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- 1 - UNIVERSITE DE ROUEN Année Universitaire 2012-2013 Travaux dirigés 2 ème année Licence Droit ACTE JURIDIQUE - Cours de Mme le Professeur Julie KLEIN CINQUIEME SEANCE LOBJET I.- IDEES GENERALES Larticle 1108 du Code civil subordonne la validité dune convention à lexistence dun « objet certain qui forme la matière de lengagement ». Cependant, la notion dobjet nest pas facile à cerner. Limprécision terminologique du Code civil y est pour beaucoup. Le code se réfère en effet tantôt à lobjet de lobligation (art. 1129 C. civ. : « Il faut que lobligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce »), tantôt à lobjet du contrat (art. 1126 C. civ. : « Tout contrat a pour objet une chose quune partie soblige à donner, ou quune partie soblige à faire ou à ne pas faire »). La doctrine dominante considère que la seule expression appropriée est celle d« objet de lobligation ». Si lon parle dobjet du contrat, cest en réalité par ellipse : le contrat a pour effet de créer des obligations, elles-mêmes ont pour objet une certaine prestation : cela explique que lon parle parfois dobjet du contrat. Lobjet de lobligation diffère alors selon les types de contrats. Où l on retrouve limportance de la classification des contrats déjà évoquées. Dans les contrats unilatéraux , il ny a quun seul objet car le contrat unilatéral ne met dobligation quà la charge de lune des parties. Dans les contrats synallagmatiques, il y a deux objets car ce contrat fait naître une obligation à la charge de chacune des parties. Ainsi, dans le contrat de vente, le vendeur sengage à transférer la propriété de la chose tandis que lacheteur sengage à payer le prix : cest là lobjet de lobligation de chacun qui

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UNIVERSITE DE ROUEN Année Universitaire 2012-2013

Travaux dirigés – 2ème année Licence Droit

ACTE JURIDIQUE - Cours de Mme le Professeur Julie KLEIN

CINQUIEME SEANCE

L’OBJET

I.- IDEES GENERALES

L’article 1108 du Code civil subordonne la validité d’une convention à l’existence d’un

« objet certain qui forme la matière de l’engagement ».

Cependant, la notion d’objet n’est pas facile à cerner. L’imprécision terminologique du

Code civil y est pour beaucoup. Le code se réfère en effet tantôt à l’objet de l’obligation

(art. 1129 C. civ. : « Il faut que l’obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son

espèce »), tantôt à l’objet du contrat (art. 1126 C. civ. : « Tout contrat a pour objet une chose

qu’une partie s’oblige à donner, ou qu’une partie s’oblige à faire ou à ne pas faire »).

La doctrine dominante considère que la seule expression appropriée est celle d’ « objet de

l’obligation ». Si l’on parle d’objet du contrat, c’est en réalité par ellipse : le contrat a pour

effet de créer des obligations, elles-mêmes ont pour objet une certaine prestation : cela

explique que l’on parle parfois d’objet du contrat.

L’objet de l’obligation diffère alors selon les types de contrats. Où l’on retrouve

l’importance de la classification des contrats déjà évoquées.

Dans les contrats unilatéraux, il n’y a qu’un seul objet car le contrat unilatéral ne met

d’obligation qu’à la charge de l’une des parties. Dans les contrats synallagmatiques, il y a

deux objets car ce contrat fait naître une obligation à la charge de chacune des parties.

Ainsi, dans le contrat de vente, le vendeur s’engage à transférer la propriété de la chose

tandis que l’acheteur s’engage à payer le prix : c’est là l’objet de l’obligation de chacun qui

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est décrit : l’objet de l’obligation du vendeur est le transfert de la propriété, l’objet de

l’obligation de l’acquéreur est le paiement du prix.

L’objet – qu’il s’agisse d’une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire ; qu’il

s’agisse d’une obligation de moyens ou d’une obligation de résultat – doit présenter

certains caractères : il doit être possible, licite, déterminé.

II.- PREMIER THEME : LA DETERMINATION DU PRIX DANS LES CONTRATS-CADRES

Selon l’article 1129 du Code civil, « il faut que l’obligation ait pour objet une chose au moins

déterminée quant à son espèce ».

La question s’est posée de savoir si cet article devait trouver application en matière de

prix. En effet, presque tous les contrats comportent une obligation dont l’objet consiste à

payer une somme d’argent qui exprime le prix d’une chose ou d’un service. S’il ne fait

aucun doute que le prix est un élément essentiel dans la majorité des contrats, la question

est alors de savoir si cette somme doit être déterminée dès la formation du contrat, ou si

elle peut être fixée plus tard, lors de l’exécution par les parties, voire par une des parties

ou par le juge.

Le débat a connu une intensité particulière en matière de contrats-cadres. Ces contrats

visent à organiser les relations contractuelles à venir entre les contractants, généralement

entre un fournisseur et un distributeur. Ils aménagent donc, souvent pour une période de

temps qui sera longue, leurs rapports juridiques. Parfois, ils s’accompagnent d’une clause

d’exclusivité qui met à la charge du distributeur l’obligation de ne s’approvisionner

qu’auprès du fournisseur avec lequel il contracte. S’approvisionner : mais à quel prix ?

La question s’est posée de savoir s’il fallait que, dans le contrat-cadre lui-même, le prix

auquel seraient conclues les ventes à venir soit déterminé ou déterminable. Pouvait-on

admettre que le fournisseur ait uniquement prévu que le prix serait celui de son tarif-

catalogue à la date des différentes ventes. La question n’a pas qu’un intérêt théorique : le

sort de milliers de contrats de fourniture, contrats de concession, contrats de franchise…

dépend de la solution retenue.

La jurisprudence, estimant qu’une telle stipulation met le distributeur à la merci du

fournisseur, a tenté d’annuler les contrats-cadres dans lesquels le prix n’était pas

déterminé ou déterminable indépendamment de la volonté du fournisseur. Elle s’est alors

livrée, à partir des années 1970, à « une véritable chasse à la nullité pour indétermination

du prix », appelant à la rescousse les articles 1591 et 1129 du c. civ.

La matière a animé un vif débat doctrinal et jurisprudentiel. Trois critiques ont

principalement été adressées à cette jurisprudence.

En premier lieu, d’un point de vue de technique juridique, on a avancé que la démarche

de la Cour de cassation reposait sur une déformation des textes du Code civil. En effet, ni

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l’article 1591, ni l’article 1129 du Code civil ne semblaient adaptés à la matière des

contrats-cadres. Le premier est propre à la vente ; or le contrat-cadre n’est pas un contrat

de vente. Le second exige que l’obligation ait pour objet « une chose au moins déterminée quant

à son espèce » ; or, le prix n’est pas la « chose » au sens de l’article 1129.

En deuxième lieu, d’un point de voir de politique juridique cette fois, on a fait valoir que

cette jurisprudence était inadaptée aux nécessités de la pratique, qui supposaient un

minimum de flexibilité.

En troisième lieu, et d’un point de vue moral cette fois, on n’a pas manqué de souligner

l’effet pervers d’une telle jurisprudence : il suffisait aux distributeurs qui souhaitaient

échapper à leurs propres obligations de se prévaloir de la nullité du contrat-cadre pour

indétermination du prix pour parvenir à leurs fins.

Sans soute sensible à ces critiques, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation s’est

orientée le 29 novembre 1994 dans une nouvelle voie. L’Assemblée plénière de la Cour de

cassation a suivi la voie tracée, imposant une nouvelle jurisprudence en la matière, par des

arrêts rendus le 1er décembre 1995. Elle a jugé que l’indétermination du prix des contrats

d’application dans la convention cadre n’affecte pas la validité de celle-ci, l’abus dans la

fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation.

Document 1 : Civ. 1ère, 29 novembre 1994, Bull. Civ. I, n° 348.

Document 2 : Ass. Plén. 1er décembre 1995 (Deux espèces, Bull. AP, n°9 et n°7) ;

D.1996,13, concl. Jéol, note L. Aynès ; J.C.P., 1996. II. 22565, concl. Jéol, note J. Ghestin ;

RTDciv., 1996, 153, obs. J. Mestre ; Les Petites Affiches, 27 décembre 1995, p. 11, note D.

Bureau et N. Molfessis (note reproduite).

La mise à l’écart de l’article 1129 en matière de détermination du prix s’est depuis lors

généralisée.

Document 3 : Com., 17 juillet 2001, Defrénois, 2001.1425, obs. E. Savaux.

Document 4 : Civ. 1ère, 12 mai 2004, RDC 2004. 924, obs. D. Mazeaud.

Derrière le revirement technique, c’est une véritable « révolution » philosophique qui se

dessine. En déplaçant le contrôle du prix du stade de la formation du contrat (condition

de validité) à celui de l’exécution du contrat (cause de responsabilité contractuelle), la

jurisprudence reconnait implicitement qu’obliger les parties à se mettre d’accord sur le

prix dès la formation du contrat n’est pas la meilleure manière de les protéger de

l’arbitraire : le cocontractant en situation de force sera toujours en mesure d’imposer ses

vues. Au mythe de l’égalité des contractants se substitue alors la réalité qui est celle de

l’inégalité de fait. Autant, dès lors, laisser le contractant en position de force fixer seul le

prix, pour mieux contrôler ensuite l’usage qu’il aura fait d’une telle prérogative.

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Mais encore faut-il comprendre comment s’exerce alors le contrôle de l’abus dans la

détermination du prix.

Document 5 : Com., 15 janvier 2002, D., 2002.1974, note Ph. Stoffel-Munck et 2841,

note D. Mazeaud, JCP 2002.II.10157, note C. Jamin, RTD Civ., 2002.294, obs. J. Mestre et

B. Fages.

Document 6 : Civ. 1ère, 30 juin 2004, D., 2005.1828, note D. Mazeaud, RDC, 2005.275,

obs. Ph. Stoffel-Munck, RTD Civ., 2004.749, obs. P.-Y. Gautier et 2005.126, obs. J.

Mestre et B. Fages.

Enfin, on notera que la question de la détermination du prix fait l’objet de propositions de

réforme dont le contenu sera utilement comparé à l’état actuel du droit positif

Document 7 : Article 82 du Projet de réforme de la Chancellerie.

Document 8 : Article 60 al. 3 du Projet « Terré ».

III.- DEUXIEME THEME: LA LICEITE DE L’OBJET

Selon l’article 1128 du Code civil, « il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent

être l’objet des conventions ». L’article pose ainsi une exigence de licéité de l’objet de

l’obligation.

La question la plus discutée s’est posée à propos des contrats ayant pour objet le corps

humain. Plus précisément, c’est la question de la maternité pour autrui qui a favorisé les

controverses. Le corps de l’enfant, le corps de la femme ne sont pas des choses dans le

commerce juridique (art. 1128 du c. civ.). Touchant d’un côté au sacré, de l’autre aux

préoccupations les plus terrestres, la question du désir d’enfant et des mécanismes

permettant de le satisfaire a soulevé un vif débat. Désormais, la loi a pris le relais – de

façon plus ou moins habile.

Document 9 : Cass. Ass. Plén., 31 mai 1991, D., 1991, 417, rapport Y. Chartier, note D.

Thouvenin J.C.P., 1991.II.21752, avis du professeur J. Bernard, concl. Dontenville, note

F. Terré.

Document 10 : Art. 16-1 ; 16-7 et 16-9 du c. civ., issus de la loi du 29 juillet 1994 relative

au respect du corps humain.

