XVIème Veille juridique - lounotari.fr · En l'espèce, par acte authentique reçu le 26 novembre...

143
XVIème Veille juridique Période du 1 er avril au 1 er novembre 2015 Master II Droit Notarial Promotion 2015-2016

Transcript of XVIème Veille juridique - lounotari.fr · En l'espèce, par acte authentique reçu le 26 novembre...

XVIème Veille juridique

Période du 1er avril au 1er novembre 2015

Master II Droit Notarial

Promotion 2015-2016

2

SOMMAIRE

LA RESPONSABILITE CIVILE NOTARIALE 3

I. DES OBLIGATIONS NOTARIALES A GEOMETRIE VARIABLE 4

II. DE LA MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DU NOTAIRE 17

LES ACTES COURANTS 33

I. UNE PROTECTION JURISPRUDENTIELLE ACCRUE DES ACQUEREURS POUR

UNE EFFICACITE DES ACTES JURIDIQUES 33

II. LES DIFFICULTES SOULEVEES PAR UN ACTE COURANT COMPLEXE : LE BAIL 45

III. UNE VIVE ACTUALISATION DES LOIS ET ORDONNANCES EN MATIERE

D’ACTES COURANTS 54

LES BIENS DU COUPLE 72

I. LA VIE DE COUPLE : UNE UNION AFFECTANT LEURS BIENS 72

II. LA SEPARATION DU COUPLE : UNE DESUNION AFFECTANT LEURS BIENS 80

SUCCESSIONS ET LIBERALITES 94

I. LES SUCCESSIONS 94

II. LES LIBERALITES 107

TABLE DES MATIERES 121

CURRICULUM VITAE 124

LA RESPONSABILITE CIVILE NOTARIALE

« Lex est quod notamus » qui signifie « ce que nous écrivons à force de loi » constitue tant ladevise de la chambre des notaires de Paris que celle du notariat européen. De cette locution découle leconstat évident que le notaire doit faire preuve d’une régularité exemplaire lorsqu’il instrumente desactes eu égard à l’autorité de ceux-ci. Mais le notaire n’est pas seulement un rédacteur, dont les prémiceshistoriques l’assimilaient à un scribe, il a également un rôle de conseiller. Selon l’article 57 du décret du 5juillet 1973 : « le notaire jure de loyalement remplir ses fonctions avec exactitude et probité et d’observerles devoirs qu’elles lui imposent ». C’est ainsi que la déontologie notariale dicte la conduite du notaire quise doit d’être intègre, impartial et indépendant.

Parmi ses facettes figure sa qualité d’officier public. Le notaire doit se consacrer à une mission de servicepublic, ce qui entraine une obligation de vérification accrue et un devoir de conseil, qui de manièrecirconstanciée et non définie dans la loi, voit définir ses limites par la jurisprudence, tout ceci dans lerespect le plus absolu du secret professionnel.

Selon l’UINL (union internationale du notariat fondée en 1948) il était effectivement important de créerun Code de déontologie notariale contenant les normes minimales et indispensables : « Cette « Loiuniforme » pourra être considérée comme un «Code modèle» d’organisation et de déontologie par lesnotariats membres de l’UINL. Il constitue un instrument permettant de renforcer le respect des valeursjuridiques de l’activité notariale ».

Ainsi la commission de déontologie notariale a, à la demande du Président de l’union élaboré ce code, enrajoutant aux valeurs traditionnelles des valeurs éthiques telles que le service du notariat et sa fonctiondans la défense de la protection du consommateur et de la partie sollicitant le plus d’informations. Fortde ces constations, son article 5.6. intitulé « Disponibilité, Diligence et Responsabilité » énonce : « Lenotaire devra être disponible pour les obligations de son service, agir avec la diligence d’un professionnelde l’excellence, et chercher l´enracinement social dans le lieu où il exercera sa fonction. Le notaire seraresponsable des dommages et préjudices causés et lui étant imputables (par son action ou par des actesreçus par lui et contraires à la loi ou contraire à la diligence d’un professionnel de l’excellence), et cetteresponsabilité devra être assurée. »

Il convient de le constater : le devoir de conseil a une place très importante dans la profession, devoir quia été mis pour la première fois en évidence par la Cour de cassation le 21 juillet 1921: « les notaires,institués pour donner aux conventions des parties les formes légales et l’authenticité qui en est la5

conséquence, ont également pour mission de renseigner les clients sur les conséquences desengagements qu’ils contractent, responsables en vertu de l’article 1382 du Code civil, ils ne peuventstipuler l’immunité de leurs fautes et par suite décliner le principe de leur responsabilité en alléguantqu’ils se sont bornés à donner la forme authentique aux conventions des parties ».

I. DES OBLIGATIONS NOTARIALES A GEOMETRIE VARIABLE

Lors du 111ème Congrès des notaires, une définition de l'acte notariée a été proposée ; « L’actenotarié est un acte authentique qui, rédigé, daté, signé et conservé par une autorité publique ayant pourmission d’intérêt général le conseil des parties et la préconstitution de la preuve de leurs engagements,oblige son auteur à en garantir la validité et l’efficacité, est pourvu d’une force probante éminente et aforce exécutoire ». Au travers de cette définition, les différentes obligations du notaire sont misesévidence. Obligations qui à l'origine sont exclusivement prétoriennes. Le Congrès des notaires a d'ailleursproposé d'intégrer cette définition dans le Règlement national des notaires de France. L’on pourraitimaginer d'ici quelques années l'intégration d'une définition dans le Code civil, permettant ainsi de figerces obligations et de promouvoir l'authenticité des actes notariés. Pour l'heure, seule la jurisprudencenous éclaire sur la responsabilité notariale.

Le notaire, en tant que rédacteur d'actes juridiques, est soumis à diverses obligations, tant générales quespéciales. La jurisprudence de manière constante fait une interprétation in extenso du devoir de conseilet d'information du notaire (A), puis plus spécialement elle dégage des obligations soumises à uneconstante adaptabilité (B).

I. L'interprétation in extenso du devoir de conseil et d'informationClassiquement, le notaire voit sa responsabilité engagée pour manquement à son devoir de

conseil et d'information. Cependant ces devoirs ne s’entendent pas de manière stricte. Une extension estopérée à l'obligation de mise en garde (1), ainsi qu'à une nécessaire application de l'obligation devérification (2).

II. La classique extension : la mise en garde et la preuve son exécution

Première chambre civile de la Cour de cassation, 17 juin 2015 (n° 14-19.692), publié au bulletin

Manque à son devoir de conseil, le notaire qui n'a pas clairement informé les parties sur les incidencesd'un possible refus de délivrance d'un certificat de conformité et les risques que l'acquéreur s'engageait àsupporter. En outre, il doit ressortir des stipulations de l'acte authentique l’exécution par le notaire de sondevoir de conseil.

En l'espèce, par acte authentique reçu le 26 novembre 2005 par Maître X, notaire, Monsieur et MadameY ont acquis une maison d'habitation. Depuis moins de cinq mois, une partie de la maison avait étéédifiée en vertu d'un permis de construire du 21 mars 2003. Dans l'acte authentique figurait la stipulationsuivante « le certificat de conformité n'ayant pas été obtenu à ce jour, l'acquéreur dispense le vendeur

6

d'avoir à l'obtenir préalablement à la signature de l'acte de vente (…) de laquelle situation, l'acquéreurdéclare avoir parfaite connaissance et vouloir faire son affaire personnelle, sans recours contre levendeur ». Par la suite le certificat de conformité a été refusé.

En conséquence, Monsieur Y assigne le notaire en responsabilité et indemnisation, en présence deMadame Z, en alléguant qu'il avait subi divers préjudices.

Par un arrêt du 17 avril 2014, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, rejette les demandes de Monsieur Y.L'arrêt retient en effet que le notaire a effectué les diligences lui incombant quant à la situation juridiquedu bien. La cour d'appel se justifie en invoquant que le notaire avait recherché la délivrance ou l'absencede délivrance du certificat de conformité et avait informé l'acquéreur de la situation. Enfin, l'acquéreurdéclarait en avoir parfaite connaissance.

Monsieur Y a alors formé un pourvoi en cassation.

En l’espèce la question était donc de savoir si le notaire, qui suite à ses investigations, indique dans sonacte avoir informé son client de l'absence de certificat de conformité, absence dont le client déclare avoirparfaite connaissance, manque à son devoir de conseil.

Au visa de l'article 1382 du Code civil, la première chambre civile de la Cour de cassation le 17 juin 2015,casse et annule l'arrêt rendu par la cour d'appel. La haute juridiction a considéré que le notaire avaitmanqué à son devoir de conseil pour deux raisons. D'une part, qu'il ne ressortait pas des stipulations del'acte authentique que l'acquéreur avait été clairement informé des incidences d'un refus de délivrancedu certificat de conformité. D'autre part, que l'acquéreur n'avait pas été par la même informé du risquequ'il s'engageait à supporter.

Dans le fil droit de la jurisprudence, il ressort de cet arrêt que le notaire doit fournir plus qu'un simpleconseil. En effet, il doit proposer des solutions juridiques adaptées aux besoins du client, tout eninformant les parties. En l'espèce, il était tenu de donner des informations sur le statut juridique du bienet a réalisé cette obligation informant son client de l’absence de certificat de conformité.

Cependant, est contenu dans le devoir de conseil, l'obligation de mise en garde. Autrement dit, le notairedoit informer les parties sur les risques inhérents à l'acte (1ère chambre civile de la Cour de cassation du20 mars 2014 n°13-14.121). En l'espèce, le notaire aurait dû informer son client sur les risques qu'ilencourait en s'engageant en l’absence de certificat de conformité. En effet, en cas d'absence de certificatde conformité, le client peut être confronté au refus de délivrance du certificat. Comme l'indique lajurisprudence de 2014 précitée, il aurait pu lui préconiser d'insérer dans l'acte une clause résolutoire encas de refus du certificat de conformité.

De plus, le notaire étant tenu d'informer les parties sur les effets de l'acte, celui-ci avait l’obligationd’indiquer dans l'acte la possibilité d’un certificat refusé et les conséquences de ce refus. Dans le casd'espèce, le certificat a été finalement refusé. Donc, le bien n'étant pas conforme, si l'acquéreur veutpleinement disposer, jouir ou user de son bien il devra, en outre, remettre le bien en conformité à sesfrais. Il découle de la doctrine, que l'acquéreur « sera en outre limité dans l’exercice de ses prérogativesde propriétaire, puisqu’il ne pourra pas, par exemple, consentir de bail sur son bien (v. par exemple, 1re

chambre civile de la Cour de cassation du 28 septembre 2004, n° 02-17.178) » (Actualité, 2015, Le LamyDroit de la responsabilité, no 438-12).

7

Par conséquent, ces informations manquantes auraient été sûrement déterminantes dans le choix del'acquéreur ; il n'aurait peut-être pas acquis le bien.

C’est en cela que réside l’interprétation extensive du devoir de conseil par la Cour de cassation.

Le notaire doit nécessairement prouver la délivrance de ce conseil, c’est-à-dire qu'il doit ressortir desstipulations de l'acte authentique que les parties ont été clairement informées des effets et risques del'acte. Le notaire ne pourra pas se dégager de sa responsabilité en alléguant l’accomplissement d’uneformalité. A noter : la preuve de l’exécution de son devoir de conseil ne pourra pas figurer dans un acteséparé.

CONSEIL PRATIQUE

Le notaire doit faire preuve de prudence en l’absence de certificat de conformité ; il doit indiquer auxparties les risques de cette absence. En outre, il convient d’attirer leur attention sur les conséquencesen cas de refus de la délivrance du certificat.

Enfin, la preuve de l'exécution de son devoir de conseil devra ressortir de l'acte authentique.

Une clause de reconnaissance de conseil donné pourrait être insérée, par exemple :

« Les soussignées, acquéreurs, déclarent qu’ils ont chargé Me … d’établir l’acte de vente d’une maisonsituée … et cadastrée …

Ils reconnaissent que le notaire leur a expliqué que le certificat de conformité concernant les travauxeffectués antérieurement est absent. De plus, ils reconnaissent aussi que le notaire les a informés durisque qu'ils encourent, à savoir le possible refus de délivrance du certificat de conformité. Lesacquéreurs risquent alors en cas de refus de ne pas pouvoir disposer, jouir ou user de leur bien.

Les soussignés déclarent être parfaitement éclairés des conséquences de l'absence du certificat deconformité et néanmoins persistent dans leur intention de réaliser l'opération envisagée. »

En sus de la mise en garde, le notaire se doit aussi d’effectuer diverses vérifications (2).

III. La classique application : l'obligation de vérification

Troisième chambre civile de la Cour de cassation, 16 juin 2015 (n° 13-13.990 13-14.142)

Commet une faute le notaire qui ne vise ni le bornage, ni l'état descriptif de division de la parcelle, nepermettant pas aux acquéreurs de savoir que des constructions ont été édifiées sur le bien qu'ils viennentd'acheter. Sans cela ils n'auraient pas acquis le bien, et un litige aurait pu être évité.

En l'espèce, par acte en date du 21 juillet 2004 reçu par Maître D, notaire associé, Monsieur et MadameX ont acquis une parcelle de terrain à bâtir appartenant à l'Association syndicale du lotissement del'Abbaye 1. L'association l'avait acquise par un acte du 23 décembre 2000 reçu par le même notaire.Cette dernière l'avait acquise de François Y décédé le 17 mars 2001, laissant pour lui succéder ses troisenfants, les consorts Y. Les époux se sont aperçus que quatre garages étaient implantés sur la parcelle8

qu'ils venaient d'acquérir, constituant alors un empiétement faisant obstacle à leur projet deconstruction.

Monsieur et Madame X ont alors assigné l'association syndicale, les propriétaires des garages et la SCP,aux fins de constations de l’empiétement des garages, de la condamnation aux constructeurs des garagesà les démolir. Ils ont de plus assigné l'association syndicale et la SCP à leur verser des dommages-intérêtsen réparation de leur préjudice. Enfin, l'association syndicale a assigné les consorts Y en garantie.

Notre attention se limitera au litige concernant la SCP.

La Cour d'appel de Besançon, le 9 janvier 2013, a condamné in solidum les consorts Y et la SCP à garantirtoutes les condamnations prononcées contre l'association syndicale et à rembourser les frais dedémolition et d'enlèvement des remblais ainsi que certaines sommes au titre du préjudice résultant de ladémolition. Les juges ont retenu que le notaire aurait dû mentionner dans l'acte l'existence d'un bornagecar elle avait constaté que l'autorisation de lotir remontait à plus de dix ans lors de la conclusion de l'acte.De plus, elle aurait dû déceler la difficulté relative à l'implantation des garages. Implantation résultant del'autorisation de changement d'implantation donnée par l'arrêté préfectoral du 29 octobre 1981,déposée dans l’étude de son prédécesseur fin 1981.

La SCP forme un pourvoi en cassation, alléguant que le Code de l'urbanisme n'impose pas le bornagepréalable quand le terrain à bâtir qui fait l'objet de la vente est un lot issu d’un lotissement et que lenotaire n’a pas à recouper les actes instrumentés par ses soins ou déposés en son étude ou celle de sonprédécesseur.

Le notaire, engage-t-il sa responsabilité lorsqu'il n'a pas visé dans son acte le bornage de la parcelle miseen vente, empêchant les acquéreurs de savoir que des constructions ont été édifiées sur cette parcelle ?

Dans son arrêt du 16 juin 2015, la troisième chambre de la Cour de cassation rejette les pourvois.Concernant le pourvoi de la SCP, elle confirme la solution rendue par la cour d'appel. D'une part, elleconsidère que l'acte de vente de 2004 mentionnait que le vendeur avait déclaré que le terrain à vendrene faisait l'objet d'aucun bornage et que l'article 111-5-3 du Code de l'urbanisme invoqué par la SCP,n'est pas une règle d'urbanisme au sens de ce même code dans sa rédaction applicable à la date de l'actede vente. D'autre part, la Haute cour conclut que le notaire engage sa responsabilité car il a commis unefaute, en ne visant pas le bornage ni l'état descriptif de division de la parcelle. De ce fait, les épouxétaient dans l'impossibilité de savoir que les garages étaient implantés sur la parcelle qu'on leur vendait.En conséquence, sans cette faute, les époux n'auraient pas acquis la parcelle non constructible en l'étatet le litige aurait pu être évité.

Une fois encore, la jurisprudence met en évidence l'étendue du devoir de conseil et d'informationincombant au notaire. De par sa qualité de rédacteur d'acte, le notaire doit garantir l'efficacité juridiquede l'acte qu'il établit. L'acte doit être valable et produire les effets attendus par le client. L'officierministériel doit par suite effectuer les formalités et les vérifications nécessaires pour que l'acte produiseles effets attendus.

En l'espèce, le notaire n'a visé ni le bornage, ni l'état descriptif de division de la parcelle dans l'acte. Lesparties ne pouvaient donc pas être informées de la construction des garages sur ces parcelles. De ce fait,l'acte est inefficace car il n'est pas conforme aux intentions des parties qui voulaient y édifier uneconstruction. Si les parties avaient été correctement informées, elles n'auraient certainement pas acquis9

la parcelle. Implicitement, la Cour de cassation évoque la perte d'une chance pour les acquéreurs ne pascontracter.

Il existe une limite à cette obligation de vérification lorsque le notaire ne pouvait pas douter de la véracitédes déclarations des parties.

Première chambre civile de la Cour de cassation, 9 juillet 2015 (n° 14-17.666), publié au bulletin

N'engage pas sa responsabilité le notaire qui n'a pas vérifié les informations délivrées par les partieslorsqu'il ne pouvait pas de douter de la véracité des déclarations des parties.

En l'espèce, Monsieur X et Madame Y, antérieurement mariés sans contrat préalable le 12 novembre2005, ont divorcé par consentement mutuel. Divorce prononcé par un jugement irrévocable du 7novembre 2008. Ce jugement a homologué leur convention portant règlement des effets du divorce.L'acte liquidatif notarié, établit par Maître A, notaire, le 10 juillet 2008, prévoyait, à titre de prestationcompensatoire, l'abandon par Monsieur X de ses droits indivis dans l'immeuble commun et sonengagement à supporter seul les remboursements de l'emprunt afférent à ce bien, et en garantiel’affectation hypothécaire de ses biens propres. Monsieur X a été placé sous curatelle renforcée le 23 juin2009.

Monsieur X assisté de ses curatrices (les consorts X), a alors assigné le notaire en responsabilité. Cedernier estimait que le notaire avait manqué à ses obligations, en établissant un état liquidatif incompletsans conseil préalable. Il réclamait par conséquent une indemnité réparatrice égale à la prestationcompensatoire accordée à son ex-épouse et à la valeur représentative des reprises et récompensesprétendument omises dans l'état liquidatif.

La Cour d'appel de Dijon, le 3 avril 2014, a rejeté les demandes en responsabilité du notaire fondées surun défaut d'information et de conseil, ainsi que d'investigation. L'arrêt retient d'une part, que le notairen'est pas tenu d'informer et de conseiller les parties sur la prestation compensatoire, ceci relevant dudomaine de l'avocat en matière de divorce par consentement mutuel. De plus, cette prestation résultaitd'une convention intervenue librement entre les parties devant leur avocat et homologuée par le jugedes affaires familiales. Monsieur en sa qualité d’expert-comptable ne pouvait méconnaître lesconséquences de ses engagements. Enfin, la juridiction d'appel, a jugé, que l'homologation de laconvention par le juge faisait présumer l'information de Monsieur X avant sa prise de décision. D'autrepart, la cour d'appel retient que le notaire n'est pas tenu de rechercher d'office des élémentsd'information omis par les parties. Puis, qu'il n'est pas tenu de vérifier les déclarations des parties quiavaient déclaré qu'il n'existait pas de récompense.

Les consorts X ont alors formé un pourvoi en cassation, alléguant que le notaire avait failli à son devoird'information et de conseil. En effet, selon eux le notaire doit informer les parties sur les conséquencesd'une prestation compensatoire. De plus, ils invoquent le manquement du notaire à son devoird'investigation car il n'a pas demandé aux parties les informations nécessaires pour rendre l'acte efficace,considérant que le notaire pouvait douter des déclarations des parties.

10

Les juges étaient alors amenés à répondre aux problèmes suivants : est-ce que le notaire est tenud'informer les parties sur les conséquences de la prestation compensatoire établie par eux parconvention devant un avocat et homologuée par un juge ? Par ailleurs, est-il tenu relativement à sondevoir de conseil de vérifier la véracité des déclarations des parties ?

Le 9 juillet 2015, la Cour de cassation, exonère le notaire de toute responsabilité fondée sur le devoird'information et de conseil ainsi que sur le devoir d'investigation découlant de celui-ci. Elle souligne quel’allotissement de l'intégralité de l'actif de communauté à l'un des époux et la prise en charge du passifcommun à l'autre ne caractérise pas un partage inégal. Le notaire n'est pas tenu d'un devoir de conseilsur les conséquences de la prestation compensatoire, sachant que celle-ci a été déterminée par laconvention passée entre les parties devant leur avocat et a par suite été homologuée par le juge.

Le point le plus important de cette solution réside en ce que la cour relève qu’au sein de l'état liquidatifles parties déclaraient ; « ne pas avoir reçu de bien par donation, succession ou legs et qu'il n'existait pasde récompenses ». La cour met en évidence d'une part, que le notaire leur avait demandé « si leurs bienspropres avaient été financés en tout ou partie de la communauté ». D'autre part, que suite auxdéclarations des parties le notaire ne disposait d'aucun élément lui permettant de douter de la véracitéde ces déclarations.

Par conséquent, non seulement le notaire a effectué les vérifications nécessaires en l'espèce, mais deplus rien ne pouvait le faire de douter de la véracité des déclarations des parties.

C'est une solution sans surprise. En effet, le notaire, en tant que rédacteur d'acte, a un devoir de conseil,dans lequel sont inclus divers éléments ; informer les parties, délivrer des informations utiles et indiquerles effets et les risques liées à la forme authentique de leur acte. La cour de cassation met en évidencel'obligation pour le notaire d'effectuer toutes les formalités et les vérifications nécessaires pour établirl'acte. L'officier ministériel doit vérifier les informations uniquement lorsqu'elles sont de nature à fairedouter de la véracité des déclarations des parties (1ère chambre civile de la Cour de cassation du 8 janvier2009 n°07-18.780). Cette solution s'inscrit donc dans une jurisprudence constante (1ère chambre civile dela Cour de cassation des 23 février 2012 n°09-13.113 et 26 novembre 2014 n°13-27.965).

Or, en l'espèce, le notaire ne pouvait pas douter de la véracité des déclarations des parties sur lefinancement et l'origine des biens des parties. De plus, le notaire leur avait demandé si leurs bienspropres avaient été financés en tout ou partie par la communauté.

Selon la doctrine, cette solution permet de considérer « que les opérations de liquidation d’unecommunauté ainsi que celles relatives au paiement de la prestation compensatoire relèvent du «prolongement de sa mission de rédacteur d’acte » laquelle est sanctionnée par de la responsabilitédélictuelle (Code civil, article 1382 ; 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 12 avril 2005, n° 03-14.842) » (Actualités, 2015, Le Lamy droit de la responsabilité, no 438-21).

CONSEIL PRATIQUE

Le notaire doit faire preuve de prudence concernant les opérations de liquidation d'une communautéet la prestation compensatoire, car il pourra voir sa responsabilité engagée notamment s'il y a deséléments qui permettent de douter de la véracité des déclarations des parties. Cependant, le notairepourra se protéger en demandant aux parties l'origine et le financement de leurs biens.

11

Malgré l’interprétation extensive du devoir de conseil du notaire par la jurisprudence, le notaire nepourra pas être déclaré responsable infiniment. Mais cette interprétation extensive peut à termeentraîner un risque de déresponsabilisation de la clientèle notariale.

IV. Des obligations spéciales soumises à une constante adaptabilité

En tant qu’officier public le notaire doit également se consacrer à une mission de service public.Son pouvoir d’authentification des actes entraine une obligation de vérifications accrues et un devoir deconseil qui de manière circonstanciée, non définie dans la loi, dont les limites sont prétoriennes, et toutceci dans le respect le plus absolu du secret professionnel.

Le secret professionnel est une obligation cardinale (loi ventôse an XI), tant déontologique, que civile,voire pénale. L’article 3.4 du Règlement national du notariat prévoit un secret général et absolu.

Ainsi le notaire doit s’adapter aux évolutions ; l’illustration la plus récente résidant en l’acte authentiqueélectronique qui amènera peut être une jurisprudence interprétative. En effet l’article L213-2 I 4 d ducode patrimoine prévoit l’obligation pour le notaire de conserver les actes pendant 75 ans, cette tâcheapparaît plus simplifiée avec l’acte électronique.

Une réponse ministérielle du 18 juin 2013 n°18235 1 indique que les notaires satisfont à leur obligation de conservation des actes en numérisant les documents papier, sans pour autant se prononcer sur le sort à leur réserver après leur numérisation. Le secret professionnel pourrait être mis à mal avec l’acte authentique électronique par le biais d’un piratage informatique. De plus, l’évolution permettant l’ouverture à l’association avec d’autres professionnels du droit et la mise en commun des locaux et outils présente un risque au regard de cette règle déontologique.

1 Texte de la question : M. Sébastien Huyghe appelle l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'article 22 du

décret n° 71-941 du 26 novembre 1971 modifié, aux termes duquel l'acte authentique sur support électronique et ses annexes forment un tout indissociable. Ce texte prévoit en effet que «les pièces annexées sont indissociablement liées à l'acte auquel elles se rapportent. La signature électronique du notaire en fin d'acte vaut également pour ses annexes». Il lui demande si, par la numérisation des annexes, le notaire a parfaitement répondu à ses obligations, et s'il peut, par conséquent, ne pas conserver les supports papier.

Texte de la réponse : En droit commun, il résulte de l'article 1348, alinéa 2 du code civil que la copie peut avoir une valeur probante autonome sile titre original n'a pas été conservé, sous réserve qu'elle en soit « la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable ». Le décret n° 71-941du 26 novembre 1971 relatif aux actes établis par les notaires a été modifié pour tenir compte de l'évolution des nouvelles technologies tout enrespectant les exigences propres aux actes authentiques. L'article 37 de ce décret autorise les notaires à transférer sur support électronique undocument établi originairement sur support papier, et notamment les annexes d'un acte authentique, « dans des conditions garantissant sareproduction à l'identique ». En outre, l'article 22 de ce texte prévoit que « Lorsque l'acte est établi sur support électronique, les pièces annexéessont indissociablement liées à l'acte auquel elles se rapportent. La signature électronique du notaire en fin d'acte vaut également pour sesannexes ». Enfin, l'article 28 prévoit notamment que l'acte établi sur support électronique doit être conservé dans des conditions de nature à enpréserver l'intégrité et la lisibilité et qu'il est enregistré pour sa conservation dans un minutier central dès son établissement par le notaireinstrumentaire. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que les notaires satisfont à leurs obligations de conservation des actes ennumérisant, dans le respect des conditions de sécurité prévues par le décret, les pièces annexes indissociablement liées à l'acte authentiqueélectronique auquel elles se rapportent. )

12

En effet avec internet, désormais un nouveau risque pèse sur le secret professionnel du notaire, commecela a été souligné lors du 41ème Congrès du mouvement Jeune Notariat (MJN) à Berlin en 2010, mais enréalité un lien de communication chiffrée entre l’office et le MICEN (minutier Central Electronique desNotaires de France) permet de prévenir les risques d’interceptions de la minute pendant son transfert. Sila sécurité des actes électroniques est garantie à tous les niveaux : accès réservé au notaire rédacteur,signature certifiée et inviolable, transferts ultra sécurisé, mais que par ailleurs le MICEN venait à êtrepirater, le notaire ne pourrait être tenu pour responsable, car la faute ne pourrait être constituée.

En l’absence de jurisprudence, il n’est pas possible de constater l’impact sur la responsabilité notariale,au nom du principe de précaution. La plus grande prudence est à conseiller aux notaires ; sans forcémentconserver l’ensemble des documents papiers il convient tout de même de conserver les plus importants.

Comme l’énonce très justement Maître Cyrille FARENC (notaire), « La sécurité juridique commandequ'une pratique commune soit arrêtée de manière claire ».

Ainsi le devoir de conseil, obligation caractéristique de la profession notariale voit ses contours définistant de manière matérielle que temporelle car l’acte authentique rédigé par le notaire est la pierreangulaire de la sécurité juridique. En effet sur 4,5 millions d’actes établis en 2006, un peu moins de 4200ont donné lieu à contentieux, soit un taux inférieur à 1 sur 1000.

La forme particulière du devoir de conseil devra être adapté à l’acte (1) et afin d’y apporter l’efficacitéinhérente des actes authentique, devra respecter la publicité foncière (2).

1) L’adaptabilité matérielle du devoir de conseil : du fond de l’acte à la forme duconseil

Troisième chambre civile de la Cour de cassation, 15 Octobre 2015 (N°13-28.824)

Le 31 octobre 2000 la SCI Les Papeliers qui a donné à bail à la société BCDE l’immeuble dans lequel étaitexploité un fonds de commerce, consent à Monsieur B une promesse unilatérale de vente de l’immeuble.Le 09 octobre 2002 Monsieur B lève l’option. Le 21 février 2003, la SCI B se substituant à Monsieur Bobtient que la vente soit déclarée parfaite par jugement. La vente est reçue par acte authentique le 1 er

mars 2003. Le 16 février 2007 une promesse de vente est conclue entre la SCI B et Monsieur G qui aacheté le fonds de commerce précédemment.

Monsieur et Madame G assignent alors la société BCDE, la SCI B et Monsieur B en annulation de la ventedu fonds de commerce et en indemnisation, car l’immeuble construit était plus vaste que la surfaceautorisée par le permis de construire.

13

La SCI B et Monsieur B assigne quant à eux la SCI les Papeliers en annulation ou résolution de la vente etle notaire Maître B en indemnisation de leurs préjudices. Les procédures sont alors jointes etpostérieurement au jugement contre lequel un appel a été formé.

La SCI B, Monsieur et Madame B et la société BCDE assignent Maître R notaire, gérant de la SCI LesPapeliers en indemnisation.

Le 16 octobre 2013 la Cour d’appel de Nancy rejette les prétentions des parties, car par acte authentiquedu 1er mars 2003 Monsieur B reconnait avoir connaissance de la situation du bien vendu au regard desrègles d’urbanisme, et notamment la consultation du PLU applicable à la commune zone NB et zoneINDa, connaitre les avantages et inconvénients de l’immeuble, et dispensant alors le notaire d’annexerune note de renseignement d’urbanisme. Un pourvoi est formé.

Une clause d’information suffit-elle à caractériser l’obligation d’information dont est tenu l’officierpublic ?

Alors même que le notaire n’est pas déchargé de son devoir de conseil par les compétences de son client(1ère chambre civile du 28 novembre 1995 n°93-15.659), en contrepartie du monopole des actes portantsur les immeubles, le notaire doit réaliser des actes réguliers, qui doivent notamment respecter le droitimmobilier, de la famille et pour ce qui nous concerne en l’espèce le droit de l’urbanisme, et en informerles parties.

Le 15 octobre 2015 les magistrats du quai de l’horloge répondent par l’affirmative, en énonçant que levendeur n’avait pas dissimulé d’informations et avait satisfait à son obligation de délivrance et enfin queles acquéreurs n’avaient pas pu se méprendre sur l’existence des autorisations administratives relatives àla régularité de la construction.

Même si le notaire doit attirer l’attention sur les conséquences du défaut de conformité de la constructionau permis (1ère chambre civile de la Cour de cassation du 17 juin 2015, n°14-19.692), dès lors que lesparties reconnaissent de manière suffisamment précise, sans doute possible, avoir connaissances de lasituation du bien vendu au regard des réglementations, cela peut exonérer en partie, voire totalement lenotaire. Car en effet le notaire doit tenir compte de la date de la construction et de la possibilitéd'extension ou de modification d'une construction existante, que peut révéler la comparaison avec lesdésignations contenues dans les titres antérieurs.

14

Le notaire doit donc rédiger une clause mais il convient tout de même de faire attention à la rédaction dela clause. En effet, il n’est pas permis de mentionner une exonération du professionnel par cet outil, maissimplement une clause déclarant que les parties ont bien reçu l’information du notaire ou qu’elles l’enont dispensé (1ère chambre civile de la Cour de cassation du 11 janvier 1943). Une telle clause etnécessairement inséré dans l’acte authentique et non pas dans un acte séparé comme c’était le casauparavant (1ère chambre civile de la Cour de cassation du 17 juin 2015).

La reconnaissance de conseils donnés constitue alors une preuve de l’accomplissement de ses obligationspar le notaire qui trouvent son fondement dans la théorie de l’acceptation des risques.

Dès lors qu’il existe un doute sur l’efficacité ou la portée de l’acte ou d’une opération comportant unrisque pour l’une des parties, lorsque le client dispense le notaire d’accomplir une formalité qui n’est pasvisée par les textes ou lorsque le notaire intervient à postériori et que certains éléments échappent à saconnaissance, une telle clause doit être présente.

CONSEIL PRATIQUE

Il est utile en pratique d’insérer une clause précise et détaillée. Elle constituera un mode de preuve,mais pas un mode d’exonération.

« Le soussigné ......,

Déclare qu'il a chargé Me ......, notaire à ......, d'établir l'acte de vente d'un immeuble situé à ......,cadastré ...... que lui consent M. et Mme ......

Il reconnaît que Me ...... a attiré son attention : sur le fait que l’immeuble est construit sur une surfaceplus vaste que celle autorisée par le permis de construire.

M. ...... déclare avoir connaissance de la situation du bien vendu au regard des règles d’urbanisme, etnotamment avoir consulté le PLU applicable à la commune zone NB et zone INDA, déclare égalementconnaitre les avantages et inconvénients de l’immeuble.

Désirant réaliser la vente dans les plus brefs délais, M. ...... dispense Me ......d’annexer une note derenseignements d’urbanisme.

M. ...... déclare vouloir passer outre aux recommandations de Me ...... et le requiert, en pleineconnaissance de cause, de dresser l'acte de vente du terrain.

À ......, le ...... »

Troisième chambre civile de la Cour de cassation, 8 Avril 2015 (n°13-28.207)

15

En l’espèce, la société PM3C (promoteur) a créé la SCI Les Arcellins pour la construction et lacommercialisation d’une résidence de tourisme en montagne, dans le but de permettre la réalisationd’un placement immobilier défiscalisé. Monsieur et Madame X ont acquis un appartement surprésentation par la société S et par acte reçu par Maître Z, notaire. Cet appartement a été par la suite ontdonné à bail commercial au gestionnaire de cette résidence, la société CDT filiale de PM3C. Le bailcommercial a été cédé par la société CDT à la société LAVC, société ultérieurement soumise à uneliquidation judiciaire.

Monsieur et Madame X assignent alors les différentes sociétés en cause (société pm3C, SCI, société S)ainsi que le notaire en annulation de la vente pour dol, restitution du prix et dommages et intérêts.

Le 22 octobre 2013, la Cour d’appel de Chambéry rejette les demandes formées par Monsieur etMadame X, à l’encontre du promoteur et de la SCI, aux motifs que les époux n’ont pas été trompés sur lasolvabilité du promoteur et du gestionnaire locatif, ni sur les conséquences fiscales liées à la perte dugestionnaire. Elle rejette également leur requête à l’encontre de la société S, qui a établi une étudepersonnalisée et détaillée aux vues des revenus des époux, et a donc rempli sa mission. Enfin, la courd’appel rejette les prétentions des parties à l’encontre du notaire.

La question se pose de savoir si le notaire est tenu de s’exprimer sur l’opportunité économique d’uneopération de défiscalisation comportant des aléas lorsque ce dernier n’est pas rédacteur de l’acteconcerné. Est-ce que le notaire en tant que rédacteur d’acte de vente de biens immobiliers peut voir saresponsabilité engagée de la même manière qu’en tant que rédacteur de bail commercial ?

Le devoir de conseil impose au notaire d’informer les parties sur la portée et les effets et risques des actes(1ère chambre civile du 13 mai 2014). En ce sens, il est fautif si, connaissant le motif de défiscalisation, il neles a pas alertés des aléas de l’opération (1ère chambre civile de la Cour de cassation des 13 décembre2005 et 26 janvier 2012).

Mais ce devoir n’est pas absolu, notamment lorsque le notaire n’est pas partie à tous les actesconsécutifs, ou lorsque rien ne laisse présumer d’un doute sur les capacités financières d’un promoteur.En effet, l’optimisation fiscale exige beaucoup de prudence, de mesure et une approche pluridisciplinairedes montages juridiques et financiers, mais également un devoir de conseil qui s’adapte à la situation.

Le 8 avril 2015, la Cour de cassation précise que les acquéreurs n’avaient pas été trompés sur lasolvabilité du promoteur et du gestionnaire locatif, ni sur les conséquences fiscales liées à la perte dugestionnaire. La troisième chambre civile rappelle que le notaire chargé de l’établissement d’acte de

16

vente de biens immobiliers n’a pas à vocation à s’exprimer sur l’opportunité économique d’opération dedéfiscalisation comportant des aléas qui ne pouvaient être ignorés des investisseurs.

L’efficacité juridique de l’acte de vente n’encourt aucune critique, en ce sens que le notaire n’est pasrédacteur du bail commercial.

Cette analyse n’est pas remise en question par la décision récente du 15 Janvier 2015, de la premièrechambre civile qui a eu à préciser le devoir de conseil portant sur un régime fiscal avantageux choisi parles parties. Il s’agissait d’un couple résidant en France qui avait le projet de s’installer en Suède, etvendait leur résidence principale. Ils s’inquiétaient de savoir si la vente envisagée allait être soumise àune plus-value. Le notaire dû interroger le CRIDON, qui lui indiqua que les époux pourraient bénéficier durégime d’exonération. Cependant, exonérés de l’impôt en France, ils se sont vus taxer en Suède. Lecouple s’est alors retourné contre le notaire en responsabilité. La Cour de cassation rappelle que lenotaire a l’obligation d’informer et de conseiller les parties à l’acte, notamment sur ses conséquencesfiscales. Un préjudice découlant de l’impôt peut se voir établi, mais ne jugeant pas en fait elle a décidéd’effectuer un renvoi.

Dans notre espèce les magistrats du quai de l’horloge le 8 décembre 2009 confirment que le notaire n’apas à supporter la charge d’une mauvaise évaluation de la rentabilité d’une affaire ou d’un aléaéconomique. Tout au plus il doit mettre en garde les parties contre un risque économique dont il aconnaissance. De la même manière, le 17 juin 2015 la première chambre civile confirme concernant la loiMalraux et la défiscalisation immobilière qu’elle entraîne, « qu’il s’agit d’opérations soumises à un aléaessentiel nécessitant un devoir de conseil particulier du notaire. »

Cependant, ce devoir n’est tout de même pas absolu, même si l’on tend vers un devoir de conseil de plusen plus important.

CONSEIL PRATIQUE

En pratique, le notaire dans le cadre de son devoir de conseil doit alerter ses clients sur les actes et lesconséquences économiques qu’ils engendrent. En revanche en présence d’une opération dedéfiscalisation, il doit adapter son conseil en informant les parties de l’aléa engendrait par une telleopération.

V. L’adaptabilité temporelle du devoir de conseil : le notaire et la publicité foncière

17

Troisième chambre civile de la Cour de cassation, 19 Mai 2015. (N°14-13.190)

Il est possible de s’interroger sur la durée du devoir de conseil du notaire. Est-il nécessaire seulementdans les prémices de l’acte, au cours de sa constitution ou seulement au moment de la lecture ? Lenotaire doit contrôler la désignation et la description des biens vendus, l’absence ou l’existence deservitudes, pour apporter la régularité la plus adéquate à l’opération envisagée.

En l’espèce le 14 avril 2005, la SCI du Dauphiné a conclu avec la SCI Stéphanat un « compromis de vente »portant sur des terrains cadastrés AE 526, AE 546, AE 982 et AE984. Le 30 juillet 2005, le gérant de la SCIdu Dauphiné décède et son épouse refuse de réitérer la vente devant le notaire, faisant valoir que deserreurs ont été commises dans la rédaction de l’acte sur la désignation des biens vendus.

La SCI Stéphanat assigne la SCI du Dauphiné aux fins qu’il soit jugé que le « compromis de vente » portaitsur les parcelles AE 1101, AE 1118 et AE 1119 et que la vente soit déclarée parfaite. La SCI du Dauphinéinvoque quant à elle la nullité de l’acte et assigne le notaire de l’acheteur Maître Z en responsabilité.

Un délai de deux à trois mois s’écoule entre l’accord intervenu entre le vendeur et l’acquéreur concernantla consistance du bien et le prix, et la signature de l’acte authentique.

Le 19 décembre 2013 la Cour d’appel de Versailles fait droit aux prétentions de la SCI Dauphiné, en cesens qu’une erreur affectait l’acte dans la désignation des biens. Selon elle, il appartenait à Maître Z defaire connaitre à ses clients que la vente ne pouvait être réitérée, sauf à trouver un accord sur laconsistance exacte du bien cédé à charge pour le notaire d’apporter les correctifs indispensables aucompromis. Dans les faits présents le notaire de l’acheteur conforte celui-ci (SCI Stephanat) en énonçantque la vente était parfaite et en déposant l’acte au rang des minutes. Un pourvoi est alors formé.

Dans quelle mesure la modification cadastrale rend-elle un compromis de vente caduc et impose-t-elleau notaire de rechercher une conciliation des parties ?

Le 19 mai 2015 la 3ème chambre civile de la Cour de cassation approuve la cour d’appel qui a pu déduireque le contrat du 14 avril 2005 devait être annulé. Les hauts magistrats indiquent alors que la courd’appel n’était pas tenue de procéder à une recherche sur le caractère inexcusable de la faute du vendeurdès lors que celle-ci portait sur l’objet même de la vente. Egalement la Cour de cassation approuve leraisonnement de l’arrêt d’appel concernant Maître Z qui a commis une faute ayant pour effet de rendre lebien indisponible, en ce sens que la modification cadastrale a abouti à unifier des parcelles, ce qui n’étaitpas prévu dans l’acte initial, celles-ci ayant déjà fait l’objet d’une vente en 1995.

18

L’obligation de vérification impose au notaire l’accomplissement de toutes ces diligences. Par ailleursdepuis le 26 novembre 1996, la 1ère chambre civile a indiqué que le devoir de conseil s’apprécie aumoment où l’acte est reçu.

CONSEIL PRATIQUE

En pratique, le notaire informé d’une modification cadastrale, qui entraîne sur les relevés depropriétés le caractère inexact des précédentes doit faire appel à un géomètre expert, et informer sesclients de la non réitération de la vente sauf à obtenir un accord sur la consistance du bien cédé.

Première chambre civile de la Cour de cassation, 15 Mai 2015 (n°14-14.988)

Monsieur Y vend à Monsieur Z et Madame A une parcelle de terrain sur laquelle étaient édifiés desgarages. L’acte authentique est reçu le 08 avril 2005 par Maitre X notaire. La publicité de l’acte est quant àelle sollicitée le 09 juin 2005, date postérieure à la publication du jugement déclarant Madame Badjudicataire le 1er juin 2005.

La cour d’Appel ordonne l’expulsion de Monsieur Y et de tous les occupants de son chef donc Monsieur Zet Madame A.

Monsieur Z et Madame A assignent alors Monsieur Y en nullité de la vente et en indemnisation, ainsi quele notaire en responsabilité.

La Cour d’Appel de Paris le 16 janvier 2014, exclut toute faute du notaire. Selon elle, dans l’ignorance dela dissimulation de Monsieur Y de l’adjudication, l’officier ministériel n’avait pas à procéder à unepublication de l’acte avant l’expiration du délai applicable, ni à retenir le prix de vente jusqu’àl’accomplissement des formalités de publicité. Elle rejette alors la demande en garantie de Monsieur Z etde Madame A, car le notaire ne peut être condamné à garantir le remboursement du prix de vente qu’encas d’insolvabilité avérée le jour où elle statue. Monsieur Z et Madame A forment alors un pourvoi.

La question qui s’est posée à la Cour de cassation était de savoir si la remise du prix de vente impose aunotaire l’accomplissement des formalités de publicité dans les plus brefs délais. Dans l’affirmative, le seulrespect des obligations réglementaires suffit-il ?19

La Cour de cassation parle d’obligation de prudence et de diligence, c’est-à-dire d’une obligation demoyen imposée au notaire, obligation qui n’impose aucun résultat mais qui contraint l’officier au respectdes règles de l’art. Le notaire doit alors faire de son mieux dans l’accomplissement de sa prestation, à ladifférence d’une obligation de résultat qui imposerait au notaire l’obtention d’un résultat déterminé parles parties.

Au visa de l’article 1382, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation le 15 Mai 2015 rappelle que lenotaire est tenu d’une obligation de prudence et de diligence dès lors qu’il remet le prix de vente auvendeur le jour de la signature de l’acte. Il doit accomplir dans les meilleurs délais les formalités en vuede la publication de l’acte afin de garantir son opposabilité aux tiers et notamment son efficacité.

Sous le même visa, la Cour de cassation énonce que la cour d’appel a par des motifs impropres qui n’ontpas donné de base légale à sa décision exclut la condamnation du notaire à garantir le remboursementdu prix de vente en cas d’insolvabilité avérée du vendeur.

En l’espèce, le notaire n’a pas informé les parties du rejet de la publication (au 25 juillet 2005) de l’acte,avant octobre 2006. Monsieur Y quant à lui dissimule l’adjudication dont il fait l’objet tant aux acquéreursqu’au notaire, la fiche d’immeuble ne mentionnant aucun transfert de propriété. Le notaire n’avait pas demotif l’obligeant à procéder à une publication plus rapide. En effet, aucune règlementation ne le luiimpose. Aucune faute ne pouvait lui être imputée. En outre, aucune imprudence ne pouvait être retenuecar il n’avait pas de raison de retenir le prix de vente jusqu’à la date de publication de l’acte.

