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UNIVERSITÉ DE PARIS X -NANTERRE U.F.R. DE LITTERATURE LANGAGE ET PHILOSOPHIE 2004 N° Attribué par la bibliothèque THESE pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITE PARIS X NANTERRE 1

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UNIVERSITE DE PARIS X NANTERRE

Universit de Paris X -Nanterre

U.F.R. DE LITTERATURE LANGAGE ET PHILOSOPHIE

2004

N Attribu par la bibliothque

THESE

pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE LUNIVERSITE PARIS X NANTERRE

Discipline: SCIENCES DU LANGAGE

prsente et soutenue publiquement le 14 dcembre 2004

par

Franois CHAMPION

LE MOT ET SES INDICES

Rle du lexique dans linteraction didactique

avec des adultes migrants en situation professionnelle

Sous la direction de Monsieur le Professeur Rmy PORQUIER

VOLUME I

Membres du jury:

Mme Franoise GADET, Prsidente du Jury,

Professeur lUniversit Paris-X Nanterre

M. Rmy PORQUIER,

Professeur luniversit Paris-X Nanterre

M. Bernard PY,

Professeur lUniversit de Neuchatel

Mme Marie-Thrse VASSEUR,

Professeur lUniversit du Mans

Ddicace

Je ddie ce travail

Frdric Manteau et Jean-Louis Messager, Stphanie Layani et Frdric Lherbier,

Pascal Blanc et Marie Belda,

qui ont guid mes pas dans lunivers des discours et des actions de la formation continue.

Je le ddie aussi

Matre Chekna Bathily, Mesdames Chen et Calfon, Messieurs Hatchi, Home, Lovengrath, Milroy, ainsi qu Rexon, Renuka et leurs enfants, sans oublier Chon et Comfort, Marija et Sylvie, Alexe et Luis, Djibril, Nilfer, Omar, Mymie et tous les autres,

qui mont tout appris des mots et de leurs indices.

Je le ddie enfin

vous, trs chres Elsa et Fanny, mes modles.

N.B. (Dcembre 2006): Nous prsentons ici la version de notre thse revue selon les recommandations du jury qui, lors de la soutenance en dcembre 2004, avait mis dimportantes rserves dordre formel et navait pas autoris la diffusion universitaire en ltat. Cette seconde version a reu laval du jury pour sa diffusion.

Remerciements

Un nombre infini de matres de langues, darts et de sciences, enseignent ce quils ne savent pas, et ce talent est bien considrable : car il ne faut pas beaucoup desprit pour montrer ce quon sait ; mais il en faut infiniment pour enseigner ce quon ignore.

Montesquieu, Les lettres persanes, lettre LVIII

Mes remerciements vont quelques-uns de mes ans dont lempreinte intellectuelle, le soutien professionnel ou lamical intrt ont t dterminants pour permettre ce projet de thse darriver terme: Jacques Champion, Pierre Champion, Jacques Bouveresse, Rmy Porquier, Alain Moal, Colette Dartois, Romain Laufer, Jean-Pierre Madani-Grard, Giuseppe et Teresa Longo, Michel Paga.

Les exigence de rigueur et dhonntet intellectuelles de Rmy Porquier et de Colette Dartois et leurs vertus de patience et de gnrosit mont t des leons que je ne saurais oublier et que jaurai cur de transmettre, comme du devoir dun disciple lgard de ses matres.

Mes remerciements vont ensuite Jean-Christophe Ralema, Khaled Abichou et Evelyne Rosen qui, des moments critiques de son laboration, ont fait prendre ce travail des orientations dcisives.

Mes remerciements vont enfin Franoise Muller-Champion qui, runissant en elle les belles qualits de tous les autres, a tenu ce projet, la soutenu et la suivi pas pas, en partageant tous les dbats et toutes les inquitudes. Ce travail est aussi le sien.

Sommaire

3Ddicace

5Remerciements

7Sommaire

9Introduction

17Premire partie: Gense dune problmatique lexicale

19Chapitre 1: Le franais langue trangre et les adultes migrants

191.1. Les politiques dalphabtisation en France jusquen 1975

241.2. 1975 et la crise

281.3. Le tournant de 1984

331.4. 1988: Formation de base et nouveau dispositif

351.5. 2000: la lutte contre lillettrisme en entreprise

42Chapitre 2: Mthodologie du franais langue trangre en milieu migrant

422.1 Les mthodes

472.2. De la mthodologie en insertion sociale et professionnelle

522.3. De la formation linguistique la formation la communication

60Chapitre 3: La question lexicale

603.1. Le post-mthodique

663.2. Le traitement mthodique du lexique

743.3. Le rle de lenseignement lexical

81Deuxime partie: Vers un modle danalyse des donnes lexicales

83Chapitre 4: Luis Prieto

834.1. Les travaux

894.2. La thorie fonctionnelle du signifi

1024.3. Lentit linguistique et son rle

1074.4. Le mcanisme de lindication

1204.5. Caractristiques et dimension

126Chapitre 5: La pragmatique de la pertinence

1275.1. Un modle dialogique et interactif de la pense

1345.2. La Pragmatique implicite de Prieto I

1435.3. La pragmatique de la pertinence de Sperber et Wilson

1515.4. La pragmatique implicite de Prieto II

161Chapitre 6: La pragmalinguistique

1626.1. Une approche rductionniste du discours.

1666.2. La pragmatique linguistique de Bange

1846.3. Un modle danalyse pragmatique de traitement des donnes lexicales

1966.4. Linterprtation pragmatique

200Troisime partie: Un modle pragmatique et linguistique danalyse des donnes lexicales

202Chapitre 7: Linteraction et les interactants

2027.1. Le corpus et linteraction

2077.2. Lunivers de discours de lapprenant

2227.3. Lunivers du discours didactique: plan du formateur

227Chapitre 8: Droulement de laction

2278.1. Action et univers de discours

2318.2. Le plan des sances

2348.3. Analyse linaire des sances et des activits

246Chapitre 9: Lexique et analyse de lindication

2469.1. Le sens comme rapport social

2559.2. La contribution ltablissement du sens

2599.3. Ecouter

2809.4. Comprendrelaction

305CONCLUSION

314Bibliographie

324Index des sigles

326Index des notions

331Table des matires

Introduction

Parler, couter, lire, crire, consiste communiquer du sens, le transmettre. Voil une vidence qui a trouv sa place auprs du professeur de langues, du praticien de lenseignement dune langue trangre. Car elle a t relaye avec constance par les didacticiens des langues qui reconnaissent comme une conqute fondamentale de leur discipline davoir plac la transmission du sens au centre de leurs problmatiques, de leurs recherches, et des principes mthodologiques qui doivent prsider llaboration des mthodes denseignement linguistique.

Pourtant lemprise des linguistes sur la didactique du Franais Langue Etrangre (dsormais: Fle) a souvent fait oublier lenseignant que, dans les faits, ce nest pas le langage seulement qui opre mais aussi la parole. Cest un linguiste pourtant, Luis J Prieto, qui a tent de montrer que la parole a tout autant pour fonction de transmettre le sens que de contribuer son tablissement. Cela est particulirement vrai dans la communication courante, quotidienne, mais plus encore dans la communication didactique, dans lenseignement des langues. Il aura fallu, du ct des thoriciens, que les premiers sen persuader des philosophes se dmarquent de la linguistique pour donner forme une nouvelle discipline et de nouveaux spcialistes: la pragmatique et les pragmaticiens.

Tout enseignant, de quelque matire que ce soit sait que la parole contribue ltablissement du sens. Cest par lapplication de ce principe que la mre enseigne le langage son enfant. Paget, pour sa part, la amplement montr. Mais les implications didactiques dune telle formule mritent que lon sy arrte longuement.

Luis J. Prieto, en formulant si nettement cette proposition que la parole contribue ltablissement du sens, dut arriver trop tt dans un monde trop bruyant: il a t peu cout, plus mal entendu encore et bientt oubli. Il est vrai que Prieto, linguiste et smioticien des annes soixante, qui na plus beaucoup publi aprs 1975 et qui nest plus tudi que par de rares spcialistes, a t un linguiste en apparence fort loign des proccupations didactiques pourtant en plein renouvellement et na pas particip ouvertement au dveloppement de la pragmatique.

Rconciliant la recherche thorique et lvidence pratique, Prieto a pourtant pos des principes danalyse qui mritent aujourdhui dtre examins la lumire du dveloppement de la pragmatique et de la didactique des langues. Ils ont aid lenseignant de Franais langue trangre et le formateur que nous sommes rconcilier discours des thoriciens et discours des praticiens, linguistes, didacticiens et pdagogues.

Cest lobjet de cette thse de montrer comment cette formule de Prieto sur le rle de la parole comme contribution ltablissement du sens, non seulement commande la pratique pdagogique de tout enseignant en langue, mais permet cette rconciliation de la pdagogie avec les nombreuses sciences qui linforment, dont la linguistique nest pas la moindre.

Cette thse sur le Mot et ses indices est une thse de didactique du Fle. Elle traite de linguistique et de lexicologie. Mais, en prenant comme objet plus particulier le franais langue des migrants adultes en milieu professionnel et en analysant la communication exolingue suivant la thorie de lindication, processus partir duquel se dissipe une incertitude partir dun indice, elle touche des domaines qui intressent aussi la pragmatique et la sociolinguistique, la logique et la psycholinguistique, auxquelles la thorie pdagogique emprunte nombre de ses concepts. Lenjeu de notre travail sera de marquer ces liens interdisciplinaires sans abandonner notre terrain dapproche privilgi, et que nous considrons comme central, puisquil sagit de la parole.

Cette thse est laboutissement dun cheminement de la didactique vers la pragmatique travers un passage oblig par la linguistique. Ce cheminement a commenc la fin des annes 1970. Nous sommes parti dune pratique de la didactique du Fle en milieu migrant et avons remont le cours des thories pdagogiques informes de plus en plus par le champ pragmatique. Notre attention sest trs tt porte et nous dirons comment sur la notion de situation, sur les questions smantiques et sur la question lexicale, et nous pensons que ce nest pas tout fait un hasard si au carrefour de ces questions nous avons rencontr Luis J. Prieto.

La question pistmologique est un nud de notre questionnement : comment nen serait-il pas autrement en matire denseignement, denseignement la communication, denseignement du langage et des savoirs? Et comment nen serait-il pas ainsi avec Prieto?r, nous devons avouer que cette question sest pose pour nous antrieurement notre pratique denseignement du franais, laquelle nous sommes venu plus tard. La frquentation de la philosophie dans lenseignement suprieur avait dj veill en nous linquitude pour les questions pistmologiques. Primitivement orient vers la rflexion philosophique, cest linitiation aux questions de la philosophie analytique qui a reprsent notre vritable veil pour les questions du langage, de la formation et de la formulation des savoirs.

