Verougstraete H. Frontières entre restauration et hyper-restauation. 2009

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    CeROArtNumro 3 (2009)L'erreur, la faute, le faux

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    Hlne Verougstraete

    Vers des frontires plus claires entrerestauration et hyper-restaurationVers un meilleur dialogue entre historiens de l'art,restaurateurs et marchands

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    Avertissement

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    Rfrence lectroniqueHlne Verougstraete, Vers des frontires plus claires entre restauration et hyper-restauration , CeROArt [Enligne], 3 | 2009, mis en ligne le 21 avril 2009. URL : http://ceroart.revues.org/index1121.htmlDOI : en cours d'attribution

    diteur : CeROArt asblhttp://ceroart.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur :http://ceroart.revues.org/index1121.htmlDocument gnr automatiquement le 01 novembre 2010. Tous droits rservs

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    Fig.1 Portrait de Marie de B.

    uvre attribue par le catalogue de vente De KeyserPhoto : laboratoire Labart

    3 Monsieur de B runit alors ses enfants: pouvait-on accepter que Marie soit convoite parnimporte qui? Quelle risque de faire naufrage dans des rgions lointaines combien barbares, mille lieux de son chteau natal? Le sauvetage de Marie tait coteux. La famille fit face.Un fils fut dpch Paris pour raliser la transaction et Marie fut aussitt suspendue enbonne place dans le chteau familial. Hlas, sous un vernis sombre, le teint qu'on imaginaitdlicatement diaphane de Marie s'tait mu en hle de marin de haute mer. Monsieur de Bdcida dy remdier. Un restaurateur se mit au travail sans hsitation, mais appela laide: la

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    peinture se dissolvait en mme temps que le vernis ! Avec un banal solvant ! Le tableau taitfrais et rcent Quelquun lavait peint sur mesure et tendu un pige la descendance.

    4 Pour restituer au vendeur lobjet du dlit, rien de tel que la menace dtaler les faits sur laplace publique. Les marchands tiennent leur rputation. La fausse Marie retourna prestement Paris.

    5 Cette histoire a une fin heureuse, mme si elle incite la prudence dans lacquisition deportraits danctres trop bien identifis Dautres histoires se sont soldes de la mme

    manire: des menaces profres l'encontre du marchand dans le but louable de le protgerd'une mauvaise rputation!

    6 Diffrente est la msaventure Monsieur et Madame Z. qui avaient achet un chteau rputabriter un tableau de Jean Van Eyck reprsentant un homme au turban Le chteaugarantissait lanciennet du tableau, tant il tait clair aux yeux des acqureurs que le tableauy tait suspendu depuis toujoursLe fait que le tableau devait normalement tre antrieurde quelques sicles au chteau ntait pas de nature les troubler. Les nouveaux chtelainsabandonnrent aussitt leur auguste demeure pour entreprendre un tour du monde larecherche de lexpert qui pourrait les conforter dans leurs espoirs. Hlas Lhomme au turbanntait quun vulgaire pastiche, ce que tout le monde saccordait dire, sauf un spcialisteviennois qui certifia que le tableau tait de la main du grand primitif. Lhistoire ne dit pas ce

    que sont devenus le chteau, ses chtelains errants et lhomme enturbann dchu, bien quesoutenu par un spcialiste viennois.

    A propos de l'exposition Fake or not Fake(museGroeninge de Bruges, 26 novembre 2004- 28 fvrier 2005)

    7 Une conjonction dlments favorables a rendu possible lexposition Fake or not Fake deBruges. Nous avions examin la Vierge et Enfantde Van der Weyden Tournai, avec laidedu conservateur de lpoque, Serge Le Bailly de Tilleghem. Nous avions dabord cru unfaux, mais, suite des protestations et aprs un examen prolong, nous avons rvis notrepremire opinion (le tableau tait partiellement ancien). Les rsultats de l'examen furent

    publis en 20012. Inform de notre intrt pour Van der Veken, J.L.Pypaert, banquier de

    profession et passionn depuis son jeune ge par les Primitifs flamands et tout spcialementpar le restaurateur-faussaire Jef Van der Veken (1872-1964) qui en avait restaur un nombreimpressionnant et en avait cr quelques autres de toutes pices, tait venu nous suggrerdtudier les archives quil savait o trouver. Il suggra aussi d'tudier certains tableauxrestaurs par Van der Veken et conservs dans des muses belges. Il connaissait l'existencede faux et de tableaux hyper-restaurs, grce des tmoignages de contemporains et amis deVan der Veken qui avaient t dans le secret des dieux.

