Utilisation Des Cannes Chez l'Hemiplegique

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22 Kinesither Rev 2012;(122):22-27 Fenêtre sur cours Angéline Chaminat Amandine Hérald Pauline Olivier Marie-Thérèse Tomasino Résumé Introduction : Cette revue de synthèse bibliographique vise à indiquer les avantages et les inconvénients potentiels de l’utili- sation d’une canne lors de la rééducation d’un hémiplégique. Méthodes : Les recherches ont été menées sur Pubmed et Medline grâce à différents mots-clés : cane, walking aids, stroke, rehabilitation, hemiplegiaRésultats/Analyses : Il semblerait que la canne soit béné- fique pour la posture debout et pour la marche. Elle entraîne aussi une plus grande autonomie et confiance du patient. Mais son utilisation est controversée. Discussion/Conclusion : La prescription des cannes est à mettre en relation avec les objectifs fixés par le patient et le MK. Si le but principal est la récupération d’une autonomie aux dépens d’une marche correcte, la canne semble être une bonne indication. En revanche, si l’objectif est principalement analytique et physiologique (force musculaire, vitesse de marche), la canne ne semble pas adaptée. Niveau de preuve : 2 MOTS-CLÉS Autonomie – Canne – Hémiplégie – Marche – Rééducation – Stabilité Introduction L’accident vasculaire cérébral (AVC) peut entraîner la sur- venue brutale d’une paralysie de gravité variable retrou- vée dans l’hémiplégie. La rééducation de l’hémiplégie est multidisciplinaire, précoce et adaptée à chacun. Chez ces patients, la station debout est une étape importante [1]. Le but principal de cette rééducation pour les patients et les masseurs-kinésithérapeutes (MK) est la récupération précoce de la marche, et ceci pour obtenir une indé- pendance fonctionnelle du patient. Or, cet objectif n’est atteint que dans 50 à 60 % des cas [2]. En France, l’utilisation des cannes est systématiquement proposée pour la récupéra- tion de la marche. Cependant dans les pays anglo-saxons, l’utilisation de celle-ci lors de cette rééducation n’est pas systématique. Malgré son impact sur les plans physique et psychologique, son utilisation reste néanmoins contro- versée [3-6]. L’objectif de cette revue de synthèse bibliographique est de regrouper et synthétiser des informations pour tenter d’expliquer l’impact des cannes et leurs indications lors de la rééducation des hémiplégiques. Dans quels buts les cannes sont-elles prescrites ? Quelles sont les consé- quences de leur utilisation ? Différents paramètres seront étudiés concernant leur uti- lisation : l’équilibre postural, la marche et leur impact sur le plan psychologique. Méthode Les recherches ont été menées sur Pubmed et Medline grâce à différents mots-clés : cane, walking aids, stroke, rehabilitation, hemiplegia, etc. Nous avons sélectionné vingt- quatre articles qui nous paraissaient les plus pertinents. Les aides de marche sont très souvent utilisées pour permettre la déambulation du patient hémiplégique. Pourtant, leur utilisation au cours de la rééducation est sujette à controverse. Intérêt de l’utilisation des cannes dans la rééducation de l’hémiplégie Benefit of using canes in stroke rehabilitation Summary Introduction: This bibliographical review aims to indicate the advantages and desadvantages of using cane in stroke rehabilitation. Methods: The research has been conducted on Pubmed and Medline with the keywords: Hemiplegia ; Rehabilitation ; Cane ; Stability ; Gait ; Independence. Results/Analysis: Cane seems to be a benefice for stan- ding posture and walking. It leads to a greater autonomy and confidence. But using cane is controversial. Conclusion: cane’s prescription needs to be in relation with physiotherapist’s and patient’s objectives. If the main goal is the recovery of autonomy despite of normal gait, cane seems to be a good indication. On the other hand, if the objective is principally analytical and functional, cane doesn’t seem to be adapted. Level of evidence: 2 KEYWORDS Independence – Cane – Hemiplegia – Gait – Rehabilitation – Stability Auteur correspondant : Amandine Hérald IFMK Saint-Michel 68, rue du Commerce 75015 Paris [email protected] Remerciements à l’IFMK Saint-Michel, à F. Billuart et à J.-L. Nephtali. Les auteurs ont déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec cet article. Pratique

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Angéline Chaminat

Amandine Hérald

Pauline Olivier

Marie-Thérèse Tomasino

RésuméIntroduction : Cette revue de synthèse bibliographique vise à

indiquer les avantages et les inconvénients potentiels de l’utili-

sation d’une canne lors de la rééducation d’un hémiplégique.

