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RÉDACTIONÉditeur : Les Éditions Histoire Québec enpartenariat avec la Fédération Histoire QuébecRédactrice en chef : MariFrance CharetteComité éditorial : Richard M. Bégin et Michel PrattRéviseure : Reine ChevrierGraphisme: Créations GammaLe magazine national Histoire Québec est membre de laSociété de développement des périodiques culturelsquébécois (SODEP).

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Dépôt légalBibliothèque et Archives nationales du Québec

Bibliothèque et Archives CanadaNo ISSN 1201-4710

SommaireLe mot de la rédactrice en chefMariFrance Charette ..............................................................4

Incursion des années 1750 à MontréalÉric Major ................................................................................5

Quatre fils dans l’ombre de leur pèreJoëlle Thérien ........................................................................11

Le Desert’s Post – Récit d’une méprise toponymique dansl’histoire de la traite des fourrures au TémiscamingueGuillaume Marcotte .............................................................15

À la découverte des épaves de QuébecSamuel Côté ............................................................................19

Mont Sainte-Marguerite, richesses ethniques et militairesSylvie Bernard et Kathleen Moors, adapté parMélanie St-Jean ......................................................................22

La cage de La CorriveauClaudia Méndez......................................................................27

La maison natale de Louis FréchetteAnne-Marie Charuest ............................................................30

Cyrille Vaillancourt – Le « second fondateur descaisses populaires »Pierre-Olivier Maheux ..........................................................34

L’histoire en images – LévisAnne-Marie Charuest ...........................................................38

Le Domaine de Sainte-croixRichard M. Bégin ...........................................................39

Histoire de lireJeannine Ouellet, avec la collaboration de Marc Beaudoinet de François Lafrenière........................................................43

L’histoire sur Internet – Gaby BernierFrançois Gloutnay .................................................................49

Le mot de la Fédération – En route vers le 50e anniversaireJeannine Ouellet ...................................................................50

Droits d’auteur et droits de reproductionToutes les demandes de reproduction doivent être

acheminées à:Copibec (reproduction papier)

514 288-1664 – 1 [email protected] www.sodep.qc.ca

ÉDITIONSHistoire Québec

Page couverture : François-Gaston de Lévis, SHRL, crédit photo : Claudia Méndez.

Manège militaire de Lévis, crédit photo : SHRL, Fonds G. Paquette.Fresque Desjardins, crédit photo : Tours Suivez le guide.

Terrasse de Lévis, crédit photo : SHRL, Fonds G. Paquette.

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par MariFrance Charette,directrice, Fédération Histoire Québec

H I S T O I R E Q U É B E C V O L U M E 1 9 N U M É R O 1 2 0 1 3

C’est avec une grande humilité que je prends lescommandes du magazine Histoire Québec. Je ferai demon mieux pour faire honneur à mes prédécesseurs,dont le dévouement fut remarquable et le professionna-lisme et la passion pour l’histoire ont fait de ce maga-zine, une publication d’une qualité incontestableet toujours renouvelée.

Donc pour ce premier numéro sous ma gouverne, lancélors du colloque automnal de la Fédération, nous avonspensé saisir cette occasion et publier un dossier théma-tique sur Lévis, ville hôtesse du colloque. Vous pourrezlire dans nos pages une série de trois articles sur l’his-toire de cette ville. Le dossier débute par le récit de ladécouverte de la cage de la Corriveau, par ClaudiaMéndez, qui en furetant sur Internet l’a reconnue. Faitespar la suite connaissance de Cyrille Vaillancourt, lesecond fondateur des caisses populaires, article signéPierre-Olivier Maheux de la Société historiqueAlphonse-Desjardins. Et finalement, informez-vous surl’histoire et l’avenir de la maison natale de LouisFréchette, enquête menée par Anne-Marie Charuest,archiviste au centre d’histoire de Saint-Hyacinthe etadministratrice de la Fédération. Elle signe aussi la chro-nique « Histoire en images » consacrée à Lévis.

Dans l’élaboration de ce dossier thématique, je voudraissouligner la contribution de la Société d’histoire régio-nale de Lévis. D’une part pour avoir partagé avec noslecteurs le coup de maître d’avoir retrouvé la cage de laCorriveau et d’en assurer le rapatriement au Québec etd’autre part, pour le réel plaisir de travailler ensemble àl’élaboration de la page couverture du magazine. Mercide cette générosité.

Également dans cette édition, une incursion au sein de lasociété montréalaise au tournant des années 1750 parÉric Major, historien et documentaliste au musée Pointe-à-Callière. Dans cet article, l’auteur nous parle entreautres des différences entre les habitants de Montréal etceux de Québec. C’est presque de l’actualité! JoëlleThérien, M.A. en Histoire appliquée de l’UQAM, nousprésente la famille Ramesay. Après une courte présenta-tion du père, Claude de Ramezay, Joëlle nous présente« Quatre fils à l’ombre de leur père ». GuillaumeMarcotte, originaire de l’Abitibi-Témiscamingue, nous

offre pour sa part un avant-goût de ses recherches sur laprésence des Canadiens et des Métis francophonesimpliqués dans la traite des fourrures dans le Nord-ouest québécois et le Nord-est ontarien pendant lapériode britannique. Le Fort Témiscaminque est l’arrêtobligé sur la route de la Baie d’Hudson, c’est égalementlà où se sont rencontrés les Bourgeois de la HBC etl’inter prète Louis Désert.

Un texte que certains pourront trouver inusité dans nospages, celui de Samuel Côté sur la découverte desépaves de Québec. Auteur du livre Les naufrages duQuébec au XXe siècle, il nous décrit les naufrages de ladrague Manseau 101, du baliseur L’Argenteuil et ducargo grec le Michalis, autant d’événements qui compo-sent notre histoire maritime.

Enfin, un texte en deux parties sur la municipalité deSaint-Sylvestre et le mont Sainte-Marguerite. La pre-mière partie raconte la découverte du cimetière irlandaisSaint-Jean l’Évangéliste dans le rang Sainte-Marguerite,sujet présenté par de Sylvie Bernard. La seconde partie,signée Kathleen Moors, nous dévoile l’existence d’unebase de communications classées « top secret » sur lemont Sainte-Marguerite, administrée par la « RoyalCanadian Air Force » de 1954 à 1964. Ces textes ont étéadaptés par Mélanie St-Jean, administratrice de laSociété patrimoine et histoire des seigneuries deLotbinière.

Finalement, lorsque vous lirez ces lignes, le colloqueautomnal de la Fédération sera chose du passé et jeprofite de cette tribune pour remercier infiniment laSociété historique Alphonse-Desjardins pour son impli-cation dans l’organisation de ce colloque. Sans l’énergieet le professionnalisme de cette jeune équipe, cet événe-ment n’aurait pas eu le rayonnement qu’il a connu.

Assumer les postes de rédactrice en chef du magazineHistoire Québec et de directrice générale de la FHQ estun défi de taille et je compte le relever en mettant àprofit les ressources incommensurables de ce grandréseau de passionnés qu’est la Fédération HistoireQuébec.

Bonne lecture!

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Le mot de la rédactrice en chef

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par Éric Major, historien et documentaliste au Musée Pointe-à-Callière

Vue de la Ville du Montréal en Canada, anonyme (Crédit : Newberry Library, Chicago)

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Une incursion au sein de la société montréalaise au tournant des années 1750

Montréal, citadelle et… villeouverteLa vue qui s’offre au voyageur parvenuà quelques encablures de la villen’est plus, en 1750, celle d’une simplebourgade, mais bien celle d’uneville coloniale prospère, impressionaccentuée par la présence d’unréseau de fortifications dont l’achè-vement récent complète la trameurbaine. Les rues Saint-Paul etNotre-Dame constituent les axesautour desquels s’organisent lesdifférents quartiers. Au nord et à lapériphérie du site fortifié, le déve-loppement de faubourgs et de mai-sons de ferme, majoritairement enbois, contribue à étendre les limitesde la ville. Par ailleurs, le tracé deplusieurs chemins, notammentceux de Lachine et de la Montagne,sans oublier le chemin du Roy, à

partir de la porte Saint-Laurent,pavent la voie depuis quelquesdécennies déjà au développementdes côtes et des paroisses jusqu’auxextrémités de l’île.

À cette époque, Montréal n’a pas lelustre de Québec qui demeure lesiège de l’administration royale etdu Conseil souverain. De ce fait,elle n’aligne pas autant d’édificesimposants et n’abrite pas unearistocratie aussi fastueuse. Elleconserve sa physionomie d’avant-poste colonial et son caractèredemeure, par bien des côtés, rus-tique. Une succession d’incendies aincité les Montréalais à reconstruireleurs bâtiments en pierre grise, sibien qu’une portion importante dupatrimoine immobilier revêt unaspect résolument urbain; la présence

généralisée de potagers et de jardinslui conserve cependant un cachetchampêtre.

La ville ne possède pas encore l’eaucourante, non plus que du pavageou un éclairage extérieur. Enrevanche, Montréal est ni plus nimoins que la plaque tournante ducommerce, car elle ouvre ses portesvers ces lieux mythiques que sontles Pays-d’en-Haut et sa situationgéographique la place au confluentd’importantes voies de navigationtelles que le Richelieu etl’Outaouais. En plus des fourrureslucratives qu’acheminent les voya-geurs, elle engrange bientôt, grâceaux concessions environnantes quisont placées sous sa juridiction, dessurplus agricoles qui sont aussitôtécoulés sur les marchés de Québec

Éric Major est historien et documentaliste au musée Pointe-à-Callière, Musée d’archéologie et d’histoire de Montréal. Né àMontréal en 1965, il s’intéresse particulièrement à l’histoire de la Nouvelle-France. En 1997, il complète à l’Université deMontréal une maîtrise en histoire portant sur la noblesse canadienne aux 17e et 18e siècles. En 2003, il a publié un article dansnos pages intitulé « Jean Mauvide, un seigneur de l’Île d’Orléans 1701-1782 ». Travaillant dans le milieu muséal depuis1991, il dirige actuellement un numéro thématique sur « l’histoire vivante » qui paraîtra à la fin de 2013 dans la revueCap-aux-Diamants (n° 116).

