VOUVOYER L’INVISIBLE - Val de Marne, France

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VOUV

OYER

L’IN

VISI

BLE

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HERVÉ TÉLÉMAQUE petit bleu, petit rouge

OLIVIER PEYRONNET petit rouge, petit jaune

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Hervé Télémaque Vouvoyer l’invisible Olivier Peyronnet

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Il est devenu habituel de parler de l’effritement des solidarités ou de l’effacement du lien social. La pratique de l’art a toujours consisté à restaurer quelque chose de ce lien, à embarquer celui qui regarde dans une aventure commune avec celui qui produit des tableaux, des images, des situations. L’artiste imagine dans l’idée de partager. Quel peut être aujourd’hui ce partage pour deux artistes vivant à Villejuif ?

Ça a commencé comme ça, sur le pas de la porte de leur atelier ou alors à Arcueil, à la Galerie municipale Julio Gonzalez. Ces espaces de rencontre jouent à l’évidence un rôle important dans le projet qui réunit Hervé Télémaque et Olivier Peyronnet.

Travailler ensemble, quand on est artiste, n’est pas entreprise facile. Chacun a sa vie et sa sensibilité, le travail déjà accompli et les réseaux tissés avec sa génération. Pour que quelque chose naisse du partage, par delà barrières et habitudes, il a fallu un vrai désir, une généreuse volonté d’ouverture. Et chacun a dû s’imaginer un rôle dans ce dispositif improbable.

Hervé Télémaque a trouvé sa place en déclarant dans un sourire : « je suis un peu comme l’oncle maternel ». Cette référence au système des relations de parenté souligne le fait que l’oncle joue, pour le fils de sa sœur, un rôle distinct et souvent opposé à celui du père1. Il assure une fonction symbolique qui renforce les liens et les solidarités avec son neveu. Lévi-Strauss rappelle qu’on oublie souvent que « la trame de la plus grande partie des romans chevaleresques tourne autour des rapports entre l’oncle maternel et l’un ou plusieurs de ses neveux. Roland est le neveu utérin de Charlemagne ; Vivien celui de Guillaume d’Orange ; Gautier, de Raoul de Cambrai ; Perceval, du roi du Graal ; Gauvain, du roi Artus ; Tristan, du roi Marc ; Gamwell, de

Hervé Télémaque et Olivier Peyronnet se rencontrent en septembre 2009.Leurs ateliers se trouvent à présent dans la même impasse à Villejuif. Depuis les échanges se multiplient. La partie est lancée.

Page 3 : Dans l’Atelier d’HT en septembre 2016.

1 Marco Livingstone relève que, dans les années 70, afin de prendre distance d’avec le nom hérité du père, Hervé a signé plusieurs de ses œuvres du nom de jeune fille de sa mère, Brouard. In : Catalogue de l’exposition du Centre d’art de Tanlay, ADAC-Yonne, 1999, p. 12

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Deuxième set... avantage Télémaque !

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Robin des bois... »2. L’oncle maternel accueille, soutient et partage. Il crée ce faisant ce qu’on pourrait appeler une « parenté spirituelle » avec son neveu.

Comme en réponse, Olivier Peyronnet, insiste sur le rôle que jouent certaines pièces de son ainé dans la construction de sa propre œuvre. Il raconte comment des morceaux de sculpture délaissés par celui-ci furent recyclés dans le contexte de son travail, non sans qu’il ait pris soin de préserver les traces encore présentes de leur première affectation. Ainsi, contrairement à ce qui arrive en général dans la relation entre deux générations, les compères ont établi une véritable relation de réciprocité. Ils ont mis en place un jeu de dons et contre-dons qui prend appui sur l’inégalité de leurs positions afin de mieux la dépasser et la faire fructifier.

Le titre qui avait d’abord été envisagé pour cette exposition était « Tutoyer l’invisible ». Il faisait résonner la complicité entre les deux hommes et leur commune attention à l’imaginaire des matériaux dans lesquels se fabriquent les œuvres. Il célébrait leur curiosité partagée pour ce qui se cache derrière l’évidence de la chose et de l’image. Mais un « neveu » tutoie d’autant moins son « oncle maternel » que la richesse de leur relation repose sur la distance qui existe entre leurs territoires. C’est de leurs différences qu’ils s’enrichissent. On décida donc que l’exposition s’intitulerait, avec un brin d’ironie : « Vouvoyer l’invisible ».

« Vouvoyer » invite à la distanciation. Vous voyez d’autant mieux que vous échappez à l’ensorcellement de l’évidence, à la fascination de l’illusion mimétique. En cela nos deux artistes sont maîtres. Le regard qui se fixe sur l’image, à force d’insistance, en découvre l’envers et la faille mais aussi la poésie, celle qui ouvre les chemins de traverse. Ainsi cette noix, dite coco-fesses, qui prend d’abord, sous notre regard, la forme du corps humain et caresse dans le sens du poil les phantasmes

érotiques. Mais il ne faut pas s’arrêter au début du chemin : cet objet singulier apporte également une riche palette de formes que l’artiste pourra faire varier à l’infini dans ses tableaux. De même telle tache abandonnée sur un matelas, dont l’imagination fait d’abord la trace du désir et du plaisir, l’artiste la relit comme une empreinte génétique qui ouvre son imagination sur le thème de la succession des générations cependant qu’en une autre métamorphose, elle devient un motif pictural qu’il compose sur sa toile en une combinatoire aussi infinie que la course des spermatozoïdes.