Méthodes : Les recherches ont été menées sur Pubmed et

Medline grâce à différents mots-clés : cane, walking aids, stroke,

rehabilitation, hemiplegia…

Résultats/Analyses : Il semblerait que la canne soit béné-

fique pour la posture debout et pour la marche. Elle entraîne

aussi une plus grande autonomie et confiance du patient. Mais

son utilisation est controversée.

Discussion/Conclusion : La prescription des cannes est à

mettre en relation avec les objectifs fixés par le patient et le

MK. Si le but principal est la récupération d’une autonomie

aux dépens d’une marche correcte, la canne semble être une

bonne indication. En revanche, si l’objectif est principalement

analytique et physiologique (force musculaire, vitesse de

marche), la canne ne semble pas adaptée.

Niveau de preuve : 2

M O T S - C L É S

Autonomie – Canne – Hémiplégie – Marche – Rééducation –

Stabilité

IntroductionL’accident vasculaire cérébral (AVC) peut entraîner la sur-venue brutale d’une paralysie de gravité variable retrou-vée dans l’hémiplégie. La rééducation de l’hémiplégie est multidisciplinaire, précoce et adaptée à chacun. Chez ces patients, la station debout est une étape importante [1].Le but principal de cette rééducation pour les patients et les masseurs-kinésithérapeutes (MK) est la récupération

précoce de la marche, et ceci pour obtenir une indé-pendance fonctionnelle du patient. Or, cet objectif n’est atteint que dans 50 à 60 % des cas [2].En France, l’utilisation des cannes est systématiquement proposée pour la récupéra-tion de la marche. Cependant dans les pays anglo-saxons,

l’utilisation de celle-ci lors de cette rééducation n’est pas systématique. Malgré son impact sur les plans physique et psychologique, son utilisation reste néanmoins contro-versée [3-6].L’objectif de cette revue de synthèse bibliographique est de regrouper et synthétiser des informations pour tenter d’expliquer l’impact des cannes et leurs indications lors de la rééducation des hémiplégiques. Dans quels buts les cannes sont-elles prescrites ? Quelles sont les consé-quences de leur utilisation ?Différents paramètres seront étudiés concernant leur uti-lisation : l’équilibre postural, la marche et leur impact sur le plan psychologique.

MéthodeLes recherches ont été menées sur Pubmed et Medline grâce à différents mots-clés : cane, walking aids, stroke, rehabilitation, hemiplegia, etc. Nous avons sélectionné vingt-quatre articles qui nous paraissaient les plus pertinents.

Les aides de marche sont très souvent utilisées pour permettre la déambulation du patient hémiplégique. Pourtant, leur utilisation au cours de la rééducation est sujette à controverse.

Intérêt de l’utilisation des cannes dans la rééducation de l’hémiplégieBenefit of using canes in stroke rehabilitation

SummaryIntroduction: This bibliographical review aims to indicate the advantages and desadvantages of using cane in stroke rehabilitation.Methods: The research has been conducted on Pubmed and Medline with the keywords: Hemiplegia ; Rehabilitation ; Cane ; Stability ; Gait ; Independence.Results/Analysis: Cane seems to be a benefice for stan-ding posture and walking. It leads to a greater autonomy and confidence. But using cane is controversial.Conclusion: cane’s prescription needs to be in relation with physiotherapist’s and patient’s objectives. If the main goal is the recovery of autonomy despite of normal gait, cane seems to be a good indication. On the other hand, if the objective is principally analytical and functional, cane doesn’t seem to be adapted.Level of evidence: 2

K E Y W O R D S

Independence – Cane – Hemiplegia – Gait – Rehabilitation

– Stability

Auteur correspondant :Amandine Hérald IFMK Saint-Michel68, rue du Commerce75015 [email protected]

Remerciements à l’IFMK Saint-Michel, à F. Billuart et à J.-L. Nephtali.Les auteurs ont déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec cet article.

