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PETITE ANTHOLOGIE DE POEMES POUVANT ENRICHIR UNE DISSERTATION Voici un liste de poèmes, dont certains sont déjà probablement connus de vous. J'ai pris le soin de mettre en gras les vers à connaître par cœur. TEXTE 1 : "Le Lac" est un poème lyrique d'un auteur romantique, Alphonse de Lamartine. Dans ce poème extrait des Méditations poétiques (1820), il exprime sa douleur : sa bien-aimée, Elvire, est morte. Il retourne sur les rives du lac où il se promenait en sa compagnie. Il déplore le passage inéluctable du temps, qui efface les souvenirs et demande à la nature de garder une trace de leurs amours passées. Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages, Dans la nuit éternelle emportés sans retour, Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges Jeter l'ancre un seul jour ? Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière, Et près des flots chéris qu'elle devait revoir, Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre Où tu la vis s'asseoir ! Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes, Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés, Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes Sur ses pieds adorés. Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ; On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux, Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence Tes flots harmonieux. Tout à coup des accents inconnus à la terre Du rivage charmé frappèrent les échos ; Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère " Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive, Hâtons-nous, jouissons ! L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ; Il coule, et nous passons ! " Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse, Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur, S'envolent loin de nous de la même vitesse Que les jours de malheur ? Eh quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ? Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus ! Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface, Ne nous les rendra plus ! Éternité, néant, passé, sombres abîmes, Que faites-vous des jours que vous engloutissez ? Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes Que vous nous ravissez ? Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure ! Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir, Gardez de cette nuit, gardez, belle nature, Au moins le souvenir !

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PETITE ANTHOLOGIE DE POEMES POUVANT ENRICHIR UNE DISSERTATION

Voici un liste de poèmes, dont certains sont déjà probablement connus de vous. J'ai pris le soin de mettre en gras les vers à connaître par cœur.

TEXTE 1 : "Le Lac" est un poème lyrique d'un auteur romantique, Alphonse de Lamartine. Dans ce poème extrait des Méditations poétiques (1820), il exprime sa douleur : sa bien-aimée, Elvire, est morte. Il retourne sur les rives du lac où il se promenait en sa compagnie. Il déplore le passage inéluctable du temps, qui efface les souvenirs et demande à la nature de garder une trace de leurs amours passées.

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,Dans la nuit éternelle emportés sans retour,Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âgesJeter l'ancre un seul jour ?

Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière,Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierreOù tu la vis s'asseoir !

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondesSur ses pieds adorés.

Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadenceTes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terreDu rivage charmé frappèrent les échos ;Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chèreLaissa tomber ces mots :

" Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !Suspendez votre cours :Laissez-nous savourer les rapides délicesDes plus beaux de nos jours !

" Assez de malheureux ici-bas vous implorent,Coulez, coulez pour eux ;Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;Oubliez les heureux.

" Mais je demande en vain quelques moments encore,Le temps m'échappe et fuit ;Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l'auroreVa dissiper la nuit.

" Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,Hâtons-nous, jouissons !L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;Il coule, et nous passons ! "

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur, S'envolent loin de nous de la même vitesseQue les jours de malheur ?

Eh quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ?Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,Ne nous les rendra plus !

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimesQue vous nous ravissez ?

Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,Au moins le souvenir !

Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvagesQui pendent sur tes eaux.

Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surfaceDe ses molles clartés.

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,Que les parfums légers de ton air embaumé,Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,Tout dise : Ils ont aimé !

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------TEXTE 2 : Dans ce sonnet lyrique de 1555, Louise Labé, poétesse de la Renaissance, exprime les affres de la passion amoureuse.

TEXTE 3 : Dans le poème "Liberté", extrait de Poésie et vérité (1942), Paul Eluard fait acte de Résistance.

Sur les sentiers éveillésSur les routes déployéesSur les places qui débordentJ’écris ton nom

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Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;J'ai chaud extrême en endurant froidure :La vie m'est et trop molle et trop dure.J'ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout à un coup je ris et je larmoie,Et en plaisir maint grief tourment j'endure;Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène ;Et, quand je pense avoir plus de douleur,Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,Et être au haut de mon désiré heur,Il me remet en mon premier malheur.