Les images et leur manipulation, les matériaux et leurs puissances symboliques, comme le marc de café qu’on retrouve sous diverses formes dans l’exposition, sont pour l’un et l’autre des embrayeurs de pensée, les gonds autour desquels tournent les portes du mystère et les hasards de la vie. Walter Benjamin disait qu’aux puces parisiennes, l’imagination des surréalistes allait au marché. Hervé et Olivier furètent sur la piste des matières et des objets parce qu’ils savent que, derrière leur visage apparemment anodin, ceux-ci recèlent des possibles inouïs à déplier sous nos yeux.

Hervé Télémaque a consacré jadis plusieurs œuvres, souvent de collages, à un objet singulier : la selle. Il expliquait que la « selle de cheval » ou « selle de cavalier », illustrait la puissance poétique dont certains objets sont porteurs à condition que l’on sache les regarder.

Par sa position d’entre-deux, en effet, la selle est l’interface où s’abolissent le cavalier et le cheval. Elle schématise le suspens de la relation de pouvoir dont elle est le siège puisqu’en elle se matérialise la double absence du dominant et du dominé. Elle devient l’emblème et le mystère de l’au-delà de la relation entre le maître et l’esclave, proprement invisible encore mais qu’il s’agit précisément de voir et de « vouvoyer ».

Et sans doute, devant cette énigme, Télémaque retrouve-t-il dans sa mémoire haïtienne profonde, l’image des rituels de possession vaudou où un esprit (Loa) chevauche son adepte. Elle lui rappelle aussi 2 Salvatore D’Onofrio, L’Esprit de la parenté, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme,

Paris, 2004, Openedition.

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HT-OP / Ballon sur un socle de bitume

« Sous la présidence du Président Aristide, les haïtiens pleins d’espoir ont badigeonné toute l’île de rouge et de bleu du drapeau haïtien. Étant donné la pauvreté haïtienne, ces pigments sont devenus roses et bleus pâles ».

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Hector Hyppolite, hougan3 de Port-au-Prince célébré comme un des maîtres de la peinture haïtienne dite naïve, auquel il rend hommage dans deux toiles des années 2000 : Le Voyage d’Hector Hyppolite en Afrique n°1 et n° 2.

La dernière exposition d’Olivier Peyronnet a révélé le travail d’accumulation auquel il se livre depuis vingt-huit ans.

Au départ (1992) une pelote de lin à laquelle l’artiste confie la tâche, telle une planète en cours de formation, d’agréger dans sa course à travers l’atelier tous les restes, déchets et poussières, qu’y accumule le temps. Pour être absolument systématique, le projet n’a rien cependant de conceptuel. Il est pratique, empirique et implique des mains sales.

En roulant année après année, la boule originelle grossit, couche après couche. Elle sort de l’atelier, hume et résume les poubelles de la rue, bat la campagne en agrégeant feuilles et brindilles, se drape somptueusement de tissus salopés et de films abandonnés.

Tout un monde s’agglutine au gré des déménagements et des trouvailles. Certaines années sont fastes, d’autres semblent ne pas avoir existé pour ce capteur mobile de dispersions vitales. Et cependant la boule grossit selon sa formule mnémotechnique :

Le volume de la sphère est égal, (si je sais l’faire), à quatre tiers de Pi R3,qu’elle soit en pierre, qu’elle soit en bois.

Et Peyronnet roule sa boule qui se transforme en mémoire matérialiste. En 2007, celle-ci compte 46 couches et pèse 41,4 kilogrammes pour un diamètre de 41 centimètres. En 2018, les strates jadis empilées à Montreuil sont déjà perdues dans les profondeurs de la sphère qui se couvre d’une couche de papier-filtre imbibé de café. C’est la soixante- sixième robe qu’elle porte alors qu’elle présente un tour de taille de 60 cm. et accuse 60 kg. sur la balance.

Olivier Peyronnet se plaît à se penser en Homo scarabaeus, à l’image du bousier coprophage décrit par J. H. Fabre dans ses Souvenirs entomologiques, qui roule sa pitance en boule vers son terrier et, chemin faisant, féconde la terre au hasard des semences qu’il transporte et sème à l’improviste. L’artiste en Sisyphe moderne, inlassablement attentif aux infimes détails qui font la vie dans sa diversité, amateur de tissus déchirés et d’épanchements desséchés et solides. C’est ainsi qu’Olivier construit, à l’aide des matériaux-signes qu’il ramasse, l’Odyssée minuscule de nos jours. Son travail ressemble à une science narrative où les traces se mettent à parler et où ce qu’on croyait informe se transforme en discours.

