 1er que « la traite négrière (…) et l’esclavage (…) perpétrés (…) contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité » et prévoit par son article 2, que « les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l’esclavage la place conséquente qu’ils méritent ».

L’histoire de l’esclavage dans les colonies françaises n’a pas été enseignée pendant longtemps. Le Petit Lavisse utilisé dans les écoles publiques jusqu’aux années 1950 n’en disait pas un mot.

Après la Seconde Guerre mondiale, on y vint enfin. Mais ce fut pour enseigner la disparition de l’esclavage, abordant en somme le problème par la fin, à la gloire de Schœlcher. Cela permettait d’encenser la République tout en évitant de considérer la situation antérieure.

Les programmes de collège de 1997 et de lycée de 2002 ne faisaient aucune mention explicite de l’histoire de la traite et de l’esclavage des Noirs.

Le silence des programmes n’empêchait pas des professeurs et certains auteurs de manuels de prendre en compte cette question lors de leur leçon.

Le malaise grandissant des Français des Antilles provoqua néanmoins un premier mouvement. La question fut inscrite en 2000 dans les programmes de l’école élémentaire et dans ceux du secondaire « adaptés » pour les départements d’outre-mer.

Ce hiatus semble en voie de disparition. En effet la loi Taubira proclame depuis 2001, l’obligation d’« accorder à l’histoire des traites négrières et à l’esclavage la place 11 Serge Daget, François Renault, Les traites négrières en Afrique, Paris, Karthala.

12 Catherine Coquery-Vidrovitch, Enjeux politiques de l’histoire coloniale, Agone, 2009, pages 63 à 72.

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conséquente qu’elle mérite » (article 2). Son application se fait au rythme de la publication des nouveaux programmes

En collège aussi l’esclavage et les traites négrières deviennent des thèmes importants d’étude ; les programmes publiés en 2008 les inscrivant dans le temps long de la civilisation africaine du VIIIe au XVIIIe siècle. En cinquième seront étudiées les traites orientale, transsaharienne et interne à l’Afrique noire : les routes commerciales, les acteurs et les victimes du trafic ; en quatrième la traite atlantique ce qui devrait permettre une histoire globale de l’esclavage appréhendée dans toutes ses dimensions et dans toute sa complexité. D’ailleurs, rien n’empêche dès la classe de sixième de présenter l’esclavage dans l’Antiquité que ce soit en Égypte, à Athènes ou à Rome.

1. Des traites négrières internes et orientales en Afrique

A) Les traites intra-africaines

Dans un récent numéro du Monde diplomatique Marcel Dorigny écrivait : « Sous des formes diverses, l’esclavage et le commerce des humains ont été des pratiques répandues dans la plupart des sociétés africaines bien avant l’arrivée des navigateurs européens et indépendamment des traites orientales. Des chiffres ont pu être avancés faisant de la traite intra-africaine – dont l’existence est contestée par certains intellectuels africains — l’équivalent de la traite orientale, mais étalée sur une période beaucoup plus longue encore. Mais, différence essentielle, alors que la traite orientale privait l’Afrique d’une partie de sa population, la traite intra-africaine maintenait intact le potentiel humain du continent. »13

Cet asservissement par les Africains eux-mêmes était lié à des facteurs divers :

Des facteurs écologiques, comme une sècheresse, entraînaient un certain nombre d’asservissements souvent « volontaires », les personnes les plus exposées entraient au service d’une autre.

Un chef de famille pouvait offrir les services d’un membre de sa famille, souvent un enfant, en échange de l’obtention d’un prêt, la personne asservie servant de fond de remboursement.

Une décision de justice pouvait rendre comme sentence la tombée en servitude du prévenu.

Mais ce type d’asservissement ponctuel était insuffisant pour alimenter une traite.

Dans une plus large envergure, la guerre fournissait plus d’esclaves. En cas de défaite, les adversaires étaient réduits en esclavage sous la forme de paiement d’un tribut. C’est ce qui se produisait lors des raids musulmans en Éthiopie dès le VIIIe

siècle. Ces terres chrétiennes ont obtenu une certaine protection des musulmans en échange d’un tribut composé notamment d’esclaves. Les Éthiopiens ont alors cherché plus au sud des esclaves parmi d’autres populations africaines pour ne pas ponctionner leur propre population. Des circuits avec des rabatteurs, des points de

13 Marcel Dorigny, Étapes et conséquences des traites négrières, Le Monde diplomatique, Manière de voir, août-septembre 2009, n° 106.

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rassemblement et de commerce ont alors été mis en place. Enfin des guerres intra-africaines, très nombreuses, pourvoyaient les sociétés en esclaves. Cet approvisionnement le plus répandu fait l’objet de débats non clos entre historiens qui s’interrogent si la guerre avait pour seul but de se fournir en esclaves ou si c’était seulement une conséquence. Il semblerait qu’il existait des modèles locaux ou régionaux infirmant l’une ou l’autre thèse.

En effet, de grandes formations étatiques comme le royaume du Kongo dès le VIe

siècle, les États soudanais comme les empires du Ghana, du Mali et Songhaï plus tard, ont généré des sociétés recourant à de nombreux esclaves. Les structures lignagères entrainaient une redistribution de terres et l’entretien d’une cour. La guerre était un moyen d’élargir les propriétés foncières et les réductions en esclavage un moyen de récompenser les guerriers. Ces esclaves étaient des propriétés collectives qui devenaient des domestiques, des soldats ou encore travaillaient sur de grands domaines exclusivement pour le compte du souverain. Mais une partie de ces esclaves était destinée à la vente. Ainsi, le souverain était-il aussi le plus gros vendeur d’esclaves. Ainsi dans le royaume Bambara dans le Ségou (actuel Mali) au XVIIIe siècle, la guerre produisait des captifs et le commerce produisait des esclaves pour les circuits des autres traites.14

Cependant, selon le mode de réduction les conséquences n’étaient pas les mêmes :

En cas de kidnapping, pour les cas judiciaires, il s’agissait souvent des personnes d’âge mûr.

En cas de famine liée à une sècheresse, il s’agissait plutôt d’enfants.

En cas de paiement d’un tribut pour les musulmans par exemple, c’étaient des marginaux dont les sociétés se « débarrassaient ».

Mais seule la guerre fournissait un large panel de population. L’esclavage touchait toutes les sociétés africaines et a servi de support aux autres traites au moment où elles se sont développées.

L’esclavage et la traite existaient en Afrique noire avant l’arrivée des Arabes et des Européens ; c’est la demande de ces derniers (les Arabes dès le XIe siècle, les Européens au XVIe) qui a stimulé l’esclavage à d’autres échelles.

B) Les traites orientales

Le terme recouvre deux circuits, en place à l’aube de la civilisation islamique et jusqu’à la fin du XIXe siècle :

le trafic maritime entre les côtes de l’Afrique orientale et l’ensemble du Proche-Orient, d’une part ;

le trafic caravanier transsaharien, d’autre part. Elles se caractérisent par leur longévité (13 siècles) et leur considérable extension géographique.

14 Marcel Dorigny et Bernard Gainot, Atlas des esclavages, éditions Autrement, Collection Atlas/Mémoires, 2006

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En 1985, François Renault constate le silence des historiens sur cette question : « La traite des esclaves en Afrique a longtemps été considérée comme un phénomène pratiquement limité à l’exportation à travers l’océan Atlantique (…). Sans ignorer les courants qui existaient en d’autres directions, on ne leur attribuait qu’une importance très secondaire, ils étaient évoqués de façon épisodique et restent encore largement ignorés. (…) Caractéristiques à cet égard nous apparaissent les histoires générales de l’Afrique noire qui se sont succédé, en l’espace d’une dizaine d’années. Pour le XIXe siècle, la traite des esclaves à l’intérieur du continent avec son exportation vers l’Orient ne fait l’objet que de brefs passages ou même se trouve purement et simplement ignorée, alors qu’elle prit une ampleur considérable aux phases les plus intenses de la traite atlantique et constitua un des traits fondamentaux de l’histoire de l’Afrique à cette époque. »15

Ainsi, les traites orientales bénéficieraient d’une visibilité plus faible par rapport aux traites occidentales. Plusieurs facteurs ont contribué à atténuer l’ampleur des traites orientales :

Une forte mortalité et donc une absence de descendants

Des mariages mixtes, particulièrement en Asie occidentale et donc un mélange et une dispersion des populations restantes

Une absence de descendance pour les eunuques et en général le non encouragement de la part des maîtres à la reproduction

La dispersion des esclaves survivants au sein des populations locales

Pour Janet J. Ewald, « cette traite plus diffuse » correspond aussi à un « savoir plus diffus ». « Il nous semble beaucoup plus difficile de compter le nombre des esclaves exportés dans le monde islamique que celui vers les Amériques en partie à cause de l’ancienneté et de la complexité de la traite ». Mais, « surtout, l’esclavage n’a pas préoccupé les intellectuels musulmans au même titre qu’il a inquiété les penseurs européens et nord-américains des XVIIIe et XIXe siècles ». Sans compter que « le monde islamique n’a pas, au XXe siècle, produit un équivalent à celui des spécialistes afro-antillais ayant médité sur les liens traversant les trois continents dont ils sont les héritiers. »16

Une histoire quantitative de ces traites est difficile à faire. Les travaux de Ralph Austen17

permettent cependant d’avoir une idée des effectifs globaux d’Africains (on devrait d’ailleurs parler d’Africaines puisque les femmes ont été plus nombreuses que les hommes !) déportés à travers le Sahara, la mer Rouge et l’océan Indien depuis le haut Moyen-âge. Selon Austen près de dix-sept millions de captifs (d’autres historiens avancent le chiffre de 14 millions) semblent avoir été déportés entre le VIIe siècle et les années 1920… les plus grands marchands d’esclaves ne seraient donc pas occidentaux !

15 François Renault, Problèmes de recherche sur la traite transsaharienne et orientale en Afrique in De la traite à l’esclavage, Daget Serge (éd.), Actes du colloque international sur la traite des Noirs, Nantes, 1985.

16 Janet J. Ewald, Slavery in Africa and the Slave Trades from Africa, American Historical review, avril 1992, p.467 in Olivier Pétré-Grenouilleau, op. cit. p.177.

17 Ralph Austen, African Economic History; Internal Development and External Dependency, Londres, 1987, p.275 in Olivier Pétré-Grenouilleau, op. cit. p.179.

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Les routes de la traite arabe ont peu évolué :

Au Sahara, elles étaient déterminées par la présence de point d’eau et suivaient les routes terrestres transsahariennes, est-ouest aussi bien que nord-sud. La traversée pouvait durer jusqu’à trois mois avec une grande mortalité.

En Afrique orientale, les captifs étaient transportés en Arabie et jusqu’en Inde à partir d’enclaves commerciales établies sur la côte entre la Somalie et le Mozambique. Zanzibar a été pendant des siècles la plaque tournante du trafic.

Le rôle des captifs noirs dans l’économie du monde musulman :

Là aussi, nous disposons de très peu de travaux et de beaucoup de clichés encore tenaces ! Telle cette idée selon laquelle l’esclavage y aurait été plus « doux » avec la légende dorée de l’eunuque et de la concubine construite en réaction à une légende noire des explorateurs européens de la fin du XIXe siècle. Ce poncif a été renforcé par des témoignages trop peu critiqués tel celui d’Emily Ruete, une princesse du Zanzibar, écrivant à la fin du XIXe siècle « qu’il ne faut pas comparer l’esclavage oriental à celui qui existe en Amérique », car « une fois arrivés au terme du voyage les esclaves sont généralement bien traités sous tous rapports ». On sait aujourd’hui que les « traites érotiques » étaient loin de constituer l’essentiel des traites orientales.

Les esclaves jouèrent un rôle important :

Dans la vie agricole du monde musulman : employés dans les petites ou vastes exploitations ainsi que dans l’agriculture de plantation sur une vaste échelle dans la Mésopotamie, au Maroc, en Égypte, au Zanzibar…

Dans les déserts où ils ont entretenu les structures des oasis

Dans les villes où ils étaient artisans, domestiques, manœuvres…

Dans les mines (pierres précieuses, or, sel saharien, récolte de perles en mer Rouge)

Dans les armées

Conclusion sur les traites orientales et internes à l’Afrique noire :

Ce sont celles qu’aujourd’hui nous connaissons le moins ! Attention pour autant à ne pas les aborder avec le même paradigme que les traites occidentales…

2. Les traites négrières occidentales (XVIe-XIXe siècle)

A) Origines

La découverte des côtes africaines au XVe siècle par les Portugais démontre rapidement la difficulté de se rendre en Asie par ce biais. La recherche d’une autre route vers l’Asie pour des finalités économique et commerciale entraîne la découverte des Amériques.

Au XVIe siècle, c’est l’arrivée des Espagnols en Amérique du Sud et aux Antilles. Les populations indigènes sont décimées par des maladies et l’épuisement au travail dans l’exploitation des mines surtout. Puis le territoire découvert connaît une mise en

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valeur progressive. En 1515 la canne à sucre est intensément cultivée à Hispaniola et des Africains esclaves en Espagne sont importés. Idem par les Portugais au Brésil. À l’exploitation du bois s’ajoutent celles du tabac et du café. Le recours à l’esclavage s’impose de par le faible peuplement du Brésil et le peu d’engouement de la part des Européens à vouloir émigrer.

Ces flux de population ne prennent donc pas tout de suite ni systématiquement la forme d’un triangle. Esclaves noirs importés d’Europe ou pour les Portugais au Brésil, approvisionnement direct sur les côtes africaines par le biais de troc.

Au XVIIe siècle entrent en scène la France et l’Angleterre dans les Antilles et en Amérique du Nord. Les colons sont souvent décimés sur place et le système des engagés (voyage payé plus une terre allouée où le colon travaille au début pour rembourser) ou de l’encomienda dans l’empire espagnol ont peu ou mal fonctionné. D’où cette nécessité d’avoir recours massivement à une main-d'œuvre servile.

Le commerce avec les colonies : un rôle moteur pour l’économie européenne

Les nouveaux produits importés en Europe créent un engouement dans les sociétés. Le tabac, le café, le sucre, mais aussi la pomme de terre et la tomate bouleversent les habitudes en matière de consommation et sont à l’origine de la création de nouveaux lieux de sociabilité. La demande est croissante et les revenus des colons qui augmentent permettent à ces derniers d’acheter des produits manufacturés d’Europe. Fin VIIIe siècle 25 % des produits anglais partent vers les colonies18.

Il fallait donc aussi beaucoup produire dans les colonies. Pour que les cultures soient rentables, seule la grande plantation pouvait le permettre, car la mise en culture représentait au départ indépendamment de la taille de l’exploitation des investissements couteux en homme et en matériel.

L’esclavage et les traites négrières jouent alors un rôle de premier plan dans l’essor de l’Europe et la première mondialisation.

B) Organisation de la migration forcée

Presque toutes les régions de l’Afrique noire sont touchées. Les approches quantitatives sont délicates et toute représentation cartographique pose d’emblée plusieurs problèmes. Si certaines régions paraissent moins touchées pendant la traite atlantique, il ne faut pas oublier que ces régions l’ont été plus fortement lors de traites concernant les traites orientales par exemple. Il est donc nécessaire de nuancer et de se replacer sur le temps long. Les chiffres fournis concernent les captifs qui ont survécu aux voyages (en Afrique puis durant la traversée). Mais combien sont morts en cours et ne figurent donc pas.

18 Comprendre la traite négrière atlantique, SCEREN CRDP Aquitaine, Avril 2009.

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En revanche, les cartes élaborées à partir des sources fiables mettent en évidence que les flux les plus importants alimentent le Brésil, les Antilles et l’Amérique du Sud en général. Or dans l’imaginaire collectif, c’est la route vers le sud des États-Unis qui est la plus présente. Les productions littéraires comme La Case de l’oncle Tom ou la série Racines ont contribué à ce mythe ainsi que la propagande des sociétés abolitionnistes.

Les cartes montrent aussi que c’est au XVIIIe siècle que culmine le trafic avec pour principal espace d’approvisionnement l’Afrique de Centre-Ouest.

Des ports européens se spécialisent comme Nantes ou Liverpool. Les ports négriers connaissent eux-mêmes des destins fluctuants. Les ports portugais connaissent un déclin au XVIIe et un renouveau au XIXe quand la traite est interdite ailleurs en Europe.

Les acteurs de la traite sont remarquablement étudiés par Olivier Pétré-Grenouilleau notamment dans sa monographie consacrée à Joseph Mosneron19, un armateur nantais. Les armateurs sont rarement spécialisés dans la traite, car c’était un commerce risqué et couteux. S’il y avait très peu de spécialistes dans ce commerce d’humains en revanche, d’aucuns n’ont pas hésité à s’y adonner au moins une fois dans leur carrière de négociant.

L’approvisionnement se faisait en Afrique en utilisant de préférence les routes fluviales. Ce sont des marchands locaux africains et métis qui s’en chargeaient selon les mêmes modalités que pour les autres traites. Les esclaves sont gardés dans des « captiveries » en attendant les marchands européens. Seulement 2 % des esclaves de la traite atlantique ont été capturés directement par des Européens.

Des trajectoires individuelles nous permettent de montrer le degré d’implication des populations locales dans la mise en esclavage de leurs propres congénères. Randy Sparks raconte l’histoire de deux princes de Calabar vendus comme esclaves à la Dominique qui, une fois libérés, reviennent dans leur pays en 1774 faire le commerce d’esclaves !20

Le roi du Dahomey qui contrôlait le port d’Ouidah dans le golfe de Guinée jouait au début du XVIIIe siècle un double rôle : protecteur de ses sujets, mais principal fournisseur d’esclaves. En 1704, 30 000 esclaves sont vendus à Ouidah et 14 vaisseaux européens attendent entraînant une forte concurrence et la hausse du prix des esclaves. En 1717, les Anglais offraient 25 fusils pour un esclave, les Hollandais 32, mais de qualité moindre.

Cet exemple met aussi en exergue que ce n’étaient point des babioles qui étaient offertes à des trafiquants noirs incrédules, les fameuses pacotilles. Le troc portait sur des objets de valeur et faisant défaut dans les régions d’Afrique concernées. Des armes, des tissus, du métal en barre et des cauris, monnaie locale, étaient échangés contre des esclaves. La

19 Olivier Pétré-Grenouilleau, Moi, Joseph Mosneron, armateur négrier nantais (1748-1833). Portrait culturel d’une bourgeoisie négociante au siècle des Lumières, Rennes, Apogée, 1995.

20 Randy Sparck, The two Princes of Calabar : An Eighteenth-Century Atlantic Odyssey, Harvard University Press, 2004 cité dans La Question noire, histoire d’une construction coloniale, Myriam Cottiaas, Bayard, 2007

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présence de cour royale et d’une aristocratie locale poussait les roitelets à se fournir en produits européens pour assurer leur prestige.

C) La grande traversée

C’était la période la plus terrible dans la vie des esclaves au point de marquer encore à l’heure actuelle les mémoires collectives.

Marqués au fer rouge, entassés, dénudés, régulièrement tondus, mal nourris et enchaînés la plupart du temps, ils subissaient brimades et brutalités le tout dans une puanteur indescriptible ; tout cela imprimait à jamais une souffrance extrême. Certains se suicident, d’autres refusent de s’alimenter et sont fouettés, car un esclave coute cher et peut rapporter gros. Des révoltes ont eu lieu et les navires étaient équipés afin que l’équipage puisse se réfugier en cas de troubles. Néanmoins, compte tenu de la valeur de la marchandise, des législations ont limité le nombre de captifs par navire afin de réduire les pertes. À l’arrivée, les captifs sont « rafraichis » et mieux nourris afin de les rendre plus présentables, ils sont lavés et vêtus. C’est ce qu’Olivier Pétré-Grenouilleau développe dans son essai déjà cité et qui fut à l’origine d’une polémique.

De même, l’image fréquemment présente dans les manuels montre un navire négrier où les esclaves sont atrocement entassés. Sans vouloir nier une réalité dramatique, il s’agit d’une image de propagande de la part de sociétés abolitionnistes visant à émouvoir. Cependant pour certains voyages, cette image est en dessous de la réalité.

La durée du voyage explique aussi cette mortalité élevée, mais qui l’est tout autant pour l’équipage. Cependant, le taux tend à baisser régulièrement grâce à des progrès dans la navigation.

Cette partie sur la traite atlantique est plus développée et mieux nourrie, car c’est celle qui a fait le plus l’objet d’études et de médiatisation. Elle démontre que selon Fernand Braudel : « la traite négrière n’a pas été une invention diabolique de l’Europe ».

Que ressort-il alors de cette approche globale ?

3. Étude comparative des deux traites (atlantique et transsaharienne)

Les chiffres

Les chiffres sont identiques : environ 12 à 14 millions de personnes pour chacune. Mais si la traite au travers du Sahara s’étale sur près d’un millénaire, celle de l’Atlantique se concentre sur trois siècles. La différence réside donc dans l’intensité voire la brutalité du phénomène. Cependant, toute approche quantitative recèle, nous l’avons vu, des problèmes de fiabilité. Nonobstant, à terme, ce qui lui est surtout reproché c’est le caractère déshumanisant de cette approche.

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Le statut des esclaves

Le monde musulman a toujours connu l’esclavage, pour la domesticité surtout. Le voyage était très difficile par route avec près de 20 % de perte, mais sur place le statut et le travail étaient moins pénibles. Pour preuve, les descendants d’esclaves se sont fondus dans les sociétés, car il en reste peu de traces à l’heure actuelle. L’esclavage était donc une réalité permanente, mais leur humanité n’était pas niée et c’était des populations à convertir.

En Europe l’esclavage était minime, dans les galères par exemple en France et le servage a rapidement disparu, l’Espagne et le Portugal font figure d’exception.

Aux Amériques s’est rapidement posé le problème de l’humanité de l’Autre. La controverse de Valladolid a consacré le caractère d’humanité aux Amérindiens. Mais concernant les esclaves noirs, dans la mesure où ils étaient achetés sur les côtes africaines en étant déjà réduits à l’esclavage par les trafiquants, ils conservaient de fait leur statut d’esclave donc de « chose ».

Si la traversée était plus ou moins difficile selon Olivier Pétré-Grenouilleau, leur exploitation sur place était importante, cantonnés souvent à des travaux difficiles. C’était la négation de leur humanité. Les femmes étaient moins importées et donc il n’y avait pas de reproduction sur place. Cela renforce la nécessité d’acheter à nouveau des esclaves.

Ainsi la complicité des négriers africains a servi de légitimation à la traite des Européens et au traitement des esclaves.

Mais dans les deux cas il y eu adaptation des discours religieux. Le païen à convertir, la vie d’un païen-esclave n’est rien à côté de la damnation éternelle.

Les Européens rajoutent une qualité sub-humaine (sauvages) et noir et esclave tendent à se confondre. Amérindiens, Noirs, une hiérarchie s’installe menant progressivement au racisme.

Impact sur les sociétés concernées

Une saignée démographique en Afrique ? Cela est à nuancer, car sinon comment expliquer que la traite ait tant perduré avec un rythme important ? Certaines données chiffrées indiqueraient même que l’Afrique a connu une croissance démographique régulière même pendant l’apogée de la traite atlantique. N’oublions pas que pour une moitié, les traites s’effectuent en interne à l’Afrique. En revanche, cette ponction démographique peut expliquer certains retards de développement, mais moins que le poids de la colonisation.

D’immenses profits au bénéfice de la Révolution industrielle ? La traite atlantique a généré des fortunes personnelles colossales malgré les risques minimisés, nous l’avons vu, par une diversification des produits échangés par les armateurs et les négociants. À une plus grande échelle quel rôle dans l’essor de l’Europe ? Déjà K. Marx écrivait dans le Capital : « ce fut la traite négrière qui jeta les fondements de la grandeur de Liverpool. » La thèse d’Éric Williams de Trinidad et Tobago démontre que la révolution industrielle en Angleterre a été largement financée par le commerce des esclaves. Cette thèse depuis a été soit controversée, soit amendée ainsi la question reste posée.

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De durée beaucoup plus longue que la traite occidentale, la traite arabe ne donna pas lieu à l’implantation durable et visible aujourd’hui d’une diaspora du fait notamment des opérations de castrations des hommes qui ont ainsi limité leur « reproduction ».

Bibliographie

- Les Anneaux de la Mémoire. Nantes-Europe Afrique Amérique, Nantes, 1994.

- Cahiers des Anneaux de la Mémoire n° 5, Les femmes dans la traite et l’esclavage, Nantes 2003.

- Coquery-Vidrovitch Catherine, Enjeux politiques de l’histoire coloniale, Agone, 2009.

- Daget Serge et Renault François, Les traites négrières en Afrique, Khartala, Paris, 1985.

- Dorigny Marcel et Gainot Bernard, Atlas des esclavages. Traites, sociétés coloniales, abolition de l’Antiquité à nos jours, Éditions Autrement, 2006.

- Jacques Heers, Les négriers en terre d'islam : La première traite des Noirs VIIe-XVIe siècle, Poche, 2007.

- Pétré-Grenouillau Olivier, Les Traites négrières. Essai d’histoire globale, Gallimard, Paris, 2005.

- Pétré-Grenouillau Olivier, la Traite des Noirs, « Que sais-je ? » n° 3248, PUF, 1997

- Meyer Jean, Esclaves et négriers, « Découvertes » Gallimard, 1986

- Vergès Françoise, La Mémoire enchaînée. Questions sur l’esclavage, Albin Michel, 2006.

- Documentation photographique, Les Traites négrières, n° 8032, 2003.

- CRDP d’Aquitaine, Comprendre la traite négrière atlantique, Scéren, 2009.

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Pistes pédagogiques pour la 5e Ce que dit le programme

CONNAISSANCESLes traites orientale, transsaharienne et interne à l’Afrique noire : les routes commerciales, les acteurs et les victimes du trafic.

DÉMARCHESL’étude de la naissance et du développement des traites négrières est conduite à partir de l’exemple au choix d’une route ou d’un trafic des esclaves vers l’Afrique du Nord ou l’Orient et débouche sur une carte des courants de la traite des noirs avant le XVIe siècle.

CAPACITÉSConnaître et utiliser les repères suivants− Carte de l’Afrique et de ses échanges entre le VIIIe et le XVIe siècleDécrire quelques aspects− de la traite orientale ou de la traite transsaharienne

Corpus documentaire :

Document 1 : Manuscrit des Maqamat (= histoire courte) de Al Hariri vers 1230, un marché d’esclaves à Zabid, in Documentation photographique n° 8032.

Document 2 : Le commerce des esclaves noirs au Moyen Âge, in Documentation photographique n° 8032.

Document 3 : Graphique de la traite transsaharienne, in Atlas des esclavages, M. Dorigny et B. Gainot, Autrement, page 10.

Au sud de ce Nil existe un peuple noir que l'on désigne par le nom de Lemlem. Ce sont des païens qui portent des stigmates sur leurs visages et sur leurs tempes. Les habitants de Ghana et de Tekrour font des incursions dans le territoire de ce peuple pour faire des prisonniers. Les marchands auxquels ils vendent leurs captifs les conduisent dans le Maghreb, pays dont la plupart des esclaves appartiennent à cette race nègre. Au-delà du pays des Lemlem, dans la direction du sud, on rencontre une population peu considérable ; les hommes qui la composent ressemblent plutôt à des animaux sauvages qu'à des êtres raisonnables. Ils habitent les marécages boisés et les cavernes ; leur nourriture consiste en herbes et en graines qui n'ont subi aucune préparation ; quelquefois même ils se dévorent les uns les autres : aussi ne méritent-ils pas d'être comptés parmi les hommes.

Document 4 : Ibn Khaldoun, Les prolégomènes, 1377.

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On m’a demandé, à propos d’esclaves venant du pays d’Abyssinie qui professent le monothéisme et acceptent les règles de la loi sainte : est-il légal ou non de les acheter et de les vendre ? S’ils se convertissent à l’islam alors qu’ils sont la propriété de leurs maîtres, ceux-ci ont-ils le droit de les vendre ? (…) je réponds : s’il est prouvé que l’esclave était à l’origine un incroyant d’une espèce ou d’une autre (…) et si, d’autre part, il n’est pas prouvé qu’il était dans son propre pays et libre quand il a embrassé l’islam, alors une fois qu’il a été capturé, lors d’une conquête ou d’une victoire, son propriétaire peut le vendre légalement et sans restriction. Une profession de foi monothéiste de la part de tels esclaves ne touche pas leur condition, car l’esclavage est une humiliation et une servitude dues à l’incroyance présente ou passée (…). Quant à ceux qui professent le monothéisme et observent les règles de la loi sainte parmi les esclaves arrivant d’Abyssinie ou d’une autre contrée d’incroyants (…), leur profession de foi monothéiste n’interdit pas leur vente ou leur achat, compte tenu de leur incroyance originelle, et de l’incertitude sur l’époque de leur conversion par rapport à celle de leur asservissement.

Document 5 : d’après Ahmad al-Wancharisi, XVe siècle.

Pistes d’utilisation du corpus :

L’entrée dans le thème peut se faire avec le document 1, illustration d’un manuscrit du XIIIe siècle, le marché d’esclaves de Zabit. On fait décrire aux élèves :

L’endroit (un lieu de marché couvert, le sol pavé)

Les personnages (les quatre marchands, richement vêtus, une femme, trois esclaves noirs assis, dont on distingue à peine le visage, ne semblent pas maltraités…)

La scène (les deux personnages en haut semblent vouloir peser quelque chose. Quel produit est à vendre ? Les trois esclaves ! Une discussion sur le prix entre le marchand et la femme ; on peut en déduire qu’ils allaient servir de domestiques)

Dans un second temps, avec le document 2, on replace cette scène dans une échelle plus grande (de l’Atlantique à la mer Rouge) qui est celle du commerce des esclaves noirs au Moyen Âge. On pourra faire repérer non seulement Zabit mais aussi les principales zones d’importation et d’exportation d’esclaves. L’explication des différents éléments de la légende doit permettre de faire comprendre aux élèves que la traite constituait un important commerce, structuré, international, avec des ramifications dans l’ensemble du monde musulman et dans les régions de commerce.

Le document 3 permet de saisir non seulement la longue durée, mais aussi l’importance de la traite transsaharienne. Par le récit, l’enseignant pourra alors, au-delà de ces chiffres, évoquer les souffrances endurées par les esclaves devant affronter les périls et les difficultés d’une traversée, à pied, de plusieurs milliers de kilomètres. Des caravanes entières disparurent parfois, englouties dans le désert. Près de 20 % mourrait en route.

Dans une dernière partie, les documents 4 et 5 permettent d’évoquer d’une part le rôle joué par les Africains dans la réduction en esclavage (razzias…) et les questions (et les réponses faciles !) que soulevait pour les contemporains ce commerce.

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Pistes pédagogiques pour la 4e

Une entrée pédagogique originale par les acteurs : une étude de cas incluant une approche par un acteur « d’en bas » (subaltern studies).

I - L’EUROPE ET LE MONDE AU XVIIIe SIÈCLE

Thème 3 - LES TRAITES NÉGRIÈRES ET L’ESCLAVAGE

• CONNAISSANCES

- La traite est un phénomène ancien en Afrique. Au XVIIIe siècle, la traite atlantique connaît un grand développement dans le cadre du « commerce triangulaire » et de l’économie de plantation.

• Démarche :

- La traite atlantique est inscrite dans le contexte général des traites négrières.

- L’étude s’appuie sur un exemple de trajet de traite.

• Capacités :

- Raconter la capture, le trajet et le travail forcé d’un groupe d’esclaves.

Démarche proposée :

• Partir d’extraits de la biographie d’Olaudah Equiano qui est un cas exceptionnel de par sa trajectoire sociale et cette exceptionnalité sert d’appui pour une généralisation plus aisée.

• La source est elle-même un récit ce qui permet de travailler la capacité mise en œuvre.

• Cette biographie existe en version « enfantine » et peut être travaillée en approche transdisciplinaire avec le professeur de français.

• La couverture chronologique permet d’aborder le phénomène abolitionniste et de prolonger le travail en éducation civique

Passages et documents sélectionnés :

Document 1 (extraits Le Prince esclave, Olaudah Equiano, adaptation d’Ann Cameron, Pageot roman, 2008)

• L’esclavage dans le royaume du Bénin

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« Ce royaume est divisé en plusieurs provinces et régions. C’est dans l’une des provinces les plus éloignées […] que je suis né en 1745 (… Essaka). La distance qui sépare cette province de la capitale du Bénin et de la côte maritime doit être très importante puisque je n’avais jamais entendu parler d’hommes blancs ou d’Européens, ni de la mer. […]

Chaque chef de famille possède un grand lopin de terre carré (enclos). À l’intérieur de cet enclos se trouvent ses demeures qui abritent ses femmes et ses esclaves. […]Quand un marchand veut des esclaves, il en fait la demande auprès du chef, et le leurre avec ses marchandises. […] Par conséquent, le chef attaque ses voisins et une bataille sans merci s’ensuit. S’il domine et attrape des prisonniers, il comble sa cupidité en les vendant. […]Chez nous, ils [les esclaves] ne fournissent pas plus de travail que les autres membres de la communauté. […] Certains de ces esclaves possèdent eux-mêmes des esclaves sous leur autorité, qui leur appartiennent et sont assujettis à leur propre usage. »

Document 2 : (même source que document 1)

• L’enlèvement d’Equiano par des chasseurs d’esclaves

Un jour où tous nos parents étaient allés à leurs travaux comme d’habitude, tandis que j’étais resté seul avec ma sœur pour garder la maison, deux hommes et une femme franchirent nos murs […] nous saisirent tous les deux […], nous fermèrent la bouche. […] Ils nous ligotèrent les mains et nous transportèrent ainsi aussi loin que possible. […]

Finalement j’arrivai au bord d’une grande rivière (probablement le Niger) où affluaient des pirogues. […] Ma surprise fut mêlée d’une grande peur lorsqu’on me plaça dans l’une de ces pirogues. […] De cette manière, je continuai mon voyage […] jusqu’à ce que, au bout de six ou sept mois après ma capture, j’arrivasse à la côte maritime.

Document 3 : (même source que document 1)

• La traversée sur un navire négrier

Quelques membres de l’équipage me malmenèrent aussitôt et me jetèrent en l’air pour voir si j’étais bien portant. Lorsque j’observai tout autour des bateaux et aperçus […] une multitude de Noirs de tous âges enchaînés les uns aux autres […], je m’évanouis. Quand je repris un peu connaissance, je vis quelques Noirs près de moi qui, je crois, faisaient partie de ceux qui m’avaient amené à bord, et pour cela recevaient leur salaire. […] Je leur demandai si nous n’étions pas destinés à servir de nourriture à ces hommes blancs aux regards horribles, aux visages rouges et aux cheveux longs. La puanteur de la cale, alors que nous étions sur la côte, était si insupportable et écœurante qu’il était dangereux d’y demeurer un certain temps, et on avait autorisé certains d’entre nous à rester sur le pont pour respirer de l’air frais. […] L’étroitesse de l’endroit ainsi que la chaleur du climat, ajoutées aux passagers du bateau, qui était tant encombré de monde que chacun avait à peine l’espace pour se retourner, nous étouffaient presque. Cela généra d’abondantes transpirations, de sorte que l’air devint bientôt irrespirable, à cause des variétés d’odeurs répugnantes, et provoqua une maladie parmi les esclaves dont plusieurs en moururent. […] Cette situation misérable fut encore aggravée par le bruit irritant des chaînes […] et la crasse des latrines, dans lesquelles les enfants tombaient souvent et s’étouffaient presque. Les cris des femmes et les gémissements des personnes mourantes rendaient toute la scène atroce. […]

Document 4 : Un navire négrier (photo page 168 extraite de CRDP d’Aquitaine, Comprendre la traite négrière atlantique, Scéren, 2009.)

Document 5 : (même source que document 1, photo prise sur le site Wikipedia)

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• Equiano, esclave à talents

Après notre débarquement […] les acheteurs accourent dans l’enclos où les esclaves sont massés, et choisissent le lot qu’ils préfèrent. […] Sans scrupule, des familles et des amis sont séparés.

À Montserrat, […] M. King, mon nouveau maître, […] m’avait acheté […] [car] comme je comprenais un peu l’arithmétique, lorsque nous y arriverions (à Philadelphie), il m’inscrirait à l’école, et me formerait au métier de commis. […]

Il est courant dans les Indes occidentales que les hommes achètent des esclaves […] dans le but de les louer aux planteurs et aux marchands pour la journée, et ils distribuent à leurs esclaves la rente qu’ils décident, soit tant par tête, à partir du produit de leur travail journalier pour leur subsistance  : cette rente est souvent très insuffisante.

•Un fond de carte peut être distribué pour tracer l’itinéraire d’Olaudah

(Dans la mise en perspective montrer que s’il existe souvent un commerce triangulaire, c’est un voyage sans retour pour les esclaves)

•Les documents 1 et 2 replacent bien la traite occidentale parmi les autres traites et réactive les pré-requis de 5°

•Les documents 3 et 4 évoquent la terrible traversée, objet de mémoire collective et le professeur explicite le document 4 qui est un document de « propagande » abolitionniste

•Le document 5 permet d’aborder une trajectoire individuelle particulière qui a inspiré les abolitionnistes. Il peut mener à formuler la problématique pour la généralisation « cette vie d’esclave correspond-elle à une réalité fréquente ? »

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•Cela peut se prolonger par la fabrication d’un dossier sur l’abolition de l’esclavage en TICE et les nouvelles formes d’esclavage moderne en ECJS.

•Ce travail peut être transposé en classe de seconde en ECJS en parallèle avec le cours sur la Révolution.

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L'Algérie indépendante (1962-1999)

Muriel MasséLe 13 octobre 2010Professeure au Lycée Georges [email protected]

Colonisation, décolonisation et période postcoloniale, trois mots qui semblent caractériser et découper clairement l'histoire de l'Afrique au XXe siècle. C'est d'ailleurs généralement ainsi que nous l’abordons avec les élèves que ce soit en terminale des séries générale et technologique ou au collège. Si les études de cas sur la période coloniale et la décolonisation apparaissent largement dans les programmes et manuels, l’introduction en terminale STG d’un « sujet d’étude » sur la période postcoloniale est plus récente et déroutante. En effet, cette période est moins connue des enseignants, car sans doute plus rarement abordée par les historiens ; elle est par ailleurs desservie par la rareté des ressources alors même qu’elle soulève des questions délicates mêlant enjeux politiques, économiques, démographiques. Alors que l'Afrique apparaît comme un tout dans l'enseignement secondaire, l'approche universitaire présente séparément le nord du continent du reste, de la zone subsaharienne. Est-ce que l’Algérie peut être prise comme cas pour l’ensemble de l'Afrique, ou seulement pour l’Afrique blanche, arabe, ou francophone ? Dans quelles mesures ces entités ont-elles une existence, une unité ? En tout état de cause, l'histoire contemporaine de ce morceau de terres permet de proposer une mise en perspective de la notion de développement utilisable dans d’autres cours comme en terminale générale ou dans les futurs programmes de géographie de seconde. Cette approche permet donc d’établir des passerelles entre histoire et géographie autour de thèmes comme la douloureuse construction d’États-Nations africains, le développement manqué et la question de l’unité africaine.

