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Vendues

En 1984, lorsque, avec ma fille de quatreans, j'ai quitté les Etats-Unis pouraccompagner mon mari à Téhéran,j'avais peur. A cette époque, pourtant, jen'avais jamais entendu parler de femmesretenues en otages par un époux denationalité différente de la leur, oud'enfants qu'on enlevait à leur mère. Jene savais pas non plus que par monmariage la nationalité iranienne

m'était

automatiquement

échue, ainsi qu'à ma fille, et que nous nepourrions quitter l'Iran sans la

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permission de mon mari.

Dix-huit mois plus tard, lorsque nousavons échappé à notre cauchemar, nousétions un cas isolé dans l'esprit desAméricains.

Quand j'ai écrit mon histoire et que j'aivoyagé pour la promotion de mon livre,j'ai découvert, aux Etats-Unis et enEurope,

l'existence

de

drames

comparables à celui que j'avais vécu.

La plupart de celles qui avaient traverséla même expérience que moi n'osaient en

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parler, imaginant qu'elles étaientfautives ou que leur cas était unique.C'est cette idée fausse que j'ai voulucombattre.

Aujourd'hui, les pays occidentauxcomptent de plus en plus de couplesmixtes et beaucoup d'enfants reçoiventla double nationalité. Souvent, desmusulmans, comme mon mari ou commele père de Zana Muhsen, venuss'implanter

dans

une

société

occidentale demeurent en désaccordavec la culture de leur pays d'accueil.

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Certains ne peuvent supporter l'idéed'élever leurs enfants, particulièrementleurs filles, au sein d'une société nonislamique, qu'ils jugent impure. Ils fontce qu'ils pensent être leur devoir : ilsenlèvent leurs enfants et les retiennenten otages dans leur pays.

Depuis qu'en 1988, j'ai découvertl'histoire de Zana et de sa sœur Nadia,j'ai souvent pensé à elles. Notre combatpour la liberté a été le même. Enapprenant que Zana avait réussi àquitter le Yémen, j'ai ressenti uneimmense joie et lorsque j'ai su qu'elleécrivait un livre, je n'ai pu en attendrela publication : j'ai demandé une copiedes premières épreuves à l'éditeuranglais. Son récit m'a bouleversée.

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Le désir tellement naturel de connaîtrele pays de leur père a plongé Zana etNadia dans une situation tragique. Cesdeux jeunes Anglaises, nées et élevées àBirmingham, parfaitement intégrées àleur milieu, et dont la vie ressemblait àcelle de toutes les adolescentes de leurâge, ont été vendues par leur père,mariées de force et retenues au Yémencontre leur volonté. Elles ont dû poursurvivre s'intégrer à une société arriéréeet devenir les esclaves de leur deuxièmeculture.

Là-bas, brutalement coupées de leurfamille, incapables de communiqueravec leur entourage, puisqu'elles neparlaient pas arabe, elles ont dû vivrechacune dans un village différent. Rien

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ne résiste à la solitude, pas même lavolonté la plus tenace. Rien n'est plusdifficile que de reprendre couragelorsque personne n'est là pour voussoutenir... Zana, pourtant, n'a jamaiscessé de lutter.

Lorsque j'étais retenue en otage en Iran,j'ai été étonnée moi-même de la force etde la résolution dont j'ai réussi à fairepreuve - mais j'étais une femme adulte.Zana, elle, n'était qu'une enfant. Où a-t-elle trouvé un tel courage?

Zana et Nadia sont restées prisonnièresau Yémen pendant sept ans avant queleur affaire ne soit rendue publique.

Lorsque les médias ont alerté l'opinionmondiale, le gouvernement yéménite a

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dû prendre une décision pour sauver laface. Zana n'a pas manqué cetteoccasion de s'échapper, mais il lui afallu laisser un fils de deux ans derrière

elle,

pour

retrouver

l'Angleterre et tenter de sauver sa sœur.

En racontant son histoire, aujourd'hui,Zana donne foi à une réalité quebeaucoup ont encore du mal àreconnaître. Elle parle aussi au nom desfemmes du tiers monde, qui n'ont jamaiseu la chance de témoigner de leursouffrance, parce qu'elles sontopprimées et assujetties.

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Chaque fois qu'une voix s'élève contrel'oppression, elle fait écho aux voix quise sont élevées avant elles, et à cellesqui s'élèveront un jour.

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Betty Mahmoody

Il s'appelle Mackenzie, je l'appelleMackie. C'est plus rigolo. Je l'aime et jecrois bien qu'il m'aime. Mais à quinzeans, on ne dit pas les choses ainsi.

On dit :

- Je vais te manquer, Mackie ?

- Ouais... Mais toi, tu vas en vacances,c'est super. Moi, je reste à Birminghamtout l'été, c'est galère.

Et puis la danse finie, l'heure venue de sequitter, pour que papa et maman nefassent pas de scandale, on dit encore : -Bon, ben salut Mackie...

Et le baiser dit le reste, au coin des

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lèvres.

- Salut Zana...

Et le regard qui frôle en dit encore un peuplus.

C'était hier, c'était la nuit. A l'aube, àl'aéroport de Londres, après des heuresde trajet en bus, une tasse de thé et unbeignet constituent ma ration de survie.

Papa et maman ne me quittent pas desyeux et je suis affreusement nerveuse.

- Maman ? Si je ne me plais pas là-bas, jepourrai revenir tout de suite ?

- Bien sûr, tu peux revenir quand tu veux,Zana... Qu'est-ce qu'il y a ? Tu semblaissi heureuse de partir.

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- Rien... tout va bien, c'est juste que... siça ne me plaisait pas...

- Toi qui aimes tant le soleil, çam'étonnerait... dès que tu seras là-bas, tuoublieras l'Angleterre.

Je me suis bien gardée de poser laquestion devant papa et ses deux amis,pour ne pas les vexer. Papa m'a laisséepartir avec eux au Yémen, son pays natal.Abdul Khada et son fils Mohammedm'invitent dans leur famille, voyagentavec moi, ils sont très gentils et généreux.Une telle question de ma part les auraitsûrement offensés.

Abdul Khada est un ami de mon père,quarante-cinq ans, cheveux noirs frisés,terriblement moustachu et d'une élégance

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un peu raide. A côté de mon père toujourslégèrement voûté, il se tient droit, l'airsûr de lui, dominateur, malgré sa taillerelativement modeste. Son fils aînéMohammed, plus petit, trapu, gros même,semble sympathique, comme souvent lesgros, plus amical et chaleureux. En fait lepère a un visage rébarbatif, plutôt laid,alors que le fils est agréable. Mohammedest marié et a deux enfants. Je sais peu dechose sur eux à vrai dire. Ce sont surtoutles copains de papa.

- Tu as peur de l'avion, Zana ?

- Ça ira, maman...

En fait j'ai peur, mais je n'aime pas ledire. C'est mon caractère, je me sensdure, solide dans ma tête. Pourtant ce

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baptême de l'air, qui va m'emporter à desmilliers de kilomètres de chez moi,provoque une sorte de tremblementintérieur, l'impression que le danger meguette, avec un creux à l'estomac, bizarre,comme une boule de vide plutôt.

Je ne sais pas comment identifier cettesensation. Disons que ce premier voyageen avion, le premier de ma vied'adolescente, est impressionnant, mais jene l'avouerai pas.

- J'aurais préféré partir en même tempsque Nadia.

- Ta sœur te rejoint dans quinze jours àpeine, et tu ne verras même pas le tempspasser.

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Maman a confiance en moi, elle me saitraisonnable. Elle vérifie ma tenue endéfroissant légèrement ma jupe à fleurs.

- Tu vas profiter du soleil là-bas. Tum'écriras en

arrivant, dès que tu auras vu ton frère et tasœur. Où est ta valise ?

Ma valise est entre mes deux piedschaussés de sandalettes en cuir. Jen'emporte que des vêtements légers, jupesde rechange et tee-shirts, quelquesaffaires de toilette, mes précieux livres etma musique. C'est ma première valise,toute neuve, marron ; celle de Nadia estbleue, nous avons fait les grandsmagasins exprès, la semaine dernière, etj'étais plus gaie qu'aujourd'hui à l'idée de

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partir en voyage.

Des hommes d'affaires, armés de leursattachés-cases, courent pour attraper lespremiers

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avions

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de

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la

matinée.

L'aéroport s'anime soudain, le panneaulumineux crépite en affichant des numérosde vols pour le monde entier.

C'est un spectacle fascinant que toutes cespetites lumières, elles représententpresque toute la planète, et je me rendscompte bêtement, ici, dans cette salled'attente, que le monde est immense.

Mon père et ses amis reviennent de laterrasse, d'où l'on voit décoller lesavions. Papa est assez souriant derrièresa moustache en bataille, les mains dansles poches, le corps légèrement penché enavant, les épaules fléchies, dans son

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attitude préférée, il discute en arabe avecses amis. Le sourire est rare chez lui. Sonvisage et son expression habituelle,moroses, lui donnent plutôt l'apparenced'un être soucieux de nature.

- Zana... Tu seras respectueuse avec monami Abdul Khada, montre-toi bien élevée,lorsque tu seras dans sa famille.

- Oui, papa.

- C'est bientôt l'heure, allons-y!

Abdul Khada marche devant nous, suivide son fils Mohammed. Il présente lespasseports, les billets, et s'occupe desformalités tandis que j'embrasse mamandevant le portillon qui va nous séparer.

Ma nervosité augmente. Papa, qui n'est

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pas du genre tendre et ne m'embrassequ'aux fêtes carillonnées, se penche pourun baiser rapide, qui effleure à peine majoue, avec un dernier conseil :

- Je te confie à mon ami Abdul Khada,c'est un homme très respecté chez lui,écoute ce qu'il te dit, obéis. Son invitationest très généreuse... Tu m'entends, Zana?

- Oui, papa.

J'entends comme dans un brouillard, destas d'idées stupides se bousculent dansma tête : « Et si l'avion tombait? Et si jeme noyais en mer? Et si j'étais maladedans l'avion ? Et si je décidais de ne paspartir maintenant, d'attendre Nadia ? »

Impossible, papa se mettrait dans une

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colère terrible. Alors je passe sagementla douane et la police, en suivant mesdeux guides, je regarde filer ma valise surle tapis roulant et la vois disparaîtrederrière les petits rideaux de plastiquequi se referment avec un claquementdéfinitif. C'est parti, je me tords le coupour dire encore adieu à maman. J'auraisaimé qu'elle vienne aussi. Toute seuleavec ces deux hommes moustachus, auregard sombre, je me sens vulnérable.

Le terrain immense est devant nous,l'avion au bout de la piste, le vent collema jupe à fleurs sur mes jambes. Lesouffle un peu coupé, je me retourne pourtenter d'apercevoir encore maman, là-basderrière les vitres du terminal, mais je nepeux déjà plus distinguer les visages. Je

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mange mes cheveux à chaque rafale, legoût du shampooing de la veille me resteau coin des lèvres, mélange de vanille etde miel, qui sent les vacances.

Ce voyage sera formidable, super, nousn'avons cessé de nous en persuader avecNadia, depuis le début. J'ai simplementpeur de grimper dans ce grand aigleimmobile, qui attend le ventre ouvert dem'avaler tout entière. Plus j'avance et plusil grandit ! Jamais je n'aurais cru qu'unavion était si grand. Je n'en ai jamais vude près, seulement lorsqu'ils passent dansle ciel de Birmingham, comme desflèches brillantes avec leur queue devapeur blanche.

Mon cœur bat; «je pars en vacances, je

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pars en vacances », je n'arrête pas de merépéter la formule magique. Je pars poursix semaines de soleil, de mer, de liberté,de découvertes, avec des inconnus, dansun pays inconnu. Me voilà lancée dans lemonde pour la première fois.

La veille encore, papa disait en nousregardant sortir ma sœur et moi : - Nerentrez pas tard! Faites attention auxgarçons! Ne parlez pas aux inconnus dansla rue!

Il est toujours sévère et pointilleux surl'éducation de ses filles.

Hier encore j'étais à l'abri, chez nous,dans notre maison, notre quartier, notreville, avec papa et son autorité, maman etson petit sourire triste. Nadia et moi, nous

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avons fêté notre départ en vacances avecdes copains, et pour une fois, notre pèrene s'est pas montré trop exigeant enexplications. Plutôt gentil même. Alorsque d'habitude, dès que je veux sortirpour aller retrouver mon amie Lynette parexemple, ou simplement m'évader un peude la maison, il suspecte toujours quelquechose d'anormal. J'ai donc pris le parti deme sauver sans rien dire la plupart dutemps, en comptant sur maman pour lasuite. S'il savait que je fume, s'il savaitque j'ai un flirt... Quelle histoire! Jeprendrais sûrement une claque, et uneengueulade, à propos des mœursdissolues de la jeunesse anglaise.

Parfois je le déteste. J'ai quinze ans, j'enaurai seize cet été, et j'aimerais un peu

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plus de liberté, Nadia aussi. Les filles denotre âge à Birmingham sont bien pluslibres avec leurs parents.

En montant cette échelle derrière AbdulKhada, en me retournant encore une foispour voir le terminal, si loin maintenant,je repense à ma sœur, pour oublier cetavion.

Pauvre Nadia, cette stupide histoire desoi-disant vol à l'étalage l'empêche departir en même temps que moi. Elle a dûattendre l'autorisation de l'assistantesociale, une bonne femme à lunettes,chargée de la surveiller, et du coup lesdates de voyage ne pouvaient pluscorrespondre. La bonne femme est mêmevenue à la maison, pour se renseigner sur

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la raison de ces vacances à l'étranger.Maman lui a tout expliqué, les amis depapa, l'occasion de rencontrer nos frèreset soeurs, le soleil qui ne nous ferait pasde mal... Il est vrai qu'à Birmingham lesoleil nous oublie souvent.

A l'origine, seule Nadia aurait dû partir.

Ashia, notre petite sœur, et moi, étions unpeu jalouses. Pour Ashia c'était non, elleétait trop petite. Moi j'ai insisté.

D'abord dans l'intérêt de Nadia. Celam'ennuyait de la voir partir seule, elle n'ajamais été nulle part sans moi.

Ensuite pour le Yémen. Papa nous enparlait comme d'un pays superbe, ilvantait la beauté des paysages, les

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traversées du désert à dos de chameau,les maisons perchées sur les falaises etsurplombant la mer bleue, le sable doré,les palmiers, le soleil, les châteaux enhaut des dunes, les maisons colorées...

Nous imaginions ce pays comme cesdécors merveilleux que l'on voit dans lespublicités de sodas ou de barres dechocolat, un endroit de rêve. De plus, enlui annonçant ce voyage, papa avait dit àNadia :

- Tu pourras monter à cheval, à cru, etgaloper au soleil, dans la ferme de mesamis.

J'en rêvais. Comme je rêvais derencontrer mon frère et ma sœur pour lapremière fois. Ils sont partis là-bas un

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jour, bien avant ma naissance, à l'âge detrois et quatre ans, et papa a voulu qu'ilsrestent chez nos grands-parents. Mamann'était pas d'accord au début, je le sais,elle a même tenté de les faire revenir,mais n'a pas réussi, à cause de leurdouble nationalité, anglaise et yéménite.

Depuis quelques années, elle n'en parleplus, et personne n'évoque ce sujet à lamaison. Les aînés de la famille vivent auYémen, c'est ainsi. A Birmingham, noussommes cinq : moi, Nadia, Ashia, Tina etnotre petit frère Mo, le dernier de lafamille.

Je suppose que maman s'est résignée à lavolonté de papa, c'est lui l'homme, lemâle, le chef. Ils ne se sont jamais mariés

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pourtant, depuis toutes ces années, et tousces enfants. Mais nous nous appelons tousMuhsen, du nom de notre père.

Ainsi moi, Zana Muhsen, je porte un nomet un prénom yéménites, mais je suisanglaise par tous les pores de ma peau, ettous les recoins de mon cerveau.

Nadia est comme moi, et me ressemblesans me ressembler. C'est surtout unequestion de caractère. Je la sens plusfaible et plus naïve que moi.

Pour cette histoire de vol complètementbidon par exemple, je me serais battue detoutes mes forces, griffes et dents dehors.Elle a subi l'injustice. Alors qu'elle avaitjuste brandi un bracelet, en criant àmaman : « Tu me l'achètes ? », le vendeur

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a prétendu qu'elle l'avait pris à l'étalagepour le voler. Résultat : accusation, juge,tribunal et amende, plus la surveillancede cette assistante sociale. Et papa a trèsmal pris cette histoire, il ne nous a pasaccompagnées au tribunal, mais il n'acessé de s'en plaindre auprès de ses amisarabes. Il avait « honte » de voir traînerson nom dans la boue. Sa fille était «marquée »...

C'était une « sale voleuse », et il allaitnous remettre dans le droit chemin, nousenseigner la manière de se comportercomme de véritables femmes arabes!

D'après lui, nous étions en danger moral.

Interdiction de porter des minijupes,interdiction de fréquenter les Noirs et

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d'écouter de la musique de « nègre » !

J'y songe, ce vendeur était peut-êtreraciste, comme papa. Nous avons le teintbasané Nadia et moi, ainsi que maman,qui est déjà une métisse, née de pèrepakistanais et de mère anglaise. Celanous donne un côté « exotique ».

Souvent je demande à maman : - Maisqu'est-ce qu'il a contre les Noirs, papa ?

- Je ne sais pas, demande-le-lui...

Je n'ai jamais osé lui poser la question.

Simplement j'ai cru comprendre qu'auYémen les Noirs étaient des esclaves, etqu'il les considérerait toujours commetels, inférieurs.

Au café-restaurant de papa, lorsque nous

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aidons au service, pour les plats de friteset de poissons, il nous est permis deparler aux clients noirs, bien obligé !

Par contre, dès que nous sommes àl'extérieur, interdiction paternelle de leuradresser la parole... S'il savait que j'ai unpetit ami antillais!

Abdul Khada me fait signe de prendre unfauteuil

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entre

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une

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dame

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et lui.

Mohammed s'installe un peu plus loin.

Pour l'instant, je me ronge un ongle et jefumerais bien une cigarette, mais lesvoyants l'interdisent. L'angoisse dudécollage me reprend. L'angoisse del'inconnu également. Il paraît que nousallons voler pendant dix heures, jusqu'àune escale en Syrie. Puis nous changeronsd'avion, pour aller à Sanaa, la capitale duYémen du Nord. Ville légendaire,mystérieuse et superbe, paraît-il. De lànous gagnerons, je ne sais par quelmoyen, le village d'Abdul Khada.

Je me vois déjà étalée au soleil, les yeuxdans le ciel, les pieds dans la mer Rouge.

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Ce sera comme un fabuleux bain de sable,d'eau et de lumière. Nadia et moi, nousreviendrons dorées comme le mield'acacia, et réchauffées pour longtemps.A la rentrée j'aurai seize ans, je

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ferai

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mon

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apprentissage

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de

puéricultrice. J'adore les enfants. Nadiaretournera au collège pour quelque tempsencore.

Les réacteurs grondent, je croise lesdoigts pour conjurer le mauvais sort etentame une conversation nerveuse avecma voisine. Je dois parler vraiment trèsvite, car elle me rassure : - Ne craignezrien, tout ira bien, les réacteurs vont faireencore plus de bruit, ensuite l'avion varouler sur la piste, il décollera et nousdécouvrirons toute la ville d'en haut, vousallez voir, c'est magnifique lorsque le cielest clair.

J'ai les mains moites, les articulations de

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mes doigts blanchissent, à force de serrerles accoudoirs comme si j'allaism'effondrer à la seconde.

A cette minute j'ai un pressentiment, maissi vague que je ne parviens pas à ledéfinir. Ce doit être la peur du décollage.Après tout, c'est sûrement normal lapremière fois. Mais maman me manquedéjà. Terriblement. Je ne sais paspourquoi je repense à ce jour où, encourant dans la rue, je me suis faitrenverser par une voiture. J'avais cinqans environ. Je me revois voler en l'air,avec la sensation de traverser le temps ettous les âges du monde. La voiture m'aprojetée si haut que je suis retombée surle sol, la tête en avant et sur les genoux,dans la position d'un fœtus. J'ai entendu

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arriver l'ambulance, sans bouger, j'étaisseule, sur le macadam, avec masouffrance et ma peur.

C'est mon seul souvenir malheureuxjusqu'à présent. J'aime ma vie àBirmingham, j'aime ma famille, monavenir, mes amis, et Mackie. Et lamusique. Comme je ne suis pas près duhublot, la vision planétaire de Londresm'a échappée. Je quitte mon pays enfermant les yeux, jusqu'à ce que l'avion seremette à l'horizontale, et que lentement letremblement me quitte.

Abdul Khada ronfle déjà à mes côtés. Ilva ronfler dix heures durant, jusqu'enSyrie.

Une sensation de chaleur étouffante me

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prend à la gorge ; la poitrine oppressée,je descends l'escalier de l'avion, sanssavoir du tout où nous sommes. J'ai cruentendre,

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quelques

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minutes

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avant

l'atterrissage,

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que

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nous

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arrivions quelque part, mais sansparvenir à comprendre où exactement.D'ailleurs j'étais bien trop occupée àserrer les dents, pour poser la moindrequestion à Abdul Khada.

- D'où vient cette chaleur ? Ce sont lesréacteurs de l'avion?

Il éclate de rire.

- C'est le temps, c'est la températurenormale ici, tu n'es plus dans la vieille ethumide Angleterre!

Ma réflexion l'a beaucoup amusé, et il meregarde d'un petit air supérieur.

- Où sommes-nous ?

- En Syrie.

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« Qu'est-ce que je fais, moi Zana Muhsen,en Syrie ? Pourquoi ne suis-je pas restéeà Sparkbrook avec maman et Nadia ? »J'ai beau regarder autour de moi, je nevois rien d'anormal, tout le monde marchetranquillement sur la piste en directiondes bâtiments de l'aéroport, personne nesemble trouver quoi que ce soit debizarre. Excepté le fait que respirerdevient un exercice pénible. Le nez sedessèche, les poumons se rétractent, ons'épuise à chercher de l'air. Alors je medis : «

Bon, du calme, rien ne va de travers, tuvas en vacances, tu fais une escale enSyrie, tu voyages, en fait. Ce sont lessurprises du climat. Et Nadia va terejoindre bientôt. Inutile de s'affoler. »

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Je marche comme les autres, avec lesautres, pour effacer de mon esprit cetteenvie brutale de trouver une porte desortie, quelqu'un à qui dire : « S'il vousplaît, ramenez-moi à la maison. »

Il fait aussi chaud à l'intérieur qu'àl'extérieur, beaucoup

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de

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gens déambulent, traînant des valises etdes paquets, cherchant leur avion decorrespondance, comme nous. AbdulKhada se renseigne, en arabe, et metraduit : - Il faut attendre, il y a une sallelà-bas, l'avion ne sera pas là avant unmoment.

Un moment... je pensais que ce seraientquelques minutes, mais les minutesdéfilent, et se transforment en heures.

D'autres gens attendent comme nous, sedéplacent, s'allongent sur les banquettesde bois, ils semblent trouver tout celahabituel, normal, je les sens familiers dece genre d'attentes interminables. Ils n'ontpas mon impatience et ne souffrent pas decette chaleur torride. Je m'abreuve de

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Coca-Cola, je transpire et recommence.Chaque bouteille avalée repart

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en

eau,

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des

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rigoles

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de transpiration naissent inlassablementsous mon tee-shirt, la plante de mes piedscolle à l'intérieur de mes sandalettes decuir, je donnerais n'importe quoi pourprendre une douche fraîche.

Au bout d'une heure ou plus, je décide deme rendre aux toilettes pour me rafraîchir.Abdul Khada me désigne l'endroit - uneporte - et, en l'ouvrant, l'odeur

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me

saisit.

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Une

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odeur

épouvantable. C'est une petite pièce,bourrée de gens qui attendent, et lestoilettes sont visibles, de simples trousdans le sol, des immondices partout.

Suffoquée, je ressors aussitôt et meprécipite vers Abdul Khada pour luiexpliquer.

- Il y a sûrement un autre endroit pour lestouristes ? Des toilettes propres,normales ?

Il a encore ce rire, dents blanches sous lamoustache, comme si j'avais prononcéune stupidité.

- Ne fais pas tant d'histoires!

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Il doit me prendre pour une Anglaiseprétentieuse, mais comment faire pour serafraîchir dans un endroit aussi puant ?

J'en suis sortie si vite que je n'ai mêmepas eu le temps d'apercevoir un robinet.

Il n'y en avait sûrement pas d'ailleurs.

De l'eau. On dirait que l'eau n'existaitpas.

Je me rassieds, sans rien ajouter, sur lebanc de bois. Plutôt mourir que deretourner là-bas.

Le temps ne s'écoule pas, ici, il stagne.

Nous sommes arrivés en début d'après-midi. Maintenant le soir tombe, et la foulese réduit peu à peu, au fur et à mesure quedes avions illuminés attirent des groupes

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de gens comme des papillons de nuit.

L'aéroport s'étant vidé, les raresconversations résonnent comme dans uneéglise. Abdul Khada et Mohammed neparlent pas beaucoup, et je me sens deplus en plus déprimée. Nous sommes làdepuis sept heures, la nuit est tombéecomplètement, on ne voit au-dehors quequelques lumières rouges ou blanches, jesuis écœurée de Coca-Cola, sale,poussiéreuse et j'ai mal à la tête.

Enfin un homme vient nous faire signe dequitter la salle d'attente, et le petit groupes'ébranle. Je suis contente de faire enfinquelque chose, de bouger, de marcherdans la nuit tiède, mais ce que j'aperçoisdevant

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nous

n'est

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pas

réconfortant. Un petit avion, rien à voiravec le jumbo-jet qui nous a amenésjusqu'ici. Il a l'air si étroit, si fragile. Unpetit oiseau vulnérable.

Cette fois je prends place près du hublotqui surplombe l'aile. Malheureusementpour moi, car au moment du décollage,cette aile se met à trembler tellement queje crains de la voir se briser.

Le temps encore une fois s'arrête. Desheures interminables. Lorsqu'une voixnasille enfin dans le haut-parleur, il estcinq heures du matin et nous arrivons àSanaa. J'ai lu sur un prospectus anglaisqu'on appelait parfois cette ville « le toit

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de l'Arabie ».

Les soubresauts du petit avion ne me fontplus

peur, puisqu'on arrive. Je regarde le cielbleu et rose à travers le hublot. Enfinnous sommes arrivés au Yémen, enfin jevais pouvoir me rafraîchir, et revivre unpeu.

Sur la piste, l'air qui nous accueille estcomplètement différent de celui deDamas. Si léger, si pur qu'il étourdit etessouffle. Cela ajouté à la fatigue detoutes ces heures de voyage et d'attentesans sommeil et sans nourriture, je mesens complètement ivre.

- Il fait plus frais ici...

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Abdul Khada respire à pleins poumonsl'air de son pays et dit en souriant: -Sanaa est la ville la plus fraîche duYémen, mais il est encore tôt...

- Où allons-nous maintenant?

- A Taez dans le Sud, ce n'est pas loin demon village. Tu verras ma famille.

Cet aéroport que nous traversons, dansl'air léger est construit à l'extérieur de laville, dans le désert. Rien alentour.

Encore une sensation étrange que de sevoir marcher sur une piste de béton, avecce paysage autour de soi.

En arrivant au bâtiment des douanes, jeremarque que, dans la file, les voyageursm'observent avec ostentation. Du moins

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mes vêtements, pas mon visage. Je porteun tee-shirt de coton et une jupe à fleursqui recouvre mes genoux, je ne me trouverien de particulier, et pourtant les regardssont insistants. Surtout ceux des hommes,car les femmes sont peu nombreuses,elles portent le voile et la robe longue.Cette curiosité m'agace un peu.

- Qu'est-ce qu'ils ont à me regardercomme ça ? Toujours souriant, AbdulKhada me répond négligemment : - Net'en fais pas, il n'y a pas beaucoup defemmes habillées comme toi, par ici, ilsn'ont pas l'habitude. Mais dans les villes,il y a beaucoup de femmes modernes, etqui s'habillent bien pire que toi!

« Bien pire que moi ? Je m'habille donc

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mal, d'une manière indécente ? Vivementque l'on sorte de cet endroit, d'ailleursj'aimerais voir le désert. »

Ce désert est décevant, il n'a rien dupaysage romantique, ondulant, de dunesde sable, tel qu'on le voit dans les films,comme je l'espérais. Je n'aperçois quequelques maisons de pierre délabrées,qui semblent abandonnées, et devant nousdes sillons de routes accidentées.

Dix minutes plus tard, un taxi, une grandevoiture blanche, s'arrête devant nous pournous emmener. Il y a six places àl'intérieur. Abdul Khada, Mohammed etmoi nous installons à l'arrière. Ce doitêtre la mode ici d'emmener six personnesd'un coup dans un taxi. J'ai si faim, si

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soif, si sommeil, et je suis tellementdéçue de cette arrivée désertique, et duvoyage qui s'annonce, que je ne regardemême pas le paysage. Il paraît que nousdevons rouler quatre heures avantd'arriver à Taez.

Les deux hommes discutent en arabe avecle chauffeur, et je somnole, bercée par lescahots de la route, n'ayant ni envie deposer de questions, ni envie de me fairetraduire leur conversation. Rien nem'intéresse, je voudrais récupérer,dormir, dormir, et encore dormir, mais sipossible dans un bon lit, et après unedouche et un repas convenable. Voilàvingt-quatre heures que je n'ai pu ni melaver, ni manger, ni dormir...

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Taez enfin, et déception à nouveau. Toutme paraît minuscule, les rues étroites, lesmaisons sales, les boutiques qui setouchent les unes les autres, un fouillisinextricable, où l'on ne distingue, a priori,rien de précis ni de remarquable.

Le quartier que nous traversons est sale,poussiéreux, et sûrement très pauvre.

Les maisons blanches sont en béton, avecdes toits en terrasse, et des fenêtresminuscules, grillagées. Et la chaleur, cettemaudite chaleur étouffante à laquelle semêlent les odeurs, les relents d'animaux,les fumées de voitures et les épices.

La voiture est sans cesse ralentie par lafoule, qui ne semble guère lui prêter plusd'attention

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qu'à

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un

âne.

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Certains

conduisent des ânes et des chameaux,d'ailleurs, avec plus de précautions quenotre chauffeur sa voiture.

Je n'entends que vacarme, je ne respireque poussière, je ne vois que des détrituspartout, des fruits pourris, des restes denourriture, jetés çà et là dans la rue,écrasés par les roues des voitures et lespieds des passants.

Sur les cartes postales de mon père, lesmaisons traditionnelles, millénaires,paraissaient

superbes,

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avec

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leurs

couleurs, leurs sculptures de dentelleblanche. Ici, rien de tout cela, je ne voisqu'un amas de saletés, d'animaux et detaxis.

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Quelques

femmes,

habillées

à

l'occidentale, rares; toutes les autresvêtues selon la tradition arabe, voilecompris. En fait de modernisme, commedisait Abdul Khada, je ne suis pas loin dereprésenter le pire.

Au hasard d'un croisement de rues,j'aperçois enfin des maisons aux couleursétranges, beige, safran, qui accrochent lalumière, puis plus rien que des ruines, despierres amoncelées sur le sol.

Après la traversée du centre-ville, Abdul

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Khada m'informe en anglais que nousallons chez un ami à lui.

- Nous y resterons pour la nuit, tu asbesoin de sommeil, demain nousrepartirons pour le village.

- D'accord.

J'aurais accepté n'importe quoi, dumoment qu'il était question de s'arrêterquelque part, et de se laver.

La grosse voiture tourne avec difficultédans une rue si petite que la carrosseriefrôle quasiment les maisons, se frayant unchemin au milieu des passants. Jedistingue des portes de bois, des fenêtres

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curieusement

ornées

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de

décorations blanches, des murs de brique,ou de pierre, mais il m'est impossible devoir les étages supérieurs, car nousrasons les murs de trop près.

Abdul Khada et le chauffeur discutent enarabe, ils semblent chercher la maison.

Enfin nous nous arrêtons devant unegrande porte marron.

- On est arrivés... dit Abdul Khada, et àl'instant, la grande porte pivote surellemême, tandis que nous sortons du taxi,dans la chaleur et la poussière.

L'ami d'Abdul Khada porte un turbanrouge enroulé sur le crâne, une chemise etune sorte de jupe longue en coton uni,

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tombant jusqu'aux chevilles, la futa. Ilnous accueille sans me prêter beaucoupd'attention, et ne parle pas un motd'anglais.

Nous pénétrons dans un corridor de bétonau sol recouvert d'un linoléum à motifscolorés, puis dans un salon assez grand,où nous marchons sur des tapis, de beauxtapis aux dessins compliqués et aux tonsmultiples. Des nattes et des coussinsservent de sièges. Il me semble qu'AbdulKhada m'a dit que son ami était assezriche... Ce sont là les seules signes derichesse apparemment. Avec unetélévision dans un coin, et un ventilateurélectrique sur une table, qui rafraîchit unpeu l'atmosphère.

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Je suis tellement fatiguée, j'ai avalé tantde poussière, et tant transpiré, que j'ai lesnerfs tendus comme des élastiques, prêtsà craquer. L'homme discute un instantavec Abdul Khada et lui indique la sallede bains.

- Tu peux aller te doucher et te changer...

Zana.

Je pénètre dans une pièce assez grande,de style occidental, mais toujours ornéedu trou en guise de toilette. Peu m'importedu moment que je peux me laver. C'estune vraie douche, et, après avoir enfilédes vêtements frais, je me sens un peumieux. Dans le salon, les hommes se sontassis pour bavarder, et se lèvent tousensemble à mon arrivée.

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Abdul Khada me dit qu'ils vont sortirfaire des courses, afin que nous puissionsmanger. Aucun ne me propose de sortiravec eux, et ils me laissent seule dans cegrand salon.

Je me sens un peu perdue, assise sur uncoussin dans un coin de la pièce, maispresque aussitôt la porte s'ouvre et unefemme, suivie de deux filles, vients'installer à côté de moi. Je ne les ai pasvues en entrant, je suppose qu'il s'agit dela femme et des deux filles de notre hôte.

Ici, je l'apprendrai plus tard, les femmesne pénètrent jamais dans une piècelorsque les hommes s'y tiennent. Ellesdeviennent invisibles, attendant les ordrespour leur servir à manger ou préparer des

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boissons, ou présenter les jeunes enfantsmâles aux visiteurs.

Sur le moment, j'ai l'impression qu'ellesne sont entrées que pour m'observertranquillement. Elles ne parlent pas unmot d'anglais. J'aurais bien aimé discuteravec elles, poser des questions sur laville, sur le village où je dois aller, ladistance, mais je suis condamnée ausilence, et à un sourire de temps en temps.

Ma fatigue est si grande, cette solitude etcette impossibilité de communiquer sibizarres, que j'ai tout à coup la gorgeserrée. Affamée, si loin de chez moi,lasse à ne plus tenir mon dos droit, voilàque j'éclate en sanglots, comme si onm'avait abandonnée là pour l'éternité.

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Alors la femme vient vers moi etm'embrasse sur les joues, les deux fillesse rapprochent et tentent de me consoler,par gestes, avec des mimiques, leursregards me sourient, me plaignent, et jeme sens vraiment très bête d'avoir craquéainsi. Par gestes, moi aussi, je leur faiscomprendre que je voudrais un crayon etdu papier. L'une des filles sort et rapportece que j'ai demandé ; je la remercie d'unsourire, et refonds en larmes aussitôt.Impossible d'empêcher les pleurs decouler. Une véritable crise, silencieuse,tandis que je m'efforce de dessiner desobjets sur la feuille de papier, etd'inscrire le mot anglais, à côté.

Je ne sais pas pourquoi je fais cela. Aquoi sert de dessiner une bouteille, ou une

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maison, ou un avion, sur un bout depapier d'emballage, devant trois femmesarabes, au fin fond d'une maison de Sanaasur le toit de l'Arabie? Pourtant l'une desjeunes filles recopie tout ce que je fais,les dessins et les mots, maladroitement,

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mais

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avec

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bonne

volonté. Et plus je pleure, plus la mères'attriste, au point de se mettre à pleureravec moi. Si bien qu'au retour des troishommes, nous sommes toutes les deuxtransformées en fontaines de larmes.

Abdul Khada paraît surpris et inquiet.

- Qu'est-ce qu'il y a? Pourquoi pleures-tucomme ça?

- Je ne sais pas, demande plutôt à cettefemme pourquoi elle pleure!

Il interroge alors la mère en arabe, et metraduit :

- Elle pleure parce qu'elle est désoléepour toi, elle aurait bien voulu te parler,

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mais elle en est incapable.

Le regard de cette femme est plein decompassion, intense. C'est vrai, ellesemble éprouver pour moi une réellecommisération, comme s'il m'arrivaitquelque chose de grave. Sur le moment,je n'ai pas compris son attitude, mais elle« savait ». Elle aurait voulu me prévenirdu danger. Je lui en suis reconnaissante,mais il était déjà trop tardmalheureusement. Le piège était tendu,plus rien ne pouvait me sauver, en ce jourde juillet 1980, où je croyais encore auxvacances. Il n'y avait pas la moindre issuede secours. J'étais prise.

Et ne le savais pas. Elle croyait me voirpleurer sur mon sort, je ne pleurais que

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de fatigue et de faim, sans connaître mavéritable détresse.

Ils parlaient tous arabe autour de moi, ilsmangeaient avec leurs doigts des alimentsinconnus; j'ai cru reconnaître du pouletbouilli, des galettes de pain chaudes, desfruits; ils buvaient je ne sais quoi deblanc, un genre de lait caillé. Je pensaisvaguement à maman, à Nadia, àl'Angleterre, au restaurant où l'on devaitservir les frites et le poisson, la bièredans les bocks, à la musique, à mescopains... Tout cela me paraissait silointain déjà, j'étais vraiment perdue,toute seule sur le toit du monde arabe.

J'ai peu mangé, mon estomac était vide,mais ma fatigue bien trop grande pour que

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je

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puisse

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me

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rassasier convenablement. Je ne pensaisqu'à dormir. La femme m'a apporté undrap, je me suis allongée sur une natte, etj'ai plongé dans un sommeil lourd etprofond, les yeux brûlants de larmesséchées, comme une enfant lasse.

Un jour chasse l'autre. Au matin, unebonne odeur d'œufs et d'oignons meréveille, les pleurs de la veille sontoubliés, je me lève, me lave, et je mangeavec appétit, en bien meilleure forme. Jene pense plus qu'aux vacances. Nousdisons au revoir à la famille, et jedemande à Abdul Khada si nous pouvonsfaire une promenade en ville.

- Je voudrais acheter des souvenirs pourles rapporter à la maison.

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- Tu auras tout le temps de faire ça plustard. Aujourd'hui nous partons pour lescollines du Maqbana.

- Où est-ce?

- Dans le Sud.

- Qu'allons-nous faire là-bas?

- Voir le reste de ma famille, nous nousinstallerons chez moi.

- C'est loin?

- Le trajet est long et difficile, la routen'est pas bitumée partout, seulement audébut.

Tous ces noms, Maqbana, Taez, ne medisent rien du tout. Je n'ai jamais vu unecarte du Yémen, il n'y en avait pas à

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Birmingham. L'expérience de la veille mefait prendre des précautions.

J'emporte des fruits et des berlingots dejus d'orange, pour ne pas souffrir de faimou de soif.

Nous quittons la maison, fraîche et calme.Dès la porte franchie, la rue, la chaleur,le bruit, la poussière nous saisissent ànouveau de plein fouet. La chaleursurtout, comme une masse étouffante, quiassoiffé,

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et

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noue

l'estomac.

- Tu devrais envoyer quelques cartespostales chez toi et leur dire que tout vabien, que tu es bien arrivée. Je lesposterai en ville, elles arriveront plusvite en Angleterre.

Abdul Khada a raison, et je m'acquitteaussitôt de cette tâche. A maman, unecarte représentant Bab al Yaman, que jen'ai pas vu, dont j'ignore l'emplacement,mais c'est joli en couleurs. Une autre pourLynette, avec des maisons de briquerouge et des fenêtres blanches.

Abdul Khada me demande de faire vite,j'aperçois brièvement des boutiques de

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vêtements, de poteries, de légumes, desétalages de qat, ces feuilles que mâchentles Yéménites. Pas le temps de flâner,Abdul Khada empoche les cartes postalesoù j'ai écrit deux phrases rapides, deboutdans la rue.

- Comment va-t-on au village ? En taxicomme hier?

- En Land Rover, c'est la seule voiture quipeut rouler sur la route des collines.

Nous attendons, sous le soleil, l'arrivéede cette voiture qu'il a commandéespécialement pour la journée.

- Il n'y a pas d'autobus?

- Pas pour aller là-bas.

Là-bas... dans les collines du Maqbana,

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c'est tout ce que je dois savoir. AbdulKhada

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donne

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peu

d'informations

touristiques. Le soleil est à son zénith,quand nous grimpons enfin dans la LandRover. Le chauffeur, si j'ai bien compris,est le mari de la nièce d'Abdul Khada.

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Cet

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homme

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semble

être

apparenté à tous les gens que nousrencontrons.

Nous ne sommes pas les seuls voyageurs: douze passagers en comptant AbdulKhada, Mohammed, et moi. Et deuxfemmes seulement, assises à l'avant,entièrement voilées de noir. Elles sontprivilégiées, car nous nous entassons tousà l'arrière, en nous bousculant, et serréscomme des sardines.

Durant une heure environ, la route estrelativement plate et lisse. On me ditqu'elle a été construite par les Allemands.Le paysage alentour n'a rien de

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passionnant, des broussailles, de la terrearide et le soleil au-dessus. La seuledistraction ce sont les barrages routiers etles vérifications de papiers.

Tous les trente kilomètres ou presque dessoldats armés, des policiers arrêtent laLand Rover.

- Pourquoi font-ils ça aussi souvent?

Abdul Khada hausse les épaulesdistraitement.

- C'est pour vérifier le permis de voyager.

- On ne peut pas voyager sans permis?

- Non. Il y a des frontières pour chaquetribu. Avant il y avait beaucoup deguerres entre tribus, des gens qui setuaient; l'armée surveille, c'est la paix

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maintenant.

La paix, mais ils sont tous armés defusils, et ne cessent de tripoter lagâchette, comme s'ils étaient prêts à tirer.La plupart des hommes mâchonnent duqat, la drogue locale. Yeux noirs,moustaches, fusils, ils sont tout saufrassurants. Mais il y a tellement debarrages de ce genre que je finis parm'habituer; d'ailleurs les soldats nesemblent

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pas

s'intéresser

particulièrement à l'un ou l'autre d'entrenous. Ils regardent les papiers et fontsigne de rouler.

Au bout d'une heure, donc, nous quittonsla route, pour prendre un chemin qui mèneaux collines. Le paysage est toujoursaussi lassant, uniforme. Les villages sesuivent et se ressemblent.

Parfois quelques ruines, des pierreséboulées sur le sol craquelé de chaleur.

Le décor est inhospitalier, je n'aperçoisde-ci de-là que quelques silhouettesfurtives. De temps en temps dans le désertrocailleux, un enfant maigre, et quelques

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moutons, ou une vache. Je me demande ceque ces animaux trouvent à manger, à partles quelques broussailles desséchées. Aupassage de la Land Rover, des poulets,occupés à picorer dans les débris devieux bâtiments écroulés, s'éparpillent enpiaillant. Des meutes de chiens efflanquésfouillent les poubelles devant lesmaisons, dévorés de puces, se grattantcomme des hystériques.

Quelquefois, lorsque la Land Rovertraverse de petits villages, nous croisonsdes femmes voilées, portant des jarres oudes bidons d'eau sur la tête. Là, lespectacle est moins sinistre. Les hommessont assis devant les maisons etbavardent, et dès que la voiture ralentitdevant eux, ils cessent de parler et

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dévisagent les passagers. Je dois attirerparticulièrement leur attention, car leursregards me fixent intensément. Le tempsque descendent quelques voyageurs, leursyeux ne me quittent pas d'une seconde,

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comme

fascinés

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et réprobateurs.

Parfois des hommes interpellent AbdulKhada, sans cesser de mâcher leur qat etde cracher des jets de salive. Je supposequ'on lui souhaite la bienvenue au pays,puisqu'il était parti depuis quatre ans. Etje suppose également qu'ils parlent demoi. Comme je ne comprends pas, je mecontente de sourire et de saluer polimentde la tête, pour regarder aussitôt ailleurs.

« Sois polie et respectueuse », arecommandé mon père. Je le suis, autantqu'il m'est possible.

Les maisons se ressemblent toutes,mêmes toits plats, mêmes murs d'unecouleur bizarre, marron sale, et pour

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cause! Le matériau employé, m'expliqueAbdul Khada, est essentiellement de labouse de vache séchée, appliquée sur lapierre. On les dirait vieilles de centainesd'années,

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avec

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leurs

minuscules fenêtres closes par des volets,pour les protéger du soleil. Ni verdure, nijardin, des ruelles en nuages enpoussière.

Le temps s'écoule, le temps n'a pas deréalité sur ce. chemin de terre et derocailles. Il semble que nous allons aubout du monde.

Enfin nous parvenons dans l'après-midi àce qui me paraît une véritable oasis.

Nous avons roulé quelque temps non loind'une rivière verdoyante, des champs derécolte ont surgi, des arbres fruitiers. Levillage semble prospère.

- Où sommes-nous?

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- Le village s'appelle Risean. Nous allonsnous arrêter pour boire.

Ici tout est différent, et agréable. Deschamps de pommes de terre, des carottes,des oignons, des salades, des choux,

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des

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plantations d'épices odorantes etinconnues. J'aperçois même quelquesceps e vigne, mais surtout des arbresfruitiers en quantité. Un véritable verger.Amandes, noix, pêches, abricots, poires,citrons, et d'autres que je n'ai jamais vus.J'apprends que ces fruits bizarres sont desgrenades. Le lieu me plaît, c'est un petitparadis. J'espère que le village d'AbdulKhada ressemble à cela.

J'aimerais

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bien

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passer

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des

vacances dans un endroit aussi ravissant,et aussi propre.

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Dans

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les

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autres

villages,

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nous

n'apercevions que difficilement les gens;ici tout le monde est dehors du soleil, toutle monde travaille. Les paysans sont noirset habitent dans de petites maisons depaille, des huttes, dont la pauvreté estfrappante au milieu de cette verdure, deces champs soigneusement cultivés.

J'aimerais poser beaucoup de questions àleur sujet, mais Abdul Khada ne consent àme donner qu'une seule information, ils senomment Akh-dam, et ce sont desesclaves.

Nous buvons un jus de fruits rouge etdélicieux, puis Abdul Khada fait signe deremonter dans la Land Rover.

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Abdul Khada paraît très content, il me diten souriant.

- Tu aimeras mon village...

- Oui, sûrement.

J'ai hâte de rencontrer d'autres gens, defaire connaissance, de vivre l'aventuredes vacances.

- Nous avons de très beaux pommiers, etdes orangers aussi.

- Ça a l'air super.

Le chagrin de la veille s'est bien envolé.

Je me replonge dans la contemplation dupaysage, en attendant d'arriver chezAbdul Khada. J'imagine un villagecomme celui que nous venons de quitter.

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Mais voilà que le décor change ànouveau. Un désert aride nous accueille,éclaté de soleil, identique au précédent,morne et sans vie. J'attends la prochaineoasis avec impatience.

Il n'y en aura pas. Nous avançons dans lescollines; la route, le sentier plutôt,devient abrupte, et le conducteur de laLand Rover passe en première pourgrimper le long d'une paroi presqueverticale, heurtant des pierres et deséboulis de rochers à chaque tour de roue.Je suis secouée, ballottée, comme le restedes passagers. Soudain la voiture s'arrête,au milieu de nulle part.

Abdul Khada dit simplement : - C'est làque nous descendons.

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Mohammed descend, je descends, il salueles voyageurs, la Land Rover fait demi-tour dans un nuage de poussière,.

et nous restons là sur le bas-côté, avecnos valises.

Je regarde autour de moi : rien, aucunemaison, pas une âme. Des collines nues àperte de vue, quelques buissonséparpillés, comme des touffes de cheveuxmalades.

- Où habitez-vous, Abdul?

Il pointe le doigt en direction d'unecolline derrière nous. '- Là-haut.

Abdul Khada sourit jusqu'aux oreilles,prend ma valise et nous commençons àgrimper, lentement, un sentier rocailleux

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et à pic. En direction d'où ? Vers quoi ?

Je commence à cauchemarder denouveau. N'avoir jamais fait ce voyage,n'être jamais partie, ni montée dans cesmaudits avions. Mes sandales dérapent etglissent de mes pieds à chaque pierre; j'aichaud, soif, et me sens sale à nouveau.Alors que nous atteignons enfin le sommetde la colline, un village s'étend devantnous, et j'ai un soupir de soulagement. Iln'est pas aussi beau que le précédent,mais je vais pouvoir me laver. C'est uneobsession depuis deux jours. Poussière,chaleur, saleté, je ne songe qu'à me jetersous une douche.

Le spectacle de ce village est curieux.

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Les

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maisons

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toutes

semblables,

accrochées à la colline, d'autres collinesalentour, des broussailles encore ettoujours, quelques rares arbres. Tout celasemble suspendu entre ciel et terre et,d'en bas, au premier

regard, on ne voit qu'une montagne depoussière blanche, et ces maisonsfantomatiques.

En espérant qu'Abdul Khada va medésigner la maison la plus proche denous, je demande poliment : - Quelle estvotre maison?

- Celle-là, là-haut!

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Il indique de son bras tendu une maisontoute seule, au-delà du village, au sommetde la colline la plus élevée.

Des oiseaux de proie dessinent descercles tout autour, on dirait le repaired'un ours. Pour y accéder, il faut, si j'encrois mes yeux, grimper au flanc de ceprécipice abrupt, par des marchescreusées dans le rocher.

Je reste un instant à reprendre mon souffleet à contempler cette maison, stupéfiéepar son isolement. Elle surplombe tout levillage et domine cet univers sec, vide etsauvage. Vue d'en bas, elle paraît grande,mais pas du tout accueillante, niconfortable. Comment peut-on habiter là-haut, à longueur d'année ou de vie?

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Nous avançons sur le sentier, en directiond'une première maison, dont Abdul

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Khada m'explique qu'elle

appartient à son frère Abdul Noor. Unepetite construction de plain-pied, uneporte unique et deux fenêtres, situéeexactement à l'aplomb de la maisond'Abdul Khada, en dessous, de tellemanière que quelqu'un se tenant sur le toitde la maison d'en bas pourraitparfaitement discuter avec quelqu'und'autre au-dessus. A condition de crierbien entendu. Mais cette maison estminuscule, j'imagine mal qui peut vivre àl'intérieur, et comment.

Nous la dépassons, et Abdul Khada meguide au bord de l'à-pic.

- Jamais je ne pourrai escalader ça!

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- Mais si, tu peux... regarde le sentier.

Un sentier ça ? Il est quasiment inexistant,et je ne vois même pas où il mène. Aubout de quelques pas difficiles, uneminuscule piste de chèvre apparaît lelong de la paroi, et j'entamecourageusement l'escalade

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en

m'efforçant de ne pas regarder les éboulisde

pierres en dessous. Nous sommes à peineà mi-chemin, et les cailloux s'effritentsous mes pas, mes sandales dérapent, etje tombe douloureusement à genoux aumilieu d'une avalanche de pierres. Jepousse un tel cri qu'Abdul Khadam'empoigne par une main et me hisse enme tirant comme un poids mort.

Il nous faut une demi-heure pour parvenirau sommet de ce maudit rocher, où sejuche cette maudite maison. Je suis ensueur, trempée complètement, mes genouxsaignent, mes mains saignent, chacun de

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mes muscles est crispé. Les deuxhommes, eux, ont l'air habitués. Un rapidecoup d'œil en bas me donne le vertige.Quand je pense qu'il faudra redescendre...

Perchée tout en haut, comme sur lesommet du monde, cette maison fait face àun paysage aride et désolé. Sur desdizaines de kilomètres et aussi loin queporte mon regard, on ne voit que descollines, des montagnes, rien de vivant àl'horizon. C'est une île minuscule flottantdans le ciel. Flottant dans le silence ducrépuscule. Le soleil disparaît derrièreles montagnes lointaines, entraînant aveclui de légers nuages violets, et je restequelques instants, le souffle coupé devantce spectacle.

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« Comment suis-je arrivée là ? Par quellesorte de chemin ? » Je n'ai aucun repère,j'ignore où est le dernier villagerencontré, je ne sais plus d'où nousvenons. Perdue. Et ce silence... Pas unevoix humaine, pas un cri d'animal.

La nuit va tomber, et je suis moi aussi uneîle en suspension dans ce ciel étrange. Jesuis partagée entre deux sensations. «Suis-je un fantôme dans un paysagefantôme?... Non, je suis Zana Muhsen, jevoyage à l'étranger, ce décor est réel, jen'ai pas peur. Tout est normal, simplementinconnu. »

Abdul Khada et Mohammed passentdevant moi, et des voix humaines lesaccueillent. Le silence est rompu. Je

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découvre la famille.

Voici les parents d'Abdul Khada. Lagrand-mère

Saeeda, toute petite, l'échiné courbée, latête grise, et maigre comme une enfant.

Et le grand-père aveugle, Saala Saef. Unhomme impressionnant, très grand,extrêmement mince, un visage commetaillé dans du vieux bois, creusé de deuxyeux blancs, morts, et couronné decheveux également blancs. Puis AbdulKhada veut me présenter sa femme, Ward,mais déjà Mohammed me montre sapropre famille, sa femme Bakela, et sesdeux petites filles Shiffa et Tamanay, quiont environ huit et cinq ans.

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Je souris en inclinant la tête, en attendantde comprendre ce qu'ils disent. AbdulKhada ne prend pas la peine de metraduire, mais ils semblent contents de mevoir, très accueillants, je suis une invitéed'honneur.

Les trois femmes et les petites fillesportent des vêtements traditionnels,semblables à ceux que j'ai vus dans lesautres villages. Des robes de coton detoutes les couleurs, recouvrant despantalons bouffants de coton uniagrémentés d'une bordure chamarrée, etdes claquettes aux pieds. Des foulardsbariolés recouvrent leurs chevelures. Onm'a dit que la règle, stricte pour lesfemmes, consiste à ne pas montrer sescheveux à l'extérieur, dans la rue par

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exemple, ou en allant faire des courses.

Au cas où elles rencontreraient d'autreshommes, tout doit être caché par un grandfoulard noir. Chez elles à la maison, oudevant leurs portes, elles ont le droit delaisser pendre leurs nattes, de montrerune frange de cheveux.

A chaque coin de la maison, j'entends lepetit bruit des claquettes que tout lemonde porte aux pieds. Le genre desandales en plastique fabriquées à HongKong, que l'on voit parfois en Angleterre,aux pieds des estivants. Le grand-père estle seul à porter des chaussurestraditionnelles, semelles de bois solides,ornées d'une lanière de cuir, nouée sur ledessus.

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La maison d'Abdul Khada, très à l'écartdes autres, est aussi bien plus grande.

Une large porte principale, peinte en gris,donne accès à l'intérieur, où l'on buteaussitôt sur un escalier de bois menant aupremier étage.

Pénétrer dans cette maison, c'est pénétrerdans une cave. Il fait si sombre qu'il mefaut quelques minutes avant de pouvoirdistinguer les choses. Des poulets courentpartout entre nos jambes, et l'on entend,derrière la porte d'une écurie, despiétinements d'animaux. On sent l'odeuraussi.

Nous gravissons des marches de pierre,vers l'étage du dessus, où vit la famille.

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Les murs, les sols, de pierre également,sont recouverts d'une sorte de plâtre quisent la bouse de vache et a la consistancedu sable durci. Toute la maison sentl'étable. En haut de l'escalier, nousentrons dans une sorte de petit vestibule,nu, si l'on excepte quelques coussinsempilés dans un coin.

Toutes les pièces donnent sur ce lieu devie principal. Des portes de bois épais,très étroites et munies de solides verrous,donnent accès aux chambres.

Pour y pénétrer, il faut se placer de profil.

Ward, l'épouse d'Abdul Khada, meconduit vers ma chambre. C'est unefemme sans beauté, du même âge que sonmari. Le teint olivâtre, les cheveux

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châtains, à la fois ridée et bouffie, elleobserve les gens de ses petits yeuxmalins, agitant ses mains usées, où tintentdes bracelets d'or. La profusion de

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bijoux

qu'elle

étale

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ne

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fait

qu'accentuer l'impression que cette femmeest vieille avant l'âge. Les bouclesd'oreilles, or sur peau flasque, les bagues,or sur doigts déformés, sont ici lesymbole de la mère de famille, lareconnaissance

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de

l'homme

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pour

l'esclavage consenti au foyer.

Je me glisse à l'intérieur de la pièceminuscule, le sol est recouvert d'unlinoléum, et je crois comprendre que c'estun luxe qui n'existe que dans cettechambre.

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Cinq

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petites fenêtres

minuscules et étroites - deux sur un mur,trois sur un autre - fournissent une petitebrise et un peu de lumière du dehors. Acette heure-ci, on ne distingue rien que lenoir des collines dans les deux directions.Une lampe à huile éclaire le plafond etrépand une odeur de fumée.

Un poste de télévision dans un coin,anachronique; on a dû l'allumer pour monarrivée, l'image est en noir et blanc, pastrès nette, et le son grésillant. J'ai beautourner le bouton dans tous les sens, il n'ya que des chaînes arabes, impossible decomprendre. Abdul Khada me ditfièrement : - Je l'ai acheté pour toi, pourque tu ne t'ennuies pas.

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C'est gentil de sa part, mais je ne vois pasce que je peux faire de cet instrument.D'ailleurs je n'ai pas l'intention de passermes vacances enfermée dans cette pièce.Je serai dehors toute la journée et à l'airfrais.

Cette odeur persistante de fumier,d'étable, de bouse séchée sur les murs, jene pense pas que je pourrai m'y habituer.

L'unique meuble de la pièce est unsommier de métal, sur lequel reposent unmatelas, extrêmement mince,

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de

l'épaisseur d'un pouce, un oreiller et unecouverture. Le long d'un mur, une sorte deplateforme un peu surélevée, faite dumême mélange de sable et de bouse devache. Cela sert de banquette, de chaise,un endroit où s'asseoir lorsqu'on n'est pasdans le lit. J'ai remarqué le même àl'extérieur de la maison, en arrivant. Lesdeux vieillards, le père aveugle et lamère d'Abdul Khada, s'y tenaient assis,sur un petit matelas identique au mien.

Ce doit être leur lieu de repos dans lajournée pour prendre le soleil et regarderle paysage. On respecte les aînés dans cepays, ils ont construit la famille, et tout lemonde prend soin d'eux.

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Une autre chambre est réservée àMohammed, sa femme et leurs deuxenfants qui dorment par terre, étant donnél'exiguïté de la pièce. La même pour lesgrands-parents, et une autre étroite etlongue pour Abdul Khada et sa femmeWard. Nous terminons la visite de lamaison en empruntant une cage d'escaliermenant au toit où la famille passe le plusclair de son temps.

Dans un recoin de la cage d'escalier, uneminuscule cuisine, noire de fumée, avecune cuisinière à bois et un petit réchaud àhuile. Abdul Khada m'explique que lacuisinière sert à faire les chapatis, sortede galettes qui sont la base de lanourriture yéménite. Près de la cuisine, lasalle de bains. Je la découvre au moment

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où je demande discrètement à AbdulKhada de me montrer les toilettes. Il medésigne alors un minuscule encadrementde porte dans le mur de la cuisine, etl'ouvre.

Il faut se baisser pour entrer. A l'intérieur,l'obscurité est complète, excepté un rondde lumière pâle provenant d'un trou dansle sol de ce recoin

sinistre.

L'installation

rudimentaire me surprend tout de même.

Mais à quoi est-ce que je m'attendais ?

Ici les toilettes donnent sur le vide. Leplafond est si bas que l'on peut sedéplacer le dos courbé uniquement, les

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gestes étant limités par les quatre murs.

Une cuvette remplie d'eau sert de lavabo,il est impossible de l'utiliser autrementqu'en s'accroupissant au-dessus du trou.Et tout ce qui tombe dans ce trou coule lelong des pierres de la maison, pour allerse répandre dans les buissons d'épineux.Le soleil se charge du reste...

Utiliser cet endroit m'embarrasse, et plustard, je me résignerai à y aller la nuit,lorsque personne n'est à côté dans lacuisine. S'il m'est nécessaire de m'yrendre dans la journée, je prends laprécaution de monter sur le toit et dem'assurer que personne ne se tientalentour. On a toujours l'impression d'êtrevue.

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Pour faire sa toilette, c'est tout aussicompliqué. Il faut utiliser une autrecuvette d'eau, froide bien entendu, et il n'ya pas de savon. J'ai heureusement apportéle mien d'Angleterre.

Ce soir-là je ne me suis pas demandéd'où pouvait bien venir cette eau.

Pourtant il n'y avait pas de robinet, pasd'eau courante. Je m'en suis servie sansréfléchir, comme si j'étais en Angleterre;j'avais besoin de me rafraîchir après celong périple dans le désert et lesmontagnes. Les jours suivants, je me suisrendu compte du travail infernal quedemandait l'usage de cette eau.

Je n'ai pas faim. Tout est si bizarre. Je mesens intimidée, gênée. Il me faut du temps

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pour reprendre mes esprits et réfléchir àla suite du voyage. Je m'assieds sur le solde linoléum dans «

ma » chambre, et me contente de regarderla famille assise en rond autour de lanourriture, dans le vestibule. C'est unescène insolite. Chacun s'est installé sur uncoussin, des lampes à huile les éclairent,ils mangent des chapatis émiettés dans dulait, et contenus dans un grand bol uniqueplacé au milieu de la pièce, à même lesol. Ils ramassent cette mixture avec leursmains, en font une boulette et la dégustentau-dessus d'un bol individuel plus petit.

Leurs gestes sont habiles, je les observeavec curiosité. La nourriture en vrac dansle creux d'une main, secouée légèrement

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en tournant, devient cette boulette que lepouce projette dans la bouche. Et onrecommence...

Ils parlent tous, rient beaucoup, et touteseule dans mon coin, je me dis que jamaisje ne parviendrai à manger de la sorte.Mais je suis fascinée par ce spectacle,incapable de comprendre le moindre mot,témoin muet. Ainsi me voilà au milieud'une famille yéménite, en plein repas dusoir. Cette scène va s'imprimer dans monsouvenir, comme une photographie devacances. Je suis impatiente de racontercela à mes amies.

Ils boivent de l'eau. Tout à l'heure on m'aoffert ce qu'ils appellent le Vimto, unesorte de sirop de cassis concentré,

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mélangé à de l'eau, que l'on achète icispécialement pour les fêtes. Et la fête cesoir, c'est le retour des hommes, le père etle fils, ainsi que mon arrivée. Moi Zana

Muhsen,

l'invitée

d'honneur,

amenée jusqu'ici par le maître de maison,Abdul Khada, dont l'absence a été silongue qu'ils le pressent d'une foule dequestions; il est le centre de l'attention, ilfait à lui seul l'essentiel de la

conversation,

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chacun

l'écoute

respectueusement. Il a retiré son costumede voyage et revêtu un pantalon de toile,ainsi qu'une chemise sans col. Je leregarde, son nez busqué, ses yeux trèsnoirs, sa bouche dissimulée par unemoustache hirsute, les hommes ici seressemblent énormément. Les frères d'unemême tribu.

Au fond c'est une chance d'être ici, peud'étrangers voyagent au Yémen. Je mesens acceptée, je vais tout connaîtred'eux, de leur vie, de leurs coutumes, etpouvoir raconter énormément de choses àmon retour en Angleterre.

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Le grand-père est impressionnant avecson regard fixe d'un bleu mort. Bakela luiprépare des boulettes qu'elle lui glissedans la bouche comme à un enfant.

Elle est belle et la jeunesse de sonvisage, près de celui du vieillard, estlumineuse. Le teint pâle resplendit,encadré de volutes de cheveux noirs,lustrés, bouclés. Elle surveille chaquebouchée attentivement, en fronçant d'épaissourcils qui se rejoignent sur le front. Levieillard parle peu, il ouvre la bouche àchaque boulette, la referme, comme unautomate.

Ils vont maintenant se coucher, et je peuxme glisser dans la salle de bains pour yfaire une toilette de fortune à l'abri des

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écoutes indiscrètes. Puis je regagne machambre, à tâtons, et m'installe sur le lit,épuisée. Il est dur et très inconfortable, etmalgré mes efforts, je me sens encoresale. De plus, la faim qui me faisaitdéfaut tout à l'heure me creuse à présentl'estomac.

« Qu'est-ce que je fais là ? Sur ce lit durcomme un caillou, dans cette chambre quisent la bouse de vache... Ce n'est qu'uneaventure, je ne resterai pas dans ces lieuxbizarres très longtemps. »

Le sommeil m'a prise d'un coup commeun assommoir. Je n'ai même pas rêvécette nuit-là.

Je suis réveillée par le chant du coq.

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L'aube filtre à travers les petites fenêtres.Le temps de réaliser où je me trouve, etje saute sur mes pieds pour regarder

dehors.

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Les

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montagnes

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environnantes

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ont

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une

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allure

impressionnante, dramatique. Dans lalumière de ce lever du jour, elles sedécoupent sur le ciel comme des géantsmenaçants. Accrochée à la minusculeouverture qui donne sur le vide, j'ail'impression d'être encore dans l'avion.

J'entends des piétinements derrière maporte et des bruits d'eau; une odeur defriture se répand dans la maison. Lesfemmes m'accueillent en inclinant la tête,sans cesser de parler entre elles. Le petitdéjeuner se compose de chapatis. En faitce sont des sortes de crêpes, à base defarine, d'eau et de beurre, que l'on mangeà peine sorties du four à bois.

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L'odeur est douceâtre, agréable, le goûtsucré, mais il faut les manger très viteavant qu'elles ne durcissent, et ne setransforment en petites galettes de pierre.Il y a aussi du thé noir et sucré que Ward,la femme d'Abdul Khada, verse dans ungrand récipient. On m'offre du lait que lemaître de maison a fait acheterspécialement à l'épicerie du village, pourme faire plaisir, puisque les Anglaisboivent le thé avec du lait.

J'en remercie poliment Abdul Khada.

Bien que l'atmosphère de cette maisonsoit étrange, et ses habitants aussi, jereconnais qu'ils

font tout ce qu'ils peuvent pour m'êtreagréables. Il serait déplacé d'avoir l'air

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impatient, et de demander quand jepourrai enfin voir mon frère Ahmed et masœur Leilah. J'en meurs d'envie pourtant.Je ne les ai jamais vus, ils ne parlent pasla même langue que moi, mais ilsreprésentent une partie de ma famille, etje suis curieuse de les rencontrer enfin. ABirmingham, je ne me posais pas laquestion. Pour être franche, j'avais mêmeoublié leur existence, et comme mamann'en parlait plus, ils n'étaient pas unepréoccupation du tout, pour Nadia et moi.

En attendant qu'Abdul Khada me dise ceque nous allons faire, je joue devant lamaison avec les enfants. Le jeu consiste àapprendre des mots d'arabe. Caillou,main, tête, maison, etc. Les deux petitesfilles,

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Shiffa

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et

Tamanay,

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sont

attendrissantes et pleines de vie. Shiffa ahuit ans, sa sœur cadette quatre ans, etelles se ressemblent comme deuxpoupées. Mêmes cheveux longs, raides etnoirs dans le dos, ornés d'un petit foulardbariolé. Même regard brun sombre maislumineux de gaieté. Deux enfantsravissantes, avec lesquelles j'ai plaisir àjouer. Mais les heures passent, la journées'écoule, puis une autre nuit, sansqu'Abdul Khada me parle de voyage. Ilest descendu au village, sans me proposerde venir avec lui, et n'a réapparu que lesoir. Le grand-père est resté toute lajournée sur le banc devant la maison, ausoleil, aveugle et silencieux, écoutant les

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rires des enfants.

Les femmes ont passé le plus clair de leurtemps à charrier de l'eau, et à cuire deschapatis. J'ai usé de ruses de Sioux pourme rendre dans le placard des toilettes,sans que personne ne le remarque. Lesoir, j'ai fait un effort pour manger commeles autres, et ma-maladresse a fait sourireAbdul Khada.

Il s'est rendu compte de ma difficulté àm'asseoir par terre et à me servir de mesmains. Si bien que le lendemain, il s'estrésolu à m'apporter à manger dans machambre, j'ai eu droit à une assiette, unefourchette

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et

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la

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nourriture

spécialement cuisinée pour moi. Il acompris également que je m'ennuyais.

- Tu veux venir au village, voir lesboutiques? Je t'emmène cet après-midi.

Bonne nouvelle! Abdul Khada vam'acheter des cigarettes. Non que je soisune grande fumeuse (en Angleterre, jefume surtout en cachette, une ou deux foispar jour, plus par défi que par besoin),mais je m'ennuie et mon dernier paquetest épuisé. Les femmes ne fument pas ici,elles n'en ont pas l'autorisation d'après ceque j'ai cru comprendre, mais AbdulKhada ne me considère pas comme elles,je suis anglaise, il me traite comme son

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égale.

Si j'avais pu deviner... Si j'avais su quetout cela n'était que comédie, que cettemaison, cette famille étaient le pire despièges... Mais rien, absolument rien, nepouvait m'inquiéter alors. Il se montretout à fait gentil et prévenant. Je suisl'invitée, celle à qui l'on consacre dutemps, à qui l'on fait visiter les environs.

Il y a deux chemins pour gagner le villageen contrebas. La distance à parcourir estla même, la seule différence est que lesfemmes seules n'ont pas le droit dechoisir leur itinéraire. Avec un homme,elles peuvent emprunter le sentier visible,croiser d'autres gens; seules, elles passentderrière la maison. Coutume.

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Le village comporte une centaine demaisons, très proches les unes des autres,celle d'Abdul Khada est la seule à l'écart.A notre passage beaucoup de gens lesaluent, il est connu et semble apparentéd'une manière ou d'une autre à tous leshommes que nous rencontrons.

La plupart de ceux qui s'arrêtent pour luiparler ont le même âge que lui et onttravaillé en Angleterre autrefois. Ilsconnaissent suffisamment ma langue pourme demander poliment si j'aime leYémen, si je suis contente d'être ici, deschoses tout à fait banales.

Les boutiques du village, au nombre detrois, ressemblent plutôt à des cabanes.

Un grand rideau métallique leur sert de

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porte d'entrée, ni vitrine, ni étalage. Lesétagères sont presque vides, accrochéesde guingois sur les murs recouverts ici dechaux blanche. On y voit peu à l'intérieur,malgré les

lampes à huile suspendues au plafond. Il ya le marchand de tissu, l'épicier et unesorte de bazar, où l'on peut acheter duCoca-Cola,

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des

cigarettes.

L'approvisionnement est restreint, lesconserves peu nombreuses. Tout cela meparaît plutôt sale et pauvre.

Toutes les maisons se ressemblent : deuxétages, et l'écurie au rez-de-chaussée.L'odeur des animaux, brebis, vaches,

moutons,

poulets,

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est

omniprésente. La chaleur la rend parfoisinsoutenable, pour l'Anglaise que je suis.Munie de mes cigarettes, j'ai bientôt faitle tour de ces rues encombrées de détritusde toutes sortes.

Ici les gens n'ont aucun endroit pour sedébarrasser des ordures et les jettent toutsimplement devant chez eux ou bien lesbrûlent de temps en temps.

Je n'aperçois aucun touriste, je suis laseule étrangère, il n'y a aucune ligne detéléphone, pas d'électricité, et le premierbourg important, et un peu moderne, setrouve à deux heures de route vers le sud,non loin de la frontière entre les deux

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Yémen. C'est la ville de Taez où je suisallée le premier jour.

J'ai beaucoup de mal à me situer ici, nousdevons être environ à deux centskilomètres de Sanaa, la capitale, peut-

être plus, mais la route était sicompliquée et tortueuse, que j'ai eu lesentiment de faire un millier dekilomètres.

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Aucune

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carte

routière

existante, pas de cartes postales duvillage, et, de toute façon, pas de poste envue. Si je veux écrire depuis le village, jedevrai donner mon courrier à AbdulKhada, qui le confiera à quelqu'un, lequelle remettra au premier villageois qui serendra à Taez. Nous sommes vraiment aubout du monde, mais tout compte faitl'aventure me plaît pour l'instant.

Abdul Khada prend son temps pourdonner de ses nouvelles aux hommes quil'interpellent. On lui demande commentva sa famille en Angleterre, que je neconnais pas. Dans quelle sorte d'usine il a

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travaillé. On lui demande égalementcomment marche son restaurant à Hays.

Il est donc propriétaire d'un restaurant, jel'ignorais. Comme j'ignore où se trouvecette ville de Hays dont ils parlent.Personne

ne s'étonne de ma présence à ses côtés,mon père est un ami à lui, c'est suffisant.

En fait Abdul Khada n'est ni riche, nipuissant, dans ce village, c'est un hommequi ne me semble ni prétentieux, niautoritaire,

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un

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citoyen ordinaire,

appartenant à la classe moyenne, vivantcomme les autres villageois, dans lemême genre de maison, avec sa familletribu, dont il a la charge financière.

Cette première promenade au village s'estbien passée, et sur le chemin du retour, jediscute agréablement avec mon guide : -Où se trouve cette ville, Hays?

- Près de la route principale qui mène àSanaa. Mon fils m'a aidé à l'ouvrir.

- Mohammed?

- Non. Mon fils cadet Abdullah. Je t'aimontré sa photo hier.

- Ah oui.

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En réalité, je n'ai pas fait très attention.

Je sais vaguement qu'Abdul Khada a unautre fils, j'ai vu passer une photo, maisn'en ai aucun souvenir précis.

De retour à la maison, nous nous asseyonssur le banc dehors, en compagnie desgrands-parents et des deux petites filles.Le soleil commence à tomber; de toutefaçon il fait meilleur dehors qu'àl'intérieur. Les odeurs, la promiscuité, lesmurs sombres, le manque de lumièresurtout m'incitent à sortir.

Us parlent entre eux, je regarde encontrebas le village que j'ai vu de près.

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Comment

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se nomme-t-il déjà ?

Hockail... c'est ça. Un petit amas demaisons dans la montagne. On dit lescollines, par ici, mais je n'ai jamais vu decollines aussi hautes en Angleterre.

Nous sommes sûrement sur un grandplateau rocheux, très haut, lui-mêmesurmonté d'autres collines. Je ne suis pastrès forte en géographie, et ici lagéographie semble ne servir à rien. Il fautsûrement être né dans cet endroit poursavoir s'y orienter. Si je devais repartirtoute seule, j'aurais trop peur de meperdre, et me perdrais sûrement.

Parfois je trouve cet endroit beau,sauvage,

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avec

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tous

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ces

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rapaces

tournoyant dans le ciel, cette mer decollines à l'horizon infini. Surtout le soir,ou le matin, lorsque la lumière en fait undécor lunaire. Une autre planète.

Mais le plus souvent je trouve l'endroittrop sale, trop chaud, trop poussiéreux,trop loin de tout, et du confort minimum :un robinet, une chasse d'eau, un vraimatelas, une chaise, une table pourmanger.

Ce soir l'air est un peu vif, rafraîchissantsi l'on peut dire, car rien n'est jamais fraisici, et il doit pleuvoir tous les dix ans-Cesoir, je me sens moins isolée, j'ai vu dumonde, j'ai des cigarettes, j'ai parlé

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anglais.

- Voilà mon fils, Abdullah...

Toute la famille se lève pour accueillir lenouveau venu. Moi aussi. Un gamin. Il aquatorze ans, et en paraît huit.

D'apparence chétive, maladive même, ilest très mince et très pâle, avec uncurieux visage crispé, l'air mécontent delui, et du monde. Le pauvre garçon n'estvraiment pas beau, avec son grand nez,démesuré dans un visage si enfantin.

Ward, sa mère, se précipite pour secharger de son sac de voyage, etl'embrasser. Le reste de la famillel'entoure, puis Abdul Khada me prend parla main et me présente son fils : - Voici

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Abdullah, c'est mon fils.

Je tends la main, formellement comme jel'ai fait avec les autres au début. Sa mainest molle, plus petite que la mienne, sansconsistance. Je crois bien qu'il détournelégèrement les yeux : ma toiletteoccidentale peut-être, ou la timidité. Onne le dirait pas capable de soulever unseau d'eau ; Abdul Khada m'a pourtant ditque c'était lui qui l'avait aidé à installer età repeindre son restaurant.

Nous nous rasseyons sur le large banc, etje poursuis ma conversation avec AbdulKhada, sans prêter spécialement attentionà Abdullah, sauf un regard de temps entemps pour être polie. Il ne semble pasplus curieux de me connaître.

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Comme le soleil commence à descendrederrière

la montagne, et que l'air se rafraîchitvraiment, nous rentrons, et je vaisréinstaller dans ma chambre avec AbdulKhada et les autres. Depuis le deuxièmejour, ils ont pris cette habitude de venirparler avec moi, « chez moi », avant lerepas du soir.

Abdul Khada s'assied sur la banquetterecouverte de la couverture, je suis à sagauche, son fils Abdullah à sa droite. Aubout d'un court moment, les autres selèvent. Le grand-père et la grand-mère,Ward, Mohammed, sa femme et lesenfants. Ils nous laissent seuls tous lestrois. J'imagine qu'ils vont s'occuper du

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repas. Je suis à ma place préférée, prèsde la fenêtre, pour recevoir l'air frais dudehors. Le jeune garçon, assis, les jambespendantes, ne dit rien, et fixe les dessinsdu linoléum.

Le silence règne maintenant dans la pièce,et je me rends compte qu'ils ont fermé laporte de la chambre en sortant les unsderrière les autres.

Abdul Khada parle, le ton n'a rien desolennel, il dit comme il dirait quelquechose de banal :

- C'est ton mari.

La petite phrase a mis du temps àparvenir à ma conscience. Il plaisante.

Je regarde Abdul Khada, mi-figue mi-

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raisin, ne sachant si je peux me permettrede rire, ou pas.

- Quoi?

- Abdullah est ton mari.

Il répète, sans se fâcher, mais le ton est unpeu plus ferme, et je m'efforce de meconcentrer. « Ai-je bien entendu les mots,ai-je bien compris le sens? A-t-il dit "Abdullah est ton mari ", ou "

Abdullah pourrait être ton mari " ? Peut-

être a-t-il dit autre chose... » Non. Il abien dit « mari » et me regarde, regardeAbdullah qui, lui, fixe toujours lelinoléum en silence. Tout à coup moncœur se met à battre si fort dans mapoitrine que je panique complètement ; le

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souffle coupé, j'arrive à balbutier : -Mais... il ne peut pas être mon mari.

Je ne peux toujours pas me persuaderd'avoir bien entendu, je réponds dans levague, pour dire quelque chose, je necomprends rien à ce qui se passe, « Oùsont partis les autres ? Participent-ils àcette plaisanterie douteuse ? »

Mohammed surgit, glissant sa tête àtravers la porte. Je me raccroche à lui.

- De quoi parle-t-il, Mohammed? Laréponse est ferme, claire : - Abdullah estton mari, Zana. C'est ce que vient de tedire mon père.

Il a l'air réellement sérieux. La chose luiparaît évidente. Qu'est-ce qu'il se passe

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ici? Je me demande bien ce qu'ils se sontmis en tête. Non, c'est impossible, ils nepeuvent pas. C'est ridicule. Toutsimplement ridicule. Je n'arrive mêmepas à analyser cette phrase dans ma tête.

Tout cela est irréel.