    8 Pour une fois, nous nous trouvions devant des tableaux qui taient en trs mauvais tatmalgr les apparences et qui taient proprit publique. L'quipe du Labart ne pouvait ques'enthousiasmer la perspective d'entamer leur tude minutieuse. Le projet d'une expositiondidactique qui prsenterait le rsultat de ces tudes prit naturellement forme. Laccord

    des conservateurs pour faire ltude des tableaux et pour prsenter les rsultats au publicnous mettait labri de pressions car des intrts particuliers ne risquaient pas d'trelss par des rvlations dvastatrices. Mais la bienveillance des conservateurs n'allait pasjusqu' l'empressement d'exposer le matriel que nous proposions. On craignait son caractreiconoclaste. Au muse Groeninge de Bruges, le conservateur Till Borchert tait intress parlhistoire de la restauration et par le thme abord, celui de ltat de conservation des tableaux,lampleur des restaurations et les faux. Il rserva au projet un accueil favorable. Son intentiontait d'ailleurs d'largir le propos d'autres faussaires, ce qui n'a pas pu tre ralis faute detemps. Mais il nous a demand d'tudier galement deux tableaux achets en 1983 par les

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    muses communaux de Bruges. Ces tableaux taient fortement et magistralement restaurspar quelqu'un qui n'tait pas Van der Veken.

    9 On la dit, le silence stait fait autour du travail de Jef Van der Veken ds les lendemains de sondcs. Sans doute l'homme s'tait-il entour de discrtion autour de ses pastiches, ne montrantce travail qu' ses admirateurs et proches, et pas aux historiens de l'art trop curieux. Il a outrelaiss relativement peu darchives (certaines d'entre elles ont mme brl). Aprs son dcs,des proches de Van der Veken qui jouaient un rle dans le monde de l'art auraient pu fournir

    des informations prcieuses, mais ils se sont rfugis dans le mutisme au sujet de cette partiede l'histoire de la restauration, que peut-tre ils jugeaient partiellement honteuse. Aujourd'hui,presss de tmoigner, ces mmes proches s'efforcent de minimiser l'immense talent de leurparent et l'impact de ses interventions sur la connaissance des Primitifs flamands; ils fustigentceux qui troublent leur quitude. Comment interprter ces ractions? Etait-il peu convenabled'admettre l'existence d'un faussaire dans la famille? Si on avait racont que lexcellente colede restauration belge tenait ses recettes du travail de titan d'un faussaire, ny aurait-il pas eurisque damalgame ?

    10 Suzanne Laemers, dans un excellent article3nous apprend que ds 1911, cest dire du tempsde la pleine activit de Van der Veken, des historiens de lart avaient trouv suspectes certainesuvres et avaient cit Van der Veken comme faussaire.

    11 Les suspicions n'taient pas des preuves. Un rel avancement dans les connaissances futaccompli par les tudes techniques. La premire tude technique d'un tableau profondmentremani par Van der Veken date de 1994: le Christ et moine bndictin (New York, TheCloisters Collection, 19743) avait suscit d'abord l'tonnement pour son iconographie curieuse,ensuite la suspicion par ses anachronismes. Enfin on comprit son caractre composite du mi-

    vrai, mi-faux 4.12 Le Labartpublia les examens techniques de la Madone Renders de Tournai en 2001 et trois

    hyper-restaurations ou faux l'occasion de lexposition de Bruges en 2004-2005, (o onprsenta encore la Madone Renders tudie prcdemment au Labart galement).

    13 Vers la fin de lexposition de Bruges en 2005, une exposition fut monte dans une salle duMuse royal des beaux-Arts de Bruxelles par lInstitut royal du patrimoine artistique (2005),

    autour de la Madeleine Renders (d'une collection scandinave). Les examens pratiqus etdiverses tudes passionnantes sont runies dans le livre Autour de la Madeleine Renders, paru

    en 20085.14 Depuis lors, trois autres tableaux hyper-restaurs ou faux ont encore t examins au Labart.

