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    GRH, mutationséconomiques

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    GRH, mutationséconomiqueset innovations

    technologiquesVers uneglobalisationde la gestiondes ressourceshumaines ?

    Le processus de mondialisation,orchestré en grande partie par ledéveloppement rapide des firmesmultinationales (FMN), se traduit par unetendance à l’homogénéisation dufonctionnement des entreprises. Qu’enest-il de la gestion des ressourceshumaines (GRH) ? Dans quelle mesure

    peut-on parler à ce sujet d’uneuniformisation des pratiques ?Ariel Mendez nous montre dans cet articleque si la globalisation tend effectivementà faire converger les pratiques de GRHvers un modèle unique anglo-saxon, lesspécificités nationales demeurent toujoursmarquées, compte tenu notamment desfacteurs culturels, institutionnels ouhistoriques.

    C. F.

    La globalisation ne doit toutefois pas être réduite àcette seule dimension quantitative. Le développementdes IDE s’est accompagné de changements significatifssur le plan stratégique et organisationnel. Enmatière stratégique, un des traits majeurs del’internationalisation dans les années 80 et surtout 90a été le passage de stratégies multidomestiques fondées

    sur une juxtaposition de couples produits-marchésnationaux indépendants à des stratégies globalesorientées vers la recherche de leadership sur des couplesproduits-marchés définis sur une base mondiale (2)D’où les mouvements de délocalisation etd’externalisation des fonctions les moins créatrices devaleur. De plus, depuis la fin des années 90, la montéeen puissance d’un nouveau type d’acteurs – lesinvestisseurs institutionnels (3) – a accru le poids desmarchés financiers dans la conduite des stratégies desfirmes multinationales (FMN), les incitant à privilégierdes logiques de rendement de court terme. Cette« financiarisation » des stratégies a des conséquencessur la gestion des ressources humaines (GRH).

    En matière d’organisation, l’émergence du concept de« firme transnationale » (4) traduit le fait que, dansun certain nombre de situations, les maisons-mèrescherchent à coopérer avec leurs filiales étrangères, etnon plus simplement à les contrôler. Ces dernièrespeuvent jouer des rôles différents suivant leurs capacitéset leurs ressources internes. Les entreprises fonctionnenten réseau, ce qui exige des mécanismes de coordinationdiversifiés. Parmi ceux-ci, les ressources humaines etleurs modes de gestion deviennent une variable clé.Le processus de globalisation marque donc une rupturequalitative dans les modes de fonctionnement desentreprises. Mais conduit-il à une globalisation de laGRH ? Que peut d’ailleurs signifier cette expression ?

    Une homogénéisation des pratiques et leur convergencevers un nombre limité de modèles, voire un modèleunique ? Dans ce cas, vers quel(s) modèle(s) de GRHles entreprises sont-elles susceptibles de s’orienter ?Dans les années 80, le succès des entreprises japonaisesa conduit au transfert de certaines de leurs pratiquesd’organisation et de GRH en Europe et en Amériquedu Nord. Depuis les années 90, il semble que l’ons’oriente plutôt vers une diffusion du modèle anglo-saxon. Cependant, les choses ne sont pas aussi simplesSi la globalisation favorise dans certains cas uneconvergence des pratiques de GRH, on constate quemalgré l’interconnexion croissante des économies, lespays et les entreprises continuent dans le même temps

    de se différencier.

    Vers des stratégies et desorganisations globales ?

    Depuis trente ans, la libéralisation des échanges et ledéveloppement des investissements directs à l’étranger(IDE) (1) ont conduit à ce qu’il est commun d’appeleraujourd’hui une globalisation de l’économie. Les fluxd’IDE, d’un montant de 648 milliards de dollars en2004, sont aujourd’hui seize fois supérieurs à ce qu’ilsétaient en 1950.

    (1) Le FMI définit l’investissement direct à l’étranger comme « uninvestissement destiné à acquérir un droit de propriété significatifdans une entreprise opérant dans un pays différent de celui del’investisseur  ».(2) Porter M. (1986), Competition in Global Industries, BostonHarvard Business School Press.(3) Les investisseurs institutionnels sont les organismes qui gèrentde façon collective les capitaux que leur confient des épargnantsindividuels ou d’autres organisations. Ils incluent les compagniesd’assurance, les fonds de pension, les gérants d’OPCVM et lesbanques dans leur activité d’investissement.(4) Bartlett C., Goshal S. (1991),  Le management sans frontièresParis, Éditions d’Organisation.

