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Université de Bourgogne Faculté de Sciences économiques et de gestion Privatisation et architecture organisationnelle : une contribution à la théorie de la gouvernance à partir d’une approche comparative des formes organisationnelles publiques et privées Thèse en vue de l’obtention du Doctorat en Sciences de Gestion présentée et soutenue par Céline Chatelin 14 décembre 2001 JURY Directeur de thèse : Gérard Charreaux Professeur de sciences de gestion à l’Université de Bourgogne Rapporteur : Nathalie Mourgues Professeur de sciences de gestion à l’Université de Paris XII Rapporteur : Georges Gallais-Hammono Professeur de sciences de gestion à l’université d’Orléans Suffragant : Philippe Desbrières Professeur de sciences de gestion à l’Université de Bourgogne Suffragant : Jean-Michel Glachant Professeur de science économique à l’Université de Paris XI

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Université de Bourgogne

Faculté de Sciences économiques et de gestion

Privatisation et architecture organisationnelle : une contribution à la

théorie de la gouvernance à partir d’une approche comparative

des formes organisationnelles publiques et privées

Thèse en vue de l’obtention du Doctorat en Sciences de Gestion

présentée et soutenue par

Céline Chatelin

14 décembre 2001 JURY Directeur de thèse : Gérard Charreaux Professeur de sciences de gestion à l’Université de Bourgogne Rapporteur : Nathalie Mourgues Professeur de sciences de gestion à l’Université de Paris XII Rapporteur : Georges Gallais-Hammono Professeur de sciences de gestion à l’université d’Orléans Suffragant : Philippe Desbrières Professeur de sciences de gestion à l’Université de Bourgogne Suffragant : Jean-Michel Glachant

Professeur de science économique à l’Université de Paris XI

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RESUME

La privatisation est un phénomène complexe qui concerne l’économie, un secteur ou plus spécifiquement l’entreprise. Elle a fait l’objet de nombreuses recherches depuis plus de trente ans. Cette persistance du sujet dans les travaux de recherche en économie et plus récemment en sciences de gestion reflète l’ambiguïté des résultats empiriques sur la relation fondamentale entre nature de la propriété (publique ou privée) et performance organisationnelle. L’interrogation des effets de la privatisation sur la performance reste donc irrésolue malgré l’importance éloquente du nombre de travaux empiriques et théoriques sur le sujet. Une revue critique des analyses traditionnelles fondées sur les caractéristiques intrinsèques de la propriété publique/privée conclut à la nécessité de renouveler l’approche de la privatisation d’entreprise. A partir d’une analyse contractuelle et comparative des entreprises privées et publiques, nous proposons une interprétation alternative de la privatisation.

En privilégiant une approche partenariale approfondie du fonctionnement

organisationnel, nous reposons la question des liens entre privatisation et performance. Comment la privatisation influe-t-elle sur l’architecture de l’organisation, au niveau du processus décisionnel et du système de gouvernance partenariale ? En corollaire, quels sont les effets de cette dynamique organisationnelle sur la valeur appropriable par différents partenaires ? Le modèle organisationnel de la privatisation est construit à partir du cadre de la théorie positive de l’agence et plus spécifiquement en optant pour le champ de la théorie émergente de la gouvernance partenariale. La question des processus organisationnels induits par la privatisation suggère une stratégie de recherche fondée principalement sur les aspects qualitatifs des faits étudiés.

Cette problématique trouve ainsi plusieurs éléments de réponse à travers deux études de

cas : la privatisation d’Air France qui figure parmi les quatre premiers acteurs mondiaux du transport aérien et la privatisation de DSM, géant néerlandais sur le secteur de la chimie fine. Le processus organisationnel très progressif que recouvre la privatisation dans les deux cas et ses implications sur le processus de création et de répartition de la valeur illustrent le pouvoir explicatif de la théorie de la gouvernance partenariale.

Qu’il s’agisse du système de gouvernance publique, privée, nationale ou européenne, la

théorie de la gouvernance partenariale offre un cadre d’analyse particulièrement riche de la dynamique et de l’évolution organisationnelles. Elle ouvre ainsi plusieurs champs de recherche sur l’organisation, ses différents niveaux d’efficience et sur les institutions. Mots clés : approche comparative, architecture organisationnelle, efficience, étude de cas, gouvernance partenariale, privatisation.

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Sommaire

Introduction ---------------------------------------------------------------------------------------------------------9 Première partie : La privatisation : théories et faits ---------------------------------------------------------------- 24

Chapitre 1 : Le débat traditionnel sur le lien entre propriété et performance --------------------------- 28 Section 1 : Le concept de privatisation : un phénomène organisationnel à plusieurs facettes -------------29 Section 2 : Un lien positif entre privatisation et performance : la propriété comme variable intermédiaire

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------46 Section 3 : Illustrations empiriques : des conclusions hétérogènes---------------------------------------------58 Section 4 : Forces de marché et comportement managérial : une remise en cause de la propriété comme

facteur discriminant -------------------------------------------------------------------------------------77 Section 5 : Synthèse et extension : une remise en question de l’interprétation théorique ------------------81 Conclusion du chapitre 1 ----------------------------------------------------------------------------------------------80

Chapitre 2 : Analyse comparative des formes organisationnelles publiques et privées : contributions des approches contractuelles ----------------------------------------------------------------------- 83

Section 1 : Contribution de la théorie des contrats incomplets--------------------------------------------------86 Section 2 : Contributions de l’approche principal-agent ------------------------------------------------------- 103 Section 3 : Contribution de la théorie des coûts de transaction ----------------------------------------------- 110 Section 4 : Synthèse et extension des apports des différents prismes théoriques des approches

contractuelles------------------------------------------------------------------------------------------- 119 Conclusion du chapitre 2 -------------------------------------------------------------------------------------------- 124

Conclusion de la première partie ---------------------------------------------------------------------------------125 Deuxième partie : Privatisation et processus décisionnel : l’analyse dynamique du gouvernement

d'entreprise----------------------------------------------------------------------------------------127 Chapitre 3 : Privatisation et gouvernement d'entreprise : le champ de l’architecture

organisationnelle-------------------------------------------------------------------------------------130 Section 1 : Des origines au statut actuel de la théorie positive de l'agence---------------------------------- 131 Section 2 : Architecture organisationnelle et gouvernement d'entreprise : vers une théorie de la

gouvernance partenariale----------------------------------------------------------------------------- 149 Section 3 : Privatisation et gouvernance partenariale : l’intégration de la dynamique organisationnelle

dans la problématique de l’efficience -------------------------------------------------------------- 159 Conclusion du chapitre 3 -------------------------------------------------------------------------------------------- 161

Chapitre 4 : Analyse de la privatisation à partir de la théorie de la gouvernance partenariale : une relecture du lien entre propriété et performance----------------------------------------------163

Section 1 : Une ré-interprétation de la privatisation au regard de la TPA----------------------------------- 165 Section 2 : Privatisation, un changement d’architecture organisationnelle : première série de

propositions -------------------------------------------------------------------------------------------- 168 Section 3 : Dynamique du système de gouvernance et efficience organisationnelle ---------------------- 192 Conclusion du chapitre 4 -------------------------------------------------------------------------------------------- 201

Conclusion de la deuxième partie --------------------------------------------------------------------------------203 Troisième partie : Privatisation et processus décisionnel : une intégration de la dynamique de la

gouvernance à travers deux études de cas----------------------------------------------------206 Chapitre 5 : Privatisation, processus décisionnel et gouvernement d’entreprise : Réflexion

méthodologique --------------------------------------------------------------------------------------209 Section 1 : Problématique fondée sur les processus organisationnels et choix du positionnement

méthodologique---------------------------------------------------------------------------------------- 211 Section 2 : Investigation empirique et sécurité scientifique : les particularités de l’étude de cas ------- 219 Section 3 : Conduite de la recherche qualitative sur la privatisation d’Air France et de DSM ---------- 226 Conclusion du chapitre 5 -------------------------------------------------------------------------------------------- 243

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Chapitre 6 : La privatisation d’Air France et de DSM, deux illustrations de l’interdépendance entre processus décisionnel, système de gouvernance et efficience organisationnelle en France et aux Pays-Bas --------------------------------------------------------------------------------------245

Section 1 : La privatisation partielle d’Air France : un processus organisationnel sur 6 ans------------- 247 Section 2 : La privatisation graduelle de DSM : analyse du lien entre processus décisionnel et GE : mise

en évidence de la dynamique organisationnelle -------------------------------------------------- 284 Section 3 : Portée explicative du modèle et apports des deux études de cas -------------------------------- 305 Conclusion du chapitre 6 -------------------------------------------------------------------------------------------- 314

Conclusion de la troisième partie---------------------------------------------------------------------------------316 Conclusion générale ----------------------------------------------------------------------------------------------------317 Bibliographie ------------------------------------------------------------------------------------------------------329 Liste des tableaux, schémas et graphiques --------------------------------------------------------------------------343 Table des matières ------------------------------------------------------------------------------------------------------345

Annexes ------------------------------------------------------------------------------------------------------348 Liste des annexes ------------------------------------------------------------------------------------------------------349

Volume 2 : Tableau des codes centraux et des données réduites

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L’Université n’entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans les thèses : ces opinions

doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

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REMERCIEMENTS

A l’issue de ce travail de recherche, nous souhaitons remercier différentes personnes qui ont de

facto un statut de parties prenantes à ce travail.

Nous remercions ainsi l’ensemble des personnes interrogées dans le cadre de notre investigation

empirique pour le temps qu’elles ont accepté de nous accorder et pour les impressions dont elles

nous ont fait part concernant Air France et DSM. Dans la mesure où certaines d’entre elles ont

souhaité conserver l’anonymat, nous les remercions collectivement. Nos remerciements vont

également à Monsieur Lesobres qui a engagé plusieurs contacts avec certains cadres dirigeants

d’Air France que nous remercions ici. Nos remerciements se dirigent aussi particulièrement vers

Monsieur Van der Grinten pour son témoignage sur une longue période du développement de

DSM. Nous tenons également à remercier Monsieur Groenewegen qui a accepté de nous accueillir

au sein de son équipe et qui nous a aussi permis de rencontrer plusieurs responsables de DSM.

Nous tenons à le remercier tout particulièrement pour ses précieuses remarques concernant notre

travail et pour son invitation au XXème Congrès européen organisé par The Association for

Institutional and Political Economy qu’il préside.

Ce travail résulte aussi d’un encadrement précieux de la part de notre directeur. Pour cette

gouvernance particulière de thèse, nous tenons à remercier Monsieur Charreaux qui a su nous

guider, parfois nous freiner utilement au cours de nos investigations ainsi que pour sa disponibilité

et pour les nombreuses discussions qui ont contribué à l’évolution de ce travail. Ainsi, nous lui

devons notre intérêt et notre conviction pour une grille de lecture sur les organisations fondée sur la

gouvernance partenariale. Dans cette perspective, nous remercions l’ensemble des membres de

l’équipe de recherche dijonnaise en sciences de gestion qui, au cours des séminaires internes ou de

discussions plus informelles, ont produit la critique nécessaire au mûrissement de notre recherche.

Nous tenons aussi à remercier certains doctorants pour les échanges mutuels qui ont contribué, à

leur manière, à l’avancement de ce travail. Nous remerciements s’adressent également à Madame

Heckel pour son soutien logistique auprès des doctorants et plus particulièrement dans le cadre du

déroulement de notre propre recherche.

Enfin, nous remercions les membres du jury qui par leur expertise, contribuent de manière

essentielle à la gouvernance de ce travail. Ainsi, nous remercions, Madame Mourgues, Monsieur

Desbrières, Monsieur Gallais-Hammono, et Monsieur Glachant d’avoir accepté d’évaluer notre

recherche, participant ainsi à l’achèvement de son processus.

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A toute ma famille,A toute ma famille,A toute ma famille,A toute ma famille, à Cem, spécialement,à Cem, spécialement,à Cem, spécialement,à Cem, spécialement,

à mes parents, mon frère, Marà mes parents, mon frère, Marà mes parents, mon frère, Marà mes parents, mon frère, Marieieieie----Jo, Clémence et Suna, symboliquement,Jo, Clémence et Suna, symboliquement,Jo, Clémence et Suna, symboliquement,Jo, Clémence et Suna, symboliquement, à mes grands parents, naturellement.à mes grands parents, naturellement.à mes grands parents, naturellement.à mes grands parents, naturellement.

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D’habitude le corbeau je le hais, D’habitude le corbeau je le hais, D’habitude le corbeau je le hais, D’habitude le corbeau je le hais, Mais tout de même… ce matinMais tout de même… ce matinMais tout de même… ce matinMais tout de même… ce matin

sur la neige sur la neige sur la neige sur la neige

Matsuo Bashô, Cent cinq haïkaï.Matsuo Bashô, Cent cinq haïkaï.Matsuo Bashô, Cent cinq haïkaï.Matsuo Bashô, Cent cinq haïkaï. (1644(1644(1644(1644----1694)1694)1694)1694)

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Introduction

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La privatisation représente un important phénomène de l’histoire économique du XXème

siècle, tant au niveau national, en France par exemple, qu’au niveau mondial. Très

controversée depuis plus de vingt ans, la privatisation a suscité de fortes réactions

idéologiques et partisanes. Le débat scientifique, quant à lui, cherche à comprendre les

enjeux macroéconomiques et microéconomiques de ce changement crucial pour

l’entreprise, pour une nation voire pour l’organisation économique mondiale. Cet

événement organisationnel a participé largement à l’histoire et à l’architecture économique

globale qui prévaut aujourd’hui. La question de la privatisation constitue donc un sujet

essentiel, notamment du fonctionnement de l’entreprise, comme en témoigne le dossier

spécial de L’Academy of Management Review, en juillet 2000. Dans leur article introductif

« Privatization and entrepreneurial transformation: emerging issues and future research

agenda », Zahra et al. (2000) précisent que l’objectif est de « contribuer à notre

compréhension des effets potentiels de la privatisation sur la transformation

organisationnelle » et plus précisément, « comment une firme est organisée, gouvernée,

gérée, autant que la manière dont elle s’adapte aux réalités concurrentielles d’une

économie de marché » (p. 510, notre propre traduction, désormais NT)1. Les auteurs

soulignent donc l’intérêt crucial que recouvre la privatisation dans la connaissance de la

dynamique stratégique (au sens large de création de valeur) de la firme. Pourquoi la privatisation peut-elle faire l’objet d’une recherche, en particulier en

sciences de gestion ? A cette question, l’on peut invoquer tout d’abord plusieurs arguments

d’ordre factuel. Un bref regard sur la presse économique de ces vingt dernières années

suffit pour comprendre l’ampleur du phénomène. En outre, le nombre élevé de travaux,

qu’ils soient de recensement, d’analyse macro-économique ou théorique reflète également

la dimension historique et mondiale de la privatisation. Ainsi, à une première vague de

privatisation timide, ponctuelle et locale au début des années 1960 (dont la cession partielle

du capital de Wolkswagen par le gouvernement Adenauer), ont succédé deux autres vagues

dont l’ampleur a été grandissante. Entre 1980 et 1991, la vente d’entreprises publiques à

des investisseurs privés a avoisiné 250 milliards de dollars, touchant plus de cent pays sur

l’ensemble des continents. Le Chili (dès 1974), la Nouvelle Zélande (dès 1986), la Russie

(dès 1990), le Royaume-Uni (dès 1980 avec la privatisation de British Aerospace) sont

quelques exemples de pays à avoir entamé une politique de privatisation souvent très

1 « […] to contribute to our understanding of the potential effects of privatization on organizational transformation […] how a firm is organized, governed, managed as it adjusts to the competitive realities of a market economy ». Italique des auteurs.

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ambitieuse. Sur cette même période, ce sont près de 9000 entreprises qui sont concernées

par la privatisation, sans compter les milliers de petites entreprises des économies

émergentes cédées à travers le monde. Sur la période 1988-1999, Boutchkova et

Megginson (2000, p. 43) observent un total de recettes issues des programmes de

privatisation d’environ mille milliards de dollars, dont les deux tiers proviennent des

privatisations par offre publique de vente. Ce mouvement représente pour beaucoup de

pays, notamment d’Europe occidentale, un pourcentage important du volume de

transactions boursières, contribuant ainsi fortement au développement du marché boursier2,

en France par exemple. Outre la part significative jouée par la privatisation dans l’évolution des économies

nationales et de leurs rapports, le second intérêt de poser la question de la privatisation

renvoie, à notre avis, aux origines de la philosophie grecque, première phase de l’histoire

de la pensée économique. L’analyse de celles-ci, relatée par Denis (1980), suffit à

comprendre l’attention que l’on peut porter à un phénomène aussi contemporain que la

privatisation (p.54) : « Le problème fondamental qui a fait sans doute naître la philosophie grecque, c’est le

problème du devenir et du changement. Pourquoi les choses se transforment-elles ? En quoi

consiste leur transformation ? Héraclite répondait que tout change sans raison, ce qui était

renoncer à toute explication. La réponse des physiciens était que l’on peut expliquer le monde

par la transformation d’une matière première (l’eau ou l’air) et par le choc d’une matière sur

une autre c’est-à-dire par une conception que nous appellerions aujourd’hui « transformiste » et

« mécaniste » du monde. Pour échapper au scepticisme des héraclitéens comme au

matérialisme des « physiciens », Platon avait construit son système des deux mondes : le

monde immuable des idées et le monde changeant des être naturels qui imite le premier ».

En suivant la même démarche, la question de la privatisation peut, en premier lieu, se

poser dans les simples termes suivants : Pourquoi privatiser ? L’analyse relève alors d’une

argumentation idéologique liée aux objectifs de privatiser. Ses principaux éléments,

largement invoqués dans bon nombre de travaux, sont associés globalement à deux

catégories d’objectifs dont le poids varie selon les pays.

2 Boutchkova et Megginson (2000) soulignent la part significative jouée par les programmes nationaux des privatisations dans le développement des marchés des capitaux tant en termes de liquidité que du point de vue du nombre d’investisseurs. Ainsi, la capitalisation boursière nationale a été stimulée par les privatisations des plus grandes entreprises. De plus, les auteurs relèvent que sur les 34 offres publiques les plus importantes de l’histoire du 20ème siècle (qui dépassent les 5 milliards de dollars), 25 étaient des privatisations.

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Premièrement, le choix de privatiser peut relever de motivations macro-économiques au

sens large, souvent associées à des contraintes budgétaires. Sans exhaustivité, ces

motivations portent sur le recentrage du domaine d’activité du secteur public, sur le

développement du capitalisme populaire (argument souvent rattaché aux motivations du

gouvernement de M. Thatcher lors du vaste programme de privatisation britannique) et,

d’une manière générale, sur le développement du marché financier par attraction de

capitaux nationaux et étrangers, et enfin, sur la recherche plus ou moins avouée de recettes

susceptibles, selon les périodes et les pays, de réduire les pressions fiscales ou le déficit

public. Ainsi, en France, la première vague de privatisation entamée en 1986 a engendré un

produit de 77 milliards de francs dont les deux tiers ont servi au remboursement de la dette

publique (Bizaguet, 1992, p. 94). On peut noter, toutefois, que globalement, et peut être

contrairement aux idées reçues, le cas français entre 1982 (entamant la troisième vague de

nationalisation) et 1988 (clôturant la première vague de privatisation) illustre l’impact

neutre de ces opérations sur la gestion du portefeuille public. En effet, comme le souligne

Bizaguet (Op. cit., p. 95), le coût lié aux acquisitions de départ (augmentation de capital,

subventions, emprunts contractés) semble avoir été compensé par le produit des ventes et

par les dividendes perçus. Soit « un résultat pratiquement équilibré sans gain, ni perte! ».

La seconde catégorie d’objectifs qui alimentent les controverses sur la question

initiale regroupe des motivations d’ordre microéconomique. Il s’agit principalement à

travers la privatisation, d’améliorer la performance des entreprises et/ou de favoriser leur

développement, à l’international notamment. Dans cette perspective, la privatisation est un

objet d’étude très controversé, bien que les réponses semblent plutôt unanimes à l’heure

actuelle compte tenu du succès que traduit l’ampleur du phénomène.

En second lieu, parallèlement à cette argumentation idéologique, privatiser une

entreprise pose le problème de la nature publique ou privée de la propriété dans la

réalisation de la performance d’une organisation. Cette approche rejoint plus globalement

le débat scientifique sur les facteurs explicatifs de l’efficience organisationnelle. Alors que

la privatisation a une origine déjà ancienne, le débat scientifique sur le sujet persiste

aujourd’hui. Qu’il s’agisse de l’évaluation de l’efficacité des privatisations ou de leur

extension à des services publics, la question de la privatisation reste en effet posée. Le

débat scientifique sur la relation entre la privatisation et la performance est construit sur

plusieurs approches théoriques plus ou moins concurrentes dont les confrontations

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empiriques ont abouti (y compris pour les plus récentes) à des résultats ambigus. Comment

alors expliquer l’importance des vagues de privatisation si ce n’est par une recherche

d’efficience plus grande ?

Le débat traditionnel sur le lien entre propriété et performance

A l’origine, ces travaux renvoient au débat sur la relation fondamentale entre propriété

et performance de l’entreprise. L’approche traditionnelle de la privatisation a ainsi

commencé dans un contexte où la propriété publique fait l’objet d’une controverse à la fin

des années soixante. Les premiers travaux sont alors fondés sur l’hypothèse d’efficience

inférieure du système de propriété publique par rapport au système de propriété privée.

Complétée par les apports de la théorie du Public Choice centrée sur les objectifs

politiques d’appropriation de rente, cette analyse de la propriété a conduit à un nombre

éloquent de travaux empiriques centrés sur la comparaison de performance des deux types

d’entreprises. Bien qu’une majorité d’entre eux convergent vers l’hypothèse de supériorité

de la propriété privée, la controverse demeure puisque certains travaux aboutissent à des

différences non significatives de performance et d’autres présentent des résultats

contradictoires. Ainsi, les résultats de ces études sont peu significatifs jusqu’à l’étude de

Boardman et Vining (1989) qui donne clairement l’avantage à la propriété privée à partir

d’un large échantillon international et multisectoriel.

Pendant cette controverse, les premières vagues de privatisation sont lancées, au Chili et

en Grande Bretagne notamment. La problématique de départ prolonge alors l’hypothèse

initiale. En ce sens, si la propriété publique est effectivement sous-efficiente par rapport à

la propriété privée, alors la privatisation devrait conduire à une performance supérieure de

l’entreprise. Cette hypothèse complémentaire de l’accroissement de performance induit par

la privatisation réoriente la problématique empirique sur une analyse des performances

avant et après la privatisation des entreprises concernées par ce mouvement. Dans cette

nouvelle perspective, les premiers travaux comme l’étude internationale multisectorielle de

Megginson et al. (1994), présentent des résultats favorables à la thèse traditionnelle de la

propriété. Cependant, une analyse de l’évolution méthodologique d’investigation

empirique montre un perfectionnement des modèles d’analyse de performance des

entreprises privatisées (Villalonga, 2000 ; Alexandre et Charreaux, 2001). Ces études

privilégient une approche plus dynamique de la performance. Leurs résultats nuancent les

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conclusions des précédents travaux. Ainsi, l’accroissement de performance des entreprises

privatisées ne serait pas aussi significatif. Cet accroissement serait par ailleurs observé

avant même la cession du capital à des agents privés. En outre, le contexte dans lequel sont

effectuées les privatisations est susceptible d’influencer les effets de celles-ci sur la

performance, comme par exemple, le cycle économique ou le développement du marché

des capitaux.

Cette évolution méthodologique et les résultats qu’elle propose laisse entière la

problématique initiale. Une troisième approche de la privatisation plus complémentaire

qu’antinomique suggère la prise en compte des forces de marché comme facteur essentiel

de la performance organisationnelle quelle que soit finalement la nature de la propriété.

Ainsi, les comparaisons de performance des entreprises publiques et des entreprises privées

en milieu concurrentiel conduisent à des résultats parfois favorables à l’entreprise publique

ou à des différences non significatives entre les deux formes organisationnelles

concurrentes. L’analyse de Boardman et Vining (Op. Cit.), pourtant fondée sur des

entreprises concurrentielles, est alors remise en question.

Les arguments théoriques avancés dans ces différentes approches du lien entre

privatisation et performance se réfèrent à certaines caractéristiques d’efficience exogènes

de la propriété publique et de la propriété privée. Pour comprendre les effets du passage de

l’une à l’autre, il convient donc d’examiner en profondeur leurs composantes respectives.

Dans cet esprit, les théories contractuelles fondées sur l’analyse des sources de coûts

propres à l’organisation, sont susceptibles de fournir une grille de lecture des différents

facteurs explicatifs de l’efficience organisationnelle. Cette approche théorique fondée sur

une comparaison des caractéristiques organisationnelles publiques et privées devrait par

conséquent éclairer la réflexion sur le lien entre propriété et performance et par extension,

sur les effets de la privatisation sur cette dernière. Une revue des contributions de la théorie

des droits de propriété (notamment dans ses premiers fondements), de l’approche

principal-agent et d’une analyse des coûts de transaction proposée par Williamson (1999)

conduit en définitive à des résultats théoriques semblables aux résultats empiriques. Si de

nombreuses conclusions théoriques sont favorables à la propriété privée, d’autres

approches de la propriété, notamment endogènes, comme la théorie des contrats

incomplets par exemple (version récente de la théorie des droits de propriété), privilégient

l’hypothèse de neutralité de la propriété en matière d’efficience. En ce sens, une analyse

comparative poussée des deux types organisationnels à travers les différents prismes

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théoriques contractuels permet de comprendre pourquoi les résultats empiriques sont si

hétérogènes. Mais, s’ils constatent d’un point de vue théorique l’ambiguïté de la propriété

comme source d’efficience, ces différentes perspectives ne permettent pas d’expliquer les

processus par lesquels la privatisation est susceptible d’en modifier les composantes. Cette

analyse a toutefois le mérite de souligner la nécessité de prendre en compte simultanément

ces différentes composantes organisationnelles.

Cette synthèse de la littérature souligne l’hétérogénéité des conclusions empiriques et

théoriques sur le rapport de la privatisation à la performance organisationnelle. Cette

hétérogénéité paraît découler en fait de la manière de poser la question de la privatisation.

Quel que soit finalement, l’angle de vue choisi, à la question du « pourquoi privatiser »

semble se substituer la question du changement organisationnel induit par la privatisation.

La première ayant permis de mettre en lumière l’importance de la seconde pour pouvoir

apporter une réponse approfondie à la question centrale du lien entre privatisation et

performance organisationnelle.

D’un débat sur les propriétés exogènes de la firme à un débat sur les propriétés

endogènes de son architecture organisationnelle : la pertinence d’une théorie de la

gouvernance partenariale

Cette nouvelle orientation de la réflexion sur la privatisation rejoint en définitive la

question essentielle des processus organisationnels sur lesquels reposent le fonctionnement

et le développement de la firme qu’elle soit publique ou privée. Autrement dit, la

performance de l’entreprise s’envisage comme le résultat d’un processus de création de

valeur et de sa répartition entre différents partenaires. En conséquence, dans le cadre d’une

réflexion scientifique sur le fonctionnement des organisations, la privatisation d’entreprise

soulève une interrogation relative aux mécanismes qui contribuent en dynamique, à

l’efficience de la firme. Notamment, le problème organisationnel auquel la privatisation

renvoie est celui de ses effets sur le processus décisionnel et sur les mécanismes qui

l’encadrent dans le but de protéger les intérêts des différents partenaires. C’est en effet à

partir de ces modes de gouvernance que chaque partenaire (actionnaire, dirigeant, salariés,

clients ou fournisseurs principalement) est susceptible d’influencer le processus

décisionnel au niveau de la création de valeur et/ou au niveau de sa répartition.

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Poser la question de la privatisation consite donc en une interrogation sur les

changements qu’elle provoque au niveau de l’architecture organisationnelle, c'est-à-dire

simultanément aux niveaux de la répartition des droits décisionnels et de la gouvernance

organisationnelle sur laquelle repose le système de coordination, d’évaluation de la

performance et de rétribution. A l’origine, la question soulevée rejoint, à juste titre, celle

du débat idéologique sur les raisons de privatiser. Toutefois, les réponses apportées et les

limites constatées suggèrent une analyse plus focalisée sur le comportement réel de la

firme à l’égard de la performance. En quoi consistent la privatisation et la

transformation organisationnelle qu’elle engendre ? Quels en sont les effets sur

l’efficience de la coopération entre les différents partenaires impliqués en interne et

en externe (vis-à-vis des concurrents en particulier) ? C’est précisément dans cette

perspective que cette recherche a été menée.

La problématique qui guide notre recherche soulève ainsi la question des liens entre la

privatisation et le processus de création de valeur partenariale. Dans cette perspective, les

conclusions des approches traditionnelles suggèrent un examen approfondi du rôle central

joué par les processus organisationnels inducteurs de performance. A partir de leurs

enseignements, notre recherche propose un renouvellement de l’analyse en vue d’apporter

une réponse aux problèmes d’efficience soulevés par la question de la privatisation.

L’objet de cette recherche est celui de la dynamique organisationnelle dans le contexte du

changement particulier induit par la privatisation. Dès lors, ce travail repose sur une

analyse organisationnelle du changement qui consiste à comprendre la manière dont la

privatisation affecte le comportement interactif des variables de performance

organisationnelle. Ainsi, ce travail de recherche vise à démontrer la portée explicative du

champ de recherche sur l’architecture organisationnelle3 et, en particulier, celui de la

théorie positive de l'agence sur laquelle est construite la théorie de la gouvernance

partenariale.

Notre objectif est de répondre aux insuffisances que nous avons constatées à travers

notre synthèse critique de la littérature, en orientant l’analyse de la privatisation sur le

3 L’architecture organisationnelle est une combinaison d’un système de répartition de droits décisionnels et du système de coordination et de contrôle. Elle est spécifique à chaque firme. Comme nous le montrerons dans le cas particulier de la privatisation, elle structure le processus de création et de répartition de la valeur organisationnelle.

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fonctionnement de l’organisation. La démarche que nous avons choisie consiste à

démontrer en quoi l’exploitation que nous faisons de la théorie de la gouvernance

partenariale permet de répondre aux questions soulevées par les conclusions des travaux

existants. Dans cet esprit, la portée de cette recherche réside dans le dépassement de

l’analyse centrée, au départ, sur le débat concernant le lien entre propriété et performance.

La firme en tant que centre contractuel regroupe un ensemble de partenaires impliqués

dans une coopération destinée à créer une valeur partenariale appropriable par chacun. A

partir de cette représentation élargie de la firme, et non pas centrée principalement sur la

relation actionnaires-dirigeant, la théorie positive de l’agence propose une analyse du

comportement de création de valeur sur la base d’un système de gouvernance centré sur le

dirigeant. Fondée sur le concept du processus décisionnel4, la théorie de la gouvernance

partenariale permet de prendre en compte les autres partenaires pour l’analyse de

l’architecture du processus décisionnel au centre duquel se trouve le dirigeant. Ce dernier

est ainsi considéré comme au centre des relations de la firme avec les autres parties

prenantes.

Dans ce contexte, l’approche comparative des formes organisationnelles publiques et

privées permet de réaliser un examen des processus par lesquels la privatisation induit un

changement organisationnel à l’égard des facteurs inducteurs de performance. Cette

analyse comparative propose une lecture des mécanismes de gouvernance qui encadrent le

comportement décisionnel du dirigeant et des autres partenaires ayant un intérêt à

surveiller ce dernier. Il s’agit ainsi d’explorer les effets de la privatisation sur le processus

décisionnel, sur les mécanismes qui l’encadrent et sur les implications de ces modifications

de l’architecture organisationnelle sur la valeur appropriable par chaque membre de la

coopération. Dans cet esprit, la privatisation semble agir sur la structure de propriété en

favorisant une décentralisation des étapes du processus décisionnel. En ce sens, nous

proposons une redéfinition de la privatisation fondée sur les processus organisationnels.

L’abandon partiel ou total des pouvoirs décisionnels de l’Etat propriétaire au profit

d’agents privés se traduit par une modification de l’architecture organisationnelle et, en

particulier, des mécanismes visant à contrôler les variables de performance. Ce

changement organisationnel se traduit par des mécanismes de surveillance et d’incitation

4 Le processus décisionnel repose sur un ensemble d’actions (initiative, ratification, mise en œuvre et surveillance) relatives à une décision de création de valeur, comme l’investissement, ou de répartition de valeur, comme le financement.

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plus efficaces dans l’accompagnement des objectifs de performance ainsi qu’en amont,

dans leur définition. Ainsi, la répartition de la valeur créée entre les différents partenaires

évolue au profit d’une participation effective de certains d’entre eux, au processus de

création de la valeur. La position des actionnaires en général et celle des salariés en

particulier (dont le dirigeant) sont théoriquement modifiées par le processus de

privatisation. La position des clients et des fournisseurs l’est tout autant, en particulier

lorsque la privatisation est accompagnée de la dérégulation sectorielle ou vient en

accompagnement de celle-ci.

Pour résumer, notre modèle organisationnel de la privatisation propose de substituer à la

relation unique entre propriété et performance développée dans les travaux antérieurs, trois

niveaux d’analyse. Les deux premiers niveaux portent sur l’examen des effets complexes

de la privatisation sur le processus décisionnel et sur la gouvernance organisationnelle. Le

troisième niveau d’analyse envisage au regard de la théorie de la gouvernance partenariale,

les modifications de cette architecture organisationnelle sur la capacité de chaque

partenaire à influencer le processus décisionnel et la valeur que chacun est susceptible de

s’approprier. Nous présentons ci-dessous les niveaux intermédiaires que notre recherche se

propose d’investir relativement à la relation entre propriété et performance :

Privatisation, propriété et performance : l’architecture organisationnelle

comme interface de l’analyse

Système de gouvernance organisationnelle

II

Privatisation Efficience organisationnelle

Processus décisionnelI

Partenaires de la

coopération III

Architecture organisationnelle

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Quelle stratégie de recherche empirique sur la dynamique des processus

organisationnels sous-jacente à la privatisation ?

En construisant notre modèle de la privatisation à partir d’un renouvellement du cadre

conceptuel des liens entre propriété et performance nous cherchons une réponse à

l’ambiguïté des résultats obtenus dans les travaux antérieurs. A cette réorientation de la

problématique théorique s’ajoute celle du choix d’investigation empirique. En effet,

l’évolution méthodologique dans la littérature empirique met en exergue l’intérêt d’une

prise en compte de variables plus qualitatives dans la compréhension des effets

organisationnels de la privatisation sur la performance de l’entreprise. Toutefois, la plupart

des travaux restent fondés sur une représentation statistique même si le développement des

études ponctuelles reflète aussi cette évolution du traitement empirique. En outre, notre

problématique portant sur des aspects principalement qualitatifs de la dynamique

organisationnelle, notre investigation empirique s’oriente par conséquent vers une

approche qualitative du phénomène. Elle sugère une analyse approfondie du changement

organisationnel. Dans cette perspective, notre démarche consiste à identifier les évolutions

conjointes du processus décisionnel et de la gouvernance ainsi que les conséquences de ces

modifications organisationnelles au niveau des partenaires de l’entreprise. Afin d’apprécier

la plausibilité des liens théoriques qui privilégient essentiellement des phénomènes

organisationnels difficilement quantifiables, nous nous sommes orientés vers l’étude de

cas. Une telle approche repose sur une analyse d’entretiens et de supports textuels comme

les rapports annuels, la presse ou les ouvrages consacrés à l’entreprise. L’étude de cas est

ainsi susceptible de fournir un matériau empirique qualitatif nous permettant d’une part, de

décrire les concepts d’autre part, d’en contrôler les relations sous-jacentes. Ainsi, toute

modification du processus décisionnel qui s’accompagnerait de manière complémentaire,

d’une évolution de la gouvernance est alors associée à la dynamique de l’architecture de

l’organisation au cours de son processus de privatisation. La stratégie de recherche doit

répondre par conséquent, à certains principes méthodologiques particuliers relatifs aux

biais d’interprétation des données qualitatives. L’exposé de la démarche d’investigation, de

la collecte au traitement, peut ainsi contribuer à renforcer la validité de la démarche et du

contrôle de plausibilité de notre modèle. Enfin, une telle approche nécessite de définir une

période d’analyse. La période souvent retenue dans la littérature est limitée à 7 ans autour

de l’année de cession par l’actionnaire public. Elle paraît insuffisante compte tenu du

processus organisationnel progressif entamé bien avant cette année d’ouverture du capital.

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En conséquence, nous fixons une période d’analyse de 10 ans avec la possibilité de

remonter plus loin si la disponibilité et la pertinence des données justifient une extension

de cette fenêtre.

Dans cette perspective méthodologique, nous avons choisi deux cas de privatisation de

sorte que les liens observés soient accentués. La privatisation d’Air France illustre un cas

fort de l’évolution de l’architecture organisationnelle. L’entreprise au bord de la faillite en

1993, connaît un nouveau départ suite à une recapitalisation qui marque le commencement

de sa privatisation progressive. La privatisation du transporteur aérien permet ainsi

d’évaluer la cohérence de notre modèle. En outre, une première réplication de celui-ci a pu

être menée dans un contexte très différent. Il s’agit de la privatisation de DSM, entreprise

néerlandaise intervenant sur le secteur de la chimie fine et des matériaux plastiques. Si la

France fait partie des pays à avoir engagé un programme relativement ambitieux de

privatisation, en revanche les Pays-Bas ont été plus modérés de par le nombre limité

d’entreprises publiques. DSM, à l’origine créée dans le cadre de la concession par les

pouvoirs publics de l’activité d’extraction minière illustre un cas de privatisation d’autant

plus marqué qu’elle s’est produite dans un pays peu enclin à la propriété publique. Ce

deuxième cas fort de privatisation permet de renouveler le contrôle de correspondance du

modèle avec les faits.

Ainsi, à l’issue de ces deux études nous devrions pouvoir apprécier la portée de notre

modèle de la privatisation et la pertinence du cadre conceptuel de la théorie de la

gouvernance pour la compréhension de la dynamique organisationnelle. Toutefois, la

stratégie de recherche choisie ne permet pas de statuer sur la « généralisabilité » de ce

travail. Dans la mesure où notre sélection empirique est motivée par la confrontation de la

plausibilité de notre modèle à quelques cas prononcés de privatisation, nous renonçons par

conséquent à un processus de validation lié à l’induction statistique. Ainsi, notre travail

s’inscrit dans l’optique de la « généralisabilité » analytique5 du cadre conceptuel de la

théorie de la gouvernance partenariale. Dans cet esprit, le contrôle de plausibilité de notre

modèle consiste en une appréciation de la correspondance de nos propositions théoriques

avec les faits. Mais ce contrôle de correspondance vise aussi implicitement une évaluation

de l’acceptabilité des hypothèses sous-jacentes liées au cadre conceptuel (Boudon, 1999).

5 Yin (1994).

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En conséquence, il s’agit d’apprécier la plausibilité des arguments de la théorie de la

gouvernance partenariale relatifs au comportement des différents partenaires à l’égard du

processus décisionnel. Finalement, nous devrions nous prononcer d’une part, sur le

caractère convaincant de notre explication des liens entre privatisation et performance

d’autre part, sur la plausibilité de la théorie de la gouvernance partenariale en tant que

théorie explicative du processus organisationnel de création et de répartition de la valeur

partenariale.

La théorie de la gouvernance dans l’analyse de l’adaptation de l’organisation à un

environnement changeant

A partir de la théorie de la gouvernance, cette lecture du changement organisationnel

engagé lors de la privatisation doit permettre de produire à sa mesure, certains éléments de

contribution au développement de cette approche du fonctionnement organisationnel. Cette

recherche suggère la nécessité de prendre en compte la capacité de chaque partie

coopérante à participer effectivement au processus décisionnel et, par conséquent, à

bénéficier des mécanismes de gouvernance. Dans la mesure où ceux-ci encadrent plus ou

moins directement le comportement décisionnel du dirigeant, celui-ci demeure

incontestablement au centre de la firme mais en complète interaction avec les autres parties

prenantes à condition que celles-ci soient actives. Ainsi, si notre recherche ne remet pas en

cause la privatisation, elle est susceptible toutefois de remettre en cause la conception de la

firme publique. Dans le cadre de ce travail nous adressons donc trois questions

essentielles :

Tout d’abord, en référence à l’analyse de Denis (Op. cit.) sur les origines de la

philosophie grecque, notre travail doit permettre d’apporter une réponse claire à la question

de la sous-efficience de la propriété publique. Cette recherche se propose donc de fournir

une explication relative à une idée souvent reçue selon laquelle la firme publique est par

nature, une forme moins efficiente que son homologue privée.

� Ainsi, les entreprises publiques sont-elles toutes vouées à être privatisées ?

Comment expliquer par ailleurs, l’observation fréquente des restructurations réalisées

avant la cession du capital à des agents privés ? Globalement, la privatisation

conduit-elle systématiquement à un accroissement de performance ?

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Deuxièmement, cette recherche suggère certains éléments de réflexion sur les

particularités des firmes publiques en matière de gouvernance et de comportement à

l’égard de ses propres critères de performance.

� Quelles sont les caractéristiques de gouvernance de l’entreprise publique ?

Troisièmement, notre lecture de la privatisation à partir de la théorie de la gouvernance

partenariale soulève la question de la pertinence de cette grille de lecture dans la

compréhension de la dynamique organisationnelle, de son développement et de ses

relations avec l’environnement.

� En ce sens, quelle est la portée explicative de la théorie de la gouvernance

partenariale vis-à-vis du comportement des organisations et des règles du jeu dans

lesquelles elles évoluent ?

Les trois principales étapes de notre recherche

Notre recherche propose donc à partir d’une revue succincte des théories exploitées

(Partie 1), une lecture de la privatisation au regard de la théorie de la gouvernance en vue

de comprendre les processus organisationnels induits par la privatisation en matière de

création et de répartition de la valeur partenariale (Partie 2). Une mise à l’épreuve de ces

liens théoriques en vue d’un contrôle de leur plausibilité est consacrée à l’étude de deux

cas de privatisation, le deuxième permettant une première réplication théorique de notre

modèle organisationnel de la privatisation (Partie 3).

Cette approche de la privatisation constitue un phénomène particulièrement intéressant

dans le domaine des sciences de gestion dans la mesure où elle partage avec lui, le même

objet de recherche, celui des organisations. De plus, l’approche de la privatisation rejoint la

préoccupation centrale des sciences de gestion. La question posée dans ce domaine de

recherche est double. D’une part, comment fonctionne l’organisation ? D’autre part, quels

sont les facteurs explicatifs de sa performance ? En ce sens, les théories des organisations

néo-institutionnelles permettent d’aborder la privatisation sous l’angle comparatif des

formes organisationnelles publiques et privées en s’attachant à l’analyse de leurs

caractéristiques propres. Ainsi, l’approche traditionnelle du lien entre privatisation et

performance, fondée sur la nature exogène de la propriété et des forces de marché (chapitre

1) conduit à reformuler l’analyse de la privatisation, compte tenu des conclusions

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hétérogènes. Dans cette perspective, le chapitre 2 envisage une approche comparative des

deux formes organisationnelles à partir des diverses théories (principal-agent, contrats

incomplets, théorie des coûts de transaction) qui rejoignent et enrichissent l’argumentation

initiale du débat sur la privatisation. L’objet de ce chapitre est donc de démontrer l’intérêt

d’intégrer les différents niveaux organisationnels qui contribuent au fonctionnement de la

firme en matière de création de valeur et de sa répartition à l’égard des partenaires qui la

constituent. Il permet ainsi de mettre en lumière l’intérêt d’une grille de lecture qui puisse

prendre en compte simultanément les différentes dimensions du comportement

organisationnel à l’égard de la performance d’un point de vue contractuel. Une synthèse du

positionnement de la théorie positive de l’agence et de son champ spécifique de la

gouvernance nous conduit à proposer une grille de lecture intégratrice fondée sur une

vision partenariale de la gouvernance (chapitre 3). Sur la base des résultats de l’analyse

comparative des formes organisationnelles publiques et privées, ce cadre théorique met en

lumière la nécessité de modéliser les processus organisationnels qui permettent de

répondre aux questions posées sur le fonctionnement de l’organisation. Sur cette base

conceptuelle fournie par la théorie de la gouvernance partenariale, nous présentons un

modèle organisationnel de la privatisation (chapitre 4). Dans la poursuite de notre

recherche, nous exposons les choix méthodologiques et les outils que nous avons construits

pour leur mise en œuvre dans le cadre d’une stratégie de recherche par étude de cas

(chapitre 5). Une fois notre stratégie de recherche exposée, nous présentons les résultats de

cette investigation empirique ainsi que la plausibilité et la portée explicative de notre

modèle organisationnel de la privatisation (chapitre 6). Une conclusion générale sur les

principaux résultats théoriques, méthodologiques et empiriques de ce travail propose les

perspectives de cette recherche et plus particulièrement les voies de développement du

cadre conceptuel d’une théorie de la gouvernance partenariale.

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Première partie

La privatisation : théories et faits

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La privatisation en tant que phénomène organisationnel majeur de ces vingt dernières

années a suscité de nombreuses réactions dans le milieu scientifique. Ce phénomène

participe de manière significative à la question de l’identification des facteurs explicatifs

de la performance de l’entreprise6. La privatisation est-elle nécessaire ? Dans l’affirmative,

quelles en sont les raisons ?

Deux courants principaux proposent certains éléments de réponse. Le premier privilégie

un examen de la nature de la propriété publique et de la propriété privée afin d’envisager

leur relation respective avec la performance organisationnelle. Le second courant envisage,

quant à lui, les forces de marché et les structures incitatives qui lui sont propres. Au-delà

des effets de la propriété sur la performance organisationnelle, ce second courant analyse

les effets induits par les mécanismes de marché sur celle-ci. Ces deux perspectives des

facteurs explicatifs de la performance organisationnelle sont ainsi résumées par Nellis lors

d’un forum sur les politiques publiques pour le développement du secteur privé7 (1992) : « La théorie économique néoclassique suggère que la relation entre propriété et performance est très

ténue; l’efficience est vue comme fonction des structures de marché et d’incitation. En théorie, il y a peu

de différence entre une firme privée ou publique tant qu'elle opère sur un marché concurrentiel ou

contestable sans barrière à l'entrée ou, tout aussi important, sans barrière à la sortie. Le propriétaire

ordonne au dirigeant de suivre les signaux fournis par le marché et lui donne l'autonomie de le faire. Le

dirigeant est récompensé ou sanctionné sur la base de la performance. La réalité montre que la théorie

s'applique en fait sous deux conditions cruciales : premièrement, les conditions nécessaires, dans leur

ensemble, sont rarement satisfaites. Et deuxièmement, même si elles sont satisfaites, elles ne tendent à

l'être que sur une courte période; on ne peut assurer que les conditions nécessaires perdurent » (NT).

6 Le lecteur pourra se référer à la revue historique de Couret (1987) et, dans son prolongement, à celle de Amann (1999) sur l’origine de la propriété qui, par la suite, a influencé la pensée économique et le débat sur la performance (Smith, 1776). Simplement, remarquons que les auteurs identifient les premières origines européennes de la théorie des droits de propriété. Dès le XIVème siècle, les premières manifestations du concept de propriété apparaissent dans la pensée nominaliste du philosophe anglais Guillaume d’Ockham. Par la suite, ce concept a fortement influencé les théoriciens de la firme et de son comportement, notamment les théoriciens nord américains, au XXème siècle. (Amann 1999, p. 16-17). 7 La banque mondiale, sur son site www.worldbank.org, propose un forum ouvert sur le thème de la Politique publique pour le secteur privé (Public Policy for Private Sector ) afin d’encourager le débat d’idées sur les politiques publiques visant à développer le secteur privé et financier. La note 7 de Nellis (1992) fait partie des échanges réalisés dans ce cadre : « Neoclassical economic theory suggests that the relationship between ownership and performance is very tenuous; efficiency is seen as a function of market and incentive structures. In theory it makes little difference whether a firm is privately or publicly owned as long as: it operates in a competitive or contestable market without barriers to entry or, just as important, barriers to exit. The owner instructs management to follow the signals provided by the market and gives it the autonomy to do so. Management is rewarded and sanctioned on the basis of performance. Evidence shows that the theory does indeed apply in practice with two crucial qualifications: first, the full set of necessary conditions is only rarely met. And second, even when it is met, it tends to stay met for only a while; the necessary conditions cannot be made to endure ».

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La structure du marché, la nature de la relation entre propriétaire et dirigeant ainsi que

le système de récompenses managériales sont ainsi avancés comme les variables

essentielles de la performance. Leur combinaison, loin d’être définitive et figée, repose à la

fois sur la structure de propriété et sur les forces de marché. Ces deux facteurs semblent

donc influer significativement sur l’efficience organisationnelle.

Dans la perspective de ce débat général sur les facteurs de performance, cette première

partie traite de la problématique des effets de la privatisation sur la performance de

l’entreprise telle qu’elle ressort de la littérature. Les deux chapitres suivants sont ainsi

consacrés à notre lecture des travaux théoriques et empiriques relatifs aux variables de

performance dans le contexte de la privatisation. Cette première partie tente de répondre à

la question suivante : comment la privatisation agit-elle sur les sources d’efficience de

l’entreprise ? Il ressort deux points essentiels de notre lecture. Premièrement,

l’identification des contours de la privatisation recouvre de multiples aspects qui peuvent

concerner non seulement l’organisation, mais aussi le secteur ou l’économie. Mais une fois

le consensus établi sur le concept général de la privatisation, la littérature propose deux

courants d’analyse relatifs pour le premier aux caractéristiques de la propriété publique et

privée et pour le second, aux effets des forces de marché sur la performance

organisationnelle. Le chapitre 1 est ainsi consacré à l’approche économique traditionnelle

des variables principales de performance dans le cadre de la privatisation. Deuxièmement,

l’ambiguïté des réponses apportées, notamment par les travaux empiriques ne permet pas

de statuer définitivement sur les effets de la privatisation sur la performance. Nous avons

alors orienté notre réflexion vers une approche plus approfondie des caractéristiques

organisationnelles à partir des différentes lectures contractuelles de l’organisation. Ainsi le

chapitre 2 est consacré à une approche comparative des deux formes organisationnelles

publique et privée, afin d’explorer en détail les différentes facettes de la performance de

chaque firme. Cette deuxième lecture de la privatisation propose un approfondissement de

la problématique initiale sur laquelle reposent implicitement les travaux abordés dans le

premier chapitre. Cette approche comparative permet de répondre en partie à l’ambiguïté

des effets de la privatisation sur la performance organisationnelle. En effet, elle permet de

comprendre l’existence de formes organisationnelles efficientes alternatives. En ce sens,

une application des théories contractuelles aux deux types d’organisation conclut au fait

que l’efficience des firmes existantes est relative. Cette efficience doit être comparée à un

ensemble de choix organisationnels possibles. Il apparaît alors que l’entreprise publique

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peut constituer une forme organisationnelle efficiente comparativement à une forme

d’organisation privée.

A l’issue de cette synthèse critique de la littérature, ces deux apports essentiels justifient

la controverse ancienne et non résolue sur la privatisation. Ils soulignent les liens

complexes entre ce phénomène organisationnel largement répandu et la performance de la

firme. Toutefois, les réponses ambiguës suggèrent une approche plus systémique du

fonctionnement organisationnel. Celle-ci semble en effet nécessaire pour aborder ces liens.

En ce sens, en concluant à la complexité de ces liens mis en jeu, les chapitres suivant

montrent en quoi l’approche traditionnelle de la privatisation se heurte à une limite

théorique essentielle. En effet, ses fondements conceptuels paraissent insuffisants pour

comprendre le fonctionnement organisationnel duquel résulte la performance. Afin de

comprendre les processus qui y contribuent, l’analyse des effets de la privatisation sur la

performance nécessite donc un renouvellement de la problématique. En particulier, un

cadre théorique qui intégrerait les phénomènes d’interaction entre de multiples variables de

performance devrait permettre de modéliser les processus réels par lesquels la privatisation

transforme en profondeur l’organisation.

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Chapitre 1

Le débat traditionnel sur le lien entre propriété et performance

J’envisage chaque espèce comme une entité contingente de l’histoire,J’envisage chaque espèce comme une entité contingente de l’histoire,J’envisage chaque espèce comme une entité contingente de l’histoire,J’envisage chaque espèce comme une entité contingente de l’histoire, dont l’avenir est imprévisible.dont l’avenir est imprévisible.dont l’avenir est imprévisible.dont l’avenir est imprévisible.

S. J Gould, Essai n°8, p. 137S. J Gould, Essai n°8, p. 137S. J Gould, Essai n°8, p. 137S. J Gould, Essai n°8, p. 137

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L’ampleur des travaux relatifs plus ou moins directement à la privatisation témoigne

depuis plusieurs années, du débat controversé et largement répandu de la performance des

entreprises et des systèmes économiques. Sur la base de l’approche de la performance telle

que l’envisage Nellis, la structure de propriété et les forces de marché représentent deux

facteurs explicatifs de l’efficience organisationnelle. Dans le contexte particulier de la

privatisation, le débat porte sur l’analyse des incidences de celle-ci sur les facteurs

explicatifs de la performance. Nous envisageons dans la première section, le concept de

privatisation qui, loin d’être uniforme, pose, à sa manière, la question de l’organisation. Le

lien supposé entre nature de la propriété et performance est analysé dans la section 2. La

section 3 est consacrée à une illustration de cette approche et à une analyse de ses limites.

Ce développement est fondé sur une revue historique des travaux empiriques et de leur

évolution méthodologique. Cette analyse soulève plusieurs questions relatives aux liens

construits par la théorie de l’approche traditionnelle de la privatisation. L’incidence des

forces de marché sur la performance fait ensuite l’objet de la section 4. La section 5 est

consacrée aux apports et extensions de ces deux approches de la performance

organisationnelle qui soulèvent la question cruciale de ses facteurs explicatifs dans le cas

particulier de la privatisation.

Section 1 : Le concept de privatisation : un phénomène organisationnel à plusieurs

facettes

Comme nous l’avons évoqué précédemment, la privatisation n’est pas un phénomène

uniforme. Les différentes acceptions du concept de privatisation dépendent principalement

de son objet. En effet, selon que l’on parle de la privatisation de l’économie, du secteur ou

de l’entreprise, la signification et les formes de privatisation sont différentes. Notre

recherche s’intéresse à la dernière forme de privatisation mais il nous paraît important

d’évoquer les diverses acceptions afin de cerner les différents cas observables de

privatisation et de délimiter ainsi notre objet d’étude (1.1). En outre, la conceptualisation

de la privatisation d’entreprise est une manière de poser la question de l’organisation et de

l’interprétation que l’on peut faire de la firme (1.2). Enfin, la privatisation d’entreprise

recouvre plusieurs formes concrètes dont les effets organisationnels sont a priori

différents. Dans ce contexte multiforme, il convient pour l’analyse, de proposer une

définition générique de celle-ci (1.3).

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1.1. La privatisation : différentes perspectives

Afin de définir le terme de privatisation, il nous paraît intéressant de nous arrêter sur les

trois variantes observables de la privatisation. Elles sont souvent associées à des contextes

nationaux particuliers ainsi qu’à la nature des services ou des biens concernés.

La première variante de la privatisation, celle de l’économie, se réfère notamment aux

pays en transition, dont le système économique repose, à l’origine, sur une économie

socialiste. Le programme de privatisation de l’économie, dit « de masse », par exemple en

Pologne, en Russie ou en République Tchèque, a tout d’abord consisté à autoriser la

propriété privée puis à l’encourager8. Ainsi, la Pologne a créé un ministère des

changements de propriété9, responsable du processus de privatisation sous la tutelle du

conseil des ministres et du parlement polonais. Parmi ses différentes missions, dont la

principale est l’exécution du transfert de propriété, cet organe, via ses quatorze

départements, est chargé d’organiser des séminaires afin de promouvoir l’initiative privée

et de diffuser des informations sur la privatisation aux interlocuteurs intéressés (Guislain

1995, p. 187). Cet aspect global de la privatisation a fait l’objet de multiples travaux.

Ceux-ci examinent les changements institutionnels induits par le processus de privatisation

(ou devant l’accompagner), en particulier dans les économies émergentes. Ainsi, Shleifer

(1997) observe la réforme timide des institutions russes comparativement à des pays

comme la Chine ou la Pologne. L’étude menée par Perotti et Van Oijen (2001) démontre

comment la gestion politique d’un programme de privatisation peut avoir des effets très

significatifs en matière de développement du marché des capitaux. Dans le même sens,

Milhaupt (1999) démontre, dans le cadre de l’unification de la Corée, le rôle central joué

par la législation dans l’accompagnement des privatisations et de leurs effets. Ainsi,

comme le résume l’auteur « le simple passage de la propriété des mains de l’Etat aux

mains privées dans un vacuum institutionnel ne garantit pas une adéquation et un

développement spontanés de la gouvernance d’entreprise et des mécanismes de

surveillance10 . […] la poursuite d’une réforme du droit des sociétés et du marché des

capitaux de la Corée du Sud est un élément décisif de toute stratégie de privatisation bien

8 Dans son ouvrage intitulé « La privatisation en Europe de l’Est », Dembinski (1995) analyse les caractéristiques du contexte social dans lequel l’homo systemicus est devenu progressivement homo oeconomicus (notamment les chapitres 2 et 3). 9 La loi du 13 juillet 1990 prévoit la création du poste de ministre des changements de propriété. 10 « simply moving ownership from State to private hands in an institutional vacuum does not insure that adequate corporate governance and supervisory mechanisms will develop spontaneously. […] continued reform of South Korean corporate and securities laws is a crucial component of any well-devised privatization strategy ».

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pensée » (NT). En définitive, ce premier cas de privatisation témoigne de l’importance

jouée par les institutions dans l’étendue et les choix de privatisation (Hemming et

Unnithan, 1996 ; Bortolotti et al., 1998). En ce sens, la privatisation s’inscrit dans un large

cadre de réformes structurelles et, pour certains pays, participe à la stabilisation et au

développement économique (Lüders, 1996).

Une autre lecture de cette première variante de la privatisation permet d’esquisser deux

grandes familles de pays. La première famille regroupe les pays qui ont pu mettre en place

de vastes programmes de privatisation en s’appuyant sur des structures institutionnelles

déjà bien développées comme la France ou le Royaume-Uni par exemple. Pour cette

catégorie de pays, la privatisation a eu un impact sur le développement de ces institutions

existantes, comme en témoignent les résultats de Boutchkova et Megginson (2000), relatifs

à l’impact des privatisations sur l’expansion du marché des capitaux. Cependant, la

privatisation a eu un impact moindre sur les caractéristiques institutionnelles nationales de

ces pays, comparativement à la seconde famille. En effet, cette dernière regroupe les pays

dont les institutions, notamment légales, ont subi d’importantes évolutions principalement

en raison de leur propre privatisation. La lecture institutionnelle de la privatisation au

Brésil proposée par Goldstein (1999) reflète l’intensité variable de ces changements

comme le souligne cette conclusion (p. 704) : « le pays (le Brésil) apparaît comme un cas

intermédiaire entre les « réformateurs révolutionnaires » comme le Chili11 ou la Nouvelle

Zélande et des pays comme l’Argentine et le Mexique où les ventes rapidement conclues

ont précédé à tort la consolidation des institutions » (NT)12. Ainsi, comme le soulignent

Bortolotti et al. (Op. cit.), l’intensité des privatisations varie selon les spécificités

institutionnelles nationales. En ce sens, certains pays pratiquent (ou ont pratiqué) des

privatisations d’envergure moindre que les précédents cas, limitées à un secteur (cas de

privatisation de monopole public accompagnée ou précédée d’une dérégulation) ou

limitées aux entreprises. Il s’agit alors des deux autres variantes de la privatisation.

11 Parmi les réformes essentielles du fonctionnement institutionnel chilien qui ont accompagné le programme de privatisation, citons la modification du système de retraite par répartition. Les actions des entreprises privatisées chiliennes ont constitué la base des instruments d’investissement nécessaires pour créer un système de retraite (compte de retraite individuel de capitalisation) gérés par des fonds privés. Comme le souligne Lüders (1996, p.198), parmi ces fonds de retraite privés, deux des plus importants ont été, au départ, détenus par des groupes étrangers. 12 « […] the country emerges as an intermediary case between the “revolutionary reformers” like Chile and New Zealand and countries like Argentina and Mexico, where the cart of fast sell-offs was put before the horse of institutional strengthening”.

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32

Le second type de privatisation touche un secteur entier. Certains pays comme la

Nouvelle-Zélande, la Roumanie, le Sri Lanka, l’Argentine, le Mexique, l’Italie, ou le

Royaume Uni ont entrepris des restructurations certes importantes, mais limitées en

général à un secteur, en accompagnement de la privatisation de leurs entreprises publiques.

Ce type de privatisation concerne donc un aspect plus réduit de l’économie,

comparativement au premier cas. Ainsi, la privatisation d’entreprise a conduit à la

modification de certains secteurs, notamment celui de l’énergie. Ce type de privatisation a

été précédé, par exemple, d’une « démonopolisation » telle que l’ont pratiquée la France,

l’Argentine ou le Royaume-Uni, respectivement dans le cas des privatisations de France

Télécom, de la compagnie pétrolière YPF, et des compagnies d’électricité et de l’eau13.

Cette catégorie particulière de privatisation renferme en définitive les privatisations

d’entreprises appartenant à secteur monopolistique domestique qui souvent s’accompagne

de la dérégulation sectorielle. On rencontre souvent dans la littérature une assimilation des

deux termes que nous préférons distinguer ici, les logiques étant différentes comme cette

recherche le démontre indirectement.

Enfin, la troisième acception générique de la privatisation est celle de l’entreprise. Elle

constitue l’objet central de cette recherche. Notons que dans certains contextes

institutionnels, elle peut s’inscrire dans un programme plus large de privatisation tels que

ceux envisagés précédemment. Cette acception au sens strict, par opposition aux sens

précédents, plus larges donnés à la privatisation, suppose le passage d’une entreprise

publique à une entreprise privée. Cette perspective met en jeu deux formes

organisationnelles. Le point de départ de l’analyse consiste en ce passage d’un état

organisationnel public à un autre état organisationnel, privé. Par conséquent, la

conceptualisation de la privatisation nécessite, au préalable, une définition de chacun de

ces états organisationnels et d’abord, d’une manière plus générale, de ce que l’on entend

par organisation.

13 Par exemple, le programme britannique de privatisation des compagnies d’électricité et de l’eau prévoyait préalablement à la privatisation, un morcellement des secteurs concernés. Le programme argentin relatif à la privatisation de YPF en 1993, s’inscrivait quant à lui, dans un programme plus large de dérégulation de l’industrie. Ces restructurations ont conduit le nouveau PDG de la société pétrolière, installé en 1990 par le gouvernement, à céder plus du tiers des actifs du groupe à des sociétés concurrentes. (Guislain, Op. cit., p. 112)

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33

1.2. La privatisation de l’entreprise : quelle interprétation de la firme ?

L’entreprise-organisation, tout comme le concept de privatisation, a été l’objet de

nombreuses interrogations. Les théories de la firme ont revu sous différents angles, cet

objet d’analyse, notamment depuis la décennie quatre vingt. La vision plurielle de

l’organisation est sans doute ce que l’on peut retenir des travaux récents qui l’ont replacée

au centre de la réflexion. Plusieurs ouvrages incarnent la pensée contemporaine de

l’organisation, en particulier de la firme, reconstruite à l’image de « l’hologramme »

comme le résume le titre de l’ouvrage de Morgan (1986), « Images of Organization ». La

méthode d’analyse que l’auteur propose consiste en une « métaphorisation » des

organisations qui « sont en général complexes, ambiguës et remplies de paradoxes », afin

« d’apprendre à composer avec cette complexité » (p. 8).

Cette approche renouvelée de la firme est une réponse à l’image restrictive qu’en

donnait la théorie néoclassique. Dans leur ouvrage intitulé « les nouvelles théories de

l’entreprise », Coriat et Weinstein [1995] consacrent une revue des différentes analyses

économiques de la firme en abordant les courants dominants actuels qui visent à

reconstruire la représentation de la firme longtemps « pensée comme un organisme réflexe,

plutôt que comme un acteur véritable » (p. 5). La relecture de la firme que les auteurs

proposent reprend les approches néoclassiques standards et standards élargies ainsi que les

approches hétérodoxes. Les auteurs reprennent tout d’abord, la conception néoclassique de

la firme, considérée comme la firme « point », fondée sur le modèle walrasien du

paradigme dominant de la théorie des prix et de l’allocation des ressources. Puis, dans la

perspective des théories contractuelles, la firme est réinterprétée comme un arrangement

institutionnel alternatif au marché qui revient aux travaux de Williamson, fondateur de la

nouvelle économie institutionnelle sur la base des travaux novateurs de Berle et Means

(1932) et Coase (1937). La firme prend alors une nouvelle signification, fondée sur une

approche contractuelle de la coopération entre acteurs. Cette conception de la firme est

alors le point de départ de l’analyse de sa structure et de son fonctionnement dans la

perspective de la théorie des droits de propriété et, dans son prolongement, la théorie

positive de l'agence. Les courants hétérodoxes, quant à eux, proposent une approche

évolutionniste de la firme, par opposition à la perspective de statique comparative des

précédentes approches. Egalement fondés sur le principe de sélection naturelle, ces

courants considèrent les aptitudes des organisations en matière d’adaptation sur le long

terme dans le cadre des apprentissages individuels et collectifs, et la construction de

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routines (Nelson et Winter, 1982). Les travaux d’Aoki (1990), fondés sur l’échange

d’informations et les mécanismes de coordination au sein de la firme japonaise, tentent

d’expliquer les innovations organisationnelles, créatrices de capacités d’apprentissage et

donc d’adaptation à un environnement instable. Enfin, les auteurs consacrent une lecture

finale à la théorie de la régulation qui rompt avec l’individualisme méthodologique,

considérant le lien entre microéconomie et macroéconomie. La firme est ici considérée

comme « l’expression d’un système juridique déterminé par un ensemble de règles qui lui

sont extérieures » (p. 185). Malgré leurs limites, ces différentes théories témoignent de la

tentative de réconciliation entre une vision réduite de la firme et la complexité qu’elle

recouvre, en explorant, chacune à leur manière, les liens entre le fonctionnement interne et

l’environnement de la firme.

Au regard de ces multiples modélisations de la firme, le trait caractéristique commun

repose sur le rôle actif de l’entreprise en tant qu’organisation. Milgrom et Roberts (1997)

en proposent une définition très générale. Selon ces auteurs, « les organisations

économiques sont des entités créées par des individus qui agissent en interaction en vue

d’atteindre des buts économiques, individuels et collectifs » (p. 28). En outre, notre

objectif repose sur l’explication de la structure et du fonctionnement de la firme dans le

contexte de sa privatisation. Nous retiendrons, parmi les interprétations théoriques

multiples de la firme, celle sur laquelle reposent les théories contractuelles et notamment la

théorie positive de l'agence, à l’origine du champ théorique du gouvernement d'entreprise

(Cf. infra chapitre 2 et suiv.). En effet, comme nous l’avons développé dans l’introduction

générale, la question de recherche que nous posons porte sur les modifications de

l’environnement contractuel de la firme, induites par la privatisation et les effets de ces

changements sur son architecture organisationnelle. Cet objectif reposant sur une

application de la grille de lecture de la théorie positive de l'agence, nous retiendrons en

conséquence la définition de la firme proposée par Jensen et Meckling (1976), sur laquelle,

d’une manière plus générale, sont fondées les théories contractuelles des organisations.

« La firme [est] une fiction légale qui sert de lieu de réalisation d’un processus complexe

d’équilibre entre les objectifs complexes d’individus (dont certains « peuvent » représenter

d’autres organisations) à l’intérieur d’un cadre de relations contractuelles ».

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A partir de cette perspective contractuelle de la firme, notre problématique pose la

question des traits distinctifs des firmes publiques et privées qui représentent les deux états

organisationnels impliqués dans le phénomène de privatisation.

Comme Glachant (1994) le démontre dans son analyse économique approfondie des

entreprises publiques, le terme « publique » recouvre des réalités multiples et hétérogènes,

allant de l’entreprise contrôlée par l’Etat, à de simples participations dans d’autres

entreprises, nationales ou étrangères (on parle alors de nationalisations silencieuses), en

passant par « le clivage commode entre deux situations de marché (secteur public

concurrentiel, secteur public monopolistique) »14. Bien qu’il n’existe aucune définition

officielle de l’entreprise publique, plusieurs esquisses permettent d’en définir les traits

caractéristiques. Une première tentative est celle d’un projet de loi déposé par le

gouvernement français devant l’Assemblée Nationale en 1948 (Bizaguet, 1992, p. 8). Ce

projet finalement avorté, proposait une esquisse de l’entreprise publique en distinguant la

situation de marché ou hors marché de l’entreprise publique mais sans la définir. Ainsi, ce

projet identifiait deux catégories :

- les entreprises publiques qui gèrent un service public d’intérêt général, un quasi-

monopole de droit ou de fait. Celles-ci ne peuvent être déclarées en liquidation

judiciaire ;

- les entreprises publiques soumises à la concurrence ou qui peuvent l’être.

En outre, le Traité de Rome, dans son article 90 sur la concurrence, ne fait que

mentionner l’entreprise publique15. Comme le relève Bizaguet, une première définition

européenne de la firme publique apparaît dans les années soixante avec la création de

l’association des entreprises publiques de l’Union européenne. Ainsi, selon le Centre

Européen de l’entreprise Publique (CEEP), celle-ci se définit comme « toute entreprise

dans laquelle l’Etat, les collectivités ou établissements publics, les autres entreprises

publiques, sont propriétaires séparément ou ensemble, directement ou indirectement d’une

part de capital dont l’importance soit, excède la moitié du capital de l’entreprise soit, tout

en restant minoritaire dans le capital, permettent du seul fait de son existence ou en se

conjuguant avec des droits spécifiques, à la puissance publique de disposer d’un pouvoir

effectif dans l’entreprise ».