    Le premier, un merveilleux faux, ne pourra pas tre publi dfaut de l'accord du propritaire.

    Un article consacr aux deux autres est sous presse6.15 Lexposition bruxelloise de 2005 sintitulait LAffaire Van der Veken. Le titre est peu heureux

    pour le risque de confusion avec l affaire Van der Veken qui est une longue histoire qui

    dbute en 1911 comme nous l'apprend Suzanne Laemers dans l'ouvrage cit plus haut7 et qui ne

    concerne pas seulement la Madeleine Renders8. Toujours dans le mme ouvrage, J.-L.Pypaert

    propose un catalogue de 314 uvres auxquelles le restaurateur aurait touch9. Il faudra

    l'avenir, comme le dit cet auteur, examiner ces uvres une une pour dterminer l'ampleurde la restauration. Un gros travail attend les spcialistes. On verra peut-tre un jour plusclair dans l'volution des techniques du restaurateur-faussaire. Il est possible que le catalogueactuel inclue des uvres dautres faussaires. Quelques uvres prsentent un mme aspect,caractristique dune grande matrise, dcrite dans les publications. Par contre dans d'autresfaux, les techniques adoptes sont assez diffrentes. Le Portrait prsum de l'architecte

    Carnot10 prsente une couche picturale paisse et volontairement accidente (griffe, salie)

    qui pourrait dnoncer Van der Veken faussaire-dbutant. Dautres faux encore prsentent unematire picturale lgre, sans craquelures et sans accidents volontaires, et des couleurs quinvoquent pas celles du 15e sicle. Il ne parat pas vident ce stade des connaissances

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    d'accepter leur intgration dans le catalogue des restaurations ou productions de Van derVeken.

    16 Des ractions nombreuses et en sens divers nous sont parvenues pendant et aprs lexposition.Pour la problmatique souleve, lexposition a intress un bon nombre de visiteurs qui onttrouv que la vrit historique avait ses droits et devait tre dite. Ils acquiesaient au faitquune peinture (et par extension toute uvre d'art), tout comme un texte darchives, doit tre dite , doit subir une critique formelle, historique et tre replace dans son contexte.

    17 Notre but avou tait de nous adresser au grand public et de lui dire : votre il ne suffitpas. Ces beaux tableaux, propres et bien vernis, qui pendent aux cimaises des muses, quisont prsents l'occasion de diverses expositions, salles de vente, foires devraient treaccompagns dune description de leur tat matriel: cette belle Vierge lEnfant Tournai,que lon disait peinte de la main du grand Roger Van der Weyden, a t repeinte aux deuxtiers de la surface au 20e sicle, y compris la moiti des deux visagesVotre il ne voit pastout! Laide du microscope, de la radiographie, lanalyse des pigments est indispensablepour identifier la part du restaurateur. Voyez aussi cette Annonciationdu muse dAnvers avecdeux visages repeints au 20e sicle par Van der Veken : les historiens de lart qui ont attribuloeuvre au Matre des portraits Baroncelli ne se sentent-ils pas un peu ridicules?

    18 Il y a un travail considrable faire pour que les tableaux, ceux des muses, ceux du march de

    lart fassent lobjet dune critique externe, une description de ltat matriel. Les tableauxdes muses sont moins impatients : ils sont l pour longtemps. Pour ceux qui circulent sur lemarch de l'art, il y a urgence: ils vont tre mis en vente il faudra que lacqureur sacheexactement ce quil acquiert. Si aprs acquisition, il a des doutes, il pourra ester en justice.Le magistrat saisi de laffaire dcidera en s'appuyant sur des avis dexperts, si possibleindpendants du march et spcialiss dans lexamen technique des uvres. Mais quandpourra-t-il tre dit que la restauration sombre dans l'hyper-restauration et le faux? Beaucoupde soucis en vue pour les restaurateurs.

    19 Evidemment le travail de J. Van der Veken tait une aubaine pour faire la dmonstration dece qui est expos ci-dessus. Sur tous les schmas prsents lexposition et dans le catalogue,la couleur rouge identifiait les restaurations, le gris, ce qui tait ancien. Le jeune et talentueuxconcepteur du lay outdu catalogue publi chez Ludion tait perturb par le rouge omniprsentquil jugeait agressif. Mais c'tait ce que nous voulions : frapper les imaginations, perturberle public par ltendue du rouge, couleur de linterdit, l'amener se poser des questions.