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Parmi ceux-ci, nous avons dégagé l’influence des cannes sur le maintien postural, sur les paramètres de marche et sur les sensations de confiance et d’autonomie pour les activités de la vie quotidienne (AVQ).

Résultats et analyseInfluence de la canne sur le maintien posturalChez les patients hémiplégiques, la station debout est perturbée autant que la marche. Plusieurs paramètres ont une influence sur l’équilibre statique. Certains auteurs ont étudié la position du centre de pression (CP), sa trajectoire et ses oscillations. Pour un sujet en position debout, le CP correspond au point d’application de la résultante des forces de réaction du sol. Il est légitime de penser que le CP est une approximation de la projection au sol du centre de masse d’un individu en posture orthostatique.Paillex et al. indiquent que chez les hémiplégiques, la posi-tion moyenne du CP est déplacée latéralement vers le côté sain (côté canne) et que l’utilisation d’une canne conduit à la réduction du déplacement du CP [7].Lu et al. ont étudié l’équilibre statique en évaluant les oscillations maximales, la trajectoire totale et la vitesse du déplacement du CP, dans les directions antéro-postérieure (AP) et médio-latérale (ML). L’étude a été réalisée avec des cannes de différentes longueurs (hauteur réglée au niveau du grand trochanter, ou au niveau de la styloïde radiale). Ils en ont conclu que pendant la station debout, les oscillations AP et ML ont été réduites avec l’utilisation d’une canne réglée à la styloïde radiale. Pour les oscilla-tions ML, une amélioration a été observée concernant la trajectoire et la vitesse de déplacement du CP lors de l’utilisation d’une canne et surtout pour une canne réglée à la styloïde radiale [8].Chez ces patients, les troubles de l’équilibre sont majorés par le déplacement du CP et par des oscillations posturales accrues. Laufer a effectué des examens posturographiques comparant un groupe de sujets hémiparétiques avec un groupe témoin. Il a démontré que quelque soit le support externe utilisé, il y a une diminution des oscillations pos-turales dans les deux groupes [9, 10]. Maeda et al. ont démontré que ces oscillations sont diminuées de 60 % chez les sujets hémiplégiques utilisant une canne [3].Laufer démontre aussi que chez les hémiplégiques, il y a une distribution asymétrique du poids du corps avec un appui majoré sur le membre sain. Cette asymétrie est maintenue avec l’utilisation d’une canne [9].

Influence de la canne sur la marche de l’hémiplégiqueSelon Tyson, les hémiplégiques ont tendance à toujours garder un contact au sol avec la canne, sauf pendant la phase de double appui [11, 12]. Elle a indiqué que lors de l’appui de la canne au sol, le chargement du poids du corps sur la canne est variable. Une longue période

avec un chargement faible et une courte période avec un chargement fort ont été observées. C’est le chargement fort survenant pendant l’appui unipodal, côté sain, qui n’est pas indiqué chez les hémiplégiques. Tyson précise que l’utilisation d’une aide est bénéfique lors de la marche pour les personnes ayant une hémiplégie sévère. Elle a constaté que, plus le sujet a une hémiplégie sévère, plus le poids du corps transféré sur la canne est important et plus la marche est ralentie [13].Certains auteurs se sont intéressés à l’influence des cannes sur le cycle de marche. Bensoussan et al. ont étudié l’initiation de la marche chez un hémiplégique à l’aide de plateformes de force et ce, sans canne. Ils ont indiqué que le pic de flexion maximal de la cheville se situe avant l’attaque du pied au sol coté sain, et lors de l’appui au sol pour le coté hémiplégique. Le pic d’extension maximal de la cheville se situe avant le décollement du pied pour le coté sain, et pendant la phase oscillante pour le coté hémi-plégique. L’attaque du pied hémiplégique au sol se fait pied à plat (M5 et la malléole sont revenus en position initiale à cause de la spasticité du triceps), alors que pour le coté sain l’attaque du sol se fait par le talon et avec l’avant du pied relevé (M5 est à 2 cm du sol tandis que la malléole est revenue en position initiale) [14].Tyson a démontré que, lors de la marche sans canne, il y a une asymétrie favorisant le coté pathologique. Elle est due à une courte phase d’appui et à une diminution du poids du corps sur le côté pathologique, le tout lié à une fai-blesse des abducteurs de hanche. Elle a également constaté une élévation du bassin pour compenser les difficultés de flexion de hanche et de genou du côté pathologique en phase oscillante [4].Lors de la marche avec une canne, les phases du cycle de marche sont modifiées. Kuan et al. ont démontré que la phase d’appui est augmentée et particulièrement la phase d’appui unipodal du membre plégique. De plus, la stabilité est augmentée pendant la phase d’appui unipodal, et lors de la phase oscillante côté sain [15].La canne génère une réaction horizontale exercée par le sol. Elle servirait à la propulsion et/ou au freinage lors de la marche pour obtenir une démarche plus fluide. En effet, la canne présenterait un avantage chez les hémiplégiques ayant des difficultés à initier ou à terminer le mouvement en raison de faiblesses musculaires, de troubles de la mo-tricité ou de contrôle des membres inférieurs.Deux autres études précisent que ces patients s’appuient principalement sur le membre sain lors de la propulsion et que la canne est utilisée pour aider le membre atteint à freiner le mouvement [16, 17].Les paramètres temporo-spatiaux caractérisent la marche. Les auteurs ont étudié la vitesse de marche, la cadence, la période et la longueur de la foulée, la longueur et la largeur du pas, la durée du pas et la quantité d’appui sur la canne.

