Vrais et faux changements dans les administrations en Europe

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VRAIS ET FAUX CHANGEMENTS DANS LES ADMINISTRATIONS EN EUROPE Jacques Ziller E.N.A. | Revue française d'administration publique 2003/1 - no105-106 pages 67 à 79 ISSN 0152-7401 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2003-1-page-67.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Ziller Jacques, « Vrais et faux changements dans les administrations en Europe », Revue française d'administration publique, 2003/1 no105-106, p. 67-79. DOI : 10.3917/rfap.105.0067 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour E.N.A.. © E.N.A.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 130.126.32.13 - 14/05/2013 22h14. © E.N.A. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 130.126.32.13 - 14/05/2013 22h14. © E.N.A.

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VRAIS ET FAUX CHANGEMENTS DANS LES ADMINISTRATIONS ENEUROPE Jacques Ziller E.N.A. | Revue française d'administration publique 2003/1 - no105-106pages 67 à 79

ISSN 0152-7401

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Ziller Jacques, « Vrais et faux changements dans les administrations en Europe »,

Revue française d'administration publique, 2003/1 no105-106, p. 67-79. DOI : 10.3917/rfap.105.0067

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MODERNISER OU TRANSFORMERLES ADMINISTRATIONS ?

VRAIS ET FAUX CHANGEMENTS DANS LESADMINISTRATIONS EN EUROPE

Jacques ZILLER

Professeur à l’Institut universitaire européen de Florence

Vrais et faux changements dans les administrations en Europe : il est plus facile d’enparler à bâtons rompus que de les analyser. L’idée des faux changements est néeprobablement d’un agacement devant la façon dont le débat sur la réforme administrativesuit les modes, et devant les comparaisons hâtives opposant les « nouvelles » adminis-trations aux « vieilles ».

Une forme de rhétorique est privilégiée dans la présentation des réformes adminis-tratives — en particulier la présentation orale dans les conférences, sessions de formationou colloques : l’opposition entre l’ancien système et le nouveau. Cette forme derhétorique est à l’origine d’appellations fermement établies comme le New PublicManagement 1 ou les nouvelles formes de gouvernance 2. Elle est particulièrementirritante du fait qu’elle est utilisée pour un discours normatif (ou prescriptif) avec unvocabulaire analytique (ou descriptif). La nouveauté n’est en soi ni une valeur positiveni une valeur négative, n’en déplaise aux politiques ou journalistes si prompts à opposerla « nouvelle Europe » à la « vieille ». Il ne s’agit pas uniquement d’agacement :l’opposition hâtive entre une administration « ancienne », le plus souvent caricaturéepour les besoins d’une présentation suffisamment contrastée, et d’une gestion « nou-velle » présentée comme une innovation importante — quand ce n’est pas une panacée— empêche une appréciation comparative des changements et de leur efficacité. Lamodernisation des administrations est nécessaire, comme celle des entreprises ou detoutes les autres organisations insérées dans un environnement évolutif, leur transfor-mation complète peut être ou non nécessaire. Le présupposé de la valeur positive duchangement risque au mieux d’empêcher la recherche des éléments d’étude et d’inspi-

1. Voir les articles de Colin Talbot et de Walter Kickert dans ce numéro.2. Voir Gouvernance européenne, un livre blanc, Bruxelles, Commission européenne, 2001 Document

COM(2001) 428 final.

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ration dans des pays qui semblent peu changer, au pire elle est susceptible de pousser despolitiques, des décideurs publics ou des agences bailleresses de fonds à engager desréformes sans nécessité ni fondement.

La distinction entre vrais et faux changements implique un travail d’histoirecontemporaine pour lequel les praticiens sont mal armés, et auquel les universitaires nese livrent que peu. La difficulté en matière d’analyse comparée est l’absence decorrespondance chronologique d’un pays à l’autre. La plupart des réformes sont uneréponse immédiate à une situation donnée : à supposer que ces réformes répondent àun ancien système inadapté dans un pays et conduisent à un véritable changement dansce même pays, l’on ne peut en déduire que l’ancien système en place dans le paysvoisin ait eu les mêmes défauts. La réforme de la comptabilité publique en Grande-Bretagne dans les années quatre-vingt s’est appliquée à un système largement plusancien et plus mal adapté aux nécessités du XXe siècle que celui qui était en place enFrance ou en Allemagne. Cela ne signifie pas que le système français ou allemand nenécessitait pas de réforme mais cela implique certainement que celles qui ont étéopérées en Grande-Bretagne ne pouvaient être transposées, ni même efficacementcomparées avec celles qui étaient engagées (ou étaient évitées) ailleurs.

La difficulté principale dans la recherche d’une distinction entre vrais et fauxchangements tient à l’absence d’instruments de mesure et d’étalons permettant d’opérerune comparaison utile dans le temps ou dans l’espace. Plus précisément, s’il est sansdoute possible de mesurer les changements et leurs effets dans le cadre d’unemicro-analyse du système administratif, cette mesure est de plus en plus difficile àmener lorsque que le niveau d’analyse s’élève, et elle devient tout à fait impossiblelorsqu’un système tout entier est pris en compte. À supposer qu’une analyse compa-rative en termes quantitatifs soit significative, les données sont de plus en plus difficilesà obtenir au fur et à mesure que s’élargit le champ, ce qui obère les possibilités decomparaison dans le temps. Dès lors que des systèmes différents sont comparés, deuxfacteurs supplémentaires rendent la tâche plus compliquée, voire impossible : les modesde calcul et d’agrégation des données varient d’un pays à l’autre, et les séries dedonnées ne sont pas recueillies dans la même période 3. L’évaluation de la réalité deschangements est donc nécessairement impressionniste et subjective, donc conditionnéepar des présupposés plus ou moins conscients et la plus ou moins grande connaissanceque l’on a des différentes périodes ou pays pris en compte.