La question de la maternité pour autrui a de nouveau fait l’actualité avec la question de la

transcription des actes d’état civil des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui.

La désormais fameuse affaire « Menesson » a donné à la Cour de cassation l’occasion de

préciser sa jurisprudence. En dépit de l’avis contraire de l’avocat général à la Cour de

cassation, la première chambre civile a rappelé que l’article 16-7 du code civil, qui prohibe

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toute convention portant sur la procréation ou sur la gestation pour le compte d’autrui,

est d’ordre public.

Document 11 : Civ. 1ère, 6 avril 2011, à paraître au Bulletin, D., 2001, p. 1064, note X.

Labbée.

Sans sombrer dans une discussion relevant du café du commerce, on s’interrogera sur le

bien-fondé des solutions retenues.

III.- EXERCICE

Commentaire de l’arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 1er

décembre 1995, deuxième espèce (SNC Le Montparnasse c/ Sté Alcatel Bretagne).

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Document 1 : Civ. 1ère, 29 novembre 1994, Bull. Civ. I, n° 348. Vu les articles 1129 et 1134, alinéa 3, du Code civil ; Attendu que pour prononcer, pour indétermination du prix, la nullité des conventions conclues par M. X... avec la société GST-Alcatel Est pour la fourniture et l’entretien d’une installation téléphonique, la cour d’appel retient que si le prix de la location et de l’entretien de l’installation était déterminable, il n’en était pas de même du coût des modifications dont le bailleur s’était réservé l’exclusivité, le contrat se bornant sur ce point à mentionner l’application d’une " plus-value de la redevance de location sur la base du tarif en vigueur " ; Attendu qu’en se prononçant par ces motifs, alors que, portant sur des modifications futures de l’installation, la convention litigieuse faisait référence à un tarif, de sorte que le prix en était déterminable, et qu’il n’était pas allégué que la société GST-Alcatel eût abusé de l’exclusivité qui lui était réservée pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime, et ainsi méconnu son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; Document 2 : Ass. Plén. 1er décembre 1995 (Deux espèces, Bull. AP, n°9 et n°7) ; D.1996,13, concl. Jéol, note L. Aynès ; J.C.P., 1996. II. 22565, concl. Jéol, note J. Ghestin ; RTDciv., 1996, 153, obs. J. Mestre ; Les Petites Affiches, 27 décembre 1995, p. 11, note D. Bureau et N. Molfessis (note reproduite). 1ère espèce : Vu les articles 1709 et 1710 ensemble les articles 1134 et 1135 du Code civil ; Attendu que lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation ; Attendu, selon l’arrêt déféré, que, le 15 novembre 1982, la société Bechtel France (société Bechtel) a souscrit avec la société Compagnie française de téléphone (société Cofratel), pour une durée de 15 années, une convention dite de " location-entretien ", relative à l’installation téléphonique de ses bureaux ; que, le 28 juin 1984, la société Bechtel a informé la société Cofratel de la fermeture de partie de ses locaux et, par suite, de la fin du contrat ; que la société Cofratel a assigné la société Bechtel en paiement du montant de la clause pénale prévue en cas de rupture anticipée de la convention et que la société Bechtel a résisté en invoquant la nullité du contrat pour indétermination du prix ; Attendu que, pour prononcer cette nullité, l’arrêt retient que si " l’obligation de recourir à la société Cofratel ne concerne que les modifications intrinsèques de l’installation et n’empêche pas la société Bechtel de s’adresser à d’autres fournisseurs pour l’achat et l’utilisation d’appareil semblable ou complémentaire, il n’en demeure pas moins que toutes modifications de l’installation ne peuvent être exécutées que par la société Cofratel qui bénéficie à cet égard d’une clause d’exclusivité " ;

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Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; 2ème espèce : Attendu, selon l’arrêt confirmatif déféré (Rennes, 11 février 1993), qu’en vue de l’exploitation d’un hôtel, la société Le Montparnasse a, le 27 août 1987, pris à bail à la société Compagnie armoricaine de télécommunications, aux droits de laquelle se trouve la société GST-Alcatel Bretagne (société Alcatel), une installation téléphonique pour une durée de 10 années ; qu’au mois de janvier 1990, la société Le Montparnasse a cédé son fonds de commerce et que le cessionnaire n’a pas voulu reprendre l’installation téléphonique ; que la société Alcatel a assigné la société Le Montparnasse en paiement du montant de l’indemnité de résiliation, prévue au contrat ; Attendu que la société Le Montparnasse reproche à l’arrêt d’avoir écarté l’exception de nullité du contrat et des avenants intervenus, tirée de l’indétermination du prix d’une partie des " prestations " stipulées, alors, selon le moyen, d’une part, que n’est ni déterminé ni déterminable, au sens de l’article 1129 du Code civil, le prix dont la fixation fait appel à des paramètres insuffisamment précisés ; qu’en l’espèce, l’article 2 de la convention du 27 août 1987 prévoit que toute extension d’une installation initiale fera l’objet d’une plus-value de la redevance de location, déterminée par référence à la hausse des prix intervenue chez le fournisseur depuis la dernière fixation " ayant servi de base ", ainsi qu’en fonction de l’indice des prix contractuels ou, dans le cas où l’application de l’indice serait provisoirement suspendue suivant la formule de substitution ou le coefficient de majoration légale ou réglementaire arrêté par l’autorité publique, étant précisé que ces mêmes variations indiciaires pourront être à la fois appliquées au matériel adjoint à l’installation louée ou fournie et à la main-d’oeuvre si, par suite de " circonstances quelconques ", la hausse intervenue chez le fournisseur de matériel ne peut être dûment établie ; que, dès lors, en se bornant à énoncer que les paramètres ainsi définis ne pouvaient être maîtrisés par les parties, pour en déduire que l’importance de la majoration de la redevance initiale liée aux extensions de l’installation était parfaitement déterminable, sans rechercher si, par son obscurité et sa complexité, la formule de calcul prévue au contrat ne mettait pas le locataire, tenu par une clause d’exclusivité, dans l’impossibilité de connaître le taux de la majoration, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard du texte susvisé ; et alors, d’autre part, qu’il faut, pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée ; qu’il est constant, en l’espèce, que le locataire était tenu de faire appel au bailleur pour toute extension dont la mise en service était subordonnée, en application de l’article 3, in fine, du contrat du 27 août 1987, au paiement de la redevance réclamée par l’installateur ; que dès lors, en s’abstenant de rechercher si, lors de la conclusion des avenants prévus en cas de modification ou d’extension de l’installation initiale, les prix pouvaient être librement débattus et acceptés par les parties, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article 1129 du Code civil ; Mais attendu que l’article 1129 du Code civil n’étant pas applicable à la détermination du prix et la cour d’appel n’ayant pas été saisie d’une demande de résiliation ou d’indemnisation pour abus dans la fixation du prix, sa décision est légalement justifiée ; PAR CES MOTIFS, REJETTE le pourvoi

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1. Par quatre arrêts rendus le 1er décembre 1995, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation vient de mettre un terme aux errements de la jurisprudence en matière de détermination du prix dans les contrats-cadre. Il faut se féliciter de la solution rendue, et savoir gré à la Cour de cassation d’avoir su habiller ses décisions des formules ciselées qui conviennent aux arrêts de sa plus haute formation. 2. Rarement, sans doute, des décisions de l’Assemblée plénière furent aussi attendues que celles-ci. Attendues, elles l’étaient tout d’abord par la doctrine, qui, dans sa grande majorité, prônait un revirement de jurisprudence. Attendues, elles l’étaient tout autant par les agents économiques, désireux de voir consacrée une solution répondant à leurs besoins, et leurs conseils pour lesquels la rédaction des contrats-cadre était devenue un périlleux exercice de savoir-faire contractuel. Attendues, elles l’étaient encore par les juges du fond, que les récentes divergences entre la chambre civile et la chambre commerciale ne pouvaient que laisser dans l’expectative. Attendues, elles l’étaient enfin par les étudiants pour lesquels la question de l’indétermination du prix dans les contrats, thème probable d’examen, était sujet avéré d’inquiétude. 3. La Cour de cassation a donc saisi l’occasion, à propos de quatre espèces aux circonstances de fait d’une banalité toute propice aux affirmations les plus exemplaires. Dans une première affaire (M. Vassali c/ M. Gagnaire), il s’agissait d’un contrat de franchise, à durée déterminée de cinq ans, aux termes duquel le franchisé s’était engagé à utiliser exclusivement les produits vendus par le franchiseur. Selon l’article 5 de la convention, il était prévu que « les produits seront vendus au tarif en vigueur au jour de l’enregistrement de la commande, ce tarif étant celui du prix catalogue appliqué à l’ensemble des franchisés ». A la suite d’une demande en annulation formée par le franchisé, la Cour d’appel avait annulé le contrat, au motif que la clause s’analysait en un barème dont il ressortait que la détermination du prix était à la discrétion du franchiseur. L’Assemblée plénière casse l’arrêt rendu, au double visa des articles 1134 et 1135 du Code civil, et pose dans un attendu de principe que « la clause d’un contrat de franchisage faisant référence au tarif en vigueur au jour des commandes d’approvisionnement à intervenir n’affecte pas la validité du contrat, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation ». Les deux affaires suivantes sont assez comparables. Dans les deux espèces, il s’agissait d’un contrat de location-entretien relatif à une installation téléphonique. Dans l’affaire S.A. Compagnie française de Téléphone c/ Sté Bechtel, le locataire avait entendu rompre le contrat avant son échéance, en raison de la fermeture de ses locaux. Le loueur, en réaction, assigna alors la société en paiement du montant de la clause pénale prévue en cas de rupture anticipée de la convention. Dans l’arrêt rendu entre la S.A. Compagnie Atlantique de Téléphone et la Société Sumaco, c’était le loueur qui désirait rompre le contrat, en raison du défaut de paiement de la redevance. Il réclamait, en outre, l’indemnité contractuellement prévue. Dans les deux espèces, les locataires répliquèrent en demandant la nullité du contrat pour indétermination du prix ; dans les deux cas, les cours d’appel firent droit à leur demande (Paris, 26 mars 1991 ; Rennes, 13 février 1991). Les deux décisions furent cassées par l’Assemblée plénière, sur le visa des articles 1709 et 1710 et des articles 1134 et 1135 du Code civil. Dans les deux arrêts, la Cour de cassation pose en principe que « lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation. » Les circonstances de la quatrième affaire (S.N.C. Le Montparnasse c/ Sté G.S.T.-Alcatel Bretagne) étaient pratiquement similaires : en vue d’exploiter un hôtel, une société avait pris à bail pour une durée de dix ans une installation téléphonique. Le fonds de commerce ayant été cédé, le cessionnaire ne souhaita pas reprendre l’installation, de sorte qu’à nouveau le loueur demanda le

