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Présentation Roch Hurtubise et Michèle Vatz Laaroussi Professeurs au Département de travail social Université de Sherbrooke Sous l’impulsion des grandes réformes sociales, sanitaires et éducatives, les pratiques d’intervention qui impliquent les familles se sont développées ces dernières années. De plus, la réalité des familles s’est considérablement trans- formée durant les dernières décennies. La multiplication des configurations familiales, la redéfinition des liens conjugaux et parentaux, la centralité de l’enfant, les transformations de valeurs, la primauté de l’individu et du bonheur personnel, la prépondérance des droits de la personne ont redessiné le portrait des familles. La redéfinition du rôle de ces dernières est observable globale- ment dans les rapports sociaux et plus spécifiquement au sein des pratiques professionnelles. On voit apparaître une diversité de pratiques qui vont de la résistance à un partenariat véritable en passant par des formes de collabora- tion qui supposent une implication plus ou moins grande des familles. Ces pratiques peuvent être analysées selon deux axes : la définition qu’elles font des familles et le type de lien à ces dernières qui se construit dans l’inter- vention. De la famille problème à la famille ressource, de la famille obstacle à la famille soutien, de la famille contrainte à la famille émancipatrice, de la famille symptôme à la famille soignante, on constate que la multiplication de ces catégories souvent mises en opposition amène un foisonnement des places et rôles donnés aux familles dans les pratiques. La nature du lien avec les familles est source d’interrogation pour les nombreux praticiens qui lui accordent une valeur centrale dans le processus d’intervention. Lien d’aide, de support, d’accompagnement, lien thérapeutique, éducatif, solidaire ou empathique, la relation aussi se décline sous plusieurs formes. On assiste ainsi à une diversi- fication des pratiques des intervenants et des manières dont sont mobilisées les familles. En plus du contexte clinique traditionnel des thérapies familiales, les praticiens se trouvent dès lors face à un nouveau champ conceptuel qui met de l’avant les savoirs, stratégies et compétences des familles. Cette place accordée aux familles est-elle susceptible de transformer de manière importante les pratiques d’intervention et d’en redéfinir les savoirs et les philosophies? Panacée pour certains, fardeau pour d’autres, la collaboration avec les familles devient un

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Présentation

Roch Hurtubise et Michèle Vatz LaaroussiProfesseurs au Département de travail social

Université de Sherbrooke

Sous l’impulsion des grandes réformes sociales, sanitaires et éducatives, lespratiques d’intervention qui impliquent les familles se sont développées cesdernières années. De plus, la réalité des familles s’est considérablement trans-formée durant les dernières décennies. La multiplication des configurationsfamiliales, la redéfinition des liens conjugaux et parentaux, la centralité del’enfant, les transformations de valeurs, la primauté de l’individu et du bonheurpersonnel, la prépondérance des droits de la personne ont redessiné le portraitdes familles. La redéfinition du rôle de ces dernières est observable globale-ment dans les rapports sociaux et plus spécifiquement au sein des pratiquesprofessionnelles. On voit apparaître une diversité de pratiques qui vont de larésistance à un partenariat véritable en passant par des formes de collabora-tion qui supposent une implication plus ou moins grande des familles.

Ces pratiques peuvent être analysées selon deux axes : la définition qu’ellesfont des familles et le type de lien à ces dernières qui se construit dans l’inter-vention. De la famille problème à la famille ressource, de la famille obstacle à lafamille soutien, de la famille contrainte à la famille émancipatrice, de la famillesymptôme à la famille soignante, on constate que la multiplication de cescatégories souvent mises en opposition amène un foisonnement des places etrôles donnés aux familles dans les pratiques. La nature du lien avec les famillesest source d’interrogation pour les nombreux praticiens qui lui accordent unevaleur centrale dans le processus d’intervention . Lien d’aide, de support,d’accompagnement, lien thérapeutique, éducatif, solidaire ou empathique, larelation aussi se décline sous plusieurs formes. On assiste ainsi à une diversi-fication des pratiques des intervenants et des manières dont sont mobiliséesles familles.

En plus du contexte clinique traditionnel des thérapies familiales, les praticiensse trouvent dès lors face à un nouveau champ conceptuel qui met de l’avantles savoirs, stratégies et compétences des familles. Cette place accordée auxfamilles est-elle susceptible de transformer de manière importante les pratiquesd’intervention et d’en redéfinir les savoirs et les philosophies? Panacée pourcertains, fardeau pour d’autres, la collaboration avec les familles devient un

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incontournable dans plusieurs champs de pratique : la protection de l’enfance,le soutien aux personnes âgées, les difficultés en milieu scolaire, le support auxcouples et aux parents, la santé, ou encore les pratiques éducatives.

