Vie_sous_le_Blocus_de_Gaza_2007-2015
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ISAM-ESCRIBE KARIM
VIE SOUS LE BLOCUS DE GAZA : 2007-2015
2014-2015
UNIVERSITE PARIS IV -SORBONNE
SOUS LA DIRECTION D’OLIVIER FORCADE.
1
Remerciements.
Ce travail aurait été impossible à mener sans la confiance du Professeur Forcade.
Je tiens aussi à témoigner ma reconnaissance à Mr Ziad Medoukh, professeur de français
à l’université de Gaza, qui à gentiment répondu à mes mails.
2
À ma grand-mère et à Ludovica.
Au peuple de Palestine et de Gaza.
3
« Gaza n’a pas de voix. Ce sont les pores de sa peau qui exhalent la douceur, le sang et le
feu. Et donc l’ennemi lui voue une haine et une crainte mortelles, et cherche à la noyer
dans la mer, le désert ou le sang. Et donc ses proches et ses amis l’aiment avec une
timidité qui parfois touche à la jalousie et à la peur, car Gaza est une leçon brutale et un
exemple éclatant pour ses ennemis comme ses amis.
Gaza n’est pas la plus belle des villes.
Son rivage n’est pas plus bleu que celui d’autres villes arabes.
Ses oranges ne sont pas les plus belles du bassin méditerranéen.
Gaza n’est pas la ville la plus riche.
Ce n’est ni la plus élégante, ni la plus grande, mais son histoire est à la hauteur d’une
véritable patrie. Car elle est la plus laide, la plus pauvre, la plus misérable et la plus
vicieuse aux yeux de ses ennemis. Parce qu’elle est la plus capable d’entre nous pour
troubler l’humeur et le confort de l’ennemi. Parce qu’elle est son cauchemar. Parce
qu’elle est tout à la fois des oranges minées, des enfants sans enfance, des vieillards sans
vieillesse et des femmes sans désirs. Parce que tout ceci réuni constitue sa plus grande
beauté, pureté et richesse, parce qu’elle est infiniment digne d’amour. »
Mahmoud Darwich.
Sommaire.
5
Introduction…………………………………………………………………………………P7
1. Blocus : histoire, formes, justifications……………………………………… P12
1.1 Histoire et évolution……………………………………………………………… ………
1.2 Formes du blocus…………………………………………………………………………...
1.3 Justifications des bloqueurs…………………………………………………… …….
2. Gaza, entre guerres et blocus : des conséquences désastreuses pour
la population…………………………………………………………………………………P28
2.1 Pénuries des besoins primaires et quelques conséquences directes…
2.2 Dimensions économiques ……………………………………………………………..
2.3 Conséquences sociales et psychologiques………………………………………
3. Le Hamas et la société gazaouie………………………………………………….P48
3.1 Secteurs politiques et économiques………………………………………………
3.2 Secteurs sociaux et culturels……………………………………………………...
3.3 Secteur militaire………………….………………………………………………………..
Conclusion……………………………………………………………………………………….59
Introduction.
6
Un collectionneur de Gaza, Jawdat Koudary, a récemment construit un musée sur le
front de mer de Gaza en bordure du camp de réfugiés de Shati. Ce musée se veut
essentiellement le témoin du prestigieux passé de cette bande de terre meurtrie par les
vicissitudes du conflit israélo-palestinien.1 En effet, l’histoire de Gaza est vieille puisque
la ville a probablement été fondée vers 3300 avant J.-C., et un peuple de sémites, les
Cananéens, s’y installent vers 3000 avant J.-C. Mais c’est aux alentours de 1500 avant J.C.
que la ville se développe, lorsque Canaan prend son essor. Puis Canaan passe sous tutelle
égyptienne, pendant quatre siècles. Vers 1200 avant J.-C. commencent à arriver par la
mer d’autres peuples, dont les Philistins, qui se battent contre les Egyptiens. Les
Philistins s’installent progressivement à Canaan, au fil des batailles, et se mêlent à la
population cananéenne, gouvernant ainsi plusieurs villes. Ils commencent à se heurter à
d’autres arrivants, les Israélites. Vers 1000 avant J.-C., ces derniers remportent la
victoire contre les Philistins, et David devient roi. Gaza et les autres villes philistines
passent alors sous l’autorité des Israélites. Au VIII ème siècle, les Assyriens prennent le
pouvoir (de 730 à 630 avant J.-C.), puis les Egyptiens à nouveau, les Babyloniens vers
600, les Perses vers 539, les Grecs vers 332 avant J.-C., et les Romains à partir de 63
avant J.-C. Pendant l’époque byzantine, le christianisme s’implante à Gaza et dans sa
région. Cette époque est suivie par la conquête arabe : Gaza est conquise en 637, comme
le reste de la région. Suivent ensuite la période des croisades (XIème et XIIème siècle),
puis la période ottomane qui s’achève avec la Première Guerre mondiale. Pendant ce
conflit se déroule la bataille de Gaza, dirigée par l’armée britannique contre les Turcs
présents dans cette région. Trois tentatives sont nécessaires aux Britanniques pour
reprendre la ville et la dernière bataille, menée par le général Allenby, permet la victoire
en novembre 1917.
La Grande-Bretagne obtient alors de la Société des Nations un mandat sur la Palestine
(ainsi que sur l’Irak et la Transjordanie). Pendant le mandat, la Palestine est divisée en
trois districts, Jérusalem, le district Nord et celui du Sud. Au regard des difficultés entre
autorités britanniques, populations arabes et juives, plusieurs solutions territoriales
sont proposées : plan Peel de 1937, plan de l’ONU voté le 29 novembre 1947, partageant
1 MEDOUKH Ziad, chroniques d’un été meurtrier à Gaza, récit d’un génocide répété, Kairos,
2014 ,p 91
7
la Palestine mandataire en un Etat juif (composé de la plaine côtière, du Néguev, de la
partie nord-est autour du lac de Tibériade), en un Etat arabe (composé de la Galilée
occidentale, de la Cisjordanie sauf Jérusalem, de la bande côtière allant de Jaffa à la
frontière avec l’Egypte) et en un corpus separatum pour Jérusalem et sa région. Ce plan
est diversement accueilli par les populations : la population arabe le refuse mais la
population juive l’accueille positivement. Des affrontements se déclenchent alors entre
populations arabes et juives. Le mandat s’achève avec le départ de l’administration
britannique le 14 mai 1948. Le même jour, l’Etat d’Israël est créé, et la première guerre
israélo-arabe est déclenchée. Lors de ce conflit, nombre d’Arabes de Palestine se
réfugient à Gaza et dans sa région, restée sous contrôle arabe (190 000 personnes, qui
s’ajoutent aux 70 000 habitants de la région 2
Gaza et sa région sont alors placés sous l’administration de l’Egypte, à la suite des
accords d’armistice de 1949. Les conditions de vie y sont très difficiles, l’Egypte
subvenant difficilement aux besoins des nouveaux réfugiés. Dans ce contexte humain et
économique, une ébauche de gouvernement palestinien se met en place en septembre
1948 à Gaza, avec à sa tête le mufti de Jérusalem Hajj Amine al-Husseini. La situation
politique intérieure de l’Egypte a en outre une influence directe sur Gaza. La révolution
de 1952 porte au pouvoir les Officiers libres et met fin au régime monarchique soutenu
par la Grande-Bretagne. Gaza bénéficie alors de l’implication égyptienne, notamment
dans l’éducation (fondation d’écoles, bourses données à des étudiants pour aller dans les
universités égyptiennes) et dans les infrastructures. Sur le plan régional, le conflit entre
l’Egypte et Israël, notamment les accrochages frontaliers, a des conséquences pour la
bande de Gaza. Des commandos égyptiens lancent en effet des raids de la bande de Gaza
vers Israël, entrainant les représailles israéliennes sur ce territoire. Israël mène
notamment le 28 février 1955 un raid contre la ville de Gaza, pendant lequel des soldats
égyptiens sont touchés. Une autre opération égyptienne entraine en août 1955 le
bombardement de Gaza par Israël. Ce cycle de violence se poursuit en 1956. Dans ce
contexte, cette même année, la nationalisation du canal de Suez par Nasser et l’opération
militaire franco-britannique qui s’en suit provoque l’occupation de la bande de Gaza par
l’armée israélienne, dès début novembre, jusqu’à mars 1957. En mars 1957, la bande de
Gaza est à nouveau sous l’administration de l’Egypte, mais ce sont les troupes de l’ONU,
et non celles de l’Egypte, qui prennent position à la frontière entre la bande de Gaza et
2 http://www.lesclesdumoyenorient.com/Bande-de-Gaza.html
8
Israël. Nasser accepte alors que la bande de Gaza se dote d’une structure politique : un
Conseil exécutif et un Conseil législatif. Cette nouvelle organisation, dont le quartier
général s’installe à Gaza, est en réalité contrôlée par l’Egypte, qui nomme le gouverneur
de Gaza. En mai 1964, le Congrès national palestinien, réuni à Jérusalem, décide de
rédiger une Charte nationale et de mettre en place une organisation afin de libérer la
Palestine. En septembre, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) est créée ainsi
que l’Armée de libération de la Palestine (ALP)3.
La Guerre des Six-jours éclate et Gaza passe sous contrôle israélien en juin 1967. Une
administration et une colonisation sont mises en place. En face, une résistance se lance
dans des attaques quotidiennes et meurtrières. Entre les deux, une population tente de
survivre, de trouver un travail. Cependant le manque de perspective politique et
économique va pousser les jeunes dans la première intifada en 1987. A cette occasion,
on voit l’apparition d’un nouvel acteur, le Hamas. Celui-ci n’a pas participé à la résistance
commencée en 1967 mais grâce à la prédication, aux échecs consécutifs du Fatah et de
l’Autorité Palestinienne de Yasser Arafat, il a su se créer une vraie attraction populaire.
En février 2005, le gouvernement israélien décide du retrait de la bande de Gaza pour le
mois d’août. Cette décision est également confirmée par le nouveau président de
l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas (élu à la suite du décès de Yasser Arafat en
novembre 2004). Le retrait israélien s’achève le 22 août 2005 : environ 8 000 colons
ainsi que les militaires quittent la bande de Gaza.
Une tentative politico-économique est mise en place, l’accord AMA (The Agreement on
Movement and Access). Cet accord proposé par le Quartet se pense comme un projet
global de pacification, avec des dates butoires et la création d’un Etat Palestinien.
Mais la victoire du Hamas va tuer toutes espoirs de paix. Les victoires aux élections
municipales et législatives de 2006 vont pousser Israël à mettre en place un blocus, de
manière unilatérale mais avec l’accord tacite des grandes puissances, Etats-Unis et
Europe en tête.
Mon travail va tenter de répondre à certains nombre de questions : Comment ce blocus
s’est-il mis en place ? Y a t-il des tendances ? Peut-on parler de rupture brutale en 2007
ou le blocus n’est que la continuation d’une même logique ? Quelles effets le blocus
entrainent-il sur la vie quotidienne des Gazaouis ? Quels effets sur la cellule familiale,
Quel avenir pour les enfants ? Comment cette génération peut-elle et va t-elle se
3 http://www.lesclesdumoyenorient.com/Bande-de-Gaza.html
9
reconstruire ? Peut-on expliquer la stratégie israélienne ? Le concept de « de-
développement » est-il applicable ? Peut-on le limiter au blocus ? Peut-on parler d’un
Hamastan ? La société Gazaouie est-elle militarisée ? Quel est le degré de contrôle du
Hamas sur les autres groupes politico-militaires ? Quels sont-ils ?
Pour répondre à ces questions, le mémoire est divisé en trois parties. La première partie
se concentre sur l’histoire du blocus. Il s’agit de définir des tendances. Nous avons
décidé de prendre le blocus dans sa totalité, c’est à dire de 2007 à 2015. Ces 8 années ne
doivent pas être perçues comme monolithiques mais ont connu des changements selon
des considérations nationales ou régionales. Le blocus de Gaza est imbriqué dans sa
géographie, celle du Sinaï et celle d’un Moyen-Orient en plein bouleversement. L’enclave
palestinienne est certes coupée du monde, mais celui-ci arrive à lui et l’arrivée d’un
nouvel acteur comme l’ Etat Islamique à des conséquences sur son propre territoire.
Fiodor Dostoïevski parlait des hommes, comme d’animaux capables de s’habituer à tout.
Cette citation est le fil conducteur de ma deuxième partie, elle se veut une analyse
« concrète du concret ». Elle s’intéresse aux questions alimentaires, énergétiques et de
santés, elle montre un peuple qui souffre mais qui résiste pour survivre, pour vivre.
Enfin, ma dernière partie est un pari, celui de croire qu’une étude du Hamas peut nous
apprendre sur Gaza. Ce mouvement est beaucoup plus proche d’un « internationalisme
islamique » que du nationalisme palestinien. Ce mouvement et ses idées imprègnent
beaucoup plus Gaza que les coutumes locales imprègnent le bureau politique du Hamas.
A travers l’angle du Hamas, nous pouvons suivre une mentalité gazaouie qui a évolué et
qui évolue sous son patronage. Il s’agit aussi d’un retour d’une histoire politique.
Les sources sur le blocus de Gaza sont paradoxales. Le conflit israélo-palestinien est
traité sur tous les supports : les analyses historiques, retraçant les grandes étapes et les
solutions possibles, des photographies, des livres, des poèmes, des films…Ainsi le cadre
général est très documenté, mais Gaza l’est beaucoup moins avec une seule œuvre
d’historien4. En ce qui concerne le blocus et sa dureté, il existe des témoignages de
journalistes, d’écrivains, d’humanitaire mais ces ouvrages se concentrent très souvent
sur les périodes de guerres comme si Gaza ne devenait intéressante qu’en période de
massacre. Alors pour comprendre une réalité, celle de 1,7 millions de personnes, il faut
se plonger dans les rapports d’ONG et d’organisations internationales. Les sources
4 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p 436.
10
manquent aussi sur l’histoire du blocus de Gaza, il n’en existe pas et mon modeste travail
tente de combler ceci, en parlant des tendances, en offrant une perspective, en créant
une chronologie avec des accélérations et des coupures.
Enfin l’objet politique qu’est le Hamas est limité surtout en langue française, les autres
mouvements politiques de Gaza ne semblent pas intéresser les chercheurs. Il n’y a que
trois livres sur le Hamas et un seul sur le Jihad Islamique.
11
I. Blocus : Histoire, formes, justifications.
1.1 Histoire et évolution
1.1.1 Affirmation d’une logique de blocus (1967-2007)
Le 6 juin 1967, la ville de Gaza est pilonnée par les bombardiers et l’artillerie israéliens,
le 7 au matin le gouverneur égyptien de Gaza, le général Abdelmoneim Husseini
capitule5. L’Egypte perd Gaza au profit d’Israël. Dès la fin de cette « guerre des Six
Jours », la ligne d’armistice est abolie par Israël. Le ministre Dayan escompte d’une telle
politique de « portes-ouvertes » une pacification rapide des territoires occupés6. Cette
politique a un double avantage pour les vainqueurs, d’une part permettre à l’économie
israélienne de capter une main d’œuvre bon marché et de l’autre de détruire ou tout du
moins d’affaiblir la résistance palestinienne en offrant une possibilité de réussite
économique. Ainsi l’idée de Moshé Dayan est d’offrir une intégration économique en
espérant un affaiblissement du nationalisme palestinien7. Cette politique sera appliquée
de 1967 à 1991. Son symbole est le « permis de sortie général ». Ce permis offre la
possibilité aux palestiniens de se déplacés librement de Gaza à la Cisjordanie en passant
par Israël, l’unique restriction est l’interdiction pour un palestinien d’être sur le
territoire juif d’une heure à cinq heure du matin. Cette première politique connaît une
rupture dès 1989 avec l’instauration d’une carte magnétique d’une validité d’un an.
Cette carte est le fruit du contexte de trouble qui débouchera sur la première intifada et
est systématiquement refusée à tous palestiniens soupçonnés d’activité politique
subversive. Mais le véritable changement date du 15 janvier 1991 avec la mise en place
des permis de sortie individuel. Avant 1991 l’ouverture était la règle et la fermeture
l’exception, après 1991 la fermeture est la règle, l’ouverture l’exception. La logique de
blocus s’installe à cette date. Ces nouveaux permis vont profondément affecter la vie des
palestiniens, notamment celle des étudiants qui se retrouvent dans l’impossibilité de se
rendre à l’université mais aussi celle de nombreuses familles dont les membres sont
séparés entre Gaza et la Cisjordanie. Cette nouvelle stratégie que l’on nomme « politique
de fermeture » est définitivement appliquée et assumée par l’Etat hébreu en mars 1993
5 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p 140
6 Ibid7 http://www.haaretz.com/weekend/week-s-end/otherwise-occupied-access-denied-1.284725
12
avec le bouclage général de tous les territoires mais surtout la construction de
nombreux « checkpoint » notamment au nord de Gaza.8 La déclaration de principe entre
Israël et l’organisation de libération de la Palestine (OLP) n’aura aucune incidence sur
une réalité de plus en plus difficile à vivre pour le peuple palestinien 9. A partir de cette
date la sévérité du bouclage est liée aux circonstances, par exemple lors d’incidents
entre palestiniens et israéliens ces derniers peuvent imposer une fermeture totale
durant lequel aucun permis de sortie n’est délivré à quiconque10. La situation est telle
que lors de la passation de pouvoir entre Israël et l’OLP à Gaza en mai 1994, les premiers
imposent aux gazaouis souhaitant se rendre en Cisjordanie de passer par le passage de
Rafah en Egypte pour rejoindre la Jordanie avant d’utiliser le pont Allenby pour enfin
arriver en Cisjordanie. Pour bien se rendre compte de la situation, prenons le cas d’un
habitant d’Erez, ville située à quelques kilomètres de la bande de Gaza, si celui-ci
souhaite se rendre à Jérusalem il peut s’y rendre en voiture en 1H29 (91 Km). Alors
qu’un habitant de Rafah souhaitant aller à Jérusalem doit longer l’Egypte jusqu’au Golfe
d’Aqaba puis continuer le long de la Jordanie avant de traverser la Cisjordanie soit 8H15
de trajet (593 Km). Cette « politique de fermeture » continue puisque dès 2001, l’entrée
à Gaza par Israël est interdite sauf dans le cas d’un mort ou d’une parenté au premier
degré. Avec le début de la seconde intifada, la politique de fermeture devient encore plus
stricte, les permis sont délivrés au compte-gouttes notamment pour raisons médicales.