Cependant, le notaire est tenu d’un devoir de conseil destiné à assurer la validité et l’efficacité des actesauxquels il a apporté son concours, ce qui entraine une obligation de prudence et de diligence. Ce derniera tout de même distribué les fonds le jour de la signature sans s’assurer de l’opposabilité de l’acte auxtiers.

Dès lors que le dommage est établi comme la conséquence directe et certaine de la faute du notaire, uneréparation doit être effectuée. En l’espèce, l’obligation de moyens imposée au notaire se mue en uneobligation de résultat, ou tout du moins s’en approche de plus en plus. C’est ainsi que le respect de laréglementation n’a pas été suffisant. En effet le notaire avait demandé la publicité de l’acte dans un délaid’un mois et 3 semaines.

L’ordonnance du 10 juin 2010 modifiant les articles 32 et 33 du décret du 04 janvier 1955 énonce : « Lesdélais d'accomplissement de la formalité sont fixés comme suit :(...) Pour les autres actes, trois mois deleur date. Toutefois, le délai est réduit à deux mois pour les actes et décisions en vertu desquels peut êtrerequise l'inscription des privilèges prévus aux articles 2379 et 2381 du code civil. »

20

Longtemps la jurisprudence sanctionnait le comportement de mauvaise foi du vendeur qui omettait derenseigner le notaire sur sa situation financière. Dorénavant il appartient au notaire de vérifier lasituation juridique des parties, par le biais du BODACC ou d’info greffe. La cour de cassation délimitel’obligation incombant au notaire, assurant alors la pleine efficacité et sécurité de l’acte authentique.

CONSEIL PRATIQUE

Le notaire, avant de transférer les fonds, doit effectuer les formalités de publicités. Il ne peut attendrel’expiration du délai d’accomplissement des formalités de publicité à la suite de la conclusion d’un acteauthentique.

Le non-respect des obligations auxquelles est soumis le notaire est constitutif d’une faute. Cependant,d’autres éléments de la responsabilité civile délictuelle doivent nécessairement être caractérisés (II).

II. DE LA MISE EN ŒUVRE DE LA RESPONSABILITE CIVILE DU NOTAIRE

La responsabilité civile du notaire répond aux critères classiques de la responsabilité civiledélictuelle issue de l'article 1382 du code civil (A), cependant cette responsabilité pourra potentiellementêtre écartée à travers les différentes causes d'exonération (B).

A) La responsabilité civile notariale répondant aux critères classiques dela responsabilité civile délictuelle

La responsabilité civile du notaire est une responsabilité civile délictuelle fondée sur l'article 1382du Code civil. Il est dès lors nécessaire de réunir les trois caractéristiques essentielles de la responsabilitédélictuelle : une faute, un préjudice et un lien de causalité entre ces derniers.

L'absence de jurisprudence récente sur la qualification de la faute nous amène à traiter de ce point enintroduction. En effet la faute est une condition fondamentale de l'engagement de la responsabilité civiledes notaires. La faute peut tout d'abord être issue d'un manquement du notaire à son obligationd'authentification. Mais le plus souvent la responsabilité est engagée suite à un manquement au devoirde conseil. Sur ce point toute faute, même légère, peut permettre de retenir la responsabilité du notaire.

21

En effet la jurisprudence a une appréciation in abstracto de la faute. Cette dernière est appréciée parcomparaison avec la conduite qu'aurait dû avoir un notaire avisé, conduite déterminée d'après desqualités liées aux caractéristiques de sa fonction et notamment son statut d'officier ministériel: lacompétence, l'impartialité et la prudence.

Qui plus est la mission de service public du notaire et l'appréciation in abstracto de la faute entrainentune appréciation sévère de la faute par les tribunaux. Dès lors, comme l'a rappelé un arrêt de la premièrechambre civile de la Cour de cassation du 8 décembre 1947, "les notaires sont tenus de toutes leursnégligences et imprudences, dans les conditions du droit commun des articles 1382 et 1383 du Code civil".

Cette solution conforte l'idée qu'il existe plusieurs catégories de fautes : la principale distinction concernela faute non intentionnelle, qui peut être légère ou lourde, et la faute intentionnelle, qui peut êtredolosive. Il convient de préciser que l'article 12, alinéa 2 de la loi du 13 juillet 1930 prohibe l'assurancedes fautes intentionnelles ou dolosives mais permet l'assurance des fautes lourdes. C'est l'arrêt de ladeuxième chambre civile de la Cour de cassation du 15 octobre 1975 qui énonce la définition de la fauteintentionnelle en disposant que "c'est celle qui implique la volonté de causer le dommage", alors que lafaute lourde consiste en "la prise délibérée d'un risque en connaissance de l'éventualité d'un préjudice".

Concernant la preuve de la faute, en matière de responsabilité notariale, la charge de la preuve varieentre le client demandeur et le notaire défendeur, étant donné que la jurisprudence utilise la distinctionentre obligation de moyens et de résultat. Dès que la mission à laquelle le notaire a manqué était uneobligation de résultat, il suffit que le résultat de ne soit pas atteint pour que la faute soit établie. Enrevanche pour une obligation de moyens, le client victime devra apporter la preuve de la faute dunotaire. Le devoir d'authentification est forcément une obligation de résultat alors que les obligationsrésultant du devoir de conseil ne sont pas toutes de même nature.

Une fois la preuve de la faute apportée, il convient de prouver l'existence d'un préjudice indemnisable (1)mais aussi d'un lien de causalité entre la faute et ce préjudice (2).

1) L'existence d'un préjudice direct, actuel et certain

Première chambre civile, Cour de cassation, 16 avril 2015, n° 14-16.288 et 14-20.683

22

Dans cet arrêt du 16 avril 2015 la Cour de cassation nous rappelle que l'engagement de la responsabilitécivile du notaire se fait au fondement de l'article 1382 du Code civil, soit de la responsabilité délictuelle,ce qui a pour conséquence d’attribuer la charge de la preuve au demandeur qui doit prouver une faute,mais aussi un préjudice qui doit être actuel, direct et certain, sans oublier le lien de causalité entre cesdeux notions. Il ressort de plus de cet arrêt qu'en matière de responsabilité civile du notaire le préjudicepeut être constitué par une perte de chance.

Par acte du 16 novembre 2004 passé avec la participation de la SCP notariale Y, Monsieur X a acquis unemaison d'habitation dont le prix d'achat ainsi que des travaux pour diviser l'immeuble en lots ont étéfinancés à l'aide d'un prêt souscrit le même jour auprès du Crédit immobilier de France Est (la banque),et dont le remboursement a été garanti par un privilège de prêteur de deniers et une hypothèqueconventionnelle.

Monsieur X a par la suite vendu un lot de l'immeuble, et le notaire a distribué à diverses entreprises unepartie du prix de vente, au mépris des droits de la banque. Cette dernière a donc assigné le notaire et laSCP notariale en responsabilité, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, afin de se voirindemniser du préjudice résultant du paiement effectué par le notaire en méconnaissance de sonprivilège.

Par un arrêt du 4 février 2014, la Cour d'appel de Reims a rejeté la demande de la banque aux motifs quele préjudice de cette dernière, consistant en la perte de chance de recouvrer la somme due, n'est pasétabli; en effet la banque, détentrice d'un titre exécutoire, ne justifie pas avoir engagé de mesured'exécution contre Monsieur X pour recouvrer la somme due par ce dernier, auprès duquel la créanceserait définitivement irrécouvrable. La cour d'appel en déduit l'inexistence de tout préjudice car labanque n'a pas tenté de recouvrer sa créance auprès de Monsieur X et n'établit donc pas soninsolvabilité.

La banque forme alors un pourvoi en cassation aux moyens que son préjudice consistait dans le non-versement immédiat de la totalité du prix de vente, et non dans le recouvrement de la créance auprès deMonsieur X, prix de vente que le notaire devait directement lui rétrocéder en contrepartie de lamainlevée partielle des garanties, préjudice en relation de causalité direct avec la faute du notaire, quirésidait dans le non-respect des termes de l'acceptation de la mainlevée des garanties consenties par labanque, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; de plus, l'existence d'autres voies de droitn'est susceptible d'ôter toute certitude au dommage que si leur exercice présente une réelle chance desuccès, la cour d'appel, qui n'a pas vérifié si la mise en œuvre de voies d'exécution était susceptible deprésenter des chances réelles de succès compte tenu de l'insolvabilité du débiteur a privé sa décision debase légale.

23

Se pose la question de savoir si le caractère certain du préjudice peut être établi lorsque que le créancier,qui n'a pas pu obtenir paiement du débiteur en raison de la faute du notaire, avait la possibilité d'exercerd'autres recours pour se faire payer.

Par son arrêt du 16 avril 2015 la première chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l'arrêtde la Cour d'appel de Reims au visa de l'article 1382 du Code civil et au motif que " l'existence de voies dedroit permettant à la victime de recouvrer ce qui lui est dû n'est pas de nature à priver de son caractèreactuel et certain le préjudice né de la faute du notaire, lorsque ces voies de droit ne sont que laconséquence de la situation dommageable créée par celui-ci".

Il découle de cet arrêt que la responsabilité civile délictuelle du notaire peut être engagée même s'ilexistait pour la victime d'autres moyens de recouvrer sa créance, mais seulement lorsque l'existence deces voies de droits est liée à la faute du notaire, ceci n'empêchant pas d'établir le caractère certain dupréjudice.

Cependant, la responsabilité civile du notaire n'est pas retenue lorsqu'il existait d'autres moyens pour lecréancier de recouvrer sa créance, mais que ces moyens ne sont pas issus du dommage causé par lenotaire, comme l’illustre la jurisprudence ci-après.

Première chambre civile, Cour de cassation, 3 juin 2015 n°14-10424

Dans cet arrêt du 3 juin 2015 la première chambre civile de la cour de cassation, rappelle la nécessitéd'établir un préjudice certain pour engager la responsabilité civile du notaire. En effet comme le précise laCour de cassation le préjudice doit être direct, actuel et certain, caractéristiques qui permettent dedéduire le lien de causalité nécessaire entre la faute et le préjudice.

En l'espèce par acte notarié du 22 juillet 1992 la société Crédit mutuel méditerranéen (la banque) aconsenti à deux sociétés coempruntrices une ouverture de crédit en compte-courant d'une durée dedeux ans, pour un montant principal de 2 300 000 francs, dont le remboursement était notammentgaranti par le cautionnement solidaire des gérants de chacune des sociétés, Messieurs Z et Y, ainsi quepar l'épouse commune en biens de Monsieur Y (les cautions), à hauteur de l'intégralité de l'ouverture decrédit. Une des sociétés ayant été placée en liquidation judiciaire, la banque a inscrit une hypothèquejudiciaire sur un immeuble appartenant aux époux Y. Ces derniers ont assigné la banque en mainlevée decette sûreté judiciaire, en se prévalant de la nullité de l'engagement de caution de l'épouse et de

24

l'expiration du cautionnement de Monsieur Y. La banque a dès lors appelé en intervention forcée lenotaire instrumentaire, Maître X, pour voir engager sa responsabilité civile professionnelle.

Par un arrêt infirmatif du 31 octobre 2013 la Cour d'appel d'Aix-en-Provence condamne Monsieur X et laSCP (titulaire de l'office notarial) à verser à la banque une indemnité égale au montant de la quote-partde Madame Y sur le produit de la vente de l'immeuble hypothéqué, aux motifs que la faute du notaire,qui a manqué à son obligation de prudence en ne faisant pas certifier la signature de Madame Y sur laprocuration donnée par elle à Monsieur Z, a entrainé la nullité de l'engagement de caution. Cette sommene pourra pas revenir à la banque, ce qui constitue le préjudice qu'elle a réellement supporté.

Monsieur X et la SCP forment alors un pourvoi en cassation au moyen que la cour d'appel n'a pascaractérisé l'existence d'un préjudice certain en ne recherchant pas si la banque pouvait mettre en œuvred'autres garanties.

Le préjudice peut-il être défini comme certain lorsqu'il existait d'autres voies de droits permettant aucréancier victime de recouvrer sa créance ?

Par son arrêt du 3 juin 2015 la première chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l'arrêt dela Cour d'appel d'Aix-en-Provence, au visa de l'article 1382 du Code civil, et aux motifs que "seul est sujetà réparation le préjudice direct, actuel et certain" ; la cour d'appel n'ayant pas recherché si la banqueavait perdu toute possibilité d'obtenir le règlement de sa créance par la mise en œuvre des autressûretés établies par le notaire pour garantir le remboursement du crédit, elle a privé sa décision de baselégale.

Il ressort de cet arrêt que la responsabilité du notaire n'est pas engagée lorsque les juridictions du fondne prouvent pas que le préjudice était certain pour le créancier, qui avait la possibilité de récupérer sacréance à l'aide d'autres sûretés conclues par le notaire.

Il convient d’en déduire qu'avant de vouloir engager la responsabilité civile délictuelle du notaire lecréancier victime doit établir la certitude de son préjudice en essayant de mettre en œuvre les autressûretés qu'il a conclues en vue d'obtenir le paiement de sa créance. Ce n'est que lorsqu'aucune de cessûretés n'en permet le paiement que son préjudice sera certain et qu'il pourra engager la responsabilitédu notaire ou, comme vu précédemment, lorsque les voies de droits en permettant le paiement sontissues de la faute du notaire.

25

Une fois que les caractéristiques inhérentes au préjudice ont été démontrées, en sus de la preuve d'unefaute du notaire, il faut que le demandeur établisse l'existence d'un lien de causalité entre cette faute etle préjudice.

2) L'existence d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice

Cour d'appel de Toulouse, Chambre 1, Section 1, 29 juin 2015, n°366, 14/03251

Dans cet arrêt du 29 juin 2015 la Cour d'appel de Toulouse nous rappelle la nécessité d'établir un lien decausalité entre la faute imputée au notaire et le préjudice subi par la victime. En effet ces trois conditionssont cumulatives et indispensables à l'engagement de la responsabilité civile du notaire.

Par un acte sous seing privé du 21 juillet 2007, les époux X ont vendu à Monsieur L, sous conditionssuspensives, une maison avec un terrain et la moitié indivise d'un chemin, situés sur la commune deLisle-sur-Tarn. Par un deuxième acte sous seing privé de la même date, Monsieur L a vendu aux époux S,sous condition suspensive, une parcelle à bâtir d'une superficie de 2500m² sur le terrain précité, lesixième indivis du chemin précité et un tiers indivis de la parcelle à usage de chemin et de garage. Untroisième acte sous seing privé a été signé le même jour entre Monsieur L et les époux G, portant sur uneseconde parcelle à bâtir de 2500m², à prendre sur la propriété et portant sur le chemin indivis.

Les actes authentiques n'ayant jamais été passés, notamment car les sous acquéreurs ont renoncé àacquérir le bien, les époux X ont assigné Monsieur L en résolution de l'acte de vente et en paiement de laclause pénale devant le Tribunal de grande instance de Montauban. Par jugement du 9 mars 2010 letribunal a ordonné la résolution de la vente et a condamné Monsieur L au versement de 26 000 euros autitre de la clause pénale.

Monsieur L engage alors la responsabilité civile du notaire, Maître F, devant le Tribunal de grandeinstance de Castres sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, afin que ce dernier paye sescondamnations et les frais de division du terrain mais aussi pour obtenir la réparation d'un préjudicemoral. Par jugement du 7 mars 2014 le tribunal déclare que le notaire a commis des manquements enpartie en lien de causalité avec les préjudices de Monsieur L, et a condamné la SCP de notaires à verser àMonsieur L 10 683€ à titre de dommages et intérêts.

Mécontent du jugement, Monsieur L interjette appel devant la Cour d'appel de Toulouse, aux moyensque le notaire n'a pas exécuté son devoir de conseil, qu'il est à l'origine de l'inefficacité des actes signés

26

car il a omis de lier les ventes entre elles, et n'a pas émis de vigilance particulière alors qu'il y a eu unesignature par procuration, dans le but de se voir obtenir la réparation de son préjudice matériel (lemontant des condamnations prononcées contre lui et des divers frais de division et de procédure) et deson préjudice moral.

Dès lors le lien de causalité est-il établi lorsque la résolution d'un acte de vente, due à la non réalisationde la condition suspensive d'acquisition d'un prêt dans le contrat de vente des sous-acquéreurs, a causéun préjudice à l'acquéreur initial par la faute du notaire qui n'aurait pas lié les ventes entre elles ?

Par son arrêt du 29 juin 2015 la Cour d'appel de Toulouse infirme le jugement du 7 mars 2014 rendu parle Tribunal de grande instance de Castres et déboute Monsieur L de son action en responsabilité contre lenotaire, Maître F, aux motifs que "la responsabilité notariale a un fondement délictuel qui suppose ladémonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre eux", et qu'en l'espèce le jeu declause pénale est causé par le défaut de financement d'un prêt pour les acquéreurs et non par lerenoncement des sous-acquéreurs, d'où l'absence de causalité entre les préjudices allégués par MonsieurL et les fautes imputées au notaire.

La responsabilité du notaire n'est pas retenue pour défaut de lien de causalité entre la faute alléguée etle préjudice moral invoqué par le vendeur lorsque même en présence d'un manquement du notaire à sondevoir de conseil envers les sous-acquéreurs, la vente sous condition suspensive n'a pas été conclue dufait de l'impossibilité pour les acquéreurs d'obtenir un financement de la banque.

Troisième chambre civile, Cour de cassation, 15 octobre 2015, n°14-20.312

Dans cet arrêt la Cour de cassation nous rappelle la nécessité d'établir la preuve de la faute alléguée àl’encontre du notaire mais aussi le lien direct de causalité existant entre le préjudice invoqué et les fautesalléguées à l’encontre du notaire.

Monsieur M a promis à Monsieur T de lui vendre des lots de copropriété d'un immeuble lors de laconclusion d'une promesse unilatérale de vente. La société S a été substituée à Monsieur T dans lebénéfice de la promesse de vente mais la vente ne s'est pas réalisée car le bénéficiaire de la promesse aopéré le versement du prix par virement alors qu'il était stipulé dans la promesse de vente que lepaiement du prix et des frais devait intervenir par chèque de banque.

27

Monsieur M a fait assigner Monsieur T en annulation de la promesse de vente et en paiement del'indemnité d'immobilisation et de dommages et intérêts, ainsi que la SCP T&D, notaires associés, enresponsabilité professionnelle et paiement de dommages et intérêts.

Monsieur T et la société S demandent devant la cour d'appel qu'en cas de prononcé de la caducité de lapromesse, la SCP T&D soit condamnée, sur le fondement d'un manquement à son devoir de conseil, à lesindemniser de leur préjudice résultant de la non réalisation de la vente, et à les garantir de l'accueil desprétentions de Monsieur M.

Par un arrêt confirmatif du 20 mars 2014 la Cour d'appel de Paris fait droit aux prétentions de MonsieurM concernant l'annulation de la promesse de vente et le paiement de l'indemnité d'immobilisation maisdéboute Messieurs M, T et la société S de leur demande d'engagement de la responsabilité du notaireaux motifs que les bénéficiaires de la promesse ne justifiaient pas de la réalité d'un préjudice en lien decausalité direct avec les fautes alléguées à l'encontre du notaire ; elle décide que l'indemnitéd'immobilisation reste acquise à Monsieur M.

Monsieur T et la société S forment alors un pourvoi en cassation aux moyens que la vérification del'origine des fonds déposés par le bénéficiaire d'une promesse unilatérale de vente entre les mains dunotaire relève de la responsabilité du notaire. Le notaire doit procéder aux vérifications nécessaires à sonefficacité et alerter les parties sur les conditions nécessaires à sa réalisation.

En retenant la caducité de la promesse qu'elle a fondée sur l'absence de fourniture d'un chèque debanque mais en écartant la responsabilité des notaires alors qu'il ressortait de ses propres constatationsque la SCP notariale n'avait pas alerté les exposants sur la nécessité de fournir un chèque de banque pourgarantir l'efficacité de la levée d'option, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de sesconstatations et a violé l'article 1382 du code civil.

En énonçant que les exposants ne caractérisaient aucun préjudice en lien avec la faute alléguée, mais enretenant que la faute résultant du manquement de la SCP notariale à son devoir de conseil sur lesconditions de la levée d'option était nécessairement la cause du préjudice résultant pour Monsieur T et lasociété S de la non réalisation de la vente, et en retenant que la perte de l'indemnité d'immobilisation,dont elle a jugé qu'elle devait rester acquise à Monsieur M était nécessairement la conséquence directedu manquement des notaires à leur obligation de conseil sur les modalités du versement du prix devente, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil.

28

Nous pouvons alors nous demander si le préjudice matériel résultant de l'annulation d'une promesseunilatérale de vente est en lien de causalité direct avec la faute du notaire issue de l'absence devérification de l'origine des fonds déposés sur un compte pour la réalisation de la promesse.

Par son arrêt du 15 octobre 2015 la troisième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoiformé par Monsieur T et la société S aux motifs que "la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre lesparties dans le détail de leur argumentation, a souverainement retenu que les bénéficiaires de lapromesse ne justifiaient pas de la réalité d'un préjudice en lien de causalité direct avec les fautesalléguées à l'encontre du notaire".

Il ressort de cet arrêt que l'engagement de la responsabilité du notaire est subordonné à l'appréciationsouveraine des juges du fond. En effet la Cour de cassation nous rappelle que ce sont eux qui établissentl'existence ou non d'un lien de causalité entre le préjudice et les fautes alléguées à l'encontre du notaire,de sorte qu'il n'existe aucune solution de principe concernant la présence ou non de ce lien de causalité,qui est subordonnée aux faits matériels de l'affaire.

La responsabilité civile notariale étant soumise aux mêmes critères que la responsabilité civile délictuelleissue de l'article 1382 du Code civil, il est possible pour les notaires de s'exonérer de leur responsabilitédans les mêmes conditions que la responsabilité délictuelle classique (B).

B) La responsabilité civile notariale potentiellement écartée

La théorie classique de la responsabilité délictuelle prévoit des causes d’exonération telles que laforce majeure et la faute de la victime. Ces exonérations se retrouvent de manière spéciale dans laresponsabilité du notaire.

Sur la faute de la victime, celle-ci peut amener à un partage de responsabilité avec le notaire (pour unexemple, première chambre civile de la Cour de cassation du 1er juillet 2010), voire à une exonération decelui-ci lorsque la faute de la victime est exclusive du dommage. Cette faute peut résulter entre autre,d’un mensonge du client. Cette solution a été retenue par le passé par la Cour de cassation, notammentdans un arrêt du 17 juin 2010 de la première chambre civile. En l’espèce, l’acquéreur avait déclaré unefausse valeur de ses biens.

Quant à la force majeure, l’arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 14 avril 2006 estrevenu rappeler ses caractères ; la force majeure est un élément irrésistible et imprévisible. Cette cause

29

d’exonération est fort logiquement peut reconnue dans le cas de la responsabilité civile notariale, car ellenécessite des évènements plutôt exceptionnels tels qu’un incendie ou la foudre qui ne permettrait pas desatisfaire à l’obligation de conservation. Il résulte de la reconnaissance de la force majeure, uneexonération totale.

Il convient eu égard à l’actualité jurisprudentielle de se concentrer sur les incidences des règles deprocédure civile sur la responsabilité notariale (1) et sur les causes d’exonération de celle-ci (2).

1) Les incidences des règles de procédure civile sur la responsabilité notariale

Première chambre civile de la Cour de cassation du 9 juillet 2015 (n°14-14.816)

Il convient de déduire de cet arrêt la nécessité pour la juridiction aux fins de se prononcer sur une actiondisciplinaire d’appeler le président de chambre régionale de discipline à présenter ses observationstechniques.

En l’espèce, M. Olivier L., notaire suspendu disciplinairement, se prétendait lésé par ses associés MM. L.et M. également notaires, auxquels il reprochait d’avoir par des agissements contraires à la déontologiede leur profession tiré profit de sa condamnation disciplinaire.

M. Olivier L. a en conséquence exercé contre eux l’action disciplinaire prévue à l’article 10 del’ordonnance du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels. Letribunal compétent déclare cette action irrecevable, faute de visée indemnitaire, et condamne ledemandeur à des dommages et intérêts pour procédure abusive. Un appel est interjeté et le 30 janvier2014 la Cour d’appel de Versailles rend un arrêt par lequel elle se prononce sans que le président dechambre régionale de discipline ait été appelé à présenter ses observations techniques.

30

L’article 10 de l’ordonnance du 28 juin 1945 prévoit « L'action disciplinaire devant le tribunal de grandeinstance est exercée par le procureur de la République. Elle peut également être exercée par le présidentde la chambre de discipline agissant au nom de celle-ci, ainsi que par toute personne qui se prétend léséepar l'officier public ou ministériel (…) Lorsqu'ils n'ont pas exercé eux-mêmes l'action disciplinaire, leprésident de la chambre ou la personne qui se prétend lésée peuvent intervenir à l'instance ». L’utilisationdu verbe pouvoir laisse a priori à penser que l’intervention du président de la chambre de discipline estseulement facultative.

Dès lors, une cour d’appel peut-elle se prononcer sur une action disciplinaire sans que le président dechambre régionale de discipline ait été appelé à présenter ses observations techniques ?

Le 9 juillet 2015 la première chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par laCour d’appel de Versailles du 30 janvier 2014. Il ressort de la solution qu’une cour d’appel viole le décretdu 28 décembre 1973 relatif à la discipline et au statut des officiers publics ou ministériels lorsqu’elle seprononce sur une action disciplinaire à l’encontre d’un notaire sans que le président de chambrerégionale de discipline n’ait été appelé à se prononcer. Cette solution est sévère, car la lettre del’ordonnance du 28 juin 1945 sous-entend que la présence du président de chambre n’est pas obligatoire.Cependant, cette solution se justifie au regard de l’article 16 du décret du 28 décembre 1973 retenu parla Cour de cassation qui énonce « Les débats ont lieu en chambre du conseil, le ministère public entendu.Le président de la chambre de discipline présente ses observations, le cas échéant, par l'intermédiaired'un membre de la chambre ».

La Cour de cassation rappelle de manière stricte la nécessité pour le président de chambre de discipline àprésenter ses observations lors d’une action disciplinaire. A défaut, la procédure est viciée.

Première chambre civile de la Cour de cassation du 28 octobre 2015 n°14.15114

La Cour de cassation énonce par cet arrêt que le trouble de droit en cas d’inscription intercalaire d’unehypothèque judiciaire nait au jour du jugement de condamnation, et non pas au jour de son inscription.Dès lors, le notaire condamné en raison de l’éviction du vendeur peut être subrogé dans les droits del’acquéreur. En outre, l’assureur peut être subrogé non seulement dans les droits du notaire, maiségalement dans ceux de l’acquéreur.31

En l’espèce, par un acte en date du 12 juin 2001, et rédigé par Maître X, notaire, Mesdames Z ont vendu àMonsieur Y un bien immobilier. Cependant, Monsieur Y a été contraint de délaisser ce bien après qu’uncréancier du vendeur, titulaire d’une hypothèque judiciaire inscrite le 22 juillet 2001, soit entre la date del’acte de vente et l’inscription de la sûreté, en vertu d’un jugement de condamnation, ait exercé son droitde suite et obtenu la vente forcée du bien. En effet, la publication de l’acte de vente a eu lieu le 7 août2001.

Il s’agit en l’espèce d’une inscription intercalaire qui fait écho au devoir de renseignement du notaire, surles qualités de l’immeuble. En la matière, le contentieux se place le plus souvent sur le versement desfonds au vendeur, le bénéficiaire de l’hypothèque subissant un préjudice de ce fait. Un arrêt de lapremière chambre civile du 23 novembre 2004 (n°03-10233) a opéré un revirement. En l’espèce, ils’agissait d’une inscription intercalaire d’une hypothèque judiciaire provisoire. Le notaire l’ignorant,remet les fonds entre les mains du vendeur. Les créanciers bénéficiaires de l’hypothèque judiciaireconventionnelle assignent le notaire en responsabilité pour s’être dessaisi desdits fonds. La Cour decassation dans cet arrêt écarte, au visa de l’article 1382 du Code civil, toute responsabilité du notaire dèslors qu’il a levé un état hypothécaire, même hors formalité. Cette solution a été confirmée par un arrêtdu 7 janvier 2014 de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. Il convient de souligner que les services de lapublicité foncière ont dématérialisé les inscriptions pour les actes de vente et les demandes derenseignements. Le service Téléactes doit permettre aux notaires de connaitre au plus vite les éventuellesinscriptions intercalaires. L’on tend vers plus de sécurité juridique.

En l’espèce, le notaire et son assureur ont été condamnés à indemniser l’acquéreur des conséquencesdommageables de la perte de l’immeuble. Ces derniers se prévalant du bénéfice de la subrogation légalede l’article 1251 3° du Code civil ont exercé l’action en garantie d’éviction contre le vendeur. Cettedisposition énonce « La subrogation a lieu de plein droit : (…) 3° Au profit de celui qui, étant tenu avecd’autres ou pour d’autres au payement de la dette, avait intérêt à l’acquitter ».

Par un arrêt du 30 janvier 2014, la Cour d’appel de Lyon rejette le recours subrogatoire en retenant que lenotaire et l’assureur n’ont pas assumé la garantie d’éviction du vendeur en indemnisant l’acquéreur car laseule condamnation envers un tiers n’emporte pas de restriction à la disposition de ses droits surl’immeuble. Elle ajoute que le trouble juridique relatif au bien n’est né qu’après la vente du fait del’inscription de l’hypothèque par le créancier. En outre, la cour déclare que l’assureur ne peut êtresubrogé que dans les droits de son assuré, et non pas dans ceux de l’acquéreur qui n’est pas créancier duvendeur.

La question en l’espèce portait sur le point de la détermination de la date de naissance du trouble dedroit résultant de l’inscription intercalaire de l’hypothèque judicaire, à savoir la date du jugement la

32

prononçant ou la date de son inscription. En outre, un assureur peut-il être subrogé dans les droits del’acquéreur, ou seulement dans ceux de son assuré ?

Au visa des articles 1626 et 2123 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 23 mars2006 relative au droit des sûretés, la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle que lagarantie d’éviction du fait du tiers est due si l’acheteur a subi un trouble de droit, qui existait au momentde la vente mais qui n’a pas été déclaré par l’acheteur, qui en conséquence l’ignorait. Or, la constitutionde l’hypothèque judiciaire prévue à l’article 2123 du Code civil sur les biens du débiteur ne résulte pas del’inscription, comme l’a jugé la cour d’appel, mais du jugement de condamnation qui lui a donnénaissance. Dès lors, le trouble de droit existait bel et bien au moment de la conclusion de l’acte de vente.

Par ailleurs, au visa de l’article 1251 3° du Code civil, la Cour de cassation rappelle que le débiteur quis’acquitte d’une dette qui lui est personnelle peut prétendre bénéficier du mécanisme de la subrogationsi par son paiement il a libéré leur créancier commun, celui sur qui pèse la charge définitive de la dette.La cour d’appel a en conséquence violé l’article précité.

Par ces motifs, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon le 30 janvier2014.

L’article 1626 du Code civil dispose : « Quoique lors de la vente il n'ait été fait aucune stipulation sur lagarantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité oupartie de l'objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente ». Ainsi,l’éviction ne peut être constituée que si le trouble existait au jour de la vente. La Cour de cassationdéclare par cet arrêt que le trouble de droit en cas d’inscription intercalaire d’une hypothèque judiciairenait au jour du jugement de condamnation, et non pas au jour de son inscription, ce qui permet enconséquence au notaire d’être subrogé dans les droits de l’acquéreur. Dès lors, le notaire condamné enraison de l’éviction du vendeur peut être subrogé dans les droits de l’acquéreur. En outre, l’assureur peutêtre subrogé non seulement dans les droits du notaire, mais également dans ceux de l’acquéreur enapplication stricte du 3° de l’article 1251 du Code civil. En effet, l’assureur était nécessairement tenu avecle notaire puisqu’il s’est engagé à le couvrir pour les risques découlant de sa responsabilité. L’assureuravait effectivement intérêt à acquitter cette dette : cela constitue donc une application littérale de ladisposition susvisée in fine.

2) Les causes multiples d’exonération de la responsabilité notariale

Première chambre civile de la Cour de cassation du 1er juillet 2015 (n°14-16.555)

Il ressort de la solution de cet arrêt que le délai de prescription d’une action en responsabilité ne courtqu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, or, cetterévélation a eu lieu au jour de la signature de l’acte chez le notaire.33

L’EURL Bonnet Investissement a été créée par Monsieur B et la SCI Tuc des Palombes, elle-mêmeconstituée en 1996 par Monsieur B et son épouse. La société Crédit Lyonnais a accordé entre 1995 et1997 différents prêts et autorisations de découvert à l’EURL Bonnet Investissement. En garantie desdifférents engagements, des hypothèques de premier et second rang ont été pris sur la maison ducouple. Le notaire a rédigé les actes allant de 1996 à 1998. Cette maison a été par la suite vendue àl’amiable le 9 juin 1998 et une partie du prix a été versée à la banque par la SCP C et L, notaires. Le 29janvier 2001, la banque a mis fin à ses concours. En janvier 2003, l’EURL a été placée en liquidationjudiciaire.

En juin 2011, Monsieur B a assigné la banque et le notaire sur le fondement des articles 1147 et 1382 duCode civil, estimant que l’attitude de la banque avait causé ses difficultés financières par une ruptureabusive du crédit en exigeant le remboursement de tous les prêts et que ce comportement avait pourorigine la carence de l’étude notariale dans la prise de ses garanties. Le 27 février 2014 la Cour d’appel dePau rend un arrêt par lequel elle déclare irrecevables ses actions envers la banque et le notaire carprescrites. Monsieur B forme alors un pourvoi en cassation.

En matière d’hypothèque, la jurisprudence a étendu la responsabilité du notaire. En effet, le notaire al’obligation de se renseigner et de conseiller le client. Sur le devoir de conseil, plus qu’une simpleobligation d’information, il impose au rédacteur d’acte une certaine diligence. La doctrine majoritaireprésente ce devoir de conseil comme une information de nature orientée vers l’accomplissement d’unacte afin d’alerter les cocontractants sur les conséquences de l’acte, en raison principalement de sanature dangereuse. Par ailleurs, son devoir de renseignement en matière d’hypothèque porte tant sur laqualité des parties, que sur l’immeuble en lui-même.

En l’espèce la question est donc relative au délai de prescription ; quel est le point de départ du délai deprescription dans le cas d’un préjudice résultant de la réalisation d’une hypothèque ?

Le 1er juillet 2015, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi. Par cet arrêt la courrappelle que la prescription d’une action en responsabilité ne court qu’à compter de la réalisation dudommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime. Concernant la banque, l’action est enconséquence prescrite ; en effet le point de départ du délai de prescription a débuté au jour de lasignature de l’acte dans lequel il était précisé que la maison serait affectée à titre d’hypothèque.Monsieur qui était présent à l’acte ne peut prétendre ignorer au jour de l’acte que l’hypothèque portaitsur sa maison et non pas sur son local commercial. De plus, l’arrêt retient que Monsieur a paraphéchacune des pages et signé l’acte, ce qui constitue la preuve de sa compréhension et de son accord àl’opération.

34

L’article 2224 du Code civil énonce « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans àcompter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant del'exercer ». La détermination du moment de la révélation du dommage est donc essentielle en matière dedélai de prescription, qui depuis la loi du 17 juin 2008 est de cinq ans. Ce point de départ est qualifié de« flottant » par les auteurs et la pratique. Il convient de déduire de l’arrêt d’espèce que la Cour decassation considère que le dommage résultant d’un défaut de conseil du notaire en raison d’unehypothèque inscrite sur un logement, au lieu d’un local commercial, a été révélé à la victime au jour de lasignature de l’acte.

Il est à noter cependant que l’article 2234 du Code civil énonce : « La prescription ne court pas ou estsuspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi,de la convention ou de la force majeure ». Le délai de prescription ne correspondra peut être donc pas àune durée de cinq ans à compter de l’acte authentique, avec tout de même une limite portée à l’article2232 du Code civil qui est de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. D’autres causes desuspension de la prescription et de report du point de départ figurent également dans la même sectiondu Code civil tels que la médiation ou la conciliation (article 2238 du Code civil).

Première chambre civile de la Cour de cassation du 10 septembre 2015 (n°14-20.215)

Les magistrats viennent ici rappeler que la responsabilité du notaire ne peut être engagée, si son conseiln’aurait pas permis de convaincre la partie de réaliser l’acte, lorsque celle-ci poursuit un but précis. Lacour souligne également la qualité des parties, qui permet d’apprécier l’éventuelle part de responsabilitédu notaire dans le préjudice.

Par acte authentique reçu le 12 juin 2001 par Maître B, la société FELICITY Investissement a consenti à lasociété STECMI une promesse unilatérale de vente, portant sur le troisième étage d’un immeuble encours de réaménagement qui stipulait une indemnité d’immobilisation égale au prix de vente. La clausedu projet établi par le notaire prévoyait que cette indemnité serait consignée sur un compte séquestre del’étude a été modifiée par mentions manuscrites le jour de la signature de l’acte, les parties convenantd’un paiement immédiat de la somme sur un compte ouvert au nom de la société promettante. Leremboursement devait être garanti par un cautionnement solidaire. L’acte de cautionnementauthentique a été reçu le même jour, par le même notaire. La promesse unilatérale de vente a étéprorogée, aux mêmes conditions, à la suite de quoi les parties ont conclu, en dehors de l’intervention dunotaire, une convention emportant novation des obligations nées de l’acte. Le promettant s’engageait encontrepartie de la renonciation au bénéfice de la promesse de vente à payer à la société STECMOdiverses sommes, en sus de l’indemnité d’immobilisation. La société FELICITY a par la suite été placée enredressement judiciaire, procédure qui a été étendue à sa gérante, Mme X, caution solidaire duremboursement de l’indemnité d’immobilisation.

35

M. Y, gérant de la société STECMI assigne alors le notaire en dommages et intérêts, car n’ayant purecouvrer sa créance primée par celle d’un créancier hypothécaire, reproche à celui-ci d’avoir fait prendreau bénéficiaire de la promesse unilatérale un risque anormal en acceptant de verser immédiatement uneindemnité d’immobilisation égale au prix de vente sans aucune garantie réelle.

Suite à une procédure inconnue, le 6 février 2013 la première chambre civile de la Cour de cassationcasse et annule l’arrêt précédent et renvoie devant la Cour d’appel de Limoges.

Le 16 avril 2014 la Cour d’appel de Limoges rend un arrêt par lequel elle rejette les prétentions du gérant,aux motifs que Monsieur Y, à la veille de la signature de l’acte notarié, avait précisé par lettre qu’ilentendait consentir à la gérante de la société FELICITY, une avance garantie par le cautionnementsolidaire des époux X tout en permettant à sa société de bénéficier d’une promesse unilatérale de venteà un prix égal. Elle considère que le gérant de la société STECMI, homme d’affaires avisé, pouvait aussilégalement en tirer les avantages fiscaux en tant que personne physique. Monsieur Y, gérant, forme unpourvoi en cassation.

En l’espèce, la question était de savoir si le notaire a l’obligation d’avertir le client sur les risquesparticuliers engendrés par la modification d’un acte qui n’a pas lieu en son étude. A-t-il l’obligation des’assurer de la sécurité financière de son client ; par-là, doit-il s’assurer de ce que la sûreté pourra êtreréalisée ?

Le 10 septembre 2015 la première chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi de MonsieurY, considérant que même si Monsieur Y avait été informé par le notaire sur les risques particuliersqu’engendraient les modifications apportées au projet d’acte initial, il n’aurait pas renoncé à la remiseimmédiate des fonds qui pouvait lui permettre d’atteindre ses objectifs de dégrèvements fiscaux. Lenotaire n’est donc pas responsable des conséquences dommages de l’insolvabilité, ultérieurement avéréedu promettant et de ses cautions solidaires. Cette solution est cohérente avec la jurisprudenceantérieure. En effet la Cour de cassation a déjà pu juger que le notaire n’est pas garant de la solvabilitédes parties (1ère chambre civile de la Cour de cassation du 18 février 2005). A fortiori, lorsque l’acte n’apas été réalisé par ses soins. Il est tout de même à noter qu’en cas d’insolvabilité avérée dont le notaireaurait pu avoir connaissance, ce dernier peut être tenu de la restitution contractuelle (3 ème chambre civilede la Cour de cassation du 21 mai 2014).

Par ailleurs, la Cour de cassation souligne en l’espèce que le gérant, qui est un homme d’affaire avisé,avait les capacités de comprendre les conséquences fiscales des actes qu’il passait. Même si le notairel’avait averti, il n’aurait pas renoncé à la remise immédiate des fonds qui lui permettaient d’atteindre les

36

objectifs de dégrèvements fiscaux qui étaient les siens. Ici, la cour se base sur la qualité du client pourévaluer la part de responsabilité du notaire.

La loi Macron du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (Loi n°2015-990) est venue supprimer la possibilité pour les notaires d'avoir recours aux clercs habilités. En effetl'article 53 de la loi Macron précise que l'article 10 de la loi du 25 ventôse an XI contenant organisationdu notariat, qui prévoyait la possibilité d'habiliter des clercs pour certains actes, est tout simplementabrogé. Leur habilitation sera caduque dans les 12 mois suivant la promulgation de la loi.

L'habilitation des clercs avait pour conséquence que le notaire, qui était chargé de la surveillance desactes du clerc habilité, pouvait davantage voir sa responsabilité engagée pour son fait personnel maisaussi pour fait d'autrui, étant donné que le clerc habilité avait plus de pouvoir qu'un simple clerc.

En effet le clerc habilité était légalement investi de pouvoirs importants, mais agissait au nom et pour lecompte du notaire. On appliquait donc ici la responsabilité du fait du préposé. Cette responsabilité dunotaire était écarté seulement lorsque le clerc habilitait agissait en dehors de ses fonctions de préposé.La charge de la preuve de ce fait incombe toutefois au notaire, sauf lorsque le clerc a "indubitablement"commis un abus de fonction.

Toutefois la suppression des clercs habilités n'a pas de grave conséquence sur la responsabilité du notairequi sera toujours tenu du fait de ses préposés habituels.

37

ANNEXES

LOI n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, habilitant le gouvernement à modifier par voie d’ordonnance « la structure et le contenu du livre III du code civil ».

La réforme du droit des obligations tant attendue devrait impacter le notaire, ce derniersituant l’exercice de sa profession au cœur du droit des contrats. Toutefois on peut constater unimpact relativement limité, en effet la réforme a pour conséquences principales de retranscrireles apports des diverses jurisprudences. Ainsi dans son article 1129, le devoir de conseil estmentionné et reprend comme acquis jurisprudentiel un engagement extra contractuel.

De la même manière l’article 1167 est un rapprochement à faire avec l’arrêt dit« Chronopost », en ce sens qu’une clause ne peut créer un déséquilibre du contrat, une clausene peut avoir pour effet de priver de sa substance le contenu du contrat.

De la même manière l’article 1169 prévoit une police des clauses abusives, et cela aura pourconséquences directes sur le notaire, lorsque celui-ci rédigera sa clause ‘d’information’ ou dereconnaissance de conseils donnés une attention particulière lors de sa rédaction. Afinnotamment d’éviter de tomber dans les travers de la jurisprudence Chronopost et de la policedes clauses abusives, cela enclenchant alors une responsabilité du notaire.

LOI n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité deschances économiques (et la construction)

La loi du 06 Août 2015 publiée au journal officiel le 7 août modifie par son article 95 les articles L.241-1 et L. 243-2 du code des assurances. Désormais et ceci étant d’application immédiate, le notaire esttenu de signaler dans le corps de l’acte de transfert de propriété ou de jouissance de l’existence ou del’absence d’assurance responsabilité civile décennale, si l’acte intervient avant les 10 ans de réception del’ouvrage. Attestation d’assurance étant désormais annexée à l’acte. Un modèle d’attestation comprenantdes mentions minimales devant être déterminée par arrêté ministériel.

A la lecture de ce texte le notaire qui mentionnait l’attestation dommage ouvrage antérieurement àla réforme, doit désormais seulement fournir l’attestation de responsabilité civile. La sécurité apportéeaux acquéreurs par les polices dommages ouvrages et par l’attestation de responsabilité civile visée n’est

38

pas la même en ce sens que même si elles ont un objet identique leurs modalités de mise en œuvre sontdifférentes.

Enfin ce texte d’application immédiate dès l’entrée en vigueur de l’arrêté définissant le modèle typed’attestation à fournir avec les devis et facture, posera tout même des difficultés notamment lorsque leconstructeur aura disparu pour des opérations qui datent de 8 à 9 ans par exemple.

LOI n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité deschances économiques (et le fonds de commerce)

L’article 107 de la loi dite « Macron » a modifié plusieurs dispositions ayant trait à la vente du fondsde commerce. En effet il est désormais dispensé au notaire, lorsque la cession du fonds s’effectue paracte authentique d’enregistrer l’acte uniquement par rapport à certaines formalités. Ainsi ne s’agissantpas d’une exonération définitive l’article 635 4 ° CGI énonce que l’enregistrement doit avoir lieu dans ledélai d’un mois. Alors qu’auparavant, l’enregistrement de l’acte de cession de fonds de commerce avantla publication au BODDAC était obligatoire, qu’il soit établi sous seing privé ou sous forme authentique.Désormais, cette inscription n’est plus nécessaire quand la cession est réalisée devant notaire, elle lereste pour les actes sous seing privés. De la même manière cette loi n’oblige plus l’acquéreur de publier lacession dans un JAL (journal d’annonce légale), sachant que la publication au BODACC (bulletin officieldes annonces civiles et commerciales) reste obligatoire. Enfin le vendeur du fonds dispose désormaisd’un délai de 30 jours pour inscrire son privilège et non plus de 15 jours.