    20 Les ractions les plus vives et inquites sont venues des restaurateurs. Certains ont trouvlexposition trs intressante. On nous a rapport que certains deux staient exclams: maisnous travaillons nous aussi comme Van der Veken ! . Il y a eu des billets dhumeur de restaurateurs fchs. Il est bien sr que nous ne voulions agresser personne. La patienceinfinie des restaurateurs prudents forms bonne cole est admirable. Moins admirables sontles nettoyages excessifs et les trop amples retouches faites par des amateursChaque tableauvhicule un lot de dgts lis des interventions auxquelles de nombreuses gnrations ontcontribu avec plus ou moins de bonheur, souvent moins que plus. Les recettes et techniquesdes restaurateurs belges ressemblent tout naturellement celles de J.Van der Veken qui

    transmt le beau mtier son gendre Albert Philippot, chef de file de lcole de restauration lInstitut royal du Patrimoine artistique.

    La perspective juridique

    21 Combien de rouge peut impunment s'taler sur un schma avant de devenir l'interdit? Cettequestion prend toute sa rsonance dans une perspective juridique. La maison ddition DieKeure vient de publier un ouvrage qui s'intitule Art & Law11 qui intressera les historiens del'art, les restaurateurs et les marchands. Ce vaste et passionnant ouvrage fait appel de largescollaborations : 32 auteurs, presque tous de la K.U.Leuven, principalement des juristes mais

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    aussi un sociologue, un spcialiste du management musal, un diplomate... et une historiennede lart, K. Van der Stichelen qui enseigne lhistoire de lart dans la mme universit. Cetouvrage met en vidence la grande complexit de la question, complexit lie linfinievarit des uvres dart et du contexte particulier dans lequel elles ont t cres. De largescomparaisons sont tablies entre le droit pratiqu en matire duvres dart dans diffrentspays: Belgique, Allemagne, Pays-Bas, France, Angleterre, USA Louvrage compare le droitde ces pays dans divers domaines (protection du patrimoine, management musal, protection

    du patrimoine en temps de guerre) et dpasse largement la question du faux. On y trouveaussi de nombreux chapitres-intermdes traitant duvres dart ou de tendances artistiquesdiverses.

    22 Un auteur, B. Demarsin, consacre un chapitre la question de lauthenticit et de lerreur

    dans le commerce de lart12 sujet auquel il a consacr une thse de doctorat qui vient d'tre

    publie13. Le chapitre de Art & Law consacr la question de l'authenticit est gnreusementdocument et on peut y trouver des rfrences labondante littrature consacre au sujet.

    Retenons les phrases o ce juriste, se rfrant dautres auteurs, dfinit le faux14: No objectsare forgeries per se. They become so only when made, altered, or even just presented in such a

    way as to induce error. Only the fraudulent transaction turns them into a forgery [il nexistepas de faux en soi. Les uvres deviennent fausses lorsquelles sont ralises, modifies ou

    simplement prsentes de manire induire en erreur. Seule la transaction frauduleuse en faitdes faux]. Lauteur souligne que selon J. Chtelain15 in some juridictions the mere creationof such an object can be a crime [dans certaines juridictions, la cration duvres destines induire en erreur est elle seule considre comme un dlit].

    23 L'acte frauduleux, celui qui mne ce qu'il y ait erreur sur la substance lors d'une transaction,peut prendre des formes diverses : une fausse signature, une attribution trop gnreuse, uneprovenance invente et non contrlable, des techniques de vieillissement artificiel (un cadreancien pour une peinture frache, un vernis brun, des dgts artificiellement provoqus, desbadigeons et autres camouflages, des tiquettes, inscriptions, chiffres au pochoiret biend'autres choses), mais aussi une restauration abusive.