À partir de l’exemple de l’Algérie entre 1962 et 1999, on peut se demander :

- Dans quelle mesure la période postcoloniale marque une rupture avec les deux autres périodes, jusqu’à quel point rejette ou se nourrit-elle de la colonisation et de la décolonisation ? - Quels sont donc les enjeux auxquels doit répondre l’Algérie au lendemain de son indépendance ? Ces enjeux se retrouvent-ils ailleurs en Afrique ? - Comment évolue l’Algérie politiquement, économiquement et socialement, quelle voie pour le développement suit-elle ? Quel modèle est-elle pour les autres pays du continent ? - Jusqu’à quel point réussit-elle à s’imposer sur la scène internationale ? Quelles relations créent ces nouveaux États africains ?

Si le sujet d'étude sur l'Algérie en 1954, par contre cette présentation se focalisera résolument sur la période postérieure à l’indépendance, découpant de façon chronologique

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les « années d'espoir21 », de 1962 à 1975, puis les « années de cendres » de 1975 à 1999. Cela permettra de s'intéresser à des thématiques comme l'évolution de la place des femmes, les choix économiques et le fonctionnement politique, la montée de l'islamisme et même d'interroger l’africanité de l’Algérie.

21Sous-titres d'un documentaire de F. Strouve, B. Stora et J.-M. Meurice sur l'Algérie en deux parties, coproduit par FR3 en 1995.

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Place dans les programmes

Terminale STG

Décolonisation et construction de nouveaux États

(8 -10 h)

A - Du reflux colonial à l'État-nation depuis 1945

Décolonisation

Anticolonialisme

Tiers-monde

Nationalisme

Non-alignement

A - Les nouveaux États doivent compter avec l'héritage colonial et les conditions difficiles dans lesquelles ils accèdent à l'indépendance.

On montre qu'ils sont confrontés à des défis politiques (construction d'un État-nation, démocratie) et économiques (lutte contre la pauvreté, développement). Ils B - Sujet d'étude au

choix :

- L'Algérie à partir de 1954

- L'Inde à partir de 1947

B - Sans faire le récit systématique des événements, cette étude décrit l'évolution générale du système politique.

Elle met en évidence les choix des pays en matière de développement, les résultats obtenus, la place occupée dans les relations régionales et internationales. Elle permet de cerner certains caractères communs.

Rappelons que le sujet d’étude doit débuter en 1954 alors que cette présentation commence en 1962

« Il ne s’agit pas de faire une histoire événementielle, mais bien de mettre en évidence des défis à relever suite aux indépendances comme les défis politiques et économiques, auquel on peut rajouter défis démographiques et alimentaires

Les caractères communs peuvent s’articuler autour de

- construction d'États-nations et ethnisation, islamisation, - la difficile démocratisation entre instabilité et conflits- Richesses et Pauvretés, fléaux et dépendances- un continent convoité par les puissances - problèmes de souveraineté et d'association : l'Afrique existe-t-elle, une unité est-elle possible, en marche ? »

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Terminale générale : ES et L et moins développé en S

PARTIE sur I - Le monde de 1945 à nos jours (22 h avec 4 sous-parties)

« 3 - Le Tiers-Monde : indépendances, contestation de l'ordre mondial, diversification

On analyse l'émancipation des peuples dominés, les difficultés économiques et sociales auxquelles les États nouvellement indépendants sont confrontés et leurs tentatives d'organisation pour obtenir un poids accru dans les relations internationales. La diversification des États du Tiers-Monde s'accentue dans les années 1970. »

4 - À la recherche d'un nouvel ordre mondial depuis les années 1970 Les années 1970 constituent un tournant, car l'équilibre international est remis en cause : dérèglement économique, moindre maîtrise du monde par les deux Grands, nouvelles formes d'opposition intérieure dans les sociétés communistes, multiplication des conflits dans le Tiers Monde.Après un regain de la tension est-ouest, la disparition de l'Union soviétique met un terme à la guerre froide. Les États-Unis s'imposent, non sans contestations, comme l'unique superpuissance. À partir de la fin des années 1970, l'affirmation de l'islamisme, sous différentes formes, constitue un autre fait majeur. Ces profonds bouleversements façonnent le monde actuel, au sein duquel les organismes internationaux sont à la recherche d'un rôle nouveau, notamment face à la gestion des conflits locaux. »

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I L’Indépendance n’est synonyme ni de démocratisation, ni de pacification

La période de post-décolonisation est d’abord sous certains aspects une rupture. Avec le départ des Français, l'Algérie se retrouve sans cadre, sans personnel politique. De plus, la non-intervention du gouvernement français dans les affaires intérieures algériennes suite au cessez-le-feu est subite. Ainsi, Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes, dit au conseil des ministres du 25 avril 1962 « en réalité nos troupes sont consignées », autrement dit, le gouvernement de Georges Pompidou, alors nouveau 1er ministre de De Gaulle, s’abstient d’intervenir. L'Algérie nouvellement indépendante doit se débrouiller seule, tout est à construire. Ce qui explique en partie que la rupture ne soit valable que dans certains domaines.

Ainsi, la fin de la guerre avec la métropole ne signifie ni la fin de la guerre en Algérie, ni la réconciliation nationale ou encore la démocratisation, facteurs clés de la stabilité. Il s’agit de se demander dans le cadre d’une étude de cas pourquoi l’indépendance ne signifie pas la fin de la guerre d’Algérie ? En effet, l’Algérie nouvellement indépendante doit faire face aux enjeux de pouvoir et au terrorisme.

La tentative démocratique fut de très courte durée puisque la constitution de 1963 est suspendue par Ben Bella, trois semaines seulement après son début d’application. Et il faudra attendre 1976 pour que le pays se dote d’une constitution. En attendant, c’est une dictature qui se met en place. Alors que le gouvernement gouverne par ordonnances, Boumediene devenu chef de l’État et du gouvernement, suite au putsch des militaires, accapare le pouvoir de 1965 jusqu'à sa mort en 1978. D’ailleurs, les nouveaux chefs de l’Algérie indépendante sont les leaders ou tout au moins d’actifs participants des mouvements indépendantistes, rompus à la guerre, formés politiquement dans les rangs des organisations clandestines comme le FLN ou l'ALN, habitués à des actions armées et non aux débats démocratiques.

Il faut donc considérer le rôle central de l’armée : alors que tous les discours et textes vont dans le sens d'une primauté du politique sur le militaire qui doit être au service du premier, il en va bien autrement. Ainsi, l'armée est le seul corps social constitué, alors que la colonisation et la guerre d'indépendance et ses suites ont détruit les autres structures sociopolitiques. Elle a gagné ses lettres de noblesse avec la lutte anticoloniale et a un rôle bien plus étendu que la simple défense du pays.

- Elle fournit les chefs politiques qui cumulent les fonctions politiques et militaires et viennent de la lutte pour l’indépendance. Ainsi, est-ce le cas de Ben Bella, premier président de la toute nouvelle République algérienne dès août 1962, tout comme le colonel Boumediene ou plus récemment Bouteflika. De plus, à partir de Boumediene, le président est aussi ministre de l’armée. C’est le cas de Chadli (1979-1992) et de Zeroual (1993-1998). Notons qu’ils ont tous fait carrière dans l’armée ; le premier est colonel et le second général. - L’armée protège la révolution,

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- Elle participe à l'unité nationale puisque le service militaire obligatoire est un lieu de formation et d’embrigadement et doit aider à la socialisation - Elle participe au développement du pays en perçant la route transsaharienne, en luttant contre la désertification avec la mise en place d'un barrage vert.

Elle est donc la clé de voûte de l'État, constitue une véritable caste, est un passage obligé vers le pouvoir.

Surtout, la colonisation correspond d’après Jean Pierre RIOUX à « un monde irrémédiablement brisé en deux qui a entretenu sans trêve la violence sociale, ethnique et religieuse ». Or cette violence coloniale ne quitte pas l’Algérie indépendante, violence des factions armées (durant l’année 1962, des circulaires de l’ALN ordonnaient de recenser les « traîtres »), et si le FLN avait ordonné officiellement de ne pas rompre ouvertement avec le cessez-le-feu, il riposta aux attentats de l’OAS par des enlèvements et des attentats d’abord discrets et sélectifs, puis de plus nombreux et donc visibles. On estime, pour la seule période en 1962 allant du cessez-le-feu à la mise en place à l’automne d’un régime démocratique, les victimes à plus 1800, côté français, et plus de 10 000, côté harkis.

Le pays reste donc irrémédiablement divisé en deux jusqu’au début de la réconciliation nationale mis en place par Bouteflika à partir de 1999 (loi dite de concorde civile et « charte pour la paix et la réconciliation nationale » en 2005) - voir 3e partie

Extrait du film de F. Strouve, B. Stora et J.-M. Meurice sur l'Algérie : 1962 : la lutte des chefs et la guerre civile

Texte de Pierre Bourdieu en 1962 : l’unité politique est difficile à construire dans un pays où les oppositions culturelles sont anciennes

Charte du FLN

Conclusion : après 1962, à la violence sociale, ethnique, religieuse s’ajoutent les luttes politiques. Le pays n'a pu asseoir les bases d’un fonctionnement démocratique.

II Le mirage de la modernité et les illusions perdues de l'indépendance 

L’Algérie aujourd’hui fait partie des pays dits du Sud, pourtant dès l’indépendance, la priorité semble être donnée au développement. Ainsi, Ben Bella déclare devant l’Assemblée nationale le 28 septembre 1962, « l’indépendance, c’est aussi la disparition du sous-développement, le relèvement social et économique du peuple qui ne peut accepter d’être frustré de sa révolution ». Quelles sont donc les tendances socio-économiques, démographiques et géopolitiques qui façonnent l’Algérie dans les années 1970 et 1980 et qui expliquent que près de 50 ans après, l’Algérie est loin d’avoir relevé le défi du

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développement, pas plus qu’elle n'a su s’imposer comme un modèle pour les autres pays en développement ?

Revenons tout d’abord sur l’héritage de la période coloniale et les choix stratégiques qui ont mené le pays au chaos.

Même si le gouvernement français avait démarré une politique de développement dans les dernières années de la colonisation, avec l’ambitieux plan de Constantine (1958-1960), les dés étaient jetés et ce plan arrivait trop tard pour inverser le cours de l'histoire, surtout en période de guerre. « L'Algérie qui accède à l'indépendance en 1962 est donc un pays peu développé, à dominante agricole. S'y côtoient deux sortes d'agriculture. La première, contrôlée pour l'essentiel par les colons, est moderne, mécanisée, tournée vers la métropole. C'est celle qui produit des millions d'hectolitres de vin, des agrumes, du coton... L'autre est traditionnelle dans ses méthodes, et peu ambitieuse dans ses débouchés. Quant à l'industrie, elle reste secondaire, et spécialisée dans la transformation des produits de la terre.22 »

En 1965 et dans les années qui suivent, l’objectif est donc de se développer, de rattraper le retard pris durant la colonisation. L’État fait alors le choix de la rupture économique puisque que se met en place un socialisme d’État qui essaye d’industrialiser l’Algérie à marche forcée après une parenthèse autogestionnaire (1962/1965 sous Ben Bella), mais cette voie vers le développement est un échec :

« Le coup d'État du 19 juin 1965 et l'arrivée au pouvoir de Houari Boumediene changent la donne. L'homme est secret, connaît peu l'économie, mais son entourage va le convaincre qu'en peu d'années un pays en développement, s'il fait preuve de volontarisme, est capable de refaire son retard. La clé de la réussite tient en un concept, celui de l'«industrie industrialisante”, importé — le paradoxe est savoureux — de l'ancienne puissance coloniale. [...] Un pays qui a été mis à mal par la colonisation doit, pour démarrer une dynamique de développement, restreindre la consommation et privilégier non pas l'agriculture, mais l'industrie. Pas n'importe laquelle, l'industrie lourde, de base, qui, par une sorte d'effet d'entraînement, nourrira en amont une industrie légère compétitive. [...]

L'État a mis la main sur les terres agricoles vacantes. “Ce sont près de 2,5 millions d'hectares qui sont récupérés, soit près de 30 % de la surface agricole utile du nord de l'Algérie, la partie la plus riche”, écrit un ancien ministre réformateur, Smaïl Goumeziane. La nationalisation ne s'arrête pas à la terre. Elle touche bientôt l'ensemble des entreprises industrielles de commerce et de transport, les banques... avant leur réorganisation en sociétés nationales placées sous la tutelle directe de l'administration. C'est cette dernière qui, à l'image du modèle soviétique, planifie tout, nomme et révoque les directeurs, fixe les objectifs de production, approuve les décisions d'investissements, contrôle la gestion. Les entreprises ne sont que les éléments d'une stratégie décidée et mise en œuvre au sommet de l'État. » 23 Ainsi, ce qui se développe, ce sont les « dépenses improductives ».

22 Extrait de l’article de Jean-Pierre Tuquoi paru le 30/06/2002 dans Le Monde « Les illusions perdues de l'indépendance : Le mirage de l'industrie lourde »

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« L'évolution des effectifs de l'armée en est une bonne illustration. De 1962 à 1963, ils passent de 80 000 à 120 000 hommes et absorbent 10 % du produit intérieur brut (PIB). »24

Au départ, l’argent n’est pas un problème. La rente pétrolière qui provient de la nationalisation des ressources en 1971, avec la création de sa propre compagnie nationale, la Sonatrach et alimentée par les envolées du cours du baril, permet de couvrir toutes les dépenses. Et même si la croissance est au rendez-vous dans les années 1970 avec une moyenne annuelle de 6 % d’accroissement du PNB, elle est artificielle et non durable, annihilée par la plus forte croissance démographique. En 1985, le nombre d'enfants par femme était d'un peu plus de 6, et en 2002, 70 % de la population à moins de 30 ans !

En quelque sorte, cette rente aveugle l’Algérie qui ne voit pas que la gestion du pays est désastreuse et qu’il faut mettre en place d’autres politiques dans d’autres domaines pour se développer. « C'est une ambition prométhéenne qui anime la jeune nation. Pour en prendre la mesure, il suffit d'observer la part réservée aux investissements. Elle passe de 21 % du PIB au lendemain de l'indépendance [...] à 50 % en 1973 — l'un des taux “les plus élevés du monde”, rappelle B. Stora. « Difficile à maîtriser du point de vue technologique, et plus encore de celui de la gestion, le parc industriel allait bientôt se révéler peu rentable, incapable de s'autofinancer et inapte à exporter ses productions ; l'entretien de ce parc coûtant de surcroît fort cher. »3 Lorsque la rente se tarit l'Algérie se tourne vers la France pour obtenir de l'argent frais et joindre les deux bouts, le cercle vicieux de l’endettement commence. Mais en attendant, le régime peut afficher fièrement la réalisation de grands complexes chimiques et sidérurgiques implantés au sein de “pôles de développement”, à Arzew, Annaba, Skikda.

L’échec est aussi patent dans le domaine agricole, les paysans ne sont pas formés pour gérer les coopératives agricoles. Dans le documentaire cité précédemment, on voit Boumediene qui vient remettre un titre de propriété à un agriculteur qui ne sait manifestement ni lire, ni écrire ou encore des femmes qui obtiennent le droit de travailler en coopérative, mais n’ont pas la formation pour rentabiliser leur exploitation ! Ces paradoxes résument bien l’état dans lequel le pays essaye de se développer. La volonté ne manque pas, mais les forces contraires anéantissent les efforts. Le passage en force à une agriculture intensive est une catastrophe. De plus, les plans de planification ne sont pas adaptés aux caprices météorologiques et l’Algérie se retrouve bientôt être l’un des plus importants importateurs de céréales au monde.

Voir extrait du film concernant l’année 1968 montrant que durant ces “années d’espoir”, l’Algérie essaye à pas de géants d’introduire la modernité, de forcer le développement et

23 Extrait de l’article de Jean-Pierre Tuquoi paru le 30/06/2002 dans Le Monde « Les illusions perdues de l'indépendance : Le mirage de l'industrie lourde »

24 Benjamin Stora dans Histoire de l'Algérie depuis l'indépendance, Ed. La Découverte

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avance sur le chemin de l’émancipation des femmes alors que les changements, même s’ils sont perceptibles, sont lents et se font par à-coups.

Le paradoxe du statut des femmes 

Notons tout d’abord que dans les années 60, il y a une grande variété des situations : femmes âgées tout en noir dans les campagnes à l’image de celles que l’on trouve dans les campagnes nord et du sud des rives de la Méditerranée, mais aussi des femmes modernes, plutôt citadines en mini-jupe, qui étudient, veulent travailler, se battent pour leur droit.

“Entre reculs et progrès, la condition féminine avance pourtant en Algérie, mais d'une façon singulière, comme un oued qui créerait péniblement son chemin, progressant par à-coups, débordant en tous sens, puis réintégrant son lit. [...] Même si la société demeure conservatrice, il y a des fissures. Cela craque par moments. Les choses bougent de cette façon. C'est ainsi que le discours égalitaire passe mieux que dans les années 1980, malgré la parenthèse de ces dix dernières années”, explique Imane Hayef, pour qui l'on n'insistera jamais assez sur le rôle qu'auront joué dans ce domaine les échanges de tous ordres : économiques, culturels, etc.25 »

Alors que la condition féminine connaît des progrès dès les années 1960, même à la campagne où l’autogestion et le développement du socialisme font des femmes des acteurs des changements agricoles, un véritable recul a lieu dans les années 1980 avec en 1984 la mise en place d’un code de la famille directement inspiré par la charia ou loi islamique. Les femmes se voient dotées d’un tuteur matrimonial, elles doivent obéissance au mari, ne peuvent épouser un non-musulman, et ne peuvent divorcer que très difficilement, ou encore sont jetées à la rue si leur mari les renie ; la polygamie est autorisée. Autant d’éléments qui vont à contre-courant des évolutions occidentales du statut des femmes.

Dans le champ politique, l’Algérie se veut nationaliste et tiers-mondiste

À partir de Boumediene, l’Algérie a la volonté de s’imposer sur la scène internationale marquée par la guerre froide. Là encore, le défi est d’échapper à l'influence des deux grands, tout en essayant de devenir un leader si ce n’est un modèle pour les autres pays du tiers-monde. Ainsi, la constitution de 1963 consacre des articles à la nécessité de l’unité arabe, maghrébine et africaine, la fidélité au non-alignement, la nécessaire solidarité entre les pays du tiers-monde. C’est aussi au nom de cette morale que ce pays soutient durant les années soixante et soixante-dix un nombre important de mouvements révolutionnaires de par le monde, ce qui lui valut d’être considéré comme « le phare du tiers monde » en particulier du monde arabe. Par extension et grâce à ses richesses sur le plan énergétique ainsi qu’à sa position particulièrement privilégiée dans le flanc sud de la Méditerranée, l’Algérie jouit d’une influence certaine au niveau des ensembles régionaux auxquels elle

25 Extrait d’un article de Florence Beauge, paru dans Le Monde du 30/06/2002, portant sur l’Algérie et intitulé « Dans une société désorientée, le statut des femmes illustre toutes les contradictions du pays »

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appartient (Union africaine, Ligue arabe, dialogue euro-méditerranéen), supérieure à son poids réel. Or, si dans les années 60-70 elle réussit assez bien à s’imposer comme un modèle et un chef de file pour les autres nations en développement, recevant par exemple le sommet des non-alignés à Alger le 5 septembre 1973, les « années de cendres26 » mettent fin à cette volonté d’être un modèle.

On peut donc conclure cette partie en rappelant la complexité des imbrications qui se jouent dans ce pays. Ainsi, l’Algérie indépendante doit faire face à des enjeux nombreux et colossaux à l’image de ce bout de continent colonisé puis laissé à lui-même. Il y a bien sûr le fait qu’il faille inventer une organisation politique dont découlent les choix économiques supposés apporter le développement. Mais c’est sans compter sur la pression démographique et les bouleversements sociaux qui contrecarrent les efforts des gouvernements et créent un chiasme entre la population et le gouvernement à l’origine en grande partie de la guerre civile qui annihile les progrès réalisés avant les années 1990.

III La décennie de la guerre civile : la mise à mort du pays

De fait, les errements économiques cachés par la flambée des cours du pétrole n’ont rien résolu de la grave crise sociale et économique qui couve, et qui est renforcée par la forte croissance démographique. Les années 1980 sont la décennie des rendez-vous manqués et des paradoxes. À la fin des années 1980, les Algériens sont fatigués de la politique d’austérité ; d’ailleurs, Chadli a pour slogan lors de sa campagne présidentielle « Pour une vie meilleure ». Toutes les conditions sont réunies pour que le pays explose. L’embrasement a lieu en octobre 1988, les manifestations contre les produits de première nécessité se transforment en pillage, suivies d’émeutes. La voie de la violence appelle d’autres violences. La guerre civile fait rage en Algérie dans la décennie 1990 emmenée par des islamistes. Mais comment ont-ils pu imposer ce climat de terreur ?

Un pays islamique qui devient un pays marqué par la terreur islamiste

Après comme avant l’indépendance, l’Algérie est un pays musulman, la jeune république socialiste considère l’islam comme un ferment identitaire et un facteur de progrès, mais a en tête le contrôle de la religion et des imans. Aussi, l’islam en tant que force politique agissante y émerge lentement et quasi clandestinement avant de profiter du mouvement de démocratisation de la fin des années 1980 pour devenir la plus importante force politique du pays. Ainsi, le FIS (Front islamique du Salut) devient le premier parti légalisé suite à l’ouverture démocratique que met en place la nouvelle constitution de 1989. En effet, cette constitution marque une véritable rupture avec les précédentes, car si l’islam reste la religion d’État, l’Algérie n’est désormais plus ni socialiste, ni révolutionnaire. Elle abandonne les axiomes du passé : fin des prétentions à être un leader tiers-mondiste, l’armée perd de sa 26 Années 80/90 dénommées ainsi dans le documentaire de F. Strouve, B. Stora et J.-M. Meurice, réalisé en 1995.

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toute-puissance, n’est plus un acteur politique et surtout c’est la fin du parti unique. Cette démocratisation permet aux forces conservatrices de s’imposer. Ainsi, en 1990, le FIS remporte les élections municipales. À partir de cette première victoire, ils durcissent leur position, organisant des grèves et manifestations. L’État répond en décrétant l’état de siège, ce qui n’empêche pas le FIS de remporter les législatives en 1991. Le cercle vicieux de la guerre civile est lancé : le second tour des élections législatives est annulé, les violences se multiplient, la répression également et les gouvernements se succèdent. Sans stabilité, il est impossible de réformer le pays en profondeur et une fois le FIS dissout au début de 1992, il passe dans l’illégalité, la violence se mue alors en terrorisme. Du FIS naissent des branches armées : les « GIA » (groupes islamistes armés). Des régions rurales et montagneuses, ces derniers lancent des attaques, livrent combat, pratiquent toutes sortes de trafics et embrigadent aisément les laissés-pour-compte du système.

Cependant, cette islamisation de la société a commencé dès la fin des années 1970, alors qu’on aurait pu croire à un recul de l'islam après l’indépendance. Cette montée du religieux qui s’impose d’abord dans la vie sociale avant de devenir une force politique peut s’expliquer par l’orientation que prend Boumediene à la fin de son règne, se tournant vers l’islam. Ainsi, en 1976, le congé hebdomadaire passe du dimanche au vendredi. Et dans ces années, l’islamisation est le fait du gouvernement qui au grand dam des Algériens interdit par exemple les paris, les boissons alcoolisées, la consommation de porc, etc. Les femmes comme on l’a vu en sont les plus grandes victimes avec la mise en place du code de la famille. Ce mouvement trouve un terreau favorable auprès d’une population qui voit son niveau de vie baisser sans cesse — 650 000 chômeurs en 1985, 1,2 million en 1987 —, ses espoirs fondre. Il est alimenté par des groupes religieux qui, constitués en associations, développent les écoles, lieux de réunion, d’enseignement du Coran, autrement dit, répondent en partie au déficit de réponses gouvernementales aux préoccupations des habitants. D’ailleurs, des milliers de mosquées sont construites tous les deux ans. Et si le pouvoir pensait contrôler la mosquée, c’est en fait la mosquée, devenue le seul lieu possible de réunion et de discussions, qui s’empare progressivement du pouvoir. Lors de l’ouverture démocratique suite à la nouvelle constitution promulguée en 1989, ce sont les rares organisations avec celles berbères par exemple, qui ont acquis une certaine expérience pour alimenter l’opposition au FLN qui s’était imposé comme le parti unique. Ainsi, si pas moins de quarante partis politiques se sont créés en 1990, seuls quelques-uns, en particulier le FIS, émergent et sont capables de s’imposer et de représenter une part notable de la population.

Presque dix ans de troubles, d’actes terroristes.

À la fin des années 1990, une guerre sans merci oppose forces gouvernementales et islamistes qui veulent instaurer par la force un État islamiste. Les Algériens sont les victimes de ce conflit ouvert : rien qu’en janvier 1998, on dénombre 1 000 morts. En 1999, l’élection présidentielle voit Bouteflika, candidat indépendant qui promet concorde et prospérité devenir président. Il réussit à faire déposer les armes aux islamistes grâce à une politique de réconciliation nationale, approuvée par référendum et qui permet de réintégrer des islamistes

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dans la société civile. Il lutte contre la corruption et essaye de relancer l’économie. Si en 2000, la paix est revenue, l’Algérie doit encore relever les défis du chômage, de la paupérisation, d’une urbanisation galopante, etc. sans compter qu’une véritable démocratisation reste à mettre en place effectivement.

Voir les extraits des JT qui montrent le début de la guerre civile et la proposition de concorde civile sur Jalons pour l’histoire du temps présent via Correlyce

- JT du 10/02/1992 : après les élections de 1991 gagnées par le FIS et annulées au 2d tour, début de la violence, puis du terrorisme - JT du 17/09/1999 : Bouteflika et la concorde civile

Conclusion :

L’histoire de l'Algérie indépendante permet de soulever de nombreuses questions qui ne sont pas forcément à séparer de la période coloniale et qu’il ne faut pas prendre comme un cas exemplaire, mais comme le moyen de se poser des questions sur l'Afrique depuis les années 60. Quel contenu donner à la colonisation, en termes de durée et de processus mis en œuvre ? La période postcoloniale est-elle vraiment un temps d'innovation et de rupture ? Cela commence-t-il durant la colonisation ? Dans quelle mesure la période postcoloniale se nourrit-elle des deux autres périodes ?

Ainsi, il convient de prendre en compte la complexité des changements et des aspirations, souvent contradictoires et intimement liés, qui animent les pays après les indépendances, mais aussi les continuités culturelles et politiques : l’absence de démocratisation ; la difficulté de créer un État nation sur un continent qui n’a pas cette culture en héritage. Ce qui peut déboucher sur des stratégies de développement inappropriées qui ne prennent pas en compte les aspects démographiques et sociaux et les handicaps ou caractéristiques propres à chaque espace et explique largement la violence latente qui se transforme en guerre et en terrorisme avec la radicalisation de groupes islamistes. Néanmoins, la fatalité, le déterminisme n’existent pas. L’Afrique du Sud a pris aujourd’hui le relais de l’Algérie comme modèle pour le reste du continent, après avoir entrepris une nécessaire réconciliation nationale ; l’Algérie pourrait s’inspirer de son homologue à l’autre bout du continent pour apporter une « vie meilleure » au peuple algérien.

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Pistes pédagogiques sur l’atelier :

Afrique postcoloniale à partir du cas de l’Algérie indépendante

Problématique : Quels sont les enjeux auxquels doit répondre l'Afrique à partir des années 60-70 ? Comment évoluent les pays nouvellement décolonisés politiquement, économiquement et démographiquement ? Quel développement ? Dans quelles mesures réussissent-ils à s’imposer comme nouvel état sur la scène internationale ?

Notions dans le programme STG :Décolonisation – Anticolonialisme -Tiers-monde - Nationalisme -Non-alignement -Islamisme

I//Étude de cas sur Algérie postcoloniale ou indépendante

1 - Comment évolue le système politique en Algérie de 1962 aux années 90 ?

Exemples de documents utilisables

DOCUMENT 1

- Des extraits de quelques minutes du documentaire de F. Strouve, B. Stora et J.-M. Meurice sur L'Algérie de 1962 à 1995 en deux parties, « les années d’espoir et de cendres » coproduit par FR3 en 1995 et empruntable en bibliothèque, qui se présente sous la forme d’images d’archives présentées chronologiquement et commentées.

OU

- Des extraits du texte de Pierre Bourdieu écrit en 1962 traitant de la difficulté de construire une unité politique dans un pays où les oppositions culturelles sont anciennes ; il est disponible dans le Manière de Voir d’avril et mai 2002.

+

DOCUMENT 2

Des journaux télévisés sur l’Algérie de l’année 1991 et 1999 qui sont téléchargeables via Correlyce sur les Jalons pour l’histoire du temps présent.

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OU

Des extraits de la concorde civile proposée par Bouteflika.

+

DOCUMENT 3

Une chronologie présentant les différents présidents et évènements majeurs.

Questions qui permettent de comprendre 

- le mauvais départ en 1962 et la succession des régimes militaires et autoritaires- l’essai de démocratisation avortée à la fin des années 80- l’islamisation politique menant vers la guerre civile ou la période de Terreur des

années 90- son arrêt grâce à la concorde civile de 1999

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2 – Quels choix l’Algérie a-t-elle faits en matière de développement pour quels résultats ?

Exemples de documents

DOCUMENT 4 :

- Des extraits de quelques minutes du documentaire de F.Strouve, B.Stora et J.M.Meurice sur L'Algérie de 1962 à 1995 en deux parties, « les années d’espoir et de cendres » coproduit par FR3 en 1995 et empruntable en bibliothèque,

OU

- Des extraits de l’article de Jean-Pierre TUQUOI, « Les illusions perdues de l'indépendance : Le mirage de l'industrie lourde », paru le 30/06/2002 dans Le Monde, via Correlyce et le pack archives du Monde

DOCUMENT 5 :

- Des extraits de la charte du FLN (livre de terminale STG)

Questions qui permettent de comprendre

- La nationalisation et le choix du développement des industries lourdes- Les problèmes de sous-développement avec une croissance économique, mais moins

forte que celle démographique- La dépendance croissante et l’endettement.

3- Comment a évolué la place occupée par l’Algérie dans les relations régionales et internationales ?

Leader des non-alignés : Un modèle avant la guerre civile

Isolement ensuite

Des conflits intra et inter-étatiques (cf conflit en juin 2010 avec Égypte suite au match de foot)

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AUTRE POSSIBILITE :

Travailler l’évolution de la place des femmes entre 1962 et 1999

Reflet emblématique de l’évolution de la société algérienne

Exemples de documents

DOCUMENT 1

Biographie de Louisa Hanoune, femme politique algérienne, première femme à s’être présentée aux élections présidentielles et issue d’un milieu populaire. (Voir le site de www.jeuneafrique.com, du 10/02/2009

+

DOCUMENT 2 :

Extraits de l’article de Florence BEAUGE, « Dans une société désorientée, le statut des femmes illustre toutes les contradictions du pays », paru dans Le Monde du 30/06/2002 et accessible via le pack « les Archives du Monde » par Correlyce.

+

DOCUMENT 3 :

Deux extraits de quelques minutes du documentaire de F. Strouve, B. Stora et J.-M. Meurice sur L'Algérie de 1962 à 1995 coproduit par FR3 en 1995 et empruntable en bibliothèque où l’on voit en 1962 les femmes en mini-jupe dans les rues d’Alger, mais aussi les femmes d’agriculteurs tout en noir et en 1965, la création par des femmes de coopératives agricoles + des étudiantes qui militent pour le droit des femmes

+

DOCUMENT 4 :

Un extrait du journal télévisé de 1999 (via Correlyce dans Jalons pour l’histoire du temps présent) où l’on voit uniquement des hommes dans les rues lors des réunions sur la concorde civile.

+

DOCUMENT 5 :

Des extraits du code de la famille de 1984

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Questions qui permettent de comprendre

- Les situations variées lors de l’indépendance- Un vent de liberté et d’autonomie avec la mise en place du socialisme d’État- Le retour à partir de 1984 à un système patriarcal qui fait des femmes des mineurs - L’islamisation de la société qui les évince presque complètement

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II//L’Algérie est-elle un modèle ou une exception sur le continent africain

Quels points communs et différences existent-ils avec les autres pays africains ?

1) Des défis politiques : de la difficile construction d'un État-nation et de trop rares démocraties

Cas du Rwanda en 92/94-valses des coups d’État/Acteur politique majeur : l’armée

Mais aussi des régimes stables comme la Côte d’Ivoire jusqu’aux années 2000

2) Des défis sociaux et économiques

Quel développement ?

Lutte contre la pauvreté et l’insertion dans économie mondiale

Croissance démographique qui contrecarre la croissance économique

Cas de l’Afrique du Sud

3) Quelle place sur la scène internationale ? Quelle unité pour l’Afrique ?

Algérie : modèle un temps puis isolement

Solidarité et conflits intracontinentaux

Conclusion : il faut relativiser l'ampleur du sous-développement de ce continent. Celui-ci a une croissance et un dynamisme économique supérieurs à ceux des Occidentaux (5 à 6 % par an de croissance moyenne du PNB ces dernières années) ; largement ouvert sur le monde, il a une classe moyenne supérieure à celle de l’Inde ; rappelons qu'il a accueilli la Coupe de monde de football en 2010.

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Bibliographie atelier « Algérie et Afrique après les indépendances »

Documents via CORRELYCE :

Le Monde du 30/06/2002, édition spéciale Algérie

Jalons pour l’histoire du temps présent : des journaux télévisés sur l’Algérie de l’année 1991 et 1999.

Livres

Benjamin STORA, Histoire de l'Algérie depuis l'indépendance Ed. La Découverte,

Jean JOLLY, L'Afrique et son environnement européen et asiatique, Atlas historique, L'Harmattan, 2008

Catherine COQUERY-VIDROVICH, L'Afrique noire de 1800 à nos jours, Nouvelle Clio, L'Histoire et ses pbs, PUF, 2005 (réédition)

Catherine COQUERY-VIDROVICH, Afrique noire   : Permanences et ruptures  , 2000

Catherine COQUERY-VIDROVICH, Daniel HEMERY et Jean PIEL, Pour une histoire du développement : États, sociétés, développement, l’Harmattan, 2007

André, NOUSCHI La Méditerranée au 20e siècle, A.COLIN, 2009

Jean-Pierre FOIRRY, L'Afrique : un continent d'avenir ?, Ellipse

L'Afrique, 50 cartes et fiches, Ellipses

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Paul BALTA et Claudine RULLEAU, L’Algérie, les essentiels chez Milan, 2002

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Être citadin dans une grande ville d’Afrique noire : entre représentations et réalités

Brigitte ManoukianLe 13 octobre 2010Professeure au Lycée [email protected]

Frédérique PlataniaProfesseure au Collège [email protected]

« On sait tout sur la manière dont les Africains meurent et rien sur la manière dont ils vivent. »,

Henning Mankell, Le Monde des Livres, 11 février 2005.

Les images les plus fréquemment véhiculées de l’Afrique sont celle d’un continent en crise, cumulant tous les maux du sous-développement : pauvreté, famines, guerres ethniques, génocides, sécheresses récurrentes, pandémies, démographie galopante, villes tentaculaires qui concentrent la misère humaine… C’est comme si « L’Afrique était la face noire de notre destin, le rêve de la modernité devenu cauchemar. » déclarait Serge Latouche, dans son ouvrage l’Autre Afrique. L’Afro pessimisme est devenu une tendance à la mode faisant quasi-unanimité, c’est l’Afrique des drames et des difficultés qui occupe les devants de la scène médiatique, imprègne nos représentations, et parfois un peu trop nos manuels. Mais cette vision de l’Afrique biaise le regard et masque des réalités plus complexes.

Notre réflexion va se focaliser sur les villes d’Afrique Noire — en excluant les villes d’Afrique du Sud marquées par le régime de l’apartheid — qui ont connu un véritable boom à partir des années 1940. L’Afrique, jusqu’alors le continent le moins urbanisé avec l’Asie, est confrontée à la croissance urbaine la plus forte (7 %). Aujourd’hui, plus d’une trentaine de villes sont millionnaires, voire multimillionnaires : c’est le cas de Lagos (12.5 millions), Kinshasa (10 millions), Abidjan (5.8 millions).

Ces grandes villes sont perçues comme des lieux où se concentrent pauvreté, malheur et isolement, des villes ingérables et dangereuses dans lesquelles se massent des flots d’exclus dans de tentaculaires et menaçants bidonvilles : les travaux de Mike Davis (Planète bidonvilles, 2005) présentent le spectre menaçant de cette bidonvillisation de la planète.

Il ne s’agit pas de présenter un tableau illusoire de l’Afrique, ni de nier les problèmes, mais partant de certains clichés sur l’Afrique, cet atelier se propose de fournir des éléments qui permettront de percevoir la complexité des situations, les changements et les évolutions, afin de dépasser les représentations qui courent sur l’Afrique.

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L’atelier s’efforcera de travailler les notions de la géographie urbaine (contrastes, fragmentation, réseaux, mobilités) tout en réfléchissant aux spécificités des villes africaines dans leur organisation, leur fonctionnement, leurs dynamiques et les acteurs de leur construction. Peut-être en s’affranchissant des grilles occidentales de lecture de la ville, les notions de modernité, de développement, l’organisation de l’espace, les rapports villes-campagnes seront questionnés : lire et comprendre la ville africaine, c’est montrer la complexité des situations, qu’elles sont faites aussi et surtout d’individus qui ont des projets et développent des stratégies originales pour s’en sortir. Que les citadins des marges — comme les autres — sont capables d’inventer leurs propres modes de vie et de participer à la construction, à l’évolution de la ville, soit d’habiter la ville : les actrices et les acteurs citadins seront au cœur de notre travail.

Kinshasa et Nairobi seront les exemples privilégiés, à partir de supports variés, pour réfléchir à des pistes pédagogiques autour de l’étude de cas, de la lecture du paysage et des enjeux de l’EDD.

1ère partie : mise au point

1. Les paysages urbains : morphologie, organisation de la ville africaine.

Le thème des paysages urbains est très vaste, nous nous contenterons ici d’en donner les quelques axes majeurs, utiles pour notre sujet.

1.1. Des villes bipartites, duales.

L’image la plus classique de la ville africaine est celle d’un espace divisé en deux parties :

- La ville coloniale riche d’un côté : ville du haut où l’on respire, celle qui est mieux équipée.