Ordonnance n° 2015-1075 du 27 août 2015 relative à la simplification desmodalités d'information des acquéreurs prévues aux articles L. 721-2 et L.721-3 du code de la construction et de l'habitation

L’ordonnance du 27 août 2015 prise en application de la loi ALUR fixe la liste des documents etinformations qui doivent être remis au moment de la promesse de vente. Ordonnance permettantdésormais la simplification des modalités d’informations des acquéreurs en cas de vente d’un lot encopropriété, demandée ardemment par les professionnels, les informations à fournir visée à l’article L.721-2 du Code de la Construction et de l’Habitation. Désormais la transmission dématérialisée estpermise dès lors que l’acquéreur accepte.

Concernant les informations financières celles-ci se voient dorénavant allégées voir simplifiées, ils’agit des sommes restant dues par le copropriétaire vendeur au syndicat de copropriété. Lorsquel’acquéreur est un des copropriétaires il n’est plus obligatoire de lui fournir les documents qu’il possède

39

déjà tel que le règlement de copropriété ou l’état descriptif de division. Et enfin lorsque la vente porte surun lot annexe seules les informations financière de la copropriété et le règlement de copropriété doiventêtre fourni à l’acquéreur.

Décret n° 2015-1395 du 2 novembre 2015 portant diverses dispositionsd'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de successionstransfrontalières

Art. 1381-2 « (…) Le notaire est tenu d'assurer la conservation du certificat successoral européen qu'il adélivré ».

Art. 1381-3. « -En cas de refus de délivrer un certificat successoral européen, le notaire informe ledemandeur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ». « En cas de retrait du certificat successoral européen, de suspension de ses effets ou de refus de procéderà sa rectification, sa modification, son retrait ou à la suspension de ses effets dans les conditions prévuesaux articles 71 et 73 du règlement n° 650/2012 du Parlement et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à lacompétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation etl'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoraleuropéen, le notaire informe, dans les mêmes conditions, les personnes qui se sont vues délivrer unecopie certifiée conforme du certificat initial »« Le notaire informe les intéressés des motifs de sa décision et indique les voies de recours ».

Ici aussi dans un but de sécurité et d’information juridique le notaire doit respecter diverses obligationsinstituées par le règlement successoral européen, ceci engageant alors également sa responsabilité encas de non-respect.

40

Travail réalisé par Marine BANUS, Estelle BONHOMME, Flora BOURGUE et Ingrid CALMET

LES ACTES COURANTS

« Posons d’abord comme premier principe que la plus mauvaise des transactions rédigéemême par un notaire ignorant est meilleure que le meilleur des procès », Les métamorphoses,Honoré de Balzac.

Le notaire est un gage de sécurité puisque son intervention en amont de la chainejuridique permet, lors d’un travail minutieux, de diminuer les contentieux relatifs à la mauvaiserédaction d’un acte.

Certains de ces actes font partie des actes ordinaires que le notaire a l’habitude de traiter,la fréquence de ceux-ci permettant de leur donner la qualification « d’actes courants ». Cesderniers sont ainsi des actes du quotidien conclus par des particuliers dans leur vie de tous lesjours tels que par exemple les ventes immobilières, les prêts, les actes de mainlevées, les cessionsde fonds de commerce, les actes d’urbanisme, les baux, et bien d’autres.

41

Les actes courants font donc l’objet de beaucoup de contentieux et de décisionslégislatives du fait de leur caractère dangereux pour le particulier profane.

L’afflux jurisprudentiel et législatif depuis avril 2015 nécessite une mise en lumière surles différents domaines relatifs aux actes courants. En effet, de cette actualité juridique découle àla fois une meilleure protection jurisprudentielle des acquéreurs pour une plus grande efficacitédes actes (I), une précision casuistique mais bienvenue sur les différents baux (II), ainsi qu’uneactualisation attendue sur des domaines spécifiques permise par des ordonnances et une loi qui afait grand bruit, la loi MACRON (III).

I. UNE PROTECTION JURISPRUDENTIELLE ACCRUE DES ACQUEREURSPOUR UNE EFFICACITE DES ACTES JURIDIQUES

Cette protection de l’acquéreur développée par la jurisprudence se manifeste au sein dudomaine de la vente immobilière simple (A), ainsi que dans le domaine plus spécifique de lavente en l’état futur d’achèvement (B), mais également au sein de la copropriété à travers lesdispositions spécifiques de la loi CARREZ (C).

A) Une affirmation au sein du domaine de la vente immobilière

Chambre mixte de la Cour de cassation, le 8 juillet 2015 – n°13-26686 P+B+R+I

Par cet arrêt, la Cour de Cassation décide de clarifier la responsabilité desdiagnostiqueurs immobiliers, chargés notamment de procéder aux états parasitaires, en prônant« une plus grande sécurité des transactions immobilières », mais surtout dans « une volonté deprotection accrue des acquéreurs ».

Cette solution, certes d’une grande ampleur, notamment par sa réunion en Chambre mixte,n’est pas nouvelle (déjà affirmée par un arrêt de la troisième Chambre civile en date du 21 mai2014) et s’inscrit davantage dans l’intention récente de la jurisprudence d’accentuer la protectiondes acquéreurs dans le but notamment de relancer le marché immobilier. Néanmoins, comme ledémontre cet arrêt, la contrepartie de cette « protection » est de sanctionner les professionnels, etnotamment ici la société chargée de procéder aux diagnostics qui sont obligatoires en matière devente d’un bien immobilier. Par la même occasion, la Cour de Cassation décide de décharger levendeur d’une quelconque responsabilité, ce qui semble toujours être une directive de relance dumarché immobilier. Dans cette optique, il semble qu’en redonnant confiance aux vendeurs etacquéreurs, ils seront plus enclins à procéder à la vente immobilière.

En l’espèce, M. et Mme X ont acquis un bien immobilier à usage d’habitation. Avant deprocéder à cette vente, la société Hérault Diagnostic Immobilier (HDI) leur a communiqué lesétats parasitaires qui avaient été établis, qui ne relevaient pas d’activité des termites et d’autresinsectes xylophages. Cependant, après leur achat, lors de travaux, les acquéreurs ont constaté quel’état d’infestation de termites était avancé. Ils ont alors décidé d’assigner la Société Verdier etassociés, agence immobilière et la société MMA, assureur de responsabilité de la société HDI,société qui avait procédé aux diagnostics. Après un jugement de première instance, la Courd’appel de Montpellier a condamné la société HDI, et son assureur, la société MMA, par un arrêtdu 26 septembre 2013 à payer diverses sommes aux époux, en réparation de leurs préjudicesmatériels et de jouissance. Par la suite, ladite société MMA a formé un pourvoi en cassation,

42

considérant que les conséquences du manquement à un devoir d’information et de conseil, de lapart du diagnostiqueur en l’espèce, ne pouvaient s’analyser qu’en une perte de chance, dès lorsque la décision qu’aurait pris les créanciers de l’obligation de l’information, ici les acquéreurs, etles avantages qu’ils auraient pu obtenir, s’ils avaient été mieux informés, n‘étaient pas établis demanière certaine. La société MMA considérait alors que la Cour d’appel avait violé l’article 1382du Code civil, car selon elle, même si les acquéreurs avaient connu l’ampleur des dégâts causéspar l’infestation des insectes xylophages, et qu’ils auraient pu négocié la vente en tenant comptedu coût des travaux de réparation desdits dégâts, de tels motifs n’étaient pas de nature à établirque même s’ils avaient été mieux informés, ils auraient pu obtenir du vendeur une diminution duprix équivalente au coût de ces travaux.

Par la suite, par un arrêt du 18 février 2015, la troisième Chambre civile de la Cour deCassation a renvoyé le pourvoi devant une Chambre mixte. Par cette décision du 8 juillet 2015, laCour de Cassation réunie en Chambre mixte a rejeté le pourvoi de la société demanderesse, lacondamnant à réparer les préjudices subis par les acquéreurs.

Ainsi, la Haute juridiction a dû se demander si un état parasitaire, établi par undiagnostiqueur, spécifiant « sans activité » dans l’acte définitif de vente permettait à l’acquéreurd’obtenir une réparation intégrale des travaux issus des dégâts causés par ces insectespostérieurement à la vente.

Par cet arrêt d’une Chambre mixte en date du 8 juillet 2015, la Cour de Cassation a rejetéle pourvoi de la société demanderesse, en énonçant « qu’il résulte de l’article 271-4 du Code dela construction et de l’habitation que le dossier de diagnostic technique annexé à la promesse devente ou à l’acte authentique de vente d’un immeuble garantit l’acquéreur contre le risquementionné au 3° du deuxième alinéa du I de ce texte et que la responsabilité du diagnostiqueurse trouve engagée lorsque le diagnostic n’a pas été réalisé conformément aux normes édictées etaux règles de l’art, et qu’il se révèle erroné ». Elle poursuit sa décision en énonçant « qu’ayantrelevé que les investigations insuffisantes de la société HDI n’avaient pas permis que lesacquéreurs soient informés de l’état véritable d’infestation parasitaire de l’immeuble et retenuque ceux-ci avaient été contraints de réaliser des travaux pour y remédier, la Cour d’appel adéduit exactement de ces seuls motifs que les préjudices matériels et de jouissance subis par M.et Mme X du fait de ce diagnostic erroné avaient un caractère certain et que la société MMA,assureur de la société HD, leur devait sa garantie ». Ainsi, pour la Cour de Cassation, cet étatparasitaire étant de nature à garantir l’acquéreur contre la présence de termites, le diagnostiqueurvoit sa responsabilité engagée dès lors que le diagnostic n’a pas été réalisé dans les normesédictées et conformément aux règles de l’art, et qu’il se trouve erroné, en raison d’investigationsinsuffisantes. C’est pourquoi, la société assureur du diagnostiqueur se doit d’indemniser lesacquéreurs pour l’intégralité du coût des travaux de réparation des dommages causés par lestermites, leurs préjudices matériels et de jouissance relevant d’un caractère certain, et neconstituant pas une simple perte de chance de contracter à un moindre coût, voire même de ne pascontracter.

Cette décision des juges du Quai de l’Horloge énoncée par une Chambre mixte a étépubliée au bulletin, d’où l’importance de préciser son apport. En effet, une divergence opposait lapremière et deuxième Chambre civile qui préféraient davantage condamner sur le fondement dela perte de chance2, tandis que la troisième Chambre civile préconisait une réparation intégralesur la base du caractère certain du préjudice3. Cette discordance des juges a amené la Cour deCassation à se réunir en Chambre mixte afin d’unifier sa position.

2 Cass Civ 1ère 25 février 2010 ; Cass Civ 1ère 9 décembre 20103 Cass Civ 3ème 26 septembre 200143

La Cour de Cassation n’a pas énoncé cette décision par hasard puisque le diagnosticconcernant la présence de termites est d’une importance capitale en matière de vente immobilière.Effectivement, cet état parasitaire est un document qui donne des informations sur la présence ounon de termites, visant à informer l’acquéreur sur le bien qu’il envisage d’acheter. Or, il semblelogique que la présence avancée de termites soit de nature à décourager l’acquéreur d’acheter.Également, il convient de rappeler que l’état des termites doit nécessairement être daté de moinsde six mois lors de la signature de l’avant contrat et de même lors de la signature de l’acteauthentique, d’où son importance. La Cour le rappelle d’ailleurs dans sa décision puisqu’elleprécise que ce dossier de diagnostic est « annexé à la promesse de vente ou à l’acte authentiquede vente » et qu’à défaut de ce document, le vendeur ne peut pas s’exonérer de la garantie desvices cachés correspondante. Si ce diagnostic est absent et que par la suite l’acquéreur découvrela présence de termites, il peut même saisir le tribunal pour diminution du prix de vente, voiremême l’annulation de la vente. Cependant, en l’espèce, les acquéreurs étaient informés d’uneprésence de termites, mais pas de son ampleur, puisqu’avant la vente, ils avaient eucommunication des états parasitaires par la société HDI. Cette présence du diagnostic lors de lavente justifie la décision de la Cour à l’égard du vendeur, car celui ci n’a pas manqué à son devoirde présenter un état parasitaire du bien faisant l’objet de la vente.

Néanmoins, le souci relevé par la Haute juridiction est que, certes l’état parasitaire étaitannexé à l’acte définitif de vente, mais il était spécifié un état des termites sans activité, laissantplaner le doute sur la responsabilité du diagnostiqueur. Les acquéreurs n’avaient donc pasconnaissance au moment de la vente de l’ampleur des dégâts causés par ces insectes. Cependant,postérieurement à la vente, une activité des termites s’est révélée, entrainant des travaux deréparation des dégâts causés aux frais des acquéreurs. La présence des insectes n’avait donc étéque partiellement détectée par le diagnostiqueur, et il semble qu’il y ait eu des investigationsinsuffisantes. Or, il faut savoir que le notaire n’a aucune obligation d’aller vérifier sur le terrain laréelle présence d’activité des termites. Il doit simplement attirer l’attention des acheteurs surl’état parasitaire lors de la signature du contrat de vente, leur signaler la présence ou l’absenced’insectes, et leur ampleur qui se doit d’être spécifiée dans le document. Seul le diagnostiqueurdispose de cette mission de vérifier la réalité du terrain, et c’est pourquoi la Cour a décidé d’unetelle condamnation. Selon elle, le diagnostic n’a pas été réalisé conformément aux normesédictées et aux règles de l’art, se révélant erroné. Il semble également que la Cour souhaiterappeler que certes l’initiative de faire ce diagnostic, obligatoire pour une vente immobilièrerevient au vendeur, mais que si celui-ci se révèle erroné, cela n’est pas de la responsabilité duvendeur, mais bien celle du diagnostiqueur, et encore moins celle du notaire. La solution sembled’autant plus justifiée que le bien immobilier acquis était à usage d’habitation, et que la présencede termites peut nécessairement rendre le logement inhabitable ou engagé, comme en l’espèce,des travaux d’un certain coût. De plus, il faut rappeler que le maire ou le préfet est totalementapte à ordonner au vendeur de faire réaliser des travaux d’éradication si la présence de termitesest détectée et qu’elle présente un danger pour les occupants. De surcroît, les acquéreurs étaienten droit d’obtenir l’indemnisation des travaux causés par les termites, car en l’espèce lemanquement au devoir d’information et de conseil du diagnostiqueur ne pouvait s’analyser qu’enune simple perte de chance de contracter à des conditions moindres (notamment par la prise encharge des travaux) voire d’annuler la vente, mais un réel préjudice matériel et de jouissance.

Cette décision jurisprudentielle s’inscrit alors dans la continuité de la volonté dulégislateur qui n’est ni plus ni moins que de « sécuriser les transactions immobilières » afin derelancer le marché immobilier, et de redonner confiance aux acquéreurs. De plus, elle al’avantage d’unifier une fois pour toute sa position concernant la responsabilité dudiagnostiqueur. Certes, la Haute juridiction est sévère à l’égard du diagnostiqueur professionnel,

44

qui n’a commis qu’une « simple erreur », mais cette décision reste tout de même opportune auregard de l’actualité législative. En effet, c’est la Cour a alors elle même qui a précisé par uncommuniqué que cette position « s’inscrit dans le sens du renforcement de la sécurité destransactions immobilières et de la protection des acquéreurs voulu par le législateur », d’où sapublication au bulletin.

CONSEIL PRATIQUE

Dans la mesure où les diagnostics sont obligatoires tant en matière d’avant contrat que pour l’acteauthentique de vente, le notaire se doit d’attirer l’attention de ses clients sur lesdits diagnostics afin deleur éviter ultérieurement toute surprise. Il doit procéder à une lecture attentive, car il est de sondevoir d’information de signaler la présence de termites ou autres insectes xylophages, ainsi que leurampleur, qui doit être signalée dans l’état parasitaire. Néanmoins, par cet arrêt, la Haute juridictiontient à soulager les notaires, qui ne peuvent voir leur responsabilité engagée pour un diagnostic erronédu fait de son auteur, quand bien même ils représenteraient le vendeur qui est à l’initiative de cediagnostic.

Troisième Chambre civile de la Cour de cassation, le 8 octobre 2015 n°14-16071FS-P+B

Par cet arrêt, la Cour de cassation admet qu'un syndicat de copropriétaires puisseacquérir par prescription acquisitive la propriété d'un lot et donc d'une partie privative.

En l'espèce, M. X était propriétaire d'un immeuble qu'il a divisé puis vendu par lots. Suiteà son décès, ses héritiers Madame Monique Y et Mme X ont vendu par acte en date du 19septembre 2007 un lot de copropriété correspondant à un garage à M. Z déjà propriétaire d'autreslots. Or, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis 3 cours Anatole France se prévalant del'acquisition du lot par prescription, a assigné M. Z ainsi que Mmes Y et X en inopposabilité de lavente et restitution du lot. Après une décision de première instance, la Cour d'appel de Reimsdans un arrêt en date du 4 février 2014 n'a pas fait droit à la demande du syndicat decopropriétaires relevant notamment que l'article 26 de la loi du 10 juillet 1965 interdit à quelquemajorité que ce soit d'imposer à un copropriétaire une modification de la destination de sesparties privatives. Le syndicat de copropriétaires a alors formé un pourvoi en cassation afind'obtenir l'inopposabilité de la vente et la restitution du lot sur le fondement de l'article 2272 ducode civil. La troisième Chambre civile dans un arrêt en date du 8 octobre 2015 fait droit à lademande du syndicat, et casse et annule dans toutes ses dispositions l'arrêt d'appel.

Les juges du Quai de l'Horloge devaient ici se demander si un syndicat de copropriétairespeut acquérir par prescription la propriété d'un lot de copropriété.

La Cour de cassation a répondu par l'affirmative indiquant que « Vu l'article 2272 du codecivil. Qu'en statuant ainsi, alors qu'aucune disposition ne s'oppose à ce qu'un syndicat decopropriétaires acquière par prescription la propriété d'un lot, la cour d'appel a violé le textesusvisé».

45

Cet arrêt est novateur car c'est la première fois que la Cour de cassation est amenée à seprononcer sur l'usucapion d'un syndicat de copropriétaires sur un lot et donc une partie privative.En revanche, de jurisprudence constante, il n'y a pas de difficulté à reconnaître qu'uncopropriétaire puisse par prescription acquisitive acquérir un droit de jouissance privative sur unepartie commune. Dans les faits d'espèce, le lot en question était une buanderie qui était utiliséepar les copropriétaires comme garage à vélo depuis plusieurs décennies. La Cour admet doncqu'un syndicat de copropriétaires puisse valablement acquérir un lot de copropriété parprescription acquisitive.

La Cour fait ainsi prévaloir l'usucapion sur les arguments retenus par la Cour d'appel. En effet,celle-ci estimait que l'article 26 de la loi du 10 juillet 1965 qui interdit à quelque majorité que cesoit d'imposer à un copropriétaire une modification de la destination de ses parties privativess'oppose au jeu de la prescription acquisitive par le syndicat d'un lot de copropriété. Un des autres arguments était d'évoquer le principe de spécialité qui s'impose au syndicat. Eneffet, celui-ci est limité dans ses prérogatives et son action à son objet qui est la conservation del'immeuble et l'administration des parties communes. Or, il convient de rappeler que la possessiona un effet rétroactif et la propriété remonte donc au jour où la possession a débuté, dès lors lesyndicat est déjà propriétaire lorsqu'il agit pour obtenir la nullité de la vente. Cela semble doncparfaitement entrer dans ses attributs, il défend un droit lui appartenant déjà.

Il convient de préciser que l'usucapion par le syndicat de copropriétaires ne va pas changer la naturejuridique du local en question. En effet, ce local était une partie privative de l'un des copropriétaires etdemeure partie privative après l'usucapion, seul son propriétaire change mais il ne devient pas partiecommune. De même, lorsqu'un copropriétaire acquiert par prescription acquisitive un droit de jouissanceprivative sur une partie commune, cela n’entraîne pas une modification de nature juridique puisque lapartie en question reste commune et ne devient pas partie privative du copropriétaire. Ainsi, lajurisprudence reconnaît que la prescription acquisitive a vocation à jouer au sein de la copropriété maissans pour autant que cela entraîne un changement de nature juridique de la partie. Les magistrats nereconnaissent donc pas de prescription acquisitive entraînant une modification de la nature juridique dela partie prescrite.

Cette solution amène déjà la doctrine à s'interroger sur l'animus nécessaire à l'usucapion. En effet,l'usucapion n'est pas exercée ici par un individu mais une entité, le syndicat de copropriétaires.Or, durant ces trente années de possession, comment est-il possible de caractériser l'animus duSyndicat ? C'est à dire l’intention du syndicat durant sa possession de se comporter enpropriétaire exclusif de la chose. En effet, l'animus ici n'a pu être exercé que par une partieseulement de l'entité puisqu'au moins un des membres du syndicat, le « propriétaire » du lot, n'apu avoir la même volonté. Dès lors, faut-il identifier un seuil de copropriétaires exerçant l'animuspour admettre la prescription acquisitive du syndicat ? La majorité suffit-elle ? La Cour laisse ensuspens cette interrogation.

Malgré ces questions pratiques, cet arrêt permet de rappeler que la copropriété est avanttout une propriété, dès lors bien que régie par la loi du 10 juillet 1965 les règles de droit commundu Code civil ont également vocation à s'appliquer au sein de la copropriété. Ainsi, l'article 2272du Code civil siège de la prescription acquisitive ne saurait s'arrêter aux frontières de lacopropriété.

CONSEIL PRATIQUE

46

Au regard de cette solution, il conviendra pour les notaires d'être vigilants lorsqu'ils établiront l'originede propriété d'un lot de copropriété. En effet, le syndicat de copropriétaires a pu par prescriptionacquisitive acquérir un lot appartenait auparavant à l'un des copropriétaires. Il sera également prudentde rappeler aux clients les règles de la prescription acquisitive qui ont donc parfaitement vocation àjouer au sein d'une copropriété.

Décision du Conseil d’État, 27 juillet 2015, n° 374646

Le titulaire d’un droit de préemption dispose d’un délai de deux mois à compter de laréception de la déclaration préalable pour exercer ce droit. S’il a renoncé à ce droit (pardécision explicite ou par l’expiration du délai), il ne peut plus par la suite retirer sa décision. Letitulaire de ce droit peut cependant demander au propriétaire des précisions complémentaires encas de déclaration incomplète et verra alors son délai prorogé de deux mois. Il peut égalementsaisir le juge judiciaire d’une action en nullité de la cession s’il considère que la déclarationpréalable sur la base de laquelle il a pris sa décision était entachée de lacunes substantielles.

En l’espèce, les sociétés LB Prestations et Flash Back ont conclu une promesse de cessionde droit au bail par un acte sous seing privé en date du 29 avril 2010 concernant des locaux inclusdans un périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité, à l’intérieur duquella commune de Gennevilliers disposait d’un droit de préemption des fonds artisanaux, fonds decommerce et baux commerciaux. Le 4 mai 2010, la commune a reçu de la société Flash Back unedéclaration préalable et y a répondu, le 20 mai 2010, par une décision prise sous la forme d’unemention portée sur le formulaire de déclaration préalable, renonçant expressément à exercer sondroit de préemption sur cette cession. De plus, le premier juin, la commune a adressé à la sociétéune lettre jointe à la décision de renonciation du 20 mai matérialisée par une mention portée sousla signature du premier adjoint au maire sur le formulaire CERFA de déclaration de cession d‘unbail commercial, non signé par un agent communal et envoyé par courrier simple et nonrecommandé. Le 2 juillet 2010, la commune a notifié exercer son droit de préemption sur lacession du droit au bail.

Les sociétés LB Prestations et Flash Back ont saisi le Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise afin d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 2 juillet 2010 par laquelle le mairede la Commune de Gennevilliers avait décidé d’exercer le droit de préemption urbain.Le tribunal a rejeté leur demande par un jugement du 9 mars 2012.Les sociétés ont alors interjeté appel. Par un arrêt du 17 octobre 2013, la Cour d’Appel deVersailles a annulé ce jugement ainsi que la décision de préemption du 2 juillet.La commune de Gennevilliers a alors formé un pourvoi aux motifs notamment que la mention del’activité que le cessionnaire envisageait d’exercer n’étant pas mentionnée, la commune avait étéinduite en erreur sur la consistance de la cession envisagée ; que de plus la lettre de renonciationdu premier juin 2010 n’était pas conforme puisqu’elle n'avait pas été signée par un agentcommunal disposant d'une délégation régulière et avait été adressée par courrier simple et non parlettre recommandée.

Dès lors, une commune ayant renoncé à son droit de préemption peut-elle par la suiteretirer cette renonciation afin de pouvoir exercer ce droit ?

47

Le Conseil d’Etat a rendu une réponse négative dans son jugement du 27 juillet 2015 auvisa des articles L. 214-1, R. 214-5 et A. 214-1 du Code de l’urbanisme. En effet, il rejette lepourvoi formé aux motifs que le formulaire de déclaration rempli faisant clairement apparaîtreque l'aliénation prévue portait sur un droit au bail, la commune n'avait pas été induite en erreursur la consistance de la cession envisagée ; que la commune avait expressément renoncé à exercerson droit de préemption sur la cession et qu’elle ne pouvait, par la suite, retirer cette décision ouexercer son droit de préemption. De plus, les juges précisent que la commune ne pouvaitutilement se prévaloir que sa lettre du premier juin 2010 n'avait pas été signée par un agentcommunal disposant d'une délégation régulière et avait été adressée par courrier simple.

Selon le droit administratif commun, lorsque l’administration commet une erreur, ellepeut retirer rétroactivement sa décision, ceci afin de combiner la légalité administrative et lasécurité juridique. Le retrait est cependant encadré : il doit intervenir dans un délai de quatre moiset la décision retirée doit être illégale.C’est ainsi que le Conseil d’Etat, dans l’arrêt Ternon du 26 octobre 2001, énonçait que : « sousréserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait àune demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une décision individuelle explicitecréatrice de droits, si elle est illégale, que dans le délai de quatre mois suivant la prise de cettedécision ». La Cour d’Appel Administrative de Lyon, dans un arrêt du 27 mai 2008, avait ainsianalysé une décision de préempter comme un acte créateur de droit et lui avait appliqué le régimedu retrait des actes administratifs. Cependant, le particularisme du droit de l’urbanisme et du droitde préemption nécessite de déroger au droit commun. L’article L. 214-1 du Code de l’urbanismedispose que le délai d’exercice du droit de préemption est de deux mois. De plus, un arrêt duConseil d’Etat en date du 12 novembre 2009 nommé Société Comilux contre Commune deCréteil juge qu’il n’y a pas de retrait possible en cas de renonciation à préempter : le maire quiexplicitement ou tacitement a renoncé à exercer le droit de préemption est dessaisi et ne peut paspar la suite retirer sa décision, ni par voie de conséquence préempter le bien.

Cet arrêt du 27 juillet 2015 réaffirme que le titulaire du droit de préemption dispose pour exercerce droit d'un délai de deux mois qui court à compter de la réception de la déclaration préalable.Mais surtout, il rappelle que lorsque ce titulaire a décidé de renoncer à exercer le droit depréemption, que ce soit par l'effet de l'expiration du délai de deux mois ou par une décisionexplicite prise avant l'expiration de ce délai, il se trouve dessaisi et ne peut, par la suite, retirercette décision ni, par voie de conséquence, légalement exercer son droit de préemption. Ainsi,lorsque l’administration a renoncé explicitement à son droit, elle ne bénéficie pas du délai restantpour changer d’avis, et ne peut revenir sur sa décision.

Cependant, le Conseil d’Etat ne se contente pas de rappeler que le titulaire du droit de préemptionne peut retirer sa renonciation de préempter. Il énonce également en premier lieu que dans l'hypothèse d'une déclaration incomplète, letitulaire du droit de préemption peut adresser au propriétaire une demande de précisionscomplémentaires qui proroge alors le délai de deux mois. Cependant, si cette demande deprorogation est utilisée et que l’administration renonce, elle ne pourra pas non plus retirer par lasuite sa renonciation.Enfin, en second lieu, il précise que si la cession est intervenue et que le titulaire du droit estimeque la déclaration préalable sur la base de laquelle il a pris sa décision est entachée de lacunessubstantielles de nature à entraîner la nullité de la cession, il lui est loisible de saisir le jugejudiciaire d'une action à cette fin.

48

Ainsi, cet arrêt permet à la fois de rappeler et de créer de nouveaux principes. Cependant, leprincipe fondamental de l’arrêt reste l’impossibilité de retirer la renonciation de préempter.

Cette solution permet une sécurité juridique de la cession ainsi qu’un régime particulièrementprotecteur tant des intérêts du propriétaire que de l'acquéreur éventuellement évincé. En effet,cela permet aux propriétaires qui ont décidé de vendre un bien susceptible de faire l'objet d'unedécision de préemption et aux acquéreurs qui souhaitent acquérir le bien de savoir de façoncertaine et dans de brefs délais s'ils peuvent ou non poursuivre l'aliénation envisagée.

Cet arrêt suscite cependant de vastes débats : la décision a fait l’objet de critiques en ce qu’ellen’est pas fondée légalement puisqu’aucun texte (et notamment ceux visés, à savoir les articles L.214-1, R. 214-1 et R. 214-5 du Code de l’urbanisme) ne dispose que la renonciation du droit depréemption ne peut être retirée. En l’espèce, la commune de Gennevilliers a donc bien respectéles règles légales. De plus, et c’est le cas en l’espèce, des illégalités formelles dans la décision derenonciation à préempter ont été reconnues, et ce notamment en raison de la qualité du signatairede cette décision (qui avait été signée par une personne incompétente) ou encore de l’envoi de ladécision en lettre simple et non recommandée. Cependant, malgré ces illégalités formelles, cettedécision reste définitive. Enfin, il serait à craindre que pour se garder d’une éventuelle erreur oupour conserver la possibilité de se prononcer pendant plus longtemps, les titulaires du droit depréemption tendent à ne plus exprimer expressément leur renonciation mais à simplementattendre que le délai soit dépassé, ce qui viendrait contredire l’objectif du Conseil d’Etatd’informer le propriétaire et l’acquéreur sur leur sort le plus rapidement possible.Cependant, il reste difficile de ne pas être satisfait de cette décision globalement bienvenue. Eneffet, lorsque le délai de deux mois est dépassé, la solution est totalement logique et conformejuridiquement aux textes du code de l’urbanisme puisqu’un retrait effectué après les deux moisreviendrait à dépasser le délai légal. De plus, lorsque l’administration a renoncé mais souhaiterevenir sur sa décision, tout en restant dans le délai de deux mois, la situation semble égalementsatisfaisante car la solution contraire reviendrait à laisser le propriétaire et l’acquéreur dans unesituation excessivement longue avant de seulement savoir s’ils pourront mener à bien leur projet.Or, ce temps est parfois très précieux pour eux.

Enfin il est à noter que cette solution a le mérite d'unifier le régime du retrait, sansdistinguer selon que la renonciation soit explicite ou implicite. Cet arrêt est donc à la foisbienvenu et logique.

CONSEIL PRATIQUE

Le rappel de cette solution permet donc de prévenir les futurs contentieux et principalement derappeler aux notaires, dans les cas où leurs clients vendent ou acquièrent un bien susceptible d’êtresoumis à une éventuelle préemption, qu’il ne faudra pas prendre en compte le changement d’avis del’administration après une renonciation de préempter.

Première Chambre civile de la Cour de cassation, 10 Septembre 2015 n° 14 – 13. 237

49

Dans cet arrêt, la Haute juridiction allège les obligations de formalités pour les notaires lors del’envoi de la copie exécutoire. En effet, c’est un cas d’espèce qui effectue un revirement de jurisprudencepermettant au notaire de ne pas annexer les procurations à la copie exécutoire, cela n’entachant pas laformule exécutoire de cet acte.

Dans un premier temps, il convient d’effectuer un rappel sommaire des faits de l’espèce.Monsieur Y, notaire associé, a rédigé le 20 juin 2006 un acte notarié prévoyant une saisie attribution auprofit de la Caisse générale de financement (la Cagefi) à l’encontre de Monsieur et de Madame X. Cesderniers assignent la Caisse générale de financement ainsi que le notaire en raison d’un manquement auxformalités nécessaires qui rendent la copie exécutoire. En effet, les procurations n’étant pas annexées, lacopie ne pouvait revêtir la formule exécutoire. La Cour d’appel de Colmar rend un arrêt le 27 janvier 2014donnant droit aux époux X au motif que l’acte contenait un défaut de forme enlevant le caractèreexécutoire. La Caisse générale de financement forme alors un pourvoi en cassation en arguant que sil’acte notarié devait comporter les procurations en annexe, ces exigences ne visaient pas la copieexécutoire que délivre le notaire.

La Première Chambre civile de la Cour de cassation le 10 Septembre 2015 casse et annule lesdispositions de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Colmar et renvoie les parties devant la Cour d’appelde Nancy. En effet, en combinaison des articles 21 (annexion à l’acte notarié) et 34 (formalisme descopies) du décret du 26 novembre 1971 relatif aux actes établis par notaire, il ressort que si l’acte notariédoit comporter les procurations en annexes, ces exigences ne visent pas la copie exécutoire que délivre lenotaire.

Ainsi, le notaire étant un scribe retranscrivant la volonté des parties, une forte responsabilitépèse sur lui. La Cour de cassation aménage sa jurisprudence permettant une meilleure sécurité juridiqueafin d’éviter l’annulation de l’acte.

CONSEIL PRATIQUE

Par cet arrêt, le notaire peut retenir qu’il n’est pas nécessaire d’annexer les procurations à la copieexécutoire. La Cour de cassation allège ainsi les formalités et les documents nécessaires pour rendre lacopie exécutoire, ce qui permet une plus grande rapidité dans la procédure parfois longue.

B) Dans le domaine de la vente en l’état futur d’achèvement

Troisième Chambre civile de la Cour de cassation, 3 Juin 2015 n° 14 – 15796

Cet arrêt publié au Bulletin pose une solution de principe tant attendue depuis la réforme du 17Juin 2008 concernant les délais de l’action pour défauts de conformité apparents dans le cadre d’unevente en l’état futur d’achèvement. Ainsi, une réponse au questionnement qui a suivi la réforme de la

50

prescription du 17 Juin 2008 est apportée sur l’effet du référé expertise sur la suspension ou non de laprescription du délai de mise en œuvre de l’action. Les juges rappellent également un principefondamental du droit retranscrit dans l’adage « specialia generalibus derogant » ce qui fait de cettegarantie prévue par l’article 1642 – 1 du Code civil une garantie spécifique excluant le Droit commun.

Dans un premier temps, il convient d’effectuer un rappel sommaire des faits de l’espèce.Madame X acquiert auprès d’une société civile immobilière (SCI) nommée Y un appartement enl’état futur d’achèvement. La livraison a été effectuée le 17 décembre 2007 et Madame X aformulé ce jour des réserves par le biais d’un procès verbal. Le 6 décembre 2008, Madame X,acquéreur, assigne la SCI Y en référé expertise. Le 7 avril 2009 une ordonnance a été émisedésignant un expert.

Il est nécessaire de rappeler ici que la législation antérieure à la loi du 17 juin 2008prévoyait que l’action en référé-expertise interrompait le délai jusqu’à l’extinction de l’instance,c’est-à-dire jusqu’à la désignation d’un expert et qu’un nouveau délai d’un an recommençait àcourir à partir de là en vertu de l’article 1648 alinéa 2. Ainsi, dans le cas de la garantie prévue àl’article 1642-1 du Code civil, l’acquéreur ne pouvait se permettre d’attendre les résultats durapport de l’expert au risque de dépasser ce délai d’un an et de se retrouver forclos.

Madame X assigne ensuite sur le fond la SCI Y et la société Z en indemnisation le 10décembre 2010. Un jugement a été rendu en première instance, conduisant la partie déboutée àinterjeter appel. La Cour d’appel de Montpellier alors saisie rend un arrêt en date du 13 février2014 déboutant Madame X de ses demandes aux motifs tout d’abord que l’action engagée parcelle-ci à l’encontre de la SCI le 10 décembre 2010 était forclose pour avoir été engagée plusd’un an après le prononcé de l’ordonnance du 7 avril 2009 par le biais de laquelle le juge desréférés avait ordonné la réalisation d’une expertise. En effet, le délai d’un an avait commencé àcourir lors du prononcé de cette ordonnance. De plus, la Cour d’appel retient que Madame X nepeut intenter une action contre le vendeur sur le fondement de la responsabilité contractuelle dedroit commun prévue à l’article 2224 du Code civil car en présence de vices ou de défauts deconformité apparents, le fondement de la responsabilité doit se faire sur les articles 1642-1 et1648 du Code civil. Madame X forme alors un pourvoi en cassation aux doubles motifs suivants.En premier lieu, en application de l’article 2239 du Code civil et suite à la réforme issue de la loidu 17 juin 2008, le nouveau délai d’un an recommençait à courir à partir du jour de l’exécutionde la mesure, c’est-à-dire à partir du jour du rapport de l’expert, à savoir le 18 janvier 2010, cequi permettait une action jusqu’au 18 janvier 2011. En second lieu, l’invocation de laresponsabilité contractuelle de droit commun du vendeur d’immeuble à construire prévue àl’article 2224 du Code civil se prescrit par cinq ans à compter de la manifestation du dommage,ainsi les dispositions des articles 1642-1 et 1648 de ce code n’ont pas à être utilisées en l’espèce.

La Troisième Chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 3 juin 2015,rejette le pourvoi de Madame X.

Tout d’abord, la Cour de cassation considère que le référé-expertise ne suspend pas lesdélais de forclusion, l’article 2239 du Code civil ne leur étant pas applicable. Il est nécessaire depréciser que ledit article prévoit une simple suspension. En effet, il s’applique pour les délais deprescription et une fois qu’il recommence à courir, la prescription se poursuit. Ainsi, en l’espèce,il ne restait qu’un mois et demi pour assigner sur le fond pour éviter la forclusion à partir du 18janvier 2010. De plus, malgré la disposition protectrice de l’article 2239 du Code civil qui prévoitque le « délai de prescription recommençait à courir à compter du jour où la mesure a été

51

exécutée et pour une période qui ne peut être inférieure à six mois », le demandeur aurait pu agirjusqu’au 18 juillet 2010. Cette dernière était dans tous les cas forclos par application de l’article2239 de ce code. La combinaison avec l’article 2231 du Code civil aurait pu fonctionner, cedernier énonçant que « l’interruption efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir unnouveau délai de même durée que l’ancien ». Cependant, cela n’a pas été retenu par la Cour quifait par conséquent une application stricte de l’article 2239 et met ainsi fin à cette lacune issue dela réforme du 17 juin 2008.

De plus, la Cour fait une application exclusive de la garantie des vices et défauts deconformité prévue aux articles 1641-1 et 1648 du Code civil dans le cas d’un vendeurd’immeuble à construire. Ainsi, le fondement de l’article 2224 du Code civil sur la responsabilitécontractuelle de droit commun ne pouvait pas être invoqué du fait de la règle « spécialiageneralibus derogant ». Il est nécessaire de remarquer ici que la livraison ayant eu lieu le 17décembre 2007, la signature du contrat de vente d’immeuble à construire était antérieure à la loidu 25 mars 2009. Par conséquent, il aurait fallu écarter cette réforme et appliquer le régimeantérieur qui n’harmonisait pas les vices et défauts apparents. Cependant, l’article ayant uncaractère d’ordre public, il ne s’applique donc qu’aux contrats en cours.

CONSEIL PRATIQUE

Il conviendra pour le notaire d’informer très précisément l’acquéreur au regard du respect de sonobligation d’information sur le délai prévu à l’article 1648 du Code civil d’intenter une action enréparation des vices ou défauts apparents qui est limitée à un an plus un mois à compter de la livraison.

De plus, en présence d’un référé-expertise, l’article 2239 du Code civil ne s’appliquant pas, il fautconseiller aux acquéreurs d’agir sur le fond sans attendre le rapport d’expertise au risque d’être forclos.En effet, le délai est interrompu lors de l’assignation en référé-expertise jusqu’au jour du prononcé del’ordonnance désignant l’expert, puis par la suite, un nouveau délai d’un an reprend sur le fondementde l’article 2241 du Code civil.

VI. Une réaffirmation de l’interprétation des dispositions de la loi Carrez encopropriété

Troisième Chambre civile de la Cour de cassation, le 16 septembre 2015 n°14-20137FS-P+B

Par cet arrêt, la Cour de cassation vient une nouvelle fois rappeler que la superficied'une partie commune à jouissance privative ne doit pas être prise en compte dans le cadre dumesurage prévu par l'article 46 de la loi du 10 juillet 1965.

En l'espèce, Madame X a vendu à Monsieur Y un bien immobilier correspondant àplusieurs lots de copropriété. Par la suite, Monsieur Y faisant valoir que la superficie privativeréelle du bien était inférieure de plus du vingtième à celle figurant à l'acte de vente, a assignéMadame X en réduction du prix de la vente. Suite à un jugement de première instance ne faisantpas droit à sa demande, Monsieur Y a interjeté appel. La Cour d'appel de Versailles, dans un arrêten date du 15 mai 2014, a infirmé le jugement de première instance et fait droit à la demande deMonsieur Y estimant qu'une véranda édifiée sur une partie commune à jouissance privative ne

52

doit pas être prise en compte dans le calcul de la superficie des parties privatives prévu parl'article 46 de la loi du 10 juillet 1965. Le vendeur, Madame X, a alors formé un pourvoi encassation afin que la demande de l'acquéreur soit rejetée sur le fondement de l'article 46 de la loidu 10 juillet 1965 aux motifs que la différence constatée ne pouvait être imputée qu'à l'un des lotsexclus du champ d'application de ce texte ce qui prive de fondement l'action en réduction du prix.La troisième Chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 16 septembre 2015,rejette le pourvoi.

La Cour de cassation devait se demander si une véranda édifiée sur une partie commune àjouissance privative doit être prise en compte dans le mesurage imposé par l'article 46 de la loi du10 juillet 1965. De plus, en l'espèce, la différence de surface entre la superficie figurant dansl'acte et celle invoquée par l'acquéreur peut-elle être attribuée à un lot en particulier ?

La Haute juridiction a répondu par la négative estimant « qu'ayant retenu que la véranda,édifiée sur une partie commune à jouissance privative, avait été incluse à tort dans la surfaceprivative indiquée dans l'acte de vente et que le certificat de mesurage ne permettait pasd'attribuer à tel ou tel lot la différence de surface, supérieure à un vingtième, entre la superficievendue et la superficie mesurée de la partie privative, la cour d'appel en a exactement déduit quela demande en réduction du prix devait être accueillie ».

La Cour de cassation maintient et rappelle donc sa jurisprudence constante selon laquellela superficie d'une partie commune à jouissance privative ne doit pas être prise en compte dans lemesurage imposé par l'article 46 de la loi du 10 juillet 1965. Cet article issu de la loi du 18décembre 1996, dite loi Carrez, dispose que « toute promesse unilatérale de vente ou d'achat,tout contrat réalisant ou constatant la vente d'un lot ou d'une fraction de lot mentionne lasuperficie de la partie privative de ce lot ou de cette fraction de lot. La nullité de l'acte peut êtreinvoquée sur le fondement de l'absence de toute mention de superficie ». En cas d'inexactitude dela superficie privative mentionnée dans l'acte, le législateur distingue deux hypothèses. En effet,si la véritable superficie est inférieure de plus d'un vingtième à celle exprimée dans l'acte,l'acquéreur peut faire supporter au vendeur une diminution du prix proportionnelle à la moindremesure. A l'inverse, si la véritable superficie est supérieure à celle exprimée dans l’acte, levendeur n'a droit à aucun supplément de prix. Cette sanction à sens unique illustre bien la volontédu législateur de protéger l'acquéreur dans le cadre d'une vente d'un lot de copropriété. Certains éléments sont expressément exclus du champ de cet article, il s'agit des garages, caves,emplacements de stationnement et lots ou fractions de lots d'une superficie inférieure à 8m². Enrevanche, le texte n’évoque pas les parties communes à jouissance privative, il s'agit de partiescommunes dont la jouissance est réservée à un copropriétaire.

L'arrêt d'espèce s'inscrit dans la lignée de la jurisprudence antérieure en rappelant que ces partiescommunes à jouissance privative ne doivent pas être prises en compte dans le calcul de lasuperficie de la partie privative du lot au sens de la loi Carrez. La troisième Chambre civilel'indiquait déjà dans un arrêt du 16 janvier 2008 ou encore un arrêt du 8 octobre 2008. En outre,une réponse ministérielle publiée le 12 avril 2005 énonçait la même solution. Il convientd'indiquer que l'argument retenu dans chacune de ces références est toujours le même. En effet, ledroit de jouissance privative ne confère pas à son titulaire la propriété de la partie commune surlaquelle il est exercée, ce sont l'ensemble des copropriétaires qui restent propriétaires enindivision de cette partie commune. Dès lors, ce droit de jouissance privative ne peut être inclutdans la partie privative du lot de copropriété, la partie commune sur laquelle il est exercé ne peutdonc être prise en compte dans le calcul de la superficie de la partie privative du lot imposé parl'article 46 de la loi du 10 juillet 1965. Cette solution paraît juridiquement incontestable, le droit

53

de jouissance privative n'étant pas un droit de propriété, la partie commune sur laquelle il estexercé n'est pas une surface privative. Il convient d'ailleurs de constater que dans le cas d’espècele vendeur reconnaît qu'il est « constant et non contesté que la véranda édifiée sur une partiecommune à jouissance privative » n'a pas à être prise en compte dans le calcul de la superficie dela partie privative du lot de copropriété. Le demandeur ne conteste donc pas cette solutionconstante. En revanche, plusieurs lots ayant été vendus dont certains sont hors champ del'application de l'article 46 de la loi du 10 juillet 1965, le vendeur estime alors que la différenceentre la superficie réelle et la superficie mentionnée dans l'acte est imputable à l'un des lots exclusdu champ d'application du texte, ce qui prive de fondement l'acquéreur. La Cour rejette cetargument estimant que le certificat de numérotage ne permettait pas d'attribuer à tel ou tel lot ladifférence.

