Violences Blessures Souffrance

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SOINS RELATIONNELS - VIOLENCES, BLESSURES, SOUFFRANCE Source: SALOMÉ, Jacques*. Psychologies, Octobre 1995. Violences reçues, blessures créées, souffrance produite: ce schéma fait partie du cycle de vie de chacun d'entre nous à chacun des moments de notre existence. L'accusation ou le reproche à autrui ne nous permet pas de nous décharger de nos souffrances. En revanche, le nettoyage de la «tuyauterie relationnelle» nous permet d'évacuer toute violence et de retrouver mieux-être et autonomie affective. Combien de fois ai-je entendu, dans les nombreux séminaires de formation que j'ai animés: «Il faut que je rende à ma mère la souffrance que j'ai vécue à cause d'elle» Ou encore: «Il faudra que j'ose dire à mon père la souffrance qu'il m'a faite en étant alcoolique.» Ou encore: «Jamais je ne pardonnerai à mes parents la souffrance qu'ils m'ont faite en divorçant.»... Si nous écoutons au plus près chacune de ces phrases, le mot clé qu'elles contiennent est le mot souffrance, qui est énoncé en terme d'accusation, car il est confondu avec la violence faite et la blessure créée ou réveillée. Nous percevons, peut-être confusément, qu'il y a une collusion entre la cause et les conséquences ou les effets. En fait, il n'est pas possible de rendre une souffrance, ni de rendre responsable quelqu'un de notre souffrance, car nous sommes seuls à la produire. C'est bien celui qui souffre qui produit sa souffrance à partir d'une violence reçue, qui, elle, nous a blessé. Ce n'est pas ce que l'autre dit ou fait qui nous atteint, c'est ce qu'il touche de sensible, de déjà meurtri en nous, ce qu'il réveille ou réactive d'une blessure déjà en place. Un des mythes les plus profondément enracinés dans notre société, c'est la croyance que les choses nous arrivent de l'extérieur, qu'il y a une cause hors de nous, parfois au-dessus de nous, indépendante de notre vouloir. Qu'il y a quelque part un responsable oc notre malheur, 0e nos difficultés, de notre désespoir ou de notre détresse. Notre culture, de type essentiellement messianique, nous laisse croire aussi que quelqu'un (Dieu pour certains), quelque chose (le hasard pour d'autres), un enchaînement irrémédiable (la destinée ou le sort pour d'autres encore) veille ou pèse sur nous. Que cet autre informel peut prendre soin de nous, nous donner des solutions à nos malheurs ou à nos déboires et que, s'il ne nous donne pas ce soutien, cette solution, «c'est qu'il nous en veut», «qu'il est contre nous» ou «que nous n'avons pas de chance», que nous n'avons pas fait ce qu'il fallait vis-à-vis de cette entité. Ainsi, nous risquons de pratiquer, à l'égard de nous-mêmes, la pire des escroqueries: celle de ne pas entendre que nous sommes partie prenante de tout ce qui nous arrive et que nous sommes à la fois l'initiateur et le producteur de notre propre souffrance. La souffrance, en effet, est produite par la création, l'implantation ou le réveil d'une blessure originelle, primaire, inscrite en nous en fonction des réponses et des non-réponses de nos proches ou de notre environnement immédiat tout au long de notre histoire. S'ouvrir à une relation libérée C'est la non-adéquation des réponses de l'entourage à des demandes, à des attentes essentielles, vitales, qui va se transformer en violences et ouvrir ainsi en nous des blessures parfois très profondes. Autrement dit, le schéma: violences reçues, blessures créées ou restimulées, souffrance produite, fait partie du cycle de vie de chacun d'entre nous. C'est l'impact d'un geste, d'un acte, d'une parole reçue dans un moment de vulnérabilité, dans une phase d'empreinte qui devient violence à ce moment-là de notre histoire et ouvre le passage à une blessure plus durable que l'événement déclencheur. Ce n'est pas ce que l'autre fait qui déclenche la violence, c'est comment nous la recevons. Beaucoup de blessures originelles inscrites au début de la vie d'un bébé, d'un enfant ont souvent pour origine des actes qui ne se veulent pas violents ou qui passent même inaperçus pour celui qui les dépose.

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  • SOINS RELATIONNELS - VIOLENCES, BLESSURES, SOUFFRANCE

    Source: SALOM, Jacques*. Psychologies, Octobre 1995.