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et de Louisbourg, ce qui en fait le«grenier de la colonie». La ville aaussi pour elle l’avantage d’unclimat plus doux que celui deQuébec, terreau idéal pour lesarbres fruitiers et les autres culturesqui connaissent un rendement sanségal ailleurs dans la colonie.

La société montréalaise sousl’Ancien Régime : une mosaïquehétérogèneMais ce qui frappe le visiteur, aupremier abord, c’est la diversité dela société qui l’anime, soit unepopulation de plus de quatre millehabitants de toutes conditions, unecommunauté bigarrée et hétéro-gène où cohabitent les catégoriessociales les plus disparates, de lanoblesse altière aux simples arti-sans, en passant par les journaliersles plus modestes. Car dans cetteenceinte exiguë on y trouve unepopulation aux profils et aux voca-tions variés : ici, place du marché,ce sont des Amérindiens auxparures bariolées et à l’habillementsommaire, venus proposer leursprises à des commerçants arborantune tenue dans le plus pur stylebourgeois. Le contraste n’est pasmoins grand entre ces pâles etcoquettes filles d’officiers ou encore,ces religieuses à la mise impeccablecôtoyant de jeunes paysannes etdomestiques au visage basané qui

déambulent nonchalamment lelong des étals. La disparité desphysio nomies et des allures est toutaussi saisissante lorsqu’on aperçoit,dans la promiscuité des rues, deriches négociants, des procureursguindés, d’austères notaires croiserla trajectoire incertaine des soldatsdissipés, mais surtout, celle de lafoule laborieuse qui mêle indis -tinctement journaliers, charpen-tiers, cordonniers, forgerons, tan-neurs, armuriers, tonneliers, ébé-nistes, boulangers, bouchers, etc.

En marge de cette galerie familière,on distingue une espèce un peuhybride à la dégaine insolite; cesont les engagés, les voyageurs etles interprètes (ou truchements),croisement physique et psycholo-gique des types européen et « sau-vage », dont on dit le plus souventqu’ils empruntent davantage à cedernier. Leur mise, tout commeleur attitude, dénote le profondmétissage qui s’est opéré dans leuresprit aussi bien que dans leurmode de vie, et c’est bien ce quel’on attend d’eux puisqu’ils doiventassumer un rôle d’ambassadeurs etde relais entre la colonie françaiseet l’arrière-pays, deux mondes quiseront un jour appelés, si tout sedéroule comme le roi le souhaite, àne former qu’une seule et mêmeentité.

Portrait groupéEst-ce leur position excentrée parrapport à la métropole qui a induiten eux ce caractère assuré pour nepas dire impétueux? À moins qu’ilne s’agisse de cette fameuse attrac-tion exercée par l’arrière-pays et sanature sauvage? Quoi qu’il en soit,le rude atavisme hérité des Montréa -listes (ces pionniers soumis durantplusieurs décennies à la guérillairoquoise) suffirait sans doute àexpliquer pourquoi les Montréalaisse sont forgé cette réputation parti-culière et pourquoi on a dit d’euxqu’ils étaient d’une trempe diffé-rente des autres colons. Le soldatJoseph-Charles Bonin, de passagedans la colonie entre 1751 et 1761, ajustement laissé quelques lignes

éloquentes à ce sujet sur lesquellesnous reviendrons; mais attardons-nous d’abord aux traits communsque la société montréalaise a héritésdu creuset canadien.

Les témoignages sont unanimeslorsqu’il s’agit de qualifier la langueparlée par les Canadiens. Il s’agitd’une langue épurée et « sansmauvais accent» selon Charlevoix,Montcalm, Bacqueville de LaPotherie ou Bougainville. Par ailleurs,plusieurs observateurs ont relevé lacomplexion avantageuse et le tempé-rament énergique et débrouillarddes Canadiens, louant au premierchef leur extrême endurance. Ilssont généralement sains et vifs,mais les conditions de promiscuitéet l’hygiène déficiente de la ville(dont les voies publiques sont,selon l’historien André Lachance,de véritables égouts à ciel ouvert)engendrent de terribles épidémiesqui se développent avec d’autantplus de virulence que la populationest claquemurée dans l’espaceconfiné des fortifications.

On vante également leurs habiletésmanuelles et leur goût pour les«arts mécaniques», témoin, l’abbéLouis-Bertrand de La Tour quiadmire la dextérité exceptionnelledes ouvriers où « les moindresenfants montrent de l’adresse».L’appréciation est la même de lapart de Charlevoix qui remarquequ’ils n’ont besoin ni de maîtres, nid’apprentissage pour exceller danstous les métiers, un constat reprispar l’intendant Hocquart qui noteque « la nécessité les a rendusindustrieux de génération en géné-ration. Les habitants font eux-mêmes la plupart des outils et desustensiles de labour, bâtissent leursmaisons, leurs granges, etc.» Demême, les femmes canadiennessont décrites par Pehr Kalm, unbotaniste d’origine finlandaise depassage au Canada en 1749, commeétant plus industrieuses que cellesde la Nouvelle-Angleterre : « Lematin, elles sont levées avant le dia-ble en personne et le soir nul nepeut les trouver au lit. »

Couple de Canadiens, XVIIIe siècle, anonyme(Crédit : Archives de la Ville de Montréal)

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Malgré ce caractère laborieux etl’application constante qu’ils mettentaux travaux quotidiens, les Cana -diens ont un goût prononcé pourles plaisirs et sont d’une grandesociabilité. Il n’est pas rare, àMontréal, de les voir déambuler,une fois la brunante tombée, engroupes ou en couples, devant lesvieux regroupés sur le pas de laporte. Kalm observe : « Les femmes,les jeunes filles et les garçons ontcoutume ici de se promener dansles rues le soir en se tenant brasdessus, bras dessous, en plaisan-tant et en badinant entre eux avecune gaîté folle ». À l’occasion, onvoit des jeunes gens s’amuser auxdépens des citadins en leur réser-vant quelques coups pendables;tantôt, ce sont les boules de neigequi volent, tantôt ce sont des trousqui sont pratiqués dans les rues etconsciencieusement remplis d’immon-dices à l’intention d’un piétondistrait... À cette animation, s’ajou-tent souvent les débordementsoccasionnés par les virées nocturneset bien arrosées des noceurs, unespécialité des soldats, des engagéset des Amérindiens qui s’en donnentà coeur joie lors de leur transit enville. La rue devient aussi, parfois,le terrain de jeux plus innocents,quoiqu’ils soient réprouvés par lesautorités publiques; ainsi, l’hiver,les artères se transforment en sentiersde glisse à l’usage des traînes et despatins, tandis que l’été, les habitantss’adonneront volontiers à unepartie de quilles.

Que dit-on encore de ces Canadiensde seconde, troisième et parfoismême, de quatrième génération, ceshabitants qui ne se reconnaissentdéjà plus comme des Français?Plusieurs chroniqueurs parlent deleur « indocilité », leur esprit d’indé-pendance et leur amour immodéréde la liberté; leur fierté aussi, qui estparfois apparentée à de la vanité etqui les porte à se « quarrer » (sepavaner et faire les fanfarons). Ilssont nombreux à avoir relevé lecaractère ostentatoire des Cana diensqui se traduit par une tendance às’habiller, sinon avec raffinement,

avec un certain apprêt. Tandis queKalm s’en étonne (car cela trancheradicalement avec ce qu’il a vu enNouvelle-Angleterre), l’ingénieurroyal Louis Franquet paraît pour sapart effaré par la propension deshommes à se montrer en toute occa-sion flanqués d’une monture fringante,tous les « fistons de la paroisse »accoutrés d’une bourse aux cheveux,d’un chapeau brodé, d’une chemiseà manchettes et de mitasses auxjambes, se faisant une fierté deconduire à l’église leurs maîtressesbien juchées sur la croupe de leurcheval.

Leur politesse est proverbiale,notamment à Montréal où cettepopulation « à l’aspect riant » semontre des plus engageantes etmanifeste une grande curiosité àl’égard des étrangers. Bonin lestrouve « francs, humains et hospita-liers » – si hospitaliers, aux dires duSieur Claude Le Beau, « qu’unFrançais peut aller avec tout l’agré-ment possible et sans argent depuisQuébec jusqu’à Montréal. » Mêmeson de cloche de la part de Kalmqui loue la courtoisie inimaginabledes Canadiens dont il apprécie lescivilités : « entre l’extrême politessedont j’ai bénéficié ici et celle desprovinces anglaises, il y a toute ladifférence qui sépare le ciel de la

terre, le blanc du noir, et cela entous domaines ». Il remarque d’ail-leurs qu’en ville, il est de coutumede soulever son chapeau au tout-venant, ce qui constitue un tour deforce, surtout pour celui qui doit sedéplacer par les rues, le soir,lorsque chaque famille est installéedevant le seuil de sa maison. Qu’unproche éternue, toutes les per-sonnes présentes font aussitôt larévérence. Seule entorse à l’éti-quette, les Montréalaises se mon-trent parfois moqueuses à l’endroitdes visiteurs vêtus autrement queselon les canons de la mode locale.De même, elles ont tendance à raillerl’accent des étrangers qui ne maîtri-sent pas le français.

On dit également des Canadiensqu’ils sont très pieux. C’est en toutcas ce qui ressort du témoignage deKalm, mais il est loin d’être le seul àavoir relevé ce trait, car de fait, l’enca-drement religieux est rigoureux etassez strict dans les petites villescoloniales. En revanche, les doléancesnombreuses des curés et la foisondes délits inscrits dans les archivesjudiciaires (65% des accusationssont enregistrées à Montréal) nousrappellent qu’une certaine propensionà l’insubordination et à la « dissipa-tion des moeurs » caractérise la popu-lation montréalaise, phénomène qui,

Trois Montréalais (détail) (Crédit : Illustration : Francis Back©)

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du reste, n’est sans doute pas étran-ger à la présence de militaires plusnombreux à Montréal que partoutailleurs dans la colonie. C’est le rôledes communautés religieusesd’assurer l’encadrement spirituel;ainsi, les Sulpiciens (propriétairesde toute l’île et de dix seigneuriesdotées pour la plupart de moulins),les Hospitalières de Saint-Joseph,les Soeurs de la Charité, lesRécollets et les Jésuites assumentchacune une part des missions etdes mandats confiés à l’Église. Enoutre, celles-ci font également oeuvrede charité en soignant les maladeset les miséreux et en accueillant lesorphelins de la colonie. Enfin, ellesmarquent de leur empreinte la viesociale et économique de la villepar les entreprises agricoles et lesbâtiments publics qu’elles contri-buent à développer et à exploiter.