Cet arrêt n'est donc pas novateur sur la question mais permet d'illustrer la protection del'acquéreur d'un lot de copropriété en lui ouvrant une action en diminution du prix si la superficieréelle de sa surface privative est inférieure de plus d'un vingtième à celle mentionnée dans l'actede vente.

CONSEIL PRATIQUE

Le notaire devra dans le cadre de son devoir de conseil porter à la connaissance des clients l'énoncé del'article 46 de la loi du 10 juillet 1965. Il conviendra de conseiller au vendeur de faire appel à unprofessionnel pour effectuer le mesurage ou du moins pour le contrôler si le vendeur l'a réalisé lui-même.

Dans l'hypothèse où le vendeur effectuerait lui-même le mesurage, le notaire doit vérifier au moinssommairement si les dispositions légales ont été respectées et notamment indiquer au client que lasuperficie d'une partie commune sur laquelle est exercée un droit de jouissance privative ne doit pasêtre prise en compte.

I. LES DIFFICULTES SOULEVEES PAR UN ACTE COURANT COMPLEXE : LEBAIL

Le bail est un acte juridique soulevant de nombreuses difficultés accentuées par son caractèrecourant. En effet, la cotitularité des époux ou des partenaires pacsés (A), la validité du congé dans un baild'habitation (B), les différents contrats types et clauses obligatoires nécessaires pour leur validité (C),ainsi que les modalités imposées la notification d’un projet de vente d’un bien faisant l’objet d’un bailrural (D), entrainent un contentieux fourni nécessitant des développements précis.

A) Cotitularité du bail d’habitation entre époux

La cotitularité du bail entre époux engendre l'obligation à la contribution à la dettelocative des époux (1) qui ne prendra fin qu'au moment de la transcription du jugement dedivorce (2).

54

1) L'obligation à la contribution à la dette locative entre époux

Première Chambre civile de la Cour de cassation, le 17 juin 2015 - n°14-17906F-P+B

La cotitularité du bail entre époux a pour conséquence l'obligation à la contribution à ladette locative portant sur le domicile conjugal de sorte que la convention selon laquelle lebailleur décharge l'un des époux colocataires est susceptible de nuire à son épouse et lui estdonc inopposable.

En l'espèce, par acte en date du 13 novembre 2008, un bailleur donne en location unappartement à un couple marié. S'appliquent alors les règles issues de l'article 1751 du Code civilselon lesquelles les époux sont cotitulaires du bail d'habitation. En août 2009, l'époux quitte ledomicile conjugal. Une procédure de divorce est déclenchée et une ordonnance de non-conciliation est rendue le 16 mars 2010 attribuant la jouissance dudit domicile à l'épouse. Cettedernière ne règle pas les loyers. Sur présentation de l'ordonnance, l'agence immobilièremandataire du bailleur accepte la désolidarisation de l'époux du bail à compter du 1er mai 2010 etconstate le paiement du solde à cette date. Le bailleur assigne les époux en paiement solidaire desloyers et charges impayés, résiliation du bail et expulsion. Le premier juge constate ladésolidarisation de l'époux. L'épouse interjette appel du jugement au motif que son mari estsolidairement responsable de la dette locative. La Cour d'appel de Versailles la déboute. Elleforme alors un pourvoi en cassation.

La Haute juridiction a donc été amenée à se questionner sur le sort de la dette locativependant la procédure de divorce : la convention par laquelle le bailleur décharge un époux de sesobligations nées du bail portant sur le domicile conjugal suite à une ordonnance de non-conciliation est-elle susceptible de nuire à l'épouse de sorte qu'elle lui est inopposable ?

Au visa des articles 1165 et 220 du Code civil, la première Chambre civile de la Cour de cassation,le 17 juin 2015, casse et annule l'arrêt d'appel en déclarant inopposable la convention de désolidarisationde l'époux relative à ses obligations nées du bail portant sur le domicile conjugal. Cette solution estnovatrice dans la mesure où elle résout le conflit sur le fondement de l'obligation à la dette de l'article220 du Code civil et non sur celui de la contribution aux dettes ménagères de l'article 214 du mêmeCode. Le critère de l'obligation à la dette permet d'engager solidairement les époux cotitulaires du baildès lors que c'est une dette ménagère telle que le paiement des loyers, et cette obligation ne prendra finqu'après la transcription du jugement de divorce en application de l'article 262 du Code civil. En effet,alors même que le bailleur avait connaissance de l'ordonnance de non-conciliation, la solidarité subsiste.La désolidarisation du bail n'est pas engendrée par la procédure de divorce mais, par déduction, par latranscription du jugement de divorce. Cela sera confirmé peu de temps après par la troisième Chambrecivile le 22 octobre 2015.

CONSEIL PRATIQUE

55

Le notaire doit rester vigilant en matière de bail portant sur le domicile conjugal. Il peut exister unecréance résultant de la contribution à la dette locative d'un époux contre l'autre jusqu’à la transcriptiondu jugement de divorce.

Le moment de l'extinction de la cotitularité légale et conventionnelle du bail entrepersonnes mariées est confirmé quelques mois plus tard.

2) Extinction de la cotitularité légale et conventionnelle du bail entre époux

Troisième Chambre civile de la Cour de cassation, le 22 octobre 2015 - n°14-17906FS-P+B+R+I

La cotitularité tant légale que conventionnelle prend fin par la transcription du jugementde divorce sur l'état civil des ex époux.

En 1991, une SCI donne à bail un appartement à usage d'habitation à des époux. En 1997,le jugement de divorce a attribué le droit au bail à l'épouse et a été retranscrit sur les registres del'état civil en janvier 1998. Cette dernière est ensuite placée sous liquidation judiciaire et estdécédée le 11 septembre 2010. La SCI a assigné l'ex-mari et le mandataire à la liquidationjudiciaire de Madame, en paiement des loyers échus d'octobre 2010 au 20 mai 2011, date derestitution des clés au motif que l'époux non attributaire du bail était toujours dans les liens ducontrat de location. La demanderesse se fonde sur la cotitularité conventionnelle en avançant quel'ex-époux n'avait pas donné congé alors qu'il avait cosigné le bail. La Cour d'appel de Parisrejette la demande en paiement. La SCI forme un pourvoi en cassation.

La Haute juridiction a eu à se prononcer sur la cotitularité du bail : le divorce met-il fin àla cotitularité du bail sans que l'ex-époux n'ait à donner de congé ?

La troisième Chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi dans un arrêtlargement publié en affirmant que la transcription du jugement de divorce ayant attribué le droitau bail à l'un des époux met fin à la cotitularité tant légale que conventionnelle. Le bailleurmettait en avant la cotitularité conventionnelle en exigeant le paiement sur le fondement de laforce obligatoire des conventions de l'article 1134 du Code civil ainsi qu'en arguant de lasolidarité des débiteurs de l'article 1200 du même Code. La Haute juridiction ne lui fait pas droiten rappelant le caractère spécial du bail consenti aux époux. Cette position s'aligne strictementsur la récente loi n°2025-990 du 6 août 2015 modifiant l'article 8-1 de la loi du 6 juillet 1989.Effectivement, le législateur a voulu exclure expressément du régime de la colocation les bauxpassés par les époux ou les partenaires liés par un pacte civil de solidarité. Ces derniersbénéficient en effet d'une cotitularité légale et de règles de solidarité différentes.

La troisième Chambre civile de la Cour de cassation confirme la jurisprudence de lapremière Chambre civile en rappelant que la cotitularité prend fin au moment de la retranscriptiondu jugement de divorce. Même si cela n'avait encore jamais été affirmé explicitement, il n’y avaitplus de doutes sur le moment de cette extinction. En effet, il a été jugé que l’autorisationjudiciaire de résider séparément ne met pas fin à la solidarité (Civ 3ème, 16 décembre 1998), et ilimporte peu que le bailleur ou son mandataire ait été au courant de la procédure de divorce (Civ

56

3ème, 27 mai 1998) ou de l'ordonnance de non-conciliation (Civ 3ème, 2 février 2000). Le caractèrespécial du bail conclu par des époux est réaffirmé : le divorce met fin à la cotitularité légale maiségalement à celle conventionnelle. Mais qu'en est-il du pacte civil de solidarité (PACS) ? Lelégislateur a souhaité que les partenaires liés par un pacte civil de solidarité soient exclus durégime de la colocation afin de bénéficier de la cotitularité légale (loi n°2025-990 du 6 août2015). À quel moment cette cotitularité prendra t-elle fin ? L'arrêt ne répond pas à cette questiondans la mesure où il ne concerne que des époux. Toutefois, la dissolution du PACS est, au mêmetitre que le jugement de divorce, inscrite par l'officier d'état civil en marge de l'acte de naissancede chaque partenaire. Cela permet d'unifier le régime de la cotitularité des époux et despartenaires de PACS.

CONSEIL PRATIQUE

Lorsque des époux ou partenaires de PACS sont parties à un bail d'habitation, le notaire doit restervigilant au titre de son devoir de conseil en informant le bailleur que la cotitularité du bail prendra finlors de la transcription du jugement de divorce ou de la dissolution du PACS.

B) Validité du congé

Troisième Chambre civile de la Cour de cassation, le 8 octobre 2015 n°14-20666, FS-PB

Le congé donné dans le cadre d'un bail d'habitation est valide s'il comprend un prix renchéri parune commission alors même que les locataires ne sont pas passés par le biais d'une agence immobilière.En effet, l'intégration d'une telle commission n'a aucune incidence sur l'exercice du droit de préemption.

Les propriétaires d'un logement donné à bail d'habitation délivrent aux locataires un congé avecoffre de vente au prix de 190 000 euros frais d'agence inclus. Ces derniers acceptent initialement cetteoffre puis proposent d'acquérir le bien au prix de 140 000 euros. Les propriétaires refusent la propositionet, à l'issue du congé, les assignent en validation du congé et en expulsion. Les locataires refusent enarguant que l'absence de recours à un professionnel de l'immobilier entache de nullité le congé qui doitmentionner le prix de vente, ce dernier étant faussé par la commission présente dans l'offre de vente. LaCour d'appel d'Aix-en-Provence, le 28 novembre 2013, valide le congé et ordonne leur expulsion. Unpourvoi en cassation est formé.

Ainsi, la Haute juridiction a dû se questionner sur la validité du congé comprenant offre de ventealors que le prix comprend une commission relative à l'intervention d'un agent immobilier auquel leslocataires n'ont pas eu recours.

57

Le 8 octobre 2015 la troisième Chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi enaffirmant que « si le locataire, titulaire d'un droit de préemption, qui accepte l'offre de vente du bien qu'ilhabite ne peut se voir imposer le paiement d'une commission renchérissant le prix du bien, le prononcé dela nullité du congé suppose, en application de l'article 114 du code de procédure civile, la preuve d'ungrief, et souverainement retenu que l'intégration de la commission dans le prix demandé n'avait euaucune incidence sur l'exercice du droit de préemption par M. et Mme Z... qui n'avaient subi aucunpréjudice ». Autrement dit, le congé n'est pas nul lorsqu'une commission a été intégrée dans le prix devente alors même que les locataires-acquéreurs ne sont pas passés par l'intermédiaire d'une agenceimmobilière. La Cour de cassation rappelle toutefois l'interdiction de faire payer une commission dans lecadre d'un congé comprenant offre de vente. En outre, l'alinéa second de l'article 114 du Code deprocédure civile dispose qu'un acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme quelorsque l'irrégularité cause un grief à la partie qui l'invoque. Or, le congé contenant un prix majoré d'unecommission n'a aucune incidence sur l'exercice du droit de préemption des locataires du bail d'habitationet ne leur cause par conséquent aucun grief. Le congé est donc valide, bien que le locataire qui acceptel'offre de vente du bien qu'il habite ne peut se voir imposer le paiement d'une commission augmentant leprix du bien.

CONSEIL PRATIQUE

Par cet arrêt, le notaire peut retenir qu'un congé sera valide alors même que le prix comprend unecommission que les locataires n'ont pas à payer. En effet, cela n'emporte aucune incidence surl'exercice du droit de préemption, et donc l'absence de grief au sens de l'article 114 du Code deprocédure civile.

C) Clauses et contrats types insérés dans les baux

Comme à son habitude, la Cour de cassation tranche un énième conflit relatif à une claused'indexation incluse dans un bail commercial (1). Des décrets interviennent afin de préciser lesdifférentes clauses environnementales pouvant être incluses dans un bail rural (2) mais égalementles contrats types en matière de logement à usage de résidence principale (3).

1) Clause d'indexation incluse dans un bail commercial

Troisième Chambre civile de la Cour de cassation, le 20 mai 2015 – n°13-27.367FS-P+B+R+I

En présence d'une clause d'indexation conventionnelle, le loyer en vigueur est le résultatde l'application de cette clause. À défaut de modification des facteurs locaux de commercialitéayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, il n'y a pas lieude réviser le loyer en application de l'article L. 145-38 du Code de commerce qui écarte, par

58

dérogation à la règle posée à l'article L. 145-33 du même code, la référence de principe à lavaleur locative.

Un mois plus tard, la troisième Chambre civile de la Cour de cassation précise qu'une telleclause d'échelle mobile ne peut faire obstacle à la fixation du loyer du bail correspondant à lavaleur locative lorsqu'elle est inférieure au montant du loyer plafonné (Civ. 3ème, 23 juin 2015n°14-12411).

Une société prend à bail, à effet du 2 février 2006, des locaux commerciaux à usageexclusif de bureaux. Ledit acte prévoit l'évaluation du loyer par le biais d'une clause d'indexationsur la base de la variation de l'indice du coût de la construction, indice légal. En avril 2010, ellesollicite la révision du loyer qui s'élevait, après application de la clause d'échelle mobile, à lasomme annuelle de 3 815 439 euros. Elle propose que le nouveau loyer soit fixé à la valeurlocative annuelle des biens, soit 3 256 335 euros, puis saisit le juge des loyers commerciaux enfixation du loyer révisé à cette somme. La Cour d'appel de Paris, le 2 octobre 2013, rejette cettedemande. Un pourvoi en cassation est alors formé.

Le contentieux relatif aux clauses d'échelle mobile est fréquent. En l'espèce, la Hautejuridiction a eu à se prononcer sur l'application des articles L. 145-33 et L. 145-38 du Code decommerce : la clause d'indexation sur la base de la variation de l'indice du coût de la constructionfait-elle obstacle à la révision du loyer à défaut de modification des facteurs locaux decommercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative ?

La troisième Chambre civile de la Cour de cassation, le 20 mai 2015, rejette le pourvoi enconfirmant la volonté du législateur de la Loi MURCEF du 11 décembre 2001. Est donc écartée,par dérogation, la règle de l'article L. 145-33 du même code posant comme référence de principela valeur locative. En présence d'une clause d'indexation sur la variation de l'indice du coût de laconstruction, il sera impossible de réviser le loyer selon les conditions posées à l'article L. 145-33du Code de commerce qui n'est pas d'ordre public. Le juge ne pourra donc pas se fonder sur lescaractéristiques du local considéré, la destination des lieux, les obligations respectives des parties,les facteurs locaux de commercialité et les prix couramment pratiqués dans le voisinage. LaHaute juridiction rappelle toutefois l'exception posée par l'article L. 145-33 alinéa 3 du Code decommerce : si la preuve est rapportée que les facteurs locaux de commercialité ont entraîné unemodification matérielle de plus de 10 % de la valeur locative alors il sera possible de réviser leloyer selon l'indice de la valeur locative. Cela est réaffirmé postérieurement dans une affaire où lamodification des facteurs locaux de commercialité était notable (Civ. 3ème, 1 juillet 2015 n°14-13056).

Un mois plus tard, la troisième chambre civile de la Cour de cassation précise que lastipulation d'une clause d'indexation sur le coût de la construction ne peut toutefois faire obstacleà la fixation du loyer correspondant à la valeur locative lorsqu'elle est inférieure au montant duloyer plafonné (Civ. 3ème, 23 juin 2015 n°14-12411). En effet, le loyer du bail renouvelé encourt leplafonnement de l'article L. 145-34 du Code de commerce : si la variation du loyer excédant celleintervenue depuis la fixation initiale du bail ou des indices trimestriels visés audit article alors,peu importe la présence d'une clause d'échelle mobile, la valeur locative inférieure à ce plafondsera applicable. Cela permet une protection efficiente du preneur d'un bail commercial qui peutfaire valoir que la valeur locative est inférieure au prix-plafond et ainsi écarter l'application de laclause d'indexation conventionnelle qui lui est défavorable.

CONSEIL PRATIQUE

59

Lorsque le notaire est amené à rédiger un bail commercial il devra être vigilant au titre de son devoir deconseil. Il conviendra d'expliquer aux parties la conséquence d'une clause d'indexation conventionnelledu loyer à réviser par rapport à la révision selon la valeur locative de l'article L. 145-33 du Code decommerce en cas de révision triennale.

Toutefois, il sera nécessaire de mettre en garde les parties sur le fait que la clause d'échelle mobile nefera pas obstacle à la fixation du loyer du bail commercial sur le fondement de la valeur locative dèslors qu'elle est inférieure au montant du loyer plafonné de l'article L. 145-34 du Code de commerce. Ilserait opportun de faire signer une clause d’information donnée afin de protéger effectivement lenotaire.

2) Clauses environnementales incluses dans les baux ruraux

Décret n°2015-591 du 1er juin 2015 relatif aux clauses visant au respect des pratiquesenvironnementales pouvant être incluses dans les baux ruraux (JO 3 juin 2015, p 9136)

Ce décret complète l'article R.411-9-11-1 du Code rural et de la pêche maritime prévoyantla liste des clauses environnementales pouvant être incluses dans un bail rural. Pourrontdésormais être incluses les stipulations contractuelles relatives aux bandes tampons le long descours d’eau ou des forêts, les élevages biologiques et l’agroforesterie.

Le décret n°2015-591 du 1er juin 2015 relatif aux clauses visant au respect de pratiquesenvironnementales pouvant être incluses dans les baux ruraux concerne les propriétaires bailleursmais également les exploitants agricoles preneurs d’un bail rural. Ces derniers peuvent choisir deconclure un bail rural environnemental. Conformément à l’article L. 411-27 du Code rural et dela pêche maritime, les parties peuvent prévoir des clauses qui obligeront le preneur du bail àrespecter des pratiques ayant pour objectif la préservation de la ressource en eau, de labiodiversité, des paysages, de la qualité des produits, des sols et de l’air, mais aussi la préventiondes risques naturels et la lutte contre l’érosion.

Le décret n°2007-326 du 8 mars 2007 avait prévu une liste limitative de quinze clausesrelatives à ces pratiques culturales à caractère environnemental : le non-retournement des prairies,la gestion des surfaces en herbe, les modalités de récolte, l’ouverture d’un milieu embroussaillé,la mise en défens de parcelles ou de parties de parcelle, la limitation ou l’interdiction desfertilisants, la couverture végétale du sol, l’interdiction de l’irrigation ou du drainage, ladésertification de l’assolement, l’entretien des haies, bosquets et mares, les techniques de travaildu sol, et les cultures biologiques.

Le récent décret du 1er juin 2015 complète la liste de l'article R.411-9-11-1 du Code ruralet de la pêche maritime. Les bandes tampons le long des cours d’eau ou des forêts, les élevagesbiologiques et l’agroforesterie constituent désormais de nouvelles clauses environnementalespouvant être insérées dans les baux ruraux.

CONSEIL PRATIQUE

60

Le notaire rédacteur d'un bail rural pourra conseiller aux parties d'y insérer des clausesenvironnementales. Il devra être vigilant en n'incluant que des clauses portant sur des pratiquesculturales à caractère environnemental prévues par l'article R.411-9-11-1 du Code rural et de la pêchemaritime.

VII. Contrat type en matière de logement à usage de résidence principale

Décret n°2015-587 du 29 mai 2015 relatif aux contrats types de location de logement à usagede résidence principale

Le décret du 29 mai 2015 vient préciser la modification apportée par la loi pour l'accès aulogement et un urbanisme rénové du 24 mars 2014 à l'article premier de la loi du 6 juillet 1989tendant à améliorer les rapports locatifs. En effet, la loi ALUR a prévu le respect d'un contrat typepour l'élaboration des baux d'habitation dans le but d'une protection efficiente du locataire. Un anaprès, le décret vient définir les contrats types qui s'appliqueront aux contrats de location nonmeublée, de location meublée et de colocation à bail unique à compter du 1er août 2015.

La première annexe du décret prévoit un contrat type de location ou de colocation de logementnu. Il s'applique à toutes les locations soumises au titre Ier de la loi du 6 juillet 1989 à l'exceptionnotamment des logements faisant l'objet d'une convention APL (Art L. 351-2 Code de laconstruction et de l'habitation), aux logements conventionnés ANAH (Art L. 321-8 du mêmecode) et aux locations de logement appartenant aux organismes d'habitation à loyer modéré nefaisant pas l'objet d'une convention passée en application de l'article L. 351-2 susmentionné.

La seconde annexe du décret s'applique aux locations et colocations de logement meubléconstituant la résidence principale du preneur à l'exception des colocations formalisées par laconclusion de plusieurs contrats entre les locataires et le bailleur, des locations de logementappartenant à un organisme d'HLM et à celles faisant l'objet d'une convention APL.

Ces contrats types comprennent onze clauses dont la législation et la réglementation envigueur au jour de sa publication imposent déjà la mention par les parties dans le contrat :désignation des parties, objet du contrat, date de prise d'effet et durée du contrat, conditionsfinancières, travaux, garanties ou le cas échéant, clause de solidarité ou clause résolutoire,honoraires de location, autres conditions particulières et enfin les annexes. Des aménagementssont toutefois prévus pour les locations meublées ou les colocations afin de prendre en compteleurs particularités. En outre, les parties doivent s'assurer des dispositions applicables au jour dela conclusion du contrat. Est également précisé que les signataires sont soumis aux dispositions légales et réglementairesd'ordre public applicables aux baux d'habitation sans qu'il soit nécessaire de les faire figurer dansle contrat. De plus, les parties sont libres de prévoir d'autres clauses particulières, propres àchaque location, dans la mesure où celles-ci sont conformes aux dispositions législatives etréglementaires en vigueur. Elles peuvent également convenir de l'utilisation de tout autre supportpour établir leur contrat, dans le respect du présent contrat type. Il est donc possible de conclurelesdits contrats par acte électronique.

Un arrêté ministériel publié le même jour (Arrêté du 29 mai 2015, NOR : ETLL1511666A,JO 31 mai) prévoit qu'une notice d'information doit être jointe aux contrats de locations

61

susmentionnés. Elle rappelle les principaux droits et obligations des parties ainsi que certainesvoies de conciliation et les recours possibles pour régler les litiges.

VIII. Mentions obligatoires dans la notification du projet de vente d’un bienobjet d’un bail rural

Troisième Chambre civile de la Cour de cassation, le 24 juin 2015 n°14-18684FS-P+B

Par cet arrêt la Cour de cassation précise le contenu des éléments devant figurer dans lanotification d'un projet de vente adressée à un preneur à bail rural dans le cadre de son droit depréemption. En effet, elle juge que la mention d'un paiement comptant ne suffit à remplirl'exigence légale d’information sur les charges de la vente.

En l'espèce, les consorts X ont donné à bail aux consorts Z diverses parcelles de terre.Ledit bail rural à long terme fut signé le 19 avril 1994 pour une durée de 18 années, prenant effetle 1er avril 1994 pour se terminer le 31 mars 2012. Les consorts X ont par la suite été désireux devendre lesdites parcelles, le notaire chargé de la vente a alors notifié aux consorts Z l'intentiondes consorts X de vendre ces parcelles au prix de 240 000 euros payable comptant, les preneursont fait connaître leur décision d'exercer leur droit de préemption, mais n'ont pas signé l'acte devente, malgré sommation de ce faire, et ont sollicité l'annulation du compromis de vente signé le8 décembre 2010 entre les consorts X et un tiers, qu'ils estimaient conclu au mépris de leur droitde préemption. Les preneurs ont alors assigné les consorts X. Après un jugement de premièreinstance, la Cour d'appel de Grenoble, dans un arrêt rendu le 1er avril 2014, n'a pas fait droit à lademande de nullité du compromis formulée par les consorts Z. Selon les juges d'appel lanotification du projet de vente par le notaire aux preneurs répond aux exigences de l'article L412-8 alinéa 1er du Code rural et de la pêche maritime notamment concernant les charges de la ventedès lors que ladite notification prévoyait un prix payable comptant. Les consorts Z ont alorsformé un pourvoi en cassation afin d'obtenir la nullité du compromis de vente sur le fondementde l'article L412-8 alinéa 1er du Code rural et de la pêche maritime. Dans un arrêt en date du 24juin 2015, la troisième Chambre civile de la Cour de cassation fait droit à la demande desconsorts Z et casse et annule dans toutes ses dispositions l'arrêt d'appel.

La Haute juridiction devait ainsi se demander si, dans la notification à des preneurs à baild'un projet de vente dans le cadre de leur droit de préemption, la mention d'un prix payablecomptant sans précision du montant de la commission de l'intermédiaire suffisait à remplirl'exigence textuelle de l'article L412-8 alinéa 1er du Code rural et de la pêche maritime surl'information des charges de la vente à communiquer au preneur.

Dans cet arrêt du 24 juin 2015, la troisième Chambre civile a répondu par la négative enestimant que «Vu l'article L. 412-8 alinéa 1 du code rural et de la pêche maritime. Attenduqu'après avoir été informé par le propriétaire de son intention de vendre, le notaire chargéd'instrumenter doit faire connaître au preneur bénéficiaire du droit de préemption, par lettrerecommandée avec demande d'avis de réception ou par acte d'huissier de justice, le prix, lescharges, les conditions et les modalités de la vente projetée, ainsi que, dans l'hypothèse prévueau dernier alinéa du présent article, les nom et domicile de la personne qui se proposed'acquérir». Après avoir rappelé la législation en vigueur la Cour poursuit en affirmant qu'«Enstatuant ainsi, alors qu'une information loyale du preneur exige que le notaire mentionne dans lecourrier de notification les éléments d'information le mettant en mesure d'exercer utilement son

62

droit de préemption et notamment le montant de la commission de l'intermédiaire, la courd'appel a violé le texte susvisé».

Cet arrêt permet de souligner l'importance du rôle que joue le notaire dans le cadre de lanotification à un preneur à bail rural du projet de vente du bailleur dans le cadre du droit depréemption dudit preneur. Il convient au préalable de rappeler que l'article L412-8 alinéa 1er duCode rural et de la pêche maritime fait obligation au notaire chargé d'instrumenter la vente entreun bailleur et un tiers de notifier au preneur les conditions de la vente projetée. Cette informationpeut être faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte d'huissier dejustice. L'article L412-8 alinéa 1er du même code précise le contenu de cette notification. En effet,doivent être indiqués au preneur «le prix, les charges, les conditions et les modalités de la venteprojetée, ainsi que, dans l'hypothèse prévue au dernier alinéa du présent article, les nom etdomicile de la personne qui se propose d'acquérir». Le contentieux d'espèce portait donc sur lecontenu de cette notification, plus particulièrement sur la notion des charges de la vente. Lenotaire avait précisé que la vente aurait lieu moyennant le prix de 240.000 euros payablecomptant. Pour le demandeur l'expression « payable comptant » ne suffit pas à caractériser lescharges de la vente, en effet cela permet certes de savoir que les frais de l'acte seront à la chargede l'acquéreur mais le montant n'est pas précisé notamment celui de la commission del'intermédiaire. La Cour d'appel estimait quant à elle que la mention d'un prix payable comptantsuffisait à caractériser les charges de la vente, celles-ci sont ainsi à la charge de l'acquéreur et nondu vendeur contrairement à la vente dite acte en mains. Au nom d'une exigence loyale d'information, la Cour de cassation se range donc du côté dudemandeur et renforce ainsi l'exigence d'information à l'égard du preneur afin qu'il puisseparfaitement connaître les conditions de la vente projetée et décider en toute connaissance decause de préempter ou non. Cette solution permet de connaître ce que doit indiquer le notaire enpratique pour se conformer à l'exigence textuelle du code rural relative aux charges de la venteprojetée. Ainsi, la mention d'un prix payable comptant n'est pas suffisante et il convient dechiffrer ce montant notamment celui de la commission de l'intermédiaire. Si cette solutionrenforce la protection et l’information du preneur cela oblige le notaire à délivrer encore ettoujours plus d’informations ce qui est appréciable d'un côté mais qui d'un autre côté alourdit auquotidien la tâche du notaire compliquée.

Il faudra désormais suivre avec attention le futur arrêt de la Cour d'appel de Grenoble afinde voir si les juges d'appel se rangent dans le giron de la troisième Chambre civile.

CONSEIL PRATIQUE

Afin d'assurer la sécurité juridique de leurs actes, il convient pour les notaires d'indiquer de manièrechiffrée le montant des charges de la vente dans la notification du projet à un preneur en place,notamment le montant de la commission de l'intermédiaire. L'expression «prix payable comptant» nesuffit ainsi pas à déterminer les charges de la vente.

IX. UNE VIVE ACTUALISATION DES LOIS ET ORDONNANCES EN MATIERED’ACTES COURANTS

63

Selon le professeur Solange Becqué-Ickowicz, « s’il n’y avait pas eu de lois decomplexification, il n’y aurait pas besoin de lois de simplification ». En effet, le Gouvernement aprocédé à de multiples modifications concernant des sujets aussi importants que variés, que cesoit par l’adoption de la loi MACRON (A), de l’adoption d’ordonnances et d’une réponseministérielle (B).

A) La loi MACRON du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité etl’égalité des chances économiques

La loi MACRON n°2015-990 du 6 août 2015, publiée le 7 août 2015, pour la croissance,l’activité et l’égalité des chances économiques, a été présentée par le Ministre de l’Économie etdes Finances, Emmanuel MACRON, comme servant l’intérêt général. Cette considération n’a pasété sans effet à l’égard des praticiens du droit, surtout des notaires. En effet, cette loi a fait l’objetde nombreux rebondissements depuis sa discussion jusqu’à son adoption, considérée comme « untexte fourre-tout de 308 articles ».

Il convient d’indiquer que cette loi a été d’application immédiate, à savoir dès le 8 août2015. Elle est dès lors applicable, et c’est pourquoi il était nécessaire de faire un point sur lesapports de cette loi, que ce soit en matière générale de vente immobilière (A), mais aussi dans ledomaine de l’urbanisme (B) qui a subi de nombreuses modifications.

1) En matière de vente immobilière

Les professionnels du droit, et surtout les notaires, ont alors parlé « de coup de chaleursur la réglementation immobilière ». En effet, comme l’a énoncé Frédérique Cohet4, Maître deconférences, cette loi MACRON n’a pas « épargné la vente immobilière », apportant desmodifications tant au niveau du délai de rétractation (a), que sur la délivrance du congé (b) etégalement sur la durée du préavis (c).

a) Le rallongement du délai de rétractation

Avant à la loi MACRON, la loi HAMON du 17 mars 2014 n°214344 avait posé une distinction entreles contrats conclus dans un établissement et les contrats conclus à distance ou hors établissement,concernant un professionnel et un consommateur. Cependant, le délai de rétractation de quatorze joursinstauré par cette loi HAMON est subordonné à deux conditions cumulatives, d’une part un contratconclu à distance ou hors établissement, et d’autre part un contrat conclu entre un consommateur et unprofessionnel. De fait, en étaient nécessairement exclus les contrats rédigés par un officier public, tel quele notaire, mais étaient concernés les contrats immobiliers sous seing privé, tels que les contrats deconstruction d’immeubles et leurs éventuels avant-contrats, les baux conférant au preneur un droit réel,les promesses synallagmatiques constituant le contrat préparatoire à une vente d’immeuble à rénover.Cette distinction, peu claire, constituait une source de difficultés, entrainant des discussions sur la ventede biens immobiliers, puisque certaines étaient donc soumises à un délai de rétractation de quatorzejours (si les conditions précédemment énoncées étaient remplies) et d’autres ventes disposaient d’un

4 « La loi Macron et les transactions immobilières » de Frédérique Cohet, Maître de conférences, AJDI 2015 p. 66764

délai de rétractation de sept jours (pour un acquéreur non professionnel d’un bien immobilier, pour uncontrat conclu dans un établissement).

L’article L. 121-16-1 du Code de la consommation a été modifié par cette loi MACRON etdésormais les contrats immobiliers, qui faisaient partie du champ d’application des contratsconclus à distance et hors établissement, ne le sont plus. Ainsi, ils ne sont plus soumis au délai derétractation de quatorze jours. Néanmoins, il convient de rappeler que le délai de rétractation dontbénéficie un acquéreur non professionnel d’un immeuble à usage exclusif d’habitation pour lescontrats conclus en établissement était un délai de sept jours, délai dit « SRU » (loi relative à lasolidarité et renouvellement urbain) posé par l’article L. 271-1 du Code de la construction et del’habitation. Ce délai de sept jours courait à compter du lendemain de la première présentation dela lettre lui notifiant l’acte. Ainsi, en contrepartie de l’exclusion des contrats immobiliers duchamp d’application de l’article L. 121-16-1 du Code de la consommation, la loi MACRON aporté le délai de rétractation à dix jours au lieu de sept jours. C’est une véritable corrélation desdeux dispositions.

Ainsi, cette modification corrélative a permis de simplifier le sort des contratsimmobiliers, puisqu’ils ne figurent plus dans le champ d’application des contrats conclus horsétablissement ou à distance. Néanmoins, cet allongement du délai de rétractation peut êtreembarrassant pour les professionnels, et ce notamment pour les notaires. En effet, ce délai allongélaisse évidemment davantage de temps pour réfléchir aux acquéreurs, mais en parallèle il portel’inconvénient de laisser planer un doute plus long sur la conclusion future de l’acte pour lenotaire. C’est pourquoi ce rallongement n’a pas été très bien accueilli par les notaires et ceci peutse comprendre. En effet, le délai de sept jours était déjà assez long pour pouvoir prendreconnaissance du dossier et conscience du futur achat par les acquéreurs. Il convient alors desouligner qu’il semble que cette modification du délai continue de s’inscrire dans une volontélégislative de protéger les acquéreurs non professionnels, afin de leur redonner confiance en lareprise de l’immobilier. En revanche, il convient d’indiquer que les notaires et autres praticiensavaient demandé au législateur suite à la promulgation de la loi HAMON d’introduire davantagede cohérence dans ces dispositions qui étaient sources de difficultés.

Cependant, une interrogation est à soulever car ce délai allongé de dix jours ne concerne pas toutle monde. En effet, il y a un régime spécifique pour une promesse unilatérale de vente d’un lot delotissement soumis à permis d’aménager, puisqu’en vertu de l’article L. 442-8 du Code del’urbanisme, le délai de rétractation reste de sept jours. Cette différence de traitement constitueranécessairement selon les praticiens du droit une source de confusion dans l’application desrégimes, et il serait préférable de parvenir à un alignement des deux régimes.

Ces dispositions sont entrées en vigueur immédiatement, c’est pourquoi les notaires et lesprofessionnels de l’immobilier doivent dès à présent faire attention à ce nouveau délai qui leur estimposable lorsqu’ils procèdent à la purge de la « SRU ». Ainsi, ce délai de dix jours s’applique àtous les contrats conclus à compter du 8 août 2015. En revanche, pour les contrats conclusantérieurement à cette date, quand bien même ce délai de rétractation n’aurait pas commencé àcourir, demeure le délai de sept jours. Surtout, les notaires doivent faire preuve de vigilanceconcernant ce délai lors de la gestion de leurs dossiers de vente immobilière, car désormais cedélai de dix jours peut être contrôlé par les agents de l’Autorité de la concurrence.

65

La critique actuelle des notaires et autres professionnels de l’immobilier peut totalementse comprendre, car cet allongement du délai de rétractation risque, en cas de rétractation tardive,d’anéantir leur travail « d’un coup de revers ».

Modifications intervenues Conséquences

Loi HAMON du 17 mars 2014 n°214344

Distinction entre :

les contrats conclus en établissement (notamment contrats rédigés par un officier public)

les contrats conclus hors établissement ou à distance, et entre un consommateur et un professionnel

Loi HAMON du 17 mars 2014 n°214344

Pour les contrats conclus en établissement parun acquéreur non professionnel d’un immeuble à usage exclusif d’habitation : délai de rétractation de 7 jours (délai dit SRU)

Pour les contrats entrant dans le champ d’application de la loi HAMON : délai de rétractation de 14 jours

Loi MACRON du 6 août 2015 n°2015-990

Modification de l’article L. 121-16-1 du Code de laconsommation :

Exclusion du champ d’application de la loi HAMON des contrats immobiliers (sous seing privé)

Maintien du champ d’application de la loi HAMON pour les contrats répondant aux deuxconditions cumulatives (hors établissement ou à distance ET entre consommateur et professionnel)

Cas particulier de la promesse unilatérale de vente d’un lot de lotissement soumis à un permis d’aménager (article L. 442-8 du Code de l’urbanisme)

Loi MACRON du 6 août 2015 n°2015-990

Délai de rétractation passe de 7 jours à10 jours pour les contrats conclus en établissement, avec désormais également les contrats immobiliers (délai dit SRU)

Délai de rétractation de 14 jours

66

Délai de rétractation reste de 7 jours

a) De la modification pour la délivrance du congé

Les règles pour délivrer congé sont différentes selon la personne qui le délivre, etnotamment le locataire bénéficie de règles beaucoup plus souples. En effet, depuis la loi du 6juillet 1989, le locataire n’a besoin d’aucune raison particulière pour donner congé.

Antérieurement à la loi MACRON, la loi ALUR avait déjà aménagé le congé du bailleurpour vente ou pour reprise, en modifiant l’article 15-I de la loi du 6 juillet 1989 qui aménage lerégime de ce congé. Pour rappel, le congé est l’acte par lequel l’une des parties au contrat delocation manifeste à l’autre partie sa volonté de mettre fin au contrat.

La loi MACRON modifie à nouveau l’article 15 de ladite loi relative aux bauxd’habitation et mixtes, dans le but de clarifier la situation du congé en cas d’acquisition d’un bienloué. Ainsi, trois hypothèses ont été mises en place par la loi MACRON. Tout d’abord dans le cas où le terme du bail en cours interviendrait plus de trois ans après la dated’acquisition, le bailleur peut alors donner congé à son locataire afin de vendre le logement auterme du contrat de location en cours. A l’inverse, si le terme du bail en cours interviendraitmoins de trois ans après la date d’acquisition du bien occupé, le bailleur ne peut donner congépour vendre qu’à compter du terme du premier renouvellement ou de la première reconductiontacite du bail en cours. Le bailleur est donc plus limité dans son droit de donner congé dans cettehypothèse. De plus, la loi MACRON a également modifié le cas du congé pour reprise, cardésormais il ne peut être délivré qu’au terme du contrat de location, et ne prendra effet qu’auterme d’un délai de deux ans à compter de la date d’acquisition.

De plus, concernant la forme de donner ce congé, le législateur a souhaité unrapprochement entre les locations vides et les locations meublées, dans un but de simplification.En effet, désormais le congé peut être remis en main propre contre récépissé ou émargement,comme c’était le cas pour les locations vides depuis longtemps.

Apports de la loi MACRON sur la délivrance du congé

Modification de l’article 15-I de la loi du 6 juillet 1989 sur le régime du congé pour vente ou pour reprise

Congé pour vente

Deux hypothèses :

Si le terme du bail en cours intervient moins de trois ans après la date d’acquisition du bien occupé, tout congé pour vente n’est autorisé qu’à compter du terme du premier renouvellement ou de la première reconduction tacite du bail en cours

Congé pour reprise

Le congé pour reprise est délivré au terme du contratde location et ne prendre effet qu’au terme d’undélai de deux ans à compter de la date d’acquisition.

67

Si le terme du bail en cours intervient plus detrois ans après la date d’acquisition du bien occupé, tout congé pour vente est autorisé à compter du terme du bail en cours

CONSEIL PRATIQUE

Dès lors, lorsque le notaire procède à la vente d’un bien immobilier, il se doit de vérifier si le bien objetde cette vente était loué, car dans l’affirmative, il se devra de vérifier que le congé a bien été respectépar le bailleur propriétaire du bien d’après ces nouvelles dispositions, et que le bien ne fait plus l’objetd’occupation locative.

b) De la simplification de la loi ALUR en matière de durée de préavis

Cette modification n’est pas totalement nouvelle, il s’agit davantage d’un élargissement deson domaine. En effet, la loi MACRON du 6 août 2015 a souhaité aussi modifier la loi ALUR du24 mars 2014 dans l’objectif d’un éclaircissement de certaines dispositions, et notammentconcernant le préavis pour les locations vides à usage d’habitation principale. Sur ce point, lespraticiens du droit ne peuvent reprocher au Gouvernement une telle modification car il s’agitsimplement d’améliorer « la sécurité juridique des transactions immobilières », en accordantcertaines dispositions qui pouvaient contenir des confusions et complexifications issues deplusieurs régimes locatifs différents.

Ainsi, la modification du préavis apportée par la loi MACRON n’est pas des moindres.En effet, il s’agit d’un grand changement, puisque depuis la loi du 6 juillet 1989, le préavis detrois mois pour quitter un logement vide était imposé au locataire, afin de protéger davantage lebailleur, en lui laissant un temps raisonnable pour retrouver un nouveau locataire. Certes dans certains cas, et ce même antérieurement à la loi ALUR, il était possible de quitter leslieux avec un préavis d’un mois, mais il s’agissait de cas minoritaires autorisés sous certainescirconstances tels que dans l’hypothèse de l’obtention d’un premier emploi, en cas de mutation,ou pour une perte d’emploi. Puis, la loi ALUR du 24 mars 2014 a décidé d’élargir ces casmarginaux de préavis d’un mois, dans son article 15-I, en instaurant la notion de zones tendues.Seuls les locataires disposant d’un bail dans les zones tendues pourront se prévaloir d’un préavisd’un mois, sachant que ces zones tendues ont été spécifiées dans un décret du 30 juillet 2014(Marseille, Montpellier, et autres). Cependant, le problème de cette nouveauté était que cela nes’appliquait qu’aux contrats conclus après l’entrée en vigueur de la loi ALUR, soit à compter du27 mars 2014. Ainsi, pour les contrats de location conclus antérieurement à cette date, le locataireétait toujours soumis à un préavis de trois mois, ce même dans les zones tendues. Cette séparationde régime selon la date de la conclusion du contrat de location apportait son lot d’incertitude et dedifficultés.

68

La loi MACRON permet finalement d’obtenir une cohérence sur ce préavis d’un mois,puisque ce nouveau délai s’applique à tous les contrats de location en zones tendues, quiconcernent 28 agglomérations de métropole. Hormis le cas de ces zones tendues, le préavisdemeure également toujours d’une durée d’un mois pour les cas précisés auparavant, c’est à diredans des circonstances particulières justifiant une réduction du préavis. Il semble que leGouvernement ait également eu pour objectif de rapprocher les régimes des locations meublées etdes locations vides, puisque pour rappel le préavis pour une location meublée est d’une duréed’un mois, et ce dans toutes les circonstances.

Ce faisant, cet amendement permet une simplification, puisque peu importe la date de laconclusion contrat de location, dès lors qu’il s’agit d’un locataire situé en zone tendue, celui cibénéficie d’un préavis d’une durée d’un mois pour quitter les lieux. Les critiques de la complexitéde la loi ALUR ont finalement porté leurs fruits sur ce point, et notamment la Commissionspéciale du Sénat a énoncé que « pour rendre le droit intelligible, la priorité est ici d’éviter deprolonger trop longtemps la coexistence simultanée de plusieurs régimes locatifs différents ». Cenouveau préavis d’un mois est dès lors applicable depuis l’entrée en vigueur de la loi MACRON,soit le 8 août 2015.

Zones ordinaires Zones tendues (définies par décret du 30 juillet2014)

Régime antérieur – Loi du 6 juillet 1989

Logement vide = Préavis de 3 mois et d’un moisdans certaines circonstances (obtention premieremploi, mutation, perte d’emploi, etc)

Logement meublé = Préavis d’un mois

Régime antérieur

Pas de notion de zones tendues

Loi ALUR du 24 mars 2014

Même régime pour les logements vides et leslogements meublés

Loi ALUR du 24 mars 2014

Logement vide = Élargissement des cas de préavisd’un mois avec l’instauration de la notion de zonetendue

Mais applicable que pour les contrats conclusaprès l’entrée en vigueur de ladite loi, soit àcompter du 27 mars 2014

69

Logement meublé = Préavis d’un mois

Loi MACRON du 6 août 2015

Même régime pour les logements vides et leslogements meublés

Loi MACRON du 6 août 2015

Logement vide = Préavis d’un mois pour tous lescontrats de location en zones tendues

Logement meublé = Préavis d’un mois

CONSEIL PRATIQUE

Ce faisant, le notaire se doit d’alerter le propriétaire vendeur quant au respect du préavis, et luispécifier que dans les zones tendues, celui-ci n’est plus de trois mois mais d’un mois.