- Mais, enfin, comment pourrait-il êtremon mari? Je n'ai pas de mari. Je n'ai pasl'âge d'avoir un mari, qu'est-ce qui sepasse? Que voulez-vous dire enfin?

- Ton père a tout arrangé.

- Mon père? Arrangé quoi?

- Le mariage, en Angleterre. Pour toi, etpour ta sœur Nadia aussi.

- Nadia? Mariée, et à qui?

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- Au fils de Gowad.

« Mais qui est Gowad ? Je ne sais plus.

Ah si, c'est l'autre ami de papa, celui quidoit accompagner Nadia en vacances.

En vacances! Je suis venue en vacances,Nadia va venir en vacances... Papa...

Papa aurait arrangé cela? Comment peut-on arranger le mariage de ses deux fillesen Angleterre, avec des gamins d'ici ? »

- Ce n'est pas vrai. D'abord c'estimpossible.

- C'est vrai. Nous avons les certificats demariage, ils disent bien que c'est vrai.

Vous êtes mariées toutes les deux, et toiZana, Abdullah est ton mari. Comment

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crois-tu que vous auriez pu venir auYémen, si vous n'étiez pas mariées...

Je ne l'écoute plus, je flotte. Je n'arrêtepas de me dire : « Ce n'est pas possible,ce n'est pas possible... » Je suis là, assisesur cette banquette; ce .gamin à côté demoi regarde toujours ses pieds, ou lesdessins du sol. Il n'a rien dit, personne n'arien dit d'ailleurs.

Tout à coup une chose me frappe. «

Naïve que je

suis, ils savaient, tous savaient, lesfemmes, les vieux, les hommes, mon père,ma mère peut-être? Non, pas ma mère.Impossible. Mais les autres savaient. Etils nous ont promis le soleil et la mer et

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les palmiers, pour nous emmener dans cemaudit village.

Quelque chose ne va pas. C'estimpossible tout ça ! Illégal ! Ça nemarchera pas, ça ne peut pas fonctionnercomme cela. On ne marie pas les genssans leur dire. Je n'ai rien signé. On nem'a rien demandé. Ça n'existe nulle partce genre de situation. Je fais uncauchemar, ou alors ils tentent dem'intimider. Mais je ne céderai pas. »

Les idées tournent et tournent dans matête, tandis que Mohammed et son pèrediscutent en arabe. Bientôt le petitAbdullah s'en mêle. Je ne comprends pasce qu'ils disent, un autre homme vientmême parler avec eux sur le pas de la

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porte. Comme si je n'étais pas là, commesi rien d'épouvantable ne se passait.Finalement ils s'en vont, peut-

être parce que je fonds en larmes. Peut-

être parce que je ne trouve rien à dire.

Dès qu'ils se mettent à parler arabe, jesuis exclue de toute façon.

« Je veux rentrer à la maison avecmaman. Je ne veux pas rester ici uneheure de plus. Il me faut quelqu'un à quiraconter mon histoire, qui arrangera toutcela. Il y a bien quelqu'un au village.

Mais comment faire, pour aller auvillage, en pleine nuit... Sur ce chemininfernal. Avec les bêtes qui rôdent, et lesentier à pic. Que faire, mais que faire ?

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Comment résoudre cette histoire de fous?»

La chambre devient obscure, et je restelà, dans le noir, assise à fixer le vide.

Je me sens pétrifiée, glacée, incapable defaire un geste, de penser à quelque chosed'intelligent. Comme si j'étais tombéebrutalement dans un gouffre sans fin, etque ma tête n'avait pas suivi.

Combien de temps suis-je restée ainsidans le noir, je ne me souviens plus.

Peut-être une heure, j'imaginais qu'ilsétaient partis sans manger. Ils... eux leshommes, Abdul Khada et ses deux fils.

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Je cherchais

à comprendre comment tout cela avait puse produire. Mon père, à l'aéroport,souriant, détendu, me donnant desconseils de respect envers son ami,vantant ma chance d'aller en vacances auYémen dans cette famille... Il m'atrompée, maman ne doit pas s'en douter,sinon elle ne m'aurait jamais laisséepartir.

Je cherche à me souvenir de ce qui s'estréellement passé, en tout cas de ce quel'on m'a dit à propos de ma sœur Leilah etde mon frère Ahmed. C'est vague,imprécis. Ils sont partis comme moi envacances, tout petits, pour rendre visite àleurs grands-parents paternels, avait

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prétendu mon père. Et puis il a déclaré aubout de quelques semaines qu'ils seraientélevés ici. Et puis rien. Maman a tenté deles faire revenir, mais comment, etpourquoi n'a-t-elle pas réussi ? Va-t-ilm'arriver la même chose ?

Abdullah revient dans ma chambre, jesais que c'est lui malgré l'obscurité, étantdonné sa petite taille. A peine plus grandque mon plus jeune frère Mo. Il fait nuitnoire à présent, et je réalise qu'il al'intention de dormir ici, avec moi. AbdulKhada se tient derrière lui.

Je crie presque :

- Il ne dormira pas ici. Je veux resterseule.

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- C'est ton mari. Tu dois dormir avec lui!Cela dit d'une voix dure, méchante, ilpousse le

gamin à l'intérieur, et claque la porte.

J'entends le verrou se bloquer de l'autrecôté. Nous sommes prisonniers. .

Je m'efforce de ne pas regarder Abdullah;quant à lui il demeure silencieux. Cegosse est quasiment muet depuis sonarrivée. Je le sens se déplacer à traversla chambre, il ne sait pas où se mettre, nice qu'il doit faire.

La seule idée de partager ce lit avec luime dégoûte. Je vais m'installer sur labanquette, juste en dessous de la fenêtre,et m'enroule dans la couverture. Il

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s'installe dans le lit, je l'entends respirer,sans distinguer son visage à la faiblelueur de la lune qui passe au travers duvolet. Je me demande ce qu'il pense. Jeme demande s'il va s'endormir.

Pour moi c'est impossible. Dormir esthors de question.

Les yeux grands ouverts, je regarde leplafond où courent des lézards. Lapremière nuit, je ne les avais pas vus,trop fatiguée pour cela. Il y a des lézardsau-dessus de ma tête. J'entends aussihurler les hyènes et les loups dans lamontagne. Ce pays est une horreur. «

Sable blanc et palmiers sous le soleil »,disait mon père... La haine m'envahit aupoint

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de

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me

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glacer

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les

os,

intérieurement. Je ne suis qu'un bloc deglace et de haine.

L'autre, le gamin, respire régulièrement, ildort. Pour lui la situation n'a riend'angoissant. J'avais déjà entendu direqu'au Yémen, on mariait les enfants trèsjeunes. J'avais pris cela pour une coutumesans conséquence, imaginant qu'ils'agissait d'une promesse de mariage, etnon d'une réalité, qu'on ne les mettait pasdans le même lit, à dix ans, ou quatorzeans. Il a quatorze ans, et il est dans monlit. Qu'il y reste, je ne dormirai jamaisavec lui, jamais. Ils ne pourront pas me

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forcer à cela. C'est impossible.

Les heures passent lentement, les lézardscollés au plafond ont dû s'endormir euxaussi, alors que je garde les yeux ouverts,sans pouvoir baisser les paupières. Si jem'endormais, je ne contrôlerais plus lasituation. Il pourrait me sauter dessus.Quoique maigre et maladif comme il est,j'aurais tôt fait de m'en débarrasser.Seulement il y a son père. Le vraiproblème, c'est lui. Cet homme estméchant, je ne m'en étais pas aperçue.Durant tout le voyage, il m'a joué lacomédie : sourire et courbettes.

Et je te promène, et je t'achète descigarettes, et je t'offre du lait, et uneassiette et une fourchette pour manger.

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Je suis anglaise, pas yéménite. Jamais jene me plierai à leurs coutumes desauvages. Ce soir il a réussi àm'impressionner, mais demain il fera jour,et je filerai au village chercher de l'aide,prévenir ma mère, trouver quelqu'un quim'emmène à Taez, téléphoner, écrire, pourque l'on vienne me chercher, et surtout,que maman ne laisse pas partir Nadia. CeGowad, qui prétend la marier à son fils...Tout cela est une folie. Inimaginable.

J'aime Mackie. Même si nous n'ensommes qu'au stade du flirt, je suis sûrede mes sentiments. J'aime un Anglais demon âge, on ne va pas me mettre de forcedans le lit d'un Arabe de quatorze ans,dont j'ignorais l'existence jusqu'à cettenuit.

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J'avais cru résister au sommeil, mais çan'a pas été le cas, j'ai dû m'endormirquelque temps, car le lit est vide. Legarçon est sorti sans que je m'en rendecompte, et l'aube est déjà là.

Je reste immobile, essayant de remettremes idées en ordre, de trouver commentagir à présent. « Je n'ai pas de papiers,pas de passeport, Abdul Khada les aconservés ainsi que le billet d'avion, quine devait pas inclure de retour.

Comment partir d'ici ? J'ignore même oùje me trouve exactement. Bien sûr j'aivoyagé en toute liberté, et les yeux grandsouverts, mais c'est comme si je n'avaisrien vu..; Je ne pourrais même pasretrouver l'endroit où la voiture nous a

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laissés. Je ne saurais pas quelle directionprendre. Je n'ai pas d'argent. Il fauttrouver le moyen de prévenir maman,d'empêcher Nadia de venir, et qu'ensuiteelle vienne me rechercher. »

Abdul Khada ouvre la porte avecviolence. Les yeux sombres de colère, labouche tordue, il hurle en anglais : - Tun'as pas dormi avec lui! Pourquoi?

Son fils a dû lui dire que j'avais dormisur la banquette.

- Pas question! Je ne dormirai pas aveclui! J'ai presque hurlé aussi. Violencepour violence,

je n'ai pas d'autre réponse. Il claque laporte à nouveau, me laissant seule, sans

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commentaire, et la panique m'envahit ànouveau. Vaut-il mieux rester cloîtrée icidans cette chambre sombre, ou sortir ettenter de parler à quelqu'un? Sortir.

Ward, la femme d'Abdul Khada, est dansla cuisine, elle vient de rapporter del'eau. Comment lui parler ? Cette grossefemme au visage désagréable a uneexpression méchante, des petits yeuxdurs. Depuis mon arrivée elle ne cesse defixer mes vêtements. Ma jupe et mon tee-shirt ne lui conviennent pas, elle doit meconsidérer comme une fille impure,dévergondée.

Elle s'adresse à moi en arabe. Nous nepourrons pas communiquer ainsi, elle neparlant pas un mot d'anglais, moi pas une

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phrase d'arabe correcte. Je ne parviensmême pas à lui demander où est son mari.D'ailleurs elle se détourne enmarmonnant. La grand-mère dit quelquechose, et je fonds en larmes. Le vieilaveugle, assis sur son banc dehors, nepeut m'être d'aucun secours, lui non plusne parle pas ma langue. La moitié de lamatinée se passe à attendre le retourd'Abdul Khada. Lorsqu'il revient, duvillage je suppose,' je me précipite verslui en pleurant.

- Dis-moi ce qui va m'arriver ? Ce n'estpas vrai ? Je peux rentrer chez moi?

- Non. Tu ne peux pas rentrer chez toi.

Pas encore.

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- Comment pas encore, qu'est-ce que vousvoulez faire ?

- Il faut que tu t'habitues.

- Mais à quoi? Je ne veux pas m'habituer.Qu'est-ce que mon père a fait? Dis-le-moi, je t'en supplie.

- Ton père t'a mariée. J'ai payé pour cela.

« Payé ? Cet homme m'a payée ? Moi ?

Vendue ? C'est impossible. On ne vendpas les gens comme des objets. Mon pèren'a pas pu faire ça, c'est mon père, unpère ne vend pas sa fille! »

- C'est pas vrai.

- J'ai payé, je te dis. 100 000 riais...

Le chiffre me prend au dépourvu. Qu'est-

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ce que 100 000 riais? Beaucoup? Çam'est égal, il ment.

- On te remboursera si c'est vrai, je veuxpartir chez moi.

- Pas encore. Il faut attendre.

Je m'agrippe à cette lueur d'espoir. « Pasencore », cela veut dire que si je résiste,je pourrai rentrer à Birmingham.

Sûrement. Mais quand?

- Dis-moi quand?

Abdul Khada me tourne le dos sansrépondre. Je le poursuis, m'accroche àlui,

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il

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me

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repousse

brutalement.

Personne dans cette maison ne vientm'aider. Ils me rejettent tous en bloc,m'ignorent, me laissent errer autour de lamaison, complètement hébétée, sansm'apporter le moindre réconfort. MêmeAbdullah m'évite. Il semble aussi effrayéque moi. Il devait savoir qu'on ramenaitquelqu'un d'Angleterre pour l'épouser,mais mon style et ma façon de m'habilleront dû le choquer. Ce doit être difficilepour lui, je suis différente des femmes quil'entourent. De sa mère, de la femme deMohammed, de toutes les femmes duvillage, et il n'a connu qu'elles. Je suisl'étrangère impudique qui montre ses

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jambes, et son visage. Qui fume, qui parlehaut comme les hommes. Et j'ai deux ansde plus que lui. Ce n'est qu'un môme ensomme. Cela devrait me rassurer, mais ily a Abdul Khada, et tout le monde a peurde lui, surtout ce gosse.

Il me vient soudain une idée. J'ai vu, laveille, dans la chambre de Bakela, lafemme de Mohammed, des pilules. Onm'a dit qu'elle avait été maladerécemment. J'ignore de quelle sorte demédicaments il s'agit, mais je vais lesavaler. Il y en a tout un flacon. De quoime sortir de ce cauchemar. Me rendremalade pour qu'on m'emmène loin de là,et même risquer de mourir, ça m'est égal.Je me faufile dans la pièce, le flacon estlà, je verse les pilules dans ma main, et

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les avale d'un coup, au risque d'étouffer.

Mais je n'ai pas été assez vite,Mohammed est déjà là, il me prend à lagorge, me secoue, et me force à vomir.

Nous luttons un instant, mais je n'aiaucune chance, il est plus fort que moi.

Je recrache les pilules, en hoquetant,pleurant, je me sens devenir hystérique.

Mohammed est le seul ici à être un peusympathique. J'imagine qu'il doit êtredésolé de ce qui m'arrive. Il a toujoursété gentil avec moi, jamais agressif.

- S'il te plaît, Mohammed, aide-moi... Ilhausse les épaules, avec indifférence.

- Je ne peux rien faire pour toi. Aucunhomme ne peut désobéir à son père.

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- Mais tu es adulte, tu as trente ans, tu es un homme, tu as une femme et des enfants.Tu as vécu en Angleterre. Toi seul peuxm'aider, Mohammed, je t'en supplie...

- Je ne peux pas désobéir.

- Même si tu n'es pas d'accord?

- C'est comme ça.

- Alors les hommes arabes obéissenttoujours à leur père? Même s'il agit mal?

- C'est mon père et c'est ainsi. Tu doisaccepter aussi. Abdullah doit accepter,c'est notre loi.

- Ce n'est pas la mienne.

- C'est celle de ton père, il a pris l'argent,tu dois obéir à ton père, et au mien.

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Je n'ai plus aucun espoir alors? MêmeMohammed est terrorisé, soumis à cemonstre d'Abdul Khada. Je hais cethomme, je le hais comme je hais monpère. J'ignorais la haine jusqu'à présent.

J'étais une simple adolescente anglaise,j'allais à l'école, j'allais danser, rire,écouter de la musique avec des copains,j'avais ma mère pour me protéger. Je n'aiplus rien à cause d'eux.

Ainsi c'est la vérité, on m'a venduecomme on vend un âne ou un chameau.

Mon prix est de 100 000 riais. HierAbdul Khada a acheté un Coca pour moi,qu'il a payé 4 riais. Je suis une esclave,une fille vendue par son père.

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Je vais cesser de pleurer, et résister. Jevais leur résister jusqu'à ce qu'ils selassent de moi, tous. Qu'ils n'aient qu'uneenvie, celle de me renvoyer chez moi. Etje tuerai mon père pour ce qu'il a fait. Jele jure.

Ce soir-là, je refuse de manger, dem'asseoir avec eux. En l'espace de deuxjours, ma vie a basculé. La solitude estma seule force. Je n'en profite paslongtemps. Abdul Khada pénètre dans machambre.

- Cette nuit tu dois dormir avec Abdullah.

- Non, je ne le ferai pas.

- Tu vas le faire, ou nous serons obligésde te forcer. On t'attachera sur le lit...

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- Je ne veux pas.

C'est au tour de Mohammed de venir mefaire la « morale ».

- Zanâ, tu dois coucher avec ton mari.

Nous allons te forcer.

Je regarde ces deux hommes forts,déterminés, dans l'encadrement de laporte. Je n'ai aucune issue. Ils le feront,ils m'attacheront, comme ils le disent. Ilsne devaient pas s'attendre à une résistancede ce genre, chez une jeune fille. Ici lesfemmes obéissent aux hommes, et leshommes sont orgueilleux de leur pouvoir.Ils ne céderont pas devant moi. Abdullahobéira lui aussi, lorsque son père et sonfrère aîné m'auront

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domptée.

J'ai

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pu

l'impressionner la nuit dernière, mais jeme suis rendu compte à son attitude dansla journée, qu'en fait, je lui répugnais plusque je ne l'impressionnais. Une Anglaise,une impure, qui s'expose au regard desautres hommes.

C'est un viol. Un viol immonde. Je suisvierge, et ma seule expérience sexuelles'est limitée aux baisers de Mackie. Jen'ai pas le choix : accepter, ou meretrouver attachée sur ce lit, comme uneesclave, et subir l'humiliation.

Alors je baisse la tête, incapable deprononcer le oui qu'ils attendent. Ils fontentrer Abdullah, et referment la porte,

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sans même la verrouiller, certains que jen'ai aucun moyen de m'échapper.

Je m'allonge sur le lit. Les yeux fermés.

Ne penser à rien, me solidifier, devenirpierre. C'est un gamin, qui essaie de jouerà l'homme, maladroitement. Je ne ressensrien. L'immobilité me protège.

Ce n'est pas à moi que cette choseimmonde arrive. Ce n'est pas moi quisuffoque. Je ne suis pas là. Zana quirêvait d'amour à Birmingham, qui dansaitavec Mackie, Zana qui partait envacances est morte. Morte.

J'ignore ce qui s'est passé. Je refuse d'enavoir conscience. Je ne serai ni humiliée,ni docile, ils pourront faire ce qu'ils

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veulent, je leur refuse ma souffrance, jeme la refuse à moi-même.

Pierre je suis devenue, pierre jedemeurerai.

Abdullah a obéi. Il s'étend à mes côtés.

Je viens d'être violée par un enfant.

Toute la nuit mes yeux de pierrecontemplent les lézards du plafond, seulstémoins de cet acte immonde.

Ils m'ont faite prisonnière de cettehorreur, je resterai libre dans ma tête, àjamais, maigre eux. Le temps n'a plusd'importance, les loups et les hyènes fontun concert lugubre dans la nuit desmontagnes. Ce sont eux qui hurlent à maplace.

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Au matin, les yeux brûlants d'insomnie, latête vide, submergée par le dégoût, je mesens sale.

Abdul Khada ouvre la porte, satisfait, etson fils en profite pour s'échapper.

- Tu vas bien?

Comme si je venais d'être malade, et qu'ilse faisait du souci pour moi. Je neréponds pas. Que répondre à cettequestion stupide d'ailleurs? Il s'en va, etsa femme Ward vient me voir à son tour.

Elle semble vouloir communiquer avecmoi, et fait des gestes que je necomprends pas.

Sale, je suis sale, j'ai besoin d'eau surmon corps, sur mon visage. Je fouille

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dans ma valise à la recherche de monsavon anglais, et m'enferme dans leplacard des toilettes, avec un seau d'eau.

Il faut se laver courbée, presque à quatrepattes, la torche éclaire à peine les paroisnauséabondes. L'eau s'écoule dans le trou,et la réalité me saute à nouveau au cœur.Et je la refuse à nouveau. Je ne peux pascroire que cette chose me soit arrivée. Jen'ai qu'une seule idée en tête : « Ce n'estpas vrai, ce n'est pas vrai... »

Ce qui se passait alors dans ma tête estdifficile à préciser. Il me fallait vivredans l'irréel, ce village accroché à lamontagne, cette maison accrochée aurocher, ce désert autour, ces gens, leursactes, tout cela faisait partie d'un mauvais

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rêve. Rien n'était vrai.

Ward m'observe de ses petits yeuxméchants, tandis que je sors du placardtoilettes. Elle est allée dans la chambre,probablement pour s'assurer que j'avaisbien perdu ma virginité, mais à cemoment-là je n'y prête pas attention.

D'ailleurs je ne suis pas sûre de l'avoirperdue. Je ne me souviens même pasd'avoir saigné ou souffert, et ça m'estégal. J'espère seulement qu'il ne s'est rienpassé - pas de sang, pas de virginitéviolée - et qu'Abdullah n'a pas accomplison devoir de petit mâle, comme ilsl'attendent de lui.

Assise sur mon lit, je retrouvel'immobilité qui me protège d'eux. Là,

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intérieurement, je peux souffrir del'absence de ma mère. Souffrir de penserà Nadia, qui ignore tout, qui se prépare àBirmingham pour ce maudit voyage desoi-disant vacances, et qui va subir lemême sort que moi à l'arrivée.

Je voulais aimer, je rêvais à l'amour. Ilsont tout saccagé. Je suis une esclavecomme les personnages de mon livrepréféré. Enlevée à son pays, torturée,privée de l'essentiel: la liberté.

Dans les romans d'amour que je dévoraisen Angleterre, les jeunes fillesdécouvrent le bonheur, la tendresse. Onleur fait la cour et l'instant du baiser final,le moment où le jeune homme prend safiancée dans ses bras, est une apothéose.

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Je me suis nourrie de ces belles histoires,j'en ai rêvé, j'espérais vivre la mêmechose, comme toutes les adolescentes demon âge. Comme Nadia.

Qui n'a que quatorze ans, qui jouaitencore à la poupée il n'y a pas silongtemps. Le plus insupportable en cemoment est d'être impuissante, de ne rienpouvoir faire pour elle. Je me senscoupable, comme si je participais moiaussi au piège qui l'attend.

Je les hais. Je hais mon père surtout, je nesuis qu'un bloc de haine.

Ward a fini d'inspecter la chambre. C'estau tour des petites filles, Shiffa etTamanay, de me rendre visite. Elles n'ontaucune idée à leur âge de ce qui se passe,

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et ma haine ne peut les concerner.

Elles sont jolies, adorables même, ellesvoudraient jouer avec moi, comme lepremier jour, mais je n'en ai pas la force,je voudrais être seule, alors qu'ellespassent leur temps à entrer et sortir.

Maman me sortira de là. Mon uniqueespoir,

c'est

maman.

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Maman

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va

comprendre, savoir, deviner, je ne saispas. Je trouverai un moyen de lacontacter. Je trouverai quelqu'un pour laprévenir. Il faut m'accrocher à cet espoir.

Pendant huit ans, je me suis accrochée.

Huit ans durant lesquels, jour après jour,je me suis répété que j'allais sortir de cevillage, qu'il n'y avait aucune raison pourque je reste prisonnière à jamais de cessauvages. Huit ans.

Et je n'en étais qu'à mon troisième jour.

Je n'avais pas encore seize ans, j'en avaisvingt-quatre quand j'ai quitté le Yémen etma prison. Mais j'ai survécu, avec deuxidées fixes : l'espoir, et la haine, aussi

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puissantes l'une que l'autre.

Elles m'ont aidée à ne pas mourir.

Durant les jours suivants Abdul Khadam'autorise à rester seule dans machambre, m'apporte mes repas, uncouteau, une fourchette, ce qui me permetde ne pas manger avec les autres.

Il fait même certains efforts : j'ai droit àdes chips et à du poulet. Mais je n'ai pasfaim. La nourriture ellemême me répugne,et les mouches encore plus.

Les mouches nous harcèlent le jour, et lanuit ce sont les moustiques. Je neparviens pas à m'y faire, à les ignorer.

Les piqûres de moustiques me rendentfolle, je gratte la peau jusqu'au sang. Les

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autres ont appris à ne pas irriter leur peauaprès une piqûre, car plus on gratte pluselle démange. Moi je me transforme enécorchée vive. Prisonnière des mouches,des moustiques, des lézards, et des fauvesqui hurlent la nuit.

Je n'absorbe que du Vimto, la seule vued'un plat de nourriture me retournel'estomac. La vue d'Abdullah aussi.

J'ignorais le premier matin s'il allaitrecommencer. Il l'a fait. Chaque soir, lepère a fait entrer son fils pour lesacrifice, et je ne l'ai pas repoussé, depeur qu'il se plaigne, et d'en subir lesconséquences. Je supporte l'exploitignoble, comme la première fois,immobilité de pierre. Parfois il pénètre

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dans la chambre, sous l'œil de son père,puis la porte refermée, me laissetranquille. Il m'a fallu plusieurs jourspour réaliser que je n'étais plus vierge.

Abdul Khada m'a déclaré pompeusementce matin que, lorsque j'aurai un enfant, jepourrai repartir en Angleterre. Unenfant... Un enfant! Abdullah peut-il mefaire un enfant ? Il est malade, pâle, il n'arien d'un homme, et si j'étais seule aveclui, il n'oserait même pas me toucher.

Hier soir, je l'ai repoussé violemment.

Un grand coup dans la poitrine l'a faitreculer comme le pantin maigre et faiblequ'il est. Il est sorti pour se plaindre à sonpère, Abdul Khada a ouvert la porte, s'estdirigé vers moi et m'a giflée avec une

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telle violence que j'ai vu rouge. Tout étaitrouge dans ma tête. Le sang dans les yeux,le sang partout. J'aurais voulu tuer.

Cette gifle a provoqué chez moi unchangement d'attitude, elle a fait surgir macolère. Maintenant je ne supplie plus,j'insulte. Cela me soulage pour l'instant.Abdul Khada est un voleur, je le luicrache au visage. Il m'a kidnappée; unjour, il sera puni!

- Ton père t'a vendue. J'ai payé millelivres, et j'ai ton certificat de mariage !

- Montre-le!

Il hausse les épaules. Comment pourrait-il me montrer ce papier, il n'existe pas!

Ou alors c'est un faux. Ils ont dû le

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fabriquer ici, au Yémen, avec l'aide demon passeport que je n'ai jamais revu.

- Je veux écrire à ma mère.

- Si tu veux.

Mon moral a des hauts et des bas. Dans lajournée il m'arrive de penser qu'il nefaudra pas longtemps avant que maman nedécouvre ce qui se passe ici, et vienne mechercher. A d'autres moments, je réfléchisau voyage que nous avons fait. Long,difficile, à l'écart de la civilisation,comment pourrait-elle me retrouver? Ilm'arrive même de penser, dans les piresmoments, que ma mère était au courantdes

projets de mon père, qu'elle était peut-

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être d'accord avec lui. Si cela était vrai,il ne me resterait personne sur terre. Apart Nadia.

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Seule

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Nadia

comptait.

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Il

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fallait

l'empêcher de partir avec ce Gowad.

J'ai apporté d'Angleterre un bloc depapier et des enveloppes. Je me mets àécrire.

A ma mère chérie.

S'il te plaît ne laisse pas venir Nadia.

Ils m'ont mariée, et je ne sais pas ce quiva se passer maintenant. J'ai très peur.J'ai besoin d'aide. Je t'en supplie, nelaisse pas venir Nadia, je t'en suppliemaman

chérie.

Aide-moi.

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Surtout ne laisse pas venir Nadia.

Une demi page. Je ne parle pas d'AbdulKhada, ni des autres. Au cas où ilsliraient la lettre. Je ferme l'enveloppe.

Le seul moyen de la poster, c'est de ladonner à Abdul Khada. On ne me laissepas sortir du périmètre de la maison,interdiction d'aller au village. Il est monseul lien avec le monde extérieur. Il serend à Taez, et là il y a une poste.

- C'est une lettre pour ma mère, juste pourlui dire que je suis bien arrivée, et quetout va bien.

Curieusement,

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il

n'a

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pas

l'air

soupçonneux.

- Je la mettrai à la poste.

« Le fera-t-il ? » Ce jour-là, j'avais unespoir. Je me disais qu'il était obligéd'envoyer au moins une lettre de moi, s'ilne voulait pas que maman s'inquiète. Lelendemain, je n'y croyais plus. Je medisais qu'il l'avait tout simplementdéchirée, brûlée. Et le jour suivantj'attendais déjà une réponse.

Je l'ai eue ma réponse, ce matin. On estvenu apporter à la maison des cartespostales qui me sont destinées. Elles onttransité par Taez, et ne portent pas

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d'adresse précise. Un numéro de boîtepostale, c'est tout. C'est une relationd'Abdul Khada, un genre d'associé jecrois, qui lui sert de relais pour lecourrier. Ainsi la terre entière ignore oùje me trouve.

J'ai seize ans. Happy birthday! dit lacarte de maman, celle de Nadia, celle demon petit frère Mo, d'Ashia et de Tina.

De jolies cartes d'anniversaire, avec desfleurs et des oiseaux. Je sais où ils les ont

achetées. Nous allons toujours dans lemême magasin, où l'on vend des cartespostales en couleurs sur lesquelles il estécrit à ma sœur, à ma fille... celle demaman est illustrée de fleurs tendres. Ama fille, joyeux anniversaire.

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Ils ne savent rien là-bas. Il ne reste plusqu'une semaine avant le départ de Nadiaen avion avec Gowad. Je l'imagine dansnotre chambre, écrivant la carte enécoutant du reggae. Sa valise déjà prête.

Notre chambre, notre endroit secret ànous. Le papier peint, les lits jumeaux, lesromans, les cassettes. Les soirées quenous passions à nous saouler de lamusique que nous aimions, elle et moi, encachette de papa, qui condamnait la «

musique de nègre »...

Et je suis là, assise sur une banquette depierre et de plâtre, face à la montagne,sous le soleil torride, environnée demouches, couverte de plaies, à côté de cevieillard aveugle et silencieux. Et de

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Ward qui m'a insultée ce matin, en arabe.Je l'ai compris à l'expression mauvaisede son visage...

Deux petites filles yéménites, jouant dansla poussière à mes pieds, ne peuvent meconsoler. L'odeur des cartes postales nonplus, fanées par le long voyage. Leparfum d'Angleterre n'est pas arrivéjusqu'ici. Je suis si loin, si seule.

Aller pleurer dans cette chambre sombre,sur cette couverture qui sent le mouton.Ranger précieusement les petits trésorsdans ma valise. Écouter la musique de là-bas. Et pleurer. En cachette. Ne paspleurer devant eux. Les maudire enpleurant.

Pourvu que ma lettre arrive à temps.

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Pourvu que maman ne soit pas complice.

Mon père n'a pas écrit pour monanniversaire, est-ce un signe? Mais unsigne de quoi... Il m'a vendue, il nous avendues toutes les deux, mille livreschacune. Est-ce pensable, ce genre dechoses en 1980? Un père qui vend sesfilles comme du bétail? C'était donc celales menaces qu'il proférait : « Je vaisvous apprendre à vous conduire commedes jeunes filles arabes bien élevées. »

« Vous avez besoin d'autorité. » « On nemontre pas ses jambes. » « L'éducation enAngleterre est pourrie. »

Il devait nous détester. Détester que noussoyons anglaises, et pas arabes. Ou peut-être s'agit-il d'une simple question

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d'argent. Il a souvent eu des soucisfinanciers, des dettes, des amendes nonréglées. Une fois maman a même dû payerpour lui, afin de lui éviter la prison. Ilavait honte de demander de l'aide à sesamis arabes.

Nous ne sommes plus ses filles. C'est àmaman que nous appartenons, à lanationalité anglaise.

Le courage me revient. Attendre. Tenir.

Ici le temps est insensible, chaque jourressemble au précédent. Les femmes vontau puits chercher l'eau, fabriquent leschapatis, donnent à manger au bétail,allument les torches la nuit, et au matinrefont inlassablement les mêmes gestesque la veille.

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Huit jours ont passé, qui me paraissent unsiècle. J'ai vieilli d'un siècle, et je n'aique seize ans aujourd'hui.

Pour descendre au village avec AbdulKhada, je dois emprunter maintenant lechemin de traverse, réservé aux femmes,celui qui descend le long de la montagne,à travers les buissons épineux. Il meconsidère à présent comme une femmed'ici. Le problème pour lui est que tousles regards se tournent vers mesvêtements, la seule chose qui medifférencie encore de leurs femmes,justement, et à laquelle je m'accroche. Jesuis anglaise dans ce village, et ils nepeuvent pas grand-chose contre cela, pourl'instant. Je subis les regards deréprobation avec fierté.

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Je ne suis la propriété de personne.

Abdul Khada le sent, il joue au-dehors àfaire celui que « l'Anglaise de son fils »

ne gêne pas. Il se veut patient, il guette lemoment, improbable dans ma tête, où jecéderai en bloc. Il fait même desconcessions pour cela, m'achète des fruitsà l'épicerie, pour me faire plaisir devantl'épicier. Les fruits ne sont pas bons, nimûrs, ni juteux. Mais cela me rappelle unpeu l'Angleterre. Manger une pomme enfermant les yeux, et se croire ailleurs.

Après cela il m'emmène en visite chezson frère

cadet Abdul Noor, que je n'ai faitqu'apercevoir

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en

arrivant.

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La

quarantaine, il ressemble à Abdul Khadaen plus mince mais il n'a pas le mêmeregard perçant. Il est probablement moinsriche, puisque sa maison est moins grandeque celle de l'aîné. Le maître de maisonest absent, mais il y a là sa femme Amina,potelée et charmante, une trentained'années, et leur belle-fille Haola. Haolaet déjà mariée, elle a dix-huit ans. Ce quifrappe chez elle immédiatement, c'est sonregard.

Des yeux immenses et noirs. Ses cheveuxsont extraordinairement longs, elle n'a pasdû les couper depuis sa naissance. Aminase montre très gentille avec moi, trèscourtoise. Son attitude est bien différente

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de celle de Ward. Il me semble qu'avecelle je pourrais discuter plus librement, sije parlais sa langue.

Je commence à comprendre une choseimportante. Les femmes sont soumises,habituées à demeurer seules, pendant queleurs maris vont travailler à l'étranger, enArabie Saoudite, ou à la ville voisineplus simplement. La majorité de leurexistence se déroule sans les hommes.Lorsqu'ils sont de retour, comme AbdulKhada en ce moment, ils reprennent lesrênes, elles subissent leur autorité et leurprésence.

Mais en réalité elles se passentparfaitement d'eux.

Amina me parle, j'aimerais bien

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comprendre, il me semble qu'elle meplaint, car elle se met à pleurer soudain,et Abdul Khada veut l'en empêcher. Il faitde grands gestes avec ses mains, et jedevine un peu ce qui se passe. Il ne veutpas qu'elle pleure devant moi, et luidemande de se ressaisir. Haola meregarde aussi avec commisération. Danscette maison, il y a au moins deux femmesqui me comprennent et semblent de moncôté, mais ne peuvent rien pour moi, saufpleurer.

Amina a environ trente-cinq ans, et déjàbeaucoup d'enfants. Un fils de vingt ans,un autre de seize, un autre de treize, unautre de neuf, un autre de six... et une fillede dix-sept ans. Si je calcule bien, elle adû avoir son premier enfant à quatorze

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ans. Et si je calcule toujours bien, il luifaudra beaucoup d'argent pour marier tousses fils. Ce doit être un problème énorme

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pour

eux,

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cette

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coutume

d'acheter les épouses.

La visite est brève, Abdul Khada se lève,nous allons regagner le nid d'aigle, et ilne me lâche pas d'un mètre.

M'enfuir... j'y songe évidemment, maism'enfuir où ? Si j'étais en ville, à Sanaapar exemple, je me mettrais à courir, jetenterais ma chance, je me réfugieraisdans une ambassade. Nous remontons lesentier des femmes. Être une femme, ici,c'est être condamnée à vie. Celles quenous croisons, voilées, charriant desseaux d'eau, inlassablement, ou leur fagotde bois sec, inlassablement, détournantles yeux de l'homme qui passe...

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inlassablement... faisant des enfants...cette vie ne peut être pour moi.

Jamais je ne leur servirai d'esclave.

Mohammed m'accueille gentiment. Il secomporte comme si rien ne s'était passé,comme s'il n'avait pas participé avec sonpère à mon kidnapping. Quant â Abdullah,le gamin censé être mon mari, il demeuresilencieux dès que je suis dans lesparages. Il m'ignore, comme je l'ignore,pourtant il va revenir ce soir, et commeles soirs précédents, je vais faire monpossible pour reculer le moment de memettre au lit. Au matin Abdul Khadal'interroge, et s'il répond que j'ai refusé, ilse fâche, et m'agonit d'insultes.

Ce soir, je refuse. Je vais réinstaller sur

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la banquette, sous la fenêtre, d'un airdécidé. Abdullah me regarde, hésite, puiss'approche et avance une main pourm'attirer vers le lit. La colère me prendaussitôt, une colère terrible qui me faitperdre le contrôle de moi-même. Je lepoursuis à coups de pied, dans lachambre, je le chasse d'un mur à l'autre,comme on chasserait un serpent.

- Va-t'en... ne me touche pas, je t'interdisde me toucher !

Je ne hurle pas, je gronde à voix bassetelle une bête féroce. Je frappe au hasard,il se couvre le

visage des mains, et ne tente même pas dese battre. Si seulement il comprenait ceque je lui dis! « Qu'il est laid, qu'il me

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dégoûte, que cette maison est laide, et medégoûte. » Dégoût, dégoût, dégoût, je n'aique ça à la bouche. Et il se sauve, pouraller se plaindre à son père, tandis que jereprends péniblement mon souffle.

- Qu'est-ce qui se passe? me demandeAbdul Khada.

- Je ne veux pas qu'il me touche, voilà cequi se passe. Quand me ramènes-tu enAngleterre?

Le défi ne sert à rien. La gifle m'atteint deplein fouet, violente, sur la tempe, à m'enfaire tomber. Rien de plus, et Abdullah, leregard sournois, est de retour. J'ai beaulutter, je ne pourrai échapper à ce contactécœurant. La loi dans cette maison estque ce garçon ait des relations sexuelles

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avec moi. La loi est que je dois les subir.Je pourrai leur rendre la vie aussidifficile que possible, je n'échapperai pasà cette loi en fin de compte. La nuit,chaque nuit sera ce cauchemar.

Abdul Khada est bien déterminé à mefaire céder, et ce n'est pas le genred'homme à qui on peut désobéirlongtemps. Hors d'Angleterre, il estradicalement différent. Je n'arrive pas àfaire le lien avec l'Abdul Khada que j'airencontré à la maison. A Birmingham ilétait, comme les autres amis de mon père,bavard, amical, inoffensif. Normal.

Ici, au Yémen, c'est une sorte de chef demeute, un tyran qui exige le pouvoirabsolu chez lui, et personne ne lui résiste.

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Même ses parents, les deux pauvresvieux, ont perdu tout espoir. Le grand-père surtout. Il est à la charge de son fils,et n'a plus un mot à dire. Dans cettesociété, le chef de famille est le maître, ilest libre de faire ce qui lui plaît.

De plus je me suis rendu comptequ'Abdul Khada était violent, même avecles autres hommes du village. Cet après-midi, il discutait en arabe avec quelqu'unqui ne semblait pas de son avis, j'ignoresur quel sujet. Il s'est mis à lui parlerméchamment, et l'autre n'a pas relevé ledéfi.

Soumission. Me soumettre à ce marifantoche.

Nuit d'angoisse, nuit sans sommeil. «

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Combien de temps vais-je supporter cela,cernée par la violence des hommes, lehurlement des loups, entre ces murscrasseux, au milieu des mouches, desmoustiques, dans une odeur d'étable? »

- Quand me ramènes-tu en Angleterre?

J'attaque dès le matin. Pas un jour ne selèvera,

sans que je pose la question.

- Quand tu seras enceinte, tu pourrasretourner en Angleterre, pour accoucherauprès de ta mère.

Il ment. Il espère me voir tomberrapidement

enceinte,

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parce

qu'il

s'imagine qu'un enfant m'obligera àaccepter

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leur

loi.

Qu'un

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enfant

m'empêchera de vouloir quitter le Yémen.Plus vite je céderai, selon lui, plus vite jeretrouverai Birmingham. Je commence àcomprendre le sens de cette bataille. Si jeleur laisse croire que je suis d'accord,j'arriverai peut-être, en fin de compte, àles mettre devant le fait accompli-Voilà,je suis enceinte, je vais accoucher,renvoyez-moi en Angleterre.

Je n'ai pas beaucoup de solutions, detoute façon, et la ruse peut marcher. Jepourrais même leur faire croire que jesuis enceinte, si ce n'est pas le cas, etdemander à partir.

Abdul Khada me tend un verre de thé, le

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regard en dessous. La grosse Ward faitsauter les galettes sur le feu de charbonde bois, elle ne comprend pas notreconversation en anglais, mais de temps entemps je reçois le choc de ses petits yeuxméchants. J'imagine ce qu'elle pense demoi, la haine qu'elle éprouve.

Non seulement je suis impure, mais jerefuse son fils, qu'elle adore. Il paraîtqu'il a failli mourir, cet Abdullah. Qu'ilest malade depuis sa naissance.

- Tu jures que si je suis enceinte, jeretournerai à Birmingham, tu le jures?

- Pas besoin de jurer. Tu es là pour faireun enfant à mon fils, tu es sa femme.

- Non, je ne suis pas sa femme. Ce n'est

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inscrit nulle part!

- Si, j'ai le certificat.

- Montre-le, je veux le voir.

- Pas besoin de le voir. J'ai payé, j'ai lecertificat.

- Tu mens, je sais que tu mens. Il n'y a pasde papier, je suis anglaise, on ne peut pasme marier sans ma volonté. EnAngleterre, tu serais en prison pour ça!

Il n'y a rien à faire, je suis agressive.

Quelques secondes plus tôt je m'étaispromis de ruser, d'avoir l'air de céder,mais dès que je parle à cet homme, lahaine ressurgit. Je n'arrive pas à fairesemblant.

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Le pire est qu'il se moque de monagressivité, elle glisse sur lui sansl'atteindre. Il a tous les atouts en main. Ilsait que je suis impuissante à m'enfuir, àrefuser son fils. La notion de viol nel'effleure même pas. Le fait que je n'aimepas son fils l'indiffère. Il se fiche pas malde ma prétention à revendiquer manationalité anglaise. Ici elle ne me sert àrien. La réponse est simple : « Ton pèreest yéménite, j'ai payé ton père, c'est laloi. Tu es yéménite. »

Il me prend une envie de hurler à la facede cette montagne yéménite que je ne luiappartiens pas! Je deviens folle.

Dix jours, et pas de nouvelles de maman,j'ignore s'il a posté ma lettre, et si Nadia

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est déjà en route.

Allongée sur mon lit, je relis mon livrefavori : Racines. La longue et affreusehistoire de l'esclavage des Noirs, de leurlutte pour la liberté. Transplantés,arrachés à leur pays, à leurs racinescomme moi, les personnages de ce romanvrai m'ont fait pleurer tant de fois.

Je m'identifie à cet esclave, Kunta Kinte,à cet homme obstiné, qui a voulutransmettre à ses enfants le langage et lestraditions de son Afrique natale. Lespages sont déjà usées, je connais si bienle texte qu'il est des passages que jepourrais quasiment répéter par cœur. Jeme moque de sa télévision arabe, dont ilest si fier. En la déposant dans ma

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chambre, Abdul Khada avait crum'impressionner. La seule chose quipourrait m'impressionner ici serait unesalle de bains propre avec l'eau courante,des toilettes convenables, et del'électricité, pour y voir clair la nuit, etmême le jour. A l'intérieur de cesmaisons, on est toujours dans l'ombre. Ilsvivent au Moyen Age en buvant du Cocafabriqué en Arabie Saoudite, en regardantune télévision à piles fabriquée à HongKong, et se croient modernes pour si peu.

- Zana, nous avons une visite, tu doissaluer mon ami.

C'est un homme, je me rends dans lachambre de Bakela, voisine de la mienne,pour le saluer poliment. Il détourne le

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regard, et Abdul Khada l'entraîne dans sapropre chambre. Les hommes entre eux.Les femmes entre elles. C'est un inconnu,sa visite ne m'intéresse pas.

Mais quelque temps plus tard, l'hommeétant parti, Abdul Khada pénètre entrombe dans ma chambre, un paquet devêtements sous le bras, qu'il jette sur lelit.

- Habille-toi!

- M'habiller? Mais pourquoi, je suishabillée!

- Les autres hommes ne peuvent pas tevoir habillée comme ça, c'est honteux.

Il se met à crier :

- Je veux que tu mettes ça!

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C'était donc cela le regard de l'hommequi me fuyait. Les vêtements anglais queje porte toujours, et mes cheveuxdécouverts.

- Je refuse.

Je jette un coup d'œil aux vêtementsétalés sur le lit. Horribles, le tissu estorange, couvert de paillettes; je lesconnais, ils sont à Ward. Je les flanquepar terre.

- Je ne vais sûrement pas porter ça.

Abdul Khada fait un bond en avant, ilexplose et se met à me frapper en pleinvisage. Je crie, il frappe encore, la têteme fait mal, mes oreilles bourdonnent,mais je suis aussi en colère que lui. Il

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lève encore la main pour frapper, jebondis à mon tour, et le mords àl'aveuglette. Son pouce est entre mesdents, je serre, je mords aussi fort que lepeuvent mes mâchoires, sans lâcher prise,comme un chien. Je mords, mords, mesdents sont sur l'ongle, le goût de son sangdans ma bouche. Il hurle de douleur, etson cri fait surgir Mohammed dans lachambre.

- Qu'est-ce qu'il y a?

Il tente de nous séparer, je lâche prise,j'allais étouffer. Mohammed emmène sonpère, qui tient sa main ensanglantée, et jereste seule avec Bakela, toute secouée depeur et de colère, respirant à petits coups.Enragée, je suis véritablement enragée.

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Ward arrive à son tour et ramasse lesvêtements éparpillés sur le sol. Les deuxfemmes se mettent à parler en mêmetemps, je ne comprends rien, leurs gestesveulent me persuader de prendre cesaffreux vêtements. Elles me les tendent,en insistant, me montrent la chambred'Abdul Khada, en mimant la colère.Traduction : si je n'accepte pas dem'habiller comme elles, il va devenir foude colère et me taper dessus. Ellessemblent toutes les deux horrifiées par ceque j’ai fais, et horrifiées par ce qui va sepasser, si je n'obéis pas. Jamais ellesn'ont vu ça. Je suis une tempête dans cettemaison, je leur fais peur.

Les bras tendus, elles me supplient,m'encouragent. Elles savent, elles, que je

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risque beaucoup à m'obstiner. Il a dû sepasser quelque chose entre Abdul Khadaet le visiteur. L'homme lui a fait honted'accepter dans sa maison une femmequ'ils assimilent presque à une prostituée,

puisqu'elle

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montre

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ses

jambes et ses cheveux.

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La

colère

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qui

m'étouffait

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tombe doucement, je me rends compte dudanger. J'accepte d'essayer ces oripeaux,en les enfilant par-dessus mes propresvêtements. Et je reste là, debout,complètement stupide, raide et mal àl'aise.

Bakela me serre contre elle, pour meréconforter, je vois des larmes de pitiédans ses yeux. Ward joint les mains.

Pour une fois, une rare fois, son regardméchant s'est

adouci.

Peut-être comprennent-elles un peu mondésarroi.

Mais je ne peux pas céder. Je ne peux pasporter cette horrible robe orange à

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paillettes, trop large, qui porte l'odeurd'ici, me la colle à la peau. Je ne peuxpas. Je suis désolée, je secoue la têtepour le leur faire comprendre. Je ne peuxpas, pas encore.

Ce qu'elles ne comprennent pas, c'est malutte, ma résistance. Le fait que l'humilitéet l'obéissance ne soient pas dans moncaractère. Pour elles il s'agit decoutumes, d'habitude, d'éducation. Ellesn'ont jamais rien connu d'autre. Pour moic'est de l'esclavage. Je ne mettrai pascette tenue d'esclave.

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Les

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jours

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suivants

m'apparaissent

comme une succession d'insultes et degifles, entre Abdul Khada et moi. Uneguerre de tranchée, deux ennemis face àface. Au moins il a appris une chose demoi, je mords. Et il évite de se laisserprendre à l'improviste. Il porte la marquede mes dents sur sa main. Je l'ai humilié,lui, l'homme, le maître. Il frappe, mais ilne sait pas vraiment comment medominer, quoi faire de cette femelle quirésiste. Je le frustre de son autorité. On lecraint au village, on le craint chez lui. Onne l'aime pas, d'ailleurs, c'est visible.

Ward et Bakela, dans cette tourmente,

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essaient de me faire participer aux tâchesquotidiennes de la maison. Au début ellesne me demandaient rien, on me laissaitlire mes romans dans ma chambre,écouter ma musique, on m'apportait lanourriture. A présent elles veulent meconvaincre de trouver de l'intérêt à cequ'elles font. Sur ordre, ou toutsimplement parce qu'elles me voienttourner en rond comme un animal en cage? J'ai tendance à penser qu'elles ont pitiéde moi et veulent me distraire, m'aider àm'habituer à cette vie.

Une de leurs tâches essentielles consisteà faire cuire les chapatis sur les plaquesrougeoyantes du four à bois. Ward memontre comment faire. Les flammeslèchent leurs mains; en me penchant sur le

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four, la chaleur intense me saute auvisage, et je m'enfuis de peur de brûlervive. Comment font-elles pour résister?

Leurs mains sont endurcies, la peaucomme de la corne brûlée. C'est unetorture permanente que je me sensincapable de supporter. Mettre mes mainsdans les flammes, la paume sur la plaquebrûlante, les joues rougies par l'ardeur dufeu. C'est l'enfer, jour après jour.

Il y a deux sortes de chapatis, les unssont frits, les autres cuits au four. Pour lafriture, il faut acheter la farine au village.Les femmes en font une provision deplusieurs mois, qui est stockée au sous-sol de la maison, et pour cela ellesdoivent transporter d'énormes sacs sur

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leur tête, qui semblent toujours prêts àéclater. Ensuite la farine doit être pétrieet roulée en crêpes. On met un peu degraisse dans la poêle, et on étale la pâtesur la graisse brûlante, jusqu'à ce qu'elledore des deux côtés. Mais la plupart dutemps, les femmes doivent cuire leschapatis à la main, et dans le feu;penchées sur la cuisinière, elles étalenthabilement la pâte, la retournent, bravantles flammes et les brûlures. La recette deces chapatis comprend aussi une autrecorvée. Le ramassage du maïs dont il fautensuite concasser les grains avec unegrosse pierre, un travail harassant.

Une fois les plaques du four recouvertesde ces sortes de crêpes, on ajoute un peude bois pour raviver les flammes, et on

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surveille la pâte, jusqu'à ce qu'ellegonfle. Au bout de cinq minutes environ,les femmes retournent les crêpes à mainsnues. Il faut savoir faire vite pour lesretourner, ou les retirer de cette plaque.

Assez vite pour ne pas se brûler lesdoigts, mais pas trop non plus, sous peinede les voir retomber dans les flammes.Ensuite, toujours brûlantes, les crêpessont déposées sur un plat.

J'ai commencé à travailler avec elles,pour leur faire plaisir, et mes mains sesont

immédiatement

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couvertes

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de

cloques douloureuses. Mais Ward m'aempêchée d'abandonner. Il faut endurcirses mains, jusqu'au jour où le feu neprovoque plus de cloques, et où les mainsdes femmes ressemblent à de vieillespeaux de serpents desséchées etrugueuses.

Les chapatis étant la nourriture de base,le supplice est quotidien. Et avec ce qu'ilme reste de doigts, je mange, comme lesautres, en trempant la crêpe dans du lait etdu beurre. Fini le traitement de faveur, lacuillère et la fourchette, et le couteau.Fini la nourriture presque anglaise, pouletbouilli et fruits. Désormais, je doismanger comme les autres. Si je n'accepte

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pas, je n'ai qu'à mourir de faim. C'estsimple.

J'ai refusé d'abord de me brûler lesmains, et de

manger avec les doigts. Puis j'ai accepté.Si je voulais tenir, et trouver un moyen defuir, je devais me nourrir, apprendre

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quelques

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mots d'arabe,

comprendre ce qui se tramait autour demoi. Ce qui ne m'empêchait pas tous lesmatins d'affronter Abdul Khada.

- Ramène-moi en Angleterre!

Au moins ce défi permanent me soutenaitpour la journée, et lui faisait comprendreque, mains brûlées ou non, écœurementou non, j'étais toujours moi, Zana,anglaise.

Réfugiée dans ma chambre, je rumineentre ces quatre murs sinistres, les jambesdouloureuses, mordues par des centainesde moustiques, les mains brûlées par mesessais de cuisine.

J'étouffe.

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Mon ennemi, Abdul Khada, est descendufaire des courses. J'imagine que tant queje refuserai de m'habiller comme il leveut, je n'aurai plus droit à la promenadejusqu'au village. Par la fenêtre j'observeles femmes chargées de la corvée d'eau.

Elles portent sur leur tête une sorte debidon métallique pesant. Le cheminqu'elles empruntent m'apparaît soudaincomme une issue de secours. Il s'enfoncevers un bois; j'ignore où il mène, car je nesuis pas encore allée chercher l'eau avecelles. Mais ma décision est immédiate,prise en une seconde. Cette fois je medécide, je vais m'enfuir.

Je n'ai qu'à courir, courir sans m'arrêter,jusqu'à ce que je sois hors de ces

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montagnes, hors du Yémen. Je n'ai aucuneidée du parcours, j'ignore comment m'yprendre pour échapper aux hommes duvillage, qui savent chasser, traquer lesanimaux sauvages, et parcourent lamontagne, armés de leurs poignards et deleurs fusils. J'ignore comment je survivraipar cette chaleur d'enfer, qui m'abrutit lejour, comment manger, boire, ou dormir àl'abri des insectes, des serpents, desloups et des hyènes. Je ne sais qu'unechose : je dois fuir cette maison, fuir cetesclavagiste et sa famille,

n'importe

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quoi

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sera

mi eux que cette prison. J'ai connu le pire,j'affronterai les montagnes et le reste.

Pas le temps de réfléchir, il faut partiravant le retour d'Abdul Khada. Je dévaleles escaliers qui donnent sur la porte dederrière, et tombe sur le grand-père. Levieil homme aveugle a entendu des pas, ilne peut pas me reconnaître, mais il est entravers de mon chemin; je le repoussesans ménagement. Je cours sous le soleil,je cours aussi vite que je le peux, jusqu'enbas de la colline. Dans la vallée, lespierres roulent sous mes sandales, jedérape, perds l'équilibre, me redresse etcours toujours. Mes jambes commencentà plier de fatigue, mes poumons sont prêts

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à éclater, une douleur au côté me plie endeux, mais je cours toujours, sans savoiroù je vais.

Les battements de mon cœur résonnentdans ma tête, j'entends ma proprerespiration sous mon crâne, un bruit deforge, et je revois en un éclair la* fuite del'esclave, dans Racines. Sa course àtravers les plantations, son épuisementlorsqu'on le rattrape, la punition, le fouet.Mes jambes ne céderont pas, mes jambesvont m'emmener loin d'ici. Je cours sivite que je ne vois plus clair, je ne sensplus de douleur, j'ai dépassé le stade del'effort, je mourrai en courant s'il le faut.

J'entends le bruit d'une course derrièremoi, un coup d'œil et je reconnais

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Mohammed et sa mère Ward. Le vieilhomme a dû les prévenir, j'accélère, maisà chaque regard en arrière je les vois

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plus

proches,

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hurlant

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des

imprécations en arabe, criant mon nomqui résonne dans la montagne, en écho : «Zana, Zaaanaaa... »

Je suis dans un cauchemar, mon corps mefait mal, tous les muscles tendus parl'effort surhumain de cette course folle.

Ils vont plus vite que moi, ils vont merejoindre... je vais me réveiller dans monlit à Birmingham, et le cauchemar serafini.

Mohammed me rattrape dans la vallée,lance ses deux bras autour de moi commeun lasso, et je tombe sur les cailloux.C'était perdu d'avance, il n'y avait devantmoi aucun chemin à prendre, aucune

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direction logique, pas le moindre endroitoù se

cacher. Mohammed crie dans ma nuque,qu'il tient serrée :

- Tu es folle! Où veux-tu aller? Tu esfolle de t'enfuir comme ça ! Rentre à lamaison, mon père va revenir!

Je m'assieds péniblement, les poumonsbloqués, incapable de prononcer un mot.

Mes pieds sont en sang, tout mon sangsemble vouloir s'échapper de mes veines.Je vais mourir étouffée, de rage, dedésespoir, et de cette course insensée.

- Zana... Si mon père découvre que tu asvoulu t'échapper, il sera furieux...

Viens...

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Je ne pouvais rien faire d'autre que derentrer avec eux. La grosse Ward,essoufflée par la poursuite, grimpe lechemin en marmonnant derrière moi.

Mohammed est devant. Je retourne dansma prison encadrée par deux geôliers.

Va-t-on me fouetter? Abdul Khada est deretour et comprend aussitôt ce que j'aifait. Une vague de frayeur m'envahitdevant la grimace de colère qu'il affiche.

Frappe, frappe, ça m'est égal. Les giflesne tuent pas.

- Pourquoi ? Pourquoi veux-tu te sauver ?Tu ne peux aller nulle part!

Je n'ai aucune explication à lui donner, nià moi-même d'ailleurs. Je voulais fuir,

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c'est tout. Contre toute logique. Je saisparfaitement que des centaines dekilomètres me séparent du premiertéléphone, que je n'ai pas d'argent, pas depapiers, que les femmes ne circulentjamais seules dans ce pays et qu'aupremier barrage, on m'aurait ramenée ici.A moins que je n'aie rencontré les loups,ou qu'on ne m'ait tiré dessus. Ou qu'on nem'ait emmenée dans un autre village pourm'enfermer dans une autre maison, pourêtre violée par d'autres hommes. C'étaitde la folie, un moment d'hystérie. Sipersonne ne m'avait poursuivie, jecourrais encore, et toujours, je seraismorte de courir. J'ai de la fièvre. Unefièvre de liberté.

- Réponds! Pourquoi veux-tu t'enfuir?

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- Ramène-moi en Angleterre!

Je n'attends même pas la réponse, jeretourne

dans ma chambre m'asseoir sur labanquette sous la fenêtre. Je reste là à nerien faire, à ne rien dire, à me grattermécaniquement les jambes, à chasser lesmouches, à regarder les murs et lecalendrier rapporté d'Angleterre.

Au début, je comptais lés jours, lessemaines, j'ai encadré la date de chaqueanniversaire. Maman le 22 novembre,moi le 7 juillet... comme des îlotsd'Angleterre, dans ce désert arabe.

L'Angleterre, je ne pense qu'à cela. Uneobsession dont il ne me reste plus que le

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mot : Angleterre. Un seul mot quirassemble tous les souvenirs, tous lesvisages.

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Maman

égale Angleterre,

Mackie égale Angleterre. Mes sœurs,mon frère, les ballerines que je portaispour aller danser, la balançoire dans leparc où j'allais rêver en lisant desromans-photos...

Angleterre.

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Me

retrouver au milieu d'une rue deBirmingham... Angleterre, à un feu rouge,et traverser en courant, pour ne pas êtreen retard à la piscine...

Angleterre.

Il faut continuer à compter les jours,même si je ne sais plus de quel jour ils'agit, lundi, dimanche ou vendredi,quelle importance... « Quand est-ce queNadia doit arriver? Quand est-ce que j'aieu seize ans ? » Sur le calendrier un petitrond au crayon dit que c'était un 7

juillet... Ma tête est un caillou, plus rienne s'y inscrit. Taper du poing sur le murne sert à rien. Rien ne sert. Je ne suis plus

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rien.

Abdhul Khada revient. « Va-t-il mefrapper? »

- Ta sœur arrive dans trois jours; avant jet'emmène à Marais, pour rencontrer tonfrère Ahmed et ta sœur Leilah.

«Pourquoi fait-il cela maintenant? Là-

bas je pourrai peut-être inciter quelqu'unà m'aider. »

- J'ai promis à ton père que tu irais lesvoir. Tu pourras rester là-bas aussilongtemps que tu voudras.

Méfiance. Cet homme est fourbe. Il a unplan, mais lequel ? Peut-être m'enfermerailleurs, dans un endroit pire que celui-ci? Ou bien charger mon frère et ma sœur

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de me convaincre. Peu importe, s'il y a lamoindre chance de m'évader, je lasaisirai. De toute façon il est trop tardpour empêcher Nadia de partir. «

Elle arrive dans trois jours », celasignifie que ma lettre n'est pas parvenue àmaman, ou que tout le monde nousabandonne.

Abdul Khada a peut-être dans l'idée deme séparer de Nadia, pour accomplirtranquillement son forfait, et la jeter dansle lit du fils de Gowad comme il l'a faitavec moi.

Toutes les hypothèses se bousculent dansma tête, tandis que je fais ma valise.Mais, quoi qu'il se passe, je ne refuseraipas de quitter cette maison, au contraire.

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Tout tenter, tout essayer.

Pour me renseigner sur ce voyage, jepréfère m'adresser à Mohammed. Il n'estjamais brutal envers moi. Tout à l'heure,il a même tenté de m'éviter la colère deson père.

- Où se trouve Marais?

- A sept heures de route.

Je n'en saurai pas plus. Dans ce pays, toutreste étranger à l'étranger.

Le lendemain matin, nous partons très tôtavant la grosse chaleur. Un taxi LandRover nous attend, Abdul Khada et moi,en bas de la maison, sur la routeprincipale. Nous emportons quelquesfruits pour le voyage. Une chaîne de

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montagnes en suit une autre, la route estcahoteuse, mauvaise, puis se met àserpenter dangereusement. En regardantpar la portière, j'aperçois un ravin,abrupt, les roues de la voiture sont àquelques centimètres du bord, danscertains virages particulièrement serrés.

La Land Rover dérape, l'avant heurte lebord de la falaise au-dessus de nous; endessous, c'est le vide. Je commence àpaniquer et hurle au chauffeur de s'arrêter,de me laisser descendre, mais AbdulKhada s'interpose : - Cesse d'avoir peur...Il a l'habitude.

D'ailleurs le chauffeur continue sansm'écouter,

alors que la route est de pire en pire,-

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que nous frôlons de plus en plus la paroiverticale,

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et

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que

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les

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routes

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se

rapprochent atrocement du vide. Je mesens à l'étroit, survivante dans un espacequi rétrécit, rétrécit. Il me semble que jevais passer par-dessus bord à chaquevirage. Cette route en lacet n'en finit pas,la peur me rend hystérique. Je m'agrippeau siège, je ferme les yeux sur le vertigede la mort imminente, seconde aprèsseconde.

Et heure après heure la route noue etdénoue ses virages. Enfin le chauffeuratteint une petite aire de stationnement etstoppe. Je saute aussitôt de voiture pourprendre un peu l'air, et raffermir mesjambes qui refusent de cesser de trembler.Le ravin est toujours aussi effrayant.

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- S'il te plaît, laisse-moi faire le reste duchemin à pied.

- Trop loin. Monte.

Je ne voulais pas fuir, simplement ne pasrevivre cette peur atroce. Nous avonsatteint ce qui semble être une frontière.

Marais se trouve dans le Sud Yémen, etdes hommes en armes contrôlent levéhicule. Ils ne s'intéressent pas du tout àmoi, ils parlent avec le chauffeur et avecAbdul Khada, enfin ils lui posent desquestions en me regardant.

- Que veulent-ils?

- Savoir où nous nous rendons, c'est tout.

Je leur ai dit que nous allions voir de lafamille à Marais.

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Il me semble qu'il ne montre aucun papierd'identité en ce qui me concerne.

J'avais pourtant un passeport individuel,au départ. Qu'en a-t-il fait ?

- Tu ne dois pas montrer de passeportpour moi ? Une femme qui voyage avecson beau-père, son père, son frère ou sonmari, n'a pas besoin de papiers.

Je ne suis rien ici. Il ne perd pas uneoccasion de me le faire remarquer. Enimaginant que je m'adresse à ces soi-disant douaniers, qui mâchent du qat,crachent et ne s'intéressent pas plus à moiqu'à une buse, en imaginant que je leurdise en anglais : « Sauvez-moi, je suisprisonnière de cet homme, il m'a mariéede force à son fils », ils me riraient au

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nez, probablement. Même si.

j'ajoutais que mon père m'a vendue millelivres en Angleterre, pour cela. Même sije leur disais qu'on m'a violée. Ils nedoivent même pas connaître le sens de cemot. Par contre, les manches courtes demon chemisier anglais leur sont uneinsulte ! Montrer ses bras, quelleignominie!

Lorsque nous atteignons enfin Marais, unvillage comme les autres, juste un peuplus grand, et après avoir subi une séried'orages

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aussi

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surprenants

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que

terrifiants, une envie d'éclater en sanglotsme prend à la gorge. J'ai si chaud, j'ai eusi peur, tout cela est tellement effrayant.Rien dans ma vie jusqu'à présent ne m'apréparée à vivre ça. Cette horreur dans cepays effrayant.

Je sors de la voiture en vacillant, desvillageois s'attroupent autour de nous,discutant en arabe, me montrant du doigt.

Ils rient et se bousculent. Je demande àAbdul Khada de me traduire ce qu'ilsdisent, mais c'est impossible, tant ilsparlent vite et tous en même temps.

A travers la foule j'aperçois un vieilhomme, qui se dirige vers nous en boitant,

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appuyé sur un bâton. C'est un hommepetit, voûté, au visage ridé, aux cheveuxblancs comme neige. Il porte des lunettes.Abdul Khada me dit : - C'est ton grand-père.

Et j'éclate en sanglots. Tout se mêle dansma tête. L'émotion, la peur et la surprise.

Ce vieillard aux traits ravagés est leportrait de mon père. Le visage, lasilhouette et les gestes sont à ce pointidentiques que le choc me paralyse sur lemoment. La même façon d'arrondir lesépaules, le même geste des mains nouéesderrière le dos, la même démarche, etsoudain devant moi la même immobilitéfroide.

Je voudrais lui parler, lui demander de

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l'aide,

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mais

comment?

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Il

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ne

comprendrait même pas le plus simplemot d'anglais. Alors je me contente debanalités polies, que traduit AbdulKhada.

- Ton frère arrive, regarde!

Quelqu'un, en effet, un jeune hommehabillé à la façon arabe, court et se frayeun chemin dans la foule des villageois. Ilporte la futa traditionnelle, une chemisepar-dessus, mais je le reconnais. Il a levisage de la famille. C'est un Muhsen,c'est mon frère Ahmed, que je n'ai jamaisvu auparavant. Il pleure avant mêmed'atteindre le petit groupe que nousformons autour de la voiture. Puis il

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s'immobilise devant moi. Il sourit àtravers ses larmes. Je ne sais pas quoifaire. L'embrasser ? Ici on n'embrasse pasun homme. Mais c'est mon frère...

Nous nous tenons les mains quelquessecondes, en nous dévisageant. Je suisnée après lui, il a quitté Birmingham àl'âge de trois ans. Il ne se souvient plusde sa langue natale. Abdul Khada traduitdes salutations polies. Des «commentvas-tu, comment as-tu voyagé?... Où estnotre sœur Leilah ?...».

Il paraît que nous pouvons la voirmaintenant. Il faut remonter en voiture,franchir une vallée, des cheminsdifficiles, encore, jusqu'à un autre village,dont je ne comprends pas le nom, et où

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habite ma sœur. Nous traversons deschamps de maïs, des prés verdoyants.Après ce voyage affreux dans lamontagne, le paysage est reposant,agréable. Ici, la route est plate, et ledernier orage que nous avons traversé enmontagne a tout arrosé. La lumière de find'après-midi est douce.

En d'autre temps j'aurais profitépleinement de ce paysage. J'aime laliberté des campagnes, la liberté desplages. J'aime dormir à la belle étoile, etfaire la cuisine entre deux cailloux.

J'aime respirer un air différent, sauvage.

Lorsque nous partions en colonie avecl'école à Blackpool, au bord de la mer,lorsque mon oncle nous emmenait faire du

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camping au Pays de Galles, je jouais lesaventurières, le nez au vent, la libertédans la tête. Il s'agissait de vacancesanglaises. C'était mon enfance, ma vie,ma normalité de citoyenne britannique.Mais le paysage a beau être aujourd'huirafraîchissant... ce n'est qu'un décor dema vie • d'otage.

Nous nous arrêtons devant une vieillemaison de pierre, à étages, aux fenêtressurmontées d'arceaux blancs. Des genssortent pour nous accueillir et nousregarder de près. On nous sourit, et AbdulKhada me dit aussitôt : - Ta sœur Leilahn'est pas ici. Elle est partie avec son mariquelque part, elle ne savait pas que nousvenions.

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Je suis tellement déçue que me voilà aubord des

larmes à nouveau. Dans cette aventuretragique, rencontrer des membres de mafamille était quelque chose d'important.

Même si, comme Ahmed, Leilah ne parlepas anglais et nous a oubliés, je voulaisla voir, examiner son visage, et tenter delui faire comprendre. Nous repartons surMarais, et Abdul Khada m'annonce que jedois dire au revoir à mon frère Ahmed.

- Qu'est-ce que ça veut dire? Où allons-nous? Tu avais dit que nous restions ici.

Tu avais dit que je pourrais rester autantque je voulais. Je n'ai même pas vu masœur! Je veux rester!

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Je pleure encore. Il semble que j'ai destorrents

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de

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larmes

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en réserve

aujourd'hui. Il se met à hurler : - Tu nepeux pas rester! Ta sœur Nadia arrived'Angleterre demain, et tu dois être làavec moi pour la recevoir.

Il a dit demain, hier ce devait être danstrois jours. Il ne cesse de me mentir, deme manipuler comme une poupée. Maiss'il y a une chose au monde à laquelle jetiens en ce moment, c'est voir Nadia. Jene discute donc pas.

- Assieds-toi dans la voiture, et attends-moi. Je vais acheter à boire.

Je le regarde de loin pénétrer dans uneboutique à ciel ouvert, il discute avec lemarchand, près d'un homme vêtu d'un

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costume occidental et d'une cravate.

L'homme m'a vue et se dirige vers moi,très agressif.

- Que viens-tu faire ici?

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Il

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parle

anglais,

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me

dévisage

méchamment, m'inspecte de haut en bas.

- Tu es venue pour ennuyer Ahmed etLeilah, c'est ça?

Surprise par cette agressivité, je n'ai pasle temps de réagir et de lui répondre. Ils'en va. Le seul être qui parle anglaisdans ce village, à part Abdul Khada, et àqui j'aurais pu demander de l'aide...

Abdul Khada revient avec quelquesbouteilles de Coca, et, me voyantstupéfaite, me demande ce qui s'est passé.Je lui raconte la scène, il regarde autourde lui.

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- Quel homme? Il n'y a personne.

Effectivement l'homme a disparu, lemarchand est seul dans sa boutique.

Abdul Khada fronce les sourcils, etsemble un moment ennuyé.

Il est temps d'aller dire au revoir àAhmed qui, cette fois, me serre très fortcontre lui. Je tends la main à mon grand-père, poliment, et la Jeep démarreaussitôt dans un nuage de poussière. Enme retournant, je peux voir Ahmed dansce nuage, cet Arabe qui est mon frère,debout sur la route, agitant les mains, et ilme semble bien qu'il pleure.

Tout est étrange. La rapidité de cevoyage, ma sœur Leilah qui n'était pas là.

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Ahmed qui pleure. Ce vieillard quiressemble tant à mon père.

J'essaie de me renseigner sur Ahmed,auprès d'Abdul Khada, puisque nousn'avons pas pu communiquer, je ne saistoujours rien de lui.

- Ton grand-père ne le laisse pas semarier. C'est très dur pour un homme. Iln'est pas autorisé à toucher une femmecélibataire. Et s'il commet l'adultère, ilsera puni de mort.

- Pourquoi fait-il cela?

- Je ne sais pas. C'est ton grand-père quidécide. Décider... toujours l'homme.

Abdul Khada décide, grand-père décide,mon père décide...

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Je me demande pourquoi mon père achoisi un jour d'enfermer mon frère et masœur dans ce pays. « Les a-t-il venduseux aussi? Ma sœur peut-être...

Se moquait-il de faire du mal à ma mère?Peut-être. » Au fond je ne sais rien d'euxet de leurs rapports. Je ne me posais pasde question. « S'aimaient-ils?

Pourquoi ne se sont-ils jamais mariés? »

Les adultes sont un mystère. Je necomprends rien à rien, et ma naïveté meramène à mon âge. Je n'ai que seize ans.

En Angleterre, je suis encore considéréecomme une adolescente mineure. Ici onme voudrait femme mariée et enceinte...

Je suis si fatiguée que je ne me suis même

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pas rendu compte que la voiture abordaitde nouveau la route de montagne, lamême route qu'à l'aller. Et je me remets àtrembler et à pleurer; la nuit tombe, cechauffeur qui mâche du qat, tient le volantd'une main, et boit du Coca de l'autre, ilva nous tuer. Il va rater un virage. Je vaismourir.

- Est-ce qu'il n'y a pas une autre route?

On ne peut pas éviter cette montagne.

- Non, il n'y a pas d'autre route, et arrêtede te plaindre tout le temps!

Et tout recommence, les chutes de pierres,les virages en épingle à cheveux, lesroues trop lisses qui dérapent, la lune au-dessus de nous, qui nous guette, et le

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ravin que je ne distingue plus mais dont jesens le vide, jusque dans mon ventre. Jesais qu'il est là, je sais que nous passonsà quelques centimètres de la mort,presque toutes les minutes. La tête dansmes mains, repliée sur moi-même, tendueà hurler, je serre les dents sur la peur. Lesheures passent, la nuit devient froide,j'entends rouler les rochers, siffler levent...

lorsque la Jeep s'arrête dans ungrincement épouvantable.

- Nous allons passer la nuit ici.

J'ose regarder devant moi, il y a unepetite ville devant nous, déserte, qui mesemble abandonnée et noire, dans la lueurdes phares. La Jeep a stoppé devant une

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maison ancienne à trois étages. Nousdescendons. Ma petite valise à la main, jetremble encore de tous mes nerfs.

- Où sommes-nous?

- A Ibb.

A la porte, un vieillard nous accueille.

Abdul Khada me dit qu'il loue deschambres. Nous montons des escaliersdans l'obscurité à la lueur d'une torcheélectrique. On ouvre une porte, j'ai unechambré pour moi toute seule. Froide,humide, mais peu m'importe. Allongéepar terre sur un tapis, je grelotte jusqu'aumatin de fatigue, d'émotion et de peur.

Je revois ce vieillard aux cheveux blancs,le père de mon père, celui qui a élevé

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Leilah et Ahmed. Dont nous n'avions

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jamais

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de

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nouvelles

à

Birmingham. Dont maman ne parlait plus,après avoir essayé de les récupérervainement. Je l'ai même entendue dire unjour, il y a très longtemps - j'étais petiteencore -, qu'elle avait fait une demandeau Foreign Office, sans autre résultat quecette réponse : « Vos enfants sontbritanniques par leur mère et yéménitespar leur père; là-bas ils sont considéréscomme citoyens yéménites... » > Et notrepère qui disait :

- Mon père a une grande et belle maisonlà-bas, les enfants voulaient y rester, ilsauront une bien meilleure vie que celle

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que nous pouvons leur offrir enAngleterre...

« Comment pouvaient-ils faire un choixde ce genre, ce n'étaient que des bébés.

Qu'appelle-t-il " meilleure vie " ? »

Mensonge, mensonge. Il était parti auYémen pour neuf mois, soi-disant pour ytravailler et montrer ses enfants à sonpère et à sa mère. Mensonge et .

disparition des aînés de la famille. Il nouspromet des vacances, au bord de la mer,sur le sable au milieu des palmiers...

mensonge.

Violée

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et prisonnière.

Le même sort attend Nadia demain. «

Que fait maman ? Que sait-elle ? »

Nous quittons Ibb le lendemain matin, sitôt que je n'ai même pas le temps de voirà quoi ressemble cette ville. Il me sembleque la maison grise où nous avons dormise situe à l'extérieur. Sur la route,j'aperçois des collines au loin, d'autresmaisons dans la brume, des champscultivés, puis de nouveau le désert. Descactus, et d'étranges plantes, ressemblantà des cierges, poussant tout droit, deseuphorbes.

Abdul Khada, qui ne me donne qu'unminimum d'informations, a dit que nous

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nous rendions à Taez, chez un certainNasser Saleh. J'ai cru comprendre que cethomme leur sert à lui, ainsi qu'à Gowad,d'intermédiaire pour leurs affaires. Iltransmet leur courrier, lorsqu'ils sont àl'étranger; l'argent qu'ils gagnent enAngleterre, ou en Arabie Saoudite, passeégalement par lui. Nadia doit arriver chezcet homme. Elle a dû atterrir comme moià Sanaa, puis faire le voyage jusqu'ici.

Taez, vue depuis la route, ressemble à unetermitière. Nous avons traversé descollines plantées de qat. Le qat estpartout, autour de la ville, étalé devantles boutiques, sur la tête des gens, sur ledos des ânes et des dromadaires.

La voiture s'arrête devant une maison

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assez grande, propre; ce Nasser Salehdoit être

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relativement

aisé.

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La

cinquantaine, trapu et l'air jovial, le teinttrès pâle, comme s'il ne voyait jamais lesoleil ; il nous accueille par un salutarabe :

- As salam alaykoum...

Nous montons un escalier en ciment, quimène à une grande pièce, où je ne voisque des hommes.

Durant tout le trajet, j'ai tourné et retournédans ma tête toute l'histoire.

Nadia ignore tout, très certainement. Ilsse sont bien gardés de lui dire quoi quece soit, avant d'être suffisamment loin,pour qu'elle ne puisse plus leur échapper.Ma petite sœur, si confiante, si naïve...

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L'idée de ce qui l'attend me serre lagorge, comme si j'avais avalé un morceaude pain qui refuse de passer.

Dans ce groupe d'hommes, la pluparthabillés à l'européenne, j'aperçoisimmédiatement Abdullah, mon soi-disantmari. Il est aux côtés de Gowad et de sonfils Samir. C'est lui, le « futur époux ».Treize ans, un gamin d'apparence moinsdébile que le mien, au visage enfantin,pas la plus petite ombre de moustache.Les cheveux très noirs et très frisés, depetits yeux sous un front étroit.

Il est mince, mais paraît en bonne santé,lui, dans sa futa traditionnelle. Une vaguede haine s'empare de moi, je chercheNadia des yeux, et la découvre enfin,

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tranquillement assise au milieu de tousces hommes, l'air fatiguée, un peu perdue,comme je l'étais moi-même deuxsemaines plus tôt.

En voyant son visage, je comprendsimmédiatement que ma lettre n'est pasarrivée. Elle ne sait rien. Elle regardeautour d'elle, elle attend, on a dû lui direque j'allais venir la retrouver, lui parlerde visite de famille, de vacances... •

Alors je m'immobilise en haut de cetescalier, devant cette assemblée demâles, incapable d'avancer. Je n'ai plusaucune chance de la sauver. Nous allonsdevoir combattre ensemble, et nouséchapper ensemble. J'éprouve plusd'angoisse pour elle que je n'en ai

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éprouvé pour moi-même. Je suis plusâgée, plus forte, plus responsable. Et elleest tellement jeune.

Abdul Khada me pousse légèrement dansle dos.

- Ta sœur est là, va lui dire.

- Je ne veux pas lui dire.