L’éducation des enfants est assuréepar l’Église, mais demeure sommaire,se bornant, le plus souvent àl’appren tissage des premiers élé-ments de la grammaire, ce à quois’ajoutent des rudiments de calcul,l’enseignement du catéchisme etl’apprentissage des travaux ménagerspour les filles. À propos de l’éduca-tion dispensée à ces dernières parles soeurs de la Congrégation deNotre-Dame, Franquet la décritd’une manière un brin caustique,reconnaissant que, si leur utilitésemble démontrée, il en résultepourtant « un poison lent qui tend àdépeupler les campagnes, d’autantqu’une fille instruite fait la demoi-selle, qu’elle est maniérée, qu’elleveut prendre un établissement à laville, qu’il lui faut un négociant etqu’elle regarde au-dessous d’ellel’état dans lequel elle est née. » Celadit, il demeure que l’éducationprimaire est davantage accessibleen ville où le taux d’alphabétisationest supérieur à celui des campa -gnes. Fait étonnant, l’éducationprodiguée aux fils de nobles neparaît guère plus élaborée que celledu commun si l’on en croit l’inten-dant Hocquart qui remarque : « àpeine savent-ils lire et écrire, ilsignorent les premiers éléments de

la géographie, de l’histoire, il seraitbien à désirer qu’ils fussent plusinstruits. »

Quant au statut socioéconomique,on mentionne souvent que lesCanadiens jouissent d’une certaineaisance matérielle et qu’ils mènentune existence assez enviable si on lacompare à celle de sa contrepartiefrançaise; mais ce constat varieconsidérablement, il faut bien dire,selon les fluctuations de la conjonc-ture économique dont les effetspeuvent être funestes à une époqueoù l’économie de subsistanceprime. Reste que le régime alimen-taire des Montréalais ne semble pasaussi frugal qu’on pourrait le croire,à tout le moins si l’on s’appuie sur ladescription qu’en font plusieurshôtes étrangers qui parlent de repas«surabondants», faits de «nombreuxplats, potages aussi bien queviandes variées», le tout, arrosémidi comme soir, de vin rouge purou coupé d’eau, voire, d’eau-de-vieou de bière d’épinette. Mais il s’agitlà du menu servi à un invité demarque, l’ordinaire de la popula-tion comportant, on s’en doute, uneplus grande part de pain, de poisson,de lard, de pois et de chou…

Cette prospérité relative du peuplen’a cependant rien de communavec la condition des domestiques,journaliers et esclaves dont les émo-luments ou les avantages matérielsse bornent le plus souvent au gîte etau couvert, le tout à l’avenant etselon la situation ou la prodigalitédu maître. De même, il faut consi-dérer comme très peu enviable lacondition des soldats de la garnisonmontréalaise (pour la pluparthébergés chez l’habitant), dont laration et la solde ne procurent quele strict minimum pour subsister. Ilen résulte souvent des larcins, desdésordres et de la débauche, ce queMadame Élisabeth Bégon qualifierasans indulgence de « canailleries ».

La comparaison des niveaux de viedevient tout à fait vertigineuse sil’on se penche sur le cas de l’aristo-cratie montréalaise, car celle-ci

mène, il va sans dire, un tout autretrain de vie où il importe avant toutde maintenir son rang et sa dignité.Bals, réceptions et soirées ponctuentla vie de cette belle société. Maisl’étude approfondie de l’élite mont-réalaise livre un portrait nuancélorsqu’il s’agit de dépeindre la condi-tion des nobles et des marchands,dont la stature et le prestige varientà l’envi. Certains sont même obli-gés de tirer le diable par la queue,surtout lorsqu’ils n’ont pas la fortuned’être agrégés à un réseau de pro-tecteurs ou à de lucratives sphèresd’influence. Autrement, ces deuxgroupes ont tendance à se fréquenterassidûment et à contracter de judi-cieuses alliances matrimoniales,mariant le prestige de l’un auxactifs de l’autre. Cela dit, il fautremarquer que l’élite montréalaiseest moins mondaine que celle deQuébec, mais, au fur et à mesureque Montréal accroît son rayonne-ment, elle tend bientôt à attirer unepartie de l’aristocratie coloniale,surtout celle qui est parvenue ànouer une association commercialeavec des négociants. De même, legouverneur général prendra l’habi-tude de transporter son gouverne-ment à Montréal pour une partie del’hiver. L’intendant Bigot y vientaussi, accompagné de sa garderapprochée, où il tient des bals etdes soupers entourés d’un fastejamais vu à Montréal. Enfin, lecommandant général La Galisso -nière trouve Montréal plus agréableque la capitale, bien que cettedernière demeure plus «com-mode», surtout l’été, à cause del’arrivée fréquente des vaisseaux deroi apportant la correspondance etles nouvelles de France.

Génétique sociale desMontréalais : l’ascendance redoutable des loups…Y a-t-il lieu de souligner les traitsqui différencient la société mont-réalaise de celle de Québec, sarivale de toujours? En effet, cesarchétypes ou – pour mieux dire –ces stéréotypes ont donné lieu àbien des conjectures jusqu’à deve-nir, de nos jours, l’objet d’une

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concurrence pas toujours saine, quece soit au sein des tribunespubliques ou dans le coin des pati-noires… Le jeu des comparaisonsparaît pourtant inévitable entre lacapitale et la métropole, et d’ail-leurs, on ne s’en prive pas depuis le17e siècle, ce dont témoignent abon-damment les annales historiques.De fait, il semblerait que le contexteet la situation particulière deMontréal aient imprimé à la psychécollective de ses habitants un carac-tère bien différent de celui de sesvis-à-vis québécois. À cet égard, lestémoignages de correspondantsétrangers impartiaux s’avèrent par-ticulièrement éclairants. La compa-raison la plus frappante nous vientde Joseph-Charles Bonin dit Joli -coeur, jeune soldat de la Compa -gnie des canonniers-bombardiers,venu en Nouvelle-France de 1751 à1761, qui nous a laissé une relationextrêmement intéressante concer-nant le Canada et ses habitants :

« Les habitants de Montréalsont beaucoup plus vifs, actifs,braves, ardents, entreprenantset guerriers que ceux deQuébec; ils ont la prétention dese croire invincibles, ce quicependant ne les a pas toujoursgarantis de se laisser surprendrequelquefois par les sauvagesiroquois; mais comme ils sontbons guerriers et accoutumésavec les sauvages, il est plusdifficile de les vaincre; ils sontbons voyageurs, condui sant bienleurs canots toujours en chan-tant, également bons chasseurs;mais peu riches parce qu’ilsdépensent aisément ce qu’ilsgagnent dans les voyages qu’ilsfont quelquefois d’un an etplus, avec les commerçants quivont tous les ans en traite chezles nations sauvages du nord. »

Bonin nous apprend encore qu’ilest coutumier pour les Montréalaisde qualifier les Québécois, plusdoux et moins orgueilleux, de«moutons», cependant que cesderniers, par représailles, leur attri-buent le surnom de « loups » – sobri-quet qui leur va comme un gant,

reconnaît Bonin, puisque lesMontréalais « ne fréquentent queles sauvages et les bois. »

Autre sujet amplement abordédans les mémoires des correspon-dants étrangers : les femmes cana-diennes. Si Kalm tient à les distin-guer des Françaises, il prête auxQuébécoises une éducation et desmanières raffinées qui les apparen-tent grandement à leurs cousinesde la métropole. Il faut dire que cesdernières s’entretiennent régulière-ment avec les ressortissants del’Europe et frayent souvent avec

leur aristocratie. Ce n’est pas le casdes Montréalaises, plus isolées, quine sont pas aussi exposées aux«bienfaits de la civilisation» etauxquelles on attribue « l’orgueildes Indiens », voire un manqued’étiquette et de décorum. Enrevanche, Kalm remarque qu’elles« sont moins frivoles », ce qui,néanmoins, ne les empêche aucu-nement d’être «gaies et contentes»Poursuivant la comparaison entreQuébécoises et Montréa laises, ilajoute que ces dernières lui sem-blent plus jolies et plus chastesque leurs consoeurs de la capitale.

Dame de la noblesse (esquisse) (Crédit : Illustration : Francis Back©)

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« On peut également dire avec cer-titude et sans porter atteinte à lavérité que la femme de Montréal, etparticulièrement les jeunes filles,sont plus appliquées que leurshomonymes de Québec à tout cequi relève de la tenue du foyer, dela couture, de la préparation desrepas, etc. »

Franquet, pour sa part, voit enMontréal le coeur économique de lacolonie, la plupart des habitantsétant adonnés au commerce «demanière qu’elle l’emporte pourl’excellence sur Québec», car c’estlà où se transigent les pelleteriesavant d’atteindre les entrepôts de lacapitale. Montréal est aussi le carre-four stratégique où se scellent lesalliances avec l’ensemble desnations, ce qui en fait aussi le fer de

lance des opérations militaires envue de maintenir la bonne marchede la colonie :

« Cette ville est l’endroit duCanada où l’on tient le plus detroupes, en vue de les avoir àportée pour les détacher dansles postes du pays d’en haut.D’ailleurs elle est le rendez-vous, comme on l’a dit, detoutes les nations sauvages;ainsi il est bon qu’ils voyent pareux-mêmes les forces qu’on ytient, pour que ceux qui sont denos amis sentent combien ilsseraient soutenus au besoin, etque les autres, partisans del’anglois, jugent des efforts quenous serions dans le cas de fairecontre eux. »

Deux siècles et demi ont passédepuis la fin de ce régime et, lemoins que l’on puisse dire, c’est quele visage social et économique desvilles québécoises a bien changédepuis ce temps. Voilà pourquoi ilserait hasardeux d’attribuer à l’ata-visme séculaire de ses résidants lesnombreuses dissensions et railleriesqui émaillent encore de nos jours lesrelations entre Montréalais etQuébécois. Osons tout au moinsaffirmer qu’il y a dans ces portraitslivrés par les annalistes du 18e siècleune certaine part de ce qui fondeaujourd’hui l’identité et le tempéra-ment du Québec contemporain,témoin, la profonde originalité etl’extraordinaire persistance de saculture et de ses gens qui ne se sontjamais résolus à se fondre dans legrand tout nord-américain.