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    Quels choix stratégiquesen matière de gestioninternationaledes ressources humaines ?

    Dans les processus en cours, les FMN jouent un rôle majeur.La célèbre typologie de Perlmutter (5) qui met en évidenceles relations entre maisons-mères et filiales constitue uncadre de référence utile, même si ce dernier doit êtrecomplété, pour analyser et interpréter les évolutionsactuelles. Quatre cas de figure peuvent être repérés :- ethnocentrique : la culture organisationnelle de la société-mère est supposée meilleure que celle des filiales. Envertu de ce principe, toutes les décisions stratégiques sontprises au niveau du siège, les filiales sont dirigées par desexpatriés et la gestion du personnel est centralisée ;- polycentrique : dans ce cas, chaque filiale étrangèrea sa propre stratégie, le nombre d’expatriés est faibleet il n’existe pas de politique de personnel unifiée ;- régiocentrique : dans ce type d’entreprises, le mondeest divisé en régions supposées plus ou moins homogènesculturellement. Seules les décisions très importantes sontprises au niveau mondial, les autres, selon leur degré,l’étant au niveau du siège régional ou national. La mobilitéest importante à l’intérieur d’une région, et la politiquedu personnel est déterminée au niveau régional ;- géocentrique : dans ce cas de figure souvent présentécomme un idéal-type à approcher, il y a égalité deschances pour toutes les nationalités représentées dansle groupe. Les décisions stratégiques sont prises dansun siège supposé mondial. La politique du personnelse veut globale et ne doit pas exprimer les préférences

    d’une nationalité particulière.En vertu de cette typologie, la globalisation de la GRHdevrait se traduire par une multiplication du nombre demultinationales de type géocentrique, avec undéveloppement de la mobilité internationale et des outilsde gestion qui l’accompagnent. Ces efforts concernenten particulier la gestion des hauts potentiels destinés àdevenir les futurs dirigeants de l’entreprise. Ils passentpar le développement de profils de carrières internationauxet par la mise en place d’outils d’évaluation unifiéspermettant d’apprécier la performance des individussuivant les mêmes critères quelle que soit leur localisation.

    L’internationalisationde la GRH : la pressionvers la convergence

    Vers une « anglo-saxonisation »des pratiques de GRH ?

    La globalisation des stratégies a effectivement accrula convergence de certains domaines du managementdes ressources humaines mais dans une logique plutôt

    ethnocentrique. Les multinationales américaines ontainsi fait la preuve de leur capacité à créer des systèmesinternationaux de gestion et à diffuser des outils et desprincipes. Des travaux concluent d’ailleurs à uneconvergence des pratiques et des outils vers un modèleanglo-saxon qui deviendrait dominant en Europe. Leschercheurs n’hésitent pas à parler d’« anglo-

    saxonisation » des entreprises européennes (6). Cetteexpression définit d’ailleurs moins la diffusion d’unmodèle anglo-saxon grâce au contrôle exercé par lesmaison-mères sur leurs filiales qu’un processusd’adoption de pratiques propres aux multinationalesanglo-saxonnes. Ce processus est inégal suivant lesdomaines du management et les catégories de salariés,et concerne principalement l’évaluation et la gestiondes carrières : contrôle et évaluation orientés vers laperformance de court terme, modes de gestion descarrières et des rémunérations plus individualisés.En matière de gestion des carrières, les multinationalessont à la recherche de dirigeants ou de managersglobaux capables de conduire le processus

    d’internationalisation. Pour ces individus, les modèlesde gestion de carrière valorisent davantage les profilsgénéralistes (suivant une conception anglo-saxonne)que des profils d’experts ou de spécialistes. Ces salariéssont porteurs de compétences de haut niveau, facilementtransférables d’une entreprise à une autre. Ils font jouerla concurrence entre les entreprises, ce qui conduit cesdernières à développer des politiques de rémunérationattractives (sous formes de stock-options notamment)de façon à les attirer ou les stabiliser. Le recrutementde cette catégorie de salariés est largementinternationalisé, de même que leur espace de mobilité.La globalisation est également visible dans les critèreset les outils d’évaluation. Ils sont le résultat de

    l’évolution vers des firmes réseaux multinationales,du développement de structures transversales de typeprojet et de la financiarisation des stratégies. À côtédes compétences techniques, les exigences portent surla capacité à travailler en équipe, l’orientation clientou la prise en compte des contraintes financières dansl’activité. L’influence anglo-saxonne se traduit parl’attention croissante portée à la valeur actionnariale,à l’introduction de liens entre la rémunération descadres dirigeants et les résultats de l’entreprise et à ladiffusion d’outils d’évaluation comme le 360° (7).L’individualisation des rémunérations est égalementun domaine de la GRH qui illustre bien ce mouvementde globalisation. L’individualisation consiste à

    différencier les rémunérations en liant une partie plusou moins importante du salaire aux apports productifsdu salarié à l’organisation. Elle prend également la