- Dis-lui! Il vaut mieux que ce soit toi!

C'est à la fois un ordre et une menace. Jeme décide.

- Très bien, j'y vais!

Il ne sent pas le mépris que j'exprime enlui répondant ainsi. Il se fiche du mépris,il ne sait même pas ce que mépris veutdire, ce lâche.

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Nadia vient de m'apercevoir. A l'instantoù j'avance vers elle, elle se lève, unsourire de soulagement sur les lèvres,tandis que je sens les larmes jaillir demes yeux, sans pouvoir les réprimer.

Toutes ces émotions vont m'emporter, metuer, je vais m'effondrer... il ne faut pas.Je cours vers elle, nous nous jetons dansles bras l'une de l'autre, j'aurais vouluêtre calme, ne pas lui faire peur tout desuite, mais c'est impossible, je pleure àchaudes larmes.

- Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce que tu as,Zana ? Tu es malade? Il est arrivéquelque chose? Dis-moi... mais arrête depleurer!

Je voudrais bien, mais toute l'horreur de

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la situation vient de m'apparaître. Cequ'on m'a fait subir, depuis mon arrivée,ce viol infâme, tout devient réel,terriblement réel, alors que je serre masœur dans mes bras, que je regarde sonjoli visage enfantin, lisse, aux grandsyeux noirs cernés par la fatigue duvoyage. Les images se bousculent ets'enchaînent dans le désordre. Lachambre, les murs sales, les menaces,cette moitié d'homme s'agitant sur moi,les coups, ma tentative d'évasion, et notrefrère Ahmed qui pleurait hier et n'a rienpu me dire. Ce terrible voyage sur cetteroute de montagne dans la nuit, jevoudrais tout raconter et ne trouve pas lesmots, ni par où commencer.

Nadia m'aide à m'asseoir sur un coussin,

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quelqu'un m'apporte à boire, je retrouveun peu mes esprits, et désigne Samir, lefils de Gowad, à l'autre bout de la pièce.

- Regarde, Nadia, c'est lui!

- Quoi lui?

- Le fils de Gowad, c'est ton mari.

Elle

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regarde

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le

garçon,

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sans

comprendre, puis me dévisage.

- Qu'est-ce que tu dis, Zana?

Je vois l'incompréhension dans ses yeux,elle doit me croire malade, ou l'auteurd'une plaisanterie douteuse.

- Le fils de Gowad, ce Samir, c'est tonmari... Comme elle me fixe toujours avecétonnement, j'enchaîne très vite :

- Papa nous a mariées. Il nous avendues... vendues pour 1 000 livreschacune. Il m'a vendue à Abdul Khada;toi, il t'a vendue à Gowad.

Nadia reste muette, secoue la tête,ramasse ses cheveux qu'elle se met à

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tortiller; son regard va du garçon à moi,plusieurs fois de suite. Elle n'y croit pas,comme moi au début. C'est tellement fou,tellement impensable. Samir a treize ans,il est plus jeune qu'elle d'une année, c'esttout juste si elle lui à prêté attention enarrivant ici.

Je me rends compte qu'il est impossiblede parler dans cette pièce au milieu detous ces hommes. Abdul Khada, toujoursdans mon dos à me surveiller, me faitsigne de me lever et nous entraîne toutesles deux dans une petite pièce vide, etnous y laisse seules.

- Écoute-moi bien, Nadia, ce qui nousarrive est affreux. Je te répète que papanous a vendues, il nous a mariées... Est-

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ce que vous avez reçu ma lettre à lamaison?

- Quelle lettre ? Non, on n'a rien reçu.

Mais de quoi parles-tu?

Je reprends tout depuis mon arrivée,fumant une cigarette après l'autre,tremblant de tout mon corps, essayantd'être précise.

- Ils m'ont enfermée dans la chambre aveccet Abdullah que tu as vu, le dernier filsd'Abdul Khada - il a quatorze ans. Ils ontdit que si je n'obéissais pas, ilsm'attacheraient sur le lit et me forceraientà le faire.

- Tu l'as fait?

- Pas le premier soir, mais le lendemain,

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j'ai été obligée.

Nadia réalise peu à peu et me serre ànouveau

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dans

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ses

bras,

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avec

compassion.

- Qu'est-ce que nous allons faire?

Maman n'a pas reçu ta lettre...

Elle hésite un peu.

- ... Ou alors elle ne m'a rien dit.

Le doute s'installe dans son esprit, commepour moi. « Et si maman savait ?

Si elle était complice ? »

- Non, ce n'est pas possible.

Tout ce que nous racontons ressemble àun horrible conte arabe. Nous sommesdeux jeunes filles prisonnières de banditsde la montagne. Des bandits qui circulent

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en Angleterre, dans le monde européen,qui ne ressemblaient pas à des bandits,lorsqu'ils venaient boire un café avecmon père. Nous les avons peu vus, nousne nous sommes pas méfiées. Nous avonsl'excuse de la jeunesse, mais maman ?

- Non... maman n'était pas au courant. Jesuis sûre qu'elle n'en savait pas plus quenous. Je suis sûre qu'elle croit à leurhistoire. C'est papa... Tu n'étais pas là àl'aéroport quand je suis partie, j'aidemandé à maman si je pourrais revenirau cas où le pays ne me plairait pas.

Elle a dit oui, elle n'aurait pas pu mementir. Elle a cru papa...

Nadia m'approuve, secoue la tête, enmurmurant : « Tu as raison. » Mais ni

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l'une ni l'autre ne pouvons être certaines.

Simplement nous ne pourrions passupporter l'idée que notre mère nous aittrahies, et il nous est indispensable decroire à quelqu'un, quelqu'un qui pourranous aider à sortir d'ici, à nous sauver.

Sans cela... nous n'aurions plus d'espoir,nous serions abandonnées pour de vrai...

Nadia est dans un état bizarre, une sortede stupéfaction profonde, que jereconnais pour l'avoir ressentie avantelle. Elle a compris, « entendu » ce que jelui ai raconté, mais elle n'a pas encoretouché du doigt la réalité des choses.

Nous retournons toutes les deux dans lespièces où les hommes parlent, boivent, ne

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se souciant guère de notre présence, enapparence du moins. Abdul Khada vientvers moi, le visage impassible.

- Tu lui as dit? Puis il regarde Nadia.

- Tu as compris?

Elle ne répond pas. Son visage est blême,et il n'insiste pas.

A partir de cet instant. Nadia est restéecalme, elle n'a plus jamais souri, commesi elle avait sombré définitivement dansun

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puits

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de

silence.

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Elle s'est transformée, sous mes yeux, enquelques instants, en une sorte de zombiau regard triste. L'adolescente ouverte,toujours joyeuse et drôle, n'existait plus.Nous attendons toutes les-deux que leshommes nous ramènent à la Land Rover.

Incapables de parler davantage, nousréfléchissons, chacune de notre côté, ensilence.

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Apparemment

domptées,

dociles.

La voiture démarre et nous emmène. Peuimportent la ville, les rues, les maisons,je ne vois rien, tout m'est égal. Ce pays nem'intéresse pas, ce n'est qu'une prison, etles prisons ont toutes la même couleur. Letemps n'y existe plus. Nous roulons versle village où Nadia devra vivredésormais, avec ce Samir de treize ans,dans la maison de Gowad. Je sais qu'ilest qu'à une demi-heure de marche decelui où l'on me retient prisonnière. Ilporte le nom de Ashube, le mien s'appelleHockail. A chacune son bagne.

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Je n'ai qu'une idée fixe en tête ce jour-là :inventer quelque chose, un moyen depréserver ma sœur. Je refuse qu'on laviole. Ma petite sœur, presque monenfant.

Aidenous, maman. Ce que je peuxsupporter, Nadia ne le pourra pas. Ilsvont faire d'elle une morte vivante.

Ashube, village de Gowad. Des maisonsserrées les unes contre les autres; la LandRover s'arrête devant l'une d'elles.

Gowad et son fils Samir descendent lespremiers. Abdul Khada fait signe à Nadiade les suivre.

J'affronte Abdul Khada immédiatement.

- Où va-t-elle?

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- Elle va dans la maison de Gowad. Onviendra la voir demain.

La panique me reprend, à la pensée d'êtreséparée de Nadia aussi vite.

Incapable de me contrôler, je me mets àcrier dans la voiture, tandis que Nadiapleure doucement sur le bas-côté de laroute.

- Laissenous ensemble! S'il te plaît!

Elle vient d'arriver!

Ils me regardent tous les trois, l'airennuyé, seulement ennuyé. Comme si jen'étais qu'une poule de basse-cour faisanttrop de bruit. Je me calme. Ces hommesme font réagir étrangement, je deviensréellement hystérique, ce qui ne sert à

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rien. Crier, pleurer, tout cela leur estcomplètement égal. Ils claquent lesportières, et Nadia s'éloigne avec lesdeux hommes, la tête basse. Je ne peuxpas la regarder, c'est insupportable. Levisage

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enfoui

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dans

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mes mains,

impuissante, je pleure, en imaginant cequi l'attend. J'aurais voulu, je ne sais pas,lui expliquer... la prévenir. Elle ignoretout des rapports sexuels, elle n'en aqu'une idée romantique, idéale.

Comme moi, d'après ce que nous avonsvu au cinéma ou dans les livres.

Abdul Khada revient aussitôt et la voituredémarre. Le chauffeur est complètementindifférent,

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Abdullah

regarde ailleurs, je passe des pleurs à unenouvelle fureur.

- Tu n'es qu'un monstre ! Tu te crois toutpermis ! Tu n'as pas le droit de meséparer de ma sœur ! Sadique, violeur...

Les injures les plus énormes sortent dema bouche, incontrôlées; devant lesautres je le traite de tous les noms qui meviennent à l'esprit. Je sais bien que nonseulement c'est inutile, mais que je vaisprobablement le payer, mais peu importe,ça me soulage.

- Tu as peur de nous laisser ensemble ?

Je veux rester avec elle!

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- Vous ne pouvez pas rester ensemble,vous êtes mariées maintenant, vous devezvivre chacune dans votre maison.

- Je te déteste ! Je te maudis toi et tafamille et ta maison !

- Tu appartiens à la famille, tu es mariéeà mon fils.

Ce dialogue de sourds est épuisant.

- Nous ne sommes pas mariées, c'est unmensonge ! Personne n'a le droit de nousmarier, si on ne veut pas. Nadia n'estmariée à personne et moi non plus!

Il hausse les épaules.

- Salaud d'Arabe! Tu le paieras! Tupaieras ce que tu nous fais subir! Ce serapire encore!

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L'injure la plus grave, à mon sens, ce «

salaud d'Arabe », ne le fait pas réagirdavantage que les autres injures. Je peuxla répéter à loisir, m'en gargariser, c'estexactement comme si je soufflais dans levent. Je ne demeurerai pas longtempsanglaise à ses yeux, il a entrepris de metransformer en Arabe. Il lui suffitprobablement que mon père soityéménite, il néglige le reste, ma culture,mon éducation, mon esprit anglais.

- Je veux retourner avec elle!

- Non. Nous irons demain. Mais tu neparleras de rien avec elle.

- Je dirai ce que je veux!

- Si tu lui fais peur, attention à toi.

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Cette fois il a proféré la menace, en meregardant droit dans les yeux. Je dois memontrer diplomate, me ressaisir. Ce n'estpas ainsi que j'arrangerai nos affaires. Jem'étais

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pourtant

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promis

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de

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faire

semblant, d'être hypocrite en attendantune faille, quelqu'un, de l'aide, je ne saispas... ce qu'on appelle l'espoir. Lescirconstances m'ont rendue agressive.

Avant je ne me mettais pas facilement encolère. Je crois que ça ne m'était toutsimplement jamais arrivé à Birmingham.

Même avec mon père, je ne me suisjamais disputée. J'ai toujours été calme, àl'école, avec mes amis. Ici je me sensdevenir une bête fauve.

La route entre les deux villages estrelativement courte. Nous descendonscomme la première fois, en bas de lacolline. Il faut faire le reste à pied. Si je

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voulais m'échapper pour rejoindre masœur, je ne pourrais emprunter qu'unsentier difficile, qui part de derrière lamaison d'Abdul Khada, et marcher unedemi-heure environ,

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dans

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les

broussailles, à la merci des serpents etd'autres animaux inconnus. Ils n'ont aucunmal à nous garder en captivité, ce paysest une prison à lui tout seul pour uneétrangère.

Une femme ne peut pas y circuler seule,en dehors de sentiers convenus, dans uncercle restreint autour de sa maison et duvillage. Une Anglaise ne ferait pas deuxkilomètres sans se faire remarquer. Etl'Anglaise que je suis ne saurait pas detoute façon quelle direction prendre et oùaller. Mon seul repère, c'est le village deNadia, et le mien.

Pleurer est le seul soulagement immédiat

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après les injures. Et l'unique refuge estma chambre. Je n'ai même pas le couragede défaire ma petite valise. La seule idéed'aller faire ma toilette dans ce trou àrats... la seule idée de subir, cette nuitencore, le rituel imbécile que pratique cegamin inexpérimenté...

Le lendemain matin je suis debout lapremière et entreprends de suivre AbdulKhada pas à pas, comme une enfant, enlui demandant inlassablement quand nousirons voir Nadia. Il accepte finalement.Nous partons tous les deux, en empruntantle même chemin que j'avais essayé defranchir dans ma tentative de fuite. Unsentier étroit, le long des champs, bordéde murs bas, de haies épineuses, puis àtravers des bois sombres. Mon calcul

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était juste, nous marchons une demi-heureenviron avant d'atteindre Ashube et lamaison de Gowad, déjà pleine de monde.Des tas de gens sont venus saluer lesvoyageurs de retour d'Angleterre. Leshommes dans une pièce, les femmes dansune autre, comme d'habitude.

Lorsque j'ai rencontré Gowad, en qualité« d'ami » de mon père, comme AbdulKhada, je ne lui avais pas prêté beaucoupd'attention. Un homme d'une cinquantained'années, chauve, plutôt gros, très grand,un visage terriblement laid, souventluisant de transpiration, un mélange desévérité et de mollesse, des cheveuxcourts et frisés.

Vêtu à l'occidentale, il ne différait pas

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des autres amis de mon père. Ici, commeAbdul Khada, c'est un autre homme. Ici, ilest chez lui. Sa femme se tient à l'écart, ilrègne en maître dans sa maison. Il arevêtu la futa, mâche du qat, discute enarabe avec ses visiteurs, l'air important.

Le travailleur immigré revenu au pays atant de choses à raconter à ces villageois.Tout ce qu'il a vu en Angleterre, l'argentqu'il y a gagné... Je les hais. Chez moi, àBirmingham, c'était différent. Mais ici jeles hais. Ils m'ont volée. Ils ont voléNadia.

Nadia n'est pas avec les femmes, onm'indique une autre chambre, et je meprécipite. Elle est assise sur un lit,semblable au mien, et je me jette dans ses

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bras en pleurant. Elle éclate en sanglotselle aussi, et pendant quelques minutesnous sommes incapables de parler. Puisje lui demande avec angoisse de meraconter ce qui s'est passé, et ce qu'on luia fait.

- Gowad a dit au garçon qu'il devaitdormir avec moi la nuit; il n'avait pasl'air de vouloir, je crois qu'il avait peur,il est encore petit. Alors Gowad m'atraînée dans la chambre, ici, et il a ferméla porte. Je me suis assise et j'ai attendu.

Je pouvais les entendre se disputer à côté,sans comprendre ce qu'ils disaient.

Gowad criait beaucoup après Samir, jesuppose qu'il ne voulait toujours pasvenir dormir avec moi. Il l'a battu, très

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violemment, le garçon criait et pleurait,c'était terrible... Zana... terrible... alors jesuis sortie dans le couloir pour essayerde mieux entendre, mais j'avais peur. S'ilbattait son fils, il allait me battre aussi, tucomprends?

Nadia reprend un peu son souffle,quelques minutes, et je la berce contremoi.

- Une porte s'est ouverte, Gowad est venuvers moi, j'ai pleuré, j'ai dit que jevoulais rentrer chez moi, je l'ai mêmeinjurié. Alors il m'a frappée.

- Où? Qu'est-ce qu'il t'a fait?

- Il m'a donné un coup de pied dans lescôtes, il m'a poussée dans la chambre à

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coups, de pied, et il m'a dit en anglais queson fils ne m'aimait pas, qu'il avait peurde moi, mais qu'il allait l'obliger àcoucher avec moi, de force. Après il aattrapé Samir par le cou, et l'a jeté dansla chambre comme un chien. Il pleuraitvraiment, il avait les joues rouges, et setenait la tête. Son père a refermé la porteà clé. Je n'oublierai jamais cette nuit.

- Il t'a fait du mal?

- Oui. Il m'a humiliée...

Nadia n'est plus vierge. Nadia secrète ettorturée n'en dira pas plus, même à moi sapropre sœur. Humiliée. Ce gamin qui n'aque treize ans est plus fort que mon soi-disant mari. Il craignait l'impureté del'Anglaise, mais son père plus encore et il

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lui a obéi. Ces gens sont fous et ignobles.Contraindre leur propre enfant àaccomplir un acte sexuel. Le battre pourcela. Qu'espèrent-ils?

Salama, la femme de Gowad, semble pluscompréhensive avec ma sœur que Wardne l'est avec moi. Ce n'est pas le mêmegenre de femme : petite, bronzée, desyeux remarquablement noirs et brillants,mais de gentillesse plutôt qued'agressivité. Elle est venue consolerNadia ce matin. Nadia n'a pas compris lelangage, mais les gestes étaientrassurants. Comme ceux d'une mèredésolée pour sa propre fille. Désolée,c'est tout ce qu'elle peut être. Pour, ellecomme

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pour

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les

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autres femmes, l'obéissance est de règle,le mariage est le mariage, le fils doit fairedes enfants à une autre femme, rien ne.compte que l'accomplissement de cerituel barbare.

Ni l'amour, ni les répulsions, pas lemoindre choix. Elles n'ont pas le moindrechoix. Et nous devrons vivre commeelles. La belle-mère de Nadia estsimplement plus humaine, plus normaleque la mienne. Je ne comprends presque

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rien

à

l'arabe,

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mais

suffisamment pour avoir entendu l'autrejour Ward me traiter de « putain blanche». Cette femme est mauvaise, jalouse etméchante de nature...

Nous restons dans la chambre, colléesl'une à l'autre, à la dérive, dans lespleurs, nous posant à nouveau millequestions, oscillant entre l'espoir et ledésespoir. « Pourquoi notre père a-t-ilfait ça ? Maman était-elle complice ?

Oui, non... »

D'où pourrait nous venir l'aide ? Il fautque nous persistions à écrire à notremère. Il faut aussi, chaque jour, que nousdemandions à rentrer chez nous. Il faut

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user ces gens. Leur montrer que jamaisnous ne serons comme eux, nous devonsdemeurer les deux jeunes filles anglaisesqu'ils ont kidnappées. Subir, mais ne rienaccepter. Jamais.

Je demande à Abdul Khada pourquoiGowad a frappé son fils.

- Il ne voulait pas coucher avec ta sœur.

Elle est mal habillée, ses cheveux sontdécouverts, elle est impure.

- Alors il ne fallait pas l'obliger.

- C'est son père qui décide, pas lui. Lui, ilne voulait pas d'une fiancée étrangère, etil l'a dit à son père. C'est une insulte àl'autorité de son père. Son père devait lebattre pour cela, et il devait obéir. C'est

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tout.

Son père... son père... toujours le père.

Seul le père compte dans cette société.

Femmes, enfants, tout doit leur céder. Ilsportent leur grand poignard à la ceinture,et se promènent avec un air menaçant,alors qu'ils ne s'en servent jamais. Laplupart d'entre

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eux

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travaillent

à

l'étranger, côtoient la civilisation, des tasde gens de races différentes, de culturesdifférentes. Ils n'en rapportent au paysque l'argent, le Coca-Cola, les cigarettes,les conserves. Pour le reste, rien nechange. En tout cas ici, dans les villages.

La journée s'écoule ainsi, les femmes d'uncôté, les hommes de l'autre, et Nadia etmoi assises sur son lit.

Cette maison est un peu plus petite quecelle d'Abdul Khada, car la famille estmoins importante. Il y a Gowad etSalama, leurs deux fils, Samir et Shiabqui n'a que cinq ans. Il m'a semblé que

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Salama était enceinte.

La chambre réservée à Nadia et à son «

époux » est semblable à la mienne. Lesmêmes meubles de base, c'est-à-dire unlit, une banquette. Des fenêtres encoreplus petites que les miennes la rendentplus sombre, on y sent le renfermé enpermanence. Le salon par contre est grandet lumineux, bien aéré, et le cabinet detoilette comporte une fenêtre.

Élément précieux, qui permet de s'yrendre sans l'aide d'une torche. Leplafond est également assez haut, on n'estpas obligé de s'y tenir courbé.

Comme chez Abdul Khada, la cuisine sefait sur le toit de la maison, afin que la

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fumée ne soit pas retenue à l'intérieur.

Eux aussi ont des petits fours à pétrole,sur lesquels des bouilloires fument enpermanence.

Hier soir Nadia a eu droit à de lanourriture presque européenne. Gowad autilisé la même technique qu'AbdulKhada. Ils croient nous amadouer, en nousachetant les aliments que nous sommescensées désirer. Comme si cela changeaitquelque chose à leur prison.

Je me doute que cette concession nedurera pas longtemps. Pour l'instant laseule chose qui m'importe est de rester encontact permanent avec Nadia. Je veux lavoir tous les jours.

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Le lendemain et durant une huitaine dejours, on nous laisse faire. Je peuxdescendre à Ashube, par le sentierrocailleux,

accompagnée

d'Abdul

Khada, évidemment. Jamais seule. Maisune fois chez Gowad, ils nous fichent lapaix.

Alors nous montons sur le toit en terrasse.Pour regarder le ciel et le soleil en face.Nous parlons de maman, de

Birmingham,

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nous

rêvons

à

l'hélicoptère qui viendrait survoler levillage, lancerait une corde et nousemporterait loin d'ici, comme desoiseaux.

Nous retrouver dans notre chambre àBirmingham. La chambre des sœurs, oùNadia et moi, nous nous bagarrions poursavoir laquelle de nous deux sortirait latroisième, Ashia : « C'est ton tour », «

Non, c'est le tien »... et Ashia de brailler :« Je le dirai à papa... je lui dirai que vousallez vous balader toutes seules, le soir...» Ashia trépignant sur le couvre-lit à

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fleurs, nous jetant l'oreiller au visage, enfaisant mine d'être fâchée, quand je luirépondais fermement : « Tu es troppetite... » La chambre des sœurs, où lepetit frère n'avait pas le droit d'entrerpour semer la pagaille, avec son ballon...Notre enfance.

Allongées sur cette terrasse, nous prenonsdes bains de soleil, en imaginant la plage.Évitant de parler des nuits d'angoisse.Nous lavant le jour dans cette lumièreinsolente. Bronzer, comme deux gosses envacances.

Comparer nos hâles. Attendre. Lire etrelire les cartes postales de monanniversaire.

« Tout le monde va bien et t'embrasse. »

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« Tout mon amour. »

Là-bas à Birmingham ils nous croient envacances.

Et tous les jours je reprends le sentier,une demi-heure de marche à l'aller, uneautre au retour. Et tous les jours dans ledos d'Abdul Khada, je parle à ces talonsqui grimpent le rocher devant moi : -Quand nous ramènes-tu en Angleterre?

J'espère

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que

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cette

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petite

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phrase

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inlassablement

distillée, sur tous les tons, deviendracomme un poison dans sa tête. Qu'il enaura assez de l'entendre. Qu'il nous jetteradans une Land Rover, sur la route deSanaa. Je franchirais tous les ravins, enpleine nuit, sans dire un mot, si nousétions en route pour Sanaa. Abdul Khadale devine.

- Si tu cherches encore à t'enfuir, n'ypense plus. Les loups et les hyènes tedévoreront avant que tu n'aies atteint lavallée.

Ces après-midi sur le toit de la maison deGowad me semblent hors du temps, horsdu monde. Le plaisir simple éprouvé à

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contempler mes bras et mes jambesbrunis par le soleil de la montagne est unebulle d'inconscience.

Plus lucidement, je peux contempler lescicatrices

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des

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plaies

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dues

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aux

moustiques, et le nombre de cigarettesfumées, entre quarante et soixante parjour.

Lorsque nous allons au magasin ou àAshube, Abdul Khada me fait toujourspasser par le sentier détourné, afin queles hommes ne me voient pas. C'est untrajet redoutable, les bois que noustraversons sont infestés de serpents et descorpions. Je sais qu'il y a des loups etdes hyènes, nous les entendons la nuit.

De jour, ils ne se montrent pas, mais...

ce sont des gardiens aussi sûrs que deshommes en armes. Les babouins parfoisse montrent menaçants, il faut les chasser

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en permanence. Depuis ma chambre, c'estune distraction que de les regarder sauterdans les champs, mais sur le chemin ilsme font vraiment peur.

Les autres femmes leur jettent des pierres,crient, font de grands gestes pour leseffrayer. Je n'ose pas encore les imiter, jemarche derrière le dos de mon geôlier, jemets mes pas dans les siens.

Quand je songe aux trottoirs deBirmingham, aux rues, aux vitrines desboutiques... il me prend suffisamment derage pour écraser un scorpion d'un coupde sandalette.

Abdul Khada est jaloux de toutes lésfemmes de sa famille. Par principe il neveut pas que d'autres hommes les voient.

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Je lui pose un problème supplémentaire,avec mon refus de m'habiller en femmeyéménite. D'autre part il sait que je veuxm'échapper, il ne peut pas me faireconfiance, et me laisser aller voir Nadiasans m'accompagner. Sur le chemin, seulsles animaux sont témoins de mon «

indécence britannique ». Au village, nouscroisons des hommes. Et chaque fois quenous en rencontrons un qui parle anglais,je me précipite vers lui, en lui demandantde m'aider. Ils m'ignorent presque tous,comme ceux qui viennent à la maison envisite. J'ai rusé pour leur parler seule àseul, sans résultat.

Certains ont la gentillesse de me répondre:

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- Tu t'habitueras ici, tu es mariée. Laissefaire le temps, tu oublieras ta mère et tonpère.

Ou bien :

- Ne cherche pas à t'en aller, et ne donnepas de mauvaises idées aux autresfemmes. La loi, c'est l'autorité du chef dela maison.

D'autres se détournent simplement sansrépondre. Peut-être ont-ils honte de mafaçon de leur parler aussi directement.

Mais je crois aussi qu'ils sont tous liés àAbdul Khada d'une façon ou d'une autre.

Soit par le travail, soit par le sang, lemariage, ou une combinaison des trois.

De toute façon, il m'est très difficile de

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leur parler, car dès qu'il y a des visiteurs,Abdul Khada m'ordonne de me retirerdans ma chambre, sans aucune politesse :« Débarrasse le plancher ».

Les premiers jours je pouvais encore lesaborder, comme je l'aurais fait enAngleterre, mais Abdul Khada s'estmontré plus dur, plus strict. Au fur et àmesure que je devenais, à ses yeux, unefemme arabe comme les autres.

Quant à mes rapports avec Ward, ils sontnuls. Elle me hait depuis le début, et necomprend pas pourquoi je n'assume pascomme elle, et son autre belle-filleBakela, les tâches quotidiennes etharassantes réservées aux femmes.

Je cherche à établir un contact avec

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quelqu'un qui accepterait de prendre unelettre pour ma mère, et de la poster, maisje

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dois

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renoncer

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rapidement

à

m'adresser aux hommes du village quiparlent anglais. Il est impossible de leurfaire confiance, ils rendraient la lettre àAbdul Khada, et je le payeraisprobablement très cher.

Quant à Nadia, malgré la relativesympathie que semble lui porter Salama,sa « belle-mère », elle n'a aucun espoir,Gowad se contente de ricaner chaque foisqu'elle lui demande de la renvoyer cheznous. Elle ne sort pas, seules les femmeslui tiennent compagnie.

Je me suis donc investie seule du devoirde nous sortir de là. Hélas, les jours

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passent sous le soleil de plomb, et j'aibeau inspecter chaque visage, je n'ydécèle aucune sympathie.

Parfois une immense détresse m'envahit.

Je me sens petite fille, écrasée par cedestin insensé. Parfois je me sens forte,déterminée, agressive, et le combatsingulier entrepris avec Abdul Khadareprend :

- Ramène-moi en Angleterre! Tu seraspuni, tu iras en prison si tu me gardes ici!

Mais la nuit, toutes les nuits me ramènentà ma condition infamante.

Dormir avec Abdullah. Avec ce petitgarçon chétif. Me sentir sale, au point derêver d'un puits pour y disparaître. Je

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m'efforce de garder mes vêtements surmoi, comme une protection, je dors dansune longue chemise de nuit, et ne quittejamais mes sous-vêtements. Au matin, jevais les laver, avec ma propre savonnette,qui commence à se réduire comme unepeau de chagrin. Me laver est la seulechose qui me soulage un peu.

Qui me délivre de cette crasse morale, decette saleté qu'ils appellent « mariage ».

Aujourd'hui, réunion de qat dans lamaison de Gowad. Ils dépensenténormément d'argent pour ces feuilles.

J'ai essayé moi aussi d'en mâcher, dansl'espoir que cela me permettrait dedormir la nuit, d'oublier le corps del'autre à mes côtés, de fermer les yeux,

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enfin. Car je suis devenue insomniaque,cette

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chambre

m'angoisse,

l'odeur

d'Abdullah m'angoisse. Si je n'avais paspeur des bêtes fauves, la nuit, et du froid,je dormirais dehors. Si j'avais des pilulesde somnifères j'avalerais le tube.

Alors j'ai essayé le qat. Assise à côté duvieillard aveugle devant la maison, j'aiobservé sa joue démesurément grossie, aufur et à mesure qu'il enfournait les feuilleset je l'ai imité. Au début cela m'a faitdormir, puis j'ai renoncé, ça me rendaitplus malade qu'autre chose. Et c'étaitaussi une manière de me comportercomme eux, je devais refuser cela.

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Ils prétendent que cela guérit de tout,enlève la fatigue, coupe la faim et la soif.Cette plante est aussi importante que lanourriture pour eux. On la voit même surle billet d'un rial. Le qat pousse dans deschamps immenses, cela ressemble un peuaux haies de troènes que l'on peut voirdevant les maisons anglaises. On achèteles feuilles à l'échoppe du village, ou aumarchand ambulant qui les transporte àdos d'âne.

Abdul Khada m'a expliqué qu'il enexistait plusieurs qualités dont lameilleure vient d'Afrique par bateau. Leqat de la région est amer, et de qualitémédiocre.

Dans la journée, les hommes se

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rassemblent, et mâchent pendant desheures les jeunes feuilles vertes. Ilsmastiquent, font une sorte de boule quidéforme la joue. Et les heures passentainsi, à mâcher, cracher, parler.

Les femmes préfèrent fumer une herbequ'elles appellent tutan. C'est une sortede morceau de bois, • qu'elles font brûlersur du charbon de bois, après l'avoirréduit en petits morceaux. Elles seservent d'une pipe pour en aspirer lafumée acre. Elles n'ont pas le droit defumer des cigarettes comme les hommes.

Moi si, et j'y tiens. Abdul Khada lesachète pour moi, et curieusement ne faitaucune remarque à ce sujet.

Il espère peut-être m'amadouer en

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autorisant cette entorse à la règle.

Aujourd'hui j'ai dû fumer un paquet dansl'après-midi, tandis que pour la centièmefois, nous reparlons de maman, Nadia etmoi, avant que je ne reprenne la route demon village prison. Ma petite sœur estpâle, mais ne se plaint pas. Parfois je lasens loin, flottant dans le vide,inaccessible. Sa manière à elle de refuserla réalité.

Abdul Khada est dans l'entrebâillementde la porte de la chambre.

- Il faut que tu donnes de tes nouvelles àta mère. Je me méfie.

- Elle a reçu ma lettre?

- Elle a dû la recevoir, mais tu dois lui

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dire comment vous allez, toi et Nadia.

J'essaie de réfléchir rapidement. Bienentendu... il a peur que, sans nouvelles del'arrivée de Nadia, maman ne s'inquiète,et ne lui fasse des ennuis.

Maman n'est donc pas au courant. Elleignore que notre père nous a vendues. Etil faut qu'elle l'ignore le plus longtempspossible, en ce qui concerne noskidnappeurs. Il va m'obliger à mentir. Ilfaudrait que je refuse de donner de nosnouvelles. Mais, d'un autre côté, c'est làle seul moyen de tenter quelque chose, deglisser une phrase qu'il ne comprennepas, bien qu'il lise assez bien l'anglais.

Par exemple écrire : « Maman chérie, jesuis mariée à Abdullah, tout va bien... »

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Non, il ne me laissera pas écrire ça.

Alors peut-être : « Maman chérie, ce paysest très beau, il faut absolument que tuviennes nous voir. » C'est idiot, elle necomprendra pas le double sens. Jecherche, je cherche avec anxiété. MaisAbdul Khada interrompt ma réflexion.

- Tu vas enregistrer une cassette.

« Une cassette ? C'est leur méthode. Ilsl'ont déjà ' utilisée pour mon frère Ahmedet ma sœur Leilah. » Une cassetteenregistrée en arabe, et que mon pèretraduisait à ma mère. S'ils me laissentenregistrer une cassette en anglais, j'aipeut-être le moyen de glisser

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quelque

chose...

j'ai

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des

cassettes, j'ai mon appareil.

- D'accord. Je vais le faire ce soir dansma chambre.

Nadia me regarde avec espoir.

- Non, ici, avec nous.

Avec nous, cela veut dire dans la pièceréservée aux réunions d'hommes. Et ilssont nombreux ce jour-là. Des amisd'Abdul Khada, son fils Mohammed,Abdullah mon supposé mari, Gowad etSamir le supposé mari de Nadia. Ondirait un tribunal de loups pour deuxbrebis.

- Tu dois dire que le Yémen est un pays

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magnifique. Que nous sommes en train detuer le mouton, pour une fête, tu dois direque tu es heureuse. Nadia le dira aussi.

C'est terrible ce qu'ils nous font faire. Jesuis là, assise sur un coussin. Nadiacontre moi, devant tous ces hommesattentifs, aux regards menaçants. Je doisprendre le petit appareil qu'ils medonnent, et commencer la première,mettre la cassette, appuyer sur le boutond'enregistrement, et parler dans le micro,sur le côté. Je fixe ce minuscule trou noir,qui va emporter ma voix là-bas àBirmingham. J'en tremble jusqu'aux pieds.

« Maman chérie... Nadia est bien arrivée,nous sommes dans un joli village, et leYémen est magnifique. Ici, ils vont tuer un

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mouton pour la fête en notre honneur.Nous sommes très heureuses. J'embrassetout le monde, Ashia, et Moi. Dis-leurque je les aime.

Je t'embrasse, Nadia aussi. A bientôt,maman... »

J'en mourrais de rage, et de frustration.

Nadia a la voix encore plus voilée ettremblante que la mienne." Elle s'efforcede répéter derrière moi les mêmesinepties. Comme le zombi qu'elle estdevenue, sans violence, sans agressivité,morte. Je n'arrive même plus à la fairesourire, quand nous sommes seules. Etcela m'est une humiliation encore plusgrande que de la voir obéir, de l'entendrechuchoter « Je suis heureuse d'être ici »,

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sans pouvoir hurler le contraire.

Maman va y croire. J'ai pris ma voix laplus triste, et Nadia aussi, sans faired'efforts, pour qu'elle devine, mais va-telle deviner? Ils sont machiavéliques denous obliger à cette mascarade debonheur en boîte.

- Quand nous ramènes-tu en Angleterre?

- Quand tu seras enceinte, tu pourras alleraccoucher chez ta mère.

Je ne peux pas m'empêcher de montrer mahaine, et cette haine se heurteinévitablement au mépris. Ce que nousressentons ne les intéresse pas. Savoirqui nous sommes ne les intéresse pas. Ilscherchent à nous laver le cerveau, à nous

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rendre yéménites, esclaves à vie. Mais jeme raccroche à cette promesse, mensongeou non... Si je tombe enceinte, si je vaisaccoucher en Angleterre, je leur ferai delà-bas tout le mal possible.

En attendant, la cassette disparaît dans lapoche d'Abdul Khada. Nos deux voixvont quitter ce pays, enfermées dans cettepetite chose de plastique, voler par-dessus les océans, portées par je ne saisquelles mains étrangères. J'imaginemaman ouvrant le petit paquet... à lamaison, ou peut-être au restaurant,donnant de nos nouvelles aux amis, disant: « Elles font un superbe voyage...

» J'imagine notre père, devant son verrede bière, disant : « Elles vont apprendre

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la vraie vie des femmes arabes, ladiscipline, et le respect. »

Il ne nous aime pas, il n'aime aucun deses enfants. Pas un père ne pourrait agircomme il l'a fait, en aimant ses enfants.

Il n'aime ni Dieu, ni diable, il n'aime quel'argent. Il nous a laissées grandir,pousser, comme du bétail à vendre.

Sur un signe d'Abdul Khada, je dois lesuivre, et rentrer. Lever de soleil, coucherde soleil, les jours et les nuits passentsans dates, sans repères, sensationétrange de temps arrêté. Le viol a arrêtéle temps, l'a fixé. Il m'a épinglée dans cevillage, au milieu des collines. Jecommence à chasser les moustiques parhabitude, je commence à marcher en

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évitant les scorpions par habitude. Mais,si par chance Abdullah ne vient pasm'ennuyer pour la nuit, je me réfugie dansun rêve intérieur, où je danse avecMackie. Ils ne peuvent pas me voler matête. Ils ont payé mon corps, pas ma tête.Et dans ma tête, il y a la haine pour eux,et le rêve de liberté.

La liberté est la chose la plus précieusedu monde.

La liberté est dans ma tête, quand jeregarde Ward cuire la pâte sur la braise,plonger ses mains calleuses dans le feudu fourneau, transpirer, traîner son corpspesant sur le chemin du puits, charrier lesbidons d'eau, et me jeter parfois un regardjaloux. « On ne t'a pas appris la liberté à

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l'école, Ward. Moi si. C'est un privilègeque de savoir qu'on est l'égale des autres.Et ça ne s'oublie pas, même dansl'humiliation, même en prison dans cettesociété rétrograde. »

Lorsqu'une fille se marie dans la sociétéyéménite, on attend d'elle qu'elle partageles charges de travail avec les autresfemmes de la famille. Une fille de monâge est censée décharger les plus vieilles.Comme tous les chefs de famille, AbdulKhada et Gowad nous ont achetées pourcela aussi. Ils marient leurs fils à desfilles physiquement résistantes et enbonne santé, souvent plus âgées, dans lemême but. Je m'en suis rendu compte enregardant un peu autour de moi dans levillage. Dès que les fillettes savent

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marcher, elles transportent de l'eau surleur tête, aident à la cuisine, ramassent lebois et soignent les bêtes.

Dès le premier jour, ils ont obligé Nadiaà transporter l'eau. Cela consiste à mettresur sa tête un bidon de vingt litres, qu'ilsappellent tanaké, à marcher jusqu'à lasource, revenir avec le bidon plein sur latête, et recommencer jusqu'à ce que laciterne de la maison soit pleine.

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Une corvée

harassante,

quotidienne, à laquelle il faut ajouter leramassage du bois de combustible ou dela bouse séchée, le fourrage pour lesanimaux, le ménage, la cuisine.

La maison d'Abdul Khada, construite enhauteur, rend plus difficile encore cegenre de corvée. Il faut charrier l'eaujusqu'à douze fois dans la journée, enescaladant un sentier difficile...

Un jour Ward déclare à son mari, en medésignant : - Il faut qu'elle travaille. J'aidroit au repos.

Jusqu'à présent, Abdul Khada ne m'avaitrien demandé, et elle devait commencer à

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trouver le temps long. Pourquoi aurait-elle marié son fils, et payé si cher...

Ils ont l'usage d'un puits dans un champvoisin, à environ vingt minutes demarche. Je dois m'y rendre avec la petiteTamanay, qui n'a que cinq ans, mais unbidon à sa taille, qu'elle porte habilementsur la tête. On m'explique que si ce puitsest à sec, je devrai me rendre à un autre,et marcher encore vingt minutes. Pourcette première fois, Ward et Bakelam'accompagnent.

Me voilà sur le sentier, femme arabeparmi les femmes arabes, à l'exception dema tenue vestimentaire. Le soleil n'est pasencore haut, il n'est que cinq heures dumatin. Mais malgré cette heure matinale,

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les serpents s'entortillent déjà dans

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les

fourrés,

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beaucoup

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sont

venimeux, et on ne les distingue pastoujours, ils ont toutes les formes et lescouleurs possibles.

Il y a quelques jours, un homme a failli enmourir, le frère de Ward. Nous avonsentendu un cri perçant venant du villageen bas, et quelqu'un est venu la prévenirqu'il s'agissait de son frère. Il venait deTaez en voiture et était descendu en coursde chemin. Un serpent l'avait mordu àl'orteil. Toute la maisonnée est allée levoir, chez lui. Il était allongé sur son lit,en plein délire. Aucun médecin pour lesoigner. Des femmes préparaient unesorte d'onguent pour l'appliquer sur laplaie. Il a guéri, mais depuis je regarde

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plus attentivement où je pose mes pieds,ce qui n'est pas facile aujourd'hui avec cebidon sur la tête.

Cette corvée d'eau exigée par Ward estune autre étape dans le domptage qu'ilsont entrepris. Ils espèrent ainsi nousbriser peu à peu, réduire nos libertés parl'esclavage quotidien.

Le puits est un lieu important, les femmesdoivent retirer leurs chaussures pour yaccéder. Il est à fleur de terre, mais bordéde ciment; des grillages le protègent. Cequi n'empêche pas les grenouilles et lesinsectes de pulluler.

Une vision d'horreur pour moi. Lesfemmes sont obligées de les repousser àla main, sur le côté, pour atteindre le

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puits. J'ai bu de cette eau, sans connaîtreson origine, et les premiers jours elle m'arendue malade. Il doit y avoir là-

dedans toutes sortes de germes, demaladies, et apparemment on s'y habitue.

Elle a un goût particulier, un goût depluie. A l'aube, elle est encore fraîche,mais au fur et à mesure de la journée, ellese réchauffe. Les réservoirs de la maisonse vident régulièrement, et ce premierjour j'ai dû faire trois voyagessupplémentaires dans l'après-midi, et unautre le soir. J'ai si mal au dos que je mejette sur mon lit.

Le lendemain, je suis affectée auramassage du bois. Les hommes ontcoupé des branches que nous devons

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transporter en fagots, pour les stocker ausous-sol. Après quoi, on me met à lacuisine, les mains dans le feu, pour lacuisson des crêpes de farine de blé.

Je travaille en permanence avec Ward, etplus nous nous connaissons, moins nous

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nous

supportons.

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Mon

comportement ne peut changer, je la hais.Je l'évite au maximum, en lui tournant ledos, en refusant son regard; je préfèreBakela, la femme de Mohammed, ma «belle-sœur » en quelque sorte, et ses deuxpetites filles.

C'est avec elles que je me rends au puitsà présent. C'est avec elles que j'essaied'apprendre à parler arabe. Ou avecHaola.

Je me sens mieux avec les enfants. Eux,au moins, je n'ai aucune raison de leshaïr. Us me font penser à mes petitessœurs Ashia et Tina, à mon petit frèreMo. C'est avec eux que je devrais être en

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ce moment. Us grandissent sans que je lesvoie, ils me manquent tellement.

Mais les enfants d'ici me soulagent, aveceux la communication est plus facile.

Communiquer... parler à quelqu'un, à partNadia que je vois moins longtemps àprésent, et pas tous les jours, je ne peuxparler qu'aux deux hommes de la maison,en anglais. Parler n'est pas le motd'ailleurs. Questionner, demanderl'essentiel, c'est-à-dire, «quand meramènes-tu en Angleterre?...». Ou, « j'aibesoin de cigarettes... ». Pour le reste jeme fais l'effet parfois d'une sourde-muette, essayant de deviner les mimiques,les expressions, les grimaces, lesattitudes. Une prison de plus que ce

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silence.

Ce matin, comme il n'a pas plu depuis desmois, et que la sécheresse s'annonceredoutable, nous allons avec Haolajusqu'au

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puits

lointain,

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et

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nous

contournons une montagne, lorsquesoudain je recule épouvantée. Haolas'immobilise elle aussi devant le petitmonstre qui nous fait face sur le sentier àpic. On dirait un bébé dinosaure, environun mètre cinquante de la tête à la queue. Ilse redresse sur ses pattes arrière et nousregarde droit dans les yeux, la gueuleouverte sur des mâchoires pointues etbaveuses.

J'attrape Haola par le bras en lui criant denous en aller, mais elle refuse de bouger,et me chuchote de ne pas avoir peur.

- Il court vite comme toi... tu cours, ilcourt... comprends.

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J'ai compris. Mais une sueur froide meglace le dos.

- Tu approches pas... il te mord...

Et Haola fait un geste de la main, lesdoigts en forme de mâchoire sur monbras, pour mieux me faire comprendre : -Il te lâche plus. Il faut l'arracher...

Qu'allons-nous faire? Ce monstre nousbarre la

route. Encombrée par le bidon, que jetiens encore maladroitement d'une mainsur ma tête, et le seau que je tiens del'autre main, je fixe l'animal, guettant saréaction. Sous nos yeux, sa peauécailleuse, teintée de brun et de jaune,devient couleur sable, dorée, on dirait un

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énorme caméléon. Je n'ai jamais vu decaméléon d'un mètre cinquante de long. Ilagite une langue de serpent, et une queuearrondie en forme de fouet.

Derrière nous, un cri. Une petite fille quise rendait au puits, comme nous, vientd'apercevoir l'animal, et sans hésiters'empare d'une grosse pierre, se jette surlui, et se met à le frapper sauvagement. Lespectacle de l'enfant s'acharnant sur cettebête d'un autre monde est hallucinant. Lapeau est si épaisse que la pierre rebonditcomme sur

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du

caoutchouc,

l'animal

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se

contorsionne, cherche à mordre encrachant une bave infecte. La filletterecule, avance, ruse, frappe à nouveau,trouvant les endroits fragiles, la gorge,les yeux, faisant des bonds de singe pouréviter le fouet redoutable de la queue.

J'assiste à un véritable massacre. Au boutde plusieurs minutes de ce combatsingulier, la bête finit par rouler sur lecôté, mourante. Alors seulement l'enfantlâche sa pierre, et surveille l'agonie del'animal. Nous attendons ainsi un quartd'heure que la bête meure. En mourant,par soubresauts, le dragon enroule saqueue dans une dernière contorsion,comme un crochet, et tout son corps se

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dégonfle. Il rétrécit comme si de l'airs'échappait de son corps, lentement, avecla vie qui le quitte.

La fillette le ramasse à bout de bras, aubout d'un bâton qu'elle glisse dans lecrochet formé par la queue, et le balancefièrement. Je lui demande ce qu'elle va enfaire, et elle me répond touttranquillement :

- L'emporter à la maison, pour manger.

Elle rit de toutes ses dents blanches enbalançant le monstre sous mon nez, ellerit de plus belle devant mon air horrifié,et Haola rit avec elle, en me taquinant.

Puis la petite fille jette l'animal au loin,ajuste son seau sur sa tête, et s'en va

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tranquillement, me laissant sous le choc.

Je suis vraiment dans un autre monde, ici.Seule je n'aurais jamais pu tuer cette bête,j'aurais pris mes jambes à mon cou. Ellem'aurait poursuivie, mordue, dévoréepeut-être. Je veux savoir s'il y en abeaucoup dans cette région. Haola dit : «Un peu... » Ce dragon, je l'apprendraiplus tard, un varan, il a la capacité,

effectivement,

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de

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courir

terriblement vite sur ses pattes robustes,la queue lui servant d'arme défensive. Ilvit à l'intérieur de trous creusés dans lesol, et n'est pas Carnivore.

Entre les serpents, les scorpions, lesloups, les hyènes et les singes, chaquerandonnée est une aventure. Et commel'eau ne tombe toujours pas, ces jours-ci,nous sommes obligées de faire deskilomètres pour trouver un puits qui nesoit pas.

asséché. Nous en extrayons de la boue, aufond du récipient, et la seule solutionpour boire est d'évacuer cette boue, et dese contenter du liquide saumâtre qui reste.

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J'ai remarqué un ancien puits au fond dujardin, derrière le cimetière, mais quepersonne n'utilise pour l'eau de boisson.

Je vais y faire ma petite lessive, depuisque Ward m'a défendu d'utiliser l'eaupotable du réservoir de la maison. Lepuits du cimetière est toujours plein d'uneeau saumâtre et chaude, et avec un peu delessive en poudre, j'arrive à laver monlinge à peu près correctement.

J'aime cet endroit, car il est peufréquenté. Une fois le linge rincé, jel'étalé sur les pierres, il met peu de tempsà sécher, une dizaine de minutes, un quartd'heure environ... et pendant ce temps jesuis seule. Loin des autres, de Ward quime méprise, d'Abdul Khada que je hais si

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violemment que je rêve parfois d'avoir unpoignard comme lui, et de m'en servir.

Ce cimetière est différent des nôtres. Pasde pierres tombales. Lorsqu'on enterrequelqu'un, on fait un trou dans la terre, onrebouche le trou, et on coule un peu deciment par-dessus, en inscrivant le nomdu mort, avant que le ciment sèche.

Le puits est une sorte de petite hutte depierre, avec une porte. Il est fréquenté parles crapauds et des tas d'insectes.

Je reste là, assise à l'ombre de la porte, àregarder l'eau s'évaporer de mesvêtements. Je n'ai pas grand-chose,quelques

sous-vêtements,

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trois

chemisiers, deux jupes et des tee-shirts.

Je ne partais que pour six semaines devacances... Quatre semaines se sontécoulées, je suis « mariée » depuis unmois, Nadia depuis quinze jours... celaparaît à la fois long et ridiculement court.En quatre semaines, j'ai vécu tant dechoses... subi tant d'humiliations.

Dès les premiers jours, Nadia m'a dit queson beau-père Gowad voulait qu'elles'habille « convenablement ».

Elle porte désormais un foulard sur latête, et une longue robe bariolée, sur despantalons qui lui arrivent aux chevilles.

Cela ne l'empêche pas d'être belle, ses

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yeux noirs sont encore plus grands dans levisage amaigri, triangulaire. Elleressemble à une jeune princesse hindoue.Elle m'a expliqué avec résignation

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que

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finalement

c'était

pratique, ce genre de tenue, pour seprotéger des insectes. Les moustiquesn'ont plus l'occasion de s'attaquer auxjambes, ni aux bras. Quant à moi, j'ai dûaccepter la semaine dernière qu'unefemme du village prenne mes mesures,pour me confectionner des vêtements,puisque j'ai rejeté ceux de Ward etqu'aucune femme dans la maison n'a mataille. La couturière a donc accompli sontravail, en présence d'Abdul Khada qui nevoulait pas quitter la pièce. Je suis restéehabillée, et elle a dû faire uneapproximation. J'aurai trois robes et despantalons. Et comme tout le monde je

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porterai des tongs en plastique quilaissent les talons et les doigts de piedsnus.

Une fois mes vêtements occidentaux lavéset séchés pour la dernière foisaujourd'hui, je vais les ranger dans mapetite valise. Tout ce qui me reste del'Angleterre. Mes romans d'amour,Racines, mes cassettes de reggae et derock. Ma brosse à dents, et un reste desavonnette.

Prendre un bain, un vrai, est un rêveimpossible. Même une douche. Mais hier,j'ai transgressé la règle qui veut que lesfemmes ne se lavent jamais en entier, etne prennent pas de bain. J'étais au lavoiravec la petite Shiffa, qui a huit ans, et

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assume toutes les corvées d'une adulte. Ilsvont sûrement la marier bientôt, elleaussi... Une envie soudaine de trempermon corps, de le laver de toutes sessouillures, m'a prise, comme une soifimmense.

Avec mes quelques mots d'arabe, j'ai faitcomprendre à Shiffa que j'allais dansl'eau, et qu'elle devait surveiller lesenvirons. Elle a accepté, un peu effrayée.J'ai descendu les quelques marches enciment du lavoir, et je suis entrée dansl'eau avec mes vêtements.

C'était froid, et sombre, je me suis laisséeglisser, sur le dos, le visage à quelquescentimètres sous la surface, les yeuxouverts à travers ce miroir liquide, je

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pouvais voir Shiffa silhouette un peudédoublée et immobile. Retenant monsouffle, je suis restée ainsi jusqu'àépuisement de mes poumons, dans lafraîcheur et l'obscurité silencieuse dulavoir. J'aurais voulu ne jamais en sortir.

Flotter ainsi pour l'éternité. En refaisantsurface, j'ai vu que Shiffa étaitépouvantée, elle m'avait crue noyée, etfaisait des gestes désespérés en montrantle sentier. Elle avait cru entendre venirquelqu'un.

J'ai remonté à regret les marches deciment, et nous sommes rentrées à lamaison. J'étais encore ruisselante enarrivant, et Ward a interrogé Shiffa, qui atout raconté. J'avais commis une faute.

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Et pour me faire peur, Ward a dit que desserpents venimeux se promenaient dans lelavoir. Ça m'était bien égal. Le bonheurde ce bain volé, associé à la certitude del'avoir scandalisée, était plus importantque la peur rétrospective d'une morsurede serpent.

Mes vêtements secs, je regagne lamaison, ma chambre, autre lieu de refugesolitaire, lorsque Abdullah n'y est pas.

Par les petites fenêtres je contemple lessinges qui volent du maïs dans le champderrière la maison. Si Abdul Khada etMohammed les voyaient, ils sortiraientleurs fusils. La saison est tellement sècheque les singes sont affamés, ilsdeviennent plus téméraires et plus

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agressifs encore. Ils viennent jusqu'auxpuits, et ne s'enfuient qu'à l'approche dequelqu'un, en criant de mécontentement.

Les hommes et les singes semblent sedisputer le territoire, la nourriture etl'eau.

L'autre jour, alors que j'allais au village,à la boutique, chercher du sel et du bois,avec Tamanay, ils étaient partout,piaillant, déchiquetant le maïs. Je n'étaispas tranquille, car ils étaient nombreux eton m'a dit que parfois ils s'attaquaient auxfemmes. La petite Tamanay ne semblaitpas avoir peur, car en arrivant en haut dela colline, elle s'est mise à chanter unechanson, pour les taquiner.

- Toi le singe... Toi le singe...

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Je ne comprenais pas la suite de sacomptine en arabe, mais les singes étaientfurieux. L'un d'eux, le plus gros,ressemblait à un babouin et devait être lechef du groupe. Les autres étaient pluspetits. Des mères portaient leur bébé dansles bras. Énervée par la chanson, unebande de petits singes à longue queue,dont j'ignore la race, est montée dans lesarbres, et ils se sont mis à nous jeter despierres. Nous avons fui en riant jusqu'auvillage.

Au retour, le grand singe était installé surle chemin et nous montrait les dents.

Quand il nous a vues courir à nouveau, ilest

retourné

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manger

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son

maïs

tranquillement, content de nous avoir faitpeur. Il y avait de quoi trembler, en effet,il est presque aussi grand qu'un gorille.Parfois je le croise sur mon chemin, entrain de manger une plante ou un épi. Il nebouge pas, me regarde fixement, et c'estmoi qui dois m'écarter, en m'efforçant dene pas lui montrer ma frayeur.

Les gens du village ne les aiment pas, etleur livrent une guerre permanente car ilsattaquent le bétail et détruisent lesrécoltes. Les femmes les chassent à coupsde pierre, les hommes les tirent au fusil.Mais ils ne s'approchent jamais des

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maisons. Leur territoire, ce sont leschamps de maïs.

Ils sont libres, eux. Les hommes aussisont libres dans ce pays, pas les femmes.

La seule qui s'en soit plainte devant moi aété interdite de visite à la maison parAbdul Khada. Elle s'appelle Hend, etphysiquement elle a l'air plus anglaiseque moi. Des cheveux blonds, des yeuxd'un bleu-vert très clair, une peau fragileet pâle, un sourire doux. Elle a vingt ans,et habite le village. Elle est mère de sixfilles... six enfants à vingt ans.

Elle m'a dit :

- Je suis malheureuse ici, je veux m'enfuirà la ville, je veux être moderne.

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Elle baragouinait un peu d'anglais, sonmari était parti comme beaucoup d'autrestravailler en Arabie Saoudite. Elle vivaitseule en fait avec toute sa marmaille, sansavoir connu d'enfance. Dès qu'il a suqu'elle était venue à la maison, AbdulKhada est devenu menaçant :

- Je t'interdis de la revoir et de luiadresser la parole. Elle a très mauvaiseréputation dans le village. C'est unefemme effrontée!

Je l'ai trouvée jolie et sympathique, etelle n'a pas paru effrontée en quoi que cesoit. Mais je suppose que des fillescomme Hend et moi représentons unemenace pour les hommes du village. Ilsdétestent l'idée que nous pourrions

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fomenter la discorde au sein des autresfemmes. Ils leur bourrent le crâne depuisleur enfance, avec des règles decomportement, établies par eux, et qu'ilne faut pas remettre en question. Tais-toiet travaille, tais-toi et marie-toi, tais-toiet fais des enfants. Le bonheur vientd'eux, à ce qu'il paraît.

La plus jolie nièce d'Abdul Khada a étémariée à l'un de ses cousins, juste avantmon arrivée. Abdul Khada m'a dit en mela présentant :

- Si Abdullah avait eu une cousine commeelle, de l'âge légal, il l'aurait épousée à taplace!

Si seulement la chose s'était produite! Jedoute cependant qu'une jeune fille eût

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volontairement épousé Abdullah... Lepère aurait eu beaucoup plus cher à payer,ici, pour une fiancée à un tel fils...

Tout le monde sachant quel piètre mari ilserait. Toujours malade, peureux,velléitaire.

Il y a une chose dont je suis sûre : à partNadia et moi, aucune des filles du villagen'a été forcée au mariage. Si une fille neveut pas d'un garçon, elle a le droit derefuser, et d'en choisir un autre.

C'est dans leur loi, dans le Coran.

«Alors pourquoi nous? »

« Pourquoi nous avoir enlevées et forcées? » Cette fille, Hend, m'a raconté que lejour de son mariage, on lui a demandé

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trois fois, durant la cérémonie, si elledésirait persévérer. Comme la majoritédes femmes, elle s'est contentéed'accepter le choix de sa famille. Maiselle pourrait divorcer.

Les femmes ont donc certains droits toutde

même. « Pourquoi pas nous ? Pourquoin'avons-nous pas eu de cérémonieofficielle ? Où sont les papiers? Qui peutsoutenir que nous sommes bien mariées àces deux gamins ? »

En réalité, j'en suis certaine maintenant,nous ne sommes pas les victimes d'unpère arabe et religieux voulant que sesfilles s'intègrent à son pays. Vendre,empocher deux mille livres, voilà ce qu'il

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a voulu. Et comme Abdul Khada aurait eudu mal à marier son malingre de fils ici,il a profité de l'occasion.

C'était moi l'occasion. Et Nadia a eu lemême sort. Cela aurait pu êtreinterchangeable aussi, pourquoi pas? Ilsme dégoûtent. J'aimerais mieux être unsinge qu'une femme dans ce pays.

A l'heure de la dernière corvée d'eau dela journée, Abdul Khada m'informe de sanouvelle décision :

- J'ai un restaurant à Hays. Je viens del'acheter. Je dois aller faire des travauxlà-bas avec Abdullah et Ward, nousgagnerons de l'argent là-bas.

Quelques secondes un immense espoir

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m'envahit. Il va partir, il emmène mon «

mari », et ma « belle-mère ». Seule avecBakela, je pourrais voir Nadia plussouvent, et peut-être...

- Tu viens avec nous.

- Pas encore! Non, je ne veux pas laisserma sœur. Je veux rester avec elle.

- Ce n'est pas toi qui décides. Tu fais ceque je dis.

- Je peux aller voir ma sœur aujourd'hui?

- Si tu veux. Je t'accompagne.

Sur le chemin d'Ashube, j'ai supplié etsupplié, disant que Nadia était trop jeune,qu'elle était faible, qu'elle avait besoin demoi. Et dès qu'elle a su ce qu'il

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projetait,

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Nadia

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a supplié

également Abdul Khada de me laisser auvillage, avec elle, dans la maison deGowad.

- C'est impossible. Et inutile de pleurer,vous pourrez vous rendre visite, ce n'estpas si loin.

Il mentait effrontément. Hays estbeaucoup trop loin pour que nouspuissions faire le voyage à pied. Etjamais nous n'obtiendrons de lui ou deGowad qu'ils nous accompagnent.

A deux, nous pouvions nous soutenir,parler de maman, contempler les photosque j'avais emportées avec moi, la cartepostale

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de

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mon

anniversaire,

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en

espérant, espérant... à deux. Seule, que vadevenir Nadia... J'ai peur qu'onl'influence,

qu'on

l'abrutisse

complètement. Elle n'a ni ma forcephysique, ni ma haine, cette haine qui mesolidifie, jour après jour, et me fait tenirdebout, devant cet homme borné.

- Nous partons demain.

Un jour, il paiera. Je ne serai pas toujoursune esclave.

Je n'ai pas dormi cette nuit-là, j'ai vu lesoleil se lever à travers la petite fenêtre,

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allongée sur la banquette,- me tournant etme retournant sur ce maudit matelas tropmince, pleurant dans le coussin qui mesert d'oreiller. Cinq semaines de cetenfer, déjà.

Abdullah a dormi seul sur le lit, aprèsm'avoir ennuyée dix minutes. Je ne saispas s'il arrivera à faire un enfant, un jour.J'ignore tout des relations sexuellesnormales. Comment cette comédiepourrait-elle aboutir à un enfant ? Dieufasse que non... ou que oui, je ne saisplus. Si c'est le prix à payer pourretourner en Angleterre, si je peux faireconfiance à Abdul Khada, qui me l'apromis...

L'aube est là, la voiture aussi. Un des

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parents d'Abdul Khada vient nouschercher avec une Land Rover, pour nousemmener à Hays. Le voyage me déprimeencore plus que ma nuit d'insomnie. Lepaysage devient de plus en plus aride,triste. Nous traversons des étenduescaillouteuses, en direction de la côte etdes ports sur la mer Rouge.

Mais nous n'irons pas jusque-là.

Hays est une petite ville dont AbdulKhada dit qu'elle est très belle, il meparle de poteries, de gens riches et debelles maisons. La vieille ville,historique m'a-t-on dit, à un kilomètre del'endroit où nous arrivons, est peut-êtrejolie, ça ne m'intéresse pas, et je ne lavisiterai sûrement pas, car le restaurant

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d'Abdul Khada est situé au bord de laroute

principale qui relie les ports de la merRouge à Sanaa, dans un quartierrécemment construit.

Ce restaurant est grand, situé au milieud'immeubles modernes

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qui

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se

ressemblent tous, et d'autres restaurantsqui se ressemblent tous. Blancs àl'extérieur, et meublés de tables et dechaises bon marché. Cette nouvelle villeest en construction continuelle, et les ruessont un perpétuel nuage de poussière.L'endroit est un mélange de tradition et demodernité. On y voit de gros camions surla route, bourrés de marchandises,croisant des files de chameauxtransportant eux aussi des marchandises,

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des

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sacs

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de

maïs

notamment... Des troupeaux de chèvrescôtoient les cyclistes. Il paraît qu'ungrand marché se tient chaque semaine nonloin de là et qu'il existe aussi un centred'achat de qat, très important.

Nous voici donc dans l'établissementd'Abdul Khada. Au troisième étage, deschambres plus spacieuses que celles deHockail, aux murs cimentés proprement.

Il y a l'eau courante, un vrai luxe, etl'électricité, super luxe. Au village, nousutilisons des lampes à huile, dès latombée du jour, et il faut les transporterpartout avec soi, de la cuisine aux

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chambres, de l'étable au placard destoilettes, en respirant une fumée acre etnauséabonde. Les toilettes, ici, sonttoujours aussi sales. Un trou, et de l'eau.

Par contre, il y a une douche. Au-dessusdes chambres un toit terrasse, où l'on peuts'installer.

Abdul Khada me montre fièrement sonjardin, entouré de si hauts murs que l'onne voit rien alentour, à part un morceau deciel. Il y cultive ses propres légumes, despommes de terre et des tomates, et utilise

énormément

d'eau

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pour

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y

parvenir.

Il fait plus chaud qu'au village, et dèsnotre arrivée, je fais la connaissance d'unnouvel ennemi. En dehors des mouches etdes moustiques qui pullulent encore plusque sur les hauts plateaux, nous sommesenvahis par les fourmis rouges. La seulefaçon de leur échapper est de s'asseoirsur une chaise les pieds relevés.

Cette chaleur torride, tous ces insectes mefont apprécier, à mon tour, les vêtementstraditionnels arabes. Les pantalonsprotègent des piqûres. J'ai commencé àcouvrir mes cheveux d'un foulard et àporter les longues robes par-dessus les

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pantalons. En apparence, je suis devenueune femme yéménite. Et une femme quitravaille.

Avec Ward, je suis affectée à la cuisine.

Cette cuisine est en fait une sorte de longcorridor, à l'arrière du restaurant. AbdulKhada et Abdullah servent les clientsdans la salle du devant; nous, nousrestons enfermées dans ce local étroit oùl'on étouffe de chaleur dans la journée.

Même les portes ouvertes sur le jardin nedonnent aucune fraîcheur.

Cette cohabitation forcée dans le travail,entre les fourneaux, la vaisselle et leménage, nous rend de plus en plusagressives l'une envers l'autre. Je la

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déteste, je déteste cet endroit, cettechaleur, je déteste être enfermée ici ànourrir des hommes que nous ne voyonsmême pas. Au moindre prétexte, et mêmesans prétexte du tout, c'est la guerre entrecette femme et moi. Elle transpire, elleest grosse, laide, avec ces petits yeuxméchants. Elle veut me dominer.

L'autre jour, elle a sorti du congélateur unpoulet raide de glace, et me l'a jeté sousle nez en réordonnant de le couper et dele faire cuire. C'était stupided'entreprendre de découper un pouletcongelé ! Je le lui ai rejeté à la figure enhurlant :

- Non!

Nous nous sommes affrontées quelques

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secondes, puis plus rien. Elle n'ose pasme battre. La plupart du temps nous nousignorons, ce qui n'est pas facile dans unlieu aussi réduit.

Communiquer m'est toujours difficile, jene parle pas assez bien l'arabe.

D'ailleurs je n'ai personne avec qui leparler. Ward ne m'adresse la parole quepour des méchancetés, Abdullah necherche pas à discuter, et je ne m'enplains pas. Abdul Khada s'occupe de lasalle et je ne le vois presque plus. Il fautque j'apprenne l'arabe, si je veux pouvoirme débrouiller. Parler est une nécessité,ou je deviendrai folle de solitude.Solitude dans le jardin à contempler lestomates et les hauts murs.

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Solitude dans ma chambre à écoutersempiternellement les mêmes cassettes, età relire les mêmes livres anglais.

Un soir je demande à Abdul Khada dem'acheter un alphabet, des livres pourenfants, de quoi apprendre à lire et àécrire! Je pensais qu'il allait refuser, carau village les femmes n'apprennent rien.

Ni à lire ni à écrire. Les hommes ont bientrop peur qu'en lisant elles ne découvrentleur véritable condition d'esclavage, et necommencent à la remettre en question.L'école du village est réservéeuniquement aux garçons, ils la fréquententtrès jeunes, et peuvent ensuite trouver dutravail à la ville, ou à l'étranger. Mais siune femme veut aller à la ville, ou à

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l'étranger... c'est une autre histoire. Ellene peut compter que sur la bonne volontéde son mari, qui n'en fait jamais preuve,ou rarement.

A ma grande surprise, Abdul Khada nerefuse pas de m'aider. Il me donne unalphabet,

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et

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je

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commence

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mon

apprentissage à partir de là, toute seule,travaillant en général la nuit, car lesjournées sont bien remplies par uneroutine qui ne change jamais.

Chaque matin, Ward met sur le feu unegrande bouilloire d'eau pour le thé desclients, pendant que je fais le ménage.

Abdul Khada fait cuire des œufs et desharicots avec du pain, qu'il est alléacheter quelque part en ville ; devant lerestaurant un jeune garçon fait deschapatis dans une immense poêle à frire;il est employé par Abdul Khada et perçoitdirectement l'argent des clients, qu'il luiremet en fin de journée. Lui-même est

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payé chaque fin de semaine.

A l'heure du déjeuner, il fait cuire laviande, les légumes et le riz. Le soir unrepas, comme celui du petit déjeuner, estservi de six heures à onze heures. Toute lajournée Ward et moi sommes dans lacuisine, pour les tâches les plus humbles,

vaisselle,

épluchage

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des

légumes, ménage, jardin. Abdul Khada estderrière le comptoir, discutant avec lesclients; durant la soirée, les hommesjouent aux cartes, boivent du thé ou ducafé.

Abdullah aide aussi à la cuisine, mais lesoir, il rejoint son père dans la salle, etWard et moi devons demeurer hors de lavue des hommes, avec pour tout horizonla bouilloire d'eau, la marmite de riz et lavaisselle.

Je vais me coucher avant la fermeture,dès qu'il n'y a plus rien à faire. Et je n'aiplus rien à faire en effet... Rien qu'à resterassise, et à penser. Jour après jour,

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semaine après semaine, mois après mois.A penser à la liberté. Le soir àBirmingham, dans les rues éclairées, lelong des vitrines, quand je réussissais àéchapper à la surveillance paternelle,j'allais acheter mon paquet de cigarettesinterdit. L'acheter moi-même, et non lequémander au maître d'ici. Je regardaisles étalages de chaussures, les mini jupes,les parfums. Le plaisir d'entrer librementdans une boutique et de demander le prixd'un crayon de maquillage. Le plaisir defeuilleter les romans d'amour, sur la piledu marchand de journaux. Le plaisir deretrouver Mackie au centre des jeunes, lesamedi soir, et de danser disco. Mackie,mon coup de foudre. Mackie et sacasquette impertinente, plantée sur ses

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cheveux épais. Mackie juste un peu plusgrand que moi, juste de mon âge, juste àmon goût. Mackie si beau. Je n'ai pas vude plus beau garçon que lui enAngleterre.

Ici, ils se confondent tous dans ma haine.

La seule compagnie est celle des femmesdu voisinage, qui mènent la même viemonotone. Les seuls sujets deconversation sont les rumeurs et lescommérages. Les femmes s'ennuienttellement

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que

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des

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histoires

abracadabrantes circulent ainsi à traversle pays, colportées, transformées. Tellehistoire est arrivée à un tel quelque partdans une ville, et de mensonge enmensonge,

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de

désinformation

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en

invention, on se la répète. Le commérageest un virus, qui contamine toute lasociété des femmes.

Après six mois de cette vie stupide, jeparle arabe à peu près correctement.

Déjà six mois. Noël approche enAngleterre. J'ai entouré le jour de Noëlsur le calendrier, repère inutile, fête sansZana. Six mois de ma vie perdue sur cecalendrier de prisonnière.

Je n'ai pas de nouvelles de Nadia. Il m'estimpossible de lui écrire, et à chacune demes demandes, j'ai droit à la mêmeréponse.

- Quand irons-nous la voir ? Quand

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m'emmènes-tu?

- Bientôt.

A part le ramadan, ici, le calendrier nesert à rien. Sommes-nous lundi ou samedi? Quelle importance, un jour estsemblable à l'autre.

Depuis la fenêtre de ma chambre, jen'aperçois qu'un mur de brique, le mêmeque celui du jardin. Je ne vois rien del'extérieur, et personne ne me voit. Leshommes peuvent sortir, aller en ville,conduire une voiture, voyager, les femmesne vont nulle part, et ne sont autorisées àrien. .

L'interminable routine de ces journées me. conduit lentement presque à la folie. Ma

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seule distraction c'est le petitmagnétophone et les cassettes apportéesd'Angleterre. J'ai de la chance car AbdulKhada répète sans cesse que je ne doisrien posséder qui puisse me rappeler monpays.

- Tu dois oublier comment on vit là-bas.

Tu dois t'habituer ici.

Comme s'il était possible d'oublier, de mecouper de mes racines. Ma vie est courtepeut-être, je n'ai que seize ans, mais il nepourra pas gommer quinze années vécuesen Angleterre.

Un beau jour Abdul Khada arrive dans'

ma chambre et se met à fouiller mon sac.

- Qu'est-ce que tu fais? Qu'est-ce que tu

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cherches ?

- Ça!

Et il brandit les quelques photos de mafamille, de maman, de mes amies, que j'aitoujours avec moi. Le soir il m'arrivesouvent de les regarder quand je suisseule. Je me précipite sur lui pour les luiarracher.

- Elles sont à moi, rends-les-moi!

Il lève les bras pour les tenir hors de maportée.

- Non! C'est fini. Elles te rendentmalheureuse.

Tu ne dois avoir aucun souvenir de tonancienne vie. Nous sommes ta famillemaintenant!

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Je m'accroche à lui, pour attraper sonbras et tenter de récupérer mon bien, mesprécieux souvenirs, mais il ne les lâchepas, au contraire, il les déchire, au-dessusde sa tête, rageusement, puis me rend lesmorceaux.

- Maintenant, va les jeter dans le feu.

- S'il te plaît, non... ne m'oblige pas... jet'en prie...

- Jette-les dans le feu!

Et il avance pour me frapper. Alors jecours dans la cuisine et jette les petitsmorceaux de papier glacé dans le feu.

Plus rien que quelques petits tortillons decendre grise... plus rien du tout, que lesbraises.

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Je me sens vidée, démunie au-delà dusupportable. Il me faudra retrouver lesvisages dans ma tête, et parfois, je lesperds, ils ne reviennent plus. Je ferme lesyeux à m'en faire mal, j'appelle maman...

Ashia...

Mo...

Lynette...

Mackie aussi. Et ils reviennent commepar miracle.

Durant des jours et des jours, j'ai guettéAbdul Khada, persuadée qu'il allait aussidétruire mes cassettes de musique, et meslivres. Il ne l'a pas fait.

Il me vient parfois des idées folles, il y apeut-être dans la salle du restaurant des

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clients étrangers, des touristes américainsou allemands. Je pourrais peut-être leurparler... Mais nous sommes prisonnièresdans cette cuisine, un monde de chaleur,de buée, de mouches et de moustiques,dévorées par les fourmis rouges.

La ville est lointaine, je n'ai même pasl'envie de m'y sauver. Cette ville estcomme le reste, un nulle part. Etm'échapper ne me mènerait nulle part.

Sans Nadia, que je n'ai pas le droitd'abandonner.

Dans cet univers sans espoir, monotone àen mourir, un jour Abdul Khada mepropose d'aller voir la mer.

- Je vous emmène à la plage pour une

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journée. J'ai du mal à y croire. Ce doitêtre une nouvelle

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invention de sa part, faire la proposition,attendre que je dise oui, et me battre pouravoir osé dire oui. J'ignore pourquoi cen'est pas le cas. Ward ne voulait pas quenous y allions, mais Abdul Khada ainsisté et nous sommes partis très tôt lematin, car la température, ici, atteintcinquante degrés au milieu de la journée.

Entre Abdul Khada, Ward et Abdullah, entaxi, je vais enfin voir cette mer dont j'aisi souvent entendu parler. Le sable fin, etles palmiers de mon père...

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Nous traversons un désert absolu. Lapiste

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est

bordée

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de

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poteaux téléphoniques, pas une âme àl'horizon.

Puis nous abordons une route asphaltée,moderne, qui mène à la bande côtière deTihama, traduction : les pays chauds.

Des kilomètres de plat. Des kilomètres desable alentour, à perte de vue. Enapprochant de la mer, quelques maisonsde pierre abandonnées, et de-ci de-là, unpêcheur

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ou

deux,

squelettiques,

desséchés par le soleil et la mer, unpalmier fantôme, un chameau... et laplage. Belle, longue, de sable fin et doré,

parsemée

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de

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ravissants

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coquillages

nacrés,

ombragée

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par

endroits de palmiers. Enfin la cartepostale décrite par mon père.

Il semble que personne ne soit jamaisvenu ici, avant nous. Aucune trace de pas;au loin quelques bateaux de pêcheurs,immobiles, comme s'ils étaient là depuisl'aube des temps. Je descends du taxi,émerveillée, le vent fouette le sable,pique les yeux, dénoue les cheveux.

- Tu veux te baigner?

Je n'en crois pas mes oreilles. AbdulKhada proposant à sa « belle-fille » unebaignade dans la mer. J'ai encore peur dedire oui, juste au cas où, comme à sonhabitude, il chercherait à me tester, pour

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me battre ensuite. Se baigner estnormalement impudique.

- Si tu veux te baigner, tu peux y alleravec tes vêtements.

Je porte une longue robe de coton, sur unpantalon, et un foulard dans les cheveux.

- Vas-y, il n'y a personne.

Nul besoin de me le dire deux fois. Jeretire mes

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sandales, et me dirige vers l'eau. J'ypénètre lentement, les chevilles, lesmollets, les genoux, les cuisses, leventre... je laisse ce bonheur m'envahir

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avec douceur, la fraîcheur embrasser mapeau. Bientôt je suis suffisamment loinpour nager, avec une certaine difficulté,les vêtements de coton flottant autour demoi, et gênant mes mouvements. Lefoulard se détache, mes cheveux s'étalentlibrement dans l'eau tiède et sale. EnAngleterre j'étais bonne nageuse, et àl'école j'avais même gagné une médaillede bronze. J'adorais l'eau.

Cette baignade est unique, hors du temps.Je m'en souviendrai longtemps, etsouvent, car elle ne se reproduira plusjamais.

Sous l'eau, dans l'eau, les yeux ouverts,les yeux clignant au ras de la surface,dans l'éclat du soleil. Un espace de

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liberté fabuleux. L'eau de la mer Rougeest verte ! Lorsqu'on plonge on n'y voitrien, du sable en suspension, des alguesminuscules. Je suis dans la mer de laBible et des prophètes. Je nage, nage, enfixant l'horizon lointain, je pourrais nagerainsi jusqu'à la côte d'Éthiopie. Ce n'estqu'à six heures de bateau, a dit AbdulKhada. Je pourrais m'évanouir là-

bas, à l'horizon, aborder les îles Hanisch,il paraît qu'on les aperçoit le soir aucoucher du soleil, par temps clair.

Au loin la voix d'Abdul Khada hurle : -Ne va pas si loin...

Comme s'il avait deviné mes pensées.

Lui, il barbote au bord de l'eau, Abdullah

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aussi. Ils ne seraient pas capables de merejoindre. Je filerais aussi vite que cespoissons longs et brillants presque bleus,de véritables flèches argentées, quis'élancent entre deux eaux, vers le large.L'eau est extrêmement salée, et si tièdeque l'on pourrait sans peine y dormir,flotter, dériver sur le dos, endormie, augré du vent qui pousse au large.

- Ne va pas si loin, il y a des requins!

Il y a, c'est exact, des requins et desméduses et des raies venimeuses. J'ai vules Dents de la mer en Angleterre; l'idéed'un requin, surgissant soudain derrièremoi et me poursuivant de son aileronpointu, me rend raisonnable. Je regagne lebord à contrecœur. La température est

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déjà tellement haute que mes vêtementssèchent en quelques minutes, tandis que jemarche sur la plage. Vue de près, elle estmoins idyllique qu'au premier regard.Des boîtes de conserve, des bouteilles deCoca, des boîtes de bière blonde surtout.Les hommes doivent venir s'installer icila nuit pour boire l'alcool que la loi leurinterdit.