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Allet et al. ont utilisé le test de marche des 6 minutes afin d’étudier certains paramètres. Ils en ont conclu que la vitesse est plus élevée avec une canne simple qu’avec une canne quadripode (différence moyenne de 3,58 cm/s). L’utilisation de la canne quadripode entraine donc la plus petite vitesse de marche (25,84 cm/s) [18].Paquet et al. ont montré l’impact de l’utilisation d’une canne sur les capacités de marche de patients hémiplé-giques âgés, en utilisant le test (TUG). L’utilisation d’une canne entraînait une diminution de la vitesse de marche (TUG faible) et réduisait les risques de chute [19].Par contre, Kuan et al. n’ont trouvé aucune différence significative de vitesse avec l’utilisation d’une canne ou non. De plus, ils précisent que la cadence est diminuée et la longueur de la foulée est augmentée d’où une vitesse identique [15]. Boonsinsukh et al. ont indiqué que la force appliquée sur la canne n’influe pas sur la vitesse de marche (0,13 m/s pour le mode contact appuyé et 0,14 m/s pour le mode contact léger). Ceci peut suggérer que l’utilisation de la canne selon un mode contact léger (avec informations sensorimotrices seulement) peut fournir autant de stabilité du bassin que pour un mode contact appuyé (utilisation courante de la canne) [20].

La canne augmente la période et la lon-gueur de la foulée ainsi que la lon-gueur du pas sur le membre affecté,

ce qui diminue la cadence et la largeur du pas [9, 15]. Concernant la longueur du pas, Maguire et al. ont montré que la canne diminuait l’asymétrie entre les deux côtés, entraînant alors une marche plus harmonieuse [21]. Allet et al. ont démontré que la longueur du pas était semblable avec toutes les aides (10 cm). La durée du pas, quant à elle, est nettement plus courte avec la canne simple (37 s) qu’avec la canne quadripode (56 s). Cela suggère qu’une plus grande quantité d’appui aurait un effet négatif sur la symétrie de la marche. Les résultats du test de marche des 6 minutes ont été plus favorables avec une canne simple (moyenne 115,48 m) qu’avec une canne quadripode (moyenne 101,40 m) [18].Kuan et al. [15] ont réalisé une étude sur 15 patients à l’aide de marqueurs passifs fixés aux membres inférieurs, de caméras infrarouges et de logiciels adaptés. Ils ont démontré que les cannes modifiaient les paramètres ciné-matiques et plus précisément les amplitudes articulaires du membre inférieur plégique pendant la marche. Ils ont noté que :• pour le bassin, dans le plan frontal, la cinématique se rapproche de celle d’un patient sain. Dans le plan sagittal, il n’y a aucune différence avec ou sans canne. La rota-tion latérale est majorée du coté sain pendant la phase oscillante ;