- Et la ville indigène plus pauvre de l’autre, la ville du bas : quartiers plus populaires moins bien desservis, équipés et entretenus.

Cette division s’observe dans les grandes villes qu’elles soient héritées de très anciennes cultures citadines (Afrique du Sud-Ouest par exemple : Tombouctou, Djenné, Gao) ou qu’elles soient des créations coloniales.

En effet, l’urbanisme colonial est à l’origine de la construction de quartiers très géométriques, de rues alignées, le plan en damier s’impose dans la plupart des villes coloniales africaines, le plan de Dakar par exemple, fixe un quadrillage régulier pour le centre de la ville.

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Les indépendances n’ont pas réussi à effacer ce dualisme qui est encore visible malgré les recompositions et mutations postérieures à l'indépendance.

La ville africaine reste bipartite : les quartiers « blancs » ont été investis par les élites ; ils sont le « centre » de la ville, l’espace qui montre la modernité. La zone tampon qui les séparait des quartiers populaires a été l’objet d’opérations immobilières, souvent pour faire émerger des quartiers d’affaires modernes avec des tours de bureaux et commerces. La « Ville » s’est parfois étendue après quelques opérations de « déguerpissement », gagnant sur les quartiers spontanés qui occupaient les interstices, et les « cités », lotissements périphériques.

On y retrouve aussi une organisation répondant au modèle des grandes métropoles des pays en voie de développement dans un processus qui a diversifié et contrasté l’espace urbain : un centre-ville avec un quartier d’affaires « fragments de modernité dans les capitales politiques et économiques » (Dubresson-Raison), des quartiers pour résidents aisés « quartiers cossus des villas-jardins », les quartiers pour classe moyenne (« cités » des fonctionnaires), des quartiers plus populaires, des espaces industriels près des gares et des ports, un front d’urbanisation périphérique avec des ensembles de logements collectifs, mais aussi une extension péri-urbaine qui dissout la ville dans le rural.

1.2. Des formes plus complexes.

À plus grande échelle, la morphologie de la ville se complexifie, devient plus composite et le modèle centre et périphéries, centre moderne et périphéries pauvres, doit être revisité. Cette apparente dualité des villes africaines et cette ségrégation entre les différents quartiers sont des visions trop simplistes.

Les grandes villes d’Afrique sont aujourd’hui caractérisées par un étalement et un éclatement spatial. Les dynamiques d’urbanisation ont généré des espaces plus complexes, des formes urbaines très variées. Son extension plus ou moins spontanée a pu favoriser ou accentuer les fragmentations socio-économiques, ou créer de nouvelles ségrégations lorsque les clivages ont respecté les origines villageoises ou ethniques. Il y a pu avoir aussi, dans un même quartier, des formes de mixité si les lignées familiales ont été respectées. On peut ainsi observer la cohabitation d’habitat aisé et d’habitat pauvre dans un même quartier : « Les dynamiques légales et les restructurations ont accentué la diversité morphologique des villes : le modèle opposant un centre moderne et des périphéries démunies est rarement applicable car nombre de périphéries sont peuplées par des couches moyennes et la plupart ont un contenu social diversifié. Si les dominantes sociales apparaissent à l’échelle de l’agglomération, à celle des quartiers c’est bien souvent la juxtaposition d’îlots socialement différents qui l’emporte, brouillant les schémas simplistes. » (Dubresson-Raison)

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Le tissu urbain se recompose en créant de nouveaux quartiers qui s’imbriquent et s’entremêlent, mais « les dynamiques d’articulation sociale, économique et culturelle sont aussi présentes que les dynamiques de replis » et de fragmentations. Elles s’observent dans diverses stratégies des habitants, déplacements, appropriation, dynamiques d’adaptation mises en œuvre par les acteurs-habitants.

Il n’y a pas de ville légale homogène face à une ville illégale, mais toute une gamme de quartiers, de paysages, au contenu social varié, qui peuvent s’entremêler.

Seul le changement d’échelle nous permet d’appréhender cette complexité.

Des paysages horizontaux

La ville africaine est en général une ville basse et très étalée. Les immeubles collectifs sont rares et les reliefs urbains sont ceux des quartiers centraux ou d’affaires, et quelques immeubles et cités qui abritent des classes moyennes. Initiées par l’État, ces cités hébergent des catégories de populations souvent issues du secteur public. Pour le reste, ces constructions sont plutôt basses, d’initiative privée et populaire ; ce sont elles qui jouent un rôle moteur dans la croissance urbaine. La ville de Bangui est différente. Cette ville de 700 000 habitants est un immense village ; qualifiée de « ville jardin » ou « ville verger », seuls quelques rares bâtiments à étages émergent, dans le centre seulement.

Ce jardin est aussi l’espace d’une agriculture urbaine qui joue un rôle économique essentiel et ce n’est pas le seul fait de Bangui.

Les paysages des grandes villes d’Afrique noire sont des espaces ségrégués

P. Gervais-Lambony, propose plusieurs traits caractéristiques à ces paysages de grandes villes africaines :

Les paysages de la centralité

Les paysages de la centralité sont caractérisés par l’élévation d’une partie du bâti, le mélange de construction de style ancien et moderne, des activités commerciales et administratives de commandement, une forte circulation piétonne et automobile, un équipement total : goudron, électricité… Le centre se détache dans le paysage, c’est la vitrine de la ville hérissée de gratte-ciel. Il est souvent essentiel dans les représentations des citadins, ce sont les paysages du pouvoir.

Les paysages de la richesse

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- Les paysages des « en haut »

Ils correspondent aux quartiers riches, ce sont les grandes villas entourées de jardin avec une végétation soignée. Le terrain est clôturé, le bâti du quartier est de faible densité, les signes paysagers de l’aisance sont nombreux. Ils ne sont pas forcément répartis de façon homogène dans la ville.

- Les paysages moyensIls ne présentent que quelques aspects des paysages d’en haut, les maisons sont plus petites, moins bien entretenues, ce sont des espaces de densité moyenne. La répartition dans les villes est plus diffuse et plus complexe.

- Les paysages des cités

Ce sont des immeubles uniformes abritant des habitants de classes moyennes (enseignants, comptables, employés de banque…). Ils peuvent consister également en de petites villas. Le plan est souvent en damier.

Les paysages de la pauvreté

« Toutes les grandes villes du Tiers-Monde portent dans leur paysage la marque indélébile de la pauvreté du plus grand nombre de leurs habitants. » P.Gervais-Lambony.

Une grande partie des villes d’Afrique noire est constituée par ces paysages de la pauvreté. Il en existe de nombreuses nuances : certains sont temporaires, installations précaires et souvent illégales, les habitations sont construites de matériaux légers, les lots peuvent être légalement acquis, les habitants attendent de pouvoir construire leur maison en dur. D’autres paysages de la pauvreté sont constitués par des quartiers permanents aux habitations en dur. Le bâti est dense, les activités nombreuses à l’extérieur (cuisine, lessive par exemple).

Sur l’ensemble du continent, la croissance démographique a abouti à la création de quartiers illégaux et spontanés. Les bidonvilles, moins nombreux qu’en Amérique Latine, présentent de fortes densités, ils utilisent des matériaux variés et sont caractérisés par un bâti précaire et hétéroclite, l’entassement et l’absence de plan et d’équipement. Ils peuvent se situer à proximité des centres-villes ou en périphérie.

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Ces éléments correspondent bien sûr aux grands traits morphologiques et aux caractères très généraux et communs aux villes africaines qui sont, par ailleurs, extrêmement diverses. On ne manquera pourtant pas de souligner les contrastes forts qui caractérisent les paysages urbains, même si cela n’est pas particulier à l’Afrique : ceux-ci sont à la fois hérités de l’urbanisme colonial et des dynamiques post-coloniales.

Contrastes, fragmentation, ségrégation sont les notions privilégiées de nos manuels scolaires, mais le plus souvent dans une forme extrêmement simplifiée, contenue dans l’éternelle photographie du paysage juxtaposant le centre d’affaires et le bidonville. Sans remettre en question les réalités, mais en essayant de dépasser les stéréotypes, il convient de montrer une réalité de la ville africaine beaucoup plus complexe, que nos élèves, du collège au lycée, sont tout à fait capables d’appréhender. Il est alors nécessaire de changer d’échelle et de se placer du côté des acteurs, soit faire une « géographie par le bas ».

2. Pratiques citadines : se loger, travailler, vivre et survivre, se déplacer… soit habiter

Étudier la manière d’habiter, c’est tenter d’apprécier le degré de citadinité des habitants des villes africaines. Laurent Cailly (université de Tours) expose dans un récent article (site histoire-géo de l’académie Orléans-Tours) « les principes et perspectives d’un nouveau paradigme disciplinaire ». L’auteur rappelle que le concept d’habiter n’est pas récent, mais fait l’objet d’un nouveau regard dans une géographie qui connaît un tournant « actoriel » : les individus ne sont plus des quantités, mais des acteurs. Cela oblige à réfléchir sur les usages que les habitants de la ville font de leur espace, donc de s’interroger sur les acteurs et le rôle qu’ils jouent dans les dynamiques et transformations urbaines en cours.

2.1. Qui construit la ville africaine et comment ?

L’acteur public

L’État a accéléré après l’indépendance le processus de construction de la ville :

- En débloquant l’exode rural : la suppression du passeport pour les migrants ruraux entraîne une extension rapide des villes, voire brutale, d’où les dysfonctionnements- En appliquant une politique urbaine basée sur le modèle occidental colonial : le plan en damier qui symbolise autant l’ordre public que la modernité. Cette planification publique prévoyait la construction de lotissements pour des catégories moyennes (fonctionnaires surtout) ou pauvres. Ceux-ci ont été en fait accaparés par des classes plus aisées, de grandes familles souvent proches du pouvoir, dans un jeu pour s’emparer de la rente foncière.

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Cette planification urbaine a en partie échoué : de nombreux citadins se sont trouvés exclus de l’habitat planifié et légal et se sont effectués en parallèle d’autres processus de construction urbaine et d’accès à la terre et à la propriété plus ou moins légaux27.

Les bâtisseurs de périphérie ou comment auto construire sa ville

Ainsi, l’État, qui entendait avoir le monopole du foncier en contrôlant l’accès au sol, est concurrencé par d’autres acteurs, les « bâtisseurs de périphérie » (Dubresson-Raison) : « Vendeurs de terrains, géomètres, et acquéreurs de parcelles se sont appropriés les normes officielles créant des formes urbaines anticipant une légalisation : à Abobo (Abidjan), à Pikine (Dakar) ou dans les périphéries de Kinshasa, rien ne distingue les rues, les cours communes et les villes-jardins illégales de celles des lotissements administratifs. »

Les nouveaux citadins sont eux-mêmes les promoteurs de leur habitat dans une dynamique d’auto construction où se côtoient faux et vrais maçons. R. Pourtier décrit le processus de production immobilière populaire qui s’inscrit sur la durée : le futur résident acquiert une parcelle de terre avec un droit d’usage provisoire ou définitif, auprès d’une administration, ou d’un faux ou vrai chef-possesseur coutumier, ou d’un intermédiaire lotisseur plus ou moins douteux. Il y bâtit une case d’attente ; cette case va peu à peu se « durcifier », les matériaux solides, briques et parpaings, remplaçant les matériaux précaires ; enfin, la parcelle se densifie en lien avec la croissance de la famille ou les nouveaux venus : de nouvelles constructions voient le jour. On a donc un habitat évolutif, modulaire, dans un processus d’acquisition de propriété foncière plus ou moins légal, et de densification au fur et à mesure que la famille s’agrandit (naissance, accueil de nouvelles personnes).

L’habitat le plus original est l’habitat en cour très présent en Afrique occidentale. La maison est construite autour d’un espace central, la cour. Toutes les pièces sont ouvertes sur cet espace qui est le lieu de la convivialité et de la vie de la maison. On y fait la cuisine, la lessive, on discute avec famille et voisins.

Stratégies résidentielles

L’hébergement, la location ou l’acquisition représentent les grandes voies pour accéder à un logement en ville.

L’hébergement est la pratique la plus économique, les jeunes et ceux qui arrivent en ville se font héberger par un membre de leur famille ou une connaissance, souvent en échange de travaux ménagers pour les filles. Les hommes, quant à eux, participent aux frais de la maison. C’est aussi le cas des jeunes couples mariés qui demeurent chez leurs parents en raison de la difficulté à trouver à se loger.27 Odile Goerg décrit la situation l’évolution complexe de la ville de Conakry avec les enjeux et conflits inhérents à un système où s’imbriquent droit coutumier, droit collectif, appropriation privée : « on observe toute sorte de bricolages, d’accommodement, de pratiques empiriques, d’inventivité… mais aussi des pratiques de rattrapage bureaucratique ou de corruption et de détournement. »

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Il existe plusieurs types de locations, les locataires d’une maison ou d’un appartement dans leur intégralité et les locations ou les sous-locations d’une chambre ou d’une partie de l’habitation. Les stratégies résidentielles sont largement facilitées par les réseaux de connaissances (souvent liés à l’appartenance ethnique), une pièce libre par exemple n’est pas proposée à la location par petites annonces.

Ces types d’habiter sont des étapes dans les parcours des citadins, dont l’objectif est la plupart du temps d’accéder à la propriété ; ce projet rend visible leur promotion sociale et permet aussi au moment de la retraite de s’assurer des revenus réguliers en louant des chambres. L’achat d’une maison déjà construite présente un coût bien trop élevé et la maison familiale possède une telle valeur qu’elle est très rarement mise à la vente. Au-delà des aspects économiques, la propriété reflète l’attachement des habitants à la ville et marque leur sentiment d’appartenance citadine. Ce processus d’auto construction doit être compris comme la revendication du droit à la ville par les nouveaux citadins, une volonté d’intégration à celle-ci : « Ce n’est que par la propriété foncière que l’on peut assumer sa citadinité » (P.G-L, 1994).

Quartiers illégaux ou bidonvilles ?

Les « dynamiques du bas » ont largement contribué à atténuer les déficiences de l’État et expliquent que dans de nombreuses villes, il n’y ait pas eu développement de bidonvilles aussi prégnant qu’en Amérique latine ou en Asie, même si ceux-ci existent (voir Mathare Valley à Nairobi ou Balbala à Djibouti).

La prolifération de quartiers illégaux est le signe de la crise urbaine, d’une politique urbaine et de logement qui ne parvient pas à faire face à la croissance, incapable de produire des logements en quantité suffisante. Les États africains réagissent différemment face à ces problèmes et les stratégies sont multiples : déguerpissement, construction de palissades afin de confiner les quartiers, laisser-aller, légalisation, attribution de parcelles destinées à l’auto construction d’où un étalement aggravant encore le problème des infrastructures.

Face à ces insuffisances, ce sont les initiatives individuelles d’auto construction qui sont parvenues à atténuer la crise du logement et à ralentir la prolifération des bidonvilles. Cette production d’habitat populaire correspond aux types de constructions les plus nombreuses et ne doit donc pas être assimilée à des bidonvilles.

2.2. L’importance de l’informel comme « sous produit de l’urbanisation » (R. Pourtier)

Une réponse au déficit d’État

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Une des premières mannes financières des villes est issue du secteur public. La paye des fonctionnaires tient une place importante dans l’économie de la ville. Les villes d’Afrique Noire à la différence des villes d’Europe médiévale qui sont « fille du commerce » (Henri Pirenne) sont « fille d’État ». Ce qui explique en partie que lorsque l’État est en crise les répercussions sont immédiates sur l’économie des villes.

Les fonctions d’encadrement et de services publics sont de lourdes bureaucraties (qui ont souvent vécu grâce aux richesses produites par la campagne) qui ont fait de l’État le premier employeur de la ville. Mais en raison des crises agricoles et du désengagement des États africains dans la création des emplois en ville, les populations ont cherché d’autres moyens de survie en ville.

Il est difficile de cerner l’économie informelle (ensemble des activités non fiscalisées), d’évaluer son poids car elle revêt des formes variées et complexes. Certains la considèrent comme une réponse efficace au développement, mais il ne faut pas oublier que son existence découle de la pauvreté. On sait qu’elle est indispensable en milieu urbain comme « substitut à un secteur moderne défaillant, un pis aller pour la survie, un bricolage souvent ingénieux (…) une réponse à un environnement de pauvreté ». (Pourtier)

La « débrouille » africaine

Le secteur informel est bien évidemment très développé dans les villes d’Afrique, qualifié d’économie de la débrouille. Des centaines de petits métiers, d’activités variées, ponctuelles ou plus ou moins durables répondent aux besoins dans une stratégie de survie, mais qui peut être aussi une forme de développement parallèle aux mesures publiques.

Ces activités peuvent aller du micro-commerce des marchands ambulants à des PME, les vendeurs ambulants sont les plus nombreux et les plus connus. Beaucoup de femmes y travaillent, souvent même sur le pas de leur porte devant lesquelles elles ont empilé quelques marchandises. La restauration de rue s’est largement développée, une multitude de mini échoppes s’égrènent en ville, proches des lieux de travail, préparant grillades sandwich, offrant des boissons dans les maquis28.

L’informel est également très répandu dans le secteur de l’artisanat urbain à la fois pour les productions « traditionnelles » pour les touristes (poteries, vannerie…), mais aussi pour tout ce qui concerne bricolage et réparations liés notamment au secteur du transport. Des boutiques réparant du matériel informatique et bureautique ont connu une très forte croissance ces dernières années.

Les services représentent également des activités clés du secteur informel : porteurs de bagages, cireurs de chaussures, coiffeurs…

La tontine

28 Nom donné à ces lieux non déclarés qui organisaient le commerce de boissons alcoolisées en dehors d’établissements disposant d’une licence ; ils désignent aujourd’hui, en Afrique de l’Ouest, des débits de boissons et des lieux de restauration.

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Pour acquérir le capital nécessaire à la création d’une entreprise, les travailleurs du secteur informel ont recours à la tontine. La définition que donne le dictionnaire de la tontine est la suivante : « Une association collective d'épargnants qui mettent en commun des fonds pour une période librement déterminée. » Des cotisations sont versées régulièrement et le capital, la totalité de la somme revient à tour de rôle à chacun des participants. Les sommes sont très variables, mais peuvent être très élevées de l’ordre de plusieurs millions de Francs CFA par exemple au Cameroun (Bamileke).

Ces tontines sont aussi l’occasion de se réunir régulièrement autour d’un repas, pour discuter des modalités et des rôles attribués à chacun.

L’agriculture urbaine

Fait singulier, ordinaire dans les moyennes et petites villes africaines, très présent aussi dans les grandes villes, même si la pression foncière y est plus forte : des formes d’agriculture urbaine empruntant les filières de l’informel se sont développées, de façon renforcée depuis la crise.

« La ville africaine et l’agriculture qu’elle génère en son sein, ont des spécificités très marquées par rapport aux villes du Nord :

- Un tissu urbain généralement lâche, qui favorise une agriculture d’interstice ;- Un secteur agricole qui emploie encore plus de la moitié de la population africaine ;- Des flux migratoires très rapides entre villes et campagnes ;- Une paupérisation en milieu urbain.Ces trois dernières caractéristiques expliquent que l’agriculture péri-urbaine ait une fonction primordiale de consommation alimentaire et d’emploi, bien plus que de loisirs et de paysage. » 29

Les activités agricoles concernent des productions maraîchères, les fruits, mais aussi le petit élevage (volailles, chèvres) comme production vivrière pour diminuer les dépenses de consommation alimentaire, mais aussi comme production commerciale afin de générer des revenus complémentaires.

L’agriculture en milieu urbain joue donc un rôle déterminant pour la consommation alimentaire en offrant une production d’appoint devenue vitale, mais aussi pour l’emploi et par ce biais, développant une fonction d’intégration sociale et économique. Ceci est particulièrement visible pour les femmes africaines qui participent de façon déterminante à ces formes d’activité.

Il est à noter aussi que cette activité comporte un enjeu environnemental. La nécessité d’utiliser des intrants a conduit à des pratiques de recyclage des déchets urbains (ordures ménagères, eaux usées, drêches de brasserie, etc.). Ceci dit, ces filières, apparemment utiles pour préserver le milieu de vie citadin, peuvent conduire à des effets très graves pour la santé des consommateurs (déchets pollués, retour du paludisme par exemple) ou même pour l’environnement urbain (pollution des nappes phréatiques par exemple).

29 Le péri-urbain en Afrique : une agriculture en marge ? Paule Moustier et Jacques Pagès, Le Courrier de l’Environnement, décembre 1997

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2.3. Des mobilités complexes : une géographie du va-et-vient ou les citadins de l’entre-deux

Les villes africaines connaissent des mobilités diverses et complexes, des « systèmes migratoires multidirectionnels qui solidarisent villes et villages » (Pourtier)

L’exode rural a été, avec la croissance naturelle, un facteur d’urbanisation. Mais on a pu observer ces dernières années des retours dans le village d’origine ou vers de petites villes, souvent encouragés, sans grand succès, par l’État, dans le cadre d’un programme d’accompagnement de l’ajustement structurel. R. Pourtier discute l’idée d’une contre-urbanisation ou d’exode urbain : « dans une même ville, les mobilités sont complexes, discriminées par l’âge des actifs, leur revenu, leur statut au sein des groupes de parenté. » Des urbains peuvent retourner dans leur village de façon transitoire, pour se ressourcer, attendre une opportunité de travail.

Les mobilités des hommes et les circulations de biens entre la ville et la campagne sont nombreuses et répondent à des besoins variés :

- Retour pour des raisons familiales : un mariage, un décès.- Retour pour des raisons économiques : mobilités saisonnières liées aux activités agricoles.- Flux d’argent de la ville vers le village ou de produits agricoles du village vers la ville (à Dakar, 70 % des foyers reçoivent des vivres de la campagne)Ces fonctionnements contribuent à forger une identité urbaine complexe : le citadin africain est un citadin de l’entre-deux, d’autant qu’il est souvent l’objet d’un encadrement mixte entre ruralité et urbanité : d’une part, le droit coutumier subsiste dans les marges urbaines et ce sont souvent les chefs de terre qui ont loti de nombreux quartiers « spontanés » ; d’autre part, les solidarités villageoises ont tendance à se reconstituer en ville ; le réseau familial, ou plus large, est un support à l’installation et l’intégration citadine (Dubresson-Raison).

Il existe aussi de formes spécifiques de mobilités internes à la ville du fait de la complexification du tissu urbain en lien avec une grande vitalité des liens et réseaux sociaux, familiaux, communautaires : « Les citadins africains ont innové non seulement en développant des formes de familles élargies originales mais aussi en multipliant les systèmes résidentiels polycentrés, les individus circulant quotidiennement entre différentes parcelles, voire entre différents quartiers, pour prendre leur repas, dormir, rencontrer parents et amis, tisser des liens sociaux. » (Dubresson-Raison)

On a ainsi un système urbain assez paradoxal : il peut exclure ses habitants du logement, du travail, mais aussi jouer le rôle d’intégrateur en modelant un citadin et une identité urbaine assez particulière. Dubresson parle de « filets sociaux et économiques ».

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Conclusion :

« Avant toute considération économique, la ville africaine est aujourd’hui un formidable producteur de “quelque chose” en matière de société et en matière de culture. » (Jean Luc Piermay, université de Strasbourg, http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=946)

Orienter notre regard sur les pratiques citadines nous montre combien les citadins africains sont de formidables « producteurs de ville ». Aux images de ville rentière et corrompues, de misérabilisme et d’enfants des rues, de luxure opulente et de ghettos, se superposent des images d’inventivité et d’adaptabilité. Ce que nous considérons comme une situation bloquée d’évolution urbaine ou de crise économique peut être lue comme de l’innovation donnant des formes composites, complexes d’espaces, de rapports entre les espaces et les citadins, ou entre les citadins et les ruraux, d’activités urbaines surprenantes.Trois points importants méritent d’être introduits dans la réflexion qui conduit nos démarches enseignantes : - L’intérêt de rentrer dans la complexité des formes urbaines. L’organisation et la composition de l’espace urbain ne peuvent se résumer à la vision simpliste de l’opposition centre d’affaires/bidonvilles. Entre les deux, et à côté, il y a autre chose.

- Rendre visible les acteurs, les citadins et citadines qui font les territoires et qui sont les principaux moteurs des dynamiques urbaines, même dans un contexte de mondialisation à laquelle l’Afrique n’échappe pas. On rendra compte alors d’identités citadines multiples, complexes… hybrides.- Jouer sur le changement d’échelle afin de faire émerger complexité et acteurs des villes africaines : celui-ci nous permet d’affiner et nuancer les représentations traditionnelles.C’est dans ces conditions que peuvent émerger :

- Ces paysages de l’entre-deux où les frontières entre les espaces ne sont pas clairement définies, où le jeu des mobilités brouille les schémas habituels.- Ou, ces activités que l’on qualifie de débrouillardise quand il s’agit de se loger, de se nourrir, de gérer les déchets urbains,… et là aussi les frontières sont floues entre formel et informel, entre stratégie de survie et développement.On pourra alors s’interroger plus facilement sur les notions nouvelles dans nos programmes comme habiter, développement durable, et même re-interroger les notions de développement — et de modernité — de mobilités, de paysage urbain en se distanciant peut-être de nos grilles de lecture trop formelles. Les villes africaines inventent, il convient de le montrer et de se questionner.

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Ressources utilisées :

générales

G. Courade, L’Afrique des idées reçues, Belin, 2007

S. Brunel, l’Afrique, Bréal, 2003

S. Brunel, L'Afrique, un continent en réserve de développement, Bréal, 2004

F. Bart, L'Afrique continent pluriel, Sedes, 2003

A. Dubresson et J.-P. Raison, L’Afrique subsaharienne, une géographie du changement, Armand Colin, 2007

Pourtier Roland, Afriques noires, Paris, Hachette (carré géographique), 2001

sur les villes africaines

Dubresson A. - Bruyelle P. (Coord.), Les très grandes concentrations urbaines, Sedes, 2000. (Afrique

subsaharienne par Alain Dubresson).

Dorier-Apprill et P Gervais Lambony, Vies citadines, Belin, 2007

Troin JF, Les métropoles des « Sud », Ellipses, 2000.

Gervais-Lambony Philippe, La question urbaine en Afrique australe, Karthala, 1999.

Frérot Anne-Marie (dir.), Les Grandes Villes d'Afrique, Ellipses, 1999

Pourtier R., Villes africaines, Documentation Photographique N° 8009, 1999

J.L Piermay et Cheikh Sarr, La ville sénégalaise, une invention aux frontières du monde, Karthala, 2007

L Fouchard, Gouverner les villes d’Afrique, Karthala, 2007

Gertrude Mianda, Les maraîchères de Kinshasa, L’Harmattan, 1996

Jacques Fumunzanza Muketa, Kinshasa, d’un quartier à l’autre, L’Harmattan, 2008

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Pistes pédagogiques autour de deux études de cas

Celles-ci ont été présentées en atelier à partir de dossiers documentaires et d’échanges avec les participants.

1 – En préalable, et à introduire dans une séquence : des images de la ville africaine pour déconstruire les représentations (exemple de Kinshasa)

On pourra se référer, dans l’observation des photographies qui suivent, à ces 2 croquis élaborés à partir de divers documents dont le plan de Kinshasa de Jean FrançoisTroin (Les métropoles des Sud, Ellipses, 2000).

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1ère photographie : le centre ville de Kinshasa

Kinshasa, Gombe

http://www.congoplanete.com/picview.jsp?pictureID=35&n=1&ch=38

C’est une vue de Gombe au nord de Kinshasa avec le Grand hôtel au centre et le centre commercial sur la gauche. Gombe est l’ancien quartier européen devenu centre des affaires et centre commercial ; il est traversé par le Boulevard du 30 juin, principale artère de la ville, d’Est en Ouest.

C’est aussi un quartier résidentiel de haut niveau : la “ville” avec ses buildings, symboles de la puissance de la capitale, presque un début de skylin. On a ici une représentation de la ville africaine éloignée des images de bidonvilles et d’enfants des rues.

Les élèves de sixième apprennent à décrire et nommer les éléments de ce paysage puis découvrent les fonctions de ce quartier (en recoupant avec d’autres documents)

Les élèves de lycée sont tout à fait capables d’identifier, de décrire ces formes urbaines et de les relier aux dynamiques qui caractérisent cette morphologie.

2ème photographie : le quartier de Barumbu

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Barumbu, nord de Kinshasa (près de Gombé)

http://www.memoireonline.com/10/09/2767/Impacts-du-programme-dassainissement-urbain-de-kinshasa-pauk-sur-lenvironnement-cas-de-la-c.html

Cette photo contraste volontairement avec la 1ère image : c’est peut-être un bidonville. Ce n’est pas le cas mais cela y ressemble : en fait, il s’agit d’habitat récent construit dans un quartier ancien de la ville (classé patrimoine historique, créé en 1959) avec des maisons en terre battue qui ont été conservées. Ce quartier se situe tout près de Gombe car c’était un quartier construit pour loger la population indigène au service de la ville résidentielle et industrielle européenne. Il est donc à proximité du quartier central et du marché central : Barumbu est devenu un quartier commerçant. L’habitat est de très basse qualité : les anciennes maisons ont été rehaussées d’un toit de tôles.

Ce que montre cette image, ce sont les interstices et espaces libres (ici le long de la rivière) qui ont été occupés par un habitat non pas informel mais un habitat auto construit avec une parcelle qui se densifie peu à peu à partir d’une structure provisoire, un bâtiment en dur.

En fait, habitat « incivique » car les parcelles ont été occupées, parfois louées, parfois achetées avec la complicité des agents des affaires foncières, de manière assez douteuse…

La rivière Funa longe ce quartier ainsi que la voie ferrée. Un quartier qui a fait l’objet d’un programme d’assainissement (on voit les rejets urbains dans la rivière) car la rivière sert de collecteur !

3ème photographie : enfin un bidonville ?

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Kingasani (sud de Kinshasa) - site de photo Flickr-

La campagne congolaise ? Presque ! On est toujours dans Kinshasa, dans le quartier de Kingasani au sud. Un quartier peu accessible si ce n’est par des routes non goudronnées et difficilement utilisables après les pluies. On marche à pied pour rejoindre un bus, sur de longues distances. C’est un quartier populaire : les maisons sont en dur, des activités de commerce sont visibles ;

Il n’y a pas d’équipements d’assainissement, il est mal électrifié mais c’est un quartier légalisé même si mal équipé. (On peut retrouver des images de ce quartier dans le documentaire sur Kinshasa signalé en bibliographie.)

Trois images qui nous permettent de changer, nuancer, complexifier les représentations de la ville africaine. Il ne s’agit pas bien sûr de nier l’existence de bidonville (bien qu’à Kinshasa, ce ne soit pas une réalité évidente, contrairement à Nairobi) mais de montrer d’autres réalités.

La deuxième proposition nous permet, toujours à partir de trois photographies de travailler sur le point de vue : celui de nos représentations mais aussi celui de la photographie.

Il s’agit de 3 images de Gombé, un quartier de l’ancienne ville coloniale devenue quartier d’affaires et commercial (images tirées du site Syfia International : http://www.syfia-photos.info/index.php?/search/2048)

1er point de vue : kinshasa.2004.1.jpg

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Une image où domine un immeuble « moderne » qui prend toute la place. Nous sommes dans le quartier de Gombe, le quartier administratif et moderne de la ville. L’immeuble est celui de l’ONATRA, l’office des transports de la RDC.

2e point de vue : kinshasa.2004.10.jpg

On se décentre pour laisser apparaître un peu plus les maisons basses visibles sur la 1 ère image : cohabitation entre un quartier d’affaires et un quartier résidentiel riche et cossu (arbres, maisons en dur) de maisons individuelles, quartier bas et quartier haut.

3e point de vue : kinshasa.2004.11.jpg

On y voit des maisons et des jardins en partie cultivés. Un exemple d’activité de plus en plus répandue en milieu urbain africain : des activités de production agricole qui se situent en centre ville…

2 - Les citadins de l’entre-deux ou les paysans de la ville : le cas de Kinshasa

“Kin la belle” ou “Kin la poubelle” comme la nomment les Kinois eux-mêmes.

Kinshasa compte plus de 10 millions d’habitants, elle en comptera 12 millions en 2015. Troisième ville africaine après Le Caire et Lagos, énorme mégapole cosmopolite, ville jeune comme la plupart des villes en Afrique, avec plus de 75% de moins de 20 ans. Ville en crise aussi : chômage, paupérisation, dégradation urbaine… mais elle continue de grossir et de s’étendre.

Et elle invente aussi des formes de survie pour répondre aux déficits de l’Etat : dans la ville équipée plus ou moins calquée sur l’ancienne ville coloniale, comme dans les quartiers spontanés qui grignotent sur les marges rurales, dans les centres comme dans les périphéries, on peut y observer des formes d’agriculture… urbaine.

Qu’est-ce que l’agriculture urbaine ?

C’est une activité assez communément répandue dans les villes africaines.

Elle peut être définie comme « l'activité dont les ressources et les produits peuvent faire l'objet d'une utilisation urbaine »30 Elle concerne la production mais aussi le traitement et la commercialisation des produits agricoles.

30 Paule Moustier, Jacques Pagès, Le péri urbain en Afrique, une agriculture en marge ? Courrier de l’Environnement , CIRAD, 1997

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C’est une activité qui occupe de l’espace urbain, le modifie. C’est une activité pour les urbains et par les urbains qui mobilisent plusieurs acteurs pouvant agir individuellement ou en réseau.

Quelles productions ?

C’est d’abord de la production vivrière intensive (les rendements sont bien supérieurs à ceux des zones rurales) et directement consommée par les urbains soit par le producteur soit par la vente à d’autres consommateurs urbains. C’est aussi de la production maraîchère venue complétée le vivrier, une production plus encadrée et localisée en périphérie.

Les productions sont diversifiées, végétale : légumes, légumes feuilles, fruits ou animale : petit élevage de porcs, volailles, poissons.

On peut citer l’exemple de la vallée de Ndjili au sud de Kinshasa qui fût mise en exploitation en 1975 avec des cultures de feuilles de manioc et maïs puis s’est diversifiée avec des légumes feuilles locaux et des produits de climat tempéré (ou “productions de Blancs”) : tomates, concombre, salade.

Conditions ou facteurs spécifiques

Kingasani, quartier de la ville non équipée de Kinshasa : un axe qui ressemble à une rue de village.

http://www.flickr.com/photos/nimzilvio/1083102041/in/photostream/

L’agriculture urbaine existe aussi au Nord et touche des espaces péri urbains où se joue comme dans les villes africaines une concurrence forte autour de la terre entre usage agricole et non agricole.

Mais cette activité est liée à des « spécificités très marquées des villes africaines par rapport aux villes du Nord :

- un tissu urbain généralement lâche qui favorise une agriculture d’interstice- un secteur agricole qui emploie plus de la moitié de la population- des flux migratoires très rapides entre ville et campagne

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- une paupérisation en milieu urbain » 31

Où ?

Dans l’espace péri urbain : dans les vallées au sud de Kinshasa (Funa, Ndjili par exemple), pour la présence de l’eau mais aussi l’accessibilité de la terre moins soumise à la pression foncière que dans les espaces plus centraux. Ces espaces sont caractérisés par une extension plus ou moins informelle de la ville : quartiers aux caractéristiques très rurales, peu d’équipements, routes non goudronnée. Cette image montre la limite nette entre l’espace habité et l’espace cultivé mais s’agit-il ici d’une limite entre l’espace urbain et l’espace rural ?

Marges périurbaines de Kinshasa

http://www.flickr.com/photos/fredr/1302330972/

Cette limite n’est pas toujours aussi franche. Dans les deux images qui suivent, extraites de Google Earth, la première concerne encore les marges sud de la ville de Kinshasa : la ville basse et de morphologie quasi rurale se dilue dans un espace moins habité et aménagé ; les axes de communication, non achevés, indiquent les directions de l’extension de la ville dans l’espace rural.

La deuxième image concerne la vallée de Ndjili : on aperçoit la rivière qui permet l’irrigation de ces multiples petites parcelles agricoles ; ici aussi, les routes non goudronnées montrent l’organisation

31 Moustier-Pagès

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urbaine et le quadrillage qui marque l’occupation de cet espace.Dans les deux cas, comment caractériser ces espaces ? Marges péri urbaines ou péri rurales ?

Quels acteurs ?

De nouveaux citadins venus de la campagne, des femmes, des jeunes. Des agriculteurs à temps complet mais aussi des citadins qui ont une activité plus « citadine » et complètent leur revenu avec l’agriculture.

Autour de ces acteurs producteurs gravitent d’autres acteurs : grossistes commerçants à différents niveaux, petits vendeurs de rue ou de marché qui établissent des « contrats individuels» avec les producteurs, fournisseurs d’intrants, transporteurs de déchets, vendeurs de semence ou matériels agricoles mais aussi l’Etat, les ONG qui s’intéressent de plus en plus à cette filière économique.

On peut parler de « système agricole urbain » du fait de la multiplicité des acteurs et réseaux concernés.

Cette activité révèle l’importance dans la société kinoise du rôle des femmes ; celles-ci contribuent par leurs multiples activités à la survie de la famille. Dans la filière agricole, les femmes représentent une grande partie de la main d’œuvre pour les travaux de production, d’assainissement des parcelles exploitées, mais aussi pour la commercialisation. « En 2002, l’activité maraîchère était répartie à travers toute la ville de Kinshasa dans 60 sites, avec un effectif total de 18 831 exploitants parmi lesquels on retrouve les femmes (55 %) et les hommes (45 %). »32

Elles sont en charge de presque toutes les étapes (document 2 : témoignages d’agricultrices)

Elles travaillent la terre, se font parfois aider par le mari pour les travaux les plus durs, se chargent de trouver des intrants, est responsable de la commercialisation quasiment entièrement (une tâche de femme et pas d’homme).

Elles participent donc à l’existence de ces solutions pour alléger, contourner la crise : elles ont en charge depuis ces dernières décennies l’économie domestique et participe avec leurs activités à la scolarisation des enfants, aux soins médicaux, aux frais du logement, de l’habillement et de l’alimentation bien sûr.

On se rend compte que les femmes kinoises utilisent la division homme/femme dans le travail (transporter des herbes sur la tête, vendre des productions sur les marchés et dans les rues sont des activités de femmes) ; mais c’est aussi pour mieux se détacher de la tutelle masculine, s’affranchir de la tutelle financière de leur époux et revaloriser leur rôle au sein du foyer et dans la société. Celui-ci reste malgré tout limité : les femmes sont encore très dépendantes des maris pour avoir l’accord

32 Blaise Muzingu Nzolameso, Agriculture urbaine à Kinshasa

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pour pratiquer l’agriculture qui est hors de la sphère domestique, ou pour la gestion du revenu qu’elle génère.

Mais une fois dans l’activité, elles en utilisent tous les avantages et la considèrent comme leur revenant socialement.