Notre orientation plus tardive vers le mtier de formateur dadultes les a ravives. Dans les annes 1960-1970 et jusqu laube des annes 1990, dans les milieux de la formation des migrants, domins plus quaujourdhui par la pratique du bnvolat, les formateurs navaient aucune formation pdagogique ou linguistique spcifique et acquraient les rudiments du mtier sur le tas. Dj les approches communicatives dominaient le discours didactique et les mthodes audio-visuelles mettaient fortement laccent sur la transmission du sens comme pralable la matrise de la forme. Mais, au rebours du systme traditionnel de formation en France, les fondements thoriques de la mthodologie taient acquises sur le tard et lentement, travers des sessions de formation pdagogique dispenses parcimonieusement.

Il nen nest plus de mme aujourdhui dans le domaine du Fle, o la spcificit dun enseignement universitaire diplmant sest progressivement impose ct de lenseignement des lettres modernes et o la dtention du diplme la validant sest normalise dans le milieu de la formation des migrants adultes, sinon pour le recrutement des formateurs, du moins pour celui des responsables pdagogiques. La situation reste cependant identique dans le domaine de lalphabtisation ou des programmes de lutte contre lillettrisme. Les initiatives de formation universitaire commencent seulement voir le jour. Encore nest-ce que dans les centres de formation continue, donc comme formation thorique sur le tard destination de formateurs ou responsables pdagogiques supposs dj informs sur le tas

Pour notre part, cest aprs la cration des premiers enseignements universitaires en didactique du Fle que nous avons repris le chemin de luniversit pour apaiser nos inquitudes didactiques et pistmologiques. Lenseignement et lapprentissage lexical, dans leur rivalit avec lenseignement de la grammaire et en rapport avec les dimensions pragmatiques des situations dapprentissage, nous proccupaient dj beaucoup.

Nous avons ainsi suivi un parcours qui illustre une formation thorique partir de la pratique, une conceptualisation de questions pratiques dans un cadre thorique. Mais nous tions dj dispos accueillir la rflexion thorique en matire dpistmologie et de smantique. Nous avons t cependant amen oprer pour nous-mme, lors des diffrentes tapes de cet itinraire, les successives transpositions didactiques que dcrit Chevallard. TA \l "Chevallard" \s "Chevallard" \c 1 (1985).

La problmatique de cette thse a t pose au cours dune formation la pratique de la pdagogie de la mdiation, en 1993, au centre de formation continue de luniversit Ren Descartes (Paris V). Elle sest conforte par la rdaction dun mmoire de Matrise de Lettres Modernes (Champion TA \s "Champion" 1995), Paris-X Nanterre, sur les principes de slection lexicales pour un apprentissage en contexte. Elle a formalis son projet aprs un mmoire de D.E.A en Sciences du Langage (Champion 1998 TA \s "Champion" ) portant sur la slection lexicale dans linteraction en milieu professionnel. Elle marque donc le point dorgue dune recherche conduite sur un terrain peu explor encore par la recherche universitaire mais riche pourtant dune longue exprience : la didactique du franais langue trangre en milieu migrant. Et elle tente de borner une surface perdue que lon commence peine dfricher: le milieu professionnel des salaris de premier niveau de qualification, les migrants et les Franais en situation dillettrisme.

Notre projet est donc de mditer sur lexprience dun parcours intellectuel inform par une pratique pdagogique et de montrer quel type de transpositions, dans le domaine de la didactique, un praticien peut tre conduit oprer pour rendre compte de ses problmes denseignement dans un environnement social et professionnel qui dtermine des contraintes trs spcifiques. Nous allons ainsi porter au dbat des questions thoriques surgies dune pratique, abordant notre questionnement par la mme voie quemprunte le linguiste: dans les manifestations concrtes et pratiques de la langue, dans le mouvement mme de son expression, dans la communication, dans la parole et travers un corpus.

Cette relation du cheminement qui a nourri cette thse, on la dclera facilement dans le plan quelle dploie en trois parties.

La premire partie traite de la gense de notre problmatique, sous trois chapitres dont le premier (Ch 1: Le franais langue trangre et les adultes migrants) prsente dans ses grandes gnralits les volutions historiques et pdagogiques de lenseignement du franais langue trangre en milieu migrant et professionnel; le second (Ch 2: Mthodologie du Fle en milieu migrant) expose la difficult dadaptation des mthodes apparues depuis une dizaine dannes, aprs une longue priode marque par labsence ou la plthore de mthodes denseignement, et montre le rle important du formateur dans la conception, llaboration et la mise en uvre de la mthode, particulirement dans le milieu professionnel. Elle pose donc la question mthodologique. Le troisime (Ch 3: Lenseignement lexical) interroge le rle de lenseignement du lexique au regard de lenseignement grammatical, et montre que la question lexicale devient une question centrale, tant dans la pratique de la communication que dans llaboration et la mise en uvre des corpus pdagogiques.

La deuxime partie prsente dans un premier chapitre (Ch 4) les conceptions de Luis J. Prieto, et les confronte, dans un deuxime chapitre (Ch 5), aux dveloppements de la pragmatique au cours des dernires dcennies, dont beaucoup de chercheurs commencent dresser le bilan. Nous visons l montrer que la pragmatique peut sapproprier lhritage de Prieto. Un troisime chapitre (Ch 6) propose, par une intgration des concepts de la pragmalinguistique de Bange aux concepts de Prieto, le modle danalyse du discours didactique et de la communication de classe que la troisime partie veut illustrer.

Dans cette troisime partie, nous mettons en uvre ce modle danalyse sur un corpus pdagogique, prsent en annexe (Volume II), recueilli en entreprise entre 2000 et 2001, au cours dune formation de quarante heures auprs dun apprenant dorigine laotienne. Un premier chapitre (Ch 7) domin par les concepts daction et dunivers de discours, opre une premire analyse des acquis et prrequis des interactants, de leurs buts, objectifs, stratgies, des comptences travailles, etc. Un second chapitre (Ch 8), . prsente les principes de traitement du corpus et un synopsis de la formation au regard des documents pdagogiques produits ou exploits, prsents aussi en annexe. Un troisime chapitre (Ch 9) analyse enfin, lappui du corpus, un certain nombre de processus dinter-comprhension et dincomprhension, en mettant en application la fois les concepts pragmatiques daction et les principes danalyse de lindication de Prieto, domins par les concepts de phonie, de sens, dunivers de discours, de caractristique et de dimension. Cest l mais seulement aprs tout le cheminement antrieur que lon peut vritablement voir les relations du mot avec ses indices, et rvler, dans lespace didactique, la parole en train de contribuer ltablissement du sens.

Notre mthode de travail a consist recueillir nous-mme ce corpus dans une formation que nous animions et en conduire nous-mme lanalyse, devenant ainsi tout la fois observateur et observ. Il nous faut justifier cette position mthodologique spcifique dont lusage du nous ne suffirait pas masquer le caractre contradictoire. Il serait en effet pertinent de nous faire observer quen vrifiant comme observateur ce que nous avons pos en partie comme observ, nous rendons bien facile le projet de chercher et de dcouvrir un objet dont nous aurions nous-mme dtermin la position.

Il ny a rien, fondamentalement, dans le corpus que nous livrons lanalyse, que lon ne retrouvera pas dans la plupart des contextes didactiques informs par les principes pdagogiques et didactiques des approches communicatives. Or la vise de notre travail est de montrer que ces principes ainsi que leur application peuvent tre analyss travers un modle cohrent de thorie pragmatique et linguistique. De sorte que, en dfinitive, ce nest pas nous-mme qui nous mettons dans une position mthodologique instable mais ce sont nos matres et lobjet mme de notre observation qui nous y placent. Ce qui nous contraint non seulement avouer notre cart mthodologique mais le revendiquer. Car nous prtendons quil ntait pas possible, par les objectifs mme de ce travail, de faire autrement que de nous situer dans la position de lobserv-observateur.

En effet, notre objectif est dobserver dans une activit didactique les processus dinfrence qui soprent tout au cours de la communication de classe. Il sagit dinterprter, travers les tours et les actes de parole, comment la communication se constitue elle-mme comme situation qui dtermine le processus dinterprtation du sens lexical. A partir dune action propose par lenseignant, lapprenant ragit. Lenseignant interprte cette raction et ragit son tour pour aider lapprenant comprendre ou pour comprendre lui-mme. Dans ce processus, seul lenseignant peut expliciter le sens de son action et les interprtations quil a donnes des ractions de lapprenant, dont la communication de classe porte le tmoignage. Il et t important, si cela avait t possible, danalyser aussi linterprtation que lapprenant en ferait. Notre analyse pcherait donc plutt par manque que par excs.

Cette activit dinterprtation, par lenseignant, de son action et des ractions de ses apprenants, tout enseignant la fait et se trouve en tat de lexpliciter un tiers: cest mme lun des principes de sa formation, particulirement lorsquil fait des stages auprs de collgues. Et cest ainsi queux-mmes procdent pour laider se former et quand ils parlent entre eux en session de formation de leurs difficults et de leurs problmes denseignement. Simplement, cest une activit qui na peut-tre jamais t formalise notre connaissance, part le cas de Stella Baruk (1977) TA \l "Stella Baruk " \s "Stella Baruk " \c 1 pour lenseignement des mathmatiques. Nous navons donc pas utilis des analyses de corpus qui auraient dj t faites dans le domaine de lenseignement du Fle. et t nous condamner ne pas pouvoir faire le point sur litinraire dj parcouru ni nous engager dans de nouveaux territoires.

Notre vise serait daider des formateurs et des enseignants dvelopper eux-mmes les outils critiques de leurs propres pratiques, et les principes danalyse des situations pdagogiques quils mettent en uvre, afin de rendre leurs interventions plus pertinentes sinon plus efficaces. Un enseignant de langue trangre pratiquant un enseignement communicatif est lun des acteurs du processus dinterlocution dont il doit en permanence valuer les effets immdiats sur son interlocuteur pour en poursuivre ou en modifier les objectifs et les moyens. Il est un observateur non seulement de lautre, mais de lui-mme. Il est dans larne, et doit sinterroger sur ce quil fait, pourquoi il le fait, comment il le fait. Cest ce que nous faisons ici, et nous le soumettons la critique mthodologique et scientifique, demandant aux autres chercheurs : Nous sommes-nous pos les bonnes questions?Notre outil dvaluation vous parat-il pertinent au regard des critres quil doit apprcier ? .

