MILLION DOLLAR LOVE

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MILLION DOLLAR LOVE TAMARA BALLIANA ESTELLE EVERY

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T A M A R A B A L L I A N A

E S T E L L E E V E R Y

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Tous droits réservés. Ce livre, ou quelque partie que ce soit, ne peut être reproduit sans la permission écrite des auteurs. Ce livre est une fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels, vi-vants ou morts, serait totalement fortuite. © Estelle Every et Tamara Balliana

Ce livre a été imprimé en France Impression à la demande ISBN : 979-10-359-0423-4

Dépôt légal : Février 2021

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E T H A N

Le moteur de ma Mustang rugit lorsque j’appuie sur la pédale de l’accélérateur, si d’habitude j’adore écouter le bruit que fait la mécanique bien huilée de la Ford décapotable, aujourd’hui j’ai la tête ailleurs.

Cette journée démarre sur les chapeaux de roue, Ed mon chauffeur est malade et j’ai dû prendre ma voiture. Je ne me souviens même plus de la dernière fois où j’ai conduit pour aller au bureau… En temps habituel, ça ne m’aurait pas dérangé, en fait, ça m’aurait probablement plu de profiter de mon cabriolet, mais ce matin je ne peux pas me permettre de me faire remarquer.

J’arrive dans Manhattan et le trafic dense du matin m’oblige à ralentir. Je tapote nerveusement sur le volant. Il ne manquerait

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plus que j’arrive au travail en retard… Juste le jour où je vais avoir la promotion que j’attends depuis deux ans !

La simple idée de ce qui va se passer plus tard, dans le bureau de mon boss, me remonte le moral. Mon travail va enfin être reconnu à sa juste valeur, ce n’est pas rien. Certains diront que les commissions à cinq chiffres que je touche à chacune des ventes que je réalise sont déjà suffisantes, mais pas pour moi. Je veux plus. Je veux avoir ma propre équipe de brokers1 prêts à tout pour atteindre les objectifs que je leur donnerai.

Le trafic se fluidifie et je repars en trombe. Plus qu’un pâté de maisons et j’atteindrai le building où se trouve Willis Estate. Je tourne un peu brusquement, mais le cabriolet garde sa trajectoire.

Mes pensées reviennent se fixer sur cette future équipe qui sera la mienne dès que Seth m’aura annoncé de manière officielle que je suis promu. Je veux devenir un mentor à mon tour, apprendre les ficelles du métier à des jeunes qui démarrent, je veux…

Une silhouette se jette soudain sous les roues de ma voiture, les pneus de la Mustang crissent sur l’asphalte quand j’enfonce la pédale de frein. La jeune femme qui a frôlé mon pare-choc me lance un regard noir, le contenu du café qu’elle tenait à la main s’est renversé sur son chemisier blanc. Elle n’a rien, alors je

1Brokers : Courtiers immobiliers

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redémarre en vitesse. Je suis presque arrivé et je ne vais pas laisser une passante imprudente me retarder.

Je me gare dans le parking souterrain du building avant de me diriger vers l’ascenseur. Les portes de la cabine ne s’ouvrent pas assez vite à mon goût, j’ai même le temps d’observer mon reflet dans les parois en aluminium. J’arrange ma veste de costume et je passe une main dans mes cheveux pour les tirer en arrière.

Comme mon assistant, Eli, aime le faire remarquer, mes boucles brunes sont un savant mélange de coiffé-décoiffé, mais ce matin j’ai passé plus de temps à les arranger. J’ai opté pour un costume alors qu’en temps normal une simple veste et un jean auraient fait l’affaire. Ma chemise est ouverte, les cravates et moi ne faisons pas bon ménage. Chez Willis Estate, les brokers sont libres de porter ce qu’ils veulent, l’important étant que le job soit fait.

Les portes de la cabine s’ouvrent enfin et je monte dans l’ascenseur. Tandis que les étages défilent, j’imagine la scène qui va avoir lieu dans le bureau de Seth… Je vois mon patron et mentor m’accueillir par une chaleureuse poignée de main, il a un sourire fier, après tout c’est lui qui m’a formé depuis que j’ai intégré l’entreprise, et j’ai toujours eu à cœur de lui prouver qu’il avait eu raison de miser sur moi. J’ai travaillé dur pour en arriver là, mon parcours mérite d’être récompensé !

Je sors de l’ascenseur au quarante-deuxième étage. Le sigle de l’agence, un W et un E en métal argenté, est en train d’être retiré

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du mur par deux ouvriers. Je suis curieux de voir le nouveau logo qui a été choisi par mon patron…

— Ethan ! Enfin ! Qu’est-ce que tu faisais ? Je tourne la tête pour découvrir mon assistant qui se dirige

vers moi d’un pas pressé, une mine consternée sur le visage. Il se tord nerveusement les mains.

— Seth t’attend dans son bureau. — Je crois qu’on aura deux ou trois choses à voir toi et moi

après mon rendez-vous, à commencer par le fait qu’Ed n’était pas en bas de chez moi ce matin.

Les yeux d’Eli s’arrondissent sous l’effet de la surprise. — C’est impossible ! — Eh ben si ! — Je vais l’appeler… — Tu crois que je ne l’ai pas déjà fait ? Eli se met à pianoter frénétiquement sur son smartphone,

sans tenir compte de ma réponse. En temps normal, je me serais un peu énervé, mais pas ce matin. Rien ne viendra gâcher ma journée, c’est mon temps fort !

Je n’attends pas la réponse d’Eli et j’entre dans le bureau que nous partageons, je dépose mes affaires avant de ressortir. Mon assistant me suit tandis que je me dirige vers le bureau de Seth. Je sens une certaine excitation monter en moi, je suis sur le point d’atteindre un de mes objectifs et j’en suis hyper fier.

— J’ai confirmé la réservation pour ce soir à l’Onyx, précise Eli.

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Je me contente de répondre d’un hochement de tête. Pour fêter ma promotion, j’ai prévu une super soirée avec mes potes dans un club sélect de Manhattan. Ce soir, je paie ma tournée, c’est open bar pour mes potes et moi ! J’ai hâte d’y être.

Eli reste sur le seuil tandis que je frappe un coup à la porte de Seth pour m’annoncer… Je lance un clin d’œil à mon assistant avant de refermer.

J’y suis enfin ! Je regarde autour de moi, les meubles de luxe, les immenses baies vitrées qui offrent une vue panoramique sur l’Hudson et la ville, ici tout est à l’image des biens d’exception que nous vendons chaque jour.