Place du marché, vers 1750 (Crédit : Illustration : Francis Back©)

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par Joëlle Thérien, M.A. Histoire appliquée,Université du Québec, à Montréal

Quatre fils dans l’ombre de leur père

Le mot « Ramezay » est principale-ment associé au château situé dansle Vieux-Montréal qui abriteaujourd’hui un musée d’histoire.Même si le toponyme est connu,peu de gens savent qui est Claudede Ramezay et encore moins nom-breux sont ceux qui connaissentl’histoire de ses enfants. Arrivé auCanada en 1685 en tant qu’officierdans les troupes de la Marine,Claude de Ramezay gravit les éche-lons jusqu’à ce qu’il décroche, en1704, la charge de gouverneur deMontréal. Entretemps, il avaitépousé, en 1690, Marie-CharlotteDenys de la Ronde, fille de PierreDenys de la Ronde, importantpropriétaire terrien et commerçantde Trois-Rivières. De cette unionnaissent seize enfants, mais seule-ment dix d’entre eux, six filles etquatre garçons, atteignent l’âgeadulte. Les deux enfants les plusconnus du couple sont probable-ment Louise de Ramezay, céliba-taire qui mena de nombreusesactivités économiques, et Jean-Baptiste-Nicolas-Roch de Ramezay.Dans cet article, nous vous propo-sons de découvrir le parcours de cedernier et de ses trois frères aînés.La vie de ces quatre hommesillustre bien plusieurs aspects de lanoblesse telle que présentée dansl’historiographie des dernièresdécennies.

Claude de Ramezay filsMort à Rio de JaneiroL’ainé de la famille Ramezay,Claude de Ramezay, fils, voit lejour en 1691 à Trois-Rivières alorsque son père est gouverneur decette ville. Il n’a pas encore dix anslorsqu’il obtient un poste d’ensei-gnement dans les troupes de laMarine grâce aux relations que sonpère entretient avec le ministre dela Marine. Claude de Ramezay filsquitte la colonie vers 1707, aprèsavoir décroché un brevet de garde-marine à Rochefort. Selon l’histo-rienne Louise Dechêne, cettemanière de procéder est présente ausein de la noblesse canadienne dès lafin du XVIIe siècle. Elle identifie cettestratégie comme étant la «voierapide » pour obtenir une commis-sion d’officier dans les troupes de laMarine. Ce séjour à Rochefort n’estoffert qu’à quelques privilégiés afinde parfaire leur éducation et de favo-riser leur chance de mener une bellecarrière dans la Marine française.

Revenons à Claude de Ramezayfils. On perd sa trace dans lacorres pondance coloniale jusqu’ennovembre 1711 où l’on apprendqu’il est mort au Brésil. Les histo-riens ont alors déduit qu’il estdécédé en 1711 en prenant part à laprise de Rio de Janeiro par le cor-saire français René Duguay-Trouin.

Toutefois, lors des recherches quenous avons effectuées dans le cadrede notre stage au ChâteauRamezay, nous avons découvertque l’aîné de la famille Ramezayaurait plutôt péri en 1710 aumoment de l’échec de la prise deRio de Janeiro dirigée par Jean-François Duclerc. Claude deRamezay fils aurait donc fait partiedes quelque trois cents hommes quiont péri lors de l’expédition de 1710qui s’est soldée par l’emprisonne-ment de plusieurs centaines deFrançais. Précisons que les attaquesfrançaises de 1710 et 1711 contre laprincipale ville du Brésil se sontdéroulées dans le cadre de la guerrede Succession d’Espagne.

Louis – Dans les Pays-d’en-HautLe second fils de Claude deRamezay est, lui aussi, décédé lorsd’une expédition militaire qui a maltourné. Né en 1694, Louis, sur-nommé Monnoir, obtient le posted’enseigne laissé vacant par sonfrère ainé en 1707. Cinq ans plustard, il décroche une lieutenancedans les troupes de la Marine et unbrevet de garde-marine. La corres-pondance coloniale nous révèle queLouis apprend les « languesoutaouaises » et c’est, entre autres,pour cette raison qu’on lui confieune mission dans le cadre de laguerre des Renards.

Détentrice d’un baccalauréat en histoire, Joëlle Thérien a eu la chance de parfaire ses connaissances tout au long de ses étudesen travaillant, entre autres, à la Maison Saint-Gabriel en tant que guide-animatrice ou encore en étant à l’emploi du ministèrede la Culture et des Communications pour documenter la Collection Baby de l’Université de Montréal. En 2013, elle a terminéune maîtrise en histoire, profil histoire appliquée, à l’Université du Québec à Montréal sous la supervision de Sylvie Dépatie.Dans le cadre de ce programme, elle a effectué un stage de recherche au Château Ramezay, musée et site historique. Son mandata consisté à documenter et à contextualiser les parcours des enfants issus de l’union entre Claude de Ramezay et CharlotteDenis. Ce stage l’a amenée à s’intéresser à la noblesse canadienne, thème qu’elle a décidé d’approfondir dans le cadre de sonrapport de recherche. Joëlle se passionne pour l’histoire du Canada sous le Régime français et elle a un intérêt marqué pour lanoblesse, le régime seigneurial, l’histoire des femmes et de la religion catholique. Travaillant actuellement pour la Ville deNicolet en revitalisation et développement culturel, Joëlle souhaite diffuser auprès du grand public les connaissances qu’elle aacquises au cours de ses études et à travers ses expériences professionnelles. C’est donc avec un grand plaisir qu’elle vousinvite à découvrir les parcours fascinants des quatre fils de Claude de Ramezay.

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Au printemps 1715, Louis accom-pagné d’Étienne-Auguste, fils deCharles Lemoyne de Longueuil, serend dans les Pays-d’en-Haut poursolliciter l’appui de plusieurs alliésamérindiens contre les Renards,une nation amérindienne soutenuepar les Anglais. Il est prévu que lesdeux jeunes officiers parviennent àconvaincre plusieurs centaines deguerriers de se rendre à Chicagopour la fin du mois d’août. Ce villageest le point de départ pour uneexpédition militaire de grandeenvergure. L’historien Émile Audetexplique que cette opération devaitmobiliser plus de mille hommes!Or, Louis de Ramezay et Étienne-Auguste Lemoyne de Longueuil,surnommé d’Adoncour, ne réussi-rent qu’à recruter quelques hommespuisque plusieurs nations alliées dela France sont touchées par uneépidémie de rougeole. Pour ajouterà leur malheur, les autres membresde l’expédition ne sont pas au pointde rendez-vous et n’ont mêmejamais quitté Michilimakinac àcause d’un problème de ravitaille-ment. Après avoir vainementattendu, Monnoir et d’Adoncourtombent gravement malades et seretirent à Kaskaskias pour passerl’hiver. C’est dans ces circonstancesque Louis écrit une touchante lettreà son père, dont voici un extrait :

J’ay l’honneur de vous écrire lalarme à l’œil et au désespoir den’avoir de nouvelles de nullepart, ni de Michillimakina, nydu Détroit, ny des Miamis quidevoient estre icy le douze oule quinze de ce mois […] Nousavons eu bien de la peine àmettre à la raison les Ouia -tanons à cause de la mort deleurs chefs, pour nous moncher père, je ne scais ce quenous deviendrons. Notre canotest resté au Détroit, nousn’avons que la chemise quenous avons sur le dos, nousavons fait pour plus de troiscents livres de frais pour fairevivre les françois et les sau-vages que nous avons avecnous. Il faut que nous soyonsbien malheureux après tant depeines de nous pouvoir nousvenger sur les renards. Je nevous fais point un plus granddétail parce que je n’ai point depapier...

Quelques mois après la rédactionde cette lettre, différentes rumeurscirculent. Le bruit court que lesdeux officiers ont été assassinés parles Illinois. Ensuite, les Kaskaskiasont accusés d’avoir tué les deuxhommes et plus d’une dizaine deFrançais avec la complicité des

colons anglais. On dit aussi qu’ilsauraient été faits prisonniers par lesKaskaskia qui les auraient livrésaux Anglais. C’est finalement, lerécit du jésuite Jean-Marie de Villesqui nous donne l’heure juste. Enmission chez les Kaskaskias, lejésuite écrit au gouverneur Vau -dreuil que les deux officiers, accom-pagnés d’autres Français, se diri-geaient vers la rivière Ouabacheafin de retourner au fort de Détroit.C’est à ce moment que les Françaisfurent attaqués par un groupe deguerriers cherokees. Selon Villes,Monnoir et d’Adoncour ont ététués, comme plusieurs hommes, àla première décharge.

Charles-HectorPressenti pour poursuivre lesaffaires de son pèreCharles-Hector, surnommé de la Gesse,voit le jour en 1695. À la différence deses frères, il eut la chance d’effectuerdeux séjours en France et c’est lorsde ce qui aurait dû être son troi-sième voyage qu’il trouva la mort.