Nous considrons trois domainescomme relevant des prrequis ce genre de travail: le point sur la recherche en matire dinterlangue, de communication exolingue, de problmatique lexicale. Ces notions sont centrales pour le dveloppement de notre problmatique, et nous les illustrons travers lanalyse dtaille du corpus. Elles eussent peut-tre mrit de plus amples dveloppements thoriques. Pourtant, aprs une trop rapide prsentation de ces notions, nous nous contentons de renvoyer aux travaux de nos prdcesseurs: Corder (1981) TA \l "Corder " \s "Corder " \c 1 , Porquier TA \s "Porquier" (1975/1984/1986/1994), Boogards (1994) TA \l "Boogards" \s "Boogards" \c 1 , Mutta (1999) TA \l "Mutta" \s "Mutta" \c 1 , au bilan le plus complet notre connaissance fait rcemment par Rosen TA \s "Rosen" (2001) et ltat des lieux fait par Rosen et Porquier (2003). Cest que nous navons pas voulu surcharger notre propos de considrations qui ne faisaient que reprendre ou adapter des analyses que nous avions faites antrieurement (Champion 1995 / 1998), et que nous nous sommes content de rsumer ou dvoquer, et parfois mme de reprendre dans une rdaction adapte au propos de cette thse (Champion TA \s "Champion" 2000/ 2003 / paratre).

Premire partie: Gense dune problmatique lexicale

Chapitre 1: Le franais langue trangre et les adultes migrants

Lenseignement du franais langue trangre dispens en France aux adultes migrants (immigrs dits migrants conomiques, ou rfugis, dits migrants politiques), dont une partie a relev de lalphabtisation dtrangers dans une langue seconde, donne lenseignant un statut composite denseignant de Fle, de travailleur social, de formateur de la formation professionnelle ou continue, pour qui la motivation militante et engage nest pas secondaire chez beaucoup. En effet, cet enseignement, particulirement depuis 1984, a lieu dans des cadres surdtermins par lenjeu dinsertion conomique et sociale ou de formation professionnelle (voire mme dintgration politique) de ses bnficiaires.

Cest un enseignement du Fle qui a des caractres spcifiques. Il est essentiel de se pencher dabord sur sa forme emblmatique, encore trs prgnante aujourdhui : lalphabtisation en langue trangre.

1.1. Les politiques dalphabtisation en France jusquen 1975

On ne saurait aujourdhui parler dalphabtisation ou de Fle en milieu migrant sans parler en mme temps dillettrisme, ces deux problmatiques ayant une proximit dautant plus forte que de nombreux adultes trangers, alphabtiss dans leur pays dorigine ou en France, manifestent lgard de lcrit et des savoirs de base les mmes difficults et comportements que les Franais en situation dillettrisme. Un enseignement du Fle en milieu migrant ne saurait donc plus se passer dune bonne connaissance de ces rapports. Et la spcificit franaise en ce domaine ncessite de prsenter en quelques pages un certain nombre de repres historiques, qui clairent la problmatique denseignement / apprentissage qui sous-tend lensemble de ce travail.

Par ailleurs, rappelant une rgle bien tablie depuis Richterich et Chancerel TA \l "Richterich et Chancerel" \s "Richterich et Chancerel" \c 1 (1977) et leurs travaux sur les besoins langagiers, et selon laquelle

un systme dapprentissage ne peut exister que dans la ralit de son fonctionnement institutionnel et ce nest que par rapport cette ralit-l que ses lments peuvent tre mis en place ( ibidem : 5),

il nous parat ncessaire de brosser paralllement quelques descriptions de contextes institutionnels spciques de cet enseignement.

1.1.1. Scolarisation des franais : lalphabtisation en L1

La lutte contre lanalphabtisme des Franais a une histoire dj longue. Elle est considre, en 1984, comme dfinitivement gagne. Le systme scolaire, comme lont montr Furet et Ozouf (1977) TA \s "Furet et Ozouf" , nest pas impos den haut mais est le produit dune demande sociale qui se transforme en besoin dcole. LEtat se substitue alors la socit.

Lanalphabtisme, situation de personnes qui nont jamais appris lire et crire dans aucune langue, est a fortiori dans leur langue maternelle ou dans la langue officielle dusage de lcrit de leur pays, est directement reli la scolarisation des enfants: on considre automatiquement , en France, comme synonyme analphabte et non-scolaris XE "analphabtisme" \b . La scolarisation en France a commenc bien avant le Premier Empire et la Rvolution franaise, et cest sous lAncien Rgime quil faut aller chercher les premires grandes initiatives pdagogiques en ce domaine. La Rvolution franaise inscrit dans la Dclaration universelle des droits de lhomme et du citoyen le droit lInstruction et en fait un thme central de son combat idologique contre lEglise, adversaire du nouveau rgime, par lequel celui-ci compte assurer lauto-dfense de la Rpublique: il sagit par linstruction de donner aux citoyens les moyens de sinformer, de se former une opinion, de sexprimer, de juger, de participer la vie publique, en vue de promouvoir des formes dmocratiques dans la vie publique et de produire le citoyen Lecteur / Electeur.

Ce nest cependant que sous la IIIme Rpublique que ce programme sera repris et mis en uvre. Lindustrialisation sauvage au cours du dix-neuvime sicle, les revendications rcurrentes des organisations ouvrires depuis 1948, et la ncessit des premires mesures sociales protgeant le travail des enfants (cest en 1874 que la loi fixe 14 ans lge minimum pour une premire embauche) vont prparer les grandes lois sur lInstruction publique. La premire rvolution industrielle a un besoin accru douvriers qualifis, et un nouveau modle culturel se met en place, la socit doit rpondre un nouveau besoin.

Lunanimisme rpublicain pour lEnseignement Primaire public, lac, gratuit, obligatoire, sous la IIIme Rpublique donne limpulsion vers une alphabtisation de la totalit de la population franaise qui sera ralise aprs la premire guerre mondiale. La loi du 16 juin 1881 sur la gratuit de linstruction primaire dresse les bases de lEcole publique. Les lois du 30 juin 1881 sur la libert de runion et du 29 juillet 1881 sur la libert de la presse impriment un mouvement lexpression, la libert dopinion, la diffusion de lcrit et des connaissances. Enfin la loi du 23 mars 1882 sur lobligation de lInstruction primaire et sur la Lacit cre un mouvement irrversible dalphabtisation des masses de la population rurale et citadine. Plus tard, lge de la scolarit obligatoire passe de quatorze seize ans. On considre en 1984 que le territoire de la Rpublique ne compte plus de natifs analphabtes. On comprend alors que ce terme nest alors plus applicable quaux adultes migrants non scolariss dans leur pays dorigine XE "alphabtisation:des franais" \r "alphabtisation" .

1.1.2. Scolarisation des adultes migrants : lalphabtisation en L2

Mais lalphabtisation des adultes migrants ne va pas faire lobjet, de la part de la puissance publique, des mmes efforts que pour les nationaux. Cest que laccueil, le contrle et lintgration des migrants en France relve dune tradition ancienne, et na jamais donn lieu une lgislation contraignante. Les Franais ont toujours t trs rticents et critiques lgard de toute initiative de lEtat en ce domaine. Ce fut ainsi une association cre en 1927 et jalouse de son indpendance daction, le Service Social dAide aux Etrangers (SSAE), branche franaise du Service Social International (SSI), qui assura jusquen 2004 laccueil, le conseil juridique, laide financire des primo-arrivants, migrants ou demandeurs dasile, clandestins ou admis au sjour.

Et ce nest que tardivement, et aprs les grands transferts de population en Europe et les traumatismes conscutifs la guerre dEspagne et la Seconde Guerre mondiale, que des organes spcifiques de contrle voient le jour : cration le Ier avril 1945 du Haut-Comit de la population et de la famille, et le 2 novembre 1945 de LOffice National pour lImmigration (ONI TA \l "ONI" \s "ONI" \c 2 ), enfin du Fonds daction sociale (FAS) TA \s "FAS" en 1958, qui dpendront partir du 8 janvier 1966 de la Direction des populations et des migrations (DPM TA \l "DPM" \s "DPM" \c 2 ), sous les tutelles alternatives ou conjointes du Secrtariat dEtat aux travailleurs immigrs, du Ministre des Affaires sociales, et du Ministre du Travail et de la Formation Professionnelle. Tandis que lONI soccupe de contrle administratif (autorisation daccueil, contrle mdical des primo-arrivants, regroupement familial, scurit sociale) et, depuis quelques annes, daide au retour et la rinsertion dans le pays dorigine, le FASILD assure le soutien financier, par le biais de la part des allocations familiales des migrants non reverses au pays dorigine, lhbergement (construction et financement complmentaires de foyers de migrants) et aux associations daide et de promotion sociale ou culturelle des travailleurs migrants. LInstitut national dEtudes dmographiques (INED TA \l "INED" \s "INED" \c 2 ) oriente par ailleurs, partir de ses tudes statistiques, la rflexion des dcideurs.

Dans le domaine de la formation, hormis les cours de promotion sociale (les fameux cours du soir) dispenss gratuitement tous les travailleurs dans les coles ou par lAssociation Philotechnique TA \l "Association Philotechnique" \s "INSTITUTIONS" \c 2 , et qui ne touchent quune minorit de migrants, cest linitiative prive que lEtat laisse le soin de rpondre aux besoins dalphabtisation, dinstruction et de formation des adultes migrants.

Jusquen 1962, ceux-ci sont pour la plupart originaires de dpartements franais ou de colonies qui ont dvelopp leur propre systme dinstruction, certes calqu sur le systme rpublicain et dispens par des congrgations religieuses, mais essentiellement orient vers la slection des lites locales. Il ne vise pas la totalit de la population comme en mtropole o, par ailleurs, les tches dvolues la majorit des adultes migrants ne ncessitent pas la matrise de la lecture ou du calcul, ni mme de la communication orale.

LEtat prend en charge la scolarisation de tous les enfants de migrants (mme les enfants de parents clandestins) et les intgre jusqu quatorze puis seize ans dans la scolarit obligatoire. Il mettra mme en place dans les annes 80, pour les enfants des familles rejoignantes, des cycles initiaux spcifiques de Fle.

Pour ce qui concerne leurs parents, cest une multitude dassociations loi 1901 but culturel ou ducatif qui voient rgulirement le jour pour satisfaire les besoins locaux sous limpulsion des migrants eux-mmes ou de Franais bnvoles, anims de motivation shumanistes, religieuses, syndicales ou politiques. Elles sautofinancent, reoivent des dons, sollicitent des subventions de la part des municipalits, des conseils gnraux. Mais elles sont autonomes, et elles ont une dure de vie ou dactivit pdagogique variables, disparaissent, renaissent, se scindent, se rassemblent. Leur rayon daction est local ou rgional: lAMANA TA \l "AMANA" \s "AMANA" \c 3 -Hommes et Migrations Paris, lAssociation Culturelle pour la Promotion des Migrants (ACPM TA \l "ACPM" \s "ACPM" \c 2 ) Marseille, etc. Certaines, appuyes sur un fondateur la forte personnalit, sur une communaut, sur une organisation syndicale ou politique, sur une Eglise, ou dynamises par un projet social ou politique commun, se regroupent ou se fdrent: lAmicale pour lEnseignement des Etrangers (AEE TA \l "AAE" \s "AAE" \c 2 ), lAssociation pour la Diffusion et la Formation des Immigrs (ADFI), le Comit de Liaison pour lAlphabtisation et la Promotion (CLAP TA \l "CLAP" \s "CLAP" \c 2 ), le Comit de Liaison pour la Promotion (CLP TA \l "CLP" \s "CLP" \c 2 ), la Fdration Leo-Lagrange.