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paiement de l’indemnité de résiliation prévue au contrat. Et les mêmes circonstances entraînant ici les mêmes réactions, le cessionnaire argua de la nullité du contrat pour indétermination du prix afin de se soustraire au paiement de l’indemnité. A quoi cependant, la Cour d’appel refusa cette fois de faire droit, de sorte que la Cour de cassation rendit, en cette occasion, un arrêt de rejet. Celui-ci devait offrir à l’Assemblée plénière l’occasion d’affirmer, dans un « chapeau intérieur » que « l’article 1129 n’étant pas applicable à la détermination du prix et la Cour d’appel n’ayant pas été saisie d’une demande de résiliation ou d’indemnisation pour abus dans la fixation du prix », la décision de la Cour d’appel se trouvait « légalement justifiée ». 4. Faut-il insister sur les efforts déployés par la Cour de cassation pour conférer à cette jurisprudence toute l’importance qu’elle mérite ? Du moins relèvera-t-on qu’à cette fin, elle n’a pas ménagé ses effets. Effet d’annonce tout d’abord, si l’on accepte de lire en ce sens les décisions de la Première chambre civile amorçant le changement. Effet de répétition ensuite, puisque la Cour prit soin de rassembler quatre pourvois appelant une réponse analogue pour mieux faire passer le message : c’est dire que ces arrêts ne peuvent être lus qu’en contemplation les uns des autres. Effet de solennité ensuite, puisque l’Assemblée plénière intervint sur premier pourvoi, ce qui se justifiait doublement au regard de l’article L. 131-2 du Code de l’organisation judiciaire puisque la question est de principe et que les juridictions étaient en opposition. Effet de rédaction enfin et surtout, toutes ces décisions étant habillées de chapeaux qu’il faut croire taillés avec une attention toute particulière et faisant un emploi tant de la technique de l’obiter dictum que de celle de la substitution de motifs (v. infra, no 7). 5. Tout a donc été mis en œuvre pour avertir de l’importance du message que l’Assemblée plénière entendait délivrer. La première leçon qui s’en dégage pourrait bien se laisser découvrir _ dans toute sa généralité _ dans l’arrêt de rejet, affirmant que l’article 1129 n’est pas applicable à la détermination du prix (I). Le second enseignement ressort, expressément quant à lui, de l’ensemble des décisions selon lesquelles l’abus dans la fixation du prix donne lieu à résiliation ou indemnisation (II).

I. L’article 1129 du Code civil n’est pas applicable à la détermination du prix

6. La seule lecture des trois arrêts de cassation rendus par l’Assemblée plénière pourrait faire douter, sinon du sens, du moins de la portée de la construction proposée : en effet, puisqu’il y est affirmé _ brevitatis causa _ que l’indétermination du prix dans les contrats-cadre n’affecte pas leur validité, on pourrait penser que la Cour a choisi de restreindre l’exigence de détermination du prix fondée sur l’article 1129 du Code civil, en lui ôtant sa vocation à s’appliquer aux contrats-cadre. Comme les contrats d’entreprise, par exemple, les contrats-cadre seraient donc désormais soustraits à l’emprise de l’article 1129 du Code civil. Au même titre qu’elle avait pu _ au moins un temps _ exclure du domaine de l’article 1129 du Code civil les contrats-cadre ne comportant que des obligations de faire, la Cour de cassation agirait ici encore par voie de retranchement, en excluant tous les contrats-cadre de l’orbe de l’article 1129 du Code civil. Faudrait-il s’en tenir là, le revirement serait déjà considérable. 7. Mais il y a plus : le quatrième arrêt _ de rejet certes _ pose dans un chapeau intérieur que « l’article 1129 n’étant pas applicable à la détermination du prix », l’arrêt de la Cour d’appel se trouve justifié. Tout exhorte à tenir un tel attendu pour essentiel, pour ne pas retenir une analyse minorante de la nouvelle jurisprudence. Tout d’abord, il faut créditer la Haute juridiction d’une volonté incontestable de ne pas substituer une jurisprudence incertaine à une jurisprudence critiquée. Ensuite, la rédaction même de l’arrêt de rejet impose d’y porter une particulière attention : la formule posée dans le chapeau intérieur comporte à la fois ce qui s’apparente à une substitution de motifs _ puisque la Cour d’appel avait rejeté la demande aux motifs que le prix

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était déterminable en fonction de paramètres échappant à la volonté des parties contractantes, et non pour absence d’exigence de détermination du prix _ et un obiter dictum _ puisque la Cour de cassation précise, ce qui était parfaitement superflu, que la Cour d’appel n’avait pas été saisie d’une demande de résiliation ou d’indemnisation pour abus dans la fixation du prix . Or, cet obiter dictum n’a pour autre objet que de rappeler la formule déjà présente dans les trois autres arrêts. Comment ne pas penser alors que, dans le même esprit d’unité, la première affirmation excluant l’application de l’article 1129 éclaire la signification de l’ensemble des décisions, en renforce la cohérence et en précise le fondement : le principe formulé dans toute sa généralité dans la dernière décision, le serait déjà de manière implicite dans les précédentes. L’ordre de succession logique des décisions permet de l’attester. 8. De manière particulière, la première de ces décisions affirme que « la clause d’un contrat de franchisage faisant référence au tarif en vigueur au jour des commandes d’approvisionnement à intervenir n’affecte pas la validité du contrat » (M. Vassali c/ M. Gagnaire). La solution elle-même est sans doute importante : en l’espèce, la convention prévoyait que les produits seraient vendus au tarif en vigueur au jour de l’enregistrement de la commande, ce tarif étant celui du prix catalogue appliqué à l’ensemble des franchisés ; pour annuler le contrat, l’arrêt attaqué avait retenu qu’il s’agissait en fait d’un barème d’où il résultait que la détermination des prix était à la discrétion du franchiseur. Sur le fond la solution tranche donc avec celle naguère exprimée par la jurisprudence, annulant le contrat de franchise lorsque, pour la conclusion des contrats de vente successifs nécessaires à sa mise en œuvre, les prix ne pouvaient être librement débattus et acceptés par les parties. Malgré l’évolution qu’il révèle, cet arrêt ne traduit pas à lui seul l’essentiel du bouleversement : s’il affirme que telle clause relative au prix n’affecte pas la validité du contrat, le principe même du contrôle de la validité des conventions par le biais des exigences relatives à la détermination du prix n’est pas ici définitivement abandonné. De surcroît, la solution est encore limitée d’une double manière : d’une part, elle porte uniquement sur le contrat de franchise ; d’autre part, elle ne vise que la clause de ce contrat faisant référence au tarif en vigueur au jour des commandes. 9. C’est ainsi plus généralement que l’Assemblée plénière constate dans les deux décisions suivantes que « lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas [...] la validité de celle-ci » (S.A. Cie Atlantique de Téléphone c/ Sté Sumaco ; S.A. Cie française de téléphone c/ Sté Bechtel France). Cette fois, ce n’est plus une espèce particulière de contrat qui est prise en considération (le franchisage), mais bien un genre ; à travers la périphrase utilisée, renvoyant aux conventions qui prévoient la conclusion de contrats ultérieurs, c’est toute forme de contrat-cadre qui est visée. L’expression utilisée par l’Assemblée plénière concorde en effet en tous points avec la définition traditionnellement retenue de ce dernier. Par ailleurs, ce n’est plus une clause particulière qui est admise, puisqu’il est bien souligné que l’indétermination du prix des contrats d’application dans la convention initiale n’affecte pas la validité de celle-ci. 10. Plus encore, la formule ainsi exprimée témoigne de toute la différence séparant les arrêts de l’Assemblée plénière de ceux précédemment rendus par la première Chambre civile le 29 novembre 1994, pourtant annonciateurs de changements. Le principe même d’un tel contrôle n’avait pas encore été supprimé, puisque la Cour de cassation relevait alors que « la convention litigieuse faisait référence à un tarif, de sorte que le prix en était déterminable ». C’est donc parce que le prix avait été estimé déterminable que les contrats avaient pu être sauvés. Une récente décision de la Cour de Paris, inspirée de la jurisprudence Alcatel, participait d’ailleurs du même esprit : elle relevait en effet que « la référence expresse ainsi faite à un tarif dont l’existence n’est pas contestée en l’espèce [...] répond à l’exigence légale du caractère déterminable du prix ». Tout

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ceci laissait entendre, par une lecture a contrario, que lorsque dans d’autres circonstances le prix ne serait pas jugé déterminable, le contrat devrait alors être annulé. Tel n’est plus le cas aujourd’hui : l’indétermination du prix ne saurait plus entraîner la nullité du contrat. Il n’est plus en effet affirmé, au regard des faits de l’espèce, que la convention est licite parce que le prix serait déterminable. Il est proclamé, au regard des contrats considérés, que la détermination du prix n’est pas une condition de leur validité. Il est vrai que l’on pourrait encore estimer que la solution s’explique par une nouvelle limitation apportée au domaine d’application de l’article 1129 : celui-ci ne régirait plus désormais les contrats-cadre. 11. Mais ce serait omettre la formule précitée de l’arrêt de rejet : si les contrats-cadre ne sont pas nuls pour indétermination du prix, ce n’est pas parce que ces derniers sont exclus du domaine de l’article 1129 ; c’est, d’une manière toute différente, parce que l’arti- cle 1129 ne s’applique pas à la détermination du prix. Tel était d’ailleurs, comme le soulignait M. le Premier Avocat Général Jéol dans ses conclusions, le premier message que les arrêts devaient s’efforcer de faire passer : « sauf disposition légale particulière, l’absence de fixation du prix lors de la conclusion du contrat n’affecte pas la validité de celle-ci ». N’est-ce pas ce qu’entend signifier la formule de l’arrêt de rejet, énonçant que « l’article 1129 n’[est] pas applicable à la détermination du prix » : l’expression est employée dans toute sa généralité. 12. Une telle affirmation repose sur une « nouvelle » lecture de l’article 1129 du Code civil. Longtemps en effet, cette disposition demeura dans l’ombre de l’article 1108 du Code civil : ce dernier, en exigeant au titre des conditions essentielles pour la validité d’une convention, « un objet certain qui forme la matière de l’engagement », semblait suffire à imposer la détermination de l’objet du contrat. Dès lors, en énonçant qu’il « faut que l’obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce » tout en précisant ensuite que « la quotité de la chose peut être incertaine, pourvu qu’elle puisse être déterminée », l’article 1129 paraissait n’avoir d’autre finalité que de préciser ce que l’article 1108 exigeait déjà. C’était sans compter sur le rôle créateur de la jurisprudence. Celle-ci opéra, comme chacun le sait, à partir de trois décisions rendues le 11 octobre 1978 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, une nouvelle lecture de l’article 1129 : là où il est écrit « il faut que l’obligation ait pour objet une chose au moins déterminée... », la Cour lisait « il faut que l’objet de l’obligation puisse être déterminé ». On connaît les raisons d’une telle interprétation : plutôt que de continuer à solliciter l’article 1591 du Code civil, parfaitement inapplicable en matière de contrat-cadre, la Cour de cassation préféra appeler à la rescousse cette disposition du droit commun des contrats. La « chasse à la nullité pour indétermination du prix », commencée au début des années 70, allait se poursuivre avec cette nouvelle arme. 13. On fit alors valoir que la chose de l’article 1129 du Code civil n’est pas le prix, ce dont l’article 1583 du Code civil rend compte en exigeant que l’on soit convenu, pour que la vente soit parfaite, tant de l’un que de l’autre. Pour persuader du mal-fondé du rapprochement opéré par la Cour de cassation, il suffisait alors de rappeler que dans la vente, la chose est l’objet de l’obligation de l’acheteur tandis que le prix est celui du vendeur. Par conséquent, la chose ne pouvait englober le prix. La critique était aisée et semblait sans appel. Au surplus, en admettant même la vocation de l’article 1129 à s’étendre à tout objet, on fit valoir que la solution inaugurée à partir de 1978 ne pouvait pas davantage être justifiée, l’obligation pour une partie de s’acquitter d’un prix n’étant pas l’objet du contrat-cadre. Aussi, en affirmant que l’article 1129 du Code civil n’est pas applicable à la détermination du prix, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation vient de rayer d’un coup de plume l’interprétation