Je m'assieds à l'ombre d'un palmier, et jeregarde, je m'emplis les yeux de cette mersymbolique. Là-bas la liberté. Là-

bas les bateaux de bois des pêcheurs. Sije pouvais marcher sur l'eau...

Mon bonheur a duré une heure, sur lesable, à rêver de l'Angleterre, par-delàles continents. J'avais chaud, du sel dans

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la bouche, des larmes salées dans lesyeux. J'étais une statue de sable, de sel etd'eau.

Il faut rentrer. S'installer sur la banquettede moleskine brûlante du taxi, entreAbdul Khada et Abdullah, mes deuxgeôliers.

Je me réveille brûlante de fièvre avec uneatroce douleur dans la poitrine. Je neparviens pas à me lever, mes jambesvacillent, la tête me tourne, une immensefaiblesse m'a prise, je m'écroule sur monlit.

Abdul Khada me regarde avec méfiance.

- C'est simplement la chaleur.

La journée passe dans un brouillard

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fiévreux, puis une autre, et ce n'est quedeux jours plus tard qu'Abdul Khada semontre ennuyé. Je suis vraiment malade,incapable de me lever, incapable derester dans la même position, la douleurne me quitte pas, la fièvre non plus.

Maman me manque, elle m'a toujourssoignée lorsque j'étais malade, elle atoujours été là avec une tasse de thé, unplateau, des magazines. Elle installait maradio sur l'oreiller, allumait la télévision,les copains venaient me voir.

J'avais treize ans et la varicelle, honte demes boutons, mais être malade avecmaman et toute la famille, c'était un douxplaisir, une bienheureuse fainéantise.

Je grelotte de fièvre, et je ne peux pas me

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nourrir seule. Il me vient l'idée que jevais mourir. C'est cela, je vais mourir. Jesuis heureuse à l'idée de cette mort, jeserai libérée, je m'envolerai du Yémenpour toujours. A quoi sert de vivre ici, cen'est pas une vie, c'est une mort lente.

J'ai dû parler de mort, car Abdul Khadasemble terrifié, et quelques heures plustard, ramène un médecin de Hays. UnSoudanais, qui parle anglais.

- C'est la malaria.

Il me fait une piqûre, tandis que j'essaiede comprendre. « Malaria, est-ce unemaladie mortelle ? » Il laisse quelquesmédicaments et dit qu'il reviendra lelendemain. C'est un grand bonhomme,extrêmement gentil et attentionné, mais

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Abdul. Khada ne nous a pas laissés seulsune minute, de peur que je ne lui parle ensecret.

Les trois jours suivants, il revient mefaire une piqûre le matin, une autre lesoir. Et peu à peu je me sens assez fortepour me lever, puis m'alimenter etretourner travailler. Mais quelque chose achangé dans mon corps. Je ne me sensjamais réellement en forme, toujourslasse; à deux reprises, un accès de fièvreme rejette au lit. Comme le médecin n'estplus là, je me débrouille avec l'aide desfemmes du voisinage. Le seul et uniqueremède qu'elles connaissent à la malaria,c'est le lait de chamelle. Il est difficile des'en procurer. La première fois j'ai trouvéson goût bizarre, mais j'ai fini par m'y

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faire.

Alors tant bien que mal, je résiste. A lamalaria, aux moustiques, aux mouches, àla chaleur d'enfer, à la cuisine, à Ward etses petits yeux assassins, à Abdullah quichaque nuit revient. Je ferme les yeux, jepense à mon fiancé secret, là-

bas en Angleterre. Je n'existe pas,Abdullah

n'existe

pas.

C'est

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un

cauchemar qui ne dure pas longtemps. Ilsuffit de serrer les dents. Il suffit de separler comme si l'on était une autre. Sedire : « elle » tiendra le coup. « Elle »

en a vu d'autres. « Elle » est forte. Unjour, « elle » partira d'ici. Je m'appelle «elle ». J'ordonne à « elle » d'être plusrésistante que moi, c'est « elle » quisupporte ce gamin dans son lit. Pas moi.

C'est « elle » qu'on

viole. C'est « elle » que je dois soutenir,aimer, consoler.

« Elle » devient folle.

Parfois j'écrase un lézard à portée de

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sandale. Je l'écrase avec une voluptémauvaise, c'est Abdul Khada quej'écrase.

Tous les quinze jours, Mohammed, le filsaîné d'Abdul Khada, vient de Hockail,pour rendre visite à ses parents. Dans ladétresse morale et la solitude où je metrouve ici, c'est un événement que depouvoir parler avec quelqu'un d'autre,même pour peu de temps. L'essentiel denotre conversation porte sur monobstination à rejoindre Nadia.

- Mohammed, tu peux parler à ton père, ilt'écoutera, dis-lui de me laisser retournerau village.

- Je ne peux rien faire. Tu le sais bien.

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- Je t'en prie... Je ne sais même pascomment elle va.

- Tu n'as aucun souci à te faire, elle vatrès bien, elle s'entend bien avec sonmari, tu devrais faire comme elle.

Je pourrais répéter ma demande cent fois,j'aurais cent fois la même réponse.

Il hausse les épaules, comme si ce n'étaitpas important. Comme si je n'avais pas deraisons de me plaindre. Pour lui tout estnormal. Il ne me veut pas de mal, sauf quele premier jour, il s'est montré prêt àm'attacher sur le lit, pour permettre à sonpetit frère de me violer.

La seule chose anormale pour eux, c'est larésistance d'une femme à leur volonté.

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Un après-midi, alors que je suis assisedehors dans le jardin, à fixer le mur d'enface, j'entends la voix d'Abdul Khadacrier : « Nadia ! »

Sur le moment je n'ose pas y croire, maisun bruit de pas me fait tressaillir.

Puis à nouveau la voix d'Abdul Khada: -Zana! ta sœur est ici!

L'émotion me serre la gorge à la vue dema sœur transformée. Elle m'avait ditqu'on l'habillait ainsi, mais de la voirsurgir en costume traditionnel me fait undrôle d'effet. Elle doit ressentir la mêmechose en ce qui me concerne.

C'est elle, c'est moi, devenues femmesarabes, et nous nous regardons un instant,

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presque comme des inconnues.

Je suis si heureuse de la voir que j'enpleurerais. On nous laisse seules pour lajournée, dans ma chambre. Les questionset les réponses fusent.

- Tu as reçu des nouvelles de maman ?

- Non, et toi non plus?

- Abdul Khada a déchiré toutes mesphotos...

- J'en ai d'autres au village dans mavalise.

- J'ai été malade, la malaria.

- Regarde ma main...

Sa main est couverte de cicatrices.

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Nadia a la peau sensible, fine, la moindrepiqûre de moustique . trop grattée s'esttransformée en cicatrice indélébile. Maisil y a pire, des traces de brûlures.

- Gowad m'a forcée à mettre ma maindans le feu pour les chapatis. Toute mamain a brûlé, je n'avais plus de peau.

Elle résisté mal, je le savais bien, à ladureté des tâches qu'on nous impose. Letransport quotidien de l'eau par exemple,de six heures du matin jusqu'au soir. Lamarche épuisante vers le puits, le bidonde vingt ou trente litres sur la tête.

- Il n'a pas plu depuis des mois, auvillage. Et la chaleur est infernale dans lajournée.

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Le plus grave, elle me le raconte enbaissant la tête.

- Une fois... j'ai refusé de coucher avecSamir, et Gowad m'a frappée. Il m'a tapédessus, à coups de pied dans les côtes.

Salama m'a entendue crier, elle est venueà mon secours.

Ma petite sœur n'aime guère évoquerl'humiliation quotidienne de partager sonlit avec ce gamin de treize ans, beaucoupplus fort et plus adulte qu'Abdullah. Jesais qu'elle a souffert physiquement duviol, et continue à en souffrir. Ma propreexpérience me permet d'imaginer cequ'elle supporte. Mes mains tremblent del'envie d'étrangler ces deux hommes.

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Gowad, Abdul Khada...

Pleurer, parler, et pleurer encore, nousn'arrêtons pas jusqu'au soir. Ils ont fait dema sœur une esclave, son corps leurappartient.

Ça me rend folle. Plus encore que pourmoi.

Alors que nous pensions toutes les deuxprofiter de plusieurs jours ensemble,Gowad veut la ramener au village le soirmême. Nadia le supplie, comme unepetite fille, de la laisser avec moiquelques jours, mais il est intraitable.

Je la regarde partir, sans rien pouvoirfaire que de laisser monter la haine unefois de plus. Le comble est la réflexion

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que se permet Abdul Khada. L'airsuffisant, il m'affirme : - Tu vois commeta sœur est heureuse?

- Heureuse? Tu appelles ça heureuse?

Comment sais-tu qu'elle est heureuse?

Comment peux-tu savoir ce qu'elleressent?

Il hausse les épaules.

- Je le sais, c'est tout. Elle est bien mieuxau village sans toi. Elle est bien installéedans la famille.

Je gronde comme un fauve : - Elle n'estpas heureuse du tout. Elle vous détesteautant que moi je vous déteste! Tucomprends ça. On vous déteste tous!

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Qu'il me frappe s'il veut, ça m'est bienégal. Parfois il cède devant ma haine, etc'est le cas aujourd'hui. Menteur, lâche, ilveut nous séparer, remarquant très bienl'influence que j'ai sur ma sœur. Il mecraint pour cela. Il peut toujoursprétendre qu'elle est heureuse, il saitparfaitement que c'est faux et que je ne lecrois pas. Son système d'intox ne marchepas avec moi. Si Nadia se tait, et subit,c'est qu'elle n'a pas la chance d'avoir maforce, et ce mauvais caractère qui m'estvenu ici. A cause d'eux.

Nous sommes parties depuis des mois, etje me torture à réfléchir au silence demaman. Mon père a dû lui raconter deshistoires, d'après lesquelles nous serionschez grand-père par exemple, ou

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heureuses quelque part en vacances...

Mais tout de même, ce genre demensonges ne peut pas dureréternellement. Nous devrions être deretour en Angleterre depuis longtemps, larentrée scolaire, mon stage depuériculture... De plus elle n'a pas denouvelles de nous, depuis la cassetteenregistrée au village...

Tout ce temps qui passe, inexorable, enune monotonie abrutissante. Je n'ai plusde repères. Des semaines passent encoreavant qu'une nouvelle, venue du village,me donne l'espoir de retrouver ma sœur.

Quelqu'un prévient Ward qu'une femme deses amies à Hockail a été frappée par lafoudre, elle est morte. Abdul Khada

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décide de rentrer pour l'enterrement.

Pour la première fois, je dois porter unvoile sur le visage, durant le voyage, c'estun ordre. Ils peuvent m'obliger à portern'importe quoi, je m'en fiche du momentque je retourne là-bas, que je vais voirNadia, même pour quelques heures. ■Dans la voiture, voilée, assise à l'arrière,les hommes devant, je regarde défiler laroute tandis que nous quittons la ville.Les passants ne peuvent pas savoir que jesuis anglaise. Une femme arabe parmi lesfemmes arabes.

Si je me mettais à crier : « Je suis uneétrangère », on ne me croirait pas. LesYéménites

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transportent

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ainsi

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leurs

femmes, voilées, d'un endroit à l'autre,selon leur bon plaisir. Plus personne neme dévisagerait, cette nuit-là, comme autemps où je portais ma jupe courte et mescheveux libres. Je suis devenue invisible.

Nous arrivons tard dans la nuit, et Wardse rend directement à la maison voisine,en m'emmenant avec elle. Sur le cheminj'entends déjà les lamentations venant del'intérieur de la maison de la morte.

J'entre à la suite de Ward dans une pièceremplie de femmes en pleurs. Ellesattendent que les hommes aient creusé latombe. Le corps est ensuite enveloppédans un voile vert, et ils l'emportent. Ils,

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les hommes, les femmes n'ont pas le droitde suivre le cortège. Elles restent àpleurer sur place, dans la maison de lamorte, tandis que la défunte est emmenéesur un brancard de bois. Elles regardentde loin, elles prient de loin, pleurent deloin.

Comme personne ne fait beaucoupattention à

moi, je retourne à la maison d'AbdulKhada, et monte dans la chambre où touta commencé. Curieusement je me senspresque heureuse de me retrouver là,après ces longs mois au restaurant deHays. Il n'y a plus ni matelas, nicouverture sur le lit, et Bakela m'apportede quoi dormir sur la banquette, un

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oreiller, une couverture. Je retrouve moncoin sous la fenêtre, j'entends hurler lesloups... à nouveau. Nadia n'est pas loin,je la verrai demain. En attendantj'expérimente mes connaissances de lalangue avec Bakela et ses enfants. Shiffaa grandi, elle approche des neuf ans,Tamanay est toujours aussi bavarde.

Maintenant je peux communiquer, c'est lapremière fois que j'ai une vraieconversation avec Bakela.

- Je voudrais rester ici, Bakela. Là-bas, àHays, c'est épouvantable. Ward estméchante, je n'ai personne à qui parler.

Tu me comprends?

- Oui... Mais Abdul Khada décide...

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Je fonds en larmes, et elle aussi. Elle meplaint, mais ne sait pas quoi dire.

- C'est une prison là-bas... Bakela. Je neveux pas y retourner. Je veux rester ici, etvoir ma sœur...

- Si Dieu veut.

Le lendemain matin, ma sœur arrive encourant, elle a entendu dire que nousétions là pour l'enterrement. Nous voilàde nouveau ensemble, dans ma vieillechambre, avec tant de choses à nous dire.Parler anglais nous redonne du courage.Elle me raconte l'orage meurtrier, lescorvées habituelles. Je la trouveamaigrie, le visage pointu. On ne voitplus que ses yeux.

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Nous sommes en janvier 1981. Là-bas àBirmingham c'est l'hiver. Ashia et Tinavont à l'école, Mo aussi. Nos copains,nos amis, la piscine, le tennis, le terrainde foot, le centre des jeunes, où nousfaisions tant de choses, et le café, lespoissons frites, les juke-box, tout nousrevient en tête. Et Mackie, mon boy-friend... et le parc où nous nous baladionsla main dans la main. Où je lisais perchéesur une balançoire les fabuleux romansd'amour qui finissent toujours bien.

La nuit est bien avancée et Nadia doitretourner dormir dans la maison deGowad. Nous nous embrassons en nousdisant à demain.

Même Ward, la mégère, est heureuse de

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rester au village. Elle n'aime pas plus quemoi ce restaurant de Hays, où noustrimons

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comme

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des

esclaves,

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et

étouffons de chaleur. Elle ne fait qu'obéiren y allant. Mais je sais qu'elle aimeraitvivre au village, s'occuper de sa vieillemère, devenue fragile et qui vit en bas,dans une maison solitaire.

Alors que nous nous apprêtons à dormir,Abdul Khada change d'avis. Il veutrepartir immédiatement pour Hays. Jebondis de rage.

- Mais tu avais dit que nous restions icipour la nuit!

- Il faut réouvrir le restaurant demain.

- Tu as dit à Nadia qu'elle pouvait revenirdemain matin!

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Je suis désespérée d'être séparée si vitede ma sœur. Depuis plus de six mois queje vis à Hays, nous ne nous sommes vuesque deux misérables fois. Ce type est unmonstre d'égoïsme.. Il n'a aucun égardmême pour sa propre épouse. Noussommes fatiguées du voyage, elle vientd'enterrer son amie, et il s'en moque. Jen'aime pas Ward, mais ce soir-là, j'iraisjusqu'à prendre sa défense, si celapouvait servir à quelque chose.

- Pour Nadia, ce n'est pas grave, Bakelalui dira que tu es partie.

J'argumente encore, mais il se met encolère, et je sens venir la raclée. Il va mebattre si j'insiste. Je n'en ai pas la forcece soir. Alors, sans rien dire, nous les

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femmes, nous refaisons nos bagages, etnous repartons dans la nuit noire, àtravers ce désert. J'imagine Nadiagrimpant la montagne demain matin,courant vers ma vieille chambre et latrouvant vide. Et Bakela lui disant : - Tasœur? Elle est retournée là-bas aurestaurant!

C'est comme si je l'abandonnaispersonnellement.

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138

Quelques

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semaines

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plus

tard,

Mohammed en visite au restaurantannonce à ses parents qu'il vientd'arranger le mariage de sa fille Shiffa.

La petite a neuf ans. Elle va subir lemême sort que nous. C'est horrible.

Après le départ de Mohammed, jequestionne Abdul Khada : - Qu'est-ce quise passe avec Shiffa?

- Elle va se marier. Elle est trèscontente... « Tu parles... »

- Le garçon appartient à une famille riche,qui prendra bien soin d'elle. Le père aune bonne situation en Arabie Saoudite,

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beaucoup de gens travaillent pour lui.

J'imagine que c'est le moindre mal.

Shiffa restera au village, et pourracontinuer à se comporter comme uneenfant. Ils ne l'obligeront pas à porter levoile immédiatement. Elle n'est pasencore nubile, et logiquement le mari nepourra pas la toucher avant qu'elle ait euses premières règles. S'il est correct.

Certains hommes ne respectent pastoujours cette loi, et violent les fillettes lesoir même de la cérémonie.

Bakela était au courant de ce mariagelorsque nous avons parlé la nuit del'enterrement, elle n'y a pourtant faitaucune allusion. Je me demande ce

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qu'elle éprouve à l'idée de perdre sa filleaînée, si petite encore. Peut-être rien dutout, peut-être que c'est normal pour elle.

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Abdul

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Khada

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est

particulièrement fier de cette allianceavec des gens aisés.

- Ils ont une grande maison au village, enplein centre, ils sont riches. Elle seraencore mieux que chez nous.

L'important pour lui, j'imagine, c'est leprix que la famille a dû payer pour lecorps de la petite Shiffa. Mohammed a dûnégocier âprement cette vente. En retour,il devra offrir des vêtements à sa fille,une sorte de trousseau, et des bijoux enor.

Abdul Khada m'a offert des bijoux en or,à moi aussi. A plusieurs reprises. Il n'aobtenu aucune reconnaissance de ma part,

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pas un seul merci. Il n'a pas compris,furieux de voir rejeter ce qu'il considérait

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comme

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un honneur.

Incapable de comprendre qu'on n'achètepas quelqu'un avec un peu d'or. Est-cequ'il me prenait pour une femme de harem? Pour une esclave que l'on pare avant lesacrifice ? Mon mépris le vexait. J'aimebien qu'il soit vexé en tant qu'homme.Piètre vengeance, mais les occasions demanifester mon rejet de leurs

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coutumes

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barbares

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et

moyenâgeuses sont rares.

A la ville, j'ai entendu des femmes parlerde mariage bien différemment. Le garçonva demander leur main, elles ont le droitde refuser ou d'accepter.

Certaines se marient même. en blanc, àl'européenne. On m'a même raconté que levoyage de noces à l'étranger était passédans les mœurs.

Les choses changent doucement, mais pasdans les villages. Dans les villages, lacoutume demeure. La preuve :Mohammed avait fait soi-disant unmarché avec le futur époux de Shiffa, ilne devait pas la toucher avant quatorze

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ans. Mais le lendemain de la cérémonie,pourtant, il y avait du sang sur les draps.

Shiffa. La toute petite Shiffa de neuf ansdevenue femme. De force. Je ne la verraiplus, elle vivra au village, dans la maisondu maître. Je l'aimais bien. C'est elle, lejour de mon arrivée, qui m'a souri lapremière et m'a montré un verre, en disantShrep... boire.

L'histoire du mariage de Shiffa illustrebien la précarité de leurs conditions devie. A treize ans, elle sera enceinte deuxfois dans la même année et perdra sesdeux bébés. A quatorze ans, elle le serade nouveau, sa mère l'emmènera en villepour l'accouchement. Elle aura deuxjumelles, dont l'une mourra à la

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naissance, et l'autre quelques jours plustard.

Je suis de nouveau affectée par lamalaria. Cette fois on n'appelle pas lemédecin, on se contente de me soigner aulait de chamelle. Cette ville est un enfer.

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Les

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fourmis

rouges,

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les moustiques, les rues sales encombréesde déchets de toutes sortes... Je grelottede fièvre, puis me relève et recommence.L'éternité des semaines et des mois quidéfilent. Le temps qui ne change ni decouleurs, ni de saisons.

Soleil torride, poussière et chameaux quipassent. On se raconte, parmi les femmesvoilées, le soir entre les hauts murs, qu'unhomme, à Taez ou Sanaa, a lapidé unefemme au visage découvert...

Ragot ou histoire vraie... qui peut savoir.

L'intox

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des

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hommes

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est

permanente.

Au mois d'avril 1981, Abdul Khadaprend soudain une décision. Et tout lemonde obéit. Il en a assez de Hays, il vapartir travailler quelque temps àl'étranger. Il a vendu le restaurant et prévunotre retour à Hockail sans nous prévenir.Ward est heureuse, et moi aussi. Tout estsi facile, lorsque l'homme décide. Il avoulu partir, et nous partons.

Nous sommes ses objets.

Joie, retour vers Nadia. Adieu poussièreet fourmis rouges, et malaria. Je préfèrema prison des montagnes à cet enfer entrequatre murs.

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Quatre jours après son départ à l'étranger,une. lettre d'Abdul Khada arrive d'ArabieSaoudite, en anglais, et qui m'estadressée. Même de loin, il s'assure queson autorité sera respectée.

L'argent parviendra à Ward par sonintermédiaire habituel, Nasser Saleh,établi à Taez. Si elle en manque, ellelaissera les notes en attente chez lescommerçants du village, et demandera àson fils Mohammed d'écrire une lettrepour en réclamer. Quant à moi, il semontre désolé que je n'aie plus grandmonde avec qui parler en son absence.

Désolée, je ne le suis pas vraiment.

Toujours déterminée à la fuite. Il doit bieny avoir un moyen. Abdul Khada n'est plus

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là; quant à Mohammed, il travaille à Taez,dans une usine de beurre.

Sans les deux hommes la vie estdifférente. Nous ne mangeons quasimentplus de viande mais surtout des légumeset des chapatis. Et le travail est encoreplus pénible. Mais l'atmosphère est plusreposante. Je ne crains pas d'être battueau premier prétexte. Je peux refuserqu'Abdullah m'ennuie, sans qu'il ailleimmédiatement se plaindre à son père.

Mais nous sommes toujours soussurveillance. L'influence d'Abdul Khada,sur sa famille et dans le village, la craintequ'il provoque, sa réputation de violence,font que n'importe qui réfléchit avant dele tromper.

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Gowad, lui, n'est pas reparti à l'étranger.

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Il est

toujours là, propriétaire de ma sœur.

Nadia parle bien mieux l'arabe que moi,elle voit plus de monde, rencontre lesfemmes de son village, et elle a beaucoupchangé. En Angleterre, elle était plutôt legenre garçon manqué, toujours perchéequelque part, et riant de tout et de rien.Notre histoire l'a surprise en pleineenfance, elle obéit comme une enfant.

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Une

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tristesse

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infinie

l'accompagne. Lorsque nous parlons demaman, et nous en parlons toujours, ellepleure, presque résignée.

Bakela était enceinte lorsque je suisrevenue de Hays. Elle semblait heureusede l'être, désirant cette fois avoir ungarçon. J'imaginais qu'on l'emmènerait àl'hôpital de Taez le moment del'accouchement venu. En dehors de ce quenous avons appris à l'école, je n'avaisaucune expérience en la matière.

Un jour, Bakela pose son chargement debois et se met à gémir. Courbée en deux,elle monte dans sa chambre et s'allongepar

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terre.

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Les

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contractions

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ont

commencé. Il n'y a que des femmes à lamaison ce jour-là, à part le vieux grand-père aveugle, assis sur son banc, inutile.

La vieille mère d'Abdul Khada, Saeeda,qui doit avoir environ soixante-dix ans, etavec qui je n'ai presque pas de rapports,s'est assise par terre, elle contemple laprogression du travail.

Ward et Haola, sa nièce, attendent ellesaussi. Allongée sur le sol, Bakela necesse de gémir. Elles n'ont pas besoin demoi, d'ailleurs je ne saurais quoi faire.

La suite me remplit d'horreur à la penséeque la même chose puisse m'arriver.

Haola soutient la tête de Bakela, pour

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l'aider à respirer. Ward a monté de l'eausur le toit pour laver l'enfant. Je m'étaisjuré de fermer les yeux mais, lorsque latête apparaît, la fascination l'emporte. Lecorps de l'enfant glisse dans un flot desang. Ward coupe le cordon avec unelame de rasoir, elles emportent aussitôt lenouveau-né, pour le baigner là-haut sur letoit. Bakela épuisée, toujours à terre,attend qu'elles reviennent et se mettent,calmes et

silencieuses, à laver par terre, puis àl'aider à s'allonger enfin sur le lit.

Elles placent l'enfant dans une sorte depetit hamac, consistant en un morceau detissu qu'elles attachent à l'aide d'unecorde au montant du lit. Le bébé est ainsi

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suspendu à la hauteur de sa mère.

Tout s'est bien passé, Bakela est mèred'un petit garçon en bonne santé. Mais jesuis terriblement choquée. Ni médecin, nimédicaments, aucune possibilité desoigner la mère ou l'enfant en cas deproblème. Tout ce sang, cette femmeallongée sur le sol, pas même une nattepas même un coussin, cette lame derasoir... c'est monstrueux.

Abdul Khada m'a promis que sij'attendais un enfant, je pourrais aller enAngleterre. « Avant ou après h Mefaudra-t-il accoucher ainsi, commeBakela ̂par terre, comme une bête ? »

Mohammed devait rentrer ce soir-là deTaez; en arrivant au village, la rumeur lui

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a appris qu'il avait un fils. Il était fou dejoie. Un fils vaut mieux qu'une fille auYémen, dans l'esprit du père. Et dans monesprit également. Au moins il ne sera pasvendu.

Bakela demeure dans son lit une semaine,on lui apporte ses repas, Ward s'occupedu bébé, et c'est moi qui prends en chargeles corvées supplémentaires.

L'eau, la cuisine, les chapatis, les mainsbrûlées, le dos rompu. En apparence, jedescends quelques degrés de plus pourépouser là condition de la femme araberespectueuse. Mais je continue à cherchercomment fuir. La réalité de cetaccouchement a été dure à supporter.

Les suites le seront également.

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Lorsqu'une femme a un enfant au Yémen,elle reçoit beaucoup de visites, descadeaux, de l'argent. Pour un garçon, lafête est encore plus grande et, au septième

jour,

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on

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le circoncit, Mohammed a tué un moutonpour la cérémonie. Un homme est venu duvillage, le spécialiste, payé fort cher pourpratiquer l'opération. Il n'a rien d'unchirurgien, aucune notion médicale, il atout simplement hérité de cette charge,par son père.

Pour pratiquer la circoncision, l'hommeétire le prépuce du bébé entre le pouce etl'index, il l'attache fortement avec unmorceau de coton. Puis avec une lame derasoir, il coupe la peau et la racle toutautour du pénis jusqu'à ce qu'il soit biennettoyé. Le bébé hurle, le sang coule.C'est atroce.

Après quoi, la plaie est enduite d'unelotion

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aussi

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rouge

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que

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du

mercurochrome, et on rend l'enfant à samère qui le berce pour calmer la douleur.Durant deux semaines, les seuls soins

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consistent

à

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maintenir

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une

compresse entre les jambes du bébé, pouréviter les frottements, et que la plaie nesaigne.

Le petit Ahmed est relativementchanceux. J'ai entendu dire que, dansd'autres régions, on pratiquait lacirconcision beaucoup plus tard, à l'âgede l'adolescence, et que le rituel étaitaffreusement barbare. L'opérateur jette leprépuce dans la foule qui regarde. Lejeune homme, lui, maintient un poignardsur sa tempe et ne doit ni crier, ni pleurer,ni bouger. Ainsi devient-il un homme...

Ahmed a pleuré longtemps dans les brasde Bakela et, lorsque j'ai décrit la scène à

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Nadia, elle m'en a raconté une autreencore plus effrayante. Sa belle-mèreSalama a accouché d'une petite fille, etNadia a assisté à l'excision.

Ils tiennent la petite fille toute nue, unefemme étire les deux lambeaux de peau,qui constituent les petites lèvres, et lescoud ensemble avec une aiguille. Lacouture faite, elle coupe avec une lame derasoir l'excédent de peau. Nadia n'a paspu me dire si la femme coupait la peau duclitoris.

En ville, à Hays, où les femmes parlententre elles de ce sujet, la coutume se perdfort heureusement. Elles ne croient plusaux bobards que les villageois racontentencore aux petites filles pour les

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persuader

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que

l'excision

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est

hygiénique. On leur dit que si la peaun'est pas coupée, les lèvres pousseront envieillissant et qu'elles marcheront dessus.Comment peut-on croire à de pareillesbêtises ? Au village, en tout cas, laplupart en sont persuadées et, lorsque lesfemmes ont appris que Nadia n'était pasexcisée, elles se sont moquées d'elle. Lesplaisanteries ne cessaient pas. Une fille amême eu le culot de lui demandercomment c'était et comment elle faisaitpour ne pas être gênée en marchant. Il afallu que Salama intervienne auprès deGowad pour que la fille cesse del'ennuyer avec ça. Pour moi, c'estdifférent, la maison d'Abdul Khada étant

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isolée du village, je ne suis pas

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continuellement

baignée

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dans

l'atmosphère" étouffante de cet universféminin.

Trois mois de plus viennent de défilerainsi depuis notre retour de Hays. Et jen'ai toujours pas l'espoir de trouverquelqu'un pour nous aider, malgré larelative liberté que me donne l'absenced'Abdul Khada.

Je peux me rendre seule au village, àprésent, pour faire les courses et j'airencontré un sage, qui parle un peuanglais.

Le sage, c'est l'homme de référence,lorsqu'il y a un conflit, en cas de divorcepar exemple. Une femme peut obtenir le

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divorce, à condition d'abandonner sesenfants au mari et de retourner vivre danssa famille. Peu de femmes s'y résignent, àcause des enfants justement, et supportent,parfois pendant de longues années, unmari infernal.

Le sage est issu d'une bonne famille et ilest habituellement plus riche que lesautres. On le paye en échange de sesconseils... Le sage du village de Hockailest un homme assez beau, respectable, eten l'écoutant parler, je me suis renducompte qu'il connaissait la plupart dessecrets des femmes du village. Lesquelssecrets ne durent pas longtemps et fontrapidement le bonheur des commères.

Si je lui confiais mon problème, Abdul

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Khada en serait informé très vite, à lavitesse du téléphone arabe. Alors je mesuis tue. A quoi bon lui demander del'aide. Pour divorcer, il faut que le marisoit infidèle, que tout le monde le sache,que l'on réunisse la famille, et que l'ondonne de l'argent au sage afin qu'il prenneune décision... Abdullah n'est pas infidèlemalheureusement. Et où trouver l'argentpour payer cet homme?

Ma seule confidente est la nièce d'AbdulKhada et de Ward, Haola. Elle vit dans lamaison la plus proche de la nôtre. A elle,je peux tout dire; que je suis malheureuse,que je ne supporte pas ce mariage viol. 'Elle ne peut que me plaindre, pas m'aider.C'est par elle que j'apprends ce quepensent de moi les autres femmes. Elles

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sont curieuses de.

savoir comment se comporte Abdullah, sichétif et si faible qu'elles se moquent delui. Certaines m'ont posé directement laquestion :

- Comment fais-tu pour t'occuper de lui?

Et de rire et de se moquer... comme sij'étais privée d'un plaisir quelconque.

Comme si l'essentiel de l'existence étaitd'avoir un homme dans son lit. Noussommes

à

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des

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lieues

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de

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nous

comprendre. Je les trouve pathétiques.

J'ignore ce qu'est le plaisir sexuel,j'ignore ce qu'elles entendent par là,d'ailleurs. Privées dès la naissance d'unepartie de leur sexe, le savent-elles elles-mêmes ? Et moi non plus. J'aurai bientôtdix-sept ans. Mon seul et unique flirt est àBirmingham, libre. Je ne connais del'amour que les baisers qu'il m'a donnés.

« M'attend-il ? Si je le retrouve, commentlui dire ? Comprendra-t-il ? »

Ward a pris le pouvoir en l'absence deson mari. Je dois faire ce qu'elle medemande, sous peine de prendre uneraclée, lorsque Abdul Khada rentrera.

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Elle aime abuser de ce pouvoir sut moi.

Elle aime me priver de nourritureplusieurs jours durant, à la moindreincartade de ma part. Elle me jette lesvieux restes des jours précédents, commeà un chien. Parfois, je n'ai que du thé etdes cigarettes pour deux ou trois jours. Sije m'en plains à Bakela, la réponse esttoujours la même : - C'est Ward qui estresponsable. Je ne peux rien lui dire. Jedois le respect à ma belle-mère. Toiaussi.

Bakela n'est pas aussi maltraitée que moi,mais lorsque c'est le cas, elle ne protestepas. Respecter la belle-mère, c'est lacoutume. Mais Ward n'est pas une belle-mère ordinaire. Sa propre mère dit

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qu'elle

est méchante. Les femmes du villagereconnaissent qu'elle me traite très mal.

J'ignore la véritable raison de sa haine,sinon qu'elle me rend la mienne. Peut-

être a-t-elle été mortifiée que l'on achèteune femme à son fils à l'étranger. «

Putain blanche... » dit-elle.

Il m'arrive d'avoir si faim que la tête metourne. Je ne peux même pas medébrouiller seule pour me faire à manger,elle garde les provisions dans sa chambreet la ferme à clé. Nous avons des pouleset le luxe des œufs frais, mais elle lesdonne aux enfants de Bakela et jamais àmoi. Nadia, qui a également

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des

poules,

m'apporte

quelquefois des œufs à manger. Unevoisine m'a donné de la nourriture unefois, tant j'étais affamée. Mais ce genre desecours est exceptionnel. .

Je vois passer dans ma tête les cornets de fish and chips de Birmingham.

Parfois j'en sentirais presque l'odeur, enfermant les yeux. Et les gâteaux augingembre, mes préférés, qui laissent surla langue un petit goût acidulé...

Aujourd'hui la tête me tourne sur lechemin, en allant chercher le bois pour le

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feu. Le soleil fait des cercles de toutes lescouleurs devant mes yeux. Je n'ai rienavalé que du thé froid, ce matin, et unreste de chapatis.

Un serpent me nargue, il rampe vers moien sifflant; sa petite tête droite dardéedans ma direction, il s'immobilise à laverticale. Je ne bouge qu'une main pourm'emparer d'un bâton et me mets àfrapper, frapper, prise d'une furie terrible.La surprise, mon état de faiblesse merendent presque folle. Il aurait pu mepiquer, j'aurais pu mourir, stupidement...Tuer ce serpent, le massacrer, est unesorte d'exorcisme. Je tue Abdul Khada, jetue Ward, je tue, je tue... Jusqu'àépuisement.

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Il a la tête fracassée, je le prends par lecou, et soudain il me vient une idée. J'aientendu dire que la chair du serpent estcomestible. Un mètre de long de chairimmobile devant moi. Un corps trèsmince. Venimeux ou pas ? On dit qu'ilssont tous venimeux au Yémen. Il est mortla gueule ouverte.

Je vais faire un feu. Il me faut un couteaupour l'éplucher. Comme je ne suis pasloin de la maison, je me faufile dans lacuisine, rapporte le grand couteau àdécouper la viande de mouton et luitranche la tête. Je l'ai à peine jetée un peuplus loin que les vautours se précipitent.Ils tournoient dans le ciel en permanence,à l'affût de cadavres d'animaux. L'und'eux pique, rafle la tête et va se poser

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plus loin. Je coupe un morceau de serpentet me mets à le dépecer comme j'auraisépluché un melon, dans le sens de lalongueur. Je n'aime pas la peau de laviande. Une fois pelé, le serpent laisseapparaître une chair comparable à celledu poulet, légèrement rosée.

Le feu a pris, je vais le faire griller,comme on faisait griller le poisson àHays. Directement sur le feu. J'attends aumoins une demi-heure que la chair prenneune couleur de grillade. Et je mange toutle morceau, d'un coup, avidement. C'estbon, c'est même meilleur que le poulet.Les vautours se régalent des restes, jesuis une bête sauvage parmi les bêtessauvages.

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Une fois repue, je me demande pourquoij'ai fait cela. Réflexe, faim, peur... EnAngleterre, si on m'avait montré unserpent, j'aurais couru de toutes mesjambes. Comme la plupart des fillesl'idée seule du serpent me faisaitfrissonner. Et je l'ai mangé. Je suiscontente de l'avoir mangé.

Nadia me regarde avec stupéfaction, unpeu plus tard, quand je lui raconte monrepas.

- C'est idiot, pourquoi as-tu fait ça? Jet'aurais donné à manger.

Nadia n'a pas peur de tuer un animal.

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Aussi

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fragile

qu'elle

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puisse être

d'apparence, elle est capable de tordre lecou à un poulet, mieux que moi.

Au fond, ce n'était pas la faim. Uneviolence nécessaire plutôt. La même quime fait écraser les lézards d'un coup desavate. Besoin de tuer.

Abdul Khada a été informé de la manièredont me traite sa femme Ward.

J'ignore

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par

qui,

peut-être

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par

Mohammed. Il m'écrit d'Arabie Saoudite :

« On m'a dit que tu avais faim et que tuallais chercher à manger dans d'autresmaisons. Je veux que tu expliques. »

J'ai répondu :

« C'est vrai. Je n'ai pas d'argent, jedépends de Ward et elle est très cruelleavec moi. »

Quelque temps plus tard, il a envoyé uneautre lettre, à Ward cette fois. Commeelle est incapable de lire, une des femmesdu village vient à la maison, pour lui endire le contenu. L'oreille tendue, jesurprends l'essentiel du message. Il lui estordonné de laisser les provisions à ma

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disposition. Elle est furieuse, maisl'extraordinaire est qu'elle ne peut rienfaire d'autre qu'obéir à son mari. Si ellene le fait pas, je pourrais le répéter. Ellesait maintenant que j'ai parlé d'elle àd'autres femmes, qu'on la juge. Résultat,elle me déteste encore plus.

- Tu resteras au village le reste de ta vie.Comme les autres. Que crois-tu ?

Que tu retourneras un jour dans ta «

belle et riche Angleterre » ? Mauditesois-tu!

C'est un délice d'ignorer ses insultes, dela regarder, dans la lumière de la torche,s'escrimer sur le feu, cuire les chapatis,chasser les poules, et traire les vaches.

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Je deviens mauvaise.

Abdullah est malade. Depuis quelquetemps il est de plus en plus faible et pâle,et une question angoissante me torture. Lefait d'avoir eu des rapports avec lui m'a-t-il contaminée ? J'ignore ce qu'il a, maiscela doit être grave car Mohammedl'emmène constamment à Taez chez unmédecin, le ramène et l'emmène ànouveau. Personne ne semble comprendrede quoi il souffre.

Ward dit qu'il a toujours été malade,toujours maigre et sans appétit, mais quecela empire en grandissant. Car il grandit,faiblement, mais tout de même.

Samir, le « mari » de Nadia, a bien mieuxtourné que lui, et prend des allures de

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petit homme. Abdullah dépérit. On luidonne des médicaments qui n'ont aucuneffet, et un jour Mohammed nous apprendque le docteur conseille de l'emmener àl'étranger pour un diagnostic. Soit enAngleterre, soit en Arabie Saoudite. Ilécrit à Abdul Khada pour l'informer de lagravité de l'état d'Abdullah, et de lanécessité de lui faire suivre un traitementhors du Yémen. Abdul Khada fait lasourde oreille, on dirait qu'il refuse dereconnaître que son deuxième fils est unmalade. Jusqu'à ce que ce dernier soittrop malade pour même se lever.

Mohammed alors a l'autorisation del'emmener pour quelques semaines àl'hôpital de Taez.

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Quelques semaines de bonheur pour moi.Je n'ai pas honte de dire qu'à ce moment-là je souhaitais carrément qu'il meure.Ainsi j'aurais été libre de retourner enAngleterre.

De toute façon, c'est formidable de ne pasl'avoir à là maison. De dormir seule.

Depuis quelque temps, il n'avait mêmeplus la force de réclamer et d'obtenir desrelations sexuelles. Mais sa seule vue medérange. Ne pas l'avoir autour de moi,c'est déjà une partie de cette liberté queje désire plus que toute autre chose aumonde. Libre de rêver la nuit, sans saprésence, son odeur, ses jérémiades.

Libre de grimper sur le toit, la nuit, pourregarder les étoiles et respirer la

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fraîcheur. Rêver que je m'envoie au-delàdes

montagnes.

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Frissonner

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aux

hurlements des loups. Me prendre pour unaigle disparaissant dans le soleilcouchant.

En fin de compte, Abdul Khada revientd'Arabie Saoudite pour constater l'étatdes choses et doit se rendre à l'évidence.

- Je vais emmener Abdullah avec moi...

Il me regarde comme un serpent regardeun mulot.

- En Angleterre... tu veux nousaccompagner? C'est une ruse. Il attendque je dise oui, pour me

frapper, ou m'insulter, au minimum.

- J'ai ton passeport, tu sais... si tu veux

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j'arrange le voyage pour nous trois.

Je commence à croire qu'il dit vrai. Toutsimplement parce qu'il aura besoin demoi là-bas pour le soigner. Il me croitdomptée...

- Tu as envoyé les lettres que j'ai écrites àmaman ?

J'ai dû en faire une dizaine, obstinément,tout en sachant qu'il ne les ferait pasparvenir.

- Bien sûr. Ce n'est pas ma faute si elle nevient pas te voir.

C'est terrible à supporter ce genre deréflexion. Le doute... Ta mère ne s'occupepas de toi... elle sait où tu es et ne vientpas. Il ment... je m'accroche à cette idée.

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Et aussi à l'espoir qu'il va réellementm'emmener. Il a l'air sincère.

De mon côté, j'ai fait tout ce que jepouvais pour lui donner le sentiment queje m'intégrais à sa famille. Et dans ceslettres, il disait " régulièrement que si toutallait bien avec Abdullah, si nous avionsun enfant, je pourrais retourner enAngleterre, et revenir ensuite...

Pour obtenir le visa d'Abdullah, cela luiprend énormément de temps et d'argent.

Des tractations à n'en plus finir avec sonintermédiaire de Taez, Nasser Saleh. Ildoit fournir une lettre du médecin del'hôpital certifiant la nécessité des soins àl'étranger, d'urgence. Le voyant sipréoccupé, je m'installe de plus en plus

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dans l'idée que tout cela est vrai. Nousallons partir.

J'écris une longue lettre à maman, avecNadia. Je lui raconte tout, la maladied'Abdullah, notre départ imminent, enprécisant : « Une fois en Angleterre, nousdevrons faire tout notre possible pourfaire revenir Nadia. Je t'aime, maman, àbientôt. »

En tendant ma lettre à Abdul Khada, pourqu'il la poste, un petit frisson me parcourtle dos. Mais il ne pose pas de question, lamet dans sa poche en disant qu'ill'enverra depuis Taez, où il doit aller unefois encore rencontrer Nasser Saleh, pourobtenir certains papiers officiels.

J'attends fébrilement le départ, sans le

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montrer. Première levée, à l'aube, pourles corvées d'eau, de bois et de cuisine,je ne ménage pas ma peine. J'éprouve unetendresse soudaine pour les deuxvieillards dont Ward ne s'occupe mêmepas, je me rapproche d'eux. Le grand-pèreraconte sa guerre, les fusils, au temps dela révolution et de la lutte entre les deuxprovinces. Les jours passent, et AbdulKhada me coince un matin dans lacuisine.

- Tu as écrit à ta mère une lettre que tonpère m'a renvoyée.

Il ne l'a pas expédiée, j'en suis certaine.

Il l'a ouverte et il prend ce prétexte pourm'empêcher de partir.

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- Ton père est très fâché, il m'a dit que tune devais pas accompagner Abdullah enAngleterre.

J'étais si sûre de m'échapper cette fois,j'avais tellement confiance... que jeprends la nouvelle comme un ouragan enpleine figure. Hors de moi, je bondis surlui, en le frappant de toutes mes forces,étranglée par les larmes.

- Tu mens! Tu n'as pas envoyé les lettres,tu ne les as jamais envoyées! Tu les astoujours ouvertes! Maman ne sait pas ceque nous sommes devenues! Dis-le! maisdis-le!

Impossible de me contrôler. Tous lesefforts de ces dernières semaines pourl'amadouer n'ont servi à rien. Il m'a fait

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marcher. Il m'a laissée écrire, pour voir.

Qu'il soit ou non de connivence avec monpère, peu m'importe. Ce que je voudraisqu'il avoue, c'est que maman ne sait pas.Qu'elle nous cherche, qu'elle va finir parnous retrouver, et qu'il en a peur.

Il me repousse comme un vulgairemoustique. Assise par terre dans cettecuisine infecte, qui sent la fumée etl'étable, je tape des poings dans le vide,désespérément seule.

J'ai appris à tuer les poules avec uncouteau. Tout le monde dans cette maisondoit savoir tuer une poule. Les gens duvillage achètent des poulets vivants àceux qui les élèvent. Abdul Khadapossède un poulailler, et si l'on veut

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manger, il faut tuer. Certains hommesarrachent tout simplement la tête del'animal à mains nues. Le spectacle esthorrible, car la volaille continue des'agiter et court parfois sans tête, enagitant les ailes. Une fois la tête tranchée,la meilleure solution est de plongerl'animal dans un seau d'eau bouillante,cela

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tue

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les

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nerfs instantanément, et l'empêche degigoter dans tous les sens. Après quoi ilreste à le plumer, le vider, et le cuisiner.

Chaque fois que je tranche le cou d'unpoulet, j'imagine que c'est le cou d'AbdulKhada. Je fais des cauchemars le jourcomme la nuit à son sujet.

Le jour de l'Ead, une fête religieuseéquivalente à Noël, il faut tuer le mouton.En l'absence d'Abdul Khada, c'esthabituellement le rôle de Ward. Or cejour-là, elle refuse. J'ignore la raison decette attitude; peut-être veut-elle memettre

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en

difficulté,

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mais

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fort

heureusement Tahamia, la sœur d'AbdulKhada, est montée du village pour passerquelques semaines avec nous, et proposede le faire, à condition que je l'aide.

J'ai déjà vu tuer le mouton, lorsque leshommes sont à la maison. Un mouton duretrois ou quatre jours, pendant lesquels lacarcasse reste suspendue à la porte de lacuisine, environnée de mouches. Lanourriture leur est offerte avant nous, j'aidû m'habituer à cela aussi.

Tahamia maintient le mouton à terre, enlui relevant le cou pour trancher la gorge,elle tient le grand couteau de cuisined'une main, le cou de l'autre, et dit : « Au

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nom de Dieu. » Chaque fois qu'ils tuent,c'est au nom de Dieu. Moi, quand je tueun poulet, je ne mêle pas Dieu à l'affaire.

Tahamia s'y prend mal, le couteau glissede travers, et le mouton se débatdramatiquement alors qu'il aurait dûmourir d'un coup. C'est insupportable, jene peux pas regarder. Le sang a giclépartout autour d'elle, elle ne sait plus quoifaire, et la pauvre bête est à l'agonie. Lescris, le regard de cette bête me rendentmalade.

- Tu es cruelle! Pourquoi as-tu fait ça?

Elle me regarde, affolée. Elle est toutsimplement maladroite. Il faut une grandehabitude pour trancher d'un coup la gorged'un animal. Alors je bondis, lui arrache

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le couteau des mains, et refais le gesteque j'ai vu faire souvent par les hommes.Avec une force et une détermination dontje ne me croyais pas capable, mue par ledégoût, la nécessité de faire vite, de nepas voir souffrir la bête. Le sangéclabousse mes mains, mes bras, jaillitcomme une source chaude, je serre lesdents de souffrance. Mais l'animal estmort d'un coup cette fois.

Égorger un poulet ne ressemble pas àcette exécution que je viens d'accomplir.

La force. extraordinaire qui a guidé monbras retombe presque aussitôt. Je suisvidée, épuisée, écœurée au-delà dupossible.

J'abandonne Tahamia et la laisse dépecer

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le mouton. Elle jette la peau au loin sur lesentier, les bêtes sauvages s'enchargeront. Les hyènes rôdent toujoursprès de nos maisons. Elles vivent dansles montagnes et ont appris à attaquer leshommes, la nuit. Beaucoup de villageoisracontent des histoires abominables,

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selon

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lesquelles

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ils

auraient trouvé des mains et des piedsabandonnés sur le chemin menant auvillage. Il y avait des tigres autrefois.

L'abattage des forêts les a éliminés.

Je n'ai jamais vu de près ni un loup, niune hyène, mais chaque nuit ilsm'accompagnent de leurs hurlements.

Depuis ma chambre, je peux mêmeentendre le bruit de leurs pattes sur lescailloux,

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les

reniflements,

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les

grognements. Ils cherchent les déchets, etcette peau de mouton fera leurs délicescette nuit. Ils se battront pour ladéchiqueter.

L'autre nuit, j'ai entendu hurler en bas surle chemin. Je suis allée à la fenêtre et j'aivu briller des torches dans la nuit.

Le lendemain on m'a dit que lesvillageois avaient poursuivi et tué unehyène qui était entrée jusque dans levillage ; celui qui l'a abattue porte sesdents autour du cou, en souvenir.

Il arrive aussi que les villageois chassentdes hommes, des bandits pilleursd'étables, voleurs de bétail. Je me

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demande comment ça se passe et s'ilstuent

vraiment.

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Probablement oui,

puisqu'ils partent armés de fusils et decouteaux. Mais personne n'en parle avecprécision. Les hommes ont « chassé »

les bandits. Sans plus. Les hyènes et lesvautours doivent faire le reste. Lesvautours me fascinent toujours. Tous lesrapaces de la montagne, petits ou grands.

Il suffit de lever la tête vers le ciel, pourles voir tournoyer là-haut sans relâche.

Nous vivons à Hockail dans un état desauvagerie moyenâgeuse et d'esclavagetout aussi moyenâgeux.

A la période des semailles, comme en cemoment, les femmes sont aux champsdurant deux semaines consécutives. Les

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hommes n'étant presque jamais là, nousfaisons tout. Ward refuse d'engager unhomme et des bœufs pour labourer, elleest bien trop avare. Bakela et moi devonsnous y atteler. Les instruments sontrudimentaires. Une simple petite bêche, etnous devons semer ou planter chaque

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graine

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ou

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chaque

plant,

individuellement. Je pars tôt le matin etne reviens que tard dans la nuit,travaillant sous la chaleur intense, le doscourbé, douloureux, des ampoules auxmains et aux pieds. Il ne faut pas oublierde boire régulièrement, pour ne pasmourir de déshydratation. Bakela nem'aide pas beaucoup; car elle doits'occuper de ses enfants. Depuis lanaissance du dernier, elle est retombéeenceinte et a accouché d'un autre fils,Khaled.

Ward est autoritaire, haineuse, mais jedois bien reconnaître que comme toutes

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les femmes d'ici, elle est forte. Mêmevieilles, les femmes continuent àtravailler dans les champs, dans lesmaisons, comme des bêtes de somme.

Ward voudrait me forcer à travaillerautant qu'elle a travaillé et travailleencore.

Les champs de maïs attendent la pluie quin'est pas tombée depuis longtemps.

La pluie est un événement important,magique. L'orage se prépare sur lamontagne, gonfle les nuages, les teinted'un jaune menaçant. Tout le monde rentredans les maisons, terrorisé, car l'oragetue souvent. On attend. J'attends avecfébrilité. Si je n'avais pas peur deséclairs et de mourir foudroyée, je

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resterais sous la pluie, qu'elle me lave,qu'elle me purifie de toute cettepoussière, des moustiques acharnés, desmouches collantes, de la sueur poisseused'une journée dans les champs.

Mais Ward fait comme les autres, elleferme les fenêtres et les portes, nousmaintient dans le noir durant l'orage, etprie. Elle croit que Dieu envoie la foudresur les hommes pour les punir. Il est

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vrai

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que

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chaque

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pluie

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est

impressionnante. D'une violence telle quel'on ne s'entend plus parler, respirer.

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Cela

dure des heures, et ils prient autour demoi tout ce temps, jusqu'à ce que l'ultimeclaquement de fouet d'un éclair ait achevéde résonner dans la montagne, et que lapluie cesse de labourer la terre commeles sabots d'un cheval au galop.

Un arc-en-ciel sur la montagne, unevapeur qui monte du sol, un drôle desilence m'accueillent au-dehors. Le cielest allé porter ailleurs sa colère et sesbienfaits. Les puits seront pleins d'uneeau boueuse, les grenouilles vont s'yagglutiner. Il faudra se battre avec ellespour y puiser notre part.

Le maïs est mûr, nous devons le

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moissonner, casser chaque tige à la main,mettre les épis dans des seaux,transporter le tout à la maison, etdégrainer chaque tête dorée et rude.

Après la période des ampoules et descoupures, mes mains s'endurcissent.

Le maïs trempe dans des seaux d'eau toutela nuit, et le lendemain, dans l'étable, ilfaut le broyer sous un énorme rouleau

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de

pierre.

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Les

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poignets

deviennent douloureux de cet effortrépétitif. La récolte du maïs est le travaille plus dur, le plus épuisant pour nous.

Le seul dont Ward se plaigne, Bakelaaussi. Au village, certaines femmes ontdes machines pour broyer. Des sortes deroues munies de manivelle. D'autresapportent leur récolte au marchand quifait le travail pour elles. Ainsi elles n'ontplus qu'à stocker leur farine et à la pétrirpour les crêpes. Mais Ward refuse cemodernisme, ou cette facilité. Elle tient àce que nous travaillions de manièretraditionnelle, même si nous devons ypasser la nuit et ne plus pouvoir bougerun poignet sans souffrir.

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J'ai entendu ce matin au village unefemme apostropher Ward en lui disant : -Pourquoi fais-tu travailler cette Anglaiseaussi durement ?

| - Occupe-toi de tes affaires, elle doitapprendre.

J'ai appris. Si des gens venaient manger àla maison, il me fallait trois ou quatreheures pour broyer suffisamment de farinede maïs. Et si je devais aller auxplantations le même jour, il me fallait enfournir la quantité nécessaire pendantmon absence. En plus de cela, je devaispuiser l'eau, ramasser le bois, nettoyer lamaison avec un minuscule balai de paille.

Le ménage... La maison est toujourspleine de poussière, les lézards viennent

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y déposer leurs œufs en grappes auplafond. Nettoyer est une entreprise sansfin. La poussière revient dans mon dos, àpeine envolée. Les paquets d'œufsréapparaissent au plafond comme parenchantement.

Il y a aussi les varans. Ces petitsmonstres dinosaures, comme celui quej'ai rencontré une fois sur le chemin.

L'un d'eux est entré dans la maison l'autrejour, il est allé directement dans lachambre de Bakela où dormait le bébé. Jel'ai vu la première et j'ai hurlé.

Bakela l'a battu à mort et jeté auxvautours. Le mois dernier un serpents'était enroulé dans le hamac de l'enfant etdormait contre lui.

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Il faut toujours se battre ou tuer quelquechose. Un après-midi, assise au soleildevant la maison, je me repose quelquesinstants, la tête appuyée au mur, les yeuxfermés. Oublier où je suis, qui je suisdevenue, l'esclavage quotidien qu'on mefait subir. Le seul répit est l'absenced'Abdullah. Soudain quelque chose bougele long de mes cheveux et me chatouillel'avant-bras. J'ouvre un œil pour voir uneénorme tarentule, velue, rayée de marronet de noir, qui se promène lentement surmon corps.

Horrifiée, je suis sa progression. Toutema peau se hérisse, j'ai la chair de poule,je suis glacée, je n'ose plus respirer.

En principe il ne faut pas bouger, ni faire

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de gestes brusques. Mais au bout d'uneminute qui me paraît un siècle, je ne peuxplus résister. Mon bras la projette en l'air,elle retombe par terre et je bondis dessus.Je la sens s'écraser sous la semelle de latong en plastique.

Un bruit écœurant. Et je rentre à lamaison en hurlant comme une folle.

Ward me regarde en haussant les épaulesde, mépris. Ce n'est pas une affaire d'Étatqu'une tarentule en visite.

J'ai beau faire attention, prendre garde àchaque pas, un jour, en descendantl'escalier dans le noir, à l'aube, pour allerau puits, une douleur aiguë à l'orteil mefait bondir, lâcher le bidon qui dégringolel'escalier avec un bruit de ferraille. Je

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descends n trébuchant jusqu'à la lumièrede la porte.

Un -norme scorpion noir est accroché àmon orteil, suspendu par les pinces. Iltente de recourber sa queue pour mepiquer, mais l'angle n'est pas facile, et jehurle si fort que Bakela se précipite àmon secours, attrape un bâton et frappeviolemment pour l'envoyer voler à traversla pièce.

Nadia a eu moins de chance que moi. Auvillage les femmes cultivent des plantesen pot, appelées mushkoor, sur les toitsdes maisons. La feuille est odorante etutilisée pour parfumer les cheveux et lesvêtements. Nadia plantait des graines demushkoor dans un pot lorsqu'un bébé

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scorpion l'a piquée. Salama l'a entenduecrier, et s'est précipitée pour l'aider, maisle venin était passé dans le sang.

Lorsque je suis venue voir ma sœur, soncorps était gonflé comme une baudruche,sa peau entièrement rouge et j'ai cruqu'elle allait mourir. Salama et les autresfemmes ont utilisé un onguent à based'herbes que je ne connais pas. Au boutde quelques jours, Nadia s'est rétablie.Question de chance, disent les gens d'ici.Certains meurent, d'autres pas. Juste lachance...

Le travail, la souffrance, la prison.

Aucune nouvelle du monde, et de cheznous. Abdul Khada a repris sa télévision,voyant que les litanies de prières en

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arabe ne m'intéressaient pas.

Il me reste ma musique, mes cassettes,dont deux ont disparu, mes préférées. Ilsn'aiment pas ma musique. Lorsque je meréfugie dans ma chambre pour l'écouter, ilest rare que Ward ne hurle pas après moi,parce que c'est trop fort.

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Les

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moissons

achevées,

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je

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dois

m'occuper aussi des bêtes. Les sortir del'étable, les nettoyer à mains nues. Puisles emmener paître et rester près dutroupeau, pour les protéger des loups etdes hyènes. Dans la chaleur torride de lajournée, il faut trouver

un coin d'ombre, un buisson malingre ouun arbre fruitier'. S'asseoir et attendre quepasse le temps.

Il passe et on ne le compte pas ici. Nipendule, ni montre, le soleil est le seulguide. L'aube, la tombée du jour.

Le seul moment dont je puisse disposer,c'est le soir au coucher du soleil. Jem'assieds dehors près du vieux Saala

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Saef, qui a attendu lui aussi immobile etaccroupi que le temps passe. Je lui parlede tout, il me raconte son passé, la vied'avant, quand il cassait les pierres à lamain pour construire les maisons. Il aconstruit celle-là. Ce vieillard aveugleest devenu un confident. Il ne peut plusrien faire, il se sait un poids pour lesautres. Le silence le préserve le jour. Lesoir il parle avec moi.

- Je suis malheureuse ici, Saala Saef...

Ward est mauvaise, je voudrais tantrentrer à la maison. Sais-tu où est mamaison ? Là-bas en Angleterre. Tu n'esjamais allé en Angleterre? Veux-tum'aider?

- Je ne peux rien pour toi, Zana. Sois

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patiente. Tu retourneras un jour dans tonpays, là-bas... tu verras, sois patiente...

La patience est la seule vertu qui noussoutienne.

Deux années de patience. Deux années desilence, de souffrance. De résistance.

Combien de patience encore?

- Pleurer t'enlève la force, Zana.

Patience Patience, au milieu de lamontagne, patience sous

la pluie de l'orage, patience en broyant lemaïs, en décrottant les vaches maigres etles moutons, patience en trimant commeun âne. Je suis maigre, et sèche, et grilléede soleil. Parfois la malaria me faitgrelotter la nuit. Parfois le visage enfoui

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dans le coussin, je sanglote à en mourir.Patience pour ne pas mourir ici.

Le maître est revenu. Abdul Khada doitavoir de l'argent car il a décidéd'agrandir sa maison. Il veut transformerle toit dont nous nous servons commeterrasse et en faire une pièce pourrecevoir ses invités.

Il a engagé deux hommes pour ce travail.

Et la présence d'étrangers à la familleimplique que nous, les femmes, devonsporter le voile en permanence. Le tempsoù l'on creusait la montagne pour enextraire des pierres est révolu : descamions apportent de la ville desparpaings énormes, qu'ils déchargent aupied de la colline. Nous devons les

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transporter ensuite jusqu'à la maison, enempruntant le sentier à pic. Deux ou troisparpaings en équilibre sur la tête, parfoisun sac de ciment. Le sac de ciment estpire que tout, toujours prêt à crever,laissant échapper de la poussière qui meretombe dans les yeux et la bouche, mêléeà la sueur.

Là-haut, les deux ouvriers attendent lesmatériaux. Le poids des sacs courbe matête vers l'avant, tire sur les muscles de lanuque, et j'ai du mal à respirer enescaladant la montagne. Je suis obligéede m'arrêter souvent. Depuis une semaine,jour après jour, c'est la même noriaépuisante en plein soleil, de l'aube à latombée de la nuit.

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Et pendant ce temps, Abdul Khada assisprès de son père contemple le travail desautres, critique, bouscule; il est odieux.Des voisins aident, Bakela aussi quandelle le peut, les fils des voisins, mais letas de parpaings est énorme. J'essaied'accélérer la cadence, en en portant plusà chaque trajet, mais l'effort est tropdouloureux, je dérape, on laisse tomberun parpaing et tout est à recommencersous les insultes du «

maître ».

Une fois le tas entièrement transporté là-

haut, il faut aider à mélanger le ciment surle toit. Le problème alors c'est l'eau.

Il en faut énormément. Cela veut dire

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aller de puits en puits autour du village.

Seule je ne peux pas transporter laquantité

d'eau

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suffisante

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assez

rapidement. Il a donc engagé deux fillesdu village pour m'aider le jour. Mais jedois continuer le soir dans l'obscurité,pour maintenir l'approvisionnement.

J'ai peur la nuit, peur de rencontrer lesloups, peur de marcher sur un scorpion,peur de tomber.. Peur de tout. Bakelam'accompagne parfois, mais la plupart dutemps je suis seule.

Il n'a pas plu du tout depuis deuxsemaines. Et lorsque un matin, la pluie sedécide à tomber, c'est comme un miracle.Il pleut, pleut à n'en plus finir toute lajournée. Les puits vont se remplir, jen'aurai pas besoin d'aller aussi loin.

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Hélas, ce miracle se retourne contre moi.Abdul Khada, sachant que cela ne durerapas, nous donne l'ordre de travaillerencore plus. Il s'agit de ramener ce dondu ciel à la maison, avant que les autresvillageois n'en profitent. Avant que l'eaune s'infiltre dans la terre et ne soit perduepour nous.

Il a installé deux énormes réservoirs surle toit qui doivent être continuellementremplis.

Porter le voile dans ces conditions estune épreuve supplémentaire. J'étouffe enpermanence. La poussière de ciments'infiltre en dessous, j'en mâche, j'enéternue, j'en crache. Dès que jeredescends du toit où les deux ouvriers

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travaillent, je le soulève rapidement pourchercher de l'air.

Je n'ai pas vu Nadia depuis longtempsavec ce rythme infernal et, lorsque AbdulKhada me donne l'ordre de descendre àAshube, pour rapporter un réservoir quelui prête Gowad, je bondis sur l'occasion.Le trajet est assez long ; à une heure del'après-midi, le soleil tombe comme duplomb brûlant; j'emmène la petiteTamanay avec moi.

- Ne traîne pas en route ! On a besoin dece réservoir! lance Abdul Khada.

Nous arrivons à Ashube, épuisées par lachaleur, et je n'ai que quelques minutespour parler à ma sœur et lui raconter lavie épuisante de ces dernières semaines.

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Elle veut venir m'aider, mais je refuse.

C'est trop dur, je ne veux pas qu'ellesouffre. Dans cette maison, elle estrelativement à l'abri de ce genre dechoses. On la fait travailler comme toutesles femmes, mais Gowad n'est pas AbdulKhada. Mon « beau-père » est unpersécuteur né. Nous discutons troplongtemps, je me rends compte que j'aiperdu du temps, il va me battre au retour.

Le réservoir est énorme, presque aussigrand que moi, il me faut l'aide de Nadiaet de Salama pour le hisser sur ma tête.

J'ai acquis une certaine expérience dansce genre de transport, mais sur le chemindu retour, pourtant, un faux pas medéséquilibre, et le réservoir dégringole à

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terre. La pauvre petite Tamanay, quitrottait à mes côtés, ne peut pas fairegrand-chose pour m'aider. Elle estmaigrichonne et n'arrive même pas à lesoulever. Je commence à paniquer; il estplus de trois heures, Abdul Khada doitdéjà être furieux. La petite le sait commemoi, et la peur d'être battues nous faitpleurer.

Je m'accroupis pour tenter de hisser leréservoir sur ma tête et me lève ensuite ledos bien droit, pour qu'il ne retombe pas.Je crois bien n'avoir jamais fourni unpareil effort physique. Chaque muscle demon corps semble craquer de douleur.Forcer sur les jambes, forcer dans le dos,raidir la nuque, les bras levés pourmaintenir la charge, je suis tellement

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concentrée sur la douleur et l'acharnementà réussir que je n'ai pas pris garde à lahaie. Une épine vient se planter dans majoue et au moment où je me redresseenfin, dans un ultime effort, elle s'incrustecomplètement et me déchire la peau. Sousla douleur, je retombe accroupie etrepose le réservoir à terre.

- Dépêche-toi, Zana, dépêche-toi...

Tamanay pleure de plus belle, moi aussimais de

douleur insupportable, l'épine est restéedans la chair, ça brûle affreusement, etlorsque je l'arrache enfin à l'aveuglette, lesang se met à couler, inondant monvisage.

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Je recommence, accroupie, musclestendus, réservoir à bout de bras. Hissersur la tête, maintenir l'équilibre, m'arc-bouter sur les jambes, me redresser...

j'ai réussi, mais je titube sur le chemin.

Il faut encore grimper en marchant entreles pierres. Les pieds se tordent, dérapentde sueur sur la semelle en plastique demes tongs. S'il n'y avait les cailloux et lesscorpions, mieux vaudrait aller nu-pieds.

J'ai oublié, comme beaucoup de choses,la

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sensation

d'avoir

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de

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vraies

chaussures, de marcher sur du plat, sanseffort, sans rien à porter sur la tête. Je me

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revois

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sur

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les

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trottoirs

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de

Birmingham, déambulant le long desvitrines, je ne savais pas alors ce quec'était

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que

marcher,

qu'avancer

péniblement pas après pas. Je ne pensaispas à mes pieds. Ils étaient à l'abri, dansdes chaussettes ou des collants, dans deschaussures normales, avec une semellenormale. Ils n'existaient pas dans ma tête.En ce moment, mon cerveau enregistre ladouleur de chaque pas, avec uneprécision incroyable, comme s'ilss'imprimaient l'un après l'autre.

Il est trois heures et demie, lorsque nousatteignons enfin la maison, Ward est sur lepas de la porte, elle m'aide à poser leréservoir.

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- Qu'est-ce que tu as?

Incapable de lui expliquer pourquoi lesang coule de mon visage. Plus desouffle, plus de mots, j'ai le sentiment queje vais m'évanouir sur place.

- Monte et va dire à Abdul que tu esrentrée! Chaque marche menant au toit estune montagne

à escalader.

- Qu'est-ce que tu as fait ? Pourquoi es-

tu si en retard ?

Je ne peux toujours pas répondre. Mespoumons sont bloqués, ma gorge nouée,mes lèvres desséchées, je vois trouble.

Furieux de mon silence, il s'empare

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brusquement de sa chaussure et me frappeen plein visage, de toutes ses forces. Laviolence du coup me fait tomber enarrière, dégringoler les escaliers. Je suisà terre sans réaction et il est déjà penchésur moi, blanc de colère.

- Je t'ai demandé pourquoi tu étais enretard! Il va frapper de nouveau, alors jeme redresse

péniblement, et cette fois les mots sebousculent pour raconter, le réservoir, machute, l'épine... mais il ne m'écoute mêmepas.

- Va au magasin et rapporte de l'huile!

Je récupère Tamanay en larmes, et nousrepartons au village. Tamanay, à sept ans,

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est

considérée

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comme

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ma

gardienne. Supposée m'empêcher detraîner ou de parler à quelqu'un. En toutcas de rester seule. On ne sait pas ce quepeut faire une femme seule... surtout moi.

Sa présence est à la fois dérisoire etefficace. La peur d'être battue à son tourfait qu'elle m'observe en permanence.

Ce qui ne l'empêche pas de pleurer avecmoi et de m'aimer.

Au magasin, un homme me regarde aveccuriosité. Le voile dissimule une partiede la blessure, mais on voit le sang séchésur ma joue. Je connais cet homme devue, il parle un peu anglais. Mais il ne ditrien dans la boutique. Il me regarde avec

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curiosité, sans plus.

Le marchand me donne un bidon de douze

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litres

d'huile,

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et

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comme

d'habitude, le couvercle fuit. L'huile s'enéchappe goutte à goutte, lentement, avecrégularité, elle imprègne mes cheveux,coule le long de ma joue, s'infiltre dans lablessure, macule le voile, et je suffoque,car l'odeur est forte avec la chaleur. Jemarche à nouveau, le bidon sur la tête,comme une somnambule, hypnotisée. Unebête de somme qui prend des coups pouravancer. Un âne.

Un chameau.

Je dégouline d'huile en arrivant, mesvêtements collent à mon corps. Il va peut-être me frapper encore, étant donné l'étatdans lequel je suis.

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- Va te laver.

C'est tout ce qu'il trouve à dire. Dans lecagibi de toilette, accroupie devant leseau d'eau, je me lave avec un chiffon, medéshabille, trempe mes vêtements, sanspenser à rien.

Lorsque je suis de retour dans machambre, Bakela vient me soigner avec unonguent. Ma joue est déchirée, mes yeuxsi creusés de fatigue que dans le petitmiroir anglais, vestige d'un autre temps,c'est mon fantôme qui me regarde.

Bakela n'est pas contente de la manièredont me traite Abdul Khada. Maispersonne n'ose le lui dire. A part sa mère,Saeeda. Elle se dispute souvent avec luiquand il me bat. Il la respecte mais ne la

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craint absolument pas. Le respect faitqu'il ne lui répond pas quand ellel'enguirlande comme aujourd'hui.

L'absence de crainte fait qu'il s'en moqueet l'ignore tout simplement. La pauvrevieille peut toujours élever la voix et sefâcher, ce n'est qu'une femme... Quant àson père, en m'écoutant ce soir devant lanuit noire, sur le banc, il a toujours lamême consolation.

- Sois confiante, sois forte, un jour turetourneras chez toi.

Voit-il l'invisible, ce vieillard aveugle?

Enfin le ciment et les parpaings ontdisparu. La maison a un étage de plus.

Ce travail a pris des mois. Ward veut

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maintenant la décorer. Ici on n'utilise pasde peinture sur les murs, mais une sortede craie blanche trempée dans l'eau, etqui forme une pâte, un enduit pour lesmurs. On peut en trouver dans certainsendroits de montagne, et notamment dansun village dont le nom est Rukab. Bakelaet moi sommes donc chargées d'aller yramasser cette craie.

Ward nous donne des sacs à remplir, etnous partons de bonne heure le matin.

Ce petit voyage est une aubaine. Lapremière fois que je peux aller ailleursqu'à Hockail ou Ashube. Et Bakela n'estjamais hargneuse avec moi, au contraire.

Liberté de la promenade. Nous sommesdans la région du Maqbana. Je ne

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pourrais guère nous situer sur une carte,quelque part entre Ibb, Taez et la côte.Quelque part au Yémen dans les hautsplateaux. Un jour Abdul Khada m'a dit : «Tu sais ce que veut dire Yémen ?

Le pays du bonheur... » Quelle ironie!

Pour l'atteindre nous avons dû descendreun sentier à flanc de montagne, parfoispas de sentier du tout. Rukab s'étale aufond d'une vallée, il y a des arbresfruitiers, un peu de verdure, c'estagréable. Le village est bien plus grandque Hockail. Les maisons sont serrées lesunes contre les autres, on y sent la vie, dumonde. Des gens parcourent les ruellesétroites, il y a des chèvres, des poulets,

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des

chiens.

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Une

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vraie

fourmilière.

Nous sommes assoiffées en arrivant, etBakela décide de faire une halte chez unesœur d'Abdul Khada pour boire.

A peine sommes-nous arrivées que lesgens affluent pour me voir. Je demeureune curiosité pour eux. L'Anglaise. Jesupporte les femmes, mais déteste leshommes qui me posent des questions.

Déteste qu'ils m'interrogent comme unebête curieuse. Aux hommes, je répondstoujours avec impertinence.

- Je vivais bien en Angleterre. Là-basc'est chez moi! Pas ici...

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Cela suffit en général pour qu'ils mefichent la paix.

Ce sont les hommes que je hais dans cepays. Tous les hommes ressemblent àAbdul Khada, à mon père. Ils sont tousresponsables de l'esclavage des femmes,de la vente des fillettes à marier. De leursfrontières que jamais personne nefranchit. On m'a dit qu'il y avait destouristes sur la côte de la mer Rouge, ou àHays, je n'en ai jamais vu. Je n'ai pasrencontré le moindre étranger depuisnotre arrivée.

Abdullah, mon supposé mari, est toujoursen Angleterre, pour sa maladiemystérieuse.

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Mes

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compatriotes

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le

soignent, il a des médecins anglais à sonchevet, des médicaments anglais, et jesuis là, dans cette assemblée deYéménites curieux.

Bakela semble très populaire ici, car onnous offre

de l'aide pour aller creuser la craie dansla carrière. On nous offre du café et deschapatis. Un peu de repos. J'apprécie cerépit, et la nouveauté des visages quim'entourent. Soudain j'aperçois dans uncoin une jeune fille d'environ quatorzeans, ronde et potelée, aux cheveux blondscomme ceux d'une Anglaise, très jolie.Elle ne ressemble pas aux autres, et je

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demande à Bakela :

- Qui est-ce?

- Une autre Anglaise. Elle est arrivéequand elle était petite.

L'émotion fait battre mon cœur. Une autreAnglaise ici, il faut que je lui parleabsolument. Par précaution, je dis àBakela que je vais prendre l'air et, ensortant, je demande à la fille et àquelques autres de venir avec moi. Ellene parle qu'arabe et a oublié l'anglais.

C'est donc en arabe que nous nousracontons mutuellement nos histoires quise ressemblent étonnamment.

- J'avais sept ans, ma sœur neuf ans.

Mon père est yéménite et ma mère est

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anglaise. Mais elle est morte, et mon pèrea épousé une autre femme anglaise.

- Il t'a emmenée ici en vacances ?

- Il a dit un jour que allions rendre visiteà sa famille et nous sommes tous partisensemble avec ma belle-mère aussi.

C'était une femme méchante. Quand noussommes arrivés à Rukab, elle a dit à monpère que ma sœur et moi nous serionsmieux ici. Mon père était d'accord. Ilssont repartis tous les deux en Angleterre,et nous sommes restées chez notre oncle.

- Tu es mariée?

- Mon oncle m'a mariée à son fils quandj'avais dix ans. Ma sœur a été mariée à unautre cousin, avant moi. Je ne me

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souviens plus quand.

Le temps, les années, comme moi elle neles compte plus. La seule chose quiimporte ici est de survivre jour aprèsjour, nuit après nuit, à l'infini.

- Tu te souviens de l'Angleterre?

- Non.

- Tu as de la famille là-bas?

- Je ne sais pas. À part mon père, mais ila disparu, je n'ai pas de lettres.

- Tu ne te souviens même pas d'un mot denotre langue ?

Elle me regarde toute fière.

- Je sais compter jusqu'à dix. Tu veux queje te montre ?

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J'écoute, les larmes aux yeux, cette petitepoupée blonde au teint de porcelaine,ânonner lentement les chiffres avecl'accent arabe. Un... deux... trois...

Je pleure sur son sort. Elle ne se souvientplus de rien. C'est pire encore que pourNadia et moi. Sa vie en Angleterre adisparu de sa mémoire. La petite fillequ'elle fut jadis n'est plus. Sa mère estmorte. Il n'y a plus d'espoir pour elle.Personne pour l'aider.

- A part ta sœur et toi, il y a d'autresAnglaises ici?

- On m'a dit qu'il y en avait mais dansd'autres villages, je ne sais pas où, je neles connais pas.

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- Tu es heureuse ici?

- Oh non. La femme de mon oncle me battout le temps, elle ne m'aime pas. Ellem'insulte, elle veut que je fasse tout sontravail.

- Et ta sœur?

- Elle est dans un autre village, je croisqu'elle a des enfants. On ne peut pas sevoir pour l'instant.

Même scénario que pour nous deux.

Isoler l'aînée pour détruire son influencesur la cadette. Dans leur cas, ce futsûrement plus facile, étant donné leurjeune âge. Arriver ici à neuf ou sept ans,cela signifie : aucun espoir de retour. Cene sera pas notre cas. Nous rentrerons au

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pays. Un jour maman viendra.

Nous sommes reparties avec Bakela quine m'a pas posé de questions sur la jeunefille. D'Anglaise, il ne lui reste plus queses cheveux blonds, ses yeux bleus et sapeau fragile. Juste de quoi la fairedétester par sa belle-mère.

Si j'étais blonde, je me demande jusqu'oùirait la haine de Ward à mon endroit.Ward... rose en arabe.

Joli nom pour un paquet d'épines. Je n'aipas encore donné d'enfant à son fils, leprécieux Abdullah. Toujours malade enmon pays. Pour cela aussi elle m'en veut,comme si la faute m'en incombait et non àlui. Les plaisanteries des autres femmes àce sujet sont insupportables à ma « belle-

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mère ». Un homme n'est pas un homme,même à seize ans, s'il ne procrée pas. Etmon « mari » doit avoir seize ansmaintenant. Là-bas, les médecins doiventle considérer comme un adolescent. Et jesuis certaine qu'il ne s'est pas vanté deson « épouse »

anglaise qui aura bientôt dix-huit ans. Lamajorité chez nous. J'ai le droit de voter...Sauf que j'ai disparu des listes; inconnueau pays, Zana!

En jetant aux pieds de Ward les sacs decraie blanche, je crache ma peine une foisde plus.

- J'ai rencontré une Anglaise au village deRukab! Elle est aussi malheureuse quemoi!

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Tu peux toujours faire la grimace, Ward...je n'appartiens pas à ce pays, et je ne luiappartiendrai jamais.

Je cours voir Nadia pour lui raconterl'histoire. Depuis quelque temps, ma sœurest devenue très proche d'une jeunefemme, veuve d'un neveu de Gowad morten Arabie Saoudite, en laissant deuxenfants derrière lui.

Samira aurait pu se remarier, mais elle apréféré rester seule, pour élever sesenfants. Beaucoup de veuves font cechoix du célibat. Enfin tranquilles, peut-

être. Sûrement.

Elle doit gagner ellemême de l'argentpour subvenir aux besoins de sa famille,

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et en qualité de couturière, voyage devillage en village. Elle reste sur place letemps de confectionner des vêtementspour les femmes. Elle a appris commentfaire à Nadia qui s'est procuré une vieillemachine à coudre et s'est mise à l'ouvrageelle aussi. Lorsque Samira voyage, elleconfie à Nadia le plus jeune de sesenfants, encore bébé, tandis que sa fillereste à la maison, pour accomplir lestâches quotidiennes.

En allant voir ma sœur ce jour-là,j'entends des clameurs venant du village.