Jusqu’au désengagement unilatéral de 2005, nous avons donc vu que l’on peut définir
deux grandes périodes : la première appelée « portes ouvertes » puis celle de « la
politique de fermeture » celle-ci est indéniablement le prémisse d’une autre beaucoup
plus sévère pour la population : le blocus.
1.1.2Etablissement et tendances du blocus
8 http://www.haaretz.com/weekend/week-s-end/otherwise-occupied-access-denied-1.2847259 http://www.btselem.org/freedom_of_movement/closure10 Ibid.
13
A la suite du processus de désengagement israélien de la bande de Gaza en septembre
2005, un accord a été trouvé entre l’autorité palestinienne et le gouvernement de l’Etat
hébreux en novembre 2005. Cet accord qui porte le nom « Agreed documents by Israel
and Palestinians on Movement and Access from and to Gaza. » a été facilité par la
médiation du secrétaire d’Etat Condoleezza Rice, du haut représentant européen pour la
politique étrangère et de sécurité commune Javier Solana et James Wolfensohn, ancien
président de la banque mondiale et envoyé spécial du Quartet pour la supervision du
désengagement. Cet accord a pour objectif de « faciliter le mouvement des biens et des
personnes à l’intérieur des territoires palestiniens » et d’ouvrir « un point de passage à
Rafah qui donnera aux gazaouis le contrôle des entrées et sorties des biens et
personnes » et ainsi « promouvoir le développement économique et améliorer la
situation humanitaire sur le terrain11 ». En d’autres termes le désengagement et l’AMA
doivent permettre au peuple de Gaza de sortir de la « politique de fermeture » de
retrouver un niveau de vie acceptable en rétablissant la liberté de circulation, la
réouverture de l’aéroport et l’édification d ‘un port. Ce document, qui reste technique
plus que politique se construit autour de quatre points cruciaux. En premier lieu,
l’ouverture au plus vite du passage de Rafah puis celui de Karni. Ceux-ci doivent être
ouverts constamment et permettre aux hommes et aux biens de passer. Troisièmement
l’accord stipule la construction d’un port et la réouverture de l’aéroport de Gaza. Il est
intéressant de noter que cet accord synonyme d’espoir pour de nombreux gazaouis n’eut
que peu d’effets concrets. Le terminal de Rafah a été ouvert tous les jours à la date fixée
par l’accord du 25 novembre 2005 puis a été fermé 86% du temps par les israéliens dès
juin 2006. Le point de passage de Karni a connu une situation similaire. L’accord
prévoyait 400 passages de camions par jours à la fin de l’année 2006….la moyenne a été
de 12 passages par jours. En ce qui concerne le port il n’a jamais été construit malgré
des discussions alors que la question de l’aéroport ne fut même jamais discutée entre
les acteurs. 12
Le désengagement a été vécu par les gazaouis comme une espérance, avec la possibilité
basique de se déplace ou de commercer. Autant dire que la déception a été grande.
Un événement va aggraver la situation et l’enfermement du peuple de Gaza, la victoire
du Hamas lors des élections de 2005 et de 2006. Ces deux scrutins, l’un municipal et
11 https://www.ochaopt.org/documents/ama_one_year_on_nov06_final.pdf12 Ibid
14
l’autre législatif donnent au Hamas un contrôle politique de la bande de Gaza. Cette
conjoncture est inacceptable pour tous les autres acteurs que ce soit le Fatah de
Mahmoud Abbas, les responsables israéliens ou le Quartet. Ce dernier qui avait été le
grand inspirateur des accords AMA va changer radicalement de stratégie, imposant un
certain nombre de sanctions économiques et légitimant la politique de fermeture
d’Israël. Ces sanctions consistent en deux grands points : les membres du Quartet (Etats-
Unis, Russie, ONU et l’Union Européenne) suspendent toutes aides que ce soit sous
formes de dons ou d’argent et Israël suspend le transfert à l’autorité palestinienne de la
TVA collectée par ses soins sur les échanges entre la Cisjordanie et Gaza13. Cette
situation ne peut pas évoluer positivement tant que les dirigeants du Hamas ne
répondent pas à trois exigences : la reconnaissance d’Israël, des accords conclus entre
l’OLP et Tel-Aviv et la renonciation à la violence. Mais surtout la stratégie est claire :
isoler le Hamas14. Israël n’est plus seul dans sa logique de fermeture, elle est légitimée
par les grandes puissances de ce monde. Cette stratégie est claire car selon Jean-Pierre
Filiu ce sont bien les conseillers de Bush et d’Olmert qui ont élaboré ce plan d’isolement
méthodique du Hamas dans la bande, ainsi les nouveaux députés islamistes sont
interdits de déplacement en Cisjordanie.15
En ce début d’année 2007, le contexte politique ne cesse de s’aggraver, des milices pro-
Fatah et pro-Hamas se combattent dans les rues de Gaza-ville, de Rafah et de Khan
Younes. Une spirale de violence avec des échanges de tirs, d’attentats à la voiture piégée
plonge la bande de Gaza dans une violence quotidienne. Cette guerre civile que les
médias nomment la bataille de Gaza ne se terminent qu’en Juin 2007 avec la victoire du
Hamas et la fuite vers l’Egypte ou vers le terminal d’Erez d’une grande partie des cadres
du Fatah présent. En quatre jours, la déroute des partisans d’Abbas est consommée et la
victoire du Hamas seul maitre à bord est totale. Les maisons des hiérarques de l’Autorité
sont pillées, la villa du chef local de Fatah Mohammed Dahlan est démolie à coup de
masse et des miliciens cagoulés se vautrent dans le bureau saccagé du président
palestinien.16
En même temps que la victoire du Hamas et avec l’appui américain, le premier ministre
isréalien Olmert se lance dans une logique d’isolement mais aussi de punition collective.
13 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p307.14 Ibid15 Ibid16 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p319.
15
En effet, le premier ministre israélien et son cabinet de sécurité franchissent, le 19
septembre 2007, une nouvelle étape en qualifiant la bande de Gaza de « territoire
hostile » contre lequel les sanctions sont renforcées (avec par exemple, la prohibition de
l’entrée du papier à Gaza pour ne pas y encourager la propagande du Hamas). C’est à ce
moment que l’Etat hébreu et l’Egypte mettent en place le blocus que l’on connaît jusqu’à
maintenant.
Tenter de définir certaines lignes directrices ou certaines évolutions du blocus n’est pas
chose aisée. Pour y arriver nous prendrons trois éléments qui indiquent le degré de
fermeture de la bande de Gaza. Tout d’abord le check-point de Rafah, puis celui de
Kerem Shalom et enfin le poste-frontière d’Erez (ou Beit Hanoun pour les palestiniens).
Notre analyse se limitera le plus possible à une étude chiffrée des flux de biens et de
personnes, le contexte historique ou politique sera étudié plus loin dans le mémoire.
Situé sur la frontière égyptienne du Sinaï, le passage de Rafah a pris au fur et à mesure
de l’avancée du blocus une place primordiale. A la suite de la fermeture par les israéliens
du poste de Karni en juin 2007, de Sufa en septembre 2008 et de Nahal Oz en janvier
2010, Rafah reste l’une des seule ouverture au monde pour le peuple de Gaza. L’histoire
de Rafah est politique, après avoir rendu le Sinaï aux égyptiens, le passage de Rafah fut
ouvert le 25 avril 1982. Ce poste-frontière qui reste sous contrôle israélien jusqu’au
désengagement de 2005 connu jusqu’en 2007 plusieurs phases. Une première phase
débute en 1982 jusqu’au début des années 2000 avec le déclenchements de l’intifada Al-
Aqsa,. Durant cette période et malgré des lourdeurs administratives pour obtenir un
« permis de sortie », le terminal fonctionne. Ainsi Rafah est ouvert tous les jours de la
semaine et toute la journée, les chiffres indiquent un passage mensuel de 45000
personnes chaque jour, ce chiffre nécessite d’être doublé pendant les vacances d’été17. A
partir de la deuxième intifada, la politique de fermeture, qui a commencé dès le début
des années 1990 s’accélère, le terminal de Rafah ferme de plus en plus souvent, devient
interdit aux véhicules. De plus, Rafah n’est ouvert que 7 heures par jours alors qu’il était
ouvert en continu. Ainsi alors que le passage est de 34100 personnes par mois en 1999,
il n’est en 2004 plus que de 1800018. Le désengagement de 2005 entraine de facto le
retrait des troupes israéliennes du terminal, celui-ci ne s’ouvre que selon le bon-vouloir
égyptien (la réalité est plus complexe puisqu’il s’agit souvent de marchandage entre
17 http://www.gisha.org/UserFiles/File/publications/Rafah_Report_Eng.pdf18 ibid
16
égyptiens et israéliens qui gardent un œil sur le terminal de Rafah puisqu’ils sont situés
à quelques kilomètres au Poste de Kerem Shalom). Quoi qu’il en soit, ce retrait se fait
sentir puisque les chiffres indiquent une augmentation du nombre de passages, on passe
de 1800 en 2004 à près de 40000 entre novembre 2005 et juin 200619.
L’enlèvement du soldat Shalit en juin 2006 jusqu’au coup de force du Hamas et sa prise
de Gaza en juin 2007 entrainent la fermeture de Rafah pendant 76% du temps20 soit
selon mes calculs une moyenne d’entrées et de sorties par mois de 6300 personnes.
A partir de juin 2007 et jusqu’en 2010, le terminal de Rafah à la suite d’un accord
israélo-égyptien est fermé de façon quasi-permanente. Durant les brèves ouvertures, les
passages ne sont autorisés que pour les malades, les résidents étrangers ou les gazaouis
ayant un visa (en grande partie des étudiants)21 .Cette fermeture entraine des situations
de tristesse collective où des familles attendent des jours entiers une hypothétique
sortie, très souvent refusée.
On note une première rupture en juillet 2010 après les évènements de la flotille Viva
Palestina. A partir de ce moment là et jusqu’à l’arrivée du général Sissi en juillet 2013
une ouverture plus importante d’environ 30000 entrées et sorties par mois L’arrivée de
Sissi, qui annonce avoir mis le Hamas dans la liste des groupes terroristes, entraine une
chute très importante d’environ 5000 entrées/sorties soit la phase la plus basse depuis
la création du terminal en 1982. En ce qui concerne Rafah, il y a donc trois étapes, une
politique de fermeture de 2007 à 2010, un relâchement jusqu’en 2013 et une fermeture
quasi-totale jusqu’en 2015. Pouvons nous confirmer ces tendances avec le passage
d’Erez22 ?
Le passage d’Erez, contrôlé par Israël est situé au nord de la bande de Gaza et est le seul
point de passage des individus entre Gaza et la Cisjordanie. Il est le seul moyen de sortie
lorsque Rafah est fermée, ce qui fut le cas une grande partie du temps lors de la période
2007-2010. Depuis 1991, les habitants de Gaza ont besoin de détenir des permis de
sortie qui sont accordés uniquement par l’Agence israélienne de sécurité, leur nombre
tout au long des années 1990 a très largement diminué. En 1993, une fermeture
générale a été déclarée sur le territoire palestinien, elle a commencé à Gaza en
particulier à partir de 1995 quand une clôture électrique et un mur de béton ont été
19 http://www.gisha.org/UserFiles/File/publications/Rafah_Report_Eng.pdf20 http://gisha.org/graph/239921 ibid22 http://gisha.org/reports-and-data/graphs
17
construis autour de l’enclave. Le passage d’Erez a été bloqué même pour les titulaires du
permis lorsque des « fermetures complètes » ont été imposées à la bande de Gaza.
Lorsque la deuxième intifada a éclaté en septembre 2000, Israël a annulé de nombreux
permis de sortie existants et réduits le nombre de permis accordés. Le passage d’Erez a
été fermé de plus en plus souvent. La première année de l’Intifada le passage est refusé
aux Palestiniens 72% du temps. Les restrictions ont conduit à une chute importante, on
passe de 26000 individus durant l’été 2000 à 900 l’année suivante. Le 12 mars 2006,
jour de la fête de Pourim, Israël déclare la fermeture totale du territoire palestinien et
empêche l’entrée des travailleurs gazaouis en Israël. Depuis lors l’autorisation n’a pas
été levée.
Ainsi la logique de blocus est installé à Erez dès 2006 et non en 2007, mais peut-on voir
à Erez les mêmes tendances qu’à Rafah? Malheureusement les chiffres de 2007 sont
indisponibles23. Selon les calculs24 on note deux phases, une première à la fermeture de
2008 jusqu'à fin 2010 où les moyennes de sorties sont autour de 1500-200025 ; puis une
phase de réouverture à partir de 2011 où les passages augmentent et sont en moyenne
de 3500 entre 2011 et 2012 ; puis de 5000 entre 2013 et 2014. Sur les 3 premiers mois
de 2015 les chiffres sont encore plus haut puisque le mois de janvier à vu près de 10000
sorties celui de février 12000 et celui de mars près 13300026. On note donc que la
deuxième phase (2011-2015) voit une fermeture beaucoup plus forte du côté égyptien
que du côté israélien, avec une accélération très forte à partir de 2013.
Ces chiffres confirment la tendance et l’analyse de beaucoup de spécialistes sur la
question. Ceux-ci mettent en évidence les deux grandes phases du blocus, la première
de 2007 jusqu’en 2010 où le blocus étaient en phase de durcissement et la deuxième où
on assiste à un désenclavement relatif de la bande de Gaza27. Un désenclavement
abandonné en Egypte avec l’arrivée de Sissi mais qui continue au poste-frontière d’Erez.
Je ne veux pas mettre en erreur le lecteur, certes l’enclave de Gaza est moins isolée mais
les critères nécessaires au développement économique et à une sortie de crise sont
toujours bloqués par les israéliens. Les deux critères principaux sont l'interdiction de la
commercialisation de produits à partir de Gaza en direction d’Israël et de la Cisjordanie
23 http://www.gisha.org/UserFiles/File/publications/5years/5-to-the-closure-eng.pdf24 ibid25 ibid26 http://gisha.org/graph/239227 Leila Seurat-« la politique étrangère du Hamas 2006-2013 : idéologie, intérêt et processus de décision » thèse IEP de Paris-2014 p. 87.
18
(indispensable pour une économie palestinienne entièrement dépendante à Israël) et
l’impossibilité d’importer des biens et des produits. Ces restrictions sont restées
presque entièrement inchangées, même après la libération de Gilad Shalit en Octobre
201128.
1.2 Formes du blocus
Après son retrait unilatéral de la bande de Gaza au cours de l’été 2005, Israël a renforcé
le contrôle des points de passage. Avec la capture d’un de ses soldats, Gilad Shalit, en juin
2006, cela s’est transformé en blocus, encore resserré après le coup de force du Hamas
en juin 2007. Le blocus imposé à la population de Gaza se compose de 3 formes :
terrestre, aérien, maritime. Il s’agit ici de les étudier dans leur mise en place et dans
leurs applications.
1.2.1 Blocus terrestre
Sur terre, les points de passage sont entièrement à la discrétion des israéliens, à
l’exception de Rafah, L’Etat hébreux peut donc facilement interdire l’importation des
marchandises qu’il ne veut pas voir arriver à Gaza comme ils peut bloquer les
exportations des produits venant de Gaza.29En ce qui concerne les modalités du blocus, il
nous faut regarder de plus près les points de passage. Sur les six points de passage cinq
sont sous le contrôle d’Israël et trois sont fermés. Le premier qui a fermé a été celui de
Karni dès le 11 juin 2007 donc au début des hostilités entre le Fatah et le Hamas. Karni
fut crée après les accords d’Oslo en 1994 pour le transfert des marchandises entre Israël
et la bande de Gaza. Jusqu’à la mi-2007, des centaines de camions ont traversé Karni
quotidiennement qui a servi de principal point de passage pour les marchandises. A ce
jour, il est considéré comme le passage le plus approprié pour le transfert de
marchandises vers et depuis la bande de Gaza. En effet, on considère que le passage de
28 http://www.gisha.org/UserFiles/File/publications/Bidul/bidul-infosheet-ENG.pdf29 BLANC Pierre, CHAGNOLLAUD Jean-Paul, SOUIAH Sid Ahmed, Atlas des Palestiniens : Un peuple en quête d’un Etat, Editions Autrement, Paris, 2014, p 95.
19
Karni à la capacité de faciliter le transfert de près de 800 camions de marchandises par
jour et dans les deux directions. Il est également équipé de matériel d’inspection de
sécurité avancé notamment pour la surveillance de nuit. Mais surtout, Karni est très
proche de Gaza ville, où la plupart des commerces et des industries se trouvent. L’accord
de 2005 (AMA) entre l’Autorité Palestinienne et Israël prévoyait la circulation de près de
400 camions par jour30, la réalité fut différente puisque de 2005 à juin 2007, on ne
compta qu’une dizaine de camions par jour. En juin 2007, dans le cadre de mesures
d’Israël lancés contre le Hamas Karni fut fermé à l’exception d’une bande transporteuse,
principalement utilisée pour le transfert de céréales et d’aliments pour animaux. Lors de
la période dite de « désenclavement » promise par Israël en juin 2010, l’Etat permit le
transfert de certains matériaux de reconstruction notamment du gravier. Mais dès mars
2011, cette bande transporteuse fut définitivement fermée et Karni fut clos entièrement.
En ce qui concerne les marchandises pouvant encore traversées la frontière, elles
passent désormais par Kerem Shalom (nous l’étudierons plus loin), détournant le trafic à
l’extrême sud de Gaza, entrainant une augmentation des coûts de transport et du prix
final des biens31. Le deuxième point de passage fermé fut celui de Sufa en septembre
2008 mais reconnu par Israël seulement en mars 2009. Le passage de Sufa était lié au
transfert de biens de consommation. Cette fermeture est liée à la stratégie israélienne de
concentrer tous les passages sur un seul « Cheick-point », en l’occurrence celui de
Kerem Shalom. C’est dans cette perspective que fut fermé le pipeline de Nahal Oz en
janvier 2010. Ce dernier était le point de passage des livraisons de fuel ou de gaz en
direction de l’enclave palestinienne, Kerem Shalom remplit, depuis, ce rôle.32
Le blocus terrestre se construit en plusieurs étapes, la fermeture progressive de la
majeure partie des points de passage, pour concentrer les flux sur un seul. Ce système à
l’avantage de rendre le contrôle de Gaza et des transferts plus simples pour les soldats
israéliens. Kerem Shalon voit de juin 2007 à juin 2010 une moyenne mensuelle
d’environ 2400 camions de marchandises entrer sur le territoire de Gaza. Ce nombre
reste évidemment bien inférieur aux 10000 camions par mois entrés à Gaza de 2005 à
2007 Avec la période de désenclavement initiée en juin 2010, la moyenne est de 174
30 http://gisha.org/gazzamap/39431 Ibid32 http://www.ochaopt.org/documents/ocha_opt_protection_of_civilians_2009_06_02_english.pdf
20
camions par jours, soit 5300 camions par mois.33 Ces camions contiennent des produits
alimentaires et humanitaires, du carburant, des véhicules, des équipements agricoles et
des matériaux de reconstruction. En juillet 2010, Israël a publié une liste de produits
interdits dans la bande de Gaza. Selon l’Etat hébreu, ces produits peuvent être à double
usage, civils et militaires, les rendant dangereux pour le peuple israélien. Il est
évidemment futile de citer ici toute la liste, je la placerai en fin de mémoire.