Au contraire des institutions scolaires, ces associations ne disposent daucun matriel pdagogique denseignement du franais ou dalphabtisation tout prt lemploi. Elles ralisent leurs propres programmes, leurs propres supports, leurs propres documents pdagogiques, qui restent dune diffusion restreinte et dun accs difficile car toujours adaptes des publics et des contextes spcifiques: rsidents de foyers, Africains de lOuest, ouvriers maghrbins, femmes frquentant des centres sociaux, employ(e)s des hpitaux, etc.

Les associations regroupes en rseaux peuvent disposer dun service pdagogique et diffuser leurs outils. Lune des plus actives en ce domaine, le Comit de liaison pour lalphabtisation et la promotion (CLAP TA \s "CLAP" ), cre en 1968 et disparue en 2000, ralisa au fil des ans de remarquables documents de mthodologie gnrale, de travail sur la phontique, de livret grammatical, de composition de textes, dinitiation au graphisme, de perfectionnement lexpression crite, de mathmatiques: ils dorment aujourdhui dans des archives.

Les enseignants, par ailleurs, bnvoles au dpart, souvent issus eux-mmes des populations migrantes, forms sur le tas, ne se professionnalisent pas durablement, leur motivation diminuant avec la monte de leur comptence et la trs lente volution de leur rmunration.

Quelques trs grandes entreprises, employant une importante main-duvre trangre et ayant de puissants comits dtablissements, crent leur propre centre de formation pour lalphabtisation ou la formation professionnelle de leurs salaris migrants en cours du soir. Renault, ainsi, dispose dune longue et remarquable exprience, mais qui na jamais t diffuse. La loi de 1971 sur la formation continue fait pntrer les cours dalphabtisation, assurs par des professionnels issus de ces associations, dans les entreprises de main-doeuvre. Mais ils ne touchent les migrants que dans les entreprises importantes et syndicalement bien organises. Encore la part du budget global ne concernait-elle que minoritairement la formation de la catgorie de salaris la plus importante dans lentreprise. Les petites et moyennes entreprises restent en marge de ces dveloppements. XE "alphabtisation:des migrants" \r "alphabtisationm"

1.2. 1975 et la crise

Ce nest qu partir de 1975 que lEtat commence intervenir dans la politique de formation des migrants. La crise nergtique de 1974 va, en ce domaine comme en beaucoup dautres, redistribuer la donne.

1.2.1. Mutations technologiques, mutations culturelles et chmage

Les socits occidentales avaient subi au cours des dix-neuvime et vingtime sicles une succession ininterrompue de mutations technologiques dont leffet le plus vident, dans le domaine des connaissances, avait t de relever de faon rgulire les niveaux de comptence des acteurs conomiques et sociaux et dradiquer lanalphabtisme. Avant et aprs la seconde guerre mondiale, la mcanisation de lagriculture, le remembrement, lintroduction des engrais ont progressivement vid les campagnes pour offrir au dveloppement industriel une main-duvre dont le niveau dinstruction devait tre dautant plus relev que les technologies se dveloppaient.

La crise nergtique de 1974 marqua un nouveau tournant dans les exigences de dveloppement du niveau dinstruction tous les niveaux de comptence. Les restructurations de lindustrie, les transferts dactivit, la concurrence commerciale accrue, lmergence de nouveaux pays industrialiss entranrent des pertes massives demploi et une monte rgulire du chmage jusqu des taux trs levs qui touchrent particulirement les travailleurs les moins qualifis et parmi eux les migrants et les femmes.

Le dveloppement du programme nuclaire en France, les progrs de llectronique et de llectromcanique, la robotisation et linformatisation de la production, lapparition dans les annes 1980 de lordinateur, du PC en 1990, des cartes puces, des logiciels, le dveloppement du secteur des services, secteur privilgi de la communication et de la transmission de linformation, conduisirent faire accder des niveaux suprieurs dinstruction une frange de plus en plus importante de la population. Elle contraignit aussi relever lexigence de formation des catgories traditionnellement les moins instruites de la population.

Les nouvelles activits et les nouvelles organisations accompagnant ces mutations conomiques et technologiques bnficirent aux publics les plus jeunes, les plus adaptables, et les mieux forms. Les autres se trouvrent sur la touche. Car ces mutations demandaient tre comprises rapidement et requraient, pour une bonne adaptation, un bon niveau dinstruction. Ce furent les moins adapts culturellement qui sadaptrent le plus difficilement. Qui sont-ils ? Les trangers analphabtes et les Franais peu ou mal scolariss.

Car lun des traits spcifiques de ces mutations est que la communication et, particulirement, la communication crite y ont pris une part de plus en plus importante. Ainsi, avant les annes 75-80, la socit se satisfaisait de 20 % 30 % de bons lecteurs pour exercer les fonctions de pouvoir, dorganisation, dencadrement, de haute technicit, et pouvait tolrer 50% de personnes alphabtises pour les tches qualifies dans lindustrie, 20 % danalphabtes intervenant dans les emplois non qualifis. A partir des annes 75-80, les analphabtes et les mauvais lecteurs deviennent de moins en moins employables du fait de la rduction par la robotisation des tches manuelles non qualifies et du dveloppement des procdures de communication crite pour les autres. XE "communication:au travail" \r "commtrav_a"

1.2.2. Le FAS et la formation des migrants

La politique dimmigration est officiellement arrte en 1974. La loi soumet dabord lentre sur le territoire dun adulte migrant lobtention pralable dun contrat de travail, puis rduit progressivement le champ des professions concernes.

La loi de 1971 sur la formation continue a favoris les cadres moyens et suprieurs, mais a peu profit aux ouvriers et employs non qualifis et aux migrants. Pour remdier cet chec relatif, la puissance publique dsigne en 1975 le FAS TA \s "FAS" comme financeur des actions en direction des publics migrants faiblement ou non scolariss et de leurs familles. Cette nouvelle implication du FAS renforce de nombreux rseaux associatifs disperss sur le territoire, tels que le Comit de Liaison pour la Promotion (CLP TA \s "CLP" ) ou le Comit de Liaison pour lAlphabtisation et le Promotion (CLAP TA \s "CLAP" ). Il permet, en assurant un mode de financement plus rgulier, la mise en place de services pdagogiques qui assurent la formation des formateurs, crent des outils, confrontent les expriences pdagogiques avec les recherches nouvelles en didactique du Fle, assurant ainsi une professionnalisation des intervenants et un meilleur contrle de la qualit des cours.

LEtat encourage les associations adapter leur dispositifs dalphabtisation pour permettre leurs bnficiaires dintgrer des stages de formation professionnelle. Paralllement au dveloppement de lAgence Nationale pour lEmploi (ANPE TA \l "ANPE" \s "ANPE" \c 2 ) et de lAssociation pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA TA \l "AFPA" \s "AFPA" \c 2 ), il encourage louverture de centres de prformation pour les migrants alphabtiss ncessitant une remise niveau pralable leur admission lAFPA.

1.2.3. Le dispositif daccueil pour les rfugis

Sous la pression de lopinion publique, lEtat met en place une politique daccueil pour les rfugis politiques du Sud-Est asiatique. Les candidats limmigration, la plupart issus des classes moyennes et instruites, sont slectionns dans les camps de rfugis de Thalande. Les analphabtes y sont minoritaires. C est cependant le premier dispositif de formation dune grande ampleur pour des migrants : leur hbergement est assur dans des foyers durant trois mois au cours desquels ils suivent un stage dadaptation qui leur donne des rudiments de connaissance du franais et les prpare aux actes importants de leur future vie en France: connaissance des moyens de transports, recherche de logement, de travail, scolarisation des enfants, systme de sant et scurit sociale, etc. Ils peuvent ensuite intgrer sur des quotas prioritaires des stages de formation professionnelle de lAFPA ou, si leur niveau de formation se rvle insuffisant, des stages de prformation dune dure variable de quatre, cinq ou sept mois spcialement ouverts pour eux. Le Fonds Social Europen (FSE TA \l "FSE" \s "FSE" \c 2 ) apporte un soutien financier ces oprations.

Cest la premire initiative concerte dapplication de la nouvelle didactique du franais langue trangre et des mthodes audio-visuelles pour un public dadultes migrants. Mais cet enseignement ne dispose pas de mthode adapte. Elle reste en marge du BELC TA \l "BELC" \s "BELC" \c 2 migrants, de lAlliance Franaise, des revues et des secteurs dynamiques de la recherche universitaire qui dveloppent une rflexion didactique sur lenseignement du franais langue trangre. Cible conomique trop restreinte et trop pauvre, les besoins de ces publics adultes ne recouvrent pas celui du public traditionnel des mthodes (jeunes trangers en milieu scolaire ou universitaire, adultes des centres culturels, Alliance Franaise TA \l "Alliance Franaise" \s "Alliance Franaise" \c 3 ). Lenseignement sappuie donc sur lexprience des associations dalphabtisation et de promotion des migrants, qui offrent le seul modle existant de pdagogie du franais pour des adultes migrants.

Cet enseignement en prend dailleurs demble la spcificit: la formation linguistique nest pas la finalit premire, mais un des moyens intgr dautres finalits, non plus ducatives ou culturelles, mais conomiques, sociales et professionnelles. Les cycles, intensifs, sont relativement courts (400 800 heures); il sagit de produire un enseignement fonctionnel et intgr du franais, pralable un apprentissage systmatique diffr. Recrut la plupart du temps sans exprience pdagogique pralable, initi en formation interne aux principes didactiques en parallle sa pratique, lenseignant dans ce contexte na pas seulement des tches de prsentation et danimation, mais aussi de conception des contenus et de ralisation des supports qui reposent sur ses seules capacits danalyse et de cration.

Lenseignant, plus souvent appel formateur, nest pas totalement livr lui-mme, puisquil participe des runions rgulires, dispose de documents pdagogiques souvent labors dans une rflexion collective suivant les principes mthodologiques dune nouvelle didactique du Fle, dun programme de thmes et contenus aborder dans une progression indicative logique, de documents audio-visuels et de documents authentiques, dun fonds de documents communs labors pour son usage par un service pdagogique, dun temps raisonnable de prparation, de matriel de reproduction, et trs vite dordinateurs PC partir de leur premire diffusion de masse au milieu des annes 1980.