• pour la hanche, les amplitudes d’ABD/ADD sont aussi similaires à une personne saine. L’extension est plus im-portante durant l’attaque du pied du côté pathologique. Concernant les rotations, il n’y a aucune différence signi-ficative avec ou sans aide ;• de même, pour les amplitudes articulaires du genou dans le plan frontal, il n’y a aucune différence, mais la flexion est fortement majorée pendant la phase de propulsion, côté sain, et les rotations sont quasiment identiques à un sujet sain ;• enfin pour la cheville, les amplitudes dans les plans frontal et horizontal sont modifiées, se rapprochent alors de celles d’un sujet sain. Une augmentation de la flexion dorsale du coté sain a également été notée [2].D’après Kim et al. [22] et Lu et al. [8], l’angle du coude est modifié quand la hauteur de la canne varie. Des corré-lations significatives ont été trouvées entre les oscillations du CP (mesurées en dynamique) et l’angle du coude. Les oscillations minimales sont obtenues lorsque la longueur de la canne entraine une flexion du coude inférieure à 40°.Certains auteurs se sont aussi intéressés à l’influence de la canne sur l’activité musculaire. Maguire et al. ont étudié grâce à des électromyogrammes (EMG) de surface, l’acti-vité musculaire des abducteurs de hanche sur 13 patients hémiplégiques. Les patients étaient équipés d’électrode de surface sur le membre plégique et de capteurs de mouve-ments (calcanéum, malléole latérale et tête du 2e méta-tarsien). Les patients ont été évalués sur une marche de 10 m. D’après les résultats, la canne diminuerait l’activité musculaire des muscles moyen glutéal (–  21,86 %) et tenseur du fascia lata (– 19,14 %) en comparaison à un patient hémiplégique marchant sans canne [21].Buurke et al. ont de leur côté étudié l’impact de l’utilisa-tion d’une canne sur le modèle d’activation musculaire. Les 13 patients, équipés d’électrodes de surface, ont été testés lors de trois situations : marche sans aide, avec une canne et avec un bâton de pèlerin. En ce qui concerne la durée de la « bouffée d’activité », il y a une diminution d’activité des muscles extenseurs du rachis lors la marche avec canne par rapport à la marche sans canne. D’après l’auteur, le patient compense en reportant son poids sur la canne. De plus, il y a un retard d’activation du muscle vaste latéral pendant la marche avec canne par rapport à la marche avec un bâton. L’auteur en conclut que marcher avec une canne nécessite moins de force de la part des muscles antigravitaires dont fait partie le vaste latéral ; le poids étant pris par la canne. L’activité musculaire du tibial antérieur est diminuée lors de la marche avec canne en comparaison à la marche sans aide. Lorsque le sujet utilise une aide technique, l’auteur indique donc que pendant la phase oscillante, le sujet aura tendance à moins utiliser le tibial antérieur pour passer le pas [17].D’après Bensoussan et al., les troubles de l’équilibre et le pied varus équin (dû à la spasticité et au déficit moteur

La canne augmente la période et la longueur de la foulée ainsi que la longueur du pas sur le membre affecté.

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du membre inférieur hémiplégique) sont responsables en partie des anomalies de la marche et de son asymétrie chez un hémiplégique. Il y a un allongement du temps de réponse des muscles parétiques pendant l’initiation de la marche, lors du transfert du poids du corps sur le membre inférieur d’appui. C’est un élément supplémentaire expli-quant l’allongement de la durée de la phase d’appui du côté sain [14].Kirker et al. ont aussi montré que la raideur des muscles ABD/ADD de hanche et les fléchisseurs/extenseurs de cheville, est plus élevée lors de la posture immobile, chez les hémiplégiques que chez les sujets sains. D’après eux, cela serait dû à la perturbation du tonus musculaire et/ou à la défaillance de la coordination musculaire, rencontrées chez les hémiplégiques [23].