Seth lève les yeux de son ordinateur. Il me fixe un instant : — Bonjour, Ethan. Mon boss se redresse pour me rejoindre, d’un mouvement de

la main il m’invite à m’installer sur un des fauteuils placés plus loin. Je ne peux pas m’empêcher de jubiler, il réserve ce genre de traitement aux moments spéciaux. Et ma promotion à la tête d’une équipe entière vaut bien ça !

Je m’assieds et je m’attends à ce que mon boss en fasse de même, mais il reste près de son bureau. Il m’observe, l’air grave. Je dois reconnaître qu’il a un certain sens de la mise en scène.

— L’acquisition du groupe Parson est finalisée. Je fronce les sourcils en me demandant où il veut en venir…

Est-ce qu’il envisage de me donner la gestion du personnel qui va intégrer notre agence ? Je sens mon cœur battre plus fort, ce serait une énorme preuve de confiance !

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— À partir de maintenant, nous sommes officiellement Willis & Parson.

Une lueur de satisfaction traverse son regard. J’imagine que pour Seth aussi c’est une grande journée, il vient d’opérer le rachat d’un concurrent important, propulsant son business en tête des agences de courtage immobilier new‑yorkaises.

Seth me fixe comme s’il attendait quelque chose, je me ressaisis :

— C’est une super nouvelle. Je suis certain que nous allons faire du bon travail.

Je me garde bien de lui dire que je ne sais pas vraiment comment nous allons nous entendre avec la flopée de féministes qui va débarquer chez nous… Les brokers de l’agence Parson, toutes des femmes, ont la réputation d’être des féministes engagées. Je garde mes doutes pour moi. Ce n’est pas tout à fait le moment de doucher l’enthousiasme de mon patron.

Seth hoche la tête : — Tu sais que j’ai travaillé longtemps pour finaliser l’accord

de rachat, et je pense être parvenu à satisfaire les deux parties. Je ne sais pas s’il me parle toujours, ou s’il se parle à lui-même.

Il a l’air d’être plongé dans ses souvenirs. — Depuis que j’ai obtenu ma licence d’agent, je n’ai fait que

croître. D’une petite agence de quartier, j’ai propulsé Willis Estate sur le devant de la scène du marché immobilier de Manhattan.

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— C’est pour ça que j’ai frappé à ta porte : je savais que tu pouvais m’offrir la meilleure formation dont un agent pouvait rêver.

— Et je suis vraiment satisfait de la direction que prend ta carrière, Ethan. Tu peux me croire, si je devais acheter un appartement downtown2, je ne voudrais avoir aucun autre broker que toi sur le coup…

Pourquoi j’ai l’impression soudaine que cet entretien ne va pas dans la direction que je voudrais ? Appelons ça une intuition, mais je sens que quelque chose cloche.

Je chasse cette pensée. Je ne vais pas me décourager si vite, j’ai bossé plusieurs années pour en arriver là, moi aussi. Il est hors de question que je n’obtienne pas cette promotion !

— Sur l’année qui vient de s’écouler, tu as réalisé plus de ventes que n’importe quel broker de l’agence.

Je me contente de hocher la tête avec modestie, même si à l’intérieur de moi j’exulte. Oui, je suis le meilleur agent de cette boîte, enfin, après Seth bien entendu.

L’air grave de mon boss contraste avec le compliment qu’il vient de me faire. Qu’est-ce qui lui prend tout à coup ? J’ai un mauvais pressentiment…

2Downtown : Centre ville.

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— La fusion s’est bien passée, mais comme dans toute négociation, chacune des parties a dû transiger sur certains points. Tu sais ce que je pense de toi et de ton travail.

Je hoche la tête bien que j’en sois un peu moins sûr tout à coup.

— Il n’y a pas de bonne manière d’annoncer ça… La sonnerie de son téléphone sur son bureau l’interrompt.

Seth lève la main dans ma direction comme pour me dire qu’il va revenir à moi. Il appuie sur une touche et la voix de son assistante envahit la pièce :

— Monsieur Willis, votre rendez-vous est arrivé. Seth consulte la montre de luxe à son poignet. — Merci Lucille, faites-la entrer. Cette fois, je suis totalement paumé. Je ne comprends plus ce

qu’il se passe et je n’arrive même pas à imaginer une raison plausible à l’arrivée d’une autre personne. Selon moi, notre entretien mérite une certaine confidentialité, mais Seth semble penser autrement.

Mon boss se dirige vers la porte qu’il ouvre. — Bonjour mademoiselle Khan, nous vous attendions. Je dois pivoter pour voir entrer une jeune femme. Elle est

plutôt petite, sa chevelure châtain est retenue en un chignon bas sur sa nuque et elle porte un tailleur jupe qui moule ses hanches… Son allure est un peu trop stricte, en tout cas elle contraste avec ma chemise que je porte sans cravate et un peu ouverte.

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Seth a-t-il embauché une secrétaire pour m’aider dans mon futur job ? Ce ne sera pas du superflu si, comme je le pense, mes fonctions prennent de l’ampleur.

Quand nos regards se croisent, je me rends compte que je ne me suis pas levé pour saluer l’inconnue. Ses iris clairs passent sur moi sans trop s’attarder, à croire qu’elle se fiche que je sois là.

Seth fait les présentations : — Neela Khan, voici Ethan Beckman. L’attention de Neela se reporte sur moi, je reste figé un

instant de trop et c’est elle qui me tend la main en premier. Je la serre machinalement, un peu perdu par le tour qu’est en train de prendre cet entretien.

— Asseyez-vous, je vous en prie. Seth a toujours eu ce ton assuré du leader auquel tout le

monde obéit. Son autorité naturelle s’exprime en toutes circonstances. Neela et moi nous asseyons chacun sur un fauteuil. Je jette un coup d’œil à la nouvelle venue, elle a l’air aussi perplexe que moi.

Bien, comme ça on est deux ! Je me sens un peu moins seul. Mon regard dérive un instant vers son décolleté, son foulard

est un peu écarté et on devine la naissance de sa poitrine… Je dois reconnaître qu’elle a certains atouts ! Espérons qu’elle soit aussi intelligente que belle. J’ai déjà un assistant et je ne tiens pas à avoir une secrétaire incompétente dans les pattes.

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— La fusion de Willis & Parson est complète depuis ce matin, et je suis content de voir les deux meilleurs éléments de la nouvelle société.

Quoi ? Neela faisait partie de l’équipe Parson ? J’ai dû mal comprendre. Seth continue sans se rendre compte de mon étonnement.

— La nouvelle organisation va nécessiter certains ajustements…

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N E E L A

Mon instinct me dit que cette journée va être sacrément pourrie.