1.2.4. Demandeurs demplois analphabtes et migrants

Limplication de plus en plus importante de lEtat travers les leviers de lAFPA TA \s "AFPA" (1945), du FAS TA \s "FAS" (1954), de lANPE TA \s "ANPE" (1969), du FSE TA \s "FSE" (1985) et lexemple du programme pour les rfugis font nourrir lespoir pour de nombreux migrants quils vont enfin pouvoir bnficier dune formation en franais et dune formation professionnelle. De fait, ces espoirs sont vite dus.

Les moyens mis en place ne couvrent pas lampleur des besoins rvls par la monte du chmage. La principale incitation qui leur est propose est le retour au pays moyennant une prime de dpart, ou de retrouver rapidement un emploi. LEtat limite ses complments de financement aux actions du FAS TA \s "FAS" . On voit mme dimportantes associations devoir licencier leur formateurs et dposer leur bilan. Par ailleurs, ce nest pas immdiatement que se font sentir tous les effets de la crise conomique, et le produit intrieur brut ne cesse de se dvelopper au cours de ces annes. De fait, ce nest quaprs lapparition diffre, la faveur de la crise conomique et de lemploi, de deux phnomnes tout nouveaux que lEtat va simpliquer de faon plus volontariste encore dans la formation des migrants.

1.3. Le tournant de 1984

Avant 1984, en France, on appelait analphabtisme XE "analphabtisme" la situation des enfants et celle des adultes immigrs et des populations du Tiers-Monde qui ne savaient ni lire ni crire. A partir de 1984, le reste du monde apprend officiellement que lanalphabtisme touche aussi, en France, dans des proportions qui ne peuvent plus tre ngliges, des Franais dorigine, qui ont pourtant t scolariss. Ce que le reste du monde continue appeler analphabtisme les Franais vont lappeler plus pudiquement: illettrisme XE "illettrisme" \b . Car les instances internationales considrent comme analphabtisme non seulement le fait de navoir pas appris lire et crire, mais aussi le fait, pour des adultes qui ont effectivement t scolariss et ont appris lire et crire, de ne pas assez matriser ces savoirs dans leur vie sociale et professionnelle quotidienne. Cest ce deuxime type danalphabtisme dit fonctionnel , oppos au premier type dit structurel, que les Franais vont dnommer illettrisme. Les problmatiques lies lillettrisme vont avoir en France une influence prpondrante sur une rorientation de la politique dalphabtisation et de formation des migrants.

1.3.1. Linsertion des migrants

Les pouvoirs publics font assez rapidement le constat de lchec de la politique dincitation au retour au pays. Lopinion publique nest pas favorable aux mesures coercitives qui, sous la IIIme Rpublique, rglaient par la reconduite la frontire, avec leur famille, comme lors de la crise de 1929, des masses de migrants ayant perdu leur emploi.

Le gouvernement de Pierre Mauroy en prend acte le 28 Juin 1984 en ouvrant tout tranger rsidant rgulirement en France depuis plus dun an un droit lobtention dune Carte de rsident dune dure de 10 ans renouvelable automatiquement.

Georgina Dufoix, Secrtaire dEtat la famille, la population et aux travailleurs immigrs, salue alors cette mesure comme une tape dcisive en faveur de linsertion de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants dans la communaut nationale.... ce nest pas un choix subjectif, cest un impratif social, conomique, humain. (J.O. 25 mai 1984 ) et le journal Le Monde du 6 dcembre 1984 crit que la France, ainsi, reconnait de facto un droit de sjour permanent aux 3,4 millions dtrangers adultes qui bnficient en France dune carte de sjour. Ce qui est admettre que ces trangers ne retourneront jamais dans leur pays dorigine, leur choix tant entre la misre l-bas et la pauvret relative ici, quils font dfinitivement partie de la communaut nationale, et quil faut donner une nouvelle respiration ces formes de survie aprs avoir touff les anciennes.

Par ailleurs, les mesures darrt de limmigration nont pas interrompu la demande dune main-duvre trangre. La politique daccueil massif des rfugis du Sud-Est asiatique, bien reue par lopinion, tait l pour tenter den contrler le phnomne et allait profiter des vagues de demandeurs dasile dautres origines (1000 par mois de 1977 1996): Iraniens, Tamouls du Sri-Lanka, Erythrens, Sud-amricains, Ghanens, Congolais, Libriens, Russes, etc.

Mais le processus dimmigration trangre illgale ne sarrte pas: il prend mme dautant plus dampleur que se rduisent les immigrations lgales. Une ampleur telle que des gouvernements socialistes successifs, la suite du dveloppement du sjour et du travail clandestin, devront, sous la pression de leur lectorat et sans que la droite ny apporte dopposition que de pure forme, procder des rgularisations massives en 1981, en 1986, en 1995.

Mme le phnomne trs rgulier et trs important des naturalisations dadultes dorigine trangre (plusieurs dizaines de milliers chaque anne, 100.000 en 1994 dont 40.000 adultes par dcret et 50.000 jeunes majeurs ns en France par dclaration) ne confre ces nouveaux Franais aucun droit nouveau linstruction. Ils restent principalement des agents conomiques et le projet rpublicain ne leur est pas appliqu.

1.3.2. Un nouveau phnomne : lillettrisme

Les dispositifs de formation qualifiante mis en place partir de 1975 pour faire face la monte du chmage et aux ncessits dadaptation de lappareil de formation aux nouveaux enjeux conomiques, industriels et technologiques rvlent brutalement un nouveau phnomne, jusque l peu pris en considration et sur lequel une organisation de lutte contre la grande misre, Aide toute dtresse (ATD TA \l "ATD" \s "ATD" \c 3 -Quart-Monde), anime par le pre Wrezinsky, alertait depuis plus de vingt ans les dcideurs politiques, sous la dnomination franaise quelle avait port sur les fonds baptismaux, et qui depuis a fait son chemin: lillettrisme.

La mise en place de nouvelles formations pour les bas niveaux de qualification rejets par la modernisation des entreprises et de procdures dvaluation des niveaux des stagiaires rvlent vite quune forte proportion de migrants nont pas le niveau requis, en lecture, lcrit, en mathmatiques, pour entrer en stage de formation qualifiante. Mais elles font dcouvrir que de nombreux candidats dorigine franaise, scolariss jusqu lge de seize ans, sont dans la mme situation, en particulier de nombreux jeunes Franais issus ou non de limmigration qui accdent au monde du travail sans qualification.

Ce phnomne, connu pour les migrants issus des anciens dpartements franais et des ex-colonies ou protectorats et pour beaucoup de Franais venus des DOM-TOM, surprend par son ampleur dans la population des Franais mtropolitains, pourtant alphabtiss et scolariss : lcole naurait pas rempli ses missions. Il faut envisager la mise en place de formations spcifiques pr-qualifiantes et de remises niveau pour ces publics-l aussi.

A partir de 1980, on prend la mesure de la difficult saisir le phnomne de lillettrisme qui touche la population scolarise de lensemble des pays industrialiss. Les donnes fiables manquent, les dfinitions sont variables, les critres dvaluation multiples. Lusage mme du terme illettrisme, spcificit franaise, qui recouvre le terme internationalement usit danalphabtisme fonctionnel, va brouiller la perception du phnomne et sa ralit sociale et conomique. En crant en 1983 un groupe interministriel charg dlaborer un diagnostic et de faire des propositions daction, le conseil des ministres dclare ainsique lanalphabtisme est un obstacle important toute politique cohrente dinsertion sociale et conomique. Mais lorsque parat en 1984 le rapport Esprandieu, Lion, Bnichou TA \l "Bnichou" \s "Bnichou" \c 1 qui, la suite denqutes auprs de chercheurs et de dbats sur le dnombrement du phnomnes, ses causes, ses remdes, propose les douze mesures qui inspireront les politiques publiques pour les quinze annes suivantes, il sagit de connatre et agir contre lillettrisme des adultes en France[sic].

Le Groupe Permanent de Lutte contre lIllettrisme (GPLI TA \l "GPLI" \s "GPLI" \c 3 ) est cr en 1984 pour mettre en uvre les mesures de prvention, de formation et daccompagnement linsertion sociale et professionnelle des publics illettrs. Le GPLI va promouvoir des tudes pour le reprage des publics, lidentification des besoins, le positionnement des publics dans les dispositifs de formation, llaboration de mthodes, et mettre en place des structures dinformation pour sensibiliser les acteurs sociaux, former les acteurs de laccueil, de lorientation, de laccompagnement, et du suivi XE "illettrisme" \r "illettrisme"

1.3.3. Le dispositif commun

Dans un premier temps, on avait considr que les publics en situation dillettrisme, jeunes ou adultes, ncessitaient une approche diffrente de celle des publics analphabtes. Ce qui avait contraint non seulement mettre en place des dispositifs de formation spcifiques chaque public, mais aussi largir en retour la notion de formation linguistique pour les migrants, ou de matrise de lcrit, aux dimensions cognitives des apprentissages.

La prise de conscience conjointe des deux phnomnes prsence durable des migrants, illettrisme des Franais va conduire faire entrer la formation des migrants dans le mme dispositif que celle des Franais en situation dillettrisme et modifier lapprhension de lanalphabtisme des adultes migrants.

A partir du moment o les migrants sont appels faire souche, la problmatique de formation des adultes analphabtes ou faiblement qualifis rejoint celle des Franais illettrs : il sagit pour les deux dune lutte contre lexclusion par le biais de la lutte contre lignorance. On remarque dailleurs un taux important de fils de migrants parmi les Franais illettrs, et de nombreux illettrs dans leur propre langue de scolarisation parmi les nouveaux migrants.

1.3.4. Analphabtisme et illettrisme

De fait, si le public des adultes migrants analphabtes et celui des Franais en situation dillettrisme ne rpondent pas aux mmes critres culturels et pdagogiques, leurs formations rpondent aux mmes enjeux. Leurs profils sociaux et conomiques se rejoignent: ces publics se rencontrent dans les mmes environnements urbains ou sub-urbains, professionnels ou institutionnels. Contrairement aux ides reues, la majorit est et restera relativement bien intgre au monde du travail, la vie conomique et la vie sociale. Mais une plus forte proportion que les autres catgories de la population se retrouve parmi les premiers exclus du monde du travail, plus tard parmi les allocataires du RMI TA \l "RMI" \s "RMI" \c 3 et toujours parmi les populations ayant le plus faible pouvoir dachat. Leur formation rpond ainsi au mme projet social de lutte contre lexclusion et la pauvret, dinsertion la vie conomique et sociale, de partage du travail plus qualifi entre toute la population. Elle rejoint le mme projet dapprentissage: llvation du niveau dinstruction, dont la limite minimale va progressivement se voir dfinie comme matrise des savoirs de base.