Les deux amis se différencient comme font les deux visages de Janus bifrons : l’un porte le regard sur l’accumulation des traces quand l’autre projette en avant l’utopie de la forme. Télémaque, qu’il peigne ou découpe dans la matière, crée des formes amples et synthétiques qui évoquent le geste monumental de Jean Arp. Peyronnet pour sa part, armé de son scalpel, poursuit les taches minuscules qui maculent notre chemin sur terre. Il les prépare pour l’épreuve du microscope – comme autant de parcelles de réel – pour les projeter ensuite devant nous sous le verre grossissant de son art de faire de la peinture avec les pigments de la vie.

Par le grand et par le menu, nos deux artistes campent la dérive d’une humanité déraisonnable comme fit jadis Voltaire dans son Micromégas. Les deux infinis qui dessinent le champ de cette errance font douter du chemin qu’il conviendrait de prendre, raison pour laquelle chacun passe de l’objet à l’image et du plan au volume, sans perdre jamais de vue l’ironie burlesque de cette histoire. Ils respectent pour notre plaisir et pour mieux réveiller notre attention paresseuse, la généreuse recommandation de Jean Arp : « Servez-vous une fois seulement d’un chemin et après faites-en cadeau. »

Jacques Leenhardt Janvier 2020

3 Hougan : prêtre-officiant du culte vaudou en Haïti.

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Match retour, Télémaque plus vrai que nature.

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HT – Relevés ; Annonciation I – 1984 « Annonciation... Fichtre ! Un jeune confrère dixit Robert Combas dit :

« si Dieu n’existait pas cela me ferait chier » ».

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OP – Balançoire à bascule – 2020HT – à façon, l’heure – 2020

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HT – Oreille de Kabila – 1999

« Le peuple des dirigeants africains se prête depuis toujours au silence. Silence de l’alphabet, silence de la

misère éternelle, quel espoir ? »

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HT – Territoires / HT-OP – Skateboards« Le skateboard vient du lointain en Amérique ; ici en bronze il a perdu sa légèreté originelle. A nous mentalement de la retrouver ».

HT – Caisse et coco-fesses« La nature généreuse nous indique la beauté infinie de la femme ».

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OP – 128 filtres à café, taille n°4 – 2020

« Le marc de café se prête à la nuit, à la nuit qui est la nature première de l’œuvre d’art ».

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HT – Le coude de Rose – 1994

HT – Margot 2 – 1998

« Le rose est devenu la couleur aujourd’hui de la violence révolutionnaire ».

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OP – Cible aux deux fléchettes – 2020 HT – détail au raditeure dans le dessin, papa-maman – 1984

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OP – L’autre célibataire – 2020

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OP – Sexuer l’attache – 2020

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HT – Témoins I – 2002

« L’énumération est le privilège des initiés ».

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HT – Témoins II – 2002

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OP – Le beau drap – 2020 / Bure – 2017

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OP – Exhumation dans la vallée de l’Omo

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OP – Hue-C-1 – 2020

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Hervé Télémaque, vendredi 25 septembre 2020.« Je travaille dans la métaphore à sa naissance. Indigène éduqué ! »

Olivier Peyronnet, jeudi 24 septembre 2020.Echauffement sur la table de ping-pong aux empreintes.

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Hervé Télémaque et Olivier Peyronnet remercient

Christian Métairie, maire, vice-président du Conseil départemental du Val de Marne

Juliette Mant, adjointe au maire, chargée du développement culturel et de l’université populaire

Philippe et David Marin – Marin Beaux-arts

Le pôle culturel et vie associative et le service arts plastiques de la ville d’Arcueil : Josiane Arberet, Jean-Marc Teillon, Garance Cappatti, Brigitte Baudon

HT – Détail de Maman - masque de Zorro – 1984

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Ce livret a été édité dans le cadre de l’exposition « Vouvoyer l’invisible » qui s’est tenue du 25 septembre au 24 octobre 2020 au sein de la galerie municipale Julio Gonzalez.

Textes : Jacques Leenhardt et Hervé TélémaqueCrédit photos : © Michel Lunardelli : Pages 3, 6, 7, 14 à 20, 26 à 29, 32 à 51© Olivier Peyronnet : Couverture, pages 4, 10, 11, 21 à 25, 30, 31, 52Edition : mairie d’ArcueilImpression : fem offset

Dépôt légal : septembre 2020ISBN : 978-2-491690-02-1EAN : 9782491690021

ce livret a été édité dans le cadre de l’exposition ex-positions, de claude rutault, qui s’est tenue du 6 janvier au 4 février 2017 à la galerie municipale julio gonzalez

claude rutault remercie— le maire et la municipalité d’arcueil — philippe marin — jean-marc teillon — garance cappatti — brigitte baudon

© claude rutaultconception graphique : claude rutault, ho-sook kangdépôt légal : janvier 2017ISBN : 978-2-9555739-1-4EAN : 9782955573914Impression : fem offset

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