Une femme crie qu'un

enfant est mort et parle de Nadia. Je coursà perdre haleine, en me demandant ce quise passe, et je tombe en plein drame.

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Nadia en pleurs me raconte : - Jesurveillais le bébé à la maison, quand unefemme est arrivée en disant qu'elle avaitvu les sandalettes de la petite fille à côtédu puits, et un bidon qui flottait sur l'eau.Nous avons couru avec Salama, il y avaitdéjà foule. Ils étaient tous là en train dechercher dans l'eau avec des bâtons.Personne ne savait nager. J'ai demandé àSalama si je devais y aller. Elle a dit oui.J'avais peur de ce que j'allais trouver,mais il y avait peut-être une chance desauver la petite. Alors j'ai piqué une tête.

- Dans le puits?

- Oui, ils avaient remué la boue avecleurs bâtons, je ne voyais rien, j'aicherché à tâtons. La première fois j'ai dû

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remonter pour respirer, j'avais remuéencore plus de boue, c'était étouffant. Laseconde fois j'ai touché quelque chose aufond, c'était mou. C'était la petite. Je l'airemontée à la surface, et les hommes l'onthissée. Ses yeux étaient ouverts, elle avaitde l'écume à la bouche.

- Elle était morte?

- Je crois que oui, mais j'ai essayé defaire les mouvements qu'on m'a appris àl'école, je l'ai retournée pour lui fairecracher l'eau, j'ai fait du bouche-à-

bouche, je voulais tant la sauver, j'étaispersuadée d'y arriver. Un vieil homme estvenu m'arrêter, j'aurais continué commeça pendant des heures, je devenaishystérique.

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La mort de cette petite fille a secouéNadia, d'autant plus que la mère étaitabsente : il a fallu envoyer quelqu'un laprévenir, alors qu'elle revenait de sontravail. Lorsqu'elle est arrivée en courant,accablée de douleur, on a presque dû laporter pour la faire entrer dans lachambre où le corps était étendu.

Pour les obsèques, elle dut se tenir àl'écart. Une femme n'a pas le droitd'assister à une inhumation, même à cellede son propre enfant.

La petite fille avait huit ans. Ils ont faitdeux trous perpendiculaires. Ils ontdéposé le corps de l'enfant dans l'un, ilsont rempli l'autre de sable, ont cimenté ledessus, et ont prié. La veuve les regardait

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de loin, son bébé dans les bras.

En rentrant, la nuit tombée, je pensais surle chemin que cette enfant était mortepure, ils n'avaient pas eu le temps de lamarier.

Nadia est enceinte. Ma petite sœur attendun enfant.

Nous avons écrit plus de cent lettres àmaman, cent bouteilles perdues dans ledésert. 1983, an 1361 de l'hégire...

troisième

année

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de

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notre

emprisonnement. Et ma sœur est enceinte.

Samir, son « mari », travaille en Arabie,dans un magasin de parfumerie. Gowadest en Angleterre. Tous les deux envoientde l'argent à leur famille. Ils nereviennent au pays que tous les six mois.

Le ventre rond de Nadia témoigne dudernier passage de Samir. Gowad a écritd'Angleterre pour lui dire que, lorsqueSamir aura réuni l'argent des billets, ellepourra les rejoindre.

Toujours la même histoire. Abdul Khadam'avait promis la même chose. Ilsimaginent que dès que nous seronsenceintes, nous ne nous battrons plus

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contre eux, que nous nous installerons enbonnes épouses arabes. Cette promessede billets d'avion est un leurre. Sansdoute... mais peut-être pas... Combien defois me suis-je posé la question, sanspouvoir y répondre avec certitude.

Nadia ne semble pas du tout effrayée àl'idée de donner naissance à un enfantdans ce village. Elle est calme, enm'annonçant la nouvelle, sa poitrine agrossi,

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son

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visage

n'exprime

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ni désespoir, ni espoir. Elle a seulementdit : « Ça y est, je suis enceinte. »

Par certains côtés, elle est très forte. Jen'ai pas son calme. Mais ils la dominentplus facilement. Je suis sûre que, sansmoi, elle aurait oublié son anglais. C'est àcause de moi et pour moi qu'elle continueà le parler. Conserver la mémoire denotre langue est très important,

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pour

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affirmer

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notre

résistance. Continuer à penser en anglais,en parlant arabe toute la journée depuistrois ans, c'est difficile. Parfois, lorsquenous discutons toutes les deux, Nadiamêle un mot d'arabe à sa phrase, sans yfaire attention. Elle pourrait facilementdevenir le genre de femme qu'ils veulent.Je la secoue chaque fois que je m'enrends compte.

- Fais attention... tu ne résistes plus. Ilfaut continuer à espérer, continuer à sedéfendre.

- Mais c'est ce que je fais...

- Tu le fais pour moi, devant moi. Maisavec eux?

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Nos villages ne sont qu'à une demi-heurede marche l'un de l'autre, mais cettedistance met une frontière terrible entrema sœur et moi. Si je n'étais pas là, si jene m'obstinais pas à venir la voir, àgrignoter quelques minutes sur le tempsde travail, juste pour lui parler, elle selaisserait piétiner sans réagir.

Sa grossesse m'effraie. Le souvenir desaccouchements successifs de Bakela n'estpas encourageant. Sur le sol de la maison,avec une lame de rasoir pour couper lecordon... sans médicaments, sansmédecin.

Nadia ne semble pas souffrir. Aucunenausée, aucun symptôme ennuyeux, etSalama se montre gentille, elle la laisse

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se reposer, lui épargne certaines corvées.Vers le septième mois, Nadia est mêmeautorisée à venir me voir jusqu'à Hockail.

J'avais pris l'habitude de faire le trajetmoi-même pour lui éviter de marcher.

Mais Abdul Khada, toujours attentif etméfiant, même depuis l'Arabie Saoudite,s'est manifesté : « Ne va pas aussisouvent à Ashube. Ta sœur n'a pas besoinde toi, tu dois rester dans ta maison. » Ilme craint toujours et imagine que nouscomplotons notre fuite.

Par principe il n'aime pas me savoir horsde la maison, excepté pour faire lescourses, ou certains travaux, et jamaisseule. A Hockail, il dispose d'une arméed’espions pour l'informer de mon

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comportement. Non seulement il y a toutesa famille de cousins, neveux, sœurs, etc.,mais aussi les autres villageois qui lecraignent. Alors qu'à Ashube, il n'a aucuncontrôle réel.

Plus je suis habituée à la vie arabe, plusil se montre strict. Je ne suis autorisée, àpartir de maintenant, à me rendre qu'unjour par semaine à Ashube. « Si tudésobéis, je le saurai et je te punirai àmon retour. » Le comble, c'est que laplupart du temps, je fais ce qu'il veut etce qu'il dit. Mais au fond de moi, je n'aijamais abdiqué. Jamais cessé de le haïr.

Au neuvième mois de sa grossesse, Nadiam'inquiète, elle se fatigue à venir me voir,je la supplie de se reposer, le chemin est

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trop difficile pour elle. Cette résolutionest dure pour moi aussi, car je suiscoupée d'elle au moment où le bébé vanaître.

Ce matin, de bonne heure, une voisine deNadia est venue à la maison annoncer àWard que ma sœur avait accouché d'ungarçon dans la nuit. Personne ne m'aprévenue, personne n'est venu mechercher. Je m'en prends à la messagère.

- Il fallait m'avertir!

- Mais c'est arrivé dans la nuit, il étaittrop tard, tu sais bien que nous ne sortonspas la nuit.

- Il n'y avait pas un homme avec vous?

- Qu'un homme vienne te voir ? Dans ta

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maison ? La nuit ?

Je demandais l'impossible, en effet.

Qu'un homme soit venu m'avertir del'accouchement de ma sœur, en pleinenuit, jusque dans la maison d'AbdulKhada! Si ce dernier l'avait appris! Ilm'aurait tuée! Il est inacceptable, pourune femme, de se trouver avec un hommedans une telle situation. Quel que soit leprétexte ou la nécessité.

Je pars en courant, les hurlements deWard dans le dos.

- J'espère que tu seras de retour à midi!

- Pas question, je ne reviens pasaujourd'hui. Je reste avec ma sœur!

Je cours tout le long du chemin jusqu'à

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Ashube, jusqu'à la maison de Gowad,jusqu'à la chambre de Nadia. J'arrive àbout de souffle au milieu des femmes envisite. Le bébé est dans un hamacaccroché au lit de sa mère. J'éclate ensanglots.

Nadia est calme, reposée.

- Arrête de pleurer, Zana, tu vas me fairepleurer aussi.

Je crois bien que je suis à nouveaumalade. La fièvre, sûrement, je n'aipresque plus de voix.

- Raconte-moi, tu as souffert? Tu as eumal?

- J'ai eu mal, tard hier soir, mais ça n'apas duré très longtemps. Salama a couru

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au village chercher une vieille femmequ'elle connaît bien et qui a l'habitude desaccouchements. Elle m'a parlé, elle m'atrès bien aidée. Je n'ai pas eu peur.

Le bébé est venu une heure plus tard.

Le bébé est normal. Un petit garçon, unbébé... Je suis fascinée en le regardantdormir, enveloppé de linge, dans cehamac du bout du monde. Ma sœur a unenfant... Je n'arrive pas à y croire. Jeconsulte le calendrier pour noter ce jour :le 29 février 1984, année bissextile.

- Nadia, il ne fêtera son anniversaire quetous les quatre ans!

Quatre ans. En disant cela, il me prend unfrisson. «Où serons-nous tous dans quatre

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ans?... » Si Gowad tient sa promesse,Nadia va peut-être retourner enAngleterre avec son bébé. Voir maman,me faire sortir d'ici. Avoir un enfant, aufond, c'est peut-être obtenir la liberté.Mais Abdullah n'est toujours pas guéri. Ilsemble difficile que je sois mère un jour,d'ailleurs je n'y pense pas... Je n'y pensaispas jusqu'à ce jour.

- Comment vas-tu l'appeler ?

Une des femmes propose différents nomset Nadia choisit Haney. C'est joli, Haney,cela ressemble un peu à Honey, « miel »en anglais. Un petit garçon couleur demiel.

Malgré les menaces de Ward, je resteavec Nadia trois jours durant. Dormant

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avec elle, la surveillant elle et le bébé.

Je veux être sûre que tout va bien, qu'ellen'est pas malade, ni l'enfant. Or c'est moiqui suis tombée malade. Dès le lendemainje ne peux me lever, et c'est Nadia qui menourrit à la cuillère tout en s'occupant deson enfant. Le deuxième jour, elle luidonne le sein. C'est une autre femme quej'ai sous les yeux. Une vraie femmeadulte, une mère qui adore son fils, et queje devine plus vulnérable maintenant.

Si je parle de retour en Angleterre, elleme répond :

- Us me prendront Haney si nous partonsmaintenant. Je ne veux pas. D'ailleurs tun'as trouvé aucun moyen de fuir. Et avecle bébé, maintenant, c'est impossible...

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- Et si Gowad te donne la permissiond'aller en Angleterre avec Samir ?

- Je n'irai pas sans Haney. Et il ne voudrapas que je l'emmène.

L'idée d'être séparée de son enfant laterrifie. Ils ont gagné, j'ai perdu. Ils ont lemoyen de l'empêcher de fuir avec moi, sije trouve une solution.

Lorsque nous étions ensemble toutes lesdeux, nous nous mettions à l'écart desautres femmes, pour parler « d'avant ».

Les vieux souvenirs d'Angleterre, lesfarces à l'école avec les copines. C'étaitla seule chose qui faisait encore sourirema sœur. Et nous rêvions d'évasion, nousfaisions des plans plus fous les uns que

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les autres. Le plus fou étant de partirtoutes les deux sur les routes, de gagner lamer, et de monter sur un bateau enpassagères clandestines... Complètementirréaliste.

Le seul véritable espoir consistait àécrire une lettre à maman. A trouver lemoyen que cette lettre lui parvienne enfin.Qu'elle sache. Car nous n'avions aucuneidée de ce qu'elle pensait de notresituation. Si elle avait cru les mensongesenregistrés sur la cassette, au début denotre séjour, elle pouvait imaginer quenous ne voulions pas revenir chez elle.Que nous avions réellement décidé devivre ici et de l'abandonner. Cettepossibilité nous paraissait difficile. Nousdevions croire qu'elle cherchait à nous

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retrouver, comme elle avait cherché àretrouver Ahmed et Leilah.

Seulement voilà, elle n'a rien pu fairepour eux. Ils sont toujours au Yémen.

J'aurais bien aimé revoir mon frèred'ailleurs, et faire connaissance avec masœur, mais pour cela, il faut attendre lebon vouloir de « monsieur Abdul Khada».

Grande nouvelle. Un médecin s'estinstallé à Hockail. On dit au village quec'est un homme de la région qui a étudié àl'étranger et a décidé de revenir dans sonpays pour aider les habitants, les soigner,les familiariser avec la médecinemoderne.

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Pour moi, c'est une grande nouvelle, carje souffre de la malaria de plus en plussouvent. Je ne dors pas. Mes yeuxrefusent de se fermer durant des nuitsentières. Les douleurs dans ma poitrinereviennent régulièrement.

Il ne parle pas anglais. Il a fait ses étudesailleurs qu'en Grande-Bretagne; enAllemagne, je crois. Mais je parlesuffisamment l'arabe maintenant pourm'expliquer.

Il me donne des somnifères pour dormir,et des pilules contre la douleur. Il a l'airbon, aimable, doux. Toujours vêtu d'unelongue blouse blanche, les cheveux trèscourts, mince et le teint plutôt clair pourun Yéménite, il se tient très droit, l'air

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professionnel, l'air respectable, et il estrespecté d'ailleurs.

Sa maison est réellement la plus belle duvillage. Son père, l'un des sages les plusimportants de la communauté de Hockail,l'a construite lui-même. Elle estcomplètement différente de celles où nousvivons. En fait, c'est comme une maisonde la ville qui serait installée au village.

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Beaucoup

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de

tapis,

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un

réfrigérateur, une télévision. Je supposequ'il a un générateur pour faire marchertout ça, car il n'y a toujours pasd'électricité dans la région. L'idée d'unverre d'eau fraîche... d'un bol de lait quine soit ni tiède ni couvert de mouches...

A chaque visite, j'observe un peu mieuxcet homme jeune, d'une trentaine d'années,formé à une vie plus moderne.

« Peut-être écoutera-t-il mon histoire... »

Il est amical. Un jour je me lance : - Jen'ai jamais reçu de nouvelles de mamère... Si je vous donnais une lettre pourelle, pourriez-vous la poster à Taez?

- Tu as sûrement quelqu'un dans ta famille

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qui peut faire cela pour toi.

Poster une lettre, ce n'est pas compliqué.

- Ce que je voudrais, c'est que vous lapostiez dans une vraie boîte aux lettres,une boîte publique, vous comprenez?

- Pourquoi?

- Parce que... parce que j'ai envoyébeaucoup de lettres, mais Abdul Khada,mon... beau-père... ne les a peut-être paspostées... Ou alors c'est son agent à Taezqui ne l'a pas fait... S'il vous plaît...

- Je ne désire pas intervenir dans unehistoire de famille, Zana, je n'en ai pas ledroit. Ça ne me regarde pas...

J'ai insisté, tant et tant à chaque visite...

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qu'un jour, finalement, il me répond : *

- C'est si important pour toi ?

Il voit les larmes dans mes yeux. Il meconnaît bien maintenant, il sait qu'on m'amariée de force, et que j'en suis toujoursmalade, à ne pas en dormir la nuit depuisdes années.

- Bon. Je vais le faire pour toi. Je laposterai en secret à Taez. Écris à ta mèrequ'elle peut te répondre à mon numéro deboîte postale.

Je bondis de joie. Pour la première foisdepuis quatre années, j'ai enfin trouvé uneaide. Un circuit qui me permet de passeroutre Abdul Khada, et son agent NasserSaleh, qui est forcément à sa botte.

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- Nadia... Ça y est... J'ai trouvé le moyende prévenir maman... j'ai confiance...

Un éclair d'espoir dans ses yeux est leplus précieux des bonheurs.

- C'est vrai? Il va le faire, tu crois? C'estvraiment vrai?

Et nous rêvons à nouveau d'escapade.

Je suis quand même terrorisée à l'idéeque quelqu'un dans le village, ou à Taez,ouvre la lettre, la lise, la rapporte àAbdul Khada. Dans ce cas, je serai battueà nouveau, pour l'avoir trahi. Et puis

comment écrire cette lettre? Sous quelleforme? Je ne peux pas tout dire, commeça, en clair. Il faut utiliser un code, parsécurité, avec l'espoir qu'elle saura lire

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entre les lignes et comprendra que jel'appelle au secours.

Nous ignorons où est notre père, ce qu'ilfait, où il travaille. Si c'est lui qui ouvrela lettre, tout est fichu. Il faut insinuer leschoses, choisir des mots qu'elle seulecomprendra, qui n'alerteront personned'autre. Enfermée dans ma chambre, sousle prétexte que j'ai la fièvre, je cherchede quoi écrire, et tombe finalement sur unvieux livre d'exercices d'arabe quem'avait donné Abdul Khada, lorsque nousétions au restaurant de Hays. Je déchiresoigneusement une page au dos vierge.

« Maman chérie... »

Ma main tremble, mon cœur bat.

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L'espoir dans une prison est comme unefièvre. On transpire, la tête prête àexploser.

« Nadia va bien, elle a un petit garçonappelé Haney, il a dix mois maintenant,il est très beau. Il faut que tu le voies.

Le docteur me soigne. Tu peux répondreau numéro de botte postale, c'est le sien.Il est très gentil et me soigne très bien.Tu nous manques affreusement, mamanchérie. Nous pensons à toi tous lesjours. S'il te plaît, réponds vite. »

Je me relis. Si quelqu'un ouvre cette lettreavant elle, il ne pourra pas dire que je meplains. Mais si la lettre lui parvient,

à

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elle,

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elle

connaîtra

l'essentiel.

L'enveloppe cachée sous ma robe, je doisattendre encore quelques jours avant deréclamer d'aller chez le docteur. Ward nese méfie pas, j'ai une sale mine, etl'anxiété me ronge les yeux, ce qu'ellepeut prendre pour de la fièvre.

C'en est. Malaria et espoir mêlés, jecours sur le sentier des femmes.

Derrière la maison, les singes me font lagrimace, les serpents peuvent siffler dansles buissons, les cailloux meurtrir mespieds, je porte l'espoir en moi, comme unfeu d'artifice invisible.

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Je confie cette enveloppe, avec l'adressede chez nous à Birmingham. De la main àla main, cette fois, de ma main à une mainamie. J'en pleure de joie et dereconnaissance.

Sur le chemin du retour, les larmescontinuent de couler. Pleurer. Quand jesuis seule, je peux pleurer des heures. Jesuis une source de larmes intarissabledepuis quatre ans. Tout ce tempsimmobile connaît enfin une palpitation.

Une raison. A partir de ce jour, j'attendsquelque chose, les jours, les minutes ontun sens. La lettre voyage... Demain, ellesera à Taez. Elle tombera dans une de cesboîtes aux lettres que je n'ai jamais puatteindre, ni même voir.

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Ma lettre. Mon secret. Ma délivrance.

Je m'assieds ce soir près du vieillardaveugle. Les rapaces tracent leur cercleéternel dans le ciel sombre, tout là-haut,surveillant les montagnes, les champs demaïs, à l'affût. Parfois un cri légerannonce une prise. Parfois l'oiseauremonte à grands coups d'ailes, un serpentsuspendu au bec.

- Patience, Zana... un jour tu retournerasdans ton pays.

« Si tu savais, vieillard... »

J'ai patienté deux semaines, longues,terribles. Aujourd'hui la femme dudocteur est venue jusqu'à la maison etWard l'a reçue fort poliment. Elles sont

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dans sa chambre, j'attends dans la mienne,en me rongeant les ongles et en fumantune cigarette après l'autre. Ward sortenfin et vient me parler. D'une voixfeutrée, elle murmure :

- La femme du docteur dit qu'il a reçu unelettre pour toi et que tu dois aller lachercher.

Mon cœur fait un tel bond "que j'en perdsle souffle une seconde. Elle m'observe, jedois rester calme. Si elle soupçonnequelque chose, les ennuis ne tarderont pasà se produire. Pour l'instant elle estimpressionnée par le fait que la femme dudocteur soit venue jusqu'ici, sans autreraison que cela : une lettre pour Zana...une lettre... une lettre.

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Je le chante dans ma tête, en silence, surtous les airs.

A la première occasion, entre les tâcheshabituelles, je cours au village, et arriveen sueur chez le 'docteur. Il me tend uneenveloppe, c'est l'écriture de maman!

Après si longtemps... Comment se fait-ilque cela devienne si facile tout à coup dela joindre, alors que c'était impossibledepuis des années? Le docteur me souritgentiment : - Tu veux rester ici pour lalire?

- Non, merci, je préfère m'en aller.

M'en aller quelque part, l'ouvrir ensecret, et surtout me laisser aller àpleurer, mais pas devant lui. Je dissimule

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l'enveloppe sous ma robe pour sortir, enle remerciant. Mon cœur s'emballe ànouveau, le sang bat dans mes oreillespendant que j'escalade le chemin vers lamaison. Je la tâte à travers le tissu, cettelettre, je n'y crois pas encore. Quelqu'unva me sauter dessus pour me la prendre,l'arracher, la déchirer en petits morceaux.Je revois Abdul Khada déchirer ainsi mesphotos à Hays, méchamment. Il n'est paslà, ni Abullah, ni Mohammed, aucun deshommes n'est là, en ce moment. Quant àWard, elle ne me fait pas peur, ellen'osera pas.

Enfermée dans ma chambre, je l'ouvreenfin, tandis que les idées se bousculentdans ma tête. Cette fois, maman sait oùnous sommes, nous allons rentrer à la

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maison très vite. Les autres lettres ne sontjamais arrivées jusqu'à elle. Jamais.

Ils les ont détruites, mais celle-là... je latiens.

Je pleure tellement que je ne parviens pasà me concentrer sur les mots. Elle sembleavoir compris depuis le début quequelque chose n'allait pas. La cassettequ'on nous avait forcées à enregistrer audébut a été reçue par mon père; maman nel'a pas vue, jusqu'au jour où mon frèreMo la lui a volée, pour la donner àmaman. Ce jour-là, elle a deviné, commeje l'espérais, au ton de nos voix, que l'onnous forçait à dire que nous étionsheureuses et que tout allait bien. Ce fut larupture définitive avec mon père, qu'elle

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avait déjà quitté apparemment,

puisqu'ils

n'habitaient

plus ensemble. Notre père était furieuxcontre Mo. Il lui a dit de choisir entre luiet maman; Mo a choisi maman et n'estplus jamais retourné chez lui.

La lettre est longue, confuse, pleine dequestions et de nouvelles, que j'essaie detrier, de mettre en ordre, mais je nepossède pas la chronologie des faits, ettoutes ces informations me saoulent... Elledemande comment nous allons, où nousvivons, si nous avons vu Leilah etAhmed. J'ai fondé tant d'espoir sur cettelettre que je suis déçue.

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Manifestement elle ne se rend pascomplètement compte de la situation.

Elle ignore tout de l'esclavage quereprésente cette vie, de ce que nous avonssubi Nadia et moi. Je vois bien que ce nesera pas facile, qu'il faudra beaucoup detemps avant que nous puissions partir duYémen, bien plus que je ne l'avaisimaginé en attendant la lettre.

« Où sont nos passeports ? Comment lesrécupérer? Comment gagner Sanaa pour yprendre l'avion, si maman nous envoiedes billets... Et puis, nous sommesmariées, comment prouver le contraire?

Nadia a déjà un enfant... Il faut partiravec Haney. » Toutes les difficultésréapparaissent

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soudain nettement, réelles,insurmontables peut-être.

Le vrai soulagement est de constater aveccertitude qu'elle n'est pour rien dans cettehistoire. Notre père nous a mariées etvendues, sans le lui dire évidemment.Maman nous aime. Jamais nous n'aurionsdû en douter. Le piège était énorme maisil a fonctionné avec une simplicitéincroyable. Comme la première fois, pourLeila et Ahmed. La seule différence estqu'ils étaient petits, incapables d'opposer

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la

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moindre

résistance en exil. Alors que je me suisdéfendue comme une diablesse.

Depuis que je suis ici, j'ai crucomprendre une chose : les Yéménites,qui pourtant n'aiment pas les étrangers,cherchent à épouser des Anglaises, dansl'espoir d'obtenir des papiers pour euxensuite. C'est sans doute un élément dumarché dont nous avons été l'enjeu.

Autrement dit, c'est nos passeports quenotre père a vendus en même temps quenous. C'est un être immonde. Je le tueraipour ça. Je veux qu'il paye. Je le jure surma propre tête, il le paiera.

Maintenant le plan se dessine dans ma

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tête. Inutile de nous cacher, au contraire.

Il faut que tout le monde sache que noussommes en relation avec notre mère, quenous avons des contacts avec notre pays,que l'on sait où nous sommes.

L'attaque est la meilleure des défenses, latransparence la meilleure des armes.

Dès le lendemain, je file à Ashube, au nezde Ward, montrer la lettre à Nadia.

Elle la tourne et la retourne dans sesmains abîmées par les travaux d'esclave,elle la porte à sa bouche, l'embrasse...

- Je le savais... je le savais...

Nous avons un petit secret toutes lesdeux, une petite magie. Depuis notreenfance, lorsque nous allons recevoir une

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lettre, la main nous démange. Cela nousarrive régulièrement, et environ unesemaine avant, parfois plus. Il y aquelques jours, j'en avais parlé à masœur, et elle m'avait répondu « moi aussi». Cela peut paraître étrange, mais,lorsqu'on est tenu prisonnier, ce genre deprémonition prend une importanceexceptionnelle.

Nous pleurons de joie ensemble, serréesl'une contre l'autre.

- Maman va venir. Quoi qu'ils nousfassent

à

présent,

ça

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n'a

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plus

d'importance. Maman va venir...

A partir d'aujourd'hui je vais écrire, sansarrêt. Nous nous mettons d'accord sur lestextes, et c'est moi qui écris.

J'écris nos souffrances, notre esclavage,la vie affreuse que nous menons ici, sanspersonne à qui parler, sans amour, sans unseul être qui nous comprenne et s'indignedevant les mêmes choses que nous. Sansliberté, sans même le droit de faire unkilomètre seules.

Les lettres partent et arrivent maintenantrégulièrement. Parfois la femme dudocteur les apporte, assez librement,jusqu'à la maison. Personne n'essaie de

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me les soustraire. Le docteur est unhomme suffisamment instruit et de bonnefamille pour ne rien craindre ici de latribu d'Abdul Khada, ni même AbdulKhada en personne. Nous avons enfintrouvé un allié assez fort pour nous aider.

Le vieil homme avait raison, patience...

Maintenant, lorsque je l'aide à manger, cequi prend beaucoup de temps, car il n'aplus de dents, je lui souris.

Même s'il ne voit rien. Surtout parce qu'ilne voit rien. Je souris à l'espoir.

Abdul Khada est bientôt informé de cequi se passe en son absence. La rumeur.

Mais il est bien trop rusé pour montrerses véritables sentiments, devant ce défi à

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son autorité. Il m'écrit en disant qu'il est «content de savoir que j'ai reçu une lettrede ma mère », comme si de rien n'était,me demandant même des nouvelles de sasanté! Agissant comme un vieil ami de lafamille. En fait il ne peut rien mereprocher puisqu'il a prétendu avoirexpédié lui-même toutes mes précédenteslettres. Ma centaine de lettres, pendantquatre années.

Pour la première fois, je le sens, nousavons réussi à le contrer. Mais notre vien'en est pas changée pour autant, et je nevois pas ce qui pourrait la modifier dansl'immédiat. Corvées d'eau, de bois,broyage du maïs, soins du bétail,ménage... et on recommence.

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Maman écrit aujourd'hui que la premièrefois qu'elle a entendu parler de notresituation, c'était dans un café. Un ami denotre père lui a dit :

- Alors vos filles sont mariées là-bas auYémen ? Stupéfaite, maman lui ademandé innocemment

pourquoi il affirmait cela, et il a répondul'avoir entendu, dans la province duMaqbana d'où il est originaire. Il a citéles noms d'Abdul Khada et de Gowad...

Alors maman s'est précipitée à la maison,folle d'angoisse, et, devant le faitaccompli, notre père a répondu : - C'estvrai et alors ? J'avais les documents pourun mariage légal, elles ont épousé desYéménites, elles sont yéménites!

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Il avait subtilisé nos actes de naissancedans les affaires de maman, un jour oùelle travaillait au restaurant.

Maman m'écrit : « Je suis devenue folle,et j'ai crié après lui : " Comment as-tu pufaire cela ? Ce sont des enfants, desbébés! Elles sont à moi. Et ce sont aussites filles, et tu les as vendues! " »

Il paraît qu'il a souri en disant : - Prouve-le...

- Je vais les faire revenir!

Et il se moquait d'elle, il lui riait enpleine figure :

- Tu peux toujours essayer. Tu n'arriverasà rien ; elles sont parties comme les deuxautres!

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Maman a écrit au Foreign Office, commeelle l'avait fait pour Ahmed et Leilah.

On lui a répondu que si nous avions bienles deux nationalités, le gouvernementyéménite nous considérait à présentcomme des citoyennes de leur pays,puisque nous étions mariées à desYéménites! La seule façon pour nous derevenir en Angleterre était d'obtenir unepermission de nos « maris » pour que l'onnous accorde un visa de sortie.

Même l'assistante sociale de Nadia avoulu aider maman. Elle a écrit à desassociations, à l'ambassade d'Angleterreau Yémen, à des tas de gens. Et laréponse était toujours, la même : «

Désolés, nous ne pouvons rien faire. »

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Lettre après lettre, nous apprenons tout cequi s'est passé là-bas, chez nous, depuisquatre ans. Inquiète de ne pas recevoir denouvelles, maman a d'abord écrit àl'adresse postale de Gowad et d'AbdulKhada, à Taez. Toutes ses lettres

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demeuraient

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sans

réponse,

puisqu'elles étaient interceptées. Alorselle

s'est

renseignée

auprès

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de

l'ambassade à Sanaa, mais il étaitimpossible de nous retrouver à partir d'unnuméro de boîte postale. Et c'était le seulindice dont disposait maman. Qui neconnaît pas le Yémen aura du mal àcomprendre peut-être. Mais ici, on nepeut pas s'adresser ainsi à la police, ou àune ambassade et dire : « Retrouvez mesfilles, Zana et Nadia Muhsen, elles ontdisparu chez vous... » Nous étionsperdues, comme on est perdu en mer.

Une amie de maman, sa meilleure amieanglaise, a écrit à la reine d'Angleterrepour lui demander de l'aide. Une damed'honneur a gentiment répondu pourl'informer

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demande

était

transmise au Foreign Office... Mamanalors a découvert une association, dirigéepar un certain Nigel Cantwell, basée àGenève, et appelée Défenseinternationale de l'Enfance. Mêmeréponse. M. Cantwell ne pouvait rienfaire, car nous avions les deuxnationalités de par notre mariage... Enrevanche, il avait un point de vue légalsur l'affaire : maman et notre père nes'étant jamais mariés légalement, mamanétait considérée en principe comme notreseul tuteur légal. Étant donné qu'ellen'avait pas consenti aux mariages de sesdeux filles mineures, il était possible que

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le gouvernement yéménite puisse statuersur l'illégalité de ces mariages...

Nous en sommes là. Je m'accroche à cettepaille, qui est notre seule issue, j'en suiscertaine. Car ces mariages sont illégaux.Comment pourrait-il en être autrement ?On ne nous a jamais demandé note avis,nous n'aurions jamais accepté. De plusnous n'avons rien signé, n'avons participéà aucune cérémonie légale... et notre mèreignorait où nous nous trouvions. Sansparler du viol permanent que représentece soi-disant mariage pour chacune denous. Alors ?

Maman se montre toujours prudente dansses lettres, elle ne veut pas nous donnertrop d'espoir. Elle n'a pas l'air persuadée

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que le gouvernement yéménite soitdisposé à gaspiller son temps pourdébrouiller des histoires de mariages,illégaux ou non, dans de lointainsvillages. En même temps, elle a peur pourAshia et Tina. Notre père pourrait leurfaire subir le même sort.

Au fil des mots et des nouvelles, du récitdes combats qu'elle a menés récemment,je devine que maman a traversé unesévère dépression après notre départ, etqu'elle n'a retrouvé la force de continuerqu'en recevant enfin ma première lettre.

Depuis, il y en a eu beaucoup et notrecorrespondance est maintenant régulière.

Relativement régulière car, dans ce pays,il peut y avoir un écart de deux mois entre

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l'envoi d'une lettre et la réponse. Mais cen'est rien comparé aux quatre années desilence dont nous avons souffert. Jereçois même de nouvelles photos de lafamille. Ma sœur Ashia a une petite fille!Nous nous étions quittées enfants... jedois compter sur mes doigts pour réaliserqu'elle est à présent une jeune femme.Que suis-je devenue moi? Et qu'estdevenue Nadia?

Abdul Khada est de retour. Il a rapportéun appareil photo de son voyage, et nousfait poser, Nadia, le petit Haney et moi.

- Pour envoyer à ta mère, elle verra sonpetit-fils, ça lui fera plaisir.

Il croit sans doute que ce genre de gestepeut faire paraître ridicule notre

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affirmation d'être détenues ici comme desprisonnières. En Angleterre j'avais vu desphotos d'otages que l'on passait à latélévision, pour prouver qu'ils étaientvivants,

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et

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pouvoir

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continuer

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le chantage. Ce n'est rien d'autre que cela.

Il prouve que nous sommes vivantes.

Des survivantes, devant un mur lépreuxoù galopent les lézards, égarées sur unemontagne inaccessible en voiture. Dansun pays fermé comme une huître.

Il faut que je persuade maman d'alerterles journaux, la télévision, de raconternotre histoire à tous les organes depresse, d'alerter les médias. Elle n'osepas le faire, et se repose sur l'idée que lalégalité est de notre côté. Mais la légalitéici est tout autre. Elle consiste en la loides mâles.

Lorsque Abdul Khada a emmenéAbdullah en Angleterre pour qu'il y

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subisse un traitement, mon soi-disant maria été la risée des amis de notre père.Marier sa fille aînée à ce gamin malade etmaigre ? L'orgueil des mâles était encause et notre père à dû souffrir desquolibets. Si Abdullah avait été un garçonnormalement constitué, quel que soit sonâge, aucun de ses amis yéménites nel'aurait plaisanté de cette façon.

Durant son séjour en Angleterre, qui n'adonné aucun résultat pour la santé de sonfils, Abdul Khada a eu le culot de seprésenter à maman et de lui dire que nousétions très heureuses dans son pays.

Cette obstination à désinformer, àprétendre toujours le contraire de laréalité me met eh rage plus que toute autre

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chose. J'ai supporté beaucoup, jem'habitue à supporter,'mais pas cela. Lemensonge est un système permanent danscette famille. Même s'ils volaient unmouton, et que ce mouton soit sur leurdos, ils continueraient à mentir, et àprétendre que le mouton n'existe pas.

Après neuf mois, Abdullah quittel'Angleterre, son visa a expiré. De retourà Hockail pour quelques semaines, ilm'apparaît un peu grandi, mais toujoursaussi maigre. Quand je le regarde,installé dans ma chambre, quand je pensequ'il était chez moi en Angleterre, qu'il avu Birmingham, maman, mes sœurs... jel'étranglerais. Il va repartir sur lesinstances de son frère en ArabieSaoudite, pour une opération sérieuse.

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Qu'il

parte.

C'est

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toujours

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un soulagement de ne pas l'avoir devantles yeux. Je n'ai jamais très bien comprisde quoi il souffrait et ne m'y intéresseguère. Mais j'entends dire à présent qu'ila une malformation d'une artère, partantdu cœur, ce qui bloque le flux du sang. Ilfaut remplacer cette artère par un tube deplastique, et il risque de ne pas survivre àl'opération. Abdul Khada dit qu'il acinquante pour cent de chances desurvivre.

Je prie le soir pour qu'il meure. Pour êtrelibre enfin de quitter ce pays. Je ne mesentirai pas veuve de ce faux mari,seulement libérée des chaînes qu'ilreprésente. Je prie, sans honte, le Dieudes chrétiens

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comme

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celui

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des

musulmans. Je suis meurtrière en pensée.

Durant deux jours, je ne pense qu'à cela.

En cuisant les chapatis, en enfournant lebois dans le poêle, en grattant le cuir desvaches, en hissant les bidons d'eau sur matête. Qu'il meure, et je reverrail'Angleterre. Qu'il meure et je ferai payersa lâcheté à celui qui se prétend monpère. Qu'il meure, et je ferai sortir Nadiade ce trou. Qu'il meure et je revivrai.

Il a/'survécu. Le télégramme qu'AbdulKhada adresse à Ward dit que tout vabien, qu'elle ne doit pas s'inquiéter.

Quelques jours plus tard, le maître demaison est de retour. La convalescence de

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son fils se passe bien, il va rester quelquetemps en Arabie, puis revenir au Yémen.Tout va bien... Ils sont contents.

Enfin Abdullah est de retour à Hockail.

Maintenant, il est guéri. Abdul Khadaespère qu'il va enfin pouvoir faire unenfant. Il a grossi, en effet, il semblemoins faible.

Pour la première fois de ma vie, je n'aipas mes règles. Je suis enceinte à montour. Ward est tout émue, Abdul Khadatout fier. Je réfléchis froidement à lasituation. Il m'a toujours promis que sij'étais enceinte, j’irais accoucher enAngleterre.

Pour Nadia ça n'a pas marché, mais les

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rapports de forces sont différents àprésent. Même si le jeu est serré, j'aipeut-être une chance de gagner. Je suisdonc contente d'être enceinte, contenteque tout le monde soit content. Porter levoile ne me gêne pas. Je vais être unebelle-fille dévouée qui s'entend bien avecsa famille, qui est attachée au village...Mentir, mentir sans relâche.

Nadia, elle aussi, est enceinte pour laseconde fois. Haney son premier fils adéjà deux ans. Il est superbe, tout bouclé,des yeux rieurs.

L'année 1986 sera forcément l'année denotre libération. Maman y travaille ensecret, à Birmingham. Je la bombarde delettres, en la suppliant de trouver le

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moyen d'alerter la presse.

Et en attendant, je traîne ma grossesseavec moins de facilité que Nadia. Wardn'a pas la même gentillesse que Salama.

Ce n'est pas parce qu'elle attend de. moiun petit-fils que je suis dispensée descorvées. J'ai même plus de travailqu'avant, car Bakela est partie à Taezrejoindre Mohammed. Ma « belle-mère »refuse d'assumer ellemême le travailsupplémentaire que représente l'absenced'une femme à la maison.

J'envie Bakela d'avoir quitté le village.

La naissance de son dernier enfant,malade, et qui doit être suivi à l'hôpitalde Taez, a décidé Mohammed à la faire

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venir. Ce n'est que Taez, mais il y a là-

bas des maisons modernes, de l'eaucourante, de l'électricité, des gens...

Je suis seule avec Ward, et ses petits yeuxméchants. Seule avec les vieux grands-parents. Seule à tout faire.

Parfois j'ai l'impression que je vaistomber

d'épuisement,

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les

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reins

douloureux, le dos raide, j'ai du mal àescalader le sentier, à porter l'eau. Lesoir mon corps n'est plus qu'un poids desouffrance. Je relis mes romans,inlassablement. Si j'ai un peu oublié lepremier, je m'y replonge. Lire en anglais,penser en anglais. Espérer.

Certains soirs je crois fermement quemon plan va marcher. Accoucher enAngleterre auprès de maman, dans un vraihôpital. Ils vont dire oui... D'autres soirsje

désespère. Jamais ils ne diront oui. Jevoudrais pouvoir dormir, sans cecauchemar permanent, ce doute, cet

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espoir, ce désespoir.

Je deviens énorme, et avec la chaleurintense qui règne en ce moment, sanspluie, sans orage, c'est difficilementsupportable. Au puits les autres femmessont étonnées de me voir travailler autantet si durement dans mon état.

M'obliger à transporter l'eau, à monhuitième mois de grossesse, c'est de lafolie, de la méchanceté de la part deWard. Alors, elles essaient de m'aider.

Nadia aussi, dont la grossesse est un peumoins avancée que la mienne.

J'essaie, autant que possible, de volerquelques instants de repos au moment oùla chaleur est le plus insupportable.

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Ainsi je m'allonge sur mon lit quelquesminutes, par un après-midi torride d'avril1986. Je n'oublierai jamais ce jour.Soudain, du bas de la colline, j'entends lavoix d'Amina hurler quelque chose. Jesors pour mieux entendre, elle est deboutsur le toit de sa maison, juste en dessousde la nôtre, et crie : - Il y a un paquetpour vous, Mohammed l'a envoyé deTaez! Vous pouvez descendre au villagele chercher ?

Ward descend la première, car il me fautdu temps pour emprunter le chemin à pic,qui descend le long de la colline.

Avec mon ventre, c'est encore pluspérilleux. Enfin j'arrive au bout, pour voirune petite foule chuchotante de villageois.

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Il se passe quelque chose d'inhabituel, ilsjettent des regards dans ma direction, puisse détournent, se parlent à l'oreille... J'aibeau regarder, je n'aperçois pas la LandRover, qui pourtant devrait encore setrouver là si on avait bien apporté monpaquet.

Haola vient alors vers moi et me ditdoucement :

- Zana... Ta maman est là... elle est en basde la route, elle t'attend...

Je la regarde sans y croire, muette, ellehoche la tête et me montre, sur le versantde l'autre colline, une voiture arrêtée etdeux personnes debout sur le bas-côté duchemin. Une femme avec un chemisierrouge, et un jeune homme.

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C'est la première fois depuis longtempsque je vois une femme les cheveuxdévoilés. Je reste un instant immobile,regarde fixement en clignant des yeuxdans la lumière, les battements de moncœur s'accélèrent brutalement. Les larmescoulent le long de mes joues, l'émotionme serre la poitrine et me noue la gorge.Je glisse et trébuche en descendant verseux. Maman.

Maman est là, debout sur le bas-côté, lechemisier rouge c'est elle. Les brastendus elle me reçoit contre sa poitrine.

Jamais je n'ai ressenti une pareilleémotion, un tel bonheur. Accrochées l'uneà l'autre, nous nous étreignons à enétouffer. Incapables de parler, secouées

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de sanglots. Autour de nous, les femmesdu village se sont rapprochées et nousobservent en silence.

C'est tellement irréel... maman ici, sur lechemin de Hockail. Enfin je la regarde, etelle me dit d'une voix étranglée : - Disbonjour à ton frère...

« C'est Mo ? Ce grand garçon ? Ce jeunehomme ?» Il a tellement changé en six ansque je ne l'aurais jamais reconnu. Et voilàqu'il pleure lui aussi.

La dernière fois que je l'ai vu, ilm'arrivait à peine à la taille, et maintenantil est plus grand que moi, alors qu'il n'aque treize ans. Je suis si fière de lui, il estdevenu fort, musclé, sa tignasse decheveux noirs est toujours aussi frisée.

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Mo, mon petit frère, m'écrase entre sesbras.

La chaleur est ardente et maman n'en peutplus, je le réalise, alors que nous sommeslà à pleurer et à nous embrasser sous lesoleil.

- Viens... allons à l'ombre...

Je l'entraîne sur le sentier qu'elle a plusde mal à grimper que moi, malgré meshuit mois de grossesse.

- Attends-moi... mais comment fais-tupour monter si vite...

Il semble que tout le village nous aitsuivis. Ils nous regardent fixement,comme des bêtes

curieuses, et je ne sais plus quoi dire !

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Tout à coup je l'assomme de questions : -Comment es-tu arrivée jusqu'ici? Ques'est-il passé ? Tu es venue nous chercher? Quand partons-nous ?

- Laisse-moi respirer, Zana... je vaist'expliquer... Où est la maison? C'est ici?

- Non, c'est la maison d'Abdul Noor.

Celle d'Abdul Khada est là-bas...

Je pointe le doigt vers le haut de lacolline.

- Il faut grimper là-haut?

Je me revois la première fois derrièreAbdul Khada, peinant sur ce mêmesentier de rocaille, terrifiée par le ravin,épuisée par le voyage sur la pistecahotante, harassée de chaleur.

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Maman n'en croit pas ses yeux. Je lalaisse respirer un instant, puis l'entraîneavec Mo, avide de savoir, de parler,d'être avec elle, à l'abri des curieux.

Amina lui apporte une boisson fraîcheque maman trouve tiède. Comment lafaire monter là-haut ? Cette maison est unnid d'aigle, je ne m'en rendais même pluscompte. Il nous faut une bonne demi-heurepour grimper; en arrivant, mamans'effondre sur le banc devant la maison,sans avoir même la curiosité d'entrer.

Si seulement j'avais su. J'aurais préparédes boissons, de la nourriture fraîche,installé un endroit confortable pour elle.

Mais il n'y a rien que l'habituelle galettede maïs. Rien qui puisse convenir à

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quelqu'un venu d'Angleterre. Moi j'y suishabituée, mais maman ne peut pas mangerça.

Ce qui semble la terrifier le plus, ce sontles mouches qui grouillent partout sur lapeau, à la recherche du moindre endroitdécouvert,

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qui

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collent

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aux

yeux,

bourdonnent aux oreilles...

C'est drôle, je vois, tout d'un coup, ceschoses avec un œil différent, parcequ'elle est là. Parce qu'elle trouve toutcela insupportable, comme moi au début.

Il est si loin le début. J'ai vingt et un ans,et je suis toujours ici avec les mouches etle reste.

Maman me prend par la taille, palpe monventre, avec émotion. Que dire... unenfant est là.

Haola s'est portée volontaire pour allerprévenir Nadia à Ashube.

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- Surtout ne l'affole pas, elle est enceinteet fragile. Dis-lui seulement de venir mevoir, sans parler de maman.

Mo regarde autour de lui avecstupéfaction et curiosité. Les lézards lefascinent.

Dans ma chambre, enfin, nous pouvonsparler et maman essaye de tout meraconter dans l'ordre.

- J'ai commencé à me douter que quelquechose n'allait pas au moment où vousdeviez rentrer de vacances. Quand j'aitout compris, j'ai quitté ton père. J'aiaussi quitté le café-restaurant, et je mesuis installée seule avec Mo, Tina etAshia. Je n'ai contacté ce monsieur deGenève qu'un an après votre départ.

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- Est-ce que tu en as parlé aux journaux ?

- J'ai eu peur de cette publicité, Zana,peur que l'on ne vous emmène ailleurs,qu'on ne vous cache plus loin dans lesmontagnes. M. Cantwell écrivait sanscesse au gouvernement yéménite à cetteépoque, je ne voulais pas faire de vagueset risquer de gêner son action.

- Il n'a rien obtenu ?

- Rien. On lui répondait que le dossierétait à l'étude. En fait il n'arrivait mêmepas à situer l'endroit où vous étiez. Iln'existe aucune carte de la région. De plusil y avait manifestement une entente entrele gouvernement et la police de Taez, quifaisait tout pour que l'on ne puisse pasvous rechercher. Nous avons tenté

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l'impossible. Sans jamais obtenir lemoindre renseignement. A ce moment-

là, par malchance, j'ai été victime d'unaccident. J'étais au coin d'une rue, dansune cabine téléphonique de Birmingham,quand une voiture est venue la heurter.

J'ai été gravement blessée, on m'a opérée,et l'assurance m'a proposé une indemnitéde six mille cinq cents livres.

C'était peu, j'aurais pu obtenir davantageen faisant un procès, mais le tempspressait et j'avais besoin de cet argentpour venir ici. J'avais décidé de partiravec Mo. M. Cantwell m'a encouragée, enme disant que si cela ne réussissait pas,alors nous alerterions la presse, puisqu'iln'y aurait plus rien à perdre.

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Seulement voilà, j'ai dû attendre près detrois ans, pour que cette indemnité de sixmille cinq cents livres me soit enfinversée. Je t'avais écrit tout cela dans unelettre à la boîte postale d'Abdul Khada...

- Je n'ai jamais rien reçu. Je ne savaismême pas que tu avais eu un accident.

Tu n'en as pas reparlé ensuite...

- Je ne sais plus. J'ai écrit tant de lettres.

- Nous aussi... Comment as-tu fait ensuitepour nous trouver?

- Je connaissais le nom du village, grâceà celui qui m'avait dit un jour que vousétiez mariées... Mais le nom tout seul nesuffisait pas, impossible de trouver unecarte de la région. Alors, en arrivant à

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Sanaa, je suis allée voir le vice-consulbritannique, un M. Colin Page. Il m'a toutsimplement découragée, durement et d'unemanière agressive. D'après lui je perdaismon temps, et il valait mieux que je rentredirectement en Angleterre.

Il m'a répété que la seule façon de voussortir de là, c'était d'obtenir la permissiondes maris...

- Il ne t'a même pas dit où était Hockail?

- Non. Il disait n'en avoir jamais entenduparler et de toute façon il ne cessait derépéter : « Même si vous connaissez lenom d'un village, ça ne sert à rien, il n'y apas de carte de la région ! » Quand je l'aiquitté il m'a conseillé de faire attention àMo : « Ils voudront certainement mettre la

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main sur lui aussi.

» En fait, il ne voulait pas m'aider.

« Le vice-consul de Grande-Bretagne...

Et moi qui. espérais, lorsque j'étais àHays, rencontrer un Anglais, me faireconduire au consulat... »

- J'ai compris, poursuit maman, qu'ilfallait se débrouiller seuls. Comme tum'avais parlé dans une lettre de cet agentd'Abdul Khada, Nasser Saleh, j'ai pris unautocar pour Taez. J'avais avec moi unephoto que tu m'avais envoyée sur laquelleon voit Mohammed et Bakela avec leursenfants. Tu m'avais dit qu'il travaillait àTaez dans une fabrique de beurre.

- Qu'as-tu fait avec ça?

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- J'ai traîné en ville pendant trois jours,j'ai discuté avec tous ceux qui parlaientanglais, je leur montrais la photo, en leurdemandant s'ils reconnaissaient les gens,en parlant de Nasser Saleh... et finalementje suis tombée sur quelqu'un quiconnaissait cet homme. Il m'a guidéejusque chez lui, et on a fait prévenirMohammed. Voilà.

- Mohammed a été gentil avec toi?

- Choqué de me voir là, mais aimable. Ils'est montré aussi serviable qu'il pouvaitl'être, étant donné que j'étais arrivéejusque-là... Il a arrangé le voyagejusqu'ici. Il a téléphoné à Abdul Khada enArabie Saoudite, et me l'a passé.

- Comment était-il? Furieux?

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- Furieux et effrayé. Il voulait savoir ceque j'étais venue faire, il m'a demandé dene pas créer de problèmes. J'ai réponduque j'ignorais ce qu'il entendait par là, jene voulais causer d'ennuis à personne,que j'étais seulement venue rendre visiteà mes filles. Là il s'est montré presquemenaçant, il m'a affirmé qu'il possédaitune lettre de ton père l'autorisant à vousemmener à Marais dans le golfe d'Aden,si je provoquais des difficultés. Je l'airassuré encore une fois, et il a raccroché.

- Quel culot ! Te demander ce que tuviens faire au Yémen? Et Mohammed,qu'est-ce qu'il a dit?

- Il avait l'air ennuyé. Il m'a dit que votrepère vous avait vendues pour mille trois

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cents livres chacune à son père. C'est lapremière fois que j'ai eu la preuve decela. Pour le reste j'ai quand mêmemarqué des points, à propos de ce NasserSaleh justement. Quand il m'a vue arriver,il n'était pas tranquille, j'avais déposé uneplainte contre lui, pour avoir interceptéles lettres que nous nous adressions.Mohammed m'a dit qu'il avait été enprison pour cela, et qu'ils avaient dûpayer pour le faire libérer.

- Je n'ai jamais rien su de tout ça. AbdulKhada ne s'en est pas vanté!

- Je crois que ce Nasser Saleh a eu peurde retourner en prison quand il m'a vue.

Il disait à tout le monde : « C'est lafemme qui m'a apporté tous ces ennuis. »

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Il a vite prévenu Mohammed...

Enfin, nous avons passé la nuit chez eux,j'ai vu Bakela et les enfants - ils sontgentils - et le lendemain nous avons prisun taxi pour venir ici. Cet endroit estépouvantable. Ce désert, ces cabanes deterre, ces maisons de pierre en ruine.

Par moments, j'avais l'impression depasser derrière un bombardement. Unvéritable cauchemar, cette région.

- Pourquoi papa a-t-il fait cela ? Tu lesais ? Pour l'argent? Pour que nousdevenions musulmanes?

- Il n'est pas croyant, il ne prie jamais.

Quant à l'argent, ce n'est pas la premièrefois qu'il s'en procure malhonnêtement'.

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Il prétendait que lorsqu'il avait quitté sesparents pour venir en Angleterre, il fuyaitpour éviter un mariage arrangé par safamille. En réalité il avait volé de l'or àsa future belle-mère pour se payer levoyage... Je l'ai appris il n'y a paslongtemps... Il court toujours aprèsl'argent. Rappelle-toi ses dettes enAngleterre, les amendes qu'il ne payaitjamais... Mais ce n'est pas les deux millelivres qui l'ont rendu riche...

- Moi, je pense que c'est pour te faire dumal. Il ne t'aime pas, il n'aime personne,il n'a jamais eu qu'une idée en tête, sedébarrasser de ses enfants. D'abordAhmed et Leilah, puis nous deux... Nonseulement il se dispense de nous élever,avec les frais que cela comporte, mais en

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plus il y gagne de l'argent.

- Je voudrais le voir mourir. Qu'il souffreautant qu'il vous a fait souffrir.

Maman a tout dit. A présent je peuxraconter

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mon

cauchemar.

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Maman

m'écoute horrifiée, chaque détail la faitpleurer pour nous. Maintenant seulementelle se rend compte de ce que furent tousces jours, ces semaines, ces mois, cesannées. Je n'en finis pas de raconter, unvéritable fleuve. Jusqu'à l'arrivée deNadia.

Je vais à sa rencontre pour la préparer auchoc. Mais à peine a-t-elle entendu le mot« maman » qu'elle se précipite àl'intérieur avec Haney dans les bras.

C'est à mon tour de les regarder,d'assister aux retrouvailles. De pleurer deles voir pleurer.

Haney regarde sa grand-mère avec

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hésitation. Cette dame en chemisierrouge, avec des cheveux... c'est étrangepour lui. Pauvre petit bonhomme, il n'aque deux ans, et n'a jamais vu d'Anglaise.Sa mère est comme les autres, commemoi, comme toutes les femmes duvillage... Comme Ward, qui prépare desboissons pour les « invités », sans motdire, regard baissé.

Pendant que Nadia refait avec maman lemême chemin de paroles bousculées,avides, je réfléchis amèrement. Ce nesera pas si facile de partir. Mon espoirest en miettes pour l'instant. Pauvremaman, elle n'a pas contacté les gens qu'ilfallait, elle n'a pas fait le scandale qu'ilfallait, que je réclame de toutes mesforces.

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- Maman, il faut que tu alertes les médias.C'est la seule solution. Nous n'avons rienà perdre.

- Mais comment, avec quelles preuves ?

Ton père a pris tous vos papiers... il m'amême repris la cassette que Mo lui avaitvolée...

- Je vais t'en enregistrer une autre. Etcette fois, je parlerai sans crainte, je diraila vérité, tous les détails. Tu la donnerasà ce M. Cantwell à Genève, pour qu'il lacommunique à la presse.

- Le gouvernement d'ici va nous faire desennuis, Zana.

- Qu'il en fasse. Que les ennuis pleuventsur la tête de tout le monde. Je veux que

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le monde sache que nous sommesprisonnières. Je veux aussi qu'on sacheque nous ne sommes pas les seules. Il y aau Yémen des petites filles anglaises, jele sais, qui n'ont jamais revu leur famille.Qu'on a mariées ici de force, parcequ'elles avaient un père ou un oncleyéménite. Je veux un scandale, maman...

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Sans

attendre,

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je

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prends

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mon

magnétophone et monte sur le toit de lamaison pour être tranquille. Le micro estpetit, c'est dur de commencer. Par oùcommencer... Je ne trouve même plus lesbons mots en anglais, et j'éclate ensanglots à plusieurs reprises. J'éteins lemicro plusieurs fois, sans avoir pu dire lepremier mot.

Devant moi il y a les montagnes, cetteprison de

montagnes. Je les fixe, en serrant lesdents pour me calmer. Pour cesser detrembler, et parvenir à articuler enfin unephrase convenable.

« Bonjour, monsieur Cantwell... Je

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m'appelle Zana Muhsen... je suisanglaise... »

Le récit de six ans d'angoisse, c'est dur.

Cette machination que mon père a menéeà bien, j'en sais peu de chose. Des nomsde gens, la somme payée, les papiersvolés, les faux certificats de mariage. Jem'arrête régulièrement pour réfléchir, nerien oublier. J'entends hurler les loups.

Entendra-t-il hurler les loups, M.

Cantwell, là-bas à Genève... Il fautachever cette drôle de lettre chuchotéedans la nuit. Ma bouteille à la mer, dansce désert noir.

« Monsieur Cantwell... Je ne veux pasrester ici, je vais me suicider, je préfère

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mourir que de rester ici. C'est pire quetout ce que l'on peut imaginer. Si vousvoyiez les garçons, ceux que l'on appellenos « époux », vous n'en croiriez pas vosyeux. Des enfants plus jeunes que nous. Jesuis complètement pétrifiée de peurdevant Abdul Khada, il me frappe quandça lui plaît, même si je ne fais pas de mal.Il m'a forcée à enregistrer une cassette,pour dire que j'étais heureuse.

Quand des journalistes viendront ici,comme je l'espère, pour nous poser desquestions, il faudra nous emmener hors duvillage. Sinon les gens d'ici vont essayerde leur cacher la vérité, ils leur ferontécouter la cassette de " l'heureuse " Zana.J'ai parlé sous la contrainte, il faut mecroire. Abdul Khada dira aussi : " Je lui

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ai offert des bijoux et de l'or. "

Je ne veux pas de leur or, je veux mamère. Je ne porte pas leur or, je le lui aijeté à la figure. Mon père doit êtreexpulsé d'Angleterre pour nous avoirvendues. Abdul Khada est en Arabie ence moment, il nous fait surveiller parcequ'il a peur. Ils ont tous peur. Mais ilspayent tout le monde, même la police,pour

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obtenir

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le

silence.

J'ignore

comment ils ont réussi à faire tout ça sansencourir la moindre punition. Ils doiventêtre punis, pour nous avoir forcées aumariage, forcées à coucher avec leursfils, pour avoir gardé nos lettres, et nousavoir battues et fait travailler si durementque nous en sommes malades. Faitesattention, ils sont malins, ils ne veulentpas perdre. Pourtant cette fois je veuxqu'ils perdent, je vous en supplie, je veuxqu'ils aient honte. Dieu les punira au jourdu Jugement dernier, mais moi je veuxqu'ils soient punis aujourd'hui. Je veux

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rentrer en Angleterre, simplement chezmoi. Je veux être heureuse. Si on ne medélivre pas, je me tuerai un jour. Ma sœursouffre encore plus. Je ne sais quoi dired'autre. Maintenant c'est à vous, monsieurCantwell, que Dieu soit avec vous, etprenez garde, ils ont menacé ma mère.S'il vous plaît, aidez-nous, je vous ensupplie, il faut nous délivrer. Au revoir,monsieur Cantwell et bonne chance pournous tous. Au revoir... »

Cela m'a pris deux heures, mais j'aifinalement réussi à enregistrer laprécieuse cassette, qui va désormaiscontenir tous nos espoirs. En la remettantà maman, je lui demande de me promettreune chose.

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- Ne l'écoute pas, maman....

- Pourquoi?

- Il y a des choses là-dedans que je ne t'aipas avouées, je ne veux pas que ça tebouleverse, c'est inutile.

Ce que je n'ai pas dit concerne AbdulKhada, et les sévices qu'il m'a fait subir.

Comme il me battait chaque fois que jerefusais d'aller au lit avec son fils.

Inutile que maman souffre plus encore àcause de ça.

- Cache-la dans ton sac, emporte-la, etfais-y bien attention, maman... Ne laremets qu'à M. Cantwell.

C'est extrêmement difficile de résumer

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ainsi six ans de vie.

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Les

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mots

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manquent

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pour

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dire

exactement, pour faire comprendre lasouffrance, l'humiliation. Et je me sentaissi seule, là-haut sur ce toit, face à la nuitdu Yémen. Cette nuit sinistre,désespérante, qui ne s'achève que pourvous replonger dans le malheur, dèsl'aube.

Je dois aller chercher de l'eau. Laprésence de maman et de Mo en réclamedavantage que d'habitude. Comme moi audébut, elle ne se rend pas compte dulabeur exigé pour obtenir de l'eau ici.

Elle a si chaud qu'elle veut se laver sansarrêt.

Maman va rester deux semaines avec

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nous. Une semaine avec moi, une semaineavec Nadia. Elle ne veut pas sortir, rienne l'intéresse au-dehors. Les femmes duvillage en revanche viennent en massepour la voir. La maison ne désemplit pas.Elles bavardent, se querellent, crachentpar terre sous le regard incrédule demaman, qui n'a jamais vu cela. Certainesfemmes ont fait un long trajet, juste pourexprimer leur sympathie, et lui direcombien elles trouvent terrible de perdreses filles ainsi. Leur solidarité n'est pasfeinte.

Hélas, elle ne peut se traduire qu'enparoles. Les femmes n'ont aucun pouvoir.Seule Ward se tait avec obstination. Toutce qu'elle peut faire en ce

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moment

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est

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de

réprimer

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sa

méchanceté naturelle en présence de mamère.

Mon frère Mo est absolument furieux. Ilvoudrait tuer tout le monde. Notre père etAbdul Khada en premier. Il a la révoltede son âge, celle d'un adolescent élevé enGrande-Bretagne, habitué à la liberté, audroit. Je crois que s'il avait rencontréAbdul Khada en arrivant, les choses seseraient mal passées; or nous avonsintérêt, en ce moment, à temporiser, aussidifficile que ce soit, et je dois le luiexpliquer.

Pendant leur séjour ici, je dois aller aumagasin du village plus souvent, pour me

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procurer de la nourriture fraîche.

Salama a autorisé Nadia à demeurer avecnous. Mais lorsque ma famille s'en vapour Ashube, dans la maison de Gowad,Ward refuse de me laisser aller avec eux.Mort frère voudrait en discuter avec elle,cette interdiction lui paraît monstrueuse.

- Elle n'a aucun droit de faire ça, Zana.

Nous n'avons plus qu'une semaine àpasser ici, envoie-la promener...

- Mo... Tu vas repartir avec maman...

moi je dois rester ici, dans cette maisonavec elle, pour combien de temps je n'ensais rien... encore longtemps. Si jedésobéis... Abdul Khada...

- Quoi Abdul Khada ? Il te battra ? Je

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vais le tuer ce bâtard...

- Mo, sois raisonnable... c'est moi qui tele demande.

- C'est dégueulasse ici... regarde, lesmoustiques m'ont fait des cloques sur toutle corps... maman est malade tout letemps, c'est plein de mouches, et desaloperies de bestioles... Je refuse devous laisser là. Il doit bien y avoir unmoyen.

- Le seul moyen est que vous rentriez enAngleterre et que maman fasse ce que jelui ai dit. Aide-la, Mo, elle a peur, aide-la à faire un scandale en Angleterre, c'estnotre seule chance.

La tension de ces deux semaines est

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terriblement éprouvante, aussi bien pourNadia que pour moi. Plus vite mamanrepartira en Angleterre, pour travailler ànotre libération, et mieux ce sera.

J'aurais bien aimé qu'elle reste pour monaccouchement...

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mais

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il

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est

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plus

important qu'elle commence la lutte. Etaussi qu'elle s'en aille avant le retourd'Abdul Khada. Ce retour, je le crains.

- Maman, il faut t'en aller. Chaque jourcompte.

- Je suis malade de ne rien pouvoir fairepour vous deux... malade, Zana...

--Je sais. Mais plus vite tu seras surplace, plus vite nous sortirons de là et net'en fais pas pour nous. Nous avonsattendu si longtemps que nous pouvonsencore tenir. Ce ne sera plus pareilmaintenant que nous savons ce que tu faisen Angleterre.

- Mais ce pays... c'est horrible de vous

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laisser là...

- Crois-moi, c'était encore plus horriblequand nous ne savions rien de toi.

- Comme tu as changé, Zana...

Oh! oui, j'ai changé! J'ai avalé toutes cesannées comme du poison, il s'est infiltréen moi, je suis une autre personne, unefemme remplie de haine et de volonté.

M'échapper. Je sais maintenant ce queveulent dire les mots « enfermement », «

prison », « liberté »... Je devine lesépreuves qu'il nous reste à subir. Cetenfant que je dois mettre au monde, et ledeuxième enfant de Nadia..., la pressionque nous allons vivre, jour après jour, lesmenaces,

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les

promesses,

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les

mensonges...

- Je suis forte, maman...

Nous avons organisé leur retour : un taxidoit venir chercher maman et Mo, auvillage. Le matin du départ, je descendsla colline avec eux, jusqu'à la route.

Nadia a préféré rester à la maison, et direau revoir à maman la veille. Elle n'auraitpas supporté l'émotion de cetteséparation. Nadia est encore une enfant...un bébé, comme dit maman.

Mais un bébé de vingt ans, mère defamille.

Nous voilà sur la route, le soleil se lève,

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rouge, menaçant déjà de la chaleur dujour.

- Tu as la cassette...

- Je l'ai.

Des mots pour nous raccrocher à l'espoir.

- Je vais la faire connaître.

Il y a six ans, je disais au revoir à mamère à l'aéroport de Heathrow et luidemandais : « Maman, si je ne me plaispas là-bas, je pourrai revenir tout desuite?...» «Bien sûr, Zana...»

- Au revoir, maman...

.Ils montent tous les deux dans la voiture,le chauffeur démarre, et je retourne enprison, sans un regard en arrière, sans me

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retourner une seule fois sur le nuage depoussière qui s'éloigne vers le désert. Sije les regarde partir, mon cœur va lâcher.

Je m'effondre sur le lit en arrivant dansma chambre, et j'explose enfin en untorrent de larmes. « Pourquoi, maispourquoi... j'aurais dû monter dans lavoiture, m'enfuir, faire un scandale àl'aéroport de Sanaa, exiger un avion,réclamer l'ambassadeur...

l'asile

politique, je ne sais pas, moi... »

Pas de passeport, plus d'identité, jen'existe pas. Comment un fantômepourrait-il prendre un avion pour rentrerchez lui?

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Trois jours après le départ de maman,Abdul Khada est de retour.

- Où est ta mère?

- Repartie à Taez.

- Pour quoi faire?

- Organiser son voyage de retour! Ellerentre en Angleterre !

- On m'a dit qu'elle devait rester quelquesmois ici.

- Elle a décidé de partir. Il m'observeavec méfiance.

- Qu'est-ce que vous avez fait en monabsence?

- Rien de spécial. Nous sommes restéesici.

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- Je vais à Taez, il faut que je lui parle.

Il part et revient le lendemain,bouillonnant de colère, accompagné deMohammed.

- Vous m'avez trahi ! J'en étais sûr. Tamère a dit qu'elle allait tout faire pourque vous retourniez en Angleterre ! Jel'avais prévenue, pourtant ! Qu'est-ce quetu lui as raconté ? Des mensonges ?

- Je n'ai rien dit, et ça ne te regarde plus.

Je devrais me taire, mais la tentation esttrop forte. Nous allons partir, j'en suissûre, maman va faire ce qu'il faut, alorsau diable Abdul Khada!

- Je ne resterai pas longtemps ici, crois-moi, tu ne pourras plus m'empêcher de

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rentrer chez moi!

La gifle m'atteint en plein visage, de face,d'une violence meurtrière. Mais jel'encaisse sans bouger.

- Tu crois ça, hein ? Tu as de la chance deporter un enfant, sinon je t'aurais battue sifort que tu n'aurais pas pu marcherpendant des jours!

Mohammed qui n'avait rien dit jusque-làajoute froidement : - Si ta mère veut tereprendre, elle devra payer pour toi,comme nous l'avons fait.

C'est la loi.

Plusieurs jours durant je dois subir cegenre de persécution et de menaces.

« Tu ne t'en iras jamais d'ici... » « Ta

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mère doit payer... » Gifles et menacesm'indiffèrent.

- Je m'en fous!

L'accouchement approche, et il n'y a plusaucune chance pour qu'ils tiennent leurpromesse. La visite de maman, son retourprécipité

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vers

l'Angleterre

représentent une menace pour eux. Tousles efforts obstinément fournis pourobtenir leur confiance sont annulés. Je lesai « trahis ». Il me reste la perspectiveeffrayante d'accoucher ici, comme Nadia,comme Bakela.

Deux jours plus tard, seule à la maison, jeperds les eaux. La quantité de liquidem'effraie. Je suis ignorante à ce sujet.

Mon pantalon de coton est trempé. Je mechange et monte sur le toit pour le laver.

Les douleurs me saisissent dans le dos, ettandis que je frotte le linge, je m'aperçoisque les vêtements que je viens d'enfiler

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sont tachés à leur tour.

J'ai sali un deuxième pantalon... Je nepense qu'à cela. Il va me falloir de l'eau ànouveau pour le laver... Alors je m'envais au puits. En revenant, le bidon sur latête, une atroce douleur me serre lesreins. Le souffle coupé, j'attends sur lechemin, ne sachant trop quoi faire. Puis ladouleur s'estompe et je repars.

Arrivée à la maison, en bas de l'escalier,j'éprouve une autre douleur, encore plusforte. Je n'ai qu'une idée en tête : gagnerle toit, remplir le réservoir et m'allongerpar terre.

Je suis là depuis un moment, à m'asseoiret à m'allonger alternativement, nesachant plus quoi

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faire de cette douleur, comment ladiminuer, respirant comme un animalmalade, seule et complètement abrutie parla souffrance. Ward apparaît.

- Qu'est-ce que tu as?

- J'ai perdu les eaux, j'ai mal.

Elle court aussitôt vers Abdul Khadadehors. Ses cris résonnent dans lescollines. Puis ils viennent tous les deuxme chercher et me descendent dans machambre.

Là, j'ai peur. Je vais accoucher, je le sens.Pourtant je ne crie pas comme les autresfemmes, Peut-être ai-je la chance demoins souffrir, je n'en sais rien.

Cependant les douleurs se rapprochent,

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de plus en plus violentes, et me laissent àpeine le temps de reprendre mon souffle.Je me mets à pleurer, j'étouffe.

La vieille Saeeda est venue meréconforter. Sa main ridée tient la mienne,elle marmonne des litanies, me bercecomme un bébé. Ward attend.

Il faut que je me lève, il faut que jemarche, j'ai trop mal; allongée sur ce lit,je respire avec difficulté. Me voilà entrain de faire les cent pas, le dos plié parla douleur.

Les heures ont passé, la nuit est tombée,Ward et Saeeda ont éclairé la chambreavec les lampes à huile. Les ombres surles murs, la fumée acre, ces deux femmesqui attendent. Ward n'a prévenu personne

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d'autre.

Habituellement,

lorsqu'une femme accouche au village, onfait venir une matrone, qui a l'habitude,

connaît

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les

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gestes

nécessaires.

Je suis seule avec une belle-mère qui mehait, et une vieille qui ne peut pas grand-chose pour moi, elle est si menue,courbée, fragile. Elle déteste sa belle-fille qui la traite mal, et sa sympathie vavers moi. Elle n'a que sa main à m'offrirmais je m'y accroche à chaque poussée dedouleur. Elle me fait du bien, calme,attentive, silencieuse. A présent, elleguette dans mes yeux la prochainesouffrance et l'accompagne. Tandis queWard est repartie dans la cuisine. La «

putain blanche » qui accouche de sonpetit-fils ne semble pas l'intéresser plus

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que cela.

Il doit être plus de minuit, les douleursont

commencé au début de l'après-midi, etcette torture n'en finit pas. Je ne crainspas de mourir, je voudrais seulement quecet enfant sorte de moi, qu'il s'en ailleavec cette douleur effrayante. « Qui vacouper le cordon ? » J'accouche commeun animal ici, comme une vache qui metbas dans l'étable. Mais les vaches saventse débrouiller seules. Moi je suis à lamerci de cette mauvaise femme, et de salame de rasoir.

Ward est revenue et s'est endormie sur labanquette. La vieille est accroupie dansun coin, je suis allongée sur le sol.

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Il me semble que la douleur n'est plusaussi forte, il faut que je pousse, il le faut,cet enfant va mourir dans mon ventre si jene l'aide pas. Je me mets à crier, et Wardse réveille.

- Il arrive...

- Mais non, tu es bête... il ne viendra pasavant demain... Tu n'as pas besoin decrier comme ça.

Tout mon corps me dit qu'elle a tort.

Cette fois je retire mon pantalon taché ànouveau, et je pousse, les deux mains àplat, le torse à demi levé, j'ai du mal à nepas glisser. Saeeda accroche une corde àla fenêtre et me tend l'autre bout pour queje m'y accroche. Par moments un réflexe

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me fait fermer les jambes, et Ward mecrie de les ouvrir. Elle est furieuse aprèsmoi.

La tête du bébé a glissé, je l'ai sentie, etj'attends que Ward le prenne, coupe lecordon et me le montre comme je l'ai vuefaire avec Bakela. Mais elle reste là, àgenoux entre mes jambes, et se met àhurler :

- Abdul! Apporte une torche!

Je ne comprends pas ce qui se passe, jene sens plus rien que la tête de l'enfantentre mes jambes. Je me mets à crier : -Qu'est-ce qu'il y a?

- Le cordon est enroulé autour du cou, jesuis en train de le défaire.

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Elle a répondu sans me regarder. AbdulKhada tient la torche au-dessus d'elle. Jeferme

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les

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yeux

d'angoisse

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et

d'humiliation de le voir là. Mon ventre estcomme une pierre silencieuse. Puis jesens quelque chose, et dans le peu delumière, j'ouvre les yeux sur l'enfant. Ilest inerte, elle le frappe pour qu'il crie.Le premier vagissement est faible, je meredresse pour la voir attacher ce qui restedu cordon ombilical à ma jambe, à l'aided'un fil de coton.

- Pourquoi fais-tu ça?

- Pour qu'il ne retourne pas à l'intérieurde ton corps. Maintenant il faut te lever,le placenta doit descendre.

J'obéis, chancelante, en m'appuyant sur lagrand-mère. C'est à ce moment-là que je

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distingue réellement le visage de monbébé. Elle l'a placé sur le lit, dans unchiffon, tout ensanglanté.

Mon bébé. Cette petite chose minusculeest à moi.

Une vague de tendresse et de fiertém'envahit. Puis aussitôt une vague dehaine. Je pense à celui qui m'a fait cetenfant. Il n'est pas à lui, il ne luiappartient pas. Je voudrais pouvoirl'effacer d'un coup d'éponge, qu'ildisparaisse à jamais de ma vie. C'est moi,et moi seule qui ai fait cet enfant.

Ward annonce triomphalement à son mari:

- C'est un garçon!

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Il a l'air enchanté. A cette seconde, jevoudrais le tuer sur place, en finir unefois pour toutes dans le sang. Le sang estpartout, le goût dans ma bouche, l'odeursur mon corps, et sur le bébé...

Ward l'emporte pour le laver, la grand-mère s'affaire à nettoyer le sol, autour demoi. Quelque chose ne va pas. Leplacenta n'est pas descendu. Mais je suissi fatiguée que je m'allonge à nouveau parterre et Ward me recouvre d'unecouverture. Abdul Khada m'observe,narquois.

- Alors? Nous avons ton souvenirmaintenant. Plus besoin de toi! Tu peuxretourner en Angleterre si tu veux!

Son sourire est une injure. Ce qu'il dit,

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une monstruosité. Mais si je pensaisseulement une minute qu'il dit vrai, jem'en irais sur-le-champ.

Les deux femmes m'obligent à meredresser, j'ai le vertige. Ward appuie surmon ventre, sans ménagement, mais rienne vient. Je ne peux plus tenir debout, ilfaut que je m'allonge, même si je dois enmourir, je veux m'allonger.

Ward s'en va en disant qu'elle va chercherune femme au village pour l'aider. AbdulKhada sort avec elle, et je reste seuleavec la vieille Saeeda.

- N'aie pas peur... N'aie pas peur.

Je n'ai pas peur. Mourir m'estcomplètement égal en ce moment. Je vais

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m'endormir, m'en aller, mes idées sebrouillent, je ne vois plus clair, leplafond danse, danse, danse...

Je n'ai plus la notion du temps.

On ne veut pas me laisser dormir, on metire, on me soulève, on m'oblige à tenirdebout. Des mains pressent mon ventre etla douleur est pire que celle del'accouchement. C'est une femme duvillage, je sens ses doigts crochus fouillerl'intérieur de mon corps, s'y incruster.Elle veut arracher le placenta, et ladouleur infernale me fait reprendreconscience. Le visage grimaçant sousl'effort, la femme transpire, une odeuracre mêlée à la fumée des torches medonne la nausée. Elle en appelle aux

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djinns, aux génies, il faut que cette chosesorte de moi, sinon je vais mourir. C'estune sorte d'agonie que je vis, debout,durant une demi-heure, avec cette femmeaccrochée à mon ventre.

La délivrance vient enfin, me libérant decette poche immonde et sanglante. Etsoudain, je me sens propre. Elle me lave,puis lave le bébé, on m'apporte unenourriture que je suis incapable d'avaler.

Je veux dormir. Seulement dormir.

Ensuite je ne me souviens que d'unechose, on m'a réveillée pour nourrirl'enfant. Il faisait jour, je n'avais pas delait, ce petit corps qui cherchait mon seinm'a paru chétif, si minuscule, si fragile.

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- Il faut l'appeler Mohammed! AbdulKhada a décidé.

- Je l'appellerai Marcus.

Il hausse les épaules en riant. Sûr de lui.

Mais ce prénom est une vengeance et il lesait.

Un jour Abdul Khada a raconté qu'il avaiteu un enfant d'une mère anglaise, et enAngleterre. C'était un fils et il s'appelaitMarcus, mais il ne pouvait plus

le voir. Sa mère avait rejeté AbdulKhada. Mortifié, il n'avait qu'un souvenirà montrer de ce fils perdu. Une photo d'unenfant d'un an environ, beau comme uncœur, tout frisé, avec de grands yeuxnoirs et la peau mate, comme moi. Un joli

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produit du mélange des races. Mais denationalité anglaise, et son père n'avaitrien pu contre cela.

Chaque fois que je prononcerai le prénomde mon fils, Marcus, je réveillerai lesouvenir de cet enfant, et l'humiliationd'Abdul Khada.

Je leur ai donné un enfant dont ils ferontun Yéménite. Jamais ils ne me laisserontl'emmener en Angleterre. Ce garçon est lachaîne qu'ils voulaient me passer, lamarque indélébile de ce qu'ils m'ont faitsubir. La consécration du viol.

Je le berce en anglais, je lui parle enanglais, pour que les premiers mots qu'ilentende de sa vie soient ceux de malangue. Ce Marcus a, lui aussi, une mère

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anglaise. Je ne cesserai jamais de le leurdire. Même si le combat est désespéré.

Durant deux semaines, Marcus pleure, il afaim et je n'ai pas de lait pour le nourrir.J'ai beau presser, rien ne sort. Il me fautdemander à Ward d'aller chercher du laitau village; grâce au ciel elle a égalementtrouvé une tétine. Mais ici il n'y a pas decouches. Chaque fois que Marcus se salit,il doit être changé.