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qu’elle avait retenue à partir de 1978. L’article 1129 du Code civil est désactivé. Comment comprendre dès lors une telle affirmation ? 14. On pourrait tout d’abord estimer que la Cour de cassation fait sienne une analyse particulière de l’article 1129 du Code civil, selon laquelle cette disposition exigerait bien la détermination de l’objet, mais uniquement celle de l’objet de l’obligation principale, c’est-à-dire celle qui permet de caractériser le contrat. Une telle conception de la notion, qui recueille parfois les faveurs de la doctrine, conduirait alors à en exclure le prix : l’obligation de payer le prix ne permettrait pas en effet de caractériser le contrat puisque, sous diverses dénominations, elle « constitue la contrepartie habituelle de tous les contrats à titre onéreux ». Cette conception pourrait d’ailleurs être rapprochée de celle de « prestation caractéristique » consacrée dans le domaine du droit international privé à l’article 4 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles. Il n’est pas sans intérêt en effet de relever que pour expliquer cette notion, la doctrine se réfère à « la prestation pour laquelle le prix est dû ». On en déduit alors de manière générale que « l’obligation de payer le prix n’est donc pas caractéristique d’un type de contrat », seules devant être prises en considération les obligations permettant de distinguer les différents contrats les uns des autres. La Cour de cassation pourrait donc avoir souhaité aligner la notion d’objet sur celle de prestation caractéristique, favorisant de la sorte le rapprochement de ces notions. Dans cette première interprétation possible, l’évolution consacrée par l’Assemblée plénière resterait cependant encore limitée : en effet, en 1978, la Cour de cassation n’avait pas directement procédé à une confusion entre le prix et la chose. Si l’on s’en réfère à la formule précitée, elle avait assimilé la « chose » à « l’objet », pour n’en déduire qu’ensuite l’application de l’article 1129 du Code civil à la détermination du prix. Si le prix était considéré alors comme une chose, c’est parce que la chose était tenue pour synonyme d’objet. La Cour de cassation pourrait donc fort bien avoir maintenu cette assimilation de la chose à l’objet, mais en retenant une interprétation différente de l’objet, qui en exclurait le prix en tant qu’il ne serait pas une prestation caractéristique du contrat. 15. Toutefois on pourrait voir davantage d’audace dans cette nouvelle jurisprudence. La Cour de cassation pourrait avoir bien davantage fait évoluer l’interprétation de l’article 1129 du Code civil en retenant une lecture étroite de ce texte : la chose qui doit être déterminée ne se comprendrait plus que comme une catégorie d’objet ; elle désignerait seulement l’objet susceptible de transfert de propriété, sur lequel un droit réel peut s’établir. Ainsi, la Cour de cassation irait dans le sens de ceux pour qui la chose n’est pas le prix, le premier terme devant être compris au sens qui est le sien dans la vente et, plus généralement, dans le droit des biens. Ce sont ainsi deux lectures différentes de l’article 1129 qui s’opposent : la première assimile la chose à l’objet ; la seconde comprend la chose dans un sens étroit, celui retenu en droit des biens. 16. En faveur de la première lecture, on soulignera que l’article 1126 du Code civil tient pour équivalents les termes objet et chose : « tout contrat a pour objet une chose qu’une partie s’oblige à donner, ou qu’une partie s’oblige à faire ou à ne pas faire ». De cette disposition, on doit déduire en effet que la « chose, objet de l’obligation, est la prestation promise par le débiteur, ce à quoi celui-ci s’est engagé » . Comme l’expliquait Toullier dans son analyse du Code civil, « les choses sont prises ici dans l’acception la plus étendue pour tout ce dont l’homme peut retirer quelque utilité, quelque avantage ou quelque agrément. Les actions de l’homme, ou même leur omission, autant qu’elles peuvent procurer de l’utilité à une personne, sont comprises sous le mot chose ». La notion de chose est donc comprise largement au point qu’elle déborde les seules obligations de donner, comme l’expriment sans ambiguïté les termes de l’article 1126 du Code civil.

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La chose de l’article 1129 devrait alors, par souci de cohérence, être identique à celle de l’article 1126 du Code civil. De l’article 1129, on déduirait donc que c’est tout objet qui doit être déterminé (ou déterminable) dans son espèce et sa quotité, ce qu’une partie de la doctrine admettait bien avant 1978. L’article 1129 du Code civil s’inscrirait alors dans la continuité de l’article 1126, opinion soutenue dès les premiers commentaires du Code civil, selon laquelle « le mot chose se prend ici dans une acceptation générale ». 17. Mais on pourrait au contraire privilégier une lecture étroite du terme « chose », renvoyant au bien sur lequel peut se constituer un droit réel. Dans cette hypothèse, le terme désigne par ellipse une catégorie d’objet, ce dont rend compte son emploi dans la définition d’un certain nombre de contrats spéciaux, la vente (« l’un s’oblige à livrer une chose »), l’échange (« ... se donnent respectivement une chose pour une autre »), le louage de chose (« ... s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose »), le prêt à usage (« l’une des parties livre une chose à l’autre »), le prêt de consommation (...« livre à l’autre une certaine quantité de choses »), le dépôt (« ... on reçoit la chose d’autrui »), le nantissement (« un débiteur remet une chose »). La chose désignée est objet de la prestation, mais le terme est alors celui du droit des biens. Il est vrai que le sens même de l’article 1129 du Code civil milite pour cette seconde lecture en exigeant qu’une chose soit déterminée dans sa quotité et dans son espèce. 18. La comparaison de l’article 1129 du Code civil avec d’autres dispositions semblables se référant à l’exigence de détermination de la chose, renforce d’ailleurs une telle interprétation. Ainsi en est-il à l’article 1022 du Code civil, selon lequel « lorsque le legs sera d’une chose indéterminée, l’héritier ne sera pas obligé de la donner de la meilleure qualité, et il ne pourra l’offrir de la plus mauvaise ». Cette disposition s’apparente à celle de l’article 1129. D’ailleurs, sur le fond, le principe de l’article 1022 vaut pour l’article 1129, le débiteur devant, dans le doute, une chose de qualité moyenne. Cette règle est exprimée à l’article 1246 du Code civil, selon lequel « si la dette est d’une chose qui ne soit déterminée que par son espèce, le débiteur ne sera pas tenu, pour être libéré, de la donner de la meilleure espèce ; mais il ne pourra l’offrir de la plus mauvaise ». Cette disposition complète celle qui précède, selon laquelle « le débiteur d’un corps certain et déterminé est libéré par la remise de la chose en l’état où elle se trouve lors de la livraison... » Il est notable que ces dispositions ne valent que pour des choses susceptibles d’un transfert de propriété. Au surplus, la référence à la détermination de la chose dans l’article 1246 fait précisément écho à l’exigence posée à l’alinéa premier de l’article 1129 du Code civil, selon lequel, comme on l’a déjà rappelé, « il faut que l’obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce ». 19. Douterait-on encore de cette conception qu’il serait possible de renvoyer aux discussions menées au corps législatif lors de l’élaboration du Code civil. Si les débats sur les articles 1126 et suivants furent rapides, la présentation que fit Bigot-Préameneu éclaire sur la signification du terme chose. L’article 1126, sous la plume de Bigot-Préameneu , peut se lire de la façon suivante : « il ne peut y avoir d’obligation sans qu’une chose ou un fait en soit l’objet et la matière ». Dans les dispositions qui suivent, il n’est alors plus question que de la chose, comprise par opposition au fait, c’est-à-dire comme un bien sur lequel pourrait porter une obligation de donner : « si c’est une chose, elle doit être dans le commerce » (article 1128 du Code civil), et « il faut aussi qu’il soit possible de la distinguer, et pour cela il suffit qu’elle soit au moins déterminée quant à son espèce, et que sa quotité puisse, d’après l’obligation être fixée » : un meuble, du vin, du blé, un cheval... tels sont les « choses » prises pour exemple. Au total, dans les articles qui composent la section III du Chapitre II du Livre III du Code civil, relative à l’objet et à la matière des contrats, le terme de chose se comprend d’une double manière. Ainsi, la chose s’oppose tantôt à la prestation accessoire, lorsqu’elle est synonyme de

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prestation principale : c’est là la signification de l’article 1126 du Code civil qui tient bien pour synonymes la chose et l’objet. Mais la chose se comprend, dès l’article 1127, comme une catégorie d’objet, désignant ce qui pourrait être susceptible d’appropriation. La « chose même » de l’article 1127 du Code civil renvoie donc au droit réel, celle de l’article 1128 retenant également cette acception. L’article 1129 du Code civil exigerait donc, pour conserver la logique des dispositions similaires, de la même section mais plus généralement dans le reste du Code civil, une interprétation étroite. Une telle conception n’empêcherait pas, pour le cas où une prestation ne porterait pas sur une chose, qu’elle doive être conforme aux dispositions de l’article 1108 du Code civil, qui requiert un « objet certain ». 20. Aussi bien, faut-il souhaiter qu’en jugeant que l’article 1129 du Code civil n’est pas applicable à la détermination du prix, la Cour de cassation ait entendu taire tout débat et restaurer le sens perdu de l’article 1129, celui que l’on se plaît à enseigner en prenant en exemple le blé, le vin et autres choses de genre. Si la Cour de cassation avait bien voulu retenir cette seconde acception, il faudrait en conclure que l’article 1129 du Code civil serait rendu à ses exégètes. La restauration de son sens, que l’on ne pourrait que louer, plongerait sans doute l’article 1129 du Code civil dans une période désormais plus paisible, conforme à ce qui lui était promis par les rédacteurs du Code civil. Il permettrait au principe nouvellement affirmé de développer ses effets dans toute leur plénitude, sous réserve des tempéraments réservés par l’Assemblée plénière. 21. A deux reprises en effet, les arrêts commentés apportent une exception au principe selon lequel la détermination du prix n’est pas requise, puisqu’il a vocation à s’appliquer « sauf dispositions légales particulières ». Cette restriction ne figure cependant pas dans les deux autres arrêts. Ceci s’explique aisément pour la décision relative à une clause particulière d’un contrat particulier, le contrat de franchise : le caractère limitatif de la formule employée n’imposait pas d’exprimer une telle restriction. Celle-ci n’est pas davantage reproduite dans l’arrêt de rejet, affirmant que « l’article 1129 n’[est] pas applicable à la détermination du prix ». Mais dire que l’article 1129 n’est pas applicable à la détermination du prix ne saurait signifier qu’aucune disposition ne le serait. Tant et si bien que pour n’être pas formulée d’une manière aussi abrupte par l’Assemblée plénière, la leçon de cet ensemble peut être énoncée de la manière suivante : sauf dispositions légales particulières, l’indétermination du prix lors de la formation du contrat n’en affecte pas la validité. 22. La solution nouvelle traduit donc un changement radical de perspective, exprimé par un renversement du principe et de l’exception : elle opère un déplacement des frontières entre les contrats échappant désormais à la nullité pour indétermination du prix et ceux qui demeurent exposés à une telle sanction. 23. Les contrats naguère soustraits à la nullité pour cause d’indétermination du prix y échapperont toujours, puisque par hypothèse leur régime n’est pas affecté d’une disposition légale particulière en sens contraire. Les solutions antérieures se maintiennent, mais cependant plus pour la même raison ; non plus parce que l’article 1129 ne s’applique pas à ces contrats mais parce que ce texte n’est pas applicable à la détermination du prix et qu’ils ne sont pas soumis à des dispositions légales particulières en sens contraire. 24. Dans cette perspective, les contrats qui avaient été annulés autrefois pour indétermination du prix sur le seul fondement de l’article 1129 ne sont désormais plus susceptibles de l’être. Il en est ainsi, bien sûr, pour les contrats-cadre. Mais tel pourrait être également le cas aujourd’hui en matière de prêt à intérêt. On sait en effet que c’est sur le seul fondement de l’article 1129 du Code civil, que la Cour de cassation s’était