Elle est sous-tendue en tout cas par la mme vise politique dinsertion dans la communaut nationale que celle des fondateurs de la IIIme Rpublique. Des pdagogues militants des droits des migrants et dune redistribution plus quitable des fruits de la croissance, comme Bernard Gillardin, ne craignent pas de lexprimer sans fard:

() il faudrait amener tout le monde un stade ncessaire de lecturisation garantissant lacquisition des comptences rclames par les nouvelles technologies.Ca ferait moins de profits cumuls chez certains mais plus de paix et de scurit pour tous. (Gillardin 1985: TA \l "GILLARDIN 1985" \s "GILLARDIN 1985" \c 3

TA \s "GILLARDIN 1985" )

Pour Gillardin, insrer,

cest rendre participant de la libert, de lgalit et de la fraternit qui nous constituent, en tant que nation dmocratique... ( ibidem )

Cest le mme projet rpublicain qui est dfendu par les promoteurs de la lutte contre lillettrisme:

Les illettrs sont bel et bien les parents pauvres sinon les exclus de la dmocratie (Esperandieu et alii 1984)

La lecture nest pas un cas particulier de la bataille pour une dmocratie vritable, elle en est lenjeu central (ibidem)

Ainsi lillettrisme des Franais et lanalphabtisme des immigrs relvent-ils, tant de la part des dcideurs que des acteurs de la formation, dun mme projet de socit: rintgrer dans la communaut politique une population de Franais exclue de la dmocratie par le fait de lillettrisme, intgrer la vie dmocratique une population trangre exclue de participation par son analphabtisme. Car illettrisme et analphabtisme recouvrent les mmes flaux attachs lignorance: peu daccs linformation, peu de moyens danalyser, pas de lieu dexpression, une trs faible matrise de son destin, pas de libert.

Mais aussi le traitement spar de ces publics dans des stages intensifs rvle de nouvelles difficults de mise en place et de prise en charge pdagogique. De sorte que les dcideurs sorientent au dbut des annes 1990 vers un traitement conjoint des deux publics dans des dispositifs plus souples, les Ateliers Pdagogiques Personnaliss (APP TA \l "APP" \s "APP" \c 3 ) et par des formateurs forms aux deux problmatiques. Beaucoup de considrations plaident en faveur de cette orientation, parmi lesquelles les contraintes conomiques ne sont pas les moindres. Lune des plus importantes est que, si lon sest aperu que la France comptait beaucoup de personnes en situation dillettrisme, il paraissait plus difficile de les reprer et plus difficile encore de les convaincre de retourner lcole dont ils ne gardent pas un trs bon souvenir. Difficile convaincre de reprendre une formation, tout autant difficile ly maintenir, ce public est dautant plus fragile que les organismes, les formateurs et les dispositifs sont trs mal adapts rpondre leurs besoins, qui ncessitent des investissements trs onreux en terme de moyens et de personnels qualifis. XE "analphabtisme" \r "alphabtis_b"

XE "illettrisme" \r "alphabtis_b"

1.4. 1988: Formation de base et nouveau dispositif

Lillettr communique dj oralement dans la langue dapprentissage, et ses dficits de connaissance peuvent concerner un domaine trs spcifique des savoirs gnraux : mathmatiques ou logique, apprhension de lespace ou gestion du temps, lecture ou criture, ou tous ces domaines la fois sans que la dimension linguistique paraisse dominante.

Or on saperoit quil nest pas trs diffrent de ladulte migrant, qui sexprime souvent trs bien en Franais, et qui, sil a t peu ou prou alphabtis dans les premires annes de son sjour ou la faveur dune priode de chmage, va prsenter un profil pdagogique assez proche.

Quand lanalphabte, lui aussi, et surtout sil est originaire dun pays o le franais est pour lui la langue officielle, il sexprime en franais et, sil ne sait ni lire ni crire, il ignore tout autant comment se situer dans un espace partir dun plan ou dune carte, il ne sait compter que des objets ou de largent, ne peut valuer une distance, le temps dun trajet ou une opration, est incapable de raisonner correctement sur des objets abstraits pourtant situs dans le champ de son exprience sociale ou professionnelle.

La notion de savoirs de base, familire aux instituteurs de la Rpublique, entre timidement dans le champ de la formation des migrants et des adultes. Elle ne simpose cependant pas comme telle, le concept en restant encore flou. Elle est adopte en 1988 par le FAS TA \s "FAS" et les programmes officiels sous le terme de formation de base, pour recouvrir des activits et publics varis : alphabtisation, remise niveau, lutte contre lillettrisme, insertion sociale et professionnelle tant pour des jeunes que pour des adultes, pour des demandeurs demploi que pour des salaris dans les entreprises.

Le terme formation linguistique de base (FLB TA \l "FLB" \s "FLB" \c 3 ) concernera plus spcifiquement lapprentissage du franais oral pour des migrants primo-arrivants (rfugis, familles rejoignantes) ou pour ceux quun long sjour en France a pourtant tenu en dehors des changes linguistiques en Franais (femmes au foyer, hommes en foyers, travailleurs clandestins rgulariss aprs dix ans de sjour) et qui veulent intgrer le march officiel du travail ou de la formation, ainsi quune alphabtisation en franais langue trangre ou seconde ou bien un dveloppement de la lecture et de lcrit (pour ceux qui ont t scolariss ou dj alphabtiss). Cest cette FLB qui recouvre typiquement lenseignement dun franais langue trangre pour des publics migrants. Un nouveau sigle lui a t substitu depuis 2003, les AFB TA \l "AFB" \s "AFB" \c 3 , ou Ateliers de Formation de Base, pour distinguer ces dispositifs de soutien extensif, anims en majorit par des bnvoles, des dispositifs de formation intensive qui ne peuvent tre encadrs que par des formateurs professionnels.

1.4.1. Le champ de la formation de base

Lintgration des publics rfugis primo-arrivants et adultes migrants au chmage dans un rgime commun de formation, partir de 1985, puis lmergence de la notion de publics en situation dillettrisme, jeunes ou adultes, vont poser de nouveaux problmes de reprage des publics en vue de leur orientation, de positionnement, de dfinition de parcours de formation dans les diffrents dispositifs (niveau de dpart, tapes de la progression, suivi et mesure de celle-ci). La difficult est de dfinir le champ de la formation de base pralable toute formation professionnelle dont ils relvent prioritairement, et de positionner les sujets lintrieur de ce champ. Sur quels critres une personne en relve-t-elle, quel moment en sort-elle? Il est ncessaire dlaborer des typologies et des rfrentiels.

1.4.2. La typologie des publics

La premire typologie des publics qui simpose tous parat en 1989. Cest la typologie des publics labore par le FAS TA \s "FAS" . Elle devient la typologie de rfrence de lANPE TA \s "ANPE" et simpose comme instrument dvaluation des capacits des publics de bas niveau (F.A.S. 1989). En croisant les critres de capacits communiquer oralement en franais, capacits en lecture, criture, niveau de scolarit, elle distingue quatre catgories de publics: ceux relevant de programmes dalphabtisation (eux-mmes classs en quatre niveaux: alpha-dbutants ou oral de base, alphabtisation, post-alphabtisation, prparation la prformation), ceux relevant dune prformation, ceux relevant dune formation en franais langue trangre (eux-mmes classs en quatre niveaux: dbutants 1, dbutants 2 ou faux dbutants, niveau intermdiaire, perfectionnement), la distinction entre lalphabtisation et le Fle relve du critre de scolarisation.

Tout adulte pntrant pour la premire fois dans une ANPE TA \s "ANPE" et repr comme potentiellement inscriptible dans ces catgories se voit invit subir un test dvaluation de ses comptences linguistiques (ENCL TA \l "ENCL" \s "ENCL" \c 3 ) partir duquel il pourra tre orient sa demande vers le dispositif de formation adquat.

1.4.3. Le rfrentiel de formation linguistique de base

Les organismes de formation de migrants, qui durant des annes avaient labor chacun dans son coin leurs propres outils dvaluation et dorientation, et leurs rfrentiels maison, se voient invits utiliser la typologie de lANPE TA \s "ANPE" et appuyer leurs parcours de formation sur un rfrentiel unique: le Rfrentiel de Formation Linguistique de Base. Cest le rfrentiel du FAS TA \s "FAS" , labor en collaboration avec le CUEEP TA \l "CUEEP" \s "CUEEP" \c 3 de Lille, qui va simposer tous les organismes quil finance. Cest un Livret de reprage et de positionnement des publics migrants et illettrs destin des formations dominante linguistique (FDL TA \l "FDL" \s "FDL" \c 3 ). Ce rfrentiel doit permettre de distinguer les publics migrants, relevant dune formation linguistique de base (FLB TA \s "FLB" ) ou de cours de Fle, des publics francophones non illettrs et illettrs. Il doit dfinir les besoins potentiels en lecture et criture, dterminer le niveau de connaissances de dpart, et positionner lindividu dans une organisation pdagogique.

Ce rfrentiel est cependant purement linguistique, alors que la finalit des formations, orientes vers lemploi ou lentre en formation professionnelle, rvle que les dficits en matire de mathmatiques, de logique, de raisonnement, de matrise de lespace et du temps sont aussi importants combler.

Aussi lon voit fleurir partir de 1990 les initiatives pour dfinir et gnraliser des rfrentiels permettant de proposer une grille commune dvaluation et de positionnement. Leclerc (1995) croise pour la formation des formateurs les variables Fle, illettrisme et alphabtisation avec les critres de francophonie et de scolarit. Cassard 1996 propose aux Permanences dAccueil, dInformation et dOrientation (PAIO TA \l "PAIO" \s "PAIO" \c 3 ), aux missions locales, aux ANPE TA \s "ANPE" et aux centres sociaux un document comparant les formations de langue (FDL TA \s "FDL" ) et dlimitant les formations linguistiques de base et les programmes de lutte contre lillettrisme partir des critres de scolarit et de matrise de loral, de la lecture et de lcrit.

1.5. 2000: la lutte contre lillettrisme en entreprise

Un nouveau champ pdagogique souvre dans les annes 90 pour la formation des migrants: la formation en entreprise.

Cest sur linitiative conjointe du GPLI TA \s "GPLI" , aujourdhui de lAgence Nationale de Lutte contre lIllettrisme (ANCLI TA \l "ANCLI" \s "ANCLI" \c 3 ) et de nombreuses entreprises et branches professionnelles employant une nombreuse main-duvre de premier niveau de qualification, dont une majorit de migrants ou dex-migrants naturaliss, quune nouvelle problmatique de formation apparat: la lutte contre lillettrisme en entreprise XE "illettrisme:en entreprise" \b . Il ne sagit plus dalphabtisation ou de remise niveau pour des chmeurs ou pour des salaris leur propre initiative, mais de programmes de formation continue linitiative de lentreprise pour adapter ses salaris matrisant mal la communication orale et/ou crite aux nouvelles organisations du travail, aux nouvelles technologies (robotisation, informatique), aux transformations organisationnelles (systme qualit, quipes, polyvalence, rduction de la chane de commandement). Il peut sagir aussi, dans le cadre de restructurations ou de plans sociaux, de prparer les salaris de nouvelles tches ou des cycles de formation professionnelle interne, voire une reconversion.

