VALLEY OF LOVE IN FOCUS VIF

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26 CLOSE UP MUSIQUE DISQUES DE NOËL FOCUS VIF / 21 DÉCEMBRE 2012 haque année, alors que les fêtes approchent, l’industrie du disque se charge de nous foutre les boules avec ses best of qui sentent le sapin et ses mauvais albums de Noël qui fleurent bon les super- marchés et les catalogues de jouets. Nouvelles idoles adoles- centes (Lady Gaga, Justin Bieber), stars de la variétoche (Céline Dion, Mariah Carey), franco- philes contaminés (Tino Rossi, Dalida, Franck Michael), ac- teurs de série télé (David Hasselhof, Roseanne Barr)... De quoi remplir un rayon entier chez Carrefour. Préparez le traineau, sortez les rennes et faites tinter les cloches. Excitant projet belge, Another Christmas Album de Valley of Love, sorti sur le label Cheap Satanism Records (ça ne s’invente pas), dépoussière solidement le concept. Tout commence en 2009. A l’époque, Gil Mortio se lance dans un projet, Les Garçons du futur, avec Karim Gharbi et Dan Barbanel. Le groupe fait long feu. “C’était un peu trois coqs dans la même basse-cour, raconte-t-il. Ça ne marchait pas des masses.” Mais il a le temps d’enregistrer une chan- son. Une chanson de Noël (“c’était un mois avant les fêtes”) intitulée Valley of love. Gil sollicite Philippe Tasquin et Gar- rett List, son prof d’impro au conservatoire, pour la face B. Sortie du 45 Tours et rideau. Deux ans plus tard, le mec de Joys as a Toy collabore avec François Vayana. Vayana a vécu à New York quand il était gosse. Il adore les chansons dédiées au gros barbu et l’in- cite à repasser les plats. “J’ai pondu deux morceaux mais je les ai terminés trop tard. Des titres de Noël qui sortent le 1er janvier, ça fait un peu con. Je les ai mis au frigo et je me suis décidé à en enregistrer de nouveaux pour sortir un album en 2012.” Gil “Spector” aime l’idée de bosser sur des chansons de Noël pendant l’été. Comme pour les quatre premiers mor- ceaux, il demande aux artistes de se mélanger, de provo- quer des rencontres et de faire en sorte qu’il y ait deux dé- nominateurs communs. Lui et Santa Claus. “Le choix des gens s’est fait de manière arbitraire et aléatoire. Au hasard des rencontres et des concerts que j’allais voir.” L’Américain Seth Faergolzia par exemple assure la pre- mière partie de Jeffrey Lewis aux Ateliers Claus. “Je lui ai soumis l’idée. Il a proposé un hip hop. Je l’ai pris au mot. On a tout fait via Internet. Une partie de ping-pong du XXIe siècle.” Méchant Noël Enregistré dans des corridors, des living-rooms, des stu- dios à Bruxelles surtout mais aussi un peu à Louvain-la- Neuve, Liège, New York (Faergolzia) et Barcelone (Roig), Another Christmas Album est un disque voyageur sur lequel a notamment embarqué Boris Gronemberger de VO. Louer un studio pendant un mois et demi n’était pas spécia- lement envisageable. Le jour où la Fédération Wallonie Bruxelles sponsorisera des albums de Noël à tire-larigot, on pourra repenser ce genre de projet. Là, j’ai fait avec les moyens du bord et je n’en suis pas mécontent. Chaque endroit a son propre son et a induit une manière de travailler.Le résultat est relativement décalé. “Des gens m’ont dit que l’album était parfait à écouter en faisant le sapin. Ca me ravit. L’approche est un peu borderline quand même. L’objectif que je m’étais fixé, c’était de toucher un thème populaire sous couvert d’un label indépendant. De se frotter aux musiques de Noël clichés et en même temps de rester alternatif.” Le tout sans tomber dans le registre anecdotique et décon- nade de ce qu’a pu proposer un René Binamé. “Valley of Love, c’est un sujet populaire mis entre les mains d’un fou fu- rieux. Ça pouvait être satirique mais je ne voulais pas que ce soit pastiche ou drôle. Je tenais avant tout à présenter de chouettes morceaux. Le seul vraiment rigolo, c’est Méchant UN DEUXIÈME COFFRET DE SUFJAN STEVENS ET UN PROJET BELGE, VALLEY OF LOVE, AUSSI DÉCALÉ QU’EXCITANT, DÉPOUSSIÈRENT LE CONCEPT DU DISQUE DE NOËL. HO HO HO... TEXTE JULIEN BROQUET C LA FILE DU PÈRE NOËL GIL MORTIO 21 DÉCEMBRE 2012 / FOCUS VIF