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prononcée au sujet de la détermination du taux conventionnel ou du montant de l’indemnité de remboursement anticipé. La nouvelle lecture de l’article 1129 pourrait bien rendre caduques ces solutions _ qui ne conduisaient d’ailleurs pas à la nullité du contrat de prêt lui-même _ tout en permettant de maintenir la justice contractuelle à travers le mécanisme de contrôle nouvellement proposé. Au-delà de ce bouleversement _ qui serait alors majeur _, d’autres solutions pourraient être modifiées de manière comparable. On peut ainsi évoquer le cas du louage de choses, indépendamment d’ailleurs des incertitudes naguère relevées en ce domaine : certaines décisions et certains auteurs se prononçaient en effet en faveur de la validité du bail en dépit de l’indétermination de son prix, alors même que la position contraire pouvait être soutenue aussi bien en jurisprudence qu’en doctrine. On pourra désormais estimer que les dispositions du Code civil relatives au contrat de louage ne constituent pas de ces dispositions légales particulières de nature à constituer une exception au principe nouvellement posé. En atteste la référence dans les visas de deux décisions aux articles 1709 (louage de chose) et 1710 (louage d’ouvrage), signifiant qu’ils ne sont pas de nature à justifier la mise à l’écart du principe. La même solution pourra s’étendre à d’autres contrats, tel le contrat de transport, parfois estimé susceptible d’annulation pour indétermination du prix. 25. Seuls risqueront toujours d’être annulés pour indétermination du prix les contrats soumis à des dispositions légales particulières en ce sens. A ce titre, on songe évidemment au contrat de vente, en raison de la formulation très claire de l’article 1591 du Code civil, aux termes duquel « le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties ». Ce texte conservera sans doute l’interprétation jurisprudentielle dont il a fait l’objet. Au-delà du contrat de vente, il faudra donc vérifier dans le régime de chaque contrat s’il recèle des dispositions particulières portant l’exigence d’un prix déterminé. Tel sera le cas par exemple du mandat conclu avec un agent d’affaires pour la vente ou la location d’un immeuble ou d’un fonds de commerce, l’article 6 alinéa 4 de la loi du 2 janvier 1970 (Loi Hoguet) imposant que les conventions mentionnent « les conditions de détermination de la rémunération ». Dans le prolongement de cet exemple, on pourrait peut-être tenir compte des propositions de M. le Premier Avocat Général Jéol pour qui certains contrats (travail salarié, contrat d’assurance, accession à la propriété immobilière), voyant leur prix régi par des dispositions spécifiques, devraient en toute hypothèse rester à l’écart des règles du droit commun. En outre, certaines dispositions particulières du droit de la consommation méritent d’être rappelées. Aux termes du nouvel article L. 132-1 du Code de la consommation en effet, « une annexe au présent code comprend une liste indicative et non exhaustive de clauses qui peuvent être regardées comme abusives si elles satisfont aux conditions posées par le premier alinéa ». Or, parmi ces clauses figurent celles qui ont pour objet ou pour effet « de prévoir que le prix des biens est déterminé au moment de la livraison ou d’accorder au vendeur de biens ou au fournisseur de services le droit d’augmenter leurs prix sans que, dans les deux cas, le consommateur n’ait le droit correspondant lui permettant de rompre le contrat au cas où le prix final est trop élevé par rapport au prix convenu lors de la conclusion du contrat ». On précisera qu’aux termes de ces dispositions particulières, la méconnaissance de telles exigences n’entraînerait pas d’ailleurs la nullité du contrat, puisque les clauses abusives sont seulement réputées non écrites. 26. Au terme de ces développements, le message délivré par l’Assemblée plénière peut donc être compris de la manière suivante : sauf dispositions légales particulières, l’indétermination du prix lors de la formation du contrat n’en affecte pas la validité, l’article 1129 du Code civil n’étant pas applicable. Pour ne pas laisser le contractant sans protection, le second message délivré prend alors tout son sens : l’abus dans la fixation du prix donne lieu à résiliation ou indemnisation.

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II. L’abus dans la fixation du prix donne lieu à résiliation ou indemnisation

27. C’est désormais au stade de l’exécution du contrat que s’effectuera le contrôle judiciaire du prix. Ce déplacement du contrôle de la formation à l’exécution du contrat répond aux vœux de la doctrine majoritaire. La solution doit être approuvée en ce qu’elle traduit la volonté de la Cour de cassation de restaurer la sécurité des relations contractuelles dans le domaine des contrats-cadre, la précarité des solutions antérieures n’ayant plus à être démontrée. Elle doit également être approuvée en ce qu’elle traduit un alignement de la solution retenue désormais en droit français avec celle de la plupart des droits étrangers. Elle mérite cependant d’être analysée, puisque tant le fondement retenu que les sanctions proposées sont novateurs. 28. L’Assemblée plénière franchit, en effet, une étape nouvelle par rapport aux décisions de la première chambre civile du 29 novembre 1994. La Cour de cassation invoquait alors les articles 1129 et 1134 alinéa 3. Cette fois, ce sont les articles 1134 et 1135 qui sont visés. 29. L’élision de l’article 1129 du Code civil dans le visa des décisions s’imposait, dès lors que l’article n’a plus vocation à s’appliquer. Certes, la Cour de cassation aurait pu encore s’y référer pour exprimer, en négatif, que ce texte ne saurait régler la question de la détermination du prix : dans la logique de la nouvelle solution consacrée par l’Assemblée plénière, l’article 1129 du Code civil est bien violé par les décisions des juridictions du fond qui s’y réfèrent pour imposer la détermination du prix. Il reste que le message est encore plus limpide dès lors qu’il devient notable, par simple « coup d’œil » au visa, que l’article 1129 a disparu du débat. 30. La référence à l’article 1134 sans autre précision pourrait en revanche sembler moins évidente : ayant quitté le terrain de la formation du contrat, la Cour de cassation n’aurait-elle pas dû se référer, comme dans l’arrêt Alcatel, au seul article 1134 alinéa 3 ? L’article 1134 a-t-il une signification générale, alors même que les trois alinéas qui le composent ont chacun leur normativité propre ? Pourtant, si le message est cette fois moins précis, il pourrait fort bien être tout autant légitime. Si l’article est entièrement visé, et non son seul alinéa 3, c’est peut-être parce qu’une logique d’ensemble le traverse, celle d’une obligation de bonne foi qui servirait de socle à la force obligatoire du contrat. C’est peut-être plus simplement parce qu’en l’espèce chaque alinéa importe. L’alinéa premier, en ce que le principe de la force obligatoire qu’il exprime, requiert que le contrat soit exécuté, dans les limites que fixent l’article 1134 alinéa 3 et l’article 1135. Le contrat-cadre étant la loi des parties, d’une part, l’indétermination du prix n’étant plus une cause de nullité de l’acte, d’autre part, la clause par laquelle les parties auront prévu le mode de fixation du prix dans le contrat doit être exécutée : ainsi le veut l’article 1134 alinéa 1er. Aussi bien, corollaire de ce premier alinéa, le contrat ne pourra être révoqué que du seul accord des parties ou pour les causes que la loi autorise. Les stipulations conventionnelles, et parmi celles-ci tout particulièrement celle par laquelle se trouvent déterminées les conditions de fixation du prix doivent donc être exécutées, jusqu’à ce que les parties prévoient leur révocation : ainsi le veut l’alinéa 2 de l’article 1134. C’est évidemment surtout l’alinéa 3 qui importe, en exigeant la bonne foi au stade de l’exécution, même si la Cour de cassation lui préfère, de manière explicite, la référence à l’abus. 31. L’invocation de l’article 1135 pourrait alors paraître superflue. Elle le sera sans doute si l’on estime que la Cour de cassation impose une solution identique à celle qui résultait des arrêts Alcatel. En 1994, l’article 1134 alinéa 3 avait suffi à imposer le maintien du contrat et à l’enfermer dans les limites de la bonne foi. En outre, la référence à l’abus était déjà présente, il est vrai sous

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une autre forme (v. infra, no 34). Plus généralement, l’article 1134 alinéa 3 semble suffire, en des domaines voisins, pour sanctionner le comportement abusif de l’un des contractants. Serait-ce que la nouvelle formulation, par laquelle le critère de l’abus se trouve substitué à celui de la bonne foi, imposait tout de même l’invocation de l’article 1135 ? Alors il resterait peut-être à s’interroger sur ce que la Cour considère ici comme la source de la « suite » du contrat : l’équité, l’usage ou la loi ? Sans doute, plutôt la première si l’on admet que la morale _ ou plutôt une forme de morale, celle de la loyauté des comportements _ pénètre ici le contrat, par la voie de la sanction des comportements abusifs. Il reste que la référence à l’article 1135 pourrait laisser entendre qu’une nouvelle obligation se trouverait rattachée au contrat, distincte de l’obligation de l’exécuter de bonne foi. Il faudrait admettre que cette nouvelle obligation naît avec la formation du contrat, puisqu’elle se trouve intégrée à celui-ci, comme le sous-entend l’article 1135 du Code civil. En contractant, les parties s’engagent à ne pas se comporter de façon abusive. Au même titre que la loyauté impose l’information et le renseignement au stade de la formation du contrat, elle exige l’absence d’abus au stade de l’exécution. Ces obligations sont comprises dans les stipulations contractuelles, en ce qu’elles sont des « suites » du contrat. Voici une forme d’abus du droit qui trouverait sa source dans une stipulation implicite préexistante... 32. Sur le fond, cette nouvelle solution appelle plusieurs remarques d’ordre général, liées à l’essor du contrôle de l’exécution du contrat et à la place croissante réservée au critère de l’abus. Le déplacement du contrôle, de la formation du contrat à son exécution, ne peut tout d’abord manquer d’être souligné. Il participe d’un changement d’orientation du droit des contrats, imprégné du souci de « laisser sa chance » au contrat, ce qui impose une plus grande souplesse des règles de formation et un renforcement des exigences à l’heure de l’exécution de l’acte. Par suite, on ne peut manquer de souligner combien la référence au critère de l’abus devient, à côté de celui de la bonne foi, l’instrument de ce contrôle. Le critère de l’abus répond au souci d’enfermer les droits des contractants dans les limites que requiert un comportement loyal. La notion d’abus de droit, dont la place première se situait sur le terrain de la responsabilité délictuelle conquiert du terrain en matière contractuelle. La notion sert déjà de garde-fou dans les contrats à exécution successive, à durée indéterminée, pour sanctionner les ruptures intempestives ou malfondées. L’abus porte cette fois sur le droit fixer le prix que le contrat aura prévu. De même que le créancier ne doit pas abuser du droit de recouvrer sa créance, il ne doit pas abuser du droit d’en fixer le montant. 33. De fait, cette nouvelle consécration du critère de l’abus impose un rapprochement avec le droit de la concurrence et le droit de la consommation. La progression du concept d’abus y est manifeste dans ces diverses branches du droit, au point que l’on ne peut que souligner combien l’intention profonde de la jurisprudence, à la suite des interventions législatives, consiste à élaborer un droit civil économique, sous-tendu de préoccupations communes qui ne dépendent pas de la nature de la règle appliquée ou de la discipline concernée. Le principe-roi du droit des contrats est celui de l’équilibre : équilibre des connaissances _ rêve impossible que l’on tente d’atteindre par le mythe de l’information _, équilibre des prestations... : la chasse à l’abus manifeste cette quête de l’équilibre contractuel ; elle est l’expression d’une forme moderne de recherche de la justice commutative. Faut-il se féliciter qu’une cause commune fasse le lien entre le droit civil, le droit de la consommation et le droit de la concurrence ? Pour l’affirmative, on fera valoir que le regard du juriste sur le contrat ne doit pas diverger selon que sont en relation des professionnels de puissance différente, opérant sur un marché, des consommateurs avec des professionnels, des particuliers entre eux : le jeu des étiquettes ruine la cohérence même du droit des contrats tandis que le contrat ne pourrait que profiter d’une approche unitaire.