En ce qui concerne le point de passage d’Erez nombre d’articles, d’ouvrages racontent la
sensation particulière parcourant le corps d’un étranger traversant le long corridor que
constitue Erez. Celui-ci se compte en centaine de mètre avec des grillages, des
tourniquets, des portes ouvrantes et coulissantes, sous le regard omniprésent des
caméras et sous la dictée de haut-parleurs34. Pour résumer, seul trois catégories
d’individus ont le droit d’entrée et de sortie de Gaza, les diplomates, les journalistes et
les humanitaires. Les journalistes étrangers sont autorisés à rentrer à Gaza à la condition
d’avoir une double autorisation, celle de Tel-Aviv et du Hamas35. Les humanitaires ont
besoin tout autant de cette double autorisation. En ce qui concerne les palestiniens,
comme nous l’avons dit plus en haut, seules des blessés et leurs médecins peuvent sortir
par Erez et encore en de rares occasions, les étudiants n’ont plus cette chance depuis
longtemps et Rafah dépend de la politique très versatile de l’Egypte qui n’accorde pas
toujours ce fameux visa. Le blocus terrestre s’est donc construit en étape et vise à mettre
en place un contrôle absolue par Israël de toutes entrées et de toutes sorties, que se soit
des biens ou des hommes.
1.2.2Blocus aérien
Le blocus aérien est une partie intégrante du sentiment d’enfermement que partage les
habitants de Gaza. Ce blocus se construit par la dépossession complète de toute
souveraineté aérienne. Cette souveraineté à exister quelques années, durant la période
de service de l’aéroport de Gaza. Lors des discussions qui aboutirent à la déclaration de
principe signée en 1993, la question de l’aéroport fut un sujet épineux. Pour les
palestiniens, un aéroport était un signe de souveraineté, une reconnaissance absolue
d’un Etat de Palestine libre et indépendant, pour les israéliens en dehors des questions
de sécurité classique (risque de transport d’armes), elle était le signe d’une
33 http://gisha.org/gazzamap/40434 OBERLIN christophe, chronique de Gaza, Collection Résistances, Paris, 2011,p 93.35 https://www.youtube.com/watch?v=lKz91b8eR9w
21
reconnaissance, puisque les palestiniens en tant que peuple existent, et leur
revendication d’être unis dans un cadre étatique devenait légitime. C’est ainsi que lors
de l’ouverture officielle de l’aéroport de Gaza le 14 décembre 1998 avec la présence de
Bill Clinton, tous les attributs de l’Etat indépendant était réunis : le drapeau, l’hymne
national. Ainsi il existe autour de cette souveraineté, un élément symbolique très fort.
L’activité de cet aéroport international situé au sud-est, près de la ville de Rafah ne
fonctionna que 3 ans, ne desservant que l’Egypte, la Jordanie et la Mecque uniquement
lors de la période du pèlerinage. Il n’était constitué que d’une flotte réduite de 3 avions.
Malgré cette activité extrêmement faible, l’aéroport était étroitement surveillé par Israël,
jusqu'à ce que ce dernier ne choisisse de le détruire en 2001. Les images de l’aéroport de
Gaza en 2015 sont terribles et ressemble à un champ de ruine.
Malgré cette destruction, l’espace aérien de l’enclave palestinienne n’a jamais été aussi
rempli, il est même « surchargé » notamment par un acteur récent et qui a modifié
profondément les rapports qu’entretiennent les hommes les uns en face des autres sur
les champs de bataille, le drone. Son nom vient de l’anglais qui veut dire faux-bourdons,
et est une référence autant sur l’image que sur le son. D’ailleurs les Gazaouis nomment le
drone « Zenana » qui veut dire aussi en arabe bourdonnement36 .Cette utilisation
massive par les israéliens des drones pose des questions fondamentales sur les rapports
qui existent entre palestiniens et israéliens. En effet, le drone annihile la guerre classique
pour créer un rapport de chasse entre un prédateur et une proie, il n’y a plus de
réciprocité dans le combat, il n’y a même plus de combat du tout donc plus de notion de
sacrifice, de courage qui restent des éléments fondateurs dans une mythologie de lutte
notamment nationale37 . Effectivement et à la différence de la Cisjordanie où l’armée
israélienne a le visage de ses jeunes soldats, à Gaza, Israël se résume à des
bombardements de drones qui sont le plus souvent dirigés par de jeunes soldates depuis
des salles de commandements implantées loin du champ de bataille, sur la base
aérienne de Palmachim, au sud de Tel-Aviv.38 Pour Hamdi Shaqqura, un avocat des droits
de l’homme, « la présence des drones dans le ciel de Gaza signifie une chose aux
palestiniens : l’armée israélienne n’est plus au sol ; mais elle est dans le ciel, en train de
36 http://www.washingtonpost.com/world/national-security/in-gaza-lives-shaped-by-drones/2011/11/30/gIQAjaP6OO_story_1.html37 Chamayou Grégoire,Théorie du drone, La Fabrique éditions, Paris,2013
38 LEBHOUR Karim, jours tranquilles à Gaza, Editions Riveneuve, Paris, 2010, p 65
22
scruter, sans cesse, chaque mètre carré du territoire ainsi ils n’ont pas à être présent sur
terre pour affecter chaque aspect de nos vies.39 » En dehors de cette question, qui j’en
suis sûr, sera fondamentale, dans les analyses futures du conflit israélo-palestinien, le
survol permanent des drones créent un sentiment de peur chez les palestiniens. Ce
survol ne peut être qu’une mission de reconnaissance, mais il peut aussi avoir pour
objectif de tuer. Des acteurs aussi connus que le fondateur du Hamas Cheick Yassine et
son successeur Rantissi sont tous les deux morts par l’action d’un drone. Au sein de la
population gazaoui, le drone entretient un sentiment de terreur permanent, la sensation
que quelque chose de terrible va se produire. Il fait partie d’un conditionnement de la
population, à chaque fois qu’elle entend le bourdonnement, elle repense à des
évènements violents et à la mort. 40. Le blocus aérien montre un aspect fondamental et
qu’il ne faut pas sous-estimer, à Gaza il s’agit d’une guerre certes classique avec des
armes, des soldats, des tanks et des intrusions sur un territoire ennemi mais c’est aussi
une guerre beaucoup plus pernicieuse, une guerre psychologique qui vise à détruire le
moral et la capacité de résistance de tout un peuple. Le drone à donc une triple activité
de renseignements, d’opérations militaires et de prostration de la population
palestinienne.
1.2.3Blocus maritime
A l’image du territoire palestinien, à Gaza la mer rétrécit41 aussi. Depuis les accords
d’Oslo, la zone de pêche autorisée par Israël aux pêcheurs de Gaza s’est réduite comme
peau de chagrin. Initialement fixée à 20 miles nautiques par les accords d’Oslo, elle a été
progressivement restreinte pour des raisons de sécurité, notamment pour éviter les
trafics d’armes et de personnes, importants à une époque mais désormais mineurs.42
On passe donc 20 miles nautiques à 12 miles en 2002 puis à 6 miles en 2006 pour
atteindre 3 miles nautiques dès la fin de l’opération « Plomb Durci »43. Cette restriction
des zones de pêche est indéniablement un facteur du ralentissement générale de
l’économie privée de Gaza. On considère que depuis le blocus en 2007, plus de 1000
pêcheurs (sur 4000 que comptent l’enclave palestinienne) ont dû soit changer d’activité,
39 http://www.simon-gouin.info/+Gaza-la-vie-sous-les-drones+40 Ibid41 http://fr.sott.net/article/12304-A-Gaza-la-mer-retrecit42 http://fr.sott.net/article/12304-A-Gaza-la-mer-retrecit43 http://www.ochaopt.org/documents/ocha_opt_special_focus_2010_08_19_english.pdf
23
soit travailler avec un revenu minimum44. Selon un rapport du mouvement international
de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge datant de 2011, 90% des pêcheurs vivent en
dessous du seuil de pauvreté mais surtout ce chiffre a augmenté de 40% depuis 2008. 45
Au delà de la catastrophe économique, les pêcheurs à la différence des autres acteurs de
la société gazaouie sont confrontés quotidiennement à l’armée israélienne. Celle-ci à
travers sa marine attaque très régulièrement les petites embarcations de pêche
palestiniennes46. Nous pouvons schématiser « ces rencontres » en deux types. La
première est la plus dramatique consiste tout simplement à tirer sur les bateaux de
pêches47, on compte trois mort depuis 200648. La deuxième consiste à décrire des cercles
autour du bateau pour essayer de les faire chavirer. Une fois chaviré, les soldats
israéliens demandent aux pêcheurs de se déshabiller et de nager jusqu’à eux, puis ils les
menottent et les emmènent jusqu’à la ville d’Ashdod, où les palestiniens restent une
dizaine d’heures avant de rentrer à Gaza sans leur matériel49.
Le blocus maritime à donc une double conséquence, économique en premier lieu, mais
aussi contributeur de la propagation d’un sentiment de frustration et de haine du fait
des humiliations quotidiennes que vivent les pêcheurs de la bande de Gaza.
1.3 Justifications des bloqueurs
1.3.1 Israël
Dès septembre 2007 l’Etat hébreu déclare la bande de Gaza « territoire hostile » et
contre lequel les « opérations militaires et contre-terroristes » vont s’intensifier et le
blocus renforcé50. Ainsi, Tel-Aviv considère que Gaza est un territoire d’où une
organisation terroriste, le Hamas, y trouve sa base arrière pour commettre des attentats
et des attaques contre la population israélienne. Ces attentats prenant la forme
44 http://www.ujfp.org/spip.php?article377445 http://fishingunderfire.blogspot.fr/46 http://le-blog-sam-la-touch.over-blog.com/2015/04/la-marine-israelienne-attaque-des-bateaux-de-peche-palestinien-au-large-de-gaza-press-tv.html47 Ibid48 http://fishingunderfire.blogspot.fr/49 http://fr.sott.net/article/12304-A-Gaza-la-mer-retrecit50 FILIU Jean-Pierre, Histoire de Gaza, Fayard, Paris, 2012, p 327.
24
d’attaques de roquettes en direction des villes du sud-ouest du pays ou d’incursions par
des tunnels en Israël, à l’image de la capture du soldat Shalit en juin 2006. Le blocus joue
donc le rôle de protecteur de l’Etat hébreu en évitant l’entrée d’armes sur l’enclave
palestinienne ou de matériaux de construction de tunnels. Depuis Olmert, tous les
premiers ministres israéliens justifient le blocus par des arguments d’ordre sécuritaire.
Pour donner un exemple révélateur, le 16 mars 2011, la marine intercepte un cargo
proche de l’enclave palestinienne, et y trouve des armes. Dans l’après-midi même devant
la presse, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, armes saisies dans les
mains, y justifie le blocus51. Au delà de l’argument classique de la sécurité, il est normal,
pour l’apprenti-chercheur en histoire, de se poser des questions sur l’existence ou non
de stratégies différentes. En effet, l’argument sécuritaire est simple à comprendre mais
pose un problème d’ordre stratégique car peut-on réellement imaginer d’un Etat en
guerre, n’avoir qu’une seule stratégie, qui plus est à court terme ? La victoire du Hamas
aux élections de 2005-2006 fut une véritable surprise pour les stratèges israéliens,
l’incapacité de Mohammed Dahlan de prendre Gaza en 2007 en fut une autre, celui-ci fut
soutenu par les Etats-Unis et Israël notamment en fournissant des armes52. Tel-Aviv mit
en place le blocus pour se protéger comme on l’a vu mais aussi avec l’idée que celui-ci
entrainerai une révolte de la population contre le gouvernement islamiste d’Ismaël
Haniyeh. Si cette hypothèse se révèle juste, on ne peut que noter l’échec de cette
stratégie. Même si il est impossible de connaître la côte de popularité du Hamas, on sait
qu’il n’y a pas eu de mouvement de fond de la population contre le Hamas. Certes des
mouvements salafistes ou s’inspirant d’organisation anti-Mohammed Morsi comme le
Tamarrud existent, mais les capacités d’action de ces mouvements sont beaucoup trop
restreintes pour mettre en danger le Hamas et ses leaders.
1.3.2 Egypte
Gaza connut à ses frontières égyptiennes trois évènements majeurs : la destitution de
président égyptien Hosni Moubarak le 11 février 2011, l’arrivée au pouvoir du frère
musulman Mohammed Morsi en juin 2012, sa destitution en juillet 2013 et son
remplacement par le nouvel homme fort du pays Abdel Fattah al-Sissi. L’idée de cette
partie est de tenter de comprendre les évolutions de la position égyptienne vis à vis du
51 http://www.20minutes.fr/monde/688528-20110316-monde-israel-justifie-blocus-gaza-saisie-armes-mediterranee52 http://echogeo.revues.org/10901
25
blocus. Il existe deux éléments, deux mesures qui nous permettent de juger de la
flexibilité ou au contraire du durcissement de l’Egypte, la question des tunnels et de
l’ouverture du point de passage de Rafah. En ce qui concerne Rafah, notre première
partie a mis en évidence certaines tendances. La période Moubarak fut une période
assez dure avec notamment une fermeture quasi systématique de Rafah. Mais dès 2010
et probablement en accord avec Israël (période dite de « désenclavement » initiée en
juin 2010), Moubarak ouvre de plus en plus Rafah. Le printemps arabe constitue une
période de turbulence et Rafah se referme. L’arrivée de Morsi est accueillie dans les rues
de Gaza comme une délivrance, le Hamas est à l’origine le représentant des frères
musulmans à Gaza, d’ailleurs un des objectif du président islamiste fut de demander aux
américains de retirer le Hamas de la liste des organisations terroristes53. Dans les faits
Rafah se ré-ouvre puisqu’il passe entre juin et juillet 2012 de 30000 à 51000 passages.
Cette période faste se termine avec l’arrivée de Sissi, son arrivée entraine une chute
massive des passages puisqu’entre juin et juillet 2013, on passe de 55000 à 16000. Pire,
devenu président en juillet 2014, Sissi fait fermer Rafah comme jamais, de juillet à
novembre 2014 on passe de 7000 à 2000. Ces tendances sont confirmées par les acteurs
gazaouis travaillant dans les tunnels. Ces derniers mettent en évidence le peu de
contrôle que Moubarak faisait pour combattre la contrebande des tunnels. Sous Morsi,
certains parlent même de boom économique et tous sont d’accord pour dire que Sissi
paralyse l’économie en détruisant tous les tunnels54, rendant impossible l’importation de
quoi que ce soit. Mais alors pourquoi ? Le « double-jeu » de Moubarak s’explique
facilement, il est d’une génération d’hommes politiques égyptiens (Moubarak est né en
1928) marquée par la cause palestinienne, marquée par les conflits et les guerres contre
Israël, il est d’une époque où le nationalisme égyptien se confondait avec celui des
palestiniens dans le mythe de la nation arabe. Sissi est un homme plus jeune, né en 1954,
il forma sa conscience politique à l’époque de Sadate où l’Egypte transforma son
nationalisme en excluant tout élément non-égyptien. Cette transformation, sur un temps
long, du nationalisme égyptien et la fin de tout rêve panarabe sont deux éléments qui
sont fondamentaux pour comprendre les évolutions de la politique égyptienne55. Un
élément géostratégique plus récent explique le choix de Sissi de détruire par l’eau ou la
dynamite tous les tunnels reliant l’Egypte à Gaza, on parle d’une destruction de 90% des
53 http://orientxxi.info/magazine/l-egypte-etend-la-guerre-contre-le,049954 https://www.youtube.com/watch?v=0n9S_oz16Kw55 http://orientxxi.info/magazine/pourquoi-les-egyptiens-ne,0649
26
1200 tunnels, d’une perte de 230 millions de dollars de taxe pour le Hamas 56. Cette
élément est l’émergence d’un nouvel acteur : Ansar Jerusalem qui depuis son allégeance
à DAECH se renomme Wilayat Sinaï. Ce mouvement salafiste apparu en 201157
revendique plusieurs attentats notamment au Caire58. Sissi explique que le Hamas
soutient ce mouvement takfiriste, en assimilant volontairement les djihadistes du Sinaï
les frères musulmans égyptiens et le Hamas. Il est difficile de vérifier la véracité de ces
accusations. On peut néanmoins souligner que la « guerre » déclarée contre le Hamas
permet à l’armée égyptienne de réinscrire sa lutte contre les Frères musulmans en
Égypte dans une perspective régionale afin de lui donner davantage de crédibilité. En
mettant en avant la « collaboration » entre la confrérie égyptienne et le Hamas, il tente
ainsi d’agiter l’épouvantail d’une dangereuse conspiration islamiste, voire terroriste59. Il
s’agit donc de problématiques internes à l’Egypte qui explique la politique anti-Hamas
du président Sissi, son combat contre ses ennemis islamistes modérés comme les frères
musulmans ou terroristes comme Wilayat Sinai sont les contrecoups politiques de son
coup d’Etat. Pour que cette politique puisse se faire sur le dos des Palestiniens, il eut
fallut une transformation du nationalisme égyptien, amputé de toute panarabisme et
donc de lien avec le nationalisme palestinien.
56 http://orientxxi.info/magazine/l-egypte-etend-la-guerre-contre-le,049957 http://www.lefigaro.fr/international/2014/09/22/01003-20140922ARTFIG00226-l-ei-appelle-les-islamistes-du-sinai-a-la-violence-en-egypte.php58 Ibid59 http://orientxxi.info/magazine/l-egypte-etend-la-guerre-contre-le,0499
27
2. Gaza, entre guerres et blocus : des conséquences désastreuses pour la population.
2.1Pénuries des besoins primaires et quelques conséquences.