Le motif principal de son premierséjour dans la métropole est sonéducation. Une lettre de Claude deRamezay nous renseigne queCharles-Hector aurait été reçu parle comte de « Ruflé », lieutenantgénéral des armées du Roy etofficier chez les mousquetaires.Nous supposons qu’Hector a étéintégré à titre de cadet dans unecompagnie de mousquetaires. Cetype de formation permettait auxjeunes nobles (souvent peu fortunés)d’apprendre l’escrime et la disci-pline militaire. Nous savons égale-ment que Charles-Hector est pré-senté au ministre de la Marine lorsde ce voyage en France qui dure unpeu moins de trois ans. De retourdans la colonie en 1714, il quitte denouveau pour la mère patrie en1719 et, cette fois-ci, en compagniede son père. Georges Lemieux,stagiaire au château Ramezay,suppose qu’il assiste son pèredans ses activités économiquesdurant ce séjour en France.D’ailleurs, bien que Charles-Hectorsoit officier dans les troupes de la

Malheureusement, il n’existe pas de portrait authentique du couple Ramezay-Denis. Voicitout de même une représentation du couple, à travers deux toiles de Saint-Marc Moutillet,

vers 1950 (Crédit photo : Château Ramezay – Musée et site historique de Montréal)

Marie-Charlotte Denys de la Ronde de Ramezay

Claude de Ramezay

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Marine, cela ne l’empêche pas des’intéresser au commerce notam-ment à la production de briques etde tuiles. Tout porte à croire queson père le préparait à prendre larelève de ses activités économiques.Malheureusement, Charles-Hectortrouve la mort l’année qui suit ledécès de son père.

En 1725, nouvellement chef de lafamille Ramezay, Hector s’embar quepour la France pour y réglerdiverses affaires. Toutefois, lenavire sur lequel il prend place, leChameau, fait naufrage, le 28 août,près de l’île du Cap-Breton. SelonJay Cassel, cet accident a été causépar une violente tempête, maisMonseigneur de Saint-Vallieraffirme plutôt qu’il s’agit d’uneerreur de navigation.

Jean-Baptiste-Nicolas-RochLe cadet de la famille promis àune brillante carrière… jusqu’à la ConquêteLa mort de Charles-Hector laissedans le deuil les membres de safamille, dont sa mère qui doit alorsassurer l’avenir de quatre de ses sixenfants qui sont encore en vie.Effectivement, deux de ses fillessont déjà « placées » puisque l’uneest mariée et l’autre est religieuse.Parmi ceux dont la veuve doit s’oc-cuper, il y a Jean-Baptiste-Nicolas-Roch de Ramezay né en 1708.Comme ses frères et comme plusieursnobles canadiens, Roch intègre lestroupes de la Marine en bas âge etmonte tranquillement dans lahiérar chie militaire. Il prend part àde nombreuses expéditions, maison le connaît surtout pour le rôlequ’il a joué au moment de la

Conquête. En 1758, il est lieutenantdu roi à Québec où il est respon -sable de la défense de la ville.Atteint d’une maladie, il n’est pasen mesure d’occuper cette fonctiondurant quelque temps. Il reprenddu service après la défaite desplaines d’Abraham du 13 septembre1759. Le gouverneur Pierre deRigaud de Vaudreuil, alors à l’exté-rieur de la ville, lui transmet desinstructions relatives à la capitulationde Québec. Il avait ordre de négo-cier la capitulation avec les Anglaislorsque les vivres viendraient àmanquer. Quelques jours plus tard,il reçoit une requête de la part deplusieurs bourgeois qui le sommentde rendre la ville aux Anglais. Pourl’aider à prendre une décision à cesujet, Roch convoque un conseil deguerre composé d’officiers qui se pro-noncent en faveur de la capitulation.

Alors que Claude de Ramezay était gouverneur de Montréal, il s’est fait bâtir cedtte demeure imposante pour l’époque. Illustration du ChâteauRamezay, en 1706, réalisé par François Villemaire, en 2010 (Crédit photo : Château Ramezay – Musée et site historique de Montréal)

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Le 17 septembre, Vaudreuil envoiede nouvelles instructions àRamezay à savoir qu’il attend durenfort et lui demande de tenirjusqu’à leur arrivée, mais il étaittrop tard puisque Québec avait déjàété livrée aux Anglais. C’est dansces circonstances que Ramezay estcontraint de s’embarquer vers laFrance. L’historienne RaymondeL’Italien explique que l’exode deRoch de Ramezay est difficile : « À51 ans, après une activité militaireintense et des promotions régu-lières, il se trouve contraint à uneretraite prématurée, avec 800 livrespar an de pension annuelle (demi-solde). » Il s’installe avec sa femme,Louise Godefroy de Tonnancour, àBlaye près de Bordeaux. C’est danscette ville que Roch meurt en 1777.

La famille Ramezay incarne plusieursréalités propres à la noblesse cana-dienne, un groupe social qui est deplus en plus connu grâce aux travauxd’historiens et de démographescomme Lorraine Gadoury. Sil’étude du parcours des fils deClaude de Ramezay est fort inté -ressante, le parcours de ses fillesl’est tout autant. Deux sont restéescélibataires, deux ont épousé desofficiers canadiens et deux sontentrées dans une communauté reli-gieuse. D’ailleurs, l’une d’entreelles a été élue supérieure del’Hôpital-Général du Québec. Or, iln’en demeure pas moins qu’aucundes enfants de Claude de Ramezayn’a réussi à surpasser la réputationde leur père!

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Archives nationales d’outre-mer, France, Fonds des Colonies, série C11A.

Émile Audet. Les Premiers établissements français au pays des Illinois : la guerredes Renards, Paris, Fernand Sorlot, 1938, 224 p.

Gabrielle Brochard. Louise de Ramezay (1705-1776). Parcours d’une femme d’en-treprise au Canada, Mémoire de M. A. (histoire), Université Michel deMontaigne - Bordeaux 3, 2008, 267 p.

Jay Cassel. The Troupes de la Marine in Canada, 1683-1760 : Men and Materiel,Thèse de PH.D (histoire), Université de Toronto, 1988.

Louise Dechêne. Le Peuple, l’État et la Guerre au Canada sous le Régime français,Montréal, Boréal, 2008, 662 p.

René Duguay-Trouin. Relation de l’expédition de Rio-Janeiro, par une escadre devaisseaux du Roy que commandoit Mr. Du Guay-Troüin, en 1711, Paris, chezPierre Cot, imprimeur-libraire ordinaire de l’Académie royale desInscriptions & Medailles, 1712, 45 p.

Lorraine Gadoury. La noblesse de Nouvelle-France : familles et alliances -Comportements démographiques et alliances de la noblesse de Nouvelle-France,Montréal, Hurtubise HMH, 1992, coll. « Cahiers du Québec », 208 p.

Gilles Havard. Empire et métissages : Indiens et Français dans le Pays d’en Haut,1660-1715, Paris, Québec, Presses de l’université Paris-Sorbonne, Septentrion,2003, 858 p.

Georges Lemieux. Claude de Ramezay : seigneur, gouverneur, et entrepreneur enNouvelle-France (1685 – 1724), Montréal, rapport présenté à M. André Delisle,sous la supervision de Mme Sylvie Dépatie, Musée du Château Ramezay,2009, 118 p.

Raymonde L’italien. « Jean-Baptiste-Nicolas-Roch de Ramezay et sa famille,au Canada et en France, après 1760 », dans la Revue d’histoire d’Amérique fran-çaise, vol. 37, n° 4, 1984, p. 603-610.

Jean Pariseau. « Ramezay, Jean-Baptiste-Nicolas-Roch de », dans Dictionnairebiographique du Canada, vol. IV. www.biographi.ca.

Pierre-Georges Roy. « La Famille de Ramezay », dans Bulletin des rechercheshistoriques, vol. 16, n° 11 et 12, 1910, vol. 17, n° 1-4, 1911.

Joëlle Thérien. Les Ramezay : une famille noble en Nouvelle-France. Étude du par-cours des enfants, Montréal, rapport présenté à M. André Delisle, sous la super-vision de Mme Sylvie Dépatie, Musée du Château Ramezay, 2011, 114 p.

Yves F. Zoltvany. « Ramezay, Claude de », dans Dictionnaire biographique duCanada, vol. II. www.biographi.ca.

Bibliographie

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par Guillaume Marcotte, 2012

Le Desert’s Post – Récit d’une méprise toponymique dansl’histoire de la traite des fourrures au Témiscamingue

IntroductionParmi les difficultés rencontrées enhistoire de la traite des fourrures setrouvent les fréquentes confusionsde toponymes repérées dans lesdocuments archivistiques. Dansl’ouest du Québec, le terme«désert» est particulièrementproblé matique. On attribue généra-lement le nom de « Désert » au petitposte de traite de la Hudson’s BayCompany (HBC) qui se trouvait auconfluent des rivières Désert etGatineau, sur l’emplacement actuelde la ville de Maniwaki. Toutefois,suite à l’examen attentif de plu-sieurs documents anciens relatifsaux activités de la HBC sur notreterritoire, tout nous porte à croirequ’un autre poste de traite portantpresque le même nom aurait existéà relativement peu de distance, aucoeur même du Témiscamingue.

Le poste de Rivière Désert Cela ne fait plus aucun douteaujourd’hui que le terme « RivièreDésert » désignait au milieu duXIXe siècle le lieu actuel de la villede Maniwaki. Le mot « désert »désignait pour les canadiens-fran-çais un endroit défriché et cultivé.Ce site vit apparaître un petit postede traite de la HBC probablementau début des années 1830. Il consti-tuait à l’époque un avant-poste ducomptoir du Lac des DeuxMontagnes, près de Montréal et neferma ses portes que vers 1878

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Les avant-postes2 de la HBCautour du Fort TémiscamingueHéritière des postes de laCompagnie du Nord-Ouest auTémiscamingue, suite à la fusionintervenue en 1821 entre les deuxgrandes compagnies de traite, laHBC jouissait à cette époque d’unmonopole presque absolu dans larégion. Ce monopole allait toutefoisêtre ébranlé par la venue, en 1836,des premiers bûcherons au lacTémiscamingue. Les frères McConnell,qui dirigeaient les opérations fores-tières en question, avaient égale-ment recours à la traite des four-rures comme revenu d’appoint. Lagrande compagnie se voyant direc-tement menacée par cette avancée,construisit, depuis son quartiergénéral de Fort Témiscamingue,deux avant-postes pour élargir sazone d’influence auprès des Autoch -tones. Ces deux petits postes,connus sous les noms d’Opemica etde Desert’s Post, semblent n’avoiropéré que durant quelques années3.