Il est emmailloté dans des linges, et leslessives se font plusieurs fois par jour.

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Ward

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ne

m'aide

pas.

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Depuis

l'accouchement elle n'a même pas balayéma chambre. Le troisième jour j'ai dû lefaire moi-même, tant la poussière étaitdevenue insupportable.

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Je

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pense

à

l'Angleterre,

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aux

supermarchés remplis de produits pourbébés, aux paquets de couches, à l'eau deCologne qui sent le bonbon. "Auxbaignoires de plastique bleues et roses,pour les baigner dans l'eau tiède, avecdes petits canards qui flottent. Et les jolispetits vêtements en éponge, de toutes lescouleurs, les chaussons, les bavoirs... lespetits pots à la fraise ou à la pomme...

Marcus n'a rien de tout cela, il dort dansun hamac accroché à mon lit, petit tas dechiffons qu'il faut préserver sans cessedes mouches. Je lave le hamac tous lesjours, les chiffons plusieurs fois par jour,ce qui ne me dispense nullement descorvées habituelles. .

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Ils l'appellent tous Mohammed, etobstinément je l'appelle Marcus.

- Tu n'as pas de père, Marcus... tu n'esqu'à moi.

Heureusement, c'est un fils. Si je doisl'abandonner à ce pays, il n'en souffrirapas autant qu'une fille. C'est un véritablesoulagement. Si j'avais eu une fille,j'aurais eu trop peur dé ce qui l'auraitattendue. L'imaginer mariée à huit ou dixans, livrée à un autre Abdullah, ou à unautre Abdul Khada...

Abdullah est toujours en Arabie Saoudite,il a appris là-bas que j'attendais un enfantet n'est pas revenu.

C'est ce qu'il pouvait faire de mieux pour

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ma tranquillité.

J'apprends à écraser les chapatis dans dulait, et à nourrir Marcus du bout du doigt,par petites bouchées. Il ne pleure plus et,la nuit, j'ai trouvé la solution à mesinsomnies. Le bercer, et rêver àl'impossible.: un joli berceau anglais quenous n'aurons jamais ensemble.

Le 8 mai 1986, est né, en prison, àHockail, un enfant de père inconnu, filsde Zana Muhsen, et d'elle seule.

Nous sommes deux prisonniers de plus auYémen.

Recevoir des documents d'Angleterre,dans une grosse enveloppe, avec destimbres anglais, est un bonheur sans égal.

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Le plus beau cadeau pour mes vingt-deuxans. Il s'agit de remplir des formulairesd'obtention de passeport anglais. J'ignorece que prépare maman, mais remplir cepapier ligne après ligne... nous faitéclater de rire toutes les deux. Quelquechose va se passer. Nous allons ànouveau exister en tant que citoyennes,Nadia a un fou rire presque hystérique.

Le docteur se charge de renvoyer lesdocuments, et deux semaines plus tard,nouvelle demande de maman. Nous avonsbesoin de photographies récentes pour lespasseports...

« Pouvez-vous aller à Taez pour les fairetaire ? »

Tout notre bonheur s'écroule d'un seul

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coup. Comment peut-elle nous demanderune chose pareille, après avoir constaténos conditions de vie au village? Icipersonne n'a l'intention de nous emmeneren promenade à Taez, ici nous sommesprisonnières. Je me rends compte avecamertume de la difficulté qu'il y a pourles autres, à l'étranger, de biencomprendre notre situation. Même notremère s'est laissé abuser. Et c'est un peuma faute. Si je ne lui avais pas cachéqu'Abdul Khada me battait au moindreprétexte. Et ceci serait un énormeprétexte. Il est même inutile de lui enparler.

Voilà, c'est fichu. Maman s'est imaginéque nous

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étions libres de nos mouvements,susceptibles de faire quelque chose quilui paraît à elle normal, anodin... Alorstout s'écroule, toutes les étapes que nouspensions avoir franchies vers notrelibération.

Que dirait maman, si elle savait que l'onne m'a même pas prévenue que ma sœuraccouchait pour la deuxième fois ? Elle asouffert pendant trois jours avant demettre au monde un enfant si gros qu'il al'air d'avoir six mois. En descendant àAshube le lendemain de l'accouchement,je ne pensais pas découvrir cette petitefille aux longs cheveux noirs. Tina adonné bien du mal à ma sœur.

- Au bout de trois jours, les contractions

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sont enfin venues mais j'avais beaupousser, il ne s'est rien passé pendant desheures. Le bébé ne bougeait pas. J'ai criésans interruption pendant six heures.

Toutes les femmes autour de moi étaientsûres que j'allais mourir, elles avaientpeur et ne savaient absolument pas quoifaire. En fin de compte elles ont appelé lavieille qui pratique les excisions, elle aplus d'expérience que les autres. Elle a vuque je ne m'en sortirais pas toute seule.Alors elle a pris une lame de rasoir et m'aopérée.

- Opérée? Avec une lame de rasoir?

Qu'est-ce qu'elle t'a fait?

- Elle a agrandi l'ouverture pour que

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l'enfant puisse passer. Sinon nous serionsmortes toutes les deux.

- Tu as mal?

- Oui, beaucoup.

- Ils n'ont pas fait venir le médecin?

- Si, mais quand il est arrivé la vieilleavait déjà opéré et il est reparti sansm'examiner.

Notre docteur à Hockail aurait pu aiderNadia. Mais ici, il est hors de questionqu'un homme examine une femme aussiintimement. On préfère la laisser mourirque d'attenter à sa pudeur... Ces coutumesmoyenâgeuses me mettent en colère. Unefemme du village a eu un accouchementdifficile, un jour, par le siège. L'enfant ne

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voulait pas sortir, il est mort en elle,c'était horrible car on pouvait voir pendreses deux jambes hors du corps de lamère.

Notre docteur a été alerté trop tard. Ilaurait pu sauver la vie de l'enfant, mais lafamille ne voulait pas faire appel à lui.Honte. Plutôt la mort d'un enfant que demontrer son ventre à un homme...

Tina a subi l'excision, au quatrième jourde sa naissance, conformément à latradition.

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Marcus

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aurait

être

circoncis au septième jour, mais il étaittrop faible. Il l'est encore. Il a deux mois,et en ce moment il ne veut plus manger etrefuse toute nourriture sans exception. Jene sais plus quoi faire, car par malchancenotre docteur est absent du village. Il apleuré quarante-huit heures sansinterruption. Cette nuit dernière, alorsque, désespérée par ses hurlements, jem'épuise à le bercer, Ward entre,mauvaise.

- C'est toi qui lui fais du mal, tu lui as jetéun sort pour qu'il pleure sans arrêt, pour

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qu'il soit malheureux. Tu l'as empoisonné!

- Sors d'ici!

Je suis toujours la « putain blanche »

pour elle.

- Fiche le camp et laissenous tranquilles!

Si elle n'avait pas filé, je l'aurais faitsortir moi-même à coups de bâton. Je suisà bout de forces cette nuit, mais tenirMarcus dans mes bras, vingt-quatreheures sur vingt-quatre, ne va pas leguérir.

Le troisième jour, je descends en bas dela colline, dans la maison d'Abdul Noor.

- Écoute, Marcus est malade, il va mourir.Si tu ne m'aides pas, je loue une voiture

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moi-même et je l'emmène à Taez...

Je n'ai aucune chance de réaliser mamenace. Personne ne me louera unevoiture en l'absence d'Abdul Khada, etsans argent. Mais je suis à bout et capablede n'importe quelle folie, même de partirà pied s'il le faut. Marcus va mourir, ettout le monde s'en moque.

Abdul Noor accepte de m'aider. Il s'esttoujours montré relativement neutre à monégard. Nous partons tôt le matin, commed'habitude pour éviter la chaleur.

Marcus gémit toujours, faiblement. Sonpetit visage chiffonné me fait peur. Je n'aiabsolument aucune idée de ce qu'il peut

avoir. Abdul

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Noor

connaît

l'existence d'un hôpital pour enfants àTaez, et nous y conduit directement.

Dès l'entrée, nous sommes confrontés à unvéritable troupeau d'enfants et de mères,installés partout sur des bancs, ou assispar terre. Le bruit est infernal. Les enfantspleurent, les mères s'interpellent,cherchent à trouver quelqu'un pour lesaider. Elles sont aussi perdues etdésespérées que moi.

Personne pour nous renseigner, il fautattendre comme les autres, faire laqueue... Il y a là des enfants gravementblessés, couverts de sang, d'autres brûlés,

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c'est effroyable. Tandis qu'Abdul Noorfait vainement le tour du bâtiment, à larecherche d'une indication, je doisattendre là, avec Marcus, durant desheures, femme voilée parmi les autres,mère angoissée parmi les autres. Jamaisnous ne trouverons quelqu'un de qualifiéici pour examiner Marcus. Cet hôpitaln'est que misère, et désorganisationtotale.

Je ne sais plus au bout de combiend'heures, Abdul Noor réussit enfin àdénicher un homme en blouse blanche, unmédecin. Il prend Marcus, l'examine uninstant, me le rend sans explications, avecune boîte de médicaments.

- Donne-lui ça.

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Et il s'en va, pour examiner un autre bébé.Je n'ai même pas le temps de protester, dedemander de quoi il souffre, il est parti.Consultation finie, elle n'a duré que troisminutes.

Abdul Noor m'entraîne au-dehors, il fautrepartir. Nous reprenons le taxi, etretournons aussitôt à Hockail. Et mamanqui nous demandait des photographies...

Sous la surveillance d'Abdul Noor, je n'aiquasiment rien vu de Taez, encore dois-jele remercier de son aide exceptionnelle.

Le médicament est inconnu, j'ignore cequ'il est censé soigner. Pas d'autre choixque de forcer Marcus à l'avaler. J'écraseles pilules, pour en faire de la poudre, etlui mettre dans la gorge. Au bout de

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quelques jours, il semble aller mieux etne pleure plus. Enfin les hurlements ontcessé. C'était à devenir folle. Mais ilmange toujours aussi peu, il reste maigre,et faible. Unique commentaire de Ward : .- Il est comme son père au même âge. Jehais cette idée que mon fils puisseressembler à Abdullah.

Depuis plusieurs mois, une rumeurcourait dans la famille de Gowad, selonlaquelle son épouse Salama allait lerejoindre en Angleterre, où il travaille.

Depuis deux années, il s'efforçait de luiobtenir un visa. Elle avait un problème desanté, et ce voyage devenait de plus enplus nécessaire. Salama espère cevoyage, elle s'ennuie de son mari, absent

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depuis quatre ans, et serait ravie des'installer en Angleterre, pour quelquetemps, de guérir, puis de revenir auvillage/

La rumeur se concrétise et Nadia reçoitune lettre de son « beau-père », luirecommandant de ne pas s'inquiéter. Il luipromet que Salama reviendra bientôt... Enattendant, Nadia doit rester seule à lamaison, et s'occuper de toute la tribud'enfants. Salama a deux enfants : Shiable garçon âgé de neuf ans et Magida lapetite fille de quatre ans.

Avec Haney et Tina, la charge est lourdepour ma sœur, mal remise de sonaccouchement difficile. Magida estagréable et douce, rondelette, avec de

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jolis cheveux châtains, bouclés. MaisShiab est un enfant insupportable. Iln'écoute personne, il est méchant,agressif, il bat Nadia chaque fois qu'ellele réprimande, et lui crie sans arrêt : «

Je m'en fous. » Ce petit monstre promet, ilrefuse d'aller à l'école et a toujours uneinsulte à la bouche.

J'aimerais bien aider ma sœur, maisWard, comme d'habitude, me refusel'autorisation d'y aller.

- Tu négliges ton travail ici, et je doisprévenir Abdul. Je vais lui faire écrireune lettre.

La réponse arrive sous forme de brimade.Interdiction d'aller à Ashube jusqu'à

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nouvel ordre, et si je désobéis je seraibattue au prochain passage d'AbdulKhada. Pour voir Nadia, je dois doncattendre qu'ellemême puisse venird'Ashube à Hockail, et ses visites sont deplus en plus rares, étant donné le travailque lui donnent les quatre enfants, et lescorvées domestiques qu'elle assumeseule.

Depuis la visite de maman, qui nous adonné tant d'espoir, nous travaillonsencore plus, nous sommes plus esclavesque jamais. Encore plus prisonnières. Ettoujours abreuvées de mensonges et depromesses.

Gowad écrit à Nadia d'Angleterre et, àchaque fois, lui annonce le retour

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prochain de Salama. Il lui promet aussique bientôt elle pourra le rejoindre enAngleterre avec son « mari » Samir etleurs enfants.

Samir, lui, travaille toujours en ArabieSaoudite. Il y passe une année, rentrepour quelques mois, et repart. Lorsqu'ilest là, il parvient à maîtriser Shiab, sonpetit monstre de frère. Mais toutrecommence dès qu'il a le dos tourné.

Nadia semblait croire aux promesses deGowad. Mais les mois passent, et Salamane rentre pas. Il est évident pour moi quema sœur ne partira pas d'ici.

J'ai entendu dire, chez Abdul Noor, queGowad essayait d'obtenir un passeportanglais à Salama...

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- C'est fichu, Nadia. Il t'a menti depuis ledébut. Il te laisse là avec tous les gosses,pendant qu'il se débrouille pour fairerester sa femme en Angleterre...

- Mais je n'ai presque pas d'argent, il n'ena pas envoyé...

- Ouvre un compte à son nom chezl'épicier, et sers-toi !

- J'ai peur...

- Toutes les femmes d'ici font cela.

L'épicier le sait...

Elle se résigne à adopter les méthodeslocales. Mais je vois bien qu'elle souffrede cette trahison. Elle s'était un peuattachée à Salama, qui avait le mérited'être

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une

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femme

normale,

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sans

méchanceté comme Ward. Or Salama l'aabandonnée sans remords. C'est elle quiprofite de l'Angleterre, en ce moment.C'est elle qui est libre. Alors que Nadiaconnaît l'existence épuisante des femmesd'ici, surchargée d'enfants et de corvées.Elle doit même faire des travaux decouture sur une vieille machine, pourgagner un peu d'argent. Les enfantsgrandissent, il leur faut des vêtements,une nourriture convenable.

Des amis venus voir Samir en ArabieSaoudite lui ont reproché de laisser sonépouse dans le dénuement. Comme il nepeut pas influencer son père et fairerevenir sa mère, le voilà contraint

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d'envoyer un peu plus d'argent, pouraméliorer la vie de Nadia.

On peut considérer qu'il est un meilleur «mari » qu'Abdullah. La première foisqu'Abdullah a vu son fils, il ne lui amanifesté aucun intérêt. Comme si cetenfant lui avait été imposé ainsi que safemme. Il ne pensait qu'à repartir. Je leconsidère toujours comme un gamin, et ill'est. Son désintérêt ne me trouble pas.

Lorsqu'il est là je l'ignore, et je le haisdans mon lit. Je m'efforce d'être invisible.

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Les

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rapports

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sexuels

obligatoires m'ont transformée en pierredepuis le début. C'est exactement commesi rien ne se passait. Il y a un mur dans matête, de la glace sur ma peau. La haine estune protection redoutable. Ils laconnaissent tous ma haine, le père, lamère et le fils. A cause d'elle, ils nem'atteignent jamais. Je suis capable demanger en face d'eux sans les voir.

Marcus a un an, lorsque je reçois unevisite inattendue : c'est mon frère Ahmedque j'ai à peine entrevu, une fois, il y alongtemps, en 1980. La veille de l'arrivéede Nadia. Par chance, ni Abdul Khada niAbdullah ne sont au Yémen en cemoment. Ward m'appelle, en disant qu'un

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homme désire me parler. Je ne lereconnaissais pas.

- Salut... dit-il.

- Salut...

- Je suis ton frère Ahmed.

Je dois être saturée d'émotions, car il nese passe absolument rien en moi. Rien.

Seulement de la politesse.

- Entre, installe-toi... Tu n'as pas debagages?

- Non, juste une chemise de rechange.

Une fois assis tous les deux dans machambre, mon petit univers refuge, avecmes romans, mes cassettes et monancienne valise, vestige d'une liberté

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disparue... je le regarde enfin, et réalise.

C'est Ahmed, mon frère aîné, mafamille... Cette fois nous pouvons utiliserla même langue et nous parler.

Alors nous parlons, et j'apprendstellement de choses à la fois...

- Je ne savais pas ce qui se passait quandon s'est rencontré. Sinon j'aurais tenté defaire quelque chose... Comment ça sepasse ici?

Je lui raconte nos malheurs, bientôt septannées de malheur, la visite de notremère, nos espoirs. Il pleure avec moi.

Puis il raconte à son tour : - Quand papanous a laissés au Yémen, c'est notregrand-père qui nous a élevés, Leilah et

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moi. Ils ont marié Leilah à dix ans. Elles'est habituée. Je crois qu'elle aimait sonmari. Elle est restée avec lui quelquesannées, puis il est parti à l'armée, et il aété tué au combat. Alors la famille aobligé Leilah à épouser un autre hommequ'elle déteste. Il la bat, elle me l'a dit.Maintenant ils vivent à Aden, elle a troisenfants, et elle est enceinte d'unquatrième. Je ne l'ai pas revue depuis desannées, mais j'ai parfois de ses nouvelles.Je crois qu'elle a ton caractère, ellerésiste comme elle peut à son nouveaumari.

- Elle peut divorcer?

- A Aden, les femmes ont le droit de fairecondamner leur mari par la justice, si

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elles sont maltraitées. Elle a déposé uneplainte, et le tribunal a déclaré à son marique s'il ne se comportait pas mieux avecelle, elle aurait le droit de divorcer laprochaine fois... Alors il fait attentionmaintenant.

Ahmed a l'air triste, et désemparé. Sonhistoire ne vaut guère mieux que lamienne. Lorsque notre « père » les alaissés

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sur

place,

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le grand-père travaillait au Koweït. Sapremière femme, notre grand-mère donc,était morte, et il a laissé les deux enfantsà la garde de sa deuxième femme. Unemarâtre épouvantable, qui les a nourris dedéchets, battus et obligés à travailler toutde suite.

- Elle nous envoyait dehors toutes lesnuits, pieds nus et sans lumière, pourchercher du bois. On faisait deskilomètres quelquefois,

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pour

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en

ramasser suffisamment. J'étais presquetout le temps malade. A treize ans, on m'aenvoyé à l'armée. Il n'y avait pas assez devolontaires, et on recrutait des jeunesgens partout. Les hommes de la policefaisaient des descentes dans les villages,et embarquaient tous les gosses, que lafamille le veuille ou non.

Quand ils sont venus chez nous, ils nevoulaient pas de moi, j'étais malade, maisla vieille les a suppliés pour qu'ilsm'emmènent quand même. Elle voulait sedébarrasser de moi. Je suis toujours dansl'armée depuis. La vie est dure.

Mais je peux revenir de temps en temps

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au village en permission, et je gagne unpeu d'argent. De toute façon, je n'ai pas lechoix. Grand-père a refusé de me marier.Il ne veut pas payer une femme pour-moi.

Comme il ressemble à notre père! Seul leregard diffère. Triste, doux, habitué auxbrimades, à l'acceptation, la soumission.Il n'a connu que cela toute son enfance.Lui non plus n'a pas eu de jeunesse, et savie d'homme est amputée.

Quand je pense aux malheurs qu'a causésl'auteur de nos jours, je me demandepourquoi il a fait des enfants. Pas pour lesélever en tout cas. Ni les aimer, ni lesnourrir, ni les protéger de quoi que cesoit. Même les loups se conduisent mieuxque lui.

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- Je me souviendrai toujours du départ denotre père. Leilah hurlait pour qu'ilrevienne... Il a écrit parfois pourdemander de nos nouvelles, je ne lui aijamais répondu.

Ahmed est si fatigué qu'il s'endort enparlant. Je le laisse se reposer, pour allerpuiser de l'eau et chercher du bois, moiaussi dans le noir. J'imagine mon frère, àquatre ou cinq ans, faisant la même chose,terrifié. Plus de mère, plus d'amour, rienque la terreur d'un pays sauvage... Dieu,que de haine j'ai encore en réserve!

Dans la nuit, nous reprenons le fil de noshistoires.

- Tu te souviens de maman?

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- Non.

Je lui montre une photo qu'il contemple unmoment. Sa mère... il n'en a aucunsouvenir, c'est comme s'il n'en avaitjamais eu. Quant à notre père, il le détesteautant que moi.

Curieusement, le fait qu'il soit venu sansprévenir, et après la visite de maman, merend soupçonneuse. Et si Abdul Khada,ou notre père, l'avait envoyé pourdécouvrir ce que nous préparons?

Je ne révèle donc rien de nos projets.

J'ai appris à me méfier de tout le monde,même de mon frère. Les seules personnesen qui je puisse avoir confiance sontNadia et ma mère. Bien que ce soit

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toujours à moi de les pousser à se battre.

Durant toutes ces années, j'ai lutté pourma sœur, pour qu'elle résiste àl'environnement qui peu à peu menaçaitde l'engloutir. Parler yéménite, vivreyéménite, travailler, subir comme unefemme yéménite, quand on n'a quequatorze ans, que l'on est une enfant,tendre, influençable... Sans moi, elleaurait sombré. Ahmed ne connaît riend'autre que son village et l'armée qu'ildéteste. En quelque sorte, il est devenuyéménite contre son gré. Cela nel'empêche pas de se rendre compte quenous ne menons pas, dans ces villages,une vie normale.

- Ils sont rétrogrades ici, c'est dépassé

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tout ça. Presque plus personne ne vitainsi.

- Tu as vécu comme ça toi aussi.

- Parce que grand-père détestait notrepère. Il a reporté sur nous tout leressentiment qu'il avait.

Je commence à voir le vieillard auxcheveux blancs sous un autre jour. Et moiqui aurais tant voulu me confier à lui àl'époque.

Ahmed peut demeurer quelques joursavec nous, et je l'emmène voir Nadia àAshube. Les villageois ne tardent pas à seméfier de lui. Une rumeur circule, d'aprèslaquelle il serait venu pour nous aider àfuir. Or je sais parfaitement qu'il ne peut

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rien pour nous. Il n'a aucun pouvoir, pasd'argent, il est prisonnier ici, autant quenous le sommes.

Toujours

informé

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du

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moindre mouvement au village, AbdulKhada m'écrit en nous avertissant de nerien tenter. Tout en expédiant de l'argentafin que j'achète de la nourriture pourmon frère. Brute, geôlier, sous le couvertde l'hôte parfait. Ahmed s'en voulait deson côté de ne pas avoir pensé à apporterde la nourriture. Il y a si longtemps que jen'ai pas mangé une orange, ou unepomme. Nous sommes à court de fruits, etla sécheresse n'arrange rien. Du thé et dumaïs, un poulet... c'est notre seul luxe.

Je respire un peu de parler à quelqu'un,de raconter la vie en Angleterre qu'il n'apas connue. De lui décrire ses autresfrères et sœurs. L'école, le rock, lereggae, la danse, toutes les joies d'avant

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qui ne sont plus.

- Un jour peut-être ils te laisseront partir,rejoindre maman...

Je ne réponds pas. Par méfiance, maisaussi parce que l'espoir me quittelentement, comme on perd son sang enune hémorragie sournoise.

Jour étrange, ciel blanc de chaleur,Ahmed est chez Nadia. Je regarde Marcusallongé à plat ventre sur le linoléum de lachambre, jouant avec un morceau deplastique, lorsque j'entends du bruit àl'extérieur. C'est une femme, qui vientd'Ashube, essoufflée et en sueur sous sonvoile. Elle annonce d'une seule traite : - Ily a ta mère au village avec des étrangersanglais.

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Le cœur serré, je prends Marcus sousmon bras et me dirige vers la porte.

Ward se met à crier :

- Où vas-tu?

- Je vais chez ma sœur.

- N'y va pas ou ça ira mal.

- Je m'en fiche, j'y vais. > Et je meprécipite pour descendre la montagneavec la messagère. Une demi-heure plustard j'arrive devant chez Nadia pour metrouver nez à nez avec deux personnagesinconnus. Un homme et une femme. Ondirait des touristes bardés d'appareilsphoto. Je crie : - Où est maman?

La femme me répond :

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- Votre mère n'est pas là. Nous sommesjournalistes.

La messagère s'est trompée ; elle a vu desAnglais, dont une femme, et a cru quec'était ma mère.

Nadia sort posément de chez elle, calmemalgré tous les curieux accourus pourregarder les visiteurs.

- Ils sont journalistes, et ils sont venusnous chercher.

Je bondis de joie. Je m'attendais àrencontrer

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des

émissaires

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de

l'association de Genève, ainsi que mamanl'avait laissé supposer. C'est beaucoupmieux. La presse anglaise, la presse demon pays est là. Je suis en extase devanteux. Ils vont témoigner en rentrant, le planentre en action, enfin!

Enfin, maman a trouvé le moyen de nousfaire sortir d'ici.

Nous entrons dans la maison de Gowad,bourrée de monde. La femme est reporterà Y Observer de Londres. Elle seprésente : - Eileen MacDonald. Voici BenGibson, notre photographe.

Je les dévore, des yeux. Des Anglais.

Eileen, blonde, cheveux courts, un visage

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à

l'expression

déterminée,

pantalon et chemise, l'air d'une touriste.

Ben aussi, l'air d'un touriste, mais commes'il venait vraiment d'une autre planète,avec une tête de chasseur de papillons,sourire aux lèvres.

On me présente également une femmeinterprète, c'est elle en fait que l'on aprise pour maman au village. Et lechauffeur de leur voiture. Il porte unpistolet à la ceinture, et le tripotenerveusement, en regardant autour de lui.

Des hommes du village le surveillent,certains armés de fusils.

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- Eileen, nous avons tellement attendu.

Vous nous emmenez? S'il vous plaît,partons, maintenant !

Elle me regarde avec calme, comme si jen'avais rien dit d'autre que « Bonjour"

comment allez-vous... » ou une banalitéde ce genre. Nous parlons en anglais,mais devons rester prudents, et donner lemoins de précisions possible, car certainsde ces hommes en armes, dans la pièce,peuvent comprendre. Eileen s'adresse auchauffeur, à mi-voix et l'air de rien.

- Y a-t-il un moyen d'emmener les filles etleurs enfants à Taez avec la Jeep?

Le chauffeur semble tout à coup trèsembêté. Il

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vient seulement de comprendre qu'il aamené des journalistes jusqu'ici. Ilconduit une Jeep de l'Unicef, et croyaitconvoyer des médecins, amis de maman,venus nous voir pendant leurs vacancesau Yémen. Apparemment les journalistesont bien manoeuvré pour parvenir jusqu'ànous. La Jeep de l'Unicef, d'un blancéclatant, est connue dans la plupart desvillages de montagne. Elle sert àtransporter les médicaments jusqu'au petitcentre hospitalier de la province deMaqbana.

Le chauffeur discute avec mon frèreAhmed, qui lui raconte très vite notrehistoire. Il secoue la tête négativement.

Il aimerait bien nous aider, mais il a peur

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d'avoir des ennuis.

- Ils m'ont dit qu'ils apportaient descadeaux, c'est tout. Je ne peux pasprendre ces filles... Si je les emmène, leshommes vont me tirer dessus.

- Ils n'oseront pas... dit Eileen!

- Même s'ils ne me tirent pas dessus, jen'irai pas loin. Je suis trop connu dans larégion. Ils savent tous que je travaille àl'hôpital de Taez. Ils me retrouverontfacilement. Ce serait un suicide pour noustous que de les enlever de cette manière...Jamais ils ne nous laisseront franchir lesmontagnes.

Le regard des hommes en cercle autour denous, leurs fusils, nous obligent à

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admettre qu'il a raison. D'ailleurs d'autreshommes arrivent, la pièce est pleine àcraquer, tous les hommes disponibles duvillage ont été alertés de la présenced'étrangers dans la maison de Gowad.

L'un d'eux s'avance et dit en mauvaisanglais :

- Qu'ils prennent les deux filles, mais pasles enfants !

La tension de cette situation me rendfolle. Je nous voyais déjà libres, sur laroute ; il y a là une voiture, un chauffeurde l'Unicef, deux journalistes anglais...

C'est la première fois que nous sommes siproches de la liberté. Je me mets à hurler: - D'accord! Gardez mon enfant! J'ai été

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violée pour avoir cet enfant! Vous lesavez tous! Alors gardez-le, gardez-le!

Nadia s'efforce de me calmer. Elle saitbien à

quel point je désire partir d'ici, bien plusviolemment qu'elle, et elle est simalheureuse de me voir dans cet état defurie, de m'entendre dire une telle chose.

Abandonner mon fils! Elle ne supportepas l'idée de quitter ses enfants, je le saisbien. Et le petit Haney accroché à la jupede sa mère regarde tout le monde d'un airapeuré, il est en âge de comprendre.

J'ai osé leur crier à tous, à leurs facessombres et menaçantes, mon enfant sousle bras, qu'il était le fruit d'un viol, et que

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j'étais capable de l'abandonner, pour lesfuir.

Ils se mettent tous à parler et à crier enmême temps, certains dressent le poing,menaçants. Le chauffeur porte la main àsa ceinture, et la femme interprèteexplique à Eileen que cela risque de maltourner, il faut faire quelque chose.

- Quoi?

- Leur distribuer du qat, ça les occuperaun moment.

Ils ont apporté du qat avec eux, bonneprécaution. Eileen est manifestementsoulagée d'avoir de quoi désamorcer lasituation. Le chauffeur fait circuler laplante miracle, et les hommes se calment

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effectivement. En quelques minutes, ilssont

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tous

occupés

à

mâcher

consciencieusement. Eileen me demandesi nous pouvons parler à l'écart.

Avec Nadia nous les emmenons tous lesdeux à l'extérieur, et nous allons nousinstaller derrière une maison, sous unefalaise abrupte. Là, accroupis sur kchemin, à l'ombre des vieilles pierres,nous ne serons entendus de personne.

Ben, le photographe, prend rapidementquelques clichés. Un peu calmée, je dis àEileen :

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- On croyait que tout le monde nous avaitoubliées. On attend depuis sept ans quequelqu'un vienne nous sortir d'ici. Jecroyais que c'était vous!

- Je suis désolée, Zana... Elle est sincère,et je la trouve déjà étonnammentcourageuse d'être venue jusque-là. Maisla déception

telle... Sept années... pour rencontrer desjournalistes. Sept années de toutes lessouffrances. J'ai de en plus de mal à vivresur les nerfs 'de cette façon. Insomnie,maladie, angoisse, douleurs diverses, lemédecin du village a beau me donnertoutes les pilules qu'il peut trouver, jedeviens folle parfois.

Personne ne peut comprendre. Il faut

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vivre ici, dans la saleté, les mouches, lanourriture approximative, les corvéesd'eau, de bois, il faut vivre dans cettemisère morale...

- Ce n'est pas aussi simple de vousemmener, je le crains. Si le chauffeuravait pu coopérer... et encore, le risqueest trop grand. Nous nous retrouverionstous en prison, sans avoir rien obtenu...

Nous sommes venus en espérant au moinsvous trouver, et vous parler. Mais voussauver... il nous faut une aide officielle.Tout le monde dans ce pays a essayé denous dissuader de venir dans cetteprovince de montagnes. A Taez, on nous adit que les gens d'ici étaient des bandits,et qu'ils tuaient facilement les étrangers

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qui se mêlent de leurs affaires.

On nous a dit aussi que le gouvernementn'a même pas réussi à recenser lapopulation de cette région. Tous lesrecenseurs

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ont

disparu,

paraît-il.

Personne ne voyage sans une arme dansces

montagnes,

même

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pour

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une

promenade, et les touristes n'y sont pasautorisés.

- Je sais, nous n'avons vu personne ensept ans.

- La grande difficulté a été de localiserles

villages.

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Aucune

carte,

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pas

d'indications, et si nous n'avions pasengagé cette femme comme interprète,nous n'aurions même pas trouvé dechauffeur. La route est infernale.

Je le sais bien qu'elle est infernale, cetteroute. Mais je la ferais à pied si jepouvais.

Eileen a été surprise des changementsbrutaux de paysage. Oasis, arbresfruitiers, cours d'eau avec des martins-pêcheurs, et soudain plus rien, le désertaride, la montagne de rocaille.

- Une fois dans les montagnes nous avonsenfin rencontré des gens qui avaiententendu parler de vous. Ils vous appellent

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« les tristes sœurs du Maqbana », parceque vous pleurez toujours. Ils sontparfaitement au courant de votre situationici. Ils nous ont dit que les hommes duvillage ne vous laissent pas partir...

- Comment êtes-vous arrivés à Ashube?

- Nous avons aperçu le village de loin etquelqu'un nous a dit que la maison deNadia avait des portes et des fenêtresjaunes. Là j'ai compris que nous avionsenfin atteint notre but. Nous n'avonsjamais dit à personne ce que nous venionsfaire ici, bien sûr. Je crois qu'on nous

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aurait

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abattus

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avant

même

d'atteindre la route principale. Il paraîtqu'il y a un camp militaire non loin d'ici.

On nous a dit de faire vite avant que lessoldats soient au courant. On dit qu'ilstirent avant de poser des questions...

Maintenant il faut me donner le maximumde détails, nous n'avons pas beaucoup detemps.

- J'ai tout raconté dans la cassette que j'aidonnée à maman.

- La radio en a passé un extrait. LeBirmingham Post a publié un article, unjournaliste est allé voir ton père pour

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recueillir son point de vue sur laquestion. Il a répondu qu'il « était trèsmécontent de votre comportement enAngleterre et qu'il avait voulu vous faireconnaître

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la

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culture

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traditionnelle

musulmane ». Il ne reconnaît absolumentpas vous avoir vendues. Il était difficilede l'accuser sans preuves. Alors lejournal s'est contenté de dire que vousaviez disparu « mystérieusement ».

« Mystérieusement... pour mille troiscents livres chacune. Le monstre... Nousfaire connaître la culture traditionnellemusulmane... Viol et esclavage. »

Eileen me raconte encore que lesjournalistes doutaient de la véracité del'histoire. Heureusement, : BirminghamPost a contacté l'Observer, et c'est de quia pris l'affaire en main. Toute cettepublicité dans les journaux est un résultat,

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mais je ne pense qu'à une chose.

Eileen et Ben vont repartir en nouslaissant là. Cette idée m'est totalementinsupportable. Il y a cette Jeep del'Unicef, sur la piste avec un chauffeur...

il faut trouver un plan qui nous permettede filer dès maintenant. Mon cerveautravaille à toute vitesse, je pense et parleen même temps :

- Et si on leur disait que maman est àTaez,

qu'elle est malade à l'hôpital, et qu'ellevous a envoyés nous chercher parcequ'elle veut voir ses petits-enfants?

Idée folle, mais dans cette situation folle,ça peut marcher.

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- On va essayer.

Il est temps de toute façon que nous nousdécidions à entreprendre quelque chose.

Les hommes ont profité du qat, maintenantils sortent de la maison, et s'agglutinentautour de nous. Il n'est plus possible deparler tranquillement. Je me décide àexpliquer mon histoire au plus vieux duvillage, il hoche la tête en m'écoutant,puis :

- On va envoyer quelqu'un à Taez, pourvoir ta mère. Si elle est vraiment malade,il reviendra vous chercher.

Maintenant il faut réfléchir encore plusvite. Je me tourne vers Eileen, etchuchote: - Il faut que le journal paie le

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voyage à maman, qu'elle entre à l'hôpitalde Taez...

- On n'a pas le temps, c'est impossible.

Ahmed cherche une autre idée. Il proposede

faire intervenir des copains soldats pourintimider les hommes du village,provoquer

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une

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bagarre

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qui

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nous permettrait de fuir. C'est insensé, etirréalisable. Rien ne marche. C'est fichu.

Ils vont partir. Le chauffeur s'impatiente,il a peur. L'interprète aussi craint d'avoirdes ennuis. C'est une femme, elle a prisdes risques elle aussi. Elle me conseillede ne pas provoquer les hommes duvillage : - Si tu leur dis que tu vas t'enaller, ils vont t'emmener

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dans

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un

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village

inaccessible, et on ne te retrouvera plus.

Reste calme.

J'explose de colère :

- Calme ? Ne rien dire ? Mais on ne tientpas le coup ici, si on reste calme. Fuir,c'est la seule chose qui nous aide à tenir,le seul rêve, et si on ne se le répète pasencore et encore on devient dingue!

Eileen promet :

- Dès que nous serons à Sanaa, nous ironsà l'ambassade. Ce n'est qu'une question desemaines maintenant. Soyez patientes.

Je ne peux pas m'empêcher de luirépondre avec aigreur :

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- La patience, c'est la seule chose danslaquelle on soit passé maître ici. Quecroyez-vous que nous ayons fait pendantsept ans?

La Jeep s'en va, c'est fini. Tout le villagela regarde partir, et les gosses courentderrière dans la poussière, en criant.

Nadia berce sa fille en pleurant. Je pleureaussi. Nous étions si près du but... Pour lapremière fois en sept années, j'ai eu lesentiment que j'allais bondir hors de cesmontagnes, ''avais déjà pris mon élan.Mais les journalistes ne m’apportent quedes photos. Nadia est en robe bariolée,traditionnelle, à la musulmane, sa petitefille dans les bras.

Et moi accroupie le long des vieilles

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pierres, en robe noire, voile noir. Je portemon propre deuil.

Attendre. Patienter. Laisser filer le temps.A Londres, ce sera bientôt Noël.

Les dates ici ne correspondent à rien.

Parfois je dois faire un effort monstrueuxdans ma mémoire pour situer les momentsessentiels. La naissance des enfants.Haney, Tina, Marcus.

Ils nous tiennent prisonnières, bien plusefficacement que des chaînes.

La voiture n'est plus rien, même plus unnuage de poussière sur la piste que jeregarde encore, bien au-delà desmontagnes: Enfin je regagne seule levillage de Hockail, en portant Marcus

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dans mes bras. Ahmed a décidé derejoindre les journalistes à Taez et de metenir au courant. Ils ont promis, plus quequelques semaines. Mais j'ai Marcus dansles bras.

J'apprends la suite des événements, parune lettre de ma mère reçue quelquessemaines plus tard, après l'immensedéception d'avoir vu repartir nossauveteurs, une

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nouvelle

bouffée

d'espoir nous tient, Nadia et moi.

Mon frère Ahmed a rejoint Eileen et Benà Taez. Leur première visite fut pour ledirecteur de l'hôpital qui leur avait fournila voiture et le chauffeur. Celui-ci aproposé de contacter le gouverneur de laville, Muhsen Al Usifi, mais ce hautpersonnage étant en déplacement à Sanaa,le directeur n'a pu que renouveler sapromesse :

- Si le gouverneur est d'accord, ellespourront retourner chez leur mère. S'ilveut entendre le point de vue des maris, illes fera convoquer d'Arabie Saoudite

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devant un tribunal. Elles devront alorsdemander le divorce... mais cela coûterabeaucoup d'argent, et l'affaire peut durercinq ans... Il faut payer tout le monde ici.

Les soldats que l'on enverra dans leMaqbana chercher les deux filles, lesavocats, les juges...

C'est une histoire d'argent, depuis ledébut. Vendues, nous devrons encorepayer pour notre libération éventuelle.

Cinq ans de plus... cette seule idée nousreplonge dans le désespoir. « Faut-ilvieillir ici ? Jamais ! »

Eileen et Ben se sont ensuite rendus enavion à Sanaa, escortés par la policenationale, comme des fauteurs de

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troubles. Là, ils prirent contact partéléphone depuis l'aéroport avec leconseiller de l'ambassade, Jim Halley,qui les avait déjà aidés à leur arrivée auYémen. Jim Halley vint lui-même leschercher

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pour

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les

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conduire

à

l'ambassade britannique, dans une Jeepblindée

anti-émeute.

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Nous

étions,

semble-t-il, l'objet d'une véritableguerre... La Jeep a atteint les lourdesbarrières métalliques qui protègentl'ambassade, le chauffeur a klaxonné, unplanton armé a vérifié leur identité avantde manœuvrer les grilles. Eileenadoptait,,

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avec

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ces

gens,

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un

comportement identique au mien. Elle semontrait volontairement agressive, etscandalisée que l'on supporte une tellesituation,

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en

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tant

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que

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citoyenne

britannique. Elle tenta tout ce qu'ellepouvait

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pour

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contacter

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les

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bons

fonctionnaires,

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aux

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bons

endroits.

L'ambassade était extrêmement ennuyéepar le fait que les deux journalistes soientsurveillés de près par la police nationale.Cela n'était rassurant pour personne.Eileen et Ben ont obtenu la permission depasser la nuit à l'ambassade.

. Leur plan était le suivant : Ben devaitrapporter ses photos en Angleterre, lesfaire

paraître

dans l'Observer du prochain dimanche. Ildevait également rapporter avec luil'article qu'Eileen écrivit dans la nuit.L'ambassadeur et son conseiller

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estimaient plus prudent d'évacuer Eileen,avant que ne paraisse le papier enAngleterre. Si elle se trouvait encore auYémen à ce moment-là, elle risquait toutsimplement de ne plus pouvoir enrepartir. On pouvait l'accuserd'espionnage, d'atteinte à la sécuritéintérieure de l'État et la jeter proprementen prison. Le samedi matin, tôt, ils lamirent dans un avion, sous escorte.

Lorsqu'elle est arrivée à l'aéroportd'Heathrow à Londres, l'article était déjàdans les kiosques, notre histoire enpremière page, avec une photo de Nadia,dans sa robe longue et bariolée, «

traditionnelle de la culture musulmane »,aurait dit notre père... Elle portait Tina

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dans les bras.

Nous étions célèbres.

Ben et Eileen l'ont échappé belle, car, ceque nous ne savions pas le jour de leurvisite à Ashube, c'est que Gowad avaittéléphoné au commandant militaire de larégion du Maqbana pour l'avertir de laprésence d'espions. Le commandant avaitpromis à Gowad d'intervenir, et peu s'enest fallu que les deux journalistes netombent dans un piège. Il était prévu deles faire arrêter dans l'après-midi même,mais la chaleur était telle ce jour-là quele commandant préféra

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reporter

l'arrestation

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au

lendemain matin à l'aube... Il n'imaginaitpas que ces deux étrangers ne resteraientque quelques heures à peine sur sonterritoire, après un si long voyage... J'aiégalement entendu dire, plus tard, qu'ilsavaient été arrêtés à deux reprises sur lapiste en rentrant d'Ashube, par deshommes en armes, croyant que nousétions dissimulées dans la Jeep.

Ils avaient tous les deux mis leur vie enpéril pour nous rencontrer, et je regrettaisde m'être montrée si aigre avec Eileen.Toutes les rumeurs possibles etimaginables couraient à leur sujet. Onsavait maintenant qu'il s'agissait dejournalistes et qu'ils avaient voyagé dans

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le Maqbana sous un faux prétexte. Avingt-quatre heures près, je pense qu'ilsne s'en sortaient pas. S'ils nous avaientemmenées, encore moins.

Ils auraient été accusés d'enlèvement, etici on exécute facilement. Durantplusieurs jours, je n'ai rien su de ce qu'ilsvivaient, et je mourais de peur qu'on neles ait arrêtés.

La lettre de maman nous apporte d'autresbonnes nouvelles.

Non seulement notre histoire fait du bruiten Angleterre, car tous les journaux s'yintéressent désormais, mais les deuxgouvernements sont mis en cause, etcontraints de prendre l'affaire au sérieuxface à l'opinion publique.

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C'est la première attaque importante.

Maman ne regrette qu'une chose et ensouffre : certains journalistes ont cru bond'insister sur le côté sexuel. Viol à la une.Deux adolescentes violées au Yémen...

Je le comprends, mais c'est pénible. Quesavent du viol ceux qui ne l'ont pas subi.

Rien. Ils ne savent rien de l'humiliation,de la culpabilité que l'on ressent. On estsali à jamais, on voudrait ne plus le dire,ne plus savoir. Oublier. Même si le violcontinue. Car rien n'est terminé pour nous.

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Tant

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que

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nous

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sommes

prisonnières dans nos villages et «

mariées », il continue. Être jetée enpâture de cette façon au public, c'est dur.

Un prix de plus à payer pour obtenir del'aide. Je n'y avais pas songé.

Je paierai ce prix. Car le dossier avance.Le gouvernement britannique avaitpréféré étouffer l'affaire, malgré lesappels au secours de maman.

Maintenant le secrétaire aux Affairesétrangères et le secrétaire de l'Intérieursont

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directement

interpellés.

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Les

journalistes leur ont créé un vraiproblème

diplomatique,

qu'ils

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ne

peuvent plus dissimuler. Eileen est untémoin

oculaire,

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qui

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a

rapporté

précisément, avec talent et jusqu'aumoindre détail, comment il était possibleque

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deux

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adolescentes

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de

mère

britannique soient vendues par leur pèreet disparaissent au Yémen.

Comme toujours Abdul Khada est informéplus vite que les autres. Même en ArabieSaoudite où il

travaille, il est en mesure d'avoir desrenseignements

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sur

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le

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moindre événement, au moment même oùil a lieu. J'imagine qu'il a des sources, iciet là en Angleterre, des amis qui luitéléphonent, lui communiquent toutes lesrumeurs et les on-dit en vrac. Les hommesyéménites fonctionnent ainsi, comme unréseau, voyageant d'un pays à un autre,sans jamais perdre contact., Lettred'Abdul Khada; en substance : «

Je sais que deux journalistes étrangerssont venus. Ils ne peuvent rien faire dutout, ne compte pas sur eux, et que Dieute protège s'ils tentent quoi que ce soit.»

Curieusement, c'est la première fois queje n'ai plus peur de lui et de ses menaces.Plus peur d'aucun des hommes d'ici. Ils ne

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peuvent plus rien faire pour m'atteindreou me blesser. Je me sens délivrée, auplus profond de moi. La liberté estproche, je la sens, j'ai l'intuition qu'ellene va pas tarder.

Notre frère Ahmed nous rend visite ànouveau, il a quitté l'armée, mais cettefois il a eu énormément de mal à nousrejoindre. Les villageois l'ont dénoncé àla police comme un agitateur et un voleur!Des choses auraient disparu lors de sondernier passage au village... Il arrive à lamaison, en larmes, et épuisé.

- J'étais à peine arrivé à Ashube pourvoir Nadia que les hommes m'ontencerclé. Sur ordre d'Abdul Khada, quisavait que j'étais en route. Je n'ai que le

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droit de vous dire bonjour. Je doisrepartir directement ensuite. Us m'ontcarrément menacé. Si je n'obéis pas ou sij'essaie

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de

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vous

aider,

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ils m'arrêteront.

Abdul Noor, notre voisin et frère d'AbdulKhada, vient d'ailleurs aussitôt contrôlerla présence d'Ahmed. Il est moinsagressif que les autres, mais de leur côtétout de même.

- Que vient faire ton frère ? Il veut vousemmener ?

- Pas du tout, il nous rend visite toutsimplement. Il n'a pas l'intention de créerdes ennuis. C'est mon frère, ma famille, ila quitté l'armée, et vient nous voir, c'esttout.

Le regard innocent, l'air calme, jem'efforce

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de

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ne

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montrer

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aucune

agressivité, dans l'intérêt d'Ahmed.

Abdul Noor me croit et lui donnel'autorisation de rester à la maison. J'aisuivi le conseil de la femme interprète,rester calme, ne pas montrer cette lueurde liberté qui brille en moi.

Quelques jours plus tard, Abdul Noorremonte à la maison, et apporte cette foisun message écrit d'Abdul Khada, ainsiqu'une cassette enregistrée par lui.

Je lis d'abord la lettre : « J'ai reçu unecopie de l'article de cette femme enAngleterre, tu dois écouter ce que je disdans la cassette. »

Abdul Noor attend, je vais donc chercher

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mon magnétophone, et nous écoutons lavoix du grand geôlier dans le petit haut-parleur :

« J'ai fait beaucoup de choses pour toi, ettu n'as aucune gratitude. Je pensais que tuétais heureuse, et que tu avais oublié tafamille. Je pensais aussi que tu avaisenfin accepté le fait d'être mariée, et jem'apprêtais à t'autoriser à rendre visite àtes parents. Ta mère est une femme forte,c'est incroyable ce qu'elle a fait pour sesenfants, je la comprends. Si tu veux partir,fais-le-moi savoir directement, et je telaisserai partir, librement. Mais tu devraslaisser ton fils Mohammed. »

Il l'appelle toujours Mohammed, et moitoujours Marcus...

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Je sais parfaitement qu'il ne pense pasune seconde que j'abandonnerai Marcus.

Il se croit tranquille en m'offrant lapossibilité de partir. Ainsi si je reste cesera de mon propre gré!

« Cet article ne t'apportera rien de bon,personne n'y fera attention. »

Il délire. Cet homme est paranoïaque.

D'un côté il me propose la liberté, etflatte ma mère, de l'autre il brandit unemenace à peine voilée. Ce changement deton est réconfortant. Cela veut dire qu'ils'inquiète, que la situation évolue enfin ennotre faveur, et qu'il est en train d'enperdre le contrôle.

Cette lueur de plaisir dans mon œil, il

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faut l'éteindre aussi, avant de regarderAbdul Noor en face. Il prend la cassette,la met dans sa poche. Une idée me vient.

- Est-ce que je peux la garder? En lafaisant écouter aux hommes du village, je

pourrai peut-être les convaincre de melaisser partir...

- Non. C'était juste pour que tu l'écoutés.

Je ne reverrai jamais cette cassette.

Mais ça m'est égal finalement. Il ne s'agitque d'une intimidation maladroite.

Il ignore que je ne le crains plus. Que jedevine toutes ses astuces. J'ai vieilli,Dieu sait que j'ai vieilli toutes cesannées, ici. S'il se montre serpent, je peuxêtre serpent aussi. Je monte dans ma

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chambre pour écrire une réponse. Ilattend que je lui dise : « Je ne laisseraipas Marcus... »

J'écris lentement, en m'appliquant, en bonanglais :

«Je veux partir, dis-moi quand jepourrai faire ma valise. »

Je ferme l'enveloppe, sachant très bienqu'Abdul Noor l'ouvrira, mais il fautjouer le jeu, et je la lui remets sanscommentaire. Abdul Khada ne merenouvellera

sûrement

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pas

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sa

proposition maintenant qu'il sait quej'accepte ses conditions, cela me paraîtévident.

Je file sur le sentier des femmes, pourvoir ma sœur et lui raconter l'événement.

Elle n'a pas l'air intéressée par mon récit.Il me semble que plus rien ne l'intéresse.Eileen a décrit le regard de Nadia dansson article : « Des yeux morts. » C'estexactement cela. Un visage de statue, etdes yeux morts.

- Parle-moi, Nadia, qu'est-ce que tupenses de tout ça?

- Rien. Rentrer à la maison? Abandonnerles enfants ici? Tu sais que je ne pourrai

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jamais...

Je le sais, en effet. Il y a longtempsqu'elle a renoncé à se battre. Elle aaccepté, et elle vit comme un zombi. Ilsont réussi à tuer en elle jusqu'à la pluspetite parcelle d'énergie. Petite fille, masœur était si vive, si gaie. Ils ontassassiné la petite fille. J'ai devant moiun bloc de résignation, le si joli visageaux traits si purs, au sourire si charmeur,si tendre, s'est transformé en masque. Jem'efforce tout de même de ranimer uneétincelle de rêve :

- Nous sommes bien d'accord, Nadia, lapremière qui peut partir d'ici laisse sesenfants à

l'autre... La première qui regagne

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l'Angleterre se bat pour l'autre.

J'aimerais que ce soit elle la première.

Je me sais capable de continuer à mebattre, même ici et seule. Pas elle. Sansmoi pour la stimuler, elle ne résistera pas.Mais cela, il est inutile de le lui dire.

Le lendemain, la voix d'Abdul Noor meparvient du toit de sa maison, encontrebas :

- Descends... il y a quelqu'un pour toi!

Le quelqu'un se nomme Abdul Walli, ilest chef de la police, et Abdul Noor meprévient :

- C'est un homme très important. Tu doislui témoigner beaucoup de respect, il aété envoyé par le gouverneur de Taez

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pour enquêter sur toi.

- Où est-il?

- Il t'attend dans la maison de la famillede sa femme.

J'ai déjà entendu parler de cet homme,mais sans l'avoir jamais rencontré. On ditde lui qu'il est attentif à tous lesproblèmes des gens de la région. Maisavec nous, il ne s'agit pas d'un simpleproblème de culture, ou de troupeau.

- Qu'est-ce qu'il veut savoir?

- Il est au courant de ton histoire. Lesjournaux anglais ont paru en ArabieSaoudite, en Libye, partout... Legouvernement veut savoir ce qui se passe,on lui a demandé de te chercher.

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Ça n'a pas dû être compliqué pour lui,puisque la famille de sa femme habite levillage... Abdul Noor m'accompagne aubas de la route vers leur maison. Monvoile est ajusté, comme toujours lorsqueje dois aller au village et prendre lerisque de me faire voir par des hommesinconnus.

La maison est pleine de monde, et AbdulNoor me dit d'aller dans la pièceréservée aux femmes et d'attendre.

- Je t'appellerai quand il voudra te parler.

La pièce réservée aux femmes est unevéritable volière. Elles aimeraient savoirce que peut me vouloir un homme aussiimportant, les questions fusent de touscôtés. Je voudrais tant qu'elles se taisent,

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j'ai besoin de calme. J'ai besoin de meconcentrer sur cette entrevue siimportante pour moi. Mais ellesjacassent, jacassent... alors je les faistaire.

- Laissez-moi tranquille, ça ne vousregarde pas!

Il m'est arrivé souvent d'être dure et aigre

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avec

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les

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autres

femmes.

Uniquement pour les faire taire et mettreun terme aux questions indiscrètes. Ellesn'ont aucun sens de la discrétion et durespect de la vie d'autrui. C'est ainsi, etce n'est pas leur faute.

Quelques minutes passent, dans un silenceà peine teinté de murmures, puis AbdulNoor m'appelle. Je le suis dans une autrepièce, plus grande, plus confortable,réservée aux visiteurs masculins. Aufond, un homme est assis en tailleur, surun coussin, vêtu comme un Saoudiend'une longue . djellaba blanche. Il a retirésa coiffe, et l'a posée à ses côtés. Des

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papiers sont étalés sur une petite tabledevant lui. L'homme est petit, et gros,avec des cheveux noirs et frisés, il est âgéd'une bonne trentaine d'années. Il a l'airimportant, en effet, et dit poliment :

- Bonjour.

- Bonjour.

Il m'indique le sol, devant la table.

- S'il vous plaît, asseyez-vous.

Je m'assieds à terre, en tailleur commelui, mais il me domine de la hauteur deson coussin. L'homme se tourne alors versAbdul Noor et toujours poliment : - S'ilvous plaît, voulez-vous nous laisserseuls. Il attend que l'autre ait quitté lapièce et refermé la porte pour commencer

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à parler : - J'ignorais totalement votresituation dans ce village. Voudriez-vousm'en parler?

Il y a bien longtemps qu'un homme ne m'aparlé aussi poliment... D'une seule traite,je fais le récit de notre histoire. Ilréfléchit quelques secondes, puis se lancedans un discours d'explication sur lescoutumes et mœurs de son pays et de sareligion. J'écoute en silence. J'attends lasuite, le cœur battant.

- Avez-vous jamais songé à vous installerdans le mariage avec Abdullah ? Vousêtes mariée depuis de longues années,avez-vous ressenti de l'amour pour lui?

- Non, jamais. Je le déteste et je n'en veuxpas.

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Je n'avais pas pensé que je pleurerais enrépondant, mais c'est plus fort que moi, etil semble très gêné de cette émotion.

- J'ai vu votre sœur Nadia avant vous, cematin. J'ai eu avec elle la mêmeconversation que j'ai avec toi en cemoment...

Il mêle le tu et le vous, mélange deculture.

- ... Elle m'a dit également qu'elle étaitmalheureuse et voulait retourner enAngleterre, mais elle veut emmener sesenfants et son mari avec elle. Que pensez-vous de cela?

Je me doute bien que Nadia n'a pas pudire autre chose. C'est sa seule chance

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d'emmener Haney et Tina avec nous. Sielle rejette Samir, les enfants lui serontautomatiquement retirés et confiés à leurpère. Elle déteste Gowad et Samir autantque je déteste Abdul Khada et Abdullah.

Mais, à cause des enfants, elle a toujourspeur de montrer ses sentiments. J'en suisau contraire incapable.

L'homme reste assis, silencieux pendantun temps qui me paraît interminable. Ilréfléchit, et j'attends respectueusementqu'il parle le premier, ainsi qu'on me l'arecommandé. Enfin, il se décide : - Bien.Vous pouvez vous retirer. Au revoir.

Je me lève et quitte la pièce. Il n'a rien ditde précis, mais je suis certaine qu'enretournant à Taez, il va confirmer la

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version des journaux. Nous allons partir.

Eileen avait raison, ce n'est plus qu'unequestion de semaines. Sept ans etquelques semaines supplémentaires, je nesuis plus à cela près. Je viens enfin deparler à quelqu'un d'influent dans ce pays,une personne bien plus puissantequ'Abdul Khada et tous les hommes de cevillage.

Je remets mon voile et quitte la maisonseule, pour remonter là-haut sur lacolline. Au passage, Amina, la femmed'Abdul Noor m'interpelle, pour savoir cequi se passe.

- Mêles-toi de tes affaires! Et je continuemon chemin, soulagée, délivrée d'unénorme poids. J'ai parlé, on m'a écoutée.

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Je ne leur appartiens pas, je ne suis ni deleur pays ni de leur culture.

L'Anglaise passe son chemin, grimpe lacolline et retire son voile, pour respirer.

Ward et les deux vieux ne me posent pasde questions. Ils savent qu'ils n'ont aucunpouvoir, que tout se passe en dehorsd'eux, et que s'ils me posent une seulequestion, je leur répondrai avecinsolence. Alors ils se taisent devant moi,et je me moque complètement de ce qu'ilsracontent dans mon dos.

La vieille Saeeda a été la seule à semontrer affectueuse avec moi. Parcequ'elle était là tous les jours, et qu'elle avu combien j'ai souffert et peiné, sousl'autorité mauvaise de Ward. Parfois elle

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disait pour me consoler : « Ne t'en faispas, petite... Que Dieu soit avec toi.

S'il pense que tu as raison et que ce quel'on t'a fait est injuste, il rétablira lavérité. » « Dieu, peut-être, mais leshommes ? » Aujourd'hui, il me sembleque la vieille Saeeda a raison.

Nadia n'abandonnera pas ses enfants. Sion essaye de la séparer d'eux, j'ai peurpour elle. Quant à moi, je n'ai pas encorele courage de regarder les choses en face.Je raye de mon esprit l'idée de laisserMarcus derrière moi. Je refuse d'y pensermaintenant. C'est une chose que je devraisfaire, c'est inévitable, mais je refuse d'ensouffrir à l'avance.

Heureusement pour moi, il n'est pas

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encore en âge de poser des questions.

Contrairement à Haney. « Maman, tu vasme laisser ? » Cela me brise le cœur, etj'imagine l'effet produit sur Nadia.

Marcus, lui, baragouine à peine lesquelques mots d'anglais que je m'efforcede lui apprendre. Dieu me protège,comme dit la vieille Saeeda, et fasse quesi je dois abandonner mon fils, ici, il n'aitque le temps de formuler la mêmequestion, avant que je revienne lechercher.

Deux jours après la visite d'Abdul Walli,les choses se précipitent. Le matin debonne heure, alors que je suis déjàoccupée à la cuisine, Abdul Noor vientme prévenir.

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- On m'a demandé de vous emmener à laville, toi et Nadia. Nous partirons demainmatin à la première heure.

Tiens-toi prête.

L'émotion fait trembler ma main au four,je contiens mal mon impatience.

- Pour quoi faire?

- Quelqu'un veut vous voir.

« Qui est ce quelqu'un, que nous veut-il,est-ce le gouverneur ? » Je n'ose pasposer la question de peur d'irriter AbdulNoor. Pourvu qu'ils nous laissentensemble, Nadia et moi...

- Nous prendrons la même voiture?

- Oui.

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C'est la première fois depuis sept ans quenous allons voyager ensemble. Cette idéeme paraît formidable.

- Et Marcus?

- Non. Tu pars pour une journéeseulement. Laisse-le ici. Nous serons deretour dans la soirée. Je t'attends en basde la colline à cinq heures demain matin.

Il s'en va, sans me donner de détailssupplémentaires.

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La

journée

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est

insupportable de longueur. La nuitinfernale, impossible de dormir une seuleseconde. Je ne cesse de retourner dans matête toutes les hypothèses. «

Que va-t-il se passer ? Qui veut nousvoir, pourquoi une journée seulement ? »

Je compte les lézards au plafond, dans lapénombre. Marcus dort à mes côtés, sifrêle, si maigre encore. Parfois je medemande s'il n'a pas hérité de la maladiede son père... Je repense à cette nuitd'horreur, lorsque pour la première foison m'a enfermée ici avec Abdullah. A cedégoût, cette humiliation qui n'ont cesséde me hanter. « Vendue. Qui de nos jours

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peut encore être vendue ? » On m'avaitappris à l'école que l'esclavage était, fini,que chaque être humain a des droitsimprescriptibles.

A quatre heures du matin, Ward vientchercher

Marcus et me tend le costume de ville.

Une sorte de châle noir m'enveloppantdes épaules à la taille, un voile, unechemise longue, et des jupons noirsrecouvrant les jambes jusqu'aux pieds.

Je porte en dessous le pantalon de cotonhabituel. Abdul Khada a ramené un jource costume d'Arabie Saoudite, je ne l'aipas mis souvent. Ainsi vêtue, je ne laisseplus voir que mes yeux. Nadia porte

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une

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tenue

identique,

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mais

fabriquée au village. Malgré l'épaisseurde tous ces vêtements, les uns sur lesautres, nous supportons la chaleur.

Question d'habitude : être une femmearabe, dans un pays arabe. Les chaussuressont toujours les tongs en caoutchouc,dont la lanière craque régulièrement etqu'il faut remplacer chaque mois.

Je descends la colline face à la nuit et ausilence. Le soleil n'est pas encore levé,c'est l'heure où les animaux de la nuit setaisent, et où ceux du jour ne sont pasencore éveillés. Le châle, la chemiselongue et les jupons flottent autour de moià chaque pas. J'aperçois de loin la torche

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d'Abdul Noor qui m'attend devant samaison en dessous. Je connaisparfaitement ce sentier, mais j'ai peur detrébucher avec tous ces jupons.

Il vient à ma rencontre, et ensemble nousdescendons l'autre colline, qui mène à lapiste où la Land Rover est garée. Unevoiture qui peut transporter douzepersonnes, mais ce jour-là il n'y apersonne d'autre que nous. La routejusqu'à Ashube se fait en silence, Nadianous attend, debout sur le chemin et seuledans le noir. Elle monte à mes côtés, jeme crois dans un rêve.

- Je n'arrive pas à y croire. Tu verrasqu'en fait nous n'irons nulle part. On est làassises dans cette voiture, ça va durer

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quelques minutes et quelqu'un va toutgâcher, en nous disant de retourner auvillage, dans cette horrible maison.

- Calme-toi... Il n'y a pas de raison.

Personne ne vient nous arrêter et la LandRover

continue son chemin cahoteux sur la routedéserte, les phares dessinant des arcsdans la nuit à chaque virage. Nousapprochons de Taez au moment où lesoleil commence à poindre à l'horizon.

Un soleil ocre et rouge, qui baigne laville à nos pieds, d'une lumière étonnante.Le bleu de la brume venue des montagnesalentour, l'or sur les nuages lointains...jamais je n'avais vu cette ville ainsi. Un

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bijou lumineux d'espoir formidable.

La Land Rover emprunte la route quidescend du djebel Sabir, entre deschamps de qat.

Nous ne nous sommes encore arrêtésnulle part, nous n'avons pas posé dequestions, mais dès que la voitures'engage dans la banlieue, je demandeavec un peu d'impatience : - Mais oùallons-nous?

- Chez quelqu'un. Quelqu'un d'important.

Les hommes aiment bien entourer leurspropos

de mystère ici. Les femmes n'ont pasbesoin de savoir où on les emmène, et ceque l'on va faire d'elles. Je suppose que

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cela leur donne le sentiment d'avoir unpeu plus de pouvoir sur nous.

D'où que l'on soit à Taez, on contempleune montagne recouverte de maisons, etdominant la ville. Vue d'en bas, dans lachaleur, le bruit, la poussière et la saletédes rues du centre, cette montagne paraîttoujours sereine et calme.

Le chauffeur de la Land Rover continuede rouler bien au-delà des petites ruesdes bas quartiers, comme s'il se dirigeaittout droit vers la montagne d'en face.

Effectivement nous commençons àgrimper et nous voyons le toit desmaisons. La route est maintenant lisse, etle paysage magnifique. Partout desmaisons superbes, parfaitement conçues

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et décorées. Un monde bien différent dureste de la ville qui s'étend à nos pieds,une planète différente des collines et desvillages misérables du Maqbana. Lavoiture prend des virages aisés et larges,passe le long de hauts murs, et nousapercevons parfois, grâce à un portailentrouvert, de splendides jardins. Jen'avais jamais vu ici de telles maisons, sigrandes, si belles, de vrais petits palais.Les fenêtres sont entourées d'arceauxblancs, sur la pierre brune, avec leursornements de stuc, comme des dessinsd'enfants, superbes de proportion et denaïveté.

Au bout de la rue, la voiture s’arrêtedevant la plus belle des maisons,construite à même la montagne, juste au

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dessus de nous, et entourée d’un murimmense. On dirait un palace rouge, auxvitres couleurs arc-en-ciel.

Nous sommes devant un énorme portaild'acier.

Abdul Noor descend de voiture et appuiesur le bouton d'un interphone. Un policierarmé apparaît, ils parlent un instant, et legrand portail s'ouvre devant la LandRover, pour nous permettre de nous garerdans une cour intérieure.

C'est un spectacle extraordinaire pournous qui vivons depuis tant d'annéesquasiment au Moyen Age. Nous montonsmaintenant un escalier menant à unegrande porte de bois, d'un blancimmaculé. Une femme nous ouvre, en

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costume traditionnel, et nous guide le longd'un couloir. Nous passons plusieursportes, jusqu'à une vaste salle meublée desofas et de chaises, des rideaux auxfenêtres, du papier peint aux murs, ainsique plusieurs petits meubles, commode,coiffeuse, buffet, et dans un coin unimmense écran de télévision clignotant,mais privé de son.

Jamais nous n'avons vu un tel luxe. Lafemme nous invite à nous asseoir et àretirer nos voiles. Elle me semble trèsjeune, moins de vingt ans, un air enfantinencore, calme et douce. Elle estluxueusement vêtue, tissu chatoyant pourla robe, or sur le pantalon, bijouxétincelants aux oreilles et aux bras.

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- Je suis la femme d'Abdul Walli, vousêtes ici dans l'une de nos maisons.

Voulez-vous prendre du thé, du café, del'eau minérale?

Nous choisissons timidement l'eauminérale.

Cette femme nous est totalement inconnue.Sa famille habite Hockail, puisque sonmari m'a déjà interrogée chez eux, maisnous ne l'avons jamais rencontrée. Jolie,assez petite, richement vêtue, elle sert lesboissons, et disparaît à l'arrivée de sonépoux. Abdul Walli est toujours vêtu desa longue djellaba blanche, il avanceavec aisance, suivi par Abdul Noor,humble et obséquieux.

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- Bonjour... je suis sûr que vous vousdemandez ce qui vous arrive ? Eh bienvoilà, j'ai exposé votre problème augouverneur de Taez et il a demandé quel'on vous fasse venir, afin d'examiner lespossibilités d'arranger votre problème.

En attendant reposez-vous.

Et il repart, toujours suivi d'Abdul Noor.

Même si j'en avais eu le temps, jen'aurais su quelles questions poser. Ilvalait mieux garder le silence et attendre.La femme est venue nous rejoindre, trèscourtoisement, avec une nurse et un petitgarçon, pour nous faire la conversation.Nous apprenons ainsi que, devant samaison, les policiers soumis aux ordresde son mari se réunissent à certaines

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heures pour mâcher le qat... Elle nousexplique encore combien son mari estoccupé, pris par ses fonctions et qu'iln'est presque jamais à la maison... Lepetit garçon qui joue, la nurse qui lesurveille, et nous qui attendons, le dosraide, de savoir qui va nous manger et àquelle sauce.

-

Connaissez-vous

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ma

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famille à

Hockail?

- Non. Je ne suis allée qu'une fois dansvotre maison, il y a deux jours.

- J'espérais que vous me donneriez desnouvelles...

- Je pense que tout le monde va bien.

Cette conversation mondaine, à unmoment pareil, me démonte un peu.

Nadia et moi avons complètement perdul'habitude

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des

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relations

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humaines

normales, en fait. Cette femme est lapremière à qui je parle sansarrièrepensée, ni acrimonie, ni haine, etde choses totalement anodines. J'éprouveun curieux sentiment d'irréalité. Tout m'asemblé irréel depuis ce lever dans la nuit,ce voyage à deux, la ville, cette maisonsuperbe.

La femme nous laisse seules un bonmoment,

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puis

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revient

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avec

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une

domestique et un repas pour nous. Elleétale une nappe sur le sol, y dépose desassiettes,

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des

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fourchettes

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et

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des

couteaux. Jamais je n'ai vu tant denourriture en un seul repas. Du riz, dubœuf, du poulet, des sandwichs, de lasoupe, des fruits, et une montagne degâteaux inconnus et de toutes sortes. Leluxe insensé de cette maison est undépaysement total. Nous aidons ensuite àdébarrasser, puis nous nous asseyons ànouveau sur un sofa, pour attendre.

Nadia n'a presque pas parlé. Je me suiscontentée d'apprécier par politesse, etsincèrement, ce repas exceptionnel.

Le soir tombe, et Abdul Walli réapparaît.

- Vous allez rester chez nous pour la nuit.

- Et nos enfants ? Nous devions être de

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retour ce soir...

- Ne vous inquiétez pas pour les enfants.

Vous pouvez passer la nuit ici.

Nadia a confié Haney et Tina à unevoisine, Marcus est avec Ward. AbdulNoor a disparu, je suppose qu'il estretourné au village prévenir que nousrestions à Taez. Peut-être devrais-je meméfier, mais quelque chose dansl'assurance et le comportement de cethomme me donne confiance. Il s'occupede notre cas, c'est sûrement long etcompliqué. Nous rentrerons demain, trèscertainement. Et puis cette maison estreposante, moderne, tentante. Nousregardons la télévision tout le reste de lasoirée, confortablement installées sur un

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canapé, buvant du thé, mangeant des petitsgâteaux délicieux. C'est le paradis tout àcoup.

Puis Abdul Walli nous fait passer dans unsalon encore plus spacieux, etluxueusement meublé, probablement sonbureau, et j'aperçois... un téléphone!

Cette chose que je n'ai pas vue depuis desannées. Un téléphone... Je n'en crois pasmes yeux.

- C'est un vrai?

Abdul Walli sourit de ma naïveté.

- Bien sûr, c'est un vrai.

- Vous pouvez le décrocher et appelern'importe où?

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- Évidemment.

Je ne peux plus détacher mes yeux de cetinstrument magique. Une idée fixe :décrocher et appeler maman... Nousdiscutons avec notre hôte, et je ne pensequ'à ça. Il raconte ce qu'il sait de lacampagne de presse de maman, desarticles dans les journaux anglais.

J'écoute dans le brouillard, je rêve devantl'appareil posé sur une table, si proche etsi inaccessible. J'en suis malade. Soudainune question précise : - Vous vouleztoujours quitter le Yémen?

- Oui, je veux rentrer à la maison.

Sur le ton léger de la plaisanterie, ilajoute : - Supposons que vous viviez ici,

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en ville, cela changerait-il vossentiments?

- Non. Je veux simplement rentrer à lamaison. Il ne fait pas de commentaires, etretourne aux généralités, la presse, lecontenu des articles, les photos... commes'il faisait le bilan d'une exposition,tandis que j'observe toujours ce maudittéléphone, noir et silencieux dans soncoin.

- Mais si vous restiez en ville ? Avec vosenfants, pour y vivre, ça ne suffirait pas?

- Non.

Il revient à la charge à plusieurs reprises,jusqu'au

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moment

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je

m'énerve et deviens agressive.

- Vous voulez rentrer ça dans votre grossetête, une fois pour toutes? Je veux rentrerchez moi. Je refuse de rester ici.

Et je veux que ma mère continue à fairece qu'elle fait, jusqu'à ce que nouspuissions enfin partir! C'est clair!

Nadia baisse les yeux, elle a toujourspeur quand j'agresse les gens. AbdulWalli hoche la tête et réfléchit un instant,puis se lance dans une patienteexplication, selon laquelle tous les effortsde maman pour attirer sur nous l'attentiondes médias ont mis le gouvernementyéménite en difficulté.

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- Le gouvernement est très fâché de toutcela.

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Cette

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histoire

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prend

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des

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proportions

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qui

m'embarrassent

énormément.

- Je m'en fiche complètement. Nous avonsbesoin de cette publicité, et les gensdoivent savoir la

vérité. La vérité est que nous voulonsrentrer chez nous depuis sept ans, et qu'onnous retient ici de force, contre notre

volonté.

Personne,

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aucun

gouvernement n'a le droit de faire ça.

Nous sommes allées trop loin maintenantpour reculer, ou abandonner, en échanged'un peu de luxe en ville... Il se tournevers Nadia.

- Êtes-vous d'accord avec votre sœur?

- Oui, je suis d'accord avec elle.

La petite voix douce de Nadia a dit celatranquillement et fermement. Quant à moi,je n'ai aucunement l'intention de melaisser marcher sur les pieds par cethomme, et de me fatiguer à écouter sesarguments. J'en ai marre de lutter contreles

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hommes yéménites.

Marre.

Radicalement. Depuis que je suis dans cepays, j'y ai usé mes nerfs, ma santé, moncourage. Lutter pour avoir unepersonnalité, lutter pour survivre, pourmanger, lutter pour demeurer un êtrehumain. Je sais comment leur espritfonctionne. Ils cherchent à abêtir lesfemmes. Pas d'école, pas de modernité,les réduire aux tâches quotidiennes, lesenvoyer dans les champs puiser de l'eau,ramasser

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le

bois,

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surveiller

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les

troupeaux en plus de faire la cuisine ets'occuper des enfants et finalementaccepter leur présence au lit comme undon du ciel? Ils s'en tirent à bon compte.

Et ils arrivent toujours à leurs fins, enrefusant de nous écouter, ou en faisantsemblant de ne pas comprendre nosproblèmes. Aujourd'hui, nous ne sommesplus très loin d'atteindre notre but, la fuiteest proche, je le sens, pas questiond'abandonner maintenant, même devant cegrand ponte. En plus, la proximité de cetéléphone me rend dingue. Dire que jepourrais décrocher et parler à maman,comme ça, par magie, et que je ne peuxmême pas faire un pas vers l'appareil.

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Abdul Walli nous salue pour la nuit, et onnous reconduit au premier salon. Là onnous donne des nattes pour nous coucher.Le sol est recouvert de tapis, et c'estassez confortable. Allongées côte à côte,nous chuchotons encore dans le noir.Obsédée par le téléphone, je fais desplans dans ma tête.

J'ignore

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comment

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une communication internationale. Et dansce pays, ce doit être long. Aucun espoird'avoir assez de temps. Si cet hommeétait normal, il l'aurait proposé de lui-même. Comment peut-on priver desenfants de parler à leur mère, alors que ceserait si facile ? Je n'en peux plus de cesinterdictions. Plus le but se rapproche, etmoins je suis calme.

Le lendemain matin, rien ne se passe.

Nous traînons dans cette maison,inactives, délaissées,

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sans

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aucune information sur notre sort.J'imagine qu'Abdul Noor va revenir nouschercher et nous ramener au village...Cette séparation d'avec les enfants ne meplaît pas. Que quelqu'un bouge au moins,propose une solution! Enfin le maître demaison apparaît, et déclare : - On va vousamener les enfants.

- Quand? Nous les voulons maintenant.

- Ils arriveront dans les prochains jours.

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Je

n'obtiendrai

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pas

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de

détails

supplémentaires. Toujours leur goût dumystère. Maintenir les femmes dansl'incertitude.

- Comment vous entendez-vous avecWard, votre belle-mère ?

- Très mal. On se déteste. Elle est odieuseavec moi, insultante, et me fait travaillerdu matin au soir. La plupart du temps àdes tâches complètement inutiles.

Il semble écouter et comprendre, toujourscalme et courtois. Puis s'en va.

Et toute la journée, nous vivons au rythmede ses allées et venues imprévisibles. Il

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vient discuter un moment, repart je ne saisoù, s'occuper de ses affaires et revient.Chaque fois avec une question qu'il a déjàposée, ou un argument déjà exprimé.Nous passons une nouvelle nuit dans lesalon, toutes les deux, et le lendemain,troisième journée de notre séjour chez lui,je décide d'obtenir de plus amplesinformations sur ce qui se trame. Je medoute qu'il va esquiver, mais je me doisd'attaquer.

- Bon. Nous ne voulons pas retourner auvillage.

- Vous n'y retournerez pas.

La réponse me prend au dépourvu.

- Comment? Vous voulez dire jamais?

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11 sourit.

- Vous avez ma parole.

Durant quelques secondes j'ai du mal àreprendre mon souffle et à encaisser lanouvelle.

- Et pourquoi?

- Parce que vous n'avez pas besoin d'yretourner. Vous pouvez habiter ici, à Taez,pendant quelque temps.

Ça... j'ai du mal à y croire. « Où est lepiège? » Si c'est vrai, c'est un rêve. Unenouvelle étape, et non la moindre.

Depuis mon séjour à Hays, loin de Nadia,je ne pensais qu'à vivre près d'elle, et cetespoir s'est réalisé.

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Maintenant nous sommes à Taez,ensemble, loin du village, la prochaineétape c'est l'Angleterre...

Abdul Walli me devient sympathique. Il apromis que les enfants allaient nousrejoindre, il nous permet de rester ici,loin d'Abdul Khada, de Ward et de lamisère des montagnes. De plus il semontre paternel, compréhensif, malgréune certaine agressivité de ma part, et jen'ai plus l'impression qu'il me cache quoique ce soit. Nadia a confiance elle aussi,je la vois rassurée, détendue, il ne luimanque que ses enfants, et la vie seraitpresque agréable, en attendant de rentrerchez nous. Puisque cet homme nous prendsous sa responsabilité, nous sommes àl'abri, en tout cas, d'une intervention

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d'Abdul Khada. Il est le chef de la policede Taez, ce n'est pas rien.

Ce que j'ignore, à ce moment-là, c'est quela police de Taez pendant ce tempsinterroge le directeur de l'hôpital, lechauffeur, l'interprète, tous ceux qui onteu affaire de près ou de loin avec Eileenet Ben, dans le but de leur faire dire s'ilssavaient ou non que ces gens étaientjournalistes. Donc s'ils ont délibérémentcoopéré avec « l'ennemi », en somme.

Ma seule préoccupation est qu'AbdulWalli a tout

de même des pouvoirs limités. Ladécision finale ne lui appartient pas, ilapplique les consignes du gouvernement.

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Il nous fait comprendre que nous devonssigner des papiers pour que les enfantsnous

rejoignent.