    24 Le bon restaurateur, celui qui ne veut pas tromper, se rassure en se disant que le qualificatif

    de faussaire ne peut pas s'appliquer lui. Pourtant, le tableau qui sort de son atelier inclutdes parties qui sont de sa main, dans des proportions qui varient dun tableau lautre. Desquestions viennent immdiatement lesprit comme: quelle est l'ampleur acceptable de larestauration? Le matre d'uvre sait-il au juste la nature et l'ampleur de l'intervention quilpaie? On pourrait prciser que pour ne pas tromper le propritaire, pour ne pas l'induireen erreur, il faudrait que lintervention du restaurateur soit dment identifie. Et que lepropritaire son tour, le jour o il veut vendre et sil veut vendre sans tromper, informelacqureur du dossier du restaurateur. Comme le livret d'entretien doit accompagner la voitured'occasion lors de sa vente, un rapport de l'tat matriel d'une uvre d'art devrait accompagnertoute transaction qui la concerne.

    25 Je sais, pour avoir fait un court apprentissage dans le mtier de restaurateur que le restaurateurest, loccasion, celui qui camouffle la perfection les dgts quil a lui-mme occasionnsaux uvres. Selon la dfinition, c'est un acte frauduleux. Si on reprend la dfinition voquepar J. Chtelain, on peut dire que le restaurateur qui craqule ses restaurations et camouffle la perfection ses interventions au point qu'elles ne sont plus reprables, pourrait sous certainesjuridictions tre trait de faussaire . Il y a l de quoi secouer srieusement le restaurateur,de quoi linciter sintresser laspect juridique de son travail, se prparer, se prmunircontre les problmes possibles. Le monde de l'art ne ressemblerait-il pas un peu celui desbanques, o des pratiques douteuses se sont impunment rpandues faute de rgles, en attentedu jour du trop plein o on ne pourra plus plaider la bonne foi? Les mentalits voluent.

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    26 Une ancienne tudiante de Louvain-la-Neuve, Emmanuelle Tondreau, licencie en droit eten histoire de lart, a ralis un mmoire (non publi ce jour) qui devrait intresser lesrestaurateurs: La protection des uvres dart par lencadrement de lactivit du restaurateur.

    Eclairages juridiques16. Comme le dit le titre de son travail, c'est bien la protection de l'uvre

    qui est en cause et pas de celle du restaurateur. Le restaurateur sait que la meilleure protectionpour lui est de faire son travail dans les rgles de la dontologie, avec une intervention trslimite, une conservation plutt qu'une restauration quand c'est possible.

    27 E. Tondreau adresse des recommandations celui qui fait restaurer une uvre. L'encadrementdu restaurateur peut se faire par l'tablissement d'un contrat (avec une clause de documentationavant, en cours et aprs le travail, un protocole de travail: produits utiliss, ampleur desretoucheset si la valeur de l'uvre permet d'en envisager les frais: une clause d'expertisepralable, ).

    28 Un restaurateur est rarement le premier intervenant. Il dcouvre souvent les dgts faits pardautres. Pour que ces dgts ne lui soient pas imputs, il est important quil les rpertorie etqu'il les documente avant dentamer le travail. Ne nous faisons pas d'illusion, nous savons bienqu'aucun document ne peut rendre correctement compte des effets dun nettoyage, laction laplus tmraire, celle de tous les dangers !

    29 Selon E. Tondreau, le contrat pourra inclure un code dontologique labor l'initiative d'une

    association professionnelle. Enfin, si le propritaire du tableau n'est pas satisfait du travaildu restaurateur, il ne pourra ni payer, ni rceptionner le travail car cela quivaudrait uneagration. La protection du titre de conservateur-restaurateur serait un grand avantage pourles deux parties. Le propritaire se sentirait mieux protg, et la profession de conservateur-restaurateur en serait revalorise.

    30 Ce qui tonne, cest la facilit qua ltre humain daccepter l'uvre d'art qu'on lui propose l'achat sans description de ltat de conservation, avec des attributions et datations nonjustifies ni argumentes, et souvent trop optimistes, une provenance difficile vrifier, sansqu'on sache par exemple si, pour une peinture, le cadre est dorigine ou non, etc.

    31 On pourrait donc dire que pour un nombre important de transactions dans le domaine de lart, ily a risque derreur sur la substance. On pourrait pousser les choses un peu plus loin et dire quesi le marchand ne jette aucune lumire sur ltat de conservation de luvre et sil nargumentepas son attribution, sil ne fait pas une critique externe de lobjet quil vend, lobjet de latransaction est mal prcis . Lacheteur achte un chat dans un sac .

