Vie régionale L'actu...12 JEUDI 6 SEPTEMBRE 2018 LE PAYS Vie régionale L'actu 500494 REPORTAGE...

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12 JEUDI 6 SEPTEMBRE 2018 LE PAYS Vie régionale L'actu 500494 REPORTAGE Entre le commerce de dépannage et le lieu de rencontre, le Cracovie est devenu une institution Sur Mars, il y a de la vie au Cracovie Camille Zakar [email protected] «V ous n’avez pas trouvé la vache, chef ? ». C’est avec un certain franc-par- ler et de l’humour que Marielle Sadeski tend une brique de lait pour dépan- ner un client. Plus haut, dans le bourg du village de Mars, situé entre la Loire et la Saône- et-Loire, les rues sont dé- sertes. Dimanche 2 sep- tembre, le soleil au zénith tape contre les volets fer- més. « Vous ne pouvez pas les louper ! », préviens le seul riverain moraillon (gentilé de Mars, NDLR) de sortie. Une véritable caverne d’Ali Baba, optimisée du sol au plafond À Mars, ce jour-là, la seule trace de vie est ailleurs, en bas du bourg, au bord de la départemen- tale 70. Des parasols dépareillés, des Unes de magazines people et des plantes d’ex- térieur cachent une gran- de maison dont les ensei- gnes indiquent un bar- tabac-épicerie et la vente de la presse. Après avoir franchi les murs du com- merce, le client comprend vite qu’il pourra se procu- rer tout ce dont il a besoin (ou pas), des produits de première nécessité aux bi- belots en tout genre. Dans ce multi-service, tenu par Marielle et Jean-Jacques Sadeski, il est possible d’acheter du pain, de co- pier une clé, de faire des photos d’identité mais aussi de se procurer un body pour bébé, un cha- peau à motif léopard, des vieilles cassettes audio ou encore une clé de 12. Des horaires dignes d’un tour de cadran Certains dépeindront le lieu comme un vrai « fourbi », d’autres décri- ront une caverne d’Ali Baba, optimisée du sol au plafond. Jusqu’à Roanne, à 30 minutes de route en voiture, tous connaissent ou ont eu vent du Craco- vie. Avec des horaires dignes d’un tour de cadran, de l’aube au début de la soi- rée, les Sadeski accueillent leurs clients depuis 16 ans. Certains, habitués des lieux, sont devenus des amis. « Quand on ne les voit pas, on les appelle pour savoir si tout va bien », confie Marielle. Ils viennent partager un café, acheter le même paquet de cigarettes depuis des années ou lire le journal local. Certains confient même leur liste de course, identique depuis des an- nées, à Marielle, qui a fini par les connaître par cœur. « Là, je sais qu’il avait oublié le jambon sur sa liste ! », commente-t-el- le, en attrapant la charcu- terie sous vide dans le ré- frigérateur, pour l’un de ses clients hebdomadaires. « C’est aussi ça le com- merce de proximité. Ce n’est pas que le tiroir-cais- se. Avant d’être commer- çant, on est humains et on dépanne les clients. » La Vache-qui-rit® vendue à l’unité Dans la vitrine réfrigérée, des Vache-qui-rit® sont vendues à l’unité pour les pèlerins de Saint-Jacques- de-Compostelle : « Ils viennent d’Arcinges et vont jusqu’à Charlieu. Pour voyager léger, on leur vend certains produits à l’unité, comme le paquet de mouchoirs ou le rou- leau de papier toilette ». Son époux, Jean-Jacques, renchérit : « Plusieurs fois, des pèlerins cherchaient un cordonnier mais nous sommes en pleine campa- gne ! Faute de pouvoir leur réparer, on leur a trouvé une paire de chaussures de marche ». « Le commerce de proximité, ce n’est pas que le tiroir-caisse » « Introverti », selon son épouse, c’est grâce à Jean- Jacques que l’épicerie tient son nom dépaysant. D’origine polonaise, le commerçant confie que « Cracovie est la plus belle ville du monde ». L’Europe de l’Est s’invite aussi dans les rayons. Alcool et pro- duits secs polonais cô- toient le reste des ali- ments. « Quand on reçoit de la charcuterie polonai- se, on appelle nos clients intéressés pour les préve- nir », explique-t-il. À la vue des étagères dé- bordantes, que faire à l’appel de l’inventaire ? Marielle Sadeski, compta- ble de métier, sait y faire en montrant les calepins soigneusement rensei- gnés : « Avant, on tenait un routier en région lyon- naise. On est rodés », ex- plique la commerçante. Certains objets ne font pas partie du compte, offerts par des clients, que les Sa- deski exposent fièrement sur le bar : la peluche d’un pèlerin, une courge en « U » ou encore une pom- me de terre en forme de poisson. Le couple le leur rend bien. À la tombée de la nuit, lorsque les lumières du Cracovie sont éteintes, il n’est pas rare qu’un client frappe à leur porte : « Dites, les Sadeski, je n’ai pas trouvé la vache… »  À Mars, une épicerie attire les curieux, les habitués et les pèlerins. Entre les pro- duits de première nécessité et les bibelots en tout gen- res, immersion au Cracovie, à des années lumières des grands magasins. BAZAR. Lieu de diligence au XVIII e  siècle, le Cracovie a gardé l‘enseigne de l’époque : « C’était écrit “Arrêt 5 minutes”. Aujourd’hui, les clients restent un peu plus longtemps ! », s’amuse Marielle Sadeski. C.Z PROFUSION. Le client ne sait plus où donner de la tête. C.Z SOUVENIR. Les Sadeski ont créé l’unique carte postale de Mars. Le Cracovie figure aux côtés des paysages locaux. C.Z