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Les

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lettres

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sont

adressées « A qui de droit ». Dans cesdocuments,

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nous

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reconnaissons

publiquement être mariées, en bonneentente, demeurer actuellement à Taez, et

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ne

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pas

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avoir

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de problèmes particuliers. Abdul Wallinous présente cela comme un formulaireadministratif destiné à nous confier lagarde des enfants. Moyennant notresignature, Haney, Tina et Marcus seront làà la fin de la semaine. Alors noussignons. D'une part parce que nousvoulons récupérer les enfants le plus vitepossible, et d'autre part parce que nousavons décidé d'avoir confiance en cethomme. Nous n'avons pas le choix detoute façon, il est le seul à s'occuper denous. Notre unique intermédiaire avec legouvernement.

Et nous attendons, prisonnières de cepalace doré. Nous avons l'autorisation denous déplacer à travers la maison, et de

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monter sur le toit, pour prendre l'air.

De là-haut, la vue sur la ville est superbe.

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Une

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magnifique

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cuisine

moderne est installée avec réfrigérateur,évier, machine à laver, mixer... Touteschoses que nous n'avons pas vues depuisl'Angleterre. Sans compter les délices del'eau courante et de l'électricité. Plus decorvées de puits, douche à volonté.

Plus de torches puantes, plus de lézardsaux murs, ni de serpents. Marcher piedsnus sur des tapis... laisser couler l'eau surson corps... manger dans des assiettesavec des fourchettes... et surtout êtreensemble... comme avant.

Parler sans contrainte, dormir sans peur...

Du sommet de notre palace, nous pouvons

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contempler

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les

policiers,

installés dans un bâtiment à l'intérieur del'enceinte, de l'autre côté du jardin. Ilsportent

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des

fusils,

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certains

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des

mitraillettes, ils discutent entre eux, sepromènent paresseusement à nos pieds.

Nous nous sentons en sécurité, et presquelibres.

Le lendemain de la signature desdocuments officiels, les enfants sont là.

Abdul Noor et Shiab, le fils de Gowad,les ont convoyés jusqu'à Taez. Haney,Tina, Marcus...

Marcus est en larmes, et je le berce dansmes bras, bouleversée. Avant de repartir,Abdul Noor me dit : - Depuis que tu espartie, Mohammed n'a pas cessé depleurer.

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« Mohammed... Tu t'appelles Marcus.

Tu es mon fils, et tu verras l'Angleterre, tuy grandiras, on te soignera, tu iras àl'école, et tu parleras notre langue. Tamère est anglaise. » Ce soir-là, lecoucher du soleil sur Taez est plussomptueux que jamais. Nadia a souri.

- Vos maris sont arrivés, ils attendentdans l'autre pièce, voulez-vous leur direbonjour?

Nous sommes assises dans la salleréservée aux femmes, lorsque AbdulWalli vient nous annoncer la nouvelle.

Nous en parlions depuis plusieurs jours,le gouvernement les avait rappelésd'Arabie

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Saoudite,

'

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pour

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une

conciliation, mais nous ne savions pasquand cela se produirait. Nous nouslevons à contre- , cœur. Depuis que nousséjournons dans cette maison de Taez,véritable palace comparé aux villages oùnous avons souffert sept ans, nous avionspresque oublié les « maris ».

Ils sont là, assis tous les deux, gênés, nesachant trop comment se comporterdevant Abdul Walli. Abdullah vingt et unans, Samir vingt ans. Des hommes àprésent. Samir est devenu énorme, un vraipoussah. Abdullah est plus maigre quejamais. Nous choisissons le canapé leplus éloigné d'eux. Les politessescommencent.

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- Comment vas-tu? Comment va mon fils?Cela dure quelques minutes, puis AbdulWalli

nous laisse seuls, et Samir s'inquièteaussitôt :

- Que se passe-t-il? On a entendu des tasde rumeurs, on ne sait pas du tout ce quise passe... On dit qu'il y a eu beaucoupd'histoires en Angleterre, et aussi quevotre mère est venue?

Nadia me laisse parler, et je n'ai pas peurde les

mettre au courant, si tant est qu'ils ne lesoient pas déjà...

- Maman fait tout ce qu'elle peut pournous sortir du pays. Ce que vous nous

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avez imposé est illégal, nous nel'accepterons jamais. C'est comme ça.

Abdullah reste silencieux, il n'a jamaisbeaucoup parlé, sauf pour se plaindre àson père de mes rebuffades. Au fond, jene sais pas qui est ce garçon... Jamais suce qu'il pensait, ni même s'il pensait sansle secours de son père. Ce qui est sûr,c'est que si je n'avais eu affaire qu'à lui, àlui seul, jamais il n'aurait posé la mainsur moi. Ce mariage n'a jamais eu lemoindre sens, et je me demande encorecomment un garçon qui se sait haï etdétesté à ce point peut s'obstiner.

Même son fils ne l'intéresse guère... Leshommes ici sont presque toujours absents,ils connaissent mieux l'étranger que leur

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propre pays, et j'imagine que leurs enfantsne les intéressent que lorsqu'ils sont enâge de rapporter de l'argent à la maison.

Samir a demandé à Abdul Wallil'autorisation de téléphoner, et bienentendu il l'obtient. Ainsi qu'Abdullah.

Ils appellent chacun leur père respectif,Gowad en Angleterre et Abdul Khada enArabie Saoudite. Quelques minutes plustard, Samir nous apprend le résultat deces conversations :

- Nous ne devons pas divorcer. Nous nedevons pas quitter nos enfants.

- C'est ton père qui commande?

- Mon père et Abdul Khada sont d'accordlà-dessus. Et nous ne voulons pas non

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plus que vous repartiez en Angleterrepour nous faire des ennuis.

D'ailleurs vous ne partirez pas...

- Pourquoi?

- Parce que les enfants ne partiront pas.

- Et moi je refuse de retourner au village,Nadia aussi.

- Nous pouvons rester à Taez. Mon pèreet Abdul Khada sont d'accord, aussilongtemps que vous resterez ici avecnous, et les enfants aussi.

Voilà, c'est tout simple. Les fils arabes nedésobéissent jamais à leurs pères.

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Ainsi ils refusent toute

autre solution. C'est un nouvel obstacle ànotre départ. Même Abdul Walli ne peutrien contre cette décision. Il s'agit d'uneaffaire privée. Si les maris ne veulent pasque leurs femmes « voyagent » avec leursenfants, on ne peut rien y faire...

D'espoir en déception, j'aurais dû m'yattendre. Les enfants continuent de nousmaintenir en otage. Nadia ne supporte pasl'idée de les abandonner, je ne supportepas celle d'abandonner Nadia.

Point final pour l'instant.

La situation se complique car noussommes à présent trop nombreux pourdemeurer ici. Abdul Walli résout le

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problème en nous installant dans unappartement, à cinq minutes en taxi dechez lui.

Les choses se déroulent si vite que je medemande si tout n'était pas prévu ainsi.

Mais je m'accroche encore au fait quenous sommes maintenant en ville, et enrelation avec Abdul Walli. Tout vautmieux que de retourner à Hockail etAshube, reprendre notre vie d'esclaves.

L'appartement est situé dans un quartierpopulaire, au bout d'une rue étroite etmisérable, un bâtiment de trois étagesdélabré. Nous habitons au deuxième. Ungrand corridor sépare deux chambres, aufond un salon, une pièce et une cuisine.

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Tous les murs sont bleu clair, le sol estrecouvert d'un linoléum marron, seul «

luxe » du salon, il y a des rideaux decoton bleu ciel aux fenêtres, et un tapispar terre. La médiocrité de cet endroit vade pair avec le quartier. Nous sommes àpeine à cinq minutes de celui d'AbdulWalli et de ses maisons splendides, maisc'est un autre monde, de bruits, depoussière, et de cages à lapins en guisede logis.

Il y a une chambre pour Nadia, Samir etles deux enfants. Une chambre pour moi,Abdullah et Marcus. Il va falloir ànouveau partager la couche de nos «

maris ». C'est inévitable. La loi dumariage au Yémen est stricte à ce sujet.

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Et ce ne sont plus des adolescentsterrorisés par des jeunes filles anglaises.

Le résultat immédiat de la pauvre victoirequi nous a menées à Taez, le voilà. Ils ontapporté leurs matelas du village, et nousregardent les installer sur

le sol de pierre, dur et froid. Aucunmobilier à part une télévision qui marchetoute seule et sans interruption.

En ville, les gens n'ont pas beaucoup dechoses, mais ils ont la télévision... Dansla cuisine, un évier, une petite cuisinière àgaz, et une étagère. Il y a bien une douchedans la salle de bains, mais pas d'eauchaude. C'est un taudis comparé à lamaison d'Abdul Walli, un taudis comparéà notre appartement en Angleterre... Mais

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je préfère ce taudis à la maison dans lamontagne. Et Nadia aussi. De plus, nousn'avons pas à travailler du matin au soir,et j'ai bien l'intention de rester au lit leplus longtemps possible, jusque dansl'après-

midi.

La vie s'écoule ainsi quelque temps,étrange, les deux garçons sortent tous lesjours pour rejoindre des amis en ville.

Nous ne demandons jamais où ils vont niavec qui. Du moment qu'ils s'en vont etque

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nous

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sommes seules.

C'est

merveilleux d'être seules. Parfois nousrecevons la visite de Mohammed, le frèred'Abdullah, et de sa femme Bakela.

Nous ne parlons jamais de la situation,chacun la connaît.

Au début nous ne sortons pas beaucoup.

Effrayés par l'animation des rues, lesgens, les voitures. Nous sommesdevenues sauvages dans le Maqbana.

Sept années de captivité nous fontparaître cette liberté difficile à vivre danscette ville inconnue. Même en étendant lalessive sur le balcon, j'ai le réflexe de

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mettre mon voile, de peur que quelqu'unme voie, et fasse des réflexions. Noussommes devenues exactement comme lesautres femmes du village, pudiques,effarouchées par le monde et l'activité dela ville, nous ne savons plus commentnous comporter.

Les enfants ne nous lâchent pas uneminute, pleurent dès que nous quittons unepièce. Je suppose qu'ils ont peur de seretrouver abandonnés à nouveau.

Haney est le plus angoissé de tous.

Toujours accroché aux jupes de Nadia,pleurant dès qu'elle se lève pour allerquelque part, et hurlant : « Où tu vas,maman... où tu vas... »

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Les nouvelles d'Angleterre ne sont pastrès brillantes.

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Maman

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rencontre beaucoup de difficultés.

Elle s'est laissé entraîner à coopérer avecle Daily Mail, alors qu'elle avait promisl'exclusivité à l'Observer, et à Eileen.

« J'ai passé la journée de Noël avecEileen et sa famille dans leur maison deLondres. Je ne sais plus où donner de latête, ni quelles propositions accepterpour

la

presse...

L'ambassadeur du Yémen à Londres adéclaré aux journaux qu'il savait quevous vous étiez mariées à Birmingham etque vous étiez parties librement vivreavec eux au Yémen. Il prétend que tous

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les problèmes ont surgi lorsque je mesuis séparée de votre père, et affirmeque si je veux me rendre dans son pays,toute liberté me sera accordée, ainsi quetoute assistance pour ramener mesfilles. »

Cela correspond à la dernière vision decelui qui nous a vendues. Au début ilavait reconnu devant les journalistes quenous étions parties en vacances, et quenous nous étions mariées là-bas ensecret... La différence est probablementmince pour lui.

La vie continue à Taez, notre vie defemmes.

Voilées.

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Je

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me

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sens

physiquement mieux, moins fatiguée,moins dépressive, la nourriture estmeilleure. Ici les femmes ne travaillentpas, les plus modernes se rendent visite,en général en taxi pour aller d'une maisonà l'autre. Leur principale occupation estle bavardage, les ragots, les rumeurs. Aubout d'un certain temps, nous enrencontrons quelques-unes qui voudraientme parler, me poser des questions, je levois bien. Mais on les a prévenues quej'étais agressive, et que la plupart dutemps ma seule réponse était : « Mêle-toide tes affaires. » Si bien que nous n'avonspas énormément de contacts

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avec

elles,

excepté

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les

conversations classiques à propos desenfants.

Quant aux promenades, nous en faisonspeu. Voir le monde au travers d'un voileest un exercice étrange. J'ai remarquédans la rue que des femmes manquaientde se faire écraser par un vélo, unevoiture. Il leur manque la vision de côté,elles regardent droit devant elles, etsouvent baissent les yeux pour ne pasaffronter le regard d'un homme.

Le temps s'écoule avec la monotonie deces jours sans intérêt, en attenteperpétuelle, décourageante. La patience etla longueur du temps.

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J'ai toujours en tête le téléphone d'AbdulWalli. L'idée me démange. Il y a sûrementd'autres téléphones ailleurs, dans d'autreslieux, mais comment faire sans argent? Cesont les hommes qui détiennent l'argent,qui font les achats.

Sauf lorsqu'ils travaillent à l'étranger etdoivent

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en

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envoyer

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chez

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eux

régulièrement. A Taez, nos « maris »

étant sur place, nous n'avons rien quequelques misérables pièces.

Moi qui suis d'un caractère combatif, jen'ai toujours pas eu le cran de demander à

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Abdul

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Walli

l'autorisation

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de

téléphoner à maman. Et voilà qu'il me lepropose!

J'imagine

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que

quelqu'un

d'important lui a conseillé d'agir ainsi,dans l'espoir que je dise à notre mère quenous sommes heureuses de vivre à Taez,que tout va bien, et qu'il n'est plusnécessaire de faire tant de bruit enAngleterre. Nous avons décidé Nadia etmoi de jouer leur jeu. De leur laissercroire que le scandale est clos. Tout ensachant qu'il n'en est rien, et que nous necéderons jamais.; Me voilà devant cetéléphone tant désiré. On m'indique lesnuméros à composer, je demandel'Angleterre, j'écoute le grésillement del'appareil contre mon oreille, comme onécoute la mer dans un coquillage... Mon

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cœur bat.

C'est Ashia... ma sœur Ashia quidécroche l'appareil.

- C'est toi ? C'est vraiment toi, Zana ?

C'est vraiment toi ?

Elle a du mal à y croire, à tel pointqu'elle me pose d'étranges questions pourêtre sûre de mon identité. C'est dire leclimat de suspicion qui doit régner cheznous. On craint peut-être de recevoir uncoup de téléphone venant d'une femmechargée de leur dire des mensonges à monsujet, du genre : « Je suis heureuse, toutva bien, je ne veux pas rentrer, etc. »Étant donné la mauvaise qualité descommunications entre les deux pays, ce

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serait tout à fait possible. Ils se sont déjàservis de cassettes enregistrées sous lacontrainte, pourquoi pas de fauxtémoignages au téléphone.

Ashia me passe enfin maman, rassuréepar mes propos. Je parle vite, je racontevite, de peur d'être coupée, mamanachève la conversation en disant : - Jevais venir à Taez bientôt... Je serai làbientôt, Zana... Je te rappellerai à cenuméro...

Bientôt... Bientôt... Je chante ce petitrefrain dans ma tête, maman va venirbientôt... Nous ne l'avons pas vue depuisplus d'une année, en 1986, deux moisavant la naissance de Marcus... maman vavenir bientôt.

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Quelques semaines plus tard, on nousannonce que nous allons recevoir unappel téléphonique en provenanced'Angleterre, le lendemain dans la maisond'Abdul Walli. Encore une nuit depatience. Nadia dans sa chambre avecson gros « mari ». Moi dans la mienneavec Abdullah et mon dégoût.

L'effacer, d'un coup de gomme, de ma vie,comme on efface un mauvais dessin.

Si j'étais fée ou sorcière et que, d'un coupde baguette, je le fasse disparaître,j'oublierais tout.

Le lendemain maman est bien autéléphone.

- Vous allez bien? Ne t'inquiète pas, je

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vais venir, c'est pour bientôt. Maintenantécoute-moi, je vais te passer quelqu'un autéléphone, quelqu'un qui veut vous direbonjour, tu comprends?

Je ne comprends pas très bien, mais je dis« oui », prête à faire tout ce qu'elle veut.

- Il s'appelle Tom, et tu peux lui parler,d'accord ?

- D'accord, maman.

J'entends une voix d'homme me dire : -Hello c'est Tom Quirke. J'ignore qui estce Tom Quirke.

- Comment ça va?

Un peu sur mes gardes, je réponds : - Çava.

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- Zana? Veux-tu toujours rentrer chez toi àBirmingham ?

- Oui, bien sûr, je veux toujours rentrer.

Je le veux aussi vite que possible.

- Qu'est-ce qui te manque le plus là-bas?

- Ma famille et mes amis.

- Dis-moi où tu habites?

- Je suis à Taez, nous habitons un petitappartement. C'est mieux qu'au village.

- C'était dur au village?

- C'était horrible.

- Est-ce que tu es malade?

- Pas en ce moment, mais j'ai eu lamalaria.

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- Parlenous de Nadia et des enfants...

- Nadia est trop intimidée, elle a peur deparler u téléphone. Elle attend commemoi de rentrer chez nous.

- Au revoir, Zana.

- Au revoir, Tom.

Curieuse conversation dont je ne saisispas bien le sens sur le moment. « Peut-

être un ami journaliste ? Ou un avocat...

» Maman ne m'a rien dit de précis, elle apeur qu'on nous écoute, ou qu'on coupe laligne si nous parlons trop de «

l'affaire ».

La journée téléphone n'est pas terminée,on me dit maintenant que notre père

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voudrait également nous parler. Sept ansqu'il nous a vendues et abandonnées ici,aux mains de ces hommes, et il veut nousparler? Nadia refuse. Trop émotive pouraffronter notre père. Qui n'a de père quele nom, sur un papier. Papier qu'il a voléd'ailleurs pour nous vendre... Je serre lesdents, en attendant assise près de cetéléphone, qui me paraît menaçant. Lasonnerie me fait sauter en l'air. Jedécroche d'une main moite, mais lecerveau est solide, du béton.

- C'est Zana?

- C'est Zana.

Je ne l'aiderai pas. J'attends de savoir ceque veut ce serpent.

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- Pourquoi voulez-vous revenir ?

Pourquoi ? J'en mourrai de honte, il nefaut pas faire cela. Tout le monde dit quevous êtes heureuses à Taez; si vousm'aimez, ne revenez pas !

Il doit pourtant le savoir qu'on ne l'aimepas. A quoi rime ce chantage?

- Il faut que vous restiez là-bas, le tempsque les journaux oublient cette histoire.

Cette fois, je ne laisse pas passer : - Çat'arrangerait ? Tu serais trop content queça s'arrête, hein! Ne compte pas là-dessus.

- Zana, je te jure que si vous rentrez, jeme tue.

- Parfait.

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Il s'accroche au téléphone, près d'uneheure, en ne cessant de répéter la mêmechose. « Ne rentrez pas, c'est une honte deme faire ça, et je me tuerai, et je suisvotre père, et ci... et ça... » « Tue-toi doncsi tu le veux. » Je me contente à chaquefois de répondre à ce chantage de façonlapidaire.

- Il faut me croire, c'est scandaleux.

- Oui.

- J'ai honte pour vous...

- Ah bon!

- Je mourrai de honte.

- D'accord.

Mon cerveau est en béton. Si chacun de

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mes mots pouvait l'assommer de loin, etle faire disparaître lui aussi... s'il suffisaitd'appuyer sur un bouton...

Meurs donc, va te noyer dans la bièreavec tes amis yéménites, dans un caféanglais. Au moins tu es libre de mourirlà-bas, toi. Pas moi. D'ailleurs tu nemourras pas. Tu ne peux mourir de honte.Ce coup de téléphone est une lâcheté deplus, et tu n'es plus à ça près.

- Il faut rester à Taez, pour l'honneur de lafamille.

- C'est ça...

- Je vais me tuer...

- Bon.

Il raccroche enfin. Je me sens sale de lui

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avoir parlé. Sale mais réconfortée. Plussolide encore.-

Quelques jours plus tard, la rumeur nousapprend que le scandale en Angleterres'est encore amplifié. Cette conversationque j'ai eue avec Tom Quirke passait à laradio. C'était un journaliste del'Observer. On m'a entendue, en direct,parler depuis la maison d'Abdul Walli,chef de la police de Taez... Les journauxs'emballent à nouveau sur le sujet, etAbdul Walli se sent de plus en plus misen cause.

J'imagine qu'il est harcelé par sessupérieurs, furieux que cette affaire nesoit pas étouffée. Chaque fois que nousparlons avec lui de l'ampleur de cette

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campagne de presse, il essaie de nouspersuader.

- Il faut accepter la situation, vous êtesmariées, vous avez des enfants, il estinutile de continuer. Dites à votre mère defaire cesser cela...

- Mais les journaux disent la vérité. Rienque la vérité. On nous a mariées de force,on nous a fait des enfants de force,'onnous retient de force. Dans un payscomme le nôtre, c'est inadmissible.

- J'ai vos certificats de mariage.

- C'est impossible, ils n'existent pas.

- Regarde!

Il me montre deux documents rédigés enarabe, dont je peux déchiffrer l'essentiel.

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- Ce qui est dit dans ces papiers estcomplètement faux. J'ai étudié le Coran,je sais qu'il y est interdit de forcer unefille au mariage, nous avons été forcées,donc je récuse ces documents.

Il a l'air ennuyé par mon obstination. Cen'est pas un méchant homme. Je sais bienqu'il reçoit des ordres, et Nadia et moi leconsidérons toujours comme notresauveur dans ce pays. C'est grâce à luique nous avons pu échapper à l'esclavagedans les villages. Grâce à lui que nous nesommes plus battues et contraintes auxtravaux forcés. Il est le premier homme,et le seul au Yémen, à nous avoir traitéescorrectement, et nous le respectons pourça.

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Les

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semaines

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passent

et,

progressivement, Nadia et moi nous nousréhabituons au monde extérieur.

Nous sortons en taxi avec les enfants,pour des promenades. La voiture vientnous prendre en bas de la maison, ainsinous n'avons pas à marcher en ville.

Puis vient le jour où j'ose arrêter un taxidans la rue moi-même, faire des courses,réclamer de l'argent pour acheter desvêtements décents aux enfants. Unpantalon bleu ciel et un blouson pourHaney avec un petit bonnet de laine blancet rouge. Une jupe

froncée à rayures roses pour Tina avec un

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tricot de laine bleue, brodé de petitesfleurs. Et pour Marcus, qui se tient deboutet commence à courir partout, unegrenouillère en éponge, facile à laver.

Nous sommes condamnées à rester là unbon moment, autant rendre cette vie plusconfortable. La ville est surpeuplée, sale,difficile à connaître, mais comme nousn'avons quasiment rien vu du Yémendepuis notre arrivée, excepté lesmontagnes du Maqbana, et en ce qui meconcerne, un petit bout de la mer Rouge,nous essayons de faire connaissance avecTaez. Parfois je me sens presque dans lapeau d'une touriste anglaise, malgré levoile, et la robe longue.

Une fois, j'ai assisté à une exécution

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publique dans un square de la ville. Unefoule de gens, femmes et enfants compris,était là pour regarder les condamnés sefaire mitrailler jusqu'à ce que morts'ensuive... Terrifiant. Irréel. Je vis dansce pays violent. Moi-même victime de laviolence des hommes.

Impuissante.

Aujourd'hui trois femmes ont demandé ànous rencontrer chez Abdul Walli. Desfemmes très différentes de celles quenous côtoyons habituellement. Ellessemblent avoir de l'argent, un travail.

Des femmes libres au Yémen, c'est rare.

Armées de blocs de papier et de crayons,de livres, elles s'installent en face de

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nous avec aisance. L'une se présentecomme la secrétaire du gouverneur deTaez. Les deux autres disent appartenir àune association féminine de la ville. Ellesont entre vingt et trente ans. Modernes,vêtues à l'occidentale de jupes etchemisiers, mais se débarrassant enarrivant de leur grand manteau et de leursvoiles, indispensables pour être «correctes » à l'extérieur.

La secrétaire du gouverneur, la plus jeuned'allure, parle la première : - Noussommes chargées de faire une enquête survous, et de rédiger un rapport. Legouverneur aimerait en savoir davantageà votre sujet.

- Vous pouvez dire au gouverneur que ce

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ne sont pas ses affaires.

- Ne prenez pas les choses comme ça.

Nous sommes venues en amies. Il n'estpas question d'utiliser contre vous lesrenseignements que vous nous donnerez.

Tout ce que nous voulons savoir, c'estcomment vous viviez, avant, et ce quivous est arrivé, cela peut nous permettred'aider d'autres jeunes filles dans votrecas.

Je ne m'attendais pas à cela. J'ai répondude mauvaise humeur et agressivementcomme d'habitude, alors que pour unefois nous avons affaire à des femmesresponsables,

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intelligentes

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et

préoccupées de la condition fémininedans leur pays.

Le récit de notre vie, dans les villages duMaqbana, les choque manifestement.

Elles n'imaginaient pas que l'on puisseencore vivre ainsi. Planter et égrener lemaïs à la main, cela appartenait pourelles à une époque révolue. Au momentoù je conclus notre récit par ma formulehabituelle : « Je veux rentrer chez moi,nous sommes trop malheureuses ici », lasecrétaire du gouverneur me répondfermement : - Vous êtes des citoyennes dece pays.

Vous êtes yéménites, vous ne pouvez pas

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vivre ailleurs.

- Je sais parfaitement ce que je suis. Etparfaitement ce que je veux. Je suisanglaise et je veux rentrer chez moi.

C'est épuisant. Je me fais l'effet d'unrobot, répétant et ressassant jusqu'àl'épuisement les mêmes choses et,particulièrement, qu'il

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est

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inutile

d'essayer de me persuader. Je commenceà craindre que ces femmes n'aient étéenvoyées uniquement pour cela. Ellesutilisent les mêmes arguments qu'AbdulWalli : du fait que nous vivons désormaisen ville, il n'y a plus de problème!

- Le problème est toujours le même.

Nous voulons rentrer chez nous.

Les trois femmes se lèvent, avec leurspapiers, leurs documents, leurs bijoux etleur citoyenneté yéménite. Je vois bienqu'elles ne sont pas satisfaites par mesréponses, mais elles s'en vont poliment,sans autre commentaire. Match nul.

Maman est en route. Tout le monde ici est

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bientôt au courant. Elle doit venir enavion avec Jim Halley, le consulbritannique, et un interprète du ministèredes Affaires étrangères. Mais rien n'estsimple pour elle.

Pour obtenir un visa, elle a dû se rendred'abord à l'ambassade du Yémen àLondres, en compagnie d'Eileen et Ben de l'Observer. Là, une meute dephotographes et de journalistes detélévision les guettait. Maman a dûs'accroupir au fond du taxi, qui est allé segarer plus loin devant un pub. Eileen atéléphoné à l'ambassade, pour expliquerla situation et demander que quelqu'unleur apporte sur place les papiers àremplir. Cela a pris une demi-heure.Après quoi le taxi est reparti à toute

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vitesse en direction de l'aéroport.

L'avion de la Lufthansa a atterri à Sanaa,où Jim Halley est venu chercher mamanpour l'installer dans un hôtel, près de chezlui. C'est de là qu'elle m'appelle.

De l'hôtel de Sanaa. Je l'entendsparfaitement cette fois.

- Nous devons rencontrer le ministre desAffaires étrangères demain. Je ne sais pass'il nous recevra, on prétend qu'il est trèsoccupé.

- Tu arrives quand?

- Je ne sais pas, il paraît qu'il y a dubrouillard à Taez, j'ignore si l'avionpartira avant un jour ou deux.

- On t'aime, maman...

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Il y a des jours où pleurer est un vraibonheur.

Abdullah, tout maigre, le teint gris, leregard en dessous, s'est assis à un bout dusalon d'Abdul Walli. Il regarde sessandalettes. Samir a posé son corpsénorme sur le bord d'un divan, ses jouesrebondies

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semblent

mâcher

perpétuellement du qat. Deux mainsgrassouillettes posées sur les genoux, ilregarde ailleurs, lui aussi.

C'est la première fois que maman les voit.Le coup d'œil rapide qu'elle a jeté sur euxest une condamnation de mépris, sansappel. J'ai lu dans ses yeux ce qu'ellepensait...

Ils sont médiocres, indignes, sans aucunintérêt. Ils pourraient être cousus d'or,cela ne leur donnerait pas pour autant ledroit d'avoir acheté ses filles. Ilspourraient être beaux, ils ne l'auraient pasplus. Ils l'ont compris, et se tiennent sur

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leurs gardes, préférant regarder le tapisou leurs chaussures que d'affronter ànouveau le regard de ma mère.

J'espère qu'ils se sentent humiliés.

Abdul Walli et sa femme nous ont donnél'hospitalité une fois de plus pour cettepremière confrontation, le jour del'arrivée de maman. Demain, nous devonsnous rendre au palais du gouverneur, avecles enfants, pour une réunion en présencedu consul de Grande-Bretagne et unofficiel yéménite.

On entendrait voler une mouche dans cesalon. Voyant que nous observons lesilence, toutes les trois, Abdul Walliemmène les deux « maris » dans une autrepièce, le salon ou l'on « chique ». Alors,

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débarrassées des deux potiches, nouspouvons enfin tout nous raconter.

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Maman

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a

apporté

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des

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jouets

d'Angleterre, une poupée pour Tina, uncamion avec des petites voitures pourHaney, et un manège pour Marcus. Unebouffée d'Angleterre me serre le cœur.

Birmingham, et notre enfance à nous. Lapoupée de Nadia, celle de Tina, alignéesdans la chambre, mes disques que j'avaistant de mal à éloigner de Mo, mon petitfrère. Mes bouquins. Notre enfance a étésaccagée, avant que nous en soyonssorties. Et nous voilà mères de famille.Maman, grand-mère... si jeune encore.Tina lui sourit en tirant sur les cheveux dela poupée. Ébahi, Marcus contemple cemanège de toutes les couleurs, en hésitantà le faire tourner. Il est pâlot et a toujours

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l'air triste avec son front trop grand et sespetits yeux cernés. Tina et Haney, eux,sont magnifiques de santé. Je les verraisbien courir dans un jardin anglais, aumilieu des fleurs.

Maman est épuisée, mais elle a meilleuremine que la dernière fois. Le combat lastimule.

Nous regagnons l'appartement « familial», où nous avons installé un lit à uneplace pour elle.

- Il n'est pas question que vous dormiezavec eux, en ma présence. Il faut que celacesse. Tant que je serai là, je ne veux pasvous voir dans la même chambre qu'eux.

- Maman, si quelqu'un le dit à Abdul

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Khada nous aurons des ennuis. Tu connaisleurs lois. Il est capable de revenird'Arabie Saoudite et de faire un scandale.

- Je me fiche pas mal de leurs lois. Vousêtes mes. filles, et il est hors de questionque ces types couchent avec vous.

Pourquoi as-tu encore peur de cethomme?

C'est vrai, même absent, il me fait peur,comme s'il allait surgir dans mon dos etme battre, menacer de m'attacher sur lelit, pour que son fils accomplisse ledevoir conjugal. Maman ignore unegrande partie de ce qu'il m'a fait. Un jourelle le saura, mais pas maintenant. J'aidéjà trop de mal à essayer d'oublier.

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Ainsi, Samir dort seul dans sa chambrecette nuit-là, et Abdullah dans le salon.

Nous nous entassons avec les enfants surdes matelas dans l'autre chambre. Ilsn'osent pas protester. Maman a dit un peufort :

- J'aime mieux ne pas les avoir en face demoi, en tout cas le moins possible.

Le lendemain nous nous habillons pourcette

réunion

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officielle

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chez

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le

gouverneur. Maman regarde nos robesnoires, les voiles, et se fâche. - -

Habillez-vous normalement, vous êtesanglaises, et libres... Qu'est-ce que c'estque cette tenue ?

- Maman... on ne peut pas. C'estimpossible de se présenter devant desgens aussi importants, en vêtementsoccidentaux. Ils n'aiment pas voir levisage des femmes, et... enfin c'est mieuxcomme ça. Nous ne voulons pas lesindisposer.

Il y a autre chose, que maman aurait dumal à comprendre. C'est que toutes cesannées d'habitude ici, de dissimulation,

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nous ont imprégnées plus qu'elle nel'imaginerait. J'aurais l'impression d'êtrenue, sans voile devant le gouverneur. Deplus, je sais parfaitement que nous neserons pas libres avant longtemps encore.Ce n'est pas la première étape officielle,et je ne veux pas les provoquer de cettemanière, au risque qu'ils renvoient mamanpar le premier avion, et nous renvoientaux villages.

Jim Halley, le consul de Grande-Bretagne, nous rejoint avant que nousnous rendions chez le gouverneur. C'estun homme à l'allure sympathique, trèsgrand, avec des cheveux courts d'un rouxflamboyant

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et

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un

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terrible

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accent écossais. La présence d'un homme,occidental, en complet, et qui parle notrelangue, est un réconfort considérable, unevraie sécurité, pour Nadia et moi. Il y ades années que nous n'avons pas côtoyéun homme « normal ». Je veux dire qui nese conduise pas comme un maître, enYéménite.

Le bureau du gouverneur est un immeublede quatre étages, moderne. On nous faitmonter deux étages, puis nous attendonsdans une vaste salle meublée de divansde cuir noir, de chaises, autour d'unimmense bureau. Presque aussitôt lapièce

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se

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remplit

d'hommes.

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Le

gouverneur,

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trois

secrétaires,

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le

représentant du ministère. Abdullah etSamir, d'un côté; nous de l'autre avec JimHalley et les enfants.

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Le

représentant

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du ministère,

fonctionnaire classique, sourire servile,regard froid, grand nez de fouine et laquarantaine distinguée, parle un anglaistrès convenable, et c'est lui qui entame ledébat. Il désire entendre notre version del'histoire, alors que nous avons déjà toutraconté plus de dix fois.

Marcus est infernal, il court partout envoulant jouer, et ne cesse de crier. Je nesais plus comment le tenir, et à unmoment, le gouverneur dit en arabe d'unton sec : - Fais-le taire!

Mais on ne peut rien faire, quand unenfant de l'âge de Marcus a décidé defaire le diable. Plus je l'empêcherai de

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bouger ou de crier, plus il en rajoutera.

D'ailleurs

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je

décide

d'ignorer

l'injonction, et Marcus se calme de lui-même au bout d'un moment. Haney estassis sur les genoux de Nadia, ses grandsyeux étonnés font le tour de tous ces gensinconnus. Tina dort, pelotonnée contre samère.

Je parle dans un silence presquereligieux, à présent. Les hommes ont latête baissée, comme des coupables, au furet à mesure que je décris la manière donton nous a traitées. Je m'efforce de ne pasêtre agressive, d'employer des phrasessimples et neutres.

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- Nous ne savions pas qu'on nous avaitmariées, avant d'arriver au Yémen. Onnous a forcées à coucher avec cesgarçons.

- Êtes-vous heureuses maintenant?

La question vient du représentant duministère. Je le regarde bien dans lesyeux, et réponds fermement : - Non.

Il se lance dans une explication des loisyéménites

sur le mariage, que j'ai entendue descentaines de fois déjà, et conclut par lamême mise en garde :

- Si vous deviez quitter le Yémen, vousne pourriez pas emmener les enfants.

Vous le savez?

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- Pourquoi ? Ce sont nos enfants. De toutefaçon, ils sont illégitimes. Ilsn'appartiennent pas à leurs pères, puisquenous n'avons jamais été mariéeslégalement avec eux. Ces mariages sesont faits sans nous, sans notre accord,alors pourquoi ne pourrions-nous paspartir avec eux?

Aucun homme d'ici n'aime entendre parlerune femme de cette manière, et ilscherchent tous à m'interrompre. Maisj'insiste résolument. Je dois le faire pourmoi-même et pour Nadia.

- Tout est faux dans ces mariages. Lespapiers sont faux, je ne suis mariée àpersonne, et ma sœur non plus. Nosenfants sont à nous seules.

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Jim Halley ne tente même pas dem'arrêter, je suis déjà allée trop loin. Lereprésentant du ministère demande laparole, pour exposer une hypothèse.

- Admettons que nous obtenions des visaspour vous tous. Iriez-vous en Angleterreavec vos maris ? Sinon, il n'y a aucunmoyen pour vous de prendre les enfants...Si vous partez avec les hommes, vouspourrez emmener les enfants.

Nadia me regarde, je la regarde, etensemble nous répondons : - D'accord.

On aurait accepté n'importe quoi poursortir du Yémen avec les enfants.

Il s'adresse ensuite à Sami et Abdullah : -Et vous ? Qu'en pensez-vous ?

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Accepteriez-vous

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de

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partir

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en

Angleterre avec vos épouses et vosenfants? Si c'est possible bien entendu...

Les deux garçons hochent la tête ensilence, seule marque de leur accord àcette proposition. Le représentant duministère a l'air soulagé d'avoir trouvéune solution possible.

- Bien, nous allons nous occuper desvisas des maris.

Cette conclusion signifie la fin de laréunion et nous sortons en bon ordre,tandis que je presse Jim Halley dequestions.

- Vous y croyez ? C'est possible ? Ça vamarcher ?

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- Tout dépend du British Home Officemaintenant, s'il accorde les visas auxgarçons, c'est possible... cela veut direaussi que vous devrez encore attendrecette décision, qui risque de prendre dutemps, mais je n'y crois pas beaucoup.

Je pense qu'ils vont refuser.

- Pourquoi? Pourquoi si c'est le seulmoyen de nous faire partir d'ici?

- Ils vont penser qu'il s'agit d'un complot,un plan organisé de longue date pourfaciliter l'entrée de vos maris enAngleterre.

- Mais tout le monde sait qu'on lesdéteste! Nadia et moi nous n'avons pasarrêté de le dire et de l'écrire, depuis des

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années...

- C'est un argument favorable en effet.

La solution est peut-être là... Je dois leurfaire

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remplir

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les

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formulaires

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de demande de visas, nous allons faire çatout de suite.

Les deux « maris » doivent apporter lapreuve qu'ils pourront subvenir à leursbesoins en Angleterre. Samir annonce àJim Halley qu'il possède douze millelivres économisées en Arabie Saoudite.

Abdullah pour sa part prétend que sonpère l'aidera,

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et

qu'il

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obtiendra

l'équivalent. On leur demande s'ils ontdéjà fait une demande de visa pourl'Angleterre. Pour Samir, la réponse estnon. Pour Abdullah également. Mon «

mari » a pourtant séjourné en Angleterrepour soigner sa maladie, et j'espère qu'ilne ment pas. Jim enregistre leursdéclarations telles quelles.

Il faut attendre six mois avant d'obtenirune réponse. Six longs mois... Devantmon air désespéré, Jim promet qu'il vatenter de faire accélérer les choses, etnous quitte.

Maman rumine quelque chose. Je laconnais, elle plisse les sourcils, ses yeux

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noirs se font petits, une lueur lestraverse... Elle ne veut pas parler devantles garçons. Mais une fois que noussommes seules dans l'appartement, entrefemmes et enfants, les garçons sortis à larecherche de qat, maman s'explique : -J'ai découvert qu'Abdul Khada et Gowadont fait une demande pour leurs fils, en1980... une demande de visas d'entrée enAngleterre, en s'appuyant sur le fait qu'ilsétaient mariés à des citoyennes

britanniques.

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Mais

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on

exigeait qu'ils se présentent avec leursépouses

à

l'ambassade

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pour

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un

interrogatoire commun. Bien entendu ilsne le pouvaient pas, cela mettait fin àleurs espoirs puisque les mariages étaientillégaux. Alors ils ont abandonné leuridée. Mais leur demande est toujours

à

Sanaa,

à

l'ambassade

britannique. Elle est restée sans suite.

C'est la preuve que votre père vous avendues à ces gens, essentiellement pourcette raison. C'est votre nationalité qu'il avendue.

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Si nous n'avions pas résisté, si je n'avaispas hurlé ma haine dès le premier jour, ilsauraient réussi. Je comprends mieuxmaintenant pourquoi Abdul Khàda a touttenté

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avec

moi.

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Les coups,

l'abrutissement de ces six mois à Haysdans son restaurant... Et le viol imposé,tout de suite, sous la menace, dansl'espoir que je sois enceinte très vite, etque ce soi-disant mariage devienneeffectif. Il s'en est donné du mal, avec cefils malade... Il a fallu cinq années avantque Marcus naisse.

Durant quatre semaines, maman resteavec nous dans l'appartement de Taez.

Nous protégeant de tout contact avecSamir ou Abdullah. Cela provoqueparfois des bagarres.

- Je vais le dire au gouverneur, il varenvoyer ta mère en Angleterre... Elle n'a

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pas le droit de m'empêcher de coucheravec toi...

- Cause toujours, petit singe... ton pèren'est pas là pour m'attacher au lit, ou mebattre. Il a trop peur, ton père...

En attendant toutes les rumeurs circulent ànotre sujet. On dit qu'Abdul Khada etGowad ont soudoyé le gouverneur et quenous ne quitterons jamais le pays... Ou, aucontraire, que nous partirons tous dans

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six

mois...

Quelqu'un

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nous

téléphone en affirmant qu'il connaît leprésident, et se fait fort de nous fairesortir du Yémen en une semaine... Unautre affirme que notre père

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a

envoyé

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une

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lettre

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au

gouvernement, pour lui garantir que nousne partirions jamais d'ici...

Aujourd'hui maman doit se rendre àSanaa en avion, récupérer son passeportsur lequel Jim a fait prolonger son visa.

Nous l'accompagnons toutes les deux àl'aéroport. Dans la salle d'attente des volsintérieurs, nos photographies sontaffichées,

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avec

l'ordre

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de

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nous

interpeller. Nous sommes signaléescomme fugitives... et les gardes doiventnous

empêcher

d'approcher

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des aéroports. Ces photos accrochées làaux yeux de tous sont la pire deshumiliations. Considérer comme descriminelles évadées de prison deuxfemmes qui veulent seulement retrouverleur pays d'origine! Les monstres... lesmonstres... On nous conduit de force,entre deux gardes, directement chez lechef de la police Abdul Walli.

- Pourquoi?

Je hurle de rage.

- Pourquoi?

- Tant que l'affaire ne sera pas régléeofficiellement, c'est ainsi. Une femme nepeut

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pas

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quitter

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ce

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pays

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sans

l'autorisation de son mari.

Par moments j'ai l'impression de baignerdans une mare d'hypocrisie immonde.

Une femme yéménite est de notre côté.

La présidente de l'association féminine deTaez. Celle-là même qui nous a déjàinterrogées. Moderne, jolie, arborant desvêtements occidentaux, éduquée,connaissant l'étranger, elle jouit d'unesituation sociale rarissime dans ce pays.

Un jour, je lui raconte que lors de sondernier accouchement, une vieille femmedu village a « opéré » Nadia pourfaciliter la sortie de l'enfant, quel'incision pratiquée a été faite avec une

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lame de rasoir, sans désinfectant, et queNadia en souffre toujours. La plaiesuppure en permanence. Elle propose denous emmener discrètement chez une deses amies médecin.

On nous fait subir un check-up dans uneclinique assez moderne. J'imagine quepour accéder à ce genre d'aide, il faut êtreriche, cultivée et avoir des relations.

Nadia souffre d'une infection, quinécessite un traitement antibiotique, qu'onlui remet aussitôt. Puis la femme médecinnous demande : - Vous utilisez desmoyens de contraception?

- Non.

- Mais comment faites-vous?

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- On essaye d'avoir le moins de rapportspossible...

- Vous avez de la chance de ne pas êtretombées enceintes plus souvent...

Elle donne à chacune une provision depilules,

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en

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nous

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expliquant

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bien

comment les prendre.

- Chaque fois que je le peux, j'en donneaux femmes d'ici. Le seul problème estd'éviter que les hommes le sachent... Ilsrefusent la contraception, alors que lamortalité infantile est terrible chez nous etque beaucoup de femmes meurent encouches, faute de soins appropriés, etsurtout d'information. En ville nousessayons d'améliorer cela.

Je pense aux femmes de Hockail et deAshube... A mon accouchement sur le sold'une maison fétide, puant l'étable et lafumée des torches. *A-cette femme quim'arrachait le ventre comme elle l'aurait

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fait à une chèvre... Ces petites pilulesbleues sont un cadeau magique.

Maman est aux anges, et désormaischaque soir, elle nous chuchote à l'oreille:

- Tu l'as prise? Tu n'as pas oublié?

Je me priverais de manger plutôt que dene pas avaler ma pilule. Même si mamandoit cette fois encore repartir et nouslaisser à la merci des garçons... Notreprovision est de six mois. D'ici là, nousaurons, fui le pays.

Cette pilule que j'avale, au nez et à lamoustache d'Abdullah, me redonne mapeau d'Anglaise. Il ne m'aura plus.

Un jour, sans avoir prévenu, mon frère

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Ahmed a sonné à la porte. Maman leregarde entrer et dit : - Bonjour,monsieur...

Ce grand garçon de vingt-cinq ans est uninconnu pour elle. Son fils. Je pousseAhmed dans le couloir.

- Maman, c'est Ahmed... Ahmed, c'estmaman... Je répète en anglais pour elle,en arabe pour lui,

et ils tombent dans les bras l'un de l'autre.Vingt-trois années les séparent.

Ils ne savent quoi se dire. Elle ledévisage, le touche, le palpe.

- Tu es beau...

Ahmed a un visage doux, un regard doux,avec des sourcils épais, en fort accent

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circonflexe,

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qui

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accentuent

encore cette douceur par contraste.

Même son sourire est gentil. Un petit airde famille avec Nadia, et par moments cemême regard triste. Maman est siheureuse qu'elle lui tourne autour sansarrêt. La conversation n'est pas facile, jedois leur servir d'interprète. J'ai déjàraconté toute l'histoire d'Ahmed à maman,mais elle veut savoir, et savoir et savoirencore. On ne peut rattraper vingt-troisans d'absence en quelques jours.

Ahmed est accompagné par un frère denotre père venu d'Arabie Saoudite. Il estplus jeune que lui, et lui ressemblebeaucoup physiquement, mais pas du tout

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moralement. De caractère vif, intelligent,notre oncle Kassan, en apprenant notrehistoire, fut extrêmement choqué par laconduite de son frère aîné.

Il est de notre côté sans équivoque.

Toute cette publicité autour de la famillelui a fait honte. Le nom de Muhsen a faitle tour des journaux, on dirait. Ahmed,lui, a quitté l'armée, et il a un but. -

Demande à maman si elle peut m'aider àpartir moi aussi. Je ne veux plus rester auYémen. Si je pouvais vivre enAngleterre... et travailler là-bas, je seraismoins malheureux.

Jim Halley est mis à contribution une foisde plus, mais dans le cas d'Ahmed c'est

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relativement simple. Il est sujetbritannique par sa mère, et lui obtenir unvisa n'est guère compliqué. Les hommesont plus de chance. Ahmed retrouverapeut-être l'Angleterre avant moi.

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Comment

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notre

père

a-t-il

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eu

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connaissance de la

décision d'Ahmed, c'est encore unmystère du téléphone arabe. Mais il semet à entreprendre tout ce qui est en sonpouvoir pour empêcher son fils de quitterle Yémen. Au début il me semble qu'il nepourra pas grand-chose depuisl'Angleterre. Or je me trompe.

Un matin mon oncle arrive chez nousinquiet, et nous demande si nous avons vuAhmed.

- Il a disparu depuis plusieurs jours, noussommes très inquiets.

Installés tous les deux chez des amis àTaez, une famille très occidentalisée, dontle fils est médecin, ils attendaient comme

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nous le résultat des démarches.

Ahmed n'est pas le genre de personne quipart sans prévenir.

Abdul Walli étant le chef de la police, etnotre seul véritable contact avec lesautorités, nous nous adressons à lui enpremier. Il n'est au courant de rien maispromet de se renseigner très vite, et l'unde ses indicateurs rapporte la nouvelle enquelques heures : Ahmed est en prison.Pourquoi ? Qu'a-t-il fait?

Mystère pour l'instant.

Sans attendre un instant, je décide quenous allons nous renseigner nous-mêmesà cette prison, et toute la famille, Nadia,maman, mon oncle et moi, y compris les

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enfants, nous embarquons dans un taxi.

A l'entrée, devant une immense grilled'acier, un garde porte un fusil enbandoulière. Je l'apostrophe au culot.

- Je voudrais savoir si Ahmed Mushen estici. Il paraît surpris qu'une femme luiadresse la parole dans la rue, mais semontre assez aimable.

- Je vais demander.

Quelques minutes plus tard, il est deretour.

- Il est-ici.

- Pourquoi l'a-t-on mis en prison?

- Je ne sais pas...

- Alors je veux le voir.

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- Non, c'est défendu. Il faut uneautorisation...

- Si, je veux le voir, c'est mon frère.

- Ce n'est pas la peine, il sera relâchébientôt.

- Qui vous a payé pour dire ça ? Ici toutle monde marche à l'argent. Il faut vouspayer pour le voir?

Une fois de plus la colère me fait hurlerdans la rue. Le garde pointe son fusil versmoi, en grondant : - Tu vas la fermer?

- Vas-y, tire! Allez, vas-y!

Mon oncle bondit du taxi et me prend parle bras en essayant de m'éloigner et de mecalmer.

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- Zana... Calme-toi... c'est inutile de criercontre un gardien. Il n'y est pour rien... tudeviens folle...

C'est vrai, par moments je deviens folle.

Je ne contrôle plus mes nerfs. Je rongemes ongles depuis des années ici.

L'insomnie m'a déglinguée. En cemoment, j'ai l'impression que toutes ceshistoires, ces palabres, ces attentes, vontm'achever.

Mon oncle me tire en arrière et m'oblige àremonter dans le taxi.

- Abdul Walli va s'en occuper. Si Ahmedn'a rien fait, il le fera sortir.

- Mais il n'a rien fait! C'est un coupmonté! Quelques heures d'angoisse plus

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tard, un policier d'Abdul Walli se rend àl'appartement et nous

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donne

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des

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informations

supplémentaires. Ahmed a été enferméparce qu'il aurait voulu nous kidnapperavec son oncle afin de nous faire sortir dupays! Convoqué par le gouverneur, il s'estprésenté à son bureau sans méfiance, eton l'a arrêté sur-le-champ.

J'avais raison. C'est un coup monté. Et jevais dire moi-même au gouverneur ce quej'en pense. Qui peut croire que mon frèreait voulu nous kidnapper ?

Je pars avec Nadia, en laissant les enfantsà maman. Nous franchissons les barrièresde sécurité, grimpons les étages, etlorsque la secrétaire du gouverneur, cellequi nous a interrogées chez Abdul Walli,

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nous fait entrer dans son bureau je suistellement en colère que je ne fais plusattention à ce que je dis. Nadia me tire unpeu par la robe, la secrétaire tente de mecalmer, nous offre du thé. Mais rien n'yfait.

- Je veux qu'on fasse sortir mon frère deprison! Vous entendez ? J'en ai marre detoutes ces histoires, on nous prend pourqui? Pour du bétail?

- Mais je ne peux rien faire, il fautattendre...

- Je refuse d'attendre, j'en ai assezd'attendre. J'attends depuis des années derentrer chez moi! Je n'attendrai pas uneminute de plus!

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Pendant que je vitupère ainsi, quelqu'un adû contacter Abdul Walli, car il débarquefurieux dans le bureau de la secrétaire.

- Qu'est-ce qui vous prend d'agir ainsi?

Vous êtes folles toutes les deux!

Personne ne vous a autorisées àintervenir...

- Je m'en fiche complètement de vosautorisations.

- Venez avec moi immédiatement.

- Je n'irai nulle part tant que mon frère nesera pas dehors.

Le chef de la police de Taez n'a sûrementjamais eu affaire à une fille comme moi.Nous nous affrontons du regard quelques

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secondes... puis il cède.

- Alors viens, on va le chercher.

J'ignore si mon intervention a réellementgêné leur petit complot, peut-être ont-il eupeur que la presse ne soit mise aucourant,

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par

l'intermédiaire

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de

l'ambassade.

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En

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tout

cas,

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nous

retournons aussitôt à la prison en taxi.

Abdul Walli se rend seul dans les bureauxde l'administration, et une demi-heureplus tard, il ressort avec Ahmed.

Mon frère s'engouffre aussitôt dans lavoiture, pâle, et terriblement secoué.

- Un garde m'a battu. Ils m'ont menacé.

Ils m'ont dit d'arrêter de me mêler de vosaffaires... Que ça ne me regardait pas... Jen'ai rien fait... Je n'ai rien compris à toutça...

Je rumine contre ces gens, ces officiels,ces policiers, ces gouverneurs qui fontexactement ce qu'ils veulent, sans

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preuves, sans avocats, sans rien... Icil'individu est à leur merci, et nous aussi.

Nous n'avons pas fini d'avoir affaire à lapolice. Un matin, alors que nous sommesseules avec maman dans l'appartement, onfrappe à la porte. J'ouvre, c'est unpolicier en uniforme, béret sur la tête etfusil dans le dos. On dirait toujours qu'ilss'apprêtent à tirer... Derrière lui, unhomme en djellaba blanche, l'air méchant,la voix courroucée.

- Votre mère est là?

- Elle est là-bas.

J'indique à l'homme la pièce où nousvivons, encombrée de matelas, aux mursnus, sans aucun meuble.

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L'homme avance et s'adresse à maman surun ton emprunté et en mauvais anglais : -Myriam Ali... je vous signale votre visatouriste pour le Yémen expiré!

Vous enfreindre la loi!

- Pas du tout, il n'est pas expiré. Il mereste quatre jours...

- Savez-vous ce qui arrive quand vousdépassez la date limite?

Le policier à ses côtés saisit son fusil, ledoigt sur la gâchette.

Maman refuse de se laisser intimider etrépète sûre d'elle : - Mon visa n'est pasexpiré.

- Donnez votre passeport!

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Maman lui tend son passeport, et il se metà le feuilleter avec circonspection.

Maman insiste :

- Qui vous envoie? Il ne répond pas.

- Rendez-moi mon passeport! Et sortez decette maison. J'ai encore quatre jours, etje ne partirai pas avant! Ce que vousfaites est ridicule!

L'homme en djellaba blanche lui rend lepasseport l'air furieux, claque les doigtsen direction du policier, et ils sortent tousles deux.

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Cette façon grossière d'essayerd'intimider les gens, nous commençonsmalheureusement à en avoir l'habitude.

Il ne reste plus que quatre jours à maman.Quatre pauvres petits jours. Et c'est justeavant son départ que nous apprenons ladernière nouvelle. Le British HomeOffice retourne les demandes de visas denos « maris ». Ils ont menti tous les deux.Samir n'a pas d'argent, et aucun moyen desubvenir à ses besoins en Angleterre.Quant à Abdullah, il a menti en prétendantne jamais

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avoir

demandé

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de

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visa

auparavant.

Demandes refusées. Jamais nous nepartirons avec les enfants. Si nousobtenons l'autorisation pour nous, ilfaudra les laisser au Yémen.

Partir en laissant Marcus derrière moi,c'est difficile à envisager. L'idée meronge. « Ce pauvre petit bout qui marchetout juste, qui a tant besoin de moi, quipleure dès que je vais quelque part sanslui... Et Nadia... »

Maman s'en va. Elle n'a pas le choix, etde toute façon, il vaut mieux qu'elleretourne en Angleterre pour nous aider;ici, elle ne peut pas grand-chose. Mais sa

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présence à nos côtés était un tel réconfort.Une telle muraille vis-à-vis des deux «autres ». Les « maris »

menteurs, lâches. Ils ont menti exprès.

Abdul Khada est à la tête d'une sorte demafia d'hommes, dont mon père faitpartie. Ils peuvent mettre Ahmed enprison, ils peuvent nous faire chanter. Ilspeuvent tout.

Cette fois, nous sommes autorisées àaccompagner maman, dans la Land Roverd'Abdul Walli, jusqu'à l'aéroport de Taez.Les « maris » nous accompagnent. Lebâtiment est tout neuf, en verre, et l'onpeut voir les avions atterrir et décoller.

Il nous reste maintenant dix minutes avant

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le départ. Dix minutes durant lesquelles

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nous

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avons l'horrible sensation d'êtrecondamnées à vivre à perpétuité dans cepays. Lui dire au revoir, l'embrasser, laregarder marcher vers la ported'embarquement, vers cet avion... Alorsque nous ne voulons qu'une chose depuissi longtemps, monter dans un avion, nousaussi, avec elle. Filer dans ce ciel... MonDieu, filer si loin que le nom de cemaudit pays n'existe plus dans ma tête.

Nadia pleure et Haney éclate en sanglotsen même temps que sa mère; il a trois ans

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et

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commence

à

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comprendre

beaucoup de choses. Maman est partie enpleurant, s'est retournée en pleurant pourdire :

- Ne vous inquiétez pas... c'est pourbientôt, je vous le jure...

Abdul Walli l'accompagne jusqu'à ladouane, et nous restons de l'autre côté dela paroi de verre, à faire des signes, lesenfants dans les bras.

- Mamy s'en va, Marcus... Dis au revoir àMamy.

Samir et Abdullah ont dit au revoir, euxaussi, en hypocrites. Ils nous récupèrentmaintenant. Avec leurs mensonges.

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Nous attendons que l'avion s'envole, qu'ilpasse au-dessus de nos têtes, qu'il ne soitplus qu'un petit point.

Il faut rentrer. Sur le chemin de l'aéroport,la voiture nous arrête dans un parc où ungrand manège pour les enfants a étéconstruit.

Samir et Abdullah jouent aux pères defamille, pour la première fois. Les enfantss'amusent, et nos « maris »

s'amusent aussi. Pour leurs enfants ilssont plus des frères que de véritablespères. Abdullah n'a jamais témoigné unemarque d'affection à Marcus. Il ne lui ajamais acheté un vêtement; si l'enfant abesoin de quelque chose je dois toujoursle lui demander. Je crois qu'il ne s'est pas

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rendu compte qu'il était père. Ou bien çane l'intéresse pas. Pour lui, son filss'appelle Mohammed, c'est à peu prèstout ce qu'il sait.

Ce parc, ce manège, les enfants qui jouentavec leurs pères, et nous deux quiregardons en silence, le cœur gros.

Scène factice de vie familiale auYémen... Tandis qu'un avion vole versl'Angleterre.

Qui peut savoir que, derrière le voilenoir, les femmes pleurent, et pourquoielles pleurent ? Mais les enfants se sontbien amusés.

Marcus est très malade. Il ne mange plus,a beaucoup maigri, et je le vois s'affaiblir

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de jour en jour, sans rien y comprendre.On dirait que la vie le quitte lentement.Cette fois, Nadia et moi l'emmenonsnous-mêmes à l'hôpital.

« Les Anglaises de Taez » sont désormaisfameuses pour la plupart des gens del'administration, et même dans la rue.Avec ou sans voile, on nous reconnaît.Cette notoriété équivoque s'avère utile,car on me dirige directement vers lebureau d'un médecin pour examinerMarcus, alors que la longue file d'attentehabituelle s'étire dans les couloirs.

Ce médecin que je n'ai jamais vu semblelui aussi me connaître. Rien ne me ditqu'il est réellement médecin, d'ailleurs,c'est peut-être un simple infirmier. Mais

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ça m'est égal, je veux simplement savoirde quoi souffre mon enfant, et qu'on lesoigne.

Le médecin nous emmène dans une salleéquipée comme un laboratoire, où l'onfait des radios et des prises de sang. Il estjeune, la trentaine, grand, blond etsympathique. Il semble surpris par monintrusion

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et

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examine

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attentivement

Marcus.

- Il est très faible. Avant toute chose, ilfaut analyser son sang.

- Qu'est-ce qu'il a?

- Je ne peux pas vous répondre. Il faut unexamen.

Marcus geint, sous la piqûre. On luiprélève plusieurs échantillons de sang. Ilest si pâle que j'ai l'impression qu'on luienlève les quelques gouttes de vie qui luirestent.

- Revenez demain pour les résultats, nousverrons ce qu'il faut faire. Et présentez-vous directement ici, inutile d'attendre.

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Le lendemain, après une nuit d'angoisse àsurveiller Marcus, je me retrouve devantle médecin, et son air sérieux me glace lecœur.

- Qu'est-ce qu'il a?

- Il a besoin d'une transfusion d'urgence,c'est grave. Il n'est pas loin de la mort,mais il a de la chance, on peut le sauver.

Si vous ne l'aviez pas amené ici, iln'aurait pas résisté longtemps.

- Comment se procurer du sang ici?

En Angleterre, dans les hôpitaux, ontrouve du sang sur place, mais au Yémen,il n'y a rien de tel.

- Le mieux serait de prendre du sang àson père. Si le groupe est compatible...

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- Je ne veux pas. Je refuse qu'il reçoivequoi que ce soit de son père.

Abdullah a été opéré en Arabie Saoudite,et Dieu sait quel sang douteux il a reçu entransfusion... Le trafic de sang danscertains pays est un danger public. Deplus la seule idée que mon enfant soitainsi lié à l'homme que je déteste merévulse. Je ne l'exprime pas devant lemédecin, mais il semble comprendre marépugnance.

Mon groupe, que je connais depuisl'école

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en

Angleterre,

n'est

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pas

compatible. Le médecin prend unedécision :

- Votre enfant et moi partageons le mêmegroupe. Je vais refaire un test parsécurité, et si ça marche, je lui donneraimon sang.

Un second médecin vient lui prendre unsachet de sang, l'opération se fait en unevingtaine de minutes. Cet homme estmerveilleux. Pourquoi fait-il cela ? Il nedoit pas donner son sang à tout le monde,c'est impossible. J'imagine qu'informé denotre situation, il s'efforce de réparer à samanière le mal qu'on nous a fait ici.

On allonge Marcus sur une table

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d'auscultation. Il est si faible qu'il neparvient plus à ouvrir les yeux. Lemédecin cherche une veine sur ce petitcorps fragile dont la peau est devenuegrise, blême. Les bras sont trop maigres,il ne trouve pas de veine suffisammentapparente et solide pour supporter latransfusion. Seule une veine du front estparfaitement visible, en relief sous lapeau fine.

- On va injecter le sang par là, c'est laseule solution.

L'aiguille s'enfonce, tout mon corps seraidit, et Marcus se met à crier et à sedébattre. Je dois le maintenir entre mesbras, je dois regarder le sang couler dansla tête de mon enfant, lentement, tout en

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l'empêchant de bouger. C'est terriblementimpressionnant, la peur que l'aiguille sedéplace, que le sang précieux s'écouledans le vide... Au bout de quelquesminutes, Marcus s'endort, et la transfusioncontinue. Nous restons là deux heures. Ilest dans mes bras, mon visage est penchésur le sien, je respire doucement, guettantle moindre de ses réflexes, surveillant lalente progression du sang rouge dans letube jusqu'à l'aiguille.

Et durant ces deux heures, je souffre d'uneculpabilité monstrueuse. Je vais bientôtl'abandonner. La décision de partir, en lelaissant ici, je l'ai prise au fond de moi,depuis longtemps. Mais là... de le voir

dans cet état, en sachant qu'il sera seul à

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l'avenir... entre quelles mains ? Soignécomment ? Et s'il mourait? S'il mouraitmême maintenant. Là dans mes bras...

l'horreur me pétrifie.

Nadia attend dans un coin de la salle,nous n'avons prévenu personne. Je nevoulais pas que le père sache, et s'enmêle, je ne voulais pas qu'on lui prenneson sang. Je le vois malade, son sang,pourri, mauvais. C'est plus fort que moi,je n'aurais pas supporté qu'il lui en donneune seule goutte. Mais à présent, il mefaut de l'aide pour transporter mon fils.Nadia retourne à l'appartement, pourdemander aux garçons de quoi payer untaxi.

Elle revient avec Abdul Walli, qui a l'air

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furieux de mon initiative. Nadiam'explique qu'elle n'a trouvé personne àla maison, ils devaient être partis mâcherdu qat quelque part. Discuterinterminablement entre nommes, je medemande bien de quoi. Boire du thé,mâcher du qat, palabrer, prend tout leurtemps,

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et

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que

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les

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femmes

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se débrouillent.

Abdul Walli veut savoir ce qui se passe,mais je n'en sais pas grand-chosefinalement. De quoi souffre mon fils? Lemédecin, venu régulièrement surveiller latransfusion, ne m'a rien dit sinon qu'ilavait besoin de sang.

Il devait avoir raison d'ailleurs puisqueMarcus reprend peu à peu des couleurs.

Les joues blêmes sont devenues roses.

Le visage est moins crispé, il dort,détendu, sa respiration est calme.

Nous le ramenons à l'appartement, et lesjours suivants, il reprend régulièrementdes forces, mange normalement. En leregardant jouer à nouveau par terre sur le

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matelas avec le petit manège de toutes lescouleurs que maman lui a apportéd'Angleterre, l'angoisse me reprend. Ilaura les mêmes problèmes de santé queson père,

peut-être

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la

même

malformation, qui rendra nécessaire uneopération. Je ne connais pas grand-choseà la médecine, et encore moins depuisque je suis prisonnière au Yémen.

Lorsque je suis malade moi-même, jerésiste seule le plus longtemps possible.

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Aucune

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confiance

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dans

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leurs médicaments, leurs décoctionsbizarres.

J'ai

souffert de la malaria et m'en suis sortiequasiment seule. J'ai souffert de beaucoupde choses, sans même le dire.

Le médecin du village m'a aidée quelquetemps, surtout à dormir... Pour le reste, jeme suis endurcie, tout en moi est devenupierre solide. Je peux résisterphysiquement à beaucoup de choses, jem'en suis rendu compte.

Toutes les angoisses et les peurs que jedissimule dans ma tête, je n'en parle pas àNadia, trop fragile. Et en dehors d'elle, iln'y a personne. A maman ellemême je n'ai

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pas tout dit de mes souffrances. Il y a

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des

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choses

inexprimables.

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La

souffrance de devoir laisser Marcus, lejour où je quitterai ce pays, est l'une deces choses inexprimables. Indicibles.

Ma seule certitude, c'est qu'en tant quegarçon, il ne souffrira pas. Laisser unefille dans ce pays, j'ignore si je lepourrais. Je ne sais pas. Je ne crois pas.

Mais laisser un garçon solide et en pleineforme serait plus facile que d'abandonnerun être faible qui devra lutter pour lavie...

Notre situation s'est figée depuis quelquessemaines. Une complication à layéménite, quasiment inextricable.

Du côté de Nadia, le problème est

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relativement clair si j'ose dire. Nousavons appris par Jim Halley que Samirpouvait finalement obtenir un passeportanglais car son père Gowad s'était vuconférer

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la

nationalité

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britannique

récemment. Un comble! Mais Samir nesemble pas pressé d'aller réclamer cepasseport à l'ambassade. Il me sembleque c'est une chance pour Nadia. Ellepourra quitter ce pays la première, etavec ses enfants.

Je préfère partir après elle, redoutanttoujours qu'elle n'ait pas la volonté de sebattre seule. Je harcèle Samir, d'autantplus que mon propre passeport est prêt àl'ambassade de Sanaa. Maman avaitlaissé nos papiers à Jim de peur qu'ici, àTaez, nous ne nous les fassions voler etqu'ils ne disparaissent comme lesoriginaux.

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Finalement Samir se décide. Nous allonspartir à Sanaa, dans la Land Roverd'Abdul

Walli,

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et

récupérer

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les documents. Abdullah ne vient pas, jene sais même pas où il est, il a quittél'appartement sans laisser de message.

Personnellement ça ne me gêne en aucunemanière. Il ne sert à rien, il peut biendisparaître où il veut.

Nous partons très tôt le matin commed'habitude. La route de Taez à Sanaa estasphaltée, le voyage dure environ quatreheures. En fin de matinée, nous arrivonsdans la banlieue de Sanaa, où AbdulWalli a une maison, plus petite que cellede Taez, mais tout aussi belle. Il fait froidet humide dans la capitale. Froid ethumide dans la maison qui n'a pas étéhabitée depuis plusieurs mois. Noussommes dans un quartier riche, toutes les

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demeures voisines sont entourées de hautsmurs, l'architecture est superbe.

Les.

façades, ornées

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de

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dessins

géométriques peint en blanc, soulignentchaque étage, chaque fenêtre. Certainessont décorées d'albâtre translucide. Lesplus luxueuses possèdent des fenêtres àdoubles vitraux. Le soir, les lumières fontresplendir chaque carreau. Un décor d e sMille et Une Nuits, Le contraste entre lequartier riche et les quartiers pauvres esténorme, ici comme à Taez Abdul Walliest fier de sa maison ; ses voisins sont unavocat, un médecin, un industriel... C'estdonc là que nous devons attendre lespasseports.

Bientôt Samir revient de l'ambassade etnous fait part d'une complication. Sonpère n'a pas rempli un document

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indispensable et refuse manifestement dele faire.

Il semble évident que Gowad ne veut pasde Nadia en Angleterre, c'est pourquoi ilempêche son fils d'obtenir ses papiers.Pour sortir du pays, avec ses enfants,Nadia doit en effet figurer sur lepasseport de Samir. A moins qu'ellen'accepte de partir seule...

Comme moi. C.Q.F.D. Le filet tenduautour de nous est toujours le même, quoique nous fassions. Nous attendons tout demême qu'on nous délivre nos passeportspersonnels. C'est quelque chose unpasseport.... Depuis mon départ en «vacances » en 1980, je n'ai jamais revu lemien.

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Nous devons partir à Taez demain, et pluspersonne ne parle de nos papiers.

Les miens ne sont pas encore prêts.

Abdul Walli doit les faire tamponner ouje ne sais quoi. Maman m'a pourtantannoncé dans une lettre que tout était enrègle. On dirait que nous sommes venuesinutilement, et je ne peux rien faire pouraccélérer les choses. Je l'attendais cepasseport comme un trésor. J'en rêvais, jele voyais déjà dans mes mains, avec tousses tampons, petit livre de la liberté.

La Land Rover nous ramène à Taez etAbdul Walli me montre un document,couvert d'une écriture arabe.

- C'est ton divorce.

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Il remet immédiatement le papier dans sapoche.

- Quel divorce?

Je suis sous le choc. Personne ne m'ajamais parlé de divorce.

- Pourquoi ai-je besoin d'un divorce ? Jene suis même pas mariée.

- Tu es ici depuis assez longtemps pourconnaître nos usages. Il te faut undocument prouvant que tu n'es pas mariée.Quand le divorce sera prononcé, tu seraslibre de vivre où tu veux. Ici à Taez avecMarcus, ou alors... en Angleterre, sanslui. Ce sera à toi de choisir.

- Et Nadia?

- Nadia reste ici avec son mari pour

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l'instant.

- Mais qui a décidé de ce divorce?

Abdul Walli a un geste fataliste.

- Peu importe, il te faut ce divorce detoute façon...

Apparemment,

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le

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gouvernement yéménite en a assez de moi.Le ministre des Affaires étrangères a priscontact avec l'ambassade britannique, enlui donnant le choix : ou Abdullah signeun papier m'autorisant à quitter leYémen...

ou il accepte le divorce.

Abdullah a accepté le divorce. Je medemande comment ils ont pu l'enpersuader. Son père était contre, et il en asi peur! Je vais interroger l'un despoliciers d'Abdul Walli,

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assez

compréhensif et qui m'a déjà renseignéplusieurs fois sur les rumeurs et lesrebondissements de notre affaire.

- Ils ont mis Abdullah en prison. Il estenfermé quelque part à cinq heures deroute de la ville.

- C'est pour ça qu'il n'est pas venu àSanaa, il est toujours enfermé ? Maispourquoi ? Qu'est-ce qu'il a fait?

- Rien... Sauf qu'il refusait de signer. Il necessait de pleurer dans sa cellule, sonpère lui avait interdit de divorcer. Il afallu le convaincre...

- Ça veut dire qu'on veut se débarrasserde moi ? Mon informateur ne peut

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répondre à ce genre de question. MaisAbdul Walli le peut, lui.

Il savait tout et ne m'a rien dit. Cettefaçon de nous maintenir dans uneincertitude permanente est effrayante.

M'emmener à Sanaa, chercher unpasseport qui n'existe pas, tout en sachantqu'Abdullah est en prison...

- Abdul Walli, c'est vrai qu'Abdullah esten prison ?

- C'est vrai, mais il va sortir.

- Pourquoi ne m'avoir rien dit?

- Parce qu'il refusait. Il a refusé un bonmoment. Ce n'était pas utile de t'eninformer avant. Son père n'était pasd'accord, et les fils...

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Obéissent à leur père. Refrain connu.

- Mais encore une fois, je ne suis mariéelégalement à personne!

- Tu as signé un papier il y a six mois enarrivant ici...

- C'était pour avoir la garde des enfants,juste un papier administratif... vous aviezdit qu'il n'y avait pas d'autre solution, à cemoment-là...

- Donc tu étais mariée, et maintenant tudivorces.

Subtil. Je n'en peux plus de tous cespapiers, de toutes ces tractations, cesdissimulations... La seule chose qui mefasse sourire intérieurement, c'est la têted'Abdul Khada en ce moment. Pour

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remarier son fils il aura beaucoup de mal,et il lui faudra beaucoup d'argent.

Plus qu'il ne pourra jamais en trouver.

Qui voudrait épouser Abdullah?

- Donc je peux partir ? Dès que j'auraimon passeport ?

- Tu dois attendre trois mois.

- Pourquoi trois mois?

- Pour que nous soyons certains que tun'es pas enceinte.

Mes pilules ne m'ont jamais quittéedepuis le départ de maman. Mais il n'apas besoin de le savoir maintenant.

- Ensuite tu devras laisser Marcus à tasœur.

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- Comment être sûre que c'est elle qui legardera?

- En fait il devrait retourner chez sesgrands-parents puisque tu divorces.

Mais Nadia est ta famille...

« Ward... l'horrible Ward et ses petitsyeux méchants, s'occupant de mon fils.

Le fils de la ! putain blanche "... »

- Promettez-moi une chose. Que Nadiareste à Taez. Si elle reste en ville, ils neviendront pas le chercher.

- C'est promis.

Promis par Abdul Walli. Il faut bien mecontenter de cela. Il est chef de la police,il nous a aidées. A sa manière, mais cette

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manière était tout de même précieusedans le désert où nous nous trouvions.

Marcus. Ma tête ne veut plus penser, ellen'a plus de plan, plus d'échappatoire àproposer. Marcus grandira sans moi.

Avec Nadia, c'est une sécurité. Et j'espèresimplement que, lorsqu'ils laisseront masœur s'en aller avec ses enfants, Marcuspourra la suivre.

Nous avons ce soir une grandediscussion, elle et moi.

- Je n'ai pas peur que tu partes, Zana.

Fais ce que tu peux là-bas pour meramener en Angleterre. Je sais que tuferas tout. Tu es si forte.

- Mais tu n'as pas de passeport, celui de

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Samir n'est pas fait, Gowad refusetoujours de signer les papiers.

- Là-bas tu pourras les convaincre. Pars,Zana, il n'y a que toi qui puisses arrangertout ça. Pars... je garderai Marcus, je lesoignerai, je te donnerai de ses nouvelles,je t'enverrai des photos, il sera commemon fils. Pars...

Avril 1988.

On dit que je suis vraiment divorcée.

J'ai posé la

question à tous les gens que j'ai purencontrer, chez le gouverneur, chezAbdul Walli. Tous m'ont répondu : «

C'est vrai. » J'ignore si Abdullah est sortide prison, j'ignore s'il est retourné en

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Arabie Saoudite, j'ignore tant de choses;tant de choses se font faites sans moi,malgré moi, contre moi. Dans ce dédalede mensonges et d'hypocrisie, j'ai souventcru devenir folle. Par moments, je l'aisûrement été.

Vendue, violée, mariée et divorcée, mèrede famille, tout cela de force.

Quand j'avais quinze ans à Birmingham,et que nous habitions Sparkbrook, au-dessus du petit bistrot de fish and chipsde mes parents, je rêvais à Mackie. Jem'échappais sous tous les prétextes pourle rejoindre, je racontais que j'allais fairedu baby-sitting chez une copine et nousallions danser le samedi soir. Quedansait-6n déjà en 1980? Le disco, le

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rock et le reggae. Que danse-t-onmaintenant en Angleterre ? J'ai vingt-quatre ans, et je n'ai plus dansé, je n'aiplus aimé depuis longtemps. Mackie, monboy-friend, a dû rencontrer beaucoup dejolies filles.

Si je me regarde dans la glace miteuse decet appartement miteux de Taez, je voisune femme. Les traits tirés, les yeuxbattus, le cheveu triste. Mes mains portentencore des traces de henné; j'acceptais dem'en mettre au village pour ne pas vexerles autres femmes.

L'Angleterre,

Birmingham,

maman,

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Mackie, mes soeurs et mon frère, lescopains, l'école, le parc avec labalançoire... J'ai tant voulu retrouver toutcela depuis huit ans, et voilà que je nem'en souviens presque plus. Des imagescomme des cartes postales oubliéessurgissaient parfois la nuit, quand je nedormais pas au village. Je voyais une rue,pleine de boutiques, des vitrines rempliesde robes, de jeans et de tee-shirts, debelles chaussures à talons. Un magasin dedisques, d'où sortaient des bouffées demusique. Mais je ne voyais plus lesvisages, ils étaient flous. Celui de mameilleure copine Lynette, par exemple...Elle riait, je riais avec elle... Je ne saisplus de quoi.

Lynette a dû changer, m'oublier. Peut-

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être a-t-elle des enfants et un mari, unvrai, dans une maison à elle.

Marcus va bien. Nadia me dit : « Pars...

et fais-nous tous revenir... »

Avril 1988 et je n'ai toujours pas denouvelles de mon passeport. Il paraît qu'ilest retenu par les autorités du Yémen, il ymanque un tampon. Un coup de tampon, etje devrai abandonner Marcus. Je le dois.Si je ne sors pas d'ici, personne jamaisn'en sortira. Si je ne sors pas d'ici, jemourrai sous ce voile.

Abdul Walli vient d'arriver. Nadia lereçoit, les enfants accrochés à ses jupescomme toujours. Je regarde notreprotecteur s'installer sur les pauvres

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matelas qui nous servent de mobilier, decoussins, de tapis, et accessoirement delits. Je le regarde en me demandant quelpiège « on » m'a encore tendu.

- Tu pars dans deux jours à Sanaa. Tupeux faire ta valise.

Je reste un moment sans voix. Il a réussi.

J'ai réussi ?

- Je pars vraiment? Vraiment, vraiment?

- Tu pars. Je vais te donner un peud'argent, pour le voyage, et pourrapporter des cadeaux à ta famille enAngleterre.

Dès qu'il a tourné le dos, comme desfolles nous sortons faire quelquescourses, Nadia et moi. Mille riais... des

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petits billets, de jolis petits billets, milleriais, et je pars... Je danserais dans la rue,si c'était possible. En une secondej'oublie tout, comme une gamine. Mesangoisses pour Marcus et l'avenir. La joiem'étouffe, à en pleurer. Je pars, - Je vaisme battre pour toi là-bas. J'irai voir toutle monde, je remuerai tous ces gens. Ilfaut qu'ils sachent. Il faut qu'ils interdisentce trafic. Vendre des filles pour avoir lanationalité anglaise. Je dirai tout, surnotre père, sur les tribus du Maqbana...sur l'esclavage des femmes.

Nous achetons des petits flacons deparfum pour maman, Ashia et Tina. C'estla première fois que nous avons del'argent. Il me faut des vêtements pourpartir, quelque chose qui ressemble à un

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vêtement européen. Je découvre une sorted'imperméable

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qui

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descend

jusqu'au genou, et un pantalon. Il fait froidà Sanaa. Le vent nous glace les joues.Mille riais... il ne faut pas tout dépenser.Nadia doit garder ce qui reste.

Elle a l'air heureuse, confiante.

- Tu devrais acheter ce petit sac enéponge pour le voyage.

Lorsque nous rentrons et que Samir estmis au courant, il déclare solennellementque, dès qu'il aura son passeport, Nadiaet lui viendront me voir avec les enfants.

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Je

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veux

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le

croire. Après

tout,

l'Angleterre est aussi son rêve. Il arriveraà convaincre son père. Nadia a l'air d'ycroire, elle aussi. Il faut croire.