14 Glachant (1994), p. 12 et aussi p. 21. 15 L’article 90 alinéa 1 du Traité de Rome stipule que « les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux exclusifs, n’édictent, ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent Traité… ».

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36

Dans le prolongement de cette définition, une directive européenne datant du 25 juin

1980 précise que l’entreprise publique est « une entreprise sur laquelle les pouvoirs publics

peuvent exercer une influence dominante du fait de la participation financière ou des règles

qui la régissent ».

Ces délimitations « officielles » du contour de l’entreprise publique permettent d’en

dégager les caractéristiques distinctives, notamment par rapport à son homologue privée.

Au premier abord, il apparaît, au sein de cet ensemble très composite de la réalité publique,

un trait universel, attaché à la détention du patrimoine (public) par des personnes publiques

(ou représentantes des pouvoirs publics telles que les tutelles ministérielles). Sur la base de

ce constat juridique, l’entreprise publique se caractérise par un rôle actif de l’Etat qui, par

un contrôle de droit, peut influer significativement sur la gestion stratégique de la firme.

Cette approche permet donc d’envisager des entreprises publiques au sein desquelles

peuvent coexister des actionnaires privés et l’actionnaire public. Toutefois, est entreprise

publique, celle au sein de laquelle ce dernier exerce un pouvoir dominant, c’est-à-dire

conserve le droit de contrôle sur la composition du capital et la nomination du dirigeant.

Cette définition générale de l’entreprise publique permet ainsi de prendre en compte la

diversité des natures économiques des entreprises publiques telle que la reflète la typologie

proposée par Glachant (Op. cit.). L’auteur identifie quatre types d’entreprise publique en

fonction du degré d’autonomie de gestion et de l’intensité dérogatoire des modalités

organisationnelles et institutionnelles (relatives par exemple, aux formes d’intervention des

tutelles publiques et aux relations intra-public au niveau desquelles sont définies les

orientations stratégiques et, où peuvent être arbitrés les conflits). Ainsi, l’auteur distingue

(par ordre décroissant d’autonomie de gestion et par ordre croissant d’intensité

dérogatoire) l’entreprise managériale à capitaux publics (en particulier, résultant de

certaines nationalisations, non réglementées du milieu des années 80, comme l’ex Rhône-

Poulenc par exemple), la Public Corporation (l’ex Régie Renault), la grande entreprise

nationale (comme EDF ou l’ex PTT), ainsi que l’unité administrative de production16. La

construction de cette grille analytique conduit Glachant à observer au-delà de

16 Nous renvoyons le lecteur aux schémas récapitulatifs de l’étude du positionnement de vingt entreprises françaises sur les deux dimensions de cette typologie proposée par Glachant, p. 75 (pour la dimension relative au degré d’autonomie de gestion) et p. 109 (pour la dimension relative aux modalités organisationnelles et institutionnelles), repris dans l’annexe 1.

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l’hétérogénéité des firmes publiques, les jeux d’adaptation de ces entités depuis les années

soixante (p. 148 et suivantes)17.

Symétriquement, l’entreprise privée peut se définir comme une entreprise sur laquelle

des agents privés exercent une influence dominante en matière de contrôle sur le

développement stratégique. A la manière de la démarche proposée par Glachant, on peut

envisager une typologie des entreprises privées. Dans une optique comparative des deux

types organisationnels publics et privés, cette typologie doit pouvoir prendre en compte

cette notion d’influence dominante du propriétaire sur laquelle la définition de chaque

entité est construite. Dans cette perspective, la prise en compte de la séparation

fonctionnelle entre les pouvoirs de gestion et de contrôle exercés par les propriétaires et/ou

les dirigeants est essentielle. Une application de cette distinction proposée à l’origine par

Fama et Jensen (1983a) a été menée par Charreaux et Pitol-Belin (1985a et b) afin

d’examiner le rôle et le fonctionnement du conseil d’administration français. Cette étude a

permis d’identifier trois groupes d’entreprises privées : l’entreprise managériale (à capital

diffus), l’entreprise à actionnariat concentré (la société contrôlée) et l’entreprise

familiale18. Nous verrons dans les chapitres suivants dans quelle mesure il est possible de

rapprocher les deux typologies sus mentionnées, l’objectif ici étant de cerner chaque corps

organisationnel.

En tant que passage d’un état organisationnel à l’autre, la privatisation d’entreprise

s’inscrit par conséquent dans un contexte organisationnel dynamique. D’après les

précédents développements, elle est susceptible de modifier l’influence exercée par les

pouvoirs publics au profit d’agents privés. En outre, la privatisation d’entreprise pouvant

revêtir différentes formes et, pour une même forme, différentes techniques, cette

modification du pouvoir de l’Etat sur le développement de la firme peut a priori se traduire

de manière différente, selon les cas de privatisation.

1.3. D’un concept multiforme à une définition générique de la privatisation

Le concept de privatisation est à l’image du nombre important de travaux qui lui sont

consacrés. La privatisation a fait l’objet de plusieurs interprétations qui privilégient une ou

17 Voir le schéma 3 qui modélise la typologie du secteur public en quatre niveaux et le schéma 4, qui met à l’épreuve ce modèle d’analyse dans 45 cas français au sein de cette typologie (p.147-149) en annexe 1. 18 L’annexe 6.6. de Charreaux et Pitol-Belin en résume les principales dimensions dans le cas français. Cf. p. 192, in Charreaux éd. (1997), voir annexe 2.

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plusieurs dimensions de ce phénomène telles que sa forme, les techniques de mise en

œuvre et/ou le degré de privatisation. Les développements suivants sont consacrés aux

diverses lectures de ce terme, rencontrées dans la littérature. Ils soulignent le continuum

auquel chaque perspective se rattache pour proposer finalement une définition générique

de la privatisation. Une première lecture qui reflète plutôt la vision européenne aborde la

privatisation sous deux angles complémentaires, celui des objectifs et celui du transfert de

propriété (1.3.1.). L’interprétation anglo-saxonne de la privatisation insiste davantage sur

les aspects de contrôle et de participation au financement par les pouvoirs publics (1.3.2.).

La troisième lecture reflète, à travers les diverses modalités de changement de propriété,

les dimensions communes des précédentes approches.

1.3.1. Une lecture par les objectifs et le transfert de propriété

Le rapport de «Thiemeyer» nous paraît refléter la complexité que recouvre ce concept

de privatisation. En 1984, à l’issue du Congrès international de l’économie publique

sociale et coopérative à Florence, portant sur le thème de la privatisation, Thiemeyer19

publie un rapport de synthèse dans lequel il recense quinze usages différents du terme

privatisation. L’auteur souligne ainsi les perceptions multiples de ce phénomène, souvent

attachées à la nationalité des intervenants scientifiques. Les conclusions de son rapport font

état de deux variantes principales de la privatisation, notamment la vision germanique et la

vision française. Pour la première, la priorité est donnée au transfert de droit de propriété

au secteur privé. La seconde met davantage l’accent sur la modification des objectifs de

l’entreprise publique (Thiemeyer 1986, p. 142). Parmi ces multiples perceptions de ce que

recouvre la privatisation, certaines sont également reprises, voire complétées par d’autres

auteurs qui privilégient parfois plusieurs acceptions. Le tableau suivant reprend les sens

très différents donnés à la privatisation d’entreprise ainsi que les variantes proposées par

Thiemeyer auxquelles ces différentes acceptions sont susceptibles d’être rattachées.

19 Président de la Commission scientifique du Centre international de recherche et d’information sur l’économie publique, sociale et coopérative (CIRIEC).

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Tableau 1 : Privatisation : un concept multiforme

Terminologie de la privatisation Transfert de droits

Modification des objectifs

Transfert d’un patrimoine public au secteur privé/ de la propriété et/ou du contrôle publics à la propriété et contrôle privés (Bance et Monnier 1996, Bös 1991, Boycko et al. 1996, Caves 1990, Hafsi et al.1992, Hanke 1987, Megginson et al. 1994, Thiemeyer 1986, Vickers et Yarrow 1991, Villalonga 2000)

X

Jeu de redistribution de rentes/ abandon crédible de rentes informationnelles aux entreprises privées (Laffont 1996, Schmidt 1990, Perotti 1995)

X

Transfert de certaines activités ou fonctions publiques au secteur privé (Clarkson 1989, Thiemeyer 1986,)

X

Démantèlement des monopoles d’Etat (Hafsi et al. 1992, Clarkson 1989, Thiemeyer 1986)

X

Réduction unilatérale du secteur des services publics en fonction de la nature et de l’importance de ceux-ci (Clarkson 1989, Thiemeyer 1986)

X

Passage à des formes juridiques relevant de droit privé (Thiemeyer 1986) X X Privatisation des ressources publiques = utilisation gratuite par les entreprises privées à but lucratif des forces productives, moyens de production, services et savoir-faire publics (coopération dans des filiales mixtes) (Thiemeyer 1986)

X X

Privatisation des revenus publics = mise à disposition du capital public en vue de créer des avantages régionaux (ex : mise à disposition de terrain à des conditions préférentielles) (Clarkson 1989, Thiemeyer 1986)

X X

Passage à une gestion privée orientée vers le bénéfice (Thiemeyer 1986) X Elargissement au niveau de l’autonomie de gestion des entreprises publiques (Thiemeyer 1986)

X

Débureaucratisation - assouplissement et adaptabilité de la gestion (Thiemeyer 1986)

X

Décentralisation, délégation de pouvoirs en matière de prise de décision, de planification et action / Stratégie de réduction des inefficiences publiques (Bance et Monnier 1996, Boycko et al. 1996, Caves 1990, Thiemeyer 1986)

X

Alignement des conditions dans lesquelles opèrent les entreprises publiques sur celles des entreprises privées (Thiemeyer 1986)

X

Promotion de la concurrence par des procédés de marché (Caves 1990, Clarkson 1989, Thiemeyer 1986, Yarrow 1986)

X

Adaptation des salaires, des conditions de travail et d’emploi aux conditions du secteur privé (Thiemeyer 1986)

X

Dénationalisation des entreprises publiques dans le cadre de la déréglementation et de la globalisation des économies (sens différent de la désétatisation) (Thiemeyer 1986)

X

Cet éventail de définitions de la privatisation permet de mettre en exergue les deux

dimensions relevées par Thiemeyer, le changement au niveau des droits et/ou des objectifs.

D’un bout à l’autre du spectre, on peut ainsi identifier la privatisation comme un transfert

complet ou partiel de l’actif public au domaine privé d’un côté, et une modification des

modes de gestion des ressources publiques et qui demeurent comme telles de l’autre. A la

première extrémité du spectre de la privatisation se trouve la cession d’actifs publics à des

agents privés (la cession de gré à gré par exemple). Au centre du spectre se trouve

l’exploitation des ressources publiques par ces mêmes agents comme par exemple, la

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concession. Celle-ci représente une forme hybride de la privatisation qui se traduit par

l’existence d’entreprise dite « mixte ». Enfin, à l’autre extrémité du spectre, se trouve

l’entreprise publique et l’instauration de modes de gestion plus décentralisée en son sein.

Ces différentes tentatives (qualifié de « zapping managérial »20) consistent à passer à la

mise en place de cercles de qualité (dans les années soixante dix) ou de centres de

responsabilités (dans les années quatre-vingt dix) dans les entreprises publiques21.

Dans une autre perspective, Clarkson (1989) propose une typologie particulière de la

privatisation dans le contexte américain des biens et services publics. Son analyse met

l’accent sur une variable différente mais non moins liée à celles précédemment examinées

qui, en définitive, la sous-tendent.

1.3.2. Le lien entre degré de privatisation et degré de contrôle

Clarkson recense les différentes formes de privatisation qu’il définit, d’une manière

générale, comme « les méthodes et stratégies de transfert de production ou d’offre de

services publics du gouvernement au secteur privé, au niveau national ou local »22 (NT).

L’auteur distingue neuf types de privatisation de la production de biens et de l’offre de

services publics. Nous proposons une retranscription de la typologie de l’auteur dans le

tableau suivant.

20 Terme employé par Gibert et Thoenig (1993) in Guyon (1997) p. 147. 21 Guyon (1997) propose une analyse critique de l’évolution de la frontière public-privé à travers plusieurs cas de « managérialisation du service public » plus ou moins réussie. 22 “Privatization [is] defines as methods and strategies designed to transfer the production or provision of public services from government to the private sector, at the state and local level”. Clarkson, (1989, p. 143).

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Tableau 2 : Typologie des privatisations, adaptée de Clarkson, (1989, p. 144-150).

Types de privatisation Dans le cas des biens et services publics

Secteurs d’activité principalement concernés

Contractualisation :Sous-traitance du service par les pouvoirs publics auprès d’une entreprise privée

Service liés à l’environnement, transport, santé et culture

Franchise : Octroi exclusif ou non du droit à fournir un service public particulier par le gouvernement à une firme privée dans une zone géographique délimitée

Santé, services individuels, culture, transports publics, travaux publics, parcs de loisirs

Subvention publique : aides (financière, matérielle…) aux firmes privées ou individus

Service aux personnes âgées, services individuels, culture

Coupons d’achat de service public : alloués aux citoyens afin de bénéficier d’un service public offert par des firmes privées concurrentes

Option de privatisation peu développée aux Etats-Unis, davantage en Pologne par exemple sur différents secteurs

Volontariat : Recrutement par le gouvernement de personnes volontaires (non rémunérées) chargées de l’offre de service public

Culture, parcs de loisirs, services aux personnes handicapées et âgées

Autogestion des besoins individuels au niveau local incitée par le gouvernement

Santé et services individuels

Incitation fiscale, régulation/ dérégulation par les pouvoirs publics : Développement de l’offre de services publics par les firmes privées, en régulant/dérégulant le marché ou en limitant la taxation des services offerts

Santé (hormis les soins minimaux), gestion des hôpitaux et transport ambulancier

Cotisation individuelle : fonction des services consommés par les bénéficiaires ainsi qu’en fonction de leur situation (cas des non résidents)

Transport, service d’ordures ménagères, services médicaux d’urgence, dépannage, surveillance

Cessation d’activité de service public par le gouvernement, au profit d’entreprises privées

Services de santé, individuels, sécurité publique, transports, travaux publics

Parmi ces diverses formes de privatisation, l’étude menée par Clarkson, conclut à une

prédominance, aux Etats-Unis, de la privatisation par contractualisation et franchise ainsi

que par la dérégulation de certains secteurs comme par exemple au sein des Etats, la

dérégulation des services d’urgence23. Le même constat peut être fait au Royaume Uni,

notamment dans le cas des privatisations des secteurs de l’électricité, du gaz, de la

distribution d’eau ou encore du secteur des télécommunications. Dans un programme plus

vaste de réformes économiques, certains pays d’Amérique latine ont procédé de la même

manière24.

En outre, l’auteur envisage pour chaque type de privatisation le degré de contrôle exercé

ou non par le gouvernement. Un rapprochement avec la participation gouvernementale au

financement de l’activité révèle que la contractualisation, la franchise, le système des

cotisations individuelles ou de coupons confèrent aux pouvoirs publics une influence (tant

en matière de contrôle que de participation au financement) plus importante et plus directe

sur les firmes privées (ou les individus) que dans les cas alternatifs de privatisation des

23 Cf. Clarkson [ 1989], p. 155 24 Cf. l’exemple de la compagnie pétrolière argentine YPF, p. 18.

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activités précitées. Nous proposons dans le tableau suivant une synthèse des relations entre

la forme de privatisation, le contrôle exercé par le gouvernement (direct ou indirect, et son

intensité25), et sa participation au financement de l’activité concernée.

Tableau 3 : Les formes de privatisation et l’influence des pouvoirs publics, le cas américain,

adapté de Clarkson, (1989, p. 143-194). Formes de

privatisation Degré/Nature du contrôle public Nature du financement public

Contractualisation

+++ / direct et indirect définit le nombre et les services que doit offrir la firme contractante /possibilité de contracter avec plusieurs firmes privées (concurrence)

Taxes, redevances

Franchise + ou - / direct

peut évaluer la performance ex post (prix, qualité du service) en fonction du service en franchise

-

Subvention

- mode de privatisation choisi lorsque l’activité est difficile à définir et à mesurer (anticipation de la demande, contrôle qualité)

Subvention financière, en équipement et

personnel, terrain et facilité de financement

Coupons d’achat de service public

+++ / direct et indirect limiter le coût de prise en charge par les pouvoirs publics, incite ainsi les individus à recourir aux services couverts entièrement par les coupons et les firmes privées concurrentes à offrir des prix compétitifs

Remboursement des coupons forfaitaires

aux firmes privées qui les reçoivent des

individus en échange de services

Volontariat - sanction éventuelle si abus par les personnes volontaires -

Autogestion - -

Incitation fiscale, Régulation ou Dérégulation

- contrôle par la loi (abolition de licence obligatoire dans certains secteurs - ex : taxi - pour favoriser la concurrence ou réglementation pour limiter celle-ci

-

Cotisation individuelle

+ / direct fixation variable des cotisations en fonction de la demande,

de la situation des individus, de la localité

-

Cessation d’activité au profit d’entreprises privées

- le choix des firmes à but lucratif ou caritatives dépend de la

nature du service

-

L’analyse de Clarkson souligne d’une part, la variété des formes de privatisation

d’entreprise, d’autre part, pour chaque cas, la nature et l’intensité du rôle des pouvoirs

publics. En ce sens, elle rejoint les conclusions de Thiemeyer relatives à la double

dimension du concept de privatisation c’est-à-dire le transfert de droits qu’elle caractérise

et le changement d’objectif(s) associé(s) à la nature et à l’intensité du contrôle des pouvoirs

publics. Ainsi, le passage de la firme publique à la firme privée peut conduire, dans les cas

25 +++ contrôle très élevé, + contrôle élevé, - contrôle faible ou néant

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les plus « faibles » de privatisation, à un contrôle encore très important des pouvoirs

publics sur la gestion de l’offre de services ou sur la production de biens, notamment dans

le cas de la contractualisation. A contrario, dans les cas les plus « forts » de privatisation,

notamment le cas de cessation d’activité par le gouvernement au profit de firmes privées,

l’influence des pouvoirs publics se réduit au minimum ou devient nulle.

Dans ce dernier cas, très particulier, de la neutralisation quasi complète des pouvoirs de

l’Etat, là encore des formes variées d’une telle privatisation sont observables. Il est alors

possible d’en donner une définition plus restrictive qui privilégie davantage l’aspect de

mise en œuvre. Toutefois, cette approche particulière de la privatisation, par les techniques

de mise en œuvre, permet de définir le continuum auquel chaque perspective se rattache.

Elle conduit ainsi à une définition finalement générique de ce phénomène organisationnel.

1.3.3. La diversité des modalités de changement de propriété : vers un continuum

En référence aux développements précédents, la privatisation au sens « fort » du terme

recouvre diverses techniques qui font ressortir l’ensemble des variables mises en évidence

par les précédentes lectures du concept. Denis-Judicis et Petit (1998, p. 9) envisagent la

privatisation comme « une opération de cession d’actifs publics (c’est-à-dire une vente au

profit des salariés ou bien des investisseurs nationaux ou étrangers), d’une part

(privatisation partielle), ou de la totalité d’une entreprise publique, d'autre part

(privatisation totale) ». Depuis ces vingt dernières années, à travers le monde, ce cas de

privatisation par vente d’entreprises d’Etat a atteint 400 milliards de dollars. Parmi les plus

célèbres, citons deux des plus importantes au monde, celle de Nippon Telephone and

Telegraph (NTT) en 198726 et Telebras, compagnie brésilienne des télécommunications en

juillet 199827, vendues respectivement pour 77 milliards (en trois tranches) et 20 milliards

de dollars.

Dans ce contexte particulier, deux techniques de vente peuvent être pratiquées

distinctement ou de manière complémentaire. D’une part, la privatisation de l’entreprise

peut se faire par voie boursière. Elle est généralement réalisée par offre publique de vente

mais d’autres procédés existent tels que l’offre publique d’échange, l’augmentation de

capital accompagnée d’une renonciation de l’actionnaire public à son droit préférentiel de

26 Megginson, Nash et Van Radenborgh (1994), relèvent que la capitalisation boursière de NTT à son plus haut niveau à la fin de l’année 1987, a atteint plus d’un tiers de trillion de dollars (p. 416). 27 MTF, L’AGEFI, n°101, Octobre 1998.

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souscription ou la mise en bourse d’une partie du capital ou de filiales d’entreprises

publiques28. D’autre part, la privatisation peut s’effectuer hors marché. Elle consiste en une

opération de cession de gré à gré à un prix déterminé d’une partie ou de la totalité du

capital à un ou plusieurs investisseurs sélectionnés. Cette technique de vente d’une

entreprise d’Etat est couramment pratiquée dans les pays en développement, d’Europe de

l’Est et, plus exceptionnellement, dans les pays industrialisés. Elle répond à des contextes

institutionnels et d’entreprise très particuliers qui conduisent le cédant public à opter pour

cette procédure qui, pourtant, est sujette à de fortes critiques, notamment d’absence de

transparence.

La spécificité de cette technique de vente repose sur la volonté de prendre en compte

d’autres critères que les seuls aspects financiers de l’entreprise à céder. En particulier,

concernant les pays en développement ou de l’Est, en raison de la situation économique

très dégradée des entreprises et du développement limité du marché financier, le faible

nombre d’acheteurs potentiels et les risques encourus limitent la réussite d’une OPV. La

sélection hors marché d’un ou plusieurs investisseurs présente des chances de réussite plus

grandes dans la mesure où le choix des investisseurs par l’Etat est guidé par leur capacité à

pouvoir restaurer la situation financière de l’entreprise concernée. En outre, dans les pays

industrialisés, cette procédure, parfois appliquée dans un contexte identique, est utilisée

plus fréquemment dans le cadre de la poursuite d’une stratégie industrielle et/ ou nationale

par l’Etat. En France, par exemple, la négociation avec certains repreneurs a permis de

mettre en place un cahier des charges prévoyant le maintien de certaines activités, ou la

conservation des titres par les repreneurs pendant une période déterminée afin de stabiliser

le contrôle. Un autre objectif, attaché à cette technique, est celui de la volonté

gouvernementale d’orienter le développement industriel national en favorisant les

synergies entre entreprises. Cette procédure est à l’origine de la spécificité française des

noyaux durs d’actionnaires partenaires. Ces derniers, appelés aussi groupes d’actionnaires

stables ou partenaires (GAP), résultent de la négociation hors marché entre le

28 L’OPV peut être à prix fixe ou avec constitution de livre d’ordre. En France par exemple, la première vague de privatisation en 1986 et 1987 a été organisée sous la première forme. La deuxième vague (à partir de 1993), quant à elle, a consisté à favoriser l’ajustement des prix à la demande de titres par application de l’offre à prix ajustable, en deux phases, le pré-placement (pour les personnes physiques et la construction du livre d’ordre - book-building - pour le placement auprès des institutionnels français et étrangers) et la vente. La BNP a été la première entreprise française a être introduite en bourse par la procédure du pré-placement, en octobre 1993 et plus récemment la privatisation de France Télécom a suivi la même procédure en fixant une fourchette de prix indicative pour le pré-placement de 170 francs à 190 francs, aucun titre n’étant coté lors de la mise en bourse du groupe des télécommunications.

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gouvernement et les investisseurs sélectionnés29, comme cela a été récemment le cas lors

de la préparation de la banque Hervet à sa privatisation. Cette technique du GAP a

toutefois dépassé nos frontières. On la retrouve notamment en Espagne où parmi les

actionnaires et partenaires industriels stables d’Iberia, privatisée partiellement en 1999,

figurent Altadis, Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, ou encore British Airway (Le Monde,

20-03-01).

Enfin, la procédure hors marché peut aussi concerner le rachat de l’entreprise publique

par ses salariés. Peu pratiquée, cette technique de vente de l’entreprise publique a été

choisie, notamment au Royaume Uni dans le cadre de la privatisation de National Freight

Consortium en 1982. L’Institut de Développement Industriel est la seule entreprise

française à avoir été rachetée par ses salariés sous forme de LBO, dans le cadre de la mise

en œuvre de sa privatisation en 1987.

En définitive, parmi les multiples formes et techniques de mise en œuvre de la

privatisation d’entreprise, la vente partielle ou totale de celle-ci sur le marché boursier ou

de gré à gré constitue une des opérations de privatisation les plus couramment pratiquées.

Celle-ci a contribué fortement au développement des marchés financiers nationaux et à leur

globalisation30. Cette perspective de la privatisation insiste davantage que ne le fait

Clarkson dans le contexte américain, sur le lien entre le passage de l’entreprise publique à

l’entreprise privée et la structure de propriété. Plus qu’un simple transfert des seuls droits

de production ou d’offre de services des pouvoirs publics aux acteurs privés, la

privatisation d’une entreprise publique, dans sa forme la plus absolue (la vente à des

acteurs privés) se définit comme « un transfert partiel ou total des actifs ou des fonctions

de service, de la propriété ou du contrôle publics vers la propriété ou le contrôle privés »

(Hanke, 1987). En outre, cette dernière interprétation concilie les diverses acceptions de la

privatisation, notamment celles recensées par Thiemeyer, dans la mesure où celle-ci

29 Citons à titre d’illustration, le cas Elf Aquitaine dont les actionnaires de référence, en février 1994 sont la BNP, AXA-UAP, Crédit Agricole, UBS et Albert Frère. En outre, le groupe pétrolier est lui même membre du noyau dur de plusieurs entreprises privatisées, comme la BNP et Renault. (Cf. A. Goldstein 1996, p. 1327 et X. Denis-Judicis et J.P. Petit 1998, p. 73, pour une synthèse du cas français). Le pacte d’actionnaires, signé lors de la privatisation a pris fin le 14 février 1999. Dès lors, les membres du groupe d’actionnaires partenaires (correspondant à 3,8% du capital) sont déliés de leur droit de préemption réciproque. (les Echos, 15 et 16 janvier 1999). 30 X. Denis-Judicis et J.P. Petit soulignent la « forte augmentation des transactions sur valeurs françaises en Bourse de Paris » au cours de la période qui a entamé le second programme de privatisation en France. Le volume moyen des transactions quotidiennes a augmenté de plus de 42% entre 1992 (2,6 milliards de francs) et 1993 (3,7 milliards de francs). L’ouverture du capital de France télécom en octobre 1997, s’est traduite par 3,8 millions d’actionnaires individuels, record également établi par Paribas en 1987 (p. 72-73).

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intègre simultanément le changement de propriété des actifs et le changement des objectifs

attachés à la nature des contrôles. En ce sens, la privatisation d’entreprise, d’une manière

générale, constitue une transformation organisationnelle avec pour origine une

modification de la propriété au sens large. Notre champ d’investigation portant sur la

privatisation au sens fort du terme (la vente d’entreprise publique), dans ce chapitre, nous

retiendrons comme définition de la privatisation celle proposée par Bös (1991) qui

considère la privatisation comme « le transfert partiel ou total de l’entreprise, de la

propriété publique à la propriété privée ».

Telle que nous venons de l’appréhender, la privatisation pose donc la question de la

structure organisationnelle publique et de sa remise en question. Dans le développement

qui suit nous abordons l’argumentation théorique traditionnelle construite sur les

caractéristiques stricto sensu de la propriété, en particulier de la propriété publique.

L’objectif de cette section est d’appréhender les principales caractéristiques de la propriété

publique et, de là, l’analyse fondatrice du débat sur la relation privatisation/performance.

Le développement suivant porte ainsi sur les effets de la privatisation sur la structure de

propriété publique et leur impact sur la performance. En réponse aux constats empiriques

fondés globalement sur cette première approche, le chapitre 2 abordera les réponses

théoriques complémentaires à cette hypothèse centrale de l’approche traditionnelle du lien

entre propriété et performance.

Section 2 : Un lien positif entre privatisation et performance : la propriété comme

variable intermédiaire

Comme les développements précédents l’ont démontré, le concept de privatisation

recouvre diverses réalités. Toutefois, la définition que nous en avons retenue rejoint celle

sur laquelle la plupart des travaux sont fondés. Cette perspective générique de la

privatisation est associée à la problématique des relations entre propriété et performance.

En effet, qu’il s’agisse des conclusions des travaux empiriques ou du discours des

partisans de la privatisation d’entreprise, force est de constater le lien généralement positif

entre privatisation et performance de la firme (cf. infra section 3). La neutralité de la

propriété (propriété publique ou propriété privée) en termes d’efficience semble, a priori,

être réfutée à la fois par l’observation de terrain ainsi que par les approches théoriques

traditionnelles sous-jacentes. Celles-ci envisagent le lien entre privatisation et performance

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et, plus spécifiquement, entre la nature de la propriété et l’efficience organisationnelle. Ce

dernier lien est à la base du débat abordé par ce premier chapitre sur le rôle de la propriété

dans la performance. Les fondements de l’analyse des droits de propriété sont au cœur de

cette problématique vers laquelle convergent les diverses composantes de l’approche

contractuelle de la firme.

Ainsi, à partir des apports initiaux de la théorie des droits de propriété31, nous

aborderons un premier angle d’analyse. Son objet relève des implications de la

privatisation sur la structure de propriété publique en termes d’efficience (2.1). Une

seconde perspective, fondée sur les objectifs liés au type de propriété permet

d’appréhender les effets positifs de la privatisation par rapport à la recherche de rente

individuelle qui paraît, a priori, plus coûteuse au sein des firmes publiques

comparativement à leurs homologues privées (2.2). Ce deuxième angle d’analyse combine

les apports premiers de la théorie des droits de propriété et certains aspects développés par

la théorie du Public Choice. Chacune de ces perspectives, dans leur paradigme respectif, le

principe d’efficience pour l’une, la recherche de rente pour l’autre, tente d’expliquer

pourquoi la privatisation améliore la performance de la firme.

2.1. Propriété publique et privatisation

La section précédente a permis de cerner le concept multiforme de la privatisation que

l’on peut dès lors, envisager comme un phénomène organisationnel particulier. La

définition que nous en avons retenue met l’accent sur la modification de la propriété de la

firme dans sa nature et dans sa structure, par son transfert du public au privé. En ce sens,

comme nous l’avons évoqué auparavant, l’analyse du concept de privatisation est une

manière particulière de poser la question de la forme organisationnelle et, dans ce cas

précis, de sa propriété. Afin de comprendre les liens entre privatisation et performance, il

est donc nécessaire d’envisager dans un premier temps ce que l’on entend par propriété de

l’entreprise à l’appui des apports théoriques qui la sous-tendent. La définition de la

propriété ainsi cernée permettra, dans un deuxième temps, d’analyser les arguments relatifs

aux effets de la privatisation sur la propriété publique ainsi que les conséquences de ces

modifications de la propriété sur l’efficience de la firme, tels que les ont abordés plusieurs

31 Nous aborderons dans le chapitre 2, la branche plus récente de la TDP qui, avec d’autres approches théoriques complémentaires, notamment avec la théorie des coûts de transaction a permis d’approfondir la question de la performance organisationnelle telle que la privatisation la pose au regard de la nature de la propriété.

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auteurs. A l’origine du débat sur la privatisation, cette problématique est envisagée à partir

d’une approche traditionnelle exogène de la théorie des droits de propriété (désormais

TDP). Nous allons envisager dans cette section les apports initiaux de cette approche.

D’une manière générale, le propriétaire d’un actif est celui qui a le droit ou le pouvoir

d’en disposer c’est-à-dire de consommer, d’échanger ou d’obtenir un revenu de cet actif

détenu (Barzel, 1997). La TDP se propose, à l’origine, d’analyser les formes de propriété

privée, communale, collective, publique, mutuelle (Furubotn et Pejovitch, 1972) et

d’expliquer l’incidence d’un système de droits de propriété donné sur le comportement

individuel ainsi que sur le fonctionnement et l’efficience d’un système économique (Coase,

1960, Demsetz, 1966). Contrairement à d’autres théories, elle n’est pas attribuée à un

auteur particulier32. La TDP, fortement liée à l’histoire de l’homme, est d’abord une théorie

générale des relations sociales et des institutions (Coriat et Weinstein 1995, p. 80) qui s’est

construite à travers l’histoire à partir de points de rupture, notamment au niveau

institutionnel33. On distingue ainsi les «droits économiques» (economic property rights)

des «droits légaux» (legal property rights), tels que les textes de loi, les normes ou la

constitution d’un pays. Barzel (1997, p. 3) définit d’ailleurs les premiers comme «les fins

[…] alors que les [seconds] sont les moyens pour parvenir à ces fins». Cette théorie est

construite sur la base d’apports de juristes et d’économistes dont les contributions font de

cette théorie une approche multidisciplinaire de la propriété (Amann, 1999). Dans le cadre

des sciences de gestion, sa contribution importante aux théories de la firme peut être

associée, au départ, aux travaux de Berle et Means (1932). En effet, ces auteurs ont porté

leur attention sur la révolution en marche des entreprises managériales (quasi public

corporation) caractérisée par la séparation des propriétaires de la firme et de ses managers.

Dans la lignée de ces auteurs, les travaux qui ont suivi ont porté leur attention sur les

conséquences d’une telle séparation en matière d’efficience, relativement aux coûts

32 Notre développement précédent sur la conception renouvelée de la firme témoigne des différentes approches qui sont rattachées nominativement à certains auteurs pour leurs travaux. Plus généralement les théories économiques, modernes ou non sont très souvent associées à des auteurs bien particuliers tel que A. Smith et la théorie libérale de l’économie. 33 Une explication de l’essor économique qu’a connu l’Angleterre, où est née la révolution industrielle, se trouve notamment dans l’ouvrage de North et Thomas (1973), The Rise of the Western World : A New Economic History. La volonté politique du parlement d’inciter et de développer les inventions en matière industrielle s’est traduite par l’abolition du droit monarchique sur la distribution des privilèges d’exploitation industrielle et commerciale. Ce changement institutionnel a permis d’instaurer un « monopole de l’inventeur » qui dès lors est propriétaire de son invention, détenant à ce titre les droits d’en disposer et d’appropriation exclusive des gains qu’il peut retirer de son utilisation (B. Amann, 1999 p. 13 et 14).

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organisationnels générés par une telle séparation des droits de propriété au sens

économique34.

Cette théorie explicative de la propriété propose une approche des relations

interindividuelles fondées sur un échange libre de droits de propriété dans un univers

d’incomplétude informationnelle et où la rationalité des agents est limitée35. Les droits de

propriété sur un actif correspondent à «la capacité d’un individu de pouvoir consommer le

bien (ou les services attachés à ce bien) directement ou de le consommer indirectement à

travers l’échange» (Barzel, 1997, p. 3). Selon cette approche, les individus échangent les

droits qu’ils détiennent dans l’objectif de maximiser leur utilité individuelle (composée

d’arguments monétaires et/ou non monétaires), en minimisant en outre, les coûts

contractuels liés à l’échange et compte tenu des contraintes institutionnelles. Ainsi, une

forme organisationnelle efficiente est celle pour laquelle la structure de propriété (issue de

la manière dont ces droits sont définis et répartis) permet de minimiser l’ensemble des

coûts de transactions qui sont issus de l’ensemble des relations de la firme avec ses

partenaires (Hansmann, 1988, p. 273 et suiv.). En conséquence, un système de droits de

propriété efficient permet au(x) détenteur(s) de ces droits de les utiliser le plus

efficacement. Un tel système de propriété dépend de la capacité de chaque cocontractant à

minimiser les coûts contractuels dans un contexte d’incertitude. Or, le comportement de

ces participants est influencé par deux attributs essentiels qui sont rattachés aux droits de

propriété : leur exclusivité et leur cessibilité (Furubotn et Pejovitch, Op. cit.). Selon

l’approche exogène des droits de propriété, dans un contexte d’incomplétude des contrats,

leur délimitation (ou degré d’atténuation) détermine l’efficience de la propriété. En effet, la

transférabilité des droits permet à son détenteur de procéder à des arbitrages

(cession/acquisition) afin de les valoriser au mieux (en particulier en cas de changement de

circonstance imprévu). Ainsi, lorsqu’un individu ne peut pas céder son droit de propriété

sur un actif qu’il n’est pas (ou n’est plus) à même d’exploiter au mieux (par manque de

compétences, de temps relatifs à son usage, par exemple), alors ce propriétaire ne peut

bénéficier de l’échange de ce droit (sous valorisé) au profit d’un droit pour lequel il est à

34 En effet, cette révolution de fait a provoqué une révolution chez les théoriciens de la firme. Cette effervescence qui a nourri l’économie des contrats, fait l’objet, depuis quelques années, d’un exercice de synthèse comme en témoigne le volume 26 du Journal of Law and Economics, de juin 1983 ou plus récemment, le numéro spécial de la Revue d’économie industrielle sur « [l’]économie des contrats : bilan et perspectives », n°92, 2000. 35 Nous reprendrons dans le chapitre suivant les hypothèses fondatrices de cette théorie ainsi que des autres théories contractuelles, l’objectif, ici, étant de reprendre les arguments initiaux de sous-efficience des droits de propriété publique.

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même de se spécialiser (dans une activité où il peut tirer de l’usage de l’actif nouvellement

détenu, une valeur supérieure à celle qu’il aurait pu obtenir de l’exploitation du droit

précédent) (Alchian, 1965). Cette caractéristique permet de comprendre la fonction sociale

du droit de propriété. La cessibilité d’un droit conditionne l’allocation optimale des

ressources et de leur usage entre les individus et influe par conséquent sur l’efficience du

système économique (Amann, p. 21-22). Celle-ci dépend par ailleurs du second attribut des

droits de propriété, l’exclusivité. Elle se définit par rapport aux gains ou aux pertes

assumés par le détenteur d’un droit exclusif. Ces créances ou dettes «nettes» peuvent être

monétaires ou relatives aux variations d’utilité de l’individu concerné par les décisions qui

affectent l’actif détenu36. Cet attribut incite le propriétaire, à condition que ce dernier soit

bien identifié ou autrement dit que l’exclusivité soit totale, à protéger (par la mise en place

ou le support de certains mécanismes de contrôle ex ante ou ex post) et à valoriser ses

droits en rapport avec sa propre utilité. Lorsque l’exclusivité relative à la

« consommation » d’un actif est mal définie ou partielle (ce qui est le cas dans un univers

d’information imparfaite), alors l’usage de cet actif génère des externalités supportées

socialement et non plus par celui qui les a «provoquées» (Demsetz, 1967; Coase, 1960). En

ce sens, ce dernier n’est pas le responsable exclusif des pertes (ni des gains) générées par

l’actif associé à ce droit. Ainsi, le comportement de maximisation de la valeur d’un actif et

des droits de propriété sur celui-ci dépend de leur nature (transférable et exclusive).

Sur le plan conceptuel, il existe dans le débat actuel deux conceptions concurrentes du

lien entre propriété et performance (Charreaux, 1991). La première considère la structure

de propriété (allocation de droits de propriété) comme une variable explicative

fondamentale de la performance alors que la seconde privilégie sa neutralité. La première

perspective se décline en deux thèses différentes. L’une d’elles, initialement développée

par Berle et Means, privilégie la convergence des intérêts entre les propriétaires et les

dirigeants. L’hypothèse sous-jacente est fondée sur l’idée que l’objectif du dirigeant

propriétaire converge vers celui des autres actionnaires alors que le dirigeant non

propriétaire aura tendance à réaliser des objectifs qui divergent de la maximisation de la

valeur actionnariale. Dans cette perspective, la propriété est un facteur explicatif de la

36 L’exemple typique est celui de l’actionnaire, détenteur de titres. En tant que propriétaire, il assume les conséquences des décisions de gestion qui peuvent être positives ou négatives. Un gain monétaire évident est celui qui est associé au dividende ou à la plus value potentielle sur le titre. Un exemple récent de perte résiduelle en partie non monétaire, susceptible d’affecter l’utilité de l’actionnaire, est celui des conséquences écologiques du naufrage de l’Erika. Cet incident peut en effet représenter, pour l’actionnaire de Total Fina (Elf), une perte résiduelle selon les attributs de sa fonction d’utilité.

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performance et, notamment de la sous performance des firmes dont la structure de

propriété n’intègre pas le dirigeant. La seconde thèse, moins contrastée, défend l’hypothèse

d’enracinement du dirigeant. Si celui-ci est propriétaire, il peut être en position dominante

au sein de la structure de propriété et de ce fait, il peut privilégier une politique contraire

aux intérêts des autres propriétaires, qui peut alors conduire à une performance

« actionnariale » inférieure. C’est dans cette optique que Morck, Shleifer et Vishny (1988)

concluent à la prédominance de l’une des deux thèses sur l’autre, selon le périmètre de

propriété du dirigeant.

La deuxième conception, endogène, privilégie quant à elle, la neutralité de la propriété.

Cette perspective revient à Demsetz (1983) qui considère que les conditions

environnementales influent sur la structure de propriété. En ce sens, la liaison entre la

performance et le type de propriété n’a alors de sens que si cette dernière est considérée par

rapport aux contraintes internes et externes à la firme. La propriété alors sélectionnée est

celle qui paraît la plus efficiente compte tenu des contraintes environnementales. Dans

l’approche endogène, ce n’est donc pas la variable propriété qui détermine le niveau

d’efficience de la firme, l’une et l'autre étant déterminée simultanément. Ces conclusions

divergentes sur la même problématique trouvent peut être un terrain d’entente dans

l’analyse que propose Charreaux (1991). En intégrant les limites des premières approches,

notamment sur la notion de performance et sur la nature du lien entre les deux variables,

Charreaux conclut à la plausibilité de la thèse de la neutralité et de la thèse de la

convergence d’intérêt, dans le cas français, l’une prévalant sur l’autre selon

respectivement, les critères de performance actionnariale et de valeur économique de la

firme. Ainsi, selon les critères de performance considérés, les deux conceptions du lien

entre propriété et performance (lien positif ou neutralité) paraissent fondées d’après les

faits.

Toutefois, ces analyses sont consacrées aux entreprises privées, dont les structures de

propriété varient d’une entreprise à l’autre. Or, dans le cadre de notre recherche, la

question qui se pose est celle du lien entre nature de la propriété (publique ou privée) et

performance. Dans cette perspective, le développement suivant envisage les apports

possibles de ces précédents travaux au cas particulier de la privatisation.

Dans le cadre spécifique de la privatisation, l’analyse traditionnelle de la propriété et les

observations empiriques (comme nous l’exposerons dans la section 4) semblent

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généralement37 converger vers l’hypothèse du rôle effectif de la propriété dans la

réalisation de la performance. L’hypothèse centrale est la suivante : le système de propriété

publique étant sous-efficient, la privatisation améliore donc la performance de la firme.

Ainsi, le changement de nature de la propriété au profit de la propriété privée est

susceptible d’influer positivement sur la performance de la firme. A l’appui des apports

initiaux de la TDP, l’argument théorique avancé repose sur les effets positifs du

changement de propriété sur la minimisation des coûts organisationnels. Dans le cadre de

l’approche du lien positif entre propriété/performance, la modification de la nature de la

propriété induite par la privatisation implique plusieurs conséquences en termes de

minimisation de ces coûts. Ces implications sont attachées à la nature des droits de

propriété publique.

Comme le développement précédent le souligne, l’efficience d’un système de propriété

repose en partie sur la transférabilité des titres. Or la propriété publique se distingue de la

propriété privée par l’absence de cet attribut. En effet, le propriétaire public ne peut céder

spontanément et librement ses titres sauf à prévoir une autorisation par voie législative et

donc dans le cas exceptionnel de privatisation38. En ce sens, le comportement du

propriétaire public se distingue de celui du propriétaire privé. Ce dernier, à l’inverse du

premier, peut dans la forme de propriété privée la plus pure39, céder librement ses titres si

la cession représente le choix le plus efficace de valorisation de ses droits ou exercer, via le

marché des capitaux, un contrôle sur le comportement du dirigeant. Dans le cas particulier

des grandes sociétés, le propriétaire public ne peut donc pas s’appuyer sur le marché

financier qui constitue un moyen de protéger et de valoriser ses droits de propriété,

notamment par la cession et la diversification des titres de son portefeuille. A cet égard,

Vickers et Yarrow (1991) décrivent la logique sous-jacente liée à la nature de la propriété.

L’existence d’un marché financier (dont l’efficience peut être plus ou moins forte) incite le

propriétaire à protéger les droits qu’il détient, notamment par les informations fournies par

ce mécanisme de marché (révélateur d’informations). Le prix d’échange des actions révèle

37 Nous verrons dans la section 4 que certains auteurs privilégient une perspective plus proche de la thèse de la neutralité qui prend en compte les contraintes internes et surtout externes (liées aux pressions du marché des biens et services). 38 Ainsi, les droits absolus (ou légaux) « neutralisent » les qualités de transférabilité des droits économiques dans le contexte de la propriété publique. L’article 34 alinéa 9 de la Consitution française prévoit que « la loi fixe les règles concernant les nationalisations d’entreprises et les transferts de propriété d’entreprise du secteur public au secteur privé ». Plus particulièrement, deux lois en France ont organisé les privatisations, celle de 6 août 1986 et du 19 juillet 1993. 39 Notons en effet, que le degré de transférabilité des titres varie selon les formes de propriété privée. Plus élevé dans les sociétés managériales, il est réduit dans les sociétés familiales ou selon la nature des titres, en particulier lorsqu’ils sont attachés à l’obligation de conservation sur une période donnée.

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en effet les informations concernant les décisions du management. Les actionnaires

peuvent, via ce mécanisme spontané de contrôle, encadrer à moindres coûts, le

comportement du dirigeant comparativement au propriétaire public dépourvu d’un tel

mécanisme de contrôle, toutes choses égales par ailleurs. Vickers et Yarrow (Op. cit.)

identifient ainsi un premier effet positif de la privatisation en termes de minimisation des

coûts de contrôle par le propriétaire sur le dirigeant, en particulier par l’introduction du

rôle du marché des capitaux : « La privatisation modifie les moyens de contrôle.

Notamment, les pressions exercées par le marché sont rétablies» (NT, p.115) 40. De plus,

associé à un marché financier actif, le mécanisme disciplinaire de prise de contrôle par une

autre firme en cas de mauvaise performance est absent du dispositif des droits de propriété

publique non transférables. Enfin, si l’on considère les citoyens comme les réels

propriétaires publics (comme dans le cas de la firme socialiste, Simon et Tezenas du

Montcel, 1977), contrairement aux actionnaires privés, ceux-ci ne peuvent librement et

spontanément céder à l’acquéreur potentiel leurs titres de propriété publique (Caves, 1990).

En ce sens, ils ne peuvent procéder à un arbitrage réel nécessaire à la valorisation de leur

droit. Une alternative possible est celle du droit de vote en tant que citoyen. Toutefois, par

opposition au droit cessible des actionnaires privés, le droit de vote n’est pas spontanément

« exerçable » dans la mesure où, d’une part, il est corrélé aux échéances électorales,

d’autre part, son pouvoir réel est limité en raison du nombre d’électeurs. Dans cette

perspective, Caves souligne que les risques éventuels de comportement de free-riding par

certains citoyens, limitent le pouvoir attaché à ce droit tout comme celui des actionnaires

dans la firme managériale.

En outre, l’exclusivité attachée à un système de droits de propriété efficient est absente

de la propriété publique dans la mesure où les détenteurs de droits publics, entendus

comme l’Etat (les gouvernants) ou les collectivités publiques, n’assument pas directement

la prise de risque associée à l’exercice de ces droits (perte ou gain). L’incitation des

propriétaires à valoriser ces droits et à encadrer le comportement des managers paraît donc

moins forte que celle des actionnaires privés (Vickers et Yarrow, Op. cit.). De plus, comme

le fait Caves (1990) en reprenant l’analyse de Peltzman (1971), si les citoyens

contribuables sont censés incarner les propriétaires publics alors, chacun, individuellement,

assume les gains ou les pertes réalisés par la firme publique. La transférabilité des titres

n’étant pas attachée à ce type de propriété, ces derniers sont confrontés aux mêmes

40 « Privatization alters the means of monitoring behavior. In particular, capital market pressures may be brought to bear ».

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impuissances, analysées précédemment, en matière de contrôle du comportement des

hommes politiques élus et a fortiori des dirigeants publics. Ainsi, la nature faiblement

incitative des droits de propriété des citoyens limite leur effort de contrôle de l’usage des

ressources ainsi que leur valorisation. De plus, assimilés à un actionnariat diffus,

l’ensemble des citoyens pour chaque entreprise publique étant particulièrement important,

la part de risque assumée par chacun est relativement faible.

On retrouve ainsi des conclusions analogues à celles issues de l’application de la TDP à

un actionnariat privé diffus. Appliquée à la firme publique, elle présente cependant des

nuances importantes bien que dans les deux cas, les conclusions soient relativement

convergentes avec la thèse de la convergence. Notamment, l'assimilation de la firme

publique à la firme managériale est restrictif. En réalité l’Etat (ministère ou collectivités),

plus que les citoyens, est en position d’exercer ses droits en tant que propriétaire public,

conformément à la définition retenue de la firme publique. Ainsi, en accentuant les traits,

l’entreprise publique peut être considérée à la fois comme managériale et à actionnariat

dominant, selon que l’on considère les citoyens ou les pouvoirs publics notamment

ministériels, comme les réels propriétaires. Cette ambiguïté souligne l’importance d’une

définition de la propriété fondée sur le pouvoir décisionnel résiduel et sur le pouvoir

d’appropriation de la rente résiduelle. Elle se caractérise par une propriété aux attributs de

transférabilité et d’exclusivité fortement atténués, comparativement à la propriété privée et

à la firme managériale. Au-delà de l’analogie avec la firme privée, cette approche de la

propriété publique conclut par conséquent, à une sous-efficience de la propriété publique

comparativement à la propriété privée. De plus, la performance des entreprises publiques

dépend des objectifs de ses propriétaires. En ce sens, l’efficacité économique ne constitue

qu’un des attributs de leur utilité. Contrairement à celle des actionnaires privés41, celle-ci

n’est ni homogène ni exclusivement déterminée par la performance « actionnariale » des

entreprises dont l’Etat et/ou les citoyens sont propriétaires. Au regard de cette approche à

partir des fondements de la TDP, la sous-efficience de la propriété publique trouve ses

origines dans l’ambivalence du statut de propriétaire et dans l’atténuation des droits

publics. On peut, de manière volontairement provoquante, associer à la sous-efficience de

41 De même que le degré de transférabilité de la propriété privé est variable, le degré d’homogénéité de la fonction d’utilité des actionnaires privés varie également, notamment en fonction de la structure concentrée ou diffuse de l’actionnariat. Il apparaît toutefois qu’à forme comparable, la firme publique soit à la marge, caractérisée par des objectifs dont la contradiction peut davantage nuire à l’objectif de productivité qui domine dans la firme privée. Nous aborderons ce point dans les développements suivants.

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la propriété publique des tendances schizophréniques en raison de cette ambivalence qui

ressort, par ailleurs, de la structure cumulative de ses objectifs.

En définitive, la privatisation, notamment par OPV, réduit l’atténuation des droits de

propriété en instaurant d’une part le caractère cessible des titres, d’autre part, en

augmentant le pouvoir d’action des citoyens lorsque ceux-ci souscrivent librement, à

l’opération de vente. Ainsi, la modification de la nature des droits de propriété

s’accompagne parallèlement d’un changement du comportement des propriétaires plus

incités à protéger et à valoriser leurs droits. Au regard de cette analyse, le transfert de

propriété et de contrôle des agents publics vers les agents privés semble octroyer aux droits

de propriété concernés, les qualités d’exclusivité et de transférabilité, nécessaires à

l’efficience d’un système de propriété en univers d’incomplétude contractuelle.

Un second argument théorique abonde dans le sens de la thèse de la non-neutralité de la

propriété. Celui-ci privilégie une perspective différente, relative aux objectifs publics et

privés dans le cadre de la recherche de rente personnelle développée par la théorie du

Public Choice. Bien que de paradigme différent du précédent développement (efficacité),

certains éléments de cette approche apportent une explication complémentaire à la

première. En envisageant notamment la nature des objectifs attachés à chaque type de

propriété (publique et privée) les deux perspectives identifient les effets positifs du

changement d’objectifs sur l’efficience de la firme privatisée.

2.2. Propriété publique et nature des objectifs

Liée à la nature des droits de propriété publique, la nature des objectifs est également

avancée comme facteur explicatif du lien positif entre privatisation et performance. Ce

second argument est notamment développé par la TDP ainsi que par la théorie du Public

Choice.

Comme l’analyse précédente le souligne, la modélisation du comportement des

propriétaires, qu’ils soient publics ou privés, est fondée sur la maximisation de leur

fonction d’utilité. En outre, la délimitation des droits de propriété influence les moyens de

protection de leur droits de propriété et donc les moyens permettant d’atteindre leurs

objectifs personnels. Dans cette perspective, Vickers et Yarrow (1988) identifient les

attributs de l’utilité de chaque type de propriétaire. Ainsi, les détenteurs de droits de

propriété publique, notamment un ministère ou le gouvernement en général, sont censés

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chercher maximiser le bien-être social et « leur programme personnel ». Ce dernier est

défini par les auteurs comme « une diversité d’éléments : une politique redistributionnelle

en faveur de certains groupes d’intérêt, des niveaux élevés de salaires et d’emploi au sein

d’entreprises ou de secteurs particuliers, un soutien politique et autre » (NT, p. 113)42. Les

propriétaires d’une firme privée cherchent, quant à eux, à maximiser le profit défini

comme « un composant du bien-être social mais qui peut aussi induire des effets externes

sur ce bien-être en raison des activités de la firme. Ceux-ci comprennent les effets sur le

surplus du consommateur si la firme a un pouvoir de marché, des effets induits par les

distorsions du marché, effets redistributionnels et autres » (p. 113)43.

A partir de ces interprétations des objectifs, conventionnellement admises, deux

implications positives de la privatisation sont examinées. D’une part, en transférant la

propriété publique à la propriété privée, la privatisation est susceptible d’orienter les

objectifs de la firme vers la maximisation du profit, a fortiori lorsque l’entreprise intervient

sur un secteur concurrentiel44. Cette modification des objectifs corrélée à celle de la

propriété impliquerait, selon Laffont et Tirole (1991) une réduction de la part des

surinvestissements entrepris par les dirigeants des entreprises publiques, qui répondent à

l’origine à la composante sociale des objectifs publics. Cette expropriation des

investissements de l’entreprise publique à d’autres fins que celle de sa performance, serait

donc réduite par la privatisation dans la mesure où, selon les auteurs, « les actionnaires

comme les dirigeants, tirent leur rémunération des profits élevés45 » (NT, p. 85). La prise

de risque, assumée directement par les premiers, semble par conséquent influencer

significativement la poursuite de la minimisation des coûts organisationnels. En revanche,

dans le cas de la firme publique, les objectifs multiples, dont certains divergent de la

maximisation du profit (qui n’en est qu’une des composantes), atténuent l’efficience d’un

système de propriété publique dont la responsabilité à l’égard des risques encourus est mal

définie ou diluée, selon la perspective de la propriété envisagée. Sur ce point, Troesken

(1997) propose une analyse des sources de la propriété publique. A partir d’une approche

42 « The personal agenda could consist of a variety of elements : redistribution to favoured interest groups, high wage and employment levels in particular enterprises or sectors, patronage and so on ». 43 « Profit is a component of social welfare, but there might also be external effects on welfare from the activities of the firm. These include effects on consumer surplus if the firm has market power, effects due to input market distortion, distributional effects, and so on ». 44 Nous envisageons dans la section 4 dans quelle mesure la compétition joue un rôle au moins aussi important que la privatisation, sinon plus dans l’efficacité des firmes quelle que soit la nature de la propriété. 45 « This expropriation is less likely to take place under private ownership because the shareholders, like managers, derive their monetary rewards from high profits ».

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historique du secteur du gaz, l’auteur conclut à une convergence du degré d’incomplétude

contractuelle (qui conditionne la délimitation des attributs des droits) et de l’existence

d’entreprises publiques.

D’autre part, la deuxième interprétation est relative au fondement politique de ces

objectifs. A l’appui des apports de la théorie du Public Choice, Boycko, Shleifer et Vishny

(1996) analysent le comportement des hommes politiques, considérés comme les

propriétaires publics. Orienté vers la recherche de rente personnelle que les auteurs

qualifient de « bénéfice politique potentiel » (potential political benefit), leur

comportement consisterait en une poursuite d’objectifs visant à maximiser leur soutien

politique. En ce sens, les propriétaires publics substitueraient aux objectifs d’efficience les

objectifs politiques dans la perspective d’accroître leur clientèle électorale, notamment les

employés et les syndicats (Donahue, 1989). A cet égard, le modèle du comportement des

hommes politiques, face au choix de privatiser ou non l’entreprise publique que proposent

Shleifer et Vishny (1994) est significatif de l’analyse des coûts induits par la nature des

objectifs publics. Selon les auteurs, le choix de privatiser ou non dépend de l’arbitrage

politique entre les coûts liés aux subventions aux entreprises publiques et les bénéfices

politiques associés à la réduction de l’impôt consécutive à la privatisation. Celle-ci est

préférable si la réduction d’impôt et la clientèle qui la soutient sont plus importantes que le

coût des subventions publiques et les bénéfices électoraux liés à la clientèle favorable au

maintien de la firme dans le giron de l’Etat. Dans la même perspective, Clark et Cull

(1997) concluent que l’option de privatisation sera exercée si les coûts politiques du

maintien de la propriété publique sont supérieurs à ses avantages. La privatisation

constitue, dans cette perspective, un moyen de résoudre les inefficiences publiques en

neutralisant les objectifs politiques au profit des objectifs d’efficience relatifs aux

propriétaires privés.

Au regard de cette analyse, l’approche théorique du lien entre propriété et performance,

transposée aux firmes publiques, conduit à deux conclusions interdépendantes. En premier

lieu, la privatisation, modifierait la nature des droits de propriété (transférabilité et

exclusivité) dont la configuration définit la firme et son efficience. Elle contribuerait ainsi,

à accroître la performance de la firme car la nature complexe et parfois contradictoire des

objectifs publics des détenteurs de ces droits, serait abandonnée au profit d’objectifs

économiques plus précis. En second lieu, réactivés par la privatisation, les attributs

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essentiels de la propriété caractériseraient un système de propriété plus efficient et, par

conséquent, une gestion de la firme (telle que nous l’avons définie) plus performante. Cette

approche théorique de la problématique privatisation/performance qui semble conduire à

une relation positive entre les deux variables trouve, dans les études empiriques, des

illustrations plutôt convergentes, envisagées dans la section suivante.

Section 3 : Illustrations empiriques : des conclusions hétérogènes

Comme l’indique l’introduction de cette recherche, il existe un nombre éloquent

d’études, directement ou indirectement centrées sur le mouvement de privatisation. Les

premiers travaux remontent au milieu des années 1960. Depuis, leur nombre n’a cessé de

croître. D’ailleurs, plusieurs études, des plus anciennes jusqu’aux plus récentes, sont

construites sur une revue très étendue de la littérature empirique (Bennett et Johnson,

1979 ; Borcherding et al. 1982 ; De Alessi, 1980 ; Millward et Parker, 1983 ; Boardman et

Vining, 1989 ; McFetridge, 1997 ; Villalonga, 2000). Cette profusion s’accompagne d’une

évolution de la recherche empirique sur ce thème, notamment en raison des controverses

que celui-ci suscite.

Loin de prétendre à l’exhaustivité, le développement suivant propose une synthèse

critique de la littérature empirique sur la base des travaux les plus récents et pour certains

d’entre sur la base de la revue qu’ils proposent. Notre choix est guidé par le chemin qu’ont

pris ces travaux, dont la problématique a évolué dans le temps. Comme le démontre cette

section, l’apparition progressive de nouvelles approches empiriques exprime les tentatives

de réponses faites face aux limites théoriques et méthodologiques progressivement

observées. Notre revue de littérature fait apparaître un « saut » empirique lié à une

évolution de la manière dont la problématique est traitée. Le premier corps de travaux,

parallèle au lancement du programme de privatisation, aborde celle-ci indirectement, à

partir d’une comparaison de performance des entreprises publiques et privées (3.1). Sur la

base de ces résultats, le second corps de travaux envisage la privatisation à partir d’études

longitudinales. Celles-ci portent sur des échantillons de taille très variée, parfois relevant

plutôt de l’étude de cas, notamment dans les travaux les plus récents. Cette seconde

approche vise une comparaison du niveau de performance des entreprises avant, puis après

leur privatisation, principalement par offre publique de vente (3.2).

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3.1. Performances comparées des organisations publiques et privées

L’examen empirique de la performance comparée des deux formes organisationnelles

publiques et privées est conduit de manière à tester l’hypothèse issue de l’analyse de

l’efficience de la propriété. En référence aux développements précédents, cette hypothèse

stipule que l’entreprise publique, en raison des caractéristiques de sa propriété, devrait être

moins performante que l’entreprise privée. En ce sens, la privatisation aurait un effet

positif sur la performance des entreprises concernées puisqu’elle en modifierait la propriété

et ses caractéristiques. Les nombreux articles traitant cette problématique présentent des

résultats très contradictoires (3.1.1). A cette hétérogénéité des conclusions, plusieurs

auteurs associent certaines limites méthodologiques. De là, il apparaît finalement que le

test de l’hypothèse d’efficience de la propriété s’avère plutôt significatif (3.1.2).

3.1.1. Comparaison de performance dans les deux types organisationnels : diversité

et non significativité des tests de la propriété

Plusieurs études font apparaître de manière très claire la contradiction des résultats du

test de l’hypothèse de la propriété (Boardman et Vining, 1989 ; McFetridge, 1997 ;

Villalonga, 2000). L’article de Boardman et Vining (1989), publié après les vingt

premières années de la mise en œuvre des programmes nationaux de privatisation, est très

représentatif de ce premier corps de travaux. D’une certaine manière, il en constitue une

synthèse. Sur la base d’une importante revue de littérature réalisée par les auteurs (tableau

1), il apparaît que les conclusions empiriques de l’époque apportent peu d’arguments en

faveur de l’analyse théorique de la propriété. Boardman et Vining (Op. cit.) répertorient

plus de cinquante études, notamment nord-américaines, comparant la performance

d’entreprises publiques et privées de secteurs variés tels que la distribution d’électricité, le

secteur aérien, ou les services de santé (p. 6). Cette synthèse des travaux couvrant la

période [1966 - 1986] révèle que soixante pour-cent d’entre eux présentent des résultats en

convergence avec l’hypothèse de supériorité de performance des entreprises privées.

Toutefois, onze pour-cent d’entre eux présentent des conclusions inverses. Le tiers restant

ne se prononce pas sur la supériorité de l’une des formes organisationnelles sur l’autre.

Face à un premier résultat plutôt favorable à l’analyse de la propriété, le doute subsiste

finalement. La revue empirique menée par Villalonga en 200046 présente une structure

équivalente et tout aussi troublante (tableau 2). Le groupe dominant d’études (104 études

46 L’auteur s’appuie sur la synthèse des travaux empiriques effectuée par Pestieau et Tulkens (1993).

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précisément relevées par l’auteur) qui conclut en faveur de la propriété privée coexiste

avec les deux autres groupes de travaux, l’un ne présentant aucune différence de

performance (35 articles), l’autre rejetant l’hypothèse testée initialement (14 études). En

outre, comme le souligne cet auteur, les conclusions de certaines études font l’objet

d’interprétations variées, soumises à la subjectivité de leur lecteur47.

Les travaux qui acceptent l’hypothèse du lien positif entre la propriété privée et la

performance utilisent des données très variées. Une analyse critique de ce groupe d’études

met en évidence la diversité des champs d’investigation et des mesures de la

performance utilisées. Chaque étude vise ainsi à répliquer le test de la propriété dans

différents contextes et sous différents angles de mesure de performance. En ce sens, ces

travaux tentent de généraliser la TDP. Leur champ d’investigation portent sur des

entreprises internationales appartenant à des secteurs industriels différents (Boardman et

Vining, 1989), d’autres portent sur un seul secteur comme par exemple le transport aérien

(Ehrlich et al., 1994) ou sur un seul pays. Pour ce dernier, citons par exemple l’étude de

Funkhouser et Mac Avoy (1979) qui conclut que les coûts opérationnels des entreprises

publiques indonésiennes sont plus élevés et leur niveau de profit plus faibles. Plus

récemment, l’étude de Majumdar (1996) sur données sectorielles des entreprises indiennes

entre 1973-1989, fait apparaître un classement des scores d’efficience moyenne par type

organisationnel en faveur de la propriété privée. Par ordre croissant d’efficience, les

entreprises nationales sont suivies des entreprises publiques locales puis des entreprises

privées.

A contrario, un autre groupe d’études reflète le constat général de toutes les revues de

littérature empirique sur le sujet. Fondés sur des mesures de performance communes aux

précédents travaux, les résultats contradictoires de ces études soulignent les interactions

entre nature de la propriété et structure de marché, dont les effets spécifiques sont

difficilement mesurables. Les secteurs principalement concernés par ces études sont le

transport aérien (Forsyth et Hocking, 1980 ; Millward et Parker, 1983 ; Ashworth et

Forsyth, 1984) et ferroviaire (Caves et Christensen, 1980), le secteur de la santé (Becker et

Sloan, 1985), les services des eaux (Bhattacharyya et al., 1995) et de l’électricité (Peters,

47 Par exemple, l’étude de Hirsch (1965) portant sur le ramassage des déchets ménagers apparaît dans les trois groupes d’études, selon la classification faite par les auteurs qui s’y réfèrent. Cf. note de bas de page 6 in Villalonga (Op. cit.).

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1993, Pollitt 1995). Plusieurs études rejettent l’hypothèse de la nature de la propriété

comme facteur explicatif de la performance, soit parce qu’elles présentent des résultats

favorables à l’entreprise publique, soit parce que les résultats sont non significatifs48.

L’étude de Caves et Christensen (Op. cit.) se place, par exemple, plutôt dans le second cas.

Sur la période [1956-1975], les auteurs ont identifié une croissance plus élevée du niveau

de productivité de l’entreprise canadienne publique de transport ferré comparativement à

son homologue privée qui, pourtant, demeure plus productive. Cette croissance supérieure

de productivité a permis à l’entreprise publique de dépasser le niveau de productivité de sa

rivale, à partir de 1967, année de la promulgation du National Transport Act prévoyant un

renforcement de la concurrence intra-modale. Caves et Christensen (Op. cit.) en concluent

que la nature de la propriété joue un rôle moins important que la structure même du

marché. Dans la même perspective, Boyd en 1986 souligne le biais des études qui

concernent les industries régulées car elles traitent conjointement de la propriété et des

effets de la régulation sur la performance. En ce sens, ce type d’études ne permet pas d’isoler chaque phénomène sur la variable

expliquée (la performance), limitant ainsi l’analyse du lien initial. A cet égard, McFetridge

(p. 23) note que les conclusions de Bhattacharya et al. (Op. cit.)49 soulèvent la question de

l’impact probable joué par la régulation sur le niveau de performance moindre des

entreprises privées. D’une autre manière, l’analyse de Borcherding et al. (1982) rejoint

celle de Caves et Christensen (Op. cit.) en soulignant l’absence de différentiel de coût

unitaire entre les entreprises publiques et privées lorsque le niveau de compétition est

suffisant. Par ailleurs, l’analyse internationale de performance d’entreprises de chauffage

(toutes énergies confondues) réalisée par Pollitt (Op. cit.) est assez ambiguë, comme le

relève McFetridge (Op. cit., p. 25). En effet, sur un échantillon d’entreprises l’auteur

48 A cet égard, le dossier de La Tribune du 8-12-2000, « L’Europe se libéralise pour enrayer le déclin du rail » pose la question des effets attendus de la libéralisation du marché pour les compagnies nationales, notamment à travers ses différents articles dont celui relatif à « l’échec de la privatisation du rail britannique » qui a accompagné sa libéralisation. Cet article analyse les conséquences de la dérégulation du monopole public de transport ferroviaire British Rail, menée par le gouvernement de J. Major en 1994. La création de Rail Track, aujourd’hui bénéficiaire, et la concession par franchise des 25 lignes régionales à plus de dix sociétés privées se traduit, selon le journal, par « une machine à diluer les responsabilités ». En outre, les arguments avancés par M. Boiteux (Président d’honneur d’EDF) et C. Henri (Professeur à l’Ecole Polytechnique) sur le thème « services publics et concurrence » constituent des éléments de réponse à la question cruciale soulevée ici : « la concurrence est-elle condamnée à être tour à tour Docteur Jekyll et Mister Hyde ? » p. 12, Gérer et comprendre (série des Annales des Mines), septembre 1998, n° 53. 49 A trois reprises (revue de littérature, analyse d’un échantillon d’entreprises puis changement de méthode statistique), Bhattacharya et al. (Op. cit.) ont analysé la performance des entreprises américaines publiques et privées (régulées) du service des eaux. A chaque fois, les auteurs concluent à l’inefficience relative des entreprises privées dont le coût unitaire variable est supérieur relativement aux firmes publiques.

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conclut d’abord à une différence non significative de performance entre les deux groupes

de firmes, les variables de facteur d’utilisation (fonctionnant en cas de forte demande ou en

continu) de technologie et de pays étant prise en compte. Toutefois, sur un échantillon plus

homogène d’entreprises de chauffage fonctionnant uniquement en continu, la comparaison

de performance est en faveur des entreprises privées. La sous-performance des firmes

publiques est associée par l’auteur à une interférence politique en matière d’investissement

technologique qui serait plus coûteux, le choix étant porté sur une utilisation intensive

d’une technologie exploitant des matières premières plus coûteuses que celles choisies par

les firmes privées.