Vu comme elle a démarré, c’est même certain. J’ai eu du mal à me lever, faute à ma soirée passée en famille,

hier. Et depuis que j’ai posé un pied par terre, les déboires n’ont fait que s’accumuler.

Premier de la liste : une panne de machine à café. Ensuite, c’est ma ligne de métro qui a été bloquée, m’obligeant à descendre trois arrêts plus tôt et à sprinter jusqu’ici en talons pour tenter d’être à l’heure. Et quand je croyais mon calvaire presque terminé, c’est un abruti en cabriolet qui a manqué me renverser ! Il s’est tout juste arrêté pour voir si j’allais bien, ne s’est absolument pas excusé et m’a laissé en prime un magnifique souvenir de cette rencontre : une énorme tache de café sur mon

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chemisier… Et dire que j’étais fière d’avoir pu acheter ma dose de caféine en moins d’une minute avant de prendre le métro… J’en ai bu une gorgée, tout au plus.

J’ai pensé un instant que ça aurait pu être pire. J’ai même eu un petit espoir lorsque la réceptionniste de l’immeuble a gentiment accepté de me prêter son foulard pour camoufler le désastre… ou ma poitrine. Oui, parce que mon chemisier était tellement trempé que j’ai eu peur que cela n’imbibe la veste, une fois celle-ci fermée. Du coup, je l’ai retirée. Et sans le foulard, mon décolleté est disons… un poil provoquant.

Si j’ai envie que Seth Willis ait une première bonne impression à mon sujet, je ne souhaite pas que ce soit grâce à mes seins.

J’ai donc passé la porte de son bureau en me persuadant qu’à part moi, personne ne pouvait deviner que je suis quasi-nue sous ma veste. De toute manière, toute considération vestimentaire a été vite oubliée dès que je suis entrée dans la pièce. Car Seth Willis n’est pas le seul à être présent dans ce lieu qui au premier coup d’œil crie : je suis un mec de pouvoir et je te le montre jusque dans le choix de mes rideaux. Non, assis de façon désinvolte dans un des fauteuils de cuir, m’observe un homme aux boucles brunes que j’ai déjà croisé.

Non pas que je sois particulièrement physionomiste, mais je n’ai en général pas trop de mal à me souvenir des gens qui ont attenté à ma vie.

Surtout lorsque c’était il y a dix minutes à peine…

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Le connard au cabriolet. Oui, c’est devenu un connard (même si je déteste ce mot)

étant donné qu’il ne se lève même pas pour me saluer. Monsieur Willis le présente comme un certain Ethan

Beckman. Ava Parson, ma patronne, ne m’en a pas parlé, mais étant donné qu’elle ne m’avait même pas parlé de cette fusion entre Willis Estate et Parson Realty jusqu’il y a deux jours…

— La nouvelle organisation va nécessiter certains ajustements… annonce Willis.

Je jette un coup d’œil discret à mon voisin, et je le vois froncer les sourcils. Je me reconcentre sur son patron.

— Ethan, je t’avais promis qu’un jour tu dirigerais ta propre équipe…

Ce dernier se redresse dans son siège et dit : — Je suis plus que prêt, et tu le sais Seth, je serai digne de ta

confiance, et… — Laisse-moi finir, le coupe Willis un peu sèchement. Il prend une inspiration avant de continuer. — Comme j’étais en train de te l’expliquer avant que

mademoiselle Khan n’arrive, quelques compromis ont dû être faits, et bien entendu c’est l’organisation complète de nos deux entreprises qui est bouleversée. Mais nous sommes persuadés, Ava et moi, qu’à terme, tous ces petits désagréments seront vite oubliés. Cette fusion va nous permettre de devenir un des groupes d’immobilier de luxe les plus importants du pays.

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Il affiche un sourire carnassier et nous désigne tous les deux du doigt.

— Et vous deux, Neela et Ethan, vous allez être les visages de cette nouvelle aventure.

J’échange un coup d’œil avec mon voisin. Je me sens d’un coup totalement perdue, et j’ai l’impression que lui aussi.

Alors je me racle la gorge et demande : — Excusez-moi, Monsieur Willis, mais est-ce qu’il serait

possible d’être un peu plus clair ? Ava m’a demandé de venir ici pour que l’on commence dès à présent la transition entre nos deux entités, mais elle n’a pas précisé exactement comment cela allait se dérouler.

Quand Ava Parson la fondatrice de notre agence nous a convoquées en début de semaine pour nous annoncer la fusion avec Willis Estate, nous avons été plus d’une à être étonnées. Elle est restée assez vague sur les raisons qui l’ont poussée à prendre cette décision. Mais que cette self-made woman3, profondément féministe et entièrement dévouée à sa carrière, ait subitement décidé de s’allier à une entreprise implantée à Manhattan, elle qui ne jure que par Brooklyn, nous a déstabilisées.

— Oui, oui, vous avez raison, commence Willis. D’ici un mois, nos bureaux seront tous regroupés ici. Étant donné que j’ai

3 Self-made woman : femme ayant acquis sa fortune ou son statut social par son mérite personnel en partant de peu ou de rien.

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récemment acquis le quarante et unième étage, nous aurons plus d’espace. Mais entretemps, nous devons continuer à aller de l’avant et commencer à travailler main dans la main.

Jusque là, je n’apprends rien de nouveau. Je suppose que ces explications sont surtout pour Ethan.

— Ava m’a parlé de vous en des termes très élogieux, mademoiselle Khan. Et votre CV, de vos études à vos succès chez Parson, est impressionnant. C’est pourquoi quand il a été décidé qu’une des employées de votre agence allait avoir droit à une promotion, je n’ai vu aucune objection à ce que ce soit vous.

Un peu de la tension qui m’habitait disparaît. Cette promotion, Ava m’en a avisé à la suite de sa grande annonce. Mais tant que personne chez Willis ne m’avait confirmé qu’eux aussi sont sur la même longueur d’ondes, une petite partie de moi ne voulait pas totalement y croire, de peur d’être déçue.

Je m’apprête à répondre, mais mon voisin ne m’en laisse pas le temps.

— Quoi ? Tu lui offres ma promotion ! Il a littéralement bondi de son siège. Je me rends compte pour

la première fois qu’il est vraiment grand. Je vais avoir l’air d’une naine à côté de lui. Si tant est qu’on doive se côtoyer.

— Rassieds-toi Ethan, je ne lui ai donné la promotion de personne, et je n’ai pas fini.

Le ton ne laisse pas vraiment place à la discussion. Ethan obtempère.