Une approche cartésienne permettrait, peut-être, de réduire ce type de difficultéssans l’éliminer tout à fait. En l’espèce elle consisterait à utiliser une matrice pour leclassement des réformes administratives qui devrait permettre pour le moins d’affinerl’analyse des changements eux-mêmes, voire de rendre possible une comparaison. Unetelle matrice est présentée ici comme proposition d’instrument pour des comparaisonsqui restent à faire, suivie de quelques réflexions d’ordre comparatif fondées plus oumoins directement sur cette grille et qui essaient de pousser un peu plus avant l’idéedes vrais et faux changements.

3. Voir l’essai de comparaison en termes d’effectifs de la fonction publique dans la première édition demon ouvrage Administrations comparées — Les systèmes politico-administratifs de l’Europe des Douze, Paris,Montchrestien, 1993, p. 350 et s. ; la deuxième édition (en cours d’achèvement) renonce à une telle tentative.

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TYPOLOGIE SOMMAIRE DES RÉFORMES ADMINISTRATIVES ÀDES FINS COMPARATIVES

La matrice proposée repose sur la distinction entre niveaux de réforme et nature dela réforme. Je reconnais volontiers qu’elle reste sommaire, voire embryonnaire.

Réforme Appel-lation

Cadrerégle-

mentaireStructure Modes

de fonctionnementCompor-tements

Micro

Meso

Macro

Global

En ligne, je propose de distinguer entre quatre niveaux de réforme (le cas échéant,niveaux d’analyse de la réforme) : micro, meso, macro et global, afin de réduire lespossibilités de querelles de frontières. En colonne je propose la distinction entre cinqtypes de réforme, fondée sur leur objet.

Niveaux de réformes

La micro-réforme est une tentative de changement portant sur un élément aisémentidentifiable de l’administration ou de son fonctionnement (par exemple le remplacementd’une nomination « à vie » par un contrat à durée déterminée ou encore l’assouplisse-ment des modalités d’application du principe de l’annualité budgétaire). La macro-réforme est une tentative de changement d’ordre constitutionnel — étant entendu quecela ne signifie pas nécessairement une révision de la constitution écrite. L’exemple typeen est donné par les grandes réformes décentralisatrices en Espagne, en France, en Italie,ou plus récemment au Royaume-Uni. Une méso-réforme se situe au niveau intermé-diaire, quoi que cela puisse signifier exactement en termes de délimitations. L’introduc-tion de nouvelles structures telles que les agences d’exécution au Royaume-Uni, auxPays-Bas, en Italie ou à la Commission européenne en est un exemple caractéristique.Une réforme globale est une tentative de changement s’appliquant à tous les niveaux àla fois. Il peut soit s’agir d’un plan de réformes mis en œuvre à un moment donné,comme les réformes Bassanini en Italie à la fin des années quatre-vingt dix, soit devagues successives de réformes de différents niveaux, comme les réformes introduitessous le gouvernement Thatcher dans les années quatre-vingt.

Malgré son caractère sommaire, ce type de distinction permet à mon avis de mieuxsituer l’analyse comparative : un pays donné peut faire l’objet de réformes de différentsniveaux à différents moments. Un minimum d’honnêteté intellectuelle consiste à necomparer que des réformes de même niveau. De plus, une comparaison incluant uneappréciation de l’effectivité de ces réformes devient de plus en plus difficile au fur et àmesure que l’on élève le niveau d’analyse. Elle est praticable et peut comporter unélément normatif pour les micro-réformes, elle est extrêmement difficile et ne peut à monavis pas aller au-delà du descriptif pour les réformes globales.

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Objets de réformes

Les réformes d’appellation ne sont pas négligeables — en témoigne le débatpassionné autour du New Public Management. Il s’agit d’une modalité particulière del’effet d’annonce sur lequel comptent les politiques pour soit amorcer un vrai change-ment soit donner une impression de dynamisme à leurs électeurs. Mais la réalité duchangement reste bien souvent minime et peut au mieux se traduire à terme par unemodification de la culture du système politico-administratif. Les modes et la langue sontparticulièrement pernicieuses : le recours à des termes en langue anglaise auxquels onattribue à tort une signification précise alors qu’ils sont relativement flous outre-Mancheet outre-Atlantique, est particulièrement important. En particulier, l’utilisation d’unmême mot ou de mots différents dans différents pays ou à différentes périodes induit lesentiment fallacieux d’une comparaison possible, ou encore impossible : le managements’opposerait à la gestion, la gouvernance serait aisément identifiable, etc.