    Violences reues, blessures cres, souffrance produite: ce schma fait partie du cycle de vie de chacun d'entre nous chacun des moments de notre existence. L'accusation ou le reproche autrui ne nous permet pas de nous dcharger de nos souffrances. En revanche, le nettoyage de la tuyauterie relationnelle nous permet d'vacuer toute violence et de retrouver mieux-tre et autonomie affective.

    Combien de fois ai-je entendu, dans les nombreux sminaires de formation que j'ai anims: Il faut que je rende ma mre la souffrance que j'ai vcue cause d'elle Ou encore: Il faudra que j'ose dire mon pre la souffrance qu'il m'a faite en tant alcoolique. Ou encore: Jamais je ne pardonnerai mes parents la souffrance qu'ils m'ont faite en divorant....

    Si nous coutons au plus prs chacune de ces phrases, le mot cl qu'elles contiennent est le mot souffrance, qui est nonc en terme d'accusation, car il est confondu avec la violence faite et la blessure cre ou rveille.

    Nous percevons, peut-tre confusment, qu'il y a une collusion entre la cause et les consquences ou les effets. En fait, il n'est pas possible de rendre une souffrance, ni de rendre responsable quelqu'un de notre souffrance, car nous sommes seuls la produire. C'est bien celui qui souffre qui produit sa souffrance partir d'une violence reue, qui, elle, nous a bless. Ce n'est pas ce que l'autre dit ou fait qui nous atteint, c'est ce qu'il touche de sensible, de dj meurtri en nous, ce qu'il rveille ou ractive d'une blessure dj en place.

    Un des mythes les plus profondment enracins dans notre socit, c'est la croyance que les choses nous arrivent de l'extrieur, qu'il y a une cause hors de nous, parfois au-dessus de nous, indpendante de notre vouloir. Qu'il y a quelque part un responsable oc notre malheur, 0e nos difficults, de notre dsespoir ou de notre dtresse.

    Notre culture, de type essentiellement messianique, nous laisse croire aussi que quelqu'un (Dieu pour certains), quelque chose (le hasard pour d'autres), un enchanement irrmdiable (la destine ou le sort pour d'autres encore) veille ou pse sur nous. Que cet autre informel peut prendre soin de nous, nous donner des solutions nos malheurs ou nos dboires et que, s'il ne nous donne pas ce soutien, cette solution, c'est qu'il nous en veut, qu'il est contre nous ou que nous n'avons pas de chance, que nous n'avons pas fait ce qu'il fallait vis--vis de cette entit.

    Ainsi, nous risquons de pratiquer, l'gard de nous-mmes, la pire des escroqueries: celle de ne pas entendre que nous sommes partie prenante de tout ce qui nous arrive et que nous sommes la fois l'initiateur et le producteur de notre propre souffrance.

    La souffrance, en effet, est produite par la cration, l'implantation ou le rveil d'une blessure originelle, primaire, inscrite en nous en fonction des rponses et des non-rponses de nos proches ou de notre environnement immdiat tout au long de notre histoire.

    S'ouvrir une relation libreC'est la non-adquation des rponses de l'entourage des demandes, des attentes essentielles, vitales, qui va se transformer en violences et ouvrir ainsi en nous des blessures parfois trs profondes. Autrement dit, le schma: violences reues, blessures cres ou restimules, souffrance produite, fait partie du cycle de vie de chacun d'entre nous. C'est l'impact d'un geste, d'un acte, d'une parole reue dans un moment de vulnrabilit, dans une phase d'empreinte qui devient violence ce moment-l de notre histoire et ouvre le passage une blessure plus durable que l'vnement dclencheur. Ce n'est pas ce que l'autre fait qui dclenche la violence, c'est comment nous la recevons.

    Beaucoup de blessures originelles inscrites au dbut de la vie d'un bb, d'un enfant ont souvent pour origine des actes qui ne se veulent pas violents ou qui passent mme inaperus pour celui qui les dpose.

  • Les parents le savent bien. Ils sont tonns, choqus, quand ils dcouvrent, plus tard, le retentissement d'un mot, d'un geste auxquels ils n'avaient pas attach d'importance.

    Toute une partie de l'enfance se construira au travers d'actes, d'actions, de comportements soit qui se dposent comme des contraintes, des frustrations ou des menaces et des agressions, soit qui s'inscrivent; au contraire comme des gratifications et des bienfaits et nous confirment dans le bien-tre d'exister, en nous permettant d'accder plus d'autonomie, de libert, de rayonnement ou d'amour.