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— Vous allez être tous les deux promus chefs d’équipe, ajoute Willis en lançant un regard noir à Ethan. Mais du fait de l’élargissement de notre groupe, la réorganisation ne va pas affecter seulement le bureau de Manhattan, nos autres filiales vont être aussi impactées. C’est pourquoi cette promotion ne prendra pas effet avant deux bons mois.

Ethan Beckman ne prend même pas la peine de cacher son soupir d’exaspération. C’est son droit s’il décide de jouer les immatures, pour ma part, je préfère rester professionnelle. Je souris poliment à Seth Willis qui poursuit :

— Au terme de ces deux mois, l’un de vous deux aura la responsabilité d’une équipe de dix brokers ici à Manhattan, tandis que l’autre aura un poste similaire dans notre agence de… Los Angeles.

La douche froide. Je reste stupéfaite et ouvre la bouche dans une parfaite imitation du poisson rouge hors de son bocal. Je suis incapable de produire un son, mais le fou au cabriolet a semble-t-il de l’inspiration pour deux.

— À Los Angeles ? En Californie ? — À ma connaissance, il n’y en a pas d’autre, répond Willis. — Mais… Beckman lance un coup d’œil dans ma direction. — Je suppose que mademoiselle Khan est ravie de cette

opportunité d’aller découvrir la côte ouest… — Je n’ai pas dit que ce serait elle qui irait à L.A., Ethan. Rien

n’est encore décidé.

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Beckman lâche un rire nerveux. — Enfin Seth, tu sais que je ne peux pas aller en Californie.

Je suis un pur produit new-yorkais. Il n’y a pas un recoin de Manhattan qui m’est inconnu, mon carnet d’adresses est long comme le bras, et…

— Je ne souhaite pas aller à Los Angeles non plus, le coupé-je ce qui me vaut un regard noir de mon voisin. Ma famille vit ici, je n’ai pas du tout l’intention de déménager à l’autre bout du pays.

Willis soupire et je sens que cette conversation l’agace. — Écoutez vous deux. Je sais que ce n’était peut-être pas dans

votre plan de carrière, à l’un comme à l’autre. Mais l’agence de L.A. est vraiment dynamique et en pleine expansion. O.K., c’est à l’autre bout du pays, mais vous savez qu’on ne construit pas une carrière à succès sans sortir de sa zone de confort.

— Hors de question que j’aille vivre au pays des vegans, je ne sais même pas surfer ! bougonne Beckman.

— En vérité, il n’y a que deux choix possibles. Soit l’un d’entre vous accepte de son plein gré d’y aller, soit c’est Ava Parson et moi qui allons trancher.

— Et on peut savoir sur quels critères votre choix va se baser ? demandé-je.

— Des critères purement professionnels. Il met l’emphase sur ce dernier mot. — Ava et moi avons eu l’idée de mettre en place une sorte de

petite compétition pour vous départager.

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Au mot compétition, ma curiosité est piquée. S’il y a quelque chose pour laquelle je suis née, c’est bien pour gagner.

— À partir d’aujourd’hui, vous serez tous les deux en concurrence pendant deux mois. Vous continuerez de vendre vos biens, mais avec un objectif à atteindre. Le premier à y parvenir pourra choisir s’il reste pour diriger l’équipe de New York, ou s’il part à Los Angeles.

— Le choix est déjà tout fait, marmonne Beckman. — Quel est cet objectif ? Willis fait une pause théâtrale, nous fixe tour à tour, avant de

déclarer : — Le premier de vous deux à atteindre un million de dollars

de commissions pour l’agence sera notre vainqueur. Un million de dollars en deux mois… Le montant me scotche. O.K., je suis bonne dans mon boulot,

et même très bonne. Mais un million en soixante jours ! Pourtant, quand je tourne la tête vers Ethan Beckman, il n’a pas l’air plus inquiet que ça. Un sourire narquois flotte même sur ses lèvres. C’est là qu’une idée me frappe.

— Attendez ! On ne part pas sur un pied d’égalité. Monsieur Beckman vend des propriétés sur Manhattan, moi mon listing est composé essentiellement de biens à Brooklyn, ou dans le New

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Jersey. On sait tous que pour un loft qu’il va vendre, je devrai trouver des acquéreurs pour cinq Brownstones4.

— Je suis bien conscient de ce problème, répond Willis. C’est pourquoi, afin que la compétition soit davantage sur un pied d’égalité, nous avons décidé de vous faire redémarrer avec un listing vierge. Ce sera à vous de trouver les propriétés à ajouter à celui-ci et vous débrouiller pour les vendre. Et avant que vous n’arguiez qu’Ethan part gagnant puisqu’il a plus de connaissances que vous sur Manhattan, sachez que vous aurez l’un et l’autre un accès total aux contacts de Willis comme de Parson. Nous sommes maintenant une seule, grande et belle entreprise, alors autant en profiter.

— Mais… commence à dire Beckman. Willis ne lui en laisse pas le temps. Il consulte sa montre et

annonce : — Je vais devoir vous laisser, j’ai une vidéo conférence avec

l’agence Parson d’Aspen. Lucille enverra tous les détails complémentaires à Eli pour qu’il vous les transmette. Ethan je compte sur toi pour le présenter à mademoiselle Khan, vous collaborerez tous les trois pendant ces deux mois.

— Comment ça ? On va devoir se partager Eli ? Elle n’a pas sa propre assistante ?

4 Brownstone : Maison en grès rouge typique du quartier de Brooklyn.

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— Je peux très bien me débrouiller sans assistant, répliqué-je déjà irritée à l’idée de partager quoi que ce soit avec ce mec qui m’a l’air d’une suffisance folle.

— Vous travaillerez avec Eli, m’intime Willis. Si vous voulez nous prouver que vous êtes capable de manager une équipe, commencez déjà par déléguer certaines tâches. Et dernière chose, en attendant que les travaux soient finis, vous allez devoir partager votre bureau. Ce sera bien plus facile pour Eli de toute manière, les meubles seront livrés en fin de matinée.

Sur ces derniers mots, il se lève et nous fait signe de le suivre. Je sens que Beckman bout de colère, moi-même j’ai du mal à savoir ce que je ressens. Je suis à la fois surexcitée par ce défi, mais aussi pleine de ressentiment envers ma patronne. J’ai l’impression qu’elle m’a jetée en pâture dans la fosse aux lions sans même un avertissement.

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La porte de Seth se referme sur nous. Il vient de lâcher une bombe sur ma tête, et il ne prend même pas la peine de s’assurer que je vais bien ! Je n’en reviens pas ! Dire que je suis en colère est un doux euphémisme… J’ai la sensation d’avoir été berné et ça me rend furieux.