2.1.1 La crise énergétique.
Lors du dernier conflit entre palestiniens et israéliens, lors de l’opération « bordure
protectrice », les coupures d’électricité ont pu dépasser près de 21 heures par jours 60.
Certes il s’agit de record, mais les coupures restent un mal chronique au sein d’un
quotidien déjà difficile. A Gaza, l’électricité est devenue aussi aléatoire qu’un jeu de dés.
Gaza se retrouve périodiquement dans le noir complet au gré du conflit ave Israël et de
la persistance du blocus. Avant la dernière crise de l’été, les habitants devaient gérer des
coupures quotidiennes, jusqu’à huit heures d’affilée, mais surtout l’électricité arrive puis
repart à n’importe quel moment de la journée : à 8 heures, 15 heures ou 3 heures du
matin. Comment en est-on arrivé à cette situation ? L’électricité de Gaza arrive par trois
sources, la première est la compagnie israélienne qui permet l’acheminement de près de
120 mégawatt d’électricité grâce à 10 câbles électriques. La deuxième source est
l’Egypte qui grâce à 2 câbles électriques fournit 37 mégawatt et enfin la centrale de Gaza
fournit 80 mégawatt alors que sa capacité pourrait être de 12061. Ainsi le potentiel total
d’électricité pouvant être distribué à Gaza est de 237 MW alors que l’estimation la plus
basse du besoin en électricité se situe à 350 MW62. Il y’a donc un déficit, dans le
meilleure des cas, de 113 MW. Il faut savoir que le besoin peut augmenter notamment
en hiver jusqu’à 440 MW et que certains experts considèrent que dans les années à venir
et au vu de l’augmentation du nombre d’habitants, les besoins63 pourraient atteindre
600 MW. Actuellement on considère qu’il y’a un déficit d’électricité situé entre 35 et
40%64. Cette situation s’explique en premier lieu par l’attaque, quasiment lors de chaque
60 http://www.info-palestine.eu/spip.php?article14765
61 http://palthink.org/en/wp-content/uploads/2014/11/Case-Study-Renewable-Energy-in-the-Gaza-Strip.pdf62 http://www.slate.fr/story/52387/electricite-gaza-hamas-autorite-palestinienne-egypte-israel63 http://palthink.org/en/wp-content/uploads/2014/11/Case-Study-Renewable-Energy-in-the-Gaza-Strip.pdf64 ibid .
28
conflit, de la centrale de Gaza, par l’armée israélienne. A titre d’exemple, Tsahal à détruit
six transformateurs lors d’un raid en 2006 à la suite de la capture du soldat Shalit.65Mais
la raison principale reste la question de l’acheminement de plus en plus difficile des
carburants nécessaire au bon fonctionnement de la centrale. En effet, Israël limite les
quotas de carburants importés de son territoire, 2 millions de litres par mois pour des
besoins estimés à 13 millions de litres mensuels66. L’Egypte n’est pas en reste puisque
dès février 2012, Le Caire diminue l’approvisionnement au marché noir d’essence,
depuis son territoire via les tunnels. Cette essence est le principal carburant qui permet
le fonctionnement de la centrale électrique67. Les raisons semblent obscures mais selon
le journaliste de Gaza Rami Abou Jamouss « L’Egypte avait accepté de laisser filer son
carburant à un tarif très bas, à titre humanitaire pour aider Gaza. Mais le Caire n’accepte
plus que le Hamas fasse un business sur son dos, sans aucune contrepartie »68.
Le Hamas avait, en effet, instauré un système de taxes à la sortie des tunnels au
détriment des autorités égyptiennes et des habitants de Gaza. Le cours du carburant
était ainsi fixé à 1 shekel/litre (environ 0,20 euro) à l’entrée des tunnels côté égyptien,
avant de grimper à 1,5 shekels/litre (30 centimes d’euro) à la sortie. Le Hamas fixait
ensuite le cours à 3,5 shekels/Litre (0 ,70 euro) sur l’étroite bande côtière69. Enfin
dernière raison, la passivité de l’ennemi juré du Hamas, l’Autorité palestinienne à
Ramallah qui paie aléatoirement le carburant israélien destiné à Gaza70. C’est bien cette
conjonction de fait qui explique ce manque permanent d’électricité à Gaza. Afin de
pallier aux longues pannes de courant, le secteur privé et les ménages (les plus riches)
ont recours à des générateurs de secours, qui demeurent peu fiable du fait de l’accès
limité en carburant et en pièces de rechange. Ces générateurs sont indispensables pour
les hôpitaux et notamment les services d’urgence, mais la menace d’un effondrement des
réserves des générateurs fait craindre le pire aux médecins. C’est bien ce genre de
65https://www.ochaopt.org/documents/ocha_opt_electricity_factsheet_march_2012_french.pdf66 http://www.slate.fr/story/52387/electricite-gaza-hamas-autorite-palestinienne-egypte-israel67https://www.ochaopt.org/documents/ocha_opt_electricity_factsheet_march_2012_french.pdf68 http://www.slate.fr/story/52387/electricite-gaza-hamas-autorite-palestinienne-egypte-israel69 ibid.70 http://www.slate.fr/story/52387/electricite-gaza-hamas-autorite-palestinienne-egypte-israel
29
témoignage que les humanitaires et les médecins comme Christophe Oberlin narrent
dans leurs ouvrages71. Comme nous le verrons plus tard, la crise énergétique à un impact
très important notamment sur la question de l’eau qui elle-même pose des soucis
d’ordre économique mais aussi sanitaire. Seulement avant de clore ce chapitre, il existe
une réalité beaucoup plus triste et dramatique lorsque l’on s’intéresse à la crise
énergétique. En effet, les générateurs ne sont pas, pour des raisons économiques,
accessibles à la très grande majorité des gazaouis, par conséquent ceux-ci utilisent des
bougies. Celles-ci sont responsables de nombreux empoissonnements à cause du
monoxyde de carbone, voire d’incendies meurtriers comme ce lundi 13 avril 2015 où 5
membres d’une famille sont morts dans l’incendie de leur maison près de Rafah72.
2.1.2 La question de l’eau
L’approvisionnement insuffisant en électricité et en carburant, nécessaire au
fonctionnement des pompes à eau des puits, engendre une diminution de l’accès à l’eau
courante pour la plupart des ménages. Ceux-ci doivent alors avoir recours à des
fournisseurs privés au risque d’une hygiène précaire. Les centrales de traitement des
eaux réduisent la durée de leurs cycles de purification, et par conséquent rejettent dans
la mer des eaux usées polluées. Enfin, les égouts risquent à tout moment de refouler
dans les villes, comme ce fut le cas le 11 décembre 2013 à Gaza-ville73. Ainsi, l’enclave
palestinienne se retrouve dans un cercle vicieux, puisqu’il n’y a pas d’électricité, les 291
unités de traitement d’eaux ne fonctionnent que très rarement, et sont souvent dans des
états déplorables (pas de matériels pour les remettre en état), les eaux usées ne sont
donc pas traitées et sont directement renvoyées dans la mer. Ce système pollue
l’aquifère notamment à cause de dose trop importante en nitrate74, et rend l’eau
imbuvable à près de 90%, et l’aquifère pourrait être inutilisable dès 202075. Etant
donnée que la population continue d’utiliser ces eaux sales en cultivant, en se lavant ou
en cuisinant, on voit l’apparition de maladies respiratoires, cutanées ou oculaires ainsi
71 OBERLIN christophe, chronique de Gaza, Collection Résistances, Paris, 2011, p. 211.
72 http://www.palestine-solidarite.org/actualite.ziad_medoukh.130415.htm73 http://www.france-palestine.org/Gaza-sous-les-eaux-usees74 http://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf75 Ibid.
30
que de gastroentérites76, ou encore de diarrhées devenues très courante à Gaza. La
contamination par les nitrates de l’aquifère représenterait un danger pour les
nourrissons et les femmes enceintes. L’une des maladies infantiles liées à la pollution de
l’eau est la méthémoglobinémie, ou le « syndrome du bébé bleu », qui touche des
nourrissons nés dans la bande de Gaza77.
Au delà de la question de la qualité de l’eau, une nouvelle problématique est apparue,
celle de la demande en eau. Chaque année, 160 millions de mètres cubes d’eau en
moyenne sont prélevés dans l’aquifère côtier alors que la « recharge » d’eau issue des
collines d’Hébron à l’est de Gaza ne l’alimente, grâce aux précipitations et aux
ruissellements, qu’à hauteur de 50 à 60 millions de m378. La différence entre la quantité
d’eau disponible et la consommation est donc considérable. Le niveau de la nappe
phréatique est par conséquent en chute, permettant ainsi l’infiltration de l’eau salée 79, la
rendant dangereuse. Il existe des projets de création d’usine de dessalement, mais aucun
n’a encore vu le jour80, faute de moyens.
Enfin, les rapports sont tous d’accords sur un point, d’ici quelques années la situation de
l’aquifère sera irréversible, la solution ne se trouve pas dans les moyens techniques mais
à chercher au niveau politique, en mettant fin au blocus.
2.1.3La question alimentaire.
L’un des derniers rapports de l’office de secours et de travaux des Nations unies pour les
réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient met en évidence que les gazaouis souffrent
d’insécurité alimentaire81. La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains
ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine
et nutritive, leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences
alimentaires pour mener une vie saine et active. Lorsque l’une des quatre dimensions
manque, l’insécurité alimentaire transitoire ou chronique s’installe pour la population
76 http://www.irinnews.org/fr/report/96226/tpo-l-eau-de-gaza-pourrait-cesser-d-%C3%AAtre-potable-d-ici-201677http://www.unicef.org/oPt/FINAL_Summary_Protecting_Children_from_unsafe_Water_in_Gaza_4_March_2011.pdf78 http://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf
79 http://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf
80 http://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf81 http://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf
31
considérée82. La population palestinienne souffre d’insécurité alimentaire en grande
partie pour des raisons économiques, en effet on trouve de tout sur les marchés de Gaza.
Grâce aux tunnels, il existe à peu près tous les produits disponibles même des fraises de
Rungis83, mais ces produits sont chères et ne sont accessible qu’aux populations les plus
favorisées de l’enclave. Pour le reste de la population, la majorité, la situation reste
difficile, plus de la moitié des ménages à Gaza sont soit en situation d’insécurité
alimentaire (44%) ou proche de l’être (16%). Ces chiffres restent élevés car ils prennent
en compte la distribution de l’aide alimentaire qui touche près de 1,1 millions de
personnes. La question alimentaire à Gaza est donc intimement lié à la question
économique et aux revenus par habitants. En effet, à cause de la densité importante de
l’enclave, d’un territoire majoritairement urbain, peu peuvent vivre de l’autosuffisance,
c’est--dire avoir ses propres champs à cultiver. A Gaza, les rentrées d’argent se sont
toujours réalisées grâce aux échanges, aux commerces, aux ouvriers partis travailler en
Israël ou grâce aux services. Or, le blocus ne permet plus ce genre d’activités, rendant la
population gazaoui dépendante de l’aide internationale et de la contrebande. Le blocus
empêche tout autant le développement d’une économie permettant l’autosuffisance
alimentaire, notamment à travers les restrictions des zones de pêche, les 4000 pêcheurs
n’ont pas accès à 85% des zones maritimes convenues dans le cadre des accords d’Oslo,
en conséquences, les prises de poissons ont diminué de façon spectaculaire. Le blocus
empêche l’accès à 17% des terres de l’enclave, y compris 35% de terres agricoles car
celles-ci sont situées soit dans des zones interdites soit dans des zones à haut risque.
Globalement on estime que les restrictions maritimes et terrestres affectent directement
178000 personnes soit 12% des Gazaouis et entrainent des pertes annuelles estimes à
76,7 millions de dollars de production84.
Enfin, avant de nous pencher plus profondément sur la dimension économique du
blocus, il me reste à mettre en avant un point. Cette dépendance à l’aide humanitaire
semble être une volonté politique de la part de l’Etat hébreu. Dov Weisglass qui fut le
conseiller politique d’Ariel Sharon et d’Ehud Olmert, eu une phrase dès 2006 : « l’idée »,
82http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/s%C3%A9curit%C3%A9_alimentaire/1993083 LEBHOUR Karim, jours tranquilles à Gaza, Editions Riveneuve, Paris, 2010, p 176.
84 http://www.unrwa.org/userfiles/file/publications/gaza/Gaza%20in%202020.pdf
32
disait-il, « est de mettre les palestiniens au régime, mais pas de les faire mourir de
faim »85. Peu d’observateurs ont vu dans cette phrase davantage qu’un commentaire
hyperbolique. Seulement après plusieurs années de procès, mené par l’organisation
israélienne des droits de l’homme Gisha, Israël a été forcé de dévoiler un document
interne intitulé « Red Lines ». Ce document est le produit d’un travail demandé par le
premier ministre Olmert dès 2007, à des fonctionnaire de la santé israéliens qui
devaient fournirent des calculs sur le nombre minimal de calories nécessaire au million
et demi d’habitants de Gaza afin d’éviter la malnutrition. Ces chiffres furent alors
convertis en camions de nourriture censés être permis chaque jour par Israël. Or, les
fonctionnaires avaient calculé une moyenne de 2, 200 calories, soit 170 camions par
jour, or il y’en à en moyenne qu’une soixantaine qui arrive quotidiennement à Gaza
L’insécurité alimentaire s’explique aussi par un véritable machiavélisme politique86.
Seulement cette idée de dépendance ne date pas de 2007, elle remonte plus loin et la
grande spécialiste de Gaza, l’américaine Sara Roy la même conceptualisée , il s’agit d’un
« de-development »87. Cette idée est la ligne directrice pour comprendre toute la
dimension économique de Gaza et de la politique du blocus.
2.2 Le blocus et sa dimension économique, le « de-development » et ses conséquences.
2.2.1La destruction de toute économie privée
L’économie de l’enclave palestinienne est dans une situation catastrophique. Le secteur
privé a été le secteur le plus touché, ce secteur qui employait environ 70.000 personnes
avant 2007, et qui représentait 45% du marché de travail dans la bande de Gaza, est
actuellement paralysé. Les raisons sont multiples, il y’a la fermeture des usines et des
ateliers l’interdiction d’entrée de matières premières pour tous les projets et
l’interdiction d'exporter. Il ne faut pas oublier la destruction de 80% des entreprises
privées lors de l’agression israélienne de 2008-2009 et plus de 700 installations
85http://www.pourlapalestine.be/index.php?option=com_content&view=article&id=1455%3Ale-regime-de-famine-impose-par-israel-a-gaza&catid=1%3Alatest-news&Itemid=186 Ibid87 ROY Sarah, The Gaza Strip : The political Economy of De-development, Institute for Palestine Studies, Washington DC, 1995, p 372.
33
industrielles fermées sans réouverture. De plus la seule zone industrielle qui se trouvait
au nord de la bande de Gaza est fermée elle aussi définitivement en 2009. Le secteur
privé n'emploie actuellement plus que 10.000 personnes88.
Le cercle est vicieux là aussi, beaucoup d’émigrés originaire de Gaza sont retournés à
l’intérieur de l’enclave en 1994, lorsqu’Arafat put revenir. Ces individus construisirent
des usines notamment de vêtements, de tissus et de bois89. Les différends conflits
détruisirent les installations des usines, le blocus ne permit plus l’accès aux fournitures
nécessaires à l’activité économique. Le blocus et ses restrictions interdirent les rentrées
de ciment, les usines ne peuvent plus être reconstruites. Une activité économique
inexistante pousse automatiquement les travailleurs au chômage, qui se tournent ou
dans les forces de police ou dans le travail difficile et dangereux des tunnels.
Autre grande déception, la disparition des zones industrielles. Ces zones, apparues dans
les années 90 lors des accords d’Oslo, ont été vues comme une source de croissance et
d’emploi. L’idée était d’agrandir un secteur privé quasiment inexistant, d’attirer les
investissements étrangers et israéliens. Ainsi on construisit une paix politique en
s’appuyant sur une coopération économique. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les deux
plus grandes zones industrielles se trouvaient à Karni et à Erez c’est- à- dire à la
frontière entre les deux territoires. Finalement, la guerre et le blocus n’ont pas permis le
développement souhaité puisque le site industriel de Karni fut détruit en 2004 et celui
d’Erez en 200990. Malgré cet échec, le site d’Erez donnait du travail à près de 4000
personnes, c’est autant de gens qui se trouve maintenant dépendant de l’aide
internationale.
Si vous regardez les images de Gaza ou celles d’Alep en Syrie, vous notez la même chose,
un panorama de guerre et de destruction. La France a connu sa période de croissance, à
la fin de la seconde guerre mondiale, lorsqu’il a fallu reconstruire un pays en ruine. Les
Gazaouis n’ont pas cette chance, des générations entières de jeunes hommes disponibles
pour reconstruire leur enclave en sont interdits par l’occupant. En effet, le
gouvernement de Benjamin Netanyahou n’a eu de cesse de mettre en garde contre
l’usage « dual » de certains matériaux de construction. Les Israéliens disent redouter
leur détournement à des fins militaires, pour creuser des tunnels destinés à des attaques
88 http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Ziad_Medoukh.270114.htm89 ibid.90http://unispal.un.org/UNISPAL.NSF/0/d0efbc4a63d5fca485256f5e006d2909/$FILE/Industrial%20Estates.pdf
34
du Hamas, ou pour fabriquer des roquettes. Israël réclame donc une surveillance
scrupuleuse des importations de matériaux et de leur usage dans la bande de Gaza.
Alors, l’économie privée, celle de la construction tourne au ralenti selon les capacités
financières d’acteurs locaux. Ces derniers achètent du ciment à prix d’or au marché noir,
du ciment d’Egypte ou volé dans les entrepôts du Qatar et de l’UNRWA, les deux seuls
acteurs majeurs dans le secteur de la construction présent à Gaza.