    (5) Perlmutter H.V. (1969), « The Tortuous Evolution of theMultinational Corporation », Columbia Journal of World Business, janv ier- février, pp. 9-18.(6) Ferner A., Quintanilla J. (1998), « Multinationals, NationalBusiness Systems and HRM : the Enduring Influence of NationalIdentity or a Process of ‘Anglo-Saxonization’ », The International Journal of Human Resource Management , 9:4, pp. 710-731.(7) Outil d’évaluation des compétences managériales ayant pourparticularité de ne pas mobiliser uniquement la hiérarchie du cadre,mais de se référer aussi aux avis de salariés de même niveau, desubordonnés et d’interlocuteurs habituels.

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    forme du développement de l’actionnariat salarié.Longtemps l’apanage des firmes anglo-saxonnes, cettepratique se répand car elle présente l’avantaged’augmenter les revenus malgré la rigueur salariale.Et, alors que les politiques de rémunération restentgénéralement définies au niveau national, l’actionnariatsalarié est un moyen pour les multinationales de

    déconnecter les politiques de rémunérationdes contraintes nationales. Bien évidemment,l’individualisation est conditionnée par l’adoption parles entreprises de procédures formalisées d’évaluationdes performances individuelles.

    Les mécanismes de diffusion

    Comment interpréter cette diffusion du modèle anglo-saxon ? La sociologie néo-institutionnaliste américainedonne des clés de lecture grâce au conceptd’isomorphisme qui se définit comme « un processusqui contraint une unité dans une population à ressembler 

    aux autres unités car elles sont toutes face aux mêmesconditions environnementales » (8). Il y aurait deuxtypes d’isomorphismes : l’un, concurrentiel, résulteraitdu processus de sélection qui s’opère sur les marchés ;l’autre, institutionnel, s’explique par le fait que lesorganisations ne se battent pas uniquement pour desparts de marché mais également pour une légitimitéinstitutionnelle. DiMaggio et Powell (9) ont identifiétrois mécanismes de changement isomorpheinstitutionnel :- coercitif : des organisations font pression sur d’autrespour qu’elles modifient leur fonctionnement ; unemaison-mère peut par exemple imposer à ses filialesd’adopter un nouveau système d’information ou de

    conduire des restructurations ;- mimétique : en réponse à l’incertitude, desorganisations en imitent d’autres qui leur paraissentplus légitimes ou plus efficaces. Là, l’homogénéisationdes pratiques vient en fait du manque d’imaginationdes managers à inventer des solutions nouvelles. Lesentreprises vont par exemple reprendre les solutionsorganisationnelles employées par les leaders du secteurqui du fait de leurs performances apparaissent les plusefficaces ;- normatif : les organisations adoptent des normescollectives, dans le cas de la professionnalisation d’uneactivité par exemple. La professionnalisation représente

    l’ensemble des efforts collectifs des membres d’uneprofession pour définir leurs méthodes de travail etdonner une base légitime à leurs activités. C’est le cas,par exemple, de l’Agence du médicament qui regroupeles laboratoires pharmaceutiques.

    Cette approche a été appliquée au fonctionnement desentreprises multinationales. Dans ces dernières, lesrelations entre les maisons-mères et leurs filiales sontprises entre deux isomorphismes contradictoires. Lepremier est lié à la politique de la maison-mère quipeut exercer un pouvoir coercitif sur sa filiale. Ilfavorise les processus de convergence de pratiques deGRH. L’autre vient de ce que le fonctionnement des

    filiales est contraint par leur environnement local. Ilen résulte que malgré une diffusion de principes etd’outils de GRH, on constate dans le même temps :1/ que les modes de gestion des filiales continuent derefléter l’influence significative de leur pays d’origine ;2/ que les multinationales agissent très différemment

    suivant leur nationalité. Cela remet en question l’idéed’un processus de globalisation totalementhomogénéisant.