Je ravale mon ressentiment et j’essaie de faire bonne figure face à la nouvelle, mais j’ai plutôt l’impression qu’un gros paquet de problèmes vient de me tomber sur la tête. Le « problème » en question porte un tailleur qui ne cache aucune de ses courbes, si elle croit que c’est comme ça qu’elle parviendra à ses fins avec Seth, elle se trompe ! Je repense à l’attitude de mon boss… Elle doit être douée dans son job pour qu’il envisage de lui confier cette promotion.

Je pousse un soupir exaspéré, mes pensées partent dans tous les sens ce matin ! Je devrais être en train de célébrer ma

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promotion, au lieu de quoi je me retrouve à la case départ. Parce que c’est ce dont il s’agit : je viens d’être rétrogradé. Du moins, c’est comme ça que je le perçois.

Je parcours le couloir au pas de charge pour regagner mon bureau, mais c’est sans compter sur la nouvelle qui me suit à la trace. Je ne prends même pas la peine de me retourner pour lui parler :

— Ne te fais pas d’idées, cette promotion j’ai tout fait pour l’avoir et je ne lâcherai rien.

Elle ne répond pas, mais j’entends claquer ses talons derrière moi. Je m’engouffre dans mon bureau. Eli est installé devant son écran d’ordinateur :

— Ethan, madame Sullivan a appelé, elle a un… Mon assistant fait pivoter sa chaise et son regard se fixe sur

Neela en même temps que les mots se coincent dans sa gorge. Il nous dévisage l’un après l’autre, moi je prends soin d’éviter de regarder en direction de l’intruse. Je serre les dents.

— Bonjour, je suis Neela… — Khan, complète Eli. Bien sûr. Je savais que tu devais arriver

ce matin, mais je ne pensais pas que ce serait si tôt. — Je suis le dernier à être au courant on dirait… Ma voix tient plus du grognement que d’un timbre humain.

Mon assistant ne relève pas et continue sa présentation : — Je suis Eli, et à partir de maintenant, je serai ton assistant

ainsi que celui d’Ethan. — Je suis certaine que nous allons bien nous entendre.

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Neela semble sincère, mais je ne la connais pas et je n’ai pas envie de l’imaginer comme une gentille, pour moi elle est l’usurpatrice qui menace mon évolution dans l’entreprise. Je ne peux pas penser plus loin.

Je me ressaisis et me dirige vers mon bureau. Puisque Seth veut que je fasse à nouveau mes preuves, autant m’y mettre tout de suite. J’ignore donc la nouvelle et Eli (ce traître !), tandis que je commence à taper sur le clavier de mon ordinateur.

— Ethan, tu peux transférer ton listing à Alastair si tu as besoin de te libérer du temps, propose Eli. Si j’ai bien tout compris, Seth t’a mis sur un dossier spécial...

Je jette un regard furieux à mon assistant qui ne s’en offusque pas. Il a l’habitude de travailler avec moi. Il se tourne vers la nouvelle :

— Qu’est-ce que je peux faire pour toi, Neela ? — Pour commencer, je prendrais bien un café, un chauffard

qui conduisait une décapotable a manqué de me renverser en arrivant, et mon café a fini sur mon chemisier…

Je relève vivement la tête, et cette fois je considère Neela. C’est vrai que maintenant que j’y pense, elle ressemble à la silhouette dont je garde le souvenir. Elle me retourne mon regard, une petite lueur de provocation au fond des yeux. Eli lui répond, mais je suis trop concentré sur la nouvelle pour m’en soucier. Je rêve, ou elle est en train de me provoquer ?

— C’est pas vrai ! s’exclame Eli. Tu as dû être choquée ! À ta place, je le serais ! Tu mérites bien un moka double crème pour

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te remettre de tes émotions. Viens, je vais te montrer où t’approvisionner par ici.

Ils quittent le bureau, me laissant seul, frustré et énervé par ce début de journée. Décidément, rien ne va comme je veux aujourd’hui ! Et ce n’est pas le contenu de ma boîte mail qui va me remonter le moral : Seth vient de m’envoyer un message dans lequel il explique qu’à partir de maintenant, je n’aurai plus de chauffeur. C’est quoi ce délire encore ?

Je déchiffre le reste du mail dans lequel mon boss explique que ce n’est pas une sanction (ben tiens !) et que c’est pour nous placer Neela et moi sur un pied d’égalité. Il n’aurait pas pu lui attribuer un chauffeur au lieu de niveler par le bas ?

Les mails ne cessent d’arriver dans ma boîte et je m’enfonce dans mon fauteuil, un œil rivé à l’écran. L’espace d’un instant, je n’ai même plus envie de continuer. Après tout, si on me traite comme ça, peut-être que je ferais mieux de me barrer !

Je pousse un gros soupir. Qui je compte berner ? Pour commencer, je ne suis pas du genre à jeter l’éponge à la première difficulté, et ensuite je ne peux pas m’en aller alors que je suis si près du but.

Non, personne ne rabaissera Ethan Beckman ! Je suis le meilleur broker de Manhattan, à moi de prouver à quel point ma réputation est justifiée. Je retire ma veste et me concentre sur l’écran de mon ordinateur.

Il faut que je mette en place une stratégie infaillible qui me permettra d’atteindre mes objectifs. Seth a dit que les listings que

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j’ai entrés jusqu’à aujourd’hui ne compteront pas, mais peu importe ! J’ai un réseau étendu et je suis prêt à faire jouer le moindre de mes contacts pour réussir.

Je prépare une liste de promoteurs à appeler quand des bruits attirent mon attention. Je me tourne et découvre des livreurs près de l’entrée. Guidés par Eli, et sous le regard attentif de Neela, les deux hommes transportent un bureau.

J’assiste, impuissant, à la livraison du mobilier de Neela. La pièce est grande, mais j’ai soudain la sensation qu’elle est minuscule. Les livreurs sont à peine sortis qu’Eli commence à tout déballer :

— C’est provisoire, mais je vais faire ce qu’il faut pour que tu te sentes à l’aise.

Cette fois, c’en est trop ! Ça me rend dingue que même mon assistant s’occupe plus de la nouvelle que de moi. S’il n’était pas aussi doué dans son travail, et que j’étais certain que Seth ne m’en veuille pas, j’envisagerais de le virer. Je me lève, je prends ma veste et mon téléphone avant de quitter la pièce sous le regard de Neela et Eli.