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FOCUS VIF / 21 DÉCEMBRE 2012

haque année, alors que les fêtesapprochent, l’industrie du disquese charge de nous foutre lesboules avec ses best of qui sententle sapin et ses mauvais albums deNoël qui fleurent bon les super-marchés et les catalogues dejouets. Nouvelles idoles adoles-centes (Lady Gaga, Justin Bieber),

stars de la variétoche (Céline Dion, Mariah Carey), franco-philes contaminés (Tino Rossi, Dalida, Franck Michael), ac-teurs de série télé (David Hasselhof, Roseanne Barr)... Dequoi remplir un rayon entier chez Carrefour.Préparez le traineau, sortez les rennes et faites tinter lescloches. Excitant projet belge, Another Christmas Album deValley of Love, sorti sur le label Cheap Satanism Records(ça ne s’invente pas), dépoussière solidement le concept.Tout commence en 2009. A l’époque, Gil Mortio se lancedans un projet, Les Garçons du futur, avec Karim Gharbi etDan Barbanel. Le groupe fait long feu. “C’était un peu troiscoqs dans la même basse-cour, raconte-t-il. Ça ne marchaitpas des masses.” Mais il a le temps d’enregistrer une chan-son. Une chanson de Noël (“c’était un mois avant les fêtes”)intitulée Valley of love. Gil sollicite Philippe Tasquin et Gar-rett List, son prof d’impro au conservatoire, pour la face B.Sortie du 45 Tours et rideau.Deux ans plus tard, le mec de Joys as a Toy collabore avecFrançois Vayana. Vayana a vécu à New York quand il étaitgosse. Il adore les chansons dédiées au gros barbu et l’in-cite à repasser les plats. “J’ai pondu deux morceaux mais jeles ai terminés trop tard. Des titres de Noël qui sortent le 1erjanvier, ça fait un peu con. Je les ai mis au frigo et je me suisdécidé à en enregistrer de nouveaux pour sortir un album en2012.”Gil “Spector” aime l’idée de bosser sur des chansons de

Noël pendant l’été. Comme pour les quatre premiers mor-ceaux, il demande aux artistes de se mélanger, de provo-quer des rencontres et de faire en sorte qu’il y ait deux dé-nominateurs communs. Lui et Santa Claus. “Le choix desgens s’est fait de manière arbitraire et aléatoire. Au hasarddes rencontres et des concerts que j’allais voir.”L’Américain Seth Faergolzia par exemple assure la pre-mière partie de Jeffrey Lewis aux Ateliers Claus. “Je lui aisoumis l’idée. Il a proposé un hip hop. Je l’ai pris au mot. On atout fait via Internet. Une partie de ping-pong du XXIe siècle.”

Méchant NoëlEnregistré dans des corridors, des living-rooms, des stu-dios à Bruxelles surtout mais aussi un peu à Louvain-la-Neuve, Liège, New York (Faergolzia) et Barcelone (Roig),Another Christmas Album est un disque voyageur sur lequela notamment embarqué Boris Gronemberger de VO.“Louer un studio pendant un mois et demi n’était pas spécia-lement envisageable. Le jour où la Fédération WallonieBruxelles sponsorisera des albums de Noël à tire-larigot, onpourra repenser ce genre de projet. Là, j’ai fait avec lesmoyens du bord et je n’en suis pas mécontent. Chaque endroita son propre son et a induit une manière de travailler.” Le résultat est relativement décalé. “Des gens m’ont dit quel’album était parfait à écouter en faisant le sapin. Ca me ravit.L’approche est un peu borderline quand même. L’objectif queje m’étais fixé, c’était de toucher un thème populaire souscouvert d’un label indépendant. De se frotter aux musiques deNoël clichés et en même temps de rester alternatif.”Le tout sans tomber dans le registre anecdotique et décon-nade de ce qu’a pu proposer un René Binamé. “Valley ofLove, c’est un sujet populaire mis entre les mains d’un fou fu-rieux. Ça pouvait être satirique mais je ne voulais pas que cesoit pastiche ou drôle. Je tenais avant tout à présenter dechouettes morceaux. Le seul vraiment rigolo, c’est Méchant

UN DEUXIÈME COFFRET DE SUFJAN STEVENS ET UN PROJET BELGE, VALLEY OFLOVE, AUSSI DÉCALÉ QU’EXCITANT, DÉPOUSSIÈRENT LE CONCEPT DU DISQUE DENOËL. HO HO HO...