2) En matière d’urbanisme

Cette loi MACRON, survenant notamment après les lois ALUR et PINEL, démontre lerenouvellement incessant et important du droit de l’urbanisme. Ainsi, parmi les nombreuxchangements effectués par cette loi, il convient d’observer les plus notables, qu’il s’agisse desnouveautés concernant le droit de préemption (a), des apports permis par le règlement du planlocal d'urbanisme (b), des modifications en matière procédurale (c) ou encore des avancées enmatière environnementale (d).

a) Les nouveautés concernant le droit de préemption

De nouveaux correctifs quant au droit de préemption urbain des donations

70

L’article 113 de la loi Macron modifie l’article L. 213-1-1 du Code de l’urbanisme etremplace l’expression « aliénation à titre gratuit » par la notion de « donation entre vifs ».L’avantage de cette nouvelle appellation est d’exclure les legs pour cause de mort qui pouvaientauparavant être inclus dans la notion d’aliénation à titre gratuit. Ainsi, les legs pour cause de mortne sont pas soumis au droit de préemption.

De plus, concernant les donations entre vifs, qui y sont soumises, étaient exclues auparavant dudroit de préemption urbain les donations entre « personnes ayant des liens de parenté jusqu'ausixième degré ou des liens issus d'un mariage ou d'un pacte civil de solidarité ».Ce même article L. 213-1-1 précise que les donations « entre ascendants et descendants,collatéraux jusqu’au sixième degré, époux ou partenaires d’un pacte civil de solidarité ou unepersonne et les descendants de son conjoint ou de son partenaire de pacte civil de solidarité, ouentre ces descendants » sont exclues de l’application du droit de préemption urbain. Il faut noterque le concubin ne figure pas dans cette liste, ce qui, de l’avis de la doctrine, s’analyse comme unoubli du législateur.

Cette nouvelle formulation est plus claire. Elle est d’autant plus bienvenue qu’elle restreint lechamp du droit de préemption sur ces donations, ce qui est bénéfique pour les clients des officesnotariaux. Le notaire devra ainsi noter que les legs pour cause de mort sont clairement exclus dudroit de préemption.

De nouvelles exclusions au champ d’application du droit de préemption urbain

Avant la loi Macron, l’article L. 211-3 du Code de l’urbanisme définissait déjà les typesd’aliénation ou de cession qui n’étaient pas soumises au droit de préemption urbain.L’article 96 de la loi Macron vient cette année élargir le champ d’exclusion en y ajoutant lesaliénations de terrains au profit du preneur à bail emphytéotique ou à construction conclu àl’occasion d’une opération d’accession à la propriété.

Ainsi, les titulaires du droit de préemption voient leur capacités restreintes pour certains biens, cequi permet aux propriétaires ou locataires de ne pas avoir de doutes quant à la volonté du titulairedu droit et à ne pas avoir à attendre l’éventuelle décision de préempter de celui-ci. Le notaire pourra ainsi expliquer à ses clients concernés par une aliénation de terrain au profitd’un preneur à bail emphytéotique ou à construction conclu à l’occasion d’une opérationd’accession à la propriété qu’ils ne seront pas soumis au droit de préemption urbain.

Une étendue du champ des délégataires du droit de préemption urbain

L’alinéa 1 de l’article L. 213-3 du Code de l’urbanisme dispose que « le titulaire du droitde préemption peut déléguer son droit à l'État, à une collectivité locale, à un établissement publicy ayant vocation ou au concessionnaire d'une opération d’aménagement ». L’article 87 de la loi Macron ajoute un troisième alinéa à l’article L. 211-2 et étend la liste desdélégataires aux sociétés d'économie mixte de construction et de gestion de logements sociaux,aux organismes d’HLM, ainsi qu’aux organismes agréés concourant aux objectifs de la politiqued'aide au logement en tant que maîtres d'ouvrage d'opérations d'acquisition, de construction ou deréhabilitation de logements ou de structures d'hébergement en tant que propriétaire ou preneur debail à construction, emphytéotique ou de bail à réhabilitation.

Cependant, deux conditions doivent nécessairement être remplies : les aliénations doivent portersur des biens ou droits affectés au logement, et les biens acquis ne pourront être utilisés qu’en vue

71

de la réalisation d’opérations d’aménagement ou de construction permettant la réalisation desobjectifs (et des obligations) fixés par le plan local de l’habitat en matière de logements sociaux.

Cette disposition crée ainsi une plus grande souplesse pour le titulaire du droit de préemption(généralement les communes) qui dispose de plus de choix dans le champ des délégataires, etdonc de plus de choix. Cela pourrait également avoir pour conséquence que le droit depréemption sera plus souvent utilisé, plus de personnes en ayant le pouvoir. Le notaire devra doncsavoir que cette possibilité de délégation existe et est légale.

Une étendue du droit de préemption des SAFER aux donations

Avant la loi Macron, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural(SAFER) ne bénéficiaient pas de la possibilité de préempter les cessions à titre gratuit comme lesdonations entre vifs.

La loi Macron, avec son article 113, élargit ce droit de préemption aux donations entre personnessans liens familiaux.Toutefois, l’élargissement du droit de préemption de ces sociétés ne peut s’exercer que « dans lecadre de leurs missions d’intérêt général en faveur de l’installation, du maintien et de laconsolidation d’exploitations agricoles ou forestières afin que celles-ci atteignent une dimensionéconomique viable, ainsi qu’en faveur de l’amélioration de la répartition parcellaire desexploitations ».

L’objectif de cette disposition est d’éviter les nombreuses donations fictives qui contournentl’obligation du droit de préemption.

CONSEIL PRATIQUE

Le notaire devra donc être au fait que si une SAFER souhaite préempter une cession à titre gratuit, cecisera tout à fait possible légalement.

b) Les apports permis par le règlement du plan local d'urbanisme

Une majoration des droits à construire pour les logements intermédiaires

En effet, l'article L. 127-1 du Code de l'urbanisme disposait déjà que le règlement du planlocal d'urbanisme pouvait délimiter des secteurs à l'intérieur desquels la réalisation deprogrammes de logements comportant des logements locatifs sociaux bénéficierait d'unemajoration du volume constructible (qui ne pouvait excéder 50%).

L’article 79 de la loi Macron va plus loin et a étendu ce domaine aux logements intermédiaires enintroduisant l’article L. 127-2 dans le code. En effet, il dispose que les communes pourrontdélimiter, dans le règlement de leur plan local d’urbanisme, des zones à l’intérieur desquelles lesprogrammes de construction de logements intermédiaires bénéficieront d’une majoration de

72

constructibilité de 30 %. Cela signifie qu’une augmentation du nombre de mètres carrésconstructibles sur un terrain donné sera possible.Cette disposition garde malgré tout une portée limitée puisqu’il est également précisé que cettemajoration ne pourra être supérieure au rapport entre nombre de logements intermédiaires et lenombre total de logements de chaque opération. D’autre part, la disposition ne vise que lescommunes dotées d’un plan local d’urbanisme, c’est-à-dire celles d’une certaine taille.

Le notaire devra être au fait de cette nouveauté afin de pouvoir le mentionner aux clientsconcernés, souhaitant acheter ou vendre dans une telle zone par exemple.

Une autorisation de la construction d’annexes aux bâtiments d’habitation existant dans leszones agricoles ou naturelles

L’article L123-1-5 du Code de l’urbanisme dispose que le règlement d’un PLU peutdélimiter des zones agricoles ou naturelles, à l’intérieur desquelles seule la construction debâtiments et d’équipements nécessaires à l’activité agricole est autorisée (la construction debâtiments d’habitation y étant donc interdite). En 2014, la loi ALUR avait instauré la possibilité de délimiter dans ces zones des secteurs detaille et de capacité limitées dans lesquels pouvaient être autorisés des constructions, ceci à titreexceptionnel.La loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a par la suiteassoupli ces interdictions en autorisant la construction d’extension de bâtiments d’habitationexistants situés dans de telles zones.

L’article 80 de la loi Macron vient cette année compléter ce mouvement d’assouplissement enajoutant une précision à l’article L. 123-1-5. En effet, elle offre également la possibilitéd’autoriser la construction d’annexe à un bâtiment d’habitation existant en zone agricole ounaturelle, ceci dans des conditions encadrées par le plan local d'urbanisme (délimitant la zoned’implantation, les conditions de hauteur, d’implantation, d’emprise…).

Dès lors, il est désormais possible (sous conditions), en zones naturelles et agricoles, deconstruire des extensions mais aussi des annexes de bâtiments d’habitation.

Le grand assouplissement de cet article, en délimitant de petites zones constructibles au sein deszones agricoles, vise principalement à éviter le contournement de l’interdiction de construire. Onpeut par conséquent s’interroger sur sa réelle nécessité.Cependant, le notaire pratiquant le droit rural devra connaître cette disposition en ce qu’ellepourrait intéresser des clients propriétaires de parcelles et qui souhaiteraient agrandir leursconstructions.

c) Les modifications en matière procédurale

Une obligation pour l’autorité compétente qui rejette une autorisation d’urbanismed’indiquer la liste complète des motifs de ce rejet

73

Avant la loi Macron, lorsqu’une autorité compétente refusait de délivrer un permis deconstruire ou une déclaration préalable, l’article L.423-4 du Code de l'urbanisme ne lui imposaitque de motiver sa décision.

Cependant, l’article 108 de la loi Macron va plus loin en modifiant l’article L. 424-3 du Code del’urbanisme : il oblige l’autorité compétente à motiver sa décision de rejet ou d’opposition maisaussi à indiquer l'intégralité des motifs justifiant ladite décision. Cela signifie que toutes lesabsences de conformité des travaux aux dispositions législatives et réglementaires devront êtrenécessairement mentionnées.

Si cette disposition risque d’être particulièrement lourde et difficile à exécuter pourl’administration, elle est plutôt bénéfique au demandeur : outre le fait que la décision sera plusjuste car justifiée et bien fondée juridiquement, cet article va permettre au demandeur decomprendre l’éventuel refus qu’on lui oppose. En expliquant les causes plus largement, ellepermettra également d’améliorer la crédibilité de l’administration refusant un permis.Ainsi, le notaire pourra conseiller aux clients s’étant vus opposés un refus de relancerl’administration afin de connaître la liste complète des motifs de ce rejet.

Une simplification des procédures administratives en matière d’urbanisme commercial

Alors que l’article L. 425-4 du Code de l’urbanisme, déjà modifié en ce sens par la loiPinel du 18 juin 2014, prévoyait que le permis de construire, le permis d’aménager ou la décisionprise sur la déclaration préalable valant autorisation d’exploitation commerciale étaientincessibles et intransmissibles, la loi Macron a supprimé cette disposition. Apparait donc unesuppression de l’incessibilité des autorisations d’exploitation commerciale pendant la période deconstruction. Une nouvelle demande complète n’a plus à être déposée dès qu’un changement debénéficiaire du permis survient. Cependant, la délivrance d’un arrêté de transfert du mairedemeure nécessaire.

L’article 36 de la loi Macron complète ensuite cet article L. 425-4 du Code de l’urbanisme etprévoit que si la modification du projet nécessite une nouvelle autorisation mais qu’elle n’a pasd’incidence sur la conformité des travaux de construction, seule une nouvelle demanded’autorisation d‘exploitation commerciale déposée auprès de la commission départementale seranécessaire et non plus un nouveau permis.

Enfin, l’article 36 vient compléter l'article 39 de la loi Pinel et précise que pour tout projetnécessitant un permis de construire, l'autorisation d'exploitation commerciale en cours de validitédont la demande a été déposée avant le 15 février 2015, vaut avis favorable de la commissiond'aménagement commercial.

Ces nouvelles dispositions de l’article 36 permettront par conséquent d’alléger clairement lesdémarches des demandeurs de permis sans pour autant créer une éventuelle insécurité juridique.En prolongeant la tendance établie par la loi Pinel, elle est donc bienvenue.Ainsi, le notaire ayant pour client un individu cédant son permis ou un acquérant ledit permispourra les informer qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer toutes les formalités antérieures.

Une limitation des possibilités de l'action en démolition lorsque le permis de construire a étéannulé par le juge administratif

74

Selon l'article L. 480-13 du Code de l’urbanisme, il est possible qu’un propriétaire qui aitméconnu des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique soit condamné par untribunal de l'ordre judiciaire à la démolition dès lors que le permis a été annulé par le jugeadministratif.

L’article 111 de la loi Macron est venu modifier cet article L. 480-13 du Code de l’urbanisme quidispose désormais que l'action en démolition est réservée uniquement aux constructions situéesdans des zones, espaces ou secteurs présentant des enjeux particuliers (en pratique les zonesmontagnes et littorales, les parcs nationaux…). L’article cite ensuite les nombreux types deconstruction concernés.

Il faut cependant noter que cette disposition ne concerne pas les possibilités de démolition ou desuspension des travaux de construction prévues par le droit pénal (comme les constructionsédifiées sans permis de construire), par le droit civil (comme les constructions contraire au droitde la propriété ou aux troubles anormaux du voisinage), ou par les dispositions particulières duCode de la justice administrative.

Cet article, dont la portée reste limitée du fait de son domaine restreint aux permis annuels par lejuge administratif, en cantonnant l’action en démolition seulement aux cas où elle estindispensable, permet ainsi de sécuriser les projets de construction. Ceci est évidemmentbénéfique au propriétaire et constructeur.

d) Les avancées en matière environnementale

Une généralisation de l’expérimentation de l’autorisation unique

Dans la continuité d’une ordonnance du 20 mars 2014 expérimentant l’autorisation uniquepour les projets d’installations classées pour la protection de l’environnement, la loi Macron agénéralisé cette expérimentation : il s’agit de la délivrance d'un « permis unique » réunissantl'ensemble des autorisations nécessaires à la réalisation d’un projet qui présente « un intérêtmajeur pour l’activité économique, compte tenu du caractère stratégique de l’opérationconcernée, de la valeur ajoutée qu’elle produit, de la création ou de la préservation d’emploisqu’elle permet ou du développement du territoire qu’elle rend possible ».Cette mesure permettra dès lors d’accélérer la réalisation des projets. Le notaire pourra doncinformer ses clients acquéreurs ou constructeurs d’une telle installation qu’un permis uniquesuffira à leur projet.

Une réduction des délais de délivrance des autorisations d’urbanisme

L’article 106 alinéa 1 de la loi Macron autorise également le Gouvernement à prendre parordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi « visant à accélérer l’instruction et la prisedes décisions relatives aux projets de construction et d’aménagement, notamment ceux favorisantla transition écologique ». Cela implique notamment de réduire les délais de délivrance desautorisations d’urbanisme.Cette mesure peut permettre de favoriser les projets de construction et d’aménagement ayant unimpact écologique.

75

Dans le même temps, il faut noter qu’un décret du 9 juillet 2015, publié le lendemain, a modifiéles délais d’instruction et dispose notamment que depuis le 11 juillet 2015, les permis deconstruire doivent être instruits dans un délai maximal de cinq mois.

Cette disposition est importante pour le notaire puisque cela lui permettra de répondre au besoindu client plus rapidement.

B) Les ordonnances et réponses ministérielles

Ordonnance de simplification de la loi pour l’accès au logement et à un urbanisme rénovédu 27 août 2015

Il faut savoir que la loi ALUR du 24 mars 2014 (loi pour l’accès au logement et à unurbanisme rénové) a été perçue comme un « frein aux transactions immobilières » par lespraticiens du droit, spécialement par les notaires, du fait de ses conséquences sur les obligationsd’information des acquéreurs lors de l’acquisition d’un bien soumis au statut de la copropriété.Cette ordonnance a alors eu pour objet de simplifier les transactions immobilières concernantles biens en copropriété, et ces nouvelles dispositions sont alors entrées en vigueur dès le 29 août2015.

En effet, le Gouvernement a décidé de simplifier les obligations d’information pourl’acquéreur d’un lot de copropriété, tant au niveau du contenu que des modalités, qui ont étéposées par la loi ALUR du 24 mars 2014. Néanmoins, malgré cette simplification à l’égard del’information de l’acquéreur, du côté des praticiens, et surtout des notaires, il semble toujourss’agir dans l’ensemble d’une surcharge de travail, à savoir une multiplication de documents àréunir pour la signature d’une promesse de vente ou de l’acte authentique de vente.

Il convient d’abord de rappeler qu’avant cette loi ALUR du 24 mars 2014, certainsdocuments n’étaient simplement requis que pour la signature de l’acte définitif de vente. Ordésormais, avec cette loi ALUR, ces documents qui ont été par ailleurs multipliés sont requis dèsla conclusion de l’avant-contrat, ce qui a entrainé « un ras le bol » des notaires sur la quantité dedocuments à demander et à rassembler. De plus, il faut soulever le fait que cette quantité dedocuments n’est pas opportune même pour les acquéreurs, qui généralement ne les lisent mêmepas, simplement par manque de compréhension mais aussi en raison de leur longueur.

Reconnaissant que cette loi a été d’un poids considérable sur les professionnels du droit,le Gouvernement a souhaité une simplification. Il faut savoir qu’à l’origine le but recherché par laloi ALUR était de permettre une complète information pour l’acquéreur lors de l’acquisition d’unbien soumis au statut de la copropriété, afin qu’il prenne pleinement conscience de son futurachat. Cependant, les professionnels du droit n’ont pas été convaincus par les simplificationsapportées par cette loi ALUR, puisque cette loi a été accueillie comme une complexification, quece soit pour eux-mêmes en tant que praticiens, mais aussi pour les copropriétaires. En effet, denombreuses obligations d’information de l’acquéreur ont été mises à la charge des notaires. Dèslors qu’il s’agit d’une vente d’un lot de copropriété dans un immeuble à usage total ou partield’habitation, plusieurs documents doivent être annexés à tout avant contrat de vente ou à défaut, àtout acte de vente, et ce obligatoirement, comme le dispose l’article L. 721-2 du Code de laconstruction et de l’habitation. Ainsi, d’abord doivent figurer les documents relatifs àl’organisation de l’immeuble, tels que le règlement de l’immeuble de la copropriété, l’étatdescriptif de division ainsi que les actes les modifiant, la fiche synthétique de l’immeuble, les

76

diagnostics techniques de la partie privative, l’attestation de superficie des parties privatives dulot vendu (loi Carrez), les procès verbaux des assemblées générales des trois dernières années.Doivent également être annexés de manière obligatoire les documents relatifs à la situationfinancière de la copropriété et celle du copropriétaire vendeur, toujours dans un but d’informationcomplète de l’acquéreur, avec notamment le carnet d’entretien de l’immeuble, le montant descharges courantes du budget prévisionnel et des charges hors budget prévisionnel payées par lecopropriétaire vendeur au titre des deux exercices précédant la vente, l’indication des sommes quipeuvent être encore dues par le copropriétaire vendeur au syndicat des copropriétaires.

Ce faisant, nombreux étaient les documents que les notaires devaient récupérer pour lasignature de l’avant contrat ou même de l’acte authentique à défaut d’avant contrat, ce quiconstituait une charge considérable de travail, et alourdissait également les dossiers. La sanctionest d’autant plus conséquente au regard de l’objectif de la loi ALUR, car dès lors que cesdocuments ou même certains d’entre eux ne sont pas annexés à l’acte notifié, le délai derétractation ne peut courir qu’à compter du lendemain de la communication de ces documents àl’acquéreur (article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation). Le délai derétractation se repousse davantage et peut entrainer une rétractation très tardive. De plus, ilconvient de préciser que c’est au syndic de communiquer ces pièces aux notaires ou aux agencesimmobilières, et généralement cette demande de documents peut prendre un certain tempsallongeant les délais de signature chez les notaires.

Ainsi, dès décembre 2014, les pouvoirs publics ont pris en compte les critiques desprofessionnels, en prévoyant par la loi n°2014-1545 du 20 décembre 2014 qu’une ordonnance desimplification interviendrait avant septembre 2015. Cette ordonnance de simplification en date du27 août 2015 est venue modifier précisément les articles L. 721-2 et L. 721-3 du Code de laconstruction et de l’habitation, dans l’objectif de « fluidifier les transactions immobilières ». LeGouvernement semble avoir été sensible à certaines critiques des praticiens, mais de leur point devue il s’avère que la simplification n’est pas d’une réelle avancée … Finalement, la simplificationtend à décharger les acquéreurs certes, mais n’enlève pas tellement la surcharge de documents àlaquelle se confrontent les notaires pour la conclusion d’une vente d’un bien soumis à lacopropriété.

Néanmoins, il faut souligner que l’information de l’acquéreur semble être amoindrie sur certainspoints, notamment au regard de la nouvelle rédaction de l’article L. 721-2 du Code de laconstruction et de l’habitation. En effet, cet article dispose désormais que « la remise desdocuments peut être effectuée sur tous supports et par tous moyens, y compris par un procédédématérialisé sous réserve de l’acceptation expresse par l’acquéreur ». L’acquéreur doit ensuiteattester que « cette remise soit dans l’acte contenant la promesse de vente par sa simplesignature lorsqu’il s’agit d’un acte authentique, soit lorsque l’acte est établi sous seing privé,dans un document qu’il signe et qu’il date de sa main ». De plus, il est précisé que ces documentspourront être remis en amont à l’acquéreur, à savoir au plus tard à la date de signature de lapromesse, ce qui peut diminuer considérablement la charge du dossier de l’avant contrat ou de lavente elle même lors de la signature.

La critique peut toujours se comprendre, puisque cet article L. 721-2 du Code de la constructionet de l’habitation précise que lorsque l’acte authentique de vente n’est pas précédé d’unepromesse de vente, certains de ces documents et informations doivent être joints au projet d’acteauthentique de vente, qui sera notifié ou remis à l’acquéreur conformément aux dispositions ducinquième alinéa de l’article L. 271-1, c’est à dire dans les conditions prévues pour la « loi SRU »(loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain), à savoir une notification par lettre

77

recommandée avec accusé de réception ou remis en mains propres, faisant courir le délai derétractation. De plus, selon plusieurs praticiens, la dématérialisation de la transmission de ces documents n’estpas une réelle avancée pour les notaires, puisque depuis plusieurs années déjà, il y a uneéquivalence entre le papier et l’électronique instaurée dans le Code civil, mais aussi cardésormais la signature électronique a été mis en place pour les actes authentiques dans les étudesnotariales5.

Cependant, d’autres dispositions amendées par cette ordonnance apportent un certain allégementpour les notaires, notamment car par exception, les documents relatifs à l’organisation del’immeuble ne sont pas exigés lorsque l’acquéreur est déjà propriétaire d’au moins un lot dans lamême copropriété ou aussi lorsqu’il s’agit d’une vente ou de cession de droit réel immobilierrelatif à un lot ou une fraction de lot annexe tel que garage ou cellier. Même si cette modificationest accueillie favorablement par les praticiens, il faut souligner qu’il s’agit d’un minimum delogique dans l’objectif de « simplification » voulue par le Gouvernement.

De plus, l’ordonnance précise comme nouveauté surprenante que si le copropriétaire vendeurn’est pas en mesure d’obtenir par son syndic les procès verbaux des assemblées générales destrois dernières années, il n’y a plus d’obligation de les annexer au contrat et de les porter à laconnaissance de l’acquéreur. Cependant, pèse une nouvelle charge sur le vendeur, car c’est à luide prouver qu’il lui a été impossible de récupérer ces documents.

Quant à la sanction de l’absence de remise de ces documents à l’acquéreur, elle demeure la mêmeà la lecture de l’article L. 721-3 du Code de la construction et de l’habitation. Nul doute ne pèsesur la sanction, clairement explicitée, car lorsque lesdits documents et informations ne sont pasremis à l’acquéreur au plus tard à la date de la signature de la promesse de vente ou ne sont pasjoints au projet d’acte authentique, le délai de rétractation (en cas de promesse) ou le délai deréflexion (en cas d’acte authentique de vente) ne court qu’à compter du lendemain de lacommunication de ces documents et informations à l’acquéreur. Cette sanction constitue toujoursun frein à l’égard de la gestion des dossiers pour les notaires, car la rétractation peut intervenirbien plus tard alors même que l’absence de documents ne leur serait pas imputable.

Il convient de préciser que la majorité des notaires et professionnels de l’immobilier onttout de même accueilli favorablement cette ordonnance qui a allégé certaines de leurs obligationsd’information à l’égard de l’acquéreur lors de la vente d’un bien en copropriété, et le projetd’ordonnance a même reçu l’avis favorable du Conseil Supérieur du Notariat. Pour leGouvernement, il s’agit surtout par cette ordonnance de rendre le marché de l’immobilier plusattractif pour les acquéreurs, en leur redonnant confiance, et en tentant de rassurer en parallèle lesprofessionnels de la vente, notamment les notaires, qui sont indispensables en matière de venteimmobilière. Cependant, la majorité des auteurs et praticiens du droit souhaiteraient que ce « vaet vient législatif » cesse une bonne fois pour toute.

Réponse ministérielle n°55166 publiée au JO le 18 août 2015, page 6400

Au travers de cette réponse ministérielle, Madame le Ministre de la Justice refuse deconfier aux notaires une compétence en matière de vente aux enchères publiques après saisieimmobilière.

5 « Les nouvelles règles en matière de vente : simplification après la complexification ? » de Solange Becqué-Ickowicz, Professeur à l’Université de Montpellier, RDI 2015 p. 23978

Le député Pierre Morel-A-L'Huissier questionne Madame Christiane Taubira, le Gardedes Sceaux, sur la procédure après saisie d'un immeuble qui prévoit que la vente dudit immeublepeut avoir lieu soit à l'amiable, sur autorisation judiciaire, soit aux enchères publiques(adjudication). Monsieur Morel-A-L'Huissier souhaiterait connaître le positionnement deMadame le Ministre de la Justice sur une éventuelle compétence reconnue aux notaires pourprocéder à la vente aux enchères publiques après saisie immobilière.

Avant d'évoquer la réponse ministérielle à cette interrogation, il convient de rappeler quela loi du 10 juillet 2000 donne compétence aux notaires, et aux huissiers, pour organiser etréaliser les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. «Ils exercent cette activité àtitre accessoire dans le cadre de leur office et selon les règles qui leur sont applicables». Cettecompétence connaît une limite spatiale introduite par la loi du 1er janvier 2007 afin de ne pas tropempiéter sur la compétence des commissaires-priseurs judiciaires. En effet, les notaires pourrontprocéder à de telles ventes uniquement « dans les communes où il n'est pas établi d'office decommissaire-priseur judiciaire ».

En outre, les notaires peuvent procéder à des ventes volontaires immobilières aux enchèrespubliques, également appelées « ventes à la bougie ».

En revanche, aux termes de l'article L.322-5 du Code des procédures civiles d'exécution,l'adjudication de l'immeuble après saisie immobilière « a lieu aux enchères publiques àl'audience du juge ». C'est donc dans ce cadre législatif en vigueur que Madame le Ministre de laJustice devait répondre à la question posée, l'enjeu étant d'accorder une éventuelle compétenceaux notaires pour réaliser des ventes aux enchères publiques après saisie immobilière.

Madame le Garde des Sceaux rappelle tout d'abord qu'« aux termes de l'article L.322-1 du codedes procédures civiles d'exécution, les biens, qui font l'objet de la procédure de saisieimmobilière, sont vendus, soit à l'amiable sur autorisation judiciaire, soit par adjudication.Conformément aux articles R.322-15 et suivants du même code, il revient au juge de statuer dansle jugement d'orientation sur les modalités de la vente. Lorsqu'il autorise la vente amiable, lejuge doit vérifier qu'elle pourrait être conclue dans des conditions satisfaisantes compte-tenu dela situation du bien, des conditions économiques du marché et des diligences éventuelles dudébiteur ». Un frein est rapidement apporté à un éventuel élargissement de la compétence notariale puisque,comme le rappelle Madame le Ministre de la Justice, le rôle du notaire en cas de vente amiablesur autorisation judiciaire se cantonne au « droit commun et est organisée par les articles L.322-4et R.322-24 ». Une justification est ensuite apportée au refus de modifier la législation en vigueur. En effet,Madame le Ministre prend soin d'insister sur le fait « qu’aux termes de l'article L.322-5,l'adjudication judiciaire s'opère à l'audience du juge de l'exécution. Les contestations relatives àla validité des enchères sont formées verbalement à l'audience, par ministère d'avocat,conformément à l'article R 322-49. Le juge statue sur-le-champ et, le cas échéant, reprendimmédiatement les enchères, ce qui évite d'allonger la durée de la procédure, sachant qu'unesurenchère est ensuite possible dans un délai de dix jours. Le titre de vente est délivré par legreffe conformément à l'article R.322-62 ». Ainsi, le rôle central de juge de l'exécution est mis enavant puisqu'il offre une garantie essentielle à « un débat contradictoire équilibré et impartialentre les parties ».Madame le Ministre conclut en affirmant qu'« il n'est donc pas envisagé de modifier ce dispositifet ce alors que le recours à un notaire, ou à tout officier ministériel habilité par son statut à

79

procéder à des enchères publiques, pourrait aussi être source de contentieux en cas decontestation portant sur l'officier désigné, et pourrait allonger la durée des procédures en cas decontestation sur la validité des enchères».

Dès lors, Madame le Garde des Sceaux justifie son refus de modifier l'état actuel du droitpar le fait qu'en cas de contestations relatives à la validité des enchères, le juge de l'exécutionstatut sur-le-champ ce qui ne serait pas le cas avec un notaire et qui rallongerait donc la durée desprocédures. En outre, des contentieux pourraient être suscités par la désignation de l'office quiprocéderait à la vente.

OBSERVATIONS

La question de Monsieur Pierre Morel-A-L'Huissier méritait d'être posée mais le gouvernementn'entend pas modifier la législation en vigueur. Ainsi, eu égard au rôle central du juge de l'exécution,notamment en cas de contestations sur la validité des enchères, les notaires ne sauraient bénéficierd'une compétence en matière de ventes aux enchères publiques après saisie immobilière.

Cela ne surprendra sans doute pas le notariat qui s'accorde à dire que la tendance actuelle dulégislateur penche vers une baisse du monopole notarial plutôt qu'un accroissement des compétencesnotariales.

Réponse ministérielle n° 68567 publiée au JO AN Q 23 juin 2015, page 4760

Le Ministère de la Décentralisation et de la Fonction publique a rappelé dans uneréponse ministérielle du 23 juin dernier que les collectivités territoriales souhaitant devenirpropriétaires de petites surfaces de terrain lors de projets d'aménagement ou de voirie de faibleimportance ont l’obligation d’acquérir le bien par la forme authentique. Ainsi, si un simpleformulaire ne suffit pas, les collectivités ne doivent pas nécessairement conclure un acte notariéet peuvent accéder à cette propriété par la forme administrative : elles sont alors habilitées àrecevoir et à authentifier les actes en vue de leur publication au fichier immobilier.

En l’espèce, la députée Barbara ROMAGNAN a interrogé un ministre à propos desmodalités d’acquisition de terrains à titre onéreux par les collectivités territoriales. En effet, dans le cadre de leurs fonctions, les collectivités territoriales effectuent des projetsd’aménagement ou de voirie et doivent alors devenir propriétaires de ces terrains. Acquérir unterrain important ne pose généralement pas de difficultés. Cependant, il arrive que ces projetsd’aménagement ou de voirie soient de faible importance et ne concernent que des terrains depetite taille, ce qui a pour conséquence que ces collectivités doivent devenir propriétaires depetites surfaces de terrains. Cette dernière énonciation pose une problématique puisque devenirpropriétaire de ces surfaces par la forme classique, c’est-à-dire la forme notariée, comportecertains inconvénients, principalement le montant des frais liés à l’établissement de l’acte qui estparfois disproportionné et dissuasif pour les collectivités par rapport à la valeur du bien qu’ellessouhaitent acquérir. De plus, devenir propriétaire par la forme administrative peut aussi poser unproblème au sens de la mise en œuvre complexe pour certains élus.

C’est pourquoi la députée, après avoir rappelé que les lois Chauveau, dans les années 1920,avaient prévu des dérogations au moyen d’un formulaire normalisé simple lors de l’acquisition de

80

petites parcelles par les communes, sollicite le Gouvernement afin de savoir si ces lois sonttoujours applicables aujourd’hui, ou, si tel n’est pas le cas, quelles seraient les éventuellessolutions pour les collectivités territoriales.

Ainsi, les collectivités territoriales souhaitant acquérir de petites surfaces de terrains peuvent-ellesle faire au moyen d’un formulaire normalisé simple ou d’une autre alternative peu contraignanteou doivent-elles nécessairement conclure un acte notarié ou administratif ?

Le Ministère de la Décentralisation et de la Fonction publique a rendu une réponse ministériellenégative le 23 juin 2015. En effet, le ministre Yves NICOLIN précise que l’article L. 1212-1 duCode général de la propriété des personnes publiques nécessite que les acquisitions soient passéesen la forme d’un acte authentique. Or, cette forme authentique inclut une conclusion sous formenotariée ou sous forme administrative, mais exclut le simple formulaire normalisé. Les pouvoirspublics ont donc le choix de conclure un acte d’acquisition soit par acte notarié, soit par acteadministratif.Concernant cette seconde option (la forme administrative), le ministère précise par la suite queces collectivités sont bien habilitées à recevoir et à authentifier lesdits actes en vue de leurpublication au fichier immobilier, conformément à l’article L. 1311-13 du Code général descollectivités territoriales.

Il faut préciser que cette réponse ne concerne pas que les collectivités territoriales mais toutes lespersonnes publiques mentionnées à l’article 1 du Code général de la propriété des personnespubliques, comme le dispose l’article L. 1212-1, à savoir l’Etat, les collectivités territoriales etleurs groupements, ainsi que les établissements publics. Quant aux actes en question, il fautégalement préciser que l’article L. 1212-1 dispose qu’il peut s’agir d’acquisitions d’immeubles,de droits réels immobiliers ou également de fonds de commerce.

Ainsi, cette réponse ministérielle permet de rappeler cet important principe énoncé aux articles L.1212-1 et L. 1311-13 du Code général de la propriété des personnes publiques, et de préciserqu’il doit également s’appliquer aux acquisitions de petites parcelles, un simple formulaire nesuffisant pas.

Cette décision peut être critiquable puisque pour les terrains de très petites tailles (quelquesdizaines de mètres carrés au maximum) pour lesquels les lois Chauveau permettaient ceformulaire, la conclusion d’un acte authentique, même administratif, peut semblerdisproportionné et complexe pour certains élus.

Cependant, cette décision semble toutefois sage et responsable puisque ce formulaire ne peut nepas apporter autant de sécurité qu’un acte authentique.

De plus, si toutefois la réponse apporte finalement un assouplissement en permettant d’éviterd’avoir à conclure un acte notarié et en admettant la forme administrative, la question de lacompétence des élus peut être amenée à se poser puisque cette forme administrative demeureparfois complexe. Ainsi, beaucoup d’élus préfèrent privilégier une plus grande sûreté etcontinuent de passer par la forme notariée.

Ainsi, en autorisant une forme dont la technique est à mi-chemin entre le simple formulaire etl’acte notarié, la réponse s’inscrit dans un juste milieu.

81

Il faut noter que ces personnes publiques sont ainsi titulaires d’une importante puissancejuridique et administrative qui pourrait parfois concurrencer les notaires. Cette permissiond’éviter l’acte notarié, bien que non récente, pourrait ainsi se rapprocher d’une tendance actuelle,accentuée par la loi Macron du 6 août 2015, de partager certains attributs du notariat avecd’autres professions comme les avocats par exemple. Cependant, la relativisation est de mise et ilest important de se rappeler que les actes notariés et administratifs demeurent différents enplusieurs points : si les actes administratifs permettent effectivement une économie et unerégularisation rapide des actes, notamment pour les opérations ne présentant pas de complexitéjuridique, ils présentent également quelques inconvénients. En effet, en cas de dossier pluscomplexe, un avocat pourra certes apporter son concours à la collectivité au long de la procédured’acquisition, mais il ne pourra apporter ni la garantie de la pointilleuse technique des notaires, nileur garantie importante d’impartialité, ni encore la limitation de la responsabilité des maires.L’acte notarié devrait ainsi garder de beaux jours devant lui et continuer de régir les actesimportants.

82

Travail réalisé par Amandine PERON, Alexandra REYNIER, Pauline SIMON, Aurélien SIRVENet Amélie THUIN.

LES BIENS DU COUPLE

Le couple représente une union formée par deux personnes de même sexe ou de sexesdifférents. En effet, depuis une loi du 18 mai 2013 relative au mariage pour tous, la France est devenue leneuvième pays à autoriser le mariage homosexuel (consacré dans l'article 143 du Code civil). De plus, ilfaut considérer que le couple n'est pas uniquement unit par le mariage mais peut l’être également par lePACS et le concubinage, depuis la loi du 15 novembre 1999, les partenaires de ces deux sortes d'unionpeuvent être eux aussi de même sexe (articles 515-8 et 515-1 du Code civil).

La communauté de vie de ce couple amène à la constitution d'un patrimoine commun, une entitépartagée à deux. Ce patrimoine est composé de plusieurs biens. Cette notion de bien est définie dans leVocabulaire juridique (dixième édition en date du 28 janvier 2014) comme « tous les éléments mobiliersou immobiliers qui composent (le) patrimoine (d'une personne), à savoir les choses matérielles (bienscorporels) qui lui appartiennent et les droits (autres que la propriété) dont elle est titulaire (biensincorporels) ».

Il faut garder à l'esprit que les biens du « couple dans tous ses états » (expression utilisée parGuillemette Buisson et Aude Lapinte, division Enquêtes et études démographiques, INSEE dans la revueINSEE PREMIERE de février 2013, n° 1435), sont très polymorphes puisqu'ils concernent une catégorietrès large comprenant les biens corporels et les biens incorporels.

Dans notre étude, l'actualisation des biens du couple s'orientera autour d'une évolutionsignificative touchant principalement le couple marié. Toutefois, il sera précisé que certaines décisionsseront applicables aux couples pacsés et aux concubins.

Il paraît, alors, intéressant de s'interroger sur l'évolution jurisprudentielle et textuelle relative auxbiens du couple depuis le 1er avril 2015.

Or, c'est au moment de la séparation du couple que naissent de nombreuses interrogations,source de contentieux. Divers points sont à préciser sur les effets de cette union sur les biens du couplependant le mariage et à leur séparation.

Pour cela, il faut nécessairement étudier la vie en couple (I) et leur séparation (II) impactantnécessairement sur leurs biens.

I. LA VIE DE COUPLE : UNE UNION AFFECTANT LEURS BIENS

Le mariage, le PACS ou le concubinage, en tant qu'union entre deux personnes, affectent

83

inévitablement les biens du couple.

Effectivement des conséquences pécuniaires s'imposent aux époux en raison du mariage (A),ainsi qu'une gestion particulière du patrimoine par « le couple dans tous ses états » (B).

A) Les conséquences pécuniaires inhérentes au mariage

La jurisprudence a apporté des précisions sur les conséquences pécuniaires inhérentes aumariage sur l'obligation de contribuer aux charges du mariage (1) et sur la prestation compensatoire (2).

1) L'obligation de contribution aux charges du mariage

Le principe de l'obligation de contribuer aux charges du mariage réside dans l'obligation pourchacun des époux d'y contribuer à proportion de ses facultés respectives à défaut de conventioncontraire (article 214 du Code civil). La doctrine majoritaire estime que le montant de cette obligationpeut être modulé dans le contrat de mariage, sans pour autant libérer totalement l'un des époux.

La teneur de la contribution aux charges du mariage est qu'elle perdure même en cas deséparation de fait des époux. Seuls les cas de dissolution du mariage, comme le décès ou le divorce,pourront y mettre un terme. Toutefois, une dérogation est envisageable dans des circonstancesparticulières.

Cour d'appel de Nancy, le 29 mai 2015 (n°15/01173 et n° 14/01854)

La Cour d'appel de Nancy est venue préciser le champ d'application de l'exception à lacontribution aux charges.

En effet, l'épouse a été mise en examen pour tentative d'homicide sur la personne de sonconjoint. De ce fait, Monsieur refuse de payer à son épouse les contributions aux charges du mariage.

Or, la Cour d'appel estime que cette mise en examen ne constitue pas une circonstance

84

particulière justifiant le non paiement de la contribution. Cette décision se base sur les principes de laprésomption d'innocence et du secret de la procédure d'instruction. Par conséquent, la réalité del'infraction n'étant pas avérée, la preuve de l'existence de circonstances particulières ne pourra pas êtrerapportée par l'époux. Ce dernier ne peut donc pas refuser à son épouse le paiement des contributionsaux charges du mariage.

La solution d'espèce est très explicite : « le secret de l'instruction et la présomption d'innocences'opposent, tant que la culpabilité de (son épouse) ne sera pas définitivement établie, à ce que l'exceptiond'indignité soit retenue sur le fondement de l'infraction pour laquelle elle a été mise en examen ».Monsieur devra, alors, attendre la condamnation de son épouse pour tentative de meurtre sur sapersonne afin de ne plus lui devoir la contribution aux charges du mariage.

Bien que cet arrêt soit anecdotique, il permet de préciser le champ d'application restreint del'exception à la contribution aux charges du mariage. Cette interprétation semble logique au vue de lajurisprudence relative au champ d'application des exceptions. En effet, les juges, lorsqu'ils en sont saisis,formulent toujours leur souhait de limiter le plus possible ce champ d'application de l'exception de larègle de droit.

Première Chambre civile de la Cour de cassation, 1er avril 2015 (n° 14-14.349)

De plus, un autre arrêt de la première Chambre civile de la Cour de cassation est venu confirmerune jurisprudence maintenant établie, à savoir que le financement d'un immeuble indivis par un épouxséparé de biens participe à l'exécution de son obligation aux charges du mariage.

En effet, la Cour de cassation considère que la stipulation dans un contrat de mariage d'uneclause disposant que chacun des époux est réputé s’être acquitté jour par jour de sa part contributive,empêche l'époux de réclamer une créance au titre de l'acquisition du bien. La Haute juridiction estimeque la force de cette clause de style (présomption simple ou irréfragable) dépend de l'interprétation de lavolonté des époux relevant du pouvoir souverain des juges du fond. Néanmoins, il y aura une créance sil'époux arrive à démontrer qu'il a contribuer au-delà de la participation auquel il était tenu de parl'article 214 du Code civil et les dispositions de son contrat de mariage. Cependant, en l'espèce, l'épouxqui réclame une créance ne peut ne peut se prévaloir de cet argument en vertu de l'appréciationsouveraine des juges.

Mais, cette solution laisse dubitatif. Effectivement, il paraît peu convainquant que des épouxsouhaitant se marier sous la séparation de biens dictent cette clause de style au Notaire de manièrelucide et éclairée. De plus, laisser aux juges du fond l'appréciation de la volonté des époux n'est passouvent gage de sécurité juridique. Enfin, cette solution amène un peu plus le régime de la séparation debiens sur le chemin de la communauté d’acquêts ou encore vers l'extension de la présomptiond'indivision.

Cependant, une telle clause a le mérite d'éviter, au moment du divorce, que les époux se rendent

85

des comptes. Néanmoins, il est conseillé au Notaire, rédacteur du contrat de mariage, soit de rédigercette clause en excluant les investissements immobiliers, soit d'omettre cette dernière, soit d'exercer sondevoir de conseil auprès des futurs époux sur sa portée.

En effet, il serait intéressant de moduler la clause de style présente dans tous les contrats demariage de type séparatiste. Cette clause est la suivante.

« Les futurs époux contribueront aux charges du mariage en proportion de leur facultésrespectives, conformément aux dispositions des articles 214 et 1537 du Code civil. Chacun d'eux seraréputé s’être acquitté jour par jour de sa part contributive aux charges du mariage, en sorte qu'ils neseront assujettis à aucun compte entre eux, ni à retirer à ce sujet une quittance l'un de l'autre ».

Le principe de la liberté des conventions matrimoniales permet au Notaire d'aménager cetteclause en faisant entrée des charges dans la contribution ou en les excluant ou de supprimer cette clause.En l'espèce, il aurait été judicieux d'exclure les dépenses d'acquisition et d'aménagement du logementconcerné. De même, il serait intéressant qu'il s'agisse d'un bien, comme le logement de la famille, qui aété entièrement financé par un époux sous le régime de la séparation des biens durant le mariage.

Pour conclure sur cet arrêt, bien que la solution de la Cour de cassation ne soit pas convaincante,elle a le mérite de valoriser le travail du Notaire, en sa qualité de rédacteur des contrats de mariage, quidoit faire face aux demandes de sa clientèle mais aussi être garant de la sécurité juridique du contrat.

Pour ce qui est de la prestation compensatoire, conséquence pécuniaire inhérente au mariage, cen'est pas son champ d'application qui a été précisé mais son mode de calcul (2.).

2) La prestation compensatoire

L'objectif qui anime la prestation compensatoire (articles 270 et suivants du Code civil) est decompenser les disparités dans les conditions de vie respectives des époux suite à leur rupture.

La source de cette prestation est la séparation des époux, mais, son évaluation s'apprécie auregard de vie du couple pendant le mariage.

La détermination de cette prestation est casuistique puisque le juge prend en comptenotamment l'âge et l'état de santé des époux, leur qualification professionnelle, leur patrimoine, etc.Lorsqu'elle est prononcée, un époux sera tenu de verser cette prestation à ex-conjoint. De plus, elle estdéterminée en déduction des revenus de l'époux qui en est redevable.

Première Chambre civile de la Cour de cassation, 13 mai 2015 (n° 14-14.207)

Un arrêt de la première Chambre civile de la Cour de cassation vient préciser le mode de calcul decette prestation compensatoire. En effet, la Cour de cassation estime que les charges du débiteurcomptées en déduction de ses revenus, comme doit être déterminée la prestation compensatoire,comprend non seulement les frais de son propre enfant mais aussi ceux des enfants communs qu'il a avec

86

son ex-épouse.

Cependant, la Cour d'appel de Versailles n'avait pris en compte que l'entretien par l'époux del'enfant non issu du couple.