Elles utilisent aussi le contexte socio-économique défavorable pour s’investir malgré les freins culturels dans une activité professionnelle (production, commerce) sans rencontrer trop de résistances masculines : si le mari est en situation difficile, précaire, leur activité est légitimée et elles ont tout avantage.

Ex de Ndlili : les femmes ne cachent pas les revenus de leur activité et donnent, partagent ou gèrent toutes seules ces revenus. Il y a tous les cas de figure. « Je ne vois pas la nécessité de lui cacher ce “petit article 15” dont nous vivons. »

Dans le cadre du boyokani (entente dans le ménage), on voit comment les femmes négocient la gestion du revenu et la place, l’autonomie, les responsabilités de plus en plus grandes qu’elles acquièrent, tout en faisant jouer les devoirs envers les enfants, les parents.

Cependant, il arrive aussi que, l’attrait pour des revenus supplémentaires étant privilégié, les filles soient retirées partiellement ou totalement de l’école pour assurer des taches de vente sur les marchés, dans les rues, ou participer aux travaux agricoles.

Quelles fonctions urbaines pour l’agriculture ?

Fonction paysage

L’agriculture urbaine a un impact sur les paysages car elle modifie l’espace qu’elle utilise. On pourra s’étonner d’observer à proximité du quartier présidentiel, ou du golf, dans des lieux jouxtant les espaces centraux, des parcelles à usage agricole. Même les espaces publics, parcs et jardins par exemple peuvent être utilisés en saison des pluies sur une saison végétative courte de un mois ou deux.

(Images de Google Earth ou documents 1 et 4)Les bordures de routes, les espaces en friche, les terres entre deux lotissements, sont autant d’interstices urbains qui intéressent les agriculteurs urbains. La feuille de manioc peut servir à limiter les parcelles ; on trouve des cultures de légumes variés dans les courées des habitations modestes ou les jardins des maisons riches.

Les villes africaines sont extrêmement vertes et l’agriculture urbaine y contribue en maintenant une forme de biodiversité en milieu urbain par la création de micro milieux diversifiés (des jardins, des potagers, arbres fruitiers). La fonction paysage a ainsi un rôle aujourd’hui fortement valorisé dans le cadre d’un aménagement agro-urbain de la ville.

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Peut-on parler de « ruralisation » de la ville ?

Pour Mike Davis (document 5 : Les petits sorciers de Kinshasa), elle est vue comme une régression, une conséquence de la crise urbaine et de la paupérisation. C’est une évolution inévitable qui accompagne la bidonvilisation des villes.

Pour d’autres, il s’agit plutôt d’une forme de culture (dans le sens de culturel) localisée dans les villes qui serait une conséquence, non seulement des besoins économiques des villes en situation de crise économique mais aussi du nombre important de néo citadins venus du monde rural et des liens serrés entre campagne et ville ; en témoignent l’importance des « cuisines urbaines » qui proposent des plats identiques à ceux que consomment les ruraux.

« Les quantités consommées de céréales manioc, d’igname, de banane plantain, de haricots, seraient difficilement compréhensibles sans la prise en compte de l’auto production vivrière citadine ». (Dubresson-Raison)

L’agriculture urbaine et développement : un apport à la sécurité alimentaire des citadins

A Kinshasa, la majorité des habitants ne consommerait qu’un repas par jour. Cette situation s’explique à la fois par le niveau de pauvreté et les déficiences du système d’approvisionnement, notamment des infrastructures de transport.

L’agriculture urbaine contribue alors à créer des ressources supplémentaires par l’apport direct à la consommation (comme complément nutritionnel) : les citadins producteurs réduisent ainsi leurs dépenses alimentaires. Par ailleurs, la vente des produits assure des compléments de revenus non négligeables. Cette activité est donc une activité d’appoint, ou de complément, ou une activité de survie.

(Document 3)

Pour les consommateurs, c’est une offre de produit qui permet d’assurer une certaine quantité sur le marché (en lien avec le réseau défectueux de transport pour acheminer les productions d’autres régions) et une certaine qualité, notamment pour la fraîcheur (l’exigence de fraîcheur favorise l’origine périurbaine).

La production agricole adaptable en milieu urbain correspond bien aux besoins alimentaires des Kinois : surtout des légumes (manioc, légumes-feuilles comme l’amarante, les morelles = brèdes), des variétés d’épinards, les légumes fruits (tomate, aubergines, piment, gombo)

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Elle est capable de s’adapter facilement : c’est le cas par exemple pour les « produits de Blancs » (légumes tempérés comme le chou, la laitue) qui connaissent un certain engouement chez les Kinois aisés, rapatriés.

L’agriculture urbaine et l’assainissement de l’environnement urbain : un facteur dépolluant de l’air et absorbeur de déchets urbains ?

Elle peut contribuer à réduire la pollution en recyclant les déchets ménagers ou les déchets urbains comme ceux des marchés : sur les 54 385 m3 de déchets produits par les 6 marchés de Kinshasa, 42 617 m3 sont revalorisés par les maraîchers comme engrais vert par enfouissement ou comme compost.

Les déchets de culture du riz par exemple sont transportés vers les parcelles de Ndjili pour servir d’intrants (document 2 – Témoignages d’agricultrices kinoises)

Elle permet des économies d’énergie (transport réduit car proximité producteurs/consommateurs)

Mais il est à noter que l’agriculture en milieu urbain a des conséquences négatives : elle peut être source de maladies avec l’usage d’intrants chimiques ou la réutilisation des eaux usées, de pollution des eaux, du sol ou de l’air par les métaux lourds, de maladies autour des maisons près des espaces maraîchers dans les espaces péri urbains (paludisme ou peste quand les rats sont attirés par les composts). Une partie des « gadoues » n’est pas absorbée par les cultures : les matières compostables s’enfouissent et les plastiques restent en surface.

L’agriculture urbaine peut-elle contribuer à une forme de durabilité de la ville ? Le bilan pour Kinshasa est assez mitigé.

Fonction sociale

Les espaces agricoles sont des espaces d’échanges, de socialisation, de maintien des liens sociaux qu’ils soient familiaux ou communautaires. Production, transport, vente nécessitent de mobiliser, d’intégrer des filières sociales et économiques.

i. Ambroise-Rendu Marc, 2001, « Pour survivre, l’Éthiopie dévore son capital naturel », Combat Nature, n ° 134, août, pp. 44-48. ii. FAO, ONG et gouvernement éthiopien.iii. Cf. la Genèse et le songe de pharaon des 7 vaches maigres et des 7 vaches grasses.

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Les témoignages des maraîchères montrent l’intégration des femmes à des circuits plus ou moins formels de l’économie, des chaînes de vente assez courtes concernant de petites parcelles aux filières plus longues intégrant des grossistes pour les périmètres de maraîchage encadrés par des ONG ou les pouvoirs publics.

Des relations de confiance, de fidélité s’établissent, entre les femmes, entre les hommes et les femmes, entre producteurs et vendeurs, consommateurs… même si elles ne sont pas toujours respectées.

Fonction économique : les Kinois et la débrouille

La crise des années 1980 a entraîné une aggravation de la situation sociale et économique des citadins surtout des classes moyennes et une paupérisation accrue des plus démunis.

La question que posent Dubresson et Raison est : comment peut-on demeurer citadin et où ? « En jouant sur plusieurs registres qui visent au maintien dans l’espace urbain de tout ou partie des unités résidentielles et privilégient des mobilités spatiales dans — ou hors — de la ville, le recours aux activités informelles et à l’agriculture urbaine. »

Pour faire face à une situation économique désastreuse, les Kinois ont développé des stratégies de survie souvent qualifiée de stratégie de la débrouillardise. L’agriculture urbaine en fait partie.

- Elle crée des emplois : le producteur, qui parfois emploie un ou deux ouvriers agricoles, non qualifiés, dans le cadre des périmètres maraîchers (Ndjili par exemple)- Ce sont certes des emplois fragiles et temporaires, mais qui peuvent intéresser des étudiants, des chômeurs, des femmes.- Elle contribue de ce fait à une amélioration des conditions de vie et donc une stabilité sociale et politique

Les situations de crise semblent amorties par une série de stratégies de contournement, de créativité, d’inventivité qui utilisent les filières légales et illégales (mais la limite entre les deux est floue) : pour accéder au sol, puis pour la production agricole intra et péri urbaine, puis pour la commercialisation faisant intervenir des grossistes ou par la vente directe sur les marchés ou directement sur les planches (récoltes assurées par le consommateur, l’acheteur)

Exemple de la filière de production maraîchère de Ndjili 33

33 Tirée de l’étude de G. Mianda, Les maraîchères de Kinshasa

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- Des coopératives ont été créées pour la vente des engrais, des semences, du matériel… mais le plus souvent, elles ne répondent pas à tous les besoins et les prix sont très élevés au regard des offres des petits vendeurs informels qui vendent au détail (dans les sakombi ou gobelets utilisés comme mesure, ou dans les fonds de bouteille)

- Les maraîchères se débrouillent pour les intrants en récupérant les « gadoues » de la ville (ordures ménagères), en faisant venir des pousse-pousseurs ou par les camions du Programme national d’assainissement (PNA), qui de façon informelle aussi, ravitaillent les producteurs et se font un revenu supplémentaire. Ainsi, cette « coopération » touche maraîchère et brasserie pour récupérer les parches de café (enveloppe de la fève) et les drêches (résidus solides éliminés dans la fabrication de la bière) ou les riziculteurs (chinois !) pour récupérer les déchets de riz.

- On observe aussi l’intégration de ces productrices dans des réseaux de commercialisation de leurs produits :

- En vente directe sur la parcelle : les clientes récoltent elles-mêmes après avoir choisi la planche de production et négocié un prix. Elles paient souvent après avoir revendu les légumes.

http://www.memoireonline.com/05/08/1120/m_agriculture-urbaine-kinshasa-alternative-insecurite-alimentaire0.html (photographie de planche agricole)

- En vente directe sur les petits marchés directement par les productrices ou les femmes de la famille (sœur, filles…) : c’est une activité féminine et perçue comme telle, tout comme la récupération des intrants (ordures ou herbes, car le transport le moins coûteux se fait sur la tête et il n’y a que les femmes qui transportent sur leur tête…)

- Le likelemba (tontine) pallie les déficiences ou à l’inadaptation du système bancaire : les femmes (le plus souvent) collaborent pour créer cette sorte d’épargne qui pourra être réinvestie pour les besoins de la famille (scolarité par exemple) ou dans la production. Les femmes pratiquent le likelemba surtout en saison sèche, car les récoltes sont bonnes (cycle végétatif court) :

« C’est un accord tacite entre un groupe de femmes qui conviennent de verser à tour de rôle un montant fixe d’argent à une personne du groupe. Une femme est désignée par le groupe comme responsable morale pour s’assurer du bon déroulement de la rotation. Elle s’occupe également de collecter l’argent à remettre à qui de droit lorsque son tour arrive. »34

C’est la « coopération », en langage kinois, « l’ensemble des trucs, des opérations, des missions, des comportements non conformes à la loi et à la morale, mais permettant la survie des citoyens » (L.N/Amena, 1990) c'est-à-dire le fameux « article 15 » mis en application : l’informel — ou la débrouille — est un véritable système en RDC : l’article 15, article imaginaire de la Constitution, pose

34 Les maraîchères de Kinshasa (p. 64)

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comme condition de survie un principe de vie et de comportement qui se résume à « débrouille-toi ».

La question se pose alors : l’informel peut-il être une forme de développement ou est-il seulement une voie de survie ?

Face à un État qui n’assume plus ses fonctions, une ville rentière qui se décompose, un système bancaire défectueux, un chômage croissant, le secteur formel s’est peu à peu réduit (peut-être 5 à 10 % de la population active ?) pour faire place à l’informel.

L’agriculture urbaine à Kinshasa n’est pas une activité nouvelle (à l’époque coloniale, les colons belges avaient encouragé la culture de « légumes pour blancs » dans le cadre des « paysannats » où les femmes ont commencé à jouer un rôle important). Cette activité s’est renforcée avec la crise urbaine et la crise de l’État dans les années 80-90.

C’est une activité le plus souvent informelle ou combinant des filières légales et illégales, une sorte de « filet social et économique » (Dubresson-Raison) qui permet de répondre à un certain nombre de besoins des citadins : « Les liens entre citadins et ruraux (plus qu’entre villes et campagnes), la ruralité urbaine sous ses aspects économiques et sociaux ont longtemps joué comme des amortisseurs de crise. ». C’est une activité qui pourrait être considérée comme un palliatif, mais elle semble être une activité régulière et durable. C’est donc une alternative assurément, mais une alternative durable qui peut être considérée comme une forme de développement.

C’est aussi une forme d’économie alternative, ou d’économie populaire ou encore « d’économie par le bas » qui répond aux difficultés d’approvisionnement des villes en denrées alimentaires, au chômage et au sous-emploi. Ces pratiques endogènes et spontanées reflètent de la créativité, des formes d’autonomie et montrent des adaptations, une capacité à prendre en charge, à créer des réponses à des problèmes.

On peut les qualifier de développement endogène (s’auto organiser dans son propre environnement). Les maraîchères kinoises produisent, s’associent, inventent et s’émancipent ; elles ont conscience qu’elles nourrissent leur famille, mais toute la ville aussi, car « l’État nous a laissés tomber, nous devons nous débrouiller tout seuls ».

Ce sont des moyens de régulation de crise, mais qui posent malgré tout la question de l’État, de ses limites ou de son implication dans un système qu’il n’a pas créé. Ainsi peut-on souligner l’impact de l’informel sur les cadres de fonctionnement : il peut transformer les normes avec la mise en place de politique de régularisation de l’informel, de formalisation. Son effet de masse permet une normalisation négociée : on attribue des places aux vendeurs de rues, on délimite des périmètres pour cultiver. Ce sont des formes de récupération par l’État par le biais des autorités locales ou des associations.

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De plus, ces pratiques informelles de production font partie des usages des citadins « ordinaires » : ils ont besoin de consommer donc ils consomment le produit de l’informel (service rapide, vente au micro détail : un ou deux fruits, proximité vendeur/client) : l’informel a de fait sa place dans la ville.35

Conclusion :

L’étude de Kinshasa peut être une entrée intéressante pour complexifier l’image des villes africaines, comprendre les dynamiques en cours, se questionner sur les notions de développement et les formes de la ville. On trouvera dans ce schéma les axes et questionnements qui peuvent animer une séquence de cours :

35 Vies citadines p 162 et 160

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Bibliographie-Webographie utilisées et/ou utilisables

Gertrude Mianda, Les maraîchères de Kinshasa, L’Harmattan, 2004

Jacques Fumunzaza Muketa, Kinshasa, d’un quartier à l’autre, L’Harmattan, 2008

Françis Lelo Nzuzi, Kinshasa, ville et environnement, L’Harmattan, 2008

Paule Moustier, Jacques Pagès, Le péri urbain en Afrique, une agriculture en marge ? Courrier de l’Environnement, CIRAD, 1997

Hélène Bouchard, Commerçantes de Kinshasa pour survivre, L’Harmattan, 2002

Ordre et désordre à Kinshasa, réponses populaires à la faillite de l’État, Cahiers africains, L’Harmattan, 2004

Kinshasa, film documentaire diffusé par Vodeo, produit en 2002 par Les films d’ici.« Considérée comme la plus grande métropole d'Afrique noire, Kinshasa compte plus de 5 millions d'habitants. La capitale de la République démocratique du Congo, ancienne Léopoldville du temps de la colonisation belge, souffre de cette population à l'inflation galopante. Elle concentre tous les problèmes des villes du tiers monde : chômage, famine, exclusion sociale… Pour survivre, les Kinois pratiquent la "débrouillation". »

Développement durable de l’agriculture urbaine en Afrique francophone, CIRAD/CRDI, 2004http://www.idrc.ca/fr/ev-52181-201-1-DO_TOPIC.html

Cultiver en ville, Plateforme Diobass au Kivu, 2008. Un reportage en 3 parties qui concerne la ville de Bukavu au sud de la RDC dans lequel on retrouve toutes les problématiques abordées avec Kinshasa.http://www.atol.be/bib/opac_css/index.php?lvl=author_see&id=473

Agriculture urbaine à Kinshasa, Blaise Muzingu Nzolameso, Université de GemblouxMémoire en ligne : http://www.memoireonline.com/05/08/1120/m_agriculture-urbaine-kinshasa-alternative-insecurite-alimentaire0.html

La pression de l'aménagement de l'habitat sur l'agriculture urbaine a Kinshasa: cas du lotissement de l'espace maraîcher Nzeza Nlandu dans la commune de Kisenso Gabriel Kashimba Kayembe, Université de KinshasaMémoire en ligne : http://www.memoireonline.com/04/10/3317/m_La-pression-de-lamenagement-de-lhabitat-sur-lagriculture-urbaine-a-Kinshasa-cas-du-lotissement-.html

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Questions relatives à l’agriculture urbaine, article du magazine de la FAO, 1999

http://www.fao.org/ag/fr/magazine/9901sp2.htm

Deux ouvrages moins scientifiques sur la ville de Kinshasa :

Nouvelles de Kinshasa, sous la direction d’Odile Zeller, Sépia, 2008

Samantha à Kinshasa, Marie-Louise Mumbu, Le Cri, Afrique éditions, 2008

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3 - Nairobi : stratégies citadines autour de la gestion des déchets.

C’est en 1896 avec la construction du chemin de fer depuis Monbasa, que la ville va sortir de terre. Elle est alors décrite par les colons britanniques comme « un paysage marécageux et détrempé, dénué de toute occupation humaine, domaine de milliers d’animaux de toutes espèces ».

Les besoins des administrateurs, des fonctionnaires et du commerce ainsi que les besoins sociaux des Européens ont contribué à la croissance de la ville.

Les subdivisions sociales et ethniques des différents quartiers sont héritées de la colonisation qui a mis en place des « cordons sanitaires » séparant les populations d’origine africaine des Européens. Ainsi, Nairobi est souvent présentée aujourd’hui comme une ville où tous les habitants se côtoient sans vraiment se rencontrer. Enfin, selon les estimations, plus de la moitié, voire les deux tiers, de la population de Nairobi habite les bidonvilles. Partant de ces constats, voyons comment aujourd’hui les habitants de cette mégapole inventent, tout comme à Kinshasa, des stratégies pour pallier aux déficiences de l’état, notamment dans le domaine de la gestion des déchets.

Comment les citadins des marges inventent-ils leurs propres modes de vivre et d’habiter la ville ?

Nous rentrerons dans cette étude en essayant de nuancer l’image souvent trop simpliste d’un bidonville, perçu dans nos manuels et par nos élèves comme un « quartier pauvre, construit avec des matériaux de récupération ». Il ne s’agit pas ici de nier les évidences, mais de complexifier cette vision bien trop superficielle de la réalité. En effet un bidonville est aussi un espace organisé et structuré, avec ses propres logiques et surtout sa population qui l’habite.

Il s’agit alors de montrer que la complexité des espaces de la ville s’observe aussi à l’échelle du bidonville. Plusieurs sous-ensembles peuvent être distingués, plus ou moins légaux, plus ou moins riches, plus ou moins « durcis »… avec des citadins acteurs et organisés et des lieux de vie et de travail comme des écoles, des organisations sportives, des dispensaires, des organisations de type communautaire les OBC (organisation à base communautaire), des activités économiques comme de l’artisanat, des marchés…

Des exemples d’inventivité et d’adaptabilité de citadins(ines) acteurs(trices), une forme de développement ?Des stratégies de survie en lien avec la gestion des déchets.

Dans toutes les grandes villes du sud, la gestion des déchets est une des préoccupations majeures des autorités locales, car elle pose de graves problèmes sanitaires à ses habitants et notamment à ceux des bidonvilles. Les difficultés sont croissantes en partie en raison de la montée en puissance du phénomène urbain.

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Ainsi face à cette forte croissance urbaine, les autorités de Nairobi semblent aujourd’hui débordées dans leurs capacités à gérer le problème des déchets ménagers et il est difficile d’y échapper lorsque l’on se promène dans la ville.

La décharge géante de Dandora, et au sud le bidonville de Mathare Valley.

Les carences du secteur public sont nombreuses

Les difficultés sont croissantes et s’expliquent en partie par une forte croissance urbaine.

Cette croissance des déchets s’explique également par de nouvelles façons de vivre et de consommer qui ont abouti à la multiplication, tout comme dans les pays riches, des emballages et donc des déchets.

Ainsi la ville de Nairobi a aujourd’hui beaucoup de mal à collecter ses déchets et des tas d’ordures jalonnent l’ensemble de la ville excepté certains quartiers aisés.

Dans les quartiers pauvres, les ordures ne sont quasiment jamais ramassées et s’accumulent le long des routes, des rivières, entre les habitations… Les décharges sauvages se multiplient.

Les moyens sont insuffisants et mal adaptés aux logiques de la ville.

Ils sont liés à l’insuffisance des budgets municipaux, aux difficultés notamment de collecter des impôts sur une population essentiellement pauvre.

Les dépenses sont ainsi revues à la baisse, ce qui se traduit pour la gestion des déchets par le manque de personnel et d’équipement.

Concernant les équipements, la ville manque de poubelles, de sacs, de bennes… Les déchets sont posés à même le sol et doivent être collectés manuellement, ce qui rallonge considérablement la durée de la collecte.

Même constat pour les équipements lourds, la ville manque de camions, pour le parc existant la mairie ne parvient pas à les entretenir, beaucoup de camions sont hors service par manque de pièces par exemple.

Enfin bien souvent, ces camions ne sont pas adaptés à la réalité du terrain, les slums notamment sont complètement inaccessibles en camions de grande taille, or c’est là où réside aujourd’hui la majorité de la population urbaine.

La collecte par les citadins constitue donc une solution pour pallier à ces difficultés mêmes si, elles sont loin de résoudre les problèmes de déchets à Nairobi. Les citadins mettent ici en place des stratégies spécifiques pour résoudre des problèmes particuliers, ainsi se pose la question d’une

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forme alternative de développement ? En effet, le secteur des déchets semble en partie pris en main par la population qui parvient dans certains cas à en tirer profit.

Ainsi, une véritable économie des déchets se dessine.

Les résidents et surtout ceux des quartiers pauvres tentent de s’organiser afin de mieux collecter ces déchets aux côtés des pouvoirs publics. Ces actions remettent en cause le monopole des autorités publiques face à l’action de la sphère privée qui prend de l’ampleur.

Il semble que nous assistons à des modes nouveaux de gestion urbaine avec un mélange d’acteurs publics et privés. À Nairobi, un véritable secteur des déchets s’est constitué, duquel les actions publiques sont totalement absentes. Les acteurs sont multiples : des associations de quartiers OBC (organisation à base communautaire), des ONG qui organisent la collecte des déchets — certaines proposent par exemple aux enfants qui veulent aller à l’école un salaire pour collecter un à deux jours par semaine les ordures dans les slums —, et surtout des acteurs individuels.

La pauvreté et le chômage ont généré un secteur informel des déchets qui offre des emplois et un revenu complémentaire. Des métiers nouveaux sont ainsi apparus, fouilleurs, collecteurs, trieurs, recycleurs, vendeurs… qui permettent des revenus liés à la valorisation des déchets et ainsi la survie de la famille.

(Décharge de Dandora, collecte de bouteilles en plastique pour recyclage et revente, http://www.philip-photos.com/photos-fr-kenya-13-21.html)

À Nairobi plus de 10 % de la population est investie de prés ou de loin dans l’économie informelle des déchets par les petits métiers signalés plus haut. Cette économie informelle s’est diffusée à l’échelle de toute la ville. On retrouve dans toute la cité des acteurs pour ramasser, trier, recycler.

Dans les quartiers aisés, la gestion est bien évidemment très différente puisque les résidents ont recours à des grandes compagnies privées qu’ils payent. À cela se rajoute la collecte des entreprises municipales.

Le risque pour les autorités de la montée de ce type d’économie informelle est le développement de pouvoirs concurrents qu’elle ne pourrait maîtriser, c’est un problème de gouvernance dont une partie échappe aux pouvoirs publics.

Des solutions pour pallier aux carences du secteur public, donc une forme alternative de développement urbain ? Développement - Développement durable ?

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Peut-on parler d’une forme alternative de développement et de développement durable ? D’après certains géographes oui, puisque cette économie sait récupérer.

Les déchets sont en partie ramassés, éliminés et recyclés dans la ville et surtout dans les quartiers pauvres.

Mais les aspects négatifs demeurent nombreux.Des activités à risque.Contamination des acteurs économiques qui travaillent dans le secteur des déchets, contamination des habitations proches de la décharge, mais aussi de tous les quartiers pauvres dans lesquels le ramassage n’est pas effectué. Le seul lieu de dépôt officiel est la décharge de Dandora depuis très longtemps saturée. La ville avait créé plusieurs décharges, de 1968 à 1986, mais elles ont toutes été abandonnées face à la pression foncière liée à la croissance démographique.

Actuellement la décharge de Dandora (environ à 8 km au nord-est de la ville) est gigantesque : plus de 2 millions de m3 de déchets sur 30 hectares et plus de 500 tonnes supplémentaires qui sont déchargées chaque jour.

La ville ne bénéficie d’aucune technique d’élimination des déchets, ni incinérateur, ni compostage. Les déchets sont tout simplement abandonnés dans la décharge, quelques fois un bulldozer de la ville les repousse. Malgré les risques sanitaires qu’ils encourent, femmes et enfants trient inlassablement les ordures pour aller les revendre sur les marchés.

La situation est d’autant plus préoccupante que la croissance urbaine a rattrapé cette décharge.

La saturation de Dandora aboutit à la prolifération de décharges sauvages, le long des routes et dans tous les terrains vagues, on peut en rencontrer partout dans la ville, sur les trottoirs, dans les fossés, les parcs municipaux…

Les quartiers pauvres sont les plus touchés par cette dégradation sanitaire.

Les conséquences sanitaires et écologiques sont catastrophiques. A Dandora par exemple, cohabitent tous types de déchets, les déchets domestiques, mais aussi industriels : solvants, produits chimiques…, hospitaliers (seringues, compresses usagées, restes humains d’opérations chirurgicales…).

Ces déchets parfois brûlés à l’air libre sont source d’une importante pollution de l’air, ils attirent par ailleurs différents animaux, rats, mais aussi des animaux d’élevage qui se nourrissent avec les ordures et peuvent ainsi être vecteur de maladies pour les humains.

Les rivières sont largement polluées, notamment lors de la saison des pluies, or, elles sont largement utilisées dans la vie quotidienne pour la toilette, la lessive, la cuisine et bien sûr pour l’eau potable. Elles servent aussi pour l’irrigation des potagers, exploités au milieu des déchets, et nécessaires à la

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stratégie de survie en ville. Ainsi certaines sections qui passent par les slums ont des niveaux de pollution 200 fois supérieurs aux standards de l’OMS.

L’encombrement de leur lit par les détritus provoque des inondations qui touchent essentiellement les quartiers les plus démunis, installés en zones inondables.

La dégradation sanitaire est ainsi supportée par les habitants les plus pauvres de la ville.

Conclusion :

L’étude de Nairobi nous a permis de mieux percevoir la réalité complexe des situations, d’éviter les clichés sur la grande ville africaine et ses bidonvilles et nous questionner sur des notions centrales comme celle de développement, développement durable. Enfin, les acteurs de la ville ont été placés au cœur de cette réflexion.

Bibliographie- Hélène Charton-Bigot,Deyssi Rodriguez-Torres, Nairobi contemporain : les paradoxes d’une ville fragmentée, Karthala, 2006- P.Gervais-Lambony, Territoires citadins : quatre villes africaines, Belin, 2003- S. Brunel, Nourrir le monde, vaincre la faim, Larousse, 2009- P.Gervais-Lambony, La question urbaine en Afrique Australe, Karthala, 2000Documents vidéo-Vidéo les fours d’incinération d’ordure : http://videos.ladepeche.fr/video/iLyROoafJ20O.html -Envoyé spécial : les glaneurs de Nairobi.

Cette étude peut se résumer dans le schéma ci-dessous : les grands axes et questions y sont organisés autour des notions clés.

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De façon plus générale et en guise de conclusion, il est possible de construire une étude de cas ou une entrée de leçon autour des axes suivants qui concernent les dynamiques des villes africaines.

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Regards sur le Monomotapa

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Patrick ParodiLe 13 octobre 2010Professeur au Lycée Fréderic [email protected]

Localiser le Monomotapa

(Des cartes du Monomotapa se trouvent dans un des rares ouvrages disponibles sur la question en langue française : RANDLES W.G.L « L’empire du Monomotapa du XVe au XIXe siècle», Édition Mouton, 1975 ou sur de nombreux sites comme celui-ci : http://www.geographicus.com/blog/tag/monomotapa/)

L’Empire du Monomotapa est un empire africain, largement ignoré par l’histoire française. Il n’en est pas moins un acteur majeur de l’histoire de l’Afrique australe aux XVe et XVIe

siècles.

Où se situe-t-il ?

Le cœur en est constitué par le plateau de 1000 mètres d’altitude coincé entre les fleuves du Zambèze au nord et du Limpopo au sud. C’est un espace privilégié en plusieurs points :

- sur le plan sanitaire, son altitude le protège des mouches tsé-tsé qui infestent les vallées fluviales,

- sur le plan des ressources, il est aussi richement doté en cuivre et or, mais aussi de terres fertiles et de pâturages abondants.

Enfin, son relatif isolement est un atout puisque, outre les vallées inhospitalières qui le bordent sur des franges septentrionales et méridionales, il est protégé à l’ouest par le désert du Kalahari et à l’est par les montagnes d’Inyanga qui le séparent de la plaine littorale mozambicaine. Il reste cependant accessible par le fleuve du Zambèze qui est navigable jusqu’aux rapides de Caborabassa et par le fleuve du Sabi qui contourne les montagnes d’Inyanga par le sud.

Un royaume inconnu, mais imaginé

Le Monomotapa est un royaume qui n’a cessé de hanter l’imaginaire européen comme en témoignent les deux textes suivants :

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Document n° 1

« Regarde le vaste empire du Bénomotapa, peuplé de noirs sauvages qui vont nus [...]. Dans cet hémisphère inconnu, naît le métal qui fait répandre à l’homme le plus de sueur [...]. Regarde les cases des nègres : elles n’ont pas de porte, tant ils sont, en leurs demeures, confiants dans la justice et dans l’appui du roi, comme dans la probité de leurs voisins [...]. »

Camoes, Lusiadas, 1572.

Document n° 2

« Royaume d’Afrique, qui comprend toute la terre ferme entre les rivières Magnice et Cuama ou Zambèze. M. de Lisle borne les états du Monomotapa par ces deux rivières et à l’orient par la mer.

Cet état est abondant en or et en éléphants : le roi qui le gouverne est fort riche, et étend presque son domaine jusqu’au cap de Bonne-Espérance. Il a sous lui plusieurs autres princes tributaires, dont il élève les enfants à sa cour, pour contenir les pères sous son obéissance ; c’est un trait de politique des plus adroits et des plus imaginés ».

Article Monomotapa de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, 1765.

Ces deux articles écrits à un siècle d’intervalle sont davantage le reflet des représentations (des regards) européennes sur l’Afrique que le compte rendu d’une réalité historique, même si ces deux textes s’appuient sur ceux des explorateurs portugais, essentiellement ceux de Joao de Barros. Ils mettent en avant l’image d’un territoire immense et riche où règnent probité, justice et intelligence politique, l’image d’une société idéale.

Ce mythe prend alors le relais de mythes plus anciens qui touchent l’Afrique (cf. Pantagruel, « Afrique est coutumière de toujours produire choses nouvelles et monstrueuses » comme le souligne Georges Balandier dans Afrique ambigüe) : celui du Prêtre Jean, d’abord situé en Asie, puis en Afrique. Pour les Européens, il s’agit de s’allier avec ce royaume chrétien puissant, qui est situé en Abyssinie, pour prendre à revers le monde musulman. Les expéditions portugaises du XVIe siècle jouent alors un rôle paradoxal : motivées par le mythe, elles le mettent à mal de manière définitive (Joao de Barros distingue le royaume d’Abyssinie, bien réel, mais modeste dans son étendue et sa puissance, du royaume du Prêtre Jean) et contribuent à créer un autre mythe, celui du Monomotapa dont elles sont émerveillées par le commerce de l’or à Sofala. Cette ville est alors identifiée avec les sources des richesses du roi Salomon, les fameuses mines d’or de l’Ophir biblique. Dès lors, jusqu’au XIXe siècle, le Monomotapa, l’arrière-pays de Sofala, n’a cessé d’exciter l’imagination européenne et fut à l’origine de multiples expéditions. L’une des plus importantes fut celle du géologue allemand Karl Mauch, qui redécouvrit la cité du « Grand Zimbabwe » en 1871.

Le site est déjà décrit en ces termes par les Portugais.

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Document n° 3

« À proximité des mines d'or de l'intérieur, entre la Limpopo et le Zambèze, il existe une forteresse de pierre d'une taille extraordinaire, sans qu'il semble que du mortier ait été utilisé... Cette construction est entourée de collines sur lesquelles se trouvent d'autres constructions similaires n'utilisant pas de mortier, et l'une d'entre elles est une tour de plus de 12 brasses [22 mètres] de haut. Les habitants de la région appellent ces constructions Symbaoe, qui signifie en leur langage cour. »

Viçente Pegado, capitaine, garnison portugaise de Sofala, 1531.

Cette cité construite en moellons taillés et juxtaposés sans mortier dans un monde où les matériaux de base sont le bois, le chaume et le pisé, est identifiée par Mauch comme la cité d’Ophir. Elle est en réalité le cœur économique et politique du Zimbabwe dès le XIIIe siècle, mais rentre en décadence dès le XVe siècle.

On peut alors remarquer à travers cette évocation que les mythes contribuent à troubler la connaissance de cette région de l’Afrique. C’est pourquoi les deux aspects de ce mythe (puissance de l’Empire et société idéale) peuvent être interrogés. 

Histoire événementielle

Contexte de création de l’Empire

Il est difficile de retracer la constitution de l’Empire du Monomotapa qui succède à l’État du Zimbabwe. Selon une tradition orale recueillie à la fin du XIXe siècle, des populations venues du nord, sous la direction d’un chef nommé Mutota, conquirent la partie nord de la région de Tete sur le fleuve Zambèze. Dans un premier temps, la conquête reste épisodique, mais c’est le successeur de Mutota, son fils Matope qui établit son pouvoir en 1420 aux environs du fleuve Panhame et fonde Zimbaué. Il porte le titre de Muanamotapua que l’officier portugais qui a récolté la tradition orale définit ainsi : Mwana comme enfant et Mutapwa comme personne capturée pendant la guerre, soit un esclave. Or, le titre de Monomotapa signifie maître de vassaux ou « seigneur des terres dévastées » selon d’autres auteurs portugais. Il semble donc que cette polysémie relève davantage d’un système successoral attribuant le trône au fils aîné d’une femme esclave du roi.

Matope établit donc une certaine domination dans le nord du plateau, y compris les basses terres et la rive droite du Zambèze dans la vallée. Il est plus difficile d’en établir l’étendue exacte : ainsi, quelle place tient le royaume de Barué ? Ce royaume se situe au sud de l’embouchure du Zambèze, à l’est des monts d’Inyanga et de la rivière Luendya et au nord du fleuve Pungue : son roi porte le titre de Macombe et se présente comme un vassal du Monomotapa avant de se présenter comme indépendant en 1617.

C'est donc sous Matope que l'Empire du Monomotapa atteint son apogée et son extension maximale. Il décline à la mort de son fondateur.

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Document n° 4

« Ce royaume du Manamotapa est constitué par un territoire appelé Mocaranga, qui appartenait jadis tout entier à l’empire du Manamotapa, et est maintenant divisé en quatre royaumes à savoir : celui que gouverne aujourd’hui le Manamotapa, le royaume de Quieteve, le royaume de Sedanda et le royaume de Chicanga. Cette division fut le fait d’un empereur Manamotapa qui, ne voulant ou ne pouvant pas gouverner des territoires aussi lointains, en nomma gouverneurs trois de ses fils… »

Joao dos SANTOS, Ethiopia Oriental, Evora 1609.

Document n° 5

« Il convient, Sire que je vous rende compte de ce qui se passe à Sofala, de l’or qu’on y trouve, d’où il vient, comment on l’extrait et pourquoi il n’arrive pas en ce moment [...]. Le royaume, Sire, d’où provient l’or de Sofala porte le nom de Ucalanga ; il est très vaste et comprend beaucoup de grandes villes, sans parler de nombreux villages ; la ville même de Sofala en fait partie, comme d’ailleurs toute la côte [...]. Et ce roi qui règne actuellement sur Ucalanga, Sire, est le fils de Mocomba, qui fut roi de ce royaume lui aussi. On le nomme Quesarymgo Menamotapam, autant dire roi un tel, car Menamotapam signifie roi et le royaume s’appelle Ucalanga »

Lettre datée de Cochin en Inde du 20 novembre 1506 de Diogo de Alcaçova adressée au roi du Portugal.

Ce texte (document n° 5) est important, car il est un des premiers écrits peu après l’installation des Portugais sur le littoral sud-est africain. Il présente la double situation politique et économique.

En 1505, lorsque les Portugais s’installent dans le comptoir de Sofala sur le littoral et à l’embouchure du Sabin, il semble que le plateau soit en situation de déliquescence sur le plan économique. Le commerce de l’or chute en raison d’une moindre fréquentation de la voie du Sabin que les historiens explicitent difficilement. Selon Summers36, la raison en serait une période de sécheresse, commencée au IXe siècle et atteignant son apogée au milieu du XVe siècle qui réduisit le débit du Sabin, le rendant impraticable alors que pour d’autres, cette réduction serait liée à un mouvement tectonique qui a provoqué une élévation du littoral. Quelle qu'en soit la raison, la route du Sabin décline et est peu à peu remplacée par celle du Zambèze qui ne s’impose cependant qu’au milieu du XVIe siècle.

Sur le plan politique, le texte de Diogo de Alcaçova annonce ce que Joao dos Santos avait recueilli des traditions orales au début du XVIIe siècle. Il explicite la chute du commerce de l’or par une guerre civile qui agite le plateau depuis 1493 ou 1494.

36 R. SUMMERS, Ancient Mining in Rhodesia, Salisbury, 1969.

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Joao dos Santos met en avant les difficultés du successeur de l’empereur Matope à imposer son autorité à ses frères qui lui contestent sa légitimité, thème récurrent des traditions orales africaines. À sa mort en 1480, c’est son neveu Mocomba qui lui succède. Ce dernier rentre en conflit avec un gouverneur ce qui est à l’origine de la guerre civile : le roi tente en vain d’assassiner Changamira qui le tue, règne quatre années, se fait tuer à son tour par Quesarymgo, fils de Mocomba, qui est roi en 1506 à l’arrivée des Portugais. Ce dernier n’obtient pas la soumission des vassaux de Changamira qui se regroupent sous la direction de Toloa et entrent en conflit avec le roi.