Il y a une volonté politique de maintenir la population palestinienne dans un état
d’infantilisation économique, l’argument sécuritaire ne tient pas puisque les associations
humanitaires se sont proposées à jouer les « contrôleurs », en vérifiant les bénéficiaires
du ciment91. On rejoint le concept fondamental de « de-development » développée par
l’universitaire américaine Sara Roy92. Il s’agit d’une politique délibérée, systématique de
déconstruction de toute économie indigène par un pouvoir dominant. Il s’agit d’une idée
différente du sous-développement puisque même sans volonté, le sous-développement
entraine un développement économique. Les colonisations classiques ont vu par
exemple les anglais prendre le contrôle d’une économie laissant un sous-développement
important, mais les anglais ont malgré tout laissé un espace où une base économique a
pu se mettre en place. Le « de-development » est une politique économique assumée qui
s’assure qu’il n’y ait aucune base économique, même malformée, qui pourrait soutenir
un mouvement de libération national93. On retrouve cette idée aussi dans un autre
secteur économique, l’agriculture, victime de la guerre.
2.2.2Une agriculture détruite, victime des guerres.
L’agriculteur Maher Abu Hdayda a déclaré à Al-Monitor ce qui s'est passé sur ses terres
dans la région agricole Ein Jalut, au sud-ouest de Khan Younes, après avoir été soumis à
des frappes aériennes par les Israéliens durant l’été 2014 : "Vous savez ce qu'est un
tsunami ? Ce fut un tsunami ardent de feu et ma terre agricole en fut complètement 91 http://www.france-palestine.org/Le-ciment-l-or-recherche-de-Gaza92 ROY Sarah, The Gaza Strip : The political Economy of De-development, Institute for Palestine Studies, Washington DC, 1995, p 372.
93 ROY Sarah, The Gaza Strip : The political Economy of De-development, Institute for Palestine Studies, Washington DC, 1995, p 372.
35
détruite ", a t-il dit. 94
Les combats dans la bande de Gaza depuis 2007 ont paralysé l’agriculture. Durant les
guerres, les fermiers et les éleveurs ont dû abandonner leurs terres à cause des combats,
arrêtant la production alimentaire locale. Environ 17,000 hectares de terres cultivables
ont souffert de dégâts importants en raison des bombardements et des intrusions de
chars de combats. Au delà des champs, il s’agit d’une destruction de la majorité des
infrastructures agricoles, que ce soit les serres, les systèmes d’irrigation, les élevages, et
les stocks de fourrage95
Les raisons de cet acharnement sont liées, selon Israël, à des questions de sécurité. Les
serres et les champs, peuvent servir de couverture pour des tirs de roquettes. En effet,
une des productions les plus importantes à Gaza, sont les oliviers96. Ils conservent,
parfois plusieurs siècles, une forme buissonnante de défense, et maintient la forme d’une
boule compacte et impénétrable, lui donnant l’aspect d’un buisson épineux.97Sa taille
située entre 3 et 7 mètres et donc sa forme, sont parfaites pour des tirs de roquettes
cachés. En ce qui concerne les installations, elles sont visées par les israéliens selon la
même logique, la certitude que les entrepôts sont les lieux de caches d’où se trouvent les
armes des milices résistantes et notamment les fameuses roquettes Quassam98. Les
conséquences sont terribles pour les agricultures, ces entrepôts servent à stocker les
récoltes qui doivent encore être vendus, mais aussi tous les outils agricoles
indispensable à la culture99. Comme nous l’avons vu l’agriculture est évidemment
touchée par les problèmes d’eau, et par l’interdiction d’entrée de produits nécessaire à
la reconstruction, notamment les systèmes d’irrigations.
Le nombre de travailleurs dans le secteur de l’agriculture à donc diminué, passant de
30000 en 2007 à 7500 en 2014100. L’agriculture souffre bien évidemment de
l’interdiction israélienne d’exporter notamment les produits agricoles de Gaza connus
94 http://blogs.mediapart.fr/blog/stephane-m/110714/israel-cible-les-terres-agricoles-gaza95 http://www.lorientlejour.com/article/881493/gaza-lagriculture-souffrira-du-conflit-sur-le-long-terme-fao.html96 http://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu04901/les-devastations-de-l-agriculture-de-gaza-apres-l-operation-l-operation-israelienne-plomb-durci.html97 http://fr.wikipedia.org/wiki/Olivier98 http://blogs.mediapart.fr/blog/stephane-m/110714/israel-cible-les-terres-agricoles-gaza
99 Ibid.100 http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Ziad_Medoukh.270114.htm
36
pour leur qualité, notamment les fraises, les tomates, les oranges et les olives vers les
marchés externes101. Tous les rapports de prévisions économiques102 mettent en avant la
position exceptionnelle de Gaza en terme géographique. L’enclave est situé sur la mer,
mais est surtout au milieu d’un axe Europe- Asie, particulièrement intéressant en terme
d’échange. Dans cette globalisation des échanges, Gaza à une carte à jouer grâce à sa
position stratégique. L’agriculture, comme nous l’avons vu plus-haut, souffre de la
diminution des terrains cultivable détruits par les différentes incursions israéliennes sur
la bande de Gaza. La surface cultivée a diminué de 15% depuis 2007 et les pertes
agricoles quotidiennes à cause de la non exportation des produits agricoles vers
l’étrangers est de 70.000 euros par jour103.
Cette situation dramatique pousse beaucoup à abandonner leur terre agricole soit par
choix, soit à cause de la volonté de l’Etat hébreu d’augmenter la zone tampon. De plus, la
mort de beaucoup d’animaux à rendu l’élevage très difficile, et les prix ne cessent
d’augmenter. En effet, les prix flambent notamment les œufs (+40%), les pommes de
terre (+40%) et les tomates (+179%)104 . Cette inflation entraine une dépendance à l’aide
humanitaire où pour les autres le choix d’aller intégrer le système interlope de la
contrebande et du marché noir.
2.2.3 Développement du marché noir.
Le marché noir peut-être considéré comme le véritable poumon économique de Gaza.
Celui-ci est régulièrement ravitaillé par les tunnels. Véritable objet de fantasme pour les
médias, les tunnels situés sur les frontière de Gaza doivent être séparés en deux
catégories. Les premiers sont les tunnels offensifs, utilisés lors des infiltrations de la
résistance islamique, notamment lors de la capture du soldat Shalit en 2006. Ici nous
nous intéresserons aux autres tunnels, à vocation commerciale, situés notamment le
long de la route Philadelphie, c’est-à-dire le long de la frontière séparant Gaza de
l’Egypte, avec comme point central la ville de Rafah. Ces tunnels peuvent aussi être
séparés en deux, les tunnels d’armements et les autres. Mais pour comprendre
l’émergence des tunnels, il faut s’intéresser à la ville de Rafah. 101 http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Ziad_Medoukh.270114.htm102 http://www.anera.org/wp-content/uploads/2013/12/AgReport.pdf103 http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Ziad_Medoukh.270114.htm104 http://www.lorientlejour.com/article/881493/gaza-lagriculture-souffrira-du-conflit-sur-le-long-terme-fao.html
37
Rafah fut divisée en deux, en 1979 lors des accords de paix israélo-égyptien de Camp
David. Seulement cette séparation divise des familles entières qui commencèrent à
creuser des tunnels le long de la frontière de 14 Km. Ces tunnels étaient parfois cachés à
l’intérieur des maisons. On à tendance à dater les tunnels à cette époque car dès 1983,
Israël en découvre l’existence105. L’utilisation des tunnels à tout naturellement explosée
en fonction du resserrement de Gaza : l’installation des clôtures, la destruction de
l’aéroport puis la fermeture des points de passages ont donné aux tunnels un rôle
majeur, voir indispensable à la survie de la population palestinienne.
La première et la deuxième intifada ont vu le développement des tunnels. En effet, avant
les tunnels permettaient aux familles de communiquer entre elles puis très vite a servi
aux transferts d’argent, d’or ou de produits taxés en Israël comme le fromage fondu. Les
intifada ont modifié le rôle des tunnels, ceux-ci permettant l’acheminement d’armes. Il
s’est crée une fusion d’intérêt, celles des milices, plaque tournante de la résistance, avec
les clans et les bédouins, qui étaient les propriétaires de ces tunnels. Cette fusion entre
intérêt militaire et commerciale allait être la caractéristique, le substrat du
développement futur des tunnels. La prise de contrôle de la bande de Gaza par le Hamas
à marqué un tournant dans le développement des tunnels. Le siège à été renforce du
côté égyptien et israélien dès l’été 2007. En novembre 2007, Israël coupe de moitié les
approvisionnement alimentaire et les importations de combustibles, finalement en
janvier 208, Israël annonce un blocus total sur le carburant après que des roquettes fut
tirées sur Sderot, une ville israélienne frontalière106
A partir de cette date, le Hamas va petit à petit s’intéresser aux tunnels soit en les louant
soit en construire. Il améliore aussi la sécurité des tunnels, l’électricité.... Le mouvement
islamiste prend possession d’une grande partie du secteur, s’enrichit grâce aux taxes. Ce
point sera d’ailleurs étudier avec plus de précision plus loin dans le mémoire.
En ce qui concerne la mécanique très spéciale des tunnels d’armements, selon un
rapport du congrès américain107, celle-ci consiste en une alliance entre les familles
propriétaires, louant pour un temps leur tunnel à des membres du Hamas ou du jihad
islamique. Les armes et les munitions sont tirées par des câbles et des moteurs
électriques à travers les tunnels, qui en certains endroits atteignent des profondeurs
variant de 15 à 18 mètres. Bien qu’il n’y ait pas de preuve définitive quand à l’origine des
105 http://www.palestine-studies.org/jps/fulltext/42605106 http://www.palestine-studies.org/jps/fulltext/42605107 http://fpc.state.gov/documents/organization/101806.pdf
38
armes, l’Egypte et Israël pensent que la plupart des armes sont en provenance du
Yémen, du Soudan ou du Sinaï lui-même. Par natures cachés et discrets, nous ne
disposons que de peu d’informations sur ces tunnels. Les Gazaouis eux-mêmes les
cachent aux journalistes ou aux experts d’organisations internationales, à la différence
des autres tunnels où passent des produits de première nécessité.
Ces tunnels sont les plus nombreux, les plus visibles. Beaucoup de reportages en ont
filmés108. Généralement, il s’agit d’entrepreneurs privés, d’individus qui s’associent pour
mettre de l’argent en commun et commencer à construire. On peut considéré qu’il faille
un somme comprise entre 100,000 et 300,000 dollars pour commencer et le retour sur
investissement est multiplié par trois en un mois109. Les tunnels s’adaptent à la demande,
mais le produit phare reste le carburant, indispensable au bon fonctionnement de la
ville. Il s’agit souvent de produit le plus taxé (avec les cigarettes) et où un véritable
rapport de force existe entre l’entrepreneur privé et le Hamas, souvent à l’avantage du
dernier110. Par conséquent, les produits sont souvent ceux interdits par Israël, comme les
pâtes, les voitures ou des outils pour l’agriculture ou pour la construction, notamment le
ciment. Il est très difficile d’estimer le chiffre d’affaire de ces tunnels. Mais pour se
rendre compte de l’importance, un chiffre semble éclairer la situation. Les tunnels
rapportaient en 2005, près de 30 millions par an, en 2012 on estime le chiffre à près de
36 millions par mois111. Ainsi s’est crée de véritable fortune, notamment chez les
bédouins du Sinaï. Il n’y a d’ailleurs pas de hasard puisque dans sa guerre contre les
groupes rebelles du Sinaï, Sissi a fait fermer une grande partie des tunnels, il a
évidemment bien conscience de l’importance financière de ce commerce.
Comme les cycles classiques de l’économie, les tunnels de Gaza n’y échappent pas. En
effet, la crise du Sinaï représente le dernier coup de boutoir à un business désormais en
déclin. En 2007, avec la prise de pouvoir du Hamas et la mise en place d’un blocus
économique par Israël et l’Egypte de Moubarak, les tunnels deviennent le poumon
économique d’une langue de terre coupée du monde. En 2009, à la suite de l’opération
militaire israélienne «Plomb durci», le réseau souterrain devient incontournable. Tout y
passe: carburant, cigarettes, ciment, canettes de boissons, chips, vêtements, mais aussi
réfrigérateurs, micro-ondes, deux-roues... Les 1.500 passages souterrains sous la
108 https://www.youtube.com/watch?v=_YUuiW7SSbw109 http://www.lrb.co.uk/v31/n20/nicolas-pelham/diary110 Ibid.111 http://www.palestine-studies.org/jps/fulltext/42605
39
frontière de Rafah vers l’Egypte deviennent alors la plus grande «entreprise» de Gaza,
avec 10.000 employés directs, et 40.000 à 50.000 travailleurs «indirects». Le business
perd de son rayonnement en 2010 avec l’ouverture du poste-frontière israélien de
Kerem Shalom à la plupart des biens de consommation. Mais 500.000 litres de carburant
ou encore 300.000 paquets de cigarettes continuent de transiter, chaque jour, par les
tunnels. Durant l’année 2011, 13.000 voitures auraient emprunté les voies souterraines
avant de rejoindre Gaza-ville. Le marché se retourne après l’assaut désastreux des forces
israéliennes contre la «flottille» turque partie briser le blocus de Gaza. Pour répondre à
l’émotion internationale, Israël allège alors l’embargo sur la plupart des produits de
consommation courante. Résultat: les tunnels ne gardent que les matériaux de
construction, les cigarettes égyptiennes (moins chers), l’essence, et les voyages
souterrains privés. Les «gros bonnets» du système souterrain survivent, les petits
entrepreneurs font faillite. Le chiffre d’affaires journalier passe alors de 15.000 dollars à
1.000/1.500 dollars. Aussi, les tunnels, qui pouvaient valoir jusqu’à 300.000 dollars
l’unité en 2008, se revendent aujourd’hui autour de 35.000 dollars112.
En 2015, il faut le dire le commerce des tunnels est moribond. Dans le documentaire
« Rue Abou Jamil » tourné en 2009 pour La Chaine Parlementaire, le film s’ouvrait par
cette phrase d’un propriétaire de tunnel « les tunnels ne peuvent être fermés, ni par
l’Egypte ni par Israël », malheureusement on peut dire, avec tristesse, que ce jeune s’est
trompé113.
2.3Le blocus et ses conséquences sociales et psychologiques.
2.3.1 Le phénomène de déscolarisation.
Les différentes guerres et le blocus sont responsables d’une augmentation du
phénomène de déscolarisation et du travail des enfants. Même si le taux
d’alphabétisation reste élevé, on voit apparaître un déclin du taux de scolarisation et du
112 http://www.slate.fr/story/61031/gaza-fin-tunnels113 https://www.youtube.com/watch?v=_YUuiW7SSbw
40
taux de réussite des enfants aux tests depuis 2008114. En 2013, le taux de travail des
enfants entre 5 et 14 est de 5,7115 (la loi palestinienne interdit le travail aux enfants de
moins de 15 ans) Constatant ceci, Le Dr. Maher al-Tabaa, un économiste de Gaza,
explique : « Le travail des enfants en Palestine est devenu un phénomène dangereux,
forçant les enfants à abandonner l’école pour nourrir leurs familles »116. Les raisons sont
multiples, mais tiennent d’une part à l’explosion démographique, à l’augmentation du
coût de la vie et à un phénomène qui touche de nombreuses familles, l’incapacité pour le
père de famille de subvenir aux besoins de ses proches. Celui-ci est soit mort, soit
handicapé dans le meilleur des cas. Pour rappel, la dernière guerre a touché entre 1400
et 2000 personnes avec 10000 blessés117. Cette situation pousse la mère à déscolarisé
son enfant et à l’obliger à ramener un peu d’argent, les rues de Gaza sont remplies
d’enfants vendant des biscuits, travaillant clandestinement dans des garages ou lavant
des pare-brises à la sauvette. Le travail dans les tunnels reste aussi le moyen le plus sûr
pour les enfants de trouver un travail. Du fait de leur petite taille, mais surtout moins
susceptible de se plaindre ou de réclamer une augmentation de salaire118.
Faire travailler ses enfants est aussi pour les parents d’éviter la honte de la mendicité.
Les parents restent à la maison et c’est à l’enfant de trouver un emploi ou quelques
shekels119. Il existe des cas bien pire, beaucoup d’enfants n’ont plus de maisons, ont été
déplacés par les guerres, et sont logés dans des abris publics qu’ils ne considèrent pas
comme des foyers sûrs et pérennes, ce qui les oblige à partir travailler. Selon l’UNICEF,
plus de 96 000 maisons de réfugiés palestiniens ont été sérieusement endommagées ou
totalement détruites pendant le conflit de l’été dernier, et les enfants continuent de
souffrir de l’impact de ces déplacements120
114 http://www.unicef.fr/contenu/actualite-humanitaire-unicef/j-aimerais-avoir-assez-d-argent-pour-continuer-l-ecole-2009-07-27115 Ibid116 http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/la-hausse-du-travail-des-enfants-gaza-664941663117 http://www.lepoint.fr/monde/gaza-un-nouveau-bilan-fait-etat-de-2-016-palestiniens-tues-18-08-2014-1854584_24.php118 http://www.unicef.org/french/education/oPt_67168.html119 http://www.info-palestine.eu/spip.php?article13860120 http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/la-hausse-du-travail-des-enfants-gaza-664941663
41
Enfin, le phénomène de déscolarisation est lié au développement d’un sentiment qui
tend à se propager au sein de la société de l’enclave, l’école ne permet plus l’élévation
sociale. Cette idée, nous la développerons dans la prochaine partie.