C'est pourquoi la Cour de cassation a censuré cet arrêt sur le fondement de l'article 271 du Codecivil. En effet, elle estime que : « les sommes versées au titre de la contribution à l'entretien et àl'éducation des deux enfants issus du mariage, qui constituaient aussi des charges, devaient venir endéduction des ressources du mari ». Cette solution de la Haute juridiction était attendue puisqu'elleconfirme la solution retenue dans un arrêt de revirement de la seconde Chambre civile de la Cour decassation du 10 mai 2001 (n° 99-17.255).

Or, l'arrêt commenté, quand à lui, est plus précis puisqu'il utilise l'emploi de l'adverbe « aussi »,laissant supposé qu'également les enfants issus d'une autre union doivent être compris dans le calcul dela prestation compensatoire due par le mari à son ex-épouse. De plus, il s'agissait d'enfants majeurs ducouple, ce qui rappelle que l'obligation d'entretien des enfants ne cesse pas de plein droit à leur majorité(article 371-2 alinéa 2 du Code civil).

Enfin, le Notaire doit être vigilant en raison de la multiplication des mariages internationaux. Eneffet, il pourra constater que certains droits comme le droit allemand autorise la renonciation anticipée àla prestation compensatoire dans le contrat de mariage. Cette clause semblerait inimaginable en France.

Mais, le Notaire, en vertu de son devoir de conseil, devra prévenir ses clients. En effet, en droitfrançais, un époux ne peut pas renoncer par avance à la demande de prestation compensatoire. Or, cettesituation est loin d’être un cas d'école.

Première Chambre civile de la Cour de cassation du 8 juillet 2015 (n° 14-17.880)

Des époux se sont mariés en 2000 en Allemagne, État de leur résidence. Ils ont fait précédé leurunion d'un contrat de mariage qui a été rédigé par un Notaire allemand dans lequel ils optent pour lerégime légal allemand et pour l'application du droit allemand quant au conséquences de leur mariage.Dans une clause de ce contrat, les époux renoncent par avance à toute prestation compensatoire.

Un jugement de divorce est prononcé en France le 19 juillet 2011.

Madame exerce une demande en prestation compensatoire devant le juge français. Sa demandeest déboutée en première et en seconde instances. La Cour d'appel de Metz dans une décision du 17septembre 2013 retenait que l'épouse avait renoncé à cette prestation au terme de la clause présentedans le contrat de mariage. Cette juridiction estime que la rédaction du contrat de mariage par unNotaire allemand avait exclu « toute prestation compensatoire selon le droit allemand ou tout autredroit ».

Cependant, la Cour de cassation casse pour partie cette décision sur le fondement de l'article 15du Règlement « aliments » n°4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 et des articles 8, 13 et 22 duProtocole de La Haye du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires. La Hautejuridiction estime alors que la Cour d'appel avait violé les dispositions des textes précités en nerecherchant pas si les effets concrets de la loi allemande n'étaient pas contraires à l'ordre public87

international français.

Ce raisonnement très pédagogique implique deux problématiques : la détermination de la loiapplicable à la prestation compensatoire et l'éventuelle éviction de la loi applicable.

La détermination de la loi applicable à la prestation compensatoire

La Cour de cassation, en visant le Règlement et le Protocole, estime que la prestationcompensatoire relève de leur champ d'application à la fois matériel et temporel. Ce raisonnementsemble logique. Bien qu'elle soit compensatoire, cette prestation revêt également un caractèrealimentaire. Un arrêt de la première Chambre civile de la Cour de cassation du 16 juillet 1992 (n° 91-11.262) confirme ce raisonnement alors même que cette décision a été rendu sous l'empire de l'ancienneConvention de La Haye du 2 octobre 1973. La Cour avait considéré que la loi applicable aux obligationsalimentaires, visée à l'article 8 de ladite convention, devait s'entendre de « la loi applicable auxconséquences pécuniaires de la rupture du mariage ». De plus, concernant le champ d'applicationtemporal, le Règlement est entré en vigueur le 18 juin 2011 et le divorce en l'espèce a été prononcé le 19juillet de la même année, la date d'introduction de l'instance de divorce étant inconnue. Même si lesdates sont relativement proches, ce texte s'applique.

Une fois cette question évincée, cette juridiction incite la Cour d'appel a suivre un raisonnementpédagogique en déterminant la loi applicable à la prestation compensatoire. En l'espèce, les époux ont iciexplicitement choisi la loi applicable à leur régime matrimonial puisqu'ils se sont mariés en Allemagne, ilsont opté pour le régime légal du droit allemand et ils sont passés devant un Notaire allemand pourréaliser leur contrat de mariage. Ce choix de la loi applicable a donc été effectué avant le divorce. Or, leseffets patrimoniaux du mariage sont inclus dans le contrat de mariage allemand.

Par conséquent, la détermination de la loi allemande, qui au moment de la désignation autorisaitla renonciation anticipée à la prestation compensatoire, ne semble pas faire obstacle à l'application decette clause.

L'éventuelle éviction de la loi applicable

L'éviction d'une loi étrangère qui viendrait écarter l'application de la prestation compensatoiresur le fondement de l'ordre public international est établie en jurisprudence. En effet, des arrêts de lapremière Chambre civile de la Cour de cassation du 17 décembre 1958 Valentinis et du 19 octobre 1971Darmouni et un arrêt de la troisième Chambre civile de la même juridiction du 3 novembre 1988, sontrendus dans ce sens.

Néanmoins, l'arrêt de référence en la matière depuis quelques années est : arrêt Nori de lapremière Chambre civile du 16 juillet 1992 (n° 91-11.262). La Haute juridiction y affirmait qu' « une loiqui ne prévoit ni prestation compensatoire, ni pension alimentaire pour l'épouse, ni dommages-intérêtspour celle-ci en cas de divorce est manifestement incompatible avec l'ordre public français et doit êtreécartée au profit de la loi française ».

Or, en l'espèce, contrairement aux arrêts cités, les époux avaient prévu, avant le divorce, uncontrat de mariage réglant les effets patrimoniaux en cas de dissolution.

De plus, en l'espèce, les époux, même si la loi désignée pour régler leur régime matrimonial est la

88

loi allemande, entendent soumettre les effets patrimoniaux de la dissolution de leur union à la loifrançaise et non pas à la loi allemande. Cette dernière avait pourtant était choisie par le couple dansl'arrêt Todorovitch de la première chambre civile de la Cour de cassation du 7 novembre 1973 (n° 71-44.470). La solution est claire : « une convention sur l'obligation alimentaire dès lors qu'elle a été concluevalablement au regard de la loi reconnue compétente par les règles françaises de droit international privé…, n'est pas contraire à l'ordre public français qui a un effet atténué à l'égard des droits acquis àl'étranger ».

Mais, quand est-il lorsque le régime matrimonial est soumis à la loi allemande mais que les épouxentendent soumettre les effets patrimoniaux de la dissolution de leur union à la loi française en sachantque leur contrat de mariage reconnaît la renonciation anticipée à la prestation compensatoire, conformeà la loi allemande ?

L'ordre public international français est directement mis en cause. Par conséquent, seul l'ordrepublic international atténué pourrait jouer en prenant l'exemple de la solution de la Cour de cassation le7 novembre 1972. Cependant, dans l'arrêt étudié, cette référence à l'ordre public international atténuéest absente ce qui laisse dubitatif quant à la portée exacte de la décision de la Cour de cassation.

Cependant, il est intéressant de noter que si cette exception d'ordre public était retenue, cettesolution pourrait fragiliser les prévisions des futurs époux, résidant dans un État étranger, qui prennent lesoin d'établir un contrat de mariage devant un officier public de cet État. En effet, ce contrat de mariage apour intérêt de soumettre le régime matrimonial mais également les effets patrimoniaux du divorce à laloi de cet État, dans le respect des dispositions de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 et duRèglement.

Ainsi, la remise en cause de la clause de renonciation anticipée à la prestation compensatoirerisquerait de déséquilibrer les effets du contrat de mariage conclu par les futurs époux.

C'est pourquoi, un notaire français, par le mécanisme de l'exception d'ordre public atténuépourra se retrouver dans une situation où il devra appliquer une clause, présente dans un contrat demariage étranger, non admise en France pour respecter la loi des parties.

Le juge a précisé certaines conséquences financières inhérentes au mariage, mais il s''estégalement prononcé sur la gestion du patrimoine du couple (B).

B) La gestion du patrimoine du couple

Précisons tout d’abord, les règles de disposition de biens communs par les trois unions que sontle mariage, le concubinage et enfin le pacs.

Concernant le couple marié, le régime primaire pose des règles applicables à tout régimematrimonial. Selon l’article 225 du Code civil, chaque conjoint gère librement ses biens propres. Il y a

89

toutefois une limite concernant le logement familial dont la disposition est toujours soumise à cogestionpar l’article 215 du Code civil. Pour les biens communs, le régime légal supplétif a tendance à s’étendreaux autres régimes. Le principe est la gestion concurrente des biens communs. Cependant, les articles1422 à 1424 du Code civil imposent la cogestion pour les actes de disposition à titre gratuit d’un biencommun ou encore pour la disposition onéreuse d’un immeuble commun. Pour pallier aux situations deblocage lorsqu’un époux ne consent pas, la loi prévoit deux solutions. Tout d’abord, l’autorisationjudiciaire de l’article 217 du Code civil qui permet de passer seul un acte pour lequel un époux est horsd’état de manifester sa volonté ou refuse de manière injustifiée au regard de l’intérêt de la famille.Ensuite, l’article 219 du code civil prévoit le mandat judiciaire permettant de représenter un conjoint demanière générale ou pour un acte spécial lorsqu’il est hors d’état de manifester sa volonté.

Concernant le concubinage, il s’agit d’une union de fait n’emportant pas d’effet patrimonial entreles concubins. Ils ont donc chacun un patrimoine qu’ils gèrent librement. Cependant, lorsque ces derniersacquièrent un bien ensemble, il sera indivis pour moitié à défaut de stipulations spéciales. La gestion d’untel bien suit donc le régime de l’indivision régie aux articles 815 et suivants du code civil. Leconsentement des deux époux indivisaires est donc nécessaire pour tout acte de disposition sur le bien.

Concernant le pacs, depuis la loi du 23 juin 2006 et selon l’article 515-5 du code civil, le régimeapplicable aux biens des partenaires est celui de la séparation des patrimoines, réservant toutefois lapossibilité d’opter pour le régime de l’indivision. Ainsi, en cas de séparation de patrimoine, chacunconserve la libre gestion de ses biens personnels et ce, même pour le logement familial. Si le bien estindivis, une cogestion est nécessaire pour les actes de disposition au titre du régime de l’indivision.

La Cour de cassation a récemment rendu un arrêt qui précise l’application de l’article 217 du codecivil, applicable seulement au mariage. Selon ce texte, pour être autorisé à vendre un bien de lacommunauté, sans le consentement de l’époux, il faut remplir deux conditions cumulatives. Il faut que leconjoint refuse de passer l’acte litigieux et que ce refus ne soit pas justifié par l’intérêt de la famille. Cecine résout qu’une difficulté ponctuelle puisque l’autorisation ne vaut que pour un acte, et rend ce derniersimplement opposable audit conjoint.

Première Chambre civile de la Cour de cassation, 9 septembre 2015 (n°14-11.901)

La vente d’un bien commun par un époux seul peut être autorisée en vertu de l’article 217 duCode civil, pour apurer un passif de la communauté lorsque le conjoint a manifesté un refus taciteinjustifié.

90

En l’espèce, dans un couple marié sous le régime légal, le mari assume seul l’entretien de lafamille et pour y parvenir, contracte plusieurs emprunts. Pendant l’instance de divorce, ce dernier veutvendre un immeuble commun pour apurer ce passif et sa conjointe ne répond à aucun de ses courrielssur ce sujet. Il assigne alors cette dernière sur le fondement de l’article 217 du Code civil aux fins d’êtreautorisé à vendre le bien commun, sans son consentement.

La Cour d’appel de Paris rejette sa demande aux motifs que d’une part, le refus de l’épouse n’étaitpas allégué au moment de l’introduction de l’instance, et d’autre part qu’en dehors d’une dette fiscaledes époux, le mari ne justifiait pas d’un passif commun. Ainsi, la vente du bien n’est pas justifiée parl’intérêt de la famille.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation, dans l’arrêt du 9 septembre 2015 censure les juges dufond au visa de l’article 217 du Code civil. La première Chambre civile estime en effet que la Cour d’appelaurait dû déterminer si le refus tacite de l’épouse était allégué au jour où elle statuait et non lors del’introduction de l’instance. Elle poursuit en invoquant que les juges auraient dû également rechercher siles emprunts souscrits ne constituaient pas un passif commun et s’il n’était pas dans l’intérêt de la famillede procéder à la vente de l’immeuble pour apurer ces dettes.

Cette décision présente un intérêt parce qu’elle fait partie des rares applicationsjurisprudentielles de l’article 217 du Code civil, mais aussi parce qu’elle précise les conditions danslesquelles un époux peut être autorisé à disposer seul d’un bien immobilier commun.

De plus, cette solution a une portée certaine puisque, même si en l’espèce elle est rendue enfaveur d’un couple marié sous le régime légal, elle s’applique à tous les régimes matrimoniaux étantdonné que l’article 217 du Code civil fait partie du régime primaire s’imposant à tout couple marié.

Ce texte est exclu quant aux concubins qui seront soumis à l’article 815-5 du Code civil en cas dedifficultés sur un bien indivis.

Le refus de l’époux

Les deux juridictions rappellent ici les deux conditions cumulatives de l’article 217 du Code civilpour qu’un époux obtienne une autorisation judiciaire de vendre un bien commun seul : un refus duconjoint, injustifié par l’intérêt de la famille.

L’arrêt de la Chambre civile apporte également des éléments nouveaux concernant le refus del’époux. En l’espèce, le refus était tacite et découlait du silence de l’épouse face aux courriels de son mariconcernant la vente du bien commun. La Cour d’appel estime qu’au jour de l’introduction de l’instance, lerefus tacite n’est pas allégué et que de ce fait, l’article 217 du Code civil ne peut s’appliquer. La Cour decassation censure cette analyse et estime que l’appréciation du refus tacite doit se faire au jour où lesjuges statuent et non au moment de l’introduction de l’instance. Il ressort donc implicitement qu’un refustacite peut être admis dans le cadre de l’article 217 du Code civil.

L’arrêt apporte ainsi deux précisions : le silence du conjoint peut caractériser un refus tacitepermettant l’application du texte suscité, et de surcroît, ce refus doit être apprécié par les juges aumoment où ils statuent et non en amont. La lettre du texte n’exige qu’un refus sans préciser le momentoù il doit être caractérisé. Il doit néanmoins forcément exister au jour où le juge statue puisqu’en vertu

91

des règles de procédure civile le juge prend en considération la situation de fait telle qu’elle est aumoment où il rend sa décision.

L’intérêt de la famille

Selon un arrêt de la première Chambre civile du 22 novembre 2005, les juges ont un pouvoirsouverain d’appréciation de l’intérêt de la famille pour justifier l’autorisation de vendre un bien seul envertu de l’article 217 du Code civil.

Dans l'arrêt étudié, les juges du fond ont manqué à ce devoir d’après la Cour de cassation.

Selon l’article 1315 du Code civil, il revient à l’époux de prouver que l’acte qu’il veut passer seulest dans l’intérêt de la famille et que de ce fait le refus de son conjoint est injustifié. En l’espèce, le mari atenté de prouver que le fait de vouloir apurer des dettes communes par la vente du bien commun étaitdans l’intérêt familial. La jurisprudence l’avait d’ailleurs déjà admis à plusieurs reprises et notamment laCour de cassation dans un arrêt du 31 janvier 1974.

L’apurement d’un passif par le biais de la vente d’un bien de la communauté répond de l’intérêtde la famille dans le seul cas où le passif en question est commun. En effet, s’il s’agit de se dessaisir d’unbien commun aux époux dans le seul but de solder les dettes propres à l’un d'eux, l’intérêt de la famillen’entre pas en jeu et l’article 217 du Code civil ne peut donc pas jouer. Ainsi, pour pouvoir bénéficier del’autorisation judiciaire de disposer seul d’un bien commun dans le but d’apurer un passif, il fautnécessairement rapporter la preuve du caractère commun des dettes contractées.

En l’espèce, l’époux assumait seul l’entretien de la famille et avait contracté des dettes à cet effet.Or, la Cour d’appel estime que mis à part une dette fiscale, l’époux ne justifie pas de dettes communes.Cependant, s’il s’avère exact que les dettes ont été contractées pour l’entretien du ménage, ellesconstituent un passif définitivement commun au titre de l’article 1409 du Code civil, dont leremboursement satisfait l’intérêt de la famille. De ce fait, la Cour de cassation censure les juges du fondqui, manquant à leur pouvoir d'appréciation, n’ont pas recherché si les dettes étaient communes du faitde leur affectation à l’entretien du ménage et par conséquent si leur apurement répondait à l’intérêt dela famille.

Pour conclure, cet arrêt contient divers apports.

Tout d’abord, le refus du conjoint peut être tacite, mais le moment de sa caractérisation se fait aujour de la décision des juges et non lors de l’introduction de l’instance.

De plus, la volonté d’apurer des dettes communes au moyen de la vente d’un immeuble communrépond à l’intérêt de la famille. Il est cependant inévitable de prouver que le passif en question relève dela communauté, comme par exemple, des dettes constituées pour l’entretien de la famille.

II. LA SEPARATION DU COUPLE : UNE DESUNION AFFECTANT LEURS BIENS

92

La séparation du couple entraîne des interrogations relatives au sort des biens comme à leurqualification (A), le calcul de la récompense et des intérêts (B). De plus, il convient d'attirer l'attention surles pouvoirs détenus par le Notaire au moment de la liquidation en sa qualité de notaire commis (C).

A) La qualification des biens

En effet, la qualification des biens acquis durant l'union est un préalable à toute liquidation d'unrégime matrimonial ou tout partage d'une indivision. Cependant, celle-ci peut être problématiquelorsque le couple se sépare. Des précisions ont été données par la jurisprudence notamment pour laqualification des biens acquis par des concubins (1) et celle de la donation pour les jeunes agriculteurspour un agriculteur marié (2).

1) La qualification des biens acquis par des concubins

L'acquisition de biens par les concubins peut donner lieu à des difficultés lors de la séparation deces derniers. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a été amenée à étudier ces difficultés sousle prisme des procédures collectives dans un arrêt du 15 octobre 2015.

Chambre commerciale de la Cour de cassation du 2 juin 2015 (n°12-29.405)

Dans l'arrêt en présence, deux concubins ont acheté en indivision, à parts égales, un immeuble.Cependant cette acquisition n'a été financée que par Monsieur à l'aide d'un emprunt. À la suite de laséparation du couple, la licitation de l'immeuble est ordonnée et son adjudication a eu lieu en 2007.Madame est par la suite mise en redressement judiciaire et le plan de redressement est prononcé en2008. Cette dernière assigne alors son ex-concubin en remboursement des taxes foncières qu'elle aacquittées. Monsieur fait valoir de son côté les échéances d'emprunt et les travaux effectués surl'immeuble indivis avant l'ouverture de la procédure collective, et en demande le remboursement.

Après un jugement en première instance, la Cour d'appel de Versailles a débouté Monsieur deses prétentions au motif que les créances réclamées étaient éteintes puisqu'il ne les avait pas déclarées àla procédure de redressement judiciaire. Le requérant s'est alors pourvu en cassation, estimant de soncôté, que ses créances n'étaient pas éteintes.

Ainsi, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a été amenée à se demander quel régimedevait être appliqué à l'immeuble indivis entre deux concubins, afin d'en déduire si les créances d'un desco-indivisaires à l'encontre de l'autre devaient être déclarées ou non lors de la procédure collective de cedernier pour lui être opposables.

Par un arrêt du 2 juin 2015, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt d'appel en faisant droitaux réquisitions du demandeur au visa de l'article 815-17 alinéa 1 du Code civil qui prévoit que lescréanciers dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis seront payés par93

prélèvements sur l'actif avant le partage. Les Hauts magistrats ont déduit de cette disposition que lescréanciers possédant ce type de créances peuvent faire valoir leurs droits après l'ouverture de laprocédure collective de l'un des indivisaires, sans avoir à déclarer sa créance à celle-ci.

Tout d'abord, afin de comprendre cette solution il convient de rappeler que le concubinage, telque défini par le Code civil à l'article 515-8, se présente comme une union de fait, le législateur ne l'ayantpas doté de régime spécifique.

Au regard du visa sous lequel est rendu cet arrêt, il paraît important de souligner que l'acquisitionimmobilière faite par des concubins est soumise au régime de l'indivision posé aux articles 815 à 815-18du Code civil. Les rapports entre les concubins vis à vis du bien immobilier sont ainsi régis par les règlesde l'indivision.

C'est en vertu de cette constatation que dans l'arrêt en présence, Monsieur possède une créance degestion et de conservation relative à son financement exclusif lors de l'achat du bien et aux dépenses deconservation effectuées par lui pour l'immeuble indivis.

L'arrêt en question apporte une précision essentielle sur le débiteur de cette créance détenuepar un indivisaire ainsi que sur la marche à suivre pour le règlement de celle-ci lorsqu'un co-indivisaireest placé en procédure collective.

La personne du débiteur de la créance

La première Chambre civile de la Cour de cassation avait coutume de dire que ce type de créanceétait détenue contre l'indivision et non contre son co-indivisaire (Civ. 1re, 23 novembre 2011). Parconséquent, cette créance appartenait au passif de l'indivision et devait être réglée lors de la liquidationet du partage de l'indivision. Aucune possibilité n'était donc offerte à l'indivisaire créancier de poursuivrele paiement de sa créance contre son co-indivisaire.

Dans l'arrêt en présence, les juges semblent reconnaître que l'indivisaire détient une créance nonpas contre l'indivision mais contre son co-indivisaire puisqu'ils admettent que sa créance puisse êtreréclamée lors de la procédure collective de son co-indivisaire.

Les démarches à effectuer pour le règlement de la créance

Concernant le règlement de la créance d'un indivisaire détenue à l'encontre de son co-indivisaire,la Cour de cassation innove.

Précision doit être ici faite que dans des arrêts antérieurs, notamment de 2005, la Cour decassation reconnaissait, avant de revenir sur sa position, que ce type de créance constituait des créancespersonnelles contre le co-indivisaire et que si elles étaient antérieures, elles devaient donc être déclaréesà la procédure collective du co-indivisaire. Cependant, la Haute Cour reconnaissait que les tiers créanciersde l'indivision n'avaient pas besoin de déclarer leur créance antérieure à la procédure collective del'indivisaire.

Ainsi, par l'arrêt commenté, la Chambre commerciale harmonise les régimes applicables aux tierscréanciers et aux indivisaires créanciers. En effet, cette dernière reconnaît ici que les créances détenues

94

par Monsieur puissent être réclamées à la procédure collective ouverte à l'encontre de Madame, alorsmême qu'elles sont antérieures à l'ouverture du redressement judiciaire et qu'elles n'y ont pas étédéclarées.

Par conséquent, il convient d'attirer l'attention que lorsque deux concubins acquièrent un bienimmobilier en indivision, leurs relations vis à vis de ce bien seront régies par les règles de l'indivision.

Si un des concubins est placé en procédure collective avant le partage de l'indivision, et quel'autre concubin a effectué des dépenses pour le compte de l'immeuble indivis, ce dernier disposerad'une créance contre le concubin placé en procédure collective. Le détenteur de la créance pourra fairevaloir cette dernière à l'égard de la procédure collective de son concubin, même s'il ne l'a pas déclarée.

2) La qualification de la donation pour les jeunes agriculteurs

La qualification des biens dans le régime matrimonial légal de la communauté de biens réduitesaux acquêts, est source habituelle d'interrogations. La première chambre civile de la Cour de cassations'est ainsi prononcée sur la nature juridique des dotations aux jeunes agriculteurs, et ce, pour la premièrefois.

Première Chambre civile de la Cour de cassation, 15 avril 2015 (n°13-26.467)

Dans l'arrêt en question, l'épouse mariée sous le régime légal de la communauté de biens réduiteaux acquêts, a fondé une exploitation agricole après la célébration du mariage. Pour ce faire, elle aobtenu l'aide à l'installation des jeunes agriculteurs, appelée également dotation aux jeunes agriculteurs,prévues à l'article D. 343-3 du Code rural et de la pêche maritime. Cette aide a été versée à l'épousedurant la vie du régime matrimonial sous forme d'un capital unique. Lors de la liquidation du régimematrimonial, l'exploitation agricole et la dotation sont qualifiées d'acquêts. Cette dernière a donc intentéune action en justice afin de se voir accorder une récompense par la communauté au titre de la dotationaux jeunes agriculteurs, estimant qu'elle entrait dans la catégorie de ses biens propres.

Le Tribunal de grande instance de Tarbes a considéré que la dotation en question constituait uncomplément de salaire. En vertu de l'article 1401 du Code civil qui prévoit que les gains et salaires sontdes biens communs, les juges ont qualifié la dotation de bien commun. L'épouse a alors interjeté appelde ce jugement.

La Cour d'appel de Pau a débouté la demanderesse de ses réquisitions en considérant que lesdotations aux jeunes agriculteurs constituaient des accessoires de l'exploitation agricole commune, desorte que ces aides devaient être qualifiées d'acquêts.

La Haute juridiction a donc été amenée à qualifier les aides litigieuses afin d'en déduire si larequérante disposait ou non d'un droit à récompense. En effet, dans le cas où la Cour de cassationreconnaîtrait la nature de propre à la dotation aux jeunes agriculteurs, la communauté devrait unerécompense à l'épouse pour avoir tiré profit de son bien propre.

95

Dans son arrêt en date du 15 avril 2015, la première Chambre civile de la Cour de cassation s'estprononcée en faveur de la requérante. En effet, elle a cassé et annulé l'arrêt d'appel au visa des articles1404 alinéa 1 du Code civil et D. 343-3 1° du Code rural et de la pêche maritime. Les juges ont estimé queles dotations versées à l'épouse constituaient des biens propres par nature en raison de leurs conditionsd'attribution se rattachant quasi-exclusivement à la personne de l'exploitant.

En premier lieu, il convient de souligner que dans l'affaire en présence, il n'est pas reproché auxjuges la qualification de bien commun octroyée à l'exploitation. Cette solution se justifie au regard del'article 1401 alinéa 1 du Code civil qui précise que tous les biens acquis pendant le mariage forment desbiens communs. Or l'exploitation agricole, a été créée durant la vie du régime matrimonial.

La question était plus délicate concernant la dotation aux jeunes agriculteurs versée à l'épousepermettant la création de l'exploitation agricole. Cette dotation a été créé en 1973 afin d'octroyer auxagriculteurs une aide de trésorerie leur permettant de reprendre ou de créer une exploitation agricole.Son attribution est soumise à plusieurs conditions édictées par les articles D. 343-3 et suivants du Coderural et de la pêche maritime. C'est sur le fondement de l'essence de ces conditions que la Cour decassation s'est fondée pour qualifier la dotation de bien propre.

Le caractère intuitu personæ de la dotation : le fondement de sa nature de bien propre

Dans leur décision, les magistrats de la Haute juridiction écartent la solution de la Cour d'appelassimilant la dotation aux jeunes agriculteurs à des accessoires de l'exploitation agricole commune. Cetteinterprétation aurait pu être défendue puisque la dotation a permis la création de l'exploitationcommune ainsi qu'une partie de son fonctionnement. Les juges d'appel ont déduit de la qualificationd'accessoire de la dotation à l'exploitation commune, sa nature de bien commun. En effet, l'article 1404alinéa 2 du Code civil précise que forment des biens propres par nature les instruments de travailnécessaires à la profession d'un époux. Cependant, si ces instruments de travail sont des accessoiresd'une exploitation faisant partie de la communauté, en vertu de la théorie de l'accessoire, ils suivent laqualification du principal et peuvent être qualifiés de biens communs. Ici, l'exploitation agricole étant unbien commun et l'aide reçue pour sa création son accessoire, selon la Cour d'appel cette dernière suit laqualification de l'exploitation. Néanmoins, il paraît difficile d'admettre qu'une somme d'argent versée encapital puisse constituer un instrument de travail et ainsi tomber sous l'application de l'article sus-visé.

Précision doit être ici faite que la Cour de cassation écarte également la position des juges depremière instance en refusant de prétendre que la dotation constitue un complément de salaire communau sens de l'article 1401 du Code civil. Cette négation se comprend facilement puisque l'aide accordéeaux jeunes agriculteurs a pour objectif de les appuyer financièrement lors de leur installation. Il ne s'agitpas d'une prime attribuée en fonction des revenus tirés de l'exploitation.

Les juges de la Cour de cassation ont, quant à eux, préféré se fonder sur les conditionsd'attribution de l'aide.

En effet, à la lecture du Code rural et de la pêche maritime, il est possible de s'apercevoir que ladotation est attribuée quasi-exclusivement selon des critères intuitu personæ, tenant à la personne del'époux agriculteur. Des conditions d'âge, de compétences professionnelles, de nationalité et

96

d'établissement d'un projet professionnel par le conjoint bénéficiaire sont requises alors que très peu decritères se réfèrent à l'exploitation elle-même. Il existe donc un lien personnel entre la dotation auxjeunes agriculteurs et son bénéficiaire. C'est grâce à ce lien personnel que l'arrêt retient la qualificationde bien propre de la dotation. En effet, l'article 1404 alinéa 1 du Code civil prévoit que constituent desbiens propres par nature, même s'ils ont été acquis pendant le mariage, tous les biens qui ont uncaractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne, ce qui est le cas ici de ladotation aux jeunes agriculteurs.

Pour les magistrats de la Cour de cassation, ce lien personnel prime sur le lien matériel qui existeentre l'aide et l'exploitation.

Il est possible de se demander si le fondement employé par les magistrats dans cet arrêt pourraitêtre utilisé pour la qualification d'autres aides accordées selon des critères personnels au bénéficiaire. Atitre d'exemple, la question pourrait se poser pour les aides à la reprise ou à la création d'entreprise,réservées aux chômeurs bénéficiaires de l'aide au retour à l'emploi. En effet, ces aides sont consentiespar les autorités publiques selon des critères intuitu personæ, tout comme la dotation aux jeunesagriculteurs en présence. Or, jusqu'à présent, les aides à la reprise ou à la création d'entreprise sontqualifiées d'acquêts dans le régime légal. Si la Cour de cassation continue à suivre son raisonnement du15 avril 2015, ce type d'aides pourraient à l'avenir se voir qualifier de biens propres à l'épouxbénéficiaire, sur le fondement de l'article 1404 alinéa 1 du Code civil.

L'inapplication de la distinction du titre et de la finance

Après examen de la situation il apparaît que la distinction du titre et de la finance aurait pu êtreappliquée par les juges.

La technique de la distinction entre le titre et la finance permet une continuation "paisible" d'uneexploitation créée pendant le mariage et de contourner le problème du calcul des récompenses. Le titrecorrespond à la titularité du bien personnelle à un époux, ce qui lui assure de retrouver le bien lors de ladissolution du mariage. La finance correspond à la valeur patrimoniale du bien qui est commune et quipermet à l'époux non titulaire de profiter de la valeur patrimoniale du bien à la dissolution de lacommunauté.

Dans le cas d'espèce, les juges auraient pu se servir de cette distinction pour la dotation auxjeunes agriculteurs. Par cette technique, l'agriculteur, ici l'épouse, aurait conservé personnellement letitre, la titularité de la dotation, alors que la communauté aurait recueillie la valeur patrimoniale de ladotation.

La Cour de cassation a eu l'occasion d'appliquer la distinction titre/finance dans un arrêt du 14mars 2006 relatif à une exploitation ostréicole. Les juges avaient considéré que les subventions octroyéesà l'époux exploitant du parc à huître devaient être qualifiées d'acquêts. Pour eux, elles constituaient desinstruments de travail et il y avait lieu d'appliquer la distinction du titre et de la finance. Ainsi, l'épouxexploitant s'était vu attribuer la titularité des subventions alors que la communauté avait recueilli leurvaleur. Il s'agit donc d'un cas similaire à celui d'espèce, la première Chambre civile aurait pu suivre sonraisonnement antérieur.

Cependant, il semble que la solution adoptée par cette dernière poursuit un but purementéconomique, en permettant la survie de l'exploitation agricole.

97

Grâce à l'attribution préférentielle de l'exploitation à l'épouse agricultrice et à la qualification debien propre de la dotation, l'épouse possède tous les éléments pour continuer son exploitation. De plus,la communauté a tiré profit de l'aide reçue par l'épouse puisqu'elle a permis à l'exploitation commune defonctionner et par la même de générer des revenus tombant en communauté. En vertu de l'article 1437du Code civil, la communauté devra verser à l'épouse une récompense qui sera évaluée selon les règlesde l'article 1469 du Code civil, à savoir qu'elle sera égale à la dépense faite (soit le montant en capital dela dotation) ou au profit subsistant. L'avantage par rapport à la distinction titre/finance réside dans leversement de la récompense. En effet, si cette distinction avait été appliquée au cas d'espèce, la dotationaurait été qualifiée de bien commun et l'épouse n'aurait eu droit à aucune récompense, la privant ainside trésorerie indispensable pour la continuation de son exploitation.

En conclusion, il convient de souligner que lorsqu'une exploitation agricole, gérée par un seul desépoux, est créée durant le fonctionnement du régime matrimonial légal, celle-ci prend la qualité de biencommun. Cependant, la dotation aux jeunes agriculteurs prend, quant à elle, la qualité de bien propre del'époux bénéficiaire. Il ne sera pas nécessaire ici de procéder à la distinction entre le titre et la finance, enl'état actuel de la jurisprudence.

Durant la vie du régime matrimonial, l'époux agriculteur aura donc une totale liberté de gestionde la dotation puisque l'article 1428 du Code civil prévoit que chaque époux dispose de l'administrationet de la jouissance de ses propres et peut en disposer librement. Cette disposition doit être couplée avecl'article 1421 alinéa 1 du Code civil prévoyant que l'époux exerçant une profession séparée de celle deson conjoint a seul le pouvoir d'accomplir les actes d'administration et de disposition sur les bienscommuns nécessaires à l'exercice de son activité. Grâce à ces deux dispositions, l'époux agriculteurdispose de la plus grande liberté pour gérer l'exploitation agricole.

Lors de la liquidation du régime matrimonial, l'époux agriculteur pourra demander au jugel'attribution préférentielle de l'exploitation commune en vertu de l'article 1476 alinéa 2 du Code civilainsi qu'une récompense à la communauté sur le fondement de l'article 1437 du Code civil puisque lacommunauté a profité de la dotation propre à son bénéficiaire par le biais de l'exploitation agricolecommune. Ainsi, même après la dissolution du régime matrimonial, l'époux conservera toutes les cartespour continuer l'exploitation de façon pérenne.

Première Chambre civile de la Cour de cassation, 23 septembre 2015

Une fois de plus, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la délicate question de laqualification des biens dans un régime légal. Une particularité est ici étudiée, celle de la renonciation parun époux à la qualification de bien propre.

Dans l'arrêt en présence, un époux marié sous le régime légal de la communauté réduite auxacquêts a acquis avec des fonds propres vingt actions d'une société lui donnant droit à l'attribution enjouissance puis en pleine propriété d'un terrain. L'acte d'acquisition de ces actions comportaient lesformalités d'emploi des articles 1434 et 1435 du Code civil. Lors de l'instance en divorce, l'époux avait

98

soutenu que le terrain constituait un bien commun.

La Cour d'appel d'Aix-en-Provence, saisie du litige, a précisé que le bien litigieux détenait unequalification différente selon que l'on envisage les rapports des époux entre eux ou avec les tiers. Eneffet, à l'égard des tiers, le terrain constituait un bien propre de l'époux, alors qu'entre les époux, leterrain constituait un bien commun. Ce dernier forme un pourvoi en cassation estimant que le terrain luiappartenait en propre, et ce même à l'égard de son épouse.

Ainsi, la Cour de cassation a été amenée à se demander si le fait pour un époux de reconnaîtreexplicitement la nature commune d'un bien alors que selon le régime matrimonial il s'agissait d'un bienpropre à l'époux, influait sur la qualification finale du bien litigieux.

Par un arrêt en date du 23 septembre 2015, la première Chambre civile de la Cour de cassation aconfirmé l'arrêt d'appel. En effet, les juges assimilent la reconnaissance par l'époux de la nature de biencommun du terrain à une renonciation tacite et non équivoque à son droit propre sur le terrain.

En premier lieu, il convient de préciser que l'époux a respecté toutes les conditions de lasubrogation réelle, de sorte que selon les règles légales, le terrain lui appartient en propre.

La Cour de cassation retient cependant une double qualification du terrain, selon que l'on setrouve dans les relations des époux entre eux, ou avec les tiers.

S'agissant des relations des époux entre eux, les juges ont reconnu une renonciation tacite del'époux à son droit de voir qualifier le terrain de bien propre. Ils précisent que la renonciation peut êtretacite dès lors que les circonstances établissent de façon non équivoque la volonté de renoncer. Pour eux,le fait que l'époux ait explicitement reconnu la qualité de bien commun du terrain lors de l'instance endivorce, constitue une circonstance qui établit de façon non équivoque la volonté de renoncer son droit.C'est pourquoi, cette renonciation que le terrain suit la nature et le régime des biens communs dans lesrapports entre époux. Par conséquent, le terrain dépendra des règles de liquidation et de partage de lacommunauté et notamment celle selon laquelle chaque époux a droit à la moitié de sa valeur.

S'agissant des relations des époux avec les tiers, la Cour de cassation a précisé que le terrainprend la nature de bien propre. Cette solution semble protectrice pour les créanciers de l'époux. En effet,l'assiette des créanciers personnels de l'époux comprend l'intégralité du bien. A l'inverse, si le bien avaitété qualifié d'acquêt à l'égard des créanciers de l'époux, ces derniers n'auraient pu poursuivre leurs droitssur le terrain que dans certaines hypothèses. Précision doit être ici faite que l'obligation à la dette, c'est àdire l'assiette des créanciers, ne comprend pas les biens communs dans le régime légal lorsqu'un seulépoux sans le consentement de l'autre a accordé un cautionnement personnel, affecté un bien engarantie, ou contracté un emprunt pour une autre dépense que des dépenses ménagères. Il en estdifférent, lorsqu'une dette ordinaire est née du chef d'un seul époux et qu'il y a eu fraude de l'époux oumauvaise foi du créancier.

On retiendra de cet arrêt qu'il est possible pour un époux de renoncer à son droit légal de voirqualifier un bien de bien propre. Dans ce cas, le bien sera reconnu comme un acquêt dans les relationsentre époux mais conservera sa nature de propre à l'égard des tiers.

Cette renonciation pourra être tacite dès lors que les circonstances témoignent d'une volonté

99

non équivoque de l'époux de renoncer à son droit. Ces circonstances peuvent résulter de lareconnaissance explicite d'un époux de la qualité d'acquêt d'un bien alors que selon les règles du régimematrimonial légal il constitue un bien propre à l'époux.

B) Le calcul de la récompense et des intérêts

Lors de la séparation du couple, de vrais comptes d'apothicaires sont réalisés notamment àtravers le calcul des récompenses (1) et des intérêts (2).

1) Le calcul du montant de la récompense

Première Chambre civile de la Cour de cassation, 10 juin 2015 (n°14-15.608)

La Cour de cassation précise qu’il est nécessaire de prendre en compte la destination des fondspropres par la communauté pour calculer le montant de la récompense due à l’époux. Le simpleencaissement sur un compte joint de sommes propres entraîne un droit à récompense mais ne permetpas d’évaluer son montant, et ce, même en cas de convention de liquidation-partage entre les époux. Ilest donc essentiel de rechercher l’utilisation faite par la communauté des fonds propres pour pouvoirévaluer la valeur du droit à récompense de l’époux.

En l’espèce, un couple marié sous le régime de la communauté légale a, lors de l’instance dedivorce, conclu par acte notarié du 24 août 2007 une convention portant sur la liquidation et le partagede leurs intérêts patrimoniaux.

Peu après le prononcé du divorce, l’épouse invoque une erreur sur le calcul de la récompensedue à Monsieur par la communauté. Elle affirme que, contrairement aux énonciations de la conventionde liquidation-partage, les fonds propres de Monsieur résultant de la vente de sa vigne n’ont pas pu êtreinvestis dans l’acquisition d’un immeuble commun, puisque la vente du terrain propre a eu lieu presqueun an après l’achat commun des époux.

La Cour d’appel de Bordeaux déboute la demanderesse et renvoie les parties devant un notairepour la rédaction d’un acte de liquidation-partage conforme au premier. Selon la Cour, l’acte indique quela récompense due à l’époux est calculée en fonction de la somme propre encaissée par la communauté ;l’utilisation des fonds n’est traitée dans l’acte que dans le développement suivant. Ainsi, les juges endéduisent qu’il est dès lors sans intérêts de savoir à quoi l’argent propre a servi puisque les épouxs’étaient accordé par compromis sur le fait que la somme avait bien été encaissée par la communauté etque c’est cette somme qui détermine le montant de la récompense.

L’épouse forme alors un pourvoi en cassation selon le moyen, qu’aux vus des articles 1433 et1469 du Code civil, il est nécessaire de connaître l’utilisation des sommes propres par la communauté100

pour déterminer le montant de la récompense.

La première chambre civile de la Cour de cassation le 10 juin 2015, casse l’arrêt d’appel au visa del’article 1469 du code civil. La Haute juridiction estime que la destination des fonds propres de l’époux aune incidence sur l’évaluation de la récompense due par la communauté à la suite de leur encaissement.Par conséquent, en ne prenant en compte que la somme encaissée, la cour d’appel a violé l’article visé.

La position de la Cour de cassation se justifie, en vertu de l’article 1469 du Code civil : larécompense est différente selon l’utilisation des fonds ou des biens. En effet, la récompense ne peut êtremoindre que la dépense faite si elle nécessaire, et elle ne peut être moindre que le profit subsistantlorsque la valeur empruntée a servi à l’acquisition, la conservation ou l’amélioration d’un bien. Ilappartiendra de prouver pour quels types de dépenses la somme propre a été employée afin dedéterminer le montant de la récompense entre la dépense faite et le profit subsistant.

C’est pourquoi, l’épouse invoque une erreur du calcul de la récompense et veut obtenir unerectification, en indiquant que les fonds propres n’ont pas été utilisés dans une dépense d’acquisition.Effectivement, les fonds propres sont issus d’une vente de propres qui a eu lieu l’année suivantl’acquisition du bien commun.

De ce fait, puisque les fonds personnels n’ont pas été utilisés pour une dépense d’acquisition, larécompense n’est pas soumise à l’obligation d’être au moins égale au profit subsistant selon l’article 1469alinéa 3 du Code civil. Le montant de la récompense pourra donc être plus faible, ce qui est favorable à lacommunauté et plus particulièrement à l’épouse.

Cependant, la Cour d’appel estime qu’il faut que l’accord de liquidation-partage soit mis enapplication, quand bien même le calcul de la récompense est fait selon le montant de la sommeencaissée. Or, l’encaissement des sommes par la communauté n’est pas contesté ici. La demanderessesouhaite simplement que soit pris en compte l’utilisation des fonds pour déterminer le montant de larécompense.

Les juges du fond ont pourtant affirmé qu'il était sans intérêt pour l'évaluation de la récompensede savoir comment les deniers propres avaient été utilisés par la communauté dès lors que les époux ontconclu un accord selon lequel la somme avait été encaissée par la communauté.

L’arrêt prend seulement en compte le fait qu’il y ait eu un compromis de liquidation-partage quibase le calcul de la récompense sur le seul encaissement des fonds par la communauté, et ne s’intéressepas à l’utilisation de ces deniers.

En faisant primer la convention des parties pour les modalités de calcul de récompenses sur lesrègles légales, la Cour d’appel ne respecte pas la lettre de l’article 1469 du Code civil en ne distinguantpas selon l’utilisation des fonds propres par la communauté. La solution du juge du fond pourrait sejustifier par l’article 1433 du Code civil, lequel énonce que la communauté doit récompense à l’épouxchaque fois qu’elle a tiré profit de ces biens propres et notamment de l’encaissement de deniers propresou de provenant de la vente d’un propre sans qu’il en ait été fait emploi ou remploi. Mais cet articleévoque par le simple fait de l’encaissement de fonds propres, la certitude d’un droit à récompense maisen aucun cas il ne traite de son évaluation.

De même ce raisonnement pourrait se justifier par la jurisprudence antérieure. La Cour d’appelestime que la récompense se fonde simplement sur l’encaissement des fonds et non sur l’investissement

101

puisqu’un arrêt de la Cour de cassation en date du 8 février 2005 a posé une présomption de profit parla communauté lorsque des fonds propres sont encaissés par celle-ci.

Cependant, il y a profit au titre de l’encaissement des fonds propres par la communauté, le droità récompense existe donc selon l’article 1433 du Code civil, mais pour déterminer son montant il fautconnaître l’utilisation qui a été faite de ces deniers en application de l’article 1469 du Code civil.

La Cour de cassation censure l’analyse de la Cour d’appel et précise donc qu’il ne suffit pas deprouver que des sommes propres ont été encaissés par la communauté pour déterminer la récompensedue à l’époux. Cette preuve ne sert qu’à déterminer la certitude du droit à récompense mais pas sonampleur. L’évaluation de la récompense se fait inévitablement en fonction de l’utilisation des fonds, et ce,même si les ex-époux ont conclu un accord de liquidation-partage qui base le calcul de la récompense surla simple somme encaissée.

La destination des fonds propres et notamment l’emploi ou le remploi a donc forcément uneincidence sur l’évaluation de la récompense due par la communauté à la suite de leur encaissement.