D’autres récits mettent en avant au début du XVIe siècle l’étendue du Monomotapa dans la frange du nord-est du plateau où se situe la capitale, dans un périmètre limité à l’ouest par le Musengezi, le Zambèze au nord et le Mazoe à l’est. Le Portugais Gaspar Veloso37 écrit en 1512 qu’« entre le pays de Monomotapa et Sofala, tous les rois obéissent au Monomotapa », mais qu’à l’intérieur, il y avait un autre roi rebelle, celui de Butua, que les historiens ont souvent assimilé à Toloa. Cette confusion s’explique par les contradictions des textes des explorateurs portugais : ainsi, Joao Barros38 décrit-il en 1552 le Butua comme toujours vassal du Monomotapa dont il décrit les mines et la capitale que les archéologues ont identifiée dans un premier temps avec l’Acropole de Zimbabwe.

Il semble donc qu’à la fin du XVe siècle la situation politique du Monomotapa peut se résumer ainsi : un potentat revendique l’hégémonie sur l’ensemble du plateau jusqu’à la mer, mais ne domine en réalité que la moitié septentrionale où se trouve sa capitale alors dans le reste du pays, se trouve un vassal révolté, le roi du Butua qui est devenu indépendant.

Le texte de Joao dos Santos (document n° 4) décrit en 1609 le processus d’émiettement de l’Empire du Monomotapa : cette fondation des trois royaumes (le Quieteve et le Sedanda, sur le littoral de part et d’autre de Sofala et le Chicanga39 dans l’arrière-pays montagnard) est reprise dans une tradition orale recueillie au XIXe siècle, mais avec une légère modification puisque le troisième royaume ne serait pas le Chicanga, mais le Quissanga, situé plus au sud du précédent et précise que le Monomotapa continue de confirmer la succession de chacun. Ces royaumes acquièrent donc progressivement une indépendance certaine dont le processus n’est pas explicité par les auteurs.

Document n° 6

« Il y certes de l’or dans le pays, mais il est disséminé un peu partout, et personne n’en a suffisamment pour qu’il vaille la peine de venir de si loin [à Sofala] pour le vendre ; d’autre part, ils attendent qu’on leur apporte les marchandises sur place, où chacun peut acheter ce

37 Documentos sobre os Portugueses en Moçambique en na Africa Central, National Archives of Rhodesia et Centro de Estudos Historicos Ultramarinos, Lisbonne, 7 volumes, 1962-1971.

38 Joao de BARROS, Décadas da Asia, Livre X, Lisbonne, 1552. Édition d'Antonion Baiao, Coimbra, 1932.

39 Le Chicanga serait en réalité le titre du roi du Manica.

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qu’il veut, ils se rendent à des foires fixes, où se trouvent des sheiks d’ici, de Sofala, agents de ces marchands, à qui ils achètent des marchandises que ceux-ci reçoivent d’ici... »

Pero Vaz de Soares, 30 juin 1513, in DPMAC, volume III

Document n° 7

« Il y a, dans l’arrière-pays de Sofala, deux rois dont les territoires renferment les mines produisant l’or qui est amené au comptoir […] L’un d’eux se nomme le Manamotapa, il était le plus grand seigneur de tout le pays, et tant qu’il le resta, il y eut toujours beaucoup d’or, car toutes les mines lui appartenaient et étaient en activité. L’autre roi qu’il y a là maintenant a pour nom Inhamunda. C’est un ancien esclave du Monomotapa, qui se révolta et conquit peu à peu les territoires, si bien qu’il est devenu très puissant et tient en main toutes les terres en bordure du fleuve, ainsi qu’une partie des montagnes. Il eut pour cela la protection de la forteresse et des capitaines qui y étaient […] Tant qu’il eut peu de pouvoir et qu’il pensa que nous en avions, il se montra excellent voisin et laissa venir beaucoup d’or au comptoir. Mais maintenant qu’il n’a plus besoin de nous, et qu’il sait à quoi s’en tenir sur la puissance du capitaine de Sofala, il se moque outrageusement de lui et barre les chemins »

Documentos sobre os Portugueses en Moçambique en na Africa Central, National Archives of Rhodesia et Centro de Estudos Historicos Ultramarinos, Lisbonne, 7 volumes, 1962-1971.

Lorsque les Portugais s’installent à Sofala, leur objectif est de contrôler le commerce de l’or entre le plateau et l’océan Indien, mais les Arabes qui se sont installés au nord des embouchures du Zambèze, à Angoche, continuent à jouer un rôle prépondérant dans ce commerce en remontant le fleuve dont ils cachent l’existence ou la localisation à leurs concurrents. C’est sous la direction de Gaspar de Veiga, dans les années 1530, que les Portugais procèdent à sa reconnaissance et créent les établissements de Sena et Tete sur le fleuve qui deviennent les cœurs commerciaux.

Cette « découverte » eut pour conséquence le lent déclin de Sofala qui souffre aussi des habitudes commerciales des populations locales auxquelles les Portugais ont du mal à s’adapter, du coût de l’entretien du fort qui limite les bénéfices et les forces locales qui font écran entre le port et les sociétés du plateau. Les années de Sofala sont des années d’initiation pour les Portugais qui apprennent peu à peu et difficilement les méthodes de transaction des populations locales : offre de cadeaux avant toute négociation commerciale, passage par des intermédiaires et des petits centres pour avoir accès à l’or, prise de conscience du pouvoir de chaque chef et de leur non-importance aux yeux de la population locale, lenteur des échanges… Ce que les Arabes avaient rapidement appris et pris en compte, les Portugais le refusaient.

Par ailleurs, le contexte politique explicite le déclin du fort de Sofala et du commerce de l’or. Un vassal rebelle du Monomotapa, Inhamunda qui contrôle les terres allant de l’océan Indien aux montagnes d’Inyanaga bloque tout commerce entre le port de Sofala et le plateau. Pourquoi Inhamunda devint-il si puissant et bloqua le commerce ? Il semble que la raison est

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liée à la maladresse commerciale des Portugais qui le couvrent de marchandises, espérant accélérer les transactions, mais augmentant de fait sa puissance. C’est pourquoi le Monomotapa tente de retrouver sa suzeraineté sur les terres qui lui permettraient d’avoir accès à Sofala et d’obtenir une sorte de neutralité des Portugais, mais en vain. Ceux-ci aident Inhamunda en lui donnant des armes à feu, des balles et de la poudre ce qui lui confère un net avantage et provoque sa victoire.

Quelle suite de cette histoire ? Il est difficile de la connaître avec précision, car les Portugais portent toute leur attention sur le fleuve Zambèze pour détourner l’obstacle. C’est à partir de la seconde moitié du XVIe siècle que les Portugais tentent de remplacer les Arabes dans la cour du Monomotapa.

Mais les relations semblent d’abord difficiles : le 15 mars 1561, sous l’influence des Arabes qui le convainquent de sa malfaisance, l’empereur du Monomotapa fait exécuter un missionnaire portugais qui l’avait convaincu de se faire baptiser ce qui incite le royaume européen à envoyer une expédition militaire punitive ayant également pour objectif de s’emparer des mines d’or.

L’expédition de 1000 hommes dirigée par Francisco Barreto ne remonte le Zambèze qu’en 1572 où elle est décimée en grande partie par la malaria (ou paludisme) et la trypanosomiase40. Après avoir chassé un chef noir Mongaz sur le plateau, elle se retire à Sena où le Monomotapa fait savoir qu’il est prêt à céder aux exigences des Portugais. Celles-ci avaient été précisées avant le départ : chasser tous les Arabes du plateau et accepter les missionnaires chrétiens, réparations sous forme de tributs en or ou de terres comprenant des mines.

Le nouveau chef de l’expédition, Fernandes Homem (qui a remplacé Francesco Barreto, mort à Sena) lance alors une expédition à partir de Sofala en direction du plateau, brise la résistance du roi du Quiteve et de celui du Manica, mais se retire, car il réalise qu’il sera plus facile d’obtenir de l’or par le troc que par l’exploitation directe qui aurait demandé beaucoup trop d’investissements. C’est alors que sont créées les premières foires dans le Monomotapa à Masapa, Luanze et Bocuto avec des magasins portugais et des églises, foires dont le fonctionnement reste encore inconnu.

À Masapa, se trouve alors le « capitaine des portes », nommé par les Portugais et confirmé par le Monomotapa (celui-ci le désigne sous le terme d’« épouse principale ») : il décide alors des entrées dans le royaume. Se créent ainsi à la fin du XVIe siècle les premiers liens de dépendance du Monomotapa envers les Portugais même si les règles de coexistence mises en place semblent dans un premier temps basées sur les principes d’égalité : par exemple, le capitaine des Portes paye un tribut au Monomotapa permettant aux marchands portugais de circuler librement, et tout retard dans le paiement permettait au souverain de s’emparer des biens des Portugais se trouvant sur ses terres.

En 1629, les Portugais s'emparent du territoire et y assoient leur domination mettant fin à l'existence autonome du Monomotapa.40 La trypanosomiase humaine africaine, également connue sous le nom de maladie du sommeil, est une maladie parasitaire à transmission vectorielle. Le parasite est un protozoaire du genre Trypanosoma qui est transmis à l’homme par la piqûre d’une glossine ou mouche tsé-tsé (du genre Glossina) s'étant infectée au préalable chez l’homme ou chez des animaux porteurs du parasite pathogène pour l’homme.

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Le mythe de la société idéale

Document n° 8

« Quant à son équipage, il ne consiste point en meubles précieux, tels que peuvent estre les tapisseries et autres choses, car les plus grands ornements qu’il ait en son palais sont quelques draps de coton diversement ouvragés et faits dans le pays...

Ce Roy porte pour armes un petit soc de charrue de qui la pointe est d’ivoire ce qui luy est comme un symbole de pais pour exhorter tous ses sujets à labourer et à cultiver la terre. Il porte pareillement une ou deux zagaies pour marque de sa justice et de la défense de son peuple...

Tout son pays est tellement libre que ses sujets ne lui payent point d’autre tribut que le présent qu’ils lui font quand ils s’en vont parler à lui...

S’il est permis à chacun d’avoir autant d’épouses qu’il peut entretenir, cette coutume n’amoindrit en rien l’amour ni le respect des femmes chez ce peuple : aussi sont ils accoutumés, lorsqu’une passe dans la rue, fut-ce le fils du roi qui la rencontre, il est obligé de lui faire place et de ne pas bouger jusqu’à ce qu’elle soit passée... »

Extraits de Joao de BARROS, Décadas da Asia, Livre X, Lisbonne, 1552. Édition d'Antonion Baiao, Coimbra, 1932

Ces extraits sont intéressants dans ce qu’ils relèvent de l’imaginaire européen et de la réalité.

Le portrait tracé par Joao de Barros est construit d’après ce qu’il a observé et ce qui lui fut rapporté.

La domination du roi est surtout symbolique : en effet, le roi n'exige qu'un faible tribut à ses sujets, mais il reçoit un présent dès qu'il donne une audience. La remise du don, proportionnel à l'importance de la requête, est faite de manière publique alors que l'entretien entre le donateur et le roi reste secret. L'essentiel des ressources provient des coutumes payées par les Portugais (tous les trois ans pour le Monomotapa, tous les ans pour le Quieteve) et un prélèvement d'une petite partie des marchandises pour les commerçants lors des foires sans que le contrôle du versement ne soit au demeurant très contraignant : ainsi, à Masapa, à la fin du XVIe siècle, est prélevé un pagne pour chaque vingtaine vendue par les Portugais, mais de trois pagnes pour chaque vingtaine pour les commerçants noirs. Autre source de revenus : les corvées exigées notamment de sept jours par mois de travail dans les champs royaux ou ailleurs. Les produits obtenus sont parfois reversés à des indigents ou servent la politique royale. Cependant, il convient de noter que le roi ne tire pas de grands profits de ce système fiscal et vit plutôt de manière modeste, comme l'ensemble de la population où les différenciations sociales semblent peu marquées.

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Concernant la place des femmes, il est plus difficile d’interroger le texte. On peut juste mettre en avant le rôle politique joué par les femmes du roi et l’évocation souvent faite de femmes soldats. Cependant, des femmes sont sacrifiées à la mort du roi pour l’accompagner dans l’au-delà.

Ces éléments rapportés par l’auteur portugais (et dont certains ne peuvent être vérifiables) alimentent l’imaginaire européen : le respect des femmes, la simplicité du mode de vie du souverain qui combine pouvoir absolu et intelligence politique, la faiblesse des différenciations sociales rencontrent le vœu du règne de bonheur par la vertu du siècle des Lumières et créent l’image de cette société idéale et modélisante tant recherchée.

ConclusionÉtudier l’histoire du Monomotapa nous fait rencontrer le paradoxe des relations entre l’Afrique et l’Europe. L’Afrique apparaît sans histoire aux yeux des Européens hors de leur présence ; l’Afrique ne vit historiquement que parce que l’Europe le désire et le souhaite. C’est pourquoi cette histoire reste largement méconnue.

Et pourtant, l’Afrique est toujours présente dans l’imaginaire européen à travers des mythes, dont celui du Monomotapa qui contribue à troubler la connaissance de l’histoire de ce continent.

L’intitulé du programme « Regards sur l’Afrique » nous invite à interroger sur le sens de ce regard porté et à tenter de le déconstruire pour accéder à la connaissance historique.

L'histoire de l'Empire du Songhaï (XIIe - XVIe siècles)

Patrick ParodiLe 13 octobre 2010

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Professeur au Lycée Fréderic [email protected]

1 Quelles sources de cette histoire ?

La principale source écrite, ce sont les Tarikhs (Tarikh el Fettach et Tarik es Soudan de Tombouctou), écrits au milieu du XVIIe siècle par des auteurs s’apparentant à des historiens en citant leurs sources, présentant des versions différentes du même fait, datant les événements, etc. Il existe aussi des sources orales que transcrivent El Bekri, Ibn Battouta ou El Oufrani… Les sources sont donc rares.

2 Quelle histoire ?

Au XIe siècle, le Songhay est la région de la boucle du Niger dont le centre est Tombouctou. Cette région occupe alors une place annexe dans la région dominée par deux pôles :

- un pôle occidental avec Ghana et Aoudaghost : cette région est puissante, car elle est l’aboutissement des routes partant de Sidjilmassa et traversant le Sahara. Les caravanes venant d'Afrique du Nord sont alors chargées de produits divers venus du Sud marocain et de Sidjilmassa ainsi que du sel des mines de Teghazza, situées sur la route. Elles repartent chargées d’or venu des régions du Soudan, acheminé vers les villes de Ghana et d’Aoudaghost, qui sont des carrefours commerciaux où l’islam s’étend au milieu du XIe siècle ;

- un pôle oriental avec les centres de Koukia et de Tadmekka. Ces deux villes, dont la localisation reste imprécise (sur le Niger), sont aussi des centres commerciaux actifs, lieux d’échange entre l’Égypte et l’Afrique du Nord d’une part et le Soudan occidental d’autre part.

La région de la boucle du Niger reste une région intermédiaire traversée par la piste entre les deux pôles.

Du XIIe siècle au XIIIe siècle, des changements interviennent : le mouvement almoravide touche alors le Sahel et provoque une rupture d’équilibre entre les tribus berbères elles-mêmes, entre les Noirs et les Berbères et entre l’islam et l’animisme. L’occupation de la ville de Ghana et son islamisation provoquent la sécession de régions méridionales qui s’érigent en royaumes indépendants. En 1203, le roi Sosso de Koniaga s’empare de Ghana qui connaît alors un lent déclin, lié aussi aux changements des routes transsahariennes. En effet, dès le XIe siècle, l’exploitation des mines de sel de gemme de Teghazza, au cœur du désert, favorise la voie centrale. Celle-ci aboutit alors à Ghana, mais est handicapée par la présence d’un seul point d’eau. La présence de multiples points d’eau le long de la route aboutissant sur la boucle du Niger et les guerres touchant la région orientale entraîne un

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déplacement progressif de l’activité commerciale sur la boucle du Niger et le développement de Tombouctou, processus achevé au XIIIe siècle.

Cette région devient centrale avec la conquête mandingue qui aboutit à la formation d’un empire soudanais avec Soundiata Keïta qui aurait conquis l’empire Sosso, la cité de Ghana en 1240. Cet empire s’étend de l’océan Atlantique aux pays haoussa, voire jusqu’à Takkeda près de l’Aïr. La boucle du Niger en est alors le cœur, l’axe dominant où aboutissent les voies transsahariennes.

Le début de la domination mandingue à Tombouctou est cependant difficilement évaluable. En s’appuyant sur le Tarik es Soudan (qui date la conquête sous le règne de Koukou Moussa vers 1324-1325) et des récits d’Ibn Battouta, Maurice Delafosse41précise que la conquête de Tombouctou et du Songhay est effectuée par le général Sagamendia, lors du pèlerinage de Koukou Moussa à La Mecque, celui-ci faisant construire la Grande mosquée et le palais Madougou à son retour. Cette hypothèse est remise en cause par Charles Monteil42 qui fait remonter la conquête de Tombouctou et de Gao à 1275 et une deuxième sous le règne de Sakoura vers 1285-1300, mais sa thèse s’appuie sur le premier successeur de Soundiata, son fils Mansa Oulé (1255-1270) dont on ne sait rien sauf qu’il a fait un pèlerinage. Cette vision de Monteil est par ailleurs confortée par les témoignages du cheick Othman qui attribue à Sakoura la conquête de Gao (roi entre 1285 et 1300).

Pendant un siècle, la domination mandingue favorise alors la paix de la région (malgré quelques razzias mossis vers 1337), mais vers la fin du XIVe et au XVe siècle, l’Empire est touché par des conflits de succession si bien que les chefs des garnisons, les farin, constituent des entités autonomes, des petits royaumes indépendants (Gao devient indépendante à la fin du XIVe siècle).

C’est au XVe siècle que la situation change : l’Empire du Mali se trouve incapable de résister aux différents ennemis : les Mossi, les Touaregs, le royaume de Gao. Ce dernier est entre les mains de la dynastie Sonni (ce titre royal remplace l’ancien de Dia ou za sans que soient élucidées les circonstances du changement, ni la date de celui-ci, ni sa signification). Trois rois jouent un rôle essentiel dans l’expansion du royaume de Gao vers l’ouest :

- Sonni Ma Daou ou Mohamed Da’o, au pouvoir vers 1425, impose son hégémonie dans les territoires de la boucle du Niger et multiplie les expéditions au Mali où il s’empare de multiples tribus serviles et de populations mandingues,

- Souleïman Dam ou Dâma (mort en 1464, ayant régné au milieu du XVe siècle) qui poursuit la même politique expansionniste vers l’ouest.

Ces deux rois sont avant tout des guerriers qui imposent leur suzeraineté (à Tombouctou notamment), mais ne cherchent pas à conquérir définitivement ces territoires ce qui provoque toutefois l’affaiblissement de l’Empire du Mali.

Ce dernier est aussi affaibli par la montée en puissance des Touareg du nord. Ces tribus (Medaça et Sanhaja, essentiellement nomades et Messoufa, plus sédentaires) sont organisées en une vaste confédération, dirigée par un aménokal, sous l’emprise de l’Empire

41 Maurice DELAFOSSE, Le Haut Sénégal-Niger, Paris, Larose, 1912.

42 Charles MONTEIL, Les Empires du Mali, éd. A Maisonneuse et Larose, Paris, 1968.

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du Mali. Son déclin favorise leur émancipation progressive et leur domination sur Tombouctou.

Celle-ci est datée approximativement en 1433/1434. L’aménokal Akil Ag Melaoul n’exerce qu’une domination nominale sur la ville : il se fait verser un tribut dont un tiers est reversé au chef de la ville, le Tombouctou-koï, Mohammed Naddi (1433-1465), mis en place par les Malinké, mais confirmé par les Touaregs. Il ne réside pas dans la ville, mais dans un campement nomade dans sa périphérie. En 1446, la ville d’Oualata est prise par Akil Ag Melaoul qui crée ainsi un royaume coincé entre l’Empire du Mali et le Songhay en pleine ascension.

L’Empire songhay connaît son apogée sous le règne de Sonni Ali Ber (Ber est un titre signifiant le Grand) de 1464 à 1492. Celui-ci s’attaque aux deux puissances rivales :

- les Touaregs qui sont refoulés vers le nord ;

- les Mossis, repoussés dans un premier temps vers l’ouest, reviennent en 1477 et saccagent Oualata, mais ils sont définitivement vaincus en 1483 à Kobi sur la rive droite du Niger.

Cette domination s’explique par une organisation militaire de grande qualité avec une cavalerie puissante et très mobile, une importante flottille permettant de transporter les troupes et le butin, etc.

En 1492, l’Empire songhay s’étend de Dendi jusqu’au delta central du Niger, avec pour capitale Gao ; Ali Sonni Ber le contrôle en multipliant voyages et expéditions et en mettant en place une administration centrale complexe. Cependant, on peut noter que les sources ne tracent pas un portrait très flatteur de l’empereur ; en effet, les ulémas de Tombouctou, qui sont à l’origine des récits, sont victimes de sa politique répressive et le présentent comme un tyran cruel et sanguinaire. En effet, Sonni Ali Ber multiplie les enlèvements de femmes, les arrestations des membres du clergé ou des responsables politiques (ainsi, le chef de la ville de Tombouctou, El Moktar) qui lui reprochent essentiellement son impiété ou ses mauvaises pratiques religieuses (il semble que l’empereur reste davantage attaché aux coutumes animistes et ne pratique qu’un islam de pure forme).

C’est ce différend sur la question religieuse qui explique les difficultés de l’Empire à la mort de Sonni Ali Ber le 06 novembre 1492. Son fils Aboukaber Da’ou alias Sonni Bâro ne fut proclamé empereur qu’en janvier 1493 ; en effet, les chefs du camp musulman, le gouverneur de la province de Hombori, Mohammed et son frère Amar Komdiâgo, qui lui reprochent son peu de respect envers les marabouts et l’islam, n’arrivent pas à empêcher son avènement.

Mohammed constitue alors une ligue avec le soutien des ulémas de Tombouctou qui apprécient son sens de la diplomatie, sa piété, son ascendant sur une partie de l’armée et sa gestion religieuse de la province de Hombori. Le but officiel de cette ligue est de convertir le souverain à l’islam, mais il s’agit, en réalité, de renverser la monarchie animiste des Sonni. Cependant, cette ligue ne reçoit qu’un soutien relatif et limité sur le plan militaire, la plupart des grands dignitaires de l’Empire restant fidèles au souverain, Sonni Bâro. Après plusieurs défaites et tentatives de conciliation, la ligue remporte une victoire définitive et inattendue le 2 avril 1493 à la bataille d’Angao ou Anfao, près de Gao : la dynastie des Sonni s’effondre et

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Mohammed s’empare du pouvoir souverain et fonde une nouvelle dynastie, celle des Askia qui s’appuie sur l’islam et Tombouctou. Pour confirmer et légitimer son pouvoir, Askia Mohammed fit un pèlerinage prestigieux à La Mecque en 1496-1497 et y reçut le titre de khalife du Soudan.

Son règne fut marqué par de multiples campagnes militaires dont le but était de repousser et conforter les frontières de l’Empire :

- contre l’Empire du Mali à l’Ouest. En 1494, la province de Macina fut annexée et confiée au frère de Mohammed, Amar Kondiâgo. D’autres expéditions (contre le Yatenga, la région de Ségou, la ville de Dialan) assurent une domination hasardeuse dans la partie occidentale ; les Peuls fondèrent même un royaume dans la région du Diahra qui fut annexé en 1512 après une rapide campagne militaire et qui devient ainsi la limite extrême de l’Empire songhay ;

- vers le nord, les deux premières décennies du XVIe siècle permettent d’installer des colonies de peuplement songhay entre Agadès et Oualata, de faire payer un tribut de soumission aux tribus berbères et d’occuper les riches salines de Teghazza ;

- contre les Haoussas à l’est. Les cités haoussas sont très prospères, mais divisées ce dont profite Askia Mohammed : il annexe les cités les plus importantes comme Katséna et Kano (seuls la cité de Kebbi et son royaume lui résistent définitivement), leur impose un tribut et des agents chargés de contrôler les souverains locaux.

L’Empire atteint donc son apogée au début du XVIe siècle en contrôlant les pays du moyen Niger. La capitale nominative reste Gao où l’Askia réside, mais Tombouctou acquiert une place essentielle : il embellit la ville et y favorise les ulémas qui deviennent des conseillers écoutés et respectés si bien que les sources présentent le règne d’Askia Mohammed comme un âge d’or (à l’exact opposé de celui de ses successeurs et de son prédécesseur Sonni Ali Ber).

En 1528, l’Empire rentre cependant dans une période trouble ; l’Askia Mohammed, âgé et aveugle, est poussé à l’abdication et relégué dans un coin du palais royal par son fils Moussa ce qui vaut à ce dernier la malédiction des ulémas de Tombouctou. Une véritable guerre familiale marque le règne de Moussa qui tue ses cousins, fils d’Amar Kondiâgo et ses frères. Les survivants le tuent lors d’une conjuration le 12 avril 1531 à Mansoura.

C’est un fils d’Amar Kondiâgo, Mohammed II Benkan Kiriai qui lui succède ; malgré une politique d’apaisement et de prestige à Tombouctou et Gao où il fonde une véritable cour avec des princesses songhay, des chœurs et des musiciens et des lettrés, il ne parvient pas à attirer les partisans du vieil Askia Mohammed qui est exilé dans une île du Niger. Ceux-ci fondent un parti légitimiste sous la direction d’un de ses fils, Ismaïl qui s’empare du pouvoir en avril 1537 et proclame la déchéance de l’Askia Mohammed II qui se réfugie à Sama dans le territoire du Mali.

Ismaïl prit la tête de l’Empire, se fit investir par son père et mène une expédition militaire dans le Gourma en 1538 où il ramène de nombreux esclaves. Les sources ne le présentent pas toujours sous un jour favorable en raison de la sécheresse et de la famine qui toucha la boucle du Niger lors de son court règne (1537-1539).

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Son frère Ishaq (1539-1549) reste aussi un personnage controversé dans les sources écrites : dans le Tarikh es-Soudan, c’est un souverain autoritaire et cruel alors que le Tarikh el-Fettach le présente comme un homme pieux et apprécié des ulémas. Sa politique intérieure se base essentiellement sur la domination militaire et la soumission des fonctionnaires, des commerçants soumis à des tributs excessifs (75 000 pièces d’or pour ceux de Tombouctou). À l’extérieur, il contribue à l’effondrement définitif de l’Empire du Mali qui s’était consolidé au XVIe siècle grâce à la maîtrise des provinces maritimes de l’Atlantique et la naissance de relations directes avec le royaume du Portugal qui envoie des ambassades, dont celles de Péros, en 1534. En 1545-1546, une armée songhay ravage le pays et s’empare d’immenses richesses ce qui provoque la ruine de l’Empire du Mali.

C’est la question des salines de Teghazza qui devint le problème le plus épineux de l’Empire songhay. Celles-ci étaient gérées par un gouverneur berbère, nommé par l’Askia qui en récoltait les richesses. Celles-ci deviennent l’objet de la convoitise de la nouvelle dynastie marocaine des Saadiens qui a libéré le pays de l’occupation portugaise et l’a unifié autour de sa capitale Marrakech. Le fondateur de cette dynastie, Mohammed Ech Cheik réclame alors à l’Askia Ishaq Ier la cession des mines de sel qui lui répond en envoyant 2000 Touareg razzier la région du Draa au sud du Maroc.

À la mort d’Ishaq Ier, ce fut son frère Askia Daoud qui arrive au pouvoir (1549-1582) ; c’est un homme expérimenté et ayant participé à de nombreuses campagnes militaires. Il est présenté comme un souverain autoritaire, mais modéré et sage. Sa politique économique fut innovante : création d’un dépôt de numéraire à Gao, encouragements à l’agriculture et au commerce, etc. Enfin, sur le plan religieux, l’attitude du souverain envers les ulémas fut conciliante et ouverte même s’il ne les associa pas au pouvoir.

Sur le plan extérieur, la politique de l’Askia Daoud se situe dans la continuité de celle de ses prédécesseurs : lutte contre l’Empire mandingue du Mali qui perd définitivement ses provinces orientales au profit de l’Empire songhay et en devient même tributaire et tentatives de soumission des provinces méridionales et orientales, mais les Peuls et les Haoussas y mènent respectivement une résistance farouche. Cependant, la question essentielle demeure la question des salines de Teghazza. Le sultan du Maroc ne résista pas au pillage du Draa par les Touaregs de l’Askia Ishaq Ier, mais devenu maître du pays au milieu du XVIe

siècle, il profite d’une rébellion d’un chef filali de Teghazza pour lancer une expédition et s’emparer des salines. L’Askia Daoud accepte le fait accompli par souci de réconciliation avec le Maroc. Cette situation perdure jusqu’à la mort du souverain songhay en 1582 lors d’une épidémie de peste.

Son fils Askia El Hadj Mohammed III (1582-1586) est le dernier souverain de l’apogée songhay. L’Empire atteint ses limites dans la domination des régions occidentales comme l’Ouagadou, plus urbanisées et islamisées qui tendent vers l’autonomie et se trouve confronté à des révoltes nombreuses, certes maîtrisées, mais symptomatiques du déclin de la puissance. Par ailleurs, l’ambition du nouveau sultan marocain, Ahmed El Mansour, le pousse à mener des expéditions vers le fleuve Sénégal, Ouadane et les salines de Teghazza ; celles-ci furent définitivement abandonnées au profit de salines, situées à 150 km au sud des précédentes, celles de Taoudéni. Cette situation provoqua un profond bouleversement du commerce transsaharien et fit perdre en partie son rôle essentiel à la ville de Tombouctou.

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Dès 1586, l’Empire songhay rentre en déclin, les deux derniers souverains étant incapables de mettre fin à la guerre civile et à la récession économique. Le premier, Askia Mohammed IV (1586-1588), très impopulaire, provoque une forte contestation lors de son intronisation, notamment de la part de ses frères qui veulent user de sa faiblesse de caractère. La rébellion de 1588 du Balama (commandant militaire) de Tombouctou, Mohammed Es Sadeq provoque une véritable guerre civile qui aggrave les difficultés de l’Empire songhay, confronté depuis 1583 à une crise de subsistances, source de mécontentement de la population et à l’hostilité de la puissance marocaine. Cette guerre civile est d’abord un conflit d’origine locale (le Balama Mohammed Es Sadeq assassine le représentant de l’Askia Mohammed IV), s’empare de Tombouctou avec l’appui de la population locale et des ulémas et part avec son armée batailler contre le souverain. Ce dernier décède avant la bataille et c’est son frère l’Askia Ishaq II (1588-1591) qui reprend le combat et l’emporte le 15 mars 1588. La répression qui suivit eut des conséquences essentielles : exécution et déportation des élites politiques et militaires, rupture de l’unité de l’Empire puisque Tombouctou refuse de reconnaître désormais tout lien avec Gao, affaiblissement face aux menaces étrangères épuisement économique, diminution des ressources vivrières, etc.

En 1591, l’invasion marocaine marque la fin de l’Empire songhay.

3 Quelles traces cet Empire a-t-il laissées ?

L’Empire songhay connut donc une histoire mouvementée, mais qui a laissé des traces civilisationnelles brillantes en plusieurs domaines.

a) une organisation politique, administrative et militaire complexe.

Le système politique est celui de la monarchie basée sur une composante religieuse : animiste pour les Sonni et musulmane pour les Askia, même si l’Islam est fortement empreint de cultures traditionnelles. Le titre d’Askia est pris par Mohammed lors de sa prise du pouvoir, mais le sens de ce titre, à l’origine soninké ou berbère, reste obscur et semble avoir été porté par des dignitaires au temps des Sonni, puis réservé aux seuls souverains au XVIe siècle. Le titre semble avoir une signification mystique.

L’Askia est donc avant tout un souverain d’essence musulmane (confirmée et légitimée par les ulémas et le pèlerinage à La Mecque), mais revêt de nombreux traits animistes : ainsi, il est considéré comme un personnage sacré devant lequel on se prosterne et on se couvre de poussière, dépositaire du din-touri, un tison éteint, symbole du feu sacré et de la propriété du sol. La prospérité ou les calamités naturelles sont liées, dans les sources, à sa personnalité et son action.

Ce souverain sacré est aussi un monarque absolu qui peut déléguer et retirer son autorité à l'envi, mais qui doit respecter certains principes : la liberté, les biens et les familles des musulmans ou les coutumes et traditions des différents peuples soumis. Par ailleurs, certains dignitaires reçurent des territoires immenses qu’ils pouvaient gérer à leur guise et constituèrent ainsi de véritables contre-pouvoirs. Enfin, la Cour de Gao, qui entoure le souverain, joue un rôle politique non négligeable et est un élément de prestige avec les femmes et les musiciens, mis en avant par un protocole rigoureux.

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Cependant, certaines coutumes semblent davantage avoir été mises à mal comme la règle de succession (celle-ci est collatérale puisqu’elle a lieu de frère à frère selon le droit d’aînesse) ce dont témoignent les guerres et rébellions.

La monarchie s’appuie sur un État centralisé composé d’un gouvernement central et de gouvernement de provinces. Le premier est composé de la Sounna ou Conseil impérial où se débattent les problèmes de l’Empire. En font partie des « ministres » aux fonctions précisées, mais dont l’étendue d’action varie entre Gao, la capitale et l’ensemble de l’Empire :

- le chancelier qui rédige et valide les actes administratifs, les courriers, les chartes, etc.,

- le maître de l’eau ou le Hi-Koï, chef de la flottille du Niger,

-le Fari mondzo, chargé de l’agriculture (surveillance des récoltes, rentrée des redevances impériales, gestion des conflits agraires, distribution des grains, etc.),

- le Hou-Kohoreï-Koï, dirigeant les affaires domestiques du palais impérial,

- le Kalissi farma, chef du Trésor, contrôlant dépenses et recettes,

- le Balama, le chef militaire de la région de Tombouctou,

- le Koreï-farma, chef des Blancs, chargé des affaires avec les peuples berbères ou le royaume du Maroc.

Le gouvernement des provinces est divisé en deux systèmes : les provinces songhay constituent un domaine impérial géré par un représentant de l’Askia, un gouverneur, ayant tous les pouvoirs de l’Askia, excepté la justice, et les pays tributaires, conquis militairement, dont le roi devait être confirmé par l’Askia, payer un tribut, fournir des soldats. Les liens de mariage se nouaient souvent entre ces rois et l’Askia.

L’armée constitue le dernier pilier de la puissance songhay. Si ses effectifs sont difficilement mesurables, ils semblent importants et divisés entre des troupes permanentes et bien équipées dans la capitale (évalués à 5000 hommes sous l’Askia Mohammed II) et des troupes dispersées dans les provinces. Rarement rassemblée, elle comprend tous les corps : infanterie, cavalerie et flottille de 2000 pirogues sur le Niger. Les armes restent traditionnelles : arc et flèches, sabre, couteau, lance, cuirasses métalliques (les armes à feu ne sont jamais mentionnées dans les sources).

b) un commerce essentiel dans l’économie mondiale

L’économie du Soudan nigérien est basée sur les échanges, dynamisés par des grandes villes et une production agricole excédentaire, qui rompent avec l’économie traditionnelle d’autoconsommation. Le commerce est alors favorisé par le contexte politique ; l’unification et la paix assurée par la dynastie des Askia ainsi que la mise en place d’un puissant royaume au Maroc permettent le contrôle des pistes sahariennes.

Les voies transsahariennes sont multiples et quadrillent le désert, mais aux XVe et XVIe

siècles, les voies qui aboutissent sur la boucle du Niger deviennent prédominantes si bien

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que les villes de Tombouctou et de Gao deviennent les relais essentiels entre le Maghreb et le Soudan nigérien. Les pistes provenant du nord passent par les mines de sel de Teghazza, faisant du Touat, le cœur marchand du Sahara au détriment de la ville de Sidjilmessa, alors que celles de l’est proviennent de Rhadamès et du littoral libyen, de Rhat et de l’Égypte et enfin du Darfour et de Djedda en Arabie (cette dernière étant la piste privilégiée des pèlerins et des intellectuels).

Ces voies sont traversées par des caravanes de chameaux ; certains marchands en possèdent des milliers. Ce trafic transsaharien est relayé au niveau local par le transport en ânes et bœufs ou par des files d’esclaves ainsi que par les pirogues du fleuve Niger. La ville de Djenné y joue un rôle essentiel, car elle redistribue dans l’Empire songhay l’or des mines de Bouré dans le Mali et est en relation avec les marchés de la côte atlantique jusqu’en Gambie ou ceux situés sur le Niger et le Bani. Gao joue aussi un rôle essentiel, car elle est fortement reliée aux pays haoussa et au-delà à ceux du Kanem-Bornou, du Bénin et des cités yorouba.

L’ensemble de ces pistes n’est en rien organisé par l’État, mais est laissé à l’initiative des seuls marchands qui tirent profit des conditions politiques favorables.

Ces marchands, qui travaillent essentiellement dans une structure familiale, sont très nombreux et diversifiés dans leur organisation et origine :

- les Arabo-Berbères, spécialisés dans le commerce transsaharien. Ils sont aussi divisés en multiples groupes comme les Messoufa et les Bérabiches, spécialisés dans l’élevage des chameaux et le commerce du sel, ceux venant des grands centres du Sahara comme le Touat et enfin les Maghrébins. Ces marchands vivent souvent dans des quartiers particuliers des villes soudanaises comme Tombouctou et Gao,

- les Soudanais dont les plus importants sont les Wakoré ou Soninké, essentiellement localisés dans le delta central du Niger, les Wangara ou Mandingue, très dynamiques dans les marchés de l’ouest.

L’organisation générale du commerce est basée sur une structure hiérarchique : les plus grands marchands, habitant les grandes villes, possèdent leurs sièges et leurs magasins dans les grandes villes où ils résident. Mais, ils fondent des succursales dans les villes de taille moyenne et utilisent un personnel important et la technique de la lettre de change. La deuxième catégorie est celle des courtiers urbains, qui servent d’intermédiaires entre vendeurs étrangers et acheteurs locaux, mais qui peuvent aussi acheter des marchandises qu’ils stockent et revendent lors des périodes de hausse des prix. La dernière catégorie est constituée des petits colporteurs ambulants, vendant au détail une multitude de produits, mais qui ne constituent pas un groupe homogène.

Cette diversité se retrouve aussi dans les instruments utilisés : si les poids et mesures adoptés sont généralement ceux du monde musulman (le miqtal soit un peu moins de 5 grammes, le moudd, mesure de capacité de 1 à 1,5 kilo pour le grain), les moyens de paiement sont très divers. Il n’existe pas de monnaies locales, mais le dinar est utilisé comme monnaie de compte, employé dans les transactions les plus importantes. La plupart des échanges se réalisent grâce au troc, aux cauris, importés des îles Maldives, la poudre d’or, les cotonnades, le cuivre, etc. Enfin, les lieux d’échanges sont nombreux : il s’agit le plus souvent de marchés urbains ou locaux où la surveillance impériale se limite à juger les

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différends et assurer la bonne conduite des affaires, les prix se fixant selon la logique libérale de l’offre et de la demande.