2.3.2 Les effets sur la cellule familiale.
Les familles connaissent de profondes modifications. On note une augmentation du
mariage précoce et du mariage entre gens de la même famille. En arabe, on parle de
Hamûla, qui doit être traduit en français par « clan ». Il s’agit d’un phénomène très
difficilement quantifiable, seulement il est intéressant de noter quelques tendances. Les
chiffres de l’ONU conclu qu’entre 1961 et 1987 les femmes avaient tendance à se marier
plus tardivement que dans les décennies suivantes121. Pour comprendre ce phénomène,
il faut prendre l’histoire de Gaza dès 1948. Toute une génération de femmes, née après la
nakba, eut un mariage tardif et avec un membre ne faisant pas partie du clan. Ces
femmes avaient un haut niveau d’étude et surtout avaient la possibilité de travailler dans
les pays du Golfe alors en plein boom économique, comme le Koweït. Ces pays
cherchaient des professeurs notamment, hommes ou femmes. Ainsi les perspectives
d’emplois féminins dans le Golfe et l’absence de marché du travail à Gaza influencèrent
le comportement des familles pour ce qui est du mariage des filles. Dans ce contexte où
un grand nombre de femmes avaient un haut niveau d’éducation et pouvaient répondre
à de nombreuses offres d’emploi dans le Golfe, les filles n’étaient pas perçues comme un
fardeau économique que les familles voulaient marier le plus vite possible. Au contraire,
elles devinrent, en général, une source de revenus. Cela peut expliquer pourquoi seule
une petite proportion d’entre elles se marièrent à un âge précoce dans les années
soixante, par comparaison avec les décennies suivantes122. Avec l’occupation en 1967, la
situation se transforma peu à peu. Les palestiniens abandonnèrent très tôt l’école, pour
devenir « l’armée de réserve de main-d’œuvre » d’Israël. Contrairement au marché du travail dans le Golfe vers lequel se tournèrent les Palestiniens après la Nakba, le marché du travail israélien n’avait
121 http://www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2005-1-page-153.htm#no37122 ibid
42
pas besoin d’hommes munis de diplômes universitaires. Les travailleurs palestiniens pouvaient l’intégrer armés de leur seule force physique. L’éducation fut moins valorisée : la contribution des femmes au bien-être de leurs familles perdit sa raison d’être et leur âge au mariage baissa de nouveau123. Naguère, l’éducation était un moyen d’accéder à la mobilité sociale et d’émigrer dans le Golfe, mais désormais les fils aspiraient à trouver un emploi en Israël. L’ « argent facile », qui pouvait être gagné sur le marché du travail israélien du fait de salaires relativement élevés, avait un impact important sur les comportements. Contrairement à la génération des années soixante qui valorisait le travail des femmes, les jeunes hommes employés en Israël préfèrent que leurs femmes s’occupent de leurs enfants pendant qu’ils s’épuisent du matin au soir sur les chantiers de construction. L’occupation porta atteinte au niveau d’éducation en général ainsi qu’à sa valeur sociale et symbolique. Ce qui était considéré comme une victoire héroïque des Palestiniens dans les années soixante était dorénavant dévalorisé par une destruction désespérante. Ce phénomène du mariage précoce et en son clan a donc commencé très tôt, dès l’occupation israélienne et continue après le blocus, malgré la fermeture du marché du travail israélien, Les raisons principales sont la pauvreté, le manque d’emploi, la fermeture des frontières, il y’ a un retour dans le cercle familiale, qui à tort ou à raison est vu comme protecteur124. Selon les agences des Nations Unies, les organisations non gouvernementales (ONG), la
violence sexiste reste à un niveau épidémique dans le territoire palestinien occupé ; ses
victimes manquent de recours juridiques et doivent souvent subir les réactions de la
famille quand elles dénoncent un acte criminel.
Le nombre de cas d’attaques sexuelles rapportées de 2006 à 2009 a été multiplié par
plus de sept, et celui des tentatives de meurtre (de femmes) par cinq, selon le ministère
123 ibid.124 http://www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2005-1-page-153.htm#no37
43
de la Condition Féminine de l’Autorité palestinienne125. Ces chiffres sont sûrement une
moyenne basse car les femmes ne vont pas voir la police ou la justice, mais tentent de
régler le problème avec d’autres membres de la famille126. De plus, il faut noter que le
divorce est un acte très mal vu par les autorités du Hamas et la police préfèrent « la
discussion au divorce »127 Il est indéniable que les violences domestiques touchent
beaucoup plus la région de Gaza que celle de Cisjordanie et est en augmentation depuis
le début du blocus128. Un autre rapport de 2012 du bureau central palestinien des
statistiques, met en évidence que 31% des femmes gazaouis seraient victime de
violences physiques, 15% de violences sexuelles et près de 75% de violences
psychologiques129. Ces chiffres sont analysés par l’office de secours et de travaux des
Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient comme les
conséquences du blocus israélien, qui en déstabilisant l’économie locale et en
augmentant la pauvreté, crée les conditions sociales et psychologiques permettant
l’expression de la violence domestique130
Il existe enfin un autre facteur, responsable de l’explosion de la cellule familiale, la perte
d’autorité des parents et notamment du père. La violence de la guerre et l’incapacité de
protéger sa maison montre des parents démunis, les enfants ne se sentent pas protéger
et ont une tendance naturelle à se révolter très jeune. Surtout ce sentiment d’abandon
touche profondément l’individu et développe chez lui des maladies mentales allant de la
dépression au stress post -traumatique.
2.3.3 Les effets sur l’individu.
Selon Fadel Abu Hein, directeur du Centre communautaire de Formation à la Gestion de
Crise dans la bande de Gaza, près de 60% des habitants de Gaza souffrent de maladies
psychologiques et ont besoin de traitements. Il explique que la détérioration de la
125 http://www.irinnews.org/fr/report/91809/tpo-peu-de-recours-pour-les-victimes-de-violence-sexiste126 https://libertefemmespalestine.wordpress.com/2007/02/20/ces-palestiniennes-victimes-de-violences-familiales/127 http://www.al-monitor.com/pulse/fr/originals/2013/09/palestinian-domestic-violence-women-rights.html. 128 ibid.129 http://www.pcbs.gov.ps/Portals/_PCBS/Downloads/book1936.pdf130 http://www.unrwa.org/newsroom/features/women-gaza-take-aim-domestic-violence
44
situation politique et économique est une cause directe du développement des maladies
mentales. Abu Hein a déclaré à Al -Monitor que la maladie psychologique la plus
répandue a Gaza est l’anxiété, elle affecte 35 % de ses patients, suivie par la dépression,
qui touche 25 % d’entre eux. Il a observé que le chômage et l’absence de possibilité
d’emploi sont les principales raisons de ces maladies, suivies par le licenciement
consécutif de travailleurs, le taux de pauvreté élevé, le blocus et les guerres israéliennes
successives dans la bande de Gaza. Un rapport publié le 7 Avril 2014 par le département
de la santé de l’ONG palestinienne Réseaux, explique que les effets économiques et
sociaux négatifs du blocus israélien conduisent « à l’exacerbation de problèmes
psychologiques à Gaza touchant un large éventail de citoyens, du fait de l’augmentation
du taux de pauvreté, du chômage, de l’absence de perspectives et du peu d’espoir pour
un changement véritable et positif concernant leurs moyens de subsistance et la
situation humanitaire. C’est pourquoi les niveaux d’anxiété, de dépression et de violence
domestique et sociétale sont en augmentation ».131La population gazaouie souffre aussi
d’une augmentation du taux de suicide, Le Dr Sahbani, chef du département des
urgences de l’hôpital Shifa (le plus grand de la bande de Gaza), rapporte que l’hôpital
reçoit mensuellement jusqu’à 30 patients ayant fait une tentative de suicide, ils tentent
de se donner la mort par différents moyens comme la prise d’analgésiques, de
pesticides, le taillage de veines, le saut dans le vide, les armes à feu, l’immolation ou
encore la pendaison. Un membre de la Commission Indépendante des Droits de
l’Homme, Mr Ibrahim, estime quant à lui que des raisons économiques et sociales
poussent les gens à mettre fin à leurs jours. La difficulté de trouver du travail, le taux
élevé de chômage et de pauvreté dans la bande de Gaza ainsi que la réalité économique,
accentuent ce mal-être qui pousse certains à attenter à leur vie quand ils perdent le
contrôle d’eux-mêmes. Il ajoute qu’une personne incapable de surmonter ces dures
conditions de vie et les crises qu’il doit supporter, peut en venir à prendre la décision de
passer à l’acte et de se tuer132. Enfin, les travaux du psychiatre palestinien et gazaoui, le
Dr Eyad EL-Serraj 133, avaient mis en évidence dès 2009, que près de 20% des enfants de
Gaza souffraient de Stress post-traumatique, ce problème peut apparaître à la suite
d’événements potentiellement traumatiques tels qu’un vol à main armée, un accident de
la route, un désastre naturel, une expérience de combat (militaire) ou des sévices
131 http://www.info-palestine.eu/spip.php?article14552132 http://www.katibin.fr/2013/07/04/vague-de-suicides-a-gaza/133 https://www.youtube.com/watch?v=Icp87DPicM8
45
physiques ou sexuels. Lorsque l’individu vit, est témoin ou est confronté indirectement à
un événement particulièrement traumatisant, il peut éprouver une peur intense, un
sentiment d’impuissance ou d’horreur. Par la suite un ensemble de symptômes et de
comportements spécifiques peuvent apparaître. Par exemple, des réviviscences
(cauchemars), des altérations cognitives et émotionnelles (dépression très forte) ou au
contraire une hyperactivité du système nerveux (hystérie, agressivité)134. Pour un
enfant, se sentir menacé dans un endroit qui jusqu’alors avait été considéré sécuritaire
donne lieu à des sentiments de vulnérabilité et de désespoir. Lorsque les maisons, les
écoles et les mosquées sont endommagées, les enfants concluent qu’ils ne sont plus à
l’abri nulle part et que leurs parents ne peuvent plus les protéger, d’où le phénomène de
perte d’autorité. Une étude menée dans la foulée de l’opération Plomb durci a conclu que
99 pour cent des enfants ne se sentaient pas en sécurité, même à la maison, que 96 pour
cent sentaient qu’ils ne pouvaient pas se protéger ou protéger leur famille, et que 94
pour cent croyaient que personne à l’extérieur de leur famille ne pouvait veiller à leur
sécurité
Les enfants de Gaza ont aussi vécu une importante perte d’estime d’eux-mêmes. La
plupart sont incapables d’éprouver de la fierté pour leur peuple ou pour eux-mêmes, et
au contraire perdent tout espoir. Ceux qui sont capables d’imaginer le moindre avenir
pensent uniquement à fuir Gaza, un rêve qui a peu de chances de se réaliser compte tenu
du blocus israélien actuel. Ils ont souvent des cauchemars ou des insomnies au cours
desquels ils revivent en boucle les mêmes événements horribles. Nombreux sont ceux
qui régressent et qui deviennent plus dépendants de leurs parents à un moment où ces
derniers ont peu d’énergie à leur consacrer. L’incontinence nocturne et la terreur à l’idée
de quitter la maison ou de se retrouver seul sont répandues. En outre, ils sont
susceptibles d’éprouver des engourdissements, de la peur, de la colère et de la
culpabilité d’avoir survécu ou de ne pas avoir été blessés au cours de l’offensive135. Mise
à part le bureau de santé mental du Dr El Serraj, il n’existe presque aucun lieu pour les
soigner, ces enfants risquent de tomber dans l’alcoolisme, mais surtout il faut imaginer
les dégâts dans l’avenir en terme de génération puisqu’un enfant de 8 ans à vécu déjà 3
134 http://www.iusmm.ca/hopital/usagers-/-famille/info-sur-la-sante-mentale/etat-de-stress-post-traumatique.html135http://www.cjpmo.org/DisplayHTMLDocument.aspx?DO=795&ICID=4&RecID=863&SaveMode=0
46
guerres. Des chercheurs comme Laetitia bucaille136 ou Pénélope Larzillière137 ont
beaucoup travaillé sur les ensembles générationnelles et notamment sur l’intégration
des jeunes de l’intifada de 1987 à l’autorité palestinienne, la violence du blocus et des
guerres nous oblige même à considérer la possibilité, à émettre l’hypothèse d’un
renoncement politique de toute un ensemble générationnel pour des raisons physiques
et psychologiques.
3. Le Hamas et la société de la bande de Gaza.
3.1 Les secteurs politiques et économiques.
3.1.1Le secteur politique
Nous définissions le « politique », avant tout comme la pratique du pouvoir. Le Hamas
est définitivement l’acteur capable de définir l’ami/l’ennemi dans la bande de Gaza.
Avant de revenir sur sa quête du pouvoir et sur son utilisation, il est important de
revenir sur son histoire. Le Hamas fut fondé, pendant l’Intifada en décembre 1987 par le
Cheick Yassine et 3 autres membres, tous issus des frères musulmans palestiniens138.
136 BUCAILLE Laetitia, Gaza : la violence de la paix, Presses de Sciences Po, Paris, 1998 p 272
137 LARZILLIERE Pénélope, être jeune en Palestine, Editions Balland, Paris, 2004, p 197.
138 HROUB Khaled, Le Hamas, Demopolis, Paris, 1994, p 176.
47
Cheick Yassine fonda au début des années 70 un mouvement distinct des frères
musulmans, la Mujamma Islamya139, qui n’avait quasiment aucune activité politique, se
limitant à la da’wa, c’est-à-dire à la prédication islamique140. Devenu mouvement
politique et de résistance, le Hamas se construit politiquement autour de thèmes comme
la lutte contre la corruption de l’Autorité Palestinienne en particulier du Fatah, le refus
des accords d’Oslo et la résistance active contre l’occupation israélienne. Cette résistance
prendra la forme d’attentas-suicides, donnant une image désastreuse du mouvement à
un occident horrifié. A contre-courant de cette image, le Hamas devient un mouvement
de plus en plus important sur la terre de Palestine, avec une base militante très forte
notamment dans les universités. Ce soutien pousse le mouvement à tenter sa chance aux
élections municipales et législatives en 2005 et 2006. Le Hamas remporte deux victoires.
Finalement une tentative de coup d’Etat en 2007 menée par le Fatah avec le soutien (du
moins logistique) des Etats-Unis échoue141. Les soldats du Fatah s’enfuient en Israël ou
en Egypte parfois par la mer et ne reste à Gaza que les clans. Véritable exemple vivant de
la ‘Asabiyya d’Ibn Khaldoun, les clans sont les structures inamovibles de la société
gazaouie. Le Fatah avait fait alliance avec les clans pour le contrôle de la ville, nommant
les Mokhtar, les chefs à des postes de gouverneurs142 dans les cinq gouvernorats de
Gaza. Ces clans devenus très riches grâce aux trafics en tout genre, notamment de
drogue143, jouent un rôle primordial au niveau local. Dès le début le premier ministre du
Hamas et de Gaza, Ismaël Haniyeh refuse toute forme de collaboration avec les clans et
souhaite leurs redditions144. Finalement les clans acceptent, puisque très rapidement le
Hamas se trouve être le mouvement le plus surarmé. Il n’y a que le clan Doghmush qui
résista quelques jours avant de céder face au Hamas145. Dès la fin de l’été, le Hamas a le
contrôle absolu de la bande de Gaza, nommant des membres de son mouvement à la tête
139 ROY Sarah, Hamas and the civil society in Gaza, Princeton University Press, Princeton, 2011, p 320140 Ibid.141 SEURAT, Laetitia Leila, La politique étrangère du Hamas 2006-2013 : idéologie, intérêt et processus de décision, Thèse de doctorat d’université, Paris : Institut d’études Politiques, 2014, p.381.
142 http://www.brandeis.edu/crown/publications/meb/MEB26a.pdf143 ibid.144 http://www.crisisgroup.org/en/regions/middle-east-north-africa/israel-palestine/071-inside-gaza-the-challenge-of-clans-and-families.aspx145 LEBHOUR Karim, jours tranquilles à Gaza, Editions Riveneuve, Paris, 2010, p 176
48
des mairies et des gouvernorats146. Entre 2007 et 2015, deux mouvements islamistes ont
tenté sans succès de s’implanter et de se développer à Gaza. Ces groupes, se
revendiquant ouvertement d’Al-Quaida et de Ben Laden, avaient un discours anti-Hamas
et voulaient l’instauration de la Char’ia , la loi islamique147. L’un d’eux enleva et tua
l’humanitaire Vitorrio Arrigoni148, Le Hamas liquidera le mouvement et son leader.
On note évidemment la disparition de toute forme de régime pluraliste, au contraire il
y’a un renforcement du régime unique.
Ce contrôle du politique s’accompagne du renforcement du Hamas dans les questions
économiques.
3.1.2 Le secteur économique
Il existe plusieurs sources de financement du Hamas. La première est la Zakat, l’aumône
légale, qui provient de donateurs issus du monde arabo-musulman ou même d’Europe
de l’ouest149. La deuxième provient de la République islamique d’Iran et de la République
arabe syrienne. Seulement il y a un ralentissement de l’aide financière accordée par ces
deux pays au mouvement de la résistance islamique palestinienne. Les raisons sont
évidentes, la guerre civile syrienne et le coût de la guerre civile irakienne pour l’Iran150.
Pour remplacer cette manne financière perdue, le mouvement va institutionnaliser la
taxation des tunnels. Le Hamas va même plus loin, en créant un ministère officiel chargé
des tunnels, au sein du gouvernement le « Tunnel affairs commission »151. Le TAC a
introduit un système de licence pour empêcher la construction dans des zones réputées
sensible pour la sécurité nationale, c’est-à –dire sur des zones trop proches des
frontières, ou se situant trop près des tunnels offensifs. Il s’agit aussi de réguler l’offre et
la demande et éviter qu’il y est trop d’inflation sur les marchés de Gaza. Les
constructeurs doivent obtenir du TAC une autorisation en apportant une preuve de la
possession de la terre ou du droit de l’utiliser. Le TAC est également intervenu pour
146http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/Middle%20East%20North%20Africa/Israel%20Palestine/71_inside_gaza___the_challenge_of_clans_and_families.ashx147 http://www.bbc.com/news/world-middle-east-13387859148 ARRIGONI Vittorio, Rester humain à Gaza, Scribest Edition, Bischheim, 2009, p 143
149 http://www.globalsecurity.org/military/world/para/hamas-funds.htm150 http://www.al-monitor.com/pulse/tr/business/2012/02/smugglers-fed-up-with-hamas-taxe.html151 http://palthink.org/en/wp-content/uploads/2014/01/Gaza-Crossings.pdf
49
arbitrer les différends entre les marchands et les exploitants de tunnels et vérifier les
prix, en particulier celui du carburant152. Le TAC joue aussi un rôle de police, puisque
qu’il ferme les tunnels soient lorsque les taxes ne sont pas payées ou lors de transfert de
produits interdis, en grande partie les armes et le tramadol, antalgique répandu à Gaza
et que le Hamas a interdit153. Le TAC est l’organisme chargé de collecter les frais
administratifs c’est à dire 10000 shekel (2,850 euros) par tunnel et 3000 shekel pour le
raccordement au réseau électrique. Les prélèvements ne s’arrêtent pas là, puisqu’il y a
tout un système de taxes. Celles-ci sont particulièrement élevées pour le carburant les
générateurs, les cigarettes154 et les matériaux de construction, c’est à dire le ciment, le fer
et le gravier155.
L’étude des tunnels nous apprend que le Hamas a très vite compris l’importance
économique de ce commerce interlope. Pendant longtemps, le mouvement de Cheick
Yassine ne s’intéressait qu’aux tunnels offensifs, ou à ceux qui acheminaient les armes.