Sur mes cahiers d’écolierSur mon pupitre et les arbresSur le sable de neigeJ’écris ton nom

Sur toutes les pages luesSur toutes les pages blanchesPierre sang papier ou cendreJ’écris ton nom

Sur les images doréesSur les armes des guerriersSur la couronne des roisJ’écris ton nom

Sur la jungle et le désertSur les nids sur les genêtsSur l’écho de mon enfanceJ’écris ton nom

Sur les merveilles des nuitsSur le pain blanc des journéesSur les saisons fiancéesJ’écris ton nom

Sur tous mes chiffons d’azurSur l’étang soleil moisiSur le lac lune vivanteJ’écris ton nom

Sur les champs sur l’horizonSur les ailes des oiseauxEt sur le moulin des ombresJ’écris ton nom

Sur chaque bouffées d’auroreSur la mer sur les bateauxSur la montagne démenteJ’écris ton nom

Sur la mousse des nuagesSur les sueurs de l’orageSur la pluie épaisse et fadeJ’écris ton nom

Sur les formes scintillantesSur les cloches des couleursSur la vérité physiqueJ’écris ton nom

Sur la lampe qui s’allumeSur la lampe qui s’éteintSur mes raisons réuniesJ’écris ton nom

Sur le fruit coupé en deuxDu miroir et de ma chambreSur mon lit coquille videJ’écris ton nom

Sur mon chien gourmand et tendreSur ses oreilles dresséesSur sa patte maladroiteJ’écris ton nom

Sur le tremplin de ma porteSur les objets familiersSur le flot du feu béniJ’écris ton nom

Sur toute chair accordéeSur le front de mes amisSur chaque main qui se tendJ’écris ton nom

Sur la vitre des surprisesSur les lèvres attendriesBien au-dessus du silenceJ’écris ton nom

Sur mes refuges détruitsSur mes phares écroulésSur les murs de mon ennuiJ’écris ton nom

Sur l’absence sans désirSur la solitude nueSur les marches de la mortJ’écris ton nom

Sur la santé revenueSur le risque disparuSur l’espoir sans souvenirJ’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un motJe recommence ma vieJe suis né pour te connaîtrePour te nommer

Liberté

TEXTE 4 : "Mélancholia" est un poème engagé de V.Hugo, extrait des Contemplations (1856) . Le poète s'insurge contre le travail des enfants. (Le poème est constitué d'une strophe unique).

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ? Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant

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Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellementDans la même prison le même mouvement.Accroupis sous les dents d'une machine sombre,Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! » O servitude infâme imposée à l'enfant !

Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain ! -D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,Qui produit la richesse en créant la misère,Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? que veut-il ? »Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,Une âme à la machine et la retire à l'homme !Que ce travail, haï des mères, soit maudit !Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !O Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux,Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !

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TEXTE 5 : "L'Art" est un poème du poète parnassien Théophile Gautier (1857). Le Parnasse est un mouvement littéraire poétique de la seconde moitié du XIXe siècle. Il prône "l'art pour l'art" : l'art n'a pas d'autre but que lui-même, il vise le Beau et rien d'autre. le poète, dans l'effort, cisèle une œuvre d'art, tel un joaillier. Comme le dit Gautier,dans la préface de Mademoiselle de Maupin, "tout ce qui est utile est laid". L'art n'a que faire des préoccupations bassement matérielles des hommes, il se coupe de la réalité sociale et politique.

Oui, l’œuvre sort plus belleD’une forme au travail            Rebelle,Vers, marbre, onyx, émail. Point de contraintes fausses !Mais que pour marcher droit            Tu chausses,Muse, un cothurne étroit. Fi du rythme commode,Comme un soulier trop grand,            Du modeQue tout pied quitte et prend !

Statuaire, repousseL’argile que pétrit            Le pouce,Quand flotte ailleurs l’esprit ;

Lutte avec le carrare,Avec le paros dur            Et rare,Gardiens du contour pur ;

 Emprunte à SyracuseSon bronze où fermement            S’accuseLe trait fier et charmant ;

D’une main délicatePoursuis dans un filon            D’agateLe profil d’Apollon. Peintre, fuis l’aquarelle,Et fixe la couleur            Trop frêleAu four de l’émailleur.

Fais les sirènes bleues,Tordant de cent façons            Leurs queues,Les monstres des blasons ; Dans son nimbe trilobeLa Vierge et son Jésus,            Le globeAvec la croix dessus.

 Tout passe. — L’art robusteSeul a l’éternité.            Le busteSurvit à la cité. Et la médaille austèreQue trouve un laboureur            Sous terreRévèle un empereur. Les dieux eux-mêmes meurentMais les vers souverains            DemeurentPlus forts que les airains. Sculpte, lime, cisèle ;Que ton rêve flottant            Se scelleDans le bloc résistant !

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TEXTE 6 : Inspirés par Apollinaire (c'est lui qui inventa le mot "surréalisme"), les surréalistes libèrent le langage poétique en annihilant les entraves de la pensée rationnelle, et de la morale. Parmi les jeux poétiques destinés à explorer l'inconscient humain, figure celui du "cadavre exquis". Il consiste à écrire un GN sur un papier, à le plier et à

   

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le passer à son voisin. Ce dernier ne lit pas ce qui a été écrit avant lui, et écrit un adjectif. La personne suivante écrit un verbe conjugué. La personne suivante écrit un COD, etc... Voici quelques cadavres exquis (Le Surréalisme au service de la révolution, 1930-1933).