Il y a donc une véritable organisation commerciale dans le Soudan nigérien qui témoigne de l’importance de cette activité économique. Cette dernière est donc ouverte sur l’extérieur, essentiellement les régions du Maghreb. Les marchands européens se rendent alors dans les ports d’Afrique du Nord, Santa Cruz, Safi, Séta, Honeïn, Tunis et du littoral libyen afin de pouvoir acheter les produits du Soudan nigérien. Au XVe siècle, ce sont les Portugais et les Italiens qui prédominent, relayés au XVIe siècle par les Anglais qui créent en 1585 la Barbary Company qui vend des draps et des produits européens au Maghreb et au Soudan, par les Français et les Hollandais. On retrouve donc des produits européens sur les marchés africains et des produits africains jusqu’à la mer du Nord et la mer Baltique.

Les produits les plus recherchés sont l’or et le sel, denrée essentielle.

Le sel utilisé est celui du Sahara (le sel marin est connu, mais peu utilisé à l’intérieur) qui jouit d’une grande réputation et est échangé contre l’or. Au XVe siècle, les mines d’or européennes de Bohême, d’Allemagne et de Serbie s’épuisent et le Soudan devient la seule source d’approvisionnement comme l’écrit Jacques Heers : « Le Soudan est la seule région à produire du métal d’une façon appréciable et régulière. On peut dire, que du point de vue des échanges, l’économie mondiale est drainée par l’or d’Afrique, ceci longtemps après les grandes découvertes, car l’Amérique espagnole du XVIe siècle n’a donné que peu d’or ». 43

Cet or provient des mines du pays mandingue, à Bouré, en Haute Guinée, à Bitou en pays Ahanti, dans le Wassoulou ou sur la côte du Sierra Leone où il est récolté sous forme de pépites alors que celui de Falémé dans le Bambouk ou de Falémé en Haute Guinée également est exploité dans des rivières ou des mines de faible profondeur sous forme d’alluvions qui sont ensuite lavées pour en extraire la poudre d’or, le tibar.

D’autres produits sont aussi échangés : les esclaves, les chevaux arabes, les étoffes.

On pourra noter cependant que le commerce soudanais souffre dès le XVe siècle de la concurrence atlantique. En effet, grâce aux progrès de la navigation avec la caravelle, les Européens peuvent alimenter directement l’Ouest africain en cauris, étoffes et métaux et s’approvisionner en or et esclaves. De fait, ils contournent le Sahara et rendent le commerce transsaharien moins attractif. Ainsi, l’établissement de points de commerce par les Anglais, les Français, les Portugais et les Hollandais sur le littoral du golfe de Guinée contribue au déclin des villes intérieures comme Tombouctou ou Gao.

c) la place de la vie religieuse, intellectuelle et artistique

L’Empire songhay connaît une importante activité religieuse liée à la cohabitation de croyances animistes et la religion musulmane dont la place est exagérée dans les sources écrites, les Tarikhs. Ces dernières taisent les aspects civilisationnels du Soudan nigérien, celui des croyances populaires, de l’animisme traditionnel qui permet, pourtant, de comprendre la pratique de l’islam lui-même.

43 Jacques HEERS, Le Sahara et le commerce méditerranéen à la fin du Moyen Âge, Annales de l’Institut des Études orientales, XVI, 1958.

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Ce sont les travaux d’historiens comme Jean Rouch ou Boubou Hama qui réhabilitent cet aspect, allant même jusqu’à expliciter l’histoire de la région par la lutte entre l’élément indigène représenté par la dynastie des Sonni et l’élément musulman que les grandes villes et l’Askia Mohammed symbolisent. L’écroulement en 1591 de l’Empire dans sa partie la plus islamisée et le retour des songhay dans leur patrie d’origine, le Dendi, la terminent.

Cependant, il convient de ne pas accentuer l’antagonisme entre les deux éléments, car ces derniers s’interpénètrent. L’Islam reste d’abord marginalisé, dans les régions occidentales (Tombouctou, Djenné, Oualata, Dia, etc.) et dans les agglomérations marchandes ou dans certains espaces ruraux autour de la personnalité d’un marabout. Le culte des divinités protectrices, sources de fécondité et de bonnes récoltes, est encore largement pratiqué chez les populations rurales, largement majoritaires.

Les croyances songhay sont donc essentielles pour appréhender la perception du monde que développent les populations. Selon cette mythologie, la Terre est plate et circulaire, entourée d’eau et est recouverte par une coupole de pierre, le ciel. Elle est gouvernée par un dieu, Irke (ce qui veut dire « notre maître ») jugé inaccessible au contraire de la multiplicité de divinités inférieures, les holé, régissant la vie terrestre. Ces dernières sont hiérarchisées : au sommet, les divinités de l’eau dirigées par la reine Haraké Dicko, « la maîtresse des eaux, l’Ainée », puis Dongo, dieu de la pluie et de la foudre et enfin, les « gaji » ou « ganjibi », les divinités de la brousse. Ces holé, invisibles et immortels, ont un double qui prend forme humaine et peut s’emparer d’un individu. Celui-ci est composé de trois parties : le corps, la matière périssable, le souffle vital qui l’anime et le double ou ombre (« byia »), partie spirituelle qui est la conscience des sentiments, des souvenirs, de la sensibilité, etc. La mort est le détachement du byia des deux autres parties qui peut alors se réincarner chez un de ses descendants. Cette notion du double est l’élément fondamental de la croyance animiste des Songhay et donc de la pratique religieuse consistant à faire parler l’holé à travers l’initié, au cours de cérémonies empreintes de musiques, de danses et de chants. Le chef du culte, « le Zimma », interprète la prédiction du holé, détermine s’il s’agit d’une bonne ou mauvaise divinité, protège la communauté contre cette dernière ou contre les sorciers mangeurs de doubles.

De fait, la magie est un acte essentiel des pratiques religieuses, dont les maîtres sont les Sonni qui en tirent prestige et puissance ce qui expliquerait que leur conversion à l’Islam resta superficielle.

De même, dans cette conception religieuse du double, le culte des ancêtres occupe une place importante ; il convient de ne pas le négliger afin que leur double ne cause pas du mal. Dans des lieux consacrés ou spécifiques (termitières, cavités de tronc d’arbre, carrefours, etc.) sont effectués des sacrifices. Cependant, il n’y a pas d’unité de culte : son déroulement et son organisation dépendent de la divinité concernée à laquelle chaque communauté villageoise dédie un prêtre et une case faisant office de temple pour conserver les objets du culte.

La religion songhay n’est donc pas une religion qui axe sa problématique sur le péché et l’angoisse de l’au-delà, mais sur la nécessité de faire intervenir les forces de la nature afin de protéger la société contre le mal et permettre l’équilibre social, garant de l’épanouissement et du bonheur individuel. Elle est donc différente de l’approche islamique qui est la deuxième composante de la société soudanaise.

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L’islam est implanté depuis le Ve siècle dans la vallée du Niger, mais connaît un tournant aux XVe et XVIe siècles.

Jusqu’au XVe siècle, l’Islam est un phénomène urbain, essentiellement concentré sur Tombouctou, Djenné et Gao. Ces villes se dotent d’importantes mosquées, d’universités et ont une importante population d’ulémas : la présence de marchands musulmans est le facteur essentiel de l’islamisation. Au XVe siècle, la crise de l’Empire du Mali provoque un recul de la religion musulmane dans les élites qui prennent le pouvoir tels les Sonni de Gao qui ne conservent qu’une foi de façade. Cette dynastie pour qui la tradition exige un roi musulman est réputée pour sa pratique de la magie ; elle mena même une politique anticléricale qui fit fuir des ulémas et arrêta l’immigration des lettrés arabo-berbères et encouragea les croyances ancestrales. C’est pourquoi le souverain le plus puissant de la dynastie, Sonni Ali, est décrit par Askai Mohammed comme illettré, mauvais musulman, violant toutes les prescriptions coraniques, etc. Lorsque son fils Sonni Baro affronta en 1492 la ligue musulmane, les grands de l’Empire se rallièrent à lui ce qui montre que l’aristocratie politique n’était musulmane que de nom et prenait des libertés avec le dogme et les pratiques.

C’est la victoire d’Askia Mohammed la même année qui marque le début de l’épanouissement de l’Islam : c’est en son nom que le nouveau souverain s’empare du pouvoir. Il s’entoure de nombreux ulémas dont l’influence va grandissante et met en avant des solutions qu’il veut conformes aux préceptes musulmans. En 1498-1499, il lance le « jihad », la guerre sainte et envahit le royaume des Mossis animistes dans le but de les convertir (l’expédition échoue à y parvenir). À l’intérieur de son Empire, il tente d’imposer des modes de vie plus conformes à la religion musulmane : interdiction aux femmes de montrer leurs « parties honteuses » comme le veut la tradition (mais il ne parvient pas à imposer le port du voile), création d’une police des mœurs, construction de mosquées et d’écoles coraniques. Cette politique permet donc à l’Islam de s’épanouir et de s’étendre : les institutions tendent alors à se rapprocher des modèles musulmans.

Cette action est amplifiée par le travail missionnaire des marabouts : celui-ci ne s’inscrit pas dans une démarche volontaire, mais reste empirique sur le fond et la forme. Il part toujours des centres urbains les plus importants en direction du Macina, des pays du Bani jusqu’à la lisière de la zone forestière. Les étudiants, attirés par la réputation des ulémas de la ville de Tombouctou, lieu de pèlerinage, jouent aussi un rôle dans la diffusion de l’Islam.

Cependant, il convient de ne pas oublier que la masse de la population reste cependant illettrée sauf dans certaines villes comme Tombouctou et Oualata. La connaissance des textes sacrés de l’Islam passe davantage par la pratique quotidienne et l’influence des ulémas, nombreux à effectuer le pèlerinage à La Mecque. La société s’islamise peu à peu : édification de grandes mosquées, mais aussi de petits mosalla aux carrefours ou devant les maisons de grands marabouts, ostentation des prières collectives de fêtes, mise en place d’une organisation (le Cheikh, chef de la communauté de quartier, l’imam responsable du culte).

Cette situation de dynamisme religieux crée au XVIe siècle un véritable épanouissement culturel dans la boucle du Niger, concomitant avec la Renaissance européenne. C’est d’abord la naissance d’un Islam soudanais, créateur et inspirateur qui est à l’origine de ce

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mouvement : la vie humaine est tout entière dominée par l’idée du Salut, de l’Au-delà. Ainsi, il apparaît que le bon musulman est le souci majeur de la Connaissance et de la Science par le biais de la Religion. Connaître la langue parfaitement est nécessaire pour accéder à la vérité, à l’ensemble des qualités spirituelles et intellectuelles de l’Homme. C’est cette philosophie qui est le moteur de l’humanisme islamique soudanais qui trace le portrait de l’homme idéal : pieux, sage, modeste, réservé, bon, etc. Le but est d’atteindre alors une qualité d’âme supérieure qui aboutit à un optimisme universel et une grande tolérance.

Grâce à l’ouverture commerciale des cités, à la politique des souverains songhay comme Askia Mohammed, la venue de savants étrangers, mais aussi les voyages effectués dans les pôles forts de l’Islam comme Le Caire, les villes de la Terre sainte, la culture islamique soudanaise s’enrichit de la culture du littoral méditerranéen, mais la prolonge et l’enrichit. Ainsi, l’université reflète ce dynamisme : les multiples écoles qui la constituent dépendant de son chef, maître ou imam, sont libres de leur enseignement et peuvent accueillir près de 20 000 étudiants à Tombouctou. Si le cœur de l’enseignement reste l’Islam, il en est marqué par sa tolérance, sa capacité de mobiliser les connaissances philosophiques apportées par les auteurs antiques, et son ouverture au monde et aux autres cultures.

Conclusion : l’Empire songhay marque l’histoire de l’humanité par son extrême organisation qui explicite sa durée, son prestige et sa capacité à unifier l’Ouest africain, mais, c’est un des aspects les plus bénins, l’absence et de règles de succession, établies et rigoureuses, qui provoque son affaiblissement et au-delà sa chute : le 13 mai 1591, les armées marocaines du pacha Djouder envahissent l’Empire et mettent en déroute l’Askia Ishaq II.

Il témoigne de la complexité de l’histoire politique de la vallée du Niger.

Sahara, eau et développement durable

Véronique BluaLe 13 octobre 2010Professeure au Lycée Pierre Mendès [email protected]

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Claude MartinaudProfesseur au Lycée [email protected]

Mise au point

Qu'est-ce que le Sahara ?

Étymologiquement, le terme Sahara, qui constitue le féminin de ashar, signifiait primitivement « fauve, rougeâtre ». Par la suite, ce mot prit l’acception de « plaine non cultivée » et enfin celui de désert. À partir du XIVe siècle, l’appellation Sahara désignait « la grande zone de terres infertiles qui, du Nil à l’océan Atlantique, traverse tout le continent africain »

Le Sahara dans son acception géographique la plus large recouvre environ 8,5 millions de kilomètres et rassemble environ 8 millions d’habitants, vallée du Nil exclue.

Comprendre l’espace saharien, et les territoires qui le composent, c’est tout d’abord s’interroger sur les spécificités marquantes du support physique qui ont déterminé historiquement la structuration du peuplement et les pratiques socio-spatiales des populations. Car si cet espace est un des plus inhospitaliers pour la vie humaine à l’échelle mondiale, il a cependant été en partie approprié et maîtrisé par des populations depuis des millénaires. Il ne s’agit pas ici de faire une approche géographique déterministe de l’espace saharien. Mais il ne faut pas oublier que s’attacher à décrire les spécificités physiques d’un espace et les déterminismes qui en découlent, c’est également s’autoriser à en mesurer les limites en termes de portée explicative sur son organisation spatiale actuelle.

Le fait que le Sahara soit considéré dans la taxinomie des espaces géographiques comme faisant partie des espaces désertiques ne signifie pas qu’il n’ait pas été traversé, parcouru. Il fut en réalité, et pendant de longs siècles, un espace d’échange et de commerce fructueux. Il a, par ailleurs, souvent été l’objet d’une allégorie maritime, cette « autre Méditerranée » faisant fonction d’interface entre deux mondes, deux sphères culturelles, où les oasis auraient constitué des îles, des archipels que seuls les dromadaires, « vaisseaux du désert », permettaient de joindre.

Plusieurs facteurs expliquent les mutations actuelles. Tout d’abord, les différentes organisations politiques qui ont dominé l’espace saharien ont participé à sa structuration. L’espace fut conquis, maillé, « retourné », puis administrativement structuré. Aujourd’hui, espace d’enjeux géostratégiques, le Sahara représente pour les différents États, un hinterland porteur et vecteur de développement économique. Champs pétroliers, ressources en minerais et aquifères souterrains sont autant d’éléments qui, combinés à des considérations géopolitiques nationales et internationales, ont justifié une intégration aux différents pays des vastes espaces sahariens. Les réformes politiques menées depuis les

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indépendances ont profondément restructuré les équilibres sociétaux et notamment ceux des sociétés sahariennes. La diffusion des services publics de base, tels que l’éducation ou la santé, a participé à remodeler les fonctionnements sociaux sahariens et à introduire les éléments fondateurs de l’inéluctable modernité.

Le second facteur essentiel des mutations sahariennes fut ce que L. Blin a appelé la « pétrolisation du Sahara ». La découverte des vastes réserves d’hydrocarbures du Sahara au milieu du XXe siècle a eu des conséquences géopolitiques majeures. L’essor économique lié aux activités d’hydrocarbures a eu, au Sahara, des impacts directs et indirects. La nécessité de disposer d’une main-d’œuvre abondante a fait émerger des mouvements migratoires de masse à destination du Bas-Sahara. L’agrégation progressive de la population dans les pôles urbains et, subséquemment, la croissance des marchés de consommation stimulèrent le développement économique et le renouvellement des activités économiques sahariennes. Ces constats se sont inscrits dans le contexte d’une structuration du Sahara par les réseaux de transport et d’un affinement progressif du maillage administratif, levier des politiques d’aménagement du territoire.

C’est ici qu’intervient le troisième facteur de mutations, peu étudié, et pour cause, en 1953 par R. Capot-Rey : l’urbanisation saharienne. La ville au Sahara, et plus généralement en milieu désertique, constitue un élément généralement exclu des imaginaires collectifs occidentaux relatifs aux déserts : la ville n’y a pas sa place. Seules les figures de l’oasis traditionnelle et de l’erg semblent faire sens dans les différents modes de médiatisation du désert saharien. Le phénomène urbain constitue pourtant un fait assez récurrent dans les espaces désertiques, où finalement l’agglomération de populations représente une des réponses possibles aux contraintes structurelles des milieux, grâce à « la maximisation des interactions sociales ». Les déserts sahariens, comme d’autres, sont caractérisés par la présence d’implantations humaines et dans certains cas d’agglomérations urbaines significatives. Il va sans dire que, suivant les régions concernées, des logiques spécifiques ont présidé à la création de ces pôles de peuplement. Il n’en demeure pas moins que l’urbanisation des déserts ne constitue pas une irrégularité et tend parfois à supplanter progressivement des modes de vie traditionnellement ruraux.

Quatrième et dernier facteur de mutation, la médiatisation touristique actuelle, qui promeut des « espaces de liberté et d’absolu » propres à développer une mystique occidentale en recherche de sens. Le mouvement orientaliste et ses prolongements actuels ont concouru, entre autres éléments, à développer la mythification de l’Orient, du désert de manière générale et du Sahara en particulier.

Si l’ensemble de ces mutations a participé à l’ancrage progressif de l’espace saharien dans la « modernité », l’agglomération croissante de populations dans des écosystèmes fragiles et contraignants fait émerger des interrogations lourdes de sens en matière de gestion territoriale. Ces questionnements s’inscrivent par ailleurs dans le cadre plus large de la diffusion du paradigme du développement durable à l’échelle mondiale et de la réflexion globale sur les espaces désertiques anthropisés.

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La ville saharienne, ou la ville au Sahara, et plus globalement les territoires sahariens, sous le coup de mutations complexes et rapides, se trouvent face à des enjeux parfois problématiques. La question de l’eau et de sa gestion, les préoccupations environnementales, l’avenir des dynamiques économiques, les fortes attentes sociales constituent tout autant de facteurs de tensions sur les territoires sahariens.

La question de fond est celle de la durabilité, et des modalités du processus de développement du Sahara, face aux aléas de la conjoncture économique. Mais face aux problématiques actuelles, la question du développement et de l’aménagement du territoire n’est plus uniquement d’ordre financier, elle relève également du choix politique. Les spécificités sahariennes sont structurantes, et l’importation de modèle de développement et d’aménagement du territoire a d’ores et déjà démontré ses limites.

Le problème de l’eau

Un sous-sol vecteur du développement

Les pays du Maghreb n’ont pas connu le développement d’une civilisation hydraulique, à l’image des sociétés égyptienne ou mésopotamienne. Néanmoins, historiquement les populations sahariennes face à « l’aridité tyrannique » ont développé des systèmes hydrauliques d’irrigation faisant preuve d’une « technicité étonnante ». Aucune activité agricole n’étant envisageable sans l’apport d’eau d’irrigation, les hommes ont adapté leurs pratiques en fonction des spécificités topographiques et hydrauliques locales. Car l’eau, par sa rareté, « passe avant la terre dans la hiérarchie des facteurs de production ».

Ainsi, les systèmes d’irrigation traditionnels reposent sur cinq types de pratiques. Mais avant de les énumérer, rappelons que les oasis sahariennes, milieu naturel et anthropique, n'occupent qu'un millième de la surface du Sahara.

R. Capot-Rey, dans son ouvrage fondateur en géographie sur le Sahara (1953), précise que le terme d’oasis est un mot grec d’origine égyptienne, qui fut à l’origine utilisé comme nom propre, puis à partir de Strabon comme nom commun, lorsqu’il compare ces ensembles oasiens à des îles perdues au milieu de l’océan. Ainsi, le terme oasis proviendrait du copte ouah « lieu habité », dont l’équivalent arabe serait ouaha (pl. ouahat). On retrouve la racine dans le nom ouahou-el-Kebir ou celui de Touat, qui en serait une forme berbérisée. R. Capot-Rey indique également, qu’à de rares exceptions, le mot d’oasis est avant tout resté un terme savant chez les Arabes. Le terme d’oasis fut par la suite conceptualisé pour devenir une catégorie de pensée emblématique des espaces désertiques. L’oasis ne constitue pas une entité socio spatiale exclusive de l’espace saharien. De nombreuses oasis s’inscrivent dans des territoires marqués par des conditions bioclimatiques et écologiques ou s’insèrent dans des logiques socio-économiques différentes, telles les oasis de piémont du Yémen ou les oasis de plaine du Pendjab et du Sind.

L’oasis peut être considérée de manière générale comme un « lieu habité isolé dans un environnement aride ou plus généralement hostile dont la localisation est liée à la possibilité d’exploiter une ressource, notamment l’eau, pour la pratique de l’agriculture irriguée ». Cependant, comme le précisent J. Lévy et M. Lussault, « l’eau ne saurait suffire » à la

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définition de l’oasis et d’ajouter que la « contrainte de la distance s’impose avant la contrainte écologique » pour caractériser ces entités géographiques. D’autres vont plus loin en affirmant que « l’eau n’est pas à la source de la vie au Sahara ».

Si l’eau représente en effet un facteur explicatif, sinon le premier, de localisation des oasis, dans le cas des oasis sahariennes un autre facteur est à prendre en considération, le commerce transsaharien. En effet, les logiques d’implantation de foyers de peuplement dans des milieux si hostiles ne peuvent être appréhendées pertinemment en dehors de toute référence au contexte des échanges commerciaux qui animèrent le Sahara entre le VIIe et le XIXe siècle. En tant que « nœud dans un espace relationnel », et « non pas agro-système » autosuffisant, la logique fonctionnelle de l’oasis saharienne est à rechercher dans son rôle d’étape sur des itinéraires commerciaux, de lieux d’échanges et d’interactions socioéconomiques.

Au-delà des facteurs de localisation de l’oasis, sa structure traditionnelle même soulève des spécificités, que l’on peut appréhender de manière systémique étant donné la très forte intégration des éléments de l’espace oasien. Ce dernier constitue un « espace [un système] socio-territorial ». L’ensemble des oasis s’est fondé sur le triptyque eau – habitat – palmeraie qui forme un tout cohérent et fortement interdépendant. Néanmoins, M.A. Gaouar propose d’ajouter à ce triptyque un quatrième élément structurant et moteur, l’homme, mettant ainsi l’accent sur l’organisation et la dynamique sociale très spécifique des oasis.

Des interactions entre ces quatre éléments découle une organisation sociopolitique hiérarchisée dont les rapports s’inscrivent de manière prégnante dans l’espace. Cet ensemble structuré, au-delà de sa dynamique interne, fonctionne comme un système ouvert aux fluctuations du système spatial plus large dans lequel il s’imbrique géographiquement et économiquement. L’ensemble des oasis a connu des mutations et des dynamiques propres et particulières aux différents niveaux d’analyse sociaux, économiques et spatiaux.

Les oasis peuvent se définir par rapport à leur site, c'est-à-dire aux conditions bioclimatiques et topographiques, dont dépendent l’accès à l’eau et la mobilisation de la ressource. Ceci est fondamental dans le choix de localisation d’une oasis. De ces conditions de site dépendent ainsi les types de production, l’extension des jardins de palmeraies, ainsi que l’organisation sociale de l’oasis, fortement inégalitaire et corrélée à l’accès à la ressource en eau. Cependant, les trajectoires spatiales des itinéraires commerciaux transsahariens constituent un autre élément fondateur de l’oasis « comme un relais, comme un carrefour ». Ce qui renvoie à la notion de situation. La localisation sur un de ces axes, ou à une de ses extrémités, est un élément essentiel de la dynamique oasienne, pour différentes raisons. La première est la circulation de populations esclaves entre Afrique noire et rive méditerranéenne, qui ont constitué un apport indispensable au dynamisme agricole oasien. La seconde est directement liée à l’accroissement des potentialités d’échanges induites par le commerce afin de pallier les insuffisances de la production locale.

La création de la plupart des oasis entre le VIIIe et le XIVe siècle, période florissante du commerce transsaharien, démontre bien la corrélation entre commerce et développement du système oasien. Mais les fonctions des oasis ne se limitent pas au seul rôle d’étapes ou de relais, car les populations sédentaires vivaient en grande partie des revenus issus de la production agricole oasienne.

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D’autres facteurs constituent des marqueurs de la diversité des systèmes oasiens, comme le type de mobilisation des ressources en eau, les structures et morphologies agraires, l’organisation sociale et la localisation de l’oasis dans l’espace.

On trouve différentes sortes d’oasis :

- Les oasis sur source au pied des montagnes (cas du Hoggar, Ksar Ghilane en Tunisie, Chebika près de Tozeur) ;

- Les oasis sur rivières (Atlas saharien de l’Est, Saoura de Taghit à Béni-Abbès) ;

- Les oasis sur nappes phréatiques (Djanet, ghout du Souf et du Taghouzi) ;

- Les oasis sur foggaras du Touat, du Gourara et du Tidikelt ;

- Les oasis sur sources, autrefois Artésiennes, et puits peu profonds (Ziban, vallée de la Saoura, Oued-Righ et région de Ouargla, Bilma au Niger).

De lourdes menaces pèsent sur les oasis et leur développement face à différents obstacles comme les détériorations climatiques, l’accentuation de la sécheresse et ses conséquences sur la disponibilité en eau ; l’inadéquation de la pression démographique et de l’urbanisation par rapport à la capacité de charge des écosystèmes.

Exemples des oasis du Touat, du Gourara et du Tidikelt

Dans ces régions à foggaras, le système d’irrigation et d’alimentation en eau des ensembles oasiens se fonde sur l’exploitation d’un affleurement du Continental Intercalaire le long d’accidents topographiques. La nappe n’étant pas captive, il fallut développer un réseau de galeries drainantes, pénétrant la surface de la nappe phréatique. Ces galeries conduisaient par gravité l’eau de la nappe phréatique vers les jardins à irriguer en aval, en suivant une pente faible, variable selon les conditions locales, de 1 % à 4-5 % selon J. Bisson, par un réseau hiérarchisé de seguias.

L’organisation spatiale de l’oasis dépend alors directement des contraintes topographiques et du sens d’écoulement par gravité de la ressource en eau. Sa localisation est expliquée par ces mêmes contraintes. Elle se fait ainsi dans les dépressions ou au bas d’une pente. Les foggaras sont aujourd’hui encore orientées sud-est – nord-ouest, dans le Gourara, est-ouest dans le Touat et nord-sud dans le Tidikelt, à partir des affleurements de la nappe du Continental Intercalaire vers des dépressions où les eaux d’irrigation aboutissent dans des sebkhas. Les avantages de ce type d’irrigation résident dans la stabilité approximative du débit, la possibilité de son accroissement et un arrosage des jardins par gravité.

Les oasis sur nappes phréatiques

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Les systèmes oasiens développés dans le Souf constituent un type exceptionnel d’oasis au Sahara algérien. La région du Souf, dont la ville centre est El-Oued, est située dans un massif dunaire, le Grand Erg Oriental, alimenté par des écoulements en provenance essentiellement du sud du plateau Chaanba, du Tademaït et de la hamada de Tinrhert. Cela constitue un exemple rare au Sahara. Les puits pouvaient atteindre l’eau entre 3 m au nord du Souf et 40 m au sud. Les populations soufies développèrent une technique spécifique d’excavation permettant à la palmeraie d’atteindre l’eau des nappes les plus proches. Il s’agit donc d’une culture « en sec » (bour), sans irrigation apparente. La palmeraie, dans sa conception et son fonctionnement, contribue fondamentalement à cet écosystème oasien délicat. Les travaux menés sur l’effet des étagements successifs depuis le niveau de l’eau, les terrasses cultivées jusqu’au faîte des palmiers en passant par celui du niveau des arbres fruitiers, confirment l’existence d’un microclimat local plus frais, et l’existence d’échanges par convection qui maintiennent des niveaux de température et d’humidité déterminés sous la voûte des palmiers.

L’habitat, élément du système oasien.

Depuis plusieurs décennies, les petites villes des oasis attirent non seulement les ruraux des oasis, mais aussi les nomades qui se sédentarisent. Ces bouleversements consécutifs à une urbanisation accélérée n’ont, pendant longtemps, concerné que le nord et le centre du Sahara. Ainsi, à partir du milieu des années 1950, la recherche et l’exploitation des hydrocarbures ont conforté certaines villes sahariennes, avec des taux supérieurs à 90 % dans certaines régions, comme la wilaya de Ghardaïa en Algérie ou la baladiyah de Sebha en Libye. Depuis, au moins une dizaine de villes y atteignent ou dépassent les 100 000 habitants comme Laayoune, Béchar, Sebha, Ouargla, Ghardaïa, etc.

La fixation des populations nomades les conduit à s’établir aux portes de ces centres, qui atteignent peu à peu une taille sans commune mesure avec les disponibilités locales en eau et en sol, ce qui ne manque pas de poser d’inextricables problèmes de gestion. Cette dynamique urbaine accélérée, marquée notamment par des flux migratoires massifs de ruraux, a eu pour conséquence majeure de creuser l’écart entre l’espace rural et les agglomérations urbaines, générant des fractures et des mutations sans précédent, notamment dans les villes du Sud saharien. Par voie de conséquence, les sites sont souvent isolés, mal desservis, voire désertés par leurs habitants alors qu’ils réclament un entretien quotidien. Ils sont aussi menacés par une urbanisation qui rompt l’intégration à l’environnement naturel et altère l’authenticité du site.

En effet, la forme de l’habitat oasien traditionnel constitue un élément caractéristique de l’organisation spatiale et de la morphologie des oasis, démontrant aujourd’hui encore leur fonctionnement passé et les logiques sociales structurantes de la société oasienne. L’approfondissement des définitions des éléments du système oasien s’inscrit dans la volonté d’appréhender de la manière la plus juste les logiques passées pour les intégrer dans le développement urbain durable.

Des réserves considérables.

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Si l’aridité est une contrainte majeure au Sahara, le sous-sol contient parmi les plus vastes réserves hydrauliques reconnues à l’échelle mondiale. Leur existence est liée souvent à la lithologie spécifique du bouclier saharien où alternent couches perméables et imperméables. Les séries sédimentaires qui recouvrent le socle ont permis de pérenniser ces ressources d’eau fossile, faiblement renouvelables. Les aquifères sont les couches souterraines de roches ou de sédiments dont l'eau peut être extraite, normalement en forant ou en creusant des puits. Chaque aquifère transfrontalier constitue un conflit international potentiel - si deux pays partagent un aquifère, le pompage dans un pays affectera l'approvisionnement en eau de son voisin.

De fait, de tous les grands espaces géopolitiques du monde, la région du Sahara et du Sahel est la plus démunie en ressources d’eau naturelle, entendons des précipitations. Ceci en grandeur absolue aussi bien que par rapport à sa population, ce qui peut entraver fortement le développement durable. Par ailleurs, à l’intérieur de cette région, les ressources en eau sont différemment et inégalement réparties : les types et les structures de ressources en eau des différents pays sont très contrastés et leurs degrés d’indépendance sont variés, ce qui crée des conditions de gestion très différentes.

On distingue au moins deux grands aquifères au Sahara :

Le Système aquifère du Sahara Septentrional, réservoir fossile, s'est constitué il y a plus de 10 000 ans, lorsque la région était soumise à un climat plus humide. Il est partagé par l’Algérie, la Libye et la Tunisie et renferme des réserves d’eau considérables qui sont cependant peu renouvelables et ne sont pas exploitables en totalité. Au cours des trente dernières années, l’exploitation par forages est passée de 0,6 à 2,5 milliards de m3/an. Cette exploitation se trouve aujourd’hui confrontée à de nombreux risques : salinisation des eaux, réduction de l’artésianisme, tarissement des exutoires, interférences entre pays.

Mais des travaux récents (UNESCO) ont mis en évidence l’existence d’un autre aquifère énorme, sous les sables du désert de la Libye, l'Égypte, le Tchad et le Soudan. Il s’agit du système aquifère SNAS sous les grès de Nubie qui contient 3 730 000 km3 d’eau.

Deux questions se posent alors :

Comment exploiter les nappes sahariennes, par puisage dans les réserves accumulées, dans l’optique d’une gestion durable ?

Comment assurer un maximum de prélèvements d’eau pour le meilleur développement de la région sans risquer pour autant de dégrader irrémédiablement l’état de la ressource ?

Le premier aquifère se divise en deux parties ; le plus anciennement utilisé constitue les réserves hydrauliques sur lesquelles repose « l’irrigation de l’essentiel des palmeraies du Bas-Sahara ». Il « s’étend de l’accident sud-atlasique aux plateaux du Tademaït et de Tinrhert au sud », et se prolonge vers l’est dans le Sud tunisien et le nord libyen, couvrant une superficie d’environ 665 000 km². Il affleure en différents endroits : à l’est le long du flanc oriental du Dahar et du Djebel Nafusa ; au sud sur les plateaux de Tinrhert et du Tademaït ; à l’ouest sur la dorsale du M’Zab. Les recharges de cet aquifère s’opèrent essentiellement

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en Algérie « dans le piémont de l’Atlas saharien pour l’ensemble du système (Algérie, Tunisie et Libye) » (Ould Baba Sy, 2005).

Le Continental Intercalaire ou nappe albienne, recouvre une superficie d’environ 1 100 000 km² (Algérie, Tunisie et Libye). Traditionnellement, son affleurement est mis à profit en matière d’irrigation dans la région du Touat et du Gourara, de Timimoun à Reggane, par la création du système des foggaras.

Le second aquifère couvre environ 2 millions de km2, il est largement composé de grès ferrugineux dur avec des schistes et des intercalations d'argile, d’une épaisseur de 140-230 mètres. Les eaux souterraines sont de type différent : d’eau douce à légèrement saumâtre.

La découverte des ressources hydrauliques souterraines, d’une ampleur exceptionnelle, a considérablement modifié les rapports entre l’homme et son milieu. L’affranchissement des contraintes topographiques liées aux affleurements de nappes, la diffusion des motopompes44 et des forages profonds ont engendré l’émergence de processus et de mutations essentiels.

Cela a conduit à l’apparition de problématiques nouvelles et variables selon les régions. L’eau était caractérisée par une place majeure dans la relation étroite et séculaire entre habitat (ksar) et palmeraie et la modification de cet équilibre par l’introduction de volumes inégalés, tant pour l’agriculture que pour la consommation urbaine, a mis en difficulté cette organisation.

L’introduction d’un nouveau système agricole, en rupture avec les modèles traditionnels, engendre des réorganisations dans la localisation et la structuration même des oasis. Car si l’eau limitait jusqu’alors le développement des terres cultivées, tant en volume, qu’en matière de localisation, elle représentait également un facteur régissant la structure sociale et foncière. Ainsi, de nombreuses créations ex nihilo s’établirent dans le Bas-Sahara, particulièrement dans l’Oued-Righ.

Les travaux pharaoniques d’entretien des foggaras se basaient historiquement sur une main-d’œuvre d’esclaves. La remise en cause des systèmes sociaux et des modes de gestion agricoles traditionnels s’est, de fait, traduite par une difficulté accrue d’entretien de ces galeries dont certaines pouvaient dépasser 6 km de longueur. Face au rabattement de nappes, les jardins étaient déplacés plus en aval afin de permettre un creusement de la galerie de façon à lui permettre de repasser sous le toit de la nappe phréatique. Il est apparu que l’alternative des motopompes apportait une solution technique satisfaisante, permettant d’alimenter des foggaras à faible débit, ou en voie de disparition, bien que des mutations spatiales demeurent nécessaires, dans la localisation des jardins.

En revanche, la multiplication des forages dans les régions du Touat, du Gourara et du Tidikelt, au Sahara algérien, et ce, pour la consommation urbaine, les besoins industriels et agricoles ont eu un impact direct sur le niveau piézométrique de l’affleurement de la nappe

44 Cela a engendré une individualisation des pratiques agricoles, alors que jusqu’ici le collectif dominait, notamment dans les oasis à foggara, ou à ghouts, dont seule une action collective pouvait expliquer l’existence (Marouf, 1980).

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du Continental Intercalaire, influant ainsi considérablement sur les potentialités des systèmes agricoles traditionnels.

Au-delà de l’irrigation agricole, les foggaras constituaient la source principale d’approvisionnement en eau potable des foyers de peuplement de la région. Du fait de son faible coût, l’eau des foggaras peut participer à la réalisation de certaines tâches quotidiennes, ménage et entretien de la maison, comme le démontre l’analyse de l’oasis d’Ouled Saïd au Gourara.

Mais le développement de grandes mises en valeur agricoles, rampes-pivots et cultures sous serre, sur des centaines d’hectares et basées sur les ressources fossiles de l’Albien, et les volumes considérables d’eau consommés par ces nouvelles extensions entraînent logiquement des rabattements conséquents du niveau de la nappe. Ceci a pour conséquence la remise en cause du système traditionnel des foggaras et subséquemment l’organisation des palmeraies qui constituent le mode de structuration des pôles de peuplement de la région.

Dans ce contexte, le défi de la gestion durable de l’eau ne peut être relevé sans une mobilisation permanente et solidaire de tous dans la bataille de l’économie de l’eau et de sa préservation contre toutes formes de pollution. Fondamentalement, les mentalités et les pratiques doivent évoluer pour lutter contre le gaspillage de l’eau et ceci, parallèlement à la réduction des pertes à travers la réhabilitation de l’infrastructure et l’amélioration des performances des opérateurs de gestion des services d’eau.

Les villes

Au-delà des spécificités physiques et topographiques qui fondent le particularisme saharien, la forme, la structure et le fonctionnement des pôles du peuplement saharien se caractérisent par une terminologie porteuse de sens, de pratiques et de configurations spatiales. Les termes d’oasis et de ksar renvoient en effet à des réalités bien précises qui s’inscrivent parfois en opposition des perceptions usuelles ou des représentations religieuses. L’oasis a constitué le fondement principal des processus de l’urbanisation actuelle du Sahara. A. Bernard précise que le terme n’est pas d’un usage courant au Sahara et constitue davantage un « terme de la langue géographique européenne ».

La ville dans l’oasis, le ksar.

Si l’oasis constitue un système, le ksar en tant qu’élément de ce système représente l’habitat traditionnel de tendance plutôt rurale. Le ksar est caractérisé par une forme typique d’habitat très concentré, construit en matériaux traditionnels (pisé ou toub), généralement cerné d’une enceinte à vocation défensive et qui par extension marquait une rupture symbolique avec l’extérieur. Il regroupait l’ensemble des éléments symboliques forts de centralité tels la mosquée, parfois une zaouïa45, les places publiques, le fort (bordj) et les marchés.