À défaut de pouvoir me venger sur quelqu’un, je décide d’aller en ville. J’ai des rendez-vous planifiés et je ne compte pas laisser passer mes chances de rentrer de nouveaux biens. Surtout pas maintenant que je sais que chaque dollar de commission me rapprochera de mon objectif ultime.

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Il me faut plus de temps que prévu pour rejoindre l’immeuble situé à la pointe sud de Manhattan, et je ne suis toujours pas redescendu en pression quand j’y arrive.

Le building est encore en cours de construction, le chantier est loin d’être terminé, mais je sais que ça ne traînera pas. À Manhattan plus qu’ailleurs, chaque seconde de passée est un dollar perdu. Je ne perds pas de temps, je connais la façon de travailler de Kat Morton, elle déteste qu’on soit en retard. Elle m’a indiqué dans son mail de confirmation qu’elle m’attendrait dans le penthouse.

Je grimpe dans les escaliers encore bruts, l’ensemble résidentiel qui est en train de sortir de terre sera un des plus beaux projets immobiliers réalisés dans cette partie de la ville depuis des décennies. Située à quelques pas du Financial District, cette résidence de quinze étages dispose d’une vue imprenable sur l’Hudson.

À mesure que je gravis les étages, j’évalue le montant des commissions que je pourrais toucher en vendant ces units5. Je sais que les chances que la cliente m’accorde l’exclusivité sur tous les lots sont minces, mais je vais tout faire pour la convaincre.

Lorsque j’arrive au dernier étage, je suis à peine essoufflé. Je remercie Travis, mon coach personnel, qui me pousse chaque matin à donner le meilleur de moi-même. Grâce à lui, j’ai une

5 Units: appartements.

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bonne condition physique, et heureusement, parce que ce job est vraiment éprouvant… Entre les clients qui vendent leurs biens, et qui espèrent de moi que je leur rapporte de gros paquets de cash, et ceux qui achètent, et qui veulent que je leur obtienne un rabais, il y a de quoi sérieusement malmener mon palpitant. Je suis certain que mon niveau de stress n’a rien à envier à ceux des traders du Financial District !

— Ethan Beckman ! Contente de te voir. Je viens d’entrer dans ce qui sera le penthouse de l’immeuble

et ma cliente est là. — Salut, Kat. La promotrice ne correspond pas du tout à l’image que l’on se

fait des businesswoman qui ont réussi. En fait, elle est tout l’opposé : pour commencer, elle bosse sur chacun de ses projets. Et elle ne fait pas semblant, que ce soit de la plomberie ou de l’électricité en passant par le gros œuvre, elle est capable de réaliser n’importe quelle tâche.

Pour l’heure, elle est occupée à inspecter l’installation électrique, du moins c’est ce que je devine en la voyant utiliser un petit boîtier qu’elle fixe à des câbles.

— Toujours à la pointe de la mode, à ce que je vois, dit-elle. Elle me lance un regard en coin. Kat est toujours cash, et elle

balance des piques à longueur de temps. Je me suis habitué à sa manière d’être que je trouve bien plus saine que l’hypocrisie qui règne dans le milieu…

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Kat porte de grosses chaussures de chantier et a enfilé un jean recouvert de taches de peinture. Ses doigts habiles manipulent les câbles, mais je ne me laisse pas avoir, sous son air de ne pas y toucher, elle est redoutable en affaires.

J’écarte les pans de ma veste et je fais un tour sur moi-même : — Je fais de mon mieux. J’ai appris à entrer dans le jeu. Dans le business, il faut savoir

être un caméléon pour répondre aux attentes des clients. Et c’est ce que je fais avec Kat aussi. Elle débranche un fil rouge :

— J’imagine que t’es pas venu pour parler chiffon… — En fait, je voulais te parler de ce penthouse. J’approche des baies vitrées. La vue est époustouflante. On

distingue même la Statue de la Liberté au loin ! — Tu sais qu’il n’est pas prêt à être mis sur le marché. Pas

tant que tout ne sera pas terminé. Je me tourne pour dévisager ma cliente. — Je comprends ton point de vue. Kat me lance un coup d’œil avant de reporter son attention

sur son travail. — Je sens que t’as envie de me faire changer d’avis mais je ne

transigerai pas. En piste, Ethan ! C’est le moment de lui montrer de quoi tu es capable.

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— Tu es perfectionniste, Kat, je le sais, et je trouve que c’est une qualité. Tu veux que l’immeuble soit terminé et qu’on ait réalisé le staging6 pour qu’il soit mis en valeur.

— Ce que je veux surtout, c’est en tirer le meilleur prix possible, et tu sais aussi bien que moi que ça passe par un appartement irréprochable, prêt à être habité. Les acheteurs ne savent pas se projeter.

— Tu as raison… et tort à la fois ! Kat relève la tête vers moi, elle délaisse ses câbles, ce que je

prends pour un signe positif (à moins qu’elle ne me vire à grands coups de pied au cul…).

— Les acheteurs ne savent pas se projeter, c’est un fait ! Il faut leur mettre devant les yeux ce qu’ils vont acheter. Mais…

Je ménage mon petit effet avant de reprendre : — Mais tu as entre les mains un produit d’une rareté absolue.

Il n’y a plus de construction dans ce secteur depuis des dizaines d’années, et ce building est probablement le dernier avant longtemps à sortir de terre ici. La rareté se paie, elle se paie même très cher. Les acheteurs reconnaissent un diamant brut quand ils le voient, sur ça tu peux me croire.

— C’est pour ça que je ne veux pas gâcher ce potentiel, Ethan.

6 Staging : mise en scène, il s’agit ici de meubler et décorer l’appartement pour mieux le vendre.

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— Ce que je te propose, Kat, c’est de vendre ton projet dans les soixante jours qui viennent. Si tu m’accordes cette exclusivité, je te dévoilerai tout le plan que j’ai imaginé pour cet immeuble. À commencer par son nom.

— Qu’est-ce qu’il a celui que j’ai choisi ? Je suis satisfait parce que Kat a arrêté d’émettre des objections

et que je vois qu’elle est intéressée par ma proposition. — Il est bien, je veux dire Battery Place Residences c’était bien

vu, très pragmatique en fait, puisque c’est le nom de la rue, mais moi ce que je te propose, c’est de faire rêver tes acheteurs.

Kat se relève et frotte ses mains sur son pantalon. — À quoi tu penses ? Je la dévisage un instant, mon regard dérive vers la baie vitrée

et la silhouette verte emblématique qui se dresse au loin sur Liberty Island.

— Liberty Lane Luxury. Le regard de Kat s’illumine et je sais que j’ai remporté la

première manche.