Les autres, les commerciaux étaient gérés de manière assez anarchique par les clans en
Palestine et les bédouins dans le Sinaï .Une fois arrivé au pouvoir le mouvement
islamiste à rationnaliser ce commerce et l’a en quelque sorte nationalisé. Pour citer le
cinéaste Khalil Muzayen « C est une industrie commerciale bien rodée qui rapporte
beaucoup au Hamas »156.
Pourtant depuis la mi-juin, l’armée égyptienne a mis en place une zone de sécurité
stricte qui limite très fortement l’accès aux tunnels. Et depuis la chute de Mohamed
Morsi, début juillet, la frontière de Rafah ayant été totalement fermée, Gaza a retrouvé
l’isolement, sans possibilité d’aller et venir. Pour le Hamas, c’est un coup terrible. Pour la
population, c’est une promesse de pénuries prochaines.
Alors, une nouvelle fois, sans poste frontière ouvert, ni tunnels, Gaza redevient une
prison. Ses habitants sont abandonnés du reste du monde. Alors Gaza se retourne sur
elle-même, sur sa volonté de se divertir, d’étudier, bref de vivre.
152 http://palestine-studies.org/jps/fulltext/42605153 ibid154 ibid155 http://www.al-monitor.com/pulse/tr/business/2012/02/smugglers-fed-up-with-hamas-taxe.html156 http://www.slate.fr/story/75395/gaza-vie-underground-tunnels
50
3.2 Les secteurs sociaux et culturels
3.2.1 La dimension sociale du Hamas
Pour comprendre la réussite du Hamas et son implantation actuelle dans la bande de
Gaza, il faut revenir à son origine c’est-à-dire aux frères musulmans égyptiens et à la
vision de ce groupe fondé en 1928 par Hassan Al Banna157. Les islamistes ont toujours
pensé que la société ne peut se transformer qu’à travers une rééducation de l’individu
selon les préceptes islamiques. L’idée principale développée par le penseur de ce
mouvement, Said Qotb158, est mettre en avant l’état d’ignorance, la Jahiliya, de la
population musulmane. Ainsi en rééduquant les individus selon les principes islamiques,
la communauté des croyants en se ressourçant, se libèrera du joug dans laquelle elle vit.
C’est donc avec cet état d’esprit que les frères musulmans d’Egypte puis de Gaza ont
pratiqué la prédication, la Da’wa, mettant de côté dans ces premières années le Jihad.
Un mouvement se distingua des frères musulmans de Gaza en 1973, la Mujamma
Islamyia fondé par le Cheick Yassine. Le mouvement souhaitait donner une éducation
religieuse en fournissant des aides simples à la population, notamment en créant des
centres sportifs pour les jeunes. Encouragée par la non-interférence du gouvernement
israélien, la Mujamma étendit son champ d’action en fournissant des aides médicales et
sociales en créant une sphère qui rivalisait avec celle de l’Etat159.
Elle s’étendit en créant des branches partout à Gaza, en particulier dans les camps de
réfugiés. Ces branches ont crée des lieux qui regroupaient des écoles d’infirmières, des
jardins d’enfants, des groupes de jeux, des cliniques, des clubs de sports, des centres
d’activités pour femmes, des centres de désintoxications…160 La Mujamma étaient
présente dans les zones les plus pauvres et les centres étaient toujours proche d’une
mosquée ou d’une école coranique. Elle remplaçait l’Etat car elle était capable de
distribuer de l’argent aux familles les plus démunies grâce aux donateurs du monde
entier en particulier ceux du Golfe. A travers cette présence, la Mujamma a fondé des
157 CARRE Olivier, SEURAT Michel, Les frères musulmans (1928-1982), L’Harmattan, Paris, 2002, p 252
158 http://ddata.over-blog.com/3/95/68/81/Mon-blog/Jalons-sur-la-route-de-l-islam.pdf159 ROY Sarah, Hamas and the civil society in Gaza, Princeton University Press, Princeton, 2011, p 320.
160 Ibid
51
institutions et des infrastructure mais surtout un sentiment de confiance, de solidarité
propagé dans toute la population, cimentant notamment sa présence dans les couches
les plus pauvre de l’enclave, chose que les autres parties ont plus de difficultés à faire.
Avec le temps et le succès, le mouvement prit une forme autoritaire, avec une chaine de
commande hiérarchique où se trouve au sommet le Cheick Yassine. Il ne devient un
mouvement politique qu’au tout début des années 80, en prenant possession de
l’université, en fermant les lieux de débauches comme les cinémas, les bars…il s’agit
d’une période violente à Gaza entre les nationalistes et les membres de la Mujamma.
Pour que les membres de ce mouvement puisse agir de la sorte, c’est-à-dire avec
violence, il faut qu’ils se sentent forts, et c’étaient évidemment le cas car grâce à la da’wa
et les différents centres, ils avaient vaincus sur un plan très important, celui de la
culture. Ils dominent culturellement, ils ont, par les pratiques quotidiennes et les
croyances collectives, vaincu l’ennemi nationaliste. Pour reprendre le concept de
Gramsci, le Cheick Yassine et son mouvement ont l’hégémonie culturelle à Gaza.
Il est important de voir par quelles moyens et à travers quels éléments ont-ils réussit ?
3.2.2 Associations et culture
Grâce aux travaux de Sara Roy161 qui a réalisé une liste d’institution liée au mouvement
islamiste et à des recherches, notamment sur internet, j’ai pu dresser une liste
d’association. Cette liste non-exhaustive dresse un panorama des centres d’intérêt et
donc d’influence de la Mujamma. Il y’a des secteurs entiers comme le monde des
entreprises, du sport ou du gardiennage d’enfant qui sont liés au Hamas, mais pour des
raisons techniques ( je n’ai pu me déplacer à Gaza) il m’est difficile de trouver des noms
et la certitude du leur lien avec le mouvement du Cheick Yassine.
Le mouvement semble s’intéresser particulièrement aux centres de soin que ce soit
physique ou mentale comme le Al-Wafa Medical Rehabilitation Hospital situé à Rafah et
à Khan Younis. Cet hôpital est spécialisé dans les blessures graves162. On peut aussi citer
161 ROY Sarah, Hamas and the civil society in Gaza, Princeton University Press, Princeton, 2011, p 320.
162 http://palrehab.org/hospitals/elwafa
52
le Al Hua Health Clinic, dont le siège social est à Détroit (USA) mais qui semble dispose
de succursale à Gaza, enfin dans le camp de Nuseirat existe un hôpital lié au Hamas. Ce
dernier dispose d’une libraire du nom d’Al-Anwar al-Ibrahymiyya library for children. Il
y’a deux organisations caritatives : Al-Salah Islamic Association et le Zakat comitees. Une
université du nom d’université islamique de Gaza, d’un Think Thank appelé Palestine
Center for Studies and Resarch, d’au minimum deux associations féminine la Women’s
Islamic Association et la Young Women’s Muslim Society. Ces exemples montrent la
force du réseau du Hamas dans la vie de la population, ce dernier s’inscrit au niveau
éducatif, sanitaire, financier et religieux mais le mouvement de Cheick Yassine est aussi
très présent sur le terrain de la communication.
Depuis une dizaine d’années, et notamment depuis sa victoire électorale à Gaza en 2006
et sa prise de contrôle de la bande en 2007, le Hamas a développé une présence
médiatique importante A de nombreuses reprises, ses émetteurs de télévision et ses
studios de radio ont été bombardés. La chaîne de télévision du Hamas a même été
entièrement pulvérisée durant l’opération israélienne «Plomb durci», obligeant ses
journalistes à travailler depuis des bureaux souterrains secrets163. Ce système de
communication se compose d’une chaine d’une télévisons Al-Aqsa. Il se compose d’une
chaine de radio « Voice of Al Aqsa ». Enfin le Hamas s’est lancé dans le cinéma puisqu’il a
réalisé un film biographique sur un martyr très connu du Hamas Emad Akel. Pour la
petite histoire, le mouvement islamiste a du crée une salle de projection car il a détruit
les 9 cinémas de Gaza notamment après la première intifada164.
Les autres mouvements politiques disposent eux aussi de moyens de communication,
mais ceux-ci restent limités aux pages internet et à Facebook, sauf le Front Populaire de
libération (FPLP) qui dispose d’une radio, « la voix du peuple »165. On peut imaginer que
le Hamas l’a autorisé car les deux partis ont fait alliance lors d’élections locales166.
163 http://www.slate.fr/story/75387/resistance-dictature-hamas-gaza164 http://www.arte.tv/fr/gaza-hamaswood/3378190,CmC=3377352.html165 LEBHOUR Karim, jours tranquilles à Gaza, Editions Riveneuve, Paris, 2010, p 176.
166 MALBRUNOT Georges, Georges Habache : Les révolutionnaires ne meurent jamais, Fayard, Paris, 2008, p 321
53
3.2.3 Le Hamas, parti nationaliste ou religieux ?
Dans cette partie nous tentons de savoir si le Hamas est un parti nationaliste avec un
discours religieux ou au contraire reste t-il un parti religieux qui utilise un discours
nationaliste. La réponse à cette question permet d’avoir un panorama de la mentalité
gazaouie. Cet axe reste limité et la réponse à une question aussi vaste que la pénétration
de la religion dans l’esprit gazaoui ne peut se satisfaire de ce seul champ d’étude, mais
nous savons la force de l’hégémonie politique et culturelle du Hamas par conséquent cet
axe peut-être un début de réponse. Il est évident que pour avoir la totalité de la réponse,
un voyage d’étude à Gaza est nécessaire, ici la travail sur la source orale prend tout son
sens. Lorsque nous parlons de religion, il ne s’agit pas seulement de question folklorique
(ou non d’ailleurs) sur la croyance dans un paradis ou sur une pratique assidue de la
prière. La religion est avant tout une lecture de l’histoire et une certitude sur l’avenir.
L’eschatologie joue, pour les croyants, un rôle fondamental dans le combat politique
palestinien. C’est bien cette dimension qui sépare deux grands spécialistes français du
Hamas, Jean-François Legrain167 et Aude Signoles168. Alors que la chercheuse voit dans le
Hamas un mouvement nationaliste, Jean-François Legrain note à juste titre, qu’à la
différence de l’OLP, le Hamas se réfère à une Palestine eschatologique bénie de Dieu de
toute éternité et la Palestine n’est plus la source de l’identité mais le lieu de son
épanouissement169. En d’autres termes, le combat est légitime et la victoire acquise car
Dieu ne peut laisser des juifs sur cette terre bénie. Alors est-ce la population de Gaza
partage cette idée ? Beaucoup d’éléments permettent d’en douter, le Hamas à par
exemple été élu contre la corruption et dans un mouvement anti-Fatah, mais la force de
l’hégémonie culturelle du Hamas et plus globalement Gaza fait partie d’un monde arabe
qui abandonne chaque jour un peu plus la rationalité issue du nationalisme arabe au
profit d’un croyance religieuse qui gagne du terrain. Ces éléments laissent à penser que
Gaza doit connaître un basculement vers une mentalité beaucoup plus religieuse, peut-
être pas encore majoritaire mais certainement en net progrès. En d’autres termes, Gaza
167 https://remmm.revues.org/4563168 SIGNOLES Aude, le Hamas au pouvoir : Et après, Editions Milan, Paris, 2006, p112
169 https://remmm.revues.org/4563
54
passe d’un islam traditionnel c’est-à-dire culturel à un islam politique, « la destruction
d’Israël, une inéluctabilité coranique »170.
3.3Le secteur militaire
Le secteur militaire sera étudié de manière quantifiable, pour savoir si la société
gazaouie est une société militarisée, mais nous élargissons la question à la notion de
martyr c’est-à-dire à son évolution dans le temps et à sa signification actuelle., ainsi
qu’au mode de recrutement.
3.3.1 Brigade al-Qassam
Le Hamas disposerait de 30.000 hommes, répartis entre les forces de sécurité (20,000)
de l’enclave palestinienne et sa branche armée, les Brigades Ezzedine al-Qassam
(10,000) , du nom d’un des pères et victime de la Révolte arabe de 1936-1939 contre le
mandat britannique en Palestine. Ces combattants apparus en 1991 durant la première
intifada, sont redoutables et possède un arsenal composé d’armes légères et de
roquettes.
Ces brigades sont dispersées en petites cellule ( Katiba) déconnectées l’une des autres.
Les Brigades sont devenues très connue dans le monde à cause des attentats-suicides,
Ils sont remplacés à ces occassions, dans l’esprit palestinien le fedayin par le Shahid. Les
fedayin luttaient pour leur patrie et étaient prêts à lui donner leur vie. Le Shahid meurt à
tous les coups, et c’est seulement à travers sa mort qu’il peut espérer une victoire, à la
fois contre l’ennemi et dans sa vie personnelle, en accédant au paradis171. Cette
transformation dans la motivation des combattants avec le rajout d’une dimension
eschatologique aurait du disparaître puisque réservés aux kamikazes, un mode
opératoire qui n’est plus pratiqué depuis le blocus. Or, nous notons l’emploi encore de
ce mot en 2014172. Une réponse générale pourrait expliquer la persistance de ce mot. En
effet, avec le martyr et donc le rattachement au religieux de la lutte nationale, un double
dépassement est rendu possible : celui de la mort des combattants et celui de l’échec de
la lutte nationale. L’atemporalité religieuse et la temporalité eschatologique du Djihad,
170 Expression utilisée par un des guides spirituels de la mouvance du Djihad islamique, Cheick Ascad al-Tamini. 171 LARZILLIERE Pénélope, être jeune en Palestine, Editions Balland, Paris, 2004, p 197172 https://www.youtube.com/watch?v=mue96rYTY7M
55
fond de l’échec actuel une simple péripétie historique par rapport à une victoire
certaine. Les fedayin croyaient en une victoire à court ou moyen terme, les Shahid savent
que ce n’est pas envisageable.
Enfin se pose la question du recrutement, comment un jeune de gaza devient un membre
de la résistance armée ? Assez étrangement, les groupes se créent à un échelon local,
deux ou trois jeunes souvent issus des camps de réfugiés mais pas seulement forment
une Katiba et commence à s’inscrire dans le local. Dans cette zone « de sécurité », ils se
mettent en relation avec les représentants de l’autorité centrale, avant l’A.P maintenant
le Hamas et s’insèrent dans leur organigramme173. Les motivations sont multiples,
psychologiques ou autres, la perte d’un proche ou le sentiment d’humiliation peuvent
être des déclencheurs, mais une autre raison me semble intéressant à étudier. L’entrée
dans la lutte armée représente la possibilité pour certains jeunes des camps de réfugiés,
sans diplômes et sans « contact » de conquérir un statut social. .
A côté du Hamas, existent des groupes militaires plus ou moins indépendant. Le plus
connu : le mouvement du Jihad Islamique palestinien.
3.3.2 Le Jihad Islamique
Le Djihad islamique palestinien a été formé en Égypte puis dans la bande de Gaza à la fin
des années 1970. Il a été créé par des membres des frères musulmans dissidents,
estimant que l'organisation était devenue trop modérée et qu’elle ne s’engageait pas
assez au profit de la lutte palestinienne.
Il se veut un mouvement islamo-nationaliste et révolutionnaire. Influencé par la
révolution iranienne, le Djihad islamique ne tire pas uniquement ses références
idéologiques des Frères Musulmans comme le Hamas, mais aussi des penseurs chiites et
iraniens (même s’il n’est pas une organisation chiite). Il est idéologiquement plus proche
de l’Iran que le Hamas car le djihad est une notion centrale du chiisme.
L’organisation est dédiée à la lutte armée, la destruction d’Israël et l’établissement d’un
Etat palestinien islamique sur toute la Palestine mandataire (contrairement au Hamas
qui a accepté un Etat palestinien dans les frontières de 1967).
Groupe plus petit que le Hamas, le Djihad islamique n'a pas le large réseau social que
celui-ci a construit et est dépourvu de toute ambition politique. Il a refusé de participer
aux élections législatives de janvier 2006, remportées par le mouvement islamiste. Le
173 LARZILLIERE Pénélope, être jeune en Palestine, Editions Balland, Paris, 2004, p 197
56
Djihad islamique ne croit pas en un processus électoral, car la Palestine est sous
occupation israélienne et il considère qu’il ne peut y avoir d’élections démocratiques
sous occupation. Ce serait comme une sorte de deal avec l’ennemi, ce à quoi il se refuse
catégoriquement174175 Le groupe possèderait des roquettes de plus longue portée que le
Hamas, 8000 combattants, et quelque 10.000 partisans et collaborateurs176
Les deux groupes comportent donc au maximum 30,000 combattants sur le territoire de
Gaza. Sur un territoire qui compte 1, 7 millions d’habitants, le ratio est faible. Parler de
société militarisée est donc une erreur. A Gaza, on survit on ne combat pas.
Enfin, il existe des petits groupes se réclamant du salafisme, un courant « à droite » du
Hamas.
3.3.3 Les Groupuscules salafistes.
Il s’est développé à Gaza quelques groupuscules salafistes. Le reproche principal adressé
au Hamas est le non respect de la charia. Ces mouvements se regroupent dans les
mosquées et les membres sont issus des camps les plus pauvres. Mais ces groupes
djihadistes, qui compteraient quelques centaines de membres, restent désorganisés. Le
plus connu d'entre eux se nomme Armée de l'islam et a participé, avec le Hamas et les
CRP, au rapt en 2006 du soldat israélien Gilad Shalit et d'un journaliste de la BBC en
2007. Plus récemment, une coalition appelée Majlis Choura al-Moujahidine tente de
rassembler plusieurs de ces groupuscules qui bravent souvent les décisions du Hamas.
Cette formation salafiste, se réclamant d'Al-Qaïda et soutien de l'Etat islamique a été
placée cette semaine sur la liste noire américaine des "organisations terroristes
étrangères"177. Mais comme toujours les choses semblent plus complexes, car l’Armée de
l’Islam semble être un mouvement dirigé et composé par le clan Doghmush, 178 par
conséquent doit-on voir ce mouvement comme authentiquement salafiste ou comme un
retour aux affaires du clan que le Hamas avait mis au pas en 2007 ? Malgré cet exemple il
174 http://www.slate.fr/story/48953/gaza-djihad-islamique-poids-grandissant-palestinien175 https://www.youtube.com/watch?v=3ia-I7Le-SU176 http://www.slate.fr/story/48953/gaza-djihad-islamique-poids-grandissant-palestinien177 http://www.lejdd.fr/International/Proche-Orient/Hamas-Djihad-islamique-salafistes-combien-de-brigades-armees-dans-la-bande-de-Gaza-681700178 http://www.lorientlejour.com/article/877034/quels-sont-les-principaux-groupes-armes-palestiniens-de-gaza.html
57
semble que la pauvreté, le blocus entraine une prolifération de toutes petites cellules
islamo-salafistes qui tentent de créer un rapport de force, encore défavorable, contre le
Hamas, l’exemple du groupe Jund Ansar Allah, semble assez éclairant. Ce groupe fut
fondé par le Cheick Abdellatif Moussa, actif dans la région de Rafah. Armé grâce à des
soutiens dans le Sinaï, il participa à l’effort de guerre en 2008-2009, lors de l’opération
« Plomb durci », mais continua ses opérations en attaquant des cafés. Finalement le
cheick Moussa déclare Gaza, Etat islamique mais après plus de sept heures d’échanges
de coup de feu et la mort du leader le mouvement disparu.