    Nous pouvons ainsi mieux entendre l'habilet, l'inventivit tous azimuts avec lesquelles certains d'entre nous vont accuser, mettre en cause, culpabiliser l'autre, bref, le rendre responsable de notre souffrance. Cela semble d'ailleurs tre un enjeu, aux variations infimes, dans les relations proches. Tout se passe comme si cela nous autorisait ne rien faire notre bout de la relation et de penser ainsi que c'est l'autre d'agir autrement ou diffremment son bout... Le plaisir de l'accusation ou du reproche, la position de victime qui donne parfois celui qui l'adopte le sentiment d'exister ne favorisent ni la responsabilisation, ni la lucidit qui permettraient de dposer plus rapidement la charge de nos souffrances.

    Le pardon, un baume adoucissantCe changement de regard et de positionnement permettrait galement de ne plus entretenir l'autoviolence, avec des rancoeurs, des ressentiments et des reproches sans fin sur l'autre ou les autres.

    Malheureusement, ce systme de dpendance implicite est bien rd dans notre culture. L'autre, s'il nous aime, s'il nous veut du bien, s'il se prtend notre ami, doit rpondre nos attentes, nos besoins. S'il n'y rpond pas, nous sommes la victime malheureuse, incomprise, blesse, et lui le mauvais, le perscuteur. Ainsi, nous pouvons entretenir sans fin ressentiments, accusations, reproches et rejet de l'autre. Ce systme d'htro-accusation mutuelle, de projection de la responsabilit sur autrui est entretenu par la plupart des protagonistes d'une relation. Il est valoris par la mythologie du pardon. Je te pardonne le mal que tu m'as fait. La victime, devenue accusateur magnanime, se donne le beau rle d'offrir un quitus au bourreau ou l'accus... du mal qu'il lui a fait, tout en oubliant qu'elle garde en elle la violence reue... que le corps, lui, n'oublie jamais!

    Le pardon, dans ses effets immdiats, est assimilable un baume adoucissant dpos sur l'irritation de la blessure. Quand nous avons pardonn, nous avons bien le sentiment d'un mieux-tre, d'un soulagement. Il y a moins de ressentiments en nous, moins de ruminations. La relation avec celui qui nous avait bless semble plus libre, moins tendue, plus ouverte. Mais la violence reue est toujours l. La blessure, apaise, semble endormie, mais elle reste tapie au profond de nous. Elle se ractivera d'ailleurs au moindre incident. Ce qu'il faudrait apprendre pardonner, c'est nous-mmes, pour toute l'autoviolence entretenue par nos conduites, parfois durant des dcennies. Il serait possible de s'entendre dire: Je pardonne au petit garon que j'tais d'avoir nourri et entretenu pendant vingt ans la haine que j'avais contre ce pre qui buvait. Ou: Je me pardonne d'avoir empoisonn tant de journes et de soires remcher sans arrt l'humiliation d'avoir t violent quand j'avais quinze ans.

    Ne pas billonner les blessuresArrtons-nous quelques instants sur la dynamique propre chacun de ces mots: violences reues, blessures cres ou rouvertes, souffrance produite.

    Violences reues - Les violences reues peuvent tre de trois ordres: physiques verbales, non verbales ou morales. La gamme en est large. Elle va de la perception d'tre incompris, pas reconnu, au sentiment d'injustice et d'humiliation, en passant par la douleur physique, amplifie par le doute, l'impuissance et la peur d'tre violent nouveau. Quand une violence se dpose dans un moment de vulnrabilit, quand elle vient d'une personne charge de sens, elle s'inscrit plus profondment, plus durablement. Elle imprgne alors toute une partie de notre relation au monde et peut susciter tout un systme rgressif contre soi-mme et envers autrui.

    Blessures - La violence occasionnelle ou rpte, qu'elle soit physique, verbale ou morale, va crer ou ractiver des blessures, des zones de vulnrabilit. Les blessures originelles, celles qui s'inscrivent trs tt dans la vie d'un enfant, peuvent dstabiliser profondment un tre et le

  • rendre vulnrable pour le futur de ses relations avec les autres. Toute manifestation de l'extrieur sera dcode ensuite par le corps et l'esprit en fonction de son impact et de son retentissement.

    Ainsi, un petit vnement, une parole banale, un geste qui, dans d'autres circonstances, serait pass inaperu peuvent rveiller, restimuler les anciennes blessures et provoquer des cataclysmes internes intenses. La souffrance qui en dcoulera va s'imposer nous. Notre souci, notre urgence, sera de vouloir la rduire, la supprimer, comme un langage. Tout se passe comme si la souffrance (douleurs, symptmes, mises en maux) devenait le langage privilgi de la blessure. Ce qui aujourd'hui nous confronte un vritable paradoxe en matire de sant.