En l’espèce, il est certain que la destination des fonds propres n’a pas été l’acquisition du biencommun. Pour déterminer la valeur de la récompense due à l’époux, il faudra rechercher pour quellesopérations ces sommes ont été utilisées afin de savoir si la récompense peut être inférieure à la dépensefaite ou au profit subsistant en vertu de l’article 1469 du Code civil. En effet, selon un arrêt du 16 avril1991, dans l’hypothèse où le produit de la vente d’un bien propre a été utilisé par la communauté, larécompense doit être déterminée eu égard au caractère nécessaire des dépenses et à la plus-valueapportée aux biens communs.

Il est opportun de préciser que lorsqu’il est impossible de déterminer l’utilisation faite par lacommunauté des fonds propres, la récompense due à l’époux est égale à la valeur nominale de cesdeniers selon un arrêt de la Cour de cassation du 3 décembre 1996. Cette solution s’appliquenotamment lorsque les fonds propres n’ont pas eu d’affectation particulière par la communauté.

Ainsi, en l’espèce, si aucun des époux n’arrive à prouver la destination de l’argent issu de la vented’un propre, la récompense sera égale au produit initial de la vente c’est-à-dire au nominal encaissé.

En conclusion, si l’encaissement de fonds propres par la communauté donne un droit àrécompense, il ne peut déterminer son montant, même si les époux ont conclu un accord le stipulant. Ilfaut obligatoirement prendre en compte la destination des fonds propres afin d’évaluer le montant de larécompense en application de l’article 1469 du Code civil.

2) Le calcul des intérêts

Dans les relations entre époux séparés de biens, les déplacements de sommes d’argent d’unpatrimoine à l’autre font naître des créances entre époux. Ces créances sont soumises au régime des

102

créances personnelles des époux mariés sous le régime de communauté légale, elles même soumises aurégime des récompenses. Par un jeu de renvoi, l’article 1469 du Code Civil devient maître de l’évaluationde l’ensemble de ces créances et récompenses. Toute créance faisant généralement naître des intérêts,l’hésitation jurisprudentielle a concerné le point de départ de ces intérêts.

Récemment la première chambre civile de la Cour de cassation a éclairé la question.

Première chambre civile de la Cour de cassation, 23 septembre 2015 (n° 12-13.890)

En l'espèce, M. X faisait grief à l'arrêt de la Cour d’appel de dire que la somme de 114 100 eurosdont il était débiteur envers Mme Y, son épouse devait porter intérêts au taux légal à compter du 30 mai2007 date du procès-verbal de difficulté dressé par Notaire. Il invoquait que le point de départ desintérêts d'une créance entre époux calculée selon les règles du profit subsistant était fixé au jour de laliquidation du régime matrimonial en application de l’article 1479 du Code civil « les intérêts courent aujour de la liquidation ».

Débiteur d'une créance à l'égard de son ex-épouse, pour avoir acquis, puis revendu le 26 mars2007 un bien personnel avec des fonds appartenant à celle-ci. La Cour d'appel avait jugé que le bienayant été aliéné avant la liquidation, les intérêts de la créance courraient au jour du procès-verbal dedifficultés, ayant pris acte de la revendication de l’ex épouse.

La Cour de cassation saisit de la question rejette le pourvoi en offrant la précision suivante :« mais attendu que les intérêts d’une créance d’un époux séparé de biens, évaluée selon les règles del’article 1469, alinéa 3, du code civil, courent, lorsque le bien a été aliéné avant la liquidation, à compterdu jour de l’aliénation, qui détermine le profit subsistant ; que, dès lors, après avoir constaté que M. Xavait revendu l’immeuble le 26 mars 2007 ».

Cet arrêt fixe le point de départ des intérêts d’une créance entre époux séparés de bien au jourde l’aliénation du bien. Cependant le principe posé par la haute juridiction est conditionné à deuxexigences :

la créance doit avoir été évaluée en application de l’article 1469 alinéas 3 du code civil c’est-à-dire selon le profit subsistant,

le bien aliéné avant la liquidation du régime matrimonial.

La possible application de l’alinéa 3 de l’article 1469 du Code civil aux créances entre époux

103

Le mécanisme de la dette de valeur dans les créances ou récompenses entre époux a étéinstaurée par le législateur pour pallier à la dépréciation monétaire.

En son article 1543 du Code civil le législateur a consacré : « Les règles de l'article 1479 sontapplicables aux créances que l'un des époux peut avoir à exercer contre l'autre ».

Par renvoi l’article 1479 du Code civil dispose : « Les créances personnelles que les époux ont àexercer l'un contre l'autre ne donnent pas lieu à prélèvement et ne portent intérêt que du jour de lasommation. Sauf convention contraire des parties, elles sont évaluées selon les règles de l'article 1469,troisième alinéa, dans les cas prévus par celui-ci ; les intérêts courent alors du jour de la liquidation ».

L’article 1469 du Code civil précisant que « La récompense est, en général, égale à la plus faibledes deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant.

Elle ne peut, toutefois, être moindre que la dépense faite quand celle-ci était nécessaire.

Elle ne peut être moindre que le profit subsistant, quand la valeur empruntée a servi à acquérir, àconserver ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans lepatrimoine emprunteur. Si le bien acquis, conservé ou amélioré a été aliéné avant la liquidation, le profitest évalué au jour de l'aliénation ; si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, le profit est évalué surce nouveau bien. »

Cette construction textuelle permet d’écarter le principe du nominalisme monétaire.

La créance entre époux séparés de biens s’évaluera comme la récompense entre époux mariésous la communauté en prenant en compte le profit subsistant si la créance a servi à acquérir, conserverou améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation du régime matrimonial, dans le patrimoineemprunteur. De même si le bien a été aliéné avant la liquidation la créance ne pourra être moindre que leprofit subsistant évalué au jour de l’aliénation.

Cette solution a été rappelée par la première Chambre civile de la Cour de cassation dans sonarrêt du 6 mars 2013, N° 12-13.890.

Le point de départ des intérêts attachés à la créance entre époux évaluée selon l’article 1469alinéa 3 du Code civil

L’article 1479 in fine du Code civil dispose que les intérêts des créances personnelles entre épouxcourent au jour de la liquidation. Par ailleurs l’article 1473 dudit code précise que les récompenseségalent au profit subsistant portent intérêts au jour de la liquidation.

La Cour de cassation dans une décision de la première chambre civile du 26 septembre 2007avait cassé l’arrêt de la Cour d’appel car celle-ci avait retenue comme point de départ des intérêts de larécompense évaluée selon le profit subsistant la date de vente de la maison objet de la récompense.

Cependant, l’arrêt étudié retient une position différente. Les juges suprêmes affirment que lesintérêts courent au jour de l’aliénation du bien, objet de la créance et non au jour de la liquidation, dèslors que deux conditions sont remplies, à savoir l'aliénation du bien réalisée avant la liquidation durégime matrimonial et une créance évaluée selon les règles du profit subsistant et non de la dépensefaite.

104

Cet arrêt n’apparaît pas comme un revirement de jurisprudence, mais vient au contrairedistinguer deux situations que le Notaire doit observer.

Si la récompense ou la créance est calculée selon le profit subsistant pour avoir servi à acquérir, àconserver ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans lepatrimoine emprunteur. L’article 1479 in fine trouve à s’appliquer, les intérêts courront qu’au jour de laliquidation.

En revanche si le bien ne se trouve plus dans le patrimoine de l’emprunteur, la récompense ou lacréance sera calculée selon le profit subsistant pour avoir servi à acquérir, à conserver ou à améliorer unbien.

L’arrêt du 23 septembre 2015 trouve toute son utilité, les intérêts courent à compter del’aliénation du bien, dans un souci de compenser la perte de valeur du à la vente du bien.

Ayant conclu sur la prudence que le Notaire doit faire preuve dans le calcul des récompenses etdes intérêts, il apparaît important de souligner ses pouvoirs dans le cadre de sa mission de Notairecommis dans une liquidation (C).

C) Les pouvoirs du Notaire dans la liquidation

Le législateur, par la loi du 26 mai 2004 a intégré au sein du Code civil, un dispositif permettantde trancher au plus vite les différents entre époux divorçant autre que par consentement mutuel. Cemécanisme suppose que le notaire désigné pour trancher le conflit établisse en amont une liquidationcomplète et précise du régime matrimonial. Il appartiendra au juge si des désaccords persistent entre lesparties de se prononcer.

L’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 23 septembre 2015 précise ce dispositif.

Première chambre civile de la Cour de Cassation, 23 sept. 2015 (n° 14-21525)

Des époux, mariés en 1990 sous le régime de la séparation de biens, divorcent. La liquidation, et plusprécisément le financement d'une officine de pharmacie acquise par l'ex-épouse, soulèvent desdifficultés.

La Cour d’Appel saisit du litige considère que le projet de liquidation établi par le notaire désignésur le fondement de l’article 255, 10°du Code civil, ne contient pas d’informations suffisantes pourtrancher la question de l’évaluation de la créance détenue par l’ex époux. Celui-ci sollicite auprès d’unautre notaire une nouvelle consultation qui, éclaire et complète le premier projet de liquidationpermettant alors au juge d’appel de statuer sur la demande de l’ex-époux.

105

La Cour de Cassation saisit, casse l'arrêt de la Cour d’Appel au visa l’article 267, alinéa 4, du Codecivil. Elle rappelle que les termes du dispositif de l’article 255, 10° du Code Civil doivent être appliquésrigoureusement, ce qui exclut la prise en compte d’éléments d’expertise postérieurs au premier projet deliquidation.

Il conviendra d’attirer l’attention du notaire désigné sur le fondement de l’article 255, 10° duCode Civil de rédiger un projet de liquidation le plus précis possible, le juge étant lié par la premièreexpertise du notaire commis.

Apport de la Loi Macron

Pour conclure, nous attirerons l'attention du praticien sur une récente précision législative. La loiMacron pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques publiée le 7 août 2015 auJournal officiel, modifie les règles de la colocation.

Première précision : les couples mariés ou liés par un PACS ne peuvent plus occuper un logementsous le régime de la location si ils sont les seuls locataires. Cette règle entre en application à partir de laconclusion du contrat de bail initial.

Seconde précision : la loi Macron précise quels sont les contrats pour lesquels s'appliquera lasolidarité des colocataires en cas de départ.

Une disposition de la loi ALUR du 24 mars 2014 a réduit le délai pendant lequel le locataire qui quitte lelogement peut rester tenu au paiement du loyer et des charges, solidairement avec les locataires restésen place, après son départ.

Généralement, les colocataires sont solidairement responsables du règlement de ces sommes. Sil'un ne règle pas sa part, le bailleur peut demander à un autre de la payer. Cette clause de solidarité offreainsi une protection au propriétaire.

Comme pour une location classique, en général, le bailleur peut demander au colocataire defournir une caution solidaire. Dans ce cas, si le locataire ne règle pas sa part, le propriétaire peut seretourner auprès du garant. En présence d’une caution solidaire, le bailleur est encore mieux protégépour les colocations. Le garant doit régler la part du loyer en cas de défaillance d’un des colocataires,quand même ce dernier n’est pas celui pour lequel il se porte caution.

Ainsi, dès lors qu’un colocataire ne paye pas son loyer, le propriétaire peut obtenir l’interventiond’une caution solidaire.

En effet, la nouvelle loi Macron apporte de nouvelles nuances :

106

pour tous les contrats signés avant le 27 mars 2014, rien ne change.La solidarité du colocataire et celle de la caution cessent à l’échéance du bail, sauf si le

propriétaire accepte de mettre fin à la solidarité et/ou de remplacer le colocataire ;

pour tous les contrats signés après le 27 mars 2014, la solidarité du colocataire et du garant s'assouplit.Pour le colocataire, comme pour sa caution, l’obligation de solidarité se termine dans deux cas :

lorsque le congé du colocataire prend effet et qu’un nouvel occupant figure au bail.

En l’absence d’arrivée d’un nouveau colocataire, une fois écoulé un délai de six mois après que le congé a pris effet.

Par conséquent, à la fin de la solidarité, le bailleur ne peut plus se tourner ni contre le colocataireni contre la caution solidaire. De plus, d'un point de vue de la forme, la nouvelle loi Macron prévoit quel’acte de cautionnement doit indiquer l’identité du colocataire pour lequel « l’extinction de la solidaritémet fin à l’engagement de la caution ». À défaut de cette précision, le propriétaire ne pourra plus exigerl'intervention du garant.

Travail réalisé par Aurélien COLLAVOLI, Jordane COUMEL, Mahéva DACHEZ et Margaux DECHEZELLE

107

108

SUCCESSIONS ET LIBERALITES

La particularité du droit des successions et des libéralités tient au domaine où ce dernierintervient. A la croisée des sphères de la famille et du patrimoine, ce droit vient à régir les relations et lesconséquences patrimoniales, notamment dans le cadre d’un décès.

La notion de succession renvoie au mécanisme de la transmission du patrimoine du défunt à sessuccesseurs. Dans un sens pratique, elle est utilisée pour désigner l'ensemble des biens transmis. Cettetransmission, que certains caractérisent de « finale », repose sur l'idée de la continuation de la personnedu défunt, illustrée par le pertinent adage selon lequel « le mort saisi le vif ».

Bien que le droit des successions et des libéralités présente un caractère de stabilité dans son ensemble,il n’en demeure pas moins qu’il fasse l’objet de réforme dans des domaines spécifiques.

L’entrée en vigueur, le 17 août 2015, du règlement européen du 4 juillet 2012 sur les successionsest venue notamment modifier les règles en matière de droit international privé des successions. Quiplus est, toujours dans une préoccupation d’adaptation, la jurisprudence a été amenée à précisercertaines dispositions législatives, voire à se prononcer sur des problématiques qui ne s’étaient pasprésentées à elle auparavant. Il conviendra dès lors d’aborder successivement ces différentesmodifications à travers le thème des successions (I) et des libéralités (II).

I. LES SUCCESSIONS

Il s’agira d’étudier l’actualité du droit international privé en matière de successions (A) au traversd’une jurisprudence constante à ce jour et réaffirmée dernièrement concernant la primauté desconventions internationales en matière de fiscalité successorale, et du règlement succession du 4 juillet2012, entré en vigueur le 17 août dernier. Puis, il sera nécessaire d’aborder successivement le rapportentre le droit de retour conventionnel et le droit de retour légal ayant fait l’objet d’une jurisprudencerécente (B), le rapport successoral et la qualité d’héritier (C), la déductibilité de l’actif successoral desdividendes issus de la réserve sociale et distribués à l’usufruitier (D), pour enfin s’intéresser à l’évolutiondes droits du partenaire pacsé survivant et du concubin survivant en matière de rente (E).

109

A) L’actualité du droit international privé en matière de successions

1) La primauté des conventions internationales en matière de fiscalitésuccessorale

Arrêt de l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation du 2 octobre 2015 (n°14-14.256)

Dans le présent arrêt, M. Jean Y. de nationalité marocaine, demeurant à Monaco est décédé enFrance le 27 avril 2000, en laissant pour lui succéder un frère, une sœur et onze neveux et nièces venanten représentation de leurs parents.

Une fois la déclaration de succession déposée en France par les héritiers, l'administration fiscale leur aadressé une proposition de rectification en intégrant à l'actif successoral taxable en France des partsd'une société de droit monégasque, en l'espèce de la société Cogest, propriétaire d'immeubles situés enFrance.

Les héritiers de M. Jean Y. ont assigné le directeur des services fiscaux des Alpes-Maritimes afin decontester l'imposition en France des parts de la société Cogest et obtenir la restitution des sommesversées à ce titre.

Le Tribunal de grande instance de Nice a rendu un jugement le 25 mars 2010, dans lequel ilestime que l'article 750 ter du Code général des impôts (prévoyant les règles de territorialité applicablesen matière de droits de mutation à titre gratuit) ne trouve pas à s'appliquer à la succession de M. Jean Y.,en raison de la suprématie du droit conventionnel international.

Par conséquent, il en conclut que la proposition de rectification en date du 13 décembre 2004 ne devaitpas se fonder sur cet article et que les droits de succession n'étaient pas dus pour les parts de la sociétéCogest.

La direction des services fiscaux des Alpes-Maritimes est alors condamnée à rembourser les héritiers dela somme versée à ce titre outre intérêts dans les termes de l'article L208 du livre des procédures fiscales.

La direction générale des finances publiques, représentant la direction des services fiscaux desAlpes-Maritimes a interjeté appel.

La Cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé le jugement par un arrêt en date du 3 mai 2011.

La direction générale des finances publiques s'est pourvue en cassation, et par un arrêt du 9 octobre2012, la chambre commerciale de la Cour de cassation a fait droit à sa demande en cassant l'arrêt danstoutes ses dispositions.

110

Désignée comme cour de renvoi, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, aconfirmé le jugement par un arrêt du 9 janvier 2014.

Ce dernier a été attaqué par la direction des services fiscaux des Alpes-Maritimes qui forme un pourvoien cassation le 20 mars 2014.

Comme le relève Mme Martine Dagneaux, conseiller-rapporteur, un mémoire ampliatif,développant l'argumentation de la direction des services fiscaux, demandeur, a été déposé le 17 juillet2014. Celui-ci soutient que la réintégration des parts de la société Cogest dans l'actif de la succession deM. Jean Y. était justifiée par l'application combinée de l'article 2 de la convention franco-monégasque du1er avril 1950 et de l'article 750 ter 2° du Code général des impôts, qui les considèrent comme françaiseset donc taxables aux droits de mutation.

Puis, un mémoire en défense, réfutant l'argumentation de la direction des services fiscaux a été déposéle 17 septembre 2014. Ce dernier considère que la convention franco-monégasque n'a pas viséexpressément le cas des sociétés à prépondérance immobilière.

En s'appuyant sur deux réponses ministérielles de 1989 et de 1992 ainsi que d'une instructionadministrative du 26 avril 1999, il réplique que l'article 2 de la convention franco-monégasque ne régitpas les parts de sociétés civiles immobilières, mais qu'il s'agit de l'article 6 qui réserve le droit d'imposerles actions et parts sociales par l'Etat où le défunt était domicilié au sens conventionnel.

En outre, il rappelle la suprématie des conventions internationales sur le droit interne. Par conséquent,étant concernées des parts de société civile monégasque, le mémoire se réfère à la législationmonégasque dans laquelle ne paraît aucune notion de prépondérance immobilière. Ce qui permet dedéduire que les parts sont juridiquement et fiscalement des valeurs mobilières taxables en application del'article 6 de la convention franco-monégasque.

Enfin, la Chambre commerciale a renvoyé l'affaire devant l'Assemblée Plénière par un arrêt du 10février 2015.

Il convient, dans cette affaire, de s'interroger sur le problème suivant : les parts d'une société dedroit monégasque, détenant principalement des biens immobiliers situés en France, sont-elles taxablesen France au titre des droits de succession ?

L'Assemblée plénière de la Cour de cassation a, dans son arrêt du 2 octobre 2015, appliqué leprincipe selon lequel cette convention, ratifiée et publiée au journal officiel, avait une autorité supérieure

111

à celle des lois françaises en vertu de l'article 53 et 55 de la Constitution 6. En effet, elle énonce que «l'arrêt rappelle qu'en vertu de la hiérarchie des normes, il convient de se référer, d'abord, aux conventionsinternationales ; qu'après avoir retenu à bon droit que les parts de la société monégasque constituaientdes biens incorporels de nature mobilière et qu'au regard de la Convention franco-monégasque du 1eravril 1950, la société Cogest relevait de l'article 6, qui vise les actions ou parts sociales, et prévoit que, sile de cujus était domicilié, au moment de son décès, dans l'un des deux Etats, lesdits biens ne seront passoumis à l'impôt sur les successions que dans cet Etat, et non l'article 2, qui concerne les immeubles etdroits immobilier, la cour d'appel en a exactement déduit, abstraction faite des motifs surabondantsrelatifs à l'échange de lettres invoqué par le moyen, que l'imposition des parts sociales transmises par ledécès de leur titulaire résidant à Monaco relevait de cet Etat et non de la France ».

Cette solution rendue par l'assemblée plénière est conforme à la jurisprudence antérieure de laCour de cassation qui refuse d'appliquer le principe de subsidiarité préconisant au juge d'examiner lasituation du contribuable au regard de la législation interne avant de l'examiner au regard de laconvention.

M. Laurent Le Mesle, premier avocat général, a précisé que la Chambre commerciale dans sonarrêt en date du 10 février 2015 aurait en réalité surement voulu signifier, certes implicitement, que lesparts de société à prépondérance immobilière doivent être regardées fiscalement, comme des biensimmobiliers, y compris dans le cadre de l'application d'une convention bilatérale qui ne le prévoit pas7.Or, après avoir qualifié les parts de la société monégasque de biens incorporels de nature mobilièrecomme le prévoit l'article 529 du Code civil, l'Assemblée Plénière de la Cour de cassation, appliquel'article de la convention les concernant, soit l'article 6.

Donc les parts de la société Cogest, même si cette dernière est propriétaire d'immeubles situés enFrance, ne seront pas taxés en France.

Il convient d’apprécier alors l'importance de la qualification des biens, puisque cela permet de savoircomment seront imposés ces derniers, alors indépendamment de la nationalité du défunt.

La convention a pour but, selon son préambule, d'éviter les doubles impositions et de codifier lesrègles d'assistance administrative mutuelle en matière successorale.

D'autres conventions plus récentes, comme notamment les conventions avec l'Italie, la Suède, oul'Autriche, prévoient, au contraire, l'imposition en France dans une telle situation.

6 Rapport du 18 septembre 2015 de Madame Martine Daigneaux conseiller, assistée de M.Michon, auditeur au service de documentation, des études et du rapport.

7 M. Laurent Le Mesle se reporte notamment sur l'article de Messieurs Dimitar Hadjiveltchev et Frédéric Roux parudans la revue Option Finance du 10 décembre 2012.112

Cependant concernant la convention franco-monégasque, il convient de retenir que si le rapportdu Ministère des finances et de l'industrie « sur les relations économiques et financières entre la Franceet la Principauté de Monaco » d'octobre 2000 propose de « modifier la convention de 1950 sur lessuccessions, notamment s'agissant de l'imposition des parts de SCI monégasques propriétaires de biensimmobiliers situés en France, considérant que la convention actuelle permet aux héritiers de parts detelles SCI d'éluder l'impôt sur les successions lorsque le défunt résidait à Monaco », cette réforme n'ajamais abouti.

Par ailleurs, il est utile de préciser qu’en cas décès postérieur au 17 août 2015, le règlementsuccession du 4 juillet 2012 n’a pas vocation à s’appliquer pour des questions d’ordre fiscal.8 En effet,l’Union Européenne a refusé de régir cette question en raison des nombreuses conventionsinternationales existantes entre les différents Etats, celle ci ne voulant pas heurter leurs compétencesrégaliennes.

CONSEIL PRATIQUE

Il est nécessaire de garder en mémoire la suprématie des conventions internationales sur le droitinterne qui se révèle indiscutable en raison de la hiérarchie des normes9.

Enfin, le conseil du notaire doit être accentué sur la qualification des biens, meubles ou immeubles,ainsi que la nature de la société propriétaire de ces biens. Ce conseil permettra de prévenir lesconséquences de ces qualifications en matière successorale.

2) L’entrée en vigueur du règlement européen sur les successions internationales

Le règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement et du Conseil du 4 juillet 2012 opère de profondsbouleversements dans le droit français des successions internationales. En effet, il institue un véritabledroit international privé des successions d'origine européenne. Il est applicable aux successions despersonnes décédées à partir du 17 août 2015.

Cependant certaines questions préalables sont régies par leurs propres règles de conflit pourlesquelles le règlement n’a pas vocation à s’appliquer (cf arrêt Djenangi de la Cour de cassation)10.

8 Article 1er §2 du règlement succession du 4 juillet 2012.

9 La suprématie des conventions internationales est prévue par l’article 55 de la Constitution.

10 Civ 1ère, 22 avril 1986, n°85-11.666, publié au bulletin113

La loi applicable aux successions

Les règles de conflit applicables au décès intervenus avant le 17 août 2015

La jurisprudence française avait édicté deux règles de conflit différentes pour les successionsimmobilières et mobilières.

En effet, en matière mobilière, l'alinéa 2 de l’article 3 du Code civil dispose que les immeubles sis sur leterritoire français, même possédés par des résidents étrangers, seront régis par la loi de situation del’immeuble.

Pour les successions mobilières, rien n'était prévu dans le Code civil. D'ou, la précision apportéepar la première Chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt datant de 1939, ou elle proclameque la loi applicable est celle du dernier domicile du défunt.

Les inconvénients de cette dualité de règles sont évidents. Elle pose parfois de délicats problèmes dequalification au sens du droit international privé. Cela implique des scissions dans les successions enautant de masses que de type de biens dans des pays différents. Chacune des masses sera liquidée selonun droit national différent, cela pouvant conduire à la fraude à la loi.

A l’époque, le renvoi était admis tant en matière de meuble qu’en matière d’immeuble (Cf arrêtMoussard c/ Consorts Ballestrero)11. Le 11 février 2009, il ressort de l’arrêt Riley12 qu’en matière desuccession, le renvoi est assorti d’une limite, à savoir, qu’il n’est admis que s’il aboutit à l’unitésuccessorale, c’est à dire si grâce au renvoi, on arrive à ce que la succession mobilière et la successionimmobilière du défunt soient régies par une seule et même loi.

Les règles de conflit de lois applicables aux décès intervenus après le 17 août 2015

Le règlement édicte une règle de conflit générale prévoyant que la loi applicable à l’ensembled’une succession est celle de l’Etat dans lequel le défunt a sa résidence habituelle au moment de sondécès (article 21§1). Cela établit l'unité successorale, qui est un facteur de simplification.

De plus, si à titre exceptionnel, il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause qu’au moment deson décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un autre Etat, la loi applicableest celle de cet autre Etat (article 21§2).

11 Civ 1ère, 21 mars 2000, n° 98-15.650, publié au bulletin et au registre

12 Civ 1ère, 11 février 2009, 06-12.140, Publié au bulletin114

Par ailleurs, une personne peut choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession, la loi del’Etat dont elle possède la nationalité, au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès(article 22§1). Après avoir été introduite en matière de divorce, cette loi d'autonomie est égalementintroduite en matière de successions. Le choix doit être formulé de manière expresse dans unedéclaration revêtant la forme d’une disposition à cause de mort ou résultant des termes d’une telledisposition (article 22§2).

Se posent parfois, en matière internationale, des problèmes de qualification entre les catégoriesrelevant des régimes matrimoniaux et des successions.

La qualification lege fori ne joue que lorsque la règle de conflit est d’origine française. Dans le cascontraire, il convient d'interroger les instruments internationaux concernés.

Le renvoi ne peut se produire au sein de l'Union Européenne. En effet, le règlement prévoit queles règles de conflit de lois sont les mêmes dans tous les pays membres, donc, quel que soit le juge, ledroit applicable sera le même.

En revanche, le renvoi peut se produire si le défunt avait sa dernière résidence hors de l’UnionEuropéenne. Dans cette hypothèse, le droit international privé peut ne pas être le même et donc peutpréconiser le renvoi.

L’article 34 admet ce renvoi mais le limite. La règle de conflit d’un Etat tiers n’est appliquée qu’autantqu’elle renvoie, soit à la loi d’un Etat membre de l’UE, soit à la loi d’un autre Etat tiers qui appliquerait sapropre loi.

Si ce n’est pas le cas, le droit de l’Etat tiers désigné par le règlement trouvera à s'appliquer.

En outre, l’article 35 prévoit que la loi désignée ne sera appliquée que si elle n’est pasmanifestement contraire à l’ordre public du for.

La compétence juridictionnelle

Les règles de compétences applicables en cas de décès intervenus avant le 17 août 2015

Depuis l'arrêt Pelassa du 19 octobre 1959 de la Première Chambre civile de la Cour de cassation 13,le tribunal compétent est déterminé, en matière internationale, par extension des règles de compétence

13 Civ 1ère, 19 octobre 1959, n° 58-10.628115

territoriale applicable en droit interne. En droit interne, le Code de procédure civile prévoit qu'il fautcentrer toutes les opérations en un même lieu, soit le dernier domicile du défunt.

Cependant, la Cour de cassation a estimé que l'extension de cette règle n'était pas souhaitable enmatière internationale et plus précisément dans le cadre d’une succession internationale immobilière. Eneffet, la loi qui leur est applicable est celle du lieu de situation de l’immeuble. Or, la Cour de cassationconsidère que l'application des règles de compétences internes en matière internationale, entrainerait laliquidation de la succession par le tribunal compétent selon le droit du lieu de la situation de l'immeuble.

Les règles de compétences applicables en cas de décès intervenus après le 17 août 2015

Pour des raisons pratiques, le règlement a voulu d'une part, unifier les règles de conflit de lois, etd'autre part, qu'il y ait coïncidence entre le pays dont la loi et applicable et le pays dont le tribunal estcompétent.

L'article 4 de ce règlement pose le principe selon lequel sont compétentes pour statuer surl'ensemble d'une succession, les juridictions de l'Etat membre dans lequel le défunt avait sa résidencehabituelle au moment de son décès.

Cependant, il y a des règles de compétences dérogatoires :

- La possibilité de choisir la juridiction compétente est limitée (article 5§1). En effet, si la loi choisiepar le défunt pour régir sa succession (en vertu de l'article 22) est la loi d'un Etat membre, lesparties concernées peuvent convenir que la ou les juridictions de cet Etat membre ontcompétence exclusive pour statuer sur toute la succession.

- Lorsque le défunt a choisi, pour s'appliquer à sa succession, la loi d'un Etat membre, mais que lesparties ne se mettent pas d'accord pour que le tribunal compétent soit celui de ce même pays,les tribunaux de cet Etat membre seront compétents si des conditions sont remplies (conditionslistées à l'article 7).

Les règles de compétences subsidiaires

116

L'article 10§1 prévoit que lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n’estpas située dans un Etat membre, les juridictions de l’Etat membre dans lequel sont situés des bienssuccessoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l’ensemble de la succession dans la mesureoù le défunt possédait la nationalité de cet Etat membre au moment du décès ou à défaut, y avait sarésidence habituelle antérieure. Mais au moment de la saisine de la juridiction, il ne doit pas s'êtreécoulé plus de 5 ans depuis le changement de sa résidence habituelle.

Le certificat successoral européen

Le règlement succession a créé un certificat successoral européen destiné à être utilisé par leshéritiers, les légataires, les exécuteurs testamentaires ou les administrateurs de la succession qui, dans unautre Etat membre, doivent invoquer leur qualité ou exercer leurs droits en tant qu’héritiers oulégataires, ou exercer leurs pouvoirs en tant qu’exécuteurs testamentaires ou administrateurs de lasuccessions (article 63).

L’idée est de mettre en place un document qui serait admis dans tous les Etats, permettant dereconnaître la qualité d'héritier, de légataire, d'exécuteur testamentaire ou d'administrateur de lasuccession. Les juridictions compétentes pour connaître de la succession sont habilitées à le délivrer. Lecertificat permettra de savoir à qui sera effectivement attribué tel ou tel bien de la succession.

L’article 69 nous indique que le certificat produit ses effets dans tous les Etats membres sans qu’ilne soit nécessaire de recourir à aucune procédure et qu’il est présumé attester fidèlement l’existence deséléments qui ont été établis en vertu de la loi applicable à la succession.

B) L’articulation du droit de retour conventionnel et du droit de retourlégal

Arrêt de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 21 octobre 2015 (n°14-21.337)

Le 2 septembre 1998 Monsieur et Madame X consentent à leur fille Viviane une donation portantsur une maison d’habitation et un terrain avec un droit de retour en cas de décès de la donataire sanspostérité. Le 26 août 2008, les donateurs ont renoncé à ce droit par acte sous seing privé. Sans postérité,Viviane X est décédée le 16 décembre 2008 en laissant ses père et mère pour lui succéder. Par testament,elle a légué à son frère la totalité de ses biens et à ses parents l’usufruit sur les biens qu’ils avaientdonnés.117

Monsieur et Madame X attaquent le testament en nullité et invoquent le droit de retour légal despère et mère.

La Cour d’appel d’Agen dans un arrêt du 17 mars 2014 rejette la demande des époux au motif queles donateurs ont renoncé à leur droit de retour conventionnel postérieurement à la donation, par uneclause licite ayant pour objet de supprimer le droit de retour.

Monsieur et Madame X forment alors un pourvoi en cassation au moyen qu’il est impossible de renoncerau droit de retour avant l’ouverture de la succession.

Le 21 octobre 2015, la Première chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt dela Cour d’appel d’Agen en ce qu’il déboute les requérants de leur demande d’exclure la maison et leterrain objets de la donation du legs universel fait par la défunte à son frère.

Le droit de retour légal est-il exclu lorsque les père et mère, donateurs, renoncent à leur droit deretour conventionnel, sur les biens donnés, avant l’ouverture de la succession de leur enfant ?

Les juges de la Cour de cassation répondent par la négative au visa des articles 738-2 et 722 ducode civil en affirmant que la renonciation des donateurs au droit de retour conventionnel est sans effetsur le droit de retour légal institué par la loi du 23 juin 2006 (article 738-2 du Code civil).

Contrairement au droit de retour conventionnel, il s’agit d’un droit de nature successorale, auquel il nepeut être renoncé avant l’ouverture de la succession.

Il est nécessaire de revenir sur la définition même du droit de retour légal et du droit de retourconventionnel :

- Le droit de retour légal est le droit en vertu duquel un bien échappe aux règlessuccessorales ordinaires, pour revenir au donateur. Ce droit de retour s'exerce légalementau profit des ascendants du donataire prédécédé sans descendance ou encore au profit del'adoptant et de ses descendants, en cas de prédécès de l'adopté faute de descendant(s) oude conjoint survivant. Les biens que l'adopté avait reçus à titre gratuit de ses père et mèreretournent pareillement à ces derniers ou à leurs descendants.

118

- Le droit de retour conventionnel est une stipulation faite dans une donation en vertu delaquelle le bien donné reviendra au donateur en cas de prédécès du donataire avec ou sanspostérité.

Ainsi, le droit de retour conventionnel et le droit de retour légal diffèrent par leur nature. Lepremier se manifeste par une clause insérée dans un acte de donation, acte consensuel, tandis que lesecond est un droit de nature successorale auquel il ne peut être renoncé avant le décès du défunt (àl’ouverture de la succession) par prohibition des pactes sur successions futures (article 772 du Code civil).

Se dégage alors la possibilité d’aménager le droit de retour conventionnel, voire d’y renoncer,sans que le droit de retour légal n’en pâtisse. Il est utile de préciser que le droit de retour légal ne fait pasl’objet de droit de succession.

CONSEIL PRATIQUE

Le notaire doit informer ses clients des différents types de droit de retour et des conséquencesengendrées par chacun.

Pour éviter toute difficulté d’interprétation, en cas de renonciation au droit de retour conventionnelavant le décès du donataire, le notaire doit insérer, dans la clause de renonciation, que le donateurn’entend pas renoncer à son droit de retour légal. De même, en cas de renonciation postérieure audécès du donataire sans postérité, le notaire doit préciser dans l’acte à quel(s) droit(s) de retour ledonateur souhaite renoncer.

C) L’indifférence de la qualité d’héritier réservataire dans le rapportsuccessoral

Arrêt de la Deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 10 Septembre 2015, (n°14-20017)

119

Le dénouement des contrats d'assurance vie fait souvent l'objet d'incompréhension, voire peutêtre perçu par certains héritiers comme une injustice. La Deuxième chambre civile a été amenée à seprononcer le 10 septembre 2015 sur une affaire comprenant un litige sur le rapport de primes versées ausein d'un contrat d'assurance vie.

Germaine X a souscrit six contrats d'assurance sur la vie au bénéfice de son frère René X. Cedernier est décédé le 4 janvier 2005. Par des avenants du 17 mars 2005, Germaine X a désigné en qualitéde bénéficiaires, à parts égales, Mme Marie-Christine X, fille de René, et M. Jean-Pierre X, fils de sonautre frère, antérieurement décédé. Elle est décédée le 21 décembre 2005 en laissant pour seulshéritiers sa nièce et son neveu précités. Suite à une assignation formée par Mme Marie-Christine X, unjugement a prononcé la nullité de ces avenants pour insanité d'esprit de leur signataire et dit que Mme Xest la seule bénéficiaire des six contrats.

Ultérieurement, un arrêt rendu par la Cour d'appel de Montpellier le 24 avril 2014, suite aurenvoi après cassation de la première chambre civile en date du 20 juin 2012, a confirmé le jugement aumotif que René X avait accepté le bénéfice et que la stipulation en vertu de laquelle le bénéfice del'assurance est attribué à un bénéficiaire déterminé devient irrévocable ; dès lors, malgré le décès deRené X intervenu avant celui de Germaine X, le bénéfice de ce contrat est entré dans le patrimoine deMarie-Christine X, fille unique de René X.

En outre, la cour d'appel avance un second motif pour rejeter la demande de rapport des sommesversées au titre des primes manifestement excessives des six contrats d'assurance sur la vie, en estimantque M. X et Mme X n'étant pas héritiers réservataires de leur tante, ces derniers ne sont pas tenus aurapport d'une éventuelle donation et que les règles du rapport de la réduction pour atteinte à la réservedes héritiers ne s'appliquent pas aux sommes versées par le contractant à titre de primes, mêmeexagérées, en l'absence d'héritiers réservataires

Le 10 septembre 2015, la Deuxième chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulél'arrêt rendu par la Cour d'appel de Montpellier au visa des articles L. 132-9 et L. 132-11 du code desassurances en énonçant que « la désignation de René X était devenue caduque à la suite de son décèsquand bien même l'avait-il acceptée, la cour d'appel qui n'a pas relevé l'existence d'une clause dereprésentation du bénéficiaire décédé » et au visa des articles 843 du code civil et L. 132-13, alinéa 2, ducode des assurances au motif que « la qualité de réservataire est indifférente à l'obligation de rapportpesant sur tout héritier. »

Dans le présent arrêt, la Cour de cassation est venue rappeler et clarifier les rapports que pouvaitentretenir l'assurance-vie avec les héritiers d'une succession.

En effet, le capital décès de l'assurance entre directement dans le patrimoine du bénéficiaire par l'effetde la stipulation pour autrui au regard des dispositions de l'article L132-11 du Code des assurances. Cecapital ne fait dès lors guère partie de l'actif successoral. Il ne sera pas soumis aux mécanismes prescrits

120

par l'article 922 du Code civil dans le contrôle d'une éventuelle atteinte à la réserve des héritiers et auxrègles du rapport successoral de l'article 843 du Code civil.

Néanmoins, ce propos est à nuancer dans le cas où il n'y aurait pas de bénéficiaires ou que lesouscripteur serait lui-même l'assuré. Le capital de l'assurance-vie tombe dans l'actif successoral.

Il est ainsi possible de percevoir l'importance de la rédaction de la clause bénéficiaire. Enl'espèce, le souscripteur avait prévu une clause de représentation, de sorte que l'enfant de l'assurépouvait venir en représentation de ce dernier dans le cas d'un décès et percevoir le capital. Si cetteprécision n'avait pas été prévue lors de la rédaction de la clause bénéficiaire, le capital de l'assurance-vieserait tombé dans l'actif successoral.

De surcroît, la seule situation où le rapport sera dû, est celle énoncée par l'article L132-13 duCode des assurances. La disposition législative vise le cas du rapport des primes manifestementexagérées. Cette possibilité de faire rentrer ces sommes dans l'actif successoral est appréciée de manièreassez restrictive par les juridictions, de sorte que les demandeurs se voient régulièrement déboutés deleur demande. Plusieurs arrêts d'une chambre mixte ont été rendus le 23 novembre 2004 14 afin dedéterminer la manière dont devait être appréciée cette notion. Il en ressort qu'un contrôle est opéré eûtégard à la situation familiale et patrimoniale du souscripteur, de son âge et de l'utilité du versement desprimes. Par conséquent la dérogation n'a lieu d'être que dans l'hypothèse où le versement n'est pasconforme à la nature du contrat. En assurance-vie, il y a une couverture de risque et c'est le versementdes primes qui couvre ce risque. Ainsi l'assurance-vie ne peut servir pour financer une dépense déjàexistante, qui correspond plus au cadre du contrat d'épargne. Un tel agissement dénature le contratd'assurance-vie, et c'est dans ce cas précis que les primes pourront être considérées commemanifestement exagérées et sujettes à rapport.

Or, dans le cas d'espèce, la Cour d'appel de Montpellier ne s'est pas prononcée sur le caractèremanifestement exagéré ou non des primes versées par Germaine X. Pour écarter la mise en œuvre de cetéventuel rapport, la Cour a effectué une appréciation plus qu'extensive de l'article 843 du Code civil enajoutant la condition prétorienne suivante, les règles du rapport successoral sont écartées en présenced'héritiers non réservataires.

Par ce biais, les juges du fond ont évincé toute appréciation du caractère manifestement exagéré desprimes et ont créé une nouvelle condition dans la mise en œuvre de l'obligation du rapport successoral.

Toutefois, la qualité de réservataire ou non de l'héritier n'a aucune conséquence sur l'obligationde rapport successoral. Ce dernier permet de rétablir l'équilibre entre tous les héritiers lorsque certainshéritiers ont été personnellement gratifiés en avancement sur leur part successorale. La preuve en est lasuivante, en présence d'un seul héritier, l'article 857 du Code civil vient préciser qu'il n'y a pas lieu àrapport.

14 Civ 1ère, 23 nov. 2004 (Bull. Civ. I, n°4)121

La Cour de cassation est ainsi venue rappeler certains points sur la règle du rapport successoral,qui semblaient pourtant ancrés et admis depuis un certain temps dans la jurisprudence. Dans le cadred'un rapport successoral, les règles applicables sont identiques pour les héritiers réservataires et ceux quine le sont pas.

CONSEIL PRATIQUE

Cet arrêt a mis en exergue l'importance de la rédaction de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie. Pour assurer une meilleure connaissance des problèmes par ses clients, le notaire devra prodiguerun conseil éclairé et précis sur le fonctionnement et les conséquences du dénouement d'un contratd'assurance-vie, notamment aux héritiers qui peuvent parfois se retrouver dans une situationd'incompréhension lorsqu'une certaine somme d'argent présente au sein d'un contrat d'assurance-viene rentre pas dans l'actif successoral.

D) La déductibilité de l’actif successoral des dividendes issus de laréserve sociale et distribués à l’usufruitier

Arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 27 mai 2015 (n° 14-18.850)

La restitution de l’usufruitier, exigible au décès de l’usufruitier et prenant sa source dans la loi, estdéductible de l’actif successoral.

Dans cette affaire, les ayants droit d’un défunt déposent une déclaration de successionrectificative. Selon eux, il existe un passif successoral, non pris en compte lors de l’établissement de ladéclaration de succession initiale. Ce passif résulterait d’une dette de restitution du défunt (due au nu-propriétaire des parts) qui, en tant qu’usufruitier de parts d’une société civile, avait bénéficié au titre duquasi-usufruit de l’article 587 du code civil, de la distribution de réserves décidée par l’assemblée. Ilconvient de préciser que les nus-propriétaires des parts en question sont d’une part le fils et d’autre partla veuve du de cujus.

En l’absence de réponse à leur réclamation, les ayants droit ont alors assigné l’administrationfiscale pour obtenir le remboursement des droits acquittés en trop. Suite à un rejet de leurs prétentionsen première instance les requérants font alors appel devant la Cour d’appel de Paris qui estime dans unarrêt rendu le 25 février 2014 que « le quasi-usufruit sur les dividendes résultait d’un accord de volontés,de sorte que la dette de restitution trouvait son origine, non dans la loi, mais dans la conventionintervenue entre eux ». Par conséquent cette création conventionnelle d’un quasi-usufruit ne permettait

122

pas la déduction de la dette, à moins que les héritiers ne prouvent la sincérité de la dette et son existenceau jour de l’ouverture de la succession.

La problématique soumise à la Cour de cassation concerne donc la qualification qu’il faut retenirde la décision de distribution de dividendes prise en assemblée, à savoir, légale ou conventionnelle. Cettequalification étant déterminante afin de savoir si la dette de restitution de l’usufruitier décédé est ou nondéductible de l’actif successoral.

Par une solution claire mais critiquée par une partie de la doctrine la Cour de cassation, au visades articles 587 et 1842 du Code civil, 768 et 773, 2° du Code général des impôts, censure leraisonnement des juges du fond en affirmant que : « dans le cas où la collectivité des associés décide dedistribuer un dividende par prélèvement sur les réserves, le droit de jouissance de l’usufruitier de droitssociaux s’exerce, sauf convention contraire entre celui-ci et le nu-propriétaire, sous la forme d’un quasi-usufruit, sur le produit de cette distribution revenant aux parts sociales grevées d’usufruit, de sorte quel’usufruitier se trouve tenu, en application du premier des textes susvisés, d’une dette de restitutionexigible au terme de l’usufruit et qui, prenant sa source dans la loi, est déductible de l’actif successorallorsque l’usufruit s’éteint par la mort de l’usufruitier ».

Un bref rappel des fondements textuels de la solution permettra de faciliter la compréhension duraisonnement tenu par la Cour de cassation.

Il résulte des dispositions des articles 768 et 773 2° du code général des impôts que « les dettes àla charge du défunt sont déduites sauf celles consenties par le défunt au profit de ses héritiers ou depersonnes interposées. Toutefois si la dette a été consentie par un acte authentique ou par un acte sous-seing privé ayant date certaine avant l'ouverture de la succession autrement que par le décès d'une desparties contractantes, les héritiers, donataires et légataires, et les personnes réputées interposées ont ledroit de prouver la sincérité de cette dette et son existence au jour de l'ouverture de la succession ».L’article 587 du code civil énonce lui que si l’usufruit porte sur une chose consomptible, tel que l’argent,l’usufruitier est tenu de la restitution en équivalent. Il s’agit d’un quasi-usufruit.