Les réformes du cadre réglementaire sont le lot commun de la réforme administra-tive dans la plupart des pays d’Europe. Une connaissance comparative insuffisanteconduit néanmoins à des erreurs d’analyse souvent importantes, dont une en particulierdoit être ici dénoncée. Que n’entend-on en effet opposer la flexibilité « anglo-saxonne »au juridisme français ou allemand par exemple ! Et d’attribuer au Common Law descaractéristiques de souplesse tout à fait erronées. Une comparaison triangulaireRoyaume-Uni — États-Unis — France (ou Allemagne) fait immédiatement ressortir lecaractère totalement hors normes du modèle britannique 4. C’est la combinaison de troisprincipes tout à fait particuliers de la Constitution coutumière du Royaume-Uni quiexplique la flexibilité du modèle britannique : l’absence de constitution écrite, l’inclusionde l’organisation et du fonctionnement de l’administration d’État (le Civil Service) dansle champ de la prérogative royale, qui est aux mains du Cabinet, et le caractère très limitédu contrôle juridictionnel sur le pouvoir législatif et réglementaire. L’administrationfédérale des États-Unis n’a rien à envier au plus tatillon des systèmes d’Europecontinentale pour ce qui est de l’utilisation de textes détaillés, dans son fonctionnementcomme dans sa réforme. On peut regretter ou accepter ce dernier phénomène : il n’est pasle résultat d’une culture plus bureaucratique que celle du Royaume-Uni, mais celui derègles constitutionnelles et de leur interprétation à l’occasion de litiges soumis aux juges.La culture en est le résultat, non la cause.

Les réformes de structure se distinguent des réformes du cadre réglementaire par lefait qu’elles sont l’objet du changement, alors que les précédentes n’en sont qu’uninstrument. Il s’agit le plus souvent de meso — ou de macro — réformes. Le problèmeessentiel tient ici à la difficulté du travail sur le terrain : alors que l’analyse d’une réformeréglementaire ou para-réglementaire (fondée sur des circulaires) peut se contenter del’étude des textes, l’analyse des réformes de structure nécessite en principe l’utilisationd’outils d’analyse sociologique beaucoup plus lourds et coûteux. Les différences entermes d’effectivité du droit rendent l’analyse comparative particulièrement difficile. Cesdifférences concernent à la fois le respect pour le droit et l’organisation du droitlui-même. Certaines administrations travaillent plutôt en suivant la circulaire — en

4. Pour une analyse comparative des droits administratifs du Royaume-Uni et des États-Unis, voir Craig(Paul), « Administrative Law in the Anglo-American Tradition », in : Peters (B. Guy) et Pierre (Jon), Handbookof Public Administration, Sage, Londres, 2003 p. 269 s., et pour une comparaison avec les systèmes d’Europecontinentale Ziller (Jacques), « The Continental System of Administrative Legality », in : Peters (B.G.) etPierre (J.), précité, p. 260 s.

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principe sans effet juridique — et non la loi ou le règlement : c’est le cas del’administration française par habitude, mais aussi de l’administration britannique du faitque la prérogative royale permet largement d’éviter le texte juridiquement contraignant.Dans ces pays, ce sont les circulaires qui devraient servir à l’analyse, non les règlements.Le foisonnement des textes contradictoires à force juridique contraignante est un autrefacteur de manque d’effectivité, particulièrement important en Italie par exemple. Parcontraste, l’administration allemande (d’origine prussienne) repose sur un professionna-lisme juridique qui explique une beaucoup plus large correspondance entre fait et droit.Les habitudes procédurières des citoyens et administrés, ainsi que l’organisation de laprofession juridique dans chaque pays font le reste, renforçant en général les autresfacteurs.

Les réformes de fonctionnement sont à la micro-réforme ce que les réformes destructure sont à la macro — ou meso — réforme : elles devraient être le véritable objetdu changement, alors que les réformes réglementaires ou para-réglementaires n’endevraient être qu’un instrument. Leur objet est la modification des mécanismes etroutines applicables à la solution des problèmes, alors que les réformes de structuresvisent le cadre de fonctionnement. Ces réformes font l’objet de nombre de textes decaractère descriptif présentés dans des colloques internationaux, ainsi que parfoisd’articles techniques dans des revues très spécialisées, mais il s’agit souvent de sourcesqui ne contiennent aucun élément facilitant la comparaison, en particulier lorsqu’elles seréfèrent à des expériences supposées dans d’autres pays : la France continue d’être citéecomme parangon de la décentralisation vingt ans après les réformes Deferre, et alors quela séduction des termes devolution et local government conduit à présent à se référer auRoyaume-Uni comme exemple de décentralisation, bien que ce pays reste un des pluscentralisés d’Europe.

La catégorie des réformes de comportement ne nécessite guère d’explication, mesemble-t-il. Elles sont particulièrement difficiles à analyser en termes de projet, car peud’entre elles reposent sur un instrument réglementaire ou para-réglementaire, même sielles en sont parfois la conséquence. Elles sont plus faciles à analyser en termesd’effectivité, bien que cette analyse nécessite également, pour être sérieuse, l’utilisationdes outils du sociologue ou de l’anthropologue.