    Le maintien de la variabilitéde la GRH

    Malgré un mouvement de diffusion d’un modèleanglo-saxon, on ne peut pour autant parler deglobalisation de la GRH et ce pour plusieurs raisons :les espaces de mobilité et de recrutement restent

    majoritairement nationaux ; certains domaines dumanagement demeurent fortement soumis auxréglementations nationales ; tous les salariés ne sontpas concernés à l’identique.

    Des espaces de mobilitéet de recrutement encore largementnationaux

    La gestion des mobilités est un très bon exemple de cemouvement ambivalent. Alors qu’au début des années90, nombre de directeurs des ressources humaines(DRH) interrogés considéraient que la mobilité

    internationale était destinée à se développer pouraccompagner les stratégies des entreprises, les constatseffectués par la suite ont montré que cette mobilitén’avait pas connu l’essor escompté et avait pris desformes a priori inattendues. La mobilité fait partie desmécanismes traditionnels de coordination dans lesorganisations. Elle contribue à la formation et àl’enrichissement de l’expérience et permet d’assurerun contrôle culturel des employés locaux ou destransferts de savoir-faire. Depuis les années 90, d’autresformes de coordination se sont développées de façonplus significative que l’expatriation, pas toujoursefficace pour des raisons individuellesorganisationnelles et financières (10). En

    complémentarité avec la mise en place des structurestransversales de type projet, des « quasi-mobilités »se sont développées : visites, séjours (de quinze joursà six mois) qui n’exigent pas le déplacement de lafamille. Le développement des technologies de

    (8) Hawley A. (1968), « Human Ecology », in  D.L. Sills (ed) Intern ationa l Encyclopedi a of the Social Sci ences , New YorkMacMillan.(9) DiMaggio P.J., Powell W.W. (1983), « The Iron Cage Revisited Institutional Isomorphism and Collective Rationality inOrganizational Fields »,  American Sociological Review , 48, avrilpp. 147-160.(10) Huault I. (1998),  Le management international, Paris, LaDécouverte, coll. « Repères ».

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    l’information et de la communication, la possibilitéde créer des systèmes d’information globauxaccessibles en tout lieu ont rendu moins nécessaire laprésence physique des personnes. On assiste de plusen plus au développement d’équipes « virtuelles ».Concernant le recrutement, il existe également undiscours très volontariste de la part des entreprises

    sur des recrutements qui s’effectueraient sur unmarché de l’emploi mondial. Or, l’internationalisationdu recrutement doit être relativisée. Elle concerneessentiellement les cadres et les salariés qui offrentdes compétences spécifiques. La mobilitéinternationale et l’internationalisation du recrutementsont articulées à la segmentation des ressourceshumaines et sont liées au niveau de qualification desindividus. Il existe des différences très significativesde traitement entre les salariés non cadres ayant desniveaux de qualification bas ou moyens (ouvriers,techniciens, voire techniciens supérieurs) et les cadresdisposant de niveaux de qualification élevés. On saitque pour les premiers, la mobilité et les espaces de

    recrutement demeurent principalement nationaux.Mais, même au sein de la population cadres, il fautêtre prudent. Des recherches menées surl’internationalisation de la fonction recherche-développement qui abrite pourtant des salariés trèsqualifiés ont montré qu’à la fin des années 90, leschercheurs recrutés à l’étranger représentaient moinsde 3 % des chercheurs employés en France (11). Lesfilières de recrutement sont encore souvent structuréessur un plan national. Elles reposent sur les relationsque les entreprises entretiennent avec lesétablissements d’enseignement supérieur, écoles,universités, qui fonctionnent encore largement surune base nationale. L’internationalisation de

    l’enseignement supérieur qui va en s’accentuantdepuis une dizaine d’années pourrait cependant faireévoluer les pratiques.