Les Archives de la Hudson’s BayCompany (HBCA), situées àWinnipeg, conservent de nombreuxdocuments faisant mention d’unposte de traite nommé « Desert ».Dans une fiche descriptive4 duposte en question, les archivistesdénombrent les variantes de nomsattribués au poste de traite, les-quelles incluent : Desert’s Post,River Desert, Rivière Deserte,Maniwaki et Rivière Désert. LaHBC aurait-elle donc établi unavant-poste devant servir les inté-

rêts du Fort Témiscamingue à unendroit aussi éloigné que la rivièreDésert? Ce pourrait-il que leDesert’s Post ait été en réalité unposte distinct de celui de RivièreDésert? Une liste d’employés ayanttravaillé au Desert’s Post, fourniepar les HBCA, nous apporte ici unepiste intéressante. On y apprendentre autres qu’un nommé LouisDesert y fut interprète de 1844 à1848. C’est ce détail anodin quiattira d’abord notre attention. Unetelle coïncidence de noms exigeaitde pousser plus loin la réflexion.

L’interprète Louis Desert et son posteÀ la question de savoir s’il existaitplus d’un poste de traite nommé«Desert» dans l’ouest du Québec,s’ajoutait maintenant celle desavoir si le nom de « Desert » auraitpu être donné à un poste de traiteen l’honneur de l’interprète ytravaillant. Une petite enquête surle personnage en question allaitapporter plusieurs précisions.

Selon les livres de comptabilité dela HBC5, Louis Desert serait origi-naire de Rivière-du-Loup. Cetteparoisse, qu’on peut associer àLouiseville aujourd’hui, en est uneayant donné naissance à beaucoupd’engagés de la traite des fourrures.En fouillant les registres demariages de cette paroisse, on peuty retrouver la famille Desserres (ouDe Serres), à laquelle Louis appar-tenait vraisemblablement. La gra-phie « Desert » en serait la forme

Guillaume Marcotte est né en 1979 à Malartic (Abitibi). S’intéressant très tôt à l’histoire coloniale et autochtone, il devientvers 2005 chercheur indépendant. Le but premier de ses recherches est de documenter la présence des Canadiens et Métisfrancophones impliqués dans la traite des fourrures du nord-ouest québécois et du nord-est ontarien pendant la périodebritannique. La rédaction d’un ouvrage portant sur ce sujet est en cours. Entre-temps, il a été artisan spécialisé en reproductiond’artefacts autochtones et canadiens liés à la traite des fourrures du 19e siècle. M. Marcotte est aujourd’hui étudiant auBaccalauréat en enseignement de l’histoire et de la géographie au secondaire, à l’UQAT.

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écrite par les commis de la HBC, leplus souvent anglophones et qui netranscrivaient pas toujours fidèle-ment le nom des employés franco-phones. Le patronyme de notreinterprète se prononçait donc « DeSerres » et non « Désert ».

Les mêmes livres de comptabilitéde la HBC nous renseignent davan-tage sur Louis Desert. On yapprend qu’il a travaillé au Lac desSables (dans le district du mêmenom) en 1830-316, puis au FortCoulonge (dans le district du mêmenom) de 1834 à 1837 ou 1838

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. Parcontre, à partir de 1838 et cejusqu’en 1847, c’est bien dans ledistrict de Témiscamingue qu’iltravaille8; de 1838 à 1842 à titre demilieu (pagayeur de milieu de canotet journalier durant l’hiver) et de1842 à 1847 à titre d’interprète.Comme mentionné plus haut, leposte de Rivière Désert (Maniwaki)n’était pas du tout dans le districtde Témiscamingue, mais dans celuidu Lac des Deux Montagnes, plus àl’est. Notons ici que la HBC divisaitle territoire qu’elle couvrait enplusieurs districts administratifslui étant propres. Pour retenirl’hypo thèse d’un seul poste«Desert», il aurait fallu que le FortTémiscamingue gère un avant-poste en dehors de son district

administratif et de surcroît à unedistance non négligeable. Donc,selon toute logique, un autre poste«Desert» devait bien exister quelquepart près du Fort Témis camingue.

Le journal tenu par le Bourgeois duFort Témiscamingue en 1840-41nous confirme cette dernière hypo-thèse

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. Louis Desert y est fréquem-ment mentionné, entre autreslorsqu’il arrive au fort avec « hisreturns » (donc avec ses fourrureséchangées) (entrée du 27 mai 1840).Juste un peu plus loin, le Bourgeoisdonne la liste des «furs procured atDesert Post» (entrée du 29 mai1840). Le 16 août 1840, «Desert andLatrielle took their departure withthe Ot. [outfit] for Desert’s Post »(Ils partent avec la marchandise detroc pour l’année en cours). Le1er juin 1841, « Desert arrived withthe returns of his Post say 6 packs,he was accompanied by all theIndians of that quarter ». Il ne faitdonc pas de doute que Louis Deserttra vaillait effectivement dans unposte nommé Desert et faisant par-tie du district de Témiscamingue.Un autre élément du même journalvient prouver qu’il s’agissait bel etbien d’un petit avant-poste situétout près du Fort Témiscamingue;on peut y lire: «Desert’s men arrivedfor Potatoes…» (entrée du 17 mai

1840). Les hommes sous la directionde Louis Desert ne seraient certai-nement pas allés au Fort Témisca -mingue pour des pommes de terre,s’ils s’étaient trouvés sur le bord dela Gatineau, beaucoup plus prèsdes établissements agricoles et desnombreux chantiers de bûcheronsde cette région. D’ailleurs, un certainva-et-vient entre le fort et le petitavant-poste est bien décrit dans lejournal de 1840-41.

Les « Moose Factory minutes ofcouncil », documents10 précisant lesactivités de traite allant être tenuesdans la prochaine saison pour l’en-semble du «Southern Depart ment»,lequel inclut notre territoire ici étu-dié (mais non la Rivière Désert(Maniwaki)), viennent préciser lesannées d’activité du poste à Desert :

1839 : Desert’s Post (personneen charge : un journalier)1841 : Desert’s post (personneen charge : un journalier)1843 : Desert’s post (personneen charge : Donald Grant, agissantcomme Maître de poste)1845 : Desert’s Post (personneen charge : Louis Desert, inter-prète)1847 : Desert’s Post (personneen charge : Louis Desert, inter-prète)

Les années présentées ici sont lesseules conservées dans les archives.Les décisions prises lors de cesconseils étaient sensées s’appliquerpour la saison à venir. Par exemple,l’information donnée pour 1839s’appliquait (normalement) pour lasaison de traite de 1839-40. Étantdonné que le poste portait déjà lenom à Desert à l’été 1839, on peutsupposer qu’il fut établi un peuavant la tenue de ce conseil, proba-blement en 1838. Nous savons qu’ilfut fermé en 1847, lors de l’ouver-ture d’un nouveau poste, Hunter’sLodge, qui venait remplacer leposte à Desert ainsi que celuid’Opemica11. Fait significatif : LouisDesert quitte son emploi au mêmemoment12.

Détail de la carte de Bouchette, montrant l’emplacement du Desert’s Post. Nous avons encerclél’endroit en question (Source : « Map of the provinces of Canada [...] by Joseph Bouchette,

Depry. Survr. Genl., L.C. 1846 [...] », 1846, Bibliothèque et Archives Canada, NMC 48910)

Figure 1

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Tentative de localisationQuand il fallut tenter de localisercet avant-poste, un indice nouspermettait de nous situer un peu.L’ouverture de Hunter’s Lodge sevoulait une solution pour remplacerOpemica et le Desert’s Post; enl’occurrence, le nouveau poste setrouvait à mi-chemin entre les deuxanciens. Notre attention se concen-trait alors à l’est du bassin de larivière Kipawa, puisque Hunter’sLodge a déjà été localisé à l’entréedu lac Hunter13et qu’Opemica étaitsitué près du ruisseau du mêmenom (Opimika) (voir la figure 2). Ledocument qui est venu confirmerl’emplacement précis est la carte deJoseph Bouchette de 1846, intitulée«Map of the Provinces of Canada[…]» (voir la figure 1). On y voit,dans l’est du bassin de la Kipawa,un lac nommé « Desert or Sairs ».Àcôté de ce lac, l’inscription «HBCPost» apporte un élément de plus.À notre avis, l’appellation « SairsLake » serait la contraction de«Desserres Lake», prononcé à l’an-glaise. Il faut ici se rappeler que levéritable nom de l’interprète étaitDesserres. Ce lac, facilement identi-fiable sur une carte récente, porteaujourd’hui le nom de Brennan,même si le toponyme «Sairs» sembleêtre encore parfois utilisé. Il estintéressant de noter qu’un petitgroupe algonquin y habitait encoreau début du XXe siècle14.

Interprète capricieux ou compagnie arrogante?Il est très difficile de se faire uneidée sur la compétence de LouisDesert comme interprète et respon-sable d’un avant-poste de traite.Les Bourgeois de la HBC, bien quereconnaissant pour la plupart leurpréférence pour des employéscanadiens-français, portaient sou-vent des jugements méprisants àl’endroit de ceux qui ne semblaientpas montrer un grand intérêt pourle profit de la compagnie. Desertétait ce qu’on pourrait appeler uninterprète atypique. Contrairementà plusieurs autres, il ne s’enracinajamais dans le pays indien et ne pritapparemment pas femme parmi les

Algonquins du Témiscamingue.Au contraire, ses employeurs seplaignaient constamment du faitqu’il ne signait que des contratsd’un an, contrairement à la poli-tique habituelle consistant à signerpour des séjours de trois anscomme hivernant. Chaque année,de 1843 à 1847, nous savons queDesert descendait dans la vallée duSaint-Laurent à la fin de la saison detraite, en juin15. Malgré des résultatsparfois intéressants au niveau despelleteries recueillies à son poste,on le soupçonnait parfois de vou-loir quitter le service pour devenirtraiteur indépendant16. En 1845, ontenta d’étouffer un scandale à sonsujet afin de le maintenir à l’emploi,ce qui en dit long sur son rôle indis-pensable au Témiscamingue :«Desert has turned out a thiefhaving concealed Furs and broughtthem below last summer [.] it iskept a secret as yet as it was notknown when he was rengaged […]»17.La fermeture du Desert’s Post en1847 était peut-être une mesured’économie, mais le fait que LouisDesert ne se soit pas réengagé aobligé le Bourgois du Fort Témis -camingue à abandonner l’avant-poste, au profit de la création deHunter’s Lodge18. Comme d’autresengagés canadiens-français du dis-trict de Témiscamingue à la mêmeépoque, Desert se voyait souventméprisé par ses supérieurs. Toute -fois, les traces laissées dans lesdocuments reliés à la HBC démon-trent clairement qu’il existait un

certain rapport de force entre cessimples employés et la compagnie,ces premiers démontrant ainsi descompétences certaines commeintermédiaires entre les traiteursanglophones et les Autochtones duTémiscamingue.