DE QUELQUES VRAIS ET FAUX CHANGEMENTS

La « nouvelle gestion publique » (New Public Management)

À ma connaissance, l’utilisation du terme « nouvelle gestion publique » est apparueen 1975, avec la publication du livre de Michel Massenet, alors directeur général de lafonction publique 5 ; c’était la période de la rationalisation des choix budgétaires (RCB),avatar français et sophistiqué du Planning Programming Budgeting System (PPBS). Leseul point commun entre cette nouvelle gestion publique et le New Public Management

5. Massenet (Michel), La nouvelle gestion publique : pour un État sans bureaucratie, Suresnes, ÉditionsHommes et techniques, 1975.

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qui se développe une décennie plus tard est peut-être bien l’opposition entre « nouvelle »gestion publique et « ancienne » bureaucratie.

Une simple tentative de classement du New Public Management dans la matriceexposée précédemment fait ressortir l’ambiguïté de l’expression. Il ne s’agit pas d’uneréforme à proprement parler, ni d’une doctrine de l’administration publique. L’étiquettes’applique à une série de réformes diverses, pour la plupart des micro-réformes dans ledomaine des appellations, des modes de fonctionnement, des comportements, voire ducadre réglementaire. L’ambiguïté est immense. Pour les uns le terme New PublicManagement englobe toutes les micro-réformes de la gestion publique, telles qu’elles ontété introduites en particulier au Royaume-Uni dans les années quatre-vingt et quatre-vingt dix, quelle que soit la philosophie qui les sous-tend. Pour d’autres il s’agit de toutesles micro-réformes puisant leur inspiration dans les pratiques de l’administrationd’entreprise. Pour d’autres enfin il s’agit de réformes dont la philosophie est nécessai-rement une version caricaturale du néolibéralisme. À supposer que l’on puisse établir demanière incontestable qu’un pays suit ou non les tendances du New Public Management,cela ne permet guère de tirer la moindre conclusion sur la réalité des réformes, et encoremoins de les comparer avec celles qui ont lieu ailleurs.

Le cas le plus manifeste de ce genre de problèmes est celui de la Nouvelle-Zélande,présentée comme le flambeau du New Public Management y compris en Europe et dontl’insularité en plein milieu du Pacifique, la taille respective du territoire et de lapopulation ainsi que l’absence d’une vieille tradition fortement enracinée rend pourtantle cas particulièrement difficile à comparer avec d’autres.

La réforme de la gouvernance

L’histoire contemporaine du terme governance mérite d’être approfondie. À maconnaissance, l’expression Corporate Governance est apparue d’abord dans la littératurede droit des sociétés commerciales aux États-Unis, dans les années soixante-dix. Ils’agissait d’ouvrir la « boîte noire » de l’entreprise, pour aller au-delà de la prise encompte du seul intérêt des actionnaires (Share Holders) dans les structures et lefonctionnement des sociétés commerciales et tenir compte d’autres intéressés (StakeHolders) à l’intérieur de l’entreprise (les salariés) comme à l’extérieur (les clients etfournisseurs, voire le reste de la société). Le terme Governance a ensuite été introduitdans les programmes d’ajustement structurel par la Banque mondiale au début desannées quatre-vingt dix pour expliquer le changement dans le point focal de la réformeadministrative, qui ne devait plus se limiter à l’organisation des ministères et aupersonnel de la fonction publique, mais s’étendre à d’autres institutions du systèmepolitique et administratif des pays récipiendaires. Puis le terme a fait fureur, grâce à sonmanque évident de précision : les francophones ont accepté de le traduire par gouver-nance lorsqu’ils ont enfin compris que le terme Governance n’avait pas une significationplus établie ni plus ancienne en anglais que le néologisme « gouvernance » en languefrançaise.

Au-delà de l’étiquette, l’utilisation du terme gouvernance dénote tout au mieux unefaçon d’envisager le secteur public dans son ensemble et donc une philosophieprivilégiant la réforme globale. Parler de « nouveaux modes de gouvernance » comme lefait le livre blanc de la Commission européenne de 2001 est au mieux une formulecommode pour résumer des procédures plus ou moins nouvelles en soi, mais non encore

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utilisées de façon systématique. L’absence d’une définition un tant soit peu précise etcommunément partagée de la gouvernance a pour conséquence son manque d’utilité dansl’appréciation comparative des changements dans les États : la gouvernance pourrait trèsbien englober toutes les cases de la grille d’analyse proposée ci-dessus, sans pour autantdonner le commencement d’un étalon de mesure.

La mise en place d’agences d’exécution

L’introduction des agences d’exécution dans les structures administratives enEurope est l’un des types de réformes les plus faciles à identifier et à analyser en termesdescriptifs. Le mouvement commence avec le rapport Next Steps de 1987 et se développedans la décennie suivante au Royaume-Uni, en Irlande, aux Pays-Bas, en Italie et en 2003dans l’administration de l’Union européenne. La réforme a été vendue à l’étrangercomme à l’intérieur du Royaume-Uni de façon particulièrement spectaculaire, commeune rupture complète avec le modèle d’organisation hiérarchique de type webérien 6. Cetype de réforme structurelle est également introduit en France, mais avec un vocabulairedifférent (centres de responsabilités) et une optique plus expérimentale. La comparaisonmontre que le même type de réforme peut relever ici de la meso-réforme de structure(Royaume-Uni, Pays-Bas) et d’appellation (Next Steps Agencies), là de la micro-réformeréglementaire et de mode de fonctionnement (France, Union européenne), ailleurs de laréforme réglementaire globale (Italie, Commission européenne).