    Les politiques de rémunérationrestent contraintes parl’environnement institutionnel

    D’autres instruments de la politique de GRH conserventencore des bases nationales en connexion avec desspécificités juridiques, institutionnelles voireculturelles. De manière générale, tout ce qui relèved’arrangements juridiques et institutionnels locaux tend

    à échapper à l’influence de la globalisation.Les systèmes de rémunération sont liés à des élémentsdéfinis au niveau national (réglementations,conventions collectives, etc.) qui constituent pourl’entreprise un cadre d’action contraignant. Laréglementation sur les salaires minimums est ainsi trèsdifférente au sein même de l’Europe. Les entreprisessont également contraintes par le salaire moyen dumarché du travail national. Même dans les FMN, lessalaires sont souvent fixés par rapport à un standardlocal, sans volonté d’harmonisation. Au sein de l’Unioneuropéenne, les différences de salaires moyens annuelsexprimés en standard de pouvoir d’achat sont encoresignificatives et montrent un rapport de un à dix entre

    la Lituanie et le Royaume-Uni par exemple (source :Eurostat 2004). Ces différences soulèvent des questionsd’équité dans les équipes transnationales qui deviennentde plus en plus nombreuses.L’introduction de la part variable dans les salaires quis’est largement développée se fait également de façondifférente selon les pays, notamment entre les États-

    Unis et l’Europe. Aux États-Unis, la part variable enproportion du salaire total est généralement supérieureet la variabilité est toujours introduite plus bas dans lahiérarchie.

    Une GRH segmentée

    Enfin, les mouvements de transferts de pratiques neconcernent pas tous les salariés avec la même intensité.Il est important de distinguer des niveaux, des« segments » au sein desquels les pratiques deGRH et leur degré d’internationalisation varientconsidérablement. Des travaux menés sur la

    globalisation et la financiarisation des stratégies demultinationales du secteur agroalimentaire ont mis enévidence une segmentation des politiques de GRH (12).Pour les cadres supérieurs porteurs de compétences dehaut niveau, se met en place une GRH qui se caractérisepar une internationalisation du recrutement,l’organisation de plans de carrière à l’échelleinternationale et des politiques de rémunérationdavantage articulées aux performances de l’entreprisequ’aux standards du marché du travail local. À côtéde ce segment internationalisé, perdurent des segmentsde salariés « locaux », l’un constitué d’emplois stablesbénéficiant à des salariés porteurs de compétencesspécifiques à l’entreprise, l’autre incluant diverses

    formes de travail précaire parmi lesquelles l’intérim.Pour ces dernières catégories de salariés, le recrutementet les filières de mobilité demeurent largementnationales, tandis que les politiques de rémunération –même si la variabilité et l’individualisations’accentuent – restent arrimées au contexte national.

    Les facteurs du maintiende la variabilité :contingence de la GRHet différences culturelles

    et institutionnelles

    Comment expliquer cette persistance de la variabilitéde la GRH ?

    (11) Béret P., Mendez A., Paraponaris C., Richez-Battesti N. (2003),« R&D Personnel and Human Resource Management inMultinational Companies : Between Homogenization andDifferentiation »,  Inte rnat ional Journal of Human Resource Management , 14:3, pp. 449-468.(12) Pérez R. et Palpacuer F. (coord.) (2002),  Mutations des modesde gouvernance, dynamiques de compétitivité et management stra-tégique des firmes : le cas des firmes multinationales alimentairesen Europe, Rapport pour le Commissariat Général au Plan.

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    La contingence de la GRH :une pluralité de modèles de GRH

    La gestion des ressources humaines est tout d’abordpar nature contingente, c’est-à-dire qu’il n’existe pasune politique de GRH applicable en toutescirconstances. La GRH varie suivant des facteurs

    internes et externes. Malgré les mouvements deconvergence que l’on a évoqués, les facteurs decontingence traditionnels comme la taille, l’âge del’entreprise, sa stratégie ou son secteur d’appartenancecontinuent d’influencer le niveau des qualifications etla nature des compétences requises, l’organisation dutravail, les modes de gestion des compétences et lapossibilité d’organiser des filières de mobilité.À ces facteurs traditionnels, il faut ajouter la nationalitédes multinationales qui détermine également leurcomportement en matière d’organisation, decoordination des activités et de GRH. Ainsi, lesmultinationales américaines sont plutôt centralisées etprivilégient des mécanismes formels de coordination,

    tandis que les firmes japonaises sont réputées pourdévelopper des mécanismes informels comme lamobilité de façon à promouvoir une cultured’entreprise commune (13). Au-delà de la nationalitéde l’entreprise, c’est la persistance des différencesnationales en matière culturelle et institutionnelle qui joue un rôle primordial sur la variabilité de la GRH.