ConclusionLe Desert’s Post n’a certainementpas fini de livrer tous ses secrets,mais sa localisation approximativeet sa « mise à jour » comme entitédistincte du poste de Rivière Désertouvrent la voie à des recherchesplus poussées. La simple présencede toponymes semblables aura toutde même occulté cet établissementde traite des fourrures de l’histoirerégionale jusqu’à aujourd’hui. Loind’être un cas unique, de tellesconfusions se retrouvent malheu-reusement assez fréquemment; àtitre d’exemple, les deux établisse-ments de Hunter’s Lodge et deHunter’s Point, situés tout près l’unde l’autre sur le bassin de laKipawa. À la suite de la fermeturedu Desert’s Post en 1847, LouisDesert disparait totalement desdocuments de la HBC. Le postequ’il a probablement fondé quelquesannées plus tôt demeurera toutefoisune référence géographique pourparler des Autochtones de ce secteurpendant un certain temps (lesDesert’s Indians)19, sans parler dutoponyme Sairs qui, sans être offi-ciel aujourd’hui, est toujours enusage au Témiscamingue.

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Carte illustrant les principaux établissements de traite de fourrure, mentionnés dans ce texte

Figure 2

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1 HBCA, Keystone Archives Descriptive Database, « Desert Post ».2 Le terme “avant-poste” désigne ici un établissement sommaire, occupé par deux ou trois employés et voué à une durée de vie plusou moins courte. Sa principale fonction était de suivre les Autochtones en des lieux stratégiques afin d’éliminer la compétition detraiteurs rivaux. Ces avant-postes étaient donc appelés à changer d’endroit après quelques années, selon le contexte.

3 Mitchell: 1977, p. 162, 193. 4 HBCA, Keystone Archives Descriptive Database, « Desert Post ».5 HBCA, B.134/g/8. 6 HBCA, B.134/g/8.7 HBCA, B.134/g/9-12. 8 HBCA, B.135/g/22-31. 9 HBCA, B.218/a/1. 10 HBCA, B.135/k/1. 11 Mitchell : 1977, p. 193. 12 HBCA, B.135/g/31. 13 Voorhis : 1930, p. 84. À ne pas confondre avec l’établissement de Hunter’s Point, situé plus au nord.14 Mathias : 1998, p. 5. 15 Plusieurs mentions dans HBCA, E.41/6,7. 16 HBCA, E.41/10, fol. 17. 17 HBCA, E.41/10, fol. 21. 18 HBCA, D.5/21, fol. 67. Mitchell (1977) ne mentionnait que l’argument économique pour expliquer cette fermeture.19 HBCA, E.41/10, fol. 42. Les « Desert’s Indians » sont mentionnés dans un contexte qui empêche de les confondre avec les « RivièreDésert Indians ».

Notes

Le Desert’s Post – Récit d’une méprise toponymique dans l’histoire de la traite des fourrures au Témiscamingue

Documents d’archivesHBCA: Hudson’s Bay Company Archives, Winnipeg : B.134/g : Montreal Abstracts of Servant’s Accounts. B.135/g : Moose Factory Abstracts of Servant’s Accounts. B.135/k/1 : Moose Factory Minutes of council 1822-1875. B.218/a/1 : Timiskaming Post Journal, 1840-1841. D.5/21 : Sir George Simpson, Correspondence Inward, 1848. E.41/10 : Cameron Papers. Inward, James Cameron, 1843-1854. E.41/6-8 : Cameron Papers. Inward – Official, 1821-1876.

Sources secondairesMATHIAS, J., 1998 : L’homme de Neawigak…et autres histoires algonquines. Josie Mathias et Michel Pinard. MITCHELL, E. A., 1977: Fort Timiskaming and the Fur Trade. University of Toronto Press, Toronto and Buffalo.VOORHIS, E., 1930: Historic Forts and Trading Posts of the French Regime and of the English Fur Trading Companies. Department of theInterior, Natural Resources Intelligence Service, Ottawa.

Ressources en ligneHBCA : Hudson’s Bay Company Archives, Winnipeg : Keystone Archives Descriptive Database (http://pam.minisisinc.com/pam/search.htm), sous l’entrée “Desert Post”.

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par Samuel Côté, chasseur d’évapes et auteur du livre Les naufrages du Québec au XXe siècle

À la découverte des épaves de Québec

À la découverte des épaves de QuébecAu mois de décembre 2011, leService hydrographique du Canada(SHC) annonçait la localisation de15 entités non identifiées au fonddu fleuve à Québec. Grâce à ces tra-vaux et aux passionnés de l’histoiredu fleuve Saint-Laurent, on connaîtmaintenant l’emplacement desépaves du brise-glace Lady Grey (enface de Beauport), du cargo grec

Michalis (en aval du pont deQuébec), du navire Argenteuil (enface de Lévis) et de la dragueManseau 101 (en amont du pontPierre-Laporte).

Manseau 101En février 2012, j’annonçais l’identi-fication de l’épave de la dragueManseau 101 en amont du pontPierre-Laporte. C’est en effectuantdes recherches pour mon livre, Les

naufrages du Québec au XXe siècle quej’ai commencé à m’intéresser à cenaufrage. Pour identifier cetteépave de 130 pieds de longueur, j’aiétudié les images acoustiques four-nies par le SHC et j’ai fait ensuitedes recoupements à partir dedonnées historiques. René LaBarre,le fils du capitaine de la drague acollaboré activement à mesrecherches.

Né en 1985, la même année où le professeur Ballard découvre l’épave du fameux Titanic, Samuel Côté semble avoir un destintout tracé d’avance : il sera chasseur d’épaves. En 2007, Samuel a décidé de partager le fruit de ses recherches en dévoilant lesite Internet www.lecimetieredusaint-laurent.com. Véritable passionné de l’histoire du fleuve Saint-Laurent, Samuel aidentifié à Grand Métis, en 2006, l’épave du navire marchand Carolus — coulé par un sous-marin allemand pen-dant la Deuxième Guerre mondiale — et le chaland Atlas Scow No 1 en 2008, à Pointe-au-Père. Il collabore égalementau populaire magazine de plongée sous-marine En Profondeur. En 2012, le conférencier et recherchiste de formation a ététrès actif dans la région de Québec en identifiant les épaves de la drague Manseau 101 et du navire Argenteuil ainsi qu’enparticipant à de nombreux projets télévisuels. Auteur du livre Les naufrages du Québec au XXe siècle et lauréat régionaldes Prix du patrimoine du Bas-Saint-Laurent pour son premier livre Le Métis maritime, ancré au passé… de 1800 àaujourd’hui, Samuel travaille présentement sur de nombreux projets.

La drague Manseau 101 (Source : André Guévremont)

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La Manseau 101 est construite en1910 sous le nom de M. & F. No 10.La drague est vendue en 1928 etrenommée Manseau 101 par leschantiers Manseau. Elle était l’unedes plus puissantes au Canada àcette époque. Le 30 septembre 1966,elle coule par mauvais temps alorsqu’elle se rend, touée par desremorqueurs, vers le chantier deconstruction du pilier nord dufutur pont Frontenac, rebaptiséPierre-Laporte en 1970. Cette tragédiea coûté la vie à 10 des 23 hommes àbord. Jusqu’à tout récemment, oncroyait que seulement deux corpsavaient été repêchés des eaux duSaint-Laurent. J’apprenais derniè-rement que le cadavre d’une troi-sième victime, soit celui de RéalParenteau, avait été retrouvé deuxsemaines plus tard au quai Cham -plain du Chantier maritime deLauzon et qu’une quatrième victimeavait été découverte neuf mois plustard sur la rive à Lauzon. Les deuxpremières victimes ont été RéalParent et Lawrence Monbourquetterécupérées le soir même du nau-frage. Lucien-Aimé Guévremont aété identifié grâce à son anneau demariage, et il est la dernière victimede la Manseau 101 à avoir étéretrouvé à ce jour.

Le 15 septembre 2012, une tou-chante cérémonie commémorativea d’ailleurs eu lieu, au sentier desGrèves, en collaboration avec laCommission de la capitale natio-nale du Québec. Une plaque auxvictimes de la Manseau 101 a étédévoilée. Un panneau d’interpréta-tion a été ajouté au printemps 2013sur le site. Le naufrage de la dragueManseau 101 a aussi été le sujet d’unreportage de la populaire émissionDécouverte de Radio-Canada lors del’émission du 30 sep tembre 2012.

L’ArgenteuilIgnoré du grand public, le naufraged’Argenteuil est connu par seule-ment un nombre restreint de per-sonnes gravitant autour du domainemaritime, dont quelques pilotes duSaint-Laurent. J’ai utilisé la mêmedémarche que celle de la Manseau101 pour identifier l’Argenteuil enoctobre 2012. D’une longueur de92 pieds, l’épave de cet ancien bali -seur se trouve dans une profondeurd’environ 60 pieds en face de Lévis.