J'ai toujours cru, moi.

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Je

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fais

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ma

valise.

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Ma

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valise

d'Angleterre. La même qu'il y a huit ans.

La seule chose qui me reste, remplie desvêtements que je portais alors. Ma jupe àfleurs...

Les cadeaux prennent toute la place. Jemarche dans un rêve.

- La pire des choses, c'est de te laisserici, Nadia.

- Je tiendrai. Je t'attendrai. Ce n'est pluspareil maintenant.

C'est vrai, ce n'est plus pareil. Nousexistons, le monde extérieur nous connaît,sait où nous sommes. Pour ma sœur et lesenfants, je ne céderai jamais.

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La Land Rover attend. Abdul Walli yglisse ma valise, tandis que je porteMarcus dans mes bras. Un policier enarme nous accompagne. Je me fais l'effetd'une prisonnière, qui marche vers laliberté, ou d'une espionne qu'on vaéchanger. Mais mon fils, ma sœur et sesenfants sont gardés en otage. Je la paye auprix fort cette liberté de me battreailleurs, dans mon pays.

Nadia m'embrasse. Il faut partir, lechauffeur nous presse. Mes idéess'embrouillent, à l'instant où je faisglisser Marcus encore endormi dans lesbras de Nadia.

- Vas-y... allez... vite!

- Le gouvernement m'aidera, j'en suis

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sûre.

- Moi aussi... Vite... Dépêche-toi de nousfaire sortir...

Mon Dieu, toute cette peine. Marcus meregarde, il s'est réveillé. - Vite... J'aiconfiance.

Le soleil n'est pas levé, la Land Roverdémarre dans la nuit. Je me retourne et nevois rien dans la ruelle sombre.

Marcus n'a pas pleuré. Il ne pleure pasquand il est dans les bras de Nadia. Il esttoujours sage avec elle. Il ne souffrirapas, il est" trop petit, il ignore ce qui sepasse. Un jour, je lui raconterai sonhistoire.

Personne n'a pleuré. Il ne fallait pas.

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Nous arrivons à Sanaa à l'aube, la LandRover se gare devant l'aéroport, et jefonds en larmes.

Il n'y a qu'un seul vol direct par semainepour Londres. C'est le mien. Je n'arrivepas à y croire. C'est là, devant ce guichet,dans cet aéroport où je suis arrivée àseize ans, que je commence à me rendrecompte de ce qui m'arrive. Je vais quitterle Yémen, quitter Nadia, Marcus et lesenfants. Je vais monter dans cet avion.

Abdul Walli règle les formalités,j'attends.

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Et

l'angoisse

réapparaît.

Quelqu'un

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va

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venir

m'arrêter,

brandissant ma photo et criant que je suisune espionne, ou une évadée. Mon dos estsi raide qu'il me fait souffrir. Je tiens mavalise comme une protection contre mapoitrine. Tout est en règle, on pèse monbagage, on me le prend. Je suis là, plantéedans cet aéroport, les bras ballants, monpetit sac sous le bras, à guetter je ne saisquoi. La peur.-Je guette la peur qui peutrevenir d'une minute à l'autre.

Abdul Walli revient avec un homme enuniforme et me tend un bulletin bleu, queje dois remplir.

- Pour quoi faire?

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L'homme en uniforme se contente derépondre : - Dépêchez-vous, nous enavons besoin tout de suite.

Les questions sont simples. Nom, prénom,date de naissance, lieu de départ, lieud'arrivée. Londres est mon lieu d'arrivée.J'écris Londres, en lettres capitales etGrande-Bretagne.

Abdul Walli me tend mon passeport. Jel'ai. Il est là entre mes mains, rouge foncé,cartonné, tamponné, avec une photo priseà Taez, avec maman. Je l'enfouis dansmon sac, et coince le sac sous mon bras.

Il faut attendre, maintenant, à la cafétéria.Une demi-heure passe durant laquellemon cerveau fonctionne à toute vitesse. «Abdul Walli m'a-t-il menti à propos de ce

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passeport? L'avait-il depuis longtemps?Était-ce un simple retard del'administration ? Et si la policesurgissait ? Pour me ramener à la LandRover et repartir à Taez. » Il faut attendreet je suis malade, physiquement malade.Mon ventre se tord de peur, j'ai froid, jen'arrive pas à ravaler ma salive.

Les haut-parleurs annoncent le départ duvol à destination de Londres. Abdul Wallime prend par le bras, il faut avancerjusqu'à la salle de départ. Il me tend lamain, je ne vois plus clair, il me dit aurevoir, je crois, mes oreilles bourdonnent.

Je dois encore attendre, dans la salled'embarquement, seule. Il n'y a pluspersonne à mes côtés pour intervenir s'il

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se passait quelque chose. Il ne faut pasqu'on me prenne pour une femme arabeseule, je dégage mon imperméable, croiseles jambes, secoue mes cheveux...

Je suis une touriste anglaise qui rentrechez elle. Il y a d'ailleurs quelquestouristes. Je suis une voyageuse normale.

Une femme d'un certain âge s'assied prèsde moi, une Américaine, je lui demande :- C'est bien l'avion pour Londres? Ellesourit.

- Oui, bien sûr. Où allez-vous?

- Je rentre chez moi en Angleterre.

- Ah? Vous êtes anglaise?

- Oui, de Birmingham.

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- Pardonnez-moi, mais de la manière dontvous êtes habillée, je vous aurais prisepour quelqu'un d'ici, et vous êtes sibronzée!

Je m'entends répondre :

- Je suis restée ici pendant huit ans...

Mon pantalon de mauvais coton, cetimperméable trop long, ce foulard que j'aifait glisser de mes cheveux ne suffisentpas.

- Ah oui, huit ans ? Nous ne sommesrestés que trois semaines, avec ungroupe... C'est si merveilleux, ce pays...

Elle bavarde, elle bavarde, et jecommence à me sentir mieux. On ne vapas venir me kidnapper ici, à côté d'une

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Américaine et devant tous ces gens...

- Nous avons parcouru tout le Yémen, j'aiadoré... Mais les villes... c'est si vieux, sidélabré, c'est dommage, j'ai vu desmaisons superbes...

Elle ne me pose pas de questions sur moi,cela vaut mieux, je deviendrais agressive.Merveilleux le Yémen... elle a l'air silibre, si décontractée, susceptible d'alleroù bon lui semble, de voyager autour dumonde, même ici, en promenade.

Enfin, on nous demande de quitter lasalle. En file indienne, nous passons uneporte vitrée, en montrant nos billets à unfonctionnaire, et nos bagages à main à unautre. On fouille mon sac, on regarde monbillet... Ma gorge se serre, on me rend

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mon billet, j'avance avec les autres, versle bus qui attend. Puis j'entends dans mondos : - Hé!

Ma nuque se raidit; en me retournant,j'aperçois le fonctionnaire me faire signede revenir. Cette fois, j'en suis sûre, il vam'empêcher de partir. Je fais quelquespas vers l'homme en uniforme, en meheurtant à la file des gens qui se dirigentvers le bus. Il grommelle : - Passeport!

Je lui tends mon précieux passeportflambant neuf,

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en

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tremblant

intérieurement. Il se met à le feuilleterlentement,

consciencieusement,

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en

prenant tout son temps, et en me jetant despetits coups d'œil.

- Qu'est-ce que vous lui voulez à monpasseport ? On l'a déjà vérifié ! Les gensne vous ont montré que leurs billets ici!

Il ne répond pas, il me fixe toutsimplement.

- Vous savez qui je suis? C'est ça? Ehbien je retourne chez moi!

J'ignore comment j'arrive à adopter ce tonferme, alors que je ne suis plus qu'unpaquet de nerfs. Il plisse les yeux d'un airméchant, et s'apprête à ouvrir la bouche,lorsque son collègue intervient : - Ça va,laisse-la passer, rends-lui son passeport.

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Le fonctionnaire ravale sa protestation etme rend le passeport d'un geste brusque.Je gagne rapidement le bus, les passagerssont déjà montés à bord, et me regardentavec curiosité.

Dieu, j'ai eu si peur, qu'en montant lapasserelle de l'avion, je n'y crois toujourspas. Ce n'est pas moi qui vais m'envoler.Je suis en train de rêver, je vais meréveiller, dans ma chambre à Hockail,avec le hurlement des loups.

L'avion est très petit, je m'installe prèsd'un hublot, le siège voisin reste vide.

Là-bas, à ma gauche, les bâtiments del'aéroport. Je ne les quitte pas des yeux,tendue, je m'attends à voir rouler versnous une voiture de police. La porte de

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l'avion va s'ouvrir, on va me fairedescendre... Roule, mais roule donc...

vas-y... décolle... fonce dans le ciel avantqu'on m'attrape à la dernière minute...Elle n'en finit pas cette minute.

L'avion prend de la vitesse, et bonditdans les airs. Une immense excitationm'envahit. Cette fois j'y suis. Au-dessousde nous, des champs immenses. Je n'aimême pas vu Sanaa disparaître.

- Vous désirez quelque chose?

Je n'ai pas faim, je n'ai pas soif, j'aisurtout besoin de respirer. Nous sommesen période de ramadan, et seuls lesétrangers demandent un plateau.

- Je veux bien, oui, merci.

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Pour leur faire comprendre qui je suis.

Je ne jeûne pas, je n'ai jamais suivi leursrègles de ramadan, je n'ai jamais faitleurs prières. Je suis anglaise. Même sij'ai la peau brûlée par leur soleil.

- J'ai très faim.

Nous faisons escale dans un aéroport,j'ignore où exactement, mais noussommes toujours dans un pays arabe.

Des passagers descendent. L'attente estlongue, on nous demande de rester dansl'avion; d'abord cela m'a soulagée,maintenant je m'inquiète.

Cette escale est trop longue, nous sommesimmobilisés depuis plus d'une heure,lorsque j'aperçois roulant vers nous une

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voiture de police, des hommes enuniforme. Mon cœur s'emballe à nouveau.La voiture s'arrête à côté de l'avion, justeau-dessous de mon hublot deux

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officiers imposants, armés

jusqu'aux dents, montent à bord. Ilsavancent lentement, la main sur leursarmes, ils sont devant moi, ils medévisagent, puis vont jusqu'au fond del'avion, et repassent dans l'allée. La têtepenchée en avant, je contemple le sol,comme une femme arabe pudique, et cettefois je prie qu'ils passent leur chemin. Jeprie tous les dieux de la terre.

Ils sont partis. J'ai encore la nuquepenchée et les paupières serrées. Lesarticulations de mes doigts ont blanchi àforce de crispation. Dix minutes plus tard,l'avion s'envole à nouveau, et j'entendsles passagers discuter autour de moi.

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- Il paraît qu'on recherche des terroristespalestiniens. Ils vérifient tous les avions.

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Les

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heures

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se

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sont écoulées, abrutissantes, le vol devaitdurer huit heures, il nous en a fallu dix, àcause de notre escale. Lorsque le microannonce que nous allons atterrir dansquelques minutes à l'aéroport de Gatwick,je suis lasse et dans un état bizarre.L'excitation est retombée, toute la fatiguedu monde a ramolli mes muscles.

La première sensation en haut del'échelle, c'est le froid, la nuit froide et lebrouillard léger, pénétrant. Je me sensterriblement seule, comme si je flottaissur un océan. Personne ne m'attend, jepasse la douane, tends mon passeport, jesuis complètement vidée.

Au sortir de la douane, une femme entailleur bleu sombre et chemisier blanc

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s'avance et demande : - Vous êtes ZanaMuhsen ?

Un accent impeccable, un véritable accentanglais.

C'est

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formidable

d'entendre prononcer une simple phrasecomme celle-là.

- J'appartiens au service de l'aéroport,c'est bien vous ?

Elle me montre une photo, une vieillephoto de moi. J'avais quinze ans là-

dessus...

- Je ne vous aurais pas reconnue...

excusez-moi, mais nous devons sortir parune autre porte.

- Qu'est-ce qui se passe?

- Ne vous inquiétez pas. Il y a trop dejournalistes dehors, votre mère vous

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attend ailleurs, je vais vous conduire.

Nous récupérons ma valise de cuir fripée,ternie, au milieu des autres bagagesmodernes qui défilent sur le tapis roulant.Et je suis cette femme dans les couloirs,comme une somnambule.

Les gens m'effraient. Personne n'esthabillé comme moi. Je pourrais retirer cefoulard, mais j'ai encore peur. C'est idiot.Je suis libre, et me voilà effrayée demontrer mes cheveux à tout le monde, ici.

Au bout du dernier couloir, une portevitrée donnant sur le terrain, et un minibusqui attend.

- C'est pour vous. On va vous conduire àvotre mère.

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Nous longeons des avions en cours deravitaillement ou de révision, deuxvoitures de police et leurs gyropharess'alignent de chaque côté du minibus.

- Il y a des équipes de télévision, et desphotographes partout, qui vous attendent.

Je suppose que vous avez besoin detranquillité, et que vous ne voulez pasaffronter tout ce monde-là? Après tout ceque vous avez vécu...

- Merci. C'est tellement gentil. Je veuxsimplement ma mère.

Le minibus s'arrête près d'un hélicoptèreà l'autre bout du terrain. J'aperçoismaman, debout, encadrée par deuxpersonnages, que j'ai d'abord du mal à

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identifier. Ce sont Eileen et Ben.

L'hôtesse

m'aide

à

descendre,

s'approche de maman, et dit : - Voilàvotre fille, Myriam.

En me jetant dans les bras de maman, jeris et pleure tout à la fois, comme elle.

J'entends des cliquetis d'appareil photo.

Ben nous mitraille en tournant autour denous comme un fou, mais je m'en fiche.

Nous devons maintenant monter dans cethélicoptère, pour sortir de l'aéroport en

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évitant les journalistes. Eileen a toutorganisé. Cet hélicoptère me terrorise etje grimpe à l'intérieur en fermant les yeux.Le paysage du Sussex défile dans le noir,le voyage est court. Nous descendons enbaissant la tête sous les pales ronflantes,le vent fouettant nos vêtements. Au bordd'un chemin vicinal, une voiture nousattend, et l'hélicoptère nous abandonne.

Je voudrais rentrer à la maison. Jevoudrais Birmingham, ma chambre, messœurs, mon frère, je voudrais... mais onnous installe dans un grand hôtel toutneuf. Eileen me raconte qu'il vient d'êtrerénové après un attentat à la bombecommis

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contre

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une

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personne

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du

gouvernement.

- Maman, je voudrais aller à la maison.

- Nous irons demain, peut-être, ou après-demain. Ben et Eileen ont besoin de fairedes photos tranquillement, en dehors desautres journalistes, tu comprends? A lamaison, ce serait impossible. La télévoudrait nous interviewer, et avant celanous devons laisser Eileen finir sontravail.

Dieu! je ne comprends rien à toutes ceshistoires de journaux, et d'exclusivité. Jesuis fatiguée, je veux rentrer chez moi.

Manger, dormir chez moi. Je ne veux rienfaire d'autre que ça, et penser à Nadia.

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J'ai laissé une partie de moi-même là-

bas, ma sœur est ma chair, mon esprit, lamoitié de ma vie d'esclave. On medemande de parler, de dire augouvernement des choses intelligentes, defaire attention à m'es propos afin de nevexer personne, de ménager ceux quipeuvent nous aider, au gouvernementyéménite. Eileen me demande de lui faireconfiance. Je sais. Il le faut. Mais tout estconfus dans ma tête. A un moment j'aimême l'intention d'aller retrouver Nadiaet les enfants...

Maman doit être sous pression, car elleprend cela très mal.

- J'espérais que j'aurais plus dereconnaissance. Qu'est-ce qui se passe ?

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Tu veux rentrer au Yémen ? Tu es tombéeamoureuse de quelqu'un ?

D'Abdul Walli peut-être ?

- C'est méchant ce que tu dis.

- Je sais, excuse-moi.

Eileen a entendu, et je vois dans ses yeuxqu'elle se pose la question. Et si la petiteAnglaise avait choisi le riche AbdulWalli, son protecteur, celui qui a arrangéson divorce. Qui l'a recueillie, l'a aidée àpartir...

Lassitude, fatigue, écœurement. Ben etses photos, qu'il veut prendre sur laplage, de nuit, dans le vent, avec monimperméable trop long, mon pantalonyéménite, et mon foulard. Je sais qu'il fait

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son métier.

Il y a eu d'autres journalistes ensuite,d'autres photos. Il a fallu changer d'hôtelpour en éviter certains. Le lendemainsoir, j'en avais vraiment marre. C'était ça,ma liberté?

- Écoute, maman, si on ne nous ramènepas à la maison demain, j'y vais touteseule.

Ils ont cédé.

Birmingham au printemps. Le centre-

ville. Nous approchons de l'immeuble, dela rotonde, tout est pareil, tout ressembleà mes souvenirs, ou bien ce sont messouvenirs qui remontent à la surface, enmarée. Les rues, le quartier, les magasins,

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les gens dans la rue, la lumière desvitrines. Souvenirs en tourbillonsd'odeurs et d'images, de sensationsgénérales.

Mais je ne reverrai rien du passé.

Maman vit dans un autre appartement,depuis qu'elle est seule, et pour éviter lesjournalistes, qui doivent nous guetterencore, nous n'y séjournerons pas avantquelques jours. Mon amie Lynette nous aoffert l'hospitalité chez elle.

Devant la porte d'entrée de la petitemaison, au grand complet, comme pourune photo, toute la famille m'attend. Mo,Ashia, Tina. Changés, grandis, adultes.

Ils m'apparaissent à la fois terriblement

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proches et étrangers. « Toute cette viesans moi... Qui sont-ils devenus ? »

Ma tête se met à tourner dans lesembrassades, les phrases qui fusent detous côtés. Je me rends compte que je neparle que de Nadia. J'ai besoin dejustifier l'absence de Nadia, en ne parlantque d'elle, et de là-bas. Chargée d'unemission, la liberté de ma sœur, chargée

d'une

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sourde culpabilité,

chargée de souffrance, ma seulecommunication avec les autres, c'estNadia.

Lynette, Lynnie, ma meilleure amie arriveen courant vers moi. C'est une femme,encore plus jolie qu'avant, les cheveuxcourts, si différente. Nous nous jetonsdans les bras l'une de l'autre en pleurant.Elle ne peut rien dire d'autre que : - Tu aschangé... tu as changé... mon Dieu, commetu as changé... ■

Puis elle sourit à travers ses larmes.

- Qu'est-ce que tu as bronzé!

Je ne retrouve pas mon enfance. Là-basau Yémen, j'avais figé des images, une

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fois pour toutes dans mon esprit.

C'étaient

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celles

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de

l'enfance,

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de

l'adolescence à peine entamée. Le mondeque je retrouve est forcément différent.Déconcertant. Et me fait peur...

un peu.

Pendant un certain temps, il m'est difficile

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de

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me

déplacer.

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Les

journalistes font le pied de grue, sonnentà la porte, téléphonent, réclament desinterviews que je suis incapable de leuraccorder. Je redoute d'affronter la rué.

Je dois me réhabituer à beaucoup dechoses, aux vêtements, aux collants, auxchaussures, marcher tête nue, et revoirMackie. Pour cela j'ai besoin de temps.

Avec le temps revient l'envie des petitsplaisirs. Un gâteau à la crème... une tassede vrai thé anglais. Et des frites.

J'adorais les frites...

Quelque chose s'est imprimé en moi,inscrit définitivement. Je pourrais vivremieux, si Nadia était de retour avec ses

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enfants. Mais seulement mieux.

Quatre haines dans ma tête. Mon père,Abdul Khada, Gowad et Abdullah.

- Maman... il faut que j'aille le voir.

- Qui?

- Mon père... il n'y a que lui qui puisseaider Nadia.

- Il ne fera rien.

- Il faut que j'essaie.

Je m'habille comme une véritableYéménite. Pantalons, robe longue,foulard. Il faut lui montrer le personnagequ'il veut voir. Une femme musulmanerespectable et respectueuse des hommes,donc de son père. Je peux jouer à cela, je

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l'ai supporté pendant huit ans, à cause delui.

J'arrive en taxi, devant le petit café, oùs'est arrêtée ma vie, en 1980. Fish andchips et odeurs de bière.

Il est derrière le comptoir, M. Muhsen.

Je ne ressens rien. Absolument rien.

Il a vieilli, son cou est fripé, deux longuesrides partant du nez rejoignent lamoustache, il est mal rasé, son frontcommence à se dégarnir. Il a l'air surprisde

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me

voir,

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quelques

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secondes

seulement, puis s'exclame : - Zana...

Et il se met à pleurer. Pas moi. Je passedevant lui pour réinstaller dans la salledu fond. J'attends que les clients s'enaillent et qu'il vienne me rejoindre.

Patience des femmes yéménites. J'aiappris cela grâce à lui!

Le dernier client parti, il s'approche demoi, la larme à l'œil, et cherche ses mots.

- Je... je suis désolé... désolé de ce quis'est passé... voilà, si j'avais su plus tôt...enfin... comment vous étiez traitées là-bas...

Mon silence ne l'aide pas.

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- ... Eh bien j'aurais... les choses auraientété différentes.

Il ment sans aucun scrupule. Tous ceuxqui ont voyagé entre l'Angleterre et leYémen pendant ces années, et qu'ilnomme ses amis, lui ont raconté commentnous étions traitées là-bas, en esclaves.Au début je lui écrivais, il n'a jamaisrépondu. Qu'il aille au diable avec sesmensonges, je n'ai pas besoin de reparlerdu passé. Je ne veux qu'une chose, sonaide pour Nadia.

- Bien. Je suis de retour à présent.

Comme tu le vois, je suis encore unemusulmane respectueuse. Je t'aime, papa,et je veux ton aide pour faire venir Nadiaet son mari, afin que nous puissions vivre

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à nouveau comme une grande famille.

Il hoche la tête, en approuvant.

- J'irai voir Gowad. Tu as une plusgrande expérience de la vie maintenant, tuparles arabe, tu comprends mieux leschoses. C'est tout ce que je voulais pourtoi.

- C'est vrai. J'ai mûri. Tu iras voirGowad ?

- Nous irons ensemble si tu veux.

- C'est bien. Je vais rentrer.

Ce n'était pas dur. Il suffisait de setransformer en bloc de pierre sous lefoulard, d'entendre

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les

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mensonges

habituels sans hurler, d'être une statue dehaine froide et invisible.

Chez Gowad, le lendemain, à l'heureprécise

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du rendez-vous, mêmes

vêtements arabes, même foulard, mêmeattitude. Salama est là. Elle vit enAngleterre, mais comme une femme deHockail, et porte une nouvelle petite filledans ses bras. Je la hais, elle aussi,d'avoir abandonné ses enfants à Nadia, auvillage. De lui avoir imposé la charge quilui incombait à elle, la mère. Mais cettehaine est toujours invisible.

- Pourquoi êtes-vous partis comme ça, ennous laissant nous débattre avec lesenfants ? Nous ne savions même pas cequi se passait, où vous étiez, personnen'en parlait. Pourquoi ?

- Je vais rentrer bientôt. Nadia et Samir

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vont venir ici avec les enfants.

- Je sais.

L'agressivité pointe le bout de son nez, jedois rester calme, polie. Me taire àprésent. Écouter.

Mon père discute en arabe avec Gowad,que j'ai salué lui aussi, avec respect. Il ya huit ans, je ne comprenais pas un mot deleurs palabres, à la maison, alors qu'ilsfaisaient purement et simplement unmarché. Mille trois cents livres pourNadia, mille trois cents livres pourZana... deux petites jeunes fillesanglaises, bien pures, avec leurs papiersen règle... Aujourd'hui, je comprendsparfaitement

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leur

langage.

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Gowad

promet de faire le nécessaire.

- Ça prendra du temps pour les papiers,mais ils viendront.

En rentrant ce soir-là chez maman, enjetant le voile et les pantalons dans unplacard, comme une comédienne lasse deson rôle, je n'y croyais pas. Et j'avaisraison, rien n'est venu, à ce jour.

Certains journalistes ont tenté de faireparler Gowad, il leur a toujours fermé laporte au nez.

Pendant quelque temps j'ai pu profiter del'aide de Tom Quirke, le journaliste duBirmingham Post, pour téléphoner àAbdul Walli à Taez. Le chef de la police

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se montrait rassurant, Marcus allait bien,Nadia et Samir me faisaient dire de nepas m'inquiéter, qu'ils attendaient leurspapiers, pour bientôt.

1990. Des rumeurs nous sont parvenuesselon lesquelles Nadia aurait eu un autreenfant. Si c'est exact, cela signifie qu'onl'a obligée à quitter Taez, et qu'elle n'apas pu continuer à prendre de pilulecontraceptive. Elle avait si peur d'êtreenceinte à nouveau. Depuis la naissancede Tina et cette horrible opération à lalame de rasoir...

A Ashube, je peux imaginer son calvairequotidien. Haney, Tina, Marcus, un autreenfant, plus ceux de Salama... puisqueSalama vit en Angleterre, elle.

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Je n'ai jamais revu mon père, je n'irai quesur sa tombe.

Abdul Walli ne répond plus au téléphone.Il n'est pas là, il est en voyage, il estailleurs. Nôtre consul à Sanaa ne sait riende ma sœur. Les fils sont coupés.

Je me demande si elle tient le coup. Jel'espère. Physiquement elle a besoind'être soignée, et ne le sera pas à Ashube,ni dans un autre village.

Moralement, ils ont dû l'abattre.

J'ai retrouvé Mackie. Nous avons tenté devivre ensemble, j'ai eu de lui un petitgarçon adorable, tout frisé, tout noircomme son papa, ce qui ne doit pas faireplaisir à mon père. Mais aujourd'hui, je

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vis seule avec mon fils.

J'ai repris mes études, pour présenterl'examen que l'on passe à quinze ans. Jeme trouve courageuse de faire cela. Lecourage et la volonté m'ont donné la forcede survivre. Là-bas comme ici, enAngleterre.

On m'a parlé de psychanalyse, dethérapie, je n'en veux pas. Je veux garderma haine, ma force, et mon espoir.

Nous continuons à nous battre pourNadia. Procès international, difficile,long. Convaincre la justice que nousavons été victimes d'un kidnapping, qu'onnous a bien vendues, et que ces deuxmariages furent un viol de tant d'années,est affreusement compliqué.

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Nous ne sommes pas les seules dans cecas, le monde entier est plein de misèressemblables. J'ignore encore sur quelsommet, à quelle altitude de cette planètese cache la vraie liberté des femmes. Passur les montagnes du Yémen en tout cas.

Et le monde s'occupe de tant de chosesplus importantes pour les hommes. Laguerre, la politique, le pétrole... toutesces images où j'ai vu courir des femmeset des enfants sous les bombes, fuir lafamine, l'esclavage, la mort.

Mon fils est un otage, ma sœur et sesenfants sont des otages. Je veux qu'ilssortent du Yémen. Qu'ils soient libres dechoisir l'endroit du monde où ils poserontle pied.

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Moi, Zana, j'ai le redoutable privilèged'être l'otage libérée, celle qui a eu lachance de se faufiler à travers lesbarreaux de la prison. Mais on restetoujours un ancien otage. Le chantage, laviolence, la privation de liberté marquentun être à tout jamais. Ceux qui sont restéslà-bas, ma sœur, mon enfant vivent enmoi, comme des poignards plantés dansma chair. Je souffre de leur souffrance,ma liberté n'a pas de sens sans la leur.

J'ai mis au monde un petit garçon, il senomme Marcus, et non Mohammed, il estné de mon ventre, de mon sang, de madouleur. Il est le fruit d'un viol qui durahuit ans, mais il est à moi. Je dois avoirle droit de lui faire partager ma culture,afin qu'il ait lui-même le droit, plus tard,

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de choisir la sienne.

Ma colère ne s'est pas éteinte, je refused'être ce volcan qui meurt sous la lave, jen'ai qu'une vie pour me battre. Un mère àqui on retire le droit d'élever son enfantest une femme blessée à mort.

Souvent, dans le silence de mes nuitssolitaires,

j'entends mon cœur hurler comme hurlentles louves de là-bas, dans les montagnes,à la recherche de leurs petits. Je hurleraijusqu'à ce qu'il m'entende.

A celle qui vient de lire mon histoire etqui va refermer ce livre, je dis : « Ne lereferme pas sur l'oubli. Aide-moi.

Laisse résonner dans ta mémoire ce cri

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qui est le mien et celui de tant d'autresfemmes. » Toutes celles que la justiceoublie et bafoue, là où les lois sont faitespar des hommes qui les contrôlent, qui lesconsidèrent comme moins que desanimaux, qui leur prennent corps, âme etenfants.

Je réclame le droit d'ingérence dans cespays. Je ne veux pas que l'on marie deforce mon petit Marcus à treize ans. Je neveux pas qu'on lui achète une femmecomme une marchandise, avec unpasseport en accessoire indispensable.

Marcus aura six ans cette année. Nadiavingt-six.

Nadia, ma sœur, est une petite larmeisolée, solitaire, dans cet immense

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chagrin du monde. Elle brille toujourspour moi. Ce récit est pour elle, pour monfils. Je ne céderai jamais, Nadia, je te l'aipromis.

Tu seras mon fils, Marcus, je l'ai juré.

Un an après la parution de la traductionfrançaise de. son livre, et à la suite desévénements qui en ont resuite,

Zana

Muhsen

a

décidé

d'ajouter un chapitre à Vendues! Elle yraconte son combat pour Nadia.

Les larmes s'en vont et reviennent Depuis

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que j'ai écrit mon histoire, depuis quemon livre est devenu un objet tangible,que des milliers de lecteurs l'ont eu entreles mains, j'ai dû apprendre à vivre avec.Lorsque je dis aux journalistes, anglais oufrançais, que je suis incapable de lerelire, ils ont l'air surpris. Comme s'ilétait possible de relire un cauchemar...

Oui, les larmes s'en vont et reviennent,chaque fois que je dois affronter le sujet.

Larmes invisibles pour les autres,étouffantes pour moi. Je ne les traduis quepar un court silence, le temps de respirer,de débloquer ma gorge serrée.

Le 5 février 1992, à Paris dans le salond'attente de l'émission « Sacrée Soirée »

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de Jean-Pierre Foucault, j'ai l'étrangesensation de me dédoubler. Il y a uneZana personnage de sa propre histoire,maquillée pour la télévision française,prête à affronter les questions, prête à yrépondre, prête à tout pour remplir samission, et une Zana presque statufiée,raidie dans son désir de raconter Nadia,dont elle n'a pas de nouvelles depuis sonretour en Angleterre, il y a quatre ans.

Et il y a aussi une Zana tremblante, lesmains moites avec, dans la tête, lessouvenirs du village d'Ashube au Yémen,la Zana esclave, humiliée, violée, lahaine et la souffrance plein la tête, privéede son fils, privée de sa sœur, sondouble, son image, sa semblable,emprisonnée là-bas.

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Je sais que Nadia a eu un quatrièmeenfant après mon départ,, les nouvellescirculent de bouche à oreille dans lacommunauté yéménite de Birmingham.

Gowad son « beau-père » vit enAngleterre lui ! Mais je ne sais rien deplus.

La présence de Betty Mahmody sur leplateau, à mes côtés, m'est d'un grandréconfort. Cette mère américaine, solide,si calme, si déterminée, a réussi ce quenous espérions tant, Nadia et moi : fuir.

Mais la fuite, l'évasion depuis un villagedu Yémen, sans secours, sans aide, sanscommunication possible

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avec

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une

représentation

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diplomatique

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est

totalement impossible.

Je m'entends déclarer à l'animateur Jean-Pierre Foucault, que ma vie depuis monretour en Europe n'est plus qu'uneobsession. Je ne suis moi-même qu'uneobsession.

La première épreuve de cette émissionc'est l'interview de mon père. Unevingtaine de secondes durant lesquelles ilprofère un mensonge de plus : -- Je l'aitoujours dit : aucun Arabe, aucunmusulman n'a jamais vendu sa fille.

Je réponds comme dans un brouillard,tendue à l'extrême, pour retenir en mêmetemps haine et larmes. Je sais le faire, je

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l'ai fait si souvent là-bas... A présent, dèsque je dois parler de ce viol, je suis unbloc de pierre qui s'interdit toute émotionen public.

Même les yeux pleins de larmes, je suiscapable de ne pas laisser trembler mavoix, en expliquant :

- Le garçon m'a violée, son père avait ditque si je refusais, il m'attacherait sur lelit. Il m'avait achetée.

Ce viol, je l'ai enseveli dans mamémoire, au point de pouvoir l'enressortir sans crainte. Ce n'est pas moiqu'ils ont violée, c'est un corps sans âme.Le public du studio est silencieux.

En Europe, le viol est un crime. Là-bas,

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c'est quasiment une coutume»

Tous ces mensonges accumulés. Et mamère qui pleure derrière ses lunettesnoires,

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assise

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dans

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le

public,

impuissante.

Mensonges, pleurs, tout recommenceéternellement. Que dire pour convaincre,pour soulever une telle montagne demensonges?

Jean-Pierre Foucault m'annonce l'arrivéesur le plateau d'un représentant del'ambassade yéménite à Paris. Il semblepersuadé qu'une conversation avec cediplomate peut nous aider. Je veux bienlui parler, bien sûr; je suis prête à tout,pour Nadia, et Marcus, et les enfants.

Mais je sais d'avance que c'est une pertede temps.

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Le représentant ressemble à monbourreau, Abdul Khada, un hommeyéménite, sûr de lui et de son honneur demâle, convaincu d'avance que les femmesn'ont pas droit à la parole. Un diplomateen plus! Je vais encore entendre la litanie: « Nadia est citoyenne yéménite, Nadiaest libre... »

Libre! Elle n'a pas eu le temps de grandir.Elle est restée la gamine de quatorze ans,sans défense, alourdie maintenant dequatre enfants, soumise à un mari et à unefamille.

Je ne dois pas laisser percer la haine queje porte en moi. Le combat a sesnécessités diplomatiques.

Je ne suis plus ce bétail féminin dont ils

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disposaient à loisir. Je suis anglaise, libre; cet homme ne m'est supérieur en rien. Ilreprésente son pays, c'est lui le coupable,pas moi.

Cette culpabilité que j'ai ressentie enremettant le pied sur le sol d'Angleterre,seule, sans mon fils, sans ma sœur et sesenfants, c'est mon problème intime. Jen'avais d'autre choix que celui de fuirpour mieux combattre.

Je suis donc coupable d'être plus forte,plus ardente, plus volontaire que masœur. Coupable de vouloir me battrecontre tous ces hommes, contre un paysentier s'il le faut, pour la sortir de là.

La presse, les émissions de télévision,tout

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cela

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est

éprouvant,

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mais

indispensable. Ainsi des hommes et desfemmes sont au courant, apprennent ce quise passe dans ce magnifique pays où masœur, j'en suis certaine, meurt lentement,enfermée dans un village moyenâgeux. Jene revois d'elle dans mon souvenir que cevisage fin et las, brûlé par le soleil, sesgrands yeux désespérés quand je suispartie en lui laissant Marcus dans lesbras. Son premier enfant Haney, accrochéà ses jupes.

Ce jour-là, j'ai promis : « Je net'abandonnerai pas. »

Alors j'écoute parler la diplomatie. Jel'entends dire que « cette situation est

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inacceptable », que le gouvernementyéménite s'est occupé de nous, que l'onnous a mises sous la protection dugouverneur de Taez, éloignées un tempsde cette famille de geôliers... Certes, etensuite?

J'ai dû partir en laissant mon fils, et ilsont ramené Nadia dans son village prison.Quatre ans plus tard, nous en sommestoujours là.

Deuxième épreuve. Il semble que jepuisse avoir Nadia au téléphone. Magiede la télévision car, seule, et je l'aiexpérimenté de nombreuses fois, il fautpasser par Taez, demander une ligne avecle village, et au bout du compte, la ligneest coupée ! Il y a quatre ans qu'elle est

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coupée cette ligne, pour moi en tout cas.

Je m'étais promis de ne pas pleurer, c'estfichu. Et c'est terrible parce que jen'entends

rien.

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Une

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voix faible,

incompréhensible résonne sur le plateau.

Un mot en yéménite? Nadia peut parleranglais, elle sait bien parler anglais. Lediplomate le confirme lui-même, il a eu laligne avant moi, semble-t-il...

J'imagine ma petite sœur dans un bureauofficiel, entourée d'hommes. Commentpeut-on espérer qu'elle me parlelibrement? Même en coulisses. Jean-Pierre Foucault demande en effet que l'ongarde la ligne pour que je puissecontinuer cette discussion hors antenne.

En attendant, il demande à la diplomatiesi nous pouvons aller au Yémen en avion,pour voir Nadia, en toute sécurité.

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La

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diplomatie

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est

d'accord.

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La

diplomatie ferait n'importe quoi, il mesemble, pour éviter, ce que cet hommeappelle le « tapage médiatique ». Iln'empêche que si ce tapage n'était pasmené ce soir devant des millions detéléspectateurs français, je n'aurais pas lamoindre chance de voir ma sœur « entoute sécurité », comme ils disent.

Je m'énerve devant cette contestationpermanente de ma révolte. Le diplomatedéclare que « le problème de mon père »est dramatique, qu'il n'a rien à voir avecla société yéménite. Une affaire defamille pour lui, pas une affaire yéménite.

Je n'ai rien contre le Yémen, moi.

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J'éprouve seulement de la haine pourcelui qui nous a vendues, et pour ceux quinous ont achetées. Il se trouve simplementqu'ils sont yéménites.

- Vous l'auriez fait, vous? Vous auriezvendu votre fille? Élevée en Europe,jusqu'à l'âge de quinze ans, de cultureanglaise, ou française, vous l'auriezvendue là-bas?

Je n'ai pas pu m'empêcher d'agresser ladiplomatie. Mon père n'est pas le seul àavoir vendu ses filles. J'ai entendu parlerd'Anglaises prisonnières dans d'autresvillages. Alors?

C'est fini. Betty Mahmoody, avec sonformidable calme, conclut l'émission endisant ce qu'il faut. Elle remercie le

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gouvernement yéménite d'accepter cevoyage, de me permettre de revoir masœur et ses enfants, et aussi mon filsMarcus.

Elle ajoute tout de même que, sans lesmédias, nul n'obtiendrait jamais ce genrede facilités.

Je cours au téléphone dans les coulisses.

Betty Mahmoody est près de moi,attentive. Elle sait, elle, ce que représenteun contact au téléphone, si difficile et siprécieux, avec sa famille.

Hélas! je n'entends presque rien. De lafriture, une petite voix interrompue pardes grésillements, des « Allo! » qui seperdent dans de lointaines galaxies. Je

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crois comprendre que Nadia est chez legouverneur de

Taez, ou dans un bureau officielquelconque. J'entends une voix d'hommederrière elle par instant. Puis plus rien.

J'en pleurerais de rage. Tout ceci pourrien. Mais qu'est-ce que j'attendais?

Qu'ils la laissent parler seule ? Qu'ils luioffrent un radio-téléphone' comme lesjournalistes en avaient pendant la guerredu Golf? Ma petite sœur n'est rien, poureux, qu'une villageoise yéménite dont lafamille anglaise fait bien trop de bruit àleur goût.

Mais je vais aller la voir. Ils ne peuventrien contre une émission de télévision

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française. Le diplomate l'a promis, il nepeut plus se rétracter.

Dans l'avion, je me répète sans arrêt ceque je vais lui dire. La chose la plusimportante est de lui jurer que nousn'arrêterons pas de nous battre jusqu'à cequ'elle rentre en Angleterre avec lesenfants. L'équipe de télévision, tous ceuxqui m'accompagnent dans ce voyage nesavent pas ce qui va se passer; moi, jesais. Ils s'imaginent que l'on va nouslaisser seules, ma sœur et moi, que nouspourrons discuter toutes les deux où nousvoudrons, et le temps que nous voudrons.Ils s'imaginent que nous irons jusqu'auvillage retrouver une famille, que je vaistendre les bras vers mon fils.

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Moi, je sais que rien ne sera comme je levoudrais.

Ils ont dû préparer Nadia, déjà ; lasermonner, la menacer peut-être. Luiraconter que je suis devenue une femmedangereuse qui cherche le scandale, etfait honte au Yémen. Ils ne nous laisserontpas seules une seconde. Elle aura peur,comme nous avons eu peur tant de fois.Peur parce qu'elle devra retourner auprèsdu père de ses enfants.

Vivre au milieu d'eux. Peur parce que rienn'est magique, et que je ne pourrai pas luidire : «Viens, courons-nous réfugierparmi tous ces gens de France, montonsdans l'avion! »

Il y a les enfants. Il y a la loi yéménite qui

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n'autorise pas une femme à voyager sansl'accord de son mari.

Au moins je verrai ma sœur. Au moinsnous aurons ensemble un nouvel espoir,même tout petit. Si je ne peux pascontinuer à espérer, je ne pourrai pascontinuer à vivre. Il faut essayer.

9 février 1992, nous arrivons à Sanaa.

L'avion se pose. Je revois les mêmesbâtiments où j'attendais, morte de peur,l'avion du retour vers l'Angleterre. Unimmense frisson me parcourt.

Cette fois, c'est le tapis rouge, lesautorités qui nous accueillent dans legrand salon. Avec la télévision, Jean-Pierre Foucault, mon éditeur, je me sens à

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la fois protégée et malade d'angoisse;avoir besoin de tout cet arsenal humain,de cette protection officielle, pourseulement obtenir le droit de voir Nadia...

Encore une demi-heure de vol, vers Taez.Il y a des villages en bas, des montagnes.J'entends dire que c'est beau.

Elle est belle la prison de Nadia vue duciel.

Ma mère ne dit rien; je ne dis rien.

Parfois je me demande comment elle vitcet enfer, depuis si longtemps. Je lui en aivoulu, en rentrant. J'en voulais à la terreentière. Nadia va-t-elle faire comme moi?

Nadia, mon obsession.

Dans un jardin public de Taez, maman et

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moi attendons son apparition. Il y a dumonde. Trop de monde, des gardes armésnon loin de là. La caméra et les gens de latélévision. Que lui a-t-on dit ?

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Comment

va-t-elle

réagir

à

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ces

retrouvailles si étranges pour elle. Entrela monotonie laborieuse et fermée duvillage, les corvées quotidiennes, lasolitude, qu'est-elle devenue?

Je vois arriver une silhouette noire.

Voilée. Un homme à ses côtés. C'estSamir son mari. Il tient un tout petit enfantdans les bras, son quatrième.

Elle avance, les mains levées, comme sielle avait peur. Nous nous regardons. Jeme sens nue avec mon visage libre. Je nevois de ma sœur que ses yeux immenseset noirs, je devine les cernes sous levoile, la peur, et rien d'autre.

Nous nous regardons, cela semble une

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éternité, un choc d'éternité, puis elle sedirige vers notre mère, et j'entends : -C'est de ta faute!

De quoi parle-t-elle? De maintenant? Detous ces gens qui l'effraient ? Ou d'avant ?De toute l'histoire ?

Elle me demande ce qui se passe. Lacaméra lui fait peur, elle n'en a jamaisvue.

Moi aussi elle me fait peur tout à coup.

Retrouver Nadia ainsi est encore plusdifficile que je le pensais cette nuit en meretournant dans mon lit à l'hôtel.

Mais il n'y. avait pas d'autre moyen. Jedois lui expliquer, en si peu de temps,tout ce qui s'est passé depuis quatre ans,

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pourquoi et comment je suis là. C'estquasiment impossible.

Ils n'ont pas amené Marcus. On me l'avaitpromis, et il n'est pas là. Nadia n'a pasrevu mon fils depuis des années.

On le lui a pris. Aujourd'hui, ils ont aussigardé ses enfants là-haut, au village, pourêtre sûrs qu'elle ne soit pas tentée de fuir.Tout à l'heure on nous a fait savoir que sinous voulions aller à Ashube, personnene pouvait garantir notre sécurité. -

C'est le système. A l'extérieur comme àl'intérieur, on me répète toujours : «

Mais vous pouvez aller au Yémen, c'estun pays libre. Touristique. » Mais pasdans ce village-là.

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Nous parlons anglais, pour que Samir necomprenne pas tout, si possible, maisc'est difficile. Elle est en colère contremoi. Je le savais d'avance.

- Est-ce que tu m'avais oubliée?

J'accepte le reproche, il y a plus urgent.

J'explique, le plus vite possible, pourquoiles

choses sont ainsi : le monde autour denous, le livre, la télévision... Mais je merends compte presque aussitôt qu'elle necomprend pas bien. Elle a l'air, je ne saispas, usée, ou droguée, comme sur uneautre planète. Certains mots ne semblentpas pénétrer son esprit.

- Qu'est-ce qu'on t'a dit de moi, Nadia?

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- Que tu allais venir avec la télévision,que tu leur avais déjà causé beaucoupd'ennuis.

Je ne comprends pas pourquoi il y a latélévision.

- Tu te souviens des journalistes anglais?Ils avaient fait un article en Angleterre.Cette fois, c'est la télévision française.

- Je ne dois pas parler beaucoup. Ce n'estpas bien. Samir n'aime pas. On lui a ditqu'il ne fallait pas que je parle. Et lui, il adit qu'on m'enlèverait les enfants. "

Je me rends compte qu'elle ne sait plus ceque c'est qu'un journal, et ce que l'on yimprime. Qu'elle imagine encore moins,ce que représente la télévision française

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ou anglaise. Douze ans d'abrutissementl'ont privée de tout ce qu'elle était : unepetite fille anglaise qui écoutait de lamusique et allait à l'école.

Il ne lui reste de Birmingham que sonaccent.

- Tu veux revenir en Angleterre?

- Si Samir le veut. C'est lui qui décide.

- Tu ne peux pas partir sans lui?

- J'ai peur sans lui. Sans lui ce n'est paspossible.

- Tu viendrais avec lui et les enfants ? -

- Si Samir le décide.

Elle est enceinte de trois mois. D'uncinquième enfant. En douze ans, Samir ne

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lui a pas laissé de répit. Pas decontraception possible,

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des

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accouchements

d'épouvante,

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pas

d'hôpital, elle est usée. Son « mari » latient. Il y a trop longtemps qu'il la tient.

Et paradoxalement, sans lui elle sesentirait en danger. Que pourrait-elledevenir avec cinq enfants sans un mari?

Divorcer? Il aurait la garde des enfants,elle serait privée d'eux comme je suisprivée de Marcus. Et elle ne peut refuserd'avoir des rapports sexuels avec lui. Sije lui disais maintenant : « Tu es libre, tupeux partir avec les enfants, nous sommesvenues te chercher », elle ne me croiraitpas.

- Tu es malade, Nadia ?

- Non, non... Fatiguée, c'est tout. Je me

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sens tout le temps fatiguée.

Samir intervient :

- Elle va très bien.

Elle n'est pas consciente de sondélabrement physique. Elle ne parle quede fatigue, mais elle n'a pas besoin de meraconter ses souffrances, je les vois.J'enrage. Il est presque impossible dediscuter seule à seule. Le « mari » est là,toujours là, il ne nous quitte pas d'unesemelle, avec le petit dernier dans lesbras comme une menace.

C'est cela que ne comprennent pas lesautres, les journalistes, les gens de latélévision. Ils disent : « Nous vouslaissons parler toutes les deux. » Mais il

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est là, lui, le preneur d'otages. Encoren'est-il pas complètement responsable,puisqu'il est totalement sous la coupe deson père. Ici un fils doit toujours obéir àson père. Il va demander la permission devenir en Angleterre avec Nadia et lesenfants, mais Gowad ne la lui donnerapas.

Gowad fait ce qu'il veut. Vit comme il leveut, en Europe, mais son fils et sa belle-fille, eux, doivent rester au pays.

C'est tellement pratique pour lui que l'ongarde sa maison, sa tribu, ses enfants qu'illaisse là-bas. Et son orgueil?

Jamais il ne cédera.

A son tour Jean-Pierre Foucault tente une

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interview. Les grands yeux noirs deNadia, entourés par. le voile, vont de sonmari, tenu un peu l'écart, à tous ces gensqui l'observent, au traducteur, à lacaméra. Que comprend-elle réellement detout cela? Mon Dieu, que de dégâts chezelle, en douze ans!

J'entends ses réponses, en anglais timide,sa petite voix effrayée : - Rentrer enAngleterre ? Pas possible...

Trop de gens, trop d'ennuis... Je suismusulmane, j'ai appris la loi musulmane.

Est-elle heureuse ? lui demande Jean-Pierre Foucault : - Très heureuse. J'ai unegrande maison... à manger... pourm'habiller...

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J'ai tout, rien ne manque.

Se souvient-elle de Birmingham?

- Je me souviens de certaines choses, pastrès bien. J'étais une enfant, j'allais àl'école... J'étais une enfant...

- Pourquoi ne vous êtes-vous pasembrassées, Zana et vous?

- Le choc, j'étais émue.

On ne s'embrasse pas comme cela aprèsune telle séparation. Il faut savoir quel'angoisse, la peur, la solitude, latransformation qu'elle a subies en monabsence représentent une sorte de lavagede cerveau. Qui n'a pas vécu dans cevillage, au milieu de ces gens, dans lesconditions que je connais, est incapable

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d'imaginer une seconde ce que l'on peutdevenir, si la rage, la haine, la force nevous soutiennent pas. Et Nadia est un êtretendre, malléable, faible. Ils l'ont brisée.

C'est là, je crois, ma plus grande sourcede haine.

Cette rencontre a quelque chose d'irréel.

Ma sœur n'a toujours pas ôté son voile etne le fera pas. Il y a trop d'hommes auxalentours. D'ailleurs je le préfère.

J'ai trop peur de le revoir ce visage, cestraits tirés, cette peau que je devineabîmée, brûlée de soleil.

Je retourne auprès d'elle, loin descaméras. Je murmure : - Tu veux reveniren Angleterre, Nadia ?

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Son mari est trop proche. Elle hésite puisse penche en détournant légèrement latête.

J'entends, sous le voile, le chuchotementde la réponse : - Je veux rentrer à lamaison.

Il n'a pas compris. Pas entendu. C'estainsi que je recueille les autresconfidences, par étapes, par petits boutsde phrases murmurées, la tête inclinéedans ma direction, le temps de deux outrois secondes volées à la surveillance dumari qui répète inlassablement : - Ne lesécoute pas. Ne l'écoute pas.

Dépêche-toi.

Elle laisse quand même échapper : - J'ai

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peur. Puis : - Le gouvernement dit qu'onva m'enlever mes enfants.

Et entre-temps :

- Comment vont les camarades de l'école?

- Ils ont grandi, ils sont encore àBirmingham, je les vois de temps entemps. On me demande de tes nouvelles,ils veulent savoir si tu vas rentrer cheznous.

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Elle

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ne

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manifeste

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pas

d'émotion

particulière à ce souvenir d'enfance. Jedevine son esprit trop confus. Moi, j'aitrop de choses à dire, et pas le temps;elle, elle n'a rien à dire, et elle a peur.

L'impression d'être sur un quai de gare,avant le départ du train, et de ne pas avoirle temps de se parler de chosesessentielles, que l'on a pourtant ruminéeslongtemps.

Il se met à pleuvoir dans ce jardin et onnous conduit dans une maison. Une petitepièce, des chaises. Là, nous sommesseules avec Nadia, ma mère et moi, maisSamir n'est pas loin. La pièce résonne :

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impossible d'y chuchoter quoi que ce soit.

Maman prend le relais, c'est à son tour deparler à sa fille, et c'est dur pour elle, jele sais. Elle traîne depuis des années sapropre culpabilité. Souvent les gens necomprennent pas comment elle a pulaisser partir ses filles sans se douter dupiège, comment elle a perdu leur trace,comment elle a pu ignorer les mauvaistraitements que nous recevions. C'est queces gens ne savent rien du systèmed'intoxication dont elle a été victime.

Nous étions soi-disant heureuses là-bas,on ne voulait plus revenir. Notre choixétait

fait!

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Nous

étions

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devenues librement des femmesyéménites. Notre mère anglaise n'avaitpas à mettre les pieds dans le pays denotre père. Seule, elle y courait d'ailleursun grand danger.

Ce qui préoccupe le plus maman à cetinstant, c'est l'état de santé de Nadia, cettenouvelle grossesse. Elles parlent desenfants. Les enfants, dans ce pays, sontgages d'immobilité pour une mère.

Tendre et cruelle prison sur laquelle leshommes comptent avec succès.

Samir s'approche plus près : - Il fautpartir maintenant, à cause des enfants.Nous montons dans la Jeep.

Samir et Nadia, silencieuse, obéissante,

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nous

raccompagnent jusqu'à

l'hôtel. Elle se penche vers moi,m'embrasse à travers son voile, un gestepresque automatique qui me bouleverse,et dit seulement les yeux remplis delarmes:

- A bientôt.

- Je ne t'abandonnerai pas.

Nouvelle promesse, qu'elle reçoit dans unbrouillard. Elle est déjà loin, si loin,arrachée à ma présence, reprise.

Ce sentiment terrible qu'on me la vole!

C'est fini. Elle est partie, elle retourne auvillage.

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En fin de journée nous faisons un tourdans la ville de Taez avec l'équipe detournage. Ça n'a pas changé. Desbâtiments ont été détruits pendant laguerre du Golfe, l'impression de pauvretéme paraît plus forte qu'avant.

Nous retournons le soir à Sanaa passer lanuit à l'hôtel.

Je n'ai qu'une envie, c'est partir d'ici. Aun moment, j'ai eu peur de m'effondrer, decéder. Devant Nadia j'aurais pu dire : «Je reste. » Tout en sachant que cela neservait à rien. Maintenant je me senscoupable de partir, et pourtant il le faut.

Rester ne fera pas avancer les choses. Jene pourrais pas revivre au village, je nepourrais pas habiter en ville en toute

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sécurité. Ils ne me laisseront plus la voir.Hors de la présence de l'équipeeuropéenne, de l'œil officiel d'unecaméra, je redeviens leur bête noire.

L'empêcheuse d'esclavage.

Si je restais, avec le maigre espoir de lavoir de temps en temps, ma mère enmourrait. Et mon combat ne serait pasterminé... Je ne pense pas seulement àNadia, mais à tous ces autres enfants quel'on a faits prisonniers là-bas et quiveulent désespérément rentrer chez eux.

Ce pays me terrifie. Même avec toutel'équipe française, en reprenant l'avion, jene peux m'empêcher de me retourner sanscesse. J'ai peur que quelqu'un m'attrapepour me ramener dans ce village.

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Et ce n'est pas fini. Nous allons devoir,maman et

moi, subir l'épreuve d'une autre émissionde télévision. Nous retrouver face à cediplomate qui déclare avoir tout fait pournous. Il le faut. Au Yémen, nous avonsrencontré tout ce qu'ils ont pu nousmontrer de « féminin » en matière degouvernement. Une femme ministre m'amême promis de m'aider. Si je veuxtéléphoner à Nadia, ou lui écrire, je n'aiqu'à lui demander.

Merci Madame le Ministre. Je le ferai,mais je crains la suite. J'en ai tellemententendu, des promesses ! Du gouverneur,des diplomates. Et des conseils aussi. «

Ne faites pas tant de tapage médiatique...

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» « Si votre sœur ne veut pas partir enAngleterre, c'est son droit, elle est libre...» « Si vous voulez revenir au Yémenvous êtes libre... »

Je voudrais hurler. Libre Nadia ? Dedemander l'autorisation à son mari, qui vala demander à son père, qui va la refuser?Parce que c'est ainsi : c'est lui le chef.

Nadia apparaît sur les écrans detélévision quelques jours plus tard,grands yeux noirs, grand voile noir,offerte, mystérieuse, aux téléspectateursfrançais.

Sur le plateau, j'assume, je réponds; jerassemble toutes mes forces, tout moncalme pour ne pas crier à ce diplomate :« Vous m'avez menti. Nous n'étions pas

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seules. Les enfants étaient au village, jen'ai pas pu voir mon fils. »

Il ose me dire que c'est de ma faute.

Pourtant Jean-Pierre Foucault lui faitremarquer que notre sécurité sur la routene pouvait pas être assurée...

J'aurais dû accepter de revivre cecauchemar ? Pourquoi n'ont-ils pas amenéles enfants? Tous les enfants ?

Abdul Khada, c'est sûr n'a pas voululâcher Marcus. Ils prétendent que lesenfants devaient aller à l'école. AuYémen on va à l'école à sept ans! Seulel'aîné de Nadia a sept ans. La diplomatiese rabat finalement sur le fait quedéplacer

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enfants

était

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trop

compliqué, et pas très utile. Mensonges.

Nadia est heureuse et libre au village.

Mensonges.

J'entends le diplomate dire en toutetranquillité qu'elle a peut-être connu laviolence et la contrainte, mais quemaintenant elle aime cette vie ! Et avec unpetit sourire supérieur, que Nadia n'estpas la Sakharov du Yémen...

Pour moi, si. Elle est prisonnière, otage,sans plus d'identité propre qu'un animaldomestique.

Je l'ai vu dans ses yeux, il y a trop decolère. Ce regard n'est pas un regard de

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liberté. Et je sais ce qu'elle m'a dit, etqu'elle a trop peur de dire devant leshommes.

Je l'ai vécue et je la connais cette peur.

Pas eux.

A Birmingham je retrouve un peu decalme. Mon fils Liam m'aide à reprendremes esprits. Je me dois à lui, et sonamour m'apaise.

Ma mère, elle, commence à s'agiter. Elleveut aller au Yémen, tenter l'impossible.

Notre éditeur va l'aider en s'occupant desformalités et, puisque la diplomatie amontré tant de prévenance, elle n'aurarien à craindre là-bas, mais pour plus desécurité elle va partir avec une amie

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anglaise. Il vaut mieux être deux à Taez,quand on est femme étrangère.

Maman craint cette cinquième naissancepour Nadia. Elle voudrait être là, obligerSamir à la laisser accoucher à Taez où ily a un hôpital.

Entre-temps, j'ai essayé de téléphoner. Ily a là-bas une cabine téléphonique, dansla rue, à cinq minutes de la maison deNadia. Pour des Européens tout paraîtsimple. Mais elle, elle ne peut pastéléphoner

seule,

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le

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village

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la

dénoncerait aussitôt à la famille. Si nousobtenions la communication depuisBirmingham, elle ne pourrait venirrépondre qu'accompagnée d'un homme.

D'ailleurs je m'entends assurer par lebureau de Taez :

- La ligne est en panne.

C'est la Lune là-bas. Ma sœur est sur laLune, une extra-terrestre, perdue dans laquatrième dimension !

J'écris aussi à Madame le Ministre qui apromis de nous aider. Je ne recevraiaucune réponse. Pire, je m'entendraiaffirmer, lors d'une troisième émission enFrance, sur le même plateau, par le même

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diplomate, que je n'ai pas écrit!

Ou que ma lettre n'est pas arrivée. Quetout cela est ma faute, que je m'obstineenvers et contre la libre volonté de masœur.

Je ne suis selon lui qu'une menteuse, une« pleureuse de télévision ».

Je ne demande pourtant qu'une toute petitechose : qu'elle vienne passer desvacances en Angleterre avec son mari etses enfants. Si nous obtenons cela, et sielle veut ensuite retourner au Yémen,alors j'accepterai sa décision. Mais tantqu'on lui refuse ce simple séjour deliberté, je n'accepterai rien, je ne céderaipas. Je ne les crois pas, je ne croisqu'elle. Je ne crois qu'en ma force de

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lutte.

Le P août 1992, avec son amie Jane,maman prend l'avion pour Paris. Puispour Sanaa. Jane est tellement anglaise :rousse, teint pâle, regard clair; avec elleils

n'oseront

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pas

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risquer

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de

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complications

diplomatiques.

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Jane

ressemble à Betty Mahmoody. Calme etdouce, et obstinée. Depuis quelque temps,elle a fondé avec maman une petiteassociation bénévole pour aider etconseiller les femmes dans le cas deNadia.

Je me tiens volontairement à l'écart de cevoyage. Il va durer plusieurs semaines,mon fils Liam a besoin de moi, j'ai peurde compliquer les choses, et mamanréclame sa part de combat.

La pauvre va subir une épreuve depatience et de frustration, mais nousdevons saisir toutes les chances dereprendre contact.

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Le soir de son arrivée, j'ai droit à un coupde téléphone rapide. Pas plus de cinqminutes. Nous savons que nous risquons

d'être

mystérieusement

coupées...

Elle m'appelle de son hôtel à Taez, tout lemonde là-bas est déjà au courant de sonarrivée, elle va tenter dès demain delouer un taxi pour se rendre au village.

Deux jours plus tard, même coup detéléphone rapide, la voix de ma mère estprécipitée, angoissée.

- Je voulais aller au village en Jeep, ons'est fait attaquer. Dès que j'ai dit où jevoulais aller, des hommes nous ont

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entourées, il y en avait une cinquantaine,ils nous ont insultées, ils criaient deschoses. On a eu très peur, on est viterentrées à l'hôtel, ils tapaient sur le taxi...Je vais rencontrer quelqu'un àl'ambassade de Sanaa. Il pourra peut-

être m'aider. Le gouverneur dit qu'il nefaut pas aller au village, qu'on ne peut pas« assurer notre sécurité ».

Comme d'habitude, l'éternel problème.

Allez-y si vous voulez, mais à vosrisques et périls, seules dans lesmontagnes, et à condition qu'un chauffeurveuille bien vous y conduire...

Les jours passent, j'apprends au fur et àmesure, comme dans un feuilleton, qu'un

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conseiller de l'ambassade britannique areçu maman à Sanaa et a promisd'intervenir auprès du gouverneur. Il luidit de ne pas chercher à aller au villagepar ellemême, c'est trop dangereux, onpourrait tout simplement leur tirer dessus.

C'est la guerre. Elle doit même éviter dese promener seule dans les rues de Taez.

L'affaire a fait trop de bruit au Yémendepuis 1987, sa photo est parue dans lesjournaux comme la mienne et celle deNadia.

A nouveau, le téléphone sonne et enfin,j'ai des nouvelles positives. Maman a vuNadia. Dix minutes. Dix petites minutespour un pareil voyage !

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- Ils l'ont amenée du village avec sa filleTina me dit maman. Elle m'a embrassée,elle pleurait. Elle est épuisée, elle vaaccoucher bientôt. Impossible d'êtreseules. Il y avait Samir, son frère je crois,et un autre homme. Plus sept officiels.L'autre homme ne cessait de lui parler enyéménite. La situation était si bizarre,tous ces hommes autour de nous, je narrivais pas à lui parler tranquillement,alors je l'ai emmenée dans la chambre. Jesuis restée calme, j'ai même serré la mainde Samir.

« Elle a ôté son voile, sa peau est si fine,pleine de petites rides, toutes ses dentssont pourries, ses yeux cernés.

Elle m'a fait mal. J'ai peur pour elle,

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Zana...

« Finalement ils nous ont laissées seulesquelques minutes dans la chambre, avecun garde armé derrière la porte ! J'ai eu letemps de lui montrer quelques photos dechez nous, elle a dit qu'elle voudrait bienvenir, mais que ce n'est pas de sa faute,que c'est Samir qui ne veut pas.

Elle a pleuré, puis elle a ri devant lesphotos

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que

j'avais

apportées

d'Angleterre.

« Tout s'est passé si vite ! Je n'ai pas eu letemps de lui parler vraiment, de tout luiraconter sur nous, et de lui dire ce quenous faisons pour elle. Samir est entré aubout de dix minutes à peine, il lui aordonné en arabe : " yallah " (Vite !) «Nadia a remis précipitamment son voileet m'a dit : " Je dois m'en aller, la voitureattend."

« J'ai essayé de convaincre Samir. "

Laisse là un peu à Taez, qu'elle accouche

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ici, tu vois bien qu'elle est malade... "

« Il a répondu : " Elle n'a pas besoind'être ici pour accoucher, elle n'est pasmalade, elle n'a pas besoin de toi, ni dedocteur, elle n'a besoin que d'une natte àla maison. "

« Nadia a demandé à rester un peu àl'hôtel avec nous, elle était fatiguée,Samir n'a pas voulu. Il était très agressif,je n'ai pas insisté.

La ligne téléphonique est si mauvaise queje perds parfois la voix de ma mère.

J'entends des grésillements, des voixsurajoutées. Je l'imagine dans sa chambred'hôtel à Taez, entourée de tous ceshommes, mendiant dix minutes de

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rencontre avec sa propre fille ! C'estinsensé. Rien n'a changé.

C'est ce qu'ils appellent en langagediplomatique, la « liberté ». Tenue enlaisse, entourée d'hommes, gardée par unfusil, pour une entrevue de dix minutesdans un hôtel de Taez! Liberté.

Que l'on ne me dise pas que ma sœur n'estpas leur otage.

Que craignent-ils de ma mère? 1,55

mètre, 50 kilos... qu'elle l'enlève deforce?

Et Marcus, mon fils? Pas de nouvelles,aucune nouvelle, c'est comme s'iln'existait plus, comme si je n'avais jamaisété sa mère. Parfois je me demande s'il

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est encore vivant.

Depuis cette visite arrachée grâce àl'intervention

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du

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conseiller

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de

l'ambassade britannique auprès dugouverneur, maman et Jane n'osent pastrop sortir, excepté pour les nécessités dela vie quotidienne. Elles passent lamajeure partie de leur temps dans leurchambre d'hôtel. Elles sont en contacttéléphonique avec le conseiller à Sanaa,qui est formidable. C'est toujours sur luiqu'elles comptent pour organiser unenouvelle rencontre, une. vraie. Quand ?

Entre-temps, Nadia va accoucher auvillage.

Maman me dit qu'elle a parfoisl'impression d'être suivie. Paranoïa,sentiment d'insécurité - ce que je

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comprendrais parfaitement -, ou réalité?

Les rumeurs courent. Ma sœur Ashia arencontré mon père, qui lui a raconté d'unair suffisant, très content de lui, queSamir aurait reçu une forte sommed'argent du gouvernement, qu'il n'auraitplus besoin de travailler, et aucune envie,bien entendu, de contrarier les donateursen venant passer quelque temps enAngleterre.

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Nouvelle

émission

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de

télévision,

nouvelle colère de la diplomatie quibrandit sa bonne foi et l'honneur duYémen comme une banderole...

Mon père a-t-il menti dans l'espoir denous écœurer définitivement ? Possible.

Mais c'est lui qui répand cette rumeur;que la diplomatie aille donc lui poser desquestions. Que l'on ne me reproche pas, àmoi, de faire état de rumeurs, je n'ai quecela. Rumeur que mon fils est vivant,rumeurs que ma sœur est libre...

Maman est en liaison téléphonique avecle plateau de télévision. Pour l'obtenir, ila fallu qu'elle passe la journée dans un

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autre hôtel que le sien, et qu'on la joignesur un numéro confidentiel.

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Toute

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liaison

demandée

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est

immédiatement signalée, écoutée, il fautdéployer des ruses de Sioux pour separler sans être coupés, surtout s'il s'agitde médias.

Fin de l'émission, fin du stress, qui mefait bloc de pierre.

Retour à Birmingham.

L'espoir me quitte à nouveau certainesnuits d'insomnie où je pense aux nuitspassées là-bas, en prison, entre ciel etmontagne.

Le comble est que mon frère et ma sœuraînés, que mon père avait emmenés auYémen il y a vingt ans, ont quitté ce payssans la moindre hésitation dès qu'ils en

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ont eu la possibilité. Ils vivent àBirmingham à nouveau. Ma sœur estvenue avec son mari, mon frère estcélibataire. Eux sont libres.

Chaque fois que je retourne le problèmedans ma tête, je retombe toujours surGowad. C'est lui 1' « acheteur » deNadia, comme Abdul Khada était le mien.C'est lui qui refuse, qui manipule tout lemonde, c'est lui la clé.

Les autorités yéménites ont reconnul'illégalité de nos mariages, elles ontreconnu (tout de même) nos nationalitésbritanniques. Donc notre liberté de quitterle Yémen. Sur le papier... Cinq enfants etun mari qui refuse de vous laisservoyager, même une semaine, ce n'est pas

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la liberté ordinaire d'un sujet britannique.Même sur le papier.

Les semaines passent dans un désertd'informations. Aucune nouvelle deNadia, maman tourne en rond dans sachambre d'hôtel et ne sort que pour allerau marché avec son amie Jane. Elle aussicommence à se sentir prisonnière, sesnerfs sont mis à rude épreuve, et ellepleure plus souvent au téléphone.

Les larmes reviennent et s'en vont.

Nouvel espoir. Nadia a accouché, il faut,d'après Samir, attendre quarante jourspour qu'elle puisse venir à Taez.

Le conseiller d'ambassade a eu unediscussion avec lui.

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Question : « Pourquoi ne voulez-vous pasvenir en Angleterre ? »

Réponse : « Si j'y vais, on va me mettreen prison ! »

C'est stupide. Maman lui a expliqué quel'Angleterre est un pays de liberté, qu'ilpeut y passer des vacances, que son pèrelui-même, Gowad, y réside, et qu'il n'estpas en prison pour autant! Notre père nonplus d'ailleurs!

Réponse subsidiaire :

- Moi je voudrais bien, mais Nadia nevoudra jamais!

Comme personne ne le croit, il donneenfin sa dernière raison, peut-être labonne :

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- Mon père et ma mère m'ont défendu devenir. Je dois écouter mon père.

Maman a attendu quarante jours, puis elleest retournée voir le gouverneur, enprésence de Samir.

Le gouverneur lui a assuré qu'il allaitfaire tout ce qui était en son pouvoir pourarranger cette histoire. Combien de foisai-je entendu répéter cela ?

Maman tient un journal, elle y note tout etme le lit à chacune de noscommunications.

Chez le gouverneur de Taez, donc, Samirest présent dans le bureau où elle estreçue.

Le gouverneur :

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- Quel est ton problème, Samir?

Pourquoi ne veux-tu pas aller enAngleterre?

- A cause de toute cette propagande.

Maman lui explique qu'il n'y a plus depropagande, que tout est terminé àprésent, et que l'on ne parle, plus de nousen Angleterre.

.Alors Samir déclare :

- J'irai l'an prochain. Maman répond : -Cela fait cinq ans que vous dites ça.

Zana peut vous offrir les billets aller-retour, prendre en charge tous vos frais deséjour. Vous n'aurez à vous inquiéter derien, l'ambassade a un visa à ladisposition de Samir...

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Ils ne l'écoutent plus. Le gouverneur a faitson travail, il a parlé à Samir, Samir arépondu. L'incident est clos.

Mais grâce à l'intervention de notreambassade,

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maman

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va

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pouvoir

rencontrer Nadia dans le bureau dugouverneur.

Un peu plus de dix minutes cette fois : onlui fait la grâce d'une demi-heured'entretien avec sa fille, après lui enavoir promis le double.

Date historique pour nous, le 7

novembre 1992, un samedi. Il est 12

heures 30 à Taez.

On conduit ma mère dans une sorte degrande salle près du bureau dugouverneur. Une pièce nue où des chaisesvides attendent le long des murs.

Nadia va venir, elle est encore dans le

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bureau du gouverneur avec Samir. On doitprobablement lui rappeler ce qu'elle doitdire, et ne pas dire.

Puis Nadia arrive, voilée, son dernierbébé dans les bras.

Elle s'assied sur une chaise à côté demaman. Cette fois il n'y a pas de gardearmé derrière la porte, la sécurité dubureau du gouverneur doit leur paraîtresuffisante. Cette fois elles sont vraimentseules.

Maman lui demande d'ôter son voile.

Elle lui raconte notre vie à Birmingham,demande des nouvelles de Marcus. Il n'yen a toujours pas. Nadia parle d'une petitevoix fatiguée, lasse. Son dernier

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accouchement a été difficile, comme sonpremier. Elle aurait eu besoin d'unecésarienne, le bébé était trop gros, maisau village on ne connaît pas le mot «

césarienne », on ne connaît que la lamede rasoir.

Maman a voulu prendre une photo d'elleet de l'enfant. Nadia a accepté, une seule,pas plus, comme si elle craignait quelquechose. D'être punie ?

Je l'ai sous les yeux cette photo, mamanme l'a

envoyée aussitôt. C'est la première foisque je revois ma sœur sans son voile.

Les larmes me viennent aux yeux. Elle atellement changé. Et ce cinquième bébé

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dans les bras, c'est cela qui me fait peuret me fait pleurer. Elle ne cesse pas defaire des enfants; il va la tuer.

Son visage a vieilli, elle ne ressemblepas à celle que j'ai quittée, ses yeux sontridés, le sourire las, et pourtant elle estbelle, si belle avec son regard perdu.

Maman se demande si elle mâche le qat,comme tous les Yéménites. Toutes sesdents sont abîmées, elle est si faiblequ'elle marche courbée, avec lenteur.

Haney, l'aîné de ses enfants a huit ans,Tina a six ans. Le troisième est un garçon,et le quatrième aussi, nous l'avons vu enfévrier, encore bébé. Le dernier, je nesais même pas son nom; lorsque mamanl'a vu il n'en avait pas encore; c'est Samir

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qui choisit le nom des enfants, pas Nadia.

Si elle doit faire un autre enfant cetteannée, elle ne tiendra pas le choc. Quant àsa vie là-bas, je là connais. S'occuper desenfants, travailler aux champs,recommencer chaque jour la même tâche.Il n'y a rien d'autre à faire qu'à travailler.

Elle ne comprend même pas qu'elle estune esclave. Elle avait quatorze ans enarrivant, elle a passé treize ans là-bas;maintenant, elle ne sait plus rien d'une vienormale. C'était pareil pour moi, je nem'en suis vraiment rendu compte qu'enarrivant en Angleterre. On ne peutcomprendre qu'avec le recul. Si ellevenait en vacances en Angleterre, elleaurait du recul... elle retrouverait sa

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personnalité. C'est cela qui leur fait peur.Que pourraient-ils dire alors contre lavolonté d'une femme libre?

Ce que je contemple sur cette photo, c'estun fantôme tout en noir, aux grands yeuxnoirs, sur un fond de mur blanc, unfantôme qui a osé dévoiler ce visage pourma mère, quelques secondes, et a remisaussitôt son voile, de peur que le « maître» ne la surprenne en flagrant délit deliberté familiale.

Elle a encore dit à maman : - Ce n'est pasmoi qui ne veux pas venir, maman, c'estlui.

Chaque fois que je regarde cette photo,c'est une torture. Elle a l'air, je ne saispas... droguée... ailleurs... perdue.

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J'ignore le moment où il sera trop tardpour elle...

Je ne veux même pas lui écrire, nousdevons faire attention aux lettres, à ce quenous y dirions, en admettant qu'on les luiremette, ce dont je doute. Une lettre peutranimer la crise au village.

Elle doit en avoir peur. Par moments je nesais plus comment lutter, comment briserce mur.

Maman non plus. Après cette demi-heureprivilégiée, Nadia est repartie sur l'ordrede Samir, dos courbé sous le poids de soncinquième enfant, à vingt-sept ans.

Maman m'a dit au téléphone qu'elle devaitrentrer, elle ne peut plus rien espérer des

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autorités sur place. Elle a passé cinqmois là-bas, pour dix minutes puis unedemi-heure d'entrevue, et cette photovolée, notre seul trésor.

Parfois j'arrive à faire le vide, à ne pluspenser à Nadia, et à tout ce qui est arrivé.Il le faut. Mais cela me reprend très vite,et les larmes reviennent. Je ne peux pasmener une vie normale, pas comme je lesouhaiterais. Je ne vis pas, je survis. J'aiencore du mal à dormir, mon bébé Liamm'y aide parfois, je le prends dans mesbras, nous dormons ensemble, je ne lequitte pas. C'est un peu Marcus que jeprends dans mes bras en même temps quelui.

Je n'ai pas pu continuer à vivre avec

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Mackie, son père. Nous sommes restésamis. Il m'a beaucoup aidée à mon retour,mais j'ai peur des liens trop profonds, jen'arrive pas à m'investir, à prendre unerelation amoureuse trop au sérieux. J'aibesoin, encore de garder une certainedistance.

Ma sœur aînée est heureuse depuis sonretour en Angleterre, elle a trente et unans, elle en avait vingt-huit lorsqu'elle estrevenue du Yémen. Je la vois de temps entemps avec ses enfants, ils vont à l'écoleà Birmingham, ils parlent anglais. J'aimoins de facilité avec son mari. Il merappelle trop mon père. Il parle commelui, je le supporte mal, et ma sœur lecomprend.

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J'ai envie d'adopter des enfants. Je n'aipas encore rencontré l'homme idéal. Ilviendra peut-être, mais peut-être pas.

J'ai vingt-neuf ans, et je ne rajeunis pas.

Adopter un enfant pour moi, c'est commeune mission, j'y pense depuis trèslongtemps. Marcus en est peut-être laraison principale. Si j'adoptais un enfant,ce serait un peu comme si je ramenaisMarcus à la maison. Même si je sais trèsbien que ce n'est pas vrai.

Je dois admettre aussi qu'il est presqueperdu pour moi. Pour le voir même unefois, il faudrait que j'en fasse la demandeà un tribunal yéménite. Et comme AbdulKhada refuse que je le voie... ce serait uncombat inutile. La rumeur dit qu'il est en

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vie, je dois me contenter de cela.

Nadia a dit en novembre à maman qu'elleavait demandé à le voir à plusieursreprises, on le lui a refusé aussi.

L'enfant, c'est le véritable objet dechantage. Il ne peut ni décider, ni choisir.Un être faible sur lequel l'homme exercepleinement son pouvoir.

Maman a entendu cette phrase terriblelorsqu'elle était là-bas, de la bouche d'unhomme yéménite :

« Les hommes font des " gosses " à leurfemme, jusqu'à ce qu'elle meure s'il lefaut. Ensuite, ils se remarient, il n'y a riende plus commun.»

Je tremble pour Nadia. J'ai échappé à

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cette

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servitude

monstrueuse,

j'ai

reconquis le droit élémentaire d'unefemme à disposer de son propre corps.

Pas elle. C'est pour cela que je vais mal ànouveau, que je cherche l'espoir contretous, contre vents et marées.

Après avoir parlé à Nadia, j'étais dansune sorte de transe. Tant de colère. J'aimême été très désagréable avec ma mère,et il m'arrive de l'être encore aujourd'hui.Je reporte mon agressivité sur la famille,et sur elle en particulier.

Ma haine contre ces gens qui retiennent

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Nadia est devenue plus virulente encoredepuis que le lui ai parlé.

Nadia, comme ma haine, a atteint sonpoint limite, ça ne peut pas être pire.

Quand je l'ai entendue me demander : «

M'avais-tu oubliée ? », j'ai comprisqu'elle n'avait pas cessé d'espérer quenous lui viendrions en aide.

Et j'avais peur de la regarder, de regardermon propre cauchemar en face, dans sesyeux. Peur de la toucher, peur dem'effondrer en larmes, de me jeter à terreen suppliant que tout cela s'arrête enfin,qu'on nous laisse vivre! Vivre!

Maman a découvert un expert islamique,un sage, le seul, paraît-il, à pouvoir, peut-

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être, convaincre Gowad, le tyran.

A lui il ne pourra pas répondre avecmépris.

C'est mon dernier espoir. Car nous avonscédé sur beaucoup de choses, on medemande d'abandonner mon procès contrenotre père, je veux bien, si cela peutcalmer les esprits. Mais si ['action de cethomme sage et religieux n'obtient aucunécho, alors...

Je trouverai autre chose. Car Nadia nesurvivra pas à cette vie. Je l'ai vue, je lesens. Et s'il faut encore aller « pleurer »,comme dit la diplomatie, sur un plateaude télévision, ou ailleurs, je le ferai,inlassablement.

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Nous avons été vendues et violées; Nadial'est toujours.

Je n'ai plus rien à perdre.

Zana Muhsen. Février 1993.