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12 JEUDI 6 SEPTEMBRE 2018 LE PAYS

Vie régionale L'actu

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REPORTAGE Entre le commerce de dépannage et le lieu de rencontre, le Cracovie est devenu une institution

Sur Mars, il y a de la vie au Cracovie 

Camille [email protected]

«V ous  n’avez  pastrouvé  la  vache,c h e f   ?   » .   C ’ e s t

avec  un  certain  franc­par­ler  et  de  l’humour  queMarielle  Sadeski  tend  unebrique de lait pour dépan­ner un client.

Plus  haut,  dans  le  bourgdu  village  de  Mars,  situéentre  la  Loire  et  la  Saône­et­Loire,  les  rues  sont  dé­sertes.  Dimanche  2  sep­tembre,  le  soleil  au  zénithtape  contre  les  volets  fer­més. « Vous ne pouvez pasles  louper !  »,  préviens  leseul  r iverain  moraillon(gentilé  de  Mars,  NDLR)de sortie.

Une véritable caverne d’Ali Baba, optimisée du solau plafond

À  Mars,   ce  jour­là,   las e u l e   t ra c e   d e   v i e   e s tailleurs,  en  bas  du  bourg,

au bord de la départemen­tale 70.

Des  parasols  dépareillés,des  Unes  de  magazinespeople et des plantes d’ex­térieur  cachent  une  gran­de  maison  dont  les  ensei­gnes  indiquent  un  bar­tabac­épicerie  et  la  ventede  la  presse.  Après  avoirfranchi  les  murs  du  com­merce,  le  client  comprendvite  qu’il  pourra  se  procu­

rer tout ce dont il a besoin(ou  pas),  des  produits  depremière  nécessité  aux  bi­belots  en  tout  genre.  Dansce  multi­service,  tenu  parMarielle  et  Jean­JacquesSadeski,  il   est  possibled’acheter  du  pain,  de  co­pier  une  clé,  de  faire  desphotos  d’identité  maisaussi  de  se  procurer  unbody  pour  bébé,  un  cha­peau  à  motif  léopard,  desvieilles  cassettes  audio  ouencore une clé de 12.

Des horaires dignes d’un tour de cadranCertains  dépeindront  le

l i e u   c o m m e   u n   v r a i«  fourbi  »,  d’autres  décri­ront  une  caverne  d’AliBaba,  optimisée  du  sol  auplafond. Jusqu’à Roanne, à30  minutes  de  route  envoiture,  tous  connaissentou  ont  eu  vent  du  Craco­vie.