Le cas de l’Union européenne est exemplaire. L’introduction d’un nouveau cadreréglementaire par les textes mis en place début 2003 pour les agences d’exécution est àjuste titre analysée comme un changement constitutionnel important par un des meilleursspécialistes de droit administratif britannique 7, car elle inscrit dans le droit communau-taire ce qui reste une simple pratique sans lien aucun avec l’État de droit (Rule of Law)outre-Manche. Mais la Commission européenne semble se garder de vanter les effortsstructurels ainsi engagés. Ceci est sans doute dû en partie à la confusion très largementrépandue entre les agences d’exécution d’une part, qui ne sont qu’une forme d’autono-misation de la production de certains biens et services par l’administration et dont lemodèle est sans doute le système suédois, avec d’autre part les agences de régulation(Regulatory Agencies), qui correspondent en France aux autorités administrativesindépendantes, dont le modèle de référence est constitué par un certain nombred’autorités fédérales américaines, dont l’indépendance réelle est d’ailleurs souventsurestimée 8. Si l’introduction d’agences d’exécution est incontestablement un change-ment important dans bien des pays d’Europe, il n’en reste pas moins que ses effets nesont guère mesurés, et que la comparaison risque d’être bien superficielle.

6. Reste à savoir si l’autonomie des agences est suffisante pour les faire sortir de tout lien hiérarchiqueavec le ministre. C’est un problème que j’ai essayé de traiter dans deux autres articles récents : « EuropeanModels of Government : “Towards a Patchwork with Missing Pieces” », Parliamentary Affairs, 2001,p. 102-119, et « De la nature de l’administration européenne », RFAP, n° 95, 2000, p. 357-368.

7. Craig (Paul), « The Constitutionalization of Community Administration », Jean Monnet WorkingPapers from Jean Monnet Chair, EconPapers, http ://econpapers.hhs.se/

8. L’analyse diffusée en Europe par Majone (Giandomenico), La Communauté européenne : un Étatrégulateur, Paris, Montchrestien, 1996, est en partie contredite par les réalités du droit administratif américain :voir Strauss (Peter), Administrative Justice in the United States, Durham, Carolina Academic Press, 2002 etCustos (Dominique), La commission fédérale américaine des communications à l’heure de la régulation desautoroutes de l’information, Paris, L’Harmattan, 1999.

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Les réformes de la fonction publique

La comparaison des réformes de la fonction publique est peut-être l’exercice le plussouvent tenté et pourtant le plus délicat 9. Selon les pays et selon les moments, la réformepeut être située à mon avis dans n’importe laquelle des cases de la matrice exposéeprécédemment. La concentration fréquente sur le cadre réglementaire induit d’importantseffets en trompe-l’œil, en particulier si elle s’accompagne d’étiquettes telles que la« privatisation ». L’histoire de la réforme du droit de la fonction publique italienne 10

dans la dernière décennie est exemplaire et n’a pourtant pas encore été écrite, peut-êtreparce qu’elle n’est pas terminée. Elle est exemplaire des possibilités de détournementscomme en témoigne la pratique du renouvellement des contrats de dirigeants à l’automne2002 par le gouvernement Berlusconi. Pourtant, si la réforme est importante en Italie, ellel’est encore bien plus en Grande-Bretagne, où l’on est passé d’une fonction publique decarrière très homogène et relativement monolithique à une multitude de systèmes ouvertsplus ou moins comparables, dont la culture a semble-t-il considérablement changé : grâceau principe de la prérogative royale, il n’y a pas eu besoin de lois ni de décrets et toutpeut être à nouveau changé rapidement en cas de nécessité comme en cas dechangements dans l’air du temps.

L’administration ouverte (Open Government)

L’administration ouverte (Open Government) ne figure pas en bonne place dans lalittérature récente sur l’administration publique, après avoir fait couler tant d’encre dansles années soixante-dix et celles qui ont suivi. Non que le phénomène se soit tari : laperception change. De la réforme globale, l’on paraît être passé à un ensemble demicro-réformes réglementaires et de comportement, portant sur l’accès aux documentsadministratifs, l’obligation de motiver, d’accuser réception et de suivre les dossiers et lalutte contre l’anonymat. Ce type de changements ne rencontre que peu d’opposition dela part des politiques mais dans les administrations elle se heurte à la pesanteur, à lamauvaise volonté parfois, au manque de ressources souvent. Ces changements sontpeut-être parmi les plus importants en ce qui concerne l’administration publique, maiss’ils peuvent facilement passionner le juriste (la définition du document administratiffaisant l’objet de l’obligation de communiquer peut être d’une subtilité byzantine), ilsn’offrent qu’un champ réduit à la conceptualisation abstraite et encore moins d’empriseà la lutte idéologique.

Le passage d’une administration fondée sur l’anonymat et reposant sur la fiction dela responsabilité ministérielle comme mécanisme fondamental de reddition des comptesà une administration ouverte, dont l’ouverture même devient ce mécanisme fondamental,sous la sauvegarde d’une autorité administrative indépendante du type ombudsman meparaît l’un des changements les plus importants des systèmes administratifs lors des deux

9. L’ouvrage d’Alain Claisse et Marie Christine Meininger, Fonctions publiques en Europe, Paris,Monchrestien, 1994 est un modèle du genre dont il démontre les limites. Bodiguel (Jean-Luc), Les fonctionspubliques dans l’Europe des douze, Paris, LGDJ, 1994, reste strictement descriptif et laisse tout le travailcomparatif au lecteur. Ces ouvrages n’ont pas été mis à jour, l’entreprise est de longue haleine.