En définitive, qu’il s’agisse des revues de littérature, des études favorables à la propriété

privée ou des études plutôt neutres, il apparaît que le débat reste entier même si une

majorité d’études convergent, dans leur conclusion, vers l’hypothèse défendue par la TDP.

3.1.2. L’accréditation de la thèse de la propriété

Selon Boardman et Vining (Op. cit.), ce constat, loin de réfuter l’hypothèse première

leur permet, après une analyse des limites inhérentes aux travaux existants, de proposer

une alternative empirique plutôt convaincante. Leur démarche et leurs résultats n’ont pas

été sans incidence sur la poursuite des travaux sur la privatisation. En effet, la prise en

compte des limites qu’ils considèrent comme étant à l’origine de la diversité des résultats

leur permet sans équivoque d’accréditer la thèse de la propriété.

Les auteurs soulignent deux limites des travaux centrés sur la comparaison des

performances publiques et privées. L’une porte sur la pertinence des mesures de

performance, compte tenu des objectifs spécifiques à chaque type organisationnel. L’autre

est relative à la cohérence des mesures de performance utilisées avec la structure

concurrentielle ou non de l’environnement. Concernant cette dernière, comme le

développement précédent l’a démontré, les études comparatives de performance, au départ

limitées au contexte nord américain, portent sur des secteurs pour la plupart duopolistiques

et/ou régulés (comme par exemple l’étude de Caves et Christensen (Op. cit.) sur le

transport ferroviaire canadien). En ce sens, le lien testé généralement entre nature de la

propriété et performance est limité à certaines structures de marché. Il est par conséquent

difficile de généraliser les résultats obtenus, notamment dans des contextes concurrentiels.

Comme le relèvent Boardman et Vining (Op. cit.), « bien que ces études apportent certains

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éléments de preuve du lien entre propriété et performance, nous devons reconnaître les

limites d’une généralisation à partir de ces contextes aussi restreints » (NT)50. Les auteurs

rejoignent ici les conclusions de Boyd (Op. cit.) envisagées dans le développement

précédent, relatives aux effets combinés de la régulation et de la propriété sur la

performance. Ainsi, pour pouvoir conclure globalement sur la performance de la firme

publique et de la firme privée, Boardman et Vining (Op. cit.) suggèrent de répliquer le test

de la propriété sur des échantillons d’entreprises internationales qui interviennent sur

divers secteurs concurrentiels.

La seconde critique adressée par les auteurs porte sur la pertinence des mesures de

performance utilisées par rapport à de telles structures de marché. En référence à l’analyse

qui précède, les indicateurs de performance utilisés sont variés. Certaines études font appel

à des ratios de productivité des facteurs de production (Caves et Christensen, Op. cit.).

D’autres travaux comparent les niveaux de coûts opérationnels (Borcherding, Op. cit.).

Enfin, certaines études utilisent simultanément les deux types de mesure (Funkhouser et

Mac Avoy, Op. cit. ; Ehrlich et al. Op. cit.). Ces indicateurs de performance, fondés sur les

critères de rentabilité (productivité et profitabilité) permettent de prendre en compte

l’efficacité technique et l’efficacité allocative qui n’ont de sens qu’en milieu

concurrentiel51. Or la plupart des analyses existantes concerne des entreprises de secteurs

régulés. En conséquence, de telles mesures utilisées pour comparer la performance de

l’entreprise publique et de l’entreprise privée en situation de monopole, de duopole ou en

secteur régulé, limitent la pertinence de ces analyses et tempèrent les conclusions des

études et des revues de littérature.

Enfin, si l’on considère que la performance de l’entreprise publique dépend d’objectifs

économiques et socio-politiques, la seule mesure de la performance au sens productif et

allocatif du terme ne permet pas, selon Boardman et Vining (Op. cit.), de rendre compte de

la réelle efficience (ou inefficience) de la firme publique. A l’instar des travaux de

Leibenstein (1975), les auteurs suggèrent de prendre en compte un facteur qui puisse

rendre compte de la part de la spécificité organisationnelle dans le niveau de performance

50 « While these studies can provide some evidence on the relationship between ownership and performance, the limitations of generalizing from such a restricted context must be recognized ». Boardman et Vining, (Op. cit., p. 7). 51 A ce propos rappelons que selon la théorie néoclassique, si le marché n’est pas entravé par des réglementations, il alloue de manière optimale les facteurs de production entre firmes et secteurs ainsi qu’au sein de la firme.

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de chaque firme52. Ainsi, une comparaison valable de performance des deux types

d’entreprises doit se faire sur la base d’indicateurs d’efficacité allocative et productive qui

rendent compte de la manière dont chaque firme utilise et alloue ses ressources, par rapport

à ses concurrents.

Ainsi, l’analyse comparative fondée, d’une part, sur des entreprises non véritablement

concurrentielles, d’autre part, sur des mesures de performance partielles et non cohérentes

avec la structure de marché sous-jacente, expliquerait selon Boardman et Vining (Op. cit.),

les résultats hétérogènes constatés dans les diverses revues empiriques. La prise en compte

de ces limites méthodologiques devrait, par conséquent, conduire à une significativité plus

marquée du test de la relation nature de la propriété et performance. C’est dans cette

perspective que se positionne l’étude de ces auteurs.

En réponse à l’hétérogénéité de ces résultats, Boardman et Vining (Op. cit.)

reconduisent le test initial du lien entre nature de la propriété et performance sur un

échantillon de plusieurs centaines de firmes industrielles multinationales non américaines.

Parmi ces entreprises, plus de quatre-vingt pour-cent sont privées, douze pour-cent sont

publiques et quatre pour-cent sont des firmes semi-publiques, détenues conjointement par

des actionnaires privés et publics, comme par exemple Wolkswagen. Leur modèle cherche

à expliquer le niveau de performance par la nature de la propriété publique ou semi-

publique, la firme privée étant le benchmark. A l’appui de variables de contrôle de la

position concurrentielle des firmes, du degré de concentration sectorielle au sein de

chacune des vingt-deux industries représentées dans l’échantillon, ainsi que des différences

nationales de pratiques comptables, les auteurs concluent à une supériorité significative des

firmes privées sur les deux autres types d’entreprises, tant en matière de rentabilité que de

productivité53. Les premières présentent en effet un niveau moyen de rentabilité des

capitaux propres supérieur de 12 % à celui de l’entreprise publique. Dans une moindre

proportion, le taux de rotation des actifs ainsi que le taux de marge économique moyens de

la firme publique sont inférieurs à ceux de l’entreprise privée (respectivement 1,7% et

52 Afin de capter deux aspects du facteur X contribuant à la performance globale, Boardman et Vining (Op. cit.) utilisent celui de productivité des employés et de rotation de l’actif (ventes/Effectif ; ventes/Total de l’actif). 53 Le critère d’efficience allocative est approximé par les auteurs par la rentabilité. « In competitive markets, profitability measures can be used as indicators of allocative efficiency because normatively appropriate deviations from profit maximization (that is, deviations that increase aggregate social welfare) will be minimal » (p. 9). Quatre niveaux de rentabilité sont analysés dans l’étude : rentabilité des capitaux propres (ROE), rentabilité économique (ROA), taux de marge économique, résultat net. Le second critère de mesure de performance est celui de productivité des employés et des actifs (Cf. note 38 de bas de page).

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65

2,2% de moins). La position inférieure des entreprises semi-publiques est encore plus

marquée en termes de rentabilité. De même, le niveau de productivité des firmes privées

dépasse significativement celui des firmes publiques et semi-publiques. Si la position de

l’entreprise mixte, en termes de rentabilité moyenne, est inférieure à celle de l’entreprise

publique, en revanche, le niveau moyen de productivité de l’entreprise semi-publique est

supérieur (p. 18).

Au-delà de leur convergence avec l’hypothèse faite sur l’efficience de la propriété, ces

résultats soulignent aussi l’idée qu’une privatisation partielle ne suffit pas à générer des

économies de coûts. Elle peut même engager des coûts plus importants que la forme

publique pure. En conséquence, d’un point de vue prescriptif, l’analyse des auteurs conduit

à la conclusion (également partagée par Ehrlich et al., Op. cit.) selon laquelle la

privatisation aurait des effets significatifs sur la performance, si et seulement si, cette

privatisation est totale. D’ailleurs, Boardman et Vining concluent leur analyse dans les

termes suivants54 (Op. cit., p. 26) : « Une privatisation partielle par laquelle un gouvernement conserve un pourcentage du capital,

[…] ne paraît pas être la meilleure stratégie pour les gouvernements qui souhaitent ne plus

recourir à l’entreprise publique. […] Certaines structures de propriété conjointe sont

génératrices de conflits entre actionnaires publics et privés, conduisant à un degré élevé de

« dissonance cognitive » managériale. D’autres structures de propriété permettent au

management d’avoir une autonomie managériale plus grande dans les entreprises mixtes que

dans les entreprises publiques. En résumé, la privatisation partielle peut être pire, en particulier

en termes de profitabilité, qu’une privatisation totale ou qu’un maintien de la propriété

publique. » ( NT, guillemets des auteurs)

A la suite de ce premier article, Vining et Boardman (1992) ont réitéré ce test sur un

échantillon d’entreprises canadiennes et aboutissent à la même conclusion concernant

l’efficience plus grande associée à la propriété privée. Toutefois, ils observent un niveau de

rentabilité de l’entreprise mixte plus élevé que celui de l’entreprise publique. Ce dernier

résultat, moins sévère à l’égard de la propriété publique, laisse donc ouvert le débat sur le

degré de privatisation.

54 « …partial privatization where a government retains some percentage of equity, […], may not be the best strategy for governments wishing to move away from reliance on SOEs [State-owned-enterprises]. […] Some patterns of joint ownership appear to generate conflict between public and private shareholders, leading to a high degree of “managerial cognitive dissonance”. Other ownership patterns allow management to obtain greater managerial autonomy in MEs [mixed enterprises] than in SOEs. In summary, partial privatization may be worse, especially in terms of profitability, than complete privatization or continued state ownership ».

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66

Enfin, comme le relèvent les auteurs, la performance inférieure des entreprises

publiques pourrait s’expliquer par le fait qu’il s’agit d’entreprises nationalisées pour cause

de risque important de faillite, ce que l’on a pu effectivement observer lors de la

reconstruction des économies après la seconde guerre mondiale ainsi que dans les années

1980 en France. Un tel argument supposerait donc que la nationalisation soit une manière

de permettre à la firme privée de retrouver des niveaux de performance perdus. La

propriété publique serait donc une source d’efficience supérieure. Cette conclusion serait

alors opposée à celle que donnent les résultats obtenus si les entreprises de l’échantillon

entraient dans cette catégorie de firmes publiques. Or, les auteurs précisent que les

entreprises publiques ou semi-publiques de leur échantillon n’ont pas fait l’objet d’une

nationalisation pour mauvaise performance.

Les résultats de cette étude transversale permettent, en définitive, de corroborer de

manière plus significative que les travaux précédents, l’hypothèse selon laquelle la

propriété privée serait, en univers concurrentiel, plus efficiente que la propriété publique.

C’est sur la base de cette dernière conclusion, que la plupart des travaux qui ont suivi ont

emprunté une voie d’approche plus directe de la privatisation55.

En ce sens, les études de Boardman et Vining (Op. cit.) sont conclusives de ce premier

corps de travaux. En établissant l’hypothèse de supériorité de la propriété privée, elle ouvre

ainsi une nouvelle voie d’investigation du phénomène. Depuis 1989, privilégiant une

approche longitudinale de la privatisation, la majorité des travaux s’oriente vers le test de

l’accroissement de performance induit par la privatisation.

3.2. Privatisation et performance : évolution méthodologique, un retour sur le

questionnement théorique

La problématique initiale fondée sur la question des sources d’efficience de la propriété

publique et de la propriété privée demeure à la base de cette seconde approche

méthodologique. Mais son analyse devient celle des effets positifs de la privatisation sur la

performance des entreprises publiques. Comme le note Villalonga (2000, p. 50), « la

validité et la variété des études dans cette catégorie contraste fortement avec la

55 Toutefois, certains travaux postérieurs à celui de Boardman et Vining poursuivent l’étude comparative de performance entre les deux types organisationnels. Sur la base d’indicateurs de performance complémentaires, ils aboutissent à des conclusions très similaires, comme l’étude récente de Dewenter et Malatesta (2001). Outre les indicateurs de rentabilité et de productivité, leur étude intègre aussi un aspect de la politique de financement, via les niveaux d’endettement.

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67

précédente » (NT)56. En effet, si cette dernière privilégie globalement les études

transversales, ce deuxième corps de travaux se distingue par la diversité des approches

méthodologiques. Plusieurs revues de littérature empirique sur le lien entre privatisation et

performance mettent en exergue deux approches (Megginson et Netter, 2000 ; McFetridge,

1997; Villalonga, 2000). La première approche analyse le lien privatisation-performance

au niveau d’un pays ou d’un secteur particulier (Parker et Martin, 1995 pour le Royaume-

Uni ; La Porta et López-de-Silanes, 1999 pour le Mexique ; D’Souza, 1998 pour le secteur

des télécommunications). Ce premier groupe de travaux repose sur des échantillons de

taille limitée. Certaines études s’apparentent davantage à l’étude de cas, comme celles

effectuées par Galal et al., 1994. La deuxième approche consiste à analyser cette

problématique sur plusieurs pays et secteurs simultanément (Megginson et al., 1994).

Outre cette différenciation d’ordre méthodologique comparativement aux premiers

travaux, une autre caractéristique spécifique nous paraît importante. Cette nouvelle

perspective du lien entre nature de la propriété et performance peut être scindée, du point

de vue de la mesure de performance, en deux approches méthodologiques distinctes.

Celles-ci retracent la sophistication croissante des études transversales traitant de la

relation privatisation-performance. L’une d’elles repose sur une approche statique de

l’effet de la privatisation sur le niveau de performance (3.2.1). L’autre démarche privilégie

une analyse dynamique de cette relation (3.2.2). Comme le démontre l’analyse suivante,

ces méthodes différentes d’approche aboutissent à des résultats tout aussi hétérogènes que

ceux obtenus dans le premier groupe de travaux, même si la tendance globale est celle des

effets positifs de la privatisation. En ce sens, ils expriment également un doute sur la

significativité du test de la propriété tel que le suggère la théorie.

3.2.1. Privatisation et performance : l’approche statique

Cette première approche, la plus fréquemment choisie à notre connaissance, consiste à

comparer le niveau de performance sur deux périodes, celle qui précède l’année de

privatisation et celle qui la suit57. Parmi les études construites sur des échantillons

représentatifs, celle de Megginson et al. (1994) reflète symboliquement cette démarche

reproduite par la suite (D’Souza, 1998 ; D’Souza et Megginson, 1999 ; Boubakri et Cosset,

56 « The availability and variety of studies in this category sharply contrast with the previous one ». 57 Parmi ces études, celles qui traitent des échantillons de taille suffisante reposent en général sur des tests de différence de moyenne et de médiane avant et après la privatisation sur des périodes de sept ans pour la plupart des études [-3 ans ; +3 ans entourant l’année de privatisation] sous contrôle de l’inflation.

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68

1998)58. Sur un échantillon international d’une soixantaine de firmes représentatives de

trente deux secteurs d’activité, les auteurs concluent à un effet positif de la privatisation sur

plusieurs indicateurs de performance y compris sur des variables plus indirectes associées à

la politique financière. Les auteurs notent une amélioration de la profitabilité, notamment

du taux de marge nette59 dont la variation est la plus significative, et de la rentabilité des

actifs60 dans une moindre proportion (p. 425). Concernant la rentabilité financière

(Rentabilité des capitaux propres) la variation positive n’est pas significative. A peine plus

de la moitié des firmes de l’échantillon est concerné par un accroissement du taux de

rentabilité des capitaux propres (cf. tableau 3 p. 426). Parallèlement, la politique financière

se caractérise par une politique de dividende plus généreuse (+ 22%) vis-à-vis de laquelle

70% des firmes de l’échantillon présentent significativement une hausse du montant des

dividendes distribués. En outre, la politique financière se caractérise également par une

politique d’investissement plus intense (Investissement/ventes et investissement/Actif61).

Enfin, les auteurs constatent un désendettement significatif, en particulier concernant la

partie long terme de la structure de la dette (pour 70% des firmes, p. 439-440).

D’une manière générale, cette étude est construite sur plusieurs ratios pour une même

variable d’approximation de la performance (par exemple, la rentabilité économique est

mesurée par ROA et ROS). Or, pour une même variable d’approximation, les niveaux de

significativité des ratios correspondants sont hétérogènes. Ainsi, l’observation de ces

indicateurs de performance met en exergue des variations qui ne révèlent pas de

changements réels liés à la privatisation, tout du moins sur l’échantillon. Notons en

particulier, les effets peu significatifs de la privatisation sur la performance actionnariale -

approximée par le taux de rentabilité des capitaux propres. De même, l’évolution de

l’intensité capitalistique des entreprises privatisées ne paraît pas plus convaincante62. On

remarque finalement sur la période de sept ans, une certaine cohérence entre ces variations

58 Sur la base des indicateurs utilisés par Megginson et al. (Op. cit.), ces différents auteurs concluent à des variations similaires, respectivement pour 17 entreprises des télécommunications privatisées par OPV entre 1981-1994, pour 78 entreprises de pays développés et en développement, privatisées entre 1990-1994 et pour 79 entreprises de pays émergents entre 1980-1992. 59 Résultat net/Ventes ou Return on Sales (ROS) 60 Résultat net/Actif ou Return on Assets (ROA) 61 Respectivement Capital expenditure to sales et Capital expenditure to Assets. Les auteurs observent une hausse significative de la part des investissements dans les ventes. Les résultats sont non significatifs pour la seconde mesure. 62 De même, les auteurs relèvent une hausse non significative du niveau d’emploi et remarquent qu’en secteurs dérégulés, la pression du marché semble imposer des contraintes plus fortes sur la maîtrise de coûts, notamment sur le facteur travail (p. 439).

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et l’évolution de la rentabilité financière observée. En effet, la non-significativité de celle-

ci se retrouve dans les variations de la politique financière et de la rentabilité économique

qui ne sont pas plus représentatives.

Toutefois, certaines études, notamment celles relatives aux privatisations dans les pays

en transition, font apparaître des variations positives plus prononcées (Boubakri et

Cosset63, Op. cit.). Cette spécificité réside selon La Porta et López-de-Silanes (1999) dans

les niveaux plus faibles de performance des entreprises publiques. En ce sens, la

privatisation de ces entreprises a des effets positifs plus marqués. Certains auteurs ont

cherché à expliquer ces variations. Par exemple, La Porta et López-de-Silanes posent la

question des facteurs susceptibles d’expliquer la hausse de la rentabilité économique (taux

de marge notamment) généralement observée après la privatisation. Dans leur étude de

plus de deux cents firmes mexicaines privatisées entre 1983 et 1991, la part du résultat

opérationnel sur les ventes augmente significativement de 24% après la privatisation.

Parmi les facteurs susceptibles d’expliquer cette variation, les auteurs en identifient deux.

Les gains de productivité ainsi qu’une politique de licenciement rigoureuse semblent

expliquer respectivement 64% et 31% de la variation du taux de marge opérationnelle. La

part d’une hausse des prix de vente (qui, a priori, peut suivre une privatisation et provoquer

de ce fait une hausse mécanique de la marge) ne jouerait que très faiblement selon les

auteurs. Sur la base de questionnaires aux cadres salariés, ceux-ci relèvent que les gains de

productivité seraient principalement dus à une amélioration des processus de production et

de la qualité des produits (d’où une hausse du chiffre d’affaires), ainsi qu’à un changement

de l’équipe dirigeante, et à une hausse des rémunérations pour les salariés non licenciés. En

revanche, l’accès supposé plus ouvert au marché des capitaux et les incitations plus

grandes associées à la privatisation sont, selon les personnes interrogées, des facteurs plus

marginaux. En conclusion, les auteurs considèrent que les pertes sociales (associées à la

hausse relative des prix et aux licenciements) sont largement couvertes (respectivement par

63 Sur un échantillon de 79 entreprises de pays en voie de développement, les auteurs observent les mêmes niveaux de significativité concernant, notamment la rentabilité économique et financière. Les variations sont néanmoins plus prononcées que celles observées par Megginson et al. En outre, les auteurs notent des variations plus fortes pour les entreprises appartenant à des pays dont le revenu par habitant est dans la tranche supérieure. Toutefois, les ratios de performance ajustés aux effets de marché présentent des variations non significatives. Ce dernier résultat pose la question de la part spécifique jouée par la privatisation dans le niveau de performance, relativement à l’impact des changements macro-économiques souvent encadrés par un programme d’ajustement structurel prévu par le Fonds monétaire International ou la Banque mondiale, par exemple, la libéralisation des échanges ou la modification du système de règlement (p. 1083-1084).

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la hausse des bénéfices imposables liée à la privatisation et par les fonds perçus par le

gouvernement au titre de la vente et de la fiscalité - p. 1237).

Cette conclusion favorable aux effets nets positifs de la privatisation sur la performance

productive et allocative de la firme (en particulier dans les pays en transition) est à

relativiser compte tenu des résultats de Frydman et al. (1999). Leur étude, comparant les

entreprises publiques et privatisées de République Tchèque, de Hongrie et de Pologne,

démontre que la question des caractéristiques de la propriété privée induite par la

privatisation (actionnaires internes - dirigeants et employés - contre actionnaires externes)

importe tout autant que l’abandon de la propriété publique de même que le choix des

mesures de performance (accroissement de la performance ou réduction des coûts). En ce

sens, l’étude des privatisations des pays en transition permet, selon nous, d’accentuer à la

fois les variations attendues ainsi que les biais méthodologiques et théoriques des travaux

sur la privatisation. Selon Frydman et al. (Op. cit.), celle-ci semble avoir des effets positifs

sur la productivité des entreprises d’Europe centrale détenues principalement par des

actionnaires externes. Les auteurs concluent que « les effets de la privatisation sur la

performance organisationnelle, bien qu’ils soient souvent bénéfiques, ne sont pas

automatiques ou uniformes selon les catégories d’entreprises ou selon les mesures de

performance [dans les contextes d’économies en transition]64 » (p. 1186).

En définitive, ces études présentent des résultats plutôt atténués par rapport à leurs

fondements théoriques et plus nuancés que les conclusions de certains auteurs, souvent en

raison de l’agrégation de leurs résultats et des mesures combinées de la performance

(Megginson et al., Op. cit.). Dans la mesure où ces données sont transversales, les résultats

soulignent davantage les tendances, telles que les font ressortir les auteurs. Eu égard à ces

conclusions, il apparaît que le lien entre privatisation et performance est plus ténu que ne le

prédit la théorie. En écho à cette dernière remarque, d’autres travaux abordent, en statique,

l’effet de la privatisation sur la performance mais de manière plus qualitative. Cette

distinction méthodologique devrait a priori, grâce à l’étude de cas, permettre de capter

certains phénomènes que les études précédentes, par nature, ne peuvent révéler. En ce

sens, les travaux plus qualitatifs devraient proposer des conclusions complémentaires

susceptibles de renforcer les tendances observées ou de remettre en question leurs

64 « […] the effects of privatization on corporate performance, while often quite powerful, are not automatic or uniform across different types of firms or different performance measures. »

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fondements théoriques. Comme le développement suivant le suggère, les résultats

construits sur cette autre approche méthodologique suscitent certaines interrogations, déjà

implicites dans les travaux transversaux, relatives à la problématique initiale.

Parmi cette catégorie de travaux, certains privilégient une démarche intermédiaire, entre

la pure étude de cas et une approche plus transversale (Galal et al., 1994). D’autres sont

construits sur un nombre restreint de monographies (Eckel et al., 1994 ; Parker, 1994).

D’une manière générale, ils présentent des conclusions plutôt convergentes avec les

tendances observées précédemment. Toutefois un regard plus approfondi sur certains de

leurs résultats tempère selon nous, les conclusions généralement admises. Parmi ces

travaux, la synthèse proposée par Galal et al. (Op. cit.) nous paraît intéressante notamment

en raison de sa position méthodologique intermédiaire. Editée en 1994 dans le cadre d’une

conférence de la Banque mondiale (Galal et Shirley, 1994) leur étude porte sur douze cas

d’entreprises de quatre pays différents. Dans la majorité de ces cas étudiés, les auteurs

observent une amélioration de la performance agrégée après la privatisation. Sous cet

angle, ce constat converge vers l’hypothèse de la propriété. Néanmoins, ces conclusions

méritent d’être tempérées. Tout d’abord, elles ne sont pas généralisables, puisqu’il s’agit

d’études de cas donc statistiquement non-représentatives. Ensuite, selon les mesures de

performance, leur étude conduit à des résultats mitigés qui rejoignent les conclusions des

travaux plus transversaux. En corollaire, replacée dans l’ensemble des travaux fondés sur

l’analyse statique, leur étude suggère de nouvelles voies d’investigation en réponse aux

résultats existants. De là, il nous paraît intéressant d’une part, de reprendre leur approche,

plutôt originale par rapport à la majorité des études, d’autre part, à l’appui d’autres travaux

de même nature, de souligner les éléments principaux de ces résultats. Nous conclurons

finalement sur la portée de l’approche statique du lien entre performance et privatisation.

Galal et al. (Op. cit.) observent des effets agrégés positifs de la privatisation sur

l’ensemble de la société (Welfare net gains) sur onze des douze cas. Leur démarche est

construite sur une comparaison de la performance observée après la privatisation à la

performance théorique de ces entreprises si celles-ci étaient encore publiques. Si

globalement la privatisation produit des gains nets, ses effets à l’égard des différents

partenaires envisagés conduisent à des conclusions divergentes, rejoignant les conclusions

de certaines études plus transversales examinées précédemment. En effet, le résultat paraît

favorable aux employés aussi bien au Royaume-Uni qu’au Chili et au Mexique,

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notamment en matière de rémunération. Mais selon les pays et les entreprises considérés,

certains des partenaires de l’entreprise ne bénéficient pas systématiquement de la

privatisation (les consommateurs, le gouvernement et parfois les actionnaires,

respectivement par rapport à l’évolution des prix d’offre et de la rentabilité, notamment en

raison des erreurs d’investissements faites par les nouveaux propriétaires, dans le cas de

Mexicana Airlines). Enfin, l’un des auteurs constate que la privatisation n’a pas eu d’effet

réel sur la performance de deux entreprises chiliennes du secteur de l’électricité, déjà

performantes avant leur privatisation65. En définitive, si globalement pour chaque

entreprise, les auteurs relèvent des gains nets positifs (notamment de productivité), seule la

privatisation de British Telecom semble avoir influer positivement sur la performance pour

chacun des partenaires66.

De manière plus nuancée, Parker (1994), observe sur les dix années qui ont suivi la

privatisation de British Telecom, un accroissement de la qualité du service au sens large,

une augmentation de la profitabilité et de la productivité des employés. Néanmoins,

l’auteur relève une baisse de l’intensité capitalistique et du niveau d’effectif même si le

salaire moyen ne paraît pas avoir été affecté par la privatisation. En outre, Parker note

l’importance jouée par les vertus incitatives à la performance associées aux marchés des

biens et services et des capitaux. Par conséquent, cette perspective relativise le rôle

spécifique de la privatisation dans la détermination du niveau de performance. Enfin, la

spécificité de l’analyse de Parker réside, selon nous, essentiellement dans le

développement qu’il propose concernant l’évolution de la structure interne. En ce sens,

l’auteur dépasse la simple analyse des effets de la privatisation sur la performance pour

envisager les effets plus qualitatifs de celle-ci au niveau du fonctionnement de la firme.

Par ailleurs, sous cet angle partenarial de la performance, Eckel et al. (1994) ont mesuré

les conséquences de la privatisation de British Airways et Air Canada sur les tarifs de vol,

sur la rémunération des cadres dirigeants et sur le cours des titres de leurs concurrents.

Selon les auteurs, ce dernier indicateur est plus à même de traduire l’efficacité économique

(economic efficiency) c’est-à-dire le degré de compétitivité de la firme. La baisse des tarifs

65 Cette dernière conclusion rejoint d’ailleurs, celle avancée par certains auteurs qui ont comparé la performance des entreprises publiques et privées (Cf. sous-section 3.1). 66 A l’exception de la hausse des tarifs, la privatisation de Téléfonas de Mexico peut également être la deuxième des douze entreprises étudiées, à avoir eu des effets positifs pour une majorité des partenaires considérés par les auteurs. Les actionnaires, les employés et le gouvernement semblent avoir effectivement tiré leur épingle du jeu.

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et des cours boursiers des concurrents (-14% après la privatisation de British Aiways) ainsi

qu’une rémunération partiellement dépendante de la performance, témoignent de la

plausibilité de l’hypothèse d’accroissement de performance induit par l’introduction de la

propriété privée67, en particulier lorsque celle-ci se traduit par une large ouverture du

capital au marché. En ce sens, leur étude est en convergence avec les tendances mise en

évidence dans les travaux précédemment étudiés qu’il s’agisse finalement des études

transversales ou des études de cas.

Trois enseignements peuvent être tirés de cette synthèse de cas et des résultats similaires

des études transversales. Premièrement, l’analyse de la performance dans le cadre de la

privatisation suggère de prendre en compte différents partenaires. Ceci implique que la

mesure agrégée de la performance atténue la richesse de l’analyse du lien entre

privatisation et performance puisque, tout comme dans les analyses transversales, les sens

de variation concernent différemment les partenaires. Deuxièmement, la principale

critique, souvent faite à l’égard de ces divers travaux, est relative aux biais des données

comptables soumises à d’éventuels habillages. Pour répondre à cette limite d’autant plus

importante lorsque les études sont internationales, l’étude de Eckel et al. (Op. cit.) permet,

à partir de mesures moins « bruitées » de la performance, d’aboutir à des conclusions tout

aussi favorables, donnant une certaine crédibilité à l’hypothèse de départ, bien qu’il

s’agisse de monographies. Troisièmement, la significativité relative que nous avons relevée

des résultats plus transversaux peut être due au caractère statique des approches de la

performance, dont les fenêtres d’analyse sont par ailleurs relativement étroites (cf. sous-

section précédente). En outre, dans la mesure où ce type d’analyse (transversale) porte sur

une période donnée, certains aléas susceptibles d’apparaître (comme d’importants

changements macroéconomiques ou sectoriels) sont difficilement captés par les travaux

transversaux susmentionnés. De telles approches contournent la prise en compte des effets

progressifs et qualitatifs de la privatisation, légèrement perçus par les études de cas

(comme celle de Parker, Op. cit.) et peut être aussi par les études des privatisations dans les

pays en transition (notamment en raison des caractéristiques macroéconomiques68). De

plus, comme l’a démontré le développement précédent, les analyses sur les niveaux de

67 Précisons que les auteurs développent une deuxième problématique qui met l’accent sur la spécificité du marché des biens et services dans la détermination du niveau de performance de ces firmes. Nous aborderons cette perspective dans la prochaine section. 68 Cf. les résultats de Boubakri et Cosset (1998) cités dans la sous-section précédente.

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performance présentent fréquemment des conclusions à partir de moyennes ou de données

agrégées, réduisant ainsi leur portée. Ce constat global explique peut être pourquoi, dans

les travaux les plus récents, les approches transversales ont pris une orientation

méthodologique plus sophistiquée.

3.2.2. L’approche dynamique du lien entre privatisation et performance

Comme le développement introductif de cette section le précisait, le regard critique

porté sur la littérature empirique nous a conduit à identifier une progression dans les

approches empiriques. Au-delà de la diversité des mesures de performance (comptables ou

de marché), du choix pour l’approche transversale ou l’étude de cas, les résultats envisagés

précédemment ont, à notre avis, initié une nouvelle voie d’approche empirique qui s’est

nécessairement accompagnée d’une évolution des fondements théoriques. En raison des

limites invoquées plus haut, l’examen des effets supposés positifs de la privatisation sur la

performance de la firme nécessite de prendre en compte l’évolution des variables

environnementales et de fonctionnement de la firme susceptibles d’influencer le niveau de

performance. Cette perspective permet de rendre compte de l’évolution progressive de la

performance puisqu’elle privilégie une comparaison de l’intensité des variations et non

plus des variations elles-mêmes. L’approche dynamique permet en définitive de répondre

aux observations faites sur le rôle joué effectivement par la privatisation et celui propre à

d’autres phénomènes tels que la dérégulation.

Dans cette optique, les premiers travaux ont substitué une mesure dynamique de la

performance aux mesures traditionnelles, en particulier en portant l’attention sur le taux de

croissance de la productivité (Button et Weyman-Jones, 1994 ; Ehrlich et al., 1994 ; Parker

et Martin, 1995 ; Price et Weyman-Jones, 1996). L’étude sectorielle de Ehrlich et al. (Op.

cit.) sur une vingtaine d’entreprises du transport aérien sur la période [1973-1983], met en

exergue des taux de croissance de productivité des entreprises publiques plus faibles ainsi

que des effets de changement de propriété non significatifs sur le court terme. Ainsi, selon

les auteurs, la privatisation, à condition qu’elle soit totale, ne paraît générer des gains de

performance que sur des horizons plus longs. Cette conclusion apporte une réponse

possible à la faiblesse des résultats obtenus entre autres par Megginson et al. (1994) qui ont

choisi une période d’investigation (3 ans) relativement courte après l’année de

privatisation.

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Elle rejoint par ailleurs la question posée par Boardman et Vining (1989) sur le

caractère hybride de la propriété en termes de performance. A partir de cette même mesure

de performance, les conclusions qui ressortent de l’étude de Parker et Martin sont tout

aussi prudentes. En effet, comme le constate McFetridge (p. 28-29) la privatisation de

Jaguar, par exemple, a conduit à une chute forte du taux de croissance de la productivité

(du facteur travail) du constructeur. Globalement, entre 1981 et 1988, les auteurs observent

un taux de croissance annuel moyen de 5% pour les onze entreprises britanniques avant

leur privatisation contre 2,8% après, même si, pour une majorité des entreprises étudiées,

la croissance de la productivité est plus rapide après la privatisation. Par ailleurs, l’étude de

Price et Weyman-Jones montre que la privatisation peut être précédée d’une amélioration

de la performance (doublement du taux de croissance de la productivité) ; observation faite

dans le contexte de l’industrie du gaz au Royaume Uni qui a fait l’objet d’une

démonopolisation en 1982 et d’une régulation des prix. De telles conclusions font ressortir à nouveau l’hétérogénéité des résultats des analyses

qui posent la question des effets de la privatisation sur la performance. On remarque à

nouveau une corrélation entre les résultats mitigés et les impacts possibles des variables

environnementales. Comme le soulignent Boles de Boer et Evans (1996), dans le cadre de

la dérégulation en 1989 du secteur des télécommunications néo-zélandais et de la

privatisation de Telecom New Zealand en 1990, « l’environnement compétitif doit avoir

joué sur les gains de productivité » (NT, p. 34)69. En outre, les études les plus récentes comme celle de Villalonga (2000) sont construites

sur des modèles économétriques visant à prendre en compte simultanément les effets de la

privatisation en statique, sur les deux périodes classiques (avant et après l’année de

privatisation) et dynamiques, sur la période totale. Les conclusions de Villalonga sont à

l’image de son étude qui, d’une certaine manière, résume et complète l’ensemble des

approches pratiquées jusque là. En effet, après contrôle des variables taille (susceptible de

constituer un frein au changement) et cycle économique, l’auteur envisage le test de trois

hypothèses sur un échantillon de 24 entreprises espagnoles. La première hypothèse reprend

le lien positif entre privatisation et performance. La deuxième hypothèse, fondée sur une

approche distincte de celle de la propriété considère les facteurs politiques (choix de

l’entreprise) et organisationnels (comportements de nouveaux actionnaires et dirigeants)

69« the competitive environment may have contributed to productivity gains ».

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76

susceptibles d’influencer les effets de la privatisation sur la performance. Enfin, la

troisième hypothèse suppose que les effets de la privatisation sont progressifs et, par

conséquent, qu’ils dépendent de la période choisie. La première hypothèse qui reprend la

problématique initiale de tous ces travaux n’est pas corroborée par les résultats de l’auteur.

En revanche, le test des deux autres hypothèses, plus éloignées du cadre théorique initial,

est significatif. Ainsi, d’après l’accroissement de performance testé en statique et en

dynamique (respectivement à partir des différences de moyennes de rentabilité économique

et du taux de croissance sur les deux périodes), le passage à la propriété privée n’influe pas

positivement sur la performance, de manière systématique. Comme le commente l’auteur

(p. 62), « l’effet de la privatisation s’est traduit par des augmentations significatives de

performance dans à peu près autant de cas que ceux pour lesquels ces effets se sont traduits

par une baisse significative » (NT)70. Cependant, Villalonga observe que l’accroissement

de performance observé dans certains cas s’explique par des facteurs politiques et

organisationnels (table 6). Ainsi, la privatisation en période de croissance ou lorsqu’elle

fait appel à des investisseurs étrangers, est plus avantageuse en termes de rentabilité, et a

fortiori pour les entreprises de grande taille. De plus, l’effet positif de la privatisation sur la

performance organisationnelle n’apparaît significatif qu’après la septième année

consécutive à la privatisation. Cette dernière conclusion souligne la période transitionnelle

(de six ans dans son étude) vécue par les entreprises privatisées. Enfin, l’auteur observe un

accroissement significatif de performance trois ans avant l’année de privatisation. Cette

dernière observation, combinée au rejet de la première hypothèse testée par Villalonga,

remet en question la nature de la propriété comme seule variable explicative de l’efficience

organisationnelle. Les résultats obtenus sur les facteurs politiques et organisationnels

distincts de la propriété vont également dans ce sens.

Dans une perspective similaire, Alexandre et Charreaux (2001) observent dans le

contexte français (sur un échantillon de 19 entreprises privatisées) un accroissement non

significatif de la performance qui en outre, lorsqu’il a lieu est observé antérieurement à la

privatisation. Les auteurs concluent « [qu’] outre les problèmes de pertinence et de

fiabilité des mesures de performance, ces études sont confrontées à de multiples difficultés

liées à la complexité du processus de privatisation, à sa dimension temporelle qui dépasse

souvent les horizons retenus et à son caractère contingent, par rapport au contexte

70 « the effect of privatization has led to significant increases in efficiency in about as many cases as it has led to significant decreases ».

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77

économico-politique ou réglementaire ». Comme le suggèrent ces auteurs, le recours aux

études cliniques semble s’imposer pour comprendre la dynamique sous-jacente à la

privatisation. Ces études plus récentes révèlent finalement la nécessité de prendre en

compte les processus adaptatifs internes au niveau des composantes de l’architecture de la

firme, notamment du système de gouvernance.

En définitive, l’approche dynamique du lien entre la privatisation et la performance

apporte des conclusions plus précises sur l’effet spécifique de la propriété. Finalement, en

écho à l’analyse théorique de la propriété (section 2), celle-ci, prise isolément, semble

jouer un rôle relatif, comparativement aux combinaisons potentielles de la propriété avec

certaines autres variables, de nature environnementale liées à l’organisation (structure et

comportement des acteurs après la privatisation) ou aux forces de marché (concurrence et

dérégulation).

Section 4 : Forces de marché et comportement managérial : une remise en cause de

la propriété comme facteur discriminant

Le développement précédent nous a permis de faire ressortir la portée limitée de la thèse

de la propriété dans l’analyse des effets de la privatisation sur la performance

organisationnelle. En ce sens, les différentiels de performance entre les firmes publiques et

privées, lorsqu’ils existent, pourraient s’expliquer par d’autres variables que la seule nature

de la propriété. Ainsi, la privatisation ne serait pas systématiquement justifiée, ou tout du

moins, les accroissements de performance pourraient être liés à d’autres logiques que celle

du changement de propriétaires. Les illustrations empiriques précédentes (notamment

celles appartenant au premier corps de travaux) sous-entendent une approche

complémentaire fondée sur l’influence des mécanismes de marché sur le comportement

des dirigeants qu’ils soient publics ou privés. Cette orientation du débat sur la privatisation

a initié une réflexion sur la question de la dérégulation des secteurs de service public

parallèlement à la privatisation de leurs acteurs71. Parmi les huit leçons des privatisations

passées, mentionnées par un numéro du bulletin de la recherche de la politique de la

Banque mondiale, quatre d’entre elles se réfèrent plus ou moins explicitement aux effets du

71 Harvard Business Review, mai-juin 1993 « Why Privatization Is Not Enough », K.R. MacDonald, p. 41-49 ; Harvard Business Review, janvier-février 1996 « Electric Utilities : The Argument for Radical Deregulation » de Navarro, p.112-125.

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78

marché dans l’accompagnement des programmes de privatisation (Annexe 3). A cet égard,

nous pouvons constater que les privatisations les plus récentes, par exemple en France,

concernent aujourd’hui les entreprises de secteurs récemment dérégulés (France Télécom

dans le secteur des télécommunications, Air France dans le secteur du transport aérien), ou

en cours de réflexion (secteurs des chemins ferroviaires ou de distribution d’électricité - La

Tribune, 1er mars 2001). Le développement suivant envisage l’argumentation théorique fondée sur le même

principe explicatif que la thèse de la propriété (celui de l’efficacité) (4.1). Cette approche

nous apporte plusieurs enseignements quant à l’analyse du lien entre privatisation et

performance (4.2).

4.1. Structure du marché et mécanisme incitatif à la performance

Principalement développée dans la littérature de l’économie industrielle, la thèse des

forces de marché72 défend l’idée selon laquelle le différentiel de performance

organisationnelle dépend de la structure du marché. Ainsi, une firme qui intervient sur un

marché concurrentiel sera plus efficace que la même firme en situation de monopole. Le

principe sous-jacent est celui de la sélection naturelle qui stipule que les organisations

efficaces sont celles qui survivent à terme. Ainsi, en milieu concurrentiel, l’impératif

d ‘efficacité (technique) est une condition de survie pour les firmes, les entreprises les

moins compétitives étant condamnées à terme, à disparaître soit par éviction soit par

intégration.

En ce sens, l’existence de la concurrence confère au marché un pouvoir incitatif sur le

comportement maximisateur des décideurs. Dans un tel contexte, les dirigeants sont

contraints de réduire au mieux les coûts opérationnels, notamment dans le cadre d’une

recherche d’avantage concurrentiel en système de volume et, plus généralement, de

répondre à l’impératif d'efficacité technique. Traduit par les prix de marché, cet impératif

s’explique par la capacité de comparer les différentes offres et la performance de chaque

72 Issue du modèle néoclassique de l’équilibre général, la théorie de l’économie du bien-être stipule que « l’allocation concurrentielle des biens est une allocation efficace. A l’équilibre concurrentiel les prix fournissent aux consommateurs et aux firmes toutes les informations dont ils ont besoin pour agir », à condition que ces agents maximisent respectivement leur utilité et leur profit (Milgrom et Roberts, 1997 ; p. 115).

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79

firme (Vickers et Yarrow, 1991, p. 116). Il constitue la menace73 essentielle d’éviction

exercée par tout marché concurrentiel. C’est cette « capacité informative » qui confère au

marché des biens et services un rôle de mécanisme incitatif sur le comportement des

dirigeants, quelle que soit la nature publique ou privée de la propriété. Ainsi, les conditions

de marché apparaissent comme essentielles dans le processus qui conduit à un certain

niveau de performance de la firme. Cette conclusion rejoint celle de Demsetz (Op. cit.)

déjà évoquée lors du questionnement sur la propriété et en particulier sur la thèse de sa

neutralité74. En ce sens, le contexte de marché semble influer davantage sur le

comportement managérial à l’égard de la performance que la nature même de la propriété

(Vickers et Yarrow, 1988, p. 39 et suivantes ; Kay 1993 ; Gathon et Pestieau, 1996). Ainsi,

les caractéristiques du marché dans lequel se réalise la privatisation de la firme, doivent

être prises en compte dans l’analyse de la relation entre la privatisation et la performance

organisationnelle.

4.2. Privatisation, structure de marché et performance

Cette prise en compte de la variable de marché dans l’analyse de la privatisation conduit

à l’hypothèse selon laquelle la performance inférieure de la firme publique

comparativement à son homologue privée provient en réalité de son « immunité » à l’égard

de la discipline du marché, notamment celui des biens et services (Anderson et al, 1997, p.

1637). Trois interprétations sont alors possibles quant aux résultats attendus de cette thèse,

en particulier dans le contexte des effets de la privatisation sur la performance.

Tout d’abord, la comparaison de performance, en milieu concurrentiel, de l’entreprise

publique et de son homologue privée, devrait conduire à des résultats rejetant l’hypothèse

de différence de performance75 d’une part, de supériorité de performance de la firme privée

d’autre part. En référence à l’analyse précédente des travaux empiriques sur le sujet, les

conclusions sont variées reflétant celles relatives à la thèse de la propriété. En effet, si

Caves et Christensen (Op. cit.) observent un rattrapage de l’entreprise publique canadienne

73 Cette menace est d’autant plus forte que le marché est contestable, c’est-à-dire où les barrières à l’entrée sont faibles. Ainsi, la concurrence potentielle liée à ces éventuels entrants exerce, au-delà des prix du marché, une pression certaine sur les acteurs existants, à condition que le marché soit réellement contestable (Vickers et Yarrow, 1988, p. 54-61). 74 Cf. supra section 2. 75 Résultat observé en particulier par Borcherding (Op. cit.), cf supra paragraphe 3.1.1.

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80

de transport ferroviaire sur son homologue privé76, la robustesse des résultats de l’étude de

Boardman et Vining, (Op. cit.) conduit à rejeter l’hypothèse des forces de marché au profit

de la première77.

La deuxième interprétation de l’approche des forces de marché repose plus directement

sur les effets de la privatisation sur la performance. Deux perspectives, observées

empiriquement sont envisageables. La première concerne l’absence de variation de la

performance des entreprises publiques concurrentielles après leur privatisation, comme

l’observent Galal et al. (Op. cit.) sur deux entreprises chiliennes d’électricité. En outre, la

seconde perspective privilégie un lien positif entre la privatisation des entreprises

combinée à la dérégulation sectorielle et leur performance (Catelin et Chatelin, 2001).

Selon cette dernière hypothèse, la dérégulation devrait conduire à un accroissement de

performance significatif, en raison de « la rupture du monopole informationnel sur les

conditions sectorielles »78.

Enfin, remarquons que dans la perspective des forces de marché, si la privatisation

conduit à une amélioration de performance des entreprises déjà concurrentielles, comme

l’ont observé Megginson et al. (Op. cit.), Villalonga (Op. cit.), Alexandre et Charreaux

(Op. cit.), alors la thèse envisagée ici tombe. Toutefois, il est possible que la modification

de la propriété implique de nouvelles configurations de l’architecture organisationnelle

dans un contexte concurrentiel. En ce sens, aucune étude, à notre connaissance n’a pu

réellement examiner cet aspect. L’ouverture d’une nouvelle démarche se reflète d’ailleurs

dans la conclusion finale de Megginson et al., (Op. cit.): « Nous ne pouvons pas expliquer

ces changements à partir de nos données. Nous pouvons seulement montrer que, quelle

qu’en soit la raison, les entreprises privatisées bénéficient d’une meilleure performance

opérationnelle et financière en même temps que d’un niveau d’emploi stable». (NT, p.

448)79 (nos propres italiques). Dans le même sens, l’évolution méthodologique examinée

dans la section 3 suggère d’une certaine façon la même voie de recherche. On comprend

76 Notamment dans la perspective de l’intensification de la concurrence et après la promulgation du National Transport Act en 1967, cf. supra paragraphe 3.1.1. 77 Les mêmes conclusions peuvent être avancées quant aux comparaisons de performance des deux types organisationnels en milieu régulé, comme Boardman et Vining, (Op. cit.) l’ont démontré à travers leur revue de littérature. 78 « […] competitive forces break the « monopoly of information » about industry conditions […].» (guillemets des auteurs), Vickers et Yarrow (1988, p. 51). 79 « we are unable to document these changes with our data. We can only show that for whatever reason, newly privatized firms benefit from improved operating and financial performance while maintaining total employment ».

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81

dès lors que les travaux comparatifs et longitudinaux, fondés sur les deux thèses

traditionnelles de la propriété et des forces concurrentielles conduisent à des résultats aussi

hétérogènes.

En conclusion de cette section, au vu des arguments qui précèdent, la thèse de la

propriété et celle des forces de marché sont deux approches complémentaires comme le

résument Loveman et Goodman dans l’approche normative de la privatisation (1992, p.

13) : « les deux critères de base d’une bonne privatisation [se trouvent] là où la

concurrence et les mécanismes organisationnels garantissent que les managers font ce que

les propriétaires veulent qu’ils fassent. » En définitive, le débat sur la privatisation reste

ouvert. Il est construit sur des arguments théoriques qui donnent autant de légitimité à la

propriété qu’aux vertus des mécanismes de marché dans la compréhension de la relation

entre la privatisation et la performance organisationnelle. Ainsi, les apports essentiels de

ces approches ressortent à travers les limites auxquelles ils sont confrontés. Le regard

critique porté sur les approches théoriques, ainsi que sur l’évolution des approches

empiriques, nous conduit finalement à une nécessaire remise en question de la manière de

poser la problématique de départ.

Section 5 : Synthèse et extension : une remise en question de l’interprétation

théorique

L’analyse précédente nous a permis de faire une revue des deux principaux corps de

travaux sur la privatisation, construits sur la base de deux théories traditionnelles de la

firme. Le premier porte sur une analyse comparative des performances publiques et

privées. Le second est relatif à une approche longitudinale du lien entre la privatisation et

la performance. Trois conclusions ressortent de l’analyse de ces deux groupes de travaux.

Premièrement, ces études ont permis de mettre en évidence la confirmation de

l’hétérogénéité des résultats obtenus par ces multiples études, quelles que soient la

méthode de mesure de performance et l’approche théorique retenues. Ainsi, bien qu’elle ne

soit pas réfutée par les travaux transversaux, la thèse de la supériorité de la propriété

privée, n’est pas non plus totalement corroborée, notamment en raison des nuances qui

ressortent des études plus qualitatives. De là, l’évolution méthodologique observée

précédemment semble exprimer la volonté de dépasser progressivement les limites d’ordre

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méthodologique, susceptibles d’être à l’origine des résultats obtenus. A cet égard, bien

qu’il existe quelques revues de littérature empirique, aucune à notre connaissance n’a

proposé une classification fondée sur cette progression.

Le tableau suivant propose une classification fondée sur les résultats des études,

empruntée pour partie aux revues empiriques existantes, en ajoutant parallèlement la nature

méthodologique de ces travaux, tant en termes de mesure de performance qu’en termes

qualitatif/quantitatif. Cette synthèse permet de montrer comment, à l’opposé des attentes

initiales, cet élargissement des approches méthodologiques confirme finalement

l’hétérogénéité des résultats. L’ambiguïté soulevée par les études de cas s’observe à

nouveau dans les études plus transversales, malgré l’évolution de l’approche de la

performance, appréhendée davantage en dynamique dans les travaux plus récents.

D’ailleurs, en référence aux précédents développements, au vu des conclusions de ces

derniers travaux, l’approche dynamique de la privatisation permet d’enrichir les résultats

des études qui les ont précédés. Enfin, cette synthèse montre aussi comment les dernières

options méthodologiques qui proposent une approche renouvelée de la performance,

constituent une tentative d’identification des variables susceptibles d’expliquer cette

ambiguïté. Enfin, en dépit de cette dernière, les travaux présentent des résultats

globalement favorables à la thèse de la propriété tout en soulignant l’existence très

probable d’interaction avec d’autres variables dans la relation privatisation et performance.

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Tableau 4 : Revue de littérature sur les études longitudinales de la privatisation, l’évolution méthodologique

R

ésultats obtenus A

pproche de la performance

Auteurs

& cham

p d’investigation B

aisse ou stagnation de la perform

ance après P A

ccroissement

de Performance après P

Statique D

ynamique

Partenaires

Etudes de cas G

alal et al., 1994 12 firm

es dans 4 pays Entreprises

électricité chiliennes

performantes avant Privatisation, effet

négatif sur certains partenaires selon cas

Majorité des cas,

Performance après P > perform

ance théorique publique

r

Em

ployés, clients,

gouvernement,

actionnaires Parker et M

artin, 1995 11 firm

es anglaises Stagnation pour une partie des firm

es A

mélioration de perform

ance pour 50% firm

es après

P, m

ais aussi

pour certaines

firmes

amélioration de perform

ance seulement avant P

r

A

ctionnaires, clients, em

ployés

Ram

amurti et al., 1997

Ferrocarilla Argentinos (transport ferroviaire)

Baisse niveau em

ploi H

ausse de la productivité et de la qualité des services

(et gam

me),

meilleure

affectation des

dépenses d’investissement

r

C

lients, cadres

dirigeants, employés

Eckel et al., 1997 British Airways et Air Canada

H

ausse du niveau concurrentiel, baisse prix du m

arché (pour BA

seulement)

r

Etudes transversales M

egginson et al., 1994 61 firm

es, 18 pays, 32 secteurs

Hausse

des V

entes, rentabilité,

niveau investissem

ent, dividende,

désendettement,

turnover des administrateurs

r

Em

ployés, actionnaires

D’souza et M

egginson, 1998 85 firm

es / 28 pays industrialisés

Baisse niveau em

ploi H

ausse des

Ventes,

rentabilité, niveau

investissement

r

Em

ployés, actionnaires

Boubakri et C

osset, 1998 79 firm

es, 21 PVD

Idem

Megginson et al., (1994)

r

Em

ployés, actionnaires

Dew

enter et Malatesta, 2001

63 firmes

H

ausse de Rentabilité, productivité em

ployés sur C

T et LT, désendettement

Hausse résultat opérationnel avant P, rentabilité

anormale des titres significativem

ent positive sur le LT

r

A

ctionnaires

Villalonga, 2000

22 firmes espagnoles

Baisse

significative de

performance

pour 50% des firm

es (m

odèle 1, statique)

significativité pour 50% des firm

es (statique), dépend de la période considérée (étendue et conjoncture) et des caractéristiques politiques et organisationnelles (m

odèle 2) significativité pour 25%

des firmes (dynam

ique)

r

r

Actionnaires

Alexandre et C

harreaux, 2001 19 firm

es françaises N

on significativité

des variations

de rentabilité,

emploi,

de politique

de dividendes, am

élioration avant la P

5 indicateurs de performance sur 20 présentent des

variations significatives (productivité, désendettem

ent, dividende…) m

ais en réalité variations antérieures à la P (m

odèle 1) significativité pour 25%

des firmes

rôle des variables de gouvernance

r

r

Actionnaires

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78

Deuxièmement, cette synthèse vise à mettre en exergue une seconde conclusion relative

à la portée de ces études et aux questions méthodologiques auxquelles celle-ci renvoie. En

effet, ce tableau reprend les deux approches empiriques possibles lorsque l’on cherche à

étudier la portée explicative et/ou prédictive d’une question théorique. Ainsi, l’étude de cas

constitue une démarche qui permet d’analyser en profondeur les mécanismes mis en jeu

par un phénomène étudié. En ce sens, elle permet de capter des éléments qualitatifs ainsi

que les interactions complexes entre diverses variables alors que les travaux plus

transversaux visent à identifier les tendances générales à partir de tests de significativité.

Le tableau proposé met ainsi en exergue le lien entre la remise en question, par les études

de cas, des conclusions propres aux études transversales et la significativité relative des

résultats de ces dernières. En outre, les études qualitatives ont permis de soulever des

questions que l’on retrouve dans les travaux transversaux plus élaborés qui tentent de

prendre en compte l’aspect progressif de la privatisation sur les variables de performance.

En ce sens, ces derniers travaux plus sophistiqués peuvent s’interpréter comme une

recherche d’indicateurs plus pertinents de mesure des effets de la privatisation afin de

pouvoir corroborer finalement la thèse de la propriété. En dépit de cet effort

méthodologique, l’ambiguïté des résultats demeure mais cette progression de l’approche

empirique permet de mieux comprendre l’hétérogénéité des conclusions qui ressort d’une

manière générale dans les différents types de travaux. Le schéma ci-dessous propose un

résumé des différentes approches empiriques sur la privatisation fondées sur

l’argumentation théorique de la propriété et/ou sur celle des forces concurrentielles.

Schéma 1 : Privatisation et performance : l’évolution de la problématique des travaux sur

le test de la propriété

…1980’s 1990’s

Comparaison performance publique/privée

Comparaison Performance

avant/après privatisation

Boardman et Vining, (1989)… Dewenter et Malatesta, (2001)…

Villalonga (2000)… Galal et al., (1994)Parker, (1994)…

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79

Troisièmement, de manière corollaire, le doute persistant relatif aux conclusions des

tests de la thèse de la nature de la propriété renvoie à la problématique initiale. Sans le

remettre totalement en cause, la synthèse des conclusions empiriques suggère que le cadre

théorique de départ est insuffisant, dans la mesure où il ne permet pas de tenir compte des

processus mis en jeu par la privatisation. C’est dans cette perspective que se positionne le

second courant relatif aux forces de marché (et à leurs implications sur le comportement

managérial), considérées alors comme la variable alternative de la performance des

entreprises. En effet, dès les premiers travaux sur la privatisation, la question de la logique

de dérégulation distincte de la privatisation est posée et jusque là, trouve une réponse assez

diffuse sur l’influence respective de chacune d’elles sur la performance de la firme. En

d’autres termes, dans la mesure où la privatisation semble avoir des effets plus marqués

lors qu’elle s’accompagne d’une dérégulation, la propriété comme facteur explicatif

exclusif de la performance semble être remise en question, notamment au profit des forces

de marché. Par conséquent, cette approche remet en cause le cadre théorique initial. Plus

précisément, si le lien positif entre privatisation et performance est globalement admis, les

cas particuliers soulignent la nécessité de tenir compte des interactions organisationnelles

avec l’environnement en considérant d’autres variables. Comme le suggère Villalonga (Op.

cit.), « la privatisation a d’autres implications, politiques et organisationnelles, qui

affectent probablement l’efficience de la firme, soit positivement soit négativement, et de

là, renforcent ou contrecarrent l’effet spécifique du changement de propriété » (NT, p.51,

italique de l’auteur)80. Il apparaît donc que l’approche par la TDP, trop restrictive en elle

même pour identifier l’interaction des facteurs de performance organisationnelle, soit

enrichie par d’autres approches susceptibles d’expliquer la complexité des mécanismes mis

en jeu lors de la privatisation. Ce constat global justifie par conséquent, une approche plus

endogène de la propriété susceptible d’expliquer comment la propriété publique peut dans

certains cas, apparaître comme une forme d’organisation efficiente.

80 « Privatization has other implications, political and organizational, that are likely to affect the firm’s efficiency, either positively or negatively, and therefore, reinforce or counteract the effect of the change in ownership per se ».

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80

Conclusion du chapitre 1

Ce premier chapitre nous a permis de relever les principaux arguments relatifs au débat

sur le lien entre privatisation et performance afin d’isoler les variables concernées par la

privatisation. Ce débat est loin d’être clos compte tenu de la diversité des résultats

empiriques. Toutefois, cette analyse de l’argumentation traditionnelle conduit à deux

observations, comme le souligne le schéma suivant.

Schéma 2 : La problématique de la privatisation dans la littérature et ouverture

Débat Privatisation et Performance

Les contours de la privatisation

(section 1)

La privatisation de l’entreprise…

… La performance et

la propriété

… La performance et

les forces de marché

Performance comparée des propriétés

publiques et privées

Performance avant/après Privatisation

Vertu incitative et

comportement managérial

Implication organisationnelle

(Prémices de l’approche systémique du

fonctionnement organisationnel)

Ambiguïté des résultats empiriques

Propriété et Mécanisme de Marché, implication conjointe sur le

fonctionnement et sur la performance organisationnelle

Caractéristiques organisationnelles publiques et privées

Retour sur les arguments théoriques complémentaires aux premiers fondements

de la TDP

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81

Celui-ci reprend en effet la problématique de la privatisation telle qu’elle ressort du

débat scientifique traditionnel en vue de faire ressortir deux enseignements relatifs à la

portée explicative de ces approches traditionnelles de la privatisation.

Tout d’abord, la réflexion est construite sur deux thèses qui paraissent en définitive plus

complémentaires qu’antinomiques. D’un coté, la thèse de la propriété soutient un lien

positif entre la privatisation et la performance organisationnelle. De l’autre coté, la thèse

des forces de marché considère celles-ci comme la variable explicative alternative de la

performance des organisations quelle que soit la nature de leur propriété. L'ambiguïté des

résultats empiriques, constatée tant dans les travaux comparatifs des deux types

organisationnels que dans les travaux longitudinaux ou plus qualitatifs sur les entreprises

privatisées, abonde dans le sens d’une complémentarité des deux approches. En effet, la

revue des travaux empiriques démontre qu’en milieu concurrentiel, les deux types

organisationnels peuvent présenter des niveaux de performance équivalents. En ce sens, la

propriété importe moins que l’existence des forces de marché (Caves et Christensen, Op.

cit.). En outre, la privatisation peut conduire à des améliorations significatives de

performance (Megginson et al, Op. cit.) bien qu’en dynamique les tendances soient moins

prononcées (Villalonga, Op. cit. ; Alexandre et Charreaux, Op. cit.). Enfin, la privatisation

d’entreprises concurrentielles semble contribuer à l’accroissement de leur performance

(Eckel et al, Op. cit.). Ainsi, les facteurs explicatifs de cette dernière reposent sur une

combinaison de deux logiques (force de marché et changement de propriété). Finalement,

ce constat global libère le débat du seul procès de la propriété publique puisque selon

l’entreprise, les effets de la privatisation sur la performance varient.

La deuxième observation est celle de la complexité des processus mis en jeu lors de la

privatisation. En effet, l'ambiguïté des résultats relatifs à la question des effets de la

privatisation sur la performance des entreprises rejoint en définitive la réflexion plus

générale sur les déterminants de la performance. Le problème organisationnel est, en effet,

celui des facteurs explicatifs de l’efficience de la firme et, plus précisément, de leur

articulation. En conséquence, les résultats empiriques ont permis d’illustrer la complexité

des effets de la privatisation sur la performance organisationnelle, sans rejeter l’hypothèse

de la propriété. Au vu des arguments précédents, les deux théories fondatrices qui sous-

tendent cette hypothèse nous enseignent finalement que la privatisation d’une organisation

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82

induit un processus complexe de transformation et d’interactions des variables

organisationnelles.

De là, il nous paraît essentiel d’analyser le fonctionnement des deux formes

organisationnelles afin d’appréhender plus précisément les variables qui participent à la

performance et la manière dont la privatisation peut influer sur leur comportement. Le

chapitre suivant est consacré à l’approfondissement de ces aspects qui ont suscité des

arguments théoriques complémentaires à ces théories et sur lesquels sont fondés, plus ou

moins directement, les travaux empiriques examinés ici.

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83

Chapitre 2

Analyse comparative des formes organisationnelles publiques et

privées : contributions des approches contractuelles

RiRiRiRien n’est plus dangereux qu’une vision dogmatique; rien n’est plus contraignant, plus opposé à en n’est plus dangereux qu’une vision dogmatique; rien n’est plus contraignant, plus opposé à en n’est plus dangereux qu’une vision dogmatique; rien n’est plus contraignant, plus opposé à en n’est plus dangereux qu’une vision dogmatique; rien n’est plus contraignant, plus opposé à l’innovation, plus contraire à l’acceptation de la nouveauté.l’innovation, plus contraire à l’acceptation de la nouveauté.l’innovation, plus contraire à l’acceptation de la nouveauté.l’innovation, plus contraire à l’acceptation de la nouveauté.

D’un autre coté, une vision riche est le chemin le plus direct qui mène à la découverte de nouveaux D’un autre coté, une vision riche est le chemin le plus direct qui mène à la découverte de nouveaux D’un autre coté, une vision riche est le chemin le plus direct qui mène à la découverte de nouveaux D’un autre coté, une vision riche est le chemin le plus direct qui mène à la découverte de nouveaux concepts, et le plus bel aiguillon pour effectuer des relations : en d’autres termesconcepts, et le plus bel aiguillon pour effectuer des relations : en d’autres termesconcepts, et le plus bel aiguillon pour effectuer des relations : en d’autres termesconcepts, et le plus bel aiguillon pour effectuer des relations : en d’autres termes

c’est le meilleur ressort possible pour opérer une abduction au sens de Peirce. c’est le meilleur ressort possible pour opérer une abduction au sens de Peirce. c’est le meilleur ressort possible pour opérer une abduction au sens de Peirce. c’est le meilleur ressort possible pour opérer une abduction au sens de Peirce.

S. J Gould, Essai n°8, p. 127.S. J Gould, Essai n°8, p. 127.S. J Gould, Essai n°8, p. 127.S. J Gould, Essai n°8, p. 127.

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84

Le chapitre précédent, relatif au débat traditionnel sur le lien entre propriété et

performance a permis de mettre en lumière l’importance d’une analyse centrée sur les

réactions organisationnelles (en matière d’efficience) dans le contexte de la privatisation. A

l’issue de cette première analyse, la question de la nature de la propriété et de ses vertus à

l’égard de la performance reste posée. Selon le principe d’efficacité qui, rappelons-le,

stipule que les formes organisationnelles efficaces sont celles qui survivent à terme,

l’organisation publique, présentant des sources d’inefficience supérieure comparativement

à son homologue privée, est donc vouée à disparaître. Or, force est de constater la

persistance de ce type organisationnel81 et son rôle économique82 en dépit de la réalisation

des vastes programmes de privatisation observés. Par conséquent, il apparaît probable que

l’analyse initiale des caractéristiques de la firme publique soit incomplète. De plus, le

chapitre précédent a permis de démontrer l'ambiguïté des résultats empiriques et, ce

faisant, la corroboration partielle, et non totale, de la thèse de la non-neutralité de la nature

de la propriété.

Ainsi, la propriété (selon sa nature, publique ou privée) mais aussi d’autres variables,

internes (relatives aux comportements des parties prenantes au sein de la firme) et externes

(comme, par exemple, les forces actives du marché des biens) sont susceptibles

d’intervenir dans le niveau de performance organisationnelle. En ce sens, d’après cette

première réflexion, la privatisation n’est pas simplement une question de changement de

nature de la propriété, parfois combinée à la dérégulation du marché. Elle semble produire

des réactions organisationnelles plus complexes issues de ces deux types de modifications

à laquelle on l’associe. L’analyse positive du lien entre privatisation et performance

organisationnelle nécessite, par conséquent, une approche plus qualitative de la réponse de

la firme à ce changement de propriété. Cette approche doit permettre de prendre en compte

81Depuis la création des banques publiques dans la Grèce antique. 82 Un regard objectif porté sur les nationalisations françaises notamment (d’après guerre ou dans les années 80), témoigne aussi de l’efficacité de la forme organisationnelle publique dans certains contextes conjoncturels. Ainsi comme le constate Bancel (1995) qu’il s’agisse des motifs d’interventionnisme étatique tels que « la recherche d’une meilleure efficacité ou la rationalisation de l’appareil productif national » (p. 23) ou du bilan des nationalisations de 1982. Selon l’auteur, un tel bilan ne peut nier ni l’aide publique à « certaines sociétés en difficulté à sortir de la crise (Rhône-Poulenc, Renault, etc.) », ni l’amélioration des résultats des entreprises sous contrôle de l’Etat sur cette période, ou « la réorganisation de l’appareil industriel français ». « De nombreuses entreprises publiques sont ainsi devenues, dans les années qui ont suivi leur nationalisation, des groupes de niveau mondial (Usinor Sacilor, Péchiney, etc.) ». (p. 27). Voir aussi Bizaguet, (1992, p.36 et suivantes, p. 49-63) notamment chapitres 4, 5 et 6 sur l’impact du secteur public en France et en Europe entre 1973 et 1989.

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les niveaux organisationnels susceptibles d’être touchés, dans leur fonctionnement, par la

privatisation.

A partir de cet enseignement qui ressort de la précédente analyse, la question que nous

posons ici est celle des propriétés respectives de la forme organisationnelle publique et de

son homologue privée. De la même manière qu’en chimie par exemple, nous proposons

donc d’appréhender les contours de chaque corps organisationnel, à le définir, par ses

qualités propres en matière d’efficience, afin de comprendre le passage de l’un à l’autre.

Ainsi, le développement suivant propose une analyse comparative de l'organisation

publique et de l’organisation privée à travers différents prismes théoriques. L’objectif est

de faire une revue succincte des différentes approches de la firme, complémentaires aux

deux perspectives initiales envisagées précédemment, pour pouvoir appréhender ensuite, la

manière dont la privatisation est susceptible de modifier le comportement de la firme à

l’égard de la performance. Cette seconde étape d’analyse de notre problématique est donc

une étape préalable pour pouvoir répondre à la question reformulée implicitement à l’issue

du premier chapitre : comment la privatisation agit-elle sur les variables de performance

organisationnelle ?

L’argumentation centrale, testée dans les travaux empiriques déjà mentionnés, relève en

fait, de l’analyse approfondie des conditions et des difficultés que rencontre toute

coopération, qu’elle soit publique ou privée, entre individus motivés par des objectifs

individuels et collectifs, en milieu incertain et instable. Cet angle d’analyse est celui des

théories de l’organisation qui visent à examiner le problème organisationnel tel que C.

Barnard l’avait déjà expérimenté puis théorisé au cours de la première moitié du siècle

dernier. Comme le relèvent Levitt et March (1990), la préoccupation majeure des

théoriciens de la firme provient de la distinction telle que l’a proposée Barnard (1938)

entre les systèmes conflictuels et coopératifs. Le problème organisationnel consiste alors à

transformer le premier, formé d’un groupe d’individus en relation d’échange mais dont les

objectifs sont différents en un groupe d’individus agissant rationnellement au nom d’un

objectif commun, qui caractérisent le système coopératif83.