Cependant l’existence de groupuscules semble être une réalité de plus en plus
importante à Gaza car ces mouvements semblent être les seuls lieux de critiques,
d’oppositions radicales au Hamas.
Conclusion.
Le blocus de Gaza dure donc depuis 8 années. Seulement la logique d’enfermement de la
population dure depuis les années 1980. Le blocus ne doit pas être analysé en terme de
rupture mais comme la continuation d’une politique plus ancienne. La politique de
fermeture a été initiée à partir de la première intifada avec des interdictions de sorties
qui empêchaient beaucoup de gazaouis l’accès au marché de travail israélien.
Ces interdictions ont entrainé une augmentation de la dépendance de la population aux
aides humanitaires, accentuée par le blocus. Les pénuries et les problèmes sanitaires
accentuent la désolation de la population.
Nous avons distingué deux grandes tendances. Une première de fermeture entre 2007 et
2010 et une autre, celle d’un désenclavement relatif. Etrangement Israël semble être des
deux parties la moins sévère, depuis 2013 l’Egypte mène une politique de fermeté. Gaza
semble parfois être devenue un problème non plus israélien mais égyptien.
La stratégie israélienne était de pousser les gazaouis à se révolter en 2007. Aujourd’hui,
le Hamas semble être plus fort que jamais, il a un contrôle absolue de la bande de Gaza,
que ce soit au niveau local ou à Gaza-ville. Son rôle n’est plus seulement politique, grâce
aux tunnels, il est devenu l’acteur économique majeur de l’enclave. Sur le plan militaire,
58
il est le plus puissant mais le Jihad islamique joue un rôle non-négligeable. L’émergence
d’un nouvel acteur régional l’Etat Islamique à entrainé l’apparition de groupuscules
salfistes dans la bande de Gaza. Ces derniers se révèlent être les seuls à tenir un discours
contestataire radical contre le mouvement du Hamas, et trouvent donc un public dans
les couches populaires de l’enclave.
Glossaire.
Accords D’Oslo: Série d’accords dans le cadre du processus de paix israélo-
palestinien, initié au début des années 1990. La déclaration de principes est signée le 13
septembre 1993, à Washington, par Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, en présence du
président Bill Clinton. Ces accords établissent une Autorité Palestinienne au pouvoirs
limités et un découpage de territoires palestiniens en trois zones (A, B et C) avec
différents niveaux de contrôle israélien et le principe d’un transfert progressif aux
Palestiniens. Les grandes questions (frontières, statut de Jérusalem, colonies, réfugiés)
sont volontairement remises à plus tard. Le processus échoue à créer un Etat palestinien
indépendant.
Autorité Palestinienne : L’Autorité nationale palestinienne voit le jour le 4 mai
1994, à la suite des accords d’Oslo, pour administrer de manière autonome les habitants
palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza. Elle a un président et une assemblée
élus au suffrages universel ainsi qu’une police (mais pas d’armée). Son contrôle s’étend
sur 18% du territoire (zones A) pour les questions civiles et de sécurité et sur 23% pour
les questions civiles uniquement (zones B). Depuis que le Hamas s’est emparé de la
bande de Gaza, l’Autorité palestinienne par Mahmoud Abbas, se limite à la seule
Cisjordanie.
59
Brigades Al-Qods : Branche armée du Jihad islamique.
Brigades Ezzedine Al-Qassam : Branche armée du Hamas. Elles tirent leur
nom du Cheick Ezzedine Al-Qassam, précurseur de la lutte nationale palestinienne dans
la Palestine dans la Palestine mandataire britannique des années 1930. Composés de
5000 à 10000 hommes, bien entrainés et bien équipés, les Brigades Qassam sont
considérées comme une petite armée. Théoriquement voués à la lutte contre Israël, ces
combattants sont souvent utilisés par le Hamas dans la répression intérieure.
Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa : Milices armées issues du Fatah, jouissant
d’une large autonomie. Nées avec le déclenchement de la seconde intifada, en 2000, elles
paniquent les attentats-suicides et les tirs de roquettes sur Israël depuis la bande de
Gaza et figurent sur la liste noire des organisations terroristes de l’Union Européenne et
des Etats-Unis.
Erez (Passage de) : Principal point de passage entre Israël et la bande de Gaza.
L’accès au terminal est réservé aux personnes munies d’un permis israélien. Le passage
est fermé pour les Palestiniens depuis le 12 juin 2007, à l’exception d’un nombre limité
de négociants, de cas humanitaires et de patients médicaux.
Fatah : Parti historique de Yasser Arafat fondé en 1959. Le mouvement prend de
l’importance après la guerre des Six jours de 1967 et l’occupation par Israël de la
Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est. Le Fatah installe ses quartiers à Beyrouth avant
d’en être chassé en 1982 par les israéliens pour trouver refuge à Tunis. Revenu dans les
territoires palestiniens avec les accords d’Oslo en 1994, il est la composante dominante
de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et de l’Autorité palestinienne. Le
chef actuel du Fatah est le président palestinien, Mahmoud Abbas.
Force exécutive : Force de police créée par le Hamas lors de son arrivée au
pouvoir à Gaza en 2006 pour contrebalancer les forces de sécurité palestiniennes jugées
trop liées au Fatah. Composée de 15000 hommes, elle est chargée des tâches de police
dans la bande de Gaza.
Front populaire de libération de la Palestine : Mouvement
nationaliste et marxiste crée en 1967 par Georges Habaches, projetant l’édification d’une
Palestine égalitaire entre Juifs et Arabes mais intégrée dans la nation arabe. Le FPLP
appartient à l’OLP, mais a refusé les accords d’Oslo. Dans les années 1960 et 1970, le
60
FPLP a participé à plusieurs détournements d’avion. Il est placé sur la liste des
organisations terroristes des Etats-Unis et de l’Union Européenne.
Gaza-ville : Ville la plus peuplée de la bande de Gaza avec 520000 habitants ? Sa
fondation est estimée aux envions de 1500 avant J.C. Elle est mentionnée dans la bible
comme le lieu de la capture de Samson par les Philistins et de sa mort. La position
géographique de Gaza sur la route côtière entre l’Egypte et le Levant en fait un pôle
stratégique et un important centre commercial, maintes fois convoité et assiégé. En
1994, Yasser Arafat s’installe à Gaza comme président de l’Autorité palestinienne. La
ville connaît une période de prospérité avec la construction de tours et d’hôtels luxueux
sur le front de mer, jusqu’au déclenchement de la seconde intifada, en septembre 2000.
Gilad Shalit : Soldat israélien capturé le 25 juin 2006 par des groupes armés
palestiniens lors de l’attaque d’un poste militaire près du terminal de Kerem Shalom, à la
frontière de la bande de Gaza, via un tunnel. L’attaque a été revendiquée conjointement
par le Hamas, les Comités de résistance populaire et l’Armée de l’Islam, un groupe crée
fin 2005. Le Hamas demande la libération d’un millier de prisonniers palestiniens, en
échange du soldat maintenu en détention secrète. Le soldat est libéré en octobre 2011.
Hamas : « Zèle » en arabe. Acronyme de « Harakat Al-Mouqawama Al-Islamiya ».
Mouvement de la résistance islamique. Fondé en décembre 1987 à Gaza par le Checik
Ahmed Yassine, il s’inspire de l’idéologie des Frères musulmans pour le retour à un
islam strict mais dans le cadre de la cause palestinienne. Le Hamas a construit sa
popularité sur un réseau d’œuvres caritatives qui portent assistance aux Palestiniens les
plus pauvres. En 1994, il déclenche la première d’une série d’attentats-suicides sur des
civils israéliens, en représailles au massacre de Palestiniens à Hébron. Opposé aux
accords d’Oslo, il n’appartient pas à l’OLP et ne reconnaît pas l’existence d’Israël. Le
Hamas s’est attaché à faire dérailler le processus de paix par de nombreuses attaques et
attentats. Le mécontentement populaire à l’égard de la corruption du Fatah et du
blocage du processus de paix lui permet de remporter les élections législatives de 2006.
Affaibli en Cisjordanie, il contrôle fermement la bande de Gaza et s’est graduellement
rapproché de l’Iran qui lui apporte notamment un soutien financier.
Intifada : Insurrection palestinienne « soulèvement » en arabe. La première intifada
dite « révolte des pierres », en référence à l’arme des jeunes palestiniens contre les
soldats israéliens, a éclaté en décembre 1987 et s’est achevée avec les accords d’Oslo en
61
1993. Une seconde intifada, également appelée « Intifada Al-Aqsa », a éclaté le 28
septembre 2000 après l’échec des pourparlers de paix et la visite d’Ariel Sharon, alors
chef du Likoud, sur l’esplanade des mosquées. Ce second soulèvement est dominé par
des groupes armés palestiniens ayant recours aux attentats-suicides et des opérations
militaires israéliennes très violente.
Ismaël Haniyeh : Ancien Premier ministre (Hamas) du gouvernement d’union
nationale avec le Fatah, du 21 février 2006 au 14 juin 2007, et actuel chef du
gouvernement Hamas dans la bande de Gaza.
Jabaliya : Principal camp de réfugiés palestinien, situé à l’extrémité nord de la bande
de Gaza, près de la frontière avec Israël. Place forte du Hamas. Sa population de plus de
100000 habitants pour une superficie de seulement 1,4 Km2 en fait l’un des endroits les
plus densément peuplés du monde. C’est là que la première intifada a éclaté.
Jihad Islamique : Plus petit que le Hamas mais encore très actif, le Jihad
islamique a été fondé en Egypte à la fin des années 1970 par des étudiants palestiniens
dissidents du mouvement des Frères Musulmans qu’ils trouvaient trop modéré et pas
suffisamment concerné par la cause palestinienne. Le groupe mène une guerre sainte
contre « l’Etat sioniste », et souhaite fonder une république islamique à l’image de celle
de l’Iran.
Karni : Principal point de passage pour les marchandises. Le terminal est fermé
depuis le 15 juin 2007. Il a fait l’objet de plusieurs attaques par des militants
palestiniens.
Kerem Shalom : Point de passage des marchandises. Il est actuellement l’unique
point d’entrée permettant d’acheminer des marchandises et de l’aide humanitaire
d’Israël à Gaza. Les palettes de marchandises sont déposées et récupérées sans aucun
contact entre israéliens et palestiniens.
Nakba : « Catastrophe » en arabe. Journée annuelle de commémoration de la création
de l’Etat d’Israël, le 15 mai 1948, et de l’expulsion massive des Palestiniens lors de la
guerre qui a suivi. Au total, plus de 700000 personnes ont dû quitter leurs terres.
Quelque cinq cent villages palestiniens ont été détruits.
No man’s Land : Zone militaire interdite le long des 55 kilomètres de frontière
avec Israël (du côté palestinien). Fixée initialement à 50 mètres par les accords d’Oslo,
cette zone tampon a été étendue par l’armée israélienne à 150 mètres après le retrait
62
israélien de 2005, puis à 300 mètres en mai 2009. Dans les faits, elle peut aller jusqu’à
un kilomètre et absorbe, selon les Nations unies, 30% des terres cultivables.
OCHA : bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies
OLP : Fondée en 1964, l’organisation de libération de la Palestine regroupe plusieurs
organisations palestiniennes dont la plus influente est le Fatah. Considérée par Israël
comme une organisation terroriste jusqu’aux accords d’Oslo, l’OLP est reconnue
internationalement comme l’unique représentant légitime des Palestiniens et dispose
d’un siège à l’ONU en tant qu’observateur. Depuis 1988, son objectif est de créer un Etat
palestinien en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et à Jérusalem-Est.
Opération Plomb Durci : Nom de code de la vaste offensive israélienne menée
du 27 décembre 2008 au 18 janvier 2009 dans la bande de Gaza, en réplique aux tirs de
roquettes des groupes armés palestiniens. L’expression fait référence à un poème
traditionnel de la fête de Hanoukka, la fête juive des Lumières. L’offensive a fait 1415
morts palestiniens et 5 570 blessés, ainsi que 13 morts israéliens dont 9 soldats ;
Rafah (terminal de) : Poste frontière entre l’Egypte et la bande de Gaza, fermé
depuis le 10 juin 2007. L’Egypte ouvre parfois le passage de manière exceptionnelle,
pendant quelques jours, pour un nombre limité de personnes.
Roquette Qassam : Roquette artisanale composée d’un tube d’acier rempli
d’explosifs, développée par la branche militaire du Hamas « Ezzedine al-qassam ».
Salafisme : Mouvement fondamentaliste sunnite qui prône un retour à l’islam des
origines, celui des « pieux prédécesseurs » appelé « Salaf » ou « ancêtre » en arabe. Les
salafistes rejettent toute interprétation postérieure à la révélation de Mahomet et
refusent toute influence occidentale, en particulier la démocratie et la laïcité, qu’ils
accusent de corrompre la foi musulmane.
Shekel : Monnaie israélienne (1 shekels vaut environ 0,2 euro). C’est également la
devise utilisée à Gaza et en Cisjordanie.
Tsahal : Acronyme de « Tsava Haganah l’Israël » force de défense d’Israel,désignant
l’armée israélienne depuis 1948.
UNRWA : Agence de secours et de travaux des Nations-Unies pour les réfugiés de
Palestine dans le Proche-Orient. Fondée en 1949 pour porter assistance aux réfugiés
palestiniens, elle est aujourd’hui la plus grande agence des Nations unies avec un
63
personnel de plus de 25000 membres. Son mandat devait être temporaire, mais elle
demeure le principal dispensateur d’éducation, de santé, d’aide et de services sociaux
dans la bande de Gaza. L’UNRWA est responsable des camps de réfugiés, dirige 221
écoles et fournit de l’aide alimentaire à 80% des Gazaouis.
`
Bibliographie.
Articleshttp://fishingunderfire.blogspot.fr/
http://fr.sott.net/article/12304-A-Gaza-la-mer-retrecit
http://orientxxi.info/magazine/l-egypte-etend-la-guerre-contre-le,0499
http://orientxxi.info/magazine/l-egypte-etend-la-guerre-contre-le,0499
http://orientxxi.info/magazine/pourquoi-les-egyptiens-ne,0649
http://palthink.org/en/wp-content/uploads/2014/11/Case-Study-Renewable-Energy-
in-the-Gaza-Strip.pdf
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Vidéos/Reportage/ Documentaire.
Arte.tv
Gaza-strophe est un documentaire français de Samir Abdallah et Khéridine Mabrouk ( 2011)
Interview du Dr Eyad al Sarraj
Rue Abou Jamil réalisé par Alexis Monchovet et Stéphane Marchetti, lauréats du prix Albert Londres
2008
Vice news Gaza : 11 documentaires en immersion dans la bande de Gaza (à retrouver sur YouTube.)
Oeuvre de fiction.
Film réalise et finance par le Hamas sur Emad Akel.
Blogs:
Blog de Joan Deas: plages-et-pavés.blogspot.fr
https://israelpalestineenquestion.wordpress.com/
70
Table des matières.
1. Blocus : histoire, formes, justifications…………………………………………….
1.1 Histoire et évolution……………………………………………………………………....
1.1.1 Affirmation progressive d’une logique de blocus (1967 à 2007)………………………………..
11.2 Etablissement et tendances du blocus (2007 à 2015)……………………………………………….
1.2 Formes du blocus………………………………………………………………………….
1.2.1 Blocus terrestre………………………………………………………………………………………………………..
1.2.2 Blocus aérien…………………………………………………………………………………………………………….
1.2.3 Blocus maritime………………………………………………………………………………………………………
1.3 Justifications des bloqueurs……………………………………………………………
1.3.1 Israël……………………………………………………………………………………………………………………….
1.3.2 Egypte……………………………………………………………………………………………………………………..
2. Gaza, entre guerres et blocus : des conséquences désastreuses pour
la population………………………………………………………………………………………
71
2.1 Pénuries des besoins primaires et quelques conséquences directes…
2.1.1 La crise énergétique………………………………………………………………………………………………….
2.1.2 La question de l’eau…………………………………………………………………………………………………
2.1.3 La question du carburant…………………………………………………………………………………………
2.2 Dimensions économiques……………………………………………………………..
2.2.1 Destructions zones industrielles…………………………………………………………………………….
2.2.2. Destruction de l’agriculture…………………………………………………………………………………..
2.2.3 Développement du marché noir…………………………………………………………………………….
2.3 Conséquences sociales et psychologiques………………………………………
2.3.1 Phénomène de déscolarisation………………………………………………………………………………..
2.3.2 Effets sur la cellule familiale……………………………………………………………………………………
2.3.3 Effets sur l’individu……………………………………………………………………………………………….
3. Le Hamas et la société gazaouie
3.1 Secteurs politiques et économiques………………………………………………
3.1.1 Secteur politique…………………………………………………………………………………………………….
3.1.2 Secteur économique………………………………………………………………………………………….. ;…
3.2 Secteurs sociaux et culturels……………………………………………………... …
3.2.1 La dimension sociale du Hamas…………………………………………………………………………
3.2.2 Associations et culture……………………………………………………………………………………..
3.2.3 Le Hamas, parti nationaliste ou religieux ?
3.3 Secteur militaire………………….………………………………………………………..
3.3.1 Brigade Quassam…………………………………………………………………………………………………….
3.3.2 Jihad Islamique…………………………………………………………………………………………………….
3.3.3 Groupes salafistes……………………………………………………………………………………………….
Conclusion…………………………………………………………………………………………
Glossaire…………………………………………………………………………………………….
72
Annexes……………………………………………………………………………………………….
Articles/Bibliographie………………………………………………………………………
Sitographie……………………………………………………………………………………………
Table des matières………………………………………………………………………………..
73