Les Hauts magistrats se sont livrés à un raisonnement en deux temps qu’il convient d’analyser defaçon concise.

Dans un premier temps le droit de l’usufruitier sur les réserves distribuées est qualifié de quasi-usufruit. En effet, pour la Cour de cassation, les dividendes ne sauraient appartenir définitivement àl’usufruitier lorsque ceux-ci ont été prélevés sur les réserves. Cela car les Hauts magistrats semblentconsidérer que les réserves participent du capital et sont donc, à terme, le seul apanage du nu-propriétaire. Dans le cas d’une telle distribution, l’usufruitier qui en bénéficie sera tenu à terme d’en fairerestitution. Dès lors, Il n’y a donc pas un transfert de fruits mais un usufruit qui porte sur un bien123

consomptible, à savoir les bénéfices distribués. L’usufruit portant sur un bien consomptible, il s’agitnécessairement d’un quasi-usufruit.

Une fois qu’il est acté que le droit de l’usufruitier sur les réserves distribuées est un quasi-usufruit, le second temps du raisonnement de la Cour de cassation consiste à déterminer si celui-ci estd’origine légale ou contractuelle.

Pour la Cour d’appel la distribution des réserves sous forme de dividendes résulte d’uneconvention sous seing privé entre les nus-propriétaires et l’usufruitier, laquelle n’a pas fait l’objet d’unenregistrement. De plus, la décision de l’assemblée générale de mettre en distribution les réserves et deconstituer un quasi-usufruit ne relève ni d’un acte authentique, ni d’un acte sous seing privé homologuéet ayant acquis une date certaine.

Pour la Cour de cassation en revanche, le fait que ce quasi-usufruit soit né à l’occasion d’unedécision des associés ne permet pas d’en déduire qu’il soit d’origine contractuelle. Les Hauts magistratsconsidèrent que la décision de distribuer les réserves sous forme de dividendes ne saurait s’analysercomme un contrat entre usufruitier et nu-propriétaire, ni au regard du droit du contrat, ni au regard dudroit des sociétés. La Cour se fonde ensuite sur l’article 587 du Code civil afin de démontrer que la dettede restitution du quasi-usufruitier est la conséquence légale de la constitution du quasi-usufruit, enl’absence de convention contraire entre nu-propriétaire et usufruitier.

Ces qualifications ont des conséquences pratiques importantes. En effet, l’origine légale de ladette de restitution permet à la Cour de cassation de se prononcer en faveur de la déductibilité de l’actifsuccessoral car si la dette n’est pas de nature contractuelle, son existence peut être prouvée par toutmoyen compatible avec la procédure écrite. La jurisprudence est constante sur ce point15.

De manière incidente, cette décision semble également créer une alternative inédite etcontestable dans la qualification de fruits en fonction de leur origine :

- d’une part, les dividendes sociaux issus du bénéfice distribuable de l’exercice en coursqui, eux, seraient des fruits,

- d’autre part, ceux qui seraient issus d’une décision de mise en distribution des réservesqui seraient donc des produits et feraient naître un quasi- usufruit.

X. L’extension de la rente des droits du conjoint survivant aux partenairespacsés et aux concubins survivants

Décret n° 2015-653 du 10 juin 2015 portant application au partenaire d'un pacte civil de solidarité et auconcubin de dispositions prévues en matière de rentes d'ayants droit au livre IV du code de la sécuritésociale et extension aux régimes des salariés et des non-salariés agricoles de dispositions prévues au

même code en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles

15 Cass. com., 18 déc. 1986, no 85-12.535124

Si en matière fiscale partenaires pacsés et conjoints sont soumis au même régime, il en va différemmentconcernant les droits du partenaire pacsé dans la succession de son partenaire. Une petite évolution doitêtre relevée.

La loi de financement de la sécurité sociale de 201216 est venue aligner les droits des partenaires etconcubins en matière de rente sur ceux des conjoints. Depuis le décret du 10 juin 2015 (no 2015-653) lesdispositions réglementaires du Code de la sécurité sociale et du Code rural et de la pêche maritime ontété adaptées. Le décret a présente les modalités suivantes :

- aligner les droits des partenaires d'un pacte civil de solidarité et des concubins sur ceuxdes conjoints pour l'accès à une rente faisant suite à un accident du travail ;

- la modification des modalités de récupération des sommes accordées en cas d'accident dutravail ou de maladie professionnelle lié à la faute inexcusable de l'employeur ;

- l’extension aux régimes agricoles des pénalités applicables.

Ainsi, en cas de décès suite à un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, le concubinou le partenaire pacsé survivant bénéficiera d’une rente dont le montant équivaut à 40% du salaireannuel de la victime. Elle sera versée jusqu’à son propre décès.

Il est nécessaire de rappeler dans quelles conditions le conjoint survivant, le partenaire pacsésurvivant et le concubin survivant ont droit à cette rente. Il faut soit que le mariage ait été contracté, quele Pacs ait été conclu avant la date de l’accident de travail, et que la situation de concubinage ait étéétablie ; soit qu’ils l’aient été au moins deux ans avant la date du décès. En revanche, ces conditions nesont pas exigées lorsque la victime et son conjoint ou concubin ou partenaire lié par un Pacs ont aumoins un enfant.

La notion de concubinage doit ainsi être précisée. Jusqu’à la loi du 15 novembre 199917 relativeau pacte civil de solidarité, le concubinage était l’état désignant la relation établie dans une intentiondurable entre deux personnes de sexe différent.

16 Loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012

17 Loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité 125

Depuis cette loi, le concubinage s’entend des relations durables entre personnes de sexe différentou de même sexe dont il est marqué l’existence d’une vie commune (article 515-8 du code civil18).

L’article L434-9 du Code de la sécurité sociale prévoit également la suppression de la rente del’ayant droit en cas d’une nouvelle union postérieure au décès de l’assuré qu’il s’agisse d’un pacs ou d’unconcubinage. Le mariage n’est plus le seul cas visé. Dans ces circonstances, il lui sera alloué une sommeégale aux arrérages de la rente calculée selon le taux en vigueur et afférents à une période déterminée, àla date du mariage, de la déclaration au greffe du tribunal d’instance du pacte civil de solidarité oud’établissement du concubinage. Il aura droit à un capital égal à trois fois le montant annuel de la rentequ’il percevait.

Il convient d’ajouter que n’est pas concerné par cette suppression de la rente le conjoint,partenaire ou concubin survivant qui a des enfants dont la filiation est établie à l’égard de la victimedécédée. Il pourra bénéficier du droit à la rente aussi longtemps que l’un de ses enfants bénéficiera lui-même d’une rente d’orphelin prévue à l’article L434-10.

En cas de séparation de corps, de divorce ou de nouveau veuvage, de rupture ou de dissolutiondu pacte civil de solidarité ou de cessation du concubinage, le conjoint survivant, le partenaire ou leconcubin survivant recouvre son droit à la rente dans les limites fixées à l’article L434-9 alinéa 3 1° et 2°du Code de la sécurité sociale.

La rente d’orphelin est due aux enfants légitimes, adoptés et naturels dont la filiation estlégalement établie à l’égard de la victime décédée. Elle leur est due jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de 20ans et est égale à : 25% du salaire annuel pour les deux premiers enfants, 20% du salaire annuel au-delàde deux et 30% du salaire annuel si l’enfant est orphelin de père et de mère ou le devient avant ses 20ans. Cette limite d’âge peut être relevée pour les enfants placés en apprentissage, qui poursuivent leursétudes, qui sont à la recherche d’une première activité professionnelle et inscrits comme demandeursd’emploi, ou qui, par suite d’infirmités ou de maladies chroniques ne peuvent, de façon permanente,effectuer un travail salarié.

Enfin, les ascendants ont aussi droit à une rente. Elle est égale à 10% du salaire annuel de lavictime décédée à la condition que l’ascendant ait été à sa charge si la victime avait conjoint et/ouenfants, et de prouver qu’ils auraient pu obtenir le versement d’une pension alimentaire si la victimen’avait eu ni enfant ni conjoint. Le total des rentes versées aux ascendants est plafonné à 30% du salaireannuel de la victime.

II. LES LIBERALITES

18 Article 515-8 du Code civil modifié par la Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs126

Il s’agira de faire état des différentes actualités jurisprudentielles ayant trait aux thèmes suivants :testament international et testament authentique (A), l’éviction de l’action en réduction au profit dulégataire de la quotité disponible (B), la corrélation entre date de prise d’effet d’une libéralité et le calculde l’indemnité de réduction (C), la transmission du droit moral et la supériorité de l’usufruit volontairesur l’usufruit spécial du conjoint survivant sur les droits d’auteurs (D), l’inefficacité de la claused’attribution intégrale de la communauté sur un bien donné grevé d’un droit de retour (E), l’appréciationdes cas de révocation tacite d’une disposition testamentaire (F), et enfin l’appréciation de l’inexécutiondes charges restreintes au seul donataire (G).

A) « Le testament international au secours du testament authentique »

Arrêt de la Première Chambre civile de la Cour de cassation du 1er avril 2015 (13-22.367)

M. Constant X est décédé le 7 novembre 2007 en laissant pour lui succéder des héritiers nonréservataires (les consorts X). Un testament authentique reçu le 4 octobre 2007 par M.Z, notaire,instituait comme légataires : Mme Y, sa voisine, M.Marc X et Mme Pascale X, ses neveux et nièces.

Mmes Pascale et Brigitte X, ainsi que MM. Joseph, François, Luc et Franck X ont assigné Mme Y etM. Marc X en nullité du testament.

Leur demande d'annulation du testament a été rejetée par la Cour d'appel de Rennes par un arrêt du 14mai 2013.

Par suite, Mmes Pascale et Brigitte X, ainsi que MM. Joseph, François, Luc et Franck X se sont pourvus encassation.

Il convient, dans cette affaire, de s'interroger sur le problème suivant : le non respect duformalisme prévu aux articles 971 à 975 du code civil entrainant l'annulation d'un testamentauthentique, fait-il obstacle à la validité de l'acte en tant que testament international ?

La Première Chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 1er avril 2015 a énoncé que « lacour d'appel a retenu, à bon droit, que l'annulation d'un testament authentique pour non-respect desdispositions des articles 971 à 975 du code civil ne fait pas obstacle à la validité de l'acte en tant quetestament international dès lors que les formalités prescrites par la Convention de Washington du 26octobre 1973 ont été accomplies ; qu'ayant constaté que toutes les conditions prévues par la loi uniformesur la forme d'un testament international avaient été remplies à l'occasion de l'établissement dutestament reçu le 4 octobre 2007, la cour d'appel en a justement déduit que cet acte, déclaré nul en tantque testament authentique, était valable en tant que testament international ».

127

La Première Chambre civile de la Cour de cassation rappelle que pour que l'acte authentique soitvalable, il convient de respecter les dispositions prévues aux articles 971 à 975 du code civil, c'est-à-direque le testament authentique doit être dicté par le testateur au notaire en présence des deux témoins.Mais, elle précise, que le non-respect de celles-ci ne fait pas obstacle à la validité de l'acte en tant quetestament internationale, à condition que soient respectées les formalités prescrites par la Convention deWashington du 26 octobre 1973 ratifiée en France par la loi du 29 avril 1974 et publiée par décret du 8novembre 1974. Cette convention prévoit que le testament international est reconnu valable en droitfrançais.

La Haute Cour rappelle que les effets d'une norme, prise en application d'un traité internationaldûment ratifié, même si elle prévoit des conditions plus souples que celles prévues concernant letestament authentique, s'imposent au juge national. En effet, en application de l'article 1er de la loiuniforme sur la forme du testament international figurant en annexe de la convention de Washington, untestament est valable, sans qu'aucune condition d'extranéité ne soit à remplir, s'il est fait dans la formedu testament international conformément aux dispositions des articles 2 à 5 de ladite loi, c'est-à-dire quele testament international doit être fait par écrit, sans être nécessairement écrit par le testateur lui-même ; que le testateur déclare en présence de deux témoins et d'une personne habilitée à instrumenterà cet effet que le document est son testament et qu'il en connaît le contenu ; il signe son testament enprésence des témoins et de la personne habilitée qui eux-mêmes doivent apposer leur propre signature ;si le testament comporte plusieurs feuillets, chaque feuillet doit être signé par le testateur.

Enfin, elle considère comme non fondé l'argument selon lequel qu'un testament ne peut revêtirla forme d'un testament international sans que le testateur ait au préalable manifesté sa volonté que sontestament soit reçu en cette forme.

CONSEIL PRATIQUE

Un testament authentique ne respectant pas les conditions de validité édictées par le droit françaispourra voir sa validité reconnue en tant que testament international, s’il respecte les conditionsprévues par la Convention de Washington.

B) L’éviction de l’action en réduction au bénéfice du légataire de laquotité disponible

128

Arrêt de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 7 octobre 2015, (n°14-24996)

Le 7 octobre 2015, la première chambre civile de la Cour de cassation est venue préciser lesprérogatives d'un légataire de la quotité disponible.

Suivant un acte du 16 décembre 1988, Marie X a donné en avancement d'hoirie à ses troisenfants, Liliane, Nicole et Daniel Y, divers biens immobiliers en s'en réservant l'usufruit. Le même jour, lepartage de la succession de Gabriel Y, son époux prédécédé a été effectué. Marie X, Mmes Liliane, NicoleY et M. Daniel Y ont aussi signé le même jour un acte aux termes duquel ils ont indiqué être nantis deleurs droits dans la succession de Gabriel Y et se sont obligés ultérieurement à ne revendiquer quoi quece soit, pour quelque cause que ce soit.

Marie X est décédée le 28 mars 2007 après avoir légué à Daniel Y la quotité disponible. Le partageamiable de la succession de Marie X n'ayant pu être réalisé, Mmes Liliane et Nicole Y ont assigné leurfrère en ouverture des opérations de compte, liquidation et partage, et en homologation du projet departage établi par le notaire chargé de la succession. Toutefois, Daniel Y s'oppose à l'homologation duprojet de partage et soutient qu'un expert doit être désigné afin de rechercher si les donationsconsenties à ses sœurs n'excédaient pas leur part de réserve et de ce fait si la quotité disponible àlaquelle il pouvait prétendre, en sa qualité de légataire, n'avait pas été atteinte.

Le 15 mai 2014, la Cour d'appel a homologué le projet de partage et rejette la demanded'expertise de Daniel Y aux motifs que « les donations en avancement d'hoirie avaient été suivies d'unpartage égalitaire entre les trois héritiers et que M. Daniel Y ne démontrait pas en quoi ces actes auraientpu porter atteinte à la réserve des trois héritiers » et que « les actes du 16 décembre 1988 en ce qu'ilsavaient réalisé un partage partiel, transactionnel et définitif dans la succession des deux parents nepermettaient pas de procéder ultérieurement au calcul de la quotité disponible par la réunion fictive desbiens donnés à la masse des biens successoraux. »

Dès lors, M.Y a formé un pourvoi en cassation au moyen notamment que le légataire de la quotitédisponible est en droit d'exercer une action en réduction des libéralités et qu'il devait être tenu comptedes dispositions testamentaires en ce qu'elles attribuaient à M.Y la quotité disponible, entraînant ainsi uncalcul de la quotité avec la masse des biens existants au décès, à laquelle devaient être réuni fictivementl'ensemble des biens donnés en avancement d'hoirie et attribués par ses parents à lui-même et à sessœurs.

Ainsi, le 7 octobre 2015, la première chambre civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motifque « M. Daniel Y ne peut, en tant que légataire de la quotité disponible, prétendre qu'aux biens laissésau jour de l'ouverture de la succession et ne dispose d'aucun droit à faire réintégrer les donationsantérieures. »

129

L'article 912 du Code civil met en place le mécanisme de la réserve héréditaire. Ce mécanismed'ordre public a pour principal objectif de protéger les héritiers réservataires afin que ces derniers soientassurés de recueillir une partie du patrimoine de leur parent.

Dans le cas où des libéralités empiéteraient sur la part de réserve d'un héritier, ces dernières devrontfaire l'objet d'une réduction au regard des dispositions de l'article 924 du Code civil.

Or, la question qui se posait dans le présent arrêt était de savoir si un légataire pouvait en faire demême lorsque la quotité disponible, qui a fait l'objet du legs, se trouvait empiétée.

C'est en toute logique que les juges du droit ont répondu par la négative. A l'inverse de la réservehéréditaire, le défunt peut librement disposer de la quotité disponible, que ce soit partiellement outotalement. Dans le cas où la quotité disponible serait entièrement épuisée et que certaines libéralitésdevaient s'imputer sur la quotité disponible, en aucun cas ces libéralités pourront venir s'imputer sur leséventuelles parts de réserve.

Par conséquent, la quotité disponible ne revêt pas le statut protecteur accordé à la réserve.Quand bien même le de cujus aurait légué la quotité disponible à une personne, aucune disposition nel'empêche d'effectuer d'autres libéralités par la suite. Le légataire de la quotité disponible n'a dès lorsguère la possibilité d'intenter une action en réduction sur certaines libéralités afin que la quotitédisponible soit préservée dans son intégralité.

Dès lors, en raison des règles d'imputation de l'article 923 du Code civil et d'éventuellesimputations de libéralités sur la quotité disponible, le légataire de cette dernière ne pourra prétendrequ'au reliquat de sa valeur faisant suite à ces opérations.

En outre, dans le cas où le légataire de la quotité disponible se trouve en concurrence avecd'autres légataires gratifiés par des dispositions testamentaires postérieures, le legs de ce dernier nes'impute pas prioritairement par rapport aux autres legs en principe. L'article 926 du Code civil prévoitdans ce cas que l'imputation sur la quotité disponible se fera de manière concurrente. La seule possibilitéaccordée par la loi afin de privilégier un légataire trouve sa source dans l'article 927 du Code civil. Letestateur doit expressément déclarer que le legs en question devra être imputé en priorité par rapportaux autres.

Aussi, des legs effectués postérieurement à un legs de la quotité disponible ne révoquent passystématiquement ce dernier si les dispositions des legs ultérieurs ne sont pas incompatibles avec lesdispositions des legs antérieurs.

C) L’importance de la date de prise d’effet de la libéralité pour le calculde l’indemnité de réduction

130

Arrêt de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 28 mai 2015 (n°14-15115)

Par le présent arrêt, la première chambre civile de la Cour de cassation est venue rappeler lesmodalités de l’exercice de la réduction d’une libéralité excessive en présence d’héritiers réservataires.

En l'espèce, Jean X est décédé le 23 juillet 2007, laissant pour lui succéder ses enfants Bruno etMicheline, ainsi que, par représentation de sa fille prédécédée, son petit-fils William. Un testamentolographe daté du 12 juillet 2007 a été rédigé, instituant Mme. Y légataire universelle. Les héritiers ontassigné Mme. Y en réduction de son legs.

Le 27 novembre 2013, la Cour d'appel de Paris a estimé que la libéralité a pris effet au jour du décès dutestateur, peu important que la légataire ait été tenue de demander la délivrance de son legs auxhéritiers réservataires. Ainsi, il y avait lieu de fixer la valeur de l'immeuble situé à Avon à l'époque dudécès, en vue de la détermination de l'indemnité de réduction due par Mme. Y.

Un pourvoi en cassation a été formé.

Les juges du droit ont été amenés à se prononcer sur le point suivant, à quelle date doit êtreappréciée la valeur des biens donnés et légués dans le calcul de l'indemnité de réduction en présenced'un legs non délivré dans l'année du décès ?

Le 28 mai 2015, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendupar la cour d'appel « en ce qu'il a fixé à 420 000 euros la valeur du bien immobilier sis à Avon entrantdans la succession ». Cette cassation s'est effectuée au visa des articles 924-2, 1004 et 1005 du code civilet selon le motif que « l'indemnité de réduction doit être calculée d'après la valeur des biens donnés oulégués à l'époque du partage et en fonction de leur état au jour où la libéralité a pris effet ; qu'il résultedes deux derniers qu'en présence d'héritiers réservataires, à défaut d'une demande de délivrance dansl'année du décès, le legs ne prend effet que du jour de la demande en justice ou de celui de la délivrancevolontairement consentie. »

A la lumière de l'article 924-2 du Code civil, le montant de l'indemnité de réduction doit secalculer d'après la valeur des biens donnés ou légués à l'époque du partage et selon leur état au jour oùla libéralité a pris effet.

Cette disposition législative met en exergue la différence sur le montant de l'évaluation des biens donnésou légués selon le moment de la prise d'effet du legs et c'est sur ce point que la Cour de cassation estvenue préciser la relation entre la date de prise d'effet du legs et la date retenue dans l'évaluation desbiens précités. Au regard des articles 1004 et 1005 du Code civil, la prise d'effet du legs peut varier selonles situations.

A la différence des héritiers réservataires qui sont saisis de plein droit de tous les biens de la succession131

en raison de la mort du de cujus, le légataire universel doit leur demander la délivrance des biens comprisdans le testament.

Ainsi, deux cas de figure sont à distinguer : soit le légataire universel aura la jouissance des bienscompris dans le testament à compter du jour du décès s'il a effectué la demande en délivrance dansl'année du décès, soit la prise d'effet du legs ne commencera qu'au jour de la demande formée en justiceou au jour où la délivrance aura été volontairement consentie.

Dès lors, selon la date de prise d'effet du legs, il conviendra d'évaluer le montant de l'indemnitéde réduction d'après la valeur des biens donnés ou légués en fonction de leur état au jour où la libéralitéa pris effet. Dans le cas présent, la cour d'appel avait estimé que le legs avait pris effet au jour du décès etavait par conséquent basé l'évaluation des biens en fonction de leur état au jour du décès. Or, le légataireuniversel s'était plaint d'une dégradation du bien qui se répercutait sur la valeur actuelle dudit bien. Enl'absence de prise d'effet du legs au jour du décès de par la carence de demande de délivrance au coursde l'année suivant le décès, il n'était guère justifié de retenir la valeur du bien au jour du décès pour lecalcul de l'indemnité de réduction prescrite par l'article 924-2 du Code civil.

La Cour de cassation est par conséquent venue rappeler l’importance dans la détermination de ladate de prise d'effet du legs en estimant qu'elle ne pouvait se situer au jour du décès si les formalitéspermettant cette prise d'effet n'avaient pas été effectuées.

CONSEIL PRATIQUE

En présence d'éventuelles indemnités de réduction à incorporer dans une liquidation de succession, lenotaire devra porter un regard précis sur la date de prise d'effet du legs, qui sera déterminante dans leprocessus de calcul des indemnités de réduction.

D) Les droits d’auteur

1) Le nécessaire respect de la forme testamentaire pour la transmission du droitmoral

Arrêt de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 28 Mai 2015 (n° 14-14.506)

La volonté de l'auteur de transmettre le droit moral sur son œuvre doit être exprimée selon les

132

formes requises pour l'établissement des testaments.

Un peintre décède, laissant pour lui succéder ses trois enfants et son épouse. Son exécuteurtestamentaire revendique sa qualité d’unique titulaire du droit moral du peintre pour s’opposer à la miseen ligne d’un site internet présentant des œuvres de l’artiste. En première instance puis en appel sesdemandes sont déclarées irrecevables pour défaut de qualité à agir en raison de la nullité du testamentolographe qui le désigne. En effet, celui-ci n’a pas été intégralement rédigé de la main du testateur, lemandataire l’ayant partiellement rédigé. Ce dernier forme alors un pourvoi en cassation, alléguantnotamment qu’une telle cause de nullité est sans influence sur la validité des dispositions relatives ausort du droit moral post mortem.

La principale question soulevée par ce litige est de savoir si la volonté de transmettre le droitmoral sur une œuvre après la mort doit obligatoirement ou non revêtir la forme testamentaire.

Les Hauts magistrats viennent clarifier ce point dans cet arrêt en affirmant que cette volonté doitobligatoirement être exprimée sous la forme testamentaire et confirment la jurisprudence selon laquellele testament doit nécessairement être écrit de la main du testateur :

« Mais attendu que la volonté de l'auteur de transmettre le droit moral sur son œuvre doit êtreexprimée selon les formes requises pour l'établissement des testaments (…) qu'après avoir constaté que letestament n'avait pas été écrit de la main du testateur, la cour d'appel en a exactement déduit que cetestament était nul et qu'il ne pouvait avoir eu pour effet de transmettre le droit moral de l’auteur sur sonœuvre. »

Ainsi, en dépit de l’opinion d’une partie de la doctrine selon laquelle la nature extrapatrimonialedu droit moral justifie l’exclusion des solennités testamentaires, la Cour de cassation décide d’opter pourla sécurité procurée par la forme testamentaire.

2) La supériorité de l’usufruit volontaire sur l’usufruit spécial du conjointsurvivant sur les droits d’auteur

Arrêt de la Première chambre civile de la Cour de cassation, le 8 juillet 2015 (n° 14-18.850)

La Première chambre civile de la Cour de cassation est venue affirmer la suprématie de l’usufruitvolontaire par rapport à l’usufruit spécial.

Un écrivain est décédé en laissant pour lui succéder son épouse et son fils issu de sa premièreunion. De son vivant, le de cujus avait consenti une donation à son épouse portant sur l’universalité deses biens et avait rédigé un testament olographe instituant son épouse légataire universelle etgestionnaire de l’ensemble de son œuvre littéraire. Sa veuve décide alors d’opter pour la totalité de lasuccession en usufruit.

S’estimant lésé, le fils assigne sa belle-mère en réduction de l’usufruit portant sur les droitsd’auteurs. Après deux refus de la part des juges du fond, en première instance et en appel, le fils décidede porter l’affaire devant la Cour de cassation.

133

La demande de réduction se fonde essentiellement sur l’article L. 123-6 du Code de la propriétéintellectuelle qui instaure au profit du conjoint survivant, quel que soit le régime matrimonial etindépendamment des droits qu’il tient sur les autres biens de la succession, un usufruit du droitd’exploitation dont l’auteur n’aura pas disposé. Toutefois, si l’auteur laisse des héritiers réservataires, cetusufruit est réduit au profit des héritiers, suivant les proportions et distinctions établies par l’article 913du Code civil. Le fils estime donc que, conformément à ces dispositions, cet usufruit doit être réduit afinde ne pas porter atteinte à sa réserve héréditaire.

De son côté, la belle-mère conteste cette action en réduction en se fondant sur les dispositionsde l’article 1094-1 du code civil qui lui offre la possibilité d’opter pour l’usufruit de la totalité des biens,les droits d’exploitation faisant selon elle pleinement partie de l’assiette sur laquelle porte cet usufruit.

Tout l’intérêt de cette affaire est donc de permettre à la Haute juridiction d’apporter uneclarification sur la question de l’articulation entre l’usufruit volontaire et l’usufruit spécial du conjointsurvivant, le législateur n’ayant pas envisagé cette délicate question.

La solution dégagée par les Hauts magistrats est d’une appréciable clarté, elle précise que« lorsqu'en application de l'article 1094-1 du code civil le conjoint survivant est donataire de l'usufruit dela totalité des biens de la succession, l'usufruit du droit d'exploitation dont il bénéficie en application del'article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle n'est pas réductible ».

Un bref rappel des différents usufruits dont il est question dans cet arrêt permettra de mieuxappréhender cette solution : l’usufruit volontaire est un usufruit issu d’une libéralité consentie au profitdu conjoint survivant pendant le mariage. Conformément aux dispositions de l’article 1094-1, même enprésence de descendants issus ou non du mariage, l’usufruit pourra porter sur la totalité des biens du decujus. L’usufruit spécial confère lui la possibilité au conjoint survivant, offerte par l’article L. 123-6 du codede la propriété intellectuelle, de recueillir l’usufruit des droits d’auteurs du de cujus, à la double conditionque celui-ci n’en ait pas disposé et qu’il n’y ait pas eu de jugement de séparation de corps. Cet usufruitest toutefois soumis à réduction s’il porte atteinte à la réserve d’un héritier réservataire. Enfin, l’usufruitlégal, prévu à l’article 757 du code civil, permet notamment au conjoint survivant d’opter pour l’usufruitde la totalité des biens à la condition qu’il n’existe pas d’enfant issu d’un seul des deux époux.

En ce qui concerne les fondements de la solution, tout d’abord, s’agissant de l’articulation entrel’usufruit légal et l’usufruit spécial, la situation ne présente pas de difficulté majeure : l’assiette del’usufruit spécial porte seulement sur les droits d’exploitation tandis que l’assiette de l’usufruit légal porteelle sur tous les autres biens. Par conséquent, ces deux usufruits étant parfaitement indépendants, ilsdoivent être calculés séparément. Le conjoint survivant peut donc librement choisir de renoncer àl’usufruit spécial et d’opter pour l’usufruit légal ou inversement. En revanche, l’article L. 123-6 du Code depropriété intellectuelle ne faisant pas mention de l’usufruit volontaire des articles 1094 et 1094-1 duCode civil, le présent arrêt permet de lever le doute portant sur l’articulation de ces deux usufruits. LaHaute Cour retient que si l’article L. 123-6 du Code de propriété intellectuelle ne fait pas mention del’usufruit volontaire, il n’y a pas lieu de considérer que ces usufruits sont indépendants (application del’adage Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus).

Par conséquent, l’usufruit spécial des droits d’exploitation de l’auteur est cumulatif et nonexclusif de l’usufruit bénéficiant en droit commun au conjoint survivant. L’usufruit volontaire englobedonc l’usufruit spécial.

134

En ce qui concerne les conséquences pratiques, l’apport de l’arrêt du 8 juillet 2015 ne doit pasêtre négligé, il incite les praticiens à adapter leurs conseils. En effet, ils devront à l’avenir avoir conscienceque par le jeu de l’article 1094-1 du Code civil, l’auteur d’œuvre de l’esprit a la possibilité de transmettrede l’usufruit à son conjoint en le protégeant d’une éventuelle action en réduction.

Par ailleurs, en l’absence d’enfant non issu des deux époux et dans l’hypothèse où le de cujusn’aurait pas consenti de libéralité au profit du conjoint survivant, il semblerait opportun de conseiller auconjoint survivant de renoncer à l’usufruit spécial. En effet, les droits d’exploitation feront alors partieintégrante de la masse successorale ordinaire. Ainsi, le conjoint survivant pourra opter pour l’usufruitlégal de l’article 757 du Code civil ; lequel portera alors sur l’ensemble des biens qui composent lasuccession.

Selon les hypothèses, l’usufruit légal ou l’usufruit volontaire devront donc être conseillés afin deprotéger le conjoint survivant d’une éventuelle action en réduction auquel l’expose l’usufruit spécial.

E) L’inefficacité de la clause d’attribution intégrale sur un bien donnégrevé d’un droit de retour

Arrêt de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 23 septembre 2015 (n°14-18.131)

Par acte authentique reçu le 31 mars 2004, Madame X, veuve Y, consent à son fils Jacky unedonation hors part successorale portant sur la nue-propriété d’un immeuble contenant une clause dedroit de retour « sur le bien donné ou sur ce qui en serait la représentation pour le cas du prédécès dudonataire et de sa postérité ». Cependant, Jacky Y, décédé sans postérité le 24 juillet 2007, s’est mariéavec Madame Z sous le régime de la communauté universelle avec attribution intégrale de lacommunauté au conjoint survivant le 26 mai 2007.

Madame X a fait sommation à Madame Z de quitter l’immeuble avant de l’assigner en expulsionet en paiement d’une indemnité d’occupation. Il est fait droit à la demande en première instance etMadame Z fait alors appel du jugement. Le 25 mars 2014, la Cour d’appel de Grenoble rend un arrêtconfirmatif aux motifs que la donation a été consentie sous condition résolutoire du prédécès dudonataire et que celui ci étant décédé le 24 juillet 2007 sans postérité, la clause de droit de retour joue etréintègre le bien dans le patrimoine de la donatrice.

Madame Z se pourvoit en cassation au moyen que la clause d’attribution intégrale de lacommunauté au conjoint survivant s’analyse comme une convention de mariage et non comme unedonation selon l’article 1525 alinéa 1er du Code civil. Dès lors, une telle clause a pour effet de faire entrerle bien donné en communauté au jour du décès du donataire, ce qui permet au conjoint survivant deprétendre aux droits de propriété du conjoint successible.

135

Le 23 septembre 2015, la Première chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi.

La problématique soulevée par cet arrêt est la suivante : en cas de prédécès du donataire, laclause de droit de retour fait elle obstacle à l’intégration du bien donné dans la communauté universelledu donataire et de son époux ? Si oui, quelles en sont les conséquences sur les droits de propriété duconjoint successible ?

Les juges ont répondu par l’affirmative en énonçant qu’ « ayant relevé que la donation avait étéconsentie sous la condition résolutoire du prédécès du donataire et que la condition s'était réalisée, lacour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche que ses propres constatations rendaientinopérante, n'a pu qu'en déduire que le bien réintégrait le patrimoine de la donatrice ; qu'abstractionfaite de motifs erronés, mais surabondants, l'arrêt est légalement justifié »

Dès lors que la donation a été consentie sous la condition résolutoire du prédécès du donataire,le bien réintègre le patrimoine de la donatrice suite à la réalisation de la condition. En dépit de la claused’attribution intégrale de la communauté au profit du conjoint survivant, celui-ci ne peut bénéficier dudroit viager au logement (sous réserve d’être indemnisé pour les impenses effectuées sur l’immeuble).

La Haute Cour rappelle ainsi que l’insertion d’une clause de droit de retour dans l’acte dedonation prévoit qu’en cas de décès du donataire sans descendance, et précédent celui du donateur, lebien donné retourne dans le patrimoine du donateur.

La solution emporte de graves conséquences sur la jouissance du conjoint survivant sur le biendonné, il ne peut bénéficier des droits de propriété du conjoint survivant sur l’immeuble objet de laclause du droit de retour. Il n’est plus protégé, ce qui peut le placer dans une situation de précarité.

Quelques mois auparavant, la Cour de cassation a précisé que l’existence dans l’acte de donationd’une clause de droit de retour et d’inaliénabilité ne fait pas obstacle à l’entrée ultérieure du bien donné,au sein de la communauté universelle établie entre le donataire et son conjoint, si telle est la volonté dugratifié.19 Ainsi, à travers cette solution, il est possible de percevoir le caractère « extrême » du régime dela communauté universelle, tel que l’écrivait le Professeur Pierre Catala, en ce qu’ elle consacrepleinement l’union des personnes dans celle des biens : erunt duo in pecunia una.

19 Civ 1ère, 18 mars 2015, 13-16.567, Publié au bulletin136

Or, par le présent arrêt, la Cour de cassation énonce que la clause de droit de retour intégréedans l’acte de donation trouve pleine efficacité lorsque la condition résolutoire du décès du donatairesans postérité se réalise malgré l’existence d’une clause d’attribution intégrale de communauté.

CONSEIL PRATIQUE

Le notaire doit accentuer son conseil sur les effets de la clause de droit de retour tant au moment de larédaction de l’acte de donation qu’au moment de la rédaction du contrat de mariage du donataire.

De plus, la pleine efficacité d’une clause de droit de retour intégrée dans une donation, doit se traduirepar la rédaction expresse d’une clause stipulant l’interdiction d’entrée en communauté ; ou encore parune clause de reprise des apports stipulée en cas de divorce, étant précisé que cette clause ne joue quepour l’avenir, c’est à dire au jour de la liquidation du régime matrimonial. Ce type de clause a étévalidée par la loi du 23 juin 2006 et introduite dans le code civil à l’article 265 alinéa 3.

XI. L’appréciation des cas de révocation tacite d’une disposition testamentaire

Arrêt de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 8 juillet 2015 (14-18.875)

Par acte authentique du 28 décembre 2007, Alain Y donne la nue-propriété de cent-vingt partsde la société civile immobilière de Charenton (SCI) à sa fille, Marielle. La donation a été faite avec réserved’usufruit au profit du donateur, sa vie durant, puis au profit de M. X à son décès.

Alain Y décède en 2008. Sa fille lui succède. Cependant, M. X assigne Mme. Y en délivrance d’unlegs institué par testament olographe daté du 5 décembre 2003 par lequel Alain Y lui a légué une renteviagère mensuelle de 4 580 euros à prélever sur les revenus de la SCI.

Le 7 avril 2014, la Cour d’appel d’Orléans rejette la demande au motif que la donation du 28décembre 2007 a entraîné la révocation tacite du testament du 5 décembre 2003. En effet, elle considèreque le legs d’une rente de 4 580 euros mensuelle est incompatible avec la constitution d’une réserved’usufruit portant sur cent-vingt parts de la SCI de Charenton, celle ci dépassant de loin la constitutiond’une rente de 60 000 euros par an. De plus, les juges de la cour d’appel considèrent également que larévocation non expresse du testament ne peut résulter que : d’une omission dans l’acte de donation ou,de l’impossibilité pour le donateur de procéder à cette révocation par acte séparé (celui ci étant décédé

137

seulement quelques jours après l’établissement de l’acte de donation). Ainsi, la volonté du défunt était derévoquer le legs du fait de son incompatibilité avec la donation en usufruit.

M X se pourvoit en cassation au moyen que la révocation tacite des dispositions contenues dansle testament olographe ne peut résulter du simple fait qu’il y ait eu une donation postérieure.

La première chambre civile de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appeld’Orléans le 8 juillet 2015.

Les dispositions contenues dans un testament olographe peuvent elles être révoquées du faitd’une donation postérieure manifestement incompatible avec ces dernières ?

Les juges de la Cour de cassation répondent par la négative au visa des articles 1035, 1036 et1038 du code civil en énonçant que la révocation tacite d’un testament ne peut résulter que de larédaction d’un nouveau testament incompatible, de l’aliénation de la chose léguée ou de la destructionou de l’altération volontaire du testament. Dès lors, la cour d’appel, par refus d’application, a violé lestextes susvisés.

Il ressort de cette solution qu’une donation ne peut être admise comme une cause de révocationtacite des dispositions contenues dans un testament antérieur bien que l’exécution de cette donation soitéventuellement incompatible avec celle des dispositions testamentaires.

Par ailleurs, les juges du fond s’accordent à énoncer que la volonté du défunt au moment de ladonation était de révoquer le legs fait par testament olographe en considérant que le défunt avaiteffectué cette donation, suite aux conseils de son notaire, afin d’échapper à certaines incidences fiscales.

En conséquence, la révocation tacite de dispositions testamentaires pourrait résulter d’une part,de l’incompatibilité d’une donation faite avec le legs institué par testament, et d’autre part de la prise encompte de la volonté du défunt au jour de la donation, interprétée par les juges du fond.20

Cependant, dans le présent arrêt, la Cour de cassation vient restreindre les cas de révocationtacite de dispositions testamentaires.

20 Cass req. 23 avril 1912 : les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour apprécier l’existence del’incompatibilité en fonction de l’intention du testateur. 138

En infirmant le raisonnement tenu par les juges du fond, la Cour de cassation met un frein à uneappréciation extensive de l’article 1036 du Code civil. Il n’est dès lors guère possible pour les juges deraisonner par analogie, la compatibilité ne devant être appréciée que entre dispositions testamentaireset non entre une disposition testamentaire et une donation. Cette solution de la Cour suprême reste enadéquation avec la jurisprudence antérieure qui, au même visa, a considéré que la révocation tacite d’unlegs ne pouvait résulter du fait que le légataire prévoyait de diviser un terrain en deux en vue d’en fairedonation à ces deux fils.21

Dès lors, il résulte des faits invoqués que la volonté du défunt, même prouvée, ne peut entraînerla révocation tacite de dispositions testamentaires antérieures : acta non verba… Pourtant, la donationest un acte juridique dont les formalités assurent la sécurité juridique. Il est utile de se demander pourquelle raison la donation postérieure au testament et incompatible avec celui ci ne peut être une causede révocation.

Tout d’abord, le testament est un acte personnel par lequel le testateur dispose pour le temps oùil n’existera plus, de tout ou partie de ses biens ou de ses droits et qu’il peut révoquer (article 895 ducode civil).

Ensuite, la donation suppose une intention libérale de transmette un bien ou un droit au profitd’une personne. Ainsi, il s’agit d’un acte de volonté alors que le testament est un acte solennel où « leconsensualisme n’y a pas sa place», (cf. M. Nicod obsv. citée infra.)22

CONSEIL PRATIQUE

Lorsque le testateur décide de révoquer son testament ou une des ses dispositions testamentaires, lenotaire doit veiller à traduire cette volonté sous les formes prévues par la loi.

En ce qui concerne la rédaction d’un nouveau testament, dans le cas où certaines dispositionspourraient être incompatibles avec les précédentes, il convient d’introduire une formule expressestipulant la révocation des dispositions testamentaires antérieures, si telle est la volonté du testateur,afin d’éviter toutes difficultés d’interprétation.

XII. L’appréciation de l’inexécution des charges restreintes au seul donataire

21 Civ 1ère, 4 juillet 2007 n°05-16023

22 Dr. famille, oct. 2015, comm. 188, obs. M. NICOD 139

Arrêt de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 28 mai 2015 (n°14-13479)

La Haute juridiction a été amenée à se prononcer le 28 mai 2015 sur la qualité de l'auteur del'action en révocation d'une donation-partage cumulative en cas d'inexécution de charges.

Jules X et son épouse, Marthe Y, sont décédés les 22 mars 1979 et 5 avril 2008 en laissant à leurssuccessions leurs cinq enfants, Danielle, Jacques, Michel, Annie et Brigitte. Par une donation-partageétablie 1er septembre 1981, Marthe Y avait donné à Danielle la nue-propriété d'un immeuble, à chargepour elle de verser des soultes à ses frères et sœurs. En outre, la donation-partage était grevée de lacharge suivante, la donataire s'engageait à nourrir à sa table, entretenir, vêtir, chauffer et éclairer d'unefaçon générale, et à fournir à Marthe Y tout ce qui serait nécessaire à l'existence, tant en santé qu'enmaladie.

Néanmoins, des difficultés sont apparues lors des opérations de compte, liquidation et partage dessuccessions et de la communauté ayant existé entre les époux.

Le 9 janvier 2014, la Cour d'appel de Besançon a rejeté la demande en révocation de la donation-partage pour inexécution de la charge au motif que « la stipulation de la condition litigieuse n'était pasdéterminante du consentement de l'ascendant survivant ».

Michel X forme alors un pourvoi en cassation au moyen que lorsque la donation-partage porte à la foissur les droits détenus par le parent survivant et sur les droits que détiennent les gratifiés eux-mêmespour les avoir recueillis dans la succession de leur autre parent prédécédé, les juges devaient notammentvérifier que la condition litigieuse n'était pas déterminante du consentement des autres copartageants.

Les copartagés peuvent-ils effectuer une action en révocation d'une donation-partage pourinexécution de charges à la place du donataire ?

La première chambre civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi le 28 mai 2015, au motifqu' « en cas de donation-partage par le parent survivant, acceptée par tous les enfants, de biens quidépendaient de la communauté dissoute par le décès de son époux, laquelle réalise par un même acteun partage amiable de biens de la succession ouverte et une donation-partage de biens de ce parent,seul celui-ci a la qualité de donateur ; qu'il s'ensuit que, pour apprécier les conditions d'ouverture del'action en révocation pour inexécution des charges assortissant cette donation, la cour d'appel n'avaitpas à rechercher si celles-ci avaient été déterminantes du consentement à l'acte des enfants ».

La donation-partage qui s'est présentée au sein de ce cas est spécifique, en ce qu'elle constitueune donation-partage cumulative. Cornu considère que la donation-partage est cumulative « lorsqu’ellea pour objet non seulement les biens présents de l’ascendant survivant, mais aussi ceux de la succession140

de l’ascendant prémourant ». La jurisprudence a admis la validité d'une telle donation.23

Cette libéralité a connu un certain succès dans la pratique notariale, elle permet d'anticiper les futurslitiges qui pourraient survenir lors de la liquidation d'une succession et de permettre la constitution delots dans l'éventualité du partage. En l'espèce, la donation-partage cumulative portait sur des biens duconjoint survivant, Marthe Y, et sur des biens compris dans la succession de feu son époux.

Cette donation-partage était assortie d'une charge supportée par la donataire qui s'avère êtreDanielle. La charge consiste en la fourniture d'aliment et de tout ce dont aurait besoin sa mère pour vivreet se soigner. En contrepartie de la donation, Danielle s'est engagée à verser une soulte à ses frères etsœurs. En cas d'inexécution des charges stipulées dans l'acte, les articles 953 et 954 du Code civilénoncent que la donation pourra être révoquée par voie judiciaire que par le donateur. Ce cas derévocation est justifié notamment par la réciprocité existante entre l'obligation du donataire et celle dudonateur. En cas d'inexécution de son obligation par le donataire, la donation pourra être révoquée. Or,l'action en révocation présente un caractère personnel. Elle ne peut être en principe demandée que parle donateur lui-même. Seul ce dernier peut apprécier l'inexécution ou non des charges.

En outre, la jurisprudence exige que la charge relative à la donation soit déterminante aux yeuxdu donateur pour que la révocation judiciaire soit prononcée.24

En l'espèce, l'inexécution de la charge consentie doit s'apprécier au regard du donateur. En effet, la Courde cassation vient rappeler qu'en aucun cas les copartagés sont créanciers de l'exécution de l'obligationconsistant à satisfaire les besoins pour l'existence et les soins de Marthe Y. Certes, ces derniers ontaccepté la donation-partage. Or, cette acceptation n'a pas d'incidence sur l'appréciation de l'inexécutionde la charge imposée à Danielle. Seule la donatrice pouvait apprécier cette situation et estimer le caséchéant, si l'obligation à la charge du donataire a bien été exécutée.

23 Civ 1ère, 22 nov. 2005, Bull. civ. I, n°437

24 Civ 1ère, 29 mai 1980 : D. 1982. 18141

Travail réalisé par Nathalie DUPUY, Nicolas GIRAUD-HERAUD, Anne LAZARO et Adrien MARQUIE

142

143