45 Complexe religieux comportant une mosquée, des salles réservées à l'étude et à la méditation ainsi qu'une auberge pour y recevoir les indigents

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La concentration de l’habitat et l’existence de remparts, confère un caractère fortifié à l’ensemble ksourien, et ne peut s’appréhender sans référence à l’insécurité qui régna durant de longs siècles au Sahara. Les ksour s’établissaient ainsi « à la lisière des cultures, près de la source qui les alimente, ou sur un point culminant facile à défendre ».

Une hiérarchisation s’est néanmoins établie entre les ksour par le biais de facteurs géographiques (localisation, aménités) ou religieux (présence d’une zaouïa). On peut donc distinguer le ksar-cité et d’autre part le ksar-village. Cette distinction s’établit en fonction des forces de polarisation, de structuration du réseau de ksour environnants. C’est ainsi qu’émergèrent certains des pôles majeurs de l’armature urbaine saharienne actuelle.

L’urbanité des cités sahariennes renvoie alors à des éléments quantitatifs, mais également qualitatifs. Elle a pour « socle un système économique de production et d’échange, un rôle politique et symbolique fort qui se matérialise par un complexe architectural induisant des modes de vie propres, des inscriptions spatiales de pratiques sociales particulières et spécifiques ».

Des médinas au Sahara ?

Les villes sahariennes actuelles reposent sur les fondements historiques et spatiaux de l’oasis. Si des hiérarchies ont de tout temps existé entre ksour, la frontière entre urbanité et ruralité au Sahara soulève de nombreuses difficultés de délimitation aussi bien au niveau spatial et morphologique, qu’en matière d’organisation sociale, tant l’intégration des différents éléments de l’oasis est forte.

De manière générale les grandes cités sahariennes, telles Biskra, Touggourt, Ghardaïa, Tombouctou, Ghadamès ou encore Agadès, se localisaient aux extrémités des réseaux transsahariens. Véritables places commerçantes et pôles d’interface, elles constituaient les principaux « ports du désert » (Pliez, 2002). Cette accumulation de richesses économiques en a fait des lieux majeurs de concentration du pouvoir politique, religieux. Leur poids au sein de l’armature urbaine saharienne n’a cessé de se développer, malgré la régression puis la disparition du grand commerce transsaharien. Elles demeurent aujourd’hui parmi les plus grandes agglomérations sahariennes. Comment les définir ? N’étant pas des ksour, sont-ce des médinas ?

« En un sens, le Sahara est aussi une “ville” pleinement intégrée aux “dynamiques du monde actuel” » : telle est la conclusion paradoxale de l’ouvrage d’Olivier Pliez46, Villes et urbanismes du Sahara, même si la provocation y est tempérée par l’usage de guillemets. La ville, là où les citadins-touristes de notre époque voient des dunes dorées, où les anthropologues et les géographes de la première moitié du vingtième siècle décelaient le déclin du monde rural oasien considéré comme totalité autarcique. »

Une médina peut être définie de manière générale comme étant la ville arabo-musulmane classique. À l’image du ksar, elle est ceinturée de murailles, équipée d’édifices religieux (mosquées) et se caractérise par « une structure compacte avec des voies étroites et sinueuses. Elle est divisée en quartiers spécialisés, les zones d’habitats se distinguant des rues commerçantes (souk) ».

46 Paris, CNRS Éditions (Espaces et Milieux), 199 p. et Paris, l’Harmattan (Perspectives méditerranéennes), 420 p.

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La dégradation du bâti traditionnel est la conséquence directe de la destruction du système social qui en sous-tendait l’équilibre. Les abandons de ksour se sont multipliés à partir des années 1970, de même que leurs transformations : le béton, les parpaings et le fer ont fait leur apparition.

Quelques exemples.

Trois agglomérations urbaines constituent trois pôles majeurs du peuplement saharien au niveau de l’Algérie en 1998, Béchar dans l’ouest compte 107 311 habitants, Biskra dans l’est 177 060 habitants et Ghardaïa au centre 128 087 habitants. De plus, ces agglomérations se localisent sur des axes de transport majeurs qui structurent l’espace saharien en termes de dynamisme économique et de mobilités. Ces villes s’accroissent par le phénomène d’immigration, que celle-ci vienne de l’autre côté du Sahara (Sud ou Nord), ou d’autres pays plus lointains. A cela s’ajoute l’accroissement démographique exceptionnel qui a généré un renforcement considérable du système de peuplement. La plupart des oasis ont ainsi accédé au statut de villes et les pôles militaires créés par la France se sont étoffés en petites agglomérations. L’émergence de nouvelles activités économiques liées aux hydrocarbures a créé un « appel d’air » et a engendré un renversement des mobilités préexistantes du Nord vers le Sud.

L’essor démographique porté par les hydrocarbures, ainsi que par le dynamisme agricole et une diversification des activités industrielles et tertiaires, s’est traduit par une polarisation de la vie du désert dans les agglomérations urbaines. Ainsi, la population urbaine qui représentait environ 10 % de la population saharienne en 1954 dépassait les 50 % en 1998. Cet aspect des mutations territoriales constitue aujourd’hui un élément clé de la compréhension des territoires sahariens.

Cependant, la fragilité des écosystèmes sahariens et les spécificités structurantes de cet espace conduisent à poser la problématique du développement futur de ces agglomérations et de ces territoires. Les éléments environnementaux, liés aux particularités du milieu physique, ne sont pas les uniques facteurs de tension. Les processus d’urbanisation inachevés, et plus précisément l’urbanisation anarchique, ainsi qu’une gouvernance encore fébrile, impliquent de nombreux problèmes de gestion et de développement territorial. L’ensemble de ces facteurs suscite régulièrement des difficultés. Y aurait-il alors une remise en cause des modèles de développement et de gestion appliqués jusqu’alors ?

Ainsi aujourd’hui, la totalité de l’approvisionnement en eau potable de la ville d’Adrar (45 000 habitants au Sahara algérien) s’effectue sur des forages de l’Albien, le réseau d’adduction rassemble cinq unités de stockage. Cet accroissement des besoins émerge d’une part de l’accroissement démographique, mais d’autre part du développement d’industries dans l’agglomération ou dans ses environs et de la croissance des demandes induites par les équipements, notamment scolaires et sanitaires (hôpital). La consommation en eau de l’agglomération s’élevait en 2000 à environ 19 000 m3 par jour, dont 96 % relèvent des besoins domestiques, les 4 % restants se répartissant entre l’industrie (330 m3 par jour), les équipements scolaires et sanitaires (220 m3 par jour) et les administrations et service publics (100 m3 par jour).

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La durabilité et les processus de gestion de la ressource constituent les enjeux du développement futur de la région, compte tenu du très faible niveau de recharge de la nappe. Et, au-delà de la consommation urbaine en eau, c’est l’ensemble des réseaux de foggaras qui pourraient à terme être menacés de péricliter ou tout du moins de perdre leur fonctionnalité première, l’adduction d’eau. Un autre facteur vient également renforcer l’importance du débat sur les ressources hydrauliques de la région, le développement des activités liées aux hydrocarbures grandes consommatrices d’eau.

Ghardaïa et la vallée du M’Zab. La ville est peuplée de 170 000 habitants. Elle fait partie du patrimoine mondial et est considérée comme site touristique en Algérie. Elle est la capitale du M’Zab et fait partie de la Vallée du M’Zab. La ville aurait été fondée en 1228. C'est une cité (Aγerm) de type ksourien, son architecture traditionnelle aurait inspiré l'œuvre de Le Corbusier. L’actuelle agglomération de Ghardaïa correspond schématiquement à huit fois le périmètre bâti des cinq ksour originels de la pentapole mozabite. Cette dernière rassemblait en 1872 environ 23 000 habitants contre 130 000 en 1998, et davantage si l’on inclut les habitants de l’ensemble de la vallée du M' Zab, d’une superficie d’environ 4 000 ha, du point le plus en amont, Daya Bendhaoua au barrage d’El-Atteuf en aval. Les ksour, localisés sur des pitons, surplombaient la vallée, à l’abri des crues de l’oued. L’étalement urbain résulte de différents processus, la sortie des populations ibadites des ksour vers les terres proches, l’arrivée de populations malékites venues de l’extérieur, ainsi que la sédentarisation de nomades du fait de la mobilisation progressive des ressources en eau profonde. Les populations ibadites formant toujours la plus grande partie du peuplement des ksour. L’extension urbaine s’est particulièrement exprimée sur les hautes terrasses, tout en mitant une partie des palmeraies proches des noyaux urbains originels. Le résultat de ce processus fut la coalescence progressive des pôles urbains pour ne former plus qu’un corridor urbanisé d’environ 25 km. L’intervention étatique a considérablement marqué l’évolution de l’espace mozabite à partir des années 1970. Cela s’est traduit par le développement des forages au Continental Intercalaire, la canalisation de l’oued et la réalisation d’une conduite d’égout, la création de ponts, d’équipements publics (gare routière, lycées…) et la construction de cités d’habitation. La dernière étape de l’étalement urbain se caractérise par une sortie de la vallée sur les plateaux à partir du début des années 1990. La construction de la zone industrielle au sud de la ville sur la route menant à Ouargla (1975-1985), la réalisation de lotissements privés, tel le lotissement Tafilalet qui surplombe la palmeraie au sud de Béni-Isguen, ainsi que l’implantation de l’Université de Ghardaïa au sud-est de la vallée sur la route de Ouargla, sont autant d’éléments démontrant les incidences de l’étalement urbain sur les plateaux. Cet étalement et l’éclatement des centralités qui en découle soulèvent de nombreux problèmes d’aménagement et de gestion urbaine, notamment en termes de régulation des mobilités en fonction des contraintes topographiques. Ces extensions urbaines soutenues par une des plus fortes croissances démographiques sahariennes soulèvent des problématiques nouvelles en matière d’aménagement et de gestion de l’espace. Différents éléments participent des dysfonctionnements que connaît aujourd’hui l’agglomération, notamment dans son rapport avec l’environnement. La dégradation progressive des palmeraies, la remontée et la pollution de la nappe superficielle en constituent des exemples prégnants.

Dans ces écosystèmes fragiles, la gestion des déchets ménagers constitue un enjeu de taille, face à l’accroissement continu de la production lié à la transformation des modes de consommation. À l’image de la problématique de l’assainissement, les tensions générées

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par la mauvaise gestion des déchets soulèvent des problèmes d’ordre environnementaux, paysagers et parfois sanitaires.

Les modalités d’insertion des concepts de « développement durable » et de « développement urbain durable » dans les discours politiques comme dans les pratiques aménagistes et urbanistiques, affectent l’espace saharien. Comment et pourquoi ces concepts ont-ils fait l’objet d’une intégration aux textes de l’aménagement et de l’urbanisme ? Quels sont les outils et programmes développés dans cette optique ? Le « développement durable » constitue-t-il un concept opérationnel, une exigence réelle du pouvoir politique ou répond-il simplement à la diffusion internationale et croissante de cette notion dans l’ensemble des discours ayant trait au développement ?

Un développement durable du tourisme repose, certes, sur l’attractivité du Sahara, mais pose aussi la question de la viabilité de l’option « tourisme » en elle-même. Quelles sont les perspectives du développement du secteur touristique dans les prochaines années ? Quelle est la part possible de l’Afrique saharienne dans cette activité ? L’écotourisme et le tourisme culturel au Sahara peuvent-ils prétendre occuper une part des nouveaux marchés ?

Le tourisme étranger en Algérie du fait de « la décennie noire » s’est largement réorienté vers les espaces désertiques et constitue un facteur de développement local. Il génère des mobilités et constitue parfois un secteur d’activité non négligeable au sein des économies locales, notamment dans la région Grand Sud. Néanmoins, ce facteur soulève des enjeux liés à la préservation et à la valorisation des sites qui doivent s’articuler à celui de la création d’une infrastructure touristique à même de valoriser la demande croissante. Le tourisme doit constituer un autre élément du développement économique saharien, en devenant « une activité de dimension mondiale ». La valorisation touristique peut ainsi jouer sur deux tableaux, la valorisation des oasis et des sites préhistoriques. Enfin, il est possible de mentionner un projet, mené en collaboration avec le Programme des Nations Unies pour le Développement (P.N.U.D.), baptisé « Route des ksour »qui vise à générer des processus de développement locaux par le biais d’un tourisme « culturel et durable » dans le Sud algérien.

En fait, quatre axes principaux se dégagent : préserver pour les générations futures le patrimoine culturel et naturel du Sahara ; concevoir le tourisme comme un outil au service de la lutte contre la pauvreté ; promouvoir une politique touristique respectueuse du patrimoine et économiquement efficace ; encourager la participation des populations sahariennes au développement touristique.

Les hydrocarbures

Les deux principaux producteurs de pétrole du Sahara sont l’Algérie et la Libye, auxquels on peut ajouter l’Égypte. À eux trois, ces pays représentent à peine 5 % de la production mondiale. La Mauritanie a découvert en 2006 des champs pétroliers off shore. Dans le Sud tunisien, on a découvert des champs pétrolifères qui peuvent produire 3,4 millions de tonnes de pétrole brut. Le gaz naturel par contre est bien présent en Algérie qui produit 23 millions de tonnes par an.

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L’exploration pétrolière au Sahara algérien débuta en 1947, initiée par le Bureau de recherche du pétrole (B.R.P.) créé en 1945, la Société nationale de recherches du pétrole algérien (1946), le Bureau de recherches minières (1948) et enfin par le Bureau d’organisation des ensembles industriels africains (1953). Les premiers forages débutèrent en 1952. Dès 1955, « près de cinquante kilomètres de forages avaient été exécutés, par l’ensemble des sociétés » qui embauchaient 2 000 personnes. En 1956, le pétrole jaillit pour la première fois à Edjeleh, Fort Polignac, à proximité de la frontière libyenne et le plus grand gisement est découvert la même année à Hassi-Messaoud au sud-est de Ouargla. Les bassins d’hydrocarbures sont généralement compris dans « des dépôts sédimentaires empilés en bordure des cratons du vieux socle africain ». Ainsi les principaux gisements se localisent pour l’essentiel dans le Bas-Sahara algéro-tunisien (Hassi-Messaoud, El-Borma), dans le Sahara nord-central (Hassi- R’Mel), ainsi qu’à la frontière algéro-libyenne (In-Amenas, Edjeleh). L’ensemble des gisements est interconnecté par pipelines (gazoducs ou oléoducs) aux unités de raffinage ou de liquéfaction littorales. L’exploitation des hydrocarbures a généré une mobilité d’emploi intra et extra saharienne et a induit une intégration plus poussée des territoires dans le processus économique. Le réseau d’infrastructures de communication a été densifié d’une manière considérable (routes et aéroports) et les territoires les plus éloignés ont été désenclavés et intégrés. Les disparités sont cependant marquées entre les espaces caractérisés par l’exploitation des hydrocarbures et le reste des régions sahariennes, économiquement moins dynamiques. Le développement des activités liées aux hydrocarbures est grand consommateur d’eau.

Les hydrocarbures occupent au sein des préoccupations environnementales, une place particulière. Cet intérêt est dû à leur rémanence dans l’environnement et à leur toxicité (mutagène et cancérigène). Ces composés sont produits en quantité importante par l’activité humaine, et notamment dans les processus de pyrolyse et de combustion.

L’Algérie, pays producteur de sources énergétiques fossiles (gaz et pétrole), est fortement soumise aux divers polluants hydrocarbonés. La ville de Skikda (au Nord de l’Algérie pour laquelle plusieurs études ont été faites) demeure l’un des exemples les plus illustratifs de la pollution par les hydrocarbures du pays. En effet, Skikda est dotée d’une plate-forme industrielle vouée à la pétrochimie et qui constitue la principale source de pollution hydrocarbonée. Cette zone comprend plusieurs unités polluantes comme le complexe de matière plastique (CMPK), le complexe de liquéfaction (GNL), la raffinerie (RAK), etc. Ces différentes unités évacuent leurs eaux usées parfois sans aucun traitement préalable vers les oueds (oued Saf-saf, oued Marhoum et oued Zeramna). Or, ces eaux industrielles rejetées dans le milieu récepteur (oueds, mer) entraînent sa pollution, voire son eutrophisation.

La pollution par les hydrocarbures est souvent plus clandestine. Les rejets des entreprises industrielles, avec leurs ateliers d’entretien mécaniques, des garages, des stations-services, des carters suintant le long des voies routières polluent les eaux superficielles par suite de ruissellement. L’effondrement d’un forage réalisé par Total en 1978 menace de polluer les eaux de Ouargla, l’une des plus grandes oasis sahariennes. Des tassements de terrains conséquents ont été observés sur plusieurs kilomètres dans les environs et de nouvelles failles menacent de se créer. Mais le pire est la pollution des eaux. En effet en 1993, la nappe profonde, ressource vitale pour le Sahara, s’écoulait vers la surface à un débit de 2 500 à 3 000 m3 par heure. Or à la suite de cet accident, de l’eau remonte rapidement vers la surface en passant par une zone salée, et présente de ce fait à son affleurement, au milieu

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du cratère, un taux de sel de 275 g par litre, l’équivalent de la Mer Morte. Cette eau saumâtre en contact avec l’aquifère de surface progresse lentement mais sûrement vers l’Est et va donc inéluctablement souiller les eaux utilisables aujourd’hui.

British Petroleum dans sa Revue statistique indique que la durée de vie des réserves pétrolières de l’Algérie n’est que de 16 ans, même si le pays a découvert de nouveaux gisements en 2009. Ces chiffres invitent de façon urgente à réfléchir, dès aujourd’hui, sur l’après-pétrole et à une véritable industrie de biens et services de substitution aux hydrocarbures, à mettre en place d’ici à 2020 ; centrale solaire, éolienne, etc.

Conclusion

L’attractivité croissante des villes a engendré une agglomération grandissante de la population et la quasi-disparition du nomadisme. La puissance du processus d’urbanisation a remodelé et reconfiguré l’ensemble des territoires sahariens. La ville est devenue le lieu majeur du changement social et en traduit encore aujourd’hui la force et les dynamiques. L’étalement urbain a eu des impacts structurants sur la fragilisation de la relation entre l’homme et ses territoires, notamment sur la question de l’eau et constitue des exemples de mutations qui nécessitent de repenser, selon ces principes, le cadre d’analyse comme celui de l’action territoriale.

Pistes bibliographiques.

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Dossier 1 : Approches territoriales du Développement Durable, 2002, mis en ligne le 23 septembre 2002.URL : http:/developpementdurable.revues.org/document1475.html.

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Proposition de mise en œuvre

1. Ce que dit le programme « Humanité et développement durable »

Introduction

« À l’école primaire, une première approche du développement durable a été opérée dans les enseignements de géographie et de sciences. Une action concrète de développement durable a été étudiée en sixième dans le cadre de l’éducation civique.

(…) La troisième partie s’attache aux rapports entre les sociétés et les ressources. Ces rapports sont étudiés sous l’angle du développement durable à travers les questions d’aménagement et d’usage, de préservation et de partage des ressources entre les territoires et entre les hommes.

La démarche géographique privilégie des études de cas à partir desquelles les élèves constatent les inégalités et les déséquilibres, perçoivent les jeux d’acteurs, les impacts des actions des hommes sur l’environnement et mesurent l’importance des choix politiques. Ces études de cas prennent pleinement leur sens par une mise en perspective à d’autres échelles géographiques et parfois de temps. Elles sont choisies de manière à ce que les élèves puissent poursuivre le parcours des différentes parties du monde.

L’apport majeur de la géographie dans l’approche du développement durable repose, outre sa dimension humaine et sociale, sur la prise en compte des échelles. C’est à travers leur maniement que les élèves perçoivent, du local au mondial, l’interdépendance des sociétés comme des territoires.

Au terme de l’année de 5e les élèves sont capables, confrontés à l’étude d’un territoire, de mobiliser les trois dimensions du développement durable. Ils ont construit une connaissance claire des grandes oppositions du monde et des enjeux auxquels est confrontée l’humanité.

L'analyse de documents et la maîtrise de l'expression écrite et orale concernent toutes les parties du programme. »47

Thème 2 - LA QUESTION DE L’ACCÈS À L’EAU48

CONNAISSANCES

La ressource en eau

L’eau douce est une ressource partiellement renouvelable et inégalement répartie. Sa rareté engendre des conflits et nécessite des arbitrages. Des aménagements sont nécessaires pour

DEMARCHES

Une étude de cas au choix :

L’exploitation, la consommation et la distribution de l’eau- dans un pays du Maghreb ;- en Australie.

47 Extrait de l’introduction du programme de géographie de cinquième entrant en vigueur en septembre 2010.

48 Thème 2 de la troisième partie intitulée « Des Hommes et des ressources ».

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garantir l’accès à l’eau. L’étude de cas est mise en contexte au niveau mondial en s’appuyant sur des cartes et des données statistiques : inégal accès des hommes à l’eau, conflits pour l’eau.

CAPACITESLocaliser et situer :− les régions où l’eau douce est abondante et les régions où elle est plus rare.− les régions où une partie importante de la population n’a pas accès à une eau saine.Décrire un conflit pour l’eau en mobilisant plusieurs niveaux d’échelles

2. Que peut-on retenir pour la mise en œuvre de la séquence ?

a. Les enjeux de l’enseignement du développement durable

Il s’agit d’enseigner le développement durable en géographe et non en naturaliste. Pour y parvenir, le professeur de géographie doit s’attacher à :

Placer l’humanité au cœur des problématiques en s’intéressant à l’impact des actions humaines sur l’environnement, à l’importance des choix politiques, au jeu des acteurs, aux aménagements, etc. ; Montrer l’interdépendance des sociétés et des territoires ; Privilégier les piliers économique et social ; Spatialiser toute étude ; Penser au jeu des échelles ; Éviter le catastrophisme et la sacralisation du passé ; Montrer qu’il n’y a pas un mode de développement durable, mais une pluralité d’entrées et d’actions possibles dans les politiques et les stratégies de développement durable.49

b. Quelles approches peuvent être privilégiées pour enseigner le développement durable à partir du thème de l’eau ?

L’eau comme élément fondamental du développement des sociétés L’eau, source de conflit d’usage ou d’intérêt Les problèmes de la gestion de l’eau et la question des aménagements L’eau comme ressource partiellement renouvelable Eau et environnement : pollutions et gaspillages L’impact de l’eau sur le territoire L’eau créatrice de paysages

3. Proposition pour la mise en œuvre de la séquence

49 Introduction du nouveau programme de seconde.

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Cinq heures peuvent être consacrées à cette séquence ; par exemple, trois heures pour l’étude du cas, une heure pour la mise en perspective et une heure pour l’évaluation et sa correction.

a. Les objectifs de la séquence

L’objectif annuel de l’enseignement de la géographie en cinquième est clairement formulé dans l’introduction du programme. « Au terme de l’année de 5e les élèves sont capables, confrontés à l’étude d’un territoire, de mobiliser les trois dimensions du développement durable. Ils ont construit une connaissance claire des grandes oppositions du monde et des enjeux auxquels est confrontée l’humanité. »

Les notions abordées

o Développement durableo Acteurs / Conflit d’intérêtso Environnement / Ressourceso Aménagement

Les objectifs

Le programme les formule très explicitement. Il s’agit :

o Localiser50 et situer51 : Les régions où l’eau douce est abondante et les régions où elle est plus rare. Les régions où une partie importante de la population n’a pas accès à une eau saine.o Expliquer ce que signifie que l’eau est une ressource partiellement renouvelable et inégalement répartie signifie ;o Décrire un conflit pour l’eau en mobilisant plusieurs niveaux d’échelles

Mais d’autres capacités doivent aussi être mobilisées et enseignées tout au long de l’année :

o Analyser des documents de toute natureo Exprimer sa pensée à l’écrit comme à l’oral52

b. Quel cas choisir ? 50 « Localiser c’est répondre simplement à la question “où ?” » (Ressources pour faire la classe, fiche « Les capacités dans les programmes de géographie ».

51 « Situer répond aussi à la question “où ?" mais en y ajoutant “par rapport à qui et à quoi ?”», fiche « Les capacités dans les programmes de géographie ».

52 Introduction du programme de cinquième.

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Un objet géographique qui fasse cas, c’est-à-dire qui présente des particularités qui fondent l’intérêt de son étude, mais aussi, qui n’est pas trop singulier au point de représenter une exception à l’échelle de la planète et de n’être en aucune façon généralisable. Le cas choisi doit être problématisé afin d’éviter la tentation de l’exhaustivité et de donner du sens à l’étude. Enfin, ce cas doit être à une échelle satisfaisante, la grande échelle, l’échelle locale ou régionale.

Deux propositions peuvent être retenues. L’étude de cas peut, en effet, porter sur une oasis. Choix est fait de s’intéresser à Ghardaïa (la wilaya) et à la vallée du M’Zab. Mais une autre étude est possible portant sur Ouargla ou Tamanrasset. De fait, une étude de cas doit privilégier la grande échelle. Cependant, la difficulté est de rassembler des documents sur une oasis en particulier en nombre suffisant. Le Sahara algérien ou une étude régionale de l’ensemble du Sahara maghrébin peuvent être retenus. Choisir l‘échelle régionale permet, en effet, d’avoir à sa disposition davantage de documents et donc de traiter la question, non pas de manière exhaustive, mais en se focalisant sur des enjeux importants touchant le thème de l’eau. Le Sahara est un espace peuplé qui subit des tensions environnementales croissantes du fait de son exploitation. La ressource en eau est anciennement l’objet d’attention et d’aménagements. Elle est plus que jamais au cœur des problématiques sociales et économiques dans des sociétés sahariennes en quête de développement.

Il est aussi possible de s’intéresser à la question de l’eau dans les villes du Maghreb, notamment en Algérie. Mais ce cas est traité abondamment dans les manuels. Par ailleurs, comme l’a démontré Claude Martinaud, le Sahara est un cas particulièrement pertinent en ce qu’il est un espace peuplé, objet d’enjeux de développement à l’échelle nationale, régionale et même mondiale, et dans lequel la question de l’eau est prégnante.

c. Proposition pour l’étude du cas de Ghardaïa

Les objectifs de l’étude du cas

Les élèves doivent être capables de :

o Analyser des documents de nature différenteo Localiser et situer Ghardaïa sur des cartes de différentes natures et à différentes échelleso Décrire et expliquer l’exploitation, la consommation et la distribution de l’eau dans la wilaya de Ghardaïao Décrire et expliquer les problèmes que cela pose (pollutions, conflits)o Décrire et expliquer les solutions envisagées pour un développement durable de la région de Ghardaïa

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Déroulement possible de l’étude du cas

L’accroche

Une photographie des inondations de Ghardaïa53 qui ont fait au moins 38 morts en octobre 2008 pourrait être projetée aux élèves. Ces inondations sont dues à de forts orages dans la région. Or, Ghardaïa est située dans le Bas-Sahara, caractérisé par un climat désertique aride et une faible pluviométrie. Cette image est inattendue pour les élèves et est susceptible de les interpeler.

Documents pour la classe

Carte de localisation de Ghardaïa à trois échelles54

Photographies 55

Carte des milieux biogéographiques

Les apports magistraux nécessaires

Ghardaïa est la capitale du M’zab. Elle est située à 600 km au sud d’Alger. C’est une des cinq cités de la pentapole avec Melika, Bounoura, al-Atteuf et Beni Isguen. Ces agglomérations forment une conurbation de 25 km environ. Deux autres villes ne sont pas dans la vallée. La ville de Ghardaïa compte environ 105 000 habitants, la wilaya 360 000.

Problématiques possibles pour l’étude du cas

Comment les habitants de Ghardaïa gèrent-ils une ressource rare dans le Sahara, l’eau ?

La question de l’eau : une chance ou un frein pour le développement durable de Ghardaïa ?

Comment les habitants de Ghardaïa développent-ils leur territoire malgré la rareté de l’eau ?

Comment les habitants de Ghardaïa aménagent-ils leur territoire pour le développer tout en tenant compte de la rareté de l’eau ?

53 Par exemple, photographie des habitants inspectant les ruines : http://www.magharebia.com/cocoon/awi/xhtml1/fr/features/awi/reportage/2009/01/02/reportage-01

54 On peut aussi utiliser Google Earth.

55 Photographies des palmeraies de la vallée du M’Zab : http://club.doctissimo.fr/tigro/ghardaia-34708/photo/ghardaia-palmeraie-isguen-1209236.html#photo-1209236-be1-jpg

http://club.doctissimo.fr/tigro/ghardaia-34708/photo/ghardaia-palmeraie-isguen-1209236.html#photo-1209237-660-jpg

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Nous avons retenu la première problématique.

Première heure de l’étude de cas :

Comment l’eau est-elle consommée à Ghardaïa ?

Il s’agit de mettre en évidence que l’eau est indispensable à la vie des Hommes et au développement des activités, par là même au développement des sociétés. La consommation d’eau est croissante dans la wilaya de Ghardaïa du fait du développement des villes, de l’agriculture commerciale, de l’industrie et de l’extraction minière et pétrolière.

Documents pour la classe (Il s’agit de choisir deux ou trois documents parmi ceux mentionnés ci-dessous. Les documents soumis à l’étude peuvent être éventuellement accompagnés d’un autre, illustratif. Cette remarque vaut pour tous les documents proposés.)

Une photographie de la ville-oasis56 ou une image satellite. Une photographie de la palmeraie ou un schéma de l’irrigation traditionnelle ou un texte sur l’agriculture.Le document choisi sur l’agriculture57 doit mettre en avant la modernisation de cette activité traditionnelle, grande consommatrice d’eau.

Un tableau sur les nouvelles activités industrielles ou une carte des routes sahariennes en illustration.Le document sur l’industrie58 et/ou les axes routiers doit permettre de montrer que ce développement économique consomme lui aussi de plus en plus d’eau.

Un texte sur le développement du thermalisme qui montre l’essor d’un type inattendu de tourisme59.

Deuxième heure de l’étude de cas

Pourquoi cette consommation d’eau pose-t-elle problème ?

56 La palmeraie de Beni Isguen. Source : http://club.doctissimo.fr/tigro/ghardaia-34708/photo/ghardaia-palmeraie-isguen-1209236.html#photo-1209236-be1-jpg

La palmeraie d’El Ateuf. Source : http://club.doctissimo.fr/tigro/ghardaia-34708/photo/ghardaia-palmeraie-isguen-1209236.html#photo-1209237-660-jpg

57 Tableaux de données sur l’agriculture, texte sur le système oasien ou texte sur la SAU et la contrainte de l’eau www.wilayadeghardaia.org

58 Textes sur le tissu industriel ou l’importance des hydrocarbures : www.wilayadeghardaia.org

59 « Portes ouvertes sur le thermalisme ». Source : El Moujahid 2006, sur le site de l’office du tourisme de Ghardaïa

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Sans faire de déterminisme, il s’agit toutefois de montrer que les conditions du milieu naturel pèsent sur la ressource en eau ; le manque de précipitations étant caractéristique d’un milieu aride subtropical. Mais il faut mettre en évidence que les problèmes liés à l’eau sont également dus à une surexploitation de la ressource du fait du développement de l’urbanisation et des activités, ce qui engendre aussi concurrence entre acteurs et conflits pour l’usage de l’eau. Enfin, cette eau est d’une qualité de plus en plus médiocre.

Documents pour la classe

Le relevé pluviométrique d’une des cinq stations météorologiques de Ghardaïa, celle d’El Menaa, permet d’insister sur le premier point.60 On peut aussi utiliser une carte des aquifères du Sahara61 ou un schéma de l’hydraulique saharienne.62

Un tableau montrant les usages de l’eau à Ghardaïa63, ce qui permet de mettre en évidence l’importance de l’irrigation. Un texte sur les pollutions de la nappe engendrées par les activités humaines ou un texte sur les causes des inondations évoquées en accroche64

Troisième heure de l’étude de cas

Quelles solutions les Mozabites mettent-ils en place pour gérer la rareté de l’eau ?

L’enseignant peut s’intéresser à la gestion intégrée et coordonnée des nappes aquifères, ainsi qu’à des solutions anciennes revisitées pour gérer de manière raisonnée la ressource.

Documents pour la classe

Une image de la gestion traditionnelle de l’eau dans l’oasis65 ou des cultures adaptées à la rareté de l’eau Les aménagements. Le texte sur la restauration des puits66 permet de travailler sur les acteurs de la gestion de l’eau et sur les solutions anciennes, mais remises au goût du

60 Relevé pluviométrique. Source : Agence de bassin hydrographique du Sahara (voir leur site internet)

61 Le monde diplomatique, 2005

62 Source : « Les oasis sahariennes à foggara », Jean-Paul Cheylan, Mappemonde, 90/4.

63 Voir site de la wilaya de Ghardaïa

64 « Les eaux ont rencontré des ouvrages obstrués d’ordures », El Watan, 12 octobre 2008, interview du professeur Boualem Remini

65 Photographie d’un puits traditionnel. Source : http://club.doctissimo.fr/tigro/ghardaia-34708/photo/ghardaia-palmeraie-isguen-1209236.html#photo-1209242-e0b-jpg

Le système souterrain traditionnel d’irrigation dans la vallée du M’Zab. Source : http://1.bp.blogspot.com/_YNeTdnIWuWg/SQRB64K_3lI/AAAAAAAAAKA/Uv7dZeLh0VA/s1600-h/Photo11.jpg

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jour, de gestion de la ressource. L’autre avantage de ce texte est qu’il permet de mettre en avant différents types d’acteurs, institutionnels et associatifs. Les solutions modernes porteuses d’avenir ? L’exploitation des aquifères fossiles.

Conclusion

Le Sahara se peuple et les activités qu’il abrite sont de plus en plus nombreuses…Face à cette situation, une approche durable de la gestion de l’eau est indispensable…

d. Déroulement possible de la mise en perspective

Dans la démarche choisie, la mise en perspective ne peut pas durer plus d’une heure.

Problématiques possibles

Toutes les régions du monde connaissent-elles les mêmes contraintes pour l’accès à une eau de qualité ?

Comment le problème de l’eau est-il envisagé à l’échelle mondiale ?

Comment gérer une ressource rare en vue d’un développement durable de l’humanité ?

Documents pour la classe

Planisphère montrant l’inégale répartition de la ressource en eau Planisphère montrant l’inégal accès à l’eau des habitants de la planète, si possible avec un indicateur de sa qualité. Carte « La moitié de la planète souffrira de la soif à l’horizon 2020 »67

Texte présentant un conflit international pour l’eau68

L’Atlas des développements durables69 propose de nombreux planisphères.

e. Autre proposition : une étude régionale du Sahara maghrébin

66 « Ghardaïa : des puits séculaires restaurés ». Source : infosoir 2006, http://www.ghardaiatourisme.free.fr/presse.htm# )

67 Le Monde, bilan planète 2009

68 On peut aussi utiliser le site internet d’Arte qui présente une carte interactive et un texte explicatif : http://www.arte.tv/fr/Comprendre-le-monde/L-eau-en-danger/2460324.html)

69 Yvette Veyret et Paul Arnould, Atlas des développements durables, Paris, Autrement, 2008.

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L’avantage de ce cas est qu’il offre une plus grande variété de situations, ce qui permet d’enrichir la réflexion. Par exemple, il n’y pas de foggara à Ghardaïa, alors qu’il s’agit d’une technique ancestrale de captation et de gestion de l’eau dans le Sahara. Par ailleurs, le grand complexe pétrolier d’Hassi Messaoud est situé dans la wilaya d’Ouargla. Enfin, le tourisme est particulièrement développé à Tamanrasset.

Problématique possible

Comment les habitants du Sahara maghrébin développent-ils leur territoire malgré la rareté de l’eau ?

Plan de l’étude du cas

1. Comment l’eau est-elle consommée dans le Sahara ? 2. L’eau une ressource rare et en danger au Sahara3. Vers une gestion durable de l’eau ?

L’enseignant peut montrer l’évolution des usages de l’eau. L’utilisation traditionnelle presque exclusivement agricole s’est diversifiée avec le développement des nouveaux périmètres irrigués, du tourisme et de l’exploitation des hydrocarbures. Puis il s’agit de mettre en évidence la rareté de la ressource en eau et les conflits et dangers qui pèsent sur elle. Enfin, on peut s’interroger sur la gestion durable de l’eau au Sahara.

Documents pour la classe

Photographie70 ou tableau de données sur la zone d’exploitation d’hydrocarbures d’Hassi Messaoud Une photographie des périmètres irrigués71 ou une carte de la grande rivière artificielle de Libye72 Un schéma du fonctionnement d’une foggara ou d’une de l’organisation spatiale d’une oasis à foggara73

Certains documents permettent d’aborder la question du développement durable des oasis en liaison avec le problème de l’eau de manière plus évidente que lors de l’étude de

70 Photographie. Source : http://www.lespagesmaghreb.com/algerie_aujourdhui.php)

71 Oasis artificielles dans le désert libyen Source : manuel seconde, Magnard, 2005

72 Georges Mutin, « De l’eau pour tous ? », La documentation photographique n°8014

73 « Les oasis sahariennes à fogarra », Jean-Paul Cheylan, Mappemonde, 90/4.

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Ghardaïa.74 D’autres posent le problème du manque d’eau et des solutions envisagées…Durables ? 75

La mise en perspective pourrait davantage être axée sur les conflits d’usage engendrés.

L'Afrique dans le regard du peintre

Patrick Parodi

74 « Démarrage du projet maghrébin de développement des oasis », 8 janvier 2008. Source : http://www.maghrebarabe.org/fr/index.cfm

Documents sur le Réseau Associatif de Développement Durable des Oasis (RADDO). Voir leur site internet.

75 « La désertification de l’Algérie », El Watan, 18 juin 2007

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Le Professeur au Lycée Fréderic [email protected]

Comment l’Afrique fut-elle représentée dans la peinture française du XIXe et du XXe siècle ?

Il s’agit d’étudier de manière rapide deux tableaux qui permettent de voir comment l’Afrique est représentée dans la peinture.

1) Le radeau de la Méduse, 1818, de Géricault

Que raconte ce tableau ?