Influence psychologique de la canneSelon Maguire et al., la reprise précoce de la marche est un des buts importants pour le bien-être psychologique du patient [21].Tyson indique que les patients veulent une aide technique de façon intermittente, pour se rassurer lors des longs trajets. Les aides sont souvent demandées en vue d’une autonomie, et ont un effet direct sur la santé physique et psychique des patients [4]. Elles peuvent augmenter la confiance, la sécurité des utilisateurs, ce qui leur permet un plus grand niveau d’activité et d’indépendance fonc-tionnelle (autonomie dans les AVQ) [3, 4].La taille, le poids et la stabilité de la canne quadripode entrainent une plus grande confiance psychologique et un meilleur contrôle postural que la canne simple. Elle entraîne également plus de stabilité et une meilleure base d’appui [9].Dans une étude randomisée réalisée par Tyson et al., 20 patients hémiplégiques ont rempli un questionnaire interne concernant leur opinion sur les différentes aides utilisées. Leur opinion est majoritairement positive. Ils trouvent ces dispositifs confortables et leur apparence leur convient. Les résultats indiquent que 55 % préfèrent une canne en métal contre 40 % une canne en bois. De plus, 95 % des patients sont d’accord pour utiliser une aide régulièrement. Dans 70 % des cas, les patients préfèrent marcher tout de suite avec une aide technique au lieu d’attendre d’avoir un bon schéma de marche, et 15 % préfèrent attendre au lieu de marcher avec une canne [5].Cette étude va à l’encontre de nombreuses autres analyses [3-6] où l’utilisation d’une aide technique ne se fait qu’en dernier recours car la priorité est de retrouver une marche correcte sans dispositif externe.L’utilisation des cannes est controversée car il semblerait qu’elles limitent la restauration normale d’un modèle de marche et la mobilité indépendante [4-6, 10, 18]. Plusieurs thérapeutes, notamment ceux s’appuyant sur le concept Bobath (1990) veulent décourager l’utilisation des aides

techniques. Ils pensent que cela encourage le patient à se pencher sur leur côté sain et à ne pas transférer leur poids sur la jambe plégique. Ceci serait exagéré dans la marche asymétrique et aurait un effet néfaste sur la performance globale de la marche [6]. L’utilisation d’une canne pour la marche devrait être systématiquement posée et réfléchie avant toute prescription [24].

DiscussionTous les auteurs s’accordent à dire que le sujet hémiplé-gique aura tendance à transférer son poids du corps du côté sain, et ce avec ou sans l’utilisation d’une canne. Paillex et al. indiquent que la canne diminue le déplace-ment du CP en faveur du côté plégique, mais la quantité d’appui sur le côté sain reste toujours plus importante [7]. Chez les hémiplégiques, les troubles de l’équilibre et les oscillations posturales accrues sont majorés par le déplacement du CP. L’utilisation d’une canne diminue ces oscillations posturales surtout en ce qui concerne la canne quadripode [9, 10]. Chez un patient hémiplégique, il y a une répartition asymétrique du poids du corps en station debout et sans canne en faveur du côté sain. Il est vrai que cette répartition asymétrique est diminuée lors de l’utilisa-tion d’une canne, mais celle-ci persiste. Ici, la canne aurait donc un effet positif nuancé sur ces paramètres.Concernant la marche, les phases du cycle de marche sont aussi modifiées. Chez les hémiplégiques, la phase d’appui unipodal sur le membre plégique est plus courte sans canne. Celle-ci est augmentée avec une canne, en faveur d’une augmentation de la stabilité [13, 15]. La canne per-met une démarche plus fluide, utile pour les patients ayant un problème pour initier ou terminer les mouvements en raison de faiblesse musculaire. L’utilisation d’une canne diminue la vitesse de marche mais cette diminution est moins marquée avec une canne simple qu’avec une canne quadripode. Cependant, Kuan et al. ne notent aucune dif-férence significative sur la vitesse de marche avec ou sans canne [15]. Les avis des auteurs divergeant, il est difficile de conclure en ce qui concerne la vitesse de marche.Pour les paramètres suivants : cadence, largeur et lon-gueur du pas, tous les auteurs s’accordent à dire que la canne diminue la cadence et la largeur du pas et augmente la longueur. Ceci tend à rapprocher la marche d’un hémi-plégique à celle d’un patient sain.D’un point de vue articulaire, Kuan et al. indiquent que la canne permet de se rapprocher de la physiologie d’un patient sain. Afin de suppléer les déficiences présentes côté plégique qui entrainent une démarche anormale, des compensations se font du côté sain : augmentation de la flexion dorsale de la cheville, de la flexion de genou et de la rotation latérale du bassin [15].D’un point de vue musculaire, la canne diminue l’acti-vité des stabilisateurs du bassin coté plégique [21]. Elle diminue l’activité des spinaux de ce même côté car le