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LA FILEDU PÈRE NOËL

GIL MORTIO

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rouge mais inscrits en noir sur les feuilles bilantaires desmagasins. En gros, le moment où tout le monde com-mence -enfin surtout les plus prévoyants- à faire sesachats.Les albums de Noël, ça vend énormément. Regroupés, lesdix plus prisés (Justin Bieber, Glee, Andrea Bocelli, SusanBoyle, Josh Groban) se sont écoulés à 5,6 millions d’exem-plaires aux Etats-Unis l’an dernier d’après le rapport 2011de Nielsen & Bilboard. Selon ce même document, Christ-mas de Michael Bublé est, derrière Adele, le deuxièmedisque le plus vendu de l’année avec 2452000 copies. Cet hiver, presque 35 ans après le tube You’re the One That IWant tiré du film Grease, John Travolta et Olivia Newton-John se réunissent pour un album en duo intitulé ThisChristmas. Se font rejoindre par Barbra Streisand, TonyBennett et autres noms ronflant la dinde et la bûche. Lesprofits seront distribués à la Jett Travolta Foundation et àla fondation de lutte contre le cancer de Newton-John.C’est dans l’esprit. Rod Stewart, lui, a sorti Merry Christ-mas Baby. Invité Mary J. Blige et Michael Bublé. Il s’estmême permis un duo virtuel avec Ella Fitzgerald. Certainsne se refusent rien.

Déjà coach de The Voice, Cee Lo-Green, la voix sensuellede Gnarls Barkley, bouffe à tous les râteliers. Et s’est luiaussi offert un disque de Noël, Magic Moment, sur lequelChristina Aguilera vient pousser la chansonnette. L’indus-trie a depuis longtemps pigé l’enjeu et le potentiel com-mercial des disques de Noël. Mais ils sont aussi souventun petit plaisir d’artistes. Les Américains sont de grandsenfants et tiennent à ce qui reste la fête familiale par ex-cellence. Alors, ils la célèbrent. Enregistrent des cadeauxà leurs gosses. Appellent à la réunion dans un pays im-mense où les familles sont parfois très éclatées géogra-phiquement (Please Come Home For Christmas et autresjoyeusetés)...Elvis et Springsteen, Chuck Berry et Otis Redding. FrankSinatra et Ray Charles, Bob Dylan et Stevie Wonder... Tousles plus grands ont chanté Santa.Au point qu’on peut aujourd’hui passer un Noël engagéavec Happy Christmas War Is Over de John Lennon et Yoko.Un Noël sur la plage et la planche avec le Christmas Albumdes Beach Boys. Ou encore un Noël en Jamaïque en com-pagnie de Desmond Dekker et Lee Scratch Perry... Choi-sissez bien. !

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Noël. Il dure 20 secondes. Je ne pouvais pas demander autrechose à Pierre Vervloesem (producteur du premier dEUS,ndlr). C’est comme ça qu’il fait de la musique. Au radar.”Gil a écouté deux ou trois fois le Christmas album de PhilSpector. “Un disque très ancré dans son époque. Avec un typed’arrangements bien précis.” Mais il ne concède dans sadiscothèque que quelques compilations Douwe Egberts.

“Pour sonner produit, ambitieux tout en gardant un cachet ar-tisanal, tu es vite parti pour la gloire. Déjà, si tu dois payer cequ’un disque pareil coûte vraiment, tu en as facile pour 20 000euros.”Heureusement, il y a les artistes qui ont envie de se retrou-ver dans un projet associatif original. Des ingés son qui tra-vaillent gratuitement. Des studios à prêter pour une soi-rée... Disque officiel du marché de Noël bruxellois Plaisirs d’hi-ver, d’ailleurs vendu au pied de son immonde sapin sur laGrand-Place, Another Christmas Album n’est pas une com-pilation. C’est un disque d’auteur. Même si les auteurs sontmultiples. “Je me demande ce que sera le prochain Valley oflove. Je veux faire un truc dans le même esprit. Je cherche unbazar qui est dans l’inconscient collectif, populaire, qui a unetradition musicale de préférence. Et que je peux détournergentiment, habilement.”“Au-delà des trucs lourdingues comme Mariah Carey et com-pagnie qui signent les uns après les autres des variations au-tour des mêmes thèmes avec une vocation commercialeavant tout, je vois surtout l’album de Noël comme une tradi-tion extrêmement puissante aux Etats-Unis, note Gil. C’est lefonds de commerce de Disney aussi. Avec ses chœurs et sesviolons larmoyants. C’est un imaginaire. Un truc qu’on par-tage collectivement. Même ceux qui détestent. Pour résumer,c’est une atmosphère, quelques bonnes chansons et uneénorme machine commerciale qui me dégoûte.”Aux Etats-Unis, cette machine commerciale se met géné-ralement en branle au lendemain de Thanksgiving, le qua-trième jeudi de novembre. Lors de ce qu’on appelle leBlack Friday. Le jour où les chiffres ne sont plus dans le