En 1816, le naufrage de la frégate La Méduse a scandalisé la France entière (Géricault a recueilli le témoignage de deux survivants pour en faire un immense tableau76). La Méduse a été envoyée en Afrique pour reprendre possession du Sénégal (celui-ci avait été occupé par l’Angleterre depuis 1809 et est restitué à la France par le Traité de Paris du 30 mai 1814) avec d’autres bateaux et est dirigée par un officier de l’Ancien Régime, Hughes Duroy de Chaumareys qui n’a plus navigué depuis 20 ans et qui s’est échoué au large des côtes mauritaniennes. Alors que les officiels et leurs familles embarquent dans les chaloupes, le reste des passagers, les plus pauvres et les simples soldats de l’équipage, soit 149 personnes construisent un radeau et sont remorquées par les canots. La dégradation du temps amène ces derniers à couper les amarres les reliant au radeau ; celui-ci dérive pendant 13 jours avant d’être découvert par le bateau l’Argus. Il ne reste alors qu’une dizaine de survivants : les officiers présents sur le radeau ont réprimé plusieurs révoltes en faisant près d’une centaine de morts. Le gouvernement français tente de cacher l’affaire, mais le témoignage de deux survivants, Henri Savigny, chirurgien en second et Alexandre Corréard, ingénieur-géographe (La Relation, en 1817) rend public le récit de l’aventure avec ses règlements de compte, ses meurtres et même ses séances de cannibalisme. L’affaire fait grand bruit, car elle met en avant la corruption du gouvernement de Louis XVIII et la question des « rentrants », émigrés qui se trouvent propulsés à de postes de responsabilité sans en avoir les compétences. C’est alors que Géricault décide de peindre la scène où l’Argus passe une première fois devant le radeau sans le voir.

Quel accueil ?

Le tableau est exposé au Salon de 1819 et est objet de nombreuses discussions et polémiques :

- certains lui reprochent son absence de classicisme, le thème réaliste éloigné des critères de beauté ; les tonalités brunâtres et le clair-obscur choquent, car éloignés des coloris vifs de la peinture néo-classique qui domine,

- d’autres, comme Delacroix, y voient une critique de l’ultra-royalisme et une promotion du Noir ce qui correspond aux intentions de Géricault.

Quelles sont les intentions de Géricault ?

76 Le radeau de la méduse, Théodore Géricault, 1818, Musée du Louvre, Paris

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Géricault inscrit cette œuvre dans le contexte de la Restauration, celui d’une génération aux espoirs déçus par la Révolution française et la chute de Napoléon et critique envers le nouveau régime.

Son élaboration fut complexe et témoigne des positions du peintre sur la question noire. Cette question est débattue ; en 1804, Napoléon Ier a rétabli l’esclavage, mais décide pendant les Cent Jours, à son retour de l’exil dans l’île d’Elbe, d’abolir la traite des Noirs ce que confirme une loi du gouvernement de Louis XVIII (sous la pression des Alliés) en 1815, loi totalement inefficace (elle n’est réellement appliquée qu’en 1830 avec la Monarchie de Juillet).

Même si Géricault ne présente la question des Noirs que dans le cadre de son art, il n’en présente pas moins dans son tableau une image novatrice. Pour cela, il n’hésite pas à extrapoler et à s’écarter de ses sources d’information : les deux survivants qu’il a rencontrés ont relaté le moment où ils voient le bateau L’Argus, comment ils ont assemblé des bouts de tissu et qu’un homme agita au haut du mât. Rien dans leur témoignage ne dit que cet homme fut noir.

On peut voir trois Noirs dans le tableau : l’homme de vigie, un autre sur le plancher et le dernier scrutant le ciel au-dessus du groupe de personnes serrées contre le mât. Cette présence n’est pas confirmée par les récits des rescapés qui n’évoquent qu’un seul homme noir, Jean-Charles, un soldat, qui mourut peu après le sauvetage, chargé de la tâche ingrate de soulager le radeau en jetant les morts à la mer. Leur présence est symbolique de la portée universelle du tableau : ainsi, celui-ci est traversé par une diagonale, partant d’un homme mort vers l’homme noir, faisant un geste d’appel vers L’Argus, expression respective du découragement et de l’espoir.

Géricault exprime ainsi sa déception à l’égard de l’échec de l’abolition de l’esclavage en 1794 : l’homme noir de la vigie représente l’espoir de la liberté et la révolte contre une situation de souffrance face à l’océan de l’humanité. Le Radeau de la Méduse est, selon Hugh Honour 77, la seule œuvre qui reconnaît pleinement la vocation des Noirs à la liberté et l’égalité et qui aborde le problème de l’esclavage sans rien en retenir des marques d’infériorité.

Cette thématique de l’esclavage a été un fil directeur de la pensée artistique de Géricault : ainsi, il annonce dans les derniers mois de sa vie son intention de peindre la Traite des Nègres, projet initial qu’il avait abandonné pour le Radeau de la Méduse. Il réalise un important dessin inspiré de l’Execrable Human Traffik de George Morlan78 (de multiples gravures s’en inspirant circulent en France), mais aussi de l’Enlèvement des Sabines de Jacques Louis David79. Hugh Honour relie ce projet à d’autres que Géricault envisage en se basant sur le contexte immédiat : la reddition de la ville de Parga en Grèce en 1818 devant Ali Pacha, épisode mis en avant pour évoquer le sort des Grecs soumis à la domination turque quelque temps avant la guerre d’Indépendance et la libération des prisonniers espagnols de l’Inquisition. Il y voit la dominante des concepts de liberté et de l’esclavage avec les atteintes contre la personne physique (les Noirs), le sentiment national (les Grecs) ou la conscience religieuse et morale (les Espagnols).

77 Hugh Honour, L’image du Noir dans l’art occidental, tome 1, Gallimard, février 1989

78 Execrable human traffik, George Morlan, 1789, The Menil Collection (Houston, Texas)

79 L’enlèvement des Sabines, Jacques-Louis David, 1799, Musée du Louvre, Paris

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Cette représentation du Noir africain comme la victime de la traite et de l’esclavage est donc une représentation dominante au XIXe siècle

2 Nègre attaqué par un léopard, 1910 du Douanier Rousseau80

Cette œuvre du Douanier Rousseau témoigne d’une évolution de la représentation de l’Afrique dans la peinture africaine ; la population africaine noire n’y est plus seulement la victime de l’esclavage, mais elle devient une population dont on redécouvre les prétendues spécificités, que la colonisation met en exergue.

Dans quel contexte s’inscrit cette œuvre ?

Il y a deux évolutions majeures qui peuvent expliquer l’évolution de la représentation des Africains dans la peinture française

Henri Rousseau place son œuvre sous le sceau de la tradition de l’exotisme. Dans le domaine des Lettres, « l'exotisme peut se définir comme l'intégration (...) de l'insolite géographique, ethnologique et culturel ; il traduit le goût de l'écrivain pour des contrées qui lui apparaissent comme étranges et étonnantes, féeriques ou légendaires, qui contrastent avec la sienne propre par le climat, la faune, la flore, les habitants (leur apparence physique, leurs costumes et traditions) »81. Il prétendait avoir servi dans l’armée au Mexique, mais n’avait jamais en fait quitté la France et aimait le Jardin des Plantes dans lequel il se sentait dans un monde étranger : « Quand je pénètre dans ces serres et que je vois ces plantes étranges des pays exotiques, il semble que j’entre dans un rêve ! Je me sens moi-même un tout autre monde ». Son imagination se nourrit aussi de la lecture des périodiques illustrés des récits d’explorateurs ou des romans de Pierre Loti. Il voit alors la jungle comme un espace où la végétation est luxuriante et abondante, où les oiseaux sont multicolores, où les fauves se livrent à des violents corps à corps. Mais, cette vision n’est pas que la reproduction de son imaginaire, mais de ses dons poétiques illustrés dans de multiples métamorphoses. Le peintre y représente un ailleurs africain, si étranger à la civilisation européenne, renforcé par l’obsession du détail et l’imprécision des lieux.

Cet exotisme se retrouve alors dans ses différentes œuvres comme la Bohémienne endormie82. Il y représente une femme noire, jouant de la mandoline, endormie, un vase rempli d’eau à ses côtés ; un lion la renifle, mais ne la dévore pas, le tout se passant dans un désert aride éclairé par une pleine lune. Ce tableau reflète la conception de Rousseau : la femme noire est nommée Bohémienne, c’est une artiste errante, peut-être exclue de la société, mais respectée par la nature. Il y a donc chez Rousseau une conception de l’Africaine (mais au-delà de tout être autre) comme un élément d’exotisme. Cette vision se retrouve dans un de ses derniers tableaux Nègre attaqué par un jaguar, un homme nu poignardant le fauve qui tente de le déchiqueter.

80 Nègre attaqué par un jaguar, Henri Rousseau, dit le Douanier Rousseau, 1910, Kunstmuseum, Bâle

81 Dictionnaire International des Termes Littéraires, article Exotisme

82 La bohémienne endormie, Henri Rousseau, dit le Douanier Rousseau, 1897, Museum of Art Modern - New York

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On peut également inscrire cette œuvre dans la deuxième tendance qui s’exprime au XIX e siècle : celle d’un certain paternalisme envers les Africains. Pour Cheikh Anta Diop83, l’Europe a construit le mythe du nègre qui se reflète dans la colonisation. Imbus de leur récente supériorité technique, les Européens avaient, a priori, un mépris pour le monde africain dont ils ne daignaient toucher que les richesses. L'ignorance de l'histoire antique des « Nègres », les différences de mœurs et de coutumes, les préjugés ethniques entre deux races qui croient s'affronter pour la première fois, jointes aux nécessités économiques d'exploitation, tant de facteurs prédisposaient l'esprit de l'Européen à fausser complètement la personnalité morale du « Nègre » et ses aptitudes intellectuelles. « Nègre » devient désormais synonyme d'être primitif, « inférieur, doué d'une mentalité pré-logique ». L’Africain est l’homme guidé par ses émotions, ses sensibilités qui en font un artiste, proche de la nature (en comparaison, l’Européen est fait de rationalité).

Les tableaux de Rousseau s’éloignent de la conception imitative de l’art occidental, mais se font l’écho du côté conventionnel des idées reçues ; ils sont innovants dans la représentation des Noirs africains qui s’éloigne, certainement par hasard, de la tradition orientaliste par les moyens picturaux utilisés (même si le peintre admirait cette dernière).

L’œuvre de Rousseau se veut donc le reflet de cette double approche de la représentation de l’Afrique et de sa population, mais elle s’en éloigne.

Ainsi, dans le tableau Nègre attaqué par un jaguar, on peut remarquer que la figure de l’homme n’est pas détaillée ; cela peut s’expliquer de multiples manières comme la difficulté de Rousseau de dessiner les personnages et à les intégrer dans les paysages par exemple, mais on peut y retrouver l’intention du peintre qui est non pas de peindre un moment violent (d’ailleurs, il s’inspire de l’album illustré Bêtes sauvages, publié par les grands magasins Aux Galeries Lafayette où on voit un gardien de zoo jouant avec un jaguar), mais de mettre en avant une harmonie ; dans son œuvre, les hommes occupent peu de place et lorsqu’ils apparaissent leur identité ethnique reste floue. Rousseau ne véhicule pas les stéréotypes raciaux de la presse populaire puisque ses humains sont avant tout des figures génériques. Ses forêts sont un monde vierge des effets de la colonisation, mais elles sont une construction, qui utilise la culture exotique et l’imagerie de la vie sauvage diffusées à l’époque, mais le peintre ne leur donne aucune vocation instructive : il prend des morceaux des illustrations populaires ou des cartes postales, les collent ensemble et les unifient par le style sans souci de vraisemblance scientifique (il place des animaux dans des régions où ils n’existent pas). De fait, cet assemblage d’invraisemblances devient homogène, autonome et indépendant du regard scientifique lié à l’esprit colonialiste de conquête et de domination.

Wilhem Uhde conclut « Ce n’est pas la forêt vierge en tant que jardin botanique ou zoologique qu’il peint, mais la forêt vierge avec ses épouvantes et ses beautés, dont nous rêvons enfant ».

Conclusion

Dans cette analyse (succincte et rapide), on peut constater que dans les deux exemples choisis, l’Afrique n’est qu’un fond. On peut alors se poser la question : quels liens entre ces tableaux et l’Afrique ? Géricault ne peint l’Africain que pour dénoncer l’esclavage et Rousseau utilise les images 83 Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture : de l'antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l'Afrique noire d'aujourd'hui, Éditions Présence africaine, Paris, 1954-1979, 564 p

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et récits des explorateurs ou des colonisateurs pour rêver l’exotisme. L’Afrique n’apparaît pas en tant que telle, mais l’objet de la peinture n’est pas de représenter une réalité (c’est un leurre selon Delacroix), mais de construire une pensée, un regard qu’il s’agit de décrypter, de comprendre et d’en percevoir les fondements historiques.

La question de la présence de l’Afrique dans le regard du peintre peut alors se poser pour tous les espaces : sont-ils vraiment représentés ? Si l’Afrique n’apparaît pas, c’est que le XIXe siècle l’ignore ; après les épisodes de la Révolution et de l’Empire, les voyages des explorateurs ne sont connus que par une frange privilégiée de la population ; pour le reste, l’Afrique est un continent mythique où seuls les esclavagistes ont des raisons de s’aventurer. C’est ce regard d’ambiance que reflète Géricault. Il faut attendre la deuxième partie du XIXe siècle pour qu’une nouvelle dynamique se mette en place : l’industrialisation et la mécanisation font reculer les frontières traditionnelles. Il s’agit de s’alimenter de nouvelles ressources et ouvrir de nouveaux marchés indispensables à la croissance. On condamne les excès de cette politique comme le travail des enfants ou l’esclavage d’autant plus que dans la perspective d’une économie mondialisée, la place des Africains est en Afrique. Enfin, une mystique du progrès s’empare des Européens. Ce contexte modifie le regard porté alors sur l’Afrique dont témoignent les explorateurs ; les récits témoignent d’une curiosité scientifique, un goût pour l’aventure, d’une croyance dans la mission civilisatrice de l’Europe. Se construit l’image de l’exotisme que Rousseau reflète.

Mais, dans les deux cas, les peintres ne sont pas le simple reflet d’une époque, leurs œuvres sont aussi le reflet d’un parcours personnel, du cheminement d’une pensée.

Se pose aussi une deuxième question : quelle utilisation peut-on faire de ces œuvres en classe ? Les thématiques de l’esclavage et de la traite, mais aussi de la colonisation sont présentes dans les programmes de collège et de lycée : les œuvres de Géricault et Rousseau constituent des entrées possibles en permettant de faire percevoir que le regard du peintre permet de faire exister un objet que l’histoire oublie.

L'empire du Mali

Daniel GilbertLe 13 octobre 2010Professeur au Lycée d'Altitude

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BRIANÇ[email protected]

L'empire du Mali ou empire mandingue qui se constitua au XIIIe siècle eut une brève existence puisque son apogée se situe au XIVe siècle et sa disparition au XVe siècle. C'est de l'année 1235 qu'est datée la naissance du Mali avec la victoire de Sunjata Keita sur les Sosso qui avaient constitué un royaume dans la région de Koulikoro au nord de Bamako.

Le premier grand royaume du Sahel fut le Ghana, mais la révolution islamique des Almoravides, un peuple berbère vivant au nord du Ghana, fit voler ce royaume en éclat à partir des années 1050. Les Almoravides ne parvinrent pas à créer leur propre royaume islamique dans la région, mais convertirent nombre de familles régnantes mandingues à l’islam. La fondation du Mali est le résultat d'une vaste entreprise de conquête réalisée par Sunjata Keita. Celui-ci est issu de l’une de ces familles, qui en moins d'un demi-siècle, constitua un empire allant de l'Atlantique à la boucle du Niger, sur une longueur de 2000 km. Cette entité englobait tout ou partie des actuels États de la Guinée, de la Gambie, du Sénégal ainsi que l'extrême sud de la Mauritanie, du Niger et du Mali actuels.

À l’image des autres royaumes sahéliens (Ghana et Songhay), l’empire du Mali était fondé par et pour le commerce, selon deux priorités : la défense des carrefours sahéliens entre Afrique occidentale et méridionale et Afrique orientale et septentrionale, et le maintien du monopole des transactions entre l’Afrique du Nord et le Sahel. Son économie reposait sur l’agriculture, l’artisanat, l’exploitation des mines d’or et le commerce de cet or, du sel et de l’ivoire vers le bassin méditerranéen. L’essor du Mali déplaça le centre de la vie politique et économique sahélienne vers l’est, vers Oualata, Tombouctou et Niani, privilégiant la zone proche de la boucle du Niger. Plus que d’un véritable empire, le Mali apparaît comme le centre d’une sphère d’influence composé de trois régions distinctes : la région du Sénégal, les États du centre-Mandé, et la région de Gao.

Le nom de « Mali » viendrait de la tradition suivante : après ses victoires, Sunjata (dénommé le « Roi-Lion » et proclamé « Mansa », c'est-à-dire « Roi des rois ») se serait adressé aux chefs vaincus qui appartenaient aux ethnies Malinké, Bambara, Sosso, Soninké, Dyula et Peul en ces termes :

« Tous les rois qui ont lutté contre moi et qui ont été vaincus conserveront leurs royaumes. L'animal le plus puissant, aussi bien dans l'eau que la terre est l'hippopotame [“mali” en bambara] et tous ensemble, nous formons une force encore plus importante que celle de l'hippopotame et c'est pourquoi l'empire aura pour nom Mali. »84

84 B. LUGAN, Histoire de l’Afrique, Ellipses 2009

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La vie de Sunjata Keita est connue par les traditions orales rapportées par les griots : sous la forme d'une épopée légendaire, elles en font un héros-fondateur. De brèves mentions du personnage et du contexte géopolitique à l'époque de son règne chez deux auteurs arabes du XIVe siècle (Ibn Khaldun et Ibn Battuta), corroborent certains faits évoqués dans les sagas orales. Il met en place une organisation administrative et militaire, répartissant la population en 30 (ou 33 ?) clans : 16 clans d'hommes libres, 4 clans de griots, 5 clans maraboutiques, et 5 clans d'artisans ; créant deux gouvernements militaires au nord à Soura et au sud à Sankaran et établissant la capitale de l’Empire à Niani, ville dont la localisation est aujourd’hui encore sujette à controverse.

Mais le plus célèbre des rois du Mali semble avoir été Mansa Musa, qui a régné de 1312 à 1337, et a effectué un long pèlerinage à La Mecque. Sous son autorité, de nombreuses madrasas (écoles coraniques) furent fondées dans l’empire, et Tombouctou devint le creuset d’une intense activité intellectuelle et culturelle drainant artistes, poètes et savants d’Afrique et du Moyen-Orient. Influence que la ville conserva en tant que centre islamique majeur de l’Afrique subsaharienne après la disparition de l’Empire.

Le déclin du Mali qui fut graduel après le XIVe siècle est illustré par la perte du contrôle des axes commerciaux transsahariens centraux et orientaux au profit du Songhay qui prit le contrôle des marchés et des foires de Tombouctou et de Djenné. Le Mali fut dès lors confronté à quatre dangers :

- au nord, les Touaregs lui enlevèrent sa façade saharienne par laquelle il commerçait avec le Maghreb,- à l'est, le Songhay lui coupa l'accès à la boucle du Niger, donc aux routes caravanières menant vers la Tripolitaine et vers l'Égypte.- À l'ouest, les Fulbé (Peuls) Denianke lui interdirent l'accès à la région de Ghana, donc aux routes transsahariennes les plus occidentales, dont celle longeant l'océan Atlantique.- Sur le littoral, les navires portugais commençaient à fournir les peuples côtiers en produits et marchandises que ceux-ci avaient jusque-là l'habitude de recevoir depuis le nord, c'est-à-dire depuis le Mali. Se tournant de plus en plus vers la mer, ils se détachèrent donc de l'empire du Mali et certains se constituèrent même en royaumes, à l'image du Salum (Saloum), du Wuli (Wouli) et du Cantor qui naquirent au XVIe siècle de la dislocation de ce qui avait été la province gambienne du Mali. Pour ce dernier, ce fut le coup de grâce, car il perdait l'unique fenêtre maritime par laquelle il aurait pu devenir le partenaire privilégié des Portugais.

Au moment de l'expédition marocaine du Niger, à la fin du XVIe siècle, Mahmoud IV du Mali tenta de s'emparer de Djenné afin de rouvrir une route transsaharienne, mais il fut défait par les Marocains. Dès lors, l'Empire disparut, les provinces s'émancipant. Sur les ruines de l'unité impériale naquirent alors plusieurs entités dont les plus importantes furent les royaumes bambara de Ségou et du Kaarta. Quant au Mali, sa dynastie se replia sur son foyer d'origine, en zone forestière, abandonnant le grand commerce international de l'or au profit de celui, totalement africain et régionalement centré, de la noix de kola.

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Organisation sociale :

Les agriculteurs, à l'origine de la noblesse, constituaient la majorité de la société malinké. Ils travaillaient la terre et fournissaient la base économique de la société. La société malinké comportait aussi un système de « clans », ou de castes héréditaires, dont la position dans la société n’est pas clairement établie. Les traditions orales se réfèrent souvent à eux comme d’une condition inférieure à celle des agriculteurs, mais fournissent également de nombreux exemples selon lesquels les membres des clans ont exercé le pouvoir sur la société en tant que « maîtres du Verbe ». Par exemple, le chef de la société du Komo (consacrée à Faro, créateur de toutes choses) était un membre du clan des forgerons. Les forgerons, qui possédaient les connaissances secrètes du travail des métaux, et notamment de l’or et du fer, étaient généralement considérés comme le clan le plus puissant. Les autres clans étaient ceux des griots, des tanneurs, des potiers, et des pêcheurs.

La famille était l'élément essentiel de la société malinké. Dirigée par les anciens, elle donnait à chaque individu une place par rapport au groupe. En son sein, hommes et femmes avaient des rôles très précisément définis. Les femmes étaient responsables de l'éducation des enfants, du repas, et de ce qui touchait à l’élevage dans les familles d'agriculteurs. La société étant polygame, les enfants étaient identifiés par leur mère, à l’origine des fratries reconnues. Les hommes étaient chargés de fournir le mil utilisé pour la farine, avaient autorité sur la maison, et veillaient aux rapports avec les autres familles.

Organisation politique :

Les agriculteurs vivaient dans des villages peuplés par quelques familles étendues, dont les chefs étaient les membres plus âgés et regroupés en petits royaumes autour d’une ville fortifiée. Ce sont ces royaumes que Sunjata unifia au XIIIe siècle sous son autorité. Les villages fournissaient au roi dons et services, en échange de sa protection, de la justice, et de l'accès aux pouvoirs religieux du roi. La puissance du roi était limitée par les actes d'un conseil des sages, composé de membres respectés des plus importantes familles issues des différents villages.

Le sentiment religieux

Pour les mandingues, les mondes physique et spirituel ne font qu’un au sein d’un univers dominé par Faro, créateur de toutes choses. Tous les objets sont investis d'une force spirituelle intrinsèque appelée nyama, qui anime ainsi tous les êtres vivants et contrôle les

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forces de la nature elle-même, régissant notamment la production des cultures et des précipitations. Le peuple malinké organisait la pratique de sa religion au sein de « sociétés secrètes » réservées aux hommes, et qui s’occupaient aussi bien de morale civique que des relations entre les familles, de la protection contre les sorciers ou d’invocations en faveur de la pluie pour produire de riches moissons, que d'organiser la vie des garçons avant leur initiation… Une composante majeure de la religion impliquait par ailleurs une communication rituelle avec les ancêtres : les vivants faisaient ces derniers afin d'intercéder pour eux auprès du créateur ou d'exercer le pouvoir en leur nom. Certains vivants, les sorciers (qui pouvaient être « bons » ou « mauvais »), possédaient des connaissances particulières qui leur permettaient d'utiliser des pouvoirs spirituels normalement réservés aux ancêtres. Par l’initiation, un enfant mâle devenait un membre adulte de la société. Cette initiation comportait une période de formation pour apprendre les secrets de la religion, et une cérémonie pour signifier l'entrée dans l'âge adulte. Les enfants participaient à l'initiation avec les autres membres de leur classe d'âge, et nouaient ainsi des liens pour le reste de leur vie.

Le rôle de la femme dans la société malienne

Enserrées dans les liens d’une société de caste hiérarchisée, polygame et patrilinéaire dans laquelle les épousées rejoignent la famille de leur mari, les femmes maliennes n’existaient que par leur lignage d’appartenance, qu’il s’agisse de leur propre famille ou de celle de leur époux : la femme n’était que la fille, la sœur, l’épouse ou la mère de l’homme dominant. Mais au-delà de ce rapport « traditionnel » de dépendance entre genres, les femmes occupaient une place majeure dans l’imaginaire et l’organisation même de la société mandingue.

En tant que mères, elles symbolisaient la paix, l’harmonie et l’affection, l’unité. On opposait ainsi au sein d’une famille polygamique la fraternité et la confiance des « enfants issus de la même mère » à la jalousie et la rivalité des « enfants issus du même père ». Chaque Malinké respectait sa mère, car c’est d’elle qu’il tirait toutes les vertus que la société lui attribuait : « l'homme, le vrai, ne peut naître et devenir quelqu’un sans l’aide de sa mère. En effet, l'enfant tient de son père sa généalogie et le prestige qui s’y attache, mais acquiert la baraka grâce à sa mère, et jamais à son insu ».

Pouvant ainsi exercer une influence au sein de la demeure de son mari grâce à la relation privilégiée qu’elle entretenait avec ses fils, la femme jouait un rôle vital dans la société, respectée comme mère, ou mère en devenir. Aussi, la stérilité ou le célibat étaient vécus comme un drame personnel et communautaire, et la femme qui en était tout à la fois victime et coupable, était marginalisée et suspectée de porter malheur.

Un autre exemple de dépendance entre genres se lit dans les activités économiques des femmes décrites par les griots : elles préparaient les repas, élevaient les enfants, accomplissaient les travaux du ménage, s’occupaient du bétail, cultivaient et récoltaient les

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produits du sol avec leur mari, portaient au marché les fruits de leur travail. Mais ce faisant, chaque femme exerçait également les prérogatives liées à sa classe : les griotes, de la classe située dans la pyramide sociale juste après les familles nobles, maîtrisaient la parole et étaient seules dépositaires avec les hommes de la même classe de l’histoire du Manden, et jouissaient de ce fait d’un grand prestige et d’avantages économiques. Les femmes de la caste des forgerons qui venaient ensuite avaient le monopole — partagé avec les griotes — de la fabrication des poteries. Quant aux tailleurs et tisserands, fabricants de pagnes et d’étoffes, ils utilisaient pour leur travail seulement les fils de coton ou de laine travaillés par leurs femmes et les esclaves de celles-ci…

C’est sans doute dans la magie que le pouvoir des femmes était le plus affirmé. La force magique, transmise par voie matrilinéaire, était essentiellement l’apanage de la sœur, qui se dotait de pouvoirs magiques en quittant son village natal et en traversant la brousse pour aller se marier.

S’ils attestent du rôle des femmes dans la société malienne médiévale, les propos des griots ne sont cependant pas dénués d’ambivalence et reflètent avant tout la méfiance. Les reproches les plus souvent formulés ont trait à l’infidélité conjugale et à la trahison : « Celles qui étaient dotées par Dieu de connaissances exceptionnelles mettaient ces connaissances au service de leur mari avant de pouvoir le trahir, le moment venu. En effet, nombreux furent, au Manden, les mansa [rois] qui périrent par la faute, la trahison de leur épouse. »

Mais le récit se fait parfois admiratif : « Seule la femme est capable de suivre deux conversations sans, pour autant, perdre le fil de ce qu’elle dit à quelqu’un d’autre. Ce pouvoir-là, Dieu ne l’a donné qu’à la femme… »

La relation à l’islam

« Quand l’islam prit au Manden le dessus sur la religion traditionnelle, “on” demanda à chaque clan de se trouver un ancêtre parmi les personnalités dont les noms figurent dans les “quatre livres descendus du ciel”, autrement dit dans les quatre livres révélés par Dieu aux prophètes. C’est ainsi que Djôn Billali, “Billal le serviteur” du prophète Mahomet, devint l’ancêtre des Massalens »85.Les rois mandingues semblent avoir été lents à se convertir à l'islam, la conversion menaçant sans doute de porter atteinte à la religion traditionnelle sur laquelle leur pouvoir était fondé. Sunjata n’apparaît ainsi pas comme un musulman dévot, et ce sont ses descendants qui ont fait de l'Islam la religion officielle de la noblesse, don Mansa Musa qui au XIVe siècle effectua un pèlerinage à La Mecque qui marqua par son faste les contemporains.

Liste des empereurs du Mali :

85 Y.T CISSE, WA KAMISSOKO, La grande geste du Mali, Karthala, 2000

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Soundiata Keïta (1240-1255) Ouali Keïta (1255-1270) Ouati Keïta (1270-1274) Khalifa Keïta (1274-1275) Abu Bakr (1275-1285) Sakoura (1285-1300) Gao (1300-1305) Mohammed ibn Gao (1305-1310) Aboubakri II (1310-1312) Mansa Mousa (ou Kanga Moussa ou encore Kouta Moussa) (1312-1337) Maghan (1337-1341) Mansa Souleiman (1341-1360) Kassa (1360) Mari Diata II (1360-1374) Musa II (1374-1387) Maghan II (1387-1389) Sandaki (1389-1390) « l’usurpateur » Mahmud (1390-1400) Mansas inconnus (1400-1546)

Pistes de travail :

- Cartographie : Période et situation de la civilisation de l’empire du Mali

L’expansion arabo-musulmane

Les échanges en Afrique de l’Ouest, XIIIe-XVe siècle

- Thèmes possibles :Les griots et la transmission orale

L’importance du « magique » dans la relation des griots Faits magnifiés, faits cachés : la gloire des héros La charte du Manden

L’autorité du roi, l’organisation politique

La religion, le rapport à l’Islam 

L’organisation sociale, la famille

Le rôle de la femme dans la société malienne

L’esclavage

La production artistique

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ANNEXES

Les griots

« En ce qui concerne la « parole » que je détiens, elle nous est enseignée par nos pères, dans la brousse. Mon père la tenait de son père ; celui-ci la tenait de son père. Et nous ne la disons qu'en deux occasions : quand nous nous trouvons sur le lieu de célébration d'une très grande fête ; quand nous allons solliciter les faveurs d'un homme libre qui jouit d'un pouvoir et qui est capable de mettre dans nos paroles le prix qu'elles valent. Même dans ces cas, nous ne déclamons qu'une partie de nos paroles, et jamais la totalité. »

Wa Kamissoko, in Y.T. Cissé, La grande geste du Mali, T.1, Kartala 1988

Les griots (2)

« À ces traditionnelles occasions, les gens de Kéla ajoutèrent une autre. En effet, tous les jeudis et dimanches soir des trente jours précédant le début des cérémonies septennales de réfection du sanctuaire kama blon de Kangaba, les patriarches griots de cette agglomération rassemblent les jeunes griots et griottes. Ceux-ci viennent, à tour de rôle et par rang d'âge, déclamer la « parole » qu'ils ont apprise. Celui qui saute un seul passage du récit est interdit de parole le reste de la nuit. »

Wa Kamissoko, in Y.T. Cissé, La grande geste du Mali, T.1, Kartala 1988

La Charte du Manden

1. Les chasseurs déclarent :Toute vie (humaine) est une vie.Il est vrai qu'une vie apparaît à l'existence avant une autre vie,Mais une vie n'est pas plus "ancienne", plus respectable qu'une autre vie,De même qu'une vie n'est pas supérieure à une autre vie.2. Les chasseurs déclarent :Toute vie étant une vie,Tout tort causé à une vie exige réparation.Par conséquent,Que nul ne s'en prenne gratuitement à son voisin,Que nul ne cause du tort à son prochain,Que nul ne martyrise son semblable.

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3. Les chasseurs déclarent :Que chacun veille sur son prochain,Que chacun vénère ses géniteurs,Que chacun éduque comme il se doit ses enfants,Que chacun "entretienne", pourvoie aux besoins des membres de sa famille.4. Les chasseurs déclarent :Que chacun veille sur le pays de ses pères.Par pays ou patrie, faso,Il faut entendre aussi et surtout les hommes ;Car "tout pays, toute terre qui verrait les hommes disparaître de sa surfaceDeviendrait aussitôt nostalgique."5. Les chasseurs déclarent :La faim n'est pas une bonne chose,L'esclavage n'est pas non plus une bonne chose ;Il n'y a pas pire calamité que ces choses-là,Dans ce bas monde.Tant que nous détiendrons le carquois et l'arc,La faim ne tuera plus personne au Manden,Si d'aventure la famine venait à sévir ;La guerre ne détruira plus jamais de villagePour y prélever des esclaves ;C'est dire que nul ne placera désormais le mors dans la bouche de son semblablePour allez le vendre ;Personne ne sera non plus battu,A fortiori mis à mort,Parce qu'il est fils d'esclave.6. Les chasseurs déclarent :L'essence de l'esclavage est éteinte ce jour,"D'un mur à l'autre", d'une frontière à l'autre du MandenLa razzia est bannie à compter de ce jour au Manden ;Les tourments nés de ces horreurs sont finis à partir de ce jour au Manden.Quelle épreuve que le tourment !Surtout lorsque l'opprimé ne dispose d'aucun recours.L'esclave ne jouit d'aucune considération,Nulle part dans le monde.7. Les gens d'autrefois nous disent :"L'homme en tant qu'individuFait d'os et de chair,De moelle et de nerfs,De peau recouverte de poils et de cheveux,Se nourrit d'aliments et de boissons ;Mais son “âme”, son esprit vit de trois choses :Voir qui il a envie de voir,Dire ce qu'il a envie de dire Et faire ce qu'il a envie de faire ;Si une seule de ces choses venait à manquer à l'âme humaine,Elle en souffriraitEt s'étiolerait sûrement."

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En conséquence, les chasseurs déclarent :Chacun dispose désormais de sa personne,Chacun est libre de ses actes,Chacun dispose désormais des fruits de son travail.Tel est le serment du MandenÀ l'adresse des oreilles du monde tout entier.Sunjata Keita, 1222 ( ?)Texte réécrit par Youssouf Tata Cissé dans Sunjata, la Gloire du Mali, éd. Karthala, ARSAN, 1991

L’or

« Les mines d'or, en tant que telles, n'étaient pas, à l'origine, la propriété d'une personne. En revanche, tout l'or extrait des mines du pays revenait à celui qui avait pouvoir sur les gens. Précisions qu'en ces temps-là, seuls les forgerons extrayaient l'or. Par ailleurs au moment où débutait l'aventure de l'or, nul ne pouvait, une fois la nuit venue, prononcer le nom de ce métal ; chacun se contentait de l'appeler « le mauvais rêve ». En effet, on disait que toute personne qui rêvait de l'or mourrait avant l'aube. Les mansa du Manden avaient trouvé cette astuce pour avoir la main-mise sur l'or ; ils décrétèrent qu'aucun pauvre ne devait conserver de l'or, et que tout individu qui viendrait à entrer en possession de ce métal devrait le remettre à l'autorité. »

Wa Kamissoko, in Y.T. Cissé, La grande geste du Mali, T.1, Kartala 1988

La lance

« Quant à la lance, elle fut, à l'origine, un bâton d'appui, au Manden. Lorsque l'homme vieillissait et devenait un grand vieillard, c'est-à-dire n'avait plus la force de lutter, de lancer des flèches ou de tirer au fusil — en ces temps-là, au Manden, il n'y avait pas de toilettes —, le vieillard attendait le crépuscule pour aller hors du village. On forgeait un fer que le vieillard, en se rendant derrière le village, adaptait à un bout du bâton qui lui servait d'appui. C'est ainsi qu'au fil du temps la lance, arme pour vieillard et patriarche, devint attribut des mansa. Cela intervint, dis-je, à l'époque où il n'existait pas de toilettes dans les maisons au Manden. Telle est l'histoire de la lance. »Wa Kamissoko, in Y.T. Cissé, La grande geste du Mali, T.1, Kartala 1988

L’argent

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« L'argent blanc, l'argent-métal, n'était pas, autrefois, utilisé dans le domaine des achats et des ventes. Quand l'argent-métal fut introduit chez nous, ce qui servait de monnaie, c'était le cauris. Oui, c'étaient les « grains » de cauris qui constituaient notre wari, notre monnaie nationale. L’argent métal était extrait des mines et entrait dans la confection des objets de culte : tout masque de Komo […] comportait de l’argent-métal. »

Wa Kamissoko, in Y.T. Cissé, La grande geste du Mali, T.1, Kartala 1988

Le pouvoir des femmes

« Les femmes qui étaient dotées par Dieu de connaissances exceptionnelles mettaient ces connaissances au service de leur mari avant de pouvoir le trahir, le moment venu. En effet, nombreux furent, au Manden, les mansa qui périrent par la faute, la trahison de leur épouse. Hormis ces cas extrêmes, il est certain que partout où un homme peut, c’est une femme qui l’aide à pouvoir. »

Wa Kamissoko, in Y.T. Cissé, La grande geste du Mali, T.1, Kartala 1988

Les mystères de la femme

« Les doundariya, mystères, qu'incarne la femme sont au nombre de sept mille sept cent soixante-dix-sept : chaque homme ne connaît qu'un seul de ces mystères-là ; celui qui en connaîtra deux mourra célibataire. […] Si une femme tombe amoureuse d'un homme […] dès que cet homme la recevra et lui souhaitera la bienvenue, elle refoulera aussitôt, au plus profond d'elle-même, l'amour qu'elle a pour son homme, afin de ne lui laisser voir que le doundariya. Et quand viendra l'heure d'aller se coucher, elle attendra que son amant lui dise : ‘Allons dormir’, pour daigner aller se mettre au lit, car le doundariya lui interdit de prononcer ces mots, même si elle tombait de sommeil. […] Ainsi, chaque homme ne connaît de la femme que ce doundariya, c'est pourquoi il parvient à la garder sous son toit. Celui qui découvre chez la femme une attitude autre que celle-là mourra célibataire, et il courra se réfugier en brousse dès que l'on prononcera en sa présence le mot ‘femme ". »

Wa Kamissoko, in Y.T. Cissé, La grande geste du Mali, T.1, Kartala 1988

L’origine des épouses

« L’idéal pour un homme était d’avoir quatre femmes — ou plus exactement quatre types de femmes : une fasso mousso, ‘femme de sa patrie’ donnée en mariage par sa famille ; une galo dougou mousso, ‘femme de la grande ville’, qui connaissait les bonnes manières et que l’on choisissait soi-même ; une tara mousso que l’on prenait à la guerre et qui devait, si

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Actes des 10e Rencontres de La Dur@nce

possible, être une fille de bonne famille ; une djòn mousso, ‘femme esclave’ que l’on achetait sur le marché et qui devait être belle au possible. »

Youssouf Tata Cissé, Wa Kamissoko, La grande geste du Mali, T.2, Kartala 1991

L’autorité royale

« Une fois l'an, tous les représentants du Mansa du Manden, où qu'ils se trouvaient, se réunissaient autour de leur chef. Tout ce qui devait être fait, dit ou aboli dans le pays faisait l'objet de débats au terme desquels le mansa indiquait la voie à suivre et décrétait les lois à mettre en œuvre. C’est ainsi que le Mansa du Manden exerçait son autorité. »

Wa Kamissoko, in Y.T. Cissé, La grande geste du Mali, T.1, Kartala 1988