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patient compense en reportant son poids du corps sur l’aide technique. La canne aurait donc un effet négatif sur ces paramètres car elle diminue la force des muscles du côté plégique qui sont alors moins sollicités. Le muscle tibial antérieur se retrouve lui aussi sous utilisé pour pas-ser le pas, à cause de la canne, d’où une diminution de force [17]. Ceci va à l’encontre d’un des objectifs de la rééducation qui consiste à retrouver une force musculaire suffisante du côté plégique afin de permettre une marche sans boiterie. C’est sans doute pourquoi l’utilisation d’une aide technique est controversée. De plus, le déficit de force musculaire au niveau de certains muscles, pourrait aller dans le sens d’un déficit d’amplitude articulaire retrouvé avec l’utilisation de la canne.Dans beaucoup de cas, la priorité des MK est d’offrir le minimum d’aide nécessaire pour permettre au patient de marcher efficacement sans augmenter l’asymétrie pour autant. Cependant il est reconnu que certains patients (hémiplégie sévère par exemple) ont besoin d’une aide technique pour marcher plus librement, avec confiance, et d’autres sont dans l’incapacité de marcher sans aide [6]. Aussi, la canne diminuerait les risques de chute dans la mesure où elle est utilisée correctement par le patient [19].Les cannes ou les cadres de marche sont souvent prescrits à des patients hémiplégiques pour améliorer l’équilibre et la marche. Ainsi la réintégration dans une communauté et leur participation sociale sont facilitées. De plus la canne augmenterait l’indépendance dans les AVQ, ce qui permet-trait de réintégrer une vie « normale » [3].Or Hamzat et al. ont indiqué que 3 à 5 ans après l’AVC, les patients sont toujours dépendants d’une aide technique (canne ou fauteuil) pour la marche et la toilette. Cela suggère que les patients ne tirent pas bénéfice de l’indé-pendance fonctionnelle supposée apportée par ces aides et pour lesquelles elles sont initialement prescrites [24].Au terme de cette revue de synthèse bibliographique, il n’a pas été révélé de consensus entre les différentes études. Celles-ci ayant servi à fournir les informations pour cette recherche, n’ont pas montré de réels points communs concernant les protocoles. La prescription des cannes est à mettre en relation avec les objectifs fixés par le patient et le MK. Si le but principal est la récupération d’une auto-nomie au dépend d’une marche correcte, la canne semble être une bonne indication. En revanche, si l’objectif est principalement analytique et physiologique (force muscu-laire, vitesse de marche), la canne ne semble pas adaptée.Trop peu d’études s’appliquent à étudier les bénéfices des différents types de cannes (canne simple, canne qua-dripode, bâton de pèlerin, etc.) et leurs influences sur la marche de l’hémiplégique. En vue d’un complément d’in-formations à propos de ce sujet, ceci pourrait faire l’objet de prochaines recherches.

ConclusionDans cette revue de synthèse bibliographique, nous avons tenté d’indiquer l’influence des cannes sur la marche de l’hémiplégique. Dans les articles trouvés, l’échantillon de sujets était souvent trop peu significatif. Aussi, les études étaient difficilement comparables entre elles, car elles ne prenaient pas en compte les mêmes paramètres et avaient des critères de sélection de sujets différents. Au départ nous avons orienté nos recherches sur la comparaison des différents types de cannes entre elles et leurs effets sur la marche. Nous cherchions à savoir quelle canne apportait le plus de bénéfices sur les différents paramètres de marche. Cependant, en raison d’une littérature trop peu fournie sur ce sujet, nous avons orienté nos recherches et notre problématique sur l’influence des cannes sur la marche, malgré les divergences de protocoles, de méthodes et de sujets étudiés. À l’issue de ce travail, nous pouvons dire que nous avons apporté des éléments de réponse concrets à cette problématique. �

Points à retenir

• La canne augmente la stabilité.• La canne augmente la longueur du pas mais diminue la vitesse

et la largeur du pas.• La canne permet à la marche de l’hémiplégique de se rapprocher

de celle d’une personne saine.• La canne augmente l’autonomie du patient.

R É F É R E N C E S

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Intérêt de l’utilisation des cannes dans la rééducation de l’hémiplégie Pratique

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