L’Argenteuil a été construit en 1916aux Chantiers Maritimes duGouvernement fédéral à Saint-Joseph-de-Sorel pour le ministèrede la Marine et des Pêcheries. En1960, le gouvernement fédéral vend

le baliseur à Theode Robidoux. Unan plus tard, il devient la propriétéde Roland Hovington, de Tadoussac.Ce dernier le transforme alors encargo. Tôt le matin du 16 mai 1962,l’Argenteuil coule rapidement suiteau déplacement de sa cargaisonsur le pont. Le capi taine RolandHovington, son fils Normand etGeorges Ouellet périssent lors dunaufrage. La femme du capitaine etle marin Paul-Henri Nicolas ont étérécu pérés par l’équipage d’unegoélette. Les corps des trois autresvictimes ont été repêchés quelquesjours après le naufrage.

MichalisL’ethnologue spécialisé en histoiremaritime, Alain Franck, a identifiéune nouvelle épave il y a plusieursannées, près du Pont de Québec sansl’avoir dévoilé. Ce cargo grec de5685 tonnes s’est échoué sur la rivenord du fleuve Saint-Laurent en avaldu pont de Québec le 20 novembre1941 en plein brouillard. Comme ilfut impossible de le renflouer à cemoment-là, il a passé l’hiver sur samauvaise position, puis il a finale-ment glissé en eaux profondes aucours de l’hiver. Survenu en fin desaison de navigation, cet incidentn’avait pas été rapporté dans lesregistres de naufrages et fut trèspeu documenté dans les journauxde l’époque, puisque toute l’atten-tion des médias était détournée parla Deuxième Guerre mondiale quisévissait en Europe. Selon certainessources, l’épave du Michalis auraitété explorée par quelques plongeurs.

Construit en Angleterre en 1919, leMichalis porta brièvement le nom deWar Capitol avant d’être rebaptiséElveric. En 1933, il a été renomméKassos et Michalis en 1939. Cargotypique des années 1920 de par sonarchitecture caractéristique avectimonerie centrale, ce navire a étéutilisé dans différents convois audébut de la Deuxième Guerre mon-diale. Parti lourdement chargé deMontréal le 19 novembre 1941, leMichalis devait se rendre à Sydneyen Nouvelle-Écosse pour rejoindreun convoi.Le navire Argenteuil (Source : Mac Mackay)

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fonctions culturelles, sociales, éco-nomiques et politiques. Ils sontsoumis à de fortes pressions quiaffectent autant leur développe-ment démographique que la vie dequartier ainsi que la qualité ducommerce qu’on y trouve. Treizeauteurs explorent divers aspectsrelatifs à la construction de cesespaces et aux pressions dues à leur« mise en tourisme », un enjeu dontle débat incombe aux décideurspolitiques, aux administrateurs,aux savants et aux citoyens autantau Caire, à Paris, dans le Vieux-Montréal qu’à Alger, à Tozeur enTunisie, au Togo, à Louxor à Tiznitau Maroc ainsi qu’à Venise et à LaNouvelle-Orléans, tous des lieuxvisités dans cet intéressant ouvragede 262 pages.

LE QUÉBEC ET LA GUERREDE 1812Luc LépineLes Presses de l’Université Laval, 2012

Charles-Michel de Salaberry, vain-queur de la bataille de Château -guay, demeure l’emblème de laparticipation canadienne-française.Le mythe de la milice toute-puis-sante perdure depuis deux centsans. Le but de cette bataille du 26octobre 1813 : mettre fin à la plussérieuse menace d’invasion du Bas-Canada en empêchant les Amé -ricains de descendre la rivièreChâteauguay jusqu’à Montréal.

L’ouvrage porte en grande partiesur la milice comme institution enGrande-Bretagne, en France, enNouvelle-France et au Bas-Canada,celle d’avant 1812, surtout dans la

région montréalaise, et celle ayantparticipé à la guerre de 1812. On ydécouvre aussi l’organisation de lamilice, la structure hiérarchiqueainsi que les fonctions et les privi-lèges des officiers dont la majoritésont agriculteurs. Nombreux sontceux qui désertent, 1 600 sur untotal d’environ 10 000 et sont passi-bles de cent coups de fouet pourune absence non justifiée. Enfin, onapprend comment s’est effectué leretour à la paix et le déclin de lamilice. Les promesses de 50 arpentsde terre aux miliciens tardent et lespensions aux veuves ne sont pasrespectées, faute de fonds, laissantun goût amer chez les milicienscanadiens-français. Voilà un livreintéressant qui offre un éclairagesur la vie militaire de l’époque ainsique sur la bataille de Châteauguay.

LA GUERRE DE 1812Journal de Jacques VigerPrésenté par Bernard Andrès etPatricia Willemin-AndrèsCollection L’archive littéraire auQuébec, série MonumentsLes Presses de l’Université Laval,2012

Revivre au jour le jour la guerre de1812-1814 grâce au témoignagedirect et souvent critique deJacques Viger, capitaine desVoltigeurs âgé de 26 ans, permet demieux comprendre la mentalité desCanadiens engagés dans ce conflit.Celui qui deviendra le premiermaire de Montréal adresse des let-tres à ses amis et à son épouse,Marguerite de La Corne-Lennox,qui font les délices du salon litté-raire qu’elle anime à Montréal et

susciteront sûrement autant l’inté-rêt des lecteurs de cet ouvrage de156 pages. Le journal de sa cam-pagne dans le Haut-Canada qui yest reproduit mérite toute notreattention. Ces écrits abondammentannotés représentent une contre-lecture à la campagne idéologiquedu gouvernement fédéral destinéeà revivifier la fédération cana-dienne en lui forgeant une nouvelleorigine. L’ouvrage doté d’uneimportante bibliographie permetau lecteur avide d’en apprendredavantage de poursuivre sarecherche sur le sujet.

PATRIMONE, CULTURE ET RÉCITL’île d’Orléans et la place Royalede QuébecÉtienne BertholdINRS Université d’avant-gardeCollection « Monde culturel »Les Presses de l’Université Laval,2012

Le patrimoine culturel est-il autrechose qu’une nostalgie du passédont un objet ou un héritage imma-tériel est chargé de témoigner?L’ouvrage d’Étienne Berthold en faitle pari en explorant les temps forts etles moments oubliés de deux desplus importants « chantiers » desXIXe et XXe siècles. Il présente unvisage méconnu de l’héritage cultu-rel, celui qui reconstruit le souvenirdu passé pour répondre aux préoccu -pations de la société actuelle. Desidéologies, des manifestations dusavoir et des contextes socioécono-miques sont convoqués pour expli-quer la construction de ces deuxberceaux du Canada français et

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pour déchiffrer l’élément qui est aucentre, la quête de sens et de ladurée, une tâche que seul peutaccomplir un travail d’interpréta-tion. L’économie du tourisme demasse du XXIe siècle n’y est guèreétrangère de même que la légitima-tion du pouvoir. Des écrits datantd’aussi loin que les années 1860ainsi que l’ouvrage publié en 1928,L’île d’Orléans, auxquels s’ajoutel’étude de la restauration dumanoir Mauvide-Genest de Saint-Jean, permettent d’analyser le pro-cessus de construction de la repré-sentation de l’endroit. De son côté,la patrimonialisation de la placeRoyale de Québec s’amorce aucours des années 1960 avec la res-tauration de l’hôtel Chevalier.D’imposantes références bibliogra-phiques étayent la thèse de doctoratd’Étienne Berthold.

SAINT-CÔME-LINIÈREAu fil du tempsSociété historique de Saint-Côme deKennebec et de LinièreCollection dirigée par SergeLambertLes Éditions Gid

Afin de mieux garder en mémoireun proche passé, la Société histo-rique de Saint-Côme de Kennebecet de Linière raconte le Québec de1860 à 1960, 100 ans noir sur blanc,grâce aux photos anciennes et auxnégatifs provenant des fonds dephotographes professionnels deSaint-Côme. Près de 200 photogra-phies d’archives sont choisies pourillustrer les textes racontant l’his-toire des régions. Y sont représentés

des pionniers francophones etanglophones (immigrants venantdes îles britanniques, surtout del’Irlande) dans toutes les facettes deleur vie : famille, travail, religion,jeux, en somme leur vie et leur mortdans les XIXe et XXe siècles tout lelong du chemin Kennebec(Kennebec Road) ouvert par les auto-rités britanniques du Bas-Canadaen 1825, près de la frontière améri-caine. En 1929, l’ancienne routeKennebec ou Chaudière-Kennebecportera le nom de route no 23 etsera couramment désignée sous lenom de Lévis-Jackman jusqu’en1963 alors qu’elle devient officielle-ment la route du Président-Kennedy. Les textes accompagnantchacune des photographies four-millent de mille et un détails créantun véritable ouvrage qui racontel’histoire des lieux.

L’EXODE QUÉBÉCOIS 1852-1925Correspondance d’une famille dispersée en AmériqueMario MimeaultSeptentrion, 2013

De 1852 à 1925, la familled’Angélique Roy et de Théodore-Jean Lamontagne, homme d’affairesgaspésien, entretient une corres-pondance soutenue. Neuf des seizeenfants (Éphrem, Émile, Théodore,Antoinette, Emma, Édouard,Gustave, Yvon, Arthur, prêtre) sesont expatriés aux États-Unis etdans l’Ouest canadien, sans jamaisbriser le lien qui les unit. Tous ins-truits, ils fréquentent le gratin

social et empruntent un cheminautre que celui des usines comme lamajorité de leurs compatriotesexpatriés. Leur sœur Blanche n’estnulle autre que la première poé-tesse du Québec. Leurs lettres, plusd’un millier, mémoire consignée,rendent compte de la conditionsociale des auteurs, de leursattentes et des contraintes que leurterre d’adoption leur impose. Ellessont aussi substitut familial, sou-tien psychologique et source dedélivrance. Mémoire d’une époque,les missives révèlent l’empreintelaissée par les grands événementsdu temps. Outre ces volets, l’auteurs’intéresse même au papier, à laplume, au format, au pliage, à lacouleur, au décor de la lettre.Malheureusement, bon nombre dedocuments ont été emportés dansune forte marée d’automne, d’au-tres sont demeurés dans le grenierd’une maison après sa vente, puisjetés aux ordures après un débutd’incendie.

Quelques cartes, tableaux et illus-trations agrémentent l’ouvrage de443 pages auquel sont ajoutés unimportant index ainsi qu’une impo-sante bibliographie.