Au-delà de l’analyse des attributs de la propriété publique et privée, il convient par

conséquent, d’identifier plus globalement, les sources de coûts de chaque forme

d’organisation des interactions individuelles. Comme la section 2 du chapitre précédent l’a

83 Levitt et March (1990), p. 12.

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démontré, l’approche première du lien entre propriété et performance a été développée à

partir des fondements de la théorie des droits de propriété. Or, l’objet de celle-ci repose sur

la configuration des droits de propriété qui, en réalité, font l’objet de transactions entre

individus aux intérêts propres. Ainsi, l’analyse des sources de coûts de l’architecture

organisationnelle publique et privée s’oriente naturellement, vers les approches

contractuelles complémentaires. Nous proposons de cette manière, une lecture comparée

des caractéristiques de chaque forme organisationnelle à partir des apports essentiels des

trois axes principaux de l’approche contractuelle de la firme: la branche récente de la

théorie des droits de propriété, celle des contrats incomplets (section 1), l’approche des

conflits à partir de la relation principal-agent (section 2) et la théorie des coûts de

transaction (section 3) 84 .

L’objectif de ce chapitre consiste donc, à travers ces lectures différentes du

fonctionnement de la firme, en un approfondissement de notre compréhension du

fonctionnement de la firme publique et de la firme privée (telles que nous les avons

définies au départ). La section 4 est consacrée à une synthèse de ces diverses lectures qui

visent à comparer, selon l’unité d’analyse, le fonctionnement de l’entreprise publique et de

sa consœur privée pour pouvoir, par la suite, appréhender plus qualitativement, la question

de l’influence de la privatisation sur le fonctionnement organisationnel.

Section 1 : Contribution de la théorie des contrats incomplets

Deux raisons motivent notre choix de présenter en premier lieu les apports de la théorie

des contrats incomplets (désormais TCI). Tout d’abord, cette approche contractuelle de la

firme se rattache directement aux fondements premiers de la TDP puisqu’elle est

actuellement assimilée à sa forme moderne. Celle-ci se concentre, rappelons-le, sur les

caractéristiques d’efficience des droits de propriété économiques telles que l’envisage

l’argumentation centrale du lien positif entre privatisation et performance (chapitre 1).

84 Une délimitation nette de chaque perspective théorique contractuelle paraît impossible dans la mesure où elles s’empruntent mutuellement certaines hypothèses. Notons à ce sujet, que la littérature sur la problématique qui nous concerne ici n’a pas traité simultanément ces différentes lectures, à notre connaissance. Ainsi, ce chapitre a pour modeste ambition d’appréhender la firme sous chacun de ces angles. Le lecteur ne sera donc pas surpris de rencontrer régulièrement certaines références théoriques de l’une ou l’autre perspective, déjà mentionnée.

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Nous verrons en quoi elle se distingue de l’approche originelle de la TDP et l’enrichit

significativement. Ensuite, comme l’un de ses auteurs de référence le mentionne, c’est une

approche contractuelle qui partage les hypothèses des approches complémentaires de la

firme en tant qu’arrangement contractuel, celle des coûts de transaction et l’approche

principal-agent (Hart, 1990, p. 164-165). En ce sens, nous pouvons considérer que la TCI

est un consensus intéressant puisque ses apports peuvent être étendus aux autres

perspectives contractuelles de l’organisation. Nous allons, par conséquent, présenter ces

hypothèses communes (1.1) en précisant que les hypothèses plus spécifiques aux autres

perspectives seront réservées aux sections qui les concernent. Ensuite, dans l’esprit de ce

chapitre, nous aborderons la lecture théorique des contrats incomplets qui caractérisent la

firme privée et son extension à la firme publique (1.2).

1.1. Hypothèses fondatrices et modèle des contrats incomplets

D’un point de vue épistémologique, « tout modèle est relié à un aspect de la réalité par

l’assertion d’une correspondance en général conditionnelle et incomplète, souvent

analogique » (Salmon, 2001, p. 387). Par exemple, comme nous l’avons abordé dans le

précédent chapitre, les théories de l’organisation abordent celle-ci à partir d’hypothèses

permettant de s’en faire une représentation simplifiée, grâce à certains outils analytiques85.

Dans le cas précis des théories contractuelles, l’entreprise est analysée à partir de la notion

de contrat, support de la coopération entre individus dont le comportement est modélisé à

partir de certaines hypothèses scientifiques. Les contrats représentent ainsi l’outil

analytique permettant de comprendre l’existence, les frontières et/ou le fonctionnement de

l’organisation. L’emploi de cet outil analytique des relations internes et externes à

l’organisation, par l’ensemble des approches contractuelles, est subordonné à certaines

hypothèses simplificatrices nécessaires à la mise en correspondance du modèle avec la

réalité de l’objet d’analyse. En ce sens, toute coopération entre acteurs, au sein, en dehors

ou avec la firme, est analysée sous l’angle d’une coordination entre partenaires qui

s’engagent à certains comportements réciproques. Le contrat en tant que dispositif de

coordination renvoie alors à la notion d’incomplétude contractuelle. Celle-ci est

directement liée aux hypothèses comportementales des individus au sein de la firme et du

contexte environnemental dans lequel ceux-ci évoluent.

85 Un cas extrême de représentation de la réalité organisationnelle est la firme point, analysée à partir de sa fonction de production.

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A l’origine, la TDP s’inscrit, comme nous l’avons déjà abordé, dans ce contexte

d’incomplétude. Dans son prolongement, la TCI, comme son nom l’indique, est donc

construite essentiellement sur cette caractéristique des contrats qui gèrent l’échange des

actifs entre individus et, plus largement, leur coordination.

Comme les autres interprétations alternatives de l’organisation, la TCI suppose86 une

rationalité limitée des agents économiques qui prennent part à la firme. En ce sens, les

individus agissent de manière responsable, délibérée et intentionnelle lors d’une

coopération, en particulier au sein de la firme, dans la limite de leur capacité cognitive et

des informations disponibles. A cette hypothèse comportementale s’ajoute une hypothèse

relative à l’environnement dans lequel les individus agissent. En effet, cet environnement

se caractérise par une information imparfaite, coûteuse à acquérir ou à transmettre. Ce

système contraint donc le comportement individuel lors de la coopération avec d’autres

partenaires au sein de la firme en raison des coûts transactionnels associés à la rédaction

des contrats ainsi qu’à leur renégociation éventuelle (Hart et Moore ; 1990, p. 1122). Les

contrats sont donc naturellement incomplets. De plus, les individus sont des agents

économiques qui maximisent leur fonction d’utilité, motivés par leur intérêt propre. Leurs

préférences, associées à des arguments monétaires (profit, salaire, etc.) et non monétaires

(réputation, loisir, conditions de travail, etc.) sont révélées par un comportement sur le

marché. A tout contrat incomplet correspond, par conséquent, une coopération imparfaite

qui limite d’emblée son efficacité, notamment en raison des problèmes de motivation

(Milgrom et Roberts, 1997, p. 172 et suivantes).

Ce cadre théorique général des approches contractuelles s’inscrit plus largement dans

une démarche visant à comprendre les critères de choix économiques qui motivent les

individus dans leur rapport aux autres - et compte tenu des contraintes précitées. En ce

sens, l’analyse positive des organisations est conduite à partir d’une hypothèse centrale, la

recherche d’efficacité de la coopération. Cette vision a priori de l’organisation est à

l’origine du principe explicatif de l’efficacité. Selon ce principe, « si les personnes sont

vraiment capables de négocier des accords, de mettre en œuvre et de faire appliquer leurs

décisions, alors le résultat de l’activité économique tendra à être efficace (au moins pour

86 Nous nous rallions ici, aux propos des tenants de l’économie des coûts de transaction sur la critique de l’hypothèse originelle de rationalité savagienne de la TCI. Dans la mesure où ce débat est en fait au cœur de la justification de l’incomplétude contractuelle, il nous paraît important d’y consacrer quelques lignes. Compte tenu du modèle de la TCI, qui considère que les agents ont une capacité limitée à vérifier certaines variables du contrat ex post, il est préférable de retenir une hypothèse de rationalité limitée sur laquelle sont construites par ailleurs, les autres approches contractuelles, comme la TCT ou la théorie de l’agence. Nous renvoyons le lecteur à l’article de Brousseau et Glachant (2000, p. 31) qui aborde succinctement ce débat.

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les parties prenantes à la négociation) » (Milgrom et Roberts, 1997, p.34). Ce principe

permet ainsi de poser les bases d’une analyse explicative des choix organisationnels. La

lecture contractuelle de l’organisation et de la firme en particulier, s’inscrit dans cette

démarche. Ainsi, les organisations existantes sont considérées comme efficaces (ou

efficientes) parce qu’elles permettent aux individus de mettre en oeuvre les moyens

optimaux pour maximiser leur bien être, comparativement aux alternatives possibles. Il

s’agit alors d’expliquer ces choix dans le cadre du paradigme de l’efficacité. S’inspirant du

principe de sélection naturelle, celui-ci permet de considérer que les formes

organisationnelles efficaces sont celles qui survivent à terme. Dans le cadre théorique des

approches contractuelles, il s’agit d’analyser la manière dont les organisations minimisent

les coûts générés par la coopération interindividuelle. La firme est représentée comme un

nœud de contrats87 dont les caractéristiques conditionnent le niveau de performance. A

partir de cette interprétation de l’organisation, chaque perspective contractuelle se

distingue par son objet d’analyse sur la base d’une problématique commune. Il s’agit en

effet, d’identifier les facteurs explicatifs de l’efficience organisationnelle, donc de la

capacité de la firme à minimiser les coûts de coordination, ou comme le suggère Charreaux

(1999, p. 98) « dans une formulation plus positive, à maximiser les gains issus de la

coopération ». Ainsi, comme nous l’aborderons dans les prochaines sections, l’approche

principal-agent se consacre aux divergences d’intérêts entre les partenaires, alors que la

théorie des coûts de transaction consacre l’analyse aux caractéristiques des actifs échangés

par les individus. La TDP et dans son prolongement, la TCI qui nous intéresse ici,

privilégient quant à elles, l’échange de droits de propriété. La thèse défendue dans cette

perspective est celle selon laquelle le niveau d’efficience de la firme, caractérisée par sa

structure de propriété, dépend de l’allocation de ces droits et de leurs caractéristiques.

L’approche de la firme à partir de la théorie des droits de propriété, a conduit

progressivement à deux branches d’analyse. En référence au développement du chapitre

précédent, la TDP, dans ses premiers fondements, a privilégié une approche exogène de

l’efficience de la firme. Dans cette perspective, certaines formes de propriété, sont plus

efficientes que d’autres par nature. Cette première branche de la TDP a constitué dans le

débat sur la privatisation, son principal argument de plaidoirie sur la base d’une analyse

des attributs de la propriété comme déterminants de l’efficience organisationnelle.

87 Cf. dans le chapitre 1, sous- section 112 relative à la synthèse des interprétations récentes de l’organisation parmi lesquelles nous avons retenu la définition proposée par Jensen et Meckling (1976), reprise ici.

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La seconde branche de la TDP est construite sur une approche endogène de la propriété.

On peut associer cette perspective différente de la relation entre propriété et efficience

organisationnelle, notamment aux travaux de Demsetz88, en réponse aux inquiétudes

soulevées par Berle et Means, concernant les implications du développement de la société

managériale. Selon ces derniers, la séparation entre propriété et décision génère des

conflits d’intérêts entre les actionnaires et le dirigeant non propriétaire, conduisant ainsi à

une dégradation de la fonction sociale de la propriété privée89. Il s’ensuivrait une perte de

contrôle du propriétaire sur ses ressources au profit du dirigeant et, par conséquent, une

perte d’efficience dans leur utilisation optimale. Une structure de propriété construite sur la

séparation de la propriété et de la direction réduirait ainsi l’incitation du dirigeant à

maximiser le profit qui, en milieu concurrentiel, est un gage d’allocation optimale des

ressources, et ce faisant, un gage de la valeur pour le propriétaire.

A cette menace que constituerait la séparation et la diffusion de la propriété, Demsetz

(1983) répond que dans un cas (où le dirigeant serait propriétaire) comme dans l’autre (où

il ne le serait pas), la coordination au sein de chaque firme génère des coûts qui peuvent

être équivalents. Ainsi, dans le cas d’une pleine propriété, il s’agit des appropriations

personnelles de richesse par le dirigeant propriétaire via la recherche de consommation

d’avantages en nature (on the job consumption). Selon l’auteur, le propriétaire dirigeant

peut chercher à maximiser sa fonction d’utilité et pas simplement le profit, dans la limite

des contraintes fixées par l’existence de la concurrence (p. 378). Dans le second cas d’un

dirigeant professionnel auquel fait appel le propriétaire, si les appropriations de richesse

par le dirigeant sont réduites, comparativement au précédent cas, cette baisse de coût est

cependant compensée par le coût de contrôle des comportements éventuellement déviants

du dirigeant par le propriétaire. En ce sens, qu’il s’agisse de « ces forces opposées » (de

coût) générées par la spécialisation de la fonction de propriété et de direction ou des

appropriations personnelles par le dirigeant propriétaire, la structure de propriété influe

moins sur le niveau d’efficience que sur la manière dont les ressources sont utilisées.

88 Notamment son article de 1983. 89 Nous renvoyons le lecteur à la section 2 du chapitre précédent pour un rappel sur la fonction sociale du droits de propriété.

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L’auteur conclut ainsi en faveur de la neutralité de la propriété : « la structure de

propriété qui émerge est une conséquence endogène d’une sélection concurrentielle par

laquelle sont pesés les avantages et les désavantages de coûts afin de trouver un équilibre

organisationnel » (Demsetz, 1983, NT, p. 384)90.

L’approche endogène de la propriété est donc centrée sur le choix d’allocation des

droits « spécialisés » de propriété, définis comme le droit du propriétaire (ownership of the

corporation) et le droit de direction (managerial control)91. Cette séparabilité des droits de

propriété, fondamentale dans l’approche endogène de la TDP, confère à la structure de

propriété un statut de variable expliquée, simultanément à l’efficience organisationnelle.

C’est pourquoi la structure de propriété dans cette seconde branche de la TDP est qualifiée,

à l’instar de son auteur, de réponse endogène du processus de maximisation, c’est-à-dire

conduisant à l’équilibre organisationnel (Demsetz, Op. cit., p. 377).

Sur la base de cette deuxième branche de la TDP, la TCI défend l’idée (inspirée du

modèle d’Alchian et Demsetz (1972) sur la production en équipe et le contrôle par le

propriétaire), selon laquelle les individus ne peuvent rédiger des contrats complets

(Grossman et Hart, 1986; Hart et Moore, 1990). En ce sens, l’établissement de tous les

états possibles du monde et les décisions d’investissement réciproque sont coûteuses à

spécifier au moment du contrat. Les partenaires à une transaction ne peuvent donc pas

spécifier contractuellement, tous les engagements courants et futurs en matière

d’investissement à réaliser par chaque partie. Aucun partenaire, au moment de l’accord

contractuel, ne possède une information parfaite sur les résultats de la coopération. Cette

incomplétude soumet le contrat à renégociation ultérieure. Celle-ci porte sur la répartition

de la rente créée à l’issue des investissements effectivement réalisés compte tenu des

facteurs contingents survenus entre le moment de réalisation de l’investissement et la

négociation de la rente qui en est issue. Dans ce contexte d’imperfection des contrats, la

thèse de la TCI stipule qu’il est alors plus incitatif pour les parties prenantes de s’engager

et de respecter un accord initial en prévoyant ex ante (avant réalisation des

investissements) celui qui, parmi les contractants, supportera les risques en cas de

changement de circonstance imprévu ainsi que les gains ou les pertes résiduelles, après

90 « The structure of ownership that emerges is an endogenous outcome of competitive selection in which various cost advantages and disadvantages are balanced to arrive at an equilibrium organization of the firm ». 91 Demsetz, p. 383.

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rémunération des facteurs de production, de sorte que la coopération ait lieu, que les

engagements soient tenus et les gains nets issus de la coopération maximisés92. En ce sens,

le créancier résiduel assume le risque résiduel (lié aux changements imprévus de

circonstance) et accepte contractuellement les droits au gains résiduels (Fama et Jensen,

1983a, p. 302). Hart (1990) définit ainsi la propriété sur un actif comme « le droit de

choisir les aspects manquants concernant l’usage de cet actif » (NT, p. 160)93 c’est-à-dire

non prévus contractuellement. Dans le cadre d’une analyse de la propriété de la firme,

Hansmann définit les propriétaires dans les termes suivants (1988, p. 269-270, NT) 94 :

« Les propriétaires de la firme, tel qu’on l’entend conventionnellement et qui sera utilisé

ici, sont ceux qui partagent deux droits formels : le droit de gérer la firme et le droit de

s’approprier les gains résiduels. […] gérer peut utilement être interprété comme le pouvoir

exercé précisément sur les aspects de la politique de la firme, qui en raison des coûts de

transaction élevés ou de la rationalité limitée, ne peuvent être spécifiés ex ante dans le

contrat, mais davantage laissés à la discrétion de ceux à qui revient ce pouvoir de

décision. »

Ainsi, au sein du nœud contractuel que représente la firme, le propriétaire détient

simultanément le droit de décision résiduel et le droit à l’appropriation des gains résiduels

(qui dispose de l’allocation des résultat nets dont l’affectation n’est pas prévue ex ante).

Cette analyse précise ainsi, le contenu du droit du propriétaire au sens donné par Demsetz

92 Cette thèse mêle certains aspects de l’approche principal-agent d’une part, notamment concernant les effets incitatifs des contrats, d’autre part, la spécificité des investissements mis en jeu dans la coopération développée par la théorie des coûts de transaction. Sans investir le terrain de ces deux approches complémentaires de l’analyse de la firme, quelques précisions doivent être apportées pour distinguer ce qui relève de l’une ou de l’autre et dans quelle mesure elles sont aussi étroitement liées. Sur la base de la TCT, la TCI considère que, compte tenu de l’incomplétude contractuelle, la partie qui s’engage à réaliser un investissement non redéployable dans une autre coopération (l’investissement perd alors sa valeur si l’usage de l’actif est non conforme à l’usage prévu initialement, c’est le cas par exemple, d’un investissement par une des parties dans une machine qui ne peut être utilisée que dans le cadre de l’activité d’échange), peut être menacée d’un désavantage à l’issue de son investissement si certains événements nécessitent une modification du contrat initial, défavorable pour elle. Ce risque qualifié de hold-up peut freiner le détenteur de cet actif à investir dans la coopération ou à respecter ses engagements (cas de Fisher Body et de GM, Hart, 1990, p. 161). Un tel contexte coopératif permet d’illustrer la portée de la TCI, qui permet ainsi de comprendre que la réalisation d’une coopération efficace pour ses parties prenantes est influencée par la répartition des droits résiduels de contrôle sur les actifs, donc par la structure de propriété. En outre, celle-ci permet également de faire le lien avec l’approche principal-agent selon laquelle, le contrat entre ces deux parties nécessite la mise en place de mécanismes incitatifs de convergence d’intérêt, soulignant donc les fonctions incitatives que peuvent exercer les droits contractuels sur leurs détenteurs. 93 « the right to choose these missing aspects of usage ». 94 « A firm’s owners, as the term is conventionally used and as it will be used here, are those persons who share two formal rights : the right to control the firm and the right to appropriate the firm’s residual earnings. […] control can usefully be thought of as authority over precisely those aspects of firm policy that, because of high transaction costs or bounded rationality, cannot be specified ex ante in a contract, but rather must be left to the discretion of those to whom the authority is granted ».

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(1983). En outre, Hansmann précise que dans cette perspective de la propriété, une firme

peut ne pas avoir de propriétaire, notamment les firmes à but non lucratif. La

caractéristique essentielle de cette forme organisationnelle repose sur le fait que les

personnes qui exercent l’autorité formelle sur les décisions résiduelles sont exclues du droit

d’appropriation des créances résiduelles. Hart (Op. cit.) résume ainsi l’aspect fondamental

de la propriété de la firme : « Dans un monde de coûts de transaction et de contrats

incomplets, les droits décisionnels résiduels ex post sont importants car à travers leur

influence sur l’usage de l’actif, ils affectent le pouvoir de négociation ex post et la

répartition du surplus réalisé dans le cadre de la relation » (NT, p.161) 95.

Par conséquent, dans un contexte d’incertitude contractuelle, la propriété se caractérise

par un ensemble de droits résiduels dont la conjonction confère en définitive à son

détenteur, un pouvoir ex post dans le cadre de ses relations avec d’autres individus. La

propriété se définit en conséquence à partir de ces deux dimensions, le droit de décision

résiduel et le droit d’appropriation des gains ou des pertes résiduels. Dans cette

perspective, une séparation de ces deux droits résiduels peut conduire à une atténuation de

la propriété, puisque le détenteur d’un droit de contrôle résiduel, sans le droit

d’appropriation des gains résiduels, n’est pas incité à valoriser efficacement le premier

(Hart, 1990). Cette analyse rejoint sous un angle différent, la notion d’exclusivité et la

fonction incitative qui lui est associée telle qu’en fait la lecture exogène de la propriété.

L’allocation des droits résiduels de contrôle (de prendre les décisions résiduelles) dépend

ainsi de la sensibilité des agents face aux incitations marginales à investir ou non dans un

actif. En ce sens, un agent est incité à investir dans un actif spécifique si cet investissement

lui assure une valorisation de son droit de décision résiduel (Hart, 1998).

Dans ce cadre analytique, l’objectif principal de la TCI est d’expliquer les

caractéristiques des formes organisationnelles (intégration, sous-traitance) existantes à

partir de l’incomplétude des contrats sur lesquels elles reposent et des caractéristiques des

transactions sous-jacentes (Grossman et Hart, 1986 ; Hart et Moore, 1990). La thèse de la

TCI peut se résumer dans les termes suivants : en univers d'incomplétude contractuelle,

l’allocation de droits de propriété résiduels (et donc du pouvoir de négociation ex post )

95 « In a world of transaction costs and incomplete contracts, ex post residual rights of control are important because, through their influence on asset usage, they affect ex post bargaining power and the division of ex post surplus in a relationship. »

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94

influe sur l’incitation des partenaires à investir efficacement et sur la répartition du surplus

résiduel.

A l’issue de cette synthèse, on constate que la TCI, construite sur les axes principaux de

la TDP, permet de l’enrichir. L’approche exogène représentative des premiers apports de la

TDP, identifie les sources d’inefficience potentielle liées aux attributs d’exclusivité et de

transférabilité, auxquels sont associées les fonctions d’incitation et de diffusion des droits

de propriété. L’analyse endogène de la propriété permet quant à elle, d’envisager, à partir

de la séparabilité des droits, l’existence de formes de propriété sélectionnées efficacement

compte tenu des caractéristiques environnementales (marché, technologie, compétences

managériales). Sur la base de ces apports, et notamment de la notion de droit du

propriétaire, la TCI considère que l’incomplétude contractuelle conditionne l’efficience

d’un droit de propriété sur un actif. Le propriétaire est alors celui qui a la possibilité de

décider de son usage en toute circonstance non prévue par la loi ou contractuellement

(droit de cession et droit d’utilisation), d’autre part, de s’approprier les gains (ou les pertes)

associés à la possession de cet actif, lorsque leur allocation n’est pas contractuellement

prévue.

En résumé, la propriété se caractérise par la réunion d’un droit de décision résiduel et

d’un droit d’appropriation des gains ou des pertes résiduels. L’efficience de la propriété

dépend du caractère incitatif de ces droits dont la nature (exclusivité et aliénabilité)

conditionne le comportement maximisateur de leurs détenteurs.

Ainsi, si l’approche exogène de la propriété conclut en faveur d’une atténuation des

droits de propriété publique, (comparativement aux attributs issus des droits de propriété

privée), la TCI privilégie quant à elle, sur la base d’une approche endogène, l’importance

d’une combinaison des droits résiduels du propriétaire dans le déroulement d’une

coopération. Sous cet angle, a priori, la propriété publique peut être une forme

organisationnelle efficiente comparativement aux autres formes possibles. L’approche

endogène de la TDP semble donc relancer le débat des caractéristiques organisationnelles

publiques trop vite condamnées par les premiers fondements de la TDP, comparativement

aux firmes privées. Le développement suivant est consacré aux caractéristiques de chaque

forme organisationnelle telles que l’on peut les envisager à la lecture de cette grille

théorique.

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95

1.2. Structure de propriété et sources de coûts

La question posée ici, relève des apports de la TCI à la lecture de la propriété publique.

En ce sens, quelle sont les caractéristiques de la structure de propriété dans l’entreprise

publique et dans l’entreprise privée, au sens de la TCI ? Peut-on identifier diverses sources

de coûts d’intensité différente au sein de chaque type organisationnel ? Deux points

doivent être abordés. Le premier concerne les caractéristiques stricto sensu de la structure

de propriété publique, d’après la TCI. Le second traite des conséquences de cette

particularité publique sur son efficience.

Comme le chapitre précédent a permis de le cerner, la privatisation de l’entreprise, par

le transfert partiel ou total qu’elle génère, remet en question la propriété publique. Au

regard de la définition que nous avons retenue de l’entreprise publique, selon laquelle les

pouvoirs publics exercent une influence dominante sur la stratégie et sur la nomination des

dirigeants, la structure de propriété publique paraît très complexe. En référence au

développement précédent, une application de la TCI à celle-ci conduit à définir la propriété

publique de la manière suivante. Le propriétaire de la firme étant celui qui détient les droits

résiduels de contrôle (de la décision en cas d’imprévu) et d’appropriation des gains, alors

la propriété publique est celle pour laquelle les pouvoirs publics détiennent ces droits

résiduels, exerçables en cas de circonstances imprévues. Cette lecture générale pose

toutefois un problème d’identification du réel propriétaire quel que soit en fait le type

d’organisation.

Ainsi en posant la question des intérêts que la firme doit servir, Milgrom et Roberts

(1997) observent que dans la réalité les requérants résiduels sont nombreux. Les décisions

de l’organisation peuvent en effet, affecter à des degrés divers, les partenaires en relations

contractuelles mais aussi, des parties prenantes plus indirectement96. D’un point de vue

théorique, les approches contractuelles envisagées dans ce chapitre privilégient

généralement une conception de la propriété réduite, notamment dans l’organisation

privée, à celle de l’actionnaire. Dans le présent développement, nous retiendrons cette

96 Milgrom et Roberts envisagent notamment les bénéficiaires ou les victimes d’externalités produites par l’organisation (p. 412).

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96

vision théorique de la firme afin d’analyser sur des bases relativement plus simples de

l’organisation, les spécificités de chaque type organisationnel97.

Ce choix méthodologique étant précisé, cette notion, relativement plus claire dans le

contexte privé (le propriétaire est assimilé à l’actionnaire, notamment dominant) est plus

ambiguë dans le contexte public. En référence au développement relatif à l’entreprise

publique, envisagé dans le chapitre précédent, deux interprétations de la propriété publique

peuvent être envisagées au regard de l’incomplétude contractuelle. L’Etat ou les

collectivités publiques peuvent être considérés comme propriétaire de l’entreprise publique

dans la mesure où d’une part, ils absorbent globalement les gains ou les pertes résiduels,

d’autre part, ils exercent une influence importante sur la gestion de la firme, notamment au

niveau de la nomination des dirigeants. Cependant, cette analyse peut également être

transposée à celle des citoyens, qui en tant que contribuables, perçoivent les créances ou

absorbent in fine les dettes résiduelles et nomment eux mêmes les responsables politiques.

Conformément à la définition retenue de l’entreprise publique, ce que l’on peut retenir

de la précédente analyse est que le propriétaire de cette dernière exerce, via ses droits de

propriété, une influence dominante d’une part, sur les décisions résiduelles, notamment

stratégiques, d’autre part, sur l’appropriation des gains résiduels ou sur l’absorption des

pertes résiduelles au sens large. Comme le souligne Charreaux (1997d, p. 39),

« relativement à cette perspective, les différents types d’entreprises publiques n’expriment

que des variations mineures, notamment quant à la latitude discrétionnaire consentie aux

dirigeants ».

Si l’on retient comme propriétaire public98, les pouvoirs publics représentés par l’Etat et

ses Ministères (voire les collectivités) alors, l’allocation des droits résiduels paraît moins

évidente que dans le cas de la propriété privée. En effet, l’allocation du droit d’assomption

du risque résiduel et de décision résiduelle peut mettre en jeu plusieurs ministères

concernés par l’entreprise publique (de tutelle économique, technique et de cogestion),

97 Cette étape intermédiaire d’une analyse plus épurée nous permettra dans les chapitres ultérieurs, sur la base de ces premiers apports, d’examiner en quoi une conception plus élargie permet d’approfondir l’analyse du fonctionnement organisationnel en contrepartie d’une modélisation plus complexe. D’un point de vue méthodologique, cette simplification volontaire du modèle, en laissant ouverte la critique, permet de produire un premier résultat scientifique. Celui-ci doit être interprété comme une approximation de la réalité, elle même résultante de la critique faite dans le précédent chapitre. 98 Une analyse appliquée au citoyen vu comme le propriétaire public renforcerait ces conclusions. Dans le souci de ne pas rendre l’analyse encore plus complexe, nous n’envisagerons que la structure de propriété publique « réduite » à celle qui considère l’Etat entendu comme le Président et ses ministères.

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97

« diluant » ainsi la portée incitative de ces droits de propriété. Il semble en être de même en

ce qui concerne l’appropriation des gains et des pertes résiduelles (que leur valeur soit

monétaire, politique ou de prestige). La responsabilité est fortement diluée puisque bien

qu’assumée par le Trésor Public, elle demeure partagée concrètement par tous les citoyens

ou de manière plus restrictive, en ce qui concerne les gains monétaires, par les entreprises

publiques déficitaires99. Cette interprétation de la propriété publique paraît acceptable tant

dans le cas d’une entreprise publique de type administration d’Etat (comme l’ancien PTT)

que de type EPIC (La Poste ou, avant 1991, France Télécom) ou société de capitaux

(comme Air France), telles que nous les avons envisagées dans le précédent chapitre. Là

encore, quelle que soit la forme juridique de la firme, cette allocation de la propriété ne

présente que des « variations mineures », en ce qui concerne l’action des ministères et/ou

du Président qui peuvent à des degrés variables, décider la politique tarifaire, exiger la

reprise d’entreprises en difficulté (nationalisation plus ou moins déguisées) ou le maintien

d’activités non rentables dans le portefeuille public en fonction des contingences socio-

économiques.

En reprenant la typologie de Glachant, présentée dans le chapitre 1, nous pouvons

identifier les localisations possibles du droit de décision résiduelle en fonction des types

d’entreprise publique tels que l’auteur les identifie 100. Ainsi, le droit de décision résiduelle

peut se localiser au niveau des tutelles (réglementaire, d’instrumentalisation ou de

cogestion). Ce locus se rapproche alors de l’unité administrative, de l’entreprise nationale

ou de la Public Corporation101, selon que progressivement ces tutelles réduisent l’étendue

de leur contrôle conjoint et/ou spécifique. Ainsi parmi les trois catégories précédentes,

l’extension du contrôle est d’autant plus large dans l’unité administrative pour laquelle

plusieurs tutelles sont impliquées dans la plupart des décisions, de la gestion à la définition

des règles du jeu dans lesquelles évoluent les entreprises (publiques et privées). En effet,

dans le cas extrême des tutelles additionnelles, le droit de décision résiduelle porte sur :

99 Par exemple, l’apport direct de capitaux d’une entreprise publique à l’autre s’est traduit pour le Crédit Lyonnais par un apport de un milliard et demi de francs par la Caisse des Dépôts, ou encore pour Air France, par l’apport de la BNP à hauteur de 1,25 milliard de francs d’obligations remboursables en actions (Bizaguet, Op. cit., p. 100-101). 100 Rappelons que cette typologie de l’entreprise publique est construite à partir du degré d’autonomie de gestion au sein de l’entreprise publique et de l’intensité d’intervention publique au niveau institutionnel ou organisationnel. 101 Terminologie de l’auteur, correspondant à la société privée à capitaux public.

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98

- l’intervention directe dans la gestion (approbation du budget, du bilan, des

investissements et des emprunts, des prises de participation et des passations de

marché de la « tutelle administrative » ou « de cogestion directe »)

- mais aussi sur la réglementation et le contrôle des normes professionnelles (« tutelle

technique »102) dans lesquelles s’inscrit l’entité publique

- et enfin sur la politique économique d'ensemble du gouvernement (« tutelle

économique »).

Enfin, ce droit de propriété public peut se localiser très partiellement sur certains

« aspects sensibles de la haute stratégie du groupe (grandes acquisitions ou cessions,

alliances prenant corps dans les capitaux propres ou dans des montages financiers

d’ampleur exceptionnelle, etc.) » (Glachant, Op. cit., p. 110-111 et annexe 4). A cet

extrême, cette allocation du droit résiduel peut alors être rapprochée de l’entreprise

managériale à capitaux publics (quatrième type public). La formule des contrats de plan

qui gouvernent les relations entre les entreprises publiques et les pouvoirs publics illustre

ces divers degrés d’intervention puisque ces contrats entre agent et principaux publics font

souvent l’objet de ratification conjointes par les anciens ministères de l’industrie des

finances et de l’économie. La création de ces contrats de plans103, destinés à accroître

l’autonomie de gestion des entreprises publiques, témoigne aussi de l’importance des

pouvoirs publics dans la prise de décision. Comme le relève Marquis (2001) « avec pour

objectif de développer une politique par laquelle l’Etat pouvait obliger les entreprises à

mettre en œuvre les objectifs de la politique de l’Etat sans inhiber l’initiative managériale,

la Commission Nora proposait au gouvernement d’adopter un système de contrats de plan

où l’Etat et les entreprises publiques nationalisées devaient entériner leurs droits et

responsabilités » (NT). Le schéma suivant illustre le degré d’extension du droit résiduel

public selon les types organisationnels. Plus on se rapproche du centre du schéma plus

l’exercice du droit de décision résiduelle est étendu.

102 qui peut concerner les branches d’activité dont également les entreprises privées, Glachant (Op. cit., p. 63 et suivantes, et p. 110). 103 Les contrats de plan ont été mis en place sur les recommandations du rapport Nora (1967) qui a fait suite à l’évaluation par une commission gouvernementale, des rapports de l’Etat avec les entreprises publiques. Nous renvoyons le lecteur à l’annexe 4 relative aux relations d’EDF avec les pouvoirs publics (telles qu’elles sont relatées dans la rubrique « EDF et l’Etat » du site électronique de l’entreprise publique) ainsi qu’un bref historique de la SNCF que nous avons repris sur autre site.

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99

Schéma 3 : Degré d’extension du droit de décision résiduel public (DDRP) à partir de la

typologie des entreprises publiques proposées par Glachant (1994, p. 147)

En définitive, ce pouvoir public ex post au sens de Hart, se caractérise par une allocation

du droit de décision résiduel à plusieurs entités. Or, en référence à l’analyse des attributs de

la propriété, le démembrement d’un droit (limitant le caractère exclusif) atténue l’incitation

de chaque détenteur à le valoriser. Ou, tout du moins, il peut générer des conflits (dont on

analysera dans la prochaine section les particularités). Il semble que cette structure de

propriété peut a priori réduire l’incitation des pouvoirs publics à exercer efficacement ce

droit. Ceci peut apporter éventuellement quelques éclairages sur les commentaires d’un

rapport de 1964 concernant la « filialisation sauvage de la Régie Renault » (de type public

iEntreprise managériale à capitaux publics

hPublic Corporation

nEntreprise Nationale EPIC

n Unité administrative Etablissement public et subdivision administrative

Tutelle administrative

Tutelle technique économique et de cogestion

Tutelle technique économique partielle

Extension du DDRP

Droit de veto sur les «hautes décisions

stratégiques

+

++

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100

corporation, dans la typologie de Glachant). Celui-ci relève, au sujet des prises de

participation et de création de filiales, « [qu’il] est anormal que l’Etat, à qui appartient la

Régie, ne conserve pas le pouvoir de fixer jusqu’où et par quels moyens doit s’exercer son

activité »104. Cette analyse semble converger sous un angle différent, vers la thèse d’une

atténuation des droits de propriété publique envisagée dans l’approche exogène de la TDP.

Comparativement, dans la firme privée, considérée à partir d’une structure équivalente

(grande entreprise de type groupe avec unité de production), caractérisée par une

séparation dirigeant / propriétaire (unique ou tout du moins concentré), le propriétaire

détient les droits d’assomption du risque, de décision et d’appropriation des gains

résiduels, en référence à la description faite par Hansmann (Op. cit.). Le tableau suivant

résume les caractéristiques spécifiques de chaque type organisationnel au regard de la TCI.

Tableau 5 : Caractéristiques comparées de la propriété publique et privée105 : une

interprétation au regard de la TCI

Lors de la privatisation, cette propriété publique devient au moins partiellement privée.

En ce sens, les propriétaires publics transfèrent tout ou partie de leurs droits de propriété à

des acteurs privés. Dans le cadre de l’analyse du lien entre privatisation et performance, la

question posée est celle des conséquences de la modification de la propriété publique sur

l’efficience organisationnelle, autrement dit du lien entre propriété et performance. La

deuxième analyse est donc consacrée aux relations de la propriété publique ainsi définie

avec l’efficience, comparativement à la structure privée.

104Glachant (Op. cit., p. 96). 105 Conformément à notre remarque méthodologique en début de cette sous-section 1.2, nous retenons comme caractéristiques de la firme privée, celles de la firme théorique, généralement retenue dans le cadre contractuel des théories des organisations où l’actionnaire est considéré comme le créancier résiduel.

Droit d’assomption durisque résiduel Droit de décision résiduelle

Propriété privée Propriété publique

Actionnaire/propriétaire

Actionnaire au CA

Ministères et Trésor

Ministères, Président

Droit d’appropriation des gains et pertes résiduels

Actionnaire/propriétaire Collectivité, autres entreprises publiques déficitaires via les

ministères

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101

Une application de l’approche exogène de la propriété publique telle qu’elle vient d’être

définie met l’accent sur l’analyse des caractéristiques de ces droits résiduels. Il ressort de la

particularité publique un démembrement (le partage) plus ou moins prononcé du droit

décisionnel résiduel entre divers individus voire entre entités ministérielles (Cf. supra

schéma 3). Cette dilution du droit de propriété conduit en théorie à une dilution de

l’incitation à valoriser un droit partagé par plusieurs entités. En conséquence, il semble que

la propriété publique demeure moins efficiente que la propriété privée compte tenu de cet

effet dilutif, le degré d’efficience moindre variant avec le degré de démembrement de ces

droits. De plus, un regard sur la non-cessibilité spontanée de ce droit de propriété (c’est-à-

dire sans appel à d’autres forces que celles du marché de cession des titres) vient renforcer

la précédente conclusion. Ce premier examen du lien entre la propriété publique (lue par la

TCI) et l’efficience, tend vers une conclusion convergente avec celle de l’analyse plus

générale de la TDP.

Cependant, la synthèse des travaux empiriques a permis de montrer toute l'ambiguïté de

ce lien, puisque les résultats des comparaisons entre les deux types organisationnels ne

permettent pas véritablement de conclure en faveur de l’un ou l’autre106. De même,

l’approche longitudinale des entreprises privatisées, bien que globalement convergente

vers l’hypothèse de supériorité de la propriété privée, présente des nuances d’interprétation

quant aux liens explicatifs, rejoignant ainsi l’approche plus endogène de la propriété107

telle qu’elle ressort de la réflexion de Demsetz (Op. cit.). Cette hétérogénéité suggère

l’intérêt d’une approche endogène de la propriété.

Dans une telle approche, la structure de propriété résulte du choix optimal d’allouer le

droit de décision résiduelle à celui qui est le plus sensible aux variations des termes du

contrat, d’où l’apparition de choix organisationnel comme l’intégration108. Sur ce point,

Troesken (1997) propose une analyse des sources de la propriété publique. A partir d’une

approche historique du secteur du gaz, l’auteur conclut à une convergence du degré

d’incomplétude contractuelle et de l’existence d’entreprises publiques. D’un point de vue

normatif, on conclut par conséquent que la propriété publique est une forme plus efficiente

de propriété lorsque l’incomplétude est forte et, par conséquent, que la délimitation des

droits concernant l’activité est floue. En ce sens, les caractéristiques de la propriété

106 Si l’étude transversale de Boardman et Vining (1989) soutient la thèse de l’approche exogène de la propriété, les études de cas laissent plus dubitatif. (Cf. Section 4, chapitre 1) 107 cf. notre synthèse des études de Villalonga (2000) et de Alexandre et Charreaux (2001) dans le chapitre 1. 108 Grossman et Hart (Op. cit.)

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102

publique (atténuation plus forte que celle des droits de propriété privée) constituent une

réponse efficace d’allocation de ressources lorsque l’échange est caractérisé par une forte

incertitude. On constate que cette perspective aboutit à une conclusion très différente de

celle présentée par l’approche exogène de la TDP selon laquelle, rappelons le, la propriété

publique est moins efficiente que la propriété privée en raison de l’atténuation des droits.

La propriété publique peut s’interpréter dans ce sens, comme une forme efficiente de

propriété, compte tenu des contingences. Il peut ainsi être préférable d’allouer le droit de

décision résiduelle aux pouvoirs publics pour éviter que ceux-ci (et l’intérêt public qu’ils

défendent) ne soient expropriés en cas de changement de circonstance imprévue. D’une

certaine manière, pour ne pas être lésé, l’intérêt public peut conduire à une internalisation

publique de la propriété qui se traduit par une intégration. Ainsi, une interprétation

endogène de la propriété publique permet de comprendre certains phénomènes. En

particulier, la création d’entreprise publique, la nationalisation ainsi que le discours de

ceux qui l’ont initiée peuvent être lus comme des internalisations publiques résultant des

contextes conjoncturels de leur apparition109.

Plus indirectement, certains auteurs ont proposé une analyse normative de la

privatisation à partir de l’incomplétude des contrats. Certains enseignements peuvent en

être tirés pour approfondir l’analyse de l’entreprise publique comparativement à son

homologue privée. La réflexion théorique de Schmidt (1996b, p. 570) est symbolique de

cette approche prescriptive de la TCI. L’auteur constate que « la théorie économique

rencontre encore des difficultés à prédire les circonstances dans lesquelles les firmes

109 Une analyse des trois vagues de nationalisations françaises (1936, 1945-46, 1982) - bien que de « justifications assez dissemblables » comme le suggère Bizaguet (Op. cit., p. 21) - fait apparaître, au regard des arguments politiques relevés par l’auteur, que le choix de nationaliser s’explique de manière récursive, par la nécessité de préserver l’intérêt national selon les contingences (qui elles, sont assez dissemblables sur ces trois périodes). Notons au passage que ce dernier aspect permet également d’expliquer que les vagues de nationalisation comme celles de privatisation, ne sont pas forcément corrélées aux préférences doctrinales des politiques au pouvoir. Ainsi, la première vague de nationalisation ou de création d’entreprise publique sous le front populaire, s’est faite dans un contexte de menace de conflit international (nationalisation des entreprises du secteur de la construction aéronautique, création de la SNCF). La seconde vague, partie intégrante du programme du Général De Gaulle, consécutive au conflit de 1939-45; a eu pour motivation principale la reconstruction de l’économie nationale, son développement et sa célèbre indépendance énergétique, d’où les nationalisations bancaires (banques de dépôt, telle que le Crédit Lyonnais) celles des Charbonnages ou de l’électricité. Enfin, les nationalisations de 1981 ont été motivées par le contexte de crise de l’époque. Entendons alors dans le discours du candidat à la Présidentielle, F. Mitterrand, la volonté d’internaliser la propriété de certaines entreprises afin de réduire les risques d’appauvrissement de l’économie tout entière. La nationalisation était alors « l’instrument d’action efficace dans la stratégie anticrise ». (Bizaguet, Op. cit., privatisation. 23)

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103

privatisées peuvent être plus performantes que les entreprises publiques » (NT)110. En

réponse à ce constat, l’auteur (p. 571) développe l’hypothèse selon laquelle, un

accroissement de performance lié à la privatisation signifie que la forme organisationnelle

privée est plus efficiente que son ascendante publique. Par déduction, les contrats

incomplets dans le contexte de la dernière, présentent des « anomalies » qui sont réduites

par la privatisation. Plus précisément, la privatisation se traduit par un contrat incomplet

entre le dirigeant et le(s) propriétaires privé(s), dont les vertus incitatives à réaliser les

investissements réciproques sont plus fortes que celles du « contrat incomplet public ».

Dans ces modèles, l’analyse est centrée sur les effets de l’incomplétude contractuelle sur

les conflits d’intérêts entre deux parties au contrat, notamment le dirigeant et le

propriétaire. Cette hypothèse rejoint plus précisément une des approches complémentaires

de la TCI, l’approche principal-agent.

Section 2 : Contributions de l’approche principal-agent

La section précédente a démontré l’influence de l’incomplétude contractuelle sur les

conditions de réalisation d’une coopération interindividuelle. Cet angle d’analyse a ainsi

permis de caractériser la structure de propriété publique et privée et de soulever la question

des forces incitatives de chacune. C’est dans cette perspective particulière de la

coordination bilatérale que s’inscrit l’approche principal-agent puisqu’elle est rattachée à la

théorie des incitations. L’objet de ce chapitre étant d’éclairer notre compréhension des

deux types organisationnels pour mieux appréhender le lien entre privatisation et

performance, il convient de reprendre les composants théoriques essentiels de cette lecture

complémentaire de l’organisation.

2.1. Les hypothèses essentielles du modèle d’agence

Le modèle principal-agent trouve des applications multiples mais son origine semble

provenir d’une réflexion de H. Simon relative à la relation d’emploi (Gérard-Varet,

2001)111. Transposé au contexte de la firme, le modèle impose une vision de l’organisation

de type managérial c’est-à-dire centrée sur les relations conflictuelles entre le propriétaire

110 « […] economic theory still finds it difficult to predict under what circumstances privatized firms will outperform SOE's ». 111 Un regard de synthèse proposé par L.A. Gérard-Varet dans le « Dictionnaire des Sciences Economiques » permet de rendre compte des origines et de l’enrichissement de cette approche très formalisée, à travers les travaux de nombreux auteurs (PUF, 2001, p. 722-727).

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104

de la firme et le dirigeant. Cet angle d’analyse des caractéristiques organisationnelles

permet de focaliser l’attention sur deux aspects : la relation dite d’agence, entre le dirigeant

(l’agent) et ses mandants (le principal ou les multiprincipaux) et les problèmes de

discipline managériale associée à cette relation. L’agence consiste en une délégation du

premier par le second pour gérer la firme dans l’intérêt exclusif du propriétaire.

L’existence d’intérêts divergents entre les deux individus, conduit nécessairement à des

conflits quant aux choix d’allocation de ressources (investissement et financement). La

relation de subordination consiste alors à contraindre le dirigeant à gérer dans l’intérêt de

l’actionnaire. Le principal objectif de cette approche est de modéliser le comportement

interactif de deux contractants, en situation d’asymétrie informationnelle (contrairement à

la TCI), afin de déterminer les mécanismes incitatifs optimaux qui conduisent le dirigeant à

agir dans l’intérêt des actionnaires. Le problème organisationnel est celui de la mise en

convergence optimale des intérêts de l’agent avec ceux du principal en vue de maximiser

l’utilité de ce dernier. D’un point de vue normatif, l’efficacité de la relation d’autorité

détermine alors le niveau d’incitation de l’agent nécessaire à maximiser la valeur

actionnariale. Celle-ci devient le critère d’efficience de la coopération et, par extension, le

critère de performance de la firme. D’un point de vue positif, le principe d’efficacité

permet d’envisager les sources de coûts susceptibles d’atténuer l’efficacité de la

coordination et d’analyser les mécanismes susceptibles de les réduire.

Deux sources fondamentales de coûts d’agence sont à l’origine de l’arbitrage complexe

dont résulte le contrat final. D’une part, l’idiosyncrasie de chaque partie prenante à la

relation explique la divergence d’intérêts et les conflits potentiels qu’elle peut générer lors

d’une relation de subordination. Ainsi, en est-il de l’employeur qui cherche à obtenir un

effort maximal de son employé alors que celui-ci préférera éventuellement réaliser un

effort minimal. D’autre part, mais non moins liée, la situation d’information asymétrique

dans laquelle l’agent et le principal évoluent induit des risques d’opportunisme de la part

de l’un ou de l’autre, susceptibles de léser l’intérêt de l’une des parties. Cette asymétrie

informationnelle signifie que les actions entreprises ne sont ni observables ni vérifiables

complètement. Elle engendre donc des rentes informationnelles. Une asymétrie

d’information, existante lors de l'élaboration du contrat, génère un risque de sélection

adverse (ou opportunisme précontractuel). Si l’une des parties détient une information

privée, susceptible d’affecter la part de la valeur créée revenant à celui qui ne bénéficie pas

de cet avantage informationnel, il existe alors un risque potentiel pour ce dernier d’être

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finalement lésé. A cette incertitude initiale s’ajoute un deuxième type d’asymétrie

informationnelle. La vérifiabilité incomplète des actions entreprises par l’une des parties

génère un risque d’opportunisme ex post dit d’aléa moral de la part de celui qui bénéficie

de cette asymétrie (en particulier l’agent dont l’effort n’est pas vérifiable).

Ces deux sources de coûts conduisent le principal et l’agent à définir un contrat dont les

termes font en sorte qu’il est de l’intérêt de chaque partie (en fonction de leur degré

d’aversion pour le risque) de remplir ses engagements. Un système coopératif au sens de

Barnard (Op. cit.) résulte de cet arrangement contractuel. Celui-ci génère des coûts

d’incitation, de contrôle et de révélation d’information sur les comportements réalisés. En

effet, selon cette approche, le principal doit assumer une dépense minimale nécessaire pour

mettre en place des mécanismes qui conduisent l’agent à l’action attendue. Cette perte de

valeur pour le mandataire peut résider par exemple, dans la fixation d’une partie variable

de la rémunération de l’agent indexée sur la performance réalisée. De là, le marché

financier peut être interprété comme un mécanisme révélateur de la qualité de gestion du

dirigeant, via le cours des titres quand ceux-ci sont cotés. Une affectation au dirigeant,

d’actions ou d’options sur actions est alors censée contribuer à la convergence des intérêts

de l’agent et du mandant. Par conséquent, la coopération résulte d’un sacrifice consenti par

l’actionnaire pour que l’efficacité de la relation soit maximisée. Ainsi, une coordination

efficace repose sur la mise en place de mécanismes tels que l’agent soit efficacement incité

à gérer dans l’intérêt du principal.

L’optimum est atteint lorsque le bénéfice net (net des coûts induits par la coordination)

est maximisé, autrement dit lorsque les coûts liés à la relation d’agence sont minimisés. En

ce sens et pour paraphraser Milgrom et Roberts (1997, p. 395), « les arrangements privés

auront tendance à être efficaces pour les agents engagés dans la transaction, pourvu que les

contraintes de motivation soient déterminées à l’aide d’informations connues ». Ainsi

compte tenu de l’impossibilité d’observer complètement et directement les activités de

l’agent (dont les intérêts sont différents), le principal doit mettre en place une structure

incitative optimale. Dans ce chapitre, notre travail portant sur l’identification des

composants de chaque corps organisationnel, cette grille théorique suggère la question

suivante : Quelles sont les caractéristiques de la relation d’agence et des termes du contrat

incitatif dans chaque type organisationnel ?

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106

2.2. Conflits d’intérêts et sources de coûts dans les deux types organisationnels

Plusieurs modèles combinant112 les apports de la TCI et de l’approche principal-agent

ont été construits en vue d’identifier les sources de coûts de chaque type de propriété et

éventuellement pour certains, de se prononcer sur la supériorité de l’un sur l’autre 113.

Ainsi, le modèle de Laffont et Tirole (1991) est construit sur une comparaison de deux

formes d’arrangement institutionnel de la relation d’agence, l’entreprise publique et

l’entreprise privée régulée par une instance autonome. Les auteurs analysent les coûts

spécifiques à chaque forme organisationnelle, en termes de caractéristiques incitatives et

disciplinaires à l’égard du dirigeant. Leur hypothèse est la suivante : il existe des sources

de coûts spécifiques différentes dans chaque forme organisationnelle, l’une ne prévalant

pas systématiquement sur l’autre.

Dans l’entreprise publique, la source de coût provient des risques d’expropriation élevés

auxquels est confronté le dirigeant en raison de la réalisation d’objectifs multiples des

propriétaires publics dans l’exercice de leur droit décisionnel résiduel. En effet, comme

nous l’avons déjà traité en chapitre 1, la fonction objectif des pouvoirs publics est

composée non exclusivement de la maximisation du profit, de la gestion des externalités

négatives, des politiques sectorielles, de l’indépendance nationale, de la gestion de

l’investissement et de l’emploi en période de récession mais aussi de la gestion des groupes

d’intérêt. Ainsi, l’investissement qu’envisage de faire le dirigeant en vue d’améliorer le

niveau de profit de l’entreprise publique peut être, une fois réalisé, réalloué par les

pouvoirs publics à des fins sociales sans que le dirigeant en soit rémunéré pour autant. Les

auteurs en concluent que « même si cette réallocation est socialement optimale ex post, elle

réduit la motivation du dirigeant à réaliser cet investissement et conduit à une situation où

la propriété privée (au sein de laquelle les dirigeants sont motivés par des schémas

incitatifs, et les actionnaires n’ont aucun raison d’intervenir ex post pour limiter le profit)

112 Notons que cette démarche pourrait poser un problème de cohérence théorique dans la mesure où cette combinaison fait référence à des approches dont certaines hypothèses sont contradictoires. Rappelons que la TCI (Grossman et Hart, Op. cit.) repose, tout comme l’approche principal-agent, sur l’incomplétude contractuelle mais à l’inverse de celle-ci, considère que les parties prenantes sont en situation de symétrie informationnelle. Selon nous, il s’agit moins d’une incohérence que d’une nuance qui distingue les deux modèles. Conscient de cette divergence, l’analyse n’en demeure pas moins riche puisque l’approche principal-agent ne s’appuie que sur la notion de droit résiduel de décision du propriétaire identifié comme le principal. En ce sens, cette combinaison constitue pour nous un enrichissement d’une approche plus générale contractuelle de l’organisation comme nous l’aborderons dans le chapitre 3. 113 Ces modèles s’intéressent à la régulation d’entreprise monopolistique afin d’évaluer la pertinence d’une régulation de la firme privée par une instance autonome. Malgré leur application restrictive, ces modèles sont riches d’enseignement.

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107

est supérieure même si elle peut faire ex post, un usage socialement dommageable des

actifs » (Laffont et Tirole, Op. cit., p. 90-91).

Toutefois, ces mêmes auteurs notent également que le bénéfice retiré de la propriété

publique réside dans le fait que le gouvernement peut imposer à la firme des ajustements

socialement désirables en cas de circonstance imprévue, alors que ces ajustements doivent

être négociés avec la firme privée, générant des inefficiences en cas d’asymétries

informationnelles entre les deux parties (actionnaires de la firme privée et les pouvoirs

publics ou l’instance de régulation dont les objectifs peuvent être multiples). Cette dernière

analyse permet d’expliquer selon les auteurs, pourquoi la firme régulée peut ne pas être un

arrangement alternatif plus efficient que la propriété publique pure. La raison en est que

« chaque principal (actionnaires privés d’une part, et instance de régulation d’autre part)

n’internalise pas les effets de son contrat sur l’autre principal et procure socialement des

incitations trop faibles aux dirigeants de la firme ».

Ce « modèle multiprincipaux »114 de la relation d’agence proposé par Laffont et Tirole

est particulièrement intéressant dans la mesure où l’on peut le transposer à l’entreprise

publique telle que la TCI a permis de la décrire. Ainsi, une source d’inefficience publique

réside dans le fait que, comparativement à une firme privée de même structure (c’est-à-dire

un actionnaire propriétaire principal distinct du dirigeant), la firme publique se caractérise

par une superposition de relations d’agence (tutelles ministérielles) qui génèrent à chacun

de leur niveau, des asymétries informationnelles. Elles réduisent par conséquent les

incitations de l’agent à valoriser les ressources dont il a la gestion déléguée. A ce constat

spécifique à l’entreprise publique, vient s’ajouter l’analyse précédente des risques

d’expropriation qui finalement, sont d’autant plus élevés que la fonction objectif du

principal est composite et que les relations d’agence intermédiaires sont nombreuses. On

pourrait alors conclure en définitive en faveur de l’hypothèse de supériorité de la firme

privée. Les problèmes de risque d’expropriation des investissements du dirigeant existent

dans la firme privée comme dans la firme publique. Mais, à forme organisationnelle

comparable, ils paraissent d’intensité plus forte dans la seconde compte tenu du contexte

spécifique lié à la structure de propriété publique multiple. Le modèle de Laffont et Tirole

114 Inspiré de la théorie des jeux, ce modèle stipule que la complémentarité de deux principaux (actionnaires privés et instances de régulation, ou principaux publics) à l’égard d’un même agent conduit à un effet cumulatif de désincitation de l’agent. voir aussi Laffont (1996, p. 1244).

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suggère une hypothèse sous-jacente. En raison de la plus forte congruence des objectifs des

deux parties au contrat privé, la privatisation permettrait de réduire au moins en partie, la

faiblesse des incitations caractéristique de la propriété publique.

Dans une perspective encore plus marquée, Schmidt (1996a et b) considère que les

pouvoirs publics contrôlent le niveau de production ex post, via notamment, des

subventions correctrices d’inefficacité allocative. En tant que propriétaires au sens de la

TCI, ils détiennent ainsi une rente informationnelle sur l’activité de production. Selon

l’auteur, cette structure informationnelle de la relation d’agence publique exerce un effet

dissuasif sur le dirigeant. Notamment, celui-ci est moins incité à réaliser des

investissements susceptibles d’accroître l’efficacité productive. Un second effet désincitatif

associé à cette « symétrie supposée » de l’information, porte sur le niveau de production

qui pourrait en milieu d’asymétrie informationnelle, être motivé par l’appropriation

personnelle de la richesse créée (positivement corrélée au niveau de production). L’auteur

en conclut que la propriété publique, caractérisée par une asymétrie informationnelle

limitée et une contrainte budgétaire lâche, limite globalement le comportement managérial

à réduire les coûts de production (Schmidt, 1996a, p.3). Sur la base d’un modèle simple de

privatisation d’une entreprise conduisant son dirigeant à être le nouveau propriétaire privé,

Schmidt (1996b) suggère l’hypothèse suivante : la privatisation en permettant l’abandon de

rente informationnelle par les pouvoirs publics (et donc le système de subvention)

conduirait à une contrainte budgétaire plus forte sur le dirigeant (d’autant plus s’il est le

propriétaire). La privatisation induirait par conséquent, une incitation plus forte du

dirigeant, à l’égard de l’efficacité productive. De plus, en tant que propriétaire, le risque

d’expropriation étant nul, ses effets dissuasifs à réaliser des investissements spécifiques en

vue de consommation personnelle sont annulés. Si toutefois le dirigeant n’est pas

propriétaire de la firme privatisée, il bénéficie tout de même d’une asymétrie

informationnelle plus forte que dans le contexte public, limitant le contrôle par les

actionnaires privés sur ses consommations personnelles. Selon l’auteur, les incitations plus

fortes demeurent dans le cas de la firme privée managériale alors qu’elles sont fortement

atténuées dans la firme publique.

Sur une base argumentaire différente, Shapiro et Willig (1990) aboutissent à une

conclusion similaire. Les auteurs considèrent que le propriétaire public détient un droit

d’accès à l’information interne qui lui permet de réaliser son agenda personnel, l’hypothèse

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109

étant celle d’un comportement malveillant des pouvoirs publics. De là, la privatisation via

une régulation par une instance autonome sur la firme privée accentuerait l’asymétrie

informationnelle envers le dirigeant ce qui limiterait par conséquent, la poursuite des

intérêts propres de l’instance régulatrice et renforcerait la motivation du dirigeant à

l’efficacité productive.

Enfin, l’analyse de Bös et Peters (1991), très restrictive quant aux hypothèses, permet

de compléter cette analyse des relations d’agence. En convergence avec les précédentes

analyses, les auteurs proposent une conclusion favorable à la firme privée. Toutefois, leur

spécification de la relation d’agence publique est totalement opposée. Il nous paraît

intéressant de l’envisager dans la mesure où leur modèle privilégie davantage la position

défavorable du principal en matière informationnelle. Selon les auteurs, la relation

d’agence entre le propriétaire public et le dirigeant est caractérisée par un principal en

situation d’asymétrie informationnelle plus désavantageuse que le principal de la firme

privée. Le principal public exerce donc un contrôle moins efficace que le principal privé.

Leur modèle défend l’hypothèse d’une efficience moindre des mécanismes incitatifs

publics, construits à partir d’information biaisée (Bös, 1991. p. 40). La firme privée en

revanche, est formée d’un principal mieux informé dans la mesure où d’une part, il

s’appuie sur un contrôle externe efficace, d’autre part, le critère essentiel voire unique de

performance est le profit. Le principal public quant à lui, peut construire ses modes de

contrôle sur d’autres critères de performance. Ainsi, la relation d’agence publique se

caractérise par des mécanismes de contrôle de l’agent moins efficients que ceux mis en

œuvre dans la relation d’agence privée.

Dans cette perspective, Vickers et Yarrow (1991) considèrent que la privatisation

modifie la portée des mécanismes de contrôle sur le dirigeant. Notamment, en référence au

développement du chapitre précédent, la privatisation instaure de nouveaux modes de

contrôle qui incitent davantage le principal à exercer son droit de contrôle (cessibilité des

titres sur un marché actif, révélateur d’information sur le comportement du dirigeant).

Cette dernière perspective souligne la défaillance des modes de contrôle de l’agent public

comparativement à ceux auxquels est confronté l’agent privé, notamment parce que ces

derniers bénéficient de complémentarité en matière de résorption de l’asymétrie

informationnelle entre le principal et son agent. Cette analyse permet finalement d’établir

un certain consensus entre les divers modèles d’analyse qui toutefois restent limités au cas

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110

d’entreprises en situation de monopole. Ainsi, la relation d’agence publique paraît

confrontée à des coûts plus élevés de mise en convergence des intérêts du principal et de

l’agent. L’un et l’autre peuvent être victimes de l’asymétrie informationnelle, au même

titre que dans la relation d’agence privée, mais semble-t-il dans des proportions plus

grandes.

En définitive, ces différents modèles suggèrent un lien actif entre l’allocation des droits

de propriété et la performance organisationnelle. Le maillon intermédiaire de cette relation

met en jeu les caractéristiques de la structure informationnelle de la propriété. Il en résulte

un degré d’asymétrie informationnelle entre le principal et l’agent, spécifique à chaque

forme de propriété. Cette structure informationnelle influe sur l’efficacité de la relation

d’agence en agissant sur l’incitation de l’agent et/ou du principal à remplir efficacement

ses engagements contractuels. Les caractéristiques des relations d’agence publique et

privée semblent par conséquent, avoir un impact significatif sur le niveau d’incitation de

chaque partie prenante à la relation. Toutefois, comme le souligne Schmidt (1996b, p. 579)

et comme le suggère la précédente revue des modèles d’analyse, les structures

informationnelles sont considérées comme exogènes. Or, afin de comprendre quelles sont

les structures informationnelles de chaque type organisationnel, il paraît important

d’envisager cette variable de manière endogène comme « une fonction de la structure de

gouvernance sous-jacente ». Cette dernière remarque renvoie à la théorie des coûts de

transaction. Quels enseignements complémentaires l’analyse des transactions peut-elle

apporter à l’identification des caractéristiques de chaque arrangement contractuel ?

Section 3 : Contribution de la théorie des coûts de transaction

L’analyse contractuelle de la firme publique ou privée serait incomplète si elle

n’abordait pas la perspective transactionnelle. En effet, l’examen des caractéristiques

organisationnelles à partir de l’échange de droits de propriété (comme la TDP et la TCI le

privilégient) et des relations conflictuelles (traitées par l’approche principal-agent) suggère

une troisième unité d’analyse. Fondamentalement liée aux deux précédentes, il s’agit de la

transaction. Williamson (2000, p. 59) rappelle la définition de la transaction donnée par

Commons (1932, p. 4) selon lequel, « l’unité d’activité ultime… doit contenir en elle-

même les trois principes de conflit, réciprocité et ordre. Cette unité est une transaction »

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111

(NT)115. Cette définition centrale de la TCT constitue d’une certaine manière une

intégration des deux précédentes approches. En effet, comme le développement suivant le

démontre, la transaction regroupe la notion de conflits interindividuels, de lien de

dépendance mutuel et la nécessaire coordination des parties prenantes à la relation.

3.1. Les hypothèses essentielles du modèle

A l’origine, cette approche a été développée suite au questionnement de R. Coase

(1937) sur l’existence de la firme, distincte du marché. Cette forme alternative

d’organisation des transactions s’explique en raison de l’imperfection du marché dans la

réalisation de certains échanges. En ce sens, la firme constitue une forme d’organisation

parfois plus efficace que le marché parce qu’elle permet de réduire les coûts

transactionnels. Cette thèse centrale de la théorie des coûts de transaction repose sur les

mêmes hypothèses comportementales de rationalité limitée des individus qui agissent

nécessairement dans un contexte d’incomplétude contractuelle. Cependant, l’analyse s’est

progressivement différenciée, notamment avec les travaux de Williamson, par l’importance

qu’elle accorde au comportement opportuniste des individus susceptibles d’exploiter un

avantage informationnel à des fins personnelles, soit ex ante, soit ex post. En ce sens,

l’accent est mis sur le comportement calculatoire de l’agent doté d’une rationalité limitée

calculatrice.

Plus précisément, l’auteur que l’on rattache à ce modèle de l’organisation est

Williamson. Celui-ci a développé une branche entière de l’approche contractuelle en

concevant la firme comme un mode alternatif d’organisation des transactions, parallèle au

marché (Williamson , 1985). Le modèle théorique repose sur l’hypothèse suivante : compte

tenu des risques d’opportunisme associés à l’incomplétude contractuelle (elle même

résultant de la rationalité limitée des individus), l’échange spontané d’actifs, via le marché,

génère des coûts de transaction (de coordination et de motivation). En référence au

principe explicatif d’efficacité, cette hypothèse permet de considérer l’organisation comme

un mode économique de gestion de certaines transactions. Elle s’inscrit très clairement

dans le sillon de l’approche contractuelle en ce qu’elle considère le problème de

contractualisation en termes d’économie de coûts de transactions. Dans sa contribution à la

115 « the ultimate unit of activity … must contain in itself the three principles of conflict, mutuality, and order. This unit is a transaction .»

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112

synthèse des apports et des développements futurs des approches contractuelles116,

Williamson rappelle le fondement de la TCT (p. 59), soulignant par ailleurs l’ancrage dans

la perspective de l’individualisme méthodologique : « les agents, prévoyant cherchent à

réduire l’opportunisme contractuel en concevant des structures de gouvernance adaptées »

(NT)117. L’hypothèse d’opportunisme est essentielle à la TCT pour l’analyse des choix de

gouvernance fondés sur la prise en compte de la recherche potentielle d’intérêt personnel et

de sa minimisation. Ainsi, une transaction impliquant des actifs fortement spécifiques rend

leur apporteur vulnérable à l’opportunisme de l’autre partie (Williamson, 1985). En ce

sens, l’impossibilité pour l’apporteur d’un actif spécifique de sortir de la transaction sans

coût élevé donne à l’autre contractant la possibilité de s’approprier ex post une part de la

quasi rente. Ce risque de prise en otage (hold up) par l’agent opportuniste constitue une

menace d’expropriation forte de l’investissement de l’autre partie. Par conséquent, une

transaction susceptible de créer de la valeur au profit de chaque contractant peut ne pas être

engagée en raison de la prise en otage potentielle. L’auteur définit alors la structure de

gouvernance comme « le moyen de coordination d’une relation au sein de laquelle des

conflits potentiels sont susceptibles de conduire les agents à renoncer aux opportunités de

réalisation de gains mutuels » (Williamson, 2000, p. 60 et Williamson, 1999, p. 312,

NT)118. En définitive, une structure de gouvernance résulte d’une contractualisation

particulière des risques d’opportunisme associés à l’incomplétude contractuelle.

La thèse de Williamson consiste à envisager l’alignement des transactions à une

structure de gouvernance particulière, de sorte qu’il en résulte une économie de coûts. Le

point nodal de la TCT est ainsi posé : il s’agit de concentrer l’analyse sur les alternatives

possibles de gouvernance, c’est-à-dire en référence au critère de remédiabilité. Le seul à

pouvoir véritablement « nous mettre en contact fécond avec les problèmes réels »119

(Williamson, 1999, p. 316). Le principe d’efficience auquel il renvoie est le suivant : une

organisation existante est présumée efficiente s’il n’existe aucune autre alternative possible

permettant de réaliser des gains nets. Dans cet esprit, le choix pour une forme de

coordination « économisatrice » de coûts peut balayer un large spectre de modes de

116 Revue d’économie industrielle, numéro spécial, n°92, 2000, p. 55-66. 117 « human actors with conscious foresight will takes steps to mitigate contractual hazards by crafting responsive governance structures. » 118 « the means by which order is accomplished in a relation in which potential conflict threatens to upset or undo opportunities to realize mutual gains. » 119 « [… the remediableness criterion, with its continuous focus on alternative feasible modes,] bring us into more productive contact with the real issues. »

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113

contractualisation. Les modes de gouvernance identifiés par l’auteur se distinguent

essentiellement par le degré de spécificité de la transaction (Williamson, 1985, p. 99 et

suivantes). Un schéma à deux technologies de gouvernance possibles est construit. Plus le

niveau de garantie nécessaire des investissements est élevé, plus la technologie a un

caractère spécial. Elle suppose alors une adaptation coopérative. A l’inverse, elle a un

caractère plus général lorsque les investissements sont standards, nécessitant dans ce cas

une adaptation autonome. Ainsi, le marché représente le mode le plus spontané et

impersonnel adapté aux transactions occasionnelles, pour lesquelles la possibilité de sortie

en cas de comportement déviant, est facile. A l’opposé, la hiérarchie (firmes, régulation,

administration publique) constitue un mode de gouvernance de type discrétionnaire, qui

permet de gouverner les transactions idiosyncrasiques. Dans ce contexte transactionnel, les

agents sont en lien de dépendance plus durable, nécessitant par conséquent des contrats

plus personnalisés. Ceux-ci doivent permettre en effet, de contrôler le comportement de

chaque partie dans un contexte où l’incertitude comportementale et la spécificité des actifs

en jeu influent fortement sur le degré de risque d’opportunisme de chaque contractant120.