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N E E L A

L’équipe chargée d’installer mon nouveau bureau est d’une efficacité redoutable. Il ne leur faut que quelques minutes pour monter mes meubles. Le tout sous la coordination d’Eli qui a l’air plus qu’enthousiaste de mon arrivée dans ce bureau.

Il y en a au moins un… Je le laisse réorganiser l’espace à sa guise. Quand il a suggéré

qu’on pouvait déplacer le bureau d’Ethan, je lui ai clairement indiqué que jamais je ne prendrais cette décision moi-même. Je suis certaine que son collègue me déteste déjà, toucher à ses affaires n’aidera pas à redorer mon blason. Mais au lieu d’hésiter face à la responsabilité que je viens de lui offrir, Eli semble au contraire ravi d’avoir son mot à dire. Du coup, les pauvres manutentionnaires qui étaient venus installer un simple bureau et un ordinateur, se retrouvent à réorganiser la pièce selon les

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conseils feng shui de mon nouvel assistant. Mais pas un seul ne rechigne à la tâche, car Eli a l’art et la manière de leur présenter la chose comme s’ils étaient en train de le sauver d’une mort certaine. Le regard de cocker qu’il leur a décoché quand il a suggéré de déplacer une énorme armoire aurait fait fondre le plus dur des cœurs de pierre.

Il est très fort, et je suis en train de me demander comment je vais pouvoir utiliser ses qualités dans les prochaines semaines.

Chez Parson, je n’avais pas d’assistant dédié. Bien entendu, je ne travaillais pas seule, mais mis à part Ava Parson qui avait sa propre assistante, nous nous partagions avec les autres brokers le personnel administratif.

L’organisation semble différente chez Willis. Et surtout, le message que m’a passé Seth est très clair : je dois apprendre à déléguer si je veux prouver que je suis capable de gérer une équipe. Et devant l’ampleur de la tâche qui m’attend, avoir un allié n’est peut-être pas une mauvaise chose. Reste à savoir si je vais pouvoir compter sur Eli ? Après tout, nous sommes dans une compétition, et vu qu’il travaille déjà avec Ethan depuis un moment, sa loyauté lui est forcément acquise. À moins qu’Ethan ne se comporte avec lui comme un véritable connard. Ce serait peut-être bien que je tâte le terrain…

— Est-ce qu’Ethan est toujours aussi… soupe au lait de bon matin ? demandé-je l’air de rien en pianotant sur mon smartphone.

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— Oh non, pas du tout. C’est plutôt un gars cool en temps normal. Mais là, il passe une mauvaise journée.

— Oui, hum… c’est compréhensible. Eli semble hésiter un moment, puis déclare : — En vérité, je pense que cette expérience va lui faire du bien.

Il souffre du syndrome du beau gosse depuis bien trop longtemps.

— Du syndrome du beau gosse ? — Oui, ne me dis pas que tu n’as pas remarqué qu’il est

totalement canon, dit-il en roulant les yeux de façon comique. Même les lesbiennes et les aveugles se retournent sur son passage !

Effectivement, je ne peux pas nier qu’Ethan Beckman soit agréable à regarder. Avec ses boucles brunes faussement désordonnées, ses yeux sombres et ses traits qui n’ont rien à envier aux mannequins affichés sur Times Square, on peut définitivement le classer parmi cette catégorie de personnes pour lesquelles mère nature a été plus que généreuse. Et pendant les quelques minutes qu’il a passées dans le bureau, alors qu’il avait retiré sa veste, j’ai pu constater qu’il ne doit pas ménager ses efforts pour entretenir ce capital génétique déjà généreux. Sa chemise ajustée semblait spécialement conçue pour lui. Car une chose est certaine, un modèle standard aurait craqué avec de tels biceps.

Oui, j’ai un peu honte, mais j’ai eu quelques secondes d’égarement pendant lesquelles mon cerveau a oublié que je suis

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une femme professionnelle qui ne se rince pas l’œil sur la musculature de son collègue.

— Qu’est-ce que le physique d’Ethan vient faire là-dedans ? Eli s’explique : — Il est beau, et il le sait. Et ça, crois-moi, pour un homme

comme lui c’est à la fois un atout, et une malédiction. En ce moment, il est dans une phase où tout lui réussit dans les affaires. Il lui suffit parfois d’un sourire pour arriver à convaincre une vieille bique richissime d’acheter un énième penthouse dont elle n’a pas besoin. Alors ne pas obtenir sa promotion, du moins pas tout de suite, ça le remet un peu à sa place. C’est comme si soudainement, il avait de l’acné. Il reste beau, mais il va devoir galérer un peu plus pour convaincre certaines personnes, ça va lui être bénéfique.

— Ouais, je vois. Je suis un peu sceptique face à la métaphore cutanée d’Eli,

mais j’en comprends quand même le sens. — Le pire c’est que je suis certain qu’il n’a jamais eu d’acné.

Tu as vu sa peau ? Elle est magnifique, soupire-t-il. Et dire qu’il n’utilise même pas de crème de nuit !

Je laisse Eli à ses considérations dermatologiques, et sa réorganisation de notre espace de travail lorsqu’un nouveau message s’affiche sur mon téléphone. Bien que tout ça soit passionnant, je ne dois pas oublier que j’ai un listing à redémarrer de zéro. Il n’y a donc pas une journée à perdre. J’ai déjà envoyé une dizaine d’e-mails pour activer mon réseau. Pour

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pouvoir espérer vendre des propriétés, il faut déjà que j’en ai dans mon portefeuille. Et vu le montant que je dois atteindre, il me faut du costaud. Pas de la vieille baraque à retaper de fond en comble au fin fond du New Jersey. Non, il faut que je mise sur de la qualité, quelque chose d’exclusif, et si possible à Manhattan.

Le problème ? Je n’ai pas beaucoup de contacts sur l’île. Et le réseau, dans notre métier, c’est ce qu’il y a de plus important.

Alors bien évidemment, j’ai déjà envoyé un tas de messages à mes collègues chez Parson, pour tenter de trouver des solutions. Mais en attente d’une idée miraculeuse de leur part, prise un peu de cours, j’ai tenté une autre stratégie : le tour de mon carnet d’adresses personnel.

Cela n’a pas pris trop de temps. Car quand on a grandi comme moi au-dessus du restaurant indien familial à Jersey City, les seuls millionnaires qu’on a pour amis, le sont en roupies. J’ai toutefois eu la chance de fréquenter une des universités les plus réputées de ce pays, grâce à une bourse. Et de cette époque subsistent quelques liens avec des personnes aux origines bien moins modestes que les miennes, ou qui ont brillamment réussi.