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P O U R É C O U T E R N O Ë L A U T R E M E N T

DIVERS“A CHRISTMAS GIFT FOR YOU FROM PHIL SPECTOR”

Sorti le 22 novembre 1963 (le jour de l’as-sassinat du président John FitzgeraldKennedy), A Christmas Gift For You FromPhil Spector (initialement intitulé A Christ-mas Gift For You From Philles Record) passela plupart des standards de Noël à la mou-linette wall of sound -sa technique d’en-

registrement en mono d’un grand orchestre. Les Crystals,les Ronettes, Darlene Love et Bob B. Soxx & The Blue Jeanssonnent les cloches de ce Christmas sixties produit par l’undes plus grands maboules de l’histoire du rock. Pas très bienaccueilli à l’époque, il est aujourd’hui le classique des clas-siques. Sans doute le meilleur album de Noël de tous lestemps. Son pressage original se vend sur ebay à prix d’or(passé 500 dollars) et Legacy Recordings vient de le res-sortir avec un disque bonus de hits et raretés spectoriens.

WILD BILLY CHILDISH AND THE MUSICIANS OF THE BRITISH EMPIRE“CHRISTMAS 1979”

Les disques de Noël sont souvent commeles fêtes qui font avec. Indigestes. Dé-goulinants de mièvrerie. Sucrés jusqu’àl’excès. Aucun danger de diabète avecle Wild Billy Childish et ses musiciensde l’empire britannique. Le label Da-maged Goods avait pris l’habitude de

proposer un “Christmas single” chaque année mais c’est unalbum qu’il suggère au prolifique rockeur anglais lors d’unetrès chaude journée de juin. Deux semaines plus tard, il tientla moitié de son disque et entre en studio en juillet pour l’en-registrer. En sept jours, l’ouvrage est achevé. Composé denouvelles chansons et de classiques retravaillés de soncatalogue, Christmas 1979, c’est Noël dans ce qu’il a de pluspunk et lo-fi. Des titres comme Pete Townsend’s Christmasou Christmas Hell. Merry fucking Christmas à tous...

SUFJAN STEVENS“SILVER & GOLD: SONGS FOR CHRISTMAS. VOLS 6-10”

Sufjan Stevens a longtemps eu pour sym-pathique habitude d’offrir des chansonset des albums de Noël à ses proches pourles fêtes. En 2006, le garçon qu’onconnaissait pour son défi insensé d’en-registrer un album par état de son cherpays dévoilait Song for Christmas, un opu-

lent coffret consacré au généreux petit vieux, à son esprit etsa célébration. Stevens revient cette année avec Silver & Gold:Songs for Christmas. Vols 6-10. Cinq maxis de Noël enre-gistrés entre 2006 et 2010 sur lesquels les frères Dessnerde The National et Richard Reed Parry d’Arcade Fire vien-nent entre autres mettre leur grain de sel. Stickers, tatouages,posters, livres de textes et de partitions ainsi que photogra-phies psychédéliques made by Sufjan himself complètent lecoffret. Merci, papa Stevens.

VALLEY OF LOVE“ANOTHER CHRISTMAS ALBUM”

Il y a du Kinks, du Elvis, du hip hop amé-ricain produit en Belgique, dans cet ori-ginal, ambitieux et décalé disque de Noël.Belge d’esprit, empreint de second degré-Santa Claus Restauration affirme parexemple que le père Noël est un peu hasbeen et ferait bien de se moderniser-, Ano-

ther Christmas Album voit Gil Mortio rassembler des membresde VO, Wolke, Joy as a Toy, Garrett List, Rackham, du BlackLightOrchestra, Philippe Tasquin, Karim Gharbi, Seth Faer-golzia, Anu Junnonen ou encore Lylac autour de treize chan-sons improbables et truffées de références. Un disque délirantqui jongle avec la pop, le rock, les comédies musicales de Broad-way et se termine sur un Silent Night en version bossa nova. Leplan parfait pour tuer la dinde, les marrons et les croquettessans roupiller à table. ! J.B.

GIL MORTIO