C’est ainsi, que la firme, comme ensemble de contrats, est conçue sur la base d’un

ensemble de mécanismes de gouvernance permettant de contrôler les intérêts de chaque

partie prenante (p. 315 et suivantes).

Ce chapitre étant consacré à l’identification approfondie des caractéristiques

organisationnelles publique et privée, la TCT est donc susceptible de l’enrichir.

Notamment, la lecture de la TCT consiste à mettre en relation les différentes formes

publiques et les caractéristiques transactionnelles supposées correspondre à une

déclinaison adaptée de structures de gouvernance de type public.

3.2. Attributs des transactions et mode de gouvernance efficace : la neutralité de la

propriété

Une lecture transactionnelle de la firme publique et privée consiste à poser l’hypothèse

de départ suivante. Ces modes de gouvernance répondent à certains contextes

transactionnels face auxquels, chacun permet une minimisation des coûts de transaction

que l’activité génère. Autrement dit, la gouvernance publique ou privée permet une

120 Williamson, Op. cit., p. 107.

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114

contractualisation idiosyncratique des menaces potentielles liées à l’incertitude

comportementale propre à certaines activités.

Dans cette perspective, Troesken (1997, p. 12) reprend l’analyse de Levy et Spiller

(1994) selon lesquels la propriété publique peut constituer une réponse efficiente à la

menace que peut constituer la régulation d’une activité impliquant des actifs fortement

spécifiques. En ce sens, la propriété publique s’explique par le fait qu’un agent privé,

intéressé au départ par une activité de ce type, y renonce finalement par crainte d’être

exproprié d’une partie de son investissement, notamment par le régulateur. Une application

au secteur du gaz aux Etats-Unis conduit Troesken à l’hypothèse suivante : par crainte d’un

comportement opportuniste de la part des pouvoirs publics fédéraux ou municipaux, un

producteur privé de gaz renoncera à l’activité notamment en raison de la menace

potentielle d’une politique tarifaire coûteuse qui lui serait imposée à des fins

électoralistes121.

En ce sens, le degré de sécurisation des droits de propriété sur les actifs mis en jeu

(niveau de garanties) détermine le mode de gouvernance public ou privé le plus adapté.

Ainsi, comme le suggère le critère de remédiabilité, pour une même activité plusieurs

modes de gouvernance peuvent coexister en raison des contextes de réalisation de celle-ci.

Les résultats de l’auteur sont assez convaincants puisque sur un échantillon de 1274

compagnies de gaz (toutes propriétés confondues), Troesken observe une tendance à la

propriété municipale dans les villes où la régulation tarifaire est assurée par le conseil

municipal à l’inverse des compagnies dont le marché est régulé par les commissions

fédérales (qui expriment un degré moindre d’opportunisme « électoraliste »)122. Les

résultats sont en convergence avec l’analyse williamsonnienne de la régulation. Considérée

comme un moyen d’assister les consommateurs et les employés en redressant la condition

d’asymétrie informationnelle, la régulation peut être utilisée pour promouvoir des objectifs

redistributionnels ou idéologiques. La régulation peut ainsi être fortement politisée

(Williamson, Op. cit., p. 320).

En outre, la diversité des formes organisationnelles publiques (en France par exemple

où coexistent l’administration d’Etat, l’établissement public industriel et commercial, ou la

121 Ou une participation coûteuse à la corruption des hommes politiques. 122 Notons que l’auteur observe également une corrélation entre la propriété publique et la taille réduite du marché.

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115

société anonyme à capitaux publics)123, témoigne a priori de l’existence de caractéristiques

variées des transactions que celles-ci gouvernent. La lecture de l’entreprise publique à

partir de la TCT consiste en effet à considérer le dispositif public comme un mode de

gouvernance particulier, pertinent dans certains contextes transactionnels (Williamson,

1999). En ce sens, ce dispositif résulte d’une intervention sélective du gouvernement. Cette

lecture nous conduit alors à supposer que celui-ci ne privatisera que dans le cas où il juge

que la performance peut être améliorée (réalisation d’une économie de coûts de

transaction) par des décisions prises dans le contexte de la propriété privée. C’est dans cet

esprit qu’est construit le modèle normatif de Sappington et Stiglitz (1987) concernant le

choix optimal de production d’un bien entre une gouvernance publique ou privée. Ce choix

est fondé sur l’arbitrage des coûts de transaction induits par la complexité du bien à

produire, l’incertitude environnementale et le niveau comparé de coût d’intervention

publique directe ou en cas de délégation de la production à un agent privé. Bien que les

auteurs considèrent la privatisation comme un choix naturel pour la production (allocation

pareto-efficiente des ressources, p. 569), la gouvernance publique peut être moins coûteuse

qu’un recours à la régulation en raison de l’incomplétude des contrats et des coûts de

transaction (le coût de monitoring de l’agent privé peut excéder le coût de monitoring

interne). Ainsi concluent les auteurs (p. 581) : « Le choix entre les deux modes

d’organisation définit simplement les coûts de transaction d’une intervention future dans

les relations de délégation et de là, influence la probabilité d’une telle intervention »

(NT)124.

Le mode public ou privé d’internalisation des externalités dépend des caractéristiques

des activités porteuses de ces externalités. D’une certaine manière, l’analyse de la nature

des biens (actif marchand, semi marchand et sous tutelle) que propose Glachant (Op. cit, p.

58) peut être lue au regard de cette approche. En référence à notre schéma 3 de ce chapitre

(relatif à la relation entre l’extension du droit de décision résiduelle et le type d’entreprise

publique), le degré d’internalisation125 semble positivement corrélé au degré non marchand

du bien. L’auteur observe en effet que les activités qui mettent en jeu des biens non

marchands sont gouvernées par des entités publiques de type unité administrative. Nous

123 Nous renvoyons le lecteur au paragraphe 1.2 du chapitre 1 pour la lecture des traits distinctifs de la réalité publique et aussi, dans ce chapitre, notre interprétation à la lecture de la TCI, de la typologie de Glachant (Op. cit.). 124 « The choice between modes of organization simply defines the transaction costs of future intervention into these delegated relationships, and there by influences the likelihood of such intervention. » 125 entendu comme l’extension de l’exercice du droit de décision résiduelle.

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116

avons démontré qu’au sein de celles-ci, l’intensité décisionnelle (résiduelle) publique en

incertitude, paraît la plus forte, d’où un degré élevé d’internalisation par les pouvoirs

publics. En définitive, l’analyse des attributs de la transaction semble renvoyer directement

à la nature du bien.

Au regard de l’analyse de Glachant (Op. cit, p. 34-36) sur la nature des biens, il est

possible, par analogie, de mettre en correspondance ces différents types de biens et les

types de transaction. De là, le degré d’internalisation du contrôle résiduel public (au sens

de Hart, Op. cit.) peut être rapproché de cette typologie. Dans cette perspective, les biens

sous tutelle publique et non marchands126 peuvent être interprétés comme des biens pour

lesquels les externalités sociales sont très importantes. En ce sens, leur offre peut conduire

à des effets sur le bien-être collectif (de par la nature des biens). Si l’on admet que

l’existence de ces externalités fortes induit un risque d’opportunisme élevé, alors la

spécificité de ces biens est très importante. La gouvernance publique de telles activités

sous la forme de tutelle de service public (SNCF, RATP127), paraît économisatrice de coûts

sociaux au sens large. L’action politique peut en effet permettre une gestion collective des

externalités à moindre coût pour les individus, d’autant plus en marché monopolistique

(par exemple, en détenant un droit de décision résiduelle sur la péréquation des tarifs et des

charges collectives). De même, la gestion de biens semi-marchands et marchands peut

appeler un mode de gouvernance « semi-public » en raison des externalités associées,

d’importance moindre que les précédentes (comme la COGEMA, France Télécom ou Air

France dans le schéma de Glachant). En conséquence, une gouvernance publique fortement

marquée par l’action politique paraît convenir aux transactions ayant des caractéristiques

bien précises. D’une part, elles mettent en jeu des biens dont la jouissance est collective128.

D’autre part, elles se caractérisent par une incertitude comportementale de l’offreur dont

les conséquences ont un impact sociopolitique fort ex post. La gouvernance publique

moins marquée sociopolitiquement semble adaptée aux transactions plus standard.

126 Caractérisés par Glachant comme « technologiquement collectifs » ou tout du moins ayant de fortes externalités. 127 Cf. Glachant (Op. cit.), schéma n°1, p. 75. 128 Un bien collectif se définit comme un bien non exclusif, avec obligation - service régalien - ou nécessité de les consommer. Dans ce dernier cas, il s’agit d’un bien technologiquement collectif. Sa gestion et son utilisation se caractérise par des externalités positives et négatives collectives, indivisibles. D. Gaumont, in Dictionnaire des sciences économiques, p. 65-68.

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117

Dans cette perspective, Williamson considère que l’organisation interne est un mode de

gouvernance de dernier ressort (1999, p. 315). « Essayons les marchés, les formes hybrides

et recourons à la firme seulement lorsque toutes les autres alternatives sont épuisées »

(NT)129. En ce sens, la firme publique peut être envisagée comme un mode de gouvernance

extrême parmi les formes internes de gouvernance. On y recourt lorsque les transactions

exigent ex post, une adaptation coopérative sociopolitique forte. Une illustration est donnée

par l’analyse que propose Williamson des transactions régaliennes du secteur public et,

spécifiquement, les affaires étrangères. Selon l’auteur, cette activité suppose tout d’abord,

un investissement fortement spécifique : « connaissance profonde des protocoles et des

procédures pour la conduite des affaires étrangères » (NT, p. 322)130. Elle est donc soumise

à un risque d’opportunisme élevé en cas de rupture de la transaction. Outre cette

spécificité, qui ne la distingue pas d’une autre transaction gouvernée de manière privée,

cette activité exige, pour une réalisation efficace de la transaction, une forte probité à

l’égard de tous les partenaires impliqués (et notamment le Président). Williamson définit

cet attribut particulier comme « la loyauté et la rectitude avec lesquelles les affaires

étrangères sont menées »131. Ce contexte transactionnel implique des mécanismes de

gouvernance susceptibles de contrôler les risques de déloyauté. Or, en référence aux

travaux de Weber (1947) sur l’idéal bureaucratique, Williamson conclut que les

mécanismes incitatifs, caractéristiques de la gouvernance interne privée, sont susceptibles

de conduire un agent à être déloyal, à l’inverse des contrôles administratifs construits sur

des règles et des procédures officielles (p. 325). Les coûts ex post de transaction impliquant

des attitudes « moins économiques » sont a priori plus élevés dans le contexte de

gouvernance privée. On en déduit donc que la firme publique représente une technologie

alternative, à laquelle certes, on recourt en tout dernier ressort, mais qui constitue une

réponse efficiente dans certains contextes transactionnels très particuliers. Ce mode de

gouvernance publique permet de canaliser les comportements susceptibles d’aller à

l’encontre d’engagements à forte connotation politique c’est-à-dire dont l’autorité répond à

des considérations qui dépassent (sans l’exclure totalement) le seul intérêt économique.

Même si elle n’est pas explicite à ce sujet, cette perspective n’exclut pas les

mouvements de va et vient selon les contingences qui peuvent affecter l’activité. L’analyse

129 « Try markets, try hybrids and have recourse to the firm only when all else fails ». 130 « deep knowledge of the protocols and procedures for the conduct of foreign affairs .» 131 « the loyalty and rectitude with which the foreign affairs are discharged », Williamson (Op. cit., p. 325).

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118

de Marquis (Op. cit.), relative aux relations d’EDF avec le gouvernement français

témoigne de cette relation étroite, complexe et dynamique entre l’internalisation publique

et les caractéristiques d’une activité. En voici une illustration à partir des descriptions faites

par l’auteur des caractéristiques des contrats de plans successifs (1984, 1989, 1993): « les

contrats de plan ont évolué vers une décentralisation de la prise de décision managériale.

[…] cette délégation a été rendue possible par le fait que ces contrats ont été conclus au

cours d’une période d’investissements non substantiels dans le secteur. Pour la plupart,

l’énergie hydroélectrique et nucléaire avait déjà été installée, il n’était donc pas nécessaire

pour le gouvernement de maintenir un contrôle fort » (NT)132. Au regard de cette

description, il apparaît que le degré d’internalisation publique de la structure d’EDF varie

avec le degré de sécurisation politico-économique du secteur de l’énergie. Cette évolution

s’est d’ailleurs traduite par un passage d’entreprise nationale vers une public corporation

au sens de Glachant (Op. cit.)133.

Sur la base de cette analyse globale de la bureaucratie publique, il nous semble

intéressant de souligner la conjecture d’ordre qualitatif qui ressort de l’analyse de

Williamson. Elle vient s’ajouter à la thèse classique de l’analyse transactionnelle de

l’auteur. Son modèle stipule globalement que plus le degré d’opportunisme (menace d’un

comportement déviant par rapport à l’accord initial) est élevé, plus il est nécessaire (d’un

point de vue d’économie de coûts) de mettre en place des garanties allant à l’extrême

jusqu’à l’internalisation de la propriété. Mais plus cet opportunisme génère un risque autre

que simplement économique, plus il semble nécessaire de mettre en place des mécanismes

garantissant d’autres motivations que simplement d’ordre économique. Ainsi, lorsque

l’internalisation de la propriété repose sur des considérations sociopolitiques autres que

celles relatives aux attitudes économiques généralement admises, ou complémentaires

(comme l’intégrité) alors les modes de gouvernance publique semblent réduire les

déviances potentielles motivées par des critères économiques. En référence à l’exposé de

Joffre (1999, p. 163) relatifs aux critiques faites à l’égard de la TCT, la relation entre le

132 « the contrats de plan have evolved since that time in such a way as to decentralized decision-making. […] this devolution was made possible by the fact that [they] were concluded during a period of time in which there were no new substantial investment in the industry. For the most part, capacity in hydroelectric and nuclear power had already been installed and so it was not necessary for the government to assert heavy handed control. This decentralized approach may reverse itself to a certain extend beginning in 2005 when the market will require a great new wave of investments .»

133 Le groupe EDF est né de la nationalisation de plusieurs centaines de sociétés de transport, de distribution et de production. Depuis son statut d’EPIC en 1946, EDF est devenu un groupe international avec depuis 1992, la création de la holding EDF international.

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119

comportement opportuniste et les mécanismes de contrôle semble beaucoup plus complexe

comme le soulève le modèle de Goshal et Moran (1996). L’analyse précédente de

Williamson constitue d’une certaine manière, une réponse à la critique essentielle adressée

à l’importance excessive que l’auteur peut accorder à l’opportunisme.

En définitive, d’après le critère de remédiabilité, la nature et l’intensité sociopolitique134

de certaines activités semblent induire des formes de gouvernance publique. Tout comme

l’approche endogène de la TCI, cette lecture transactionnelle tend vers la neutralité de la

propriété. Cette analyse laisse entendre que les formes hybrides de gouvernance publique

(ou privée!)135 sont une réponse efficiente à l’organisation des activités mixtes (comme les

télécommunications par exemple). Toutefois, cette analyse ne nous renseigne guère sur la

manière dont ces contrôles s’effectuent (et leur objet) au sein d’une forme de gouvernance

donnée. L’accent est mis davantage sur la domination publique ou privée d’un droit de

décision résiduelle rejoignant par conséquent les définitions que nous avions retenues des

deux corps organisationnels. Finalement, en écho aux limites reconnues par les auteurs, les

frontières de la firme et du marché sont aussi peu nettes que celles entre les technologies de

gouvernance les plus internalisantes. Encore une fois, la distinction relève plus du degré

que de la nature.

A partir de ces différentes lectures théoriques de la firme, le développement suivant est

consacré à leurs apports et limites afin d’envisager les extensions théoriques possibles que

ces lectures suggèrent. Notre objectif est de poursuivre l’approfondissement de notre

compréhension des liens entre un phénomène organisationnel complexe, la privatisation, et

les processus mis en jeu dans la formation de la rente organisationnelle.

Section 4 : Synthèse et extension des apports des différents prismes théoriques des

approches contractuelles

Nous avons pu observer une hétérogénéité importante des résultats empiriques,

concernant tout autant les firmes publiques et privées que leur contexte de marché. Les 134 Les caractéristiques sociologiques d’une transaction sont susceptibles d’influer sur l’attitude opportuniste d’un individu, comme le suggère l’aspect probité d’une participation à la gestion des affaires étrangères dans le modèle de Williamson. Bien qu’exposée comme une critique de la TCT, l’approche plus globale de Goshal et Moran (Op. cit.), sur les facteurs d’influence de l’attitude opportuniste semble trouver ici un certain écho. 135 où se mêlent les deux types de pouvoir décisionnel résiduel, comme dans le cas de la régulation par exemple ou dans le cas de sociétés à capitaux partiellement publics.

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120

réponses théoriques envisagées par les précédentes approches sur les caractéristiques de

chaque type organisationnel, suggèrent l’existence d’une certaine concurrence entre les

modes organisationnels publics et privés. Les approches contractuelles envisagent la

discrimination entre ces deux modes d’organisation des ressources, à partir de la capacité

de chacun à minimiser les coûts organisationnels136. En revanche, ces conclusions restent

muettes quant à la manière dont les ressources sont combinées. Ces approches

contractuelles fondées sur le principe de minimisation des coûts organisationnels, doivent

être replacées dans un contexte de sélection naturelle. Cette recherche d’économie est

conduite afin de mettre en place une forme d’organisation qui permette de collecter,

d’exploiter et de créer des ressources de manière durable ou soutenable (Barnay, 1991)137.

De plus, elles privilégient une approche de la performance limitée à la valeur actionnariale.

Or, comme nous l’avons précisé dans le précédent chapitre, différents apporteurs de

ressources sont susceptibles d’être concernés par les décisions de la firme et par sa

privatisation. Cette dernière remarque remet en cause la prise en compte traditionnelle des

apporteurs de ressources et, d’une certaine manière, la représentation même de la firme.

Nous allons envisager les apports de chaque perspective avant de considérer à travers leurs

limites, les extensions théoriques possibles qu’elles suggèrent à notre problématique de

recherche sur la relation entre privatisation et performance organisationnelle.

4.1. Comparaison des formes organisationnelles : la nécessité d’un cadre théorique

intégrateur

L’analyse comparative des formes organisationnelles publique et privée a produit

plusieurs enseignements. Avant d’explorer les complémentarités de chacune de ces

lectures, nous proposons de reprendre leurs apports respectifs résumés dans le tableau

suivant.

136 Ces coûts prennent des contenus différents selon la perspective contractuelle choisie. Les coûts d’agence paraissent plus englobants que les coûts de transaction bien que les deux types de coûts se réfèrent aux dépenses générées pour coordonner au mieux la coopération et au coût d’opportunité sous-jacent. 137 La différence entre un avantage durable et soutenable réside dans le caractère non acquis du second, notamment en raison des perturbations potentielles significatives de l’environnement, comme par exemple un saut technologique (Joffre, Op. cit., p. 218-219).

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121

Tableau 6 : Synopse des caractéristiques organisationnelles publiques et privées, à partir

de différents prismes théoriques contractuels

Prisme

théorique Entreprise publique Entreprise privée thèse

TDP exogène

Non transférabilité des titres, Exclusivité et Partitionabilité floues

Transférabilité, Exclusivité et Partitionabilité mieux délimitées

La privatisation augmente l’efficience de la structure de propriété

TCI Approche exogène

DDR « dilué » DGPR désincitatif

DDR plus précis DGPR plus incitatif

La privatisation renforce l’incitation à valoriser les droits de propriété

TCI Approche endogène

Incomplétude contractuelle forte Incomplétude contractuelle moindre

La privatisation n’est pas toujours une réponse efficace

Approche PA

Relation d’agence multiple composite, Rente informationnelle publique, Risques d’expropriation plus élevés du dirigeant (agendas et objectifs sociaux), => dilution forte des incitations du dirigeant Principal public en asymétrie informationnelle => Contrôles des activités managériales moins efficaces

Relation d’agence moins composite, AI agent principal favorise l’incitation du dirigeant à efficacité productive pour consommation personnelle, Risque d’expropriation moindre => Dilution moins forte des incitations du dirigeant Principal privé en asymétrie informationnelle moindre => Contrôles complémentaires des activités managériales plus efficaces

La privatisation atténue les sources d’inefficience liées à la relation d’agence traditionnelle car elle réduit les rentes informationnelles (des pouvoirs publics, et/ou du dirigeant) et par suite, les risques d’expropriation de chaque partie

TCT

Technologie extrême de gouvernance (de tout dernier ressort) pour transaction à forte implication sociopolitique

Technologie de dernier ressort économisatrice de coûts de transaction par rapport au marché

La privatisation n’est pas une réponse toujours efficiente bien qu’elle le soit pour de nombreuses transactions

Légende : DDR : droit de décision résiduelle DGPR : droit d’appropriation des gains ou des pertes résiduelles TDP : théorie des droits de propriété PA : approche principal-agent TCT : théorie des coûts de transaction AI : asymétrie informationnelle

A l’appui de ce tableau synoptique, on observe que l’analyse de la structure de la

propriété publique au regard de la notion de droit de décision résiduelle a mis en évidence

la pluralité des structures de propriété publique en termes d’intensité de pouvoir

décisionnel. La transposition de l’approche exogène de la TDP a permis de démontrer

l’atténuation des propriété d’efficience, attachée à la nature de ces droits. Elle limite ainsi

l’incitation des pouvoirs publics à les valoriser. Cette lecture de la TCI a permis de poser la

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122

question des incitations des propriétaires à contrôler le comportement managérial. La

réponse plutôt unanime offerte par l’approche principal-agent met en avant l’intensité plus

forte des sources d’inefficience. Liées à la relation d’agence publique, elle se manifeste par

la désincitation de chaque partie à respecter ses engagements à moindre coûts en raison des

risques d’expropriation du dirigeant ou des pouvoirs publics, plus forts que dans le

contexte privé compte tenu des caractéristiques supposées de la structure informationnelle.

La TCT a permis de relativiser l’hypothèse d’efficience supérieure d’une forme de

gouvernance sur l’autre en insistant sur la réponse organisationnelle aux caractéristiques de

l’activité concernée. En ce sens, cette lecture de la firme permet de comprendre les

ruptures historiques de certaines entreprises, d’abord privées, puis nationalisées, puis au

sein de leur statut d’entreprise publique, leur déplacement vers différents degrés

d’autonomie.

La précédente analyse comparative des deux formes organisationnelles a mis l’accent

sur la notion de détention de l’information, d’incomplétude contractuelle qui conditionne la

précédente. Ces différentes variables organisationnelles renforcent chacune à leur manière,

l’incitation à réaliser un investissement. Leur point commun réside dans les flux

informationnels (ou de connaissances, s’agissant des ressources stratégiques) liés à toute

coopération.

Rapportée à notre problématique de recherche, cette complémentarité des différentes

visions de la firme suggère de reconsidérer l’examen organisationnel. En effet, le problème

fondamental d’une structure de propriété semble a priori davantage lié à la manière dont

l’organisation valorise l’information qu’elle collecte, via ses ressources, et qu’elle génère,

via leur utilisation dans la coopération entre individus. Dans ce contexte organisationnel,

ceux-ci sont détenteurs ex ante et producteurs d’informations, contrôlés et rémunérés sur la

base de plusieurs types d’informations. Cette approche suggère par conséquent, une

extension de la relation principal agent à l’ensemble des partenaires apporteurs de

ressources. Le problème organisationnel consiste donc à savoir comment se fait une telle

coordination entre agents détenteurs d’informations et de connaissances plus ou moins

spécifiques à la firme? De plus, l’accent mis sur l’opportunisme dans la TCT semble jouer

un rôle moindre que cette variable informationnelle comme le suggère finalement l’analyse

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123

de la bureaucratie publique138. Enfin, la prise en compte des avantages potentiels procurés

par la combinaison de ressources au sein d’une même firme suggère un renouvellement de

la lecture de la propriété. En ce sens, la firme est un centre de ressources dont la

valorisation et l’agencement est gouvernée par un nœud de contrats. En référence au

principe explicatif des théories contractuelles, cette relecture intégratrice de la firme pose

la question des mécanismes par lesquels la valorisation des ressources est maximisée.

Ces différentes lectures de l’organisation ont finalement permis de comprendre en quoi

une firme publique se différencie d’une entreprise privée, qu’il s’agisse du locus du droit

de décision résiduelle ou des attributs de l’activité et de sa structure de gouvernance. Ces

approches nécessitent cependant une mise en commun de leur interprétation de la firme

afin d’appréhender son fonctionnement et sa performance. En convergence avec nos

conclusions sur l’évolution des traitements empiriques de la privatisation, cet examen

comparatif suggère une exploration plus qualitative des interactions entre ces différentes

composantes organisationnelles. Dans cette perspective, un cadre intégrateur de ces

différentes lectures pourrait offrir un potentiel explicatif qui permette de comprendre de

manière plus approfondie le fonctionnement global de l’organisation.

4.2. Le problème informationnel au centre de l’efficience organisationnelle : vers

une théorie de l’architecture organisationnelle

La nature exogène de la variable information dans les modèles mêlant TCI et PA pose la

question de la réponse endogène de la structure de propriété au problème informationnel.

En ce sens, à l’issue de la lecture de la relation d’agence publique et privée, une question

essentielle demeure : de quelle manière sont prises les décisions au sein de chaque firme ?

Quid du lien entre mobilisation des ressources et processus de décision ? Ces questions

convergent vers une problématique qui relie deux aspects de l’organisation: l’allocation

des droits décisionnels, tant en matière de contrôle que de décisions relatives à l’usage des

ressources et la recherche de création de valeur optimale compte tenu des coûts de

coordination liés à la localisation de l’information. De plus, une prise en compte des

partenaires contractuels de la firme paraît plus proche de la réalité organisationnelle. En

effet, elle caractérise de manière plus réaliste, la nature des problèmes informationnels qui

138 Cette conclusion ressort selon nous, de manière implicite, dans l’analyse de Williamson relative à la gouvernance des affaires étrangères.

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animent la firme et sa recherche d’économie de coûts. En conséquence, ces remarques

mettent l’accent sur une vision élargie de la firme qui prend en compte plusieurs éléments

de son architecture organisationnelle. En référence à la description donnée par Milgrom et

Roberts (1997, p. 29) l’architecture organisationnelle s’entend par rapport aux

caractéristiques des flux de ressources et d’information, aux relations d’autorité et de

contrôle, aux moyens par lesquels les nouvelles idées et connaissances sont générées et

diffusées et par lesquels les objectifs et les comportements individuels sont alignés.

Finalement, l’analyse de la firme et notre problématique sur la privatisation semblent

devoir trouver un renouvellement à partir d’une reconsidération des facteurs explicatifs de

la performance entendue dès lors, comme résultante d’un processus de création de valeur

partenariale.

Conclusion du chapitre 2

En définitive, à l’image de celle apportée par les études de terrain, la réponse théorique

à la question des effets de la privatisation sur la performance n’est pas sans équivoque. Une

convergence existe quand même puisque tant l’approche théorique que la confrontation

empirique donnent une préférence globale à la propriété privée. Ainsi, d’une manière très

générale, il semble que la privatisation conduise à un accroissement de performance. La

rigueur scientifique ne peut donc se contenter d’une réponse aussi globalisante, ayant en

mémoire les exceptions multiples observées et, peut être davantage, les considérations

théoriques plus endogènes de la propriété, des structures de gouvernance et des capacités

créatives liées à l’agencement des ressources. Orientée sur l’analyse des réactions des

corps organisationnels à la privatisation, notre démarche doit nous conduire à revisiter la

modélisation des liens complexes entre ces deux concepts. Autrement dit, à l’apport

principal de ce chapitre qui a permis de mieux comprendre l’existence de ces deux états

organisationnels est associée sa limite principale relative à la réaction produite par le

passage de l’un à l’autre.

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125

Conclusion de la première partie

Cette première partie a eu pour objectif d’aborder de manière critique les apports des

travaux réalisés sur la privatisation dans le cadre d’une problématique sur la relation entre

ce phénomène particulier et la performance organisationnelle. Cette première approche a

mis en évidence l’hétérogénéité des liens examinés, consacrée par le premier chapitre.

Suggéré par celui-ci, et analysé dans le chapitre 2, il apparaît que le problème

organisationnel soulevé par la privatisation, repose plus sur l’interaction des variables

examinées dans la littérature que sur les variables elles-mêmes. De là, notre synthèse des

théories sur la privatisation montre la nécessité d’un renouvellement du cadre théorique sur

la base des apports de la littérature, afin d’appréhender la réalité organisationnelle telle que

la privatisation la met en question.

En ce sens, cette revue de la littérature a permis, à partir d’une délimitation du concept

multidimensionnel de privatisation, de faire une première synthèse des principaux

arguments qui ont nourri le débat sur la privatisation et ses effets sur la performance. Cette

revue des fondements de la problématique sur la privatisation retrace les réponses

apportées à la question des raisons de privatiser. Compte tenu des conclusions hétérogènes

apportées par l’analyse exogène de la propriété et des forces de marché nous avons proposé

un renouvellement de la problématique initiale. L’accent mis sur les liens entre propriété et

performance dans le débat originel, impose en effet une analyse approfondie de chaque

dimension de la performance dans les deux types organisationnels publics et privés. Dans

cet esprit, avant d’aborder la manière dont la privatisation est susceptible d’agir sur les

variables organisationnelles impliquées dans la formation de la performance, nous avons

privilégié un examen des caractéristiques organisationnelles publiques et privées d’après la

lecture des thèses qui les modélisent. Notre travail de recherche s’est donc orienté sur une

analyse comparative des formes organisationnelles à partir des approches contractuelles

qui se consacrent à la firme.

Cet examen critique de la réflexion controversée sur la privatisation a permis de montrer

que l'ambiguïté des résultats empiriques peut s’expliquer par l’importance des interactions

entre plusieurs variables organisationnelles plus que par le seul changement de leurs

caractéristiques propres. En ce sens, la nature de la propriété est susceptible d’avoir des

implications complexes sur le comportement des parties prenantes à l’égard de la

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126

performance. De même, l’environnement semble appeler des formes organisationnelles

particulières susceptibles d’évoluer avec lui. On comprend alors d’une part, l’existence des

entreprises publiques, d’autre part, l’importance d’un examen approfondi des effets de la

privatisation sur le comportement organisationnel. Au regard de cet examen, la

privatisation semble donc induire un changement de combinaison des variables de

performance, plus que de leur état respectif indépendamment les unes des autres. En ce

sens, l’analyse doit pouvoir prendre en compte les modifications comportementales de la

firme vis-à-vis du processus de création de valeur lors de sa privatisation.

Ces lectures partielles de la firme nous ont enseigné principalement la nécessité d’une

grille de lecture qui puisse intégrer les processus organisationnels qui sont finalement mis

en jeu par la privatisation et la dérégulation qui peut parfois l’accompagner. Les théories

contractuelles envisagées précédemment s’inscrivent dans le paradigme de l’efficience.

Elles sont donc susceptibles de représenter les constituants d’un cadre d’analyse

intégrateur qui permet de renouveler l’analyse du lien entre privatisation et performance.

Comme le souligne Glachant (1994, p. 53) « les différences public-privé s'avéreraient donc

moins tranchées que ce que l’on avait pu dire, et consisteraient davantage dans des

différentiels d’intensité que dans des spécificités radicales ». En conséquence, un cadre

théorique offrant une analyse encore plus qualitative du fonctionnement de la firme semble

s’imposer pour comprendre la « chimie » organisationnelle en matière d’efficience. Ce

cadre d’analyse doit simultanément considérer chaque facette organisationnelle et non à

travers des perspectives partielles ou alternatives, telle que les théories précédentes les

abordent de manière plus ou moins indépendante mais non moins enrichissante.

A l’issue de cette dernière remarque, la synthèse que nous avons proposée des travaux

sur la privatisation, démontre en définitive l’intérêt scientifique d’une analyse des

processus organisationnels comme réponse endogène d’une recherche d’équilibre ou

d’efficience. En ce sens, la question de la privatisation est celle des effets de la

privatisation sur l’architecture organisationnelle. Elle sollicite par conséquent une théorie

apte à capter les variables des processus sur lesquels repose le fonctionnement

organisationnel.

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127

Deuxième partie

Privatisation et processus décisionnel :

l’analyse dynamique du gouvernement d'entreprise

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128

Dans le premier chapitre, nous avons pu constater l'ambiguïté des effets de la

privatisation sur la performance de la firme. En réponse à ce constat, le chapitre 2 a

proposé diverses lectures théoriques de l’entreprise publique et de l’entreprise privée en

vue d’approfondir l’analyse des sources de coûts de chacune. Dans le prolongement du

premier chapitre plus général, nous avons donc cherché à extraire de la littérature les

apports fondamentaux concernant la problématique du lien entre privatisation et

performance. A l’issue de cette revue, l’ambiguïté tant théorique qu’empirique relative aux

effets de la privatisation sur la performance demeure. L’analyse comparative présente des

arguments théoriques favorables à la firme privée mais parfois aussi favorables à la firme

publique, selon l’angle de vue choisi.

La lecture comparée des formes organisationnelles sous différents angles, nous a permis

de détecter une faiblesse théorique susceptible d’être à l’origine du constat précédent. En

effet, en référence aux travaux existants, cette lecture comparée a permis de caractériser les

deux types organisationnels pour chaque facette de l’organisation. Mais, elle n’a pas

permis de prendre en compte la complémentarité de ces divers aspects organisationnels.

Or, le fonctionnement de l’entreprise résulte davantage des interactions entre ces diverses

variables organisationnelles que de leur simple juxtaposition. Cette limite essentielle nous

conduit naturellement à réinterpréter les apports des approches théoriques précédentes sous

un angle plus systémique de la firme. C’est ainsi que se positionne la théorie positive de

l'agence (désormais TPA). Elle cherche à comprendre le fonctionnement de l’organisation

à partir des relations complexes entre les variables multiples analysées dans les précédentes

approches contractuelles. En combinant les apports de chaque branche théorique, la TPA

est susceptible d’en dépasser les limites et de proposer ainsi une lecture renouvelée des

effets de la privatisation sur la performance organisationnelle.

Dans cet esprit, cette seconde partie a pour objectif de proposer une lecture globale du

fonctionnement de l’organisation dans le cadre de sa privatisation. Cette seconde étape de

notre recherche consiste à construire un modèle explicatif des liens complexes entre la

privatisation et la performance de la firme. Dans cette perspective, le chapitre 3 consacre

la lecture que propose la théorie positive de l’agence des interactions des différentes

composantes organisationnelles. De là, le chapitre 4 conclut notre réflexion théorique par

le développement d’un modèle des liens complexes entre la privatisation et la performance

partenariale. A l’image du cadre théorique intégrateur sur lequel il s’appuie, ce modèle

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propose deux niveaux d’analyse de notre problématique de recherche, celui des effets de la

privatisation sur l’architecture organisationnelle et celui de ces modifications

organisationnelles de la privatisation sur la performance partenariale.

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130

Chapitre 3

Privatisation et gouvernement d'entreprise : le champ de l’architecture

organisationnelle

La stabilité est la norme évolutive en vLa stabilité est la norme évolutive en vLa stabilité est la norme évolutive en vLa stabilité est la norme évolutive en vigueur la plupart du temps,igueur la plupart du temps,igueur la plupart du temps,igueur la plupart du temps, tandis que le changement évolutif est un phénomène assez rapide,tandis que le changement évolutif est un phénomène assez rapide,tandis que le changement évolutif est un phénomène assez rapide,tandis que le changement évolutif est un phénomène assez rapide,

ponctuant la tranquillité et faisant passer les nouveaux systèmes en de nouveaux étatsponctuant la tranquillité et faisant passer les nouveaux systèmes en de nouveaux étatsponctuant la tranquillité et faisant passer les nouveaux systèmes en de nouveaux étatsponctuant la tranquillité et faisant passer les nouveaux systèmes en de nouveaux états

S. J Gould, Essai n°8, p. 137.S. J Gould, Essai n°8, p. 137.S. J Gould, Essai n°8, p. 137.S. J Gould, Essai n°8, p. 137.

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Les théories contractuelles fondées sur la notion de contrat ont provoqué une

réorientation de l’analyse économique. Celle-ci a largement contribué à celle de la

privatisation comme en témoigne la première partie de notre recherche. Les angles

spécifiques de ces approches contractuelles de la firme ont permis d’identifier les

différentes variables qui composent les relations entre les agents économiques et, de là,

l’efficience économique de leur coopération. Ainsi, l’efficience économique d’une

organisation peut se définir au regard de la capacité de ses partenaires à économiser dans

leur coopération, les coûts contractuels organisationnels. Selon la perspective choisie, il

s’agit alors des coûts d’agence ou plus globalement des coûts de transaction. La théorie des

contrats incomplets, en prolongement de la théorie des droits de propriété, et sur la base de

la théorie des incitations et de la théorie des coûts de transaction met en lumière

l’importance du créancier résiduel dans l’allocation optimale des droits de propriété.

L’approche principal-agent rend compte, quant à elle, de l’influence des schémas

révélateurs d’information et incitatifs sur le niveau d’efficience de la relation contractuelle

(Brousseau et Glachant, 2000). Enfin, la théorie des coûts de transaction développée par

Williamson insiste sur l’intérêt de la spécificité de l’actif mis en jeu pour

l’accomplissement optimal de l’échange.

Nous allons envisager dans quelle mesure la TPA peut représenter une approche

intégratrice des différentes perspectives contractuelles de la firme (section 1). Nous

aborderons ensuite la théorie de la gouvernance qui constitue un des champs de cette

théorie (section 2). Nous nous intéresserons enfin à la portée explicative de cette théorie

susceptible d’approfondir notre compréhension des effets de la privatisation sur la

performance de la firme.

Section 1 : Des origines au statut actuel de la théorie positive de l'agence

La TPA peut être considérée comme une tentative de mise en correspondance unifiée

des différentes perspectives contractuelles de l’organisation. Ses hypothèses sont en effet

construites sur les fondements de l’approche contractuelle telle que nous l’avons presentée

dans le chapitre précédent. Nous proposons d’abord, une lecture des liens établis par la

TPA entre les diverses hypothèses contractuelles (1.1) pour développer ensuite son

originalité à travers les extensions qu’elle propose par rapport à ses courants fondateurs

(1.2).

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1.1. Les fondements contractuels

Associée à l’article fondateur de Jensen et Meckling (1976) repris dans la synthèse

récente de Jensen (1998), la TPA a connu d’importants développements, notamment par

rapport à sa lecture initiale de la firme. Afin d’aborder son positionnement actuel, il nous

paraît nécessaire de reprendre les bases fondamentales qui lui confèrent aujourd’hui une

portée explicative essentielle dans la compréhension du fonctionnement des organisations.

Au départ, l’approche explicative de la firme focalise son attention sur les relations entre le

dirigeant et ses actionnaires, dans la suite logique de la séparation de la propriété et du

contrôle, évoquée dans notre travail à plusieurs reprises, comme une révolution importante

de la théorie de la firme.

Si son outil analytique est l’existence de conflits d’intérêts dans les relations

interindividuelles (en écho à l’approche principal-agent), ceux-ci sont analysés à l’image

de la TDP, puisque les relations d’agence sont interprétées sur la base de l’échange de

droits de propriété et des conséquences comportementales des propriétaires et des

dirigeants (Jensen et Meckling, 1976, in Jensen, 1998, p. 53)139. Cette théorie reste fidèle à

l’hypothèse de rationalité limitée des individus même si elle bénéficie de certains

enrichissements abordés dans la sous-section suivante. Comme dans la TCI,

l’incomplétude contractuelle et l’observabilité partielle des comportements des parties

prenantes jouent un rôle central. Elle confère ainsi un rôle essentiel à l’allocation des droits

de propriété et donc au contrôle du comportement managérial, par les actionnaires

(créanciers résiduels). Les coûts d’agence sont alors ceux d’établissement et d’exécution

des termes du contrat. Les coûts explicites sont liés à la mise en place de mécanismes de

surveillance et de révélation d’information (dédouanement) par les partenaires de la

relation d’agence. Les coûts implicites de cette coopération sont relatifs à l’imperfection de

ces mécanismes dans leur rôle d’alignement des intérêts de chacun. Fondée sur ce facteur

explicatif central de divergence d’intérêts, la TPA considère plus particulièrement cette

divergence d’intérêts résiduelle comme une source importante de coût puisqu’elle génère

une perte résiduelle pour celui qui subit l’imperfection des mécanismes de contrôle. Cette

lecture de la relation d’agence traditionnelle souligne ainsi le rôle du dirigeant et de sa

latitude discrétionnaire à l’égard des choix d’investissement, dans le cadre de la poursuite

de ses intérêts propres. Elle permet alors une analyse des modes de contrôle des ressources 139 Nous aborderons dans le paragraphe suivant l’originalité de la TPA dans cette lecture de la propriété à l’égard du processus décisionnel.

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créées par la firme. Elle a contribué par exemple, au développement de la théorie du free

cash flow proposée par Jensen (1986). Son modèle est relatif au rôle disciplinaire du

financement par endettement à l’égard de la liberté résiduelle managériale dans

l’affectation de l’excédent d’autofinancement organisationnel.

Le problème organisationnel aux yeux de la TPA rejoint naturellement celui des

différentes approches contractuelles. En effet, elle considère que l’efficience de la firme

dépend de la minimisation des coûts organisationnels, considérés ici comme les coûts

d’agence totaux (implicites et explicites). A cet égard, la TPA rejoint la TCT, par le critère

d’efficience qu’elle retient, sous-tendu par celui de remédiabilité. En effet, le postulat

fondamental de la TPA, comme celui de la TCT, repose sur l’existence de formes

organisationnelles en concurrence. En référence au principe de sélection naturelle, la survie

d’une entreprise dépend de sa capacité à s’adapter en cherchant la minimisation de ces

coûts d’agence. Il n’y a donc pas de forme organisationnelle universelle, permettant

d’atteindre un optimum de premier rang. Comme le souligne Charreaux (1999), les formes

existantes sont alors celles qui représentent, parmi les choix possibles, un choix efficient de

second degré à un moment donné (Charreaux qualifie également ce critère « d’efficience

externe », p. 104). Dans la terminologie de la TCT, cette perspective est celle du choix

organisationnel le plus adapté parmi les possibles. De même que les différentes branches

contractuelles, la TPA s’inscrit dans cette perspective d’analyse statique comparative des

formes organisationnelles efficientes au second degré. Mais elle se distingue d’une certaine

manière, par la prise en compte complémentaire d’un critère d’efficience de troisième

degré. Celui-ci oriente l’analyse sur l’équilibre organisationnel que représente la firme

pour ses parties prenantes. Ce critère privilégie « l’efficience interne » (Charreaux, Op. cit.,

p. 104). En ce sens, la TPA propose une lecture de la firme comme résultante d’une

coordination interindividuelle efficiente pour les contractants. Comme le relève Charreaux

(Op. cit., p. 109), « nous sommes dans le design organisationnel et un lien de causalité

directe entre la forme organisationnelle adoptée et la performance est supposé ».

L’originalité de la TPA semble résider dans cette combinaison des deux niveaux

d’analyse du problème adaptatif organisationnel. En effet, la TPA aborde le processus de

sélection de la forme organisationnelle efficiente de deux manières, soit par disparition de

la forme existante soit par adaptation. Selon Charreaux (Op. cit., p111), « alors que la

disparition implique une éviction du marché, l’adaptation correspond à une mutation qui

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est décidée au premier niveau (efficience interne) ». Ces deux destins organisationnels

mettent en cause le comportement spécifique de l’organisation (à travers sa capacité

adaptative) et les contraintes externes de marché elles mêmes influencées par le cadre

institutionnel. La sélection sur le long terme des formes organisationnelles efficientes de

second ordre, n’empêche pas l’existence simultanée de divers équilibres organisationnels

internes sur le court terme qui progressivement disparaissent ou s’adaptent. En ce sens,

l’objectif de la TPA est d’expliquer comment les arrangements qui structurent la firme (ou

toute organisation) constituent une réponse endogène de la recherche d’efficience dans les

deux sens du terme. Plus encore, et pour ce faire, la TPA se démarque par l’importance

qu’elle accorde à certaines variables comportementales, informationnelles et

décisionnelles. Ignorées ou considérées comme exogènes dans la plupart des autres

approches contractuelles elles prennent un statut endogène qui confère à la TPA son

originalité et son développement vers des champs de recherche plus transversaux.

En définitive, la TPA propose un pont entre les facteurs d’émergence des formes

organisationnelles alternatives (efficience de la coordination interne dans un

environnement donné) et les facteurs de sélection et d’évolution des formes

organisationnelles (efficience externe influencée par le rôle sélectif des marchés). Selon

nous, la TPA est ainsi susceptible de créer un lien entre les divers arguments invoqués

jusque là dans le débat sur la privatisation, notamment en prenant en compte les forces de

marché et la complexité des interactions internes organisationnelles.

1.2. Extensions et développement d’une théorie du fonctionnement organisationnel

La référence inévitable lorsque l’on aborde la TPA aujourd’hui est celle de l’ouvrage de

Jensen (1998) qui regroupe les articles successifs fondateurs de cette théorie intégratrice de

divers courants140. Cet ouvrage témoigne ainsi de l’évolution de cette théorie de

l’organisation. Comme le suggèrent les quelques extraits conclusifs suivants de Jensen et

Meckling (1976), depuis l’origine, la TPA interprète l’organisation comme un système

social d’équilibre complexe, à la recherche de son efficience propre et relative,

influençable par les contraintes environnementales.

140 Dorénavant, nos références aux articles fondateurs mentionneront les pages correspondantes à ces articles tels qu’ils sont insérés dans l’ouvrage de synthèse de Jensen (1998).

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« La firme managériale est une invention sociale extraordinaire […], un ensemble

complexe de relations contractuelles qui délimite les droits de parties impliquées […]. Le

niveau des coûts d’agence dépend, entre autres, du cadre légal et de l'ingéniosité humaine

dans la modélisation des contrats. Le système législatif et la sophistication des contrats

concernant l’entreprise moderne sont les produits d’un processus historique au cours

duquel les individus ont eu de fortes motivations à minimiser les coûts d’agence. […] La

firme a survécu jusqu’à aujourd’hui, au test des formes alternatives au marché » (p. 101-

102).

Au-delà des prescriptions relatives par exemple, à la structure optimale de financement,

la version explicative proposée par la TPA est centrée sur l’analyse du fonctionnement de

la firme. Elle s’intéresse tout autant à l’émergence des formes organisationnelles qu’à leur

changement. Cette théorie de l’organisation cherche à expliciter d’une part, les causes

d’inefficience interne, liées aux mécanismes intentionnels de coordination et de contrôle,

d’autre part, les mécanismes de sélection par les marchés, des formes efficientes sur le long

terme (Charreaux, 1999). Cette approche globale des propriétés de survie de l’organisation

résulte d’une série d’extensions des problématiques contractuelles. En référence à

l’ouvrage de synthèse141 de Jensen (1998), son développement actuel repose sur un

raisonnement qui privilégie les interactions complexes entre les variables

comportementales individuelles (mises en valeur par les modèles du comportement

humain) et les structures plus collectives, comme le marché et les systèmes coopératifs.

1.2.1. Enrichissement de l’hypothèse comportementale : vers une analyse

dynamique

La première extension essentielle, relative au contenu de l’hypothèse comportementale

de l’approche contractuelle, donne à la TPA une dimension plus dynamique dans l’analyse

de la firme. En effet, en considérant l’individu calculateur (par rapport à sa fonction

d’utilité) dans la limite de ses capacités cognitives et de son encastrement social, la TPA

141 Le schéma introductif proposé par l’auteur nous paraît représentatif des contours de la TPA. Il traduit en effet, la volonté de mise en correspondance par la TPA, des modèles économiques explicatifs du marché et des modèles comportementaux produits par les sciences humaines. A cet égard, Charreaux (2000) propose une interprétation de la TPA qui permet une mise au point sur sa place dans l’économie des contrats ainsi que sur sa portée explicative essentielle dans le domaine des sciences de gestion.

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intègre également les capacités créatives de l’individu et par suite adaptatives142. Par

rapport aux autres perspectives contractuelles, la TPA privilégie un cadre d’analyse

dynamique plus que statique en insistant sur les caractéristiques adaptatives des individus.

La question qui est alors posée par la TPA est celle des mécanismes par lesquels les

interactions interindividuelles contribuent aux propriétés adaptatives de l’organisation.

1.2.2. Connaissance et processus décisionnel : l’interface entre les approches

contractuelles

La seconde extension concerne simultanément les divers socles théoriques contractuels

de la TPA en introduisant une variable centrale, celle de la connaissance. Cette seconde

extension, complémentaire à la première, crée un lien entre les approches contractuelles sur

lesquelles repose la TPA. En ce sens, la TPA est susceptible de contribuer à

l’approfondissement de l’analyse que nous avons proposée dans le chapitre 2, en

prolongement des premiers arguments de la littérature relatifs à la problématique de la

privatisation.

Ce développement spécifique à la TPA rend centrale la motivation première de la

coopération interindividuelle. Comme nous l’avons déjà abordé, l’approche contractuelle

envisage l’efficience de la firme à partir de la recherche d’une économie de coûts.

Autrement dit, la coopération s’instaure en raison des gains mutuels qu’elle procure.

Charreaux (1999, p. 116) les définit comme les « atouts que confère la mise en commun

des savoirs et des compétences d’individus qui permet, notamment, à l’organisation de

s’adapter et [qui] est au fondement même de ses éventuels avantages concurrentiels ».

Parallèlement, la survie et le développement de la coopération sont liés à sa capacité à

développer un avantage concurrentiel. Dans cette perspective, l’avantage d’une

organisation sur une autre dépend de l’agencement de ses ressources stratégiques. La TPA,

en plaçant au centre de l’analyse du fonctionnement de la firme, la variable fondamentale

de la connaissance spécifique (par opposition la connaissance générale) s’intéresse

142 Remarquons ici que les premiers écrits (voir notamment dans les extraits que nous avons relevés de Jensen et Meckling (1976) en ce début de sous-section 1.2, comme par exemple, la qualification « d’invention sociale » ou « d’ingéniosité humaine ») mentionnent déjà cet aspect adaptatif et créatif capté par la TPA. Cette vision plus dynamique de l’organisation est développée par la suite par ces mêmes auteurs en 1994, sous le modèle du comportement humain REMM puis étendu dans le Pain Avoidance Model. Alors que le premier insiste sur les capacités d’adaptation, le second porte une limite à ces capacités d’apprentissage. Charreaux (Op. cit.) propose d’associer cette limite aux coûts psychologiques subis lors d’une situation d’apprentissage, et que l’individu cherche à minimiser, dans le cadre de son comportement rationnel.

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directement aux capacités de la firme à valoriser ses savoirs et ses compétences dans le

cadre de la création de valeur par rapport à ses concurrents. L’article de Jensen et Meckling en 1992 construit sur l’impact de cette variable sur la

performance de la firme, constitue selon nous, une articulation fondamentale entre les

diverses théories contractuelles envisagées jusqu’ici. En effet, à l’appui de la réflexion de

Hayek sur l’utilisation optimale de la connaissance par une société (1945), les deux auteurs

combinent implicitement les apports de la TDP, de la TCI et les implications de la relation

d’agence sur la coordination organisationnelle et sur son efficience. Tout d’abord, en

reprenant les fondements de la TDP, Jensen et Meckling considèrent que l’organisation, à

l’inverse d’un marché efficient, ne permet pas une allocation optimale spontanée des droits

de propriété entendus comme l’usage d’une ressource et sa cession (p. 103-104). En effet,

aliénable sur le marché, un droit de décision sur l’usage d’une ressource au sein de la firme

n’est plus cessible par celui qui exerce le droit d’usage. Cette conclusion rejoint

implicitement la lecture par la TCI, de la séparation entre propriétaire et dirigeant.

Effectivement, le dirigeant, au sein de la firme managériale, prend les décisions d’usage

d’une ressource mais ne détient pas le droit résiduel, notamment celui de cession de cette

ressource. Cette absence d’aliénabilité par l’utilisateur d’une ressource empêche par

conséquent, une allocation automatique143 optimale de ce droit décisionnel c’est-à-dire

d’allouer spontanément ce droit d’usage au profit de celui qui peut valoriser au mieux la

prise de décision. De là, l’allocation optimale des droits de décision est guidée par la

maximisation de la valeur de ces droits. En ce sens, les droits décisionnels sont affectés à

ceux qui sont à même de prendre la décision qui contribue au mieux à l’objectif

organisationnel et donc aux gains mutuels (p. 106). Cette thèse cruciale de la TPA confère un statut essentiel de ressource stratégique à la

connaissance spécifique définie par les auteurs comme la connaissance nécessaire à la prise

de décision et coûteuse à transférer. En ce sens, elle rejoint naturellement les compétences,

l’expérience et les capacités adaptatives individuelles qui nourrissent l’hypothèse

comportementale de la théorie. Ainsi, une décision qui nécessite des compétences et des

connaissances pointues difficilement transmissibles et par conséquent, coûteuses à

transmettre (a fortiori lorsque ces connaissances sont diffuses, détenues par une multitude

d’agents), devra être prise (donc son droit devra être alloué à) par celui qui détient cette

143 comme elle est supposée se produire via le système des prix sur un marché efficient (Charreaux, 2000).

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connaissance que l’on peut qualifier de stratégique par rapport au processus de décision.

Ainsi, l’existence des organisations et leur adaptation organisationnelle trouvent leur

origine dans les gains procurés par la capacité à valoriser conjointement des connaissances

stratégiques comparativement à une utilisation séparée.

Ensuite, cette rationalisation de la connaissance144 est au cœur de l’analyse de la co-

localisation optimale de la responsabilité décisionnelle et de la connaissance

idiosyncratique. La TPA permet ainsi de transposer la lecture de l’approche principal-agent

à tous les niveaux hiérarchiques de l’organisation. En effet, la délégation de certaines

décisions par le dirigeant à différents centres décisionnaires engendre par nature, une

asymétrie informationnelle ex ante compte tenu des connaissances détenues par les parties

impliquées et ex post, en raison des informations produites dans le cadre de l’activité. Les

mécanismes de surveillance et la mesure de performance traités par l’approche normative

de l’agence au niveau de la seule relation dirigeant actionnaire, constituent le problème

organisationnel majeur de la TPA. Comme les auteurs le soulignent « en l’absence

d’aliénabilité, les organisations doivent résoudre à la fois les problèmes d’allocation de ces

droits et les problèmes de contrôle (de ces décisions) par des systèmes et des procédures

alternatives » (NT et nos propres parenthèses, p. 104145). Jensen et Meckling (1992)

considèrent que le problème organisationnel consiste à mettre en place un ensemble de

règles du jeu organisationnel qui permettent une organisation du processus de décision.

La TPA introduit ainsi une variable centrale conjointement à celle de la connaissance. Il

s’agit du processus décisionnel. Celui-ci organise la partition des droits décisionnels au

sein de l’organisation et crée un système de contrôle (mesure et évaluation) qui établit

d’une part, les mesures de performance locale, d’autre part, leurs conséquences en matière

de sanction et de récompense.

144 Jensen et Meckling reprennent la qualification de Demsetz (1988) « conservation of expenditure on knowledge ». (p. 113) 145 « In the absence of alienability, organizations must solve both the rights assignment and control problems by alternative systems and procedures ».

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Ce système définit ainsi les incitations à la performance (Jensen et Meckling, Op. cit., p.

118). Sur la base de l’article de Fama et Jensen (1983a)146, cette architecture de la décision

permet de distinguer deux fonctions décisionnelles et les droits qu’elles recouvrent

(p. 177) :

- la fonction de gestion des décisions (decision management rights) à laquelle sont

associés le droit d’initiative (proposition sur l’utilisation des ressources et sur les

modes de contractualisation) et le droit de mise en œuvre des décisions prises,

- la fonction de contrôle des décisions (decision control rights) qui regroupe le droit

de prise de décision finale et le droit de contrôle de la décision (évaluation et

sanction de la performance).

Remarquons que ces derniers rejoignent et enrichissent la notion de residual control

right développée par la TCI. En effet, à l’origine de cette séparation des deux fonctions

décisionnelles susmentionnées, l’argument de Fama et Jensen (Op. cit., p. 178) relève de la

séparation de la fonction d’assomption du risque (risk bearing function) assumée par le

détenteur des droits de contrôle et de la fonction de gestion assumée par le management.

Cette séparation fonctionnelle, courante dans la firme managériale et dans d’autres types

organisationnels, est à l’origine des divergences d’intérêts et des conflits potentiels entre

les parties prenantes au processus décisionnel. En conséquence, cette séparation

(risque/décision) engendre « des structures contractuelles [qui] séparent la ratification et

l’évaluation des décisions de l’initiative et de la mise en œuvre de ces décisions » (NT147,

Fama et Jensen, Op. cit., p. 302). Selon les auteurs, cette structure décisionnelle est

optimale dans les organisations dites « complexes » c’est-à-dire au sein desquelles les

connaissances spécifiques sont diffuses. En ce sens, l’optimisation du processus

décisionnel (c’est-à-dire la minimisation des coûts engendrés par une mauvaise décision)

conduit à diffuser la fonction de gestion des décisions. Par ailleurs, une organisation

complexe peut aussi impliquer un nombre important de créanciers résiduels (l’exemple

classique est celui de la société cotée à actionnariat diffus). Dans ce cas, les auteurs

considèrent que l’optimisation du processus décisionnel consiste à réduire les coûts de

contrôle en délégant la fonction de contrôle (diffuse par nature) à des agents spécialisés

dans cette fonction (p. 182). Cette allocation du droit de contrôle des décisions implique de

146 Leurs deux articles sont repris dans Jensen (1998). 147 « [the contract structures of all these organizations] separate the ratification and monitoring of decisions from initiation and implementation of the decisions ».

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ce fait, une séparation entre la fonction d’assomption du risque et la fonction de contrôle.

Dans le contexte d’une organisation complexe, les auteurs concluent en faveur d’une

architecture décisionnelle fortement décentralisée tant en matière de gestion qu’en matière

de contrôle.

Ainsi, l’optimum décisionnel consiste en une séparation des fonctions de gestion et de

contrôle, respectivement co-localisées avec les informations nécessaires à leur exercice

optimal d’initiative et de mise en œuvre d’un coté, de ratification et de contrôle de l’autre.

Les systèmes décisionnels complexes présentent alors des caractéristiques génériques

communes. Fama et Jensen (Op. cit.) repèrent trois mécanismes de diffusion et de

séparation (ou de spécialisation) de la gestion et du contrôle des décisions au sein des

firmes complexes :

- la hiérarchie formelle où les niveaux supérieurs contrôlent les niveaux inférieurs

auxquels sont alloués les droits d’initiative et de mise en œuvre (p. 184). Leur

coordination est renforcée par « les règles du jeu organisationnelles par exemple, les

systèmes budgétaires et comptables, qui supervisent et contraignent les

comportements décisionnels des individus et spécifient les critères de performance

qui déterminent eux-mêmes, les systèmes de récompenses » (NT, p. 184148).

- Les systèmes de surveillance mutuelle, moins formels que les modes de

coordination précédents, sont générés par les interactions interindividuelles. En

produisant des informations de manière plus implicite (que la comptabilité par

exemple), ces échanges informels soutiennent le processus de contrôle. De plus, ils

constituent un marché interne du travail qui incite chaque membre à développer son

capital humain.

- Le conseil d’administration qui traditionnellement, exerce la fonction de contrôle149

des dirigeants. Il contribue ainsi à la garantie de la séparation fonctionnelle au

niveau hiérarchique le plus élevé, nécessaire à l’optimisation du processus

décisionnel de l’organisation complexe.

148 « organizational rules of the game, for example, accounting and budgeting systems, that monitor and constrain the decision behavior of agents and specify the performance criteria that determine rewards. » 149 Nous verrons dans les développements qui suivent une interprétation différente.

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1.2.3. Une théorie de l’agence élargie à l’ensemble des partenaires

De la précédente analyse nous pouvons identifier une troisième extension par la TPA de

l’approche contractuelle, notamment relative à la relation principal-agent. Dès l’article de

Fama et Jensen (1983a), la TPA accorde un rôle fondamental au processus décisionnel.

Elle pose très directement la question des parties prenantes à un processus dont la finalité

est de créer de la valeur à partir d’une utilisation optimale des ressources apportées et de

répartir cette rente organisationnelle. Qu’il s’agisse d’une approche de l’efficience interne

ou externe, l’examen du fonctionnement organisationnel à partir de la co-localisation

connaissances/responsabilité décisionnelle implique un élargissement de la notion de

créanciers résiduels, apporteurs de ressources soumises aux contingences. La définition du

créancier résiduel donnée par les auteurs laisse implicitement ouverte son interprétation,

bien que les auteurs l’associent dans leur analyse à l’actionnaire (p. 176). En effet, le risque

résiduel est défini comme « le risque d’une différence entre les flux stochastiques de

ressources et la rétribution promise aux agents »150. Le créancier résiduel est celui qui

contracte ce risque c’est-à-dire qui détient « le droit d’appropriation des flux nets » issus de

la réalisation des engagements du contrat. En ce sens, la fonction du créancier résiduel est

exercée par celui dont l’utilité est affectée par la partie non contractualisable des décisions

prises et mises en œuvre.

Nous rejoignons ici Charreaux qui propose de substituer à la fonction d’assomption du

risque résiduel la fonction d’assomption d’incertitude résiduelle151. Dans le cadre de la

firme, chaque contrat engendre des décisions susceptibles d’influer sur l’incertitude

résiduelle pour chaque contractant. Les décisions au sein de l’organisation ont donc des

conséquences sur l’ensemble des contractants qui peuvent être simultanément agent et

principal, notamment le dirigeant.

De là, dans le cadre d’une analyse de l’efficience interne, l’analyse de la diffusion des

droits décisionnels de Fama et Jensen (Op. cit.) étend implicitement la relation principal-

agent à l’ensemble des salariés de l’organisation. Elle peut être transposée par exemple, à

la relation du dirigeant et de ses cadres directs, mais aussi de ceux-ci aux niveaux

intermédiaires et inférieurs.

150 « the risk of the difference between stochastic inflows of resources and promised payments to agents. » 151 Charreaux (1999), p. 121.

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142

Ces relations dyadiques152 (Charreaux, 1999) implicites chez Fama et Jensen (Op. cit.)

et Jensen et Meckling (1976) traduisent cet élargissement de l’analyse de l’efficience de la

relation principal-agent classique au profit d’une analyse de l’efficience interne

organisationnelle. Celle-ci prend en compte l’ensemble des cocontractants de la

coopération et plus largement toutes les parties prenantes au partage de la fonction

d’assomption de l’incertitude résiduelle. Ainsi, celui qui assume et partage volontairement

ou non cette fonction d’assomption de l’incomplétude des contrats est celui qui exerce et

participe à la fonction de contrôle des décisions. Nous proposons une lecture qui rejoint

celle proposée par Fama et Jensen (Op. cit.) en rendant plus explicite l’approche élargie

des créanciers résiduels. La fonction de contrôle des décisions assumée par ces derniers est

plus vraisemblablement diffusée entre les individus contractants, susceptibles de l’exercer

dans l’intérêt organisationnel et les individus non contractants susceptibles de l’exercer via

des soutiens institutionnels, parce que les décisions organisationnelles ont affecté leur

bien-être. Dans le cadre d’une analyse de l’efficience externe, impliquant le rôle sélectif

joué par les marchés concurrentiels, les relations de la firme avec ses clients, ses

fournisseurs et les autres apporteurs de ressources financières, ou encore l’Etat doivent

alors être prises en compte dans l’analyse du processus décisionnel et de son optimisation.

En ce sens, la métaphore de la firme comme un nœud de contrats, combinée aux

concepts liés au processus décisionnel permet à la TPA d’élargir la notion d’efficience et

par suite du critère de performance organisationnelle qui passe de celui de valeur

actionnariale à celui de valeur partenariale. Au regard de la précédente analyse, les

relations contractuelles impliquent différents types d’apporteurs, détenteurs de droits

décisionnels, de gestion et/ou de contrôle qui participent ainsi au processus décisionnel de

création et de répartition de la valeur organisationnelle. Hill et Jones (1992) ont développé

cette perspective partenariale du nœud contractuel153. Ces auteurs ont ainsi proposé une

théorie élargie ou généralisée de l’agence à partir d’une réinterprétation de la relation

d’agence traditionnelle. De leur analyse peuvent être tirés trois enseignements qui

152 Cette lecture privilégie un lien plus coopératif que hiérarchique entre deux parties à la relation. La TPA se distingue ainsi de l’approche normative de l’agence dans la mesure où elle préfère la motivation mutuelle comme fondement de la coopération à l’asymétrie (autorité) sur laquelle est fondée la relation principal-agent. Sur ce point, Charreaux (1999, p. 82 et suivantes) démontre la portée explicative de ce positionnement conceptuel propre à la TPA ainsi que le cadre intégrateur qu’elle représente par la proximité que ce positionnement entraîne avec les autres approches contractuelles. 153 Déjà contenue chez Jensen et Meckling (1976).

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143

bénéficient à la TPA dans la mesure où ils approfondissent certains de ses fondements

implicites.

Premièrement, en considérant la firme comme un ensemble de contrats liant différents

apporteurs de ressources ayant une revendication légitime sur la firme (p. 133)154, Hill et

Jones (Op. cit.) considèrent le rôle central d’interface joué par le dirigeant. Les différents

apporteurs de ressources (actionnaires, banques, dirigeants, employés, clients, fournisseurs,

collectivités locales et le public en général) sont tous en relation avec le management.

Cette structure d’échange confère à ce partenaire central (ou groupe de partenaires, si l’on

intègre les membres de l’équipe dirigeante) un contrôle direct sur le processus décisionnel

(direct control, p. 134). Ainsi, à la relation principal-agent se substitue une relation

partenaires-agent. La relation d’autorité chère à la première, est remplacée par une relation

de coopération entre l’agent (le dirigeant) et les autres partenaires.

Le deuxième apport réside dans l’existence de différentiels de pouvoirs entre les parties,

provoqué par les inefficiences de marché. En ce sens, dans la théorie traditionnelle de

l’agence, le contrat entre principal et agent émerge des forces de marché puisque sous

l’hypothèse d’efficience, chaque partie peut librement sortir de la relation. En revanche,

l’approche partenariale de Hill et Jones (Op. cit.) rejette cette hypothèse, considérant qu’il

peut exister des coûts de sortie élevés pour certains partenaires en raison de l’absence

d’alternatives offertes par le marché. En ce sens, une innovation ou un changement macro-

environnemental peut engendrer un pouvoir de marché de la firme sur de ses partenaires,

un fournisseur par exemple. Ces inefficiences engendrent des transferts de pouvoir dans la

relation au profit de certains partenaires. Comme le soulignent les auteurs « ceci est

important puisque les différentiels de pouvoir peuvent affecter matériellement le contenu

des contrats d'agence et les mécanismes qui les gouvernent » (NT, p. 135155). Ces frictions

de marché engendrent des processus d’ajustement des différentiels de pouvoirs jusqu’à un

nouvel équilibre. Cette approche permet ainsi d’endogénéiser l’existence d’équilibres

internes multiples (efficience de troisième degré) pendant ces phases d’ajustement.

Toutefois, ces changements sont susceptibles de produire de nouvelles conditions de

marché, elles mêmes susceptibles d’éliminer les formes organisationnelles les moins

154 Cette approche partenariale est développée par Donaldson et Preston (1995, p. 67) qui définissent les partenaires (stakeholders) comme les personnes ou les groupes ayant des intérêts légitimes dans l’activité de l’organisation qui de ce fait doit les intégrer dans la politique générale de prise de décision. 155 "This is important, since power differentials can materially affect both the content of principal-agent contracts and the structure of governance mechanisms policing those contracts".

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144

efficientes. Selon les auteurs, ces équilibres internes multiples finissent par tendre à terme,

vers l’équilibre de deuxième degré (p. 137). Cette prise en compte des relations de pouvoir

ne remet pas en cause la recherche d’une économie de coûts lors de la coopération.

Relativement à cette situation inégale entre les acteurs, Charreaux (1999, p. 84-85) précise

que l’ancrage de la TPA (et des théories contractuelles en général) dans le paradigme de

l’efficience, permet d’intégrer la recherche éventuelle de pouvoir, comme un des éléments

du calcul rationnel des acteurs. Ceux-ci restent motivés par l’optimisation sous contraintes,

des gains de la coopération. Influencée par les ressources qu’il détient (notamment

l’information), la position favorable d’un acteur dans la négociation produit des

différentiels de pouvoirs susceptibles de créer des conflits ex post. La rationalité des

individus permet d’anticiper en partie ces coûts potentiels via le contrat et les mécanismes

de gouvernance de la relation de dépendance mutuelle. Charreaux rappelle ainsi le point

nodal de l’approche contractuelle en général et de la TPA en particulier. « Le principe

explicatif des mécanismes organisationnels […] est, et reste, le « principe d’efficience ».

[Les théories contractuelles] se séparent fondamentalement des théories qui retiennent

comme facteur explicatif principal des formes organisationnelles l’acquisition de pouvoir »

(p. 86).