    32 Des conflits dintrts sont en cause, mais aussi la difficult de dialoguer pour des personnesdont la comptence est diffrente et complmentaire. Un jour il faudra que les pontss'tablissent entre les historiens de lart, les restaurateurs et marchands.

    Conclusion33 Dans les dbats qui se sont drouls la suite de lexposition Fake or nor Fake, une question

    est souvent revenue. Van der Veken est-il un faussaire ? Une partie de sa famille, cellequi lui vouait affection et admiration, rpond par un non vigoureux cette question. Ilnaurait, selon eux, jamais tromp. Il vendait ses pastiches pour ce quils taient, d'authentiques

    pastiches. Mais les archives sont muettes sur les pratiques commerciales de Jef Van der Veken,sauf en ce qui concerne les Juges intgres qu'il fit payer cher mais mit longtemps vendre.Des pastiches, oui, mais tellement bien peints qu'ils se vendaient cher? trs cher? presque aussicher que les vrais?

    34 Dautres rpondent sans hsitation oui, il a tromp le monde. Son comparse d'un moment,Emile Renders17, apparat d'emble comme un escroc. Il savait ce qutaient les uvres quilui taient fournies par Van der Veken. Et il les a fait passer pour autre chose. L'envoi de sacollection de Primitifs hyper-restaurs pour figurer dans une exposition Londres en 1927 etle battage mdiatique qu'il organisa cette occasion sont sans conteste des actes frauduleux.On ne sait pas jusquo Renders et Van der Veken taient complices en ces temps-l, et

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    leur association n'a pas dur longtemps. Mais faussaire ses heures et restaurateur vertueux d'autres, Van der Veken pouvait se prvaloir d'tre un self-made man, de possder unexceptionnel savoir-faire, un grand amour des Primitifs, un mtier parfait et un il patient,toutes qualits qui le rendent, il faut bien le reconnatre, plutt sympathique, malgr les grossoucis qu'il cause aux historiens de l'art des Primitifs flamands.

    Notes

    1 Verougstraete, H., Van Schoute, R. et Borchert, T.-H. (eds.) avec des contributions de Bruyns,E.,Couvert, J., Pieters, R. et Pypaert, J.-L.,Restaurateurs ou faussaires des Primitifs flamands. [Fake ornot fake.Het verhaal van de restauratie van de vlaamse Primitieven] . Catalogue d'exposition, BrugesGroeningemuseum 26 novembre 2004-28 fvrier 2005, Gand (Ludion) 2004.

    2 Verougstraete, H. et Van Schoute, R., "La Madone Renders et sa restauration par Joseph Vander Veken(1872-1964)", dans La peinture et le laboratoire. Actes du Colloque XIII pour l'tude du dessin sous-jacent et de la technologie dans la peinture. (d. Verougstraete, H. et Van Schoute, R.), Louvain-Paris-Sterling, 2001, p. 7-28.

    3 Laemers, S., "A Matter of Character. Max J. Friedlnder et ses relations avec Emile Renders et JefVan Der Veken", dans Vanwijnsberghe, D., (dir.), Autour de la Madeleine Renders, Institut royal dupatrimoine artistique. Scientia Artis, volume 4, Bruxelles 2008, p. 147-176.

    4 von Sonnenburg, H., "A Case of Recurring Deception" dans The Changing Image. Studies in PaintingConservation (The Metropolitan Museum of Art Bulletin, LI, 1993-1994), New York, 1994, p. 9-19.

    5 Vanwijnsberghe, D., (dir.), Bruxelles, 2008.

    6 Decq L., "More on Joseph Vander Veken (1862-1974)", dans Verougstraete, H. et JanssensdeBisthoven, C. (eds.), The Quest for the Original. Underdrawing and Technology in Painting.Symposium XVI, Louvain-Paris-Walpole, MA, 2009, p. 102-106.