    La persistance des spécificitésnationales

    Depuis de nombreuses années, il existe un courantculturaliste qui s’attache à montrer à quel point les

    pays continuent de se différencier du point de vue desschémas mentaux ou des systèmes de valeurs. À partird’une étude désormais célèbre sur une FMNaméricaine, Geert Hofstede (14), dont les travaux onteu un retentissement important en matière demanagement, a défini une distance culturelle entre lespays qu’il caractérise à partir de quatre critères :- la distance hiérarchique, qui mesure le degréd’acceptation par les subordonnés d’une répartitioninégale du pouvoir ;- le degré d’individualisme versus collectivisme, quimesure le degré d’intégration des individus au seind’une communauté ;

    - le degré de masculinité versus féminité, défini à partirdu degré d’adhésion à des valeurs « masculines » (tellesque la réussite ou la possession) plutôt que « féminines »(comme la solidarité) et du degré d’interchangeabilitédes rôles sociaux suivant les sexes ;- le contrôle de l’incertitude, qui renvoie à la propensiondes membres d’une culture à se sentir menacés par dessituations incertaines ou inconnues.Cette distance culturelle a des répercussions en matièrede gestion des ressources humaines.En France, les travaux de Philippe d’Iribarneréaffirment l’encastrement culturel des organisationset des méthodes de gestion (15). Si les pratiques de

    GRH continuent de varier suivant les pays, c’est parcequ’elles s’inscrivent dans des contextes culturels dontles fondements se situent dans l’histoire longue de cespays.Une autre explication de la persistance des spécificitésnationales est proposée par le courant institutionnalistequi met au cœur de l’analyse le rôle des cadres

    institutionnels. Ce qui différencie les pays et lespratiques nationales en matière de GRH, ce n’est pastant la culture que le résultat de l’interaction dans unespace social donné d’acteurs ou de structureséconomiques, politiques et sociales.L’approche en termes de « business systems » (ousystèmes socio-économiques) de Richard Whitleyanalyse les pays comme des systèmes comprenant troiscomposantes majeures interconnectées : les entreprisesen tant qu’acteurs économiques, l’organisation dumarché et les systèmes de coordination et de contrôledans la société (16). L’organisation de chaque systèmesocio-économique est déterminée par l’influenced’institutions clés qui sont de deux ordres : les

    « institutions de base » (ou background institutions)ont trait aux relations de confiance, de subordinationet d’autorité qui fondent les relations interpersonnelleset permettent les coopérations entre les individus etentre les organisations ; les « institutions rapprochées »( proximate institutions) concernent le rôle de l’Étatle type de marché financier, l’organisation du systèmeéducatif et de relations professionnelles. En Asie, parexemple, la structuration des relations hiérarchiquesdans les entreprises est ainsi à rapprocher del’importance de la loyauté à la famille commeinstitution centrale. Les pays asiatiques se différencientcependant, de par leur histoire récente, en ce quiconcerne le rôle plus ou moins central de l’État ou la

    nature des relations d’emploi.En France, les travaux du LEST (Laboratoired’Économie et de Sociologie du Travail) qui ont donnélieu à l’Analyse sociétale fournissent un cadreanalytique assez similaire (17). Dans les années 70,partant des différences d’échelles de salaire entre laFrance et l’Allemagne, les chercheurs ont montré queces différences résultaient d’interdépendancesstructurelles propres à chacun des pays entre le systèmeéducatif, le système productif et le système de relationsprofessionnelles. Dans les entreprises, la GRH, enparticulier les modes de gestion des compétences, lessystèmes de promotion et de rémunération, sont

    (13) On distingue généralement quatre catégories de mécanismesde coordination : formels et structurels ; informels (la mobilité enfait partie en tant qu’outil favorisant la création d’une culture com-mune) ; hybrides (comme les groupes de projets) ; les marchésinternes (les différentes unités se coordonnent par des relations declients à fournisseurs).(14) Hofstede G. (1980), Culture’s Consequences : Internationa Differences in Work-Related Values, Beverly Hills, CA, Sage.(15) Iribarne (d’) Ph. (coord.) (1998), Cultures et mondialisationParis, Le Seuil.(16) Whitley R. (1992), « Societies, Firms and Markets : the SocialStructuring of Business Systems », in  R. Whitley (ed.),  European Business Systems, Londres, Sage.(17) Maurice M., Sellier F., Silvestre J.-J. (1982), Politique d’édu-cation et organisation industrielle en France et en Allemagne. Essaid’analyse sociétale, Paris, PUF, coll. « Sociologie ».