Avec  des  horaires  dignesd’un  tour  de  cadran,  del’aube  au  début  de  la  soi­rée,  les  Sadeski  accueillent

leurs clients depuis 16 ans.Certains,  habitués  deslieux,  sont  devenus  desamis.  «  Quand  on  ne  lesvoit  pas,  on  les  appellep o u r   s a vo i r   s i   t o u t   vabien  »,  confie  Marielle.  Ilsviennent  partager  un  café, acheter  le  même  paquetde  cigarettes  depuis  des

années  ou  lire  le  journallocal.  Certains  confientmême  leur  liste  de  course,identique  depuis  des  an­nées,  à  Marielle,  qui  a  finip a r   l e s   c o n n a î t re   p a rcœur.  «  Là,  je  sais  qu’ilavait  oublié  le  jambon  sursa  liste !  »,  commente­t­el­le,  en  attrapant  la  charcu­terie  sous  vide  dans  le  ré­frigérateur,  pour  l’un  deses clients hebdomadaires.«  C’est  aussi  ça  le  com­merce  de  proximité.  Cen’est pas que  le  tiroir­cais­se.  Avant  d’être  commer­çant, on est humains et ondépanne les clients. »

La Vache-qui-rit® vendue à l’unitéDans la vitrine réfrigérée,

des  Vache­qui­rit®  sontvendues  à  l’unité  pour  lespèlerins  de  Saint­Jacques­de­Compostel le   :   «   I lsviennent  d’Arcinges  etvont  jusqu’à  Charlieu.Pour voyager léger, on leurvend  certains  produits  àl’unité,  comme  le  paquetde  mouchoirs  ou  le  rou­

leau  de  papier  toilette  ».Son  époux,  Jean­Jacques,renchérit  :  «  Plusieurs  fois,des  pèlerins  cherchaientun  cordonnier  mais  noussommes  en  pleine  campa­gne ! Faute de pouvoir leurréparer,  on  leur  a  trouvéune  paire  de  chaussuresde marche ».

« Le commerce de proximité, ce n’est pas que le tiroir­caisse »

«  Introverti  »,  selon  sonépouse,  c’est  grâce  à  Jean­Jacques  que  l’épicer ietient  son  nom  dépaysant.D’origine  polonaise,  lecommerçant  confie  que«  Cracovie  est  la  plus  belleville du monde ». L’Europede  l’Est  s’invite  aussi  dansles  rayons.  Alcool  et  pro­duits  secs  polonais  cô­toient  le  reste  des  ali­ments.  «  Quand  on  reçoitde  la  charcuterie  polonai­se,  on  appelle  nos  clientsintéressés  pour  les  préve­nir », explique­t­il.

À  la  vue  des  étagères  dé­bordantes,   que  faire  àl’appel  de  l’inventaire ?Marielle  Sadeski,  compta­ble  de  métier,  sait  y  faireen  montrant  les  calepinssoigneusement  rensei­gnés  :  «  Avant,  on  tenaitun  routier  en  région  lyon­naise.  On  est  rodés  »,  ex­plique  la  commerçante.Certains objets ne font paspartie  du  compte,  offertspar des clients, que les Sa­deski  exposent  fièrementsur le bar : la peluche d’unpèler in,  une  courge  en«  U  »  ou  encore  une  pom­me  de  terre  en  forme  depoisson.

Le  couple  le  leur  rendbien.  À  la  tombée  de  lanuit,  lorsque  les  lumièresdu  Cracovie  sont  éteintes,i l   n’est   pas  rare  qu’unclient  frappe  à  leur  porte  :«  Dites,  les  Sadeski,  je  n’aipas trouvé la vache… » 

À Mars, une épicerie attireles curieux, les habitués etles pèlerins. Entre les pro-duits de première nécessitéet les bibelots en tout gen-res, immersion au Cracovie,à des années lumières desgrands magasins.

BAZAR. Lieu de diligence au XVIIIe siècle, le Cracovie a gardé l‘enseigne de l’époque : « C’était écrit “Arrêt 5 minutes”. Aujourd’hui, les clients restent un peu plus longtemps ! », s’amuse Marielle Sadeski. C.Z

PROFUSION. Le client ne sait plus où donner de la tête. C.Z

SOUVENIR. Les Sadeski ont créé l’unique carte postale de Mars. Le Cracovie figure aux côtés des paysages locaux. C.Z