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On pourrait cependant, à l’inverse, ne pas être pleinement satisfait de voir ainsi les règles du droit commun se trouver rattachées, comme l’on accroche un wagon à sa locomotive, à la roue du droit de la concurrence et du droit de la consommation. Par imitation de ces nouveaux modèles qui sont, eux-mêmes, des dégénérescences du droit commun des contrats, la théorie générale ne risque-t-elle pas d’être investie, encore un peu plus, de notions générales, de standards : déséquilibre significatif, avantage excessif, excès manifeste, profit illégitime, prix manifestement déraisonnable ... 34. Aussi la nouvelle jurisprudence oblige à préciser en quoi consistera l’abus dans la fixation du prix. La première chambre civile de la Cour de cassation avait, dans l’arrêt Alcatel, caractérisé ce que pourrait être l’abus dans l’exclusivité : c’était le fait pour le contractant en position de fixer le prix d’en tirer un profit illégitime. L’abus se trouvait ainsi en amont, constituant la cause de ce qui devait être évité : le profit illégitime. Cette construction duale, associant cause _ abus dans la fixation du prix _ et conséquence _ profit illégitime _ n’était pas sans évoquer la définition des clauses abusives telles que l’article 35 de la loi du 24 janvier 1978 l’avait envisagée : l’abus de puissance économique entraînant un avantage excessif. Désormais, alors que le code de la consommation se contente du résultat _ le déséquilibre significatif _ l’Assemblée plénière s’en tient, quant à elle, à la cause : l’abus dans la fixation du prix, sans préciser en quoi se manifestera cet abus. Aussi pour déterminer celui-ci, il faudra sans doute se prononcer sur le caractère illégitime du profit qui en résultera. Certes, ceci sera assez délicat, si l’on admet qu’au sein d’une économie libérale, la recherche de profit n’est pas a priori illégitime. Aussi bien, on peut estimer qu’une telle recherche portera sur un faisceau d’indices : référence aux pratiques contractuelles, suggérée par l’article 1135 du Code civil, prix du marché, l’examen de celui-ci supposant cependant « que la démonstration soit faite de l’existence d’un véritable marché de référence à partir de la présentation de données économiques précises et vérifiables, et que cette démonstration fasse l’objet d’un débat contradictoire ». L’abus consistera sans doute dans la fixation inéquitable d’un prix par le contractant en mesure de le déterminer, forme d’arbitraire qui se manifestera toutes les fois que le contractant choisira de fixer le prix uniquement en fonction de ses propres intérêts et au détriment de ceux de son partenaire. Au fond, l’abus dans la fixation du prix, c’est une forme de rupture de la communauté d’intérêts qui unit les parties et qui doit présider à leur relation, rupture appréciée à partir de données dépassant le seul contrat, au premier rang desquelles se trouvent celles du marché. Ce n’est donc pas l’intention de nuire qui caractérise l’abus, car le contractant qui fixe le prix pensera à lui, avant de souhaiter porter préjudice à son contractant. C’est son égoïsme qui peut lui être reproché, dès lors que le prix qu’il fixera ne sera pris en considération que de ses seuls intérêts. Aussi faut-il préférer une approche téléologique de l’abus, chère à Josserand, selon laquelle le droit doit s’exercer conformément à sa fonction sociale : par où l’on voit bien s’exprimer une conception objective du contrat, instrument d’échanges économiques, dont les incidences doivent être perçues au-delà des seules considérations propres aux parties contractantes. 35. Il reste qu’il faut espérer que les juridictions feront un emploi parcimonieux de la notion d’abus : il ne serait guère satisfaisant de voir le contentieux refleurir, par là où l’on avait souhaité le faire cesser. Il faut d’ailleurs être optimiste : si le critère de l’abus est préféré à celui de la bonne foi, n’est-ce pas aussi une manière d’imposer que la voie soit encore plus étroite ? Au reste, exiger que le prix soit fixé de bonne foi n’aurait eu guère de sens. De la sorte, si le contentieux diminue en raison des strictes conditions dans lesquelles la responsabilité contractuelle s’exercera désormais, on pourra y voir là un singulier avantage au regard du contentieux artificiellement développé naguère. Plus encore, la question sera désormais placée sur son véritable terrain : peu importe que le prix soit fixé à l’issue d’une procédure

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unilatérale, dès lors que la fixation n’est pas abusive. Dans la très grande majorité des cas, le fonctionnement normal du jeu de la concurrence devrait suffire à empêcher les excès de l’une des parties au stade de la fixation du prix. Si celui-ci n’y suffit pas, ou en dehors d’un tel contexte concurrentiel, seuls les réels abus seront sanctionnés. Ceux-ci devraient d’ailleurs rester rares, si l’on observe les données de fait à partir desquelles le contentieux s’était principalement développé : on relèvera alors qu’aucun distributeur n’avait jamais prétendu avoir été la victime d’un prix arbitraire, ce qui se comprend assez bien dans la mesure où l’on voit mal quel intérêt pourrait avoir un fabricant à étrangler son réseau de distribution. La nullité pour indétermination du prix n’était le plus souvent qu’un prétexte à l’anéantissement d’obligations contractuelles n’ayant guère de rapport avec le prix lui-même. 36. A supposer l’abus constaté, celui-ci ne donnera lieu « qu’à résiliation ou indemnisation ». C’est donc désormais sur le terrain de la responsabilité contractuelle que se trouve la sanction du contrôle judiciaire des prix. Le lien entre la question du fondement du contrôle et la sanction, que certains avaient pu estimer rompu à la suite des arrêts Alcatel, ne fait pas de doute : dès lors qu’il s’agit de sanctionner une faute dans l’exécution du contrat, c’est bien dans les règles de la responsabilité contractuelle que la sanction doit être recherchée. La nullité est donc fort logiquement écartée. Au demeurant, la sanction est conforme aux finalités mêmes du système proposé et devrait être approuvée par ceux qui blâmaient, à juste titre, le système antérieur. Elle traduit la volonté du juge de conserver le choix d’une sanction adaptée aux circonstances. Aussi bien, c’est une option qui est proposée, entre la résiliation ou l’indemnisation. 37. La première sanction envisagée est en effet celle de la résiliation. Résiliation et non résolution, dès lors qu’il s’agit de censurer le comportement d’une des parties au stade de l’exécution d’un contrat de longue durée. Les problèmes de restitutions, dont on sait combien ils provoquèrent de difficultés, se trouvent ainsi supprimés. L’abus dans la fixation du prix est donc réprimé en tant qu’il traduit une exécution défectueuse du contrat-cadre. La solution antérieure consistait à prononcer l’annulation des contrats d’exécution en guise de conséquence d’une nullité du contrat-cadre : la sanction prenait sa source dans le contrat-cadre, pour affecter, par suite, les contrats qui en étaient résultés. Cette fois, la logique est inversée : c’est du contrat d’exécution que part la difficulté pour venir affecter le contrat-cadre. Il reste que la Cour de cassation ne précise pas le sort du contrat litigieux pris en application du contrat-cadre. Pour le cas où il aurait été conclu et que le contractant viendrait à exciper d’un abus dans la fixation du prix, le juge devra assurément, s’il fait droit à la demande, prononcer la résiliation du contrat-cadre. Mais puisqu’il s’agit de résiliation, force est d’estimer que le contrat d’exécution, antérieurement conclu, ne sera pas affecté par une sanction qui ne vaut que pour l’avenir : c’est là que s’exprimera la différence avec la nullité, sanction que faisait prévaloir la jurisprudence antérieure. Le juge devra alors prévoir une indemnisation afin de restaurer l’équilibre rompu. C’est d’ailleurs là, la seconde hypothèse. 38. La sanction peut en effet également consister en une indemnisation. Des dommages-intérêts pourront évidemment accompagner la résiliation, pour compenser le préjudice antérieurement souffert par la conclusion de contrats dans lesquels le prix avait été abusivement fixé. Le choix entre la résiliation ou l’indemnisation, pour reprendre la formule de la Cour de cassation, ne saurait signifier que la résiliation serait exclusive de dommages-intérêts. Elle exprime, en revanche, que le juge peut ne prononcer qu’une condamnation à des dommages-intérêts, tout en maintenant le contrat : l’indemnisation est comprise comme un mode autonome de sanction et de réparation. En application des principes tirés du droit commun de la responsabilité contractuelle, le montant des dommages-intérêts alloués par le juge devra couvrir l’intégralité du préjudice réparable. Or, par hypothèse, le préjudice subi correspondra à l’abus dans la fixation du prix, tant et si bien que