    L'efficacit de certains mdicaments ou de certaines interventions chirurgicales, en rduisant la souffrance, en faisant disparatre trop vite le symptme, revient, billonner la blessure, la censurer en quelque sorte, avant que nous ne puissions entendre ce qu'elle nous criait, ce qu'elle nous invitait entendre. Elle pourra alors se rveiller, se ractiver nouveau, entranant de nouvelles souffrances sur un mode souvent plus rgressif que la premire atteinte.

    Souffrance produite - Nous venons de le voir, la souffrance sera l'expression de la blessure. Elle peut se traduire par une douleur morale, psychologique, physique. Les symptmes rptitifs (passages l'acte somatique) seront un des langages favoris de certaines blessures anciennes qui s'expriment, qui tentent aussi de nous alerter sur la ncessit d'achever une situation inacheve.

    Des maux peuvent tre entendus comme un signal, une invitation rendre une violence reue qui bloque ou consomme des nergies, qui ne sont pas disponibles la vie relationnelle. Ces souffrances qui se traduisent par des somatisations pourront s'entendre aussi comme une invitation se repositionner vis--vis d'une personne qui nous a bless, nous resituer vis--vis d'un vnement qui reste dstabilisant ou handicapant. Ainsi, toute souffrance peut tre entendue comme un signal changer quelque chose dans notre mode de vie. Les somatisations sont souvent des allis mconnus auxquels nous n'accordons pas une coute suffisante.

    Nettoyer la tuyauterie relationnelleTout processus de changement impliquera la ncessit de se dpolluer de la violence reue au cours de nos diffrentes expriences de vie. la fois pour librer des nergies, mais aussi pour se rapproprier un pouvoir d'influence sur sa propre vie. Prendre soin des blessures ouvertes en nous dclenchera un processus de rconciliation, de runification profonde. La recherche d'une meilleure sant et d'un mieux-tre passera souvent par un lcher-prise sur les ressentiments et une dpollution, un nettoyage de la tuyauterie relationnelle qui garde durablement la trace des violences du pass.

    Ce nettoyage de la tuyauterie relationnelle intime constitue une des dmarches les plus stimulantes de la vie. Il n'est possible que si nous sortons de la collusion induite par notre conditionnement culturel entre les violences reues, qui sont rendre (quand elles nous ont t imposes) ou reprendre (quand nous prenons conscience d'en avoir dpos), et l'auto-souffrance produite par des ruminations ou l'entretien de reproches, d'accusations et de mise en cause d'autrui.

    Une des escroqueries intimes les plus frquentes et les plus durables l'gard de soi-mme est d'entretenir ressentiments, rancoeurs, accusations et reproches sur les autres en croyant qu'ils sont responsables de notre souffrance. En imaginant trop frquemment qu'il faut les culpabiliser en les rendant responsables d'tre l'origine de nos malheurs. La culpabilisation latente qui empoisonne de nombreuses relations favorise le dveloppement sans fin d'une auto-violence l'gard de soi-mme. En dmystifiant ces trois termes: violences, blessures, souffrances, nous proposons de nettoyer les blessures, de les assainir, de les apaiser en restituant, par une action symbolique concrte, les violences reues, ou en reprenant, toujours par une dmarche symbolique, les violences dposes.

    Nous avons pu constater que de nombreux symptmes disparaissaient, que des somatisations se rsorbaient, que les passages l'acte somatique rptitifs cessaient quand l'auto-violence n'tait plus alimente ou entretenue par nous-mmes. Nous avons reu de nombreux tmoignages attestant un mieux-tre, un plus grand pouvoir de vie, une autonomie relationnelle et affective plus importante aprs de telles dmarches.

  • Comme dans beaucoup de domaines, la prise de conscience ne suffit pas, encore faut-il la conforter par une action, un engagement s'appuyant sur des actes symboliques et la ncessit d'une mise en mots pour donner un sens cette prise en charge par l'intress lui-mme, qui l'engage se respecter. En renonant confondre violence reue et souffrance produite, une dmarche de bien-tre et de libration nergtique peut s'amorcer pour chacun.

    *Jacques Salom a crit avec Sylvie Galland. Les mmoires de l'oubli (dition Jouvence) et Si je m'coutais, je m'entendrais (ditions de l'Homme)