Ce numéro propose un espace de débat et de réflexion pour soulever certainsenjeux de cette rencontre entre les pratiques familiales et les pratiques profes-sionnelles. Quels savoirs sont mobilisés dans cette rencontre? Quellesconditions doivent être réunies et quelles stratégies doivent être utilisées pourla permettre? Comment assurer la complémentarité des pratiques familiales etdes pratiques professionnelles? Quels nouveaux modèles d’intervention ensont issus? Les résistances et les refus sont-ils nécessairement des échecs?À quels enjeux cliniques est-on confronté par cette rencontre? Comment l’iden-tité professionnelle s’y transforme-t-elle?

Plusieurs auteurs dans des champs disciplinaires et professionnels différentsse sont penchés sur ces questions et proposent leur point de vue sur lesenjeux et défis de ces rencontres entre pratiques familiales et pratiques profes-sionnelles. Fasal Kanouté s’intéresse aux points de vue des parents de milieuxdéfavorisés en ce qui concerne leur implication dans le milieu scolaire de leurenfant. Elle identifie l’écart entre les attentes idéales de l’école et lesperceptions des parents sur leur rôle et sur celui de l’école. La difficulté derépondre aux attentes de l’école module les stratégies des parents dansl’accompagnement éducatif de leurs enfants et crée un sentiment d’impuis-sance et de distance vis-à-vis du milieu scolaire perçu comme un territoireprofessionnel fermé.

Dans son article, Yvan Leanza discute du parcours de familles migrantes dansune clinique pédiatrique. Il constate la prédominance du modèle médicalclassique dans la compréhension des situations par les professionnels ainsique dans la structuration institutionnelle des services. Les aspects culturels etla trajectoire migratoire des familles sont peu présents, ce qui entraîne unedécontextualisation des demandes des familles. Une meilleure prise en comptedes spécificités des familles rencontrées, à travers un accueil interculturel,permettrait d’éviter l’assimilation brutale des familles et d’offrir un meilleurservice.

Serge Larivée et Bernard Terrisse se questionnent sur l’écart entre les attentesdes parents, celles du ministère de l’Éducation et celles des services de gardeen ce qui concerne les compétences professionnelles des éducatrices auprèsdes jeunes enfants. Si les attentes sont globalement similaires en ce quiconcerne le développement social et la sécurité des enfants, les prioritésaccordées aux aspects éducatifs et développementaux apparaissent différen-

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tes. Les auteurs suggèrent des stratégies multiples pour favoriser une meilleurerencontre entre ces attentes, par exemple en développant la formation, le parte-nariat et en favorisant l’information réciproque.

Esther Montambault et Laurence Roy-Demers s’inquiètent des processusvisant à élaborer un projet de vie permanent pour les enfants en contexte deprotection de la jeunesse. En identifiant les stratégies de protection mises enœuvre par les intervenants sociaux dans la prise de décision concernant cesprojets de vie, elles questionnent l’espace réservé à la famille et au projetfamilial. Projet familial et projet de vie permanent peuvent paraître opposésselon les manières dont on définit le lien d’attachement et la stabilité del’enfant.

Enfin, dans une perspective interculturelle, Geneviève Piérard propose un modèled’analyse et d’intervention pour les éducateurs spécialisés travaillant avec desenfants ayant un handicap. Dans les situations où ces enfants proviennent defamilles immigrantes, elle note une tendance des professionnels à essentialiserles problèmes autour de la culture et à sous-estimer les ressources familialespourtant importantes. Elle recommande d’appréhender l’écosystème familialdans sa globalité pour favoriser plus de collaboration entre les familles, lesmilieux de prise en charge et les professionnels qui y travaillent.

Pour conclure ce tour d’horizon, nous proposons le compte rendu d’unetable ronde réunissant des professionnels de divers milieux sur la question del’articulation entre pratiques professionnelles et pratiques familiales. Psycho-logues, travailleurs sociaux, thérapeutes conjugaux, gestionnaires, infirmières,dans des secteurs aussi diversifiés que celui des personnes âgées, des jeunesfamilles et des soins palliatifs, prennent la parole pour évoquer des pratiquessingulières et souvent innovantes qui donnent aux familles une place impor-tante mais trop souvent méconnue.

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