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l’on peut se demander si la réparation accordée sous forme de dommages-intérêts ne revient pas, en définitive, à permettre au juge de réduire le prix. 39. Chemin faisant, il faut se demander si le juge ne disposerait pas directement d’un tel pouvoir. On sait en effet que sous l’empire de la jurisprudence antérieure, dans les hypothèses où le prix n’était pas considéré comme un élément essentiel à la formation du contrat, le juge pouvait procéder à cette détermination à défaut d’accord entre les parties : tel était notamment le cas en matière de contrat d’entreprise. Ainsi la Cour de cassation a-t-elle pu juger, assez récemment encore, qu’« un accord préalable sur le montant exact de la rémunération n’est pas un élément essentiel du contrat de louage, en sorte qu’en l’absence d’un tel accord, il appartient aux juges du fond de fixer la rémunération compte tenu des éléments de la cause ». On relevait alors que la validité du contrat en l’absence de détermination conventionnelle du prix n’est « concevable que si elle va de pair avec la reconnaissance du pouvoir des juges du fond de procéder à la fixation de son montant en cas de litige ». La solution ne devrait-elle pas se généraliser puisque le principe est désormais celui de la validité du contrat, malgré l’indétermination ? Faudrait-il souligner d’ailleurs que ce pouvoir ne ferait que participer d’un mouvement largement amorcé, dans lequel le juge se fait également l’artisan d’une réécriture de stipulations contractuelles, obligée par les circonstances ou le désaccord des parties. 40. La fixation judiciaire du prix semble ainsi concevable, soit qu’elle s’exerce comme il est expressément prévu sous couvert d’une indemnisation sans résiliation, forme indirecte de révision du prix, soit que le juge, de façon plus hardie, se l’autorise de façon directe. La décision porte en germe ce pouvoir du juge. L’ensemble de cette jurisprudence s’en accorderait d’ailleurs sans peine, tant il est manifeste que c’est le juge qui présidera, au cas par cas, à la destinée des contrats-cadres : que l’on songe à la consécration de la notion l’abus ou à l’option prévue entre la résiliation et l’indemnisation. Ce constat, joint à l’observation précédente selon laquelle le contrôle se déplace de la formation du contrat à son exécution, peut d’ailleurs laisser entrevoir de nouveaux terrains à conquérir : la cause dans l’exécution du contrat, le contrôle de l’imprévision... A propos de l’imprévision, n’avait-on pas opéré un rapprochement avec l’abus de droit pour en justifier l’admission, soulignant l’injustice que commettrait le créancier à l’égard de son débiteur en abusant de son droit à exiger l’application du contrat déséquilibré par suite du hasard ou des circonstances ? Où l’on songe également à l’arrêt rendu par la Cour de cassation dans lequel certains auteurs lurent une avancée vers l’admission de la révision pour imprévision : il y était souligné, dans des termes qui méritent d’être rapprochés de la nouvelle jurisprudence de l’Assemblée plénière, qu’« en privant, en l’absence de tout cas de force majeure, un distributeur agréé des moyens de pratiquer des prix concurrentiels, une société pétrolière n’a pas exécuté le contrat de bonne foi et doit dédommager le contractant du préjudice subi ». Faut-il craindre de telles avancées ou les souhaiter ? Entre le strict respect de la loi contractuelle et le rôle actif du juge dans le contrat, les opinions demeurent, on le sait, partagées. Du moins retiendra-t-on la leçon que délivrent implicitement ces arrêts : sachons faire confiance au juge qui reconnaît ses erreurs et tend l’oreille pour écouter. Dominique BUREAU Professeur à l’Université de Caen

Nicolas MOLFESSIS Professeur à l’Université de Tours

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Document 3 : Com., 17 juillet 2001, Defrénois, 2001.1425, obs. E. Savaux.

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Sud-Est, aux droits de laquelle se trouve la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Centre-Est, a consenti à M. et Mme X... un prêt à taux progressif par contrat notarié conclu le 19 octobre 1978 ; que, selon une clause de cet acte, " l’emprunteur devra prévenir le prêteur au moins un mois à l’avance en indiquant le capital à payer par anticipation, le remboursement anticipé ne pourra être inférieur au dixième du capital emprunté, il prendra effet lors de la plus proche échéance. Il sera également perçu par le prêteur une indemnité dont le montant sera déterminé conformément au texte en vigueur " ; que le 27 janvier 1989, M. et Mme X... ont remboursé par anticipation le solde du prêt et payé une indemnité de résiliation réclamée par la Caisse de Crédit agricole sous la qualification d’indemnité de mise à taux moyen ; que M. et Mme X... ont engagé contre la Caisse de Crédit agricole le 19 mai 1995 une instance judiciaire tendant à la restitution de cette somme à leur profit ; (…) Vu l’article 1129 du Code civil ; Attendu que pour tenir pour nulle la stipulation litigieuse, l’arrêt retient que son objet est indéterminé et que la fixation de la somme due en cas de remboursement anticipé du prêt ne pouvait se faire qu’en vertu d’éléments objectifs ne dépendant pas de la volonté de la banque ; Attendu qu’en statuant ainsi, alors que l’indétermination du montant d’une indemnité pour remboursement anticipé d’un prêt n’entraîne pas en elle-même nullité, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la première branche du deuxième moyen ; CASSE ET ANNULE, (…)

Document 4 : Civ. 1ère, 12 mai 2004, RDC 2004. 924, obs. D. Mazeaud.

Vu l’article 1129 du Code civil ;

Attendu que pour annuler sur le fondement de l’article 1129 du Code civil, la clause

prévoyant le paiement d’une indemnité financière de remboursement anticipé que la

Caisse régionale de Crédit agricole Alpes Provence réclamait à Mme X..., l’arrêt attaqué

retient que le montant de cette indemnité, visée à l’article 4, alinéa 8, des contrats de prêts,

étant fixé unilatéralement par le prêteur, était nécessairement indéterminable ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’article 1129 du Code civil n’est pas applicable à la

détermination du prix en toute matière, la cour d’appel a, par fausse application, violé le

texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, CASSE ET ANNULE, (…).

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Document 5 : Com., 15 janvier 2002, D., 2002.1974, note Ph. Stoffel-Munck et 2841,

note D. Mazeaud, JCP 2002.II.10157, note C. Jamin, RTD Civ., 2002.294, obs. J.

Mestre et B. Fages.

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué (Paris, 23 septembre 1999) que la société d’Exploitation du garage Schouwer (le Garage Schouwer) était concessionnaire exclusif de véhicules de la marque Mazda sur le territoire de Sarrebourg et Sarreguemines depuis 1991 ; que, reprochant à la société France Motors, importateur exclusif de la marque, d’avoir, à partir de 1993, abusé de son droit de fixation unilatérale des conditions de vente et d’avoir abusivement refusé de déroger à la clause d’exclusivité en lui interdisant de représenter la marque Daewoo, et d’être ainsi responsable des difficultés financières qu’il connaissait, le Garage Schouwer l’a assignée en paiement de dommages-et-intérêts ; qu’il a été mis en liquidation judiciaire le 11 octobre 1995 et que son liquidateur, M. Z..., a repris l’instance ; Sur le premier moyen, pris en ses six branches : Attendu que la société France Motors fait grief à l’arrêt de sa condamnation alors, selon le moyen : 1 / que ne justifie pas légalement sa solution, au regard de l’article 1382 du Code civil, l’arrêt attaqué qui retient que France Motors aurait imposé à ses concessionnaires et en particulier au Garage Schouwer des conditions financières abusives en l’état de la crise générale du marché et de l’appréciation du yen, sans s’expliquer sur le moyen déterminant des conclusions de France Motors faisant pertinemment valoir que, dépendant entièrement de son réseau de concessionnaire pour la distribution des véhicules Mazda, l’intérêt du concédant était manifestement de disposer d’un réseau de concessionnaires performants, objectif qui a été atteint puisque les immatriculations de véhicules Mazda ont connu une évolution favorable à la suite des diverses mesures commerciales et publicitaires critiquées par l’adversaire et appliquées à l’ensemble du réseau (par exemple, les opérations initiées par France Motors ont permis d’augmenter les ventes des modèles 323 de 82 % de février à mars 1994) ; 2 / que méconnaît les termes du litige, en violation des articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile, l’arrêt attaqué qui considère que le liquidateur judiciaire du Garage Schouwer dénonce "sans être contredit la réduction d’un point et demi de la marge brute ainsi qu’une dizaine de campagnes promotionnelles comportant des obligations abusives", bien que France Motors ait fait valoir dans ses conclusions notamment 1 ) que cela n’avait été que pendant six mois, du 1er juillet au 31 décembre 1993, que les remises consenties aux concessionnaires avaient été baissées, en parfait respect des dispositions contractuelles, que pendant cette même période avait été lancée une opération promotionnelle su le modèle 323 Kyoto qui avait permis aux concessionnaires sans sacrifice sur leurs marges d’enregistrer de nouvelles commandes, France Motors ayant supporté seule l’effet de promotion, 2 ) que les campagnes nationales de publicité télévisuelles avaient coûté à France Motors les sommes de 6 118 790 francs en 1993 et 14 834 952 francs en 1994, sur lesquelles France Motors n’avait répercuté que les montants de 2 939 400 francs en 1993 et 3 839 000 francs en 1994 sur les concessionnaires, lesquels étaient pourtant les premiers bénéficiaires de ces campagnes ; 3 / que ne justifie pas légalement sa solution, au regard de l’article 1382 du Code civil, l’arrêt attaqué qui retient que France Motors aurait imposé en 1993 et 1994 à ses concessionnaires et en particulier au Garage Schouwer des conditions financières abusives en l’état de la crise générale du marché et de l’appréciation du yen, sans s’expliquer sur les moyens des conclusions de la société France Motors faisant valoir qu’en 1992, pendant près d’un ans, elle avait seule subi l’évolution du taux de change du yen, sans en faire partager les effets néfastes aux

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concessionnaires, que l’examen des diverses circulaires adressées aux concessionnaires faisait apparaître que France Motors avait ensuite pris à sa charge l’essentiel des coûts générés par les mesures promotionnelles, qu’ainsi par deux circulaires du 5 mars 1993, France Motors avait informé ses concessionnaires de ce que les modèles MX3 et MX5 se verraient crédités par elle d’aides à la vente allant de 5 000 à 10 000 francs hors taxes par véhicule pendant le premier quadrimestre et de ce qu’elle proposait un crédit à un taux préférentiel à sa seule charge pour les modèles 626 Berline, que, par circulaire du 7 octobre 1993, France Motors avait procédé à un abattement de 7 000 francs toutes taxes comprises sur les prix du modèle 121 pour dynamiser la vente, que par circulaire du 5 novembre 1993, France Motors avait annoncé l’attribution de primes spéciales pour un certain nombre de modèles, que par circulaire du 14 mars 1994, France Motors avait indiqué à propos du lancement de l’opération "Mazda 626 climatiseur + CD" qu’elle prenait en charge le coût de l’offre, soit 2 665 francs hors taxes par véhicule et qu’en définitive, les résultats de France Motors étaient passés de + 46 millions de francs en 1991 à - 116 millions de francs en 1994 ; 4 / que viole l’article 455 du nouveau Code de procédure civile l’arrêt attaqué qui, fondant sa solution par référence au rapport de M. X... désigné par jugement du 12 janvier 1995 pour faire un rapport sur les possibilités de parvenir à un accord transactionnel entre France Motors et un nombre important de ses concessionnaires, omet de tenir compte de la circonstance, invoquée par France Motors dans ses conclusions, que M. X... avait constaté dans ledit rapport : "Il est non moins incontestable que France Motors apporte la preuve que la dégradation de ses marges dans des proportions considérables pour des raisons extrinsèques l’a valablement conduit à en faire supporter une part par ses concessionnaires" ; 5 / que viole l’article 1134 du Code civil l’arrêt attaqué qui considère que France Motors aurait dû consacrer en "aides" aux concessionnaires les sommes distribuées aux actionnaires sous formes de dividendes ; 6 / qu’en fondant sa décision de condamnation au paiement de dommages-intérêts sur une telle considération, l’arrêt attaqué n’a de plus pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 1382 du Code civil ; Mais attendu qu’ayant, par une décision motivée, relevé que la société France Motors, qui s’était trouvée confrontée à un effondrement général du marché de l’automobile, aggravé par une hausse du yen, avait pris des mesures imposant des sacrifices à ses concessionnaires, eux-mêmes fragilisés, au point de mettre en péril la poursuite de leur activité, l’arrêt retient que le concédant ne s’est pas imposé la même rigueur bien qu’il disposât des moyens lui permettant d’assumer lui-même une part plus importante des aménagements requis par la détérioration du marché, puisque, dans le même temps, il a distribué à ses actionnaires des dividendes prélevés sur les bénéfices pour un montant qui, à lui seul, s’il avait été conservé, lui aurait permis de contribuer aux mesures salvatrices nécessaires en soulageant substantiellement chacun de ses concessionnaires et que notamment, en ce qui concerne le Garage Schouwer, il aurait pu disposer à son endroit d’un montant équivalant à l’insuffisance d’actif que celui-ci a accusé ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations déduites de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, la cour d’appel, qui a légalement justifié sa décision sans méconnaître l’objet du litige et sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu estimer que la société France Motors avait abusé de son droit de fixer unilatéralement les conditions de vente et qu’elle devait réparation au Garage Schouwer du préjudice qui en était résulté pour lui ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses diverses branches ; PAR CES MOTIFS, REJETTE le pourvoi.