Le problme nest pas nouveau, et des branches professionnelles comme le btiment et lautomobile ont dj acquis une importante exprience en ce domaine dans les annes 80-90. Il stend simplement un nombre dentreprises de plus en plus nombreuses, de tailles plus rduites, petites et moyennes, et de plus larges secteurs: propret, restauration, htellerie, btiment, construction automobile, mais aussi des administrations (ministres, Assistance publique, municipalits).

Il concerne souvent des individualits, salaris reprs pour leur comptence, appels les dvelopper, mais dont la formation linguistique ou les comptences sur les savoirs de base sont insuffisantes: franais en situation dillettrisme, natifs ou naturaliss, migrants dots dune notable anciennet dans lentreprise. Ils ont besoin dune remise niveau.

De nouveaux besoins de formation apparaissent l'initiative des entreprises et dans le cadre de la formation continue : lever le niveau de matrise des savoirs de base de certains salaris devient un objectif de formation encadr par des vises stratgiques, conomiques et de management trs contraignantes. De telles formations se voient alors soumises des impratifs spcifiques d'organisation, de budget, de dure et de frquence, de contenus et de rsultats, qui conduisent des limitations particulires dans les comptences, les objectifs et les niveaux viss. Les salaris eux-mmes attendent que ces formations les aident mieux s'intgrer immdiatement dans leur environnement professionnel ou prvenir les risques d'exclusion qui psent sur eux.

1.5.1. La communication au travail

Les rapports sociaux de production dveloppent la communication. La chane hirarchique rduit ses chelons. Le nouveau management requiert de plus en plus une parole efficace. La communication diffre, orale ou crite, tend son domaine. Il faut transmettre les informations pertinentes dans le dlai le plus court, avec la plus grande conomie de moyens. Louvrier doit comprendre le discours de la matrise, et pour cela il doit comprendre lenvironnement technique et managrial. Il doit pouvoir mettre des choses derrire les mots XE "mot" quil doit comprendre et utiliser. Il doit pouvoir se faire comprendre avec ses propres mots, et en utilisant les mots quil faut, en subordonnant ses programmes de formation professionnelle un enseignement spcifique du franais (oral et crit).

Notre propre exprience nous a amen constater que de telles formations dites linguistiques remettaient en cause non seulement les conceptions traditionnelles de lenseignement du franais, mais aussi celles de la didactique du franais langue trangre telle que diffuse pour des adultes scolariss. Un enseignement traditionnel se rvle inadapt et prmatur et ne rpond pas aux besoins ni aux attentes des apprenants comme des donneurs dordre. En outre, mme la mthodologie de la didactique du Fle qui accompagne ou sous-tend la scolarisation de ces publics ncessite des ramnagements.

Il nest plus pertinent dans cet environnement de parler simplement de cours dalphabtisation ou de cours de franais, ou de perfectionnement linguistique (bien quil sagisse encore en partie de tout cela), mais plutt de formation la communication en franais dans le milieu professionnel, de perfectionnement sur les comptences de communication: expression et communication orales, expression et communication crites.

Si les formateurs veulent avoir des moyens dintervention pertinents dans ce contexte, lorganisation et la dfinition des objectifs, des contenus et des techniques danimation de ces modules de formation contraignent une approche didactique diffrente en termes de mthode et de mthodologie. Le concept de formation la communication se substitue rsolument celui dapprentissage du franais. Ces formations sont par ailleurs soumises des contraintes spcifiques de dure (plutt courte, de 80 120 ou 240 heures annuelles), dorganisation (en cycle non intensif rythme hebdomadaire de 2 4 heures), de contenus (centrs sur lenvironnement professionnel). Mais cest surtout en terme de rsultats rapidement perceptibles par les apprenants et observables par lencadrement sur le poste de travail que ces formations sont contraintes dfinir trs rigoureusement les objectifs linguistiques.

Bien quil sagisse en majorit de perfectionnement en Fle, voire dalphabtisation, ces formations sont aujourdhui couvertes par la problmatique de la lutte contre lillettrisme. La lutte contre lillettrisme est devenue en effet une appellation qui ouvre des lignes budgtaires spcifiques et qui devient ainsi le ssame des incitations et aides financires distribues par les financeurs paritaires ou publics: Fonds de la Formation Professionnelle (F.F.P.), Fonds Social Europen (F.S.E.), Fonds des Directions du Travail, de lEmploi et de la Formation professionnelle (D.T.E.F.P.): Etat, Rgions, Dpartement. Le linguistique domine toujours dans la dfinition des besoins satisfaire. Mais le contexte professionnalisant de la formation induit une intgration des objectifs linguistiques des objectifs dadaptation aux volutions de lentreprise. Cest dun enseignement fonctionnel du franais ou dun enseignement spcialis quil sagit. Plus encore que dans les dispositifs pour publics chmeurs ou Rmistes, cet enseignement dpend dune initiation ou dune remise niveau sur des savoirs de base.

Dans ce contexte, non seulement les mthodes nexistent pas, mais mme le rfrentiel FAS TA \s "FAS" ou les rfrentiels de formation linguistique sont insuffisants. Lanalyse des besoins en matire de comptences linguistiques est subordonne lanalyse des besoins portant sur les savoirs de lapprhension du rel: rfrence au temps, lespace, calcul et raisonnement. Cest le rfrentiel des savoirs de base (2000/1998) qui sapplique avec le plus de pertinence pour intgrer les objectifs linguistiques aux objectifs professionnalisants. XE "communication" \r "commtrav_b"

XE "illettrisme:en entreprise" \r "illettrismeb"

1.5.2. Le rfrentiel des savoirs de base

Ce rfrentiel des savoirs de base est le premier outil de synthse qui permette de traiter analytiquement lensemble des besoins de formation des migrants analphabtes ou scolariss et des franais en situation dillettrisme. Il permet une intgration cohrente de lenseignement du franais langue trangre en milieu migrant et professionnel et une intgration des trangers et des franais de premier niveau de qualification dans les mmes cycles de formation en entreprise. Command et financ par le ministre de lEmploi et de la solidarit, le ministre de lEducation nationale et le ministre de la Justice, il est dit en 2000 la Documentation Franaise sous la signature de Colette Dartois TA \s "Dartois" , consultante dlgue de CqFD (Conseil (qualit) Formation Dveloppement), organisme de conseil en formation, qui en aura diffus la premire version en 1998. Sa rception a t prpare par un petit guide: Acqurir les savoirs de base, Guide pour la mise en place des formations. Le rfrentiel des savoirs de base propose un cadre analytique et mthodologique pour les diffrentes tapes dune action de formation.

Un savoir se ralise travers une action, et il est constitu d'un ensemble de savoirs lmentaires, complmentaires mais distincts, relis entre eux et mis en oeuvre simultanment, le plus souvent, mais que l'analyse, toutefois, permet d'identifier" (Dartois 2000 TA \l "Dartois 2000" \s "Dartois 2000" \c 3 :18). Ces savoirs lmentaires se ralisent simultanment dans toutes nos actions quotidiennes et le rfrentiel les dcrit en huit domaines fondamentaux: les quatre domaines de la communication: couter, parler, lire, crire et les quatre domaines de lapprhension du rel: se reprer dans le temps, se reprer dans lespace, calculer, raisonner. Chaque domaine est dcrit en terme dobjectifs (terminaux, intermdaires, parallles) et de comptences suivant quatre niveaux de ralisation: matrise, exploration, initiation, progression (transferts et gnralisation). Chaque domaine est mis en relation avec les savoirs de base mis en uvre dans la vie personnelle, sociale et professionnelle de tout individu adulte de nos socits industrialises et urbanises. XE "savoirs de base" \b

Le rfrentiel permet ainsi au formateur de conduire lanalyse des savoirs acquis et acqurir par ses apprenants dans les situations de communication XE "communication:situation de" sociale et professionnelle particulires o ils se trouvent. Ainsi, tre capable de prendre un rendez-vous chez un employeur, dans un organisme de formation, dans une administration sont des savoirs de base quun migrant doit matriser. Ils mettent en jeu des savoirs plus lmentaires: utiliser un tlphone, sorienter seul dans la ville, prendre seul un transport en commun, partir lheure, ne pas arriver en retard, trouver la bonne adresse, etc. Ils font appel en mme temps ou tour tour aux huit domaines lmentaires: couter (au tlphone), parler (idem), lire (les nombres, un plan, une adresse), crire (noter ladresse), calculer ( lheure, la dure, la distance, le dlai), se reprer dans lespace (de la ville, de lunivers de la formation), se reprer dans le temps (pour son projet de formation, en rapport avec son histoire personnelle, avec les contraintes administratives et organisationnelle, pour son futur), raisonner (dans le choix de lheure de rendez-vous, de litinraire, de la formation, de lorganisme), etc.

Le rfrentiel permet aussi de dterminer les domaines sur lesquels des activits spcifiques dexploration, dinitiation ou de progression devront tre menes. Apprendre se dplacer seule dans la ville pour une jeune Marocaine de niveau universitaire sexprimant parfaitement en franais, qui dbarque Paris, tait un savoir de base prioritaire valuer et mettre en uvre pour lui viter de se retrouver Pablo Picasso Pantin quand elle cherchait rejoindre Pablo Picasso Nanterre. Apprendre compter et lire des listes de produits, pour un jeune Franais illettr grant des distributeurs de boisson, et t plus utile que de tenter de le perfectionner dans la lecture de textes suivis: cela lui aurait vit de se voir licencier sous des prtextes fallacieux.

Ce rfrentiel noffre pas de progression spcifique, ni de point terminal a priori. "Il n'existe [..] aucune chronologie d'apprentissage ni hirarchie de valeur ou d'importance entre eux..." (Dartois 2000) TA \s "Dartois" : cest au formateur organiser son parcours de formation avec l(les) apprenant(s) en fonction de ses (leurs) besoins.