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    articulés à la manière dont sont produites, hiérarchiséeset valorisées les qualifications dans le système deformation.Grâce à ces approches, on comprend mieux pourquoimalgré le mouvement de globalisation des stratégies,nombre de pratiques de GRH demeurent différentesd’un pays à l’autre. Ces pratiques s’inscrivent dans

    des ensembles institutionnels nationaux cohérents quiforment système. Cela ne signifie pas que ces ensemblessont immuables, mais il faut clairement avoir à l’espritque les changements ne peuvent être instantanés et queleur pérennité dépend de leur compatibilité avec lesautres composantes du système.

    Conclusion

    Ces dernières années ont vu la diffusion de principes,d’outils et de pratiques de GRH, en provenance

    notamment des pays anglo-saxons. Pour les grandsgroupes multinationaux, la globalisation des stratégies

    accroît les marges de manœuvre en matière de gestionde l’emploi. Mais il est également tout aussi vrai queles entreprises, de par leur appartenance sectorielle ouleur pays d’origine, continuent de se différencier dupoint de vue de la GRH. Il existe une tension persistanteentre une variabilité structurelle de la GRH et unmouvement de globalisation supposé homogénéisant.

    Il ne faut donc pas céder aux sirènes de la globalisationet aux slogans de la « pseudo-convergence ». Commetoujours, la réalité est un peu plus compliquée que nele laissent penser certains schémas simplificateurs. ■

    Ariel Mendez,Université Méditerranée

    Le cadre institutionnaliste élaborépar Richard Whitley permet d’ana-

    lyser les transformations à l’œuvredans certains pays d’Europe cen-trale comme la République tchè-que. Il met en évidence que dansces pays, malgré un contexted’ouverture des marchés, la GRHest moins évolutive qu’on ne pour-rait le penser et il en propose uneexplication qui va au-delà des seu-les particularités culturelles.Les modes de GRH présents dansles entreprises tchèques reflètentla prégnance du modèle socialisteencore récemment en vigueur etla tension entre ses principes

    égalitaristes et collectivistes et l’in-troduction de pratiques de GRHplus individualisantes importéesd’Amérique du Nord ou d’Europede l’Ouest. Même dans les gran-des entreprises (auparavant publi-ques) ou les sociétés rachetéespar des groupes étrangers, l’héri-tage socialiste est clairement visi-ble. La mobilité de la main-d’œuvreest faible et contrainte par l’exis-tence de logements disponiblesdans les zones économiquement

    dynamiques. Les entreprises, for-tement imprégnées de l’héritagede sécurité d’emploi, ont faible-ment recours au licenciementéconomique même lorsque leursituation financière pourrait le lé-gitimer. L’influence du cadrepolitico-économique est égale-ment perceptible dans la réticencevis-à-vis d’une personnalisationde la gestion.L’individualisation des carrières etdes rémunérations est une théma-tique nouvelle dans les entrepri-ses tchèques. Son introduction seheurte à la méfiance envers toutce qui peut rappeler le pouvoir du

    chef. Il ne faut pas oublier que lesentreprises disposaient, il n’y a silongtemps, de « dossiers person-nels » sur leurs salariés. Ils ont étésupprimés en 1989 mais les dis-positifs d’évaluation nécessaires àla mise en place d’une politiquedifférenciée de gestion des carriè-res et des rémunérations suscitentdes réticences liées à ces ancien-nes pratiques. L’ancienneté de-meure ainsi une variable essen-tielle dans la fixation des salaires.

    Le cas tchèque illustre parfaitementle rôle d’institutions rapprochées, icien l’occurrence l’État, dans le fonc-tionnement d’un système socio-économique. Cela ne signifie paspour autant que la société tchèquene peut pas évoluer, mais que lesréformes que l’on voudrait entre-prendre, y compris dans le domainede la GRH, doivent composer ous’articuler avec ces institutions quifaçonnent tout système socio-éco-nomique. Toute politique de GRHqui n’en tiendrait pas compte estvouée à l’échec.

    Un exemple de « business system » à l’épreuve de la globalisation : le cas tchèque 

    Adapté de : Yves-Frédéric Livian (2000),« La gestion des ressources humainesdans les pays en transition de l’Europecentrale : une analyse institutionnalistedu cas tchèque », Revue de Gestion des Ressources Humaines , n° 37,octobre.