Troisièmement, au même titre qu’une relation d’agence classique, ces relations de

dépendance potentielle entre la firme et les apporteurs de ressources sont gouvernées par

des contrats qui prévoient les mécanismes de gouvernance optimaux. En ce sens, plusieurs

types de mécanismes peuvent venir en soutien de la coopération dans la mesure où ils

contribuent à aligner les intérêts des parties et à réduire la perte d’utilité des partenaires156.

Les mécanismes incitatifs (comme la rémunération basée sur la performance) et les

mécanismes de « mutualisation » de la dépendance via le dédouanement (tel que la clause

de garantie de qualité) contribuent à aligner ex ante les intérêts de chaque partie. Les

mécanismes de surveillance (institution spécialisée comme les syndicats), et de

renforcement des engagements (législation, menace crédible via les marchés de biens et

services, de capitaux), servent la fonction de surveillance. Ces divers mécanismes de

gouvernance sont qualifiés par les auteurs de structures institutionnelles qui permettent le

renforcement des termes implicites des contrats (p. 140). Cette approche partenariale et la

156 Cette perte d’utilité correspond aux coûts générés par les ressources utilisées pour la mise en place de structures disciplinaires et aux pertes résiduelles d’utilité engendrées par l’imperfection des ces structures dans l’alignement des intérêts des cocontractants (Hill et Jones, 1992, p. 138). Comme le souligne Charreaux (1997, p. 443), la notion de coûts d’agence est élargie par Hill et Jones (1992) au profit de coûts contractuels.

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145

place centrale qu’elle accorde au dirigeant pose la question des propriétés

organisationnelles de création de valeur qui est à l’origine de toute analyse contractuelle de

l’organisation.

1.3. L’intérêt théorique d’une approche partenariale de l’organisation

Au regard de l’analyse qui précède, le processus de création et de répartition de la

valeur organisationnelle peut se définir comme l’articulation des fonctions décisionnelles

(de gestion et de contrôle des décisions) dont l’exercice conduit à la création d’une rente

organisationnelle. Cette rente d’efficacité correspond au gain généré par la coopération qui

excède la rémunération d’opportunité c’est-à-dire la rémunération requise pour établir cette

coopération157. De plus, le principe d’efficacité permet d’envisager le processus

décisionnel comme un agencement efficace des droits décisionnels attachés à ces fonctions

de sorte que la rente soit maximisée. Le rôle du dirigeant est d’arbitrer entre les intérêts

conflictuels en vue d’atteindre une solution coopérative. La position d’interface du

dirigeant lui confère un droit sur l’allocation de ces étapes du processus décisionnel et par

conséquent, un rôle central dans la création de valeur. Dans l’approche contractuelle

traditionnelle, cette rente organisationnelle correspond au surplus de valeur créée par la

firme, après rémunération des facteurs de production. Elle revient au créancier résiduel et

est donc affectée aux actionnaires. En revanche, Charreaux et Desbrières (1998) proposent

une interprétation alternative de la valeur organisationnelle en considérant au départ une

diffusion des créanciers résiduels au sein de la coopération. En ce sens, chaque partenaire

est susceptible de participer au processus décisionnel soit à travers une fonction de

contrôle, soit à travers une fonction de gestion des décision. Compte tenu de la définition

du processus décisionnel, la valeur partenariale se substitue alors à la valeur actionnariale.

Mais au-delà de cette simple question de terminologie, ces auteurs proposent une analyse

du processus de création et de répartition de la valeur partenariale qui « conduit à une

remise en cause fondamentale de la problématique financière traditionnelle » (Charreaux et

Desbrières, Op. cit., p. 67). En effet, la valeur créée pour la firme est définie par les auteurs

comme la différence entre les flux sécrétés par la firme (le prix d’opportunité, notamment

les ventes) et les flux consommés par la firme (représentés par le total des coûts

d’opportunité c’est-à-dire les prix requis par chaque apporteur de ressource pour

157 Voir notamment, Milgrom et Roberts (1997, p. 350) et Charreaux et Desbrières (1998, p. 64).

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146

poursuivre la transaction)158. La valeur partenariale quant à elle, correspond à « la

différence entre les ventes évaluées au prix d’opportunité et la somme des coûts

d’opportunité pour les différents apporteurs de ressources ». Elle correspond par

conséquent, à la somme des variations d’utilité perçues par chaque partenaire, y compris la

firme en tant que telle, à l’issue de l’accord159. Selon ces mêmes auteurs, la répartition de

cette valeur entre les partenaires au prix explicite, peut conduire à une valeur résiduelle

laissée à la discrétion du dirigeant. Ce « slack » managerial permet au médiateur d’arbitrer

stratégiquement entre les divers intérêts de la coopération, dans le cadre de sa stratégie

personnelle. En outre, sa position centrale lui permet d’agir sur l’ampleur de cet excédent.

Ce fonds de négociation correspond par conséquent à la latitude dont dispose le dirigeant

pour maintenir et développer la coopération tout en maximisant sa propre utilité

(Charreaux et Desbrières, 1998).

Le dossier spécial de l’Academy of Management Review (2000) illustre l’importance de

cette prise en compte des divers partenaires de la firme par le dirigeant dans le processus

décisionnel et la performance organisationnelle. En particulier, Berman et al (1999) testent

deux modèles concurrents160, explicatifs des implications des relations partenariales de la

firme sur la stratégie et la performance organisationnelle. Les auteurs concluent à la valeur

instrumentale de la gestion des partenaires de la firme dans la définition de sa stratégie au

détriment du modèle alternatif de la valeur d’engagement moral du dirigeant. D’autres

articles de ce numéro spécial insistent sur la structure de marché (régulation, dérégulation)

158 Charreaux et Desbrières (1998, p. 62) reprennent au départ la définition de l’approche traditionnelle selon laquelle, la rente actionnariale est égale à la différence entre le résultat de la firme et le coût d’opportunité requis par l’actionnaire (soit le coût des fonds propres). 159 En référence à l’illustration de Charreaux et Desbrières (1998, p. 61), la valeur créée entre la firme, son unique fournisseur et son unique client est égale à la somme des variations d’utilité de chaque partenaire. Ainsi, pour le fournisseur, la valeur créée est égale à la différence entre le prix minimum requis ex ante (par exemple, 100) et le prix explicite accepté (200) soit +100; la valeur destinée au client est égale à la différence entre la vente réalisée par la firme au prix explicite de 900 accordé au client et le prix maximum requis ex ante par le client (1000), soit +100. Enfin la valeur pour la firme correspond aux flux nets générés par la coopération c’est-à-dire la différence entre les flux générés en aval de la chaîne de valeur (900) et les flux générés en amont (200) soit 700. La valeur totale du partenariat correspond à la somme de ces variations d’utilité produite par la coopération soit (100+100+700). 160 Sur la base des travaux de Freeman (1984), Berman et al. (1999) identifient deux modèles de la gestion partenariale de la firme. Ces auteurs distinguent deux formes possibles de gestion des partenaires à partir de la définition proposée par Freeman (1984, p. 46) selon lequel un partenaire est « un groupe ou un individu qui peut être affecté ou qui est affecté par la réalisation des objectifs de l’organisation ». La première forme de gestion des partenaires consiste à envisager leur rôle déterminant dans la performance de la firme, comme par exemple la clientèle et l’accroissement de la part de marché. La gestion partenariale a alors une valeur instrumentale d’achèvement de la stratégie. La seconde forme de gestion consiste en un engagement moral qu’aurait le dirigeant à l’égard des partenaires. Cet engagement moral le conduirait à définir la stratégie en fonction de ses conséquences sur le bien-être de ces derniers (p. 491-495).

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147

et la participation de certains partenaires (fournisseurs, employés) au processus décisionnel

à travers certains mécanismes comme par exemple le conseil d’administration (Luoma et

Goodstein, 1999) ou sur l’arbitrage en termes de choix stratégiques et d’horizon de

performance, entre les intérêts des clients et ceux des actionnaires (Ogden et Watson,

1999). Enfin, les conclusions de Charreaux (1991) sur l’importance de l’optique choisie

concernant la mesure de la valeur (actionnariale ou économique) comme critère de

performance de la firme soulignent indirectement l’intérêt d’une vision partenariale dans

l’analyse du lien entre propriété et performance. En effet, si la thèse de la neutralité de la

propriété est corroborée dans le premier cas, elle est rejetée dans le cas d’une analyse des

liens entre la structure de propriété et la performance économique au profit de la thèse de

convergence d’intérêts. Outre les limites concernant les mesures de la variable

performance, cette conclusion suggère qu’une prise en compte de l’ensemble des

partenaires conduit à une lecture différente de la relation d’agence.

Cette lecture centrée sur la valeur partenariale insiste sur la non-séparabilité des

décisions de création et de répartition de la valeur organisationnelle. La contribution de

chaque partenaire à la création de valeur influence leur position dans le partage de la valeur

créée. Cette lecture insiste de ce fait sur le degré de participation effective des parties

prenantes dans le processus décisionnel tant au niveau de la fonction de gestion des

décisions que de la fonction de contrôle. Comme le soulignent Charreaux et Desbrières

(1998), leur rapport de force dans le processus de création et de répartition de la valeur

organisationnelle dépend de la contrainte qu’ils peuvent exercer sur le comportement du

dirigeant. En ce sens, le processus de création de valeur est susceptible d’être encadré par

diverses modalités d’exercice des fonctions décisionnelles par les différents parties

prenantes.

L’intérêt d’une analyse de la valeur partenariale réside dans l’importance accordée aux

implications du rôle des différents partenaires sur la stratégie organisationnelle de création

de son avantage comparatif. Dans la mesure où l’actionnaire partage son statut de créancier

résiduel avec d’autres apporteurs de ressources, la structure de financement devient la

structure des ressources. Les composantes de son coût d’opportunité (notamment celui du

capital humain) conditionnent le niveau de valeur créée. Cette conclusion générale qui

ressort de l’analyse de Charreaux et Desbrières (1998) conduit à tempérer l’analyse

traditionnelle de création de valeur actionnariale. En référence à la critique portée par ces

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148

auteurs sur cette analyse, un choix d’investissement risqué, favorable aux actionnaires,

peut augmenter la valeur partenariale dont la répartition peut prioritairement se faire au

profit des autres partenaires. Mais, dans la lignée de l’approche traditionnelle financière,

cette approche élargie insiste sur le rôle central du dirigeant et ce faisant, sur la nécessité

pour les différents partenaires, d’encadrer son comportement via les mécanismes qui

permettent l’exercice des fonctions décisionnelles.

Cette combinaison des différents variables de l’organisation (divergence d’intérêts,

connaissance spécifique, processus décisionnel, droit sur les créances résiduelles, et

système de gouvernance de la coopération) constitue une grille de lecture plus intégratrice

des différents aspects du fonctionnement de la firme. Dans cet esprit, Brickley et al (1997)

propose une lecture de l’organisation à partir de trois piliers interdépendants constitutifs de

l’architecture organisationnelle (désormais AO)161. Ces composantes recouvrent les

variables centrales de la TPA. Il s’agit de l’allocation des droits décisionnels, du système

d’évaluation de la performance et du système de récompenses. En outre, l’analyse de

Brickley (Op. cit., p. 26) démontre l’importance du renforcement mutuel de ces

composantes de l’AO. L’efficience de l’organisation est ainsi influencée par la cohérence

de ces trois dimensions. La TPA propose une analyse endogène de la répartition des droits

décisionnels en fonction de la localisation des connaissances nécessaires à la prise de

décision, puisqu’elle suppose un arbitrage entre les coûts (d’agence) générés par une

allocation décentralisée des droits décisionnels et les gains qui sont procurés par cette co-

localisation. En ce sens, la TPA est une théorie de l’AO dont l’efficience est lue à partir

d’une analyse de l’économie de coûts de la coopération. Comme le propose Charreaux

(1999, p. 132), « s’il fallait […] caractériser brièvement la TPA, nous dirions qu’il s’agit

d’une théorie des formes organisationnelles, fondée sur l’hypothèse que les individus

cherchent à profiter au mieux des gains de la coopération, notamment de la production et

de l’utilisation de la connaissance spécifique ».

Il ressort, de cette approche intégratrice de l’organisation, une leçon essentielle quand à

l’intérêt scientifique d’une analyse partenariale de la performance. Comme en témoigne la

réflexion de Charreaux et Desbrières (1998, p. 83) sur l’approche partenariale, « [celle-ci]

permet de revisiter le problème de la création et du partage de la valeur dans une

perspective enrichie qui ne se limite pas aux seuls actionnaires ». L’analyse de 161 Ces trois aspects sont déjà évoqués par Jensen (1983).

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149

l’efficience organisationnelle pose par conséquent la question de l’efficacité des

mécanismes qui soutiennent les fonctions décisionnelles attachées au processus

décisionnel. La performance organisationnelle s’interprète alors comme la résultante de ce

processus décisionnel, en matière de choix d’investissement (créateur de valeur

organisationnelle) et de répartition des fruits de celui-ci entre divers participants à la

recherche commune d’avantages distinctifs (dans la combinaison des ressources) par

rapport aux concurrents. La TPA met l’accent sur l’examen de l’interdépendance des droits

décisionnels (gestion et contrôle) qui concourent à la rente partenariale, motivation

originelle de la coopération interindividuelle. A partir de son objet central, celui de

l’allocation des droits décisionnels et des mécanismes de coordination et de contrôle des

comportements et des interactions individuelles, cette théorie propose plusieurs champs de

recherche (Charreaux, 2000). En référence à l’analyse de Charreaux (1999, p.115 et

suivantes) sur l’évolution de la TPA, en ouvrant le champ d’analyse de l’AO, La TPA

propose une investigation centrée sur le comportement financier de l’organisation à partir

d’une analyse de la gouvernance organisationnelle et de son efficacité à l’égard de

l’ensemble des partenaires. La théorie de la gouvernance prend ainsi sa source dans

l’exploration de certaines dimensions de l’AO qui concernent plus spécifiquement le

dirigeant.

Section 2 : Architecture organisationnelle et gouvernement d'entreprise : vers une

théorie de la gouvernance partenariale

Le développement précédent a permis de démontrer le statut intégrateur de la TPA en

tant que théorie élargie de l’agence. Dès lors, l’AO peut s’interpréter comme une extension

de la relation d’agence initiale à l’ensemble des partenaires, dont les liens sont plus de

nature coopérative que de nature hiérarchique. Sur les traces de la TPA, la théorie de la

gouvernance a privilégié au départ162, une réflexion centrée sur les mécanismes de contrôle

du dirigeant par les actionnaires, en écho à l’analyse de la relation d’agence traditionnelle.

Cette approche financière traditionnelle de la gouvernance, développée notamment par

162 Très éloigné de notre propos ici, remarquons simplement à l’instar de la réflexion historique de Pagden (1998, p. 16) que la notion de gouvernance remonte au XVIIème siècle lors des tentatives de résorption des conflits entre les Etats d’Europe suite au colonialisme d’outre mer. A partir de cette approche historique, l’auteur rappelle que la gouvernance renvoie à la quête d’un ordre mondial ou de "voisinage global" qui se rapproche naturellement d’une lecture sur l’organisation.

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150

Shleifer et Vishny163 considère la gouvernance comme les mécanismes par lesquels les

intérêts de l’agent sont alignés sur ceux du principal. Cette première lecture a pris une

orientation plus large en même temps que la TPA s’est intéressée aux autres relations du

dirigeant avec les différentes parties prenantes ayant un intérêt à participer à la

coopération164. Nous proposons un premier développement (2.1) sur les contours de la

théorie de la gouvernance que nous proposons de qualifier de partenariale pour aborder

ensuite, son articulation au sein de la théorie de l’AO (2.2). Nous concluons cette section

par la problématique qu’elle soulève dans le cadre de notre recherche sur la privatisation et

la performance organisationnelle (2.3).

2.1. Le gouvernement d'entreprise dans l’approche partenariale de l’organisation

Sur la base du cadre théorique de la TPA, la théorie de la gouvernance partenariale

(désormais TGP) considère l’organisation comme un système contractuel coopératif où

interagissent différents partenaires dont les intérêts divergent. Supposant l’existence de

conflits entre ces cocontractants au centre desquels agit le dirigeant, la TGP propose une

analyse du fonctionnement organisationnel à partir des mécanismes de gouvernance sur

lesquels s’appuient contractuellement ou non, les parties prenantes pour discipliner le

comportement décisionnel de l’agent dirigeant.

Selon le principe explicatif d’efficacité (et du critère de remédiabilité), les mécanismes

de gouvernance s’expliquent par la recherche d’une économie de coûts contractuels par les

différents partenaires. Elle est entreprise en raison de leur motivation à réaliser, maintenir

et/ou développer une coopération créatrice de richesse. A travers différents mécanismes, et

pour chaque contrat entre un partenaire et le dirigeant, le gouvernement d'entreprise

(désormais GE), permet ex ante d’aligner les intérêts sous contraintes cognitives et

d’incertitude. De manière complémentaire, le GE permet de résoudre les conflits survenus

ex post, non contractuellement prévus, tels que la TCI a pu les mettre en valeur.

Progressivement, les travaux en gouvernance ont identifié plusieurs types de mécanismes

163 Voir notamment leur synthèse critique des travaux sur la théorie de la gouvernance (1997). En référence aux problèmes d’agence causés par la séparation propriété-décision et l’incomplétude contractuelle, pour ces auteurs, la question fondamentale que pose le GE est celle relative aux moyens qui garantissent aux apporteurs de capitaux une rentabilité de leur investissement mis à disposition du dirigeant. 164 Cet intérêt participatif peut être direct ou non, selon que les individus sont contractuellement concernés par l’activité de la firme ou simplement lorsque leur utilité est affectée par elle sans qu’ils soient en relation contractuelle volontaire.

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151

préventifs et curatifs des conflits d’intérêts entre le dirigeant et les autres partenaires

(Charreaux, 1997b, p. 423 et suivantes).

Deux typologies ressortent de ces travaux. La première à laquelle se rattache Jensen

(1983), utilise comme critère discriminant l’internalité165 de la discipline sur le dirigeant.

Elle permet de distinguer les mécanismes internes à l’organisation des mécanismes

externes. Dans cette optique Jensen (1993, p. 850) constate « [qu’]il existe seulement

quatre forces de contrôle effectif dans l’organisation pour résoudre les problèmes qui

résultent de la divergence entre les décisions des dirigeants et celles considérées comme

optimales d’un point de vue social » (NT166). Au système de contrôle interne au sommet

duquel se trouve le conseil d’administration, s’ajoutent les mécanismes externes tels que le

marché des capitaux, le système légal, politique et réglementaire et les marchés des biens

et services et du travail. Charreaux (1997b, p. 424) propose de rajouter à cette typologie les

mécanismes associés aux relations bancaires dont le rôle est davantage marqué dans le

contexte germano-nippon et latin que dans le contexte anglo-saxon167. Les mécanismes de

contrôle interne regroupent l’intervention des assemblées des actionnaires, la surveillance

mutuelle des dirigeants ainsi que les contrôles formels et informels entre employés.

Toutefois, cette première typologie s’éloigne de la problématique de la théorie élargie

de l’agence dans laquelle s’inscrit la TGP. Comme le remarque Charreaux (1997b, p. 425)

« [la vision contractuelle de la firme] en interdisant une définition précise des frontières de

la firme, notion dont elle nie même l’existence, ne permet pas en toute rigueur de

distinguer les mécanismes internes et externes ». Dans quelle mesure en effet, le comité

d’audit peut-il être considéré comme un organe de gouvernance externe, sa composition

étant une caractéristique de la firme ? Selon l’auteur, une typologie alternative du GE doit

être plus fidèle à l’interrogation soulevée par la TPA qui cherche moins à identifier les

frontières de la firme qu’à examiner les spécificités relatives de son comportement

adaptatif dans l’environnement. La typologie des mécanismes disciplinaires du

comportement du dirigeant doit faire apparaître la nature de leur influence sur les décisions

et sur la manière dont cette influence s’exerce. D’une part, l’influence directe sur les

165 Charreaux (1997b, p. 425) définit l’internalité comme "le pouvoir hiérarchique du dirigeant qui fixe les frontières de la firme". 166 « There are only four control forces operating on the corporation to resolve the problems caused by divergence between managers’ decisions and those that are optimal from society’s standpoint ». 167 L’annexe 5 reprend le tableau comparatif des systèmes de GE orientés marché et réseaux proposé par Charreaux (1997b, p. 465) parmi les études sur la comparaisons internationales des GE.

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152

décisions prises par le dirigeant s’exerce par les mécanismes spécifiques à la firme. En

revanche, les mécanismes qui exercent une influence indirecte sur l’organisation parce

qu’ils concernent un ou plusieurs groupes d’organisations sont qualifiés par l’auteur de

mécanismes non spécifiques. D’autre part, cette influence vise à adapter le niveau

disciplinaire au comportement du dirigeant. Comme le relève Williamson (1991, p. 278)

dans son analyse comparative des structures de gouvernance (marché, formes hybrides,

hiérarchie), « le problème central de l’organisation du système économique est

l’adaptation » (NT168). Selon l’auteur, la nature adaptative des structures de gouvernance

permet de distinguer deux formes polaires. Le marché est une structure de gouvernance qui

privilégie une adaptation autonome, spontanée, comme le suggère la thèse de Hayek

(1945). A l’opposé, la hiérarchie est une structure de gouvernance dont l’adaptation passe

par le contrôle et la coordination administrative, comme par exemple à l'extrémité du

spectre, la bureaucratie publique. Cette forme alternative de gouvernance rejoint davantage

la thèse de Barnard (1938)169. Cette distinction insiste donc sur le caractère plus ou moins

intentionnel de la capacité adaptative de ces structures de gouvernance dans le cadre d’une

économie de coûts de transaction en univers instable. Cette perspective est transposée par

Charreaux (1997b) à l’analyse des mécanismes de GE afin d’en approfondir l’analyse. Les

mécanismes de gouvernance visent à réduire les coûts d’agence ou plus généralement les

coûts transactionnels170, de manière spontanée ou intentionnelle. Le regard critique de

Jensen (1993, p. 852 et suivantes) sur la défaillance des systèmes de contrôle internes de

grandes entreprises américaines constitue une illustration de l’importance de ces

mécanismes pour la survie des entreprises, dans la définition de leur stratégie. Cette

deuxième typologie permet d’envisager le GE comme un ensemble de mécanismes qui

encadrent le comportement décisionnel du dirigeant, de manière plus ou moins spécifique à

la firme et plus ou moins intentionnelle.

Charreaux (1997b) suggère ainsi une typologie de ces modes de gouvernance en

fonction de leurs degrés d’intentionalité et de spécificité171. Dans cet esprit, la TGP

consiste à expliquer le processus de création de valeur partenariale à partir des mécanismes

168 « the central problem of economic organization is adaptation ». 169 Williamson répond ainsi à la question qu’il pose dans son article et plus généralement dans le cadre de la TCT, « Si le miracle du marché est égalé par le miracle de l’organisation interne, alors en quoi l’un peut il être plus efficace que l’autre? » (NT, 1991, p. 278). 170 En référence à l’analyse de Hill et Jones (1992) traitée dans la section précédente. 171 L’annexe 6 reprend le tableau proposé par Charreaux (1997, p. 427) relatif à la typologie des mécanismes de gouvernance des entreprises.

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153

centrés sur le dirigeant, dans une perspective d’efficacité contrainte par les institutions.

Dans cette optique partenariale, Charreaux définit le GE dans les termes suivants : « le GE

recouvre l’ensemble des mécanismes organisationnels qui ont pour effet de délimiter les

pouvoirs et d’influencer les décisions des dirigeants, autrement dit, qui gouvernent leur

conduite et définissent leur espace discrétionnaire »172. Cette lecture du GE partenarial

soulève la question des liens entre les mécanismes disciplinaires et le processus décisionnel

au centre duquel se trouve le dirigeant. Plus largement, quel est le positionnement du GE

dans la théorie de l’AO ?

2.2. Processus décisionnel : l’interface entre architecture organisationnelle et

gouvernement d'entreprise

En référence aux développements précédents, l’AO a pour focale la cohérence entre la

répartition des droits décisionnels et le système de coordination et de contrôle. La

gouvernance, quant à elle, est centrée sur les mécanismes qui encadrent le comportement

du dirigeant. En ce sens, le processus décisionnel étant structuré autour de l’allocation des

droits de gestion et de contrôle des décisions, les modes de GE sont susceptibles

d’intervenir à chaque étape du processus décisionnel tel que Fama et Jensen (1983 a et b)

l’ont défini et par conséquent, à l’égard de tout partenaire impliqué dans ce processus

décisionnel.

Dans cette optique, Charreaux (1997b, p. 431) propose une analyse du fonctionnement

du GE, à partir d’une association entre les fonctions décisionnelles (de gestion et de

contrôle des décisions) et les modalités d’action de la gouvernance. Concernant la fonction

de gestion de la décision, elle s’exerce par l’initiative et la mise en œuvre des décisions par

le dirigeant. Plusieurs mécanismes sont susceptibles de limiter les choix décisionnels du

dirigeant et sa marge de manœuvre lors de leur exécution. La fonction de gestion des

décisions peut ainsi être soutenue par des mécanismes spécifiques à la firme comme le

conseil d’administration (dans le cadre de l’élaboration par le dirigeant, de projets

stratégiques soumis aux actionnaires) ou la culture d’entreprise. La mise en œuvre des

décisions peut être encadrée a priori par les règles comptables et budgétaires qui

contribuent à délimiter la marge de manœuvre du dirigeant dans l’exécution de ces

172 En introduction de l’ouvrage général collectif « Le Gouvernement d’entreprise, Corporate Governance - Théories et Faits ». Charreaux éd. (1997).

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154

décisions. Des mécanismes non spécifiques peuvent également intervenir dans la

délimitation de cette latitude managériale en matière d’élaboration ou d’exécution des

projets, comme l’influence que peuvent exercer les marchés dans la définition des options

stratégiques ou les contraintes légales. La fonction de contrôle qui combine ratification

(choix final) et surveillance de la décision, est susceptible d’être exercée à l’appui de

mécanismes plus ou moins spécifiques. Ils permettent a priori, à l’ensemble des parties

prenantes d’orienter le choix final et/ou la mesure de performance du dirigeant, selon leur

accès plus ou moins direct à celui-ci, lors des décisions, comme par exemple, les

influences plus ou moins directes par les groupes de pression, les marchés des capitaux,

des biens et services, politique ou social173.

Ces différents modes d’encadrement du comportement du dirigeant via le processus

décisionnel s’exercent de manière plus ou moins directe et explicite, dans le cadre d’une

transaction particulière de la firme, ou via son environnement légal. Ainsi, les différentes

parties prenantes, en relation volontaire ou non avec la firme, peuvent influencer les

décisions directement ou indirectement, via différents mécanismes comme :

- les mécanismes intentionnels spécifiques : le conseil d’administration pour

l’actionnaire dominant par exemple,

- les mécanismes spontanés non spécifiques tels que le marché des biens et services,

les médias et/ou le marché social pour les citoyens,

- combinés éventuellement à des mécanismes intentionnels non spécifiques comme

par exemple, les associations de consommateurs pour les clients et autres groupes de

pression.

En plus de ces influences plus ou moins directes sur le comportement du dirigeant, les

partenaires de la firme qui sont en relation contractuelle avec elle, bénéficient des termes

des contrats pour influer de manière plus contraignante les choix du dirigeant. Les

modalités de la coopération définies de manière plus ou moins explicite leur permettent de

recourir à des mécanismes comme :

- les mécanismes intentionnels spécifiques en soutien des relations contractuelles

explicites, tels que les conditions et modalités de rémunération et de sortie de

chaque cocontractant par exemple ;

173 Le marché du capital social retenu dans la typologie de Charreaux fait référence aux attributs sociaux attachés aux relations sociales tels que Coleman (1988) les envisagent. Il s’agit du capital confiance et de l’information produits dans le cadre des réseaux ainsi que des normes éthiques propres à ses réseaux. Ce marché du capital social exerce a priori une influence plus ou moins directe sur le comportement du dirigeant, tant au niveau de ses choix de gestion qu’au niveau de son évaluation (Charreaux, 1997, p. 428).

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155

- les mécanismes spontanés spécifiques qui définissent davantage les relations

contractuelles implicites comme les réseaux de confiance entre cadres dirigeants par

exemple.

Enfin, ces différents modes de gouvernance se combinent aux modes disciplinaires

ayant force légale dont bénéficient les parties prenantes qu’elles soient en relation

contractuelle ou non avec la firme. Il s’agit des mécanismes suivants :

- les mécanismes intentionnels non spécifiques tels que le cadre légal et réglementaire

comme le droit du travail et les règles sous-jacentes aux relations de travail

(procédure et indemnités de licenciement en cas de sortie de la transaction par

exemple), la réglementation de certaines activités via des autorités indépendantes

(comme l’autorité de régulation des télécommunications, l’ART en France) ou les

règles supra nationales relatives par exemple à la concurrence ;

- les mécanismes intentionnels spécifiques qui découlent du cadre réglementaire et

légal ci dessus (notamment prévus par la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés

commerciales). Le plus célèbre au sein de la société anonyme est le conseil

d’administration qui réglementairement174 et statutairement, exerce la fonction de

ratification de certains types de décision (recrutement, révocation du dirigeant, type

d’opération financière) ou l’assemblée générale qui délibère et statue sur les

comptes annuels et l'assemblée extraordinaire des actionnaires qui est seule habilitée

à modifier les statuts175.

Le tableau suivant reprend les différents types de mécanismes d’après la typologie de

Charreaux (1997b, p. 427). Nous l’adaptons cependant par rapport à la nature

réglementaire, contractuelle ou d’influence de ces mécanismes. Nous distinguons ainsi les

mécanismes spécifiques et non spécifiques à la firme, intentionnels ou spontanés, en

fonction de ces trois natures possibles, sachant qu’elles sont complémentaires voire

substituables selon les contextes organisationnels.

174 L’article 98 de la loi française sur les sociétés commerciales stipule que « le conseil d’administration est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société; il les exerce dans la limite de l’objet social et sous réserve de ceux expressément attribués par la loi aux assemblées des actionnaires ». 175 A ce propos, notons à l’instar de Milgrom et Roberts (1997, p. 410) que les actionnaires via le conseil d’administration, détiennent un droit plutôt bien défini contractuellement de sorte que la partie résiduelle qui justifie traditionnellement leur statut privilégié de créancier résiduel est minime. Toutefois, les décisions de la firme pouvant affecter (négativement ou positivement) la richesse de cette catégorie particulière de partenaires, (incidence particulièrement bien mesurée comparativement à d’autre partenaires), ils demeurent un des créanciers résiduels importants dans l’analyse du processus décisionnel.

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156

Tableau 7 : Nature de la gouvernance et typologie des mécanismes de GE, adapté de

Charreaux (1997b, p. 427)

Nature de la gouvernance

Mécanismes spécifiques intentionnels spontanés

Mécanismes non spécifiques intentionnels spontanés

Réglementaire

- Assemblées des actionnaires - Conseil d’administration ou biconseil - Syndicat « maison » - Comité d’entreprise

- Environnement légal/réglementaire - Syndicats nationaux - Auditeurs légaux - Associations de consommateurs…

Contractuelle

- Rémunération - Structure formelle - Auditeurs internes

- Surveillance mutuelle entre dirigeants - Culture d’entreprise - réputation auprès des salariés - Réseaux de confiance informels

Marchés : - des biens/services - financier - du travail - de la formation - politique - du capital social

Influence des parties prenantes

Environnement sociétal et médiatique

La force contraignante de ces différents mécanismes est d’autant plus grande qu’elle est

encastrée dans les règles du jeu institutionnelles pour lesquelles la force légale prévaut.

Ainsi, comme le suppose Charreaux (1997b, p. 433) ces mécanismes disciplinaires ont un

pouvoir contraignant croissant. Les plus actifs sont la gouvernance réglementaire et

institutionnelle, puis ses traductions explicites et implicites au niveau des relations

contractuelles et éventuellement les influences directes et indirectes exercées par les parties

prenantes affectées par les décisions de l’organisation sans nécessairement être en relation

contractuelle avec elle. Notons cependant, que tous ces mécanismes n’agissent pas

systématiquement pour toutes les organisations. La gouvernance est une caractéristique de

l’organisation dans le sens où, au départ, elle émane de la configuration des relations

contractuelles avec ses partenaires. La gouvernance institutionnelle permet en outre

d’identifier à l’échelle nationale des particularités comme Wirtz (2000) le démontre dans

sa thèse sur le GE et la politique de financement en France et en Allemagne.

Ces mécanismes qui encadrent le comportement du dirigeant résultent de l’allocation

des droits décisionnels entre les partenaires. Ils sont ainsi susceptibles d’influer sur les

décisions prises par le dirigeant, selon les modes d’action susmentionnés. En conséquence,

le GE représente un ensemble de mécanismes complémentaires et/ou substituables qui

encadrent le processus décisionnel et par suite le comportement de l’agent dirigeant. Le GE

constitue une dimension centrale de l’AO puisqu’il reflète la combinaison d’un aspect de

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157

l’allocation des droits décisionnels et d’un aspect du système de contrôle et d’évaluation,

relatifs au dirigeant.

Sur la base du schéma de Jensen (1998, p. 3) relatif aux blocs constitutifs de la TPA et du

schéma de Brickley et al (1997, p. 27) relatif aux déterminants des liens entre architecture,

stratégie et valeur de la firme, nous proposons à travers le schéma suivant, une lecture des

contours de la TPA et du positionnement de la TGP dont elle est issue. Dans le

prolongement de la définition de Charreaux (1997b) retenue précédemment, le GE est alors

envisagé comme une réponse endogène du processus décisionnel, constitutif du niveau

central de l’AO.

Schéma 4 : La théorie de la gouvernance, un champ spécifique de la TPA comme théorie

de l’architecture organisationnelle (AO)

Environnement externe « structures de gouvernance institutionnelles » ou GE non

spécifiques

Marchés...

Cadre légal et réglementaire

Clients Fournisseurs

Concurrents

Firme Organisation

Droits décisionnels/ connaissances

Gestion décisions

Contrôle décisions

Système d’évaluation de la performance

Système de récompenses/

sanctions

1

2 3

Actionnaires

Dirigeant

Salariés

GE GE

Biens & services

Capitaux

Travail

Etat

Groupes d'intérêts (syndicats, associations)

Professions réglementées Audits légaux

Banques

mécanismes non spécifiques

mécanismes spécifiques

mécanismes spécifiques

AO

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158

Ce schéma met en évidence, la représentation de l’organisation comme centre de

contrats entre divers partenaires. Ces contrats bilatéraux avec le dirigeant, à l’interface de

toutes les transactions définissent l’allocation des droits décisionnels de sorte que les coûts

contractuels soient minimisés. Le processus décisionnel au centre duquel agit le dirigeant

est à l’origine de l’AO. Celle-ci combine la répartition des droits décisionnels et les

systèmes de contrôle et d’évaluation de la performance. Au centre de cette AO intervient le

dirigeant, comme interface des différents partenaires. Les structures de gouvernance

institutionnelles au sens de Hill et Jones (Op. cit.) en tant que mécanismes non spécifiques

de gouvernance contribuent à la définition de l’AO. Notamment, les différents marchés au

sein desquels la firme contracte avec plusieurs partenaires (salariés, clients, fournisseurs,

investisseurs financiers principalement), les groupes d’intérêts (syndicats nationaux,

organisations professionnelles) et le cadre réglementaire et légal dans lequel sont encastrés

les transactions (et leurs effets sur les parties prenantes) sont susceptibles d’influer sur le

processus décisionnel, défini comme l’articulation des fonctions décisionnelles de gestion

et de contrôle des décisions. En son centre, le dirigeant est chargé de définir une politique

organisationnelle qui combine les intérêts multiples en vue de développer la coopération

entre les différents partenaires.

La divergence d’intérêts entre les parties est source de conflits potentiels, lesquels sont

partiellement encadrés via les mécanismes spécifiques et non spécifiques à la firme176.

Chaque partie prenante au processus décisionnel bénéficie spontanément ou de manière

intentionnelle de différents mécanismes disciplinaires dont la combinaison forme le GE. Le

dirigeant, au centre du nœud contractuel est encadré par ce GE via l’allocation des droits

décisionnels entre les parties prenantes. La liberté d’action laissée par l’impossibilité du

GE d’encadrer parfaitement le comportement décisionnel du dirigeant définit son espace

discrétionnaire, nécessaire à la gestion du slack organisationnel177 dans le cadre de sa

stratégie de mise en consensus des intérêts des diverses parties prenantes. La création de

valeur partenariale résulte ainsi de la variation d’utilité perçue par chaque partenaire au

sein de l’AO. Cette valeur partenariale dépend de l’efficacité de la gouvernance à encadrer

le processus décisionnel et le comportement managerial.

176 Cf. Charreaux (1998) 177 Cf. Charreaux et Desbrières (1998).

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159

Cette lecture de la TGP dans la perspective de notre recherche sur les relations de la

privatisation et la performance permet de reformuler la problématique initiale développée

dans la littérature. Notamment, la TGP permet de distinguer deux niveaux d’analyse.

D’une part, en focalisant sur la répartition des droits décisionnels, la TGP permet

d’envisager les liens entre privatisation et AO, notamment son axe central, le GE. D’autre

part, la problématique centrale de la TGP soulève la question des effets de cette dynamique

organisationnelle sur la valeur partenariale.

Section 3 : Privatisation et gouvernance partenariale : l’intégration de la

dynamique organisationnelle dans la problématique de l’efficience

Cette approche de la TGP fait ressortir deux enseignements intéressants pour notre

problématique de recherche sur la relation entre privatisation et performance. La

privatisation telle que nous l’avons définie en première partie, semble engager un ensemble

de modifications environnementales et organisationnelles. De plus, cette dynamique

organisationnelle suggère une analyse intermédiaire quant aux effets organisationnels de la

privatisation sur le processus de création et de répartition de la valeur organisationnelle.

3.1. Privatisation : déséquilibre institutionnel et processus adaptatif de

l’organisation

Ce regard partenarial de l’AO permet d’envisager, dans les termes de Hill et Jones

(1992), la privatisation comme un déséquilibre. Ce déséquilibre est de nature

institutionnelle, puisque la privatisation est traduite par des textes législatifs. En référence

au principe d’efficacité, ce phénomène d’instabilité est donc susceptible de conduire à un

processus d’adaptation de l’organisation. L’élargissement de l’approche contractuelle de la

firme met l’accent sur le pouvoir des parties prenantes sur le processus décisionnel en

termes de contrôle du comportement du dirigeant. Le déséquilibre induit par la

privatisation est donc susceptible de modifier les rapports des parties prenantes au

processus décisionnel, notamment au niveau des fonctions de contrôle et des mécanismes

de gouvernance qui soutiennent leur exercice optimal. De manière complémentaire, la

position centrale du dirigeant dans son rôle de médiateur (Hill et Jones, Op. cit., p. 145) au

sein du nœud de contrats est susceptible d’être touchée par la privatisation. Notamment, en

déséquilibrant la configuration partenariale (introduction de partenaires privés dans le

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160

capital par exemple) la privatisation engendre un déséquilibre qui peut être favorable au

dirigeant, dans le cadre de sa stratégie personnelle face aux opportunités de dépendance de

certains partenaires à son égard. Ce déséquilibre, éventuellement renforcé par une

libéralisation sectorielle peut a priori influencer la structure contractuelle de la firme qui

encadre la mobilisation des diverses ressources apportées.

3.2. Dynamique du GE et privatisation : l’analyse du processus de création et de

répartition de la valeur partenariale

Théoriquement, la modification de l’AO modifie les choix d’allocation de ressources et

de rémunération en fonction des rapports de pouvoir sur le processus décisionnel. En outre,

elle peut induire un changement du niveau de minimisation des coûts d’agence ou plus

largement des coûts contractuels. Ceux-ci dépendent du rôle actif des mécanismes de

gouvernance, issus de leur modification et de leur combinaison lors de la privatisation. Le

transfert d’actifs de la sphère publique à la sphère privée semble donc agir sur la capacité

de la firme à minimiser les coûts organisationnels et en particulier le coût résiduel c’est-à-

dire les coûts nets engendrés par la divergence d’intérêts non maîtrisée par la gouvernance.

Dans cet esprit, la privatisation conduit à une modification de l’AO.

L’évolution du design organisationnel, en particulier du GE est alors susceptible de

conduire à une modification du processus de création de valeur, via une re-configuration

du processus décisionnel. En ce sens, la privatisation modifie a priori, la formation de la

valeur partenariale et sa répartition entre les partenaires. La lecture de la privatisation à

partir de la TGP soulève ainsi une double question. D’une part, comment la privatisation se

traduit-elle au niveau du processus décisionnel et du GE ? Quelles sont alors les

conséquences de cette évolution du centre de l’AO sur le processus de création et de

répartition de la valeur organisationnelle ? Autrement dit, comparativement à l’approche

développée dans la littérature, notre recherche propose une perspective renouvelée de la

privatisation. Notre objectif est, rappelons-le, d’approfondir les implications plus ou moins

explicites de la privatisation sur l’architecture de la firme. A l’appui de ce développement,

nous reposons la question des effets de la privatisation sur la valeur partenariale à partir

d’une analyse du fonctionnement organisationnel fondée cette dimension de l’AO, le

processus décisionnel et son expression en termes de GE ?

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161

Le schéma suivant propose une lecture de la problématique relative aux liens entre

privatisation et performance, telle que la TGP permet de la renouveler. Celle-ci constitue

ainsi un cadre théorique intégrateur des différentes approches proposées dans la littérature

sur la privatisation et ses conséquences organisationnelles sur la performance.

Schéma 5 : Privatisation et processus décisionnel, une lecture de la dynamique organisationnelle à travers la théorie de la gouvernance partenariale

Conclusion du chapitre 3

L’ambiguïté des résultats empiriques sur la relation traditionnelle entre

privatisation/propriété/performance suggère un retour sur l’analyse théorique. Notre

synthèse du cadre conceptuel de la TPA souligne la pertinence de la grille théorique de la

gouvernance pour améliorer notre compréhension des processus organisationnels sous-

jacents à la privatisation. Dans cet esprit, l’intégration des différents prismes contractuels

de l’organisation au sein d’un même cadre analytique permet de reconsidérer les liens entre

privatisation/propriété/performance sous l’angle de l’AO. Cette lecture du fonctionnement

de la firme permet d’intégrer la dynamique organisationnelle au niveau du processus

décisionnel et du système de gouvernance partenariale. En ce sens, une analyse de la

privatisation à partir de la TGP est susceptible d’approfondir les mécanismes qui

interviennent dans le processus de création et de répartition de la valeur organisationnelle

lors de la privatisation. Une telle analyse est donc susceptible d’apporter certaines

Privatisation Architecture organisationnelle

Processus de création /

répartition de la valeur

Performancepartenariale

Système de répartition des droits décisionnels

Performance partenariale

Fournisseurs

Système de coordination et de contrôle

Actionnaires Salariés

Banques

Clients

GE dirigeant

I

II III

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162

explications à l’ambiguïté constatée au niveau des résultats empiriques. Cette lecture

contractuelle de la privatisation nous conduit dans le chapitre suivant, au développement

d’un modèle explicatif des relations complexes entre la privatisation et la performance

organisationnelle. Le chapitre 4 est ainsi consacré à différents groupes de propositions

théoriques produites à partir d’une lecture de ce phénomène organisationnel, sous l’angle

de la théorie de l’AO et plus spécifiquement de la TGP.

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163

Chapitre 4

Analyse de la privatisation à partir de la théorie de la gouvernance partenariale : une

relecture du lien entre propriété et performance

La science est une activité marquée par la dimension personnelle tout autant que l’art,La science est une activité marquée par la dimension personnelle tout autant que l’art,La science est une activité marquée par la dimension personnelle tout autant que l’art,La science est une activité marquée par la dimension personnelle tout autant que l’art, même si sa récompmême si sa récompmême si sa récompmême si sa récompense majeure est la vérité plutôt que la beauté.ense majeure est la vérité plutôt que la beauté.ense majeure est la vérité plutôt que la beauté.ense majeure est la vérité plutôt que la beauté.

S. J Gould, Essai n°8, p. 127.S. J Gould, Essai n°8, p. 127.S. J Gould, Essai n°8, p. 127.S. J Gould, Essai n°8, p. 127.

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164

Dans le cadre de notre recherche sur le lien entre privatisation et performance, la lecture

précédente du positionnement théorique de la TPA et de son champ de la gouvernance,

suggère un examen des effets de la privatisation sur le processus décisionnel dans ces

différentes dimensions interdépendantes (répartition des droits décisionnels et

caractéristiques des systèmes de coordination et de contrôle). Notre question de recherche

relève dès lors, des effets de la privatisation sur ces mécanismes constitutifs du système par

lequel la firme et plus précisément son dirigeant, sont dirigés et contrôlés par rapport à

l’objectif de création d’un avantage compétitif durable. En référence aux questions

soulevées dans le chapitre précédent par la TPA, nous proposons une réinterprétation de la

privatisation au regard de la théorie de l’AO (section 1). Cette nouvelle lecture nous

conduit à envisager deux niveaux d’analyse afin de modéliser les liens théoriques suggérés

par notre problématique de recherche178. D’une part, la privatisation en tant que transfert

de la propriété (au sens large) au profit d’agents privés est susceptible de modifier l’AO

(section 2). A partir de la relecture de la définition de la privatisation, une première série de

propositions présente les implications organisationnelles de la privatisation notamment sur

le processus décisionnel et le système de GE. Cette première série de propositions est donc

relative aux effets de la privatisation sur la dimension centrale de l’architecture

organisationnelle. D’autre part, en référence au cadre théorique de la TGP, cette

dynamique organisationnelle dans le contexte particulier de la privatisation, influe

théoriquement sur le processus de création et de répartition de valeur organisationnelle

(section 3). Une seconde série de propositions théoriques permet de compléter notre

analyse explicative des effets de la privatisation sur le niveau de performance partenariale.

Ce deuxième groupe de propositions est consacré aux implications de la modification de

l’AO sur la performance aux yeux de différents partenaires.

Avant d’aborder le développement de notre modèle explicatif, précisons le choix

méthodologique pour lequel nous avons opté dans le cadre de l’élaboration de notre

modèle. Afin d’accentuer les liens théoriques nous choisissons de retenir les

caractéristiques les plus marquées des différentes variables concernant la problématique de

la privatisation (entreprise publique, entreprise privée, etc.). Aussi, il peut apparaître dans

les développements qui suivent des accentuations volontaires de certains traits de

l’organisation qui n’éludent cependant pas la portée et l’intérêt du modèle, bien au

178 Une première version de notre modèle appliqué à la privatisation de France Télécom apparaît dans Catelin et Chatelin (2001).

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165

contraire. Nous rejoignons ici Williamson (1999, p. 321) selon lequel « les cas extrêmes

sont choisis pour l’analyse, précisément parce qu’ils permettent souvent de découvrir « les

aspects essentiels de la situation » qui ne sont pas patents lorsque sont examinées des

transactions plus banales » (NT)179.

Section 1 : Une ré-interprétation de la privatisation au regard de la TPA

Comme nous l’avons montré en première partie, les travaux abordés dans la littérature

ainsi que les différents lectures contractuelles de l’organisation laissent ouverte finalement

la question des effets de la privatisation sur la performance de la firme. Ce chapitre a pour

objectif une relecture de ces liens à partir de la TPA qui tente d’intégrer les apports de la

littérature contractuelle. Comme le suggère notre développement précédent sur cette

théorie du fonctionnement organisationnel (chapitre 3), nous consacrons cette première

section à la lecture de la privatisation au regard de cette théorie de l’architecture de

l’organisation. Ainsi, avant d’aborder les liens soulevés par notre question de recherche, le

développement suivant porte sur l’enrichissement du concept de privatisation dans la

perspective proposée par la TPA.

En référence aux développements de la première partie de notre travail, relatifs aux

contours de la privatisation, dans sa forme la plus forte c’est-à-dire l’OPV, la privatisation

est une ouverture partielle ou totale du capital de l’entreprise publique aux actionnaires

privés. Notre champ d’investigation se limitera à ce cas de privatisation. Deux raisons

motivent ce choix. La prise en compte des différentes formes de privatisation

complexifierait l’analyse. Son pouvoir explicatif perdrait alors de sa substance. En

revanche, ce choix n’exclut pas une réplication du modèle et son adaptation à des contextes

de privatisation variés. C’est d’ailleurs une ouverture nécessaire à l’évaluation de sa propre

plausibilité. De plus, le cas retenu intègre la totalité des modifications possibles du

processus décisionnel induites par la privatisation. A l’instar de la remarque

méthodologique de Williamson (Op. Cit), elle constitue donc un cas extrême de la

modification du processus décisionnel. Son analyse permet en ce sens d’accentuer les

changements organisationnels.

179 « extreme instances are chosen for study precisely because they often help to uncover « essentials of the situation » that are not evident when more mundane transactions are examined » (guillemets de l’auteur).

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166

Au sens légal du terme, la privatisation constitue un double changement de la propriété

de l’entreprise. Tout d’abord, la privatisation au sens fort, modifie la nature de la propriété,

via son transfert à des acteurs privés. En ce sens, la privatisation implique un passage de la

propriété du domaine public au domaine privé. En outre, elle agit sur sa structure, via la

composition qui résulte du premier changement. Comme nous l’avons abordé en première

partie, la privatisation, notamment dans les pays occidentaux, s’est souvent traduite par la

constitution d’un noyau dur ou groupe d’actionnaires partenaires (GAP) ainsi que par

certaines restrictions quant au pourcentage de détention du capital par des investisseurs

étrangers ou quant à l’existence ou non d’une golden share, comme l’a introduite le

programme des privatisations au Royaume Uni ou en France. Cette vision juridique de la

propriété est à l’origine de la problématique traditionnelle de la performance. La

privatisation envisagée comme un changement de propriété au sens juridique implique une

analyse dichotomique de la performance. Cette lecture de la privatisation suggère en effet

une analyse des facteurs de performance spécifiques à la propriété publique et à la

propriété privée. Elle a ainsi nourri une partie des travaux théoriques et empiriques relatif

au débat traditionnel entre propriété et performance, comme en témoigne la première partie

de cette recherche. Cependant, en orientant l’analyse sur les sources d’inefficience liées à

la nature publique ou privée de la propriété et au comportement de chaque type de

propriétaire, cette perspective de la privatisation a limité la compréhension des effets de la

privatisation sur la performance.

Toutefois, une orientation économique de cette problématique a privilégié une analyse

comparative des formes organisationnelles publiques et privées qui a mis en évidence une

conception économique de la propriété fondée sur les droits décisionnels. Ainsi, la TCI a

permis de caractériser les deux types d’entreprise à partir des spécificités du droit résiduel

de contrôle. Ce droit fait référence à la décision, en univers d’incomplétude contractuelle,

de l’usage de la ressource à laquelle ce droit renvoie. Le propriétaire d’une ressource est

alors celui qui détient le pouvoir de décider de l’utilisation de cette ressource en cas

d’événement imprévu. La propriété s’entend alors comme une fonction d’assomption du

risque contractuel et de contrôle qui, selon le principe d’efficacité, est allouée à celui qui

est le mieux à même de l’exercer, autrement dit celui qui est le plus exposé à l’incertitude

contractuelle résiduelle. Ainsi, l’approche endogène de la propriété conclut de manière

moins prononcée à l’inefficience supérieure de la propriété publique. Elle a permis de

souligner l’intérêt d’une prise en compte des interactions des différentes variables

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167

constitutives de chaque forme économique (chapitre 2), élargissant de ce fait la première

perspective de la privatisation.

Dans le prolongement de cette analyse comparative à partir des différents prismes

théoriques contractuels, la TPA suggère un examen du processus décisionnel qui combine

les droits de gestion et de contrôle des décisions et la structure des connaissances

spécifiques pour leur juste valorisation. Comme nous l’avons examiné dans le précédent

chapitre, cette perspective souligne l’importance d’une double colocalisation qui, dans

certains contextes organisationnels, se traduit par une séparation fonctionnelle du

processus décisionnel. Une organisation efficiente, c’est-à-dire qui minimise ses coûts

d’agence, se caractérise d’un coté, par une colocalisation du droit de gestion de la décision

et de l’information nécessaire à la prise de décision, et de l’autre coté, par une

colocalisation du droit de contrôle et de l’information nécessaire à son exercice optimal.

Ainsi en est-il des organisations ouvertes efficientes, au sein desquelles, selon Fama et

Jensen (1983), la diffusion de l’information spécifique entre de nombreux agents

(organisation complexe) s’accompagne d’une double séparation. La séparation des

fonctions d’assomption du risque et de contrôle de la décision (capital diffus) est combinée

à la séparation de la fonction de gestion allouée aux détenteurs de l’information nécessaire

à une gestion optimale et de la fonction de contrôle de ces mêmes décisions (firme

managériale). A l’inverse, une organisation fermée se caractérise par une concentration des

fonctions de contrôle, d’assomption du risque et de gestion dans les mêmes mains

(l’entreprise familiale, par exemple). Enfin, comme nous l’avons déjà examiné, une

extension de leur analyse permet de distinguer une forme intermédiaire. La firme contrôlée

se distingue des deux précédentes par une séparation faible des fonctions de propriété et de

contrôle (actionnaire dominant au sein d’un actionnariat large) et, au sens large, une

séparation réduite des fonctions de décision et de contrôle, le dirigeant étant fortement

dépendant de l’actionnaire dominant (Charreaux et Pitol-Belin, 1985a).

Cette analyse, transposable à tous les niveaux de l’organisation, implique la prise en

compte de plusieurs partenaires susceptibles d’être affectés par l’incertitude résiduelle liée

aux décisions de la firme. En ce sens, au regard de la TPA, la privatisation est susceptible

de modifier la prise de décision et les rapports des différentes parties prenantes à ce

processus décisionnel.

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168

Dès lors, la privatisation définie au départ de notre réflexion, comme le transfert d’actifs

détenus par des agents publics vers des agents privés peut être interprétée d’une manière

différente. En effet, le changement juridique de propriété se traduit par un passage de la

propriété publique à la propriété privée au sens économique du terme. Il soulève la

question du changement des caractéristiques du processus décisionnel, central dans l’AO.

En ce sens, la privatisation peut être redéfinie comme une réallocation des étapes du

processus décisionnel au profit d’agent privés, en fonction de la localisation de

l’information spécifique (tant en matière de contrôle que de gestion de la décision) et des

agents assumant le risque résiduel. Cette interprétation de la privatisation suggère par

conséquent, un abandon partiel ou total des fonctions de décision et de contrôle par les

pouvoirs publics. Autrement dit, la privatisation d’entreprise consiste pour le propriétaire

public, à céder à d’autres agents, non publics, les fonctions décisionnelles initialement

réparties au sein des pouvoirs publics. Afin de comprendre de quelle manière la

privatisation ainsi redéfinie, modifie ce processus décisionnel, il convient d’examiner au

regard de la TPA, les caractéristiques de ce processus de décision public. Cet aspect central

de l’AO publique, une fois identifié et soumis à une analyse de la privatisation telle que

nous venons de la redéfinir, devrait conduire à l’identification d’un processus décisionnel

privatisé. L’ensemble de cette démarche d’analyse est conduite à l’appui des apports de

l’analyse comparative contractuelle et de la théorie de l’AO.

Section 2 : Privatisation, un changement d’architecture organisationnelle :

première série de propositions

L’objectif de ce développement est de démontrer, à partir d’une lecture de l’AO quels

sont les effets de la privatisation sur les caractéristiques centrales de l’organisation, telles

que nous les avons envisagées au regard de la TPA. Nous proposons à partir de l’analyse

précédente un premier bloc constitutif du modèle des liens complexes entre privatisation et

performance partenariale. La portée de cette première modélisation est double. D’une part,

nous proposons une première réponse aux questions soulevées par notre synthèse de la

littérature. En ce sens, nous tentons d’élaborer une explication des processus

organisationnels mis en jeu lors d’une privatisation avant de pouvoir statuer sur les effets

de cette dernière sur la performance180. D’autre part, en exploitant la grille de lecture de la

TPA et plus spécifiquement de la TGP, nous cherchons à mettre à l’épreuve cette théorie 180 que nous aborderons en troisième section.

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169

par l’enrichissement qu’elle est susceptible d’apporter à la problématique complexe,

soulevée par la privatisation.

Dans la mesure où la dimension centrale de l’architecture d’une organisation repose sur

le processus décisionnel, nous examinons à l’appui des développements précédents les

mécanismes par lesquels la privatisation en modifie les composantes (2.1). En outre, les

développements précédents ont insisté sur la nécessité de prendre en compte le

fonctionnement systémique de l’organisation pour approfondir notre compréhension du

fonctionnement organisationnel. Nous proposons donc une analyse des implications

précédentes relatives au processus décisionnel sur le système de GE (2.2). Pour clore ce

premier bloc de notre modèle, nous examinons l’impact de la privatisation sur le

comportement du dirigeant, acteur central de la TGP (2.3).

2.1. Privatisation et système de propriété : la dynamique du processus décisionnel

En référence aux analyses présentées dans les chapitres 2 et 3, le processus décisionnel

public peut être examiné à partir de deux dimensions liées. D’une part, la propriété

publique peut être définie à partir du droit de décision résiduelle public (DDRP). D’autre

part, le processus décisionnel attaché à la propriété publique organise les droits

décisionnels de gestion et de contrôle. Comme nous l’avons montré dans le chapitre

précédent, le droit de contrôle et le droit de décision résiduelle sont liés.

Le DDRP181 associé à la fonction d’assomption de l’incertitude résiduelle présente des

caractéristiques variables selon le type d’entreprise publique concernée. En référence au

tableau synoptique 6 des caractéristiques organisationnelles publiques et privées, cette

fonction d’assomption de l’incertitude est exercée par différentes entités. Dans l’acception

la plus large de l’entreprise publique, rappelons que cette fonction d’incertitude qui fonde

la propriété est considérée comme étant exercée par les citoyens182. Toutefois, si l’on

admet que les pouvoirs publics sont les délégués de ces derniers, le processus décisionnel

public dans sa forme la plus prononcée se caractérise par un DDRP d’autant plus étendu

que la structure publique est fortement marquée par le contrôle des décisions par

différentes instances des pouvoirs publics (tutelles de cogestion, d’instrumentalisation et

réglementaires). Autrement dit, la fonction de contrôle des décisions qui regroupe la

181 développé dans le schéma n°3 du chapitre 2. 182 Cf. Chapitre 1.

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170

ratification et la surveillance implique d’autant plus d’acteurs publics que le DDRP

concerne de nombreux types de décisions (technique, économique et financière). En

conséquence, le processus décisionnel public se caractérise par une fonction de contrôle

des décisions très diluée dans la forme la plus forte d’entreprise publique, la tutelle

administrative. La séparation propriété/contrôle paraît aussi forte au sens large, si les

citoyens sont considérés comme les détenteurs des DDRP, déléguant la fonction de

contrôle aux pouvoirs publics, qu’au sens plus strict des pouvoirs publics propriétaires et

contrôleurs multiples.

En outre, l’analyse de Glachant (1994, p. 110 et suivantes) des formes d’entreprise, des

relations de travail et de tutelle permet de montrer que le formalisme du contrôle paraît

d’autant plus fort que le DDRP est étendu et la fonction de contrôle diluée. Par exemple,

dans le cas le plus restreint du DDRP, les relations de la société anonyme de capitaux

(holding) avec ses tutelles sont « contenu[es] dans un cadre très léger, resserré et non

formalisé » (p. 111). A l’inverse, les structures publiques pour lesquelles le DDRP est très

étendu (unité administrative et EPIC) développent des relations avec leurs tutelles

largement soutenues par le « cadre juridique et réglementaire des relations salariales sous

la forme dite de statut » (p. 110). Enfin, la situation intermédiaire est celle des entreprises

publiques de statut privé, mais à actionnariat public. Ces « maisons mère unité de

production, subdivisée en établissements » (ex Régie Renault) ont des relations très

hétérogènes avec leurs tutelles comme l’observe Glachant (Op. Cit). Certains accords

débouchent, comme pour les entreprises à statut « sur des procédures très élaborées […] et

une substantielle codification […] des relations de travail dans les différents

établissements ». Toutefois, ces cas intermédiaires relèvent aussi des accords de branches

(donc applicables également aux entreprises privées) et certains d’entre eux « conserve[nt]

une possibilité de renégocier ou de dénoncer le contrat si besoin » (p. 112).

Ce spectre de la fonction de contrôle public reflète la superposition des relations

d’agence publique déjà évoquées ainsi que les sources de coûts liées aux objectifs

multiples et contradictoires et aux risques d’expropriation des efforts du dirigeant.

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171

Ainsi, en référence à la distinction de Glachant entre les tutelles courantes et la tutelle

haute183, la fonction de contrôle public s’exerce via le cahier des charges (tutelle

technique), la fixation des rémunérations (au sein du cabinet du Premier Ministre), des

prix, le choix des investissements et des modes de financement (Ministère des Finances),

les options stratégiques, économiques et industrielles ainsi que l’arbitrage des conflits dont

le dernier ressort revient au Premier Ministre et au Président. Le DDRP et le droit aux

pertes ou aux gains résiduels paraissent particulièrement démembrés au sein de la propriété

publique (Charreaux, 1997d, p. 43). Dans cet esprit, comme le rappelle le tableau 5 du

chapitre 2, à forme comparable, la propriété publique paraît plus diffuse que la propriété

privée. En effet, dans la mesure où l’entreprise publique se caractérise par une influence

majeure des pouvoirs publics, la propriété privée comparable est celle où les actionnaires

privés exercent une influence majeure sur les décisions donc, dominent le conseil

d’administration. Cette lecture rappelle les caractéristiques de la firme contrôlée dans la

typologie des organisations privées telle qu’elle est développée dans la TPA. De là, la

propriété privée se caractérise par une fonction de contrôle concentrée au niveau de

l’actionnaire dominant ou groupe d’actionnaires dominants, alors qu’elle est davantage

partagée au sein de l’organisation publique.

Si l’on considère la forme organisationnelle publique comme faisant partie des

organisations dites complexes au sens de Fama et Jensen (1983), cette comparaison des

deux types de processus décisionnel fait apparaître une organisation publique (dans sa

forme la plus forte) dont la fonction de contrôle, à l’image de la fonction d’assomption du

résidu d’incertitude est plus diluée que dans une organisation aussi complexe mais

privée184. En référence à l’analyse de Milgrom et Roberts (1997, p. 155), la centralisation

de la fonction de contrôle des décisions (ratification et surveillance) qui reflète une prise de

décisions au niveau supérieur, imposées ensuite aux membres de l’organisation,

183 Les deux tutelles courantes regroupent la tutelle technique, propre au secteur d’activité ou au produit et la tutelle économique et financière qui ratifient et surveillent les effets macroéconomiques. « La tutelle haute constitue le niveau obligé de gestion des problèmes les plus élevés, […] de la définition générale des règles du jeu régissant le secteur public […] à l’examen de certaines options stratégiques ». Notons à l’instar de l’observation de l’auteur qu’aux contrôles formels (commissions et organismes officiels) et formalisés (règles et procédures) des tutelles courantes, s’opposent les contrôles informels et non formalisés de la tutelle haute (Glachant, 1994, p. 125-127). 184 Même si en France, la spécificité du marché des dirigeants (grands corps et ENA) a pu contribuer, à certains moments, au rôle dominant de contrôle des pouvoirs publics tant au sein des entreprises auxquelles ils sont légitimement liés qu’au sein des entreprises privées, répliquant de ce fait la dilution spécifique de la fonction de contrôle public et les conflits intra publics entre entités participantes.

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172

notamment au dirigeant, paraît plus forte et plus complexe185 dans le contexte public que

dans le contexte privé.

S’agissant de la fonction publique de gestion des décisions, dans une organisation

complexe, elle est théoriquement exercée par le dirigeant et déléguée à différents niveaux

de l’organisation en fonction du locus informationnel. Comme le souligne Glachant (1994,

p. 133) « si les sommets de l’Etat gardent l’autorité formelle186 […] permettant a priori

d’ordonner ou de commander, ce sont toujours les entreprises qui détiennent les savoir

faire et qui gèrent les processus de mise en œuvre ». Une telle approche privilégie une

séparation nette entre propriété et décision. Cependant, les caractéristiques de la fonction

de contrôle public montrent en réalité une prise de participation variable des pouvoirs

publics dans la fonction de gestion, notamment au niveau de l’initiative des décisions au

sein de la forme organisationnelle publique. Les pouvoirs publics sont en effet susceptibles

de jouer un rôle centralisateur des décisions tel qu’il est défendu dans la littérature (Caves,

1990). Dans les termes de Glachant (Op. Cit, p. 131), cette prise de participation est

qualifiée de soumission à la tutelle haute, ou de subordination à la tutelle courante, limitant

alors la séparation des fonctions de décision et de contrôle et par conséquent, la

décentralisation interne. Mais les entreprises publiques caractérisées par cette atténuation

de la séparation fonctionnelle coexistent avec d’autres entreprises au sein desquelles le

droit de gestion, tant dans l’initiative que dans la mise en œuvre, est alloué au dirigeant et à

ses niveaux hiérarchiques inférieurs. Dans ce contexte, « à la forme d’autogestion de la

tutelle courante par l’entreprise publique, correspondrait au niveau haut, la modalité de

l’autonomie stratégique de l’entreprise publique »187. Enfin, à cette complexité du

fonctionnement décisionnel public viennent s’ajouter les faits qui démontrent l’existence

de structures centralisées qui pourtant en interne, font preuve d’une grande capacité

d’initiative stratégique. De plus, leurs prérogatives peuvent faire l’objet d’une évolution

selon les contextes politiques et la conjoncture. Cette diversité des processus décisionnels

publics se traduit par des structures organisationnelles internes plus ou moins centralisées.

Glachant (Op. Cit, p. 115) repère trois types de coordination interne dans les entreprises

publiques françaises. Nous les présentons dans le schéma suivant, en fonction du degré de

centralisation interne correspondant à chaque structure.

185 La centralisation est dite complexe dans la mesure où elle met en jeu plusieurs instances de contrôle sur différents types de décision. 186 Par opposition à l’autorité réelle, c’est à dire effectivement exercée (Aghion et Tirole, 1998). 187 Glachant (Op. Cit, p. 131).

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173

Schéma 6 : Architecture de la fonction de gestion des décisions au sein de la hiérarchie

publique, adapté de Glachant (1994, p. 115 et suivantes)

Cette lecture plus transversale du fonctionnement de l’entreprise montre, comme nous

l’avions déjà examiné en partie dans la perspective de la TCI, que le processus décisionnel

public comparativement à celui de l’entreprise privée, est fortement centralisé au niveau

des différentes instances publiques et également dans les cas les plus marqués, au niveau

interne. A partir d’une analyse plus approfondie de la propriété publique orientée sur le

processus décisionnel, la TPA permet d’identifier les variations quant à l’intensité de

contrôle par les pouvoirs publics et de participation à la gestion de l’entreprise publique.

Ce processus décisionnel se caractérise par un partage de la fonction de contrôle entre les

différents principaux identifiés par l’approche principal-agent et par une implication

variable de ces pouvoirs publics dans la gestion. Dans sa forme la plus forte, le processus

décisionnel public privilégie une séparation faible du contrôle et des décisions tout comme

une organisation privée avec un actionnaire dominant.

Toutefois, les caractéristiques des fonctions d’assomption de l’incertitude résiduelle188,

de contrôle et de gestion des décisions dans le contexte public déterminent un processus

décisionnel plus centralisé au niveau des détenteurs des droits de décision résiduelle

188 ainsi que le droit de décision résiduelle et le droit au gain et perte résiduels auxquels ils se rattachent.

Direction centrale et directions

opérationnelles non séparées mais unités

opérationnelles décentralisées avec formalisation non

codifiées des procédures

SA/ maison mère unité de direction et établissements

Structure fonctionnelle coordination centralisée

reposant sur des procédures très formalisées

EPIC

Direction centrale spécialisée dans la gestion de la structure de corps

opérationnelle. Les directions opérationnelles

sont autonomes (procédures formalisées mais non

codifiées)

SA groupe et filiales

Degré de centralisation interne de la fonction de gestion des décisions Faible Elevé

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(nettement plus dilués) que dans le contexte privé de la firme contrôlée. Le tableau suivant

reprend les principales dimensions du processus décisionnel au regard de la TPA et leurs

caractéristiques au sein des deux formes organisationnelles comparables.