Le cadavre - exquis - boira - le vin - nouveau.Le mille-pattes amoureux et frêle rivalise de méchanceté avec le cortège languissant.La vapeur ailée séduit l'oiseau fermé à clefs.La grève des étoiles corrige la maison sans sucre.

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TEXTE 7 : Eluard est un poète surréaliste en vers libres. Dans ce poème extrait de L'amour la poésie (1929), il joue avec le langage. En effet, il crée des métaphores surprenantes (v.1 et v. 10) qui remotivent le langage, c'est-à-dire qui recréent le lien qui unit le mot à la chose. Cela libère l'imagination, permet d'explorer l'inconscient humain et de restituer le mystère du désir amoureux. (Le poème est constitué de deux strophes).

La terre est bleue comme une orangeJamais une erreur les mots ne mentent pasIls ne vous donnent plus à chanterAu tour des baisers de s’entendreLes fous et les amoursElle sa bouche d’allianceTous les secrets tous les souriresEt quels vêtements d’indulgenceÀ la croire toute nue.

Les guêpes fleurissent vertL’aube se passe autour du couUn collier de fenêtresDes ailes couvrent les feuillesTu as toutes les joies solairesTout le soleil sur la terreSur les chemins de ta beauté.

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TEXTE 8 : Voici un calligramme d'Apollinaire, écrit en hommage à Lou, extrait des Poèmes à Lou, 1915.

Reconnais-toi

Cette adorable personne c’est toi

Sous le grand chapeau canotier

Oeil

Nez

La Bouche

Voici l’ovale de ta figure

Ton cou Exquis

Voici enfin l’imparfaite image de ton buste adoré

Vu comme à travers un nuage

Un peu plus bas c’est ton coeur qui bat

TEXTE 9 : "Le pain". Dans son recueil de poèmes en prose, Le parti pris des choses (1942), Francis Ponge poursuit un objectif : monter que la poésie peut parler de tout, notamment des choses, autrement dit des

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objets ou éléments vivants banals du quotidien (l'huître, le cageot). La poésie transfigure le monde : elle va révéler la beauté de ces objets ordinaires que nous ne remarquons pas. La description du pain rappelle la genèse, c'es-à-dire la création du monde.

La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique qu'elle donne : comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes. Ainsi donc une masse amorphe en train d'éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses… Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, - sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente. Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable… Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation.

TEXTE 10 : Dans "Fonction du poète", (Les Rayons et les ombres, 1840). Victor Hugo aborde le rôle du poète. Il est un mage, un voyant, un visionnaire qui voit plus loin que le commun des mortels. Il est un intermédiaire entre Dieu et les Hommes. En ce sens, il doit se charger de guider les peuples.

Dieu le veut, dans les temps contraires,Chacun travaille et chacun sert.Malheur à qui dit à ses frères :Je retourne dans le désert !Malheur à qui prend ses sandalesQuand les haines et les scandalesTourmentent le peuple agité !Honte au penseur qui se mutileEt s'en va, chanteur inutile,Par la porte de la cité !

Le poète en des jours impiesVient préparer des jours meilleurs.ll est l'homme des utopies,Les pieds ici, les yeux ailleurs.C'est lui qui sur toutes les têtes,En tout temps, pareil aux prophètes,Dans sa main, où tout peut tenir,Doit, qu'on l'insulte ou qu'on le loue,Comme une torche qu'il secoue,Faire flamboyer l'avenir !

Il voit, quand les peuples végètent !Ses rêves, toujours pleins d'amour,Sont faits des ombres que lui jettentLes choses qui seront un jour.On le raille. Qu'importe ! il pense.Plus d'une âme inscrit en silenceCe que la foule n'entend pas.Il plaint ses contempteurs frivoles ;Et maint faux sage à ses parolesRit tout haut et songe tout bas !

Peuples! écoutez le poète !Ecoutez le rêveur sacré !Dans votre nuit, sans lui complète,Lui seul a le front éclairé.Des temps futurs perçant les ombres,Lui seul distingue en leurs flancs sombresLe germe qui n'est pas éclos.Homme, il est doux comme une femme.Dieu parle à voix basse à son âmeComme aux forêts et comme aux flots.

C'est lui qui, malgré les épines,L'envie et la dérision,Marche, courbé dans vos ruines,Ramassant la tradition.De la tradition fécondeSort tout ce qui couvre le monde,Tout ce que le ciel peut bénir.Toute idée, humaine ou divine,Qui prend le passé pour racine,A pour feuillage l'avenir.

Il rayonne! il jette sa flammeSur l'éternelle vérité !Il la fait resplendir pour l'âmeD'une merveilleuse clarté.Il inonde de sa lumièreVille et désert, Louvre et chaumière,Et les plaines et les hauteurs ;A tous d'en haut il la dévoile;Car la poésie est l'étoileQui mène à Dieu rois et pasteurs !