    7 Laemers, S., dans Van Wijnsberghe, D. (dir.), 2008, p. 147-176.

    8 Dans lditorial du livre Autour de la Madeleine Renders, M. Serckpasse sans discernement deL'affaire VdV(titre de l'exposition bruxelloise) l'affaire VdV . En lisant, propos de lexpositionbruxelloise : ainsi dbuta laffaire Vander Veken , le lecteur pourrait erronment croire quelexposition bruxelloise a dclench une saga. En ralit, laffaire Vander Veken est unelongue saga(celle de tableaux trop restaurs et de faux), qui dbute vers 1911 et intgre les expositions rcentes(Fake or not Fake, Bruges, 2004-2005 et LAffaire Vander Veken, Bruxelles 2005). Le livre Autour de laMadeleine Renders raconte fort bien les nombreuses pripties de cette affaire qui occupera encorelongtemps les esprits.

    9 Pypaert, J.-L., dans Van Wijnsberghe, D. (dir.), 2008, p. 197-282.

    10 Verougstraete, H., Van Schoute, R. et Borchert, T.-H. (eds.) , 2004, p. 78-85.

    11 Demarsin, B., Schrage, E.J.H., Tilleman, B. et Verbeke, A. (eds.), Art & Law, Bruges, 2008, 614pages.

    12 Idem, p. 556-601.

    13 Demarsin, B., Handel in Kunstvoorwerpen, Die Keure, Business & Economics, 2009.

    14 Idem, p. 562.

    15 Chtelain, J., Forgery in the Art World, Bruxelles, Commission des communauts europennes,1979, 30-31 et 36 et sv., cit dans Demarsin, B, 2008, p. 562 note 19.

    16 Louvain-la-Neuve 2006-2007, promoteur H. Verougstraete17 Voir au sujet d'Emile Renders le bel article extrmement fouill de: Lust, J., "Grandeur et dcadenced'Emile Renders. Chronique mouvemente d'une collection d'art belge", dans Vanwijnsberghe, D. (dir.),2008, p. 77-146.

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

  • 8/7/2019 Verougstraete H. Frontires entre restauration et hyper-restauation. 2009

    10/10

    Vers des frontires plus claires entre restauration et hyper-restauration 10

    CeROArt, 3 | 2009

    Hlne Verougstraete, Vers des frontires plus claires entre restauration et hyper-restauration ,CeROArt[En ligne], 3 | 2009, mis en ligne le 21 avril 2009. URL : http://ceroart.revues.org/index1121.html

    Hlne Verougstraete

    Docteur en histoire de l'art et archologie, UCL. Thse: cadres et supports dans la peinture desPays-Bas mridionaux aux 15e et 16e sicles. Formation de deux ans en restauration des uvres

    d'art l'Institut royal du patrimoine artistique. 1987-2005: professeur l'Institut royal d'archologieet d'histoire de l'art de Bruxelles. 1992-: professeur l'UCL. 1997-: galement professeur laK.U.Leuven. 1992-: direction du Laboratoire dtude des uvres dart par les mthodes scientifiques(Labart). 1975-: avec R. Van Schoute: organisation du Colloque pour l'tude dessin sous-jacent et de latechnologie dans la peinture (15 volumes d'Actes publis ce jour). Travaux d'expertise. Publications:Primitifs flamands, Pierre Bruegel (ea une interprtation du Triomphe de la Mort). Prparation avecl'quipe du Labart de l'exposition et du catalogue Fake or not Fake au Groeningemuseum de Bruges en26 novembre 2004-28 fvrier 2005.

    Droits d'auteur

    Tous droits rservs

    Rsum / Abstract

    Nous voquerons l'exposition Fake or not Fake (Bruges, muse Groeninge 26 novembre2004 -28 fvrier 2005). Les historiens de l'art en ont retenu essentiellement les rvlationssur Van der Veken. Mais le but principal tait de montrer au public qu' l'instar des sourcesd'archives, les uvres d'art devaient tre dcrites dans leur ralit matrielle, qu'elles devaienttre examines l'aide des mthodes de laboratoire. L'il ne suffit pas. L'article aborderagalement la protection de l'uvre d'art: il y a lieu de rflchir au travail du restaurateur et son encadrement dans une perspective juridique.

    After visiting the exhibition Fake or not Fake, held in the Bruges Groeningemuseum,November 2004-February 2005, art historians were essentially struck by the revelations aboutVan der Veken. But the purpose was to demonstrate to the public that works of art should besubmitted to a critical examination, like any archival source. The eye is not sufficient. The helpof technical instruments is necessary. Inorder to protect the works of art, one should considerthe legal aspects of the restorer's activity.