Tableau 8 : Caractéristiques du processus décisionnel public et du processus décisionnel

privé comparable Processus décisionnel public Processus décisionnel privé Structure actionnariale Actionnaire unique ou dominant

public délégué des citoyens EPIC/SA mère / SA groupe

Actionnaire dominant privé au sein d’un actionnariat diffus / SA groupe

Fonction d’assomption de l’incertitude résiduelle contractuelle

Dilué à différents niveaux des pouvoirs publics

Dilué au sens strict, Concentré au sens large

DDR Dilué (tutelles, commissions) concentré DAGPR Dilué (Ministère/ citoyens

concernant les pertes) Dilué au sens strict, Concentré au sens large

Fonction de contrôle des décisions - par rapport au dirigeant - au sein de la hiérarchie

- Centralisée mais partagée entre diverses entités internes (conseil d’administration) et externes (tutelles ministérielles multiples) - Centralisée (degré variable)

- Concentré en une instance interne principale, le conseil d’administration - Décentralisée

Fonction de gestion de la décision

Centralisée (degré variable) Décentralisée

Séparation propriété/contrôle Forte au sens strict (citoyens propriétaires) Faible au sens large mais dilution du contrôle et non exclusivité de la propriété au sein des pouvoirs publics

Forte au sens strict (forte diffusion des titres) Faible au sens large (actionnaire dominant)

Séparation décision/contrôle Faible (intervention étendue) Moins faible (intervention réduite aux décisions stratégiques)

Dans ce contexte, la privatisation en tant que cession des fonctions décisionnelles peut

conduire à différentes modifications de la répartition des droits décisionnels. Selon la

forme de la privatisation, la séparation fonctionnelle des droits de décision et de contrôle

peut être plus ou moins prononcée. Dans le cas que nous avons choisi de retenir, et pour

accentuer les traits de ces modifications, la privatisation par offre publique de vente est

censée réallouer ces droits décisionnels par le transfert de la fonction d’assomption de

l’incertitude résiduelle - et donc de contrôle des décisions - de l’Etat vers des actionnaires

privés, en particulier au GAP lorsqu’il est constitué. La société contrôlée privée fait

apparaître une séparation fonctionnelle propriété/contrôle faible mais plus nette que celle

de l’entreprise publique et une séparation décision/contrôle limitée mais plus prononcée

toutefois que celle qui caractérise la firme publique. En revanche, dans le cas d’une

privatisation plus atténuée, par exemple la concession, la réallocation des droits

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décisionnels se traduit par un abandon de certaines prérogatives de gestion par les pouvoirs

publics au profit d’acteurs privés. Ainsi peut-on interpréter les différents cas de

privatisation tels que les a relevés Clarkson (1989)189.

Dans ce sens, nous définirons la privatisation comme un processus qui peut, au

minimum conduire à un transfert de tout ou partie de la fonction de décision à des agents

privés et au maximum, transférer intégralement les fonctions de décision et de contrôle à

différents acteurs non publics, en privilégiant une séparation fonctionnelle plus nette

comparativement au contexte public.

D’après la TPA, comme le souligne Charreaux (1999) « la solution du problème

organisationnel consiste à trouver les moyens les moins coûteux pour mettre la

connaissance pertinente à la disposition des décideurs ». En ce sens, si la privatisation

répond au principe d’efficience alors la privatisation d’une entreprise complexe implique

une décentralisation du processus décisionnel au profit d’agents privés, dans la mesure où

elle conduit à l’abandon d’une structure publique centralisée pour une structure privatisée

où les fonctions décisionnelles (contrôle et décision) sont colocalisées au niveau des

centres susceptibles de les exercer au mieux. De plus, si la privatisation concerne un

monopole public, elle est généralement accompagnée (précédée ou suivie) d’une

dérégulation sectorielle. Les forces de marché qui en découlent caractérisent le principe de

sélection naturelle. La survie de la firme dépend des avantages qu’elle peut avoir sur ses

concurrents autrement dit, de sa capacité à créer plus de valeur. Selon la TPA, celle-ci

dépend de la capacité de la firme à allouer de manière optimale les droits décisionnels,

autrement dit à exploiter au mieux les connaissances nécessaires à la prise de décision la

plus créatrice de valeur pour la firme. La privatisation et la dérégulation, dans un contexte

organisationnel complexe sont susceptibles de favoriser la séparation fonctionnelle

décision/contrôle. D’où la proposition suivante :

Proposition 1 :

La privatisation en tant que processus de réallocation des droits de propriété conduit à une

séparation fonctionnelle (contrôle et décision) plus nette qui implique une décentralisation

de tout ou partie des étapes du processus décisionnel (contrôle et décision) au profit des

189 Cf. notre tableau récapitulatif n°3 dans le premier chapitre, section 1.

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états-majors et de ses différents niveaux, en fonction du degré de spécificité des décisions à

prendre, a fortiori en cas de dérégulation.

La théorie de l’AO stipule que la localisation de l’information spécifique influence

l’allocation des droits décisionnels. Par conséquent, lors de la privatisation, la

décentralisation du processus décisionnel, par abandon de tout ou partie des fonctions de

contrôle et/ou de gestion par les pouvoirs publics, peut concerner différents types de

décisions au sein de l’organisation complexe. Concernant les décisions stratégiques, elles

naissent entre autres, des connaissances relatives aux perspectives possibles de

développement organisationnel, aux capacités financières de la société. Elles font appel

aux compétences des cadres supérieurs possédant une vision globale de la firme. Dans le

cadre d’une organisation complexe, la recherche d’efficience se traduit par la séparation

fonctionnelle décision/contrôle au niveau supérieur en déléguant au dirigeant la fonction de

gestion des décisions, la fonction de contrôle étant exercée à ce niveau par les actionnaires,

comme l’illustre la société managériale. De plus, les niveaux inférieurs sont au contact

direct du marché, en particulier des besoins de la clientèle. Les besoins opérationnels

émergent à ces niveaux organisationnels, où les connaissances spécifiques sont nécessaires

aux choix d’investissements opérationnels. Nous en déduisons les deux propositions

suivantes :

Proposition 1a :

Lors de la privatisation, l’abandon de la fonction de contrôle par les pouvoirs publics, au

profit des actionnaires dominants implique une décentralisation des décisions stratégiques

au profit de l’équipe managériale.

Proposition 1b :

L’abandon de la fonction de contrôle par les pouvoirs publics lors de la privatisation

implique une séparation fonctionnelle plus prononcée au sein de la firme privée qui se

traduit par une décentralisation de l’initiative et de la ratification des décisions

opérationnelles aux niveaux intermédiaires et inférieurs.

En définitive, le processus de réallocation des droits de propriété induit par la

privatisation affecte le système de répartition des fonctions décisionnelles. Or l’AO se

définit comme la combinaison du système de répartition de ces droits et du système de

coordination et de contrôle. Par conséquent, dans une perspective dynamique la

privatisation est aussi susceptible d’influer sur le système d’évaluation et de contrôle de la

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177

performance. Le développement suivant examine les implications de cette réallocation des

droits sur les mécanismes de gouvernance. En référence au chapitre 3, ceux-ci encadrent le

comportement décisionnel du dirigeant qui exerce avec la privatisation, les fonctions de

gestion des décisions stratégiques et de contrôle des décisions plus opérationnelles.

2.2. Adaptation du système de coordination et de contrôle

D’après la TPA, la répartition des droits décisionnels et le système de coordination et de

contrôle sont les deux composantes de l’AO. Plus particulièrement, le système de

coordination et de contrôle dépend de la diffusion des fonctions de ratification et de

surveillance par lesquelles s’exercent les droits de contrôle. L’exposé du chapitre précédent

présentait les mécanismes génériques de diffusion et de spécialisation des fonctions de

gestion et de contrôle au sein des organisations complexes. Il s’agit du contrôle

hiérarchique, du conseil d’administration et de la surveillance mutuelle (Fama et Jensen,

1983, a et b). Par conséquent, la réallocation des droits décisionnels engendrée par la

privatisation devrait se traduire par une modification du système de coordination et de

contrôle, notamment à l’égard de l’acteur central, le dirigeant. La séparation fonctionnelle

des droits décisionnels liée à la privatisation soulève ici la question du changement des

mécanismes disciplinaires du comportement décisionnel du dirigeant. Autrement dit,

comment la modification du processus décisionnel induite par la privatisation se traduit-

elle au niveau du GE ?

Les travaux sur la gouvernance ont permis d’identifier deux grandes tendances en

matière de gouvernance des entreprises dans le monde, la gouvernance de marché qui

caractérise les entreprises anglo-saxonnes et la gouvernance de réseaux qui regroupent les

modèles allemand, japonais et latin (Moerland, 1995). Le critère distinctif essentiel de ces

deux tendances repose sur la séparation fonctionnelle, plus prononcée dans la première

catégorie. Ainsi, s’opposent la gouvernance des entreprises ouvertes et la gouvernance des

entreprises plus fermées mais néanmoins complexes au sens de Fama et Jensen (1983). En

référence au tableau comparatif proposé par Charreaux (1997b, p. 465), comme son nom

l’indique, le système de gouvernance orienté marché (SGM) se caractérise par un rôle

essentiel des mécanismes de marché, notamment les marchés des capitaux et de prise de

contrôle. Dans la mesure où le capital de la firme est plus diffus, ce type de GE favorise

plutôt un encadrement ex post du comportement décisionnel du dirigeant, à partir des

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informations fournies par le marché. En facilitant les possibilités de sortie du contrat190, via

le marché, ce contrôle externe est censé engendrer des relations plutôt courtermistes191 des

actionnaires avec la firme (Franks et Mayer, 1997, p. 44) et une politique d’investissement

plus flexible et plus favorable au financement de l’innovation, la prise de risque étant

spécifique à la firme et diversifiable pour les actionnaires. En outre, en privilégiant un

contrôle a posteriori de la performance, le SGM oriente les mécanismes de contrôle ex ante

vers des critères de performance actionnariale. Les systèmes de rémunération, sont ainsi

fondés sur le contrôle des résultats et des cours boursiers via l’attribution d’options d’achat

d’action et/ou d’actions qui incitent leur bénéficiaire à privilégier la performance

actionnariale (Desbrières, 1997).

En revanche, le système de gouvernance orienté réseaux (SGR) se caractérise par un

rôle dominant des mécanismes disciplinaires spécifiques, notamment le conseil

d’administration192. Basé sur des relations de long terme propres aux organisations

fermées, ce système de régulation favorise plutôt un encadrement ex ante, notamment par

un contrôle fort des actionnaires principaux dont les créanciers, voire les salariés s’ils sont

représentés au sein du conseil d’administration ou dans la structure duale du conseil de

surveillance-directoire. Les possibilités de sortie étant plus difficiles en raison des

participations croisées, le contrôle plus stable favorise la coopération interne193 et

l’investissement à long terme. Cette conception de la coordination interne associée à la

faible séparation fonctionnelle privilégie un processus décisionnel orienté vers la

performance partenariale. En définitive, le système de gouvernance orienté marché semble

privilégier une performance de court terme et des investissements sous optimaux mais plus

flexibles comparativement au système de gouvernance orienté réseaux qui a priori

consacre un contrôle plus stable mais plus rigide de la politique de création de valeur en

conséquence plus longtermiste. Dans la perspective de notre problématique, l’analyse des

conséquences de la privatisation sur le GE soulève la question suivante . Dans ce cadre

bipolaire de gouvernance, vers quel modèle tend la gouvernance de l’entreprise privatisée ?

190 L’exit au sens de Hirschman qui traduit le vote par les pieds (1970). 191 Bien que l’existence d’investisseurs institutionnels contribue à la mobilité du capital donc au contrôle par le marché, ce stakeholder particulier peut toutefois privilégier un contrôle plus longtermiste au même titre qu’un actionnaire dominant et en même temps, la prise de risque par le dirigeant compte tenu de la diversification possible du portefeuille de l’investisseur institutionnel (Firth, 1995, p. 168 ; Milgrom et Roberts, 1997, p. 614). 192 Nous renvoyons le lecteur au tableau n°7 du chapitre précédent, relatif à la typologie des mécanismes de gouvernance. 193 Notamment entre actionnaires et prêteurs entre lesquels les conflits sont internalisés, via la prise de parole, à l’opposé du système de gouvernance orienté marché (Moerland, 1995).

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179

La privatisation dans sa forme la plus forte, engendre plusieurs conséquences sur les

mécanismes de gouvernance de l’entreprise. Un premier effet est lié à la séparation

fonctionnelle décision/contrôle. Abordée précédemment, celle-ci régénère les mécanismes

de marché. Combinée à l’introduction en bourse du capital, la séparation fonctionnelle est

plus prononcée comparativement à celle que nous avons décrite dans le contexte public et

s’accompagne de la cessibilité des titres. Un deuxième effet combiné est lié au

développement du capitalisme populaire et de l’actionnariat salarié. En créant des droits de

propriété cessibles au profit de nombreux porteurs, la privatisation contribue au

développement du marché en augmentant la liquidité des titres. La privatisation réintroduit

ou développe le rôle informationnel du marché des capitaux. Elle permet ainsi l’utilisation

d’un critère de performance boursière. En revanche, le troisième effet de la privatisation

paraît plus favorable aux mécanismes spécifiques à la firme. La constitution d’un groupe

d’actionnaires partenaires favorise un contrôle stable, par un réseau d’administrateurs

(groupes industriels et bancaires). En ce sens, il limite les affrontements entre équipes

dirigeantes pour le contrôle des ressources des entreprises, limitant par conséquent, le rôle

disciplinaire de ce marché (via les prises de contrôle) d’autant plus que la taille de

l’entreprise privatisée est grande. De plus, bien que la privatisation constitue un abandon

du contrôle par les pouvoirs publics, elle peut s’accompagner d’un droit de veto au profit

de l’Etat194. En ce sens, la privatisation transforme l’entreprise publique fermée au sens de

Fama et Jensen, en une entreprise plus ouverte (en intensité) en ouvrant la fonction de

contrôle au marché des capitaux mais complétée par des mécanismes spécifiques

favorisant la stabilité des réseaux.

194 Cf. chapitre 1.

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180

Tableau 9 : Les caractéristiques générales du système de gouvernance de l’entreprise

privatisée dans la forme la plus forte de privatisation, l’OPV.

Dimensions de la gouvernance SGM Système de gouvernance orienté

marché

SGR Système de gouvernance orienté

réseaux Séparation fonctionnelle : organisation « moins » fermée

X

Cessibilité des titres sur le marché des capitaux

X

Capital diffus pour une grande partie (exit)

X

Actionnariat salarié dont le dirigeant : Critère de performance boursière

X

GAP : contrôle stable (voice) X Représentation des salariés actionnaires

X

Réseaux d’administrateurs et contrôle potentiel par l’Etat

X

Rôle moindre du marché des prises de contrôle

X

Proposition 2 :

En activant ou en réactivant certains mécanismes disciplinaires de marché et en modifiant

les mécanismes spécifiques de l’entreprise publique, la privatisation génère un système de

gouvernance mixte.

Plus précisément, il convient d’analyser la manière dont la privatisation, en générant un

système de gouvernance mixte influe sur les mécanismes spécifiques qui concernent

directement le comportement décisionnel des principaux dirigeants. Notamment, quels sont

les effets de ces différentes modifications sur le rôle d’évaluation du conseil

d’administration et sur la hiérarchie formelle tels que les ont identifiés Fama et Jensen

(1983) ?

Dans la théorie de la gouvernance et dans sa branche la plus ancienne relative à la

relation d’agence entre actionnaires et dirigeant195, le conseil d’administration est

interprété comme l’organe essentiel de contrôle de la convergence des intérêts entre les

actionnaires et l’agent dirigeant. En effet, comme nous l’avons déjà développé, la diffusion

du capital entre de multiples actionnaires limite l’exercice de la fonction de contrôle par

195 A l’origine, cette analyse est consacrée aux sociétés managériales, objet initial de l’analyse contractuelle des organisations, dont le capital diffus génère des sources coûteuses de conflits d’agence.

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181

tous les actionnaires. Cette diffusion du capital nécessite la mise en place d’un organe de

contrôle du dirigeant dont les membres représentent l’actionnariat. Le conseil

d’administration est ainsi conçu comme un outil de délégation du contrôle des dirigeants

par la communauté des actionnaires. A priori, son rôle de contrôle est d’autant plus fort

que la séparation fonctionnelle est prononcée, autrement dit que la séparation des organes

de décision (la direction) et de contrôle (conseil d’administration) est importante. En outre,

la composition de cet organe, liée à la structure actionnariale (capital diffus, société

contrôlée ou familiale) est susceptible de renforcer ou d’atténuer l’exercice de la fonction

disciplinaire à l’égard des principaux dirigeants. La présence d’administrateurs externes

qualifiés au sein des firmes ouvertes peut renforcer l’efficacité du contrôle par cet organe.

En effet, le risque de collusion entre dirigeants au sein du conseil d’administration dépend

de la position stratégique des administrateurs en matière d’information (Fama, 1980). En

revanche, en étendant l’analyse de Fama au contexte de la firme contrôlée, Charreaux et

Pitol-Belin (1985a) supposent que la séparation propriété-contrôle et propriété-décision

étant faible, le conseil d’administration est dominé par l’actionnaire ou le groupe

d’actionnaires qui prédomine dans la structure actionnariale et présente moins

d’administrateurs externes. Ainsi, à l’inverse d’actionnaires personnes physiques qui

diversifient leur portefeuille (donc moins motivés par un contrôle effectif sur la politique

menée par le dirigeant), l’actionnaire dominant (souvent une firme) est a priori plus

impliqué dans la stratégie de la firme qu’il contrôle. Les auteurs196 observent que les

conseils d’administration des entreprises françaises exercent plutôt un contrôle ex post et

entérinent les initiatives des dirigeants qui élaborent eux-mêmes les axes stratégiques, les

budgets, l’allocation des ressources et le choix des cadres supérieurs. En outre, le conseil

d’administration de l’entreprise contrôlée se rapproche de celui de l’entreprise familiale.

Le contrôle exercé par cet organe est faible en raison de la confusion des fonctions

décisionnelles au niveau du dirigeant dans l’entreprise familiale, et au niveau des

actionnaires dominants et du dirigeant dans la firme contrôlée.

Au regard de ces résultats théoriques et empiriques, le rôle et la composition du conseil

d’administration varient selon la structure décisionnelle (séparation ou confusion des

fonctions de contrôle et de décision). Cet organe semble jouer un rôle de contrôle

relativement faible lorsque le propriétaire s’investit dans la fonction décisionnelle. En

référence à notre première analyse sur la séparation fonctionnelle dans l’entreprise

196 Charreaux et Pitol-Belin (1985a et b).

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publique et privée, le conseil d’administration paraît jouer un rôle faible dans les deux

contextes en raison de la séparation fonctionnelle décision-contrôle limitée. Toutefois, une

lecture plus précise des caractéristiques de chaque forme de séparation fonctionnelle

montre que le rôle du conseil d’administration public paraît plus faible dans la mesure où

les décisions, notamment stratégiques, sont prises et entérinées en amont. Le conseil

d’administration public se distingue par divers centres décisionnels publics, parfois

informels et par la représentation tripartite de plusieurs partenaires, notamment en France.

Ces administrateurs sont des représentants de l’Etat, des représentants nommés par les

salariés et des personnes qualifiées nommées par les pouvoirs publics. Cette spécificité du

conseil d’administration public en France peut expliquer la prise de décision en dehors de

l’organe. En effet, en cas de conflits, les instances politiques peuvent jouer le rôle d’arbitre.

Le règlement des conflits se fait alors au sein des cabinets ministériels dans le cadre de

réunions informelles. De plus, la nomination du dirigeant par les pouvoirs publics confère

aux représentants de l’Etat au sein du conseil d’administration, plus un rôle de soutien au

dirigeant que disciplinaire. Cette fonction essentielle du conseil d’administration est

fortement réduite, d’autant plus que le mandat du dirigeant est davantage corrélé aux

échéances électorales qu’aux décisions de révocation par ses employeurs. Enfin, les droits

publics de décision résiduelle et d’appropriation aux gains et pertes résiduels (très dilués),

sont susceptibles de limiter l’incitation à exercer un contrôle strict via le conseil

d’administration. A l’inverse dans le contexte privé, la participation des actionnaires

dominants est essentielle pour leur stratégie dans la mesure où les droits résiduels sont

concentrés à leur niveau197. En ce sens, le conseil d’administration public paraît encore

plus jouer le rôle d’une chambre d’enregistrement que le conseil d’administration d’une

firme privée contrôlée. Ce constat que produit la théorie permet d’expliquer l’existence de

contrôles parallèles multiples via les commissions et les différentes tutelles, a fortiori

lorsque cet organe n’existe pas (cas des unités administratives). Ces différentes instances

de contrôle peuvent être interprétées comme des mécanismes substitutifs ou du moins

fortement complémentaires au conseil d’administration public, soulignant de ce fait son

rôle de contrôle très limité.

Lors de la privatisation, la séparation fonctionnelle plus marquée comparativement à la

firme publique et la décentralisation du processus décisionnel au profit du dirigeant sont

susceptibles de modifier le rôle de cet organe. L’ouverture du capital à des actionnaires

197 Concentration au sens large (cf. tableau n°8).

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privés et le rôle complémentaire informationnel du marché des capitaux confèrent à

l’entreprise privatisée une structure plus ouverte. Toutefois, la constitution d’un GAP

limite la séparation décision-contrôle (et en amont propriété-décision) comparativement à

une firme managériale. Mais la décentralisation de la fonction décisionnelle au profit de

l’équipe managériale accentue la séparation fonctionnelle décision-contrôle,

comparativement à la structure fermée publique.

Proposition 2a :

En renforçant la séparation fonctionnelle décision-contrôle au profit de l’équipe dirigeante,

la privatisation modifie la nature du rôle de contrôle du conseil d’administration. Sa

fonction de contrôle, limitée dans l’entreprise publique, repose après la privatisation sur

l’exercice effectif de la fonction d’approbation réelle des décisions.

Concernant le contrôle hiérarchique sur lequel s’appuie le dirigeant pour la mise en

œuvre des décisions au sein de la firme, la privatisation est également censée en modifier

les caractéristiques. En référence au chapitre précédent, la TPA considère le contrôle

hiérarchique comme le mécanisme spécifique essentiel de coordination interne de la

fonction de gestion des décisions entre le dirigeant et ses niveaux hiérarchiques inférieurs.

Son architecture dépend de celle du processus décisionnel. Par ailleurs, elle est soutenue

par les règles du jeu organisationnelles que représente le système budgétaire et comptable.

D’après le développement de la section précédente, le processus décisionnel public est

fortement centralisé, limitant la délégation de la fonction de contrôle au profit du dirigeant

et de ses niveaux intermédiaires et inférieurs. Si l’on retient la forme publique la plus

accentuée, le système comptable et budgétaire public repose essentiellement sur le contrôle

du respect des budgets définis en amont, sans incitation ni sanction particulière. Dans ce

cas extrême, la contrainte budgétaire peut être faible compte tenu de la garantie que

représente l’Etat, via les concours publics d’équilibre. En conséquence, dans sa forme la

plus forte le contrôle hiérarchique public paraît très centralisé et formalisé.

Comme le stipule la proposition 1, lors de la privatisation, la décentralisation du

processus décisionnel au profit du dirigeant et de ses niveaux intermédiaires et inférieurs se

traduit par une délégation des fonctions de gestion et de décisions opérationnelles aux

niveaux hiérarchiques détenteurs d’information spécifique. Donc, selon le principe

d’efficacité, la privatisation nécessite une adaptation des mécanismes de coordination et de

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contrôle au sein de l’organisation en cohérence avec l’AO. La décentralisation de la

séparation fonctionnelle au sein de l’organisation se traduit par une allocation de la

fonction de contrôle des décisions à différents niveaux hiérarchiques. Ainsi, la diffusion du

droit de décision résiduelle et du droit au gain et perte résiduels favorisent l’incitation à la

performance. En référence aux apports de la TPA, la décentralisation des fonctions

décisionnelles et des droits correspondants implique la mise en place de mécanismes

d’incitation et d’évaluation de la performance à chaque niveau de délégation. De plus, dans

sa forme la plus forte, la privatisation peut conduire à un changement juridique lors de

l’introduction d’actionnaires privés dans la structure publique. L’activation du marché

financier, via l’introduction en bourse et le changement juridique éventuel, impliquent le

passage de règles comptables publiques à un système comptable privé. Couplée à cette

adaptation à l’ouverture au marché financier, la délégation décisionnelle permet la mise en

place de critères de performance comptable comme les plans d’intéressement par exemple,

et des critères de performance boursière, notamment par la participation des salariés au

capital. Ces différents mécanismes incitent à la performance collective et individuelle. Ils

modifient notamment le système de rémunération en introduisant une partie variable

dépendante de la performance réalisée, au niveau collectif et/ou individuel.

Proposition 2b :

Avec la privatisation, la décentralisation des décisions opérationnelles aux niveaux

intermédiaires et inférieurs modifie la nature du contrôle hiérarchique qui est orienté sur

les performances comptables voire sur la performance boursière. Il est par conséquent plus

incitatif.

L’évolution de l’AO induite par la privatisation, et plus particulièrement celle du GE

révèlent une modification des contraintes qui pèsent sur le comportement décisionnel du

dirigeant. En référence au schéma 5 du chapitre 3, la privatisation est donc susceptible de

modifier le comportement du dirigeant en matière de création de valeur et par conséquent

le développement stratégique de la firme198. Cette précédente analyse soulève la question

des contraintes incitatives associées au système de gouvernance privatisée sur le

comportement managérial, central dans développement organisationnel.

198 Symétriquement, la nationalisation d’une entreprise est susceptible d’influer sur le processus décisionnel et sur le système de gouvernance, donc sur les contraintes de latitude du dirigeant quant aux choix stratégiques. A priori, ceux-ci sont essentiellement guidés par les pouvoirs publics, en fonction de leurs propres agendas (reconstruction, résorption de crise sectorielle, contrôle de l’inflation, etc.).

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185

2.3. Privatisation et dirigeant : les contraintes incitatives sur la création de valeur

Dès ses premiers fondements, notamment l’approche principal-agent, la TPA soulève la

question de l’influence des modes d’évaluation et de récompenses sur la prise de décision

par un acteur. En ce sens, les mécanismes de coordination et de contrôle qu’ils soient

spontanés ou intentionnels 199, via les contraintes qu’ils exercent, sont censés encadrer le

comportement décisionnel. Mais la gouvernance est aussi susceptible d’orienter le

décideur, notamment le dirigeant vers une stratégie d’évitement et de neutralisation de ces

contrôles en agissant sur eux. Ce courant d’analyse qui développe la causalité inverse entre

gouvernance et comportement décisionnel propose une analyse de la stratégie

d’enracinement du dirigeant soit comme moyen d’appropriation de rente (Shleifer et

Vishny, 1989) soit comme moyen de protection de son capital humain (Castanias et Helfat,

1992) dans le cadre de la prise de décision. Ainsi, la problématique centrale de la TGP

focalise l’attention sur le système qui gouverne l’action décisionnelle du dirigeant en

définissant son espace discrétionnaire (Charreaux, 1996).

Cette perspective a produit un nombre important de travaux relatifs, notamment à

l’analyse des mécanismes intentionnels, à l’appui des mécanismes plus spontanés, sur les

choix stratégiques (au sens large, d’investissement, de financement)200. Dans cet esprit, la

modélisation précédente du lien entre privatisation et processus décisionnel est fondée sur

les modifications de celui-ci au niveau des principaux mécanismes spécifiques

intentionnels de gouvernance en relation directe avec l’acteur central de l’organisation. En

référence à cette première analyse, la question sous-jacente relève des implications de cette

dynamique du GE sur l’espace discrétionnaire du dirigeant, comparativement au contexte

décisionnel public. Autrement dit, comment la privatisation, en modifiant les mécanismes

disciplinaires qui encadrent l’action du dirigeant influe-t-elle sur son espace discrétionnaire

sur lequel repose le processus de création de valeur ?

Dans les théories contractuelles de l’organisation, l’action du dirigeant porte sur les

choix d’investissement et de financement, soumis d’après l’observation, au contrôle a

199 Leur complémentarité et leur substituabilité en font un système de coordination et de contrôle. Ainsi, le conseil d’administration s’appuie en partie sur les supports de la hiérarchie formelle, elle même complétée par la surveillance mutuelle entre agents. Le contrôle et la coordination exercés par les marchés financier, des biens et services, du travail ou politique se combinent aux précédents ainsi qu’aux environnements légaux, culturels, médiatiques, etc. 200 Une vue transversale est celle de l’ouvrage collectif de Charreaux éd. (1997).

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186

posteriori des apporteurs de fonds201 ainsi qu’à des mécanismes incitatifs de type

rémunération indexée sur la performance actionnariale. La TGP stipule que ce processus

de création de valeur par le dirigeant est contraint par les mécanismes sur lesquels

s’appuient les différents partenaires pour protéger leurs intérêts. Selon la TPA, rappelons

que l’imperfection de ces mécanismes est à l’origine du coût résiduel d’agence qui exprime

l’alignement imparfait des intérêts du dirigeant avec ceux des différents partenaires. Dans

ce contexte, l’efficience organisationnelle consiste à minimiser en particulier cette

composante des coûts d’agence via le système de gouvernance.

En référence aux différents fondements contractuels, la théorie de la gouvernance

envisage cette latitude managériale comme la capacité de choix du dirigeant non contrôlée

par le système de gouvernance202. Deux perspectives de la latitude managériale permettent

de comprendre le fonctionnement du GE.

La première considère l’espace discrétionnaire comme une source de coût supportée

notamment par les actionnaires. En ce sens, il permet au dirigeant de sécuriser son emploi

en neutralisant les mécanismes de gouvernance via les choix d’investissements et de

financement. A l’appui de la littérature, Charreaux (1996) relève trois formes

interdépendantes de stratégie d’enracinement auxquelles recourt le dirigeant afin d’extraire

de la rente organisationnelle créée une partie croissante à son profit. Premièrement, le

dirigeant peut opter pour des investissements spécifiques à ses compétences qui dissuadent

les actionnaires de le remplacer. La valeur de ces investissements idiosyncratiques étant

dépendante du dirigeant, son remplacement implique une perte de valeur de ces actifs que

supporteraient les actionnaires. Cette forme de prise en otage des actionnaires par le

dirigeant lui permet alors des transferts de richesse à moindre risque (Shleifer et Vishny,

1989). Deuxièmement, de manière complémentaire ou additionnelle, le dirigeant peut

privilégier des investissements susceptibles d’accroître son avantage informationnel sur les

201 Rappelons à ce sujet qu’en dehors de certaines décisions prévues légalement, le conseil d’administration statue ex post sur la plupart des choix managériaux, comme l’ont observé notamment Charreaux et Pitol-Belin (1985a et b). 202 Notons à ce propos une nuance d’interprétation entre la TPA et la TCT. Dans cette dernière, Williamson (1985, p. 335) propose « une conception de la firme où les opportunités d’un pouvoir discrétionnaire des dirigeants sont exprimées comme une fonction des instruments de contrôle ». La latitude managériale constitue le terrain de jeu de l’opportunisme managérial. Dans la TPA, la latitude managériale est moins fondée sur l’opportunisme en tant que comportement déviant, destructeur de valeur que sur l’asymétrie informationnelle résiduelle (liée à l’incomplétude contractuelle et à l’imperfection des mécanismes de gouvernance). En tant que telle, elle ne concourt pas nécessairement à un comportement déviant défavorable à la création de valeur partenariale comme le suggère la synthèse du développement qui suit.

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autres partenaires, favorable à un transfert de richesse à son profit (Stiglitz et Edlin, 1992).

Comme le relève Charreaux (1996, p. 54) « les rentes sécrétées et leur appropriation

dépendent alors de la visibilités des actifs générés ». Troisièmement, la politique

d’investissement reposant sur les apporteurs de ressources, le dirigeant peut être incité à

augmenter (réduire) son contrôle (sa dépendance) sur les ressources stratégiques,

financières ou humaines203. Ainsi, en libérant le dirigeant du droit de contrôle des

actionnaires (recours à une augmentation de capital) ou des obligations restrictives du

service de la dette (clauses et remboursement d’emprunt), l’autofinancement réduit les

modes de contrôle assignés aux précédents types de financement. L’autofinancement libre

qui conduit les tenants de l’agence à voir dans l’endettement une discipline essentielle du

dirigeant, permet à celui-ci d’élargir sa marge de manœuvre en fonction de l’étendue de

son contrôle sur les ressources financières (Jensen, 1986). Une analyse parallèle du

contrôle sur les ressources humaines conduit à interpréter les relations informelles (via le

comportement des individus en matière de services informels au sein des réseaux204)

comme un moyen pour le dirigeant de contrôler l’information et le comportement de

certains partenaires essentiels dans les mécanismes de gouvernance et par conséquent, en

sa faveur. Dans cette perspective, Charreaux (Op. Cit, p. 55) considère que « cette capacité

à accéder de façon privilégiée à des ressources stratégiques constitue un élément important

du capital managérial ».

203 L’étude de Paquerot (1997) reflète principalement ces deux dernières formes d’enracinement. L’auteur propose une analyse des actions stratégiques du dirigeant sur certaines composantes des mécanismes de GE, via une politique de nomination des administrateurs, favorable à la constitution d’une rente informationnelle support de l’appropriation de richesse par le dirigeant. Notamment, l’auteur montre que la gestion du cumul des mandats de direction et d’administrateurs par le dirigeant permet la création d’un réseau au sein duquel la disposition des ressources et l’élaboration de contrats implicites favorisent son contrôle sur les ressources et, de là, son enracinement. L’auteur montre enfin les effets cumulatifs négatifs de cette forme générale d’enracinement sur la performance de la firme. 204 Breton et Wintrobe (1982) développent un modèle du comportement sélectif des individus en relation de travail, fondé sur la nature de l’organisation formelle qui peut conduire l’individu à choisir un comportement efficient ou inefficient. Celle-ci renferme des forces qui permettent de déformer, de diffuser et d’exécuter plus ou moins rapidement les décisions. En ce sens, la structure formelle offre une marge de manœuvre à chaque individu dans la réalisation de sa tâche qui peut conduire à un comportement efficient ou inefficient à l’égard du supérieur. Selon les auteurs, la sélection d’un comportement efficient en matière de distorsion, de diffusion (perte) d’information et de vitesse d’exécution traduit une vente (rémunération) de services informels au supérieur hiérarchique dans le but de soutenir celui-ci dans ces décisions. Dans les termes de la théorie de l’agence, il y a effort choisi de l’agent dans l’intérêt du principal. A l’inverse, un comportement inefficient de l’agent consiste à délivrer ces services informels dans le but de « saboter les objectifs des supérieurs » et d’encourager les objectifs personnels des agents (p. 41). L’agent choisi l’effort dans son propre but contraire à l’intérêt du principal. Cette analyse rejoint l’outil analytique central de la TPA, l’existence de conflits potentiels et l’objet central de la TGP, les modes de coordination et de contrôle. Ce modèle transposable au comportement du dirigeant dans ses relations avec les différents partenaires (salariés, actionnaires, créanciers etc.) permet d’envisager son action sur les mécanismes de rétribution des efforts des partenaires dont il souhaite un soutien dans sa stratégie personnelle d’enracinement inefficiente ou efficiente.

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Au regard de cette première interprétation théorique de l’enracinement, en univers

d’incomplétude contractuelle, la fonction de gestion des décisions d’investissement

combinées aux décisions de financement permet au dirigeant d’élargir son espace

discrétionnaire par différents moyens (spécificité, visibilité informationnelle et contrôle des

ressources) qui concourent à son enracinement au sein de la firme dans un objectif de

recherche de rente. De là, la neutralisation des mécanismes de révocation et de contrôle de

sa performance lui permet de privilégier une politique d’investissement sous-optimale

favorable au transfert de richesse à son profit. Toutefois, en référence au principe explicatif

fondamental de la TPA, la coopération entre les différents partenaires est motivée au départ

par l’espérance de gains mutuels liés à la coopération. Au même titre que les autres parties

prenantes, la participation du dirigeant à la coopération repose sur les intérêts que cette

coopération est susceptible de lui apporter compte tenu des gains attendus par les autres

partenaires. En ce sens, d’autres motivations attribuées au dirigeant concourent à une

stratégie d’enracinement.

La deuxième lecture de l’enracinement considère à l’inverse de la précédente, les

risques d’expropriation auxquels est soumis le dirigeant dans le cadre des quasi-rentes

générées par ses investissements en capacités managériales. Cette perspective rejoint la

structure dyadique des relations partenariales privilégiées dans la TPA. Dans cet esprit, la

stratégie d’enracinement vise à atténuer le rôle du système de gouvernance, non pas dans

l’optique d’exproprier les autres partenaires à des fins d’enrichissement personnel mais

dans l’optique de se protéger contre certains mécanismes susceptibles d’exproprier ses

propres efforts de gestion de la coopération205. Dans ce contexte, la stratégie

d’enracinement est menée afin de préserver ses capacités managériales, nécessaires à la

création de valeur pour l’ensemble des partenaires en s’assurant du retour sur

investissement qu’il peut en espérer. En ce sens, l’action sur le GE vise à élargir sa

capacité à s’approprier les rentes qui sont censées rémunérer ses compétences en matière

de création de valeur organisationnelle. Un telle stratégie d’enracinement est alors créatrice

205 Cette interprétation inverse le rôle disciplinaire traditionnellement alloué à certains mécanismes et donc les conclusions à l’égard de la performance. Par exemple le conseil d’administration permet au dirigeant, via son siège, de se prémunir contre des décisions susceptibles « [d’exposer la relation d’emploi] à un risque excessif » (Williamson, 1985, p. 333). De même, la prise de contrôle n’est plus interprétée comme un moyen d’exercer une menace sur le dirigeant de la cible en raison de sa sous performance, mais comme une menace d’expropriation du dirigeant de la cible par la direction de la société prédatrice en raison de sa bonne performance (Castanias et Helfat, 1992). Ainsi, selon l’angle de vue, la menace exercée par la prise de contrôle dissuade le dirigeant dans le premier cas, de pratiquer une politique de sous investissement coûteuse à des fins personnelles, dans le second cas, de pratiquer une politique d’investissement rentable.

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de valeur pour l’ensemble de la coalition. Enfin, dans une vision partenariale de

l’organisation, l’incertitude résiduelle et la position centrale du dirigeant confèrent un

statut particulier à sa latitude managériale. Dans le cadre de la répartition de la valeur

partenariale206, le résidu non affecté (le slack managérial) résulte et contribue à la stratégie

d’enracinement, dans la mesure où ce fonds de négociation joue un rôle essentiel dans la

gestion des relations du dirigeant avec chaque partenaire (Charreaux et Desbrières, 1998).

Comme le remarque Charreaux (1996, p. 60) « un système de gouvernement est efficace

s’il permet de maximiser la création de valeur tout en évitant la spoliation d’une catégorie

de stakeholders ». En référence aux différents degrés d’efficience envisagés par la TPA,

cela suppose qu’il peut exister plusieurs formes alternatives de GE susceptibles d’atteindre

l’efficience de troisième degré (ou efficience interne). Autrement dit, en convergence avec

l’approche endogène de la propriété, la TGP considère l’existence de formes alternatives

de GE comme une réponse endogène de différents types de coopération. Dans cette

perspective, le système de gouvernance publique peut représenter une forme efficiente (au

troisième degré) d’encadrement du processus décisionnel caractérisée par une certaine

latitude managériale. Dans le cadre de notre problématique, la question repose alors sur les

effets d’une privatisation sur cette marge de manœuvre, comparativement au contexte

public.

L’examen du contexte organisationnel public a montré l’importance des pouvoirs

publics sur la prise de décision, notamment stratégique. A l’appui de notre synthèse de la

littérature, cet examen a montré que les propriétaires publics font face à un ensemble

d’objectifs multiples, parfois contradictoires et susceptibles d’exproprier l’effort du

dirigeant au profit d’une politique redistributionnelle en faveur d’une entreprise déficitaire

ou en raison des contraintes budgétaires, via les ponctions de l’Etat sur l’entreprise

bénéficiaire, comme cela a été le cas pour le Crédit Lyonnais par exemple (Charreaux,

1997d). Ce contexte de gouvernance publique privilégie une forte centralisation des

décisions et un système de contrôle complexe qui réduit par ailleurs les incitations

monétaires. La latitude managériale publique semble a priori fortement réduite, tant sur les

moyens de l’exercer (processus décisionnel centralisé qui limite l’étendue de l’action du

dirigeant) que sur la motivation à la développer. D’un côté, on peut objecter à l’incitation

naturelle du dirigeant à s’enraciner le fait que son mandat est davantage corrélé aux

206 Dans le chapitre précédent, à l’instar de Charreaux et Desbrières (1998), nous avions défini la valeur partenariale comme la somme des variations d’utilité perçues par chaque partenaire.

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échéances électorales qu’à ses compétences et à sa performance (Charreaux, 1997, p. 46).

En ce sens, le motif d’enracinement dans le contexte public paraît limité. Cependant, il

n’exclut pas la recherche d’une latitude managériale dans la mesure où tout du moins en

France, le particularisme du marché des dirigeants207 peut inciter le dirigeant public à

valoriser son capital managérial par son passage à la direction d’entreprise publique. Cette

motivation est susceptible de conduire le dirigeant à élargir sa marge de manœuvre,

notamment à l’appui de réseaux nécessaires à une stratégie d’avantage informationnel et de

contrôle des ressources. Toutefois, cette latitude paraît réduite dans la mesure où les

pouvoirs publics conservent une influence dominante sur certaines décisions. La latitude

managériale est donc susceptible d’être plus large dans les entreprises privées.

Paradoxalement, cette architecture centralisatrice semble favorable à la constitution de

rente informationnelle par le dirigeant, donc à une certaine latitude quant à l’influence qu’il

peut exercer sur la sélection des investissements. En effet, le soutien politique au dirigeant,

le rôle réduit de contrôle du conseil d’administration ainsi que le partage ou la diffusion du

pouvoir décisionnel à différents niveaux des instances publiques, de même que le rôle

informationnel et disciplinaire limité des marchés favorisent a priori l’asymétrie

informationnelle au profit du dirigeant. En ce sens, hormis les décisions de politique

économique décidées au sein des pouvoirs publics et pour lesquelles le dirigeant n’a aucun

pouvoir réel d’influence, celui-ci peut en revanche, influer sur les choix qui sont

indépendants de l’expertise et/ou de la préoccupation des instances publiques. Cette marge

de manœuvre est liée historiquement à la volonté d’accroître l’autonomie de gestion des

dirigeants d’entreprise publique encadrée toutefois par les contrats de plan et leurs

déclinaisons successives208. Comme le souligne Bureau (1997, p. 71), « l’accent est mis

aujourd’hui sur la notion de mandat de gestion donné aux présidents d’entreprises

publiques, notamment à l’occasion de leur nomination ». Dans ce contexte public, le

dirigeant bénéfice d’un espace discrétionnaire qui lui permet de négocier avec certains

groupes de partenaires, soit dans le cadre de la mise en œuvre de décisions publiques soit

dans le cadre de sa stratégie personnelle d’enracinement.

207 Charreaux (1997, p. 46) soulève la question du rôle actif mais segmenté que semble a priori jouer le marché des dirigeants français, en raison de l’importance des sphères politiques dans le devenir des hauts dirigeants formés essentiellement dans quelques grands centres dont sont issus les acteurs (souvent les mêmes) des instances politiques et des entreprises publiques et privées. 208 Comme nous l’avons déjà abordé (annexe 4), cette volonté de responsabiliser plus efficacement les dirigeants a été entamée par la commission Nora puis suivie en 1983 par la loi sur la démocratisation du secteur public.

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Dans ce dernier cas, bien que la gouvernance publique réduise le recours aux incitations

monétaires par rapport aux objectifs de performance209, le dirigeant public peut chercher à

neutraliser en partie, le centralisme décisionnel public via les échanges informels par

exemple, auprès des représentants des salariés au conseil d’administration, élargissant de

ce fait sa faible autonomie de gestion initiale par un contrôle informel sur cette ressource

stratégique. Toutefois, cette latitude paraît limitée dans la mesure où les pouvoirs publics

sont susceptibles de négocier directement ces créances implicites, notamment par la

ratification d’une politique d’emploi satisfaisante pour conserver le soutien du groupe

d’intérêt concerné210. En outre, l’appartenance à un réseau d’anciens élèves aujourd’hui

dirigeants d’entreprises et membres de certains conseils d’administration, permet au

dirigeant de développer des activités stratégiques hors du champ d’action public avec le

soutien de ce réseau211. Cette capacité à effectuer des choix hors du contrôle public est

susceptible d’être plus grande si le dirigeant peut générer un autofinancement qui le rend

plus indépendant du contrôle financier public. Cette perspective avec ses propres

originalités est similaire à celle traditionnellement analysée dans le contexte privé. Bien

que divers degrés de latitude managériale semblent coexister dans le contexte

organisationnel public, le système de gouvernance centralisateur paraît limiter l’incitation à

l’enracinement et la possibilité d’accroître l’espace discrétionnaire compte tenu de

l’intervention forte des pouvoirs publics dans de nombreuses initiatives et ratifications

décisionnelles. Lors de la privatisation, la décentralisation du processus décisionnel au profit de

l’équipe managériale semble centrale dans la mesure où elle se traduit par une capacité

plus large d’intervention dans la décision. En ce sens, l’initiative est essentielle dans

l’orientation et l’influence que peut exercer le dirigeant vis-à-vis du conseil

d’administration et dans l’élargissement de sa marge discrétionnaire. Cette décentralisation

s’accompagne avec la privatisation, d’une incitation plus forte à poursuivre une stratégie

d’enracinement, son mandat étant moins corrélé aux échéances électorales qu’aux

209 Le système centralisateur favorise les activités d’influence qui consistent à influer sur les décideurs en vue d’une appropriation de rente par les groupes d’intérêts (Milgrom et Roberts, 1997, p. 350 et suivantes). Ainsi, dans une perspective de minimisation de coûts, d’un point de vue normatif, les mécanismes de rétribution les plus en cohérence avec le système décisionnel centralisateur, doivent reposer sur des critères objectifs de type, promotion et grille de rémunération à l’ancienneté. Il apparaît en conséquence, que le recours limité aux incitations monétaires en système centralisé soit limité. Toutefois, à l’instar de Breton et Wintrobe (1982), la rétribution de services informels au sein de la hiérarchie est susceptible de compenser la faiblesse des incitations monétaires liées à la structure formelle publique par les forces propres à la structure informelle. 210 Rappelons ici que l’analyse porte sur la forme la plus forte de l’entreprise publique. 211 notamment par diversification ou internationalisation via la création de filiales et sous filiales privées.

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performances réalisées et au système de contrôle sur lequel elles repose. De plus, le recours

aux réseaux dans le développement de sa marge discrétionnaire paraît facilité au sein d’un

système de gouvernance mixte où les relations de long terme semblent favorisées par la

privatisation. Enfin, l’activation du marché financier permet un élargissement des choix de

financement, comparativement à l’éventail de choix du dirigeant public. Cet élargissement

des choix le rend moins dépendant structurellement des créanciers qui par ailleurs peuvent

faire partie du réseau d’échange.

Proposition 3 :

Avec la privatisation, la structure de propriété plus ouverte associée à un système de

gouvernance mixte accroît la marge discrétionnaire du dirigeant en matière de choix de

financement et d’investissement.

En référence à la TGP, le rôle du GE est de protéger les intérêts des différents

partenaires par une allocation spontanée ou intentionnelle des droits attachés à la fonction

de contrôle sur le processus de création et de répartition de valeur organisationnelle. En ce

sens, la performance partenariale dépend de l’efficacité du système de gouvernance. La

modélisation précédente de cette dynamique organisationnelle suggère ainsi une analyse de

l’orientation des choix du dirigeant dans un nouvel environnement d’évaluation. Celui-ci

combine certains aspects de la gouvernance de marché et de la gouvernance de réseau qui

semblent élargir son espace discrétionnaire, comparativement au contexte de gouvernance

publique. La question posée dans le prolongement de cette première analyse est la

suivante : quels sont les effets du système de gouvernance mixte induit par la privatisation

sur le comportement managérial de création de valeur ?

Section 3 : Dynamique du système de gouvernance et efficience organisationnelle

Au regard de l’analyse qui précède, la privatisation en modifiant le GE est susceptible

d’influer sur le niveau de valeur appropriable par les différents partenaires, d’autant plus

que la latitude managériale est élargie donc susceptible de permettre une marge de

négociation plus grande avec certains partenaires, comparativement à la situation publique.

Nous allons envisager dans cette seconde étape de notre modèle les conséquences

théoriques possibles de cette dynamique organisationnelle induite par la privatisation sur la

performance organisationnelle. Ce développement s’adresse ainsi à la question soulevée

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par notre problématique de la relation entre privatisation et performance. Comment la

privatisation en modifiant la capacité de chaque partenaire à s’approprier une partie de la

rente, via le GE, influe-t-elle sur le processus de création et de répartition de la valeur

partenariale ? Nous proposons une analyse de cette relation du point de vue des

actionnaires, des salariés (également actionnaires) dont le dirigeant, des clients et des

fournisseurs que nous considérons comme les partenaires privilégiés de l’organisation dans

la mesure où ils représentent les principaux acteurs en relation contractuelle libre avec la

firme.

3.1. Privatisation, GE et politique financière : le point de vue des actionnaires

apporteurs de fonds

Le développement précédent a mis en évidence les principales caractéristiques de la

gouvernance publique, en particulier à l’égard de la relation d’agence entre dirigeant et

pouvoirs publics. La centralisation décisionnelle semble limiter la marge de manœuvre du

dirigeant mais l’efficacité réduite des contrôles semble octroyer au dirigeant une possibilité

d’orienter une partie des choix de création de valeur susceptible d’être appropriée par les

pouvoirs publics. Ainsi, la gouvernance publique laisse au dirigeant la possibilité

d’influencer les choix stratégiques de diversification et/ou d’internationalisation. Dans la

limite de son espace discrétionnaire, le dirigeant public est d’autant plus stimulé que les

risques de faillite bien que potentiels exercent une faible menace. L’Etat offre de manière

implicite une garantie et, dans certains cas, assure aussi un soutien politique privilégié à ce

type de stratégie, comme il peut l’exercer auprès des entreprises privées212. En ce sens, le

rôle disciplinaire de la dette paraît plus réduit dans le contexte de gouvernance publique,

tout comme celui du marché financier. De plus, la corrélation forte du mandat du dirigeant

public et des échéances électorales contribue au développement d’une stratégie de

surinvestissements qui, dans certains cas, peut être favorable à l’ensemble des partenaires

(investissements lourds d’infrastructure favorables au développement et à la qualité du

service public par exemple) ou défavorables lorsque le coût est trop élevé par rapport au

bénéfice produit, et donc supporté par l’ensemble des propriétaires réels, détenteurs du

droit aux créances et pertes résiduelles.

212 Ainsi, l’internationalisation et la diversification peuvent être présentées comme des choix à portée politique en période de récession (diversification des risques et équilibre des comptes) tout comme en période de croissance, de dérégulation ou d’innovation technologique qui supposent la saisie d’opportunités de marché, comme la dérégulation du secteur du gaz l’illustre aujourd’hui.

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Lors de la privatisation, le système de gouvernance mixte introduit (ou réintroduit) le

rôle informationnel du marché financier et le contrôle plus strict des actionnaires

dominants dans une perspective de long terme213. L’abandon par les pouvoirs publics du

contrôle décisionnel est susceptible de s’accompagner notamment de la suppression des

formules de compensation de contraintes de service public ou de concours d’équilibre (qui

traduisent l’assomption de l’incertitude et des résultats nets du propriétaire public). La

privatisation est donc censée accroître la menace associée au risque de défaillance et de

faillite, comparativement au statut de l’entreprise publique. En activant la discipline de la

dette et du marché financier, elle est donc susceptible d’une part, de réduire l’incitation

managériale à développer des projets risqués comparativement au contexte public, d’autre

part, de favoriser une politique d’investissement plutôt court termiste en raison de

l’introduction de contrôle financier exercé par le marché financier214. Toutes choses égales

par ailleurs, la privatisation pourrait donc s’avérer défavorable à une politique

d’investissement optimale, notamment par la renonciation à des investissements bénéfiques

à long terme215.

Toutefois, la présence d’actionnaires partenaires, notamment financiers au sein du

conseil d’administration est susceptible d’orienter l’évaluation du comportement

managérial sur la base de critères de contrôle stratégiques plus favorables à une politique

d’investissement de long terme et de niveau de risque conforme aux intérêts actionnariaux.

Cette incitation à privilégier un horizon plutôt long termiste paraît d’autant plus forte

lorsque la privatisation s’accompagne d’une association du dirigeant et des salariés au

capital de l’entreprise via une indexation de la rémunération sur les performances

boursières.

La combinaison du rôle disciplinaire de la dette, du marché financier et du rôle des

actionnaires dominants privés et du système de rémunération plus incitatif est donc 213 Remarquons ici que l’entreprise publique peut émettre des titres sur le marché financier (certificats d’investissement, obligations). Toutefois la valeur informationnelle de ces titres et le pouvoir de contrôle par le marché paraissent limités, comparativement au contexte de l’entreprise privée, compte tenu de la nature publique de l’entreprise (titres sans droit de vote). 214 Typique du système de gouvernance de marché, le contrôle financier repose sur des critères objectifs de performance comme les résultats comptables et boursiers à l’inverse des contrôles stratégiques qui privilégient des critères plus qualitatifs et subjectifs. Ils intègrent des indicateurs d’objectifs sur le long terme, ponctués de références de court terme, sectorielles et concurrentielles. Ainsi, Godard (1997) observe la corrélation entre la prédominance d’administrateurs externes, les modes de contrôle financier et le choix stratégique de diversification. 215 Cela suppose que le marché exerce une pression en faveur d’une politique d’investissement plus court termiste comparativement au contexte public ce qui ne signifie donc pas que le marché soit exclusivement court termiste.

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susceptible de réduire certaines sources de coûts qui accompagnent la politique

d’investissement au sein de l’organisation publique (autonomie réduite, objectifs multiples,

coût de neutralisation partielle de la centralisation décisionnelle par une politique de

surinvestissement). Cette combinaison s’accompagne en outre d’une définition plus claire

des objectifs des principaux propriétaires comparativement aux propriétaires publics qui

les cumulent216. Par ailleurs, le rôle informationnel du marché financier complète la

valorisation du capital humain managérial qui tout du moins en France passe en particulier

par les réseaux des grandes écoles. Dans la période qui suit la privatisation, notamment par

OPV, le dirigeant est incité à effectuer des choix financiers sanctionnés favorablement par

le marché et à entreprendre une activité de dédouanement à l’égard de l’ensemble de la

communauté actionnariale.

En référence à l’analyse de la TPA sur le système de coordination et de contrôle, la

délégation du processus décisionnel au profit de l’équipe managériale induite par la

privatisation est soutenue par un système de contrôle de la performance qui permet aux

différents types d’actionnaires d’exercer un ensemble de contrôles complémentaires plus

efficaces de la politique menée par le dirigeant. Dans cette perspective, lors d’une

privatisation partielle, l’Etat actionnaire délègue en définitive une partie du contrôle aux

actionnaires privés. Ce contrôle concerne les objectifs d’investissements propres au

développement de la firme. Le contrôle par les pouvoirs publics se limite alors aux

objectifs de service public ou plus politiques, traduisant ainsi une réelle délégation de la

politique générale de l’entreprise au dirigeant. En ce sens, l’AO consécutive à la

privatisation paraît plus favorable à la création de valeur actionnariale par le dirigeant.

Proposition 4 :

Le système de gouvernance mixte associé à la privatisation incite davantage le dirigeant à

accroître la valeur appropriable par les actionnaires, comparativement aux incitations

associées au système de gouvernance publique.

En outre, la modification du système de contrôle devrait engendrer une modification de

sa politique de financement. La privatisation permet un accès plus ouvert au marché

216 Comme le relève Jones (1991), « quand on demande aux dirigeants des entreprises publiques comment améliorer leur efficacité, ils répondent : « nous donner des objectifs clairs, l’autonomie pour les poursuivre et nous juger sur nos résultats ».

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financier. Elle offre ainsi un choix plus large de modes de financement, comparativement

aux possibilités propres au contexte public de recourir davantage à l’endettement bancaire.

Toutefois, la présence d’actionnaires partenaires financiers, et donc le contrôle par la

banque partenaire devrait conduire à privilégier l’endettement. Par ailleurs, ce choix de

ressources peut être perçu comme un signal positif par le marché en raison de la présence

d’un partenaire financier au sein du GAP, auquel est déléguée d’une certaine manière la

fonction de contrôle. De plus, dans le contexte de l’Europe occidentale, lors de sa

privatisation, l’entreprise présente une situation financière saine afin d’attirer les

investisseurs nationaux et étrangers, laissant ouverte la possibilité du recours à

l’endettement pour le financement d’opérations d’investissement. Enfin, l’endettement

constitue une forme de contrôle du comportement du dirigeant qui, par ailleurs, peut

constituer pour lui, une forme de dédouanement. L’endettement peut aussi contribuer à la

valorisation de son capital humain pendant cette période d’ouverture à la communauté

financière.

Proposition 5 :

La structure de propriété et le système de gouvernance mixte associé à la privatisation

incitent le dirigeant à recourir davantage au financement par endettement que par appel au

marché malgré l’accès plus facile à ce dernier.

3.2. Privatisation, GE et politique financière : le point de vue des salariés

Le principal mode de contrôle des intérêts des salariés modifié par la privatisation

recouvre le contrôle hiérarchique au sein duquel est définie une partie de leur système de

rémunération, notamment la partie variable, dépendante des mesures comptables et

boursières de la performance217.

L’analyse du lien entre privatisation et processus décisionnel a mis en évidence la

décentralisation de la fonction de décision aux niveaux hiérarchiques où est localisée la

connaissance spécifique. Les mécanismes internes de contrôle du comportement des

salariés consécutifs à la privatisation sont fondés sur l’incitation à la performance. Le

contrôle hiérarchique consécutif à la privatisation, en tant que mécanisme d’évaluation de

217 Le salaire fixe est fonction des attributs du travail, de l’investissement en capital humain et des caractéristiques organisationnelles. Nous supposons que la privatisation n’influe pas significativement sur cette dimension du système de rémunération comparativement aux deux autres, dépendantes de la performance mesurée comptablement et en valeur de marché.

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la performance notamment sur des critères comptables, permet de valoriser

l’investissement en capital humain. Dans l’entreprise publique, ce même mécanisme

d’évaluation limite, comme nous l’avons démontré précédemment, les incitations à la

valorisation de ce capital. Les détenteurs de compétences spécifiques sont ainsi plus incités

à les valoriser, par la prise de décision dans le sens des critères de performance,

comparativement à leur position dans la firme publique. De plus, comme le souligne

Desbrières (1997), à l’appui de différents travaux, la surveillance mutuelle complémentaire

au contrôle hiérarchique fondée sur des mesures comptables de performance, réduit les

actions individuelles de passager clandestin et favorise la collaboration horizontale et

verticale. En ce sens, comme le stipule notre proposition 2b, la décentralisation du

processus décisionnel au sein de la hiérarchie est fondée sur un système d’évaluation de la

performance sur critères comptables qui paraît a priori plus incitatif que dans la forme

forte de l’entreprise publique. Ce système d’évaluation et de récompense est donc

susceptible d’augmenter la responsabilité des centres décisionnaires et leur participation au

processus de décision ainsi que le niveau d’incitation des salariés à la performance,

notamment à la productivité.

En outre, l’actionnariat salarié représente un mode incitatif nouveau pour la plupart des

salariés des entreprises privatisées218. Ce mécanisme interne de mise en convergence des

intérêts des salariés dont le dirigeant, avec celui des actionnaires, constitue une autre forme

de participation financière susceptible de résoudre les conflits entre propriétaires et

salariés. Desbrières (1997, p. 366) considère que la participation est particulièrement

incitative dans la mesure où elle fixe « contractuellement la contrepartie, d’une part, des

effort déployés par les dirigeants et les employés pour maximiser la richesse des

actionnaires, d’autre part, de l’investissement non diversifiable de leur capital humain dans

l’entreprise ». La spécificité du capital humain contribue à la partie non diversifiable de

l’investissement du salarié mais elle est associée à une prise de décision effective lors de la

décentralisation. En ce sens, comme le relève Desbrières (Op. Cit, p. 374) dans sa synthèse

des travaux sur les formules d’actionnariat, ce mécanisme incitatif à la création de valeur

actionnariale est d’autant plus incitatif que la séparation fonctionnelle dirigeant-

218 Remarquons ici à l’instar de Couret et Hirigoyen (1990, p. 15) que l’actionnariat salarié n’est pas l’exclusivité du secteur privé puisque dans le secteur public, la Régie Nationale des Usines Renault, par exemple a associé à son capital 73500 salariés en 1975. Toutefois, la non-cessibilité des titres en dehors du champ de l’organisation publique a entraîné la formation d’un marché interne qui a conduit à l’échec de cette formule. Notons également, les formules de transfert d’actions gratuites au profit du personnel des banques et compagnies d’assurance par la loi du 4 janvier 1973.

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actionnaires est forte. En ce sens, ce mécanisme est incitatif pour les salariés susceptibles

d’intervenir sur les décisions valorisée par le marché. Il est susceptible de conduire les

décideurs à privilégier des opportunités d’investissements risqués, à forte croissance, par

endettement. Si les risques de conflits avec les prêteurs augmentent avec de telles formules

(transfert de richesse lié à la prise de risque supplémentaire), le système de gouvernance

mixte lié à la privatisation paraît les limiter, notamment en raison d’un contrôle de

l’actionnariat dominant au sein duquel peut figurer une banque partenaire.

Les mécanismes internes de rémunération basés sur la performance comptable (système

de bonus), ou boursière (allocation d’actions au dirigeant voire aux salariés) supposés

incitatifs, sont également inexistants au sein de l’entreprise publique, les mécanismes de

marchés étant nécessaires à leur fonctionnement. Après la privatisation, la valeur

appropriable par le salarié, en tant que partenaire de la firme dépend de sa rémunération

basée en partie sur des critères comptables et boursiers et sur le niveau de spécificité de ses

compétences. D’où la proposition suivante :

Proposition 6 :

La privatisation via le système de gouvernance mixte (rémunération indexée sur la

performance comptable et/ou boursière) permet aux salariés actionnaires d’accroître le

niveau de la valeur qu’ils peuvent s’approprier, a fortiori pour les salariés-actionnaires au

capital humain fortement spécifique à la firme.

Concernant plus particulièrement le dirigeant, l’accroissement de sa marge

discrétionnaire sur les choix d’investissement et de financement, combinée à un système de

rémunération plus incitatif qui privilégie la spécificité du capital humain est susceptible de

modifier le niveau de la rente managériale.

Proposition 7 :

Avec la privatisation, le système de gouvernance mixte permet au dirigeant d’accroître le

niveau de valeur managériale qu’il peut s’approprier.

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3.3. Privatisation et valeur partenariale : le point de vue des clients et des

fournisseurs

Comment la privatisation modifie-t-elle le comportement des clients vis-à-vis du

processus décisionnel et du niveau de la valeur appropriable par cette catégorie de

stakeholders ? Leur droit sur la création de la valeur est-il influencé par le changement

organisationnel ?

Dans le cas d’une privatisation de monopole public, l’ouverture à la concurrence

accompagne généralement ce type de privatisation (cas des télécommunications). La

dérégulation du marché des biens ou des services instaure une concurrence nouvelle pour

le monopole initial. Celle-ci leur offre un droit d’accès aux ressources beaucoup plus large

que dans la situation de monopole public, ce qui leur donne un pouvoir de négociation plus

important. L’impératif d’efficacité productive s’impose au dirigeant du monopole et

représente de ce fait un mode externe d’incitation et de contrôle de sa gestion. Les clients

peuvent en effet sanctionner la firme en décidant de rompre leur contrat avec elle, les coûts

de sortie étant faibles en raison du nombre d’acteurs entrants sur un marché dérégulé.

Ce déséquilibre de rapports de force associé à la privatisation d’un monopole public

explique le passage du qualificatif d’usagers à celui de client. En effet, la pression

concurrentielle exige un minimum d’efficacité productive et constitue en cela un mode

externe de contrôle de la performance du dirigeant (à la disposition des clients), les moins

performants étant éliminés (Milgrom et Roberts, op. Cit.). L’apparition de la compétition

confère aux clients un droit de contrôle sur la création de valeur par la firme qui doit

s’adapter à cette nouvelle donne.

En revanche, dans l’entreprise publique appartenant à un secteur concurrentiel, le

marché des biens et services exerce une pression sur le dirigeant. La survie de la firme

contraint le dirigeant à accroître sa part de marché et à développer des relations de long

terme avec ses clients. Toutefois, le dirigeant est moins incité à arbitrer de façon optimale

entre les risques et la rentabilité des investissements puisqu’il est garanti par l’Etat (le cas

du Crédit Lyonnais illustre cette spécificité de l’entreprise publique, Cf. Charreaux, Op.

cit.). La privatisation ne semble donc pas modifier l’intensité du contrôle par le marché des

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biens et services. Ainsi, avant et après la privatisation le dirigeant paraît soumis au même

niveau de contrôle exercé par les clients.

En outre, lors de la privatisation, parmi les clients de la firme, certains peuvent devenir

actionnaires. En conséquence, leur droit de contrôle via le marché est complété par leur

droit de contrôle sur la création de valeur en tant qu’actionnaire. Ce statut lié à la

privatisation leur permet de bénéficier d’informations internes. Ils peuvent exercer leur

droit de vote et agir ainsi sur le processus décisionnel en matière de création de valeur,

d’autant plus s’ils appartiennent au groupe d’actionnaires partenaires. En effet, cette

position peut leur octroyer un siège au conseil d’administration, lequel devient pour les

clients concernés un mode de contrôle effectif sur les décisions prises. Enfin, la

décentralisation des droits décisionnels au niveau local suppose une prise de décision

optimale dans la mesure où les décideurs détiennent les informations pertinentes (principe

de co-localisation), à l’appui du système d’évaluation de la performance. D’où l’hypothèse

suivante :

Proposition 8 :

La décentralisation du processus décisionnel induite par la privatisation combinée aux

mécanismes d’évaluation sous-jacents accroît le niveau de valeur appropriable par les

clients, a fortiori si ces derniers sont membres du GAP et/ou si la privatisation

s’accompagne de la dérégulation sectorielle.

Concernant les fournisseurs et l’incidence de la privatisation sur leur droit à la création

de valeur, il convient de faire la même distinction entre entreprise publique monopolistique

et entreprise concurrentielle. Le marché des biens et services ne joue pas le même rôle dans

les deux cas de privatisation. Dans le premier cas, la dérégulation associée au changement

organisationnel contraint le dirigeant au même impératif de productivité, ce qui implique

une minimisation des coûts et notamment par la recherche de fournisseurs les plus offrants.

L’incitation pour le dirigeant est moins forte au sein de la firme publique ce qui le conduit

lors de la privatisation à rompre éventuellement les contrats avec les fournisseurs si les

conditions initiales de la transaction sont moins avantageuses au profit d’une transaction

plus efficace avec d’autres acteurs. Le droit des fournisseurs à la création de valeur peut

donc être spolié lors de la privatisation d’un monopole public.

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Dans le cas de la privatisation d’une entreprise publique concurrentielle, la

minimisation des coûts est contrainte par l’impératif d’efficacité productive. Toutefois, les

incitations du dirigeant de la firme publique sont moins fortes que dans la firme privée. Les

risques de spoliation des fournisseurs existent dans une moindre mesure lors d’une

privatisation de ce type.

Enfin, si le fournisseur prend une part au capital de la firme privatisée, les risques de

spoliation peuvent être minimisés par l’acquisition du droit de contrôle associé au statut

d’actionnaire. Ce mode d’exercice du contrôle de la transaction par le fournisseur est plus

prégnant s’il appartient au groupe d’actionnaires partenaires. Les informations internes

fournies au niveau du conseil d’administration renforcent l’exercice de son droit à la

création de valeur et donc permettent au fournisseur actionnaire de contrôler le niveau de

valeur qu’il peut s’approprier.

Proposition 9 :

La décentralisation du processus décisionnel induite par la privatisation combinée aux

mécanismes d’évaluation sous-jacents engendre une réduction du niveau de valeur

appropriable par les fournisseurs, a fortiori lors de la privatisation d’un monopole public.

Toutefois, le niveau de valeur appropriable par le fournisseur peut augmenter si ce dernier

est membre du groupe d’actionnaires partenaires.

Conclusion du chapitre 4

Au regard de notre modèle, il semble donc que la privatisation agisse à deux niveaux

organisationnels. D’une part, la privatisation modifie l’AO, notamment par une adaptation

des différentes composantes du GE associée à un changement de la répartition des droits

décisionnels. D’autre part, en corollaire, cette dynamique organisationnelle provoquée par

un changement institutionnel essentiel pour l’organisation (d’un point de vue juridique et

économique), semble modifier le droit de chaque partie prenante à l’appropriation d’une

partie de la rente créée. En modifiant l’AO, la privatisation semble accroître le niveau de

création de valeur partenariale à l’appui d’un système de GE mixte. Celui-ci semble

combiner les effets incitatifs à la création de valeur partenariale par rapport à laquelle le

niveau d’appropriabilité par les différents partenaires varie comparativement au contexte

public. En ce sens, la rente créée après privatisation semble plus importante en raison de la

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combinaison particulière des mécanismes de GE. Toutefois, notre modèle permet de

nuancer cette conclusion générale selon les caractéristiques des composantes

institutionnelles qui « contraignent219 » les composantes réglementaires et contractuelles220

nationales et propres à chaque cas de privatisation.

219 Roberts et Greenwood (1997) par exemple proposent un modèle de l’efficience contrainte selon lequel, l’adaptation des formes organisationnelles donc les changements des firmes s’inscrivent dans un processus de choix encastré dans un ensemble de contraintes institutionnelles. 220 En référence à notre tableau n°7 du chapitre 3 relatif à la nature de la gouvernance et à la typologie des mécanismes de GE.

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203

Conclusion de la deuxième partie

En définitive, l’analyse comparative des formes organisationnelles abordée en première

partie, constitue une articulation entre les limites de la littérature et la relecture que nous

avons proposée de la privatisation. Cette articulation, centrale, a permis de remonter aux

origines d’une grille théorique intégratrice de ces divers apports théoriques de la littérature.

Elle représente d’une certaine manière une refomulation de la problématique de départ sur

le lien entre privatisation et performance. La problématique essentielle abordée dans la

littérature privilégie comme hypothèse centrale, la supériorité du système de propriété

privée sur le système de propriété publique. Inscrite dans cette perspective, l’analyse

comparative des formes organisationnelles a conduit à reposer la question de la

privatisation dans les termes suivants : en tant que processus d’évolution organisationnelle

de la propriété, la privatisation influe sur le processus décisionnel de création et de

répartition de la valeur partenariale de manière variable sur les différents partenaires.