10. Voir le numéro 70 de la RFAP, « L’administration italienne aujourd’hui », 1993, qui nécessiterait unecomplète mise à jour, beaucoup d’eau ayant coulé depuis lors sous les ponts de Rome et d’ailleurs en Italie.

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dernières décennies, comme je l’ai montré plus en détail ailleurs 11. Ce n’est qu’en 2000que le gouvernement britannique s’est lancé dans ce type de réforme, avec le Freedomof Information Act du 30 novembre 2000, et le renforcement important des institutionsindépendantes avec la création d’un Scottish Public Services Ombudsman et d’un WelshAdministration Ombudsman (et accessoirement le fait d’appeler désormais Parliamen-tary Ombudsman le Parliamentary Commissioner for Administration). L’accès auxdocuments publics par Internet donne toute sa consistance à ce type de réforme. Le faitmême que cette réforme soit venue très tard après l’introduction des agences d’exécutionet des « citizens charters » présentées comme tout entières au service des citoyens meparaît très significative lorsque l’on tente d’évaluer la réalité du changement. Mais sonanalyse en termes d’impact nécessite du temps.

Les transformations de l’administration territoriale

Luciano Vandelli analyse ailleurs dans ce numéro la transformation de l’État par lesdécentralisations. Du point de vue qui nous préoccupe ici, la décentralisation a pourconséquence principale une augmentation considérable de la complexité des États et deleurs administrations, qui rend de plus en plus difficile l’analyse comparative de tel outel aspect de la réforme administrative. Les réformes de l’administration territorialepeuvent porter sur chacun des quatre niveaux et chacun des cinq domaines identifiés dansla matrice proposée ci-dessus.

S’il était besoin de nous rappeler l’importance de la dimension territoriale de laréforme administrative, il suffirait de rappeler l’exemple de l’Allemagne : l’administra-tion allemande a la réputation de peu changer, et de rester un modèle d’administrationwebérienne efficace quoiqu’un tantinet traditionnelle. Pourtant l’administration alle-mande est manifestement celle qui a connu le plus grand changement dans les dixdernières années, avec la réunification : changements de l’ensemble du système du faitde l’accroissement du territoire de près d’un tiers, de la population de près d’uncinquième, et de l’implantation à l’est de toute une série de structures, réglementations,procédures et habitudes de travail nouvelles pour la plupart des agents ainsi que lapopulation des nouveaux Länder. Par comparaison, le Royaume-Uni, a pu d’autant plustranquillement absorber d’importantes réformes de son administration d’État sous lesgouvernements Thatcher et Major, qu’il était à l’abri du mouvement général dedécentralisation. Le gouvernement Blair a spectaculairement inversé la tendance avec ladécentralisation au profit de l’Écosse et du Pays de Galles, ainsi que la remise en placed’une administration du Grand Londres, mais il ne s’est pas encore attaqué en profondeurà la question de la décentralisation en Angleterre même. En France, comme en Italie eten Allemagne, les changements dans l’administration locale, celle des villes enparticulier, sont peut-être les plus profonds, mais également les plus difficiles à analyserdans une perspective d’ensemble. Bien des changements introduits dans l’administrationcentrale britannique (le Civil Service) ont leur équivalent ailleurs dans l’administrationdes villes. Mais la diversité des situations facilite par trop le scepticisme autant quel’enthousiasme, car elle fournit un abondant matériau d’histoires de succès commed’échecs retentissants.

11. Voir les références sous la note 7.

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Les réformes de la gestion financière

La réforme de la procédure budgétaire mise en place en France par la loi organiquedu 1er août 2001 a tour à tour été qualifiée de « réforme historique », de « réformetranquille » ou de « réforme en trompe-l’œil ». La nature même d’une telle macro-réforme de structure, implique que son impact ne pourra être analysé qu’une fois mis enplace les autres types de changement que la réforme appelle en termes de meso-réformesdu cadre réglementaire et de micro réformes des modes de fonctionnement. La Francereprend ainsi à son compte un certain nombre d’expériences mises en place avec unsuccès plus ou moins grand dans des systèmes aussi différents que le Danemark ou leRoyaume-Uni au début des années quatre-vingt, ou la Commission européenne vingt ansaprès.

L’objet de ce type de réforme (les finances publiques) induit la tentation d’enmesurer les effets en termes financiers, qui ont l’avantage d’être facilement quantifiables.Mais il s’agit là pour une large part d’un leurre car l’absence de possibilité decomparaison chiffrée « toutes choses égales d’ailleurs » entre les résultats obtenus dansle cadre de l’ancien et du nouveau système oblige à recourir à des projections qui sontaisément manipulables pour des raisons politiques, selon que l’on vent démontrer laréussite ou l’échec de la réforme. Plus encore, il s’agit de réformes qui ont égalementpour objet avoué un changement des comportements, lesquels ne peuvent être analysésqu’avec des instruments autrement plus complexes que les mesures chiffrées, et sur despériodes plus longues. L’expérience de la France comme celle de l’Italie en matière dedécentralisation devrait d’ailleurs être analysée conjointement avec l’analyse desréformes budgétaires proprement dites, car elles sont fondées sur les mêmes principesd’une recherche de responsabilisation des ordonnateurs.