Mais voilà, je suis certainement la pire amie du monde. Je ne prends jamais de nouvelles, je ne rappelle jamais. Alors, je suis surprise que ma bouteille à la mer lancée à mon ancienne colocataire Marisa ait reçu une réponse si rapidement.

Elle me propose un déjeuner, aujourd’hui. Cette idée me ferait bondir de joie si une petite partie de moi

ne se sentait pas coupable. Je déteste utiliser les gens.

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Je confirme tout de même le rendez-vous. — Eli, je m’absente pour le déjeuner. Je serai à Midtown East.

Je compte sur toi pour finir l’installation du bureau. — O.K., Neela. Tu as besoin que je fasse quelque chose en

particulier pour toi ? Un contrat à préparer ? s’amuse-t-il. — On en est encore loin, mais j’espère que mon rendez-vous

portera ses fruits. Bon, je ferais mieux d’y aller, sinon je vais être en retard.

— Tu as besoin que je te commande une voiture ? Je repense à Ethan et sa décapotable qui râlait de ne pas avoir

son chauffeur. C’est certain qu’avec mes talons ce serait plus confortable…

— Non ça va aller, je vais prendre le métro. Eli m’adresse une petite moue dubitative, mais s’abstient de

tout commentaire. Je ne lui précise pas que j’ai une petite course à faire avant

mon déjeuner. Car tôt ou tard dans cette journée, porter un chemisier pourrait s’avérer judicieux.

***

À midi tapante, je rejoins le quartier d’affaires où travaille

Marisa. Nouvellement embauchée dans un prestigieux cabinet d’avocats, elle a un emploi du temps très chargé, et m’a avoué n’avoir qu’une heure pour déjeuner. Il va falloir que je sois brève.

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Nous arrivons presque simultanément, et dès qu’elle me voit, un large sourire s’affiche sur le visage rayonnant de mon amie.

— Neela ! Elle m’attire dans ses bras pour une accolade, puis nous

prenons place à table. L’endroit est chic, bien que moderne. J’avais peur de me retrouver dans une de ses ambiances ronflantes aux boiseries foncées et aux nappes blanches qui sont courantes dans le quartier.

Nous échangeons quelques mots, elle me parle de son nouveau poste et je lui apprends la fusion récente de Parson et Willis.

— Alors, maintenant que tu travailles à Manhattan, j’espère te voir un peu plus souvent. Je suis ravie en tout cas que tu aies pensé à moi, dès ton premier jour ici.

Un sentiment de malaise m’envahit, puis je repense à ma mission.

— Comment va Brett ? J’essaie de prendre un air totalement détaché. Après tout, il

est normal que je lui demande des nouvelles de son fiancé, c’est ce que toute bonne amie ferait, non ?

Mais Marisa me connaît assez pour comprendre que j’ai une idée derrière la tête. Elle sourit d’un air entendu.

— Brett va bien. Mais est-ce que tu veux vraiment savoir comment se porte mon petit ami, ou bien est-ce la santé de son entreprise qui t’intéresse ?

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Le fait qu’elle m’ait si facilement percée à jour m’embarrasse, je n’ose plus croiser son regard.

Marisa éclate de rire. — Oh ! Voyons Neela, tu devrais voir ta tête ! N’aie pas l’air si

gênée ! J’ai eu Brett au téléphone en venant ici, et tu sais ce que je lui ai dit ?

— Euh… non. — Que peut-être, tu allais enfin te décider à lui demander un

coup de main. J’ai compris dès l’instant où j’ai reçu ton mail. Au lieu de me rassurer, ses paroles me mettent encore plus

mal à l’aise. — Je suis vraiment nulle comme amie, soupiré-je. — Mais non. Enfin… c’est vrai que tu pourrais appeler plus

souvent. Mais je comprends, on a des boulots de dingue, on est ambitieuses et même si les choses évoluent, on doit ramer deux fois plus que les hommes pour prouver qu’on est compétentes. Alors s’il y a bien quelqu’un qui te comprend, c’est moi.

Je croise le regard clair de mon amie et j’y lis une sincérité authentique. Je lui souris.

— Et tu sais ce que les vraies amies font ? demande-t-elle. — Je sens que tu vas me le dire. — Elles se serrent les coudes. Brett a une ouverture dans son

planning à treize heures trente. Son bureau est à deux pâtés de maisons d’ici. Il t’attend.

— Tu es vraiment une amie géniale, Marisa ! Je ne sais pas comment te remercier.

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— Rien n’est encore fait. Je t’ouvre juste une porte, maintenant à toi de convaincre mon cher et tendre. Mais je te préviens, parmi mes amies il a une tendresse toute particulière pour toi, tu ne devrais pas avoir trop de mal pour le convaincre. Et si en plus tu lui promets une portion du poulet Tikka Massala de ta mère la prochaine fois que tu viens à la maison, tu devrais te le mettre dans la poche. Essaie juste de libérer un créneau dans ton agenda pour nous avant l’année prochaine.

— C’est promis.

*** Les bureaux de Brett sont situés dans des locaux tout en

lignes épurées. Acier et verre forment un mélange audacieux qui cadre parfaitement avec l’esprit de l’entreprise qu’il abrite : un cabinet d’architectes.

Je me suis à peine annoncée à la réception que Brett descend m’accueillir. De ses années à l’université où il a rencontré Marisa, il a gardé sa carrure impressionnante de footballeur. Sauf qu’il a troqué le maillot pour les costumes sur mesure.

— Neela ! Bienvenue ! Nous échangeons une accolade et il me fait signe de le suivre

vers l’ascenseur. Une fois que nous avons pénétré dans celui-ci, il déclare :

— Marisa m’a dit que Willis et Parson ont fusionné, c’est une bonne nouvelle pour toi, je suppose ?

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— Bonne, je ne sais pas tout à fait encore. Mais je vais tout faire pour que ce soit le cas.

— Laisse-moi deviner, c’est là que j’interviens ? — J’espère. Le ding nous annonce que nous sommes arrivés à l’étage. Brett

me fait signe de le précéder. — Je travaille déjà un peu avec Willis, m’apprend-il. — Ah bon ? Nous pénétrons dans un bureau aux parois de verre. Des

maquettes de bâtiments en cours de réalisation par la firme sont exposées ici et là.

— Oui, je suis en contact avec Ethan Beckman, tu l’as déjà rencontré ?

Évidemment, il fallait que ce soit lui… C’est officiel, si ce n’est pas déjà le cas, maintenant il va

vraiment me détester.