Ce rfrentiel a une orientation rsolument constructiviste. Il sinspire de la thorie opratoire du dveloppement de lintelligence de Piaget TA \s "Piaget" , et les apprentissages sappuient sur lactivit de lapprenant: les savoirs se construisent:

"Les savoirs ne se transmettent pas, proprement parler. Ils sont le rsultat, le produit de l'activit intellectuelle et relle du sujet, sa construction personnelle..(...) dans l'interaction avec l'environnement, les objets, les situations; avec autrui (...) dans un mouvement continu d'aller-retour entre l'activit/la ralit, le projet et la rflexion sur l'activit/ralit, la verbalisation, l'change avec autrui propos de l'activit/ralit" (Dartois TA \l "Dartois" \s "Dartois" \c 3 ibidem: 16). XE "interaction"

Mieux adapt aux publics et aux environnements de la formation des adultes migrants, le rfrentiel des savoirs de base est cependant peu utilis, et le modle dominant chez les formateurs de la formation linguistique initiale et de lenseignement des langues en contexte scolaire freine de faon importante sa gnralisation. Il demande en effet, mme pour des formateurs expriments ou pour des responsables pdagogiques, une courte formation spcifique pour sa mise en uvre. Il bouleverse en effet notablement le point de vue sur les techniques traditionnelles denseignement apprentissage. A plus forte raison requiert-il auprs de jeunes enseignants du Fle une formation spcifique.

De sorte quune efficace prise en charge des attentes et des besoins des adultes migrants dans lenseignement du Fle reste un objectif atteindre pour les annes venir. XE "savoirs de base" \r "savoirdebase_b"

Ainsi, bien que la France ait une trs ancienne tradition daccueil, dintgration et de naturalisation des populations trangres, et un systme ducatif trs structur pour laccueil des enfants dtrangers, jamais la formation linguistique des adultes migrants na t prise en charge srieusement par les pouvoirs publics, laissant linitiative prive un champ libre son action, mais ne permettant pas une srieuse capitalisation des savoirs ni une vritable professionnalisation des enseignants. Ce nest que llvation du niveau dexigence dans la matrise des savoirs de base pour lactivit professionnelle et lentre dans des cycles de formation qui conduit la puissance publique sintresser aux besoins de formation des publics migrants. Cependant, ces besoins professionnels sont coupls des besoins linguistiques, et ces besoins linguistiques ne sont pas dtachables des finalits professionnelles et sociales.

Un rfrentiel linguistique ne suffit plus permettre daborder les besoins des migrants. Lapparition du rfrentiel des savoirs de base marque la ncessit dintgrer les savoirs linguistiques lapprentissage des autres savoirs de base. Il ouvre de nouvelles perspectives daction pour les enseignants de Fle, qui restent confronts bien des difficults pour sadapter aux environnements spcifiques de la formation des adultes migrants.

Nous allons voir plus en dtail comment se posent ces problmes dadaptation en examinant la question des mthodes et des mthodologies.

Chapitre 2: Mthodologie du franais langue trangre en milieu migrant

Aprs avoir caractris dans le chapitre prcdent les cadres historiques et institutionnels dans lesquels est apparu notre questionnement, nous voulons maintenant prsenter les pratiques pdagogiques induites par ces cadres: ce sont elles qui ont dtermin lobjet de notre recherche.

Galisson TA \l "Galisson" \s "Galisson" \c 1 (et alii. 1980) constatait que les tendances de la Didactique des Langues Etrangres (DLE), discipline en recherche de son autonomie, avaient fait perdre aux hommes de terrain la transparence et lattrait des mthodes traditionnelles. De sorte que les praticiens des mthodes communicatives prouvaient un certain malaise vis--vis de leurs concepteurs, dont ils se voyaient coups en raison de la technicit dlaboration de ces mthodes, ainsi que vis--vis des thoriciens de la nouvelle discipline. On pourrait aujourdhui reprendre dans les mmes termes la problmatique de Galisson, mais en remarquant que la question se pose maintenant lintrieur des mthodes communicatives, autant pour le mthodique que pour le post-mthodique, et quelle concerne mme, auprs des publics migrants en formation professionnelle et plus encore en formation continue, llaboration pr-mthodique.

Nous venons de souligner que tout enseignant de Fle en milieu migrant se trouve dmuni de mthodes appliquer, et doit analyser besoins et comptences en fonction de rfrentiels inadapts ou de rfrentiels dont les problmatiques sont nouvelles et complexes pour lui. Encore pourra-t-il bnficier souvent dans cette mise en uvre pr-mthodique (Galisson TA \s "Galisson" 1980) des initiatives dun service pdagogique, et navoir qu appliquer des mthodes ou des techniques qui lui sont prescrites par son institution.

2.1 Les mthodes

Les mthodes communicatives se caractrisent par un appareillage beaucoup plus complexe que les mthodes traditionnelles: dabord, des documents audio-visuels ou audio-oraux dune manipulation contraignante qui dterminent des progressions relativement strictes, particulirement pour les premires phases des apprentissages; ensuite, un livret dapprentissage volumineux, prt lemploi, contenant un important matriel iconographique (photos, dessins, reproductions, quelquefois simplifies, de documents authentiques), une grande varit de textes didactiques (dialogues, commentaires, exercices) mais aussi authentiques et un dcoupage des comptences transmettre plus complexe, travers une structure thmatique trs variable en fonction du niveau ou du public vis. Chaque unit didactique est compose en relation avec les documents audio-visuels ou audio-oraux qui mettent en situation les squences dapprentissage du livret, qui reproduit tout ou partie des dialogues mmoriser (exercices dcoute, dimprgnation, de rptition). Un livret dexercices crits accompagne le livret dapprentissage, exercices moins focaliss sur la matrise de la grammaire que dans les mthodes traditionnelles, mais o celle-ci conserve une place importante dans un ensemble plus complexe (grammaire des actes de langage en particulier) et des progressions tout aussi rigoureusement tablies pour les cycles de longue dure de la formation initiale. Lenseignant dispose en outre dun livret du professeur lui enjoignant la marche prcise et rigoureuse suivre leon par leon, activit par activit, et lui apportant conseils, directives, ides danimation, de transferts, etc.

Le march de la formation initiale est submerg de telles mthodes en direction des publics scolaires ou tudiants et les enseignants nont que lembarras de leur choix. Les publics adultes spcifiques, principalement professionnels du tourisme, de la restauration, du commerce, des affaires, ont eux aussi, depuis longtemps, leurs mthodes adaptes, supposant toutefois une scolarisation antrieure consquente et faisant plus appel lauto-apprentissage. Ils ont t la premire cible des Formations distance (FOAD TA \l "FOAD" \s "FOAD" \c 1 ) et de la formation assiste par ordinateur qui se dveloppent rapidement en formation initiale et commencent toucher aussi les publics migrants et en situation dillettrisme.

Le phnomne nouveau dans le march de ldition, depuis la fin des annes 90, cest que les associations et les bnvoles se voient proposer par certains diteurs spcialiss des outils plus adapts pour les publics migrants adultes, analphabtes, faiblement scolariss ou en situation dillettrisme. Informs par les mthodes communicatives, ils sont dun appareillage plus simplifi et conus avec laide de conseillers pdagogiques et de praticiens qui ont acquis une connaissance prouve des publics et des pratiques: Tempo (1990), remplac aujourdhui par Studio (Lavenne et alii, 2001) et trs rcemment Trait dunion (Iglesis et alii, 2004) reprsentent la deuxime gnration des mthodes gnralistes pour publics migrants. Elles viennent en concurrence avec une premire gnration de mthodes plus spcifiques, labores au cours des ans dans certaines associations, mieux adaptes une large diffusion et servant de modle beaucoup de bnvoles ou de professionnels: la Mthode dapprentissage de la lecture pour adultes immigrs (Gillardin, 2001 / 1986,1996), la MNLE ou Mthode naturelle de lecture et dcriture (de Kayser et alii, 2001 / 1999) .

Les diteurs de mthodes prennent maintenant en charge un public autrefois isol dans ses ghettos et les enseignants peuvent enfin se rfrer un corpus de mthodes plus homogne dispensant un discours pdagogique plus unanime. On observe que ces nouvelles mthodes pour migrants dveloppent lexigence de communication orale, introduisent des procdures nouvelles de travail lexical, rduisent le volume et la forme trs normative du travail grammatical. Le mouvement gnral va ainsi vers une valorisation, dans la production crite, de lexpression personnelle, mergence dune conception plus constructiviste de lapprentissage de la norme.

Cependant, si nous en jugeons par les pratiques que nous avons pu observer et par les thmes dchanges dans les sessions de formation de formateurs et avec des responsables pdagogiques, ces mthodes, pour les praticiens du Fle en direction des publics migrants adultes de premier niveau de qualification, sont perues comme des adaptations des mthodes de Fle auprs de jeunes ou dadultes scolariss. Le praticien conserve comme modle didactique celui par lequel il est pass lui-mme, et qui a russi pour lui, cest--dire un modle appliqu dans le cadre de lenseignement initial, mme aprs avoir reu une formation denseignant en Fle. Lorientation pdagogique et mthodologique spcifique aux migrants que ces mthodes tentent de mettre en uvre a ainsi du mal simposer dans les pratiques de formation.

Tandis quun bnvole doit apprendre sur le tas les savoirs techniques et thoriques spcifiques de lenseignement des langues (phonologie, phontique, analyse syntaxique et grammaticale, lexicologie, psycholinguistique, ethnologie de la communication, linguistique, smantique, etc.) et les savoirs pdagogiques particuliers (psychologie des adultes, dynamique de groupe, techniques danimation, etc.), le jeune diplm doit souvent dsapprendre ce quil a dj appris et continuer en apprendre: sur la pdagogie des adultes en particulier, sur leur environnement, sur les techniques dalphabtisation, sur la mdiation, etc. Ainsi, dans les deux cas, la mthode est insuffisante lui fournir un cadre suffisant pour soutenir son enseignement et pour le mettre en uvre. Il ne dispose dans aucun manuel de ces savoirs traditionnels qui y taient entirement consigns, et il ne dispose pas non plus des savoirs dispenss par la nouvelle didactique qui emprunte ses discours diffrentes disciplines (Galisson 1980): ces savoirs sont de plus en plus puiser diffrentes sources. Et cela concerne particulirement les savoirs de la mise en uvre de la mthode dans une classe donne par un enseignant donn et la connaissance de la psychologie, des besoins et des modes dapprentissage de lapprenant adulte. Le praticien fait trop souvent comme si lobjet de lenseignement, sa matire, ses contenus et ses objectifs se trouvaient les mmes pour des adultes migrants de bas niveau de qualification que pour des migrants trs scolariss, ou comme sil sagissait de transposer les contenus en gardant la mthodologie.

Le praticien confront un tel public ne se retrouve pas non plus dans le point de vue thorique, sans doute lgitime et scientifiquement fond, que relaient les prfaces, les guides et le responsable pdagogique. Car ces thories linguistiques, psycholinguistiques, socio-linguistiques, pragmatiques semblent avoir t conues en amont des problmes dapprentissage des langues et dducation quil rencontre in situ: ici, l, maintenant, avec un(e) tel(le) et pas un(e) autre. En didactique du Fle en milieu migrant et professionnel, ce dcalage entre les thories et les pratiques est donc beaucoup plus grand