La mise en place de l’administration électronique (e-government)

C’est avec quelques hésitations que les généralistes de l’administration publiqueabordent l’introduction des nouvelles technologies de l’information dans l’administra-tion. Les études de cas portant sur les micro-réformes sont pléthoriques, au risqueconstant de se perdre dans les aspects techniques. Les discours jouant sur les effetsd’annonce et plus largement d’appellation contribuent à un sentiment de malaise pourcelui qui tente une analyse comparée. L’effet même de l’usage de ces technologies peutêtre très variable.

Les principes de fonctionnement des programmes informatiques en font uninstrument idéal de l’administration webérienne. Selon le pays, l’introduction del’administration électronique peut se traduire simplement par un perfectionnement et uneaccélération des procédures traditionnelles, ou bien au contraire par la première tentativesérieuse de construction d’une administration webérienne aux lieux et place d’unebureaucratie fondée sur les exceptions, l’arbitraire et le laisser aller. Dira-t-on pour autantque le changement est véritable dans un cas, faux dans l’autre ?

La généralisation d’Internet change beaucoup plus fondamentalement la situation :le réseau fournit à la fois une solution nouvelle aux problèmes de cloisonnement entreservices et d’accès du public aux guichets, et la possibilité d’une administrationvéritablement ouverte, où le droit d’accès aux documents a un impact sur la viequotidienne. Il ne me semble pas que l’on ait déjà les moyens d’analyser ces

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changements, d’aller au-delà de la description des réformes et de l’introduction desnouvelles techniques.

L’européanisation de l’administration publique

Le thème de l’européanisation de l’administration publique est à mon avis l’un desaspects des changements en cours les moins bien analysés, au point qu’on a pu sedemander si le concept d’administration publique européenne correspond à une réalité ouà un mythe. Comme pour toutes les questions liées à l’impact de l’intégration européennesur la sphère publique et les politiques publiques, il n’existe pas de définition del’européanisation, et la problématique est facilement polluée par l’usage fréquent del’Europe comme prétexte par les hommes politiques. De ce fait, l’européanisation del’administration publique est souvent présentée en termes de convergence des systèmesadministratifs. La confusion est accrue du fait que les dépenses des administrationspubliques sont au centre de l’appareil réglementaire et statistique établi pour la mesurede la satisfaction des critères de convergence dans le cadre de l’Union économique etmonétaire.

L’européanisation de l’administration publique est pourtant un phénomène bien réel,quoique insuffisamment étudié 12. Il est indéniable qu’il existe une administrationpublique européenne composite. En font partie non seulement l’administration desinstitutions de l’Union, mais aussi toutes les administrations, nationales, régionales etlocales qui sont impliquées dans la mise en œuvre des politiques communes et du droitde l’Union. L’européanisation est le résultat de la participation de ces administrations àla mise en œuvre mais aussi à l’élaboration des politiques communes selon troisdifférents cas de figures. Ces politiques sont parfois gérées directement par la Commis-sion européenne, cas le moins fréquent : l’application des règles de concurrence en estl’exemple le plus important. Plus souvent, elles sont exécutées par les administrationsdes États membres et de leurs collectivités territoriales pour le compte de l’Union, caségalement peu fréquent lié à l’exercice de compétences exclusives : le tarif extérieurcommun est géré par les services des douanes des États membres. Le plus souvent ils’agit de l’administration indirecte des politiques décidées en commun par les gouver-nements des États membres à l’initiative de la Commission européenne qui exerceégalement la surveillance de cette administration indirecte. Ces différents mécanismesn’ont pas encore fait l’objet d’une étude comparative un tant soit peu poussée, et ne sontd’ailleurs que rarement analysés dans le cadre d’un État membre déterminé 13. Cetteabsence d’analyse empêche de prendre en compte un véritable changement dont il est sûrqu’il a lieu du seul fait de la participation des États à l’Union.

L’impact de l’intégration européenne est en train d’augmenter de manière peut-êtreinsuffisamment comprise, au point d’induire des changements importants dans toutes lesadministrations concernées, mais plus spécifiquement dans celles des États candidats àl’adhésion. Depuis la chute du mur de Berlin, la pression de l’Union européenne et lecontrôle exercé par la Commission européenne sur les administration des États d’Europecentrale et orientale s’est constamment accru. Y ont contribué les programmes Phare et

12. Voir RFAP n° 63, 1992, « La Communauté, un dialogue d’administrations ? » et n° 95, 2000,« L’administration de l’Union européenne ». Ces deux numéros de la RFAP font exception, mais il s’agitseulement de quelques coups de projecteurs et non d’une étude approfondie et comparative.