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Document 6 : Civ. 1ère, 30 juin 2004, D., 2005.1828, note D. Mazeaud, RDC,

2005.275, obs. Ph. Stoffel-Munck, RTD Civ., 2004.749, obs. P.-Y. Gautier et

2005.126, obs. J. Mestre et B. Fages.

Attendu que Mme X... a loué auprès de la BNP deux chambres fortes, selon contrats à durée indéterminée des 29 décembre 1987 et 3 février 1989, prévoyant que le prix du loyer serait fixé par la banque à chaque période de location et résiliables à tout moment, par chacune des parties, sous préavis minimum d’un mois ; que par lettre du 18 juin 1996, la banque a informé Mme X... de ce que le prix de location serait porté, pour l’année 1997, de 54 000 à 145 000 francs, faisant valoir que l’évolution des charges de ses installations ne lui permettait pas de maintenir les prix "exceptionnellement bas" antérieurement pratiqués ; que sur protestations de la cliente, la banque a proposé de fixer le prix de location des deux chambres fortes à la somme forfaitaire de 200 000 francs ; qu’ayant renouvelé ses contrats sous réserves Mme X... a assigné la banque en dommages-intérêts pour abus dans la fixation du prix ; Attendu que pour accueillir cette demande l’arrêt retient que l’augmentation pratiquée est une anomalie manifeste apparente que la banque n’a justifiée ni au regard de l’évolution des charges qui sont restées les mêmes, ni au regard de la prise en compte des surfaces respectives des chambres qualifiées d’équivalentes ; Attendu qu’en statuant ainsi, alors, d’une part, que la banque était libre de fixer le prix qu’elle entendait pratiquer, alors, d’autre part, qu’il résultait de ses propres constatations que Mme X..., qui bénéficiait d’un préavis d’un mois pour résilier son contrat, avait été tenue informée du changement de politique de la banque plus de six mois avant l’échéance, disposant ainsi du temps nécessaire pour s’adresser à la concurrence, de sorte qu’il n’était pas démontré en quoi elle avait été contrainte de se soumettre aux conditions de la BNP en renouvelant un contrat qu’elle restait libre de ne pas poursuivre, la cour d’appel, qui n’a pas caractérisé le comportement fautif de la banque, a violé les textes susvisés ; PAR CES MOTIFS, CASSE ET ANNULE, (…). Document 7 : Article 82 du Projet de réforme de la Chancellerie.

« Il peut toutefois être convenu, dans les contrats à exécution successive et

dans les contrats cadre, que le prix de la prestation sera fixé unilatéralement

par l’une des parties, à charge pour elle d’en justifier le montant en cas de

contestation.

Si le prix est manifestation abusif, le débiteur peut saisir le juge afin d’obtenir

des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat ».

Document 8 : Article 60 al. 3 du Projet « Terré ».

« L’objet de l’obligation peut être déterminé unilatéralement, dès lors que les

modalités de détermination ont été précisément fixées par le contrat et qu’il

est fait usage de cette faculté de manière raisonnable ».

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Document 9 : Cass. Ass. Plén., 31 mai 1991, D., 1991, 417, rapport Y. Chartier, note

D. Thouvenin J.C.P., 1991.II.21752, avis du professeur J. Bernard, concl.

Dontenville, note F. Terré.

Sur le pourvoi dans l’intérêt de la loi formé par M. le Procureur général près la Cour de

Cassation :

Vu les articles 6 et 1128 du Code civil, ensemble l’article 353 du même Code ;

Attendu que, la convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à

concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au

principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité

de l’état des personnes ;

Attendu selon l’arrêt infirmatif attaqué que Mme X..., épouse de M. Y..., étant atteinte

d’une stérilité irréversible, son mari a donné son sperme à une autre femme qui, inséminée

artificiellement, a porté et mis au monde l’enfant ainsi conçu ; qu’à sa naissance, cet enfant

a été déclaré comme étant né de Y..., sans indication de filiation maternelle ;

Attendu que, pour prononcer l’adoption plénière de l’enfant par Mme Y..., l’arrêt retient

qu’en l’état actuel des pratiques scientifiques et des mœurs, la méthode de la maternité

substituée doit être considérée comme licite et non contraire à l’ordre public, et que cette

adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant, qui a été accueilli et élevé au foyer de M. et

Mme Y... pratiquement depuis sa naissance ;

Qu’en statuant ainsi, alors que cette adoption n’était que l’ultime phase d’un processus

d’ensemble destiné à permettre à un couple l’accueil à son foyer d’un enfant, conçu en

exécution d’un contrat tendant à l’abandon à sa naissance par sa mère, et que, portant

atteinte aux principes de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes, ce

processus constituait un détournement de l’institution de l’adoption, la cour d’appel a

violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, CASSE ET ANNULE, mais seulement dans l’intérêt de la loi et sans

renvoi, l’arrêt rendu le 15 juin 1990 par la cour d’appel de Paris.

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Document 10 : Art. 16-1 ; 16-7 et 16-9 du c. civ., issus de la loi du 29 juillet 1994

relative au respect du corps humain.

Article 16-1 C. civ.

« Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ».

Art. 16-7 C. civ.

« Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ».

Art. 16-9 C. civ.

« Les dispositions du présent chapitre sont d’ordre public ».

Document 11 : Civ. 1ère, 6 avril 2011, à paraître au Bulletin, D., 2001, p. 1064, note X.

Labbée.

Attendu que par un jugement du 14 juillet 2000, la Cour suprême de Californie a conféré à M. X... la qualité de "père génétique" et à Mme Y..., son épouse, celle de mère légale des enfants à naître, portés par Mme B..., conformément à la loi de l’Etat de Californie qui autorise, sous contrôle judiciaire, le procédé de gestation pour autrui ; que le 25 octobre 2000, sont nées Z... et A... à La Mesa (Californie) ; que leurs actes de naissance ont été établis selon le droit californien indiquant comme père, M. X... et comme mère, Mme Y... ; que M. X... a demandé le 8 novembre 2000 la transcription des actes au consulat de France à Los Angeles, ce qui lui a été refusé ; qu’à la demande du ministère public, les actes de naissance des enfants ont été transcrits, aux fins d’annulation de leur transcription, sur les registres de l’état civil de Nantes, le 25 novembre 2002 ; que le 4 avril 2003, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Créteil a fait assigner les époux X... pour demander cette annulation ; que l’arrêt de la cour d’appel de Paris déclarant l’action irrecevable a été cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 2008 (Bull. Civ. I n° 289) ; Attendu que les époux X... font grief à l’arrêt attaqué (Paris, 18 mars 2010) d’avoir prononcé l’annulation de la transcription des actes de naissance litigieux, alors, selon le moyen : 1°/ que la décision étrangère qui reconnaît la filiation d’un enfant à l’égard d’un couple

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ayant régulièrement conclu une convention avec une mère porteuse n’est pas contraire à l’ordre public international, qui ne se confond pas avec l’ordre public interne ; qu’en jugeant que l’arrêt de la Cour supérieure de l’Etat de Californie ayant déclaré M. X... "père génétique" et Mme Y... "mère légale" de tout enfant devant naître de Mme B... entre le 15 août et le 15 décembre 2000 était contraire à l’ordre public international prétexte pris que l’article 16-7 du code civil frappe de nullité les conventions portant sur la gestation pour le compte d’autrui, la cour d’appel a violé l’article 3 du code civil ; 2°/ qu’en tout état de cause, il résulte de l’article 55 de la Constitution que les traités et accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés et publiés ont, sous réserve de leur application réciproque par l’autre partie, une autorité supérieure à celle des lois et règlements ; qu’en se fondant, pour dire que c’était vainement que les consorts X... se prévalaient de conventions internationales, notamment de la Convention de New York du 26 janvier 1990 sur les droits de l’enfant, sur la circonstance que la loi prohibe, "pour l’heure", la gestation pour autrui, la cour d’appel, qui a ainsi considéré qu’une convention internationale ne pouvait primer sur le droit interne, a violé l’article 55 de la Constitution ; 3°/ que, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ; qu’en retenant que l’annulation de la transcription des actes de naissance des enfants des époux X... ne méconnaissait pas l’intérêt supérieur de ces enfants en dépit des difficultés concrètes qu’elle engendrerait, la cour d’appel, dont la décision a pourtant pour effet de priver ces enfants de la possibilité d’établir leur filiation en France, où ils résident avec les époux X..., a violé l’article 3 § 1 de la Convention de New York du 26 janvier 1990 sur les droits de l’enfant ; 4°/ qu’il résulte des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme que là où l’existence d’un lien familial avec un enfant se trouve établie, l’Etat doit agir de manière à permettre à ce lien de se développer ; qu’en annulant la transcription des actes de naissance des enfants X..., la cour d’appel, qui a ainsi privé ces enfants de la possibilité d’établir en France leur filiation à l’égard des époux X... avec lesquels ils forment une véritable famille, a violé l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ; 5°/ que dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 14 interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables ; qu’en annulant la transcription des actes de naissance des enfants X... par cela seul qu’ils étaient nés en exécution d’une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, la cour d’appel, qui a ainsi pénalisé ces enfants, en les privant de la nationalité de leurs parents, en raison de faits qui ne leur étaient pourtant pas imputables, a violé l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme combiné avec l’article 8 de ladite convention ; Mais attendu qu’est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance établi en exécution d’une décision étrangère, fondé sur la contrariété à l’ordre public international français de cette décision, lorsque celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français ; qu’en l’état du droit positif, il est contraire au

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principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil ; Que dès lors, la cour d’appel a retenu à bon droit que dans la mesure où il donnait effet à une convention de cette nature, le jugement "américain" du 14 juillet 2000 était contraire à la conception française de l’ordre public international, en sorte que les actes de naissance litigieux ayant été établis en application de cette décision, leur transcription sur les registres d’état civil français devait être annulée ; qu’une telle annulation, qui ne prive pas les enfants de la filiation maternelle et paternelle que le droit californien leur reconnaît ni ne les empêche de vivre avec les époux X... en France, ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de ces enfants au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, non plus qu’à leur intérêt supérieur garanti par l’article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant ; que le moyen n’est pas fondé ; PAR CES MOTIFS, REJETTE le pourvoi.