13. Chiti (Mario), Diritto amministrativo europeo, Milan, Giuffrè,1999.

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Sigma, puis les « Accords Europe » d’association de ces États à la Communautéeuropéenne. L’OCDE et la Commission européenne ont développé à cette occasion lesconcepts contestables d’acquis communautaire administratif et d’espace administratifeuropéen. Derrière ces jolies formules se cache une inégalité de traitement considérable :alors que la Commission n’a pas de titre de compétence qui lui permette d’induire desréformes de l’administration des États membres, ni même d’en évaluer le fonctionne-ment, elle a ces pouvoirs pour les États candidats, avec des moyens de sanction très forts,puisque son avis est déterminant pour la poursuite du processus de négociation. Laconclusion du traité d’adhésion de dix nouveaux États membres ne met pas fin auphénomène : pendant la période de transition qui suivra l’adhésion au premier mai 2004,la Commission conservera ses pouvoirs de surveillance, ainsi que la possibilité deprendre toutes mesures utiles 14. Il s’agit d’un pouvoir plus important que celui dont elledisposait dans le cadre limité du charbon et de l’acier jusqu’à l’extinction du traité CECAen juillet 2002, d’autant que la période de transition pourra être prolongée pour l’un desnouveaux États membres si la Commission estime que les réformes n’ont pas suffisam-ment avancé.

Il se peut pourtant que l’idée de l’espace administratif européen se développe plusavant dans les années à venir sous la forme d’une coordination horizontale plusstructurée. À la fin des années quatre-vingt, des réunions entre directeurs généraux de lafonction publique ont commencé à se mettre en place, poursuivies par des réunions entreministres en charge de la fonction publique, avec des ordres du jour limités mais avec dela continuité dans le mouvement. La tentation est grande de fixer des objectifs deconvergence en matière administrative par une sorte de réplique de la méthode ouvertede coordination, telle qu’elle est pratiquée en matière de politiques de l’emploi. Mais laqualité de cette méthode est précisément d’être à l’opposé des tentatives d’harmonisationstructurelles ou réglementaires. Un potentiel d’européanisation plus approfondi se trouvepeut être derrière l’article III-180 du projet de Constitution de l’Union européenne adoptéle 13 juin par la Convention sur l’Avenir de l’Europe 15 :— La mise en œuvre effective du droit de l’Union par les États membres, qui estessentielle au bon fonctionnement de l’Union, est considérée comme une questiond’intérêt mutuel.— L’Union peut appuyer les efforts déployés par les États membres pour améliorer leurcapacité administrative à mettre en œuvre le droit de l’Union. Cette action peut consisternotamment à faciliter les échanges d’information et de fonctionnaires ainsi qu’à soutenirdes programmes de formation et de perfectionnement. Aucun État membre n’est tenu derecourir à cet appui. La loi européenne établit les mesures nécessaires à cette fin.— Le présent article n’affecte pas l’obligation des États membres de mettre en œuvre ledroit de l’Union ni les prérogatives et devoirs de la Commission. Il n’affecte pas non plusles autres dispositions de la Constitution qui prévoient une coopération administrativeentre les États membres ainsi qu’entre eux et l’Union.

De nombreuses précautions sont prises pour éviter tout caractère contraignant à cetarticle. Du point de vue qui nous intéresse ici, il faut mettre en évidence que l’une desconséquences de cette disposition pourrait être la mise en place à la Commission

14. Article 38 du traité d’adhésion de la République tchèque, de l’Estonie, de Chypre, de la Lettonie, dela Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne, de la Slovénie et de la Slovaquie, signé à Athènes le 16 avril2003. http ://europa.eu.int/comm/enlargement/index_fr.html

15. Document CONV 802/03 du 12 juin 2003, http ://european-convention.eu.int/

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européenne d’un service de surveillance (monitoring) de la gestion publique dans lesÉtats membres, qui pourrait reprendre dans le cadre de l’Union européenne ce qui a étédéveloppé par le service de gestion publique (PUMA) de l’OCDE, récemment rebaptisédirection de la gouvernance publique et du développement territorial (GOV). Les centresd’intérêt d’un tel service dans le cadre de l’Union seraient plus aisément identifiables dufait de la concentration sur la mise en œuvre effective du droit de l’Union.

Cela pourrait même favoriser le développement de critères de mesure du change-ment, permettant de distinguer les vrais des faux changements. Il n’est pas interdit derêver.

CONCLUSION : COMPARER, POUR QUOI FAIRE ?

Les questions et hypothèses qui viennent d’être développées pourraient inviter aupessimisme vis-à-vis de l’utilité de la méthode comparative. Certes, les référencescomparatives ne sont que trop souvent un argument de rhétorique chez les politiquesmais aussi dans certains travaux universitaires qui ne reposent pas sur un travail ni surune méthode comparative suffisamment développés. De même, les rencontres interna-tionales de praticiens ne comportent que trop rarement des travaux comparatifssolidement préparés, car le temps nécessaire à une étude approfondie des contextes n’esten général pas disponible pour les participants à ces rencontres. Est-ce une raison pourabandonner le comparatisme ? Non, bien au contraire. C’est à mon sens une raison pourdévelopper l’enseignement et l’usage de la méthode comparative comme base pour lestravaux de recherche en administration publique dans toutes les institutions concernées :universités comme écoles ou instituts d’administration. Pour ce faire, ce qui manque leplus est l’initiation à la méthode comparative dans un contexte disciplinaire plus large :le droit comparé, la politique comparée, la sociologie et l’anthropologie comparéedoivent être maîtrisés par les chercheurs s’ils veulent avoir une influence utile sur lestravaux des praticiens.

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