Cette nouvelle approche de la privatisation est construite sur la base d’une lecture de la

firme telle que la propose la TPA. Ce cadre théorique a permis une lecture renouvelée de la

relation entre privatisation et performance que nous pouvons résumer en trois points.

Premièrement, à l’appui de ces théories fondatrices, la TPA a permis de concevoir la

privatisation comme un processus de décentralisation de la propriété publique qui, dans sa

forme la plus forte, se conclut par un abandon très significatif de la participation des

pouvoirs publics au processus décisionnel. La privatisation constitue ainsi une

modification de leur position. De partenaire essentiel au processus décisionnel ils

deviennent une des parties prenantes exerçant une influence plus ou moins directe,

contractuelle, qui se limite essentiellement à un contrôle légal et institutionnel.

Deuxièmement, cette modification essentielle de l’architecture organisationnelle se traduit

par une adaptation du GE qui semble combiner certaines caractéristiques incitatives du

SGM (système de gouvernance orienté marché) et du SGR (système de gouvernance

orienté réseaux). Troisièmement, cette dynamique du GE implique un changement large

des rapports de chaque partie prenante au processus décisionnel de création de la valeur

organisationnelle et de sa répartition. L’approche contractuelle de la privatisation souligne

la décentralisation graduelle du processus décisionnel combinée à une adaptation du

système de gouvernance et du processus de création et de répartition de la valeur

actionnariale et salariale. D’un modèle centralisé, le gouvernement d'entreprise s’oriente

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204

après la privatisation vers un modèle fondé sur des mécanismes de marché et sur des

mécanismes internes complémentaires susceptibles de valoriser les compétences et

d’accroître l’incitation à la performance.

En ce sens, la TPA a permis de démontrer le rôle essentiel du GE dans l’efficience

organisationnelle de second ordre, en tant que capacité de la firme à minimiser sous

contraintes, ses coûts d’agence via un ensemble de mécanismes qui encadrent le

comportement du dirigeant dans le processus de création et de répartition de la valeur

organisationnelle. Ainsi, notre lecture de la privatisation à partir de la théorie partenariale

de la gouvernance propose une vision de la gouvernance comme l’ensemble des

mécanismes par lesquels les parties prenantes à l’organisation protègent leurs intérêts

propres c’est-à-dire par lesquels elles participent au processus décisionnel de création de

valeur au centre duquel se trouve le dirigeant. Les modalités de cette participation varient

notamment en raison des facteurs institutionnels qui définissent les règles du jeu

organisationnel. En ce sens, la gouvernance est directement influencée par les institutions

desquelles découlent les schémas mentaux des parties prenantes à l’organisation221.

Cette approche théorique, construite sur une synthèse critique des travaux sur la

privatisation et sur un renouvellement de l’analyse à partir de la TGP, nous conduit à la

conclusion finale relative au stade de développement de la TGP. Comme le suggèrent les

diverses voies d’investigation théorique et empirique sur la gouvernance, la TGP est une

théorie en cours de construction. Il reste par conséquent, des zones théoriques non

explorées, à approfondir. Mais, comme toute théorie en devenir, si elle doit faire ses

preuves, c’est aussi à force de retour sur ses propres interprétations de la réalité, comme le

suggère Jensen (1983) et la lecture qu’en a proposé Wirtz (2000) dans sa thèse sur la

gouvernance.

Dans cette même perspective, nous proposons maintenant une mise à l’épreuve du modèle

que nous avons présenté à l’appui d’une lecture de la privatisation par la TGP. Cette

confrontation est conduite à partir de deux études de cas d’entreprises privatisées. La

deuxième étude permet une première réplication du modèle. Nous rejoignons ainsi de

221 Nous renvoyons le lecteur à la thèse de P. Wirtz, (2000) relative au développement de cette branche de la théorie explicative de la gouvernance.

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205

nombreux travaux récents sur la gouvernance. Ceux-ci suggèrent en même temps que la

construction de cette théorie générale de la firme, une orientation empirique susceptible de

prendre en compte les aspects qualitatifs du fonctionnement de l’organisation, et

notamment les influences interdépendantes de variables qualitatives comme le contexte de

privatisation, de secteur sur le GE. De là, dans la finalité de toute démarche scientifique,

ces mêmes modalités d’investigation qualitatives suggèrent une mise à l’épreuve du

modèle, à partir de différentes études, afin de statuer sur la plausibilité de la TGP en

particulier.

Dès lors, notre travail de recherche consiste à expérimenter notre modèle sur le terrain

autrement dit, à le confronter aux réalités auxquelles il s’adresse. La troisième partie est

consacrée au positionnement méthodologique qu’impose le traitement qualitatif de la

problématique de la relation entre privatisation et performance organisationnelle avant

d’aborder les résultats d’une mise à l’épreuve de la plausibilité de notre modèle.

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206

Troisième partie

Privatisation et processus décisionnel :

une intégration de la dynamique de la gouvernance

à travers deux études de cas

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207

Dans la première partie de ce travail, nous avons analysé les controverses théoriques et

empiriques concernant les effets de la privatisation sur la performance. A partir de cette

observation, notre objectif vise l’explication des processus réels induits au sein de

l’organisation par ce phénomène si répandu. Le développement théorique précédent est

ainsi fondé sur une analyse générale de la privatisation à partir des apports de la littérature

puis sur une lecture approfondie de la privatisation au regard de la TGP. Face à la nécessité

de comprendre comment la privatisation agit sur l’AO, nous avons proposé dans le chapitre

4, une modélisation de la dynamique organisationnelle dans le contexte de la privatisation.

Notre modèle suggère une exploration de la relation complexe entre la privatisation et le

processus décisionnel à différents niveaux de l’architecture d’une ou plusieurs firmes

concernées par la privatisation. Pour se prononcer sur sa portée explicative, le

développement précédent conclut ainsi à la nécessaire confrontation des liens théoriques

proposés, d’une part entre la privatisation et les différentes composantes de l’AO, d’autre

part entre cette dynamique organisationnelle et « l’appropriabilité » de la valeur par

plusieurs partenaires.

Ainsi, un premier aboutissement du processus scientifique que nous avons mené

jusqu’ici doit consister comme le suggère notre modèle, à observer au sein des entreprises

privatisées, une modification de la répartition des droits décisionnels, induite par la

privatisation, un changement sous-jacent du GE et du niveau de valeur partenariale

appropriable.

Dans cette perspective, cette troisième partie de notre travail rejoint la dimension

empirique de la démarche scientifique générale. Dans la logique positiviste, nous nous

intéressons dès lors à la confrontation de notre modèle aux faits réels. Cette étape du

processus scientifique nous conduit naturellement dans cette dernière partie, à poser la

question de la plausibilité des propositions générales présentées précédemment. Le

chapitre 5 aborde une réflexion méthodologique préalable sur le choix d’investigation

empirique par rapport au modèle théorique. Nous développons ici les arguments sur

lesquels est fondée notre stratégie d’accès au réel en rapport avec notre objectif de

recherche. Nous explicitons de cette manière le choix du mode opératoire pour lequel nous

avons opté, afin de rapprocher une question de recherche fondée sur l’étude des processus

organisationnels et son test de cohérence à partir d’une recherche qualitative. Le chapitre

6 expose les résultats de nos observations à travers deux cas de privatisation. Le premier

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208

cas concerne la privatisation d’Air France dont le secteur a fait l’objet d’une dérégulation il

y a quelques années. Il s’agit ici de tester la plausibilité de notre modèle. Le second cas

concerne la privatisation de DSM, entreprise hollandaise intervenant sur le secteur de la

chimie222.

222 Cette étude a été menée au cours d’un séjour de recherche à l’université d’Erasmus au sein du département d’économie institutionnelle de J. Groenewegen.

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209

Chapitre 5

Privatisation, processus décisionnel et gouvernement d’entreprise :

Réflexion méthodologique

Sur le plan méthodologique, […]Sur le plan méthodologique, […]Sur le plan méthodologique, […]Sur le plan méthodologique, […] les hypothèses controversées reçoivent leur meilleure confirmation lorsque les hypothèses controversées reçoivent leur meilleure confirmation lorsque les hypothèses controversées reçoivent leur meilleure confirmation lorsque les hypothèses controversées reçoivent leur meilleure confirmation lorsque

différents types de différents types de différents types de différents types de travaux entièrement indépendants arrivent au même résultat. travaux entièrement indépendants arrivent au même résultat. travaux entièrement indépendants arrivent au même résultat. travaux entièrement indépendants arrivent au même résultat.

S. J Gould, Essai n°8, p. 142S. J Gould, Essai n°8, p. 142S. J Gould, Essai n°8, p. 142S. J Gould, Essai n°8, p. 142

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210

L’objet de ce chapitre consiste en une réflexion préalable sur le choix des méthodes de

confrontation de notre modèle à la réalité. Ce choix instrumental s’inscrit plus largement

dans une réflexion sur le positionnement épistémologique de la démarche scientifique.

Comme le stipule le principe méthodologique proposé par Popper (1991, p. 519), « les

théories satisfaisantes doivent, en principe, transcender les exemples empiriques qui leur

ont donné naissance ». L’observation tient alors un rôle décisif puisqu’elle constitue le

siège de l’expérience, laquelle permet de falsifier ou non une conjecture. Ainsi, à partir

d’un phénomène réel, la tâche scientifique consiste en de multiples interactions entre

théories et faits223. Développé entre autres par la réflexion épistémologique poppérienne, le

processus scientifique consiste en un enchaînement d’observations, d’explication du

phénomène observé, de prédictions et de leur test sur d’autres situations réelles. Dans le

cadre de notre propre réflexion, nous avons cherché à expliquer les processus par lesquels

la privatisation modifie l’AO et les conséquences de ces changements organisationnels sur

le niveau de valeur appropriable par le différents partenaires. L’étape suivante du

processus de notre recherche consiste en une confrontation de notre modélisation des liens

complexes entre privatisation et fonctionnement organisationnel à une ou plusieurs

situations réelles.

Si l’observation est décisive dans le déroulement et l’aboutissement du processus

scientifique, la manière de la conduire l’est tout autant. La question qui se pose alors est

celle du choix de l’approche instrumentale du phénomène étudié, des moyens de recueil et

d’analyse des données afin d’articuler de manière pertinente et rigoureuse les concepts et

leurs liens avec les faits. Plus précisément, cette question relève de l’objectif de la

modélisation et de ses modes opératoires dans le cadre d’une confrontation au terrain. Le

choix du positionnement méthodologique par rapport à la problématique de recherche

nécessite par conséquent, quelques explications (section 1). Nous proposons ensuite une

223 Précisons qu’il existe plusieurs approches scientifiques de la connaissance. Elles dépendent entre autres, de la nature de la recherche, descriptive, explicative et/ou prédictive et des objectifs associés. Leur pluralité n’implique pas systématiquement une rivalité entre elles, comme le prétend Wacheux (1992). Leur spécificité réside dans l’approche instrumentale de l’observation (déductive, inductive, analytique, clinique, expérimentale ou statistique) qui demeure essentielle à l’accumulation de la connaissance (Wacheux, Op. cit., p. 50 et suivantes). Toutes néanmoins, procèdent d’un va et vient entre représentations théoriques et observations. Ainsi, d’un bout à l’autre du spectre de la conception du savoir, on peut distinguer l’abductivisme qui dérive la théorie à partir de l’observation et le falsificationisme pour lequel une théorie réfutable guide l’observation. Ces conceptions de la formation de la connaissance ont permis en outre, de développer différentes perspectives de la science sous forme de programmes de recherche de Lakatos et de paradigmes scientifiques - dont le passage de l’un à l’autre témoigne d’un progrès scientifique selon Kuhn - (Chalmers, 1987).

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211

réflexion sur les critères de validité scientifique qui conditionnent la rigueur de

l’observation lors de l’analyse des données (section 2). Enfin, nous présentons une

transcription de la démarche méthodologique que nous avons effectuée pour articuler notre

modélisation des effets de la privatisation sur le fonctionnement organisationnel avec deux

cas de privatisation (section 3).

Section 1 : Problématique fondée sur les processus organisationnels et choix du

positionnement méthodologique

La question méthodologique renvoie au choix pertinent de la méthode d’investigation

empirique par rapport au problème examiné. L’adéquation entre l’approche instrumentale

et l’objet de la question de recherche détermine en effet le type de connaissance à laquelle

on souhaite parvenir lors d’une confrontation d’une grille théorique avec les faits. La

nature de la problématique étudiée est par conséquent essentielle dans le choix d’une

méthode de test. En particulier, lorsqu’elle se concentre sur l’examen des mécanismes

sous-jacents à un phénomène, la problématique fait appel à une approche qualitative du

terrain. En ce sens, l’étude de cas constitue une stratégie de recherche particulièrement

adaptée à la compréhension de phénomènes complexes susceptibles de s’étaler dans le

temps. Notre modélisation de la relation entre la privatisation et la performance relève de

cette problématique. Elle fait suite au renouvellement nécessaire de la question de la

privatisation soulevée par l’évolution méthodologique que nous avons observée dans la

littérature. Nous montrons ainsi le potentiel méthodologique de l’étude de cas et sa

pertinence dans le développement de la compréhension du phénomène complexe que

recouvre la privatisation (1.1). Restitué au sein de la démarche scientifique générale, notre

choix méthodologique est motivé par la portée explicative de notre modèle. Nous

proposons une analyse de sa fonction scientifique dans la conduite de notre recherche, tant

au niveau de la problématique de la privatisation qu’au niveau du positionnement

épistémologique de la TGP.

1.1. Approche instrumentale qualitative et étude de cas : le choix d’une stratégie de

recherche

Comme l’illustre notre synthèse des travaux empiriques sur la privatisation, plusieurs

approches instrumentales sont susceptibles de traiter une même problématique. En

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212

référence aux deux premiers chapitres, le lien entre privatisation et performance a été traité

majoritairement à partir d’études transversales qu’il s’agissent des études comparatives de

performance publique/privée ou avant/après privatisation. Ainsi, l’approche instrumentale

du lien entre privatisation et performance s’est traduit au départ, par un choix pour un

échantillonnage statistique représentatif d’une population224. Toutefois, l’évolution

méthodologique a consisté en une orientation de l’analyse vers des études plus ponctuelles

même si les mesures employées restent encore largement quantitatives225.

Dans la première approche, l’objectif est le repérage de régularités à partir de données

standardisées essentiellement quantitatives. Ainsi, à partir d’une compilation de données

comptables et financières (comme par exemple, la rentabilité des fonds propres, la

rentabilité des actifs, la croissance du chiffre d’affaires, le taux d’endettement, etc.), les

études transversales ont permis de repérer les effets positifs (plus ou moins significatifs) de

la privatisation sur plusieurs dimensions de la performance en statique ou en dynamique.

Dans la seconde approche, l’objectif de la modélisation est d’étudier en profondeur un

phénomène, un processus à partir d’un échantillonnage qualitatif portant sur un ou

plusieurs cas ponctuels. Si Popper (Op. cit., p. 520) souligne « l’exigence de devoir

remplacer autant que possible les énoncés qualitatifs par des énoncés quantitatifs » afin

d’accroître la testabilité d’une théorie, l’auteur remarque aussi que ces procédés de mesure

ont été assez tardifs dans certaines sciences et non utilisés par toutes.

Ainsi, certaines problématiques226, qui reposent sur des conjectures essentiellement

qualitatives, fondées sur des observations difficilement quantifiables, contraignent

fortement le choix de leur instrumentalisation au profit d’une démarche qualitative. Une

première instrumentalisation de notre modèle organisationnel de la privatisation pourrait a

priori être conduite à partir de l’élaboration d’un questionnaire. Celui-ci (présenté en

annexe11) doit permettre de collecter, sur un échantillon représentatif d’une population

d’entreprises privatisées, un ensemble de données qualitatives pour les trois niveaux

224 Comme l’étude internationale de Megginson et al. (1994) sur les variations de performance avant et après privatisation, ou celle présentée par Alexandre et Charreaux (2001) relative à un échantillon d’entreprises privatisées françaises. 225 Comme par exemple, l’étude de Parker (1994) relative à British Telecom, ou celle de Galal et al. (1994) sur 12 entreprises de quatre nationalités différentes. 226 notamment celles développées par le champ organisationnel, dont celui de la TPA et ses différents axes de recherche (gouvernance et performance organisationnelle, nature du comportement humain, systèmes de coordination, d’évaluation de la performance et gestion des ressources humaines, nature de la technologie et AO).

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213

d’analyse de notre modèle (processus décisionnel, système de gouvernance

organisationnelle et valeur appropriable). Cette première voie d’investigation empirique

qualitative que nous avions engagée au départ, rencontre cependant plusieurs limites

d’ordre technique et d’ordre épistémologique. D’un point de vue technique, le

questionnaire que nous avons élaboré était destiné à une population européenne. Or,

l’histoire des privatisations, en particulier dans les pays de l’Union européenne, a constitué

un obstacle important à la poursuite de cette démarche. En effet, les premières

privatisations sont déjà anciennes (comme celle de British Petroleum entre autres, dont la

première cession date de 1977, finalisée en 1987). De plus, les personnes de la direction

susceptibles d’être interrogées sont soumises pour les cas de privatisation les plus anciens,

à des biais importants de mémoire ou ont poursuivi leur carrière dans d’autres entreprises.

Ces deux facteurs combinés au nombre limité de privatisations européennes (environ 70

cas) et à leur hétérogénéité ont contraint le taux extrêmement faible des réponses. Un autre

obstacle à cette démarche par questionnaire est lié à l’importance (dissuasive pour le

répondant) du nombre de questions nécessaires pour tester correctement notre modèle. Au-

delà de ces considérations techniques qui ne nous ont pas permis de mener à terme cette

approche empirique, le statut épistémologique de notre recherche permet d’appréhender

plus fondamentalement les limites d’une investigation par questionnaire. En effet, cette

méthode d’investigation qui privilégie les données qualitatives et la taille de l’échantillon,

peut s’interpréter comme une approche à l’intersection des travaux statistiques et des

études plus ponctuelles. La représentativité statistique à laquelle elle permet de répondre ne

permet pas toutefois, d’accéder réellement à une connaissance approfondie des

mécanismes organisationnels sous-jacents. Pour ce faire, il serait nécessaire d’élaborer un

questionnaire très détaillé qui limite alors, comme nous l’avons expérimenté, la probabilité

d’obtenir un taux de réponses significatif pour poursuivre l’investigation. Bien que cette

démarche présente plusieurs faiblesses, nous avons choisi de l’exposer ici d’une part, parce

qu’elle fait partie du déroulement de notre processus de recherche, d’autre part, parce

qu’en l’appliquant, elle nous a permis de mesurer concrètement la portée de cette démarche

et la pertinence de l’étude de cas dans l’analyse de la dynamique organisationnelle.

Dans cette perspective, l’étude d’un ou plusieurs cas représente une deuxième

instrumentalisation plus pertinente de notre recherche qualitative. Plus globalement,

comme le relève Eisenhardt (1989, p. 534-535), l’étude de cas est une stratégie de

recherche qui a pour objet la compréhension des processus liés à un phénomène. Yin

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214

(1994, p. 13) précise que l’étude de cas est une investigation empirique d’un phénomène

contemporain et de son contexte de développement. En ce sens, l’étude de cas est une

stratégie de recherche adaptée lorsque le phénomène et son contexte sont difficilement

séparables.

Plus qu’une simple méthode de collecte de données ou un design de recherche

seulement, l’étude de cas participe d’une recherche pour laquelle les frontières entre le

phénomène et son contexte ne sont pas clairement définies. En quelque sorte, elle est à

l’image de la théorie de l’AO pour laquelle les frontières de la firme sont moins

importantes que la question des processus et de sa dynamique organisationnels. Ainsi,

l’étude d’un ou plusieurs cas peut être préférable parce qu’elle permet de produire des

informations plus pertinentes pour la mesure de certains concepts, que ne le permet un

échantillonnage statistique. L’objectif d’une telle démarche peut être la description, le test

d’une théorie ou sa construction227 à partir d’une question de recherche centrée sur les

processus sous jacents au phénomène étudié.

Dans le cadre de la recherche sur la relation entre privatisation et performance, notre

observation relative à l’ambiguïté des résultats empiriques, à l’évolution méthodologique

des traitements et finalement au renouvellement nécessaire de la problématique sur la

privatisation va dans ce sens. En effet, une synthèse sur plus de vingt ans, des études

transversales représentatives d’une population d’entreprises privatisées fait apparaître une

approche statistique de la relation privatisation/performance de plus en plus élaborée.

Comme les études récentes de Villalonga (2000) ou Alexandre et Charreaux (2001)

l’illustrent, cet enrichissement méthodologique vise à prendre en compte des variables

complémentaires (comme le contexte de récession ou de croissance à l’appui de variables

muettes) à celle directement impliquée dans la relation (notamment la performance).

Comme le précisent leurs auteurs, ces études ont pour objectif d’approfondir l’analyse des

processus susceptibles d’intervenir implicitement dans la relation initiale. L’orientation

vers des études ponctuelles d’entreprises privatisées renforce l’hypothèse explicitement

formulée par Megginson et al. (1994). Selon cette hypothèse, si la privatisation semble

effectivement contribuer à un accroissement de performance, la question des mécanismes 227 Ce dernier objectif associé à la démarche qualitative s’inscrit alors plus globalement dans une logique abductiviste de production de connaissance conduite par une recherche qualitative. D’ailleurs, comme le reflète son titre, l’article de l’auteur relève de ce type de recherche qui vise la construction d’une théorie à partir de l’observation. A ce titre, Yin (1994, p. 14) remarque que l’étude de cas se différencie de la recherche qualitative. Contrairement à cette dernière, l’étude de cas s’appuie généralement sur un modèle théorique alors qu’une des conditions à satisfaire dans une recherche qualitative est d’éviter tout engagement préalable dans un modèle.

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215

par lesquels la privatisation agit n’est pas traitée par les études transversales. En particulier,

celles-ci ne peuvent fournir que très partiellement228, des réponses à l’observation des

restructurations qui précèdent la cession et à la question théorique sous-jacente des facteurs

explicatifs de la dynamique organisationnelle liée à la privatisation. Les études de cas

s’imposent alors comme l’approche instrumentale la plus pertinente pour expliciter les

liens intermédiaires entre privatisation et performance. En référence à la conclusion du

chapitre 2, ces études suggèrent un approfondissement des liens théoriques et par

conséquent, un retour sur la théorie initiale, comme le suggèrent les chapitres 3 et 4.

Ce constat relatif au renouvellement de la problématique de la privatisation en rapport

avec l’évolution méthodologique des travaux empiriques, illustre le processus scientifique

plus global de construction de la connaissance à partir d’un fait observé. L’adéquation

entre l’objet de la recherche et la problématique de terrain dans le processus de production

de connaissance renvoie à la question de la fonction scientifique du choix méthodologique

dans la conduite d’une recherche.

1.2. Processus scientifique et nature de la connaissance

Comme nous l’évoquions dans l’introduction de ce chapitre, quelle que soit la manière

(inductive pure ou déductive) de la réaliser, la tâche scientifique repose sur un processus de

va et vient entre explications (ou prédictions) théoriques et faits. En ce sens, la démarche

scientifique repose sur la construction de concepts et de leurs relations en rapport avec les

faits réels. En référence à la citation de Popper, le développement de la théorie provient

alors du dépassement qu’elle permet par rapport aux faits dont elle provient. Une lecture de

cette démarche globale, transposée dans le champ de recherche plus spécifique des

organisations, notamment celui de la TPA, a été proposée par Wirtz229 (2000, p. 173) sur la

base du questionnement méthodologique soulevé par Jensen (1983). Ce dernier considère

que la production de connaissances suit un processus séquentiel et dynamique. Il nous

paraît intéressant de reprendre la vision du processus scientifique présentée par Jensen,

notamment dans le contexte de la TPA (1983, p. 336-337).

228 pour les plus récentes d’entre elles. 229 L’auteur propose une lecture du processus scientifique en quatre phases (formulation de la problématique par tautologies et observations partielles, génération d’une théorie explicative, test et rétroaction par élimination ou amélioration).

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216

« Au risque d’être trop simplificateur, le processus idéal consiste en une utilisation des

définitions de l’agence, de la tautologie de la minimisation des coûts […] et d’un sous-

ensemble de structures contractuelles réelles afin de développer des propositions sur les

aspects importants de l’environnement et de la technologie de contrôle et de mise en œuvre -

autrement dit, afin d’en déduire une théorie qui soit concordante avec ces contrats. En cas de

succès, cet effort procure un cadre qui peut être manipulé pour produire des propositions

positives supplémentaires non-évidentes, c’est-à-dire des hypothèses. La confrontation de ces

propositions avec des données non utilisées auparavant ou non connues constitue un test de la

théorie. Si ces données ne concordent pas de manière substantielle avec les prédictions, la

théorie est alors révisée ou remplacée par une alternative et le processus continue. Voici le

processus scientifique »(NT230).

Ainsi, la construction théorique est graduelle, composée d’une période exploratoire (I)

et d’une période confirmatoire (II). En ce sens, elle consiste en une confrontation des

différents blocs constitutifs d’une théorie en développement, à deux périodes de tests sur

des faits observables distincts d’une période à l’autre. Les résultats de ces tests successifs

influencent la cohérence et la concordance des différentes composantes d’une théorie.

D’une part, un premier test concerne la cohérence globale231 des fondements de la théorie

émergente avec une première observation des faits. Ce test de cohérence porte ainsi sur les

tautologies et définitions sur lesquelles est fondé le cadre analytique de la théorie naissante.

Dans cette perspective, Jensen considère que la TPA résulte entre autres, de la tautologie

suivante : « le comportement coopératif entre les êtres humains est envisagé comme un

problème de contractualisation entre des individus aux intérêts propres et divergents »

(NT232). Les coûts d’agence sont alors définis comme la somme des coûts liés à cette

contractualisation. Une seconde tautologie complémentaire, faisant appel au principe de

sélection naturelle renvoie à la problématique générale de la TPA. Ainsi, l’organisation qui

230 « At the risk of oversimplifying, the ideal process proceeds by using the agency definitions and the cost-minimizing tautology […] and a subset of the observed contract structures to develop propositions about the important aspects of the environment and the monitoring and bonding technology – that is, to derive a theory that is consistent with those contracts. If successful, that effort provides a structure that can be manipulated to derive additional non-obvious positive propositions, i.e., hypotheses. Confronting these propositions with previously unknown or unused data provides a test of the theory. If the data are substantially inconsistent with the predictions, the theory is then revisited or replaced with a new alternative and the process continues. This is the scientific process ». 231 Wirtz (2000) suggère, à l’appui de Boudon (1999) de considérer ce premier test comme un test de plausibilité, visant à évaluer simultanément, la cohérence des définitions produites avec les faits observés et l’acceptabilité de leurs hypothèses implicites sur des faits non observables, notamment liés au comportement de l’individu dans les sciences sociales. 232 « Cooperative behavior between human beings is viewed as a contracting problem among self-interested individuals with divergent interests » (Jensen, 1983, p. 332). A cette tautologie, l’auteur ajoute celles de la sélection naturelle et de l’existence du phénomène de concurrence, y compris au niveau des formes d’organisation (p. 332).

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perdure minimise ses coûts d’agence. D’autre part, le second test vise l’enrichissement de

la construction théorique, en soumettant les propositions construites après le premier test, à

une deuxième série d’observations. Ce test de concordance des propositions avec la réalité

permet alors, de valider ou de revoir certains blocs de la théorie.

Selon ce processus, dans une perspective similaire à Popper, une amélioration des

connaissances dépend de cette rétroaction des observations sur la formulation de la théorie.

Ainsi, la construction d’une théorie consiste en une mise à l’épreuve de ses concepts

fondateurs et de sa problématique, et des propositions qui en sont dérivées. Cette mise à

l’épreuve permet une corroboration partielle ou totale de la théorie qui peut conduire à une

révision de tout ou partie de ses blocs constitutifs. Bien que le processus soit continu, nous

pouvons situer la TPA dans cette seconde phase de développement, celle de la production

de propositions toujours plus améliorées sur le fonctionnement des organisations. Ainsi,

comme le souligne Jensen (p. 336), il convient de « traiter les résultats des précédentes

études plus comme un ensemble d’hypothèses relativement non testées que comme une

théorie correctement testée qui perdurerait » (NT233). Au sein de ce programme de

recherche, la TGP peut être interprétée comme un des blocs constitutifs de la TPA dont le

stade de développement nous paraît plus récent. Suite à l’écart observé dans les études sur

la gouvernance, entre le modèle initial et les spécificités nationales notamment, la TGP

résulte à notre avis, d’un retour sur les définitions propres à la problématique de la

gouvernance actionnariale. Nous positionnons la TGP dans la première phase du processus

scientifique, soit le stade d’émergence d’une théorie partiellement éprouvée. A l’instar de

la lecture proposée par Wirtz (Op. cit., p. 173) du processus scientifique selon Jensen, nous

présentons un schéma du processus scientifique dans le contexte particulier du champ de

recherche des organisations. Ainsi, en positionnant la TPA et la TGP dans une approche du

processus scientifique centrée sur deux stades de la construction théorique, le schéma

suivant reprend les fondements théoriques sur lesquels repose notre propre modèle.

233 « […] to treat the results of the early studies as more like a set of relatively non-tested hypotheses than a well-tested and surviving theory ».

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Schéma 7 : Stade exploratoire (I) et stade confirmatoire (II) du processus scientifique et

positionnement de la TPA et TGP

(I) (II)

Ainsi, si le choix méthodologique d’investigation empirique est essentiel dans le

processus scientifique c’est précisément parce que l’observation qui en découle détermine

le type de connaissance à laquelle la démarche scientifique permet d’accéder. Autrement

dit, l’interaction entre théorie et faits sur laquelle repose le processus scientifique, peut

conduire à une production de connaissance dont la nature peut varier selon les choix

méthodologiques, l’objet de la recherche et leur adéquation. Dans cet esprit, la question de

la privatisation peut conduire à une connaissance généralisable sur les effets de la

privatisation sur la performance ou à une connaissance acceptable et cohérente donc

plausible, sur les processus par lesquels la privatisation modifie effectivement la

performance234. La privatisation, considérée comme un phénomène majeur de l’histoire

économique mondiale a suscité un vif intérêt sur les facteurs de performance des deux

types de propriété qu’elle met en jeu. Une explication théorique fondée sur les premiers

apports de la théorie des droits de propriété, et la théorie du Public Choice a conduit à des

arguments favorables à l’hypothèse de la propriété comme facteur de performance. Mais le

manque de significativité de certains résultats235, et l’évolution méthodologique que nous

avons mis en évidence témoignent des écarts constatés entre les prédictions théoriques et

les observations.

En ce sens, notre problématique de recherche résulte d’une révision de la problématique

de la privatisation développée dans la littérature. L’origine de notre travail se situe donc au

niveau de la phase confirmatoire dont sont issus les travaux et tests de concordance

analysés en première partie. Le développement de notre question de recherche s’inscrit

234 selon respectivement que l’on choisi d’observer les conséquences sur la performance sur un échantillon représentatif ou la dynamique sous jacente dans quelques cas. 235 La non-significativité porte sur des résultats liés notamment à l’accroissement de performance après privatisation ou à la différence de performances des entreprises publiques et privées.

Révision globaleTGP

Observation des faits Observation des faits

Tautologies

Définitions

Contrôle de plausibilité

Propositions théoriques

Contrôle de concordance

Révision partielle

TPA

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219

quant à lui, dans la phase exploratoire. Il consiste en une contribution au développement de

la TGP à partir de la construction d’une série de propositions relatives aux processus

organisationnels induits par la privatisation sur la base du cadre analytique existant de la

TGP. En soumettant notre modèle au contrôle de plausibilité sur deux cas de privatisation,

nous espérons obtenir des résultats favorables à l’enrichissement de ce cadre analytique.

Soit parce qu’ils présenteront une certaine cohérence des propositions avec les faits, soit

parce qu’ils conduiront à revoir les propositions elles mêmes ou certains de leurs

fondements et par conséquent, le cadre de la TGP.

Pour résumer, cette vision du processus scientifique repose sur un processus de

génération, par un fait observé, d’une théorie visant à l’expliquer et du test de celle-ci par

d’autres faits. La concordance de la prédiction avec la situation observée conduit à un

retour sur la plausibilité de ses fondements ou à une révision de ses propositions. C’est

dans cette phase d’exploration de la démarche scientifique que s’inscrit notre propre

réflexion sur les processus induits par la privatisation à différents niveaux de l’architecture

de l’organisation. La validité des résultats de cette recherche et par conséquent, sa portée

dépendent de la qualité scientifique de cette démarche. En raison des particularités de notre

choix méthodologique, nous consacrons la section suivante à quelques remarques sur les

précautions méthodologiques qu’impose le contrôle de plausibilité par l’étude de cas.

Section 2 : Investigation empirique et sécurité scientifique : les particularités de

l’étude de cas

L’adéquation d’une question de recherche, fondée ici, sur les processus d’évolution

organisationnelle, avec la problématique de terrain (notamment l’étude de cas) constitue

une condition nécessaire à la démarche scientifique. Toutefois, la réflexion sur la fonction

scientifique du choix méthodologique pour parvenir à une connaissance objective236 doit se

poursuivre à travers la construction et l’exploitation d’outils qui permettent d’exposer

l’analyse à la critique de la communauté scientifique. Dès lors, la réflexion

méthodologique consiste, à s’assurer de la réfutabilité des propositions théoriques par

rapport à l’objet étudié. Ainsi, le choix d’une méthode d’investigation de terrain doit

conduire à la mise à disposition du lecteur, du matériel empirique exploité afin de

permettre à ce dernier d’exprimer un jugement indépendant sur la conduite du contrôle 236 Pour reprendre le titre de l’ouvrage de Popper (1979).

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effectué (contrôle de plausibilité ou de concordance). Ainsi, la sécurité scientifique d’une

recherche repose essentiellement sur la qualité de la logique argumentaire théorique et

empirique présentée par le chercheur.

Lorsqu’une investigation empirique repose sur des données quantitatives soumises au

traitement par inférence statistique, la qualité de la recherche empirique est par nature,

relativement maximisée. En effet, la sécurité scientifique de l’analyse et des conclusions

émises est potentiellement garantie puisque l’investigation et ses résultats reposent sur des

données et sur un outil de traitement qui limitent les biais de collecte et d’interprétation.

Dans le contexte particulier d’une investigation par étude de cas, la démarche repose

majoritairement sur des données qualitatives abondantes (2.1). Leur nature confère

certaines faiblesses à la méthode de l’étude de cas. L’analyse qualitative des données

sollicite en effet, un effort important d’interprétation afin de lier les observations aux

propositions. En ce sens, l’étude de cas expose le chercheur à un risque de subjectivité au

cours du processus d’investigation empirique. Le choix d’une telle méthode nécessite de la

part du chercheur, quelques précautions afin d’assurer la validité des résultats que cette

méthode permet d’obtenir. En contrepartie de ce traitement qualitatif qui permet d’entrer

au cœur des processus, il est donc nécessaire de retranscrire la démarche suivie de la

collecte des données jusqu’aux conclusions afin d’assurer la validité de l’étude (2.2). Dans

cette optique de « mise en risque » du travail, la définition et l’application d’un guide

(protocole) de recherche permet d’exposer à la critique, le modèle logique mis en œuvre

pour passer des observations aux propositions puis aux résultats. Le design de recherche

permet ainsi, au lecteur de remonter des résultats vers les preuves empiriques et au

chercheur, d’assurer une mise à l’épreuve sincère de ses schémas explicatifs.

2.1. Nature des données et objet du problème étudié

Dans la section précédente, nous avons montré que l’étude de cas constitue une stratégie

de recherche empirique adaptée à des questionnements sur les interactions plus ou moins

implicites liées à un phénomène. Son opérationalisation consiste tout d’abord à

sélectionner un cas pertinent c'est à dire qui présente un potentiel illustratif intéressant.

Dans une approche transversale, le critère de choix des données repose sur la construction

d’un échantillon qui soit représentatif de la population étudiée. En revanche, dans une

approche qualitative, l’analyse approfondie de quelques cas seulement renonce par nature

au critère de représentativité statistique au profit d’un autre critère de représentativité des

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faits qu’on cherche à explorer. Ainsi, la sélection se fait en recherchant le(s) cas pour

lesquels les processus que l’on cherche à expliquer sont les plus marqués. La stratégie

consiste donc à identifier les cas réels les plus « transparents » qui concernent notre

problématique, selon une ou (si possible) plusieurs de ses dimensions. En ce sens, il s’agit

également d’un critère de représentativité mais cette représentativité est de nature

théorique plus que statistique (Eisenhardt, 1989, p. 537)237.

Le cas sélectionné doit permettre également d’accéder à de multiples sources de

données (entretiens, documents, questionnaires, observations, etc.). Toutefois, rappelons

que la pertinence de l’étude de cas pour la problématique de terrain de certaines questions

de recherche réside dans l’aptitude de ces données à traduire des concepts et des

propositions théoriques non quantifiables. Dans le cadre de notre problématique de

recherche, nous avons proposé de définir la privatisation comme un processus de

décentralisation des droits décisionnels. La mesure de ce concept et des liens proposés par

le modèle suggère une investigation empirique dans le sens d’une collecte de données

qualitatives. Ainsi, la traduction empirique du processus de privatisation et de ses effets sur

le processus décisionnel est susceptible d’être menée à partir d’entretiens et de documents

textuels relatifs à la structure décisionnelle de l’entreprise et à son changement. La

combinaison de différentes méthodes de collecte de données permet ainsi de mettre en

relation les explications théoriques ne pouvant faire l’objet d’une mesure numérique et les

faits observés. Dans le cadre d’une analyse des relations complexes d’un phénomène, les

données qualitatives permettent d’identifier l’origine d’un processus et son déroulement. A

partir de multiples indices, elles permettent ainsi d’établir un ou plusieurs liens entre la

naissance d’un phénomène et ses stades d’évolution. En ce sens, l’analyse qualitative

permet de mettre en évidence les relations examinées et leurs causes (Miles et Huberman,

1991, p. 31). Les données qualitatives fournissent le matériel empirique du contrôle

d’acceptabilité et de cohérence de ces relations par nature complexes. Notons en revanche,

qu’une réplication de cette démarche à d’autres cas participerait au contrôle de

concordance propre à la phase confirmatoire d’une théorie. Ici, une exploration des effets

de la privatisation sur la performance peut être conduite à partir de notre modèle des liens

intermédiaires entre la décentralisation décisionnelle, la dynamique des mécanismes de

gouvernance et le niveau de valeur partenariale appropriable qui en découle. Rappelons

237 Yin (1994, p. 45-48) développe également cet aspect de la représentativité dans le cadre plus spécifique de la réplication de l’étude de cas que nous aborderons dans la sous-section suivante.

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d’ailleurs, que notre propre travail concerne la phase exploratoire dans le processus

scientifique et vise ainsi à produire une connaissance acceptable de ces liens.

D’une manière générale, la liaison établie entre les données qualitatives et les

explications théoriques des processus permettent un examen de la manière dont les

différents composants d’un phénomène s’organisent dans le temps. L’étude de cas se

traduit par conséquent, par une mise en relation ordonnée des faits observés, sur un horizon

pertinent par rapport au problème étudié.

Cette richesse d’informations produites lors d’une étude de cas génère en contrepartie

des problèmes de sélection et d’interprétation rigoureuse des données. L’approche

empirique qualitative soumet le chercheur à un effort soutenu de rigueur scientifique afin

d’exploiter le plus fidèlement possible le matériel factuel. En ce sens, l’analyse de données

qualitatives peut être perçue comme « une approche quasi-magique, […] sous prétexte

qu’elle est idiosyncratique, incommensurable et artistique… » (NT, Miles et Huberman,

Op. cit., p. 33). En conséquence, l’investigation empirique qui privilégie les données

qualitatives pose la question de la validité de la construction et de l’exploitation de ce

matériel empirique notamment lors d’une étude de cas. La qualité de celle-ci dépend en

définitive des mesures de protection mises en place lors de l’élaboration de la stratégie de

recherche.

2.2. Logique argumentaire du design de recherche : la validité empirique et la

plausibilité théorique

Dans leur recueil de nouvelles méthodes propres à l’analyse de données qualitatives,

Miles et Huberman (Op. cit., p. 28) rappellent un problème essentiel auquel est confronté

tout chercheur souhaitant pratiquer une telle analyse. Les auteurs constatent ainsi une

faiblesse à laquelle l’étude de cas n’échappe pas, « l’absence relative de canons, de règles

de décisions et de procédures admises et même de toute heuristique commune pour

l’analyse de données qualitatives » (NT). De là, les auteurs proposent une démarche

méthodologique de sorte que l’analyse qualitative puisse assurer au processus analytique

une structure et une formalisation susceptibles de rendre la démarche explicite et donc

crédible238. En référence à ces auteurs, la démarche d’analyse correspond à une stratégie

analytique en trois composantes (réduction des données, représentation des relations

238 Nous présenterons dans la section suivante l’application de cette démarche d’analyse aux deux études de cas que nous avons conduites.

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empiriques et déduction des résultats)239. Dans le contexte spécifique de l’étude de cas,

cette stratégie contribue à garantir la validité du matériel empirique et de son exploitation

(validité interne). Sa qualité influe sur la validité du test de plausibilité de la théorie.

La validité interne des données dépend du degré de confiance en nos données. Leur

recoupement à partir de différentes sources accroît ce degré de confiance et par

conséquent, la solidité de notre matériel empirique. Cette triangulation des sources limite

l’incertitude des données recueillies et assure un certain niveau d’exhaustivité. Mais elle

nous expose aussi à une abondance d’informations. L’analyse consiste par conséquent, à

réduire les données collectées. Cette procédure de sélection des informations est

généralement240 encadrée par les propositions théoriques. En effet, ces dernières

constituent un filtre essentiel pour mettre en relations les liens conceptuels et les faits

expliqués. En premier lieu, ce filtre consiste à définir et à attribuer un code par catégorie

théorique (concepts et niveaux de relations) du cadre conceptuel. En second lieu,

l’application du filtre consiste à codifier le corpus textuel issu de la collecte. Cette phase de

réduction des données permet ainsi d’établir les relations empiriques de la grille théorique,

en même temps qu’elle approfondit la pertinence des données. La séparation entre la base

de données brutes et la base de données réduites répond plus essentiellement au souci de

maintenir la chaîne de preuves, de sorte que les liens faits par le chercheur entre les

propositions et les observations soient repérables par un observateur indépendant. Comme

le souligne Yin, Op. cit., p. 95) « de cette manière, une base de données d’étude de cas

augmente sensiblement la robustesse de l’étude de cas tout entière »(NT241). En

conséquence, cette procédure de réduction des données marque une étape cruciale du

processus de test de plausibilité de la théorie.

De là, ce repérage des catégories théoriques au niveau des données doit faire l’objet

d’une représentation à partir d’outils adaptés dont l’éventail est notamment présenté dans

l’ouvrage de Miles et Huberman (Op. cit.)242. En organisant les données codifiées, ce

repérage aide à l’identification des inférences théoriques à partir des modalités empiriques.

239 Rappelons que cette conception stratégique de la démarche d’analyse qualitative est aussi partagée par Yin qui consacre le propos essentiel de son ouvrage à la démarche stratégique que représente l’étude de cas. 240 Comme le précise Yin (1994, p. 103-105), une stratégie analytique de description des données peut être une alternative lorsqu’il n’existe pas de propositions théoriques initialement. 241 « In this manner, a case study database markedly increases the reliability of the entire case study ». 242 Selon les préoccupations du chercheur, les données codifiées peuvent être ensuite rassemblées par thèmes au sein de différents types de matrices (chronologique, explicative, etc.) ou tableaux de synthèse.

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224

Cette représentation constitue la base d’interprétation des flux de causalité examinés. A

titre d’exemple, une question de recherche qui porte sur les processus doit conduire à

l’identification et à la représentation des différentes étapes de ce(s) processus et des

niveaux d’analyse théorique correspondants. Ainsi, un schéma processuel constitue un

outil qui nous paraît pertinent pour représenter les étapes de la privatisation aux différents

niveaux de l’AO et leur agencement dans le temps. Cette seconde phase de l’analyse

qualitative permet la déduction logique des résultats de l’investigation. Il convient en effet,

d’apprécier la cohérence entre les propositions et les relations empiriques décrites dans la

précédente phase, ainsi que l’acceptabilité de la grille théorique sous-jacente. Cette

troisième composante de la stratégie d’analyse qualitative représente la phase finale du test

de plausibilité. Nous proposons une lecture de ce processus de test de plausibilité à partir

du schéma suivant.

Schéma 8 : Le processus du test de plausibilité d’une théorie émergente dans le processus scientifique

Cette mise en liens des données empiriques avec les propositions et la grille théorique

suit une séquence logique qui forme le design global de la recherche (Yin, 1994, p. 19-20).

Il se reflète dans l’élaboration d’un protocole de recherche qui entame toute démarche

d’investigation empirique rigoureuse243. Ainsi, le design de recherche commence

nécessairement par une préparation du travail empirique. La constitution d’un guide peut

aider le chercheur tout au long de l’investigation. Pour Yin (1994, p. 65), l’élaboration

d’un protocole permet de préparer la conduite de l’étude de cas en spécifiant notamment

les objectifs généraux de l’investigation, les sources potentielles d’informations, les

questions qui conduiront la collecte de données (réduisant ainsi les risques de collecte

243 Nous pourrions le qualifier de guide pratique de la démarche d’investigation, tant théorique qu’empirique, les deux étant interdépendants.

…tautologie définitions…

Réduction des données

codification concepts /liens

codification données brutes

propositions

terrain

données brutes

Analyse sur données réduites

description des liens

empiriques

déduction logique /questions de

recherche

Résultat de

plausibilité

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inopportune) ainsi que la configuration générale du compte rendu à venir de l’étude. Celle-

ci permet d’anticiper les thèmes du rapport final en prévoyant aussi les sources qui

pourront s’y référer au cours de l’étude. Cette phase pratique nous paraît essentielle,

notamment parce que ce protocole permet de préparer les entretiens. Il peut même être

construit à ce moment et évolue au cours du temps, à mesure que les données sont

collectées et progressivement traitées. Compte tenu de la multitude d’informations que

permet d’obtenir une étude de cas, toutes, aussi intéressantes soient-elles, ne relèvent pas

nécessairement ou significativement de la problématique. Le protocole constitue en ce sens

une table d’orientation, comme celui que nous avons mis en place et régulièrement

consulté et adapté au cours de l’investigation (Annexe 7 : structure globale de notre

protocole).

En définitive, ce processus rigoureux d’investigation caractérise les différentes

composantes du processus de la recherche. Au cours de celui-ci interagissent les questions

de recherche et la grille théorique, le cas étudié, la liaison logique entre données et

propositions et les critères d’interprétation des résultats. Le design de la recherche permet

de relater la mise en liens entre le terrain et son explication théorique. Construite sur des

procédures formalisées, l’analyse qualitative favorise alors la transparence des liaisons

établies. Comme nous le relevions au début de ce développement, cette démarche

méthodologique globale permet de renforcer la validité de ce type données. En définitive,

la sécurité scientifique dans le contexte de l’étude de cas peut être potentiellement assurée

par cette traçabilité du processus analytique.

Enfin, l’attention particulière portée à la rigueur de la démarche d’investigation par

étude de cas a deux implications méthodologiques plus larges. Ces implications

complémentaires sont relatives notamment au devenir de la théorie émergente testée dans

le processus scientifique dont relève également l’étude de cas. Tout d’abord, la logique

argumentaire explicite de la démarche d’analyse qualitative constitue une base fiable pour

l’exposer à des réplications futures par le chercheur lui-même ou par d’autres. Dans le

cadre de la poursuite du processus scientifique de la grille théorique, la séquence

exploratoire à laquelle se rattache l’étude de cas doit permettre une généralisation de ses

résultats. Ainsi, le développement du cadre conceptuel peut se poursuivre à travers une

amélioration de sa validité externe, par confirmation ou amélioration de sa cohérence

interne (Yin, 1994). Dans cet esprit, la remarque du biologiste Gould (2000, p. 195) trouve

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ici une certaine résonance à la suite de Popper (1979) : « Les données permettent de se

prononcer sur les théories, mais ces dernières font surgir aussi les données »244. A ce titre,

nous pourrions ajouter à la remarque faite par Wirtz (2000, p. 184245) que la démarche

méthodologique de l’étude de cas offre un potentiel de « généralisation analytique par

opposition à la généralisation statistique » en cherchant une représentativité théorique par

opposition à la représentativité statistique. En corollaire, la sécurité scientifique du

processus analytique associé à l’étude de cas (validité des données et exposé explicite des

étapes du processus de contrôle de plausibilité) implique également une exposition

nécessaire à la critique de sorte que la théorie puisse effectivement évoluer afin de faire

« surgir » d’autres données.

En ce sens, le design de recherche est à la fois l’expression de la mise à l’épreuve de la

théorie et le support de la mise en risque de ce même travail face à la critique. Il repose sur

l’utilisation et le développement par le chercheur, d’outils d’analyse et d’instruments de

maintien de la chaîne de preuves de sorte que sa réplication et celle du cadre conceptuel

testé soit possible. A partir de ce cadre méthodologique général propre à l’étude de cas,

nous présentons dans la section suivante notre propre design de recherche. C’est à partir de

cette séquence logique d’investigation empirique que nous avons réalisé deux contrôles de

plausibilité du modèle des relations de la privatisation avec l’AO.

Section 3 : Conduite de la recherche qualitative sur la privatisation d’Air France et

de DSM

L’exposé de notre propre démarche d’investigation qualitative répond aux deux

questions essentielles traitées par le questionnement méthodologique précédent. En

référence à ce dernier, deux points doivent être abordés pour répondre aux exigences de

sécurité scientifique lorsqu’on aborde la phase de test d’une théorie au cours de son

processus d’élaboration et de développement. Ces exigences relèvent des modalités du

contrôle de plausibilité d’un cadre théorique qui s’intéresse notamment aux processus

organisationnels et de sa validité. La première question à laquelle nous répondons ici est

donc celle des raisons méthodologiques qui ont motivé notre choix pour l’étude de cas et

244 Ainsi, comme le relève l’évolution méthodologique du test de la théorie de la propriété, celle-ci conduit à analyser de nouvelles variables. Leur traduction empirique nécessite le recours à un nouveau type de données, notamment qualitatives et rattachées aux processus organisationnels impliqués lors de la privatisation. 245 dans les termes de Yin (1994).

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en particulier pour l’étude d’Air France et de DSM (3.1). La seconde question traitée est

relative à la procédure que nous avons engagée pour mettre en œuvre l’examen de

cohérence des liens entre privatisation, processus décisionnel, GE et valeur partenariale.

Elle concerne l’élaboration du matériel empirique (base de données brutes) (3.2) et son

exploitation (base de données réduites et méthodes d’analyse) (3.3).

3.1. Air France et DSM, un potentiel illustratif intéressant pour l’examen

empirique de notre modèle

Comme notre section précédente l’a démontré, le choix de l’étude de cas est en fait un

choix stratégique de recherche. Ce choix résulte d’une mise en adéquation entre la

problématique et la nature des connaissances à laquelle nous souhaitons parvenir sur le

terrain. Or, notre question de recherche sur la privatisation et l’AO nous conduit à nous

interroger sur les caractéristiques de la privatisation et les mécanismes mis en jeu au sein

de l’entreprise. Elle s’inscrit dans le cadre d’une appréciation du pouvoir explicatif de la

TPA et de la TGP pour comprendre la dynamique organisationnelle dans le contexte

spécifique de la privatisation. Plus précisément, notre recherche tente de mettre en relation

l’origine de la privatisation (qui reste à identifier246) et ses stades d’évolution au niveau

organisationnel. Son examen empirique relève ainsi de l’observation de faits difficilement

chiffrables, relatifs aux processus organisationnels, donc de nature majoritairement

qualitative. Dans cet esprit, la connaissance à laquelle nous pouvons prétendre accéder est

conforme à notre questionnement sur la privatisation, à l’issue de l’ambiguïté des résultats

empiriques que nous avons analysés dans la littérature. Comme nous le signalions dans la

section précédente, nous espérons, à travers l’exploration de cette question des processus

organisationnels dans le contexte de la privatisation, tester nos propositions théoriques. En

ce sens, nous espérons parvenir à une connaissance acceptable des processus

organisationnels qui caractérisent le déroulement de la privatisation à partir d’un contrôle

de cohérence avec les faits. Dans cette perspective, l’investigation empirique nécessite un

choix méthodologique pour une approche qualitative de la relation empirique de nos

propositions dans le contexte d’une entreprise particulière.

246 Comme le suggère notre modèle, la privatisation semble dépasser la simple mise sur le marché des titres de propriété publique et dissimule a priori un processus complexe au niveau de la dynamique organisationnelle.

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En définitive, la méthode de l’étude de cas telle que nous l’avons exposée plus haut

s’impose comme une alternative méthodologique pertinente par rapport aux travaux

existants et au renouvellement de la problématique tel que nous l’avons présenté dans la

partie précédente. Ainsi, à l’issue de l’étude d’un ou plusieurs cas, nous pourrons

logiquement apporter quelques éléments de réponse à la question posée par notre modèle.

Est-ce que la privatisation consiste dans les faits, à décentraliser les étapes du processus

décisionnel en même temps qu’elle favorise un système de gouvernance mixte plus ou

moins favorable aux différents partenaires, mais qui, d’après la TPA, devrait conduire à

une efficience de second degré plus grande247 ? Toutefois, pour que cette connaissance soit

objective, il est nécessaire de procéder à une sélection pertinente des cas et de définir

ensuite, un design de recherche à partir duquel nous pourrons explorer les liens proposés.

La sélection d’un objet d’analyse doit répondre avant tout au critère de représentativité

propre à l’étude de cas. Comme nous le relevions dans la sous-section 2.1,

l’échantillonnage théorique consiste à identifier le(s) cas le(s) plus probants, dont les

caractéristiques laissent transparaître les processus théoriques248. En ce sens, notre cadre

conceptuel oriente le choix du cas à étudier. A ce titre, rappelons que notre cadre théorique

sous-entend une forme organisationnelle publique théorique extrême. Il nous conduit par

conséquent à repérer les entreprises privatisées pour lesquelles l’AO publique a conduit à

de fortes modifications lors du processus de privatisation. Ainsi, dans le contexte français,

les deux vagues de privatisation (en 1983 puis 1993) ont respectivement touché les

entreprises nationalisées dans les années quatre vingt et les monopoles. Dans la mesure où

nous cherchons à repérer les changements de son AO, il paraît plus prometteur pour le test

de plausibilité de retenir dans la mesure du possible, une entreprise publique fortement

marquée par l’influence des pouvoirs publics sur sa gestion. Le choix d’une entreprise

privatisée doit être guidé, à l’image de la représentation théorique que nous avons choisie

de l’entreprise publique, par l’ampleur de la dynamique organisationnelle sous-jacente à la

privatisation. Or cette ampleur semble a priori plus forte dans le cas d’une entreprise

publique par nature (dont la vocation participe de l’intérêt national) que dans le cas d’une

entreprise nationalisée dont la vocation est indépendante de l’intérêt public. Mais cette

distinction dans le cas français reste relativement floue en raison de l’interventionnisme

247 Précisons que notre modèle concerne les organisations complexes. 248 Eisenhardt (1989, p. 537) parle de cas extrêmes dont les processus analysés sont « observables de manière très transparente » (« choose cases such as extreme situations and polar types in which the process of interest is transparently observable »).

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229

important des pouvoirs publics notamment depuis la seconde guerre mondiale et la crise

pétrolière de 1973249. Ainsi, certaines entreprises d’origine privée ont été nationalisées au

cours d’une de ces deux périodes, voyant l’Etat jouer un rôle important dans le processus

décisionnel (SNCF, Air France, Usinor). Cependant, ce contexte français particulier laisse

la possibilité de voir dans les entreprises privatisées un certain éventail de choix pour notre

étude notamment grâce à d’autres critères de sélection susceptibles de l’affiner.

Si le cas à étudier doit offrir un potentiel illustratif intéressant en soulignant les

processus mis en jeu lors de la privatisation, il doit aussi pouvoir intégrer le rôle des forces

de marché dans la dynamique organisationnelle, en parallèle à la logique de la

privatisation. Notre choix doit par conséquent s’orienter vers une entreprise publique au

sens fort qui en outre a pu connaître une dérégulation sectorielle. Ainsi, les entreprises en

situation de monopole ayant fait l’objet d’une ouverture du capital250 sont susceptibles de

mettre en exergue les liens entre privatisation, système de gouvernance - dont le rôle

spécifique des forces de marché - et la valeur partenariale.

Enfin, à ces deux critères de représentativité théorique, ajoutons à la sélection du cas à

étudier le critère temporel. En effet, l’étude des processus organisationnels sous entend une

période d’étude suffisamment longue pour apprécier l’intégralité du déroulement de

privatisation et suffisamment récente pour pouvoir capter les changements le plus

fidèlement possible à leur réalisation, minimisant ainsi les biais de mémoire ou en évitant

l’absence de sources qualitatives pour la période concernée. Il convient donc d’arbitrer

entre le caractère à la fois récent et avancé du processus de privatisation sous contrainte

des deux premiers critères de représentativité théorique. Compte tenu de ce cadre de sélection de l’étude de cas, nous nous sommes intéressé à la

privatisation d’Air France dont les spécificités ont permis de répondre, de manière assez

surprenante aux critères de représentativité théorique et au critère temporel. En effet, par

rapport au critère de représentativité théorique, la compagnie aérienne, née de la fusion de

quatre compagnies privées de l’aviation civile en 1933251, en même temps que se

249 Précisons à ce sujet que cette spécificité française remonte au 17ème siècle, sous l’influence de Colbert dans de nombreux domaines de l’activité économique nationale. 250 Rappelons que l’ouverture du capital est la forme la plus forte de privatisation. C’est celle-ci que nous avons retenu pour l’élaboration de notre modèle théorique. 251 A l’initiative du Ministre de l’Air de l’époque, dans un contexte de crise internationale économique et diplomatique, cette fusion répondait à la nécessité de créer une compagnie d’aviation civile nationale, susceptible d’être réquisitionnée par l’Etat. Air France est alors une société privée détenue à 25% par l’Etat, 40% par l’ancienne compagnie Air Orient, dont le président devient celui d’Air France en même temps qu’il est gouverneur général d’Indochine, 20% pour l’ancienne Air Union, 8% et 7% pour respectivement, la SGTA et la CIDNA (Autier et al., 2001, p. 16-17)

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230

développe le secteur du transport aérien252, devient progressivement une véritable

entreprise publique dans un contexte de guerre. La société devient par décret en 1935,

« société d’économie mixte, subventionnée soumise au contrôle de l’Etat » puis

réquisitionnée pendant la seconde guerre mondiale par les différents pouvoirs successifs en

place. En 1941, une nouvelle loi sur le statut de l’aviation marchande transforme la

compagnie en concession, finalisée en 1942 par une convention entre l’Etat et Air France.

C’est sous le gouvernement provisoire du Général De Gaulle que la compagnie devient

entreprise publique, par l’ordonnance du 26 juin 1945. Toutes les actions sont transférées à

l’Etat français à l’exception de 3% du capital détenu par l’Etat tchécoslovaque. Ainsi ce

cas, dont les premières années ont été particulièrement agitées, illustre de manière originale

la naissance d’une entreprise publique, de nouveau opérationnelle après la seconde guerre

mondiale, en 1946. Incarnant « les ailes de la France »253, ce cas souligne l’importance de

L’Etat dans le développement de la compagnie nationale à travers une succession de

contrats de plan254 et encore très récemment, avec la recapitalisation de 20 milliards de

francs, en 1994, la deuxième du secteur public français, après celle du Crédit Lyonnais.

L’ouverture partielle du capital en 1999 confère à la société le statut de numéro 1 national

de l’actionnariat salarié, avec 11% du capital détenu. Outre, le caractère public marqué de

l’entreprise, le développement s’est fait dans un contexte sectoriel également en phase de

démarrage. Progressivement, la concurrence devient très réglementée tant au niveau des

passages dans l’espace aérien national255 qu’au niveau de la régulation des prix, des

fréquences et des capacités de vols, des normes techniques et de la régulation du trafic

aérien256. La dérégulation du secteur du transport aérien européen entamée en 1987, puis

finalisée en 1997, vient modifier les règles du jeu de la compagnie dans un environnement

international de plus en plus concurrentiel.

252 Entre 1918 et 1922, ce sont plus d’une quinzaine d’entreprises de transport aérien qui sont créées en France, conduisant l’Etat français à réguler le secteur sur son sol, via le ministère de la guerre, par la création d’un service de navigation aérienne. Ce secteur, en plein essor dans les années vingt, nécessite en moyenne un taux de subvention publique de 75% des ressources, faisant de ce secteur une industrie lourde. 253 Citation de F. Reichenbach à B. Allali : « tout cela est magnifique, très français. Finalement Air France, ce sont les ailes de la France ». (Attali, 1994, p. 31) 254 Le premier est signé en 1978, les suivants sont entre autres, les plans de retour à l’équilibre (PRE et PRE2, en 1992 et 1993). 255 La Convention de Paris en 1919 définit la souveraineté nationale de chaque Etat sur son espace aérien. 256 La Convention de Chicago en 1944 harmonise les aspects juridiques et techniques du transport aérien international. L’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) encadre les normes internationales et l’échange entre pays de droits de trafic. Créée en 1919, l’association internationale des transporteurs (IATA, International Air Transport Association) est l’institution professionnelle au sein de laquelle les compagnies négocient collectivement les capacités, les fréquences et les tarifs avec l’accord des Etats.

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231

Concernant le critère temporel du choix du cas, il convient de définir une période

pertinente pour l’identification des étapes centrales du processus de privatisation et de ses

manifestations au niveau de l’organisation. Comme nous le relevions dans la première

partie, une des limites des analyses empiriques existantes257, réside dans l’étroitesse de la

période retenue pour l’analyse, en général de six ans (trois ans avant la cession des titres et

trois ans après). D’après le contexte historique du cas étudié, une période d’investigation

qui couvre essentiellement les 10 exercices258 qui ont précédé l’ouverture du capital nous

paraît suffisante, de sorte que l’on puisse observer une part représentative de la dynamique

organisationnelle qui précède cette cession partielle. La fenêtre d’analyse est donc [1990-

2001]. En effet, la prise en compte des quatre années de crise qui précèdent la

recapitalisation par l’Etat peut permettre une appréciation de son rôle au moment crucial,

lors de l’exercice 93/94, de la relance de l’entreprise et de l’évolution de son AO à partir de

cette renaissance d’Air France. Mais, la triangulation de certaines données bien antérieures

nous permet d’élargir cette période. Cette latitude nous a semblé indispensable, compte

tenu de l’histoire de l’entreprise et notamment de ses débuts. De cette manière nous

cherchons à identifier les indices susceptibles de nous informer sur les phases clés du

processus décisionnel d’Air France depuis ses débuts et les caractéristiques conjointes de

sa gouvernance. Cette stratégie d’extension de la période d’analyse nous est permise en

raison de la disponibilité de certaines données, comme nous le verrons dans la prochaine

sous-section.

Si notre modèle de la relation entre privatisation et AO est plausible, nous devrions

observer dans le cas d’Air France une évolution du processus décisionnel et des rapports de

la compagnie avec l’Etat. Ces éléments de l’AO devraient être de plus en plus favorables à

une décentralisation, simultanément à une restructuration du SGE et dans un contexte de

dérégulation sectorielle au niveau européen. Ce processus organisationnel devrait alors se

finaliser notamment au moment de l’ouverture du capital, conduisant à une évolution du

niveau de valeur appropriable par les différents partenaires dont les salariés, le dirigeant et

les clients devraient notablement bénéficier, à l’inverse des fournisseurs, compte tenu de la

dérégulation au niveau européen.

257 Outre le fait qu’elles soient quantitatives alors que la question des processus organisationnels doit être appréhendée pour aborder le problème de la performance des entreprises privatisées. 258 Dans le secteur du transport aérien, la norme fixe l’exercice comptable du 1er avril N au 31 mars N+1 afin de se caler sur les vagues touristiques. Air France redéfinit sa période d’exercice calée à l’origine sur l’année civile, à compter d’avril 1995. Ainsi l’exercice 1994-1995 court sur 15 mois de sorte que l’exercice 1995-1996 court du 01/04/1995 au 31/03/1996.

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232

Enfin, notons qu’à l’occasion d’un stage de recherche à l’Université Erasmus, au sein

du département de J. Groenewegen, nous avons eu l’opportunité de mettre en œuvre une

première réplication de notre modèle, à partir d’un cas de privatisation néerlandais. Ainsi,

une analyse complémentaire de la privatisation de DSM, nous a permis de tester à nouveau

la cohérence de notre modèle des liens entre privatisation et AO. Une application des

mêmes méthodes d’analyse que dans le cas d’Air France a pu être répliquée de sorte que le

contrôle de concordance de notre modèle soit fidèle à la procédure de test initial. La

pertinence de ce cas réside au niveau de sa représentativité théorique dans le contexte

national d’origine. Contrairement au contexte des privatisations françaises, les Pays Bas

ont une politique nettement plus restreinte en matière de privatisation. Ainsi, à celle de

l’entreprise chimique reconvertie après le déclin du secteur minier, s’ajoute la privatisation

de KLM, entreprise du transport aérien et les services postaux. N’ayant pu étudier la

privatisation de l’entreprise concurrente d’Air France259, KLM, nous nous sommes dirigé

vers l’entreprise publique du secteur de la chimie qui présente un passé public

particulièrement intéressant.

Créée au début du siècle par les pouvoirs publics néerlandais, l’entreprise publique

States Mines intervient sur les secteur d’extraction minière sur le sol national. Le stade de

maturité du secteur conduit les Mines d’Etat à se diversifier au profit croissant du secteur

du gaz jusque dans les années soixante, avec la volonté politique de confier à l’entreprise la

tâche publique de distribution du gaz dans le sud du pays. C’est en 1967 que l’entreprise

change d’appellation en même temps que de statut juridique puisque States Mines devient

Dutch States Mines N.V., l’équivalent d’une société anonyme privilégiant la cogestion via

une structure directoire et conseil de surveillance. Dès lors, les rapports entre les pouvoirs

publics à la Hague et la direction changent progressivement au profit de cette dernière

parallèlement à une orientation de l’activité vers le secteur concurrentiel de la chimie.

Trente ans après ce nouveau départ, l’ouverture du capital par vagues successives en 1989

puis 1996, amorce la phase finale de la transformation de l’entreprise publique en

entreprise privée telle que nous l’avons définie. Ce bref historique des étapes principales de

l’évolution de l’entreprise néerlandaise répond aux aspects essentiels de notre cadre

conceptuel tant au niveau du stade initial de la forme publique qu’au niveau du rôle des

259 Cette mise à l’épreuve dans le même contexte sectoriel aurait permis une première réplication dans les meilleures conditions pour contrôler à secteur comparable, la concordance de nos propositions. Toutefois, la plausibilité de notre modèle doit être appréciée par l’étude de cas quel que soit le secteur d’activité. En ce sens, DSM offre une opportunité dans cette démarche de réplication.

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forces de marché dans le développement de la firme. DSM N.V. dans le contexte

néerlandais constitue un cas critique de privatisation d’entreprise publique. Compte tenu des spécificités historiques de DSM et de la disponibilité des données260,

l’horizon temporel retenu pour étudier les processus organisationnels induits par la

privatisation est assez large. La fenêtre [1967 à 1998] intègre essentiellement le

changement juridique et les deux années d’ouverture du capital. Cette fenêtre d’analyse

centrale suit cependant une stratégie d’extension de la période analysée, comparable à la

stratégie que nous avons menée pour Air France. Ce cas, dont la privatisation est historiquement plus ancienne que la compagnie

française, illustre de nouveau, la nécessaire interaction entre le terrain et la définition ex

ante de la période d’analyse induite par le cadre conceptuel. Ainsi, comme nous le

développons dans la section suivante, la collecte des données nous a permis d’étendre la

période d’analyse dans les deux cas afin de rendre compte plus précisément, des processus

réels liés à la privatisation de ces deux cas. Le chapitre 6 est consacré à leur analyse et aux

résultats de ces deux phases de contrôle de plausibilité et de concordance de la grille

théorique du processus scientifique. Pour résumer, notre sélection s’est orientée sur deux cas marqués de privatisation. Nous

avons privilégié deux entreprises initialement publiques plutôt que nationalisées261 dont les

caractéristiques permettent d’accentuer les relations théoriques, de sorte que d’après notre

modèle, leur processus décisionnel et leur système de gouvernance soient remis en cause

par la privatisation. Le premier cas français, retrace les processus organisationnels mis en

jeu par la privatisation d’Air France. Il offre le matériel empirique du test de cohérence de

notre modèle des liens entre privatisation, et AO. L’autre cas, DSM a marqué l’histoire du

secteur public néerlandais. Il offre un matériel empirique constitué dans le respect du

design de recherche précédent afin d’apprécier de nouveau la plausibilité de nos

propositions262. Ce cas de privatisation permet ainsi une première réplication de la

démarche analytique qualitative pour le test de concordance de notre modèle.

260 L’obstacle de la langue a contraint notre sélection des sources écrites. Les premiers rapports disponibles en anglais apparaissent en 1986. En revanche, l’entretien mené avec un ancien cadre dirigeant dont l’intégralité de la carrière s’est faite au sein de l’entreprise, nous a permis de recueillir des informations antérieures significatives par rapport au changement juridique de la société. 261 Si Air France a effectivement été nationalisée en 1946, son histoire telle que nous l’avons décrite (notamment ses relations avec l’Etat depuis cette année) permet de la considérer comme une entreprise publique dès l’origine. 262 Nous exposerons les méthodes d’analyse des données de chacun de ces cas dans la sous-section 3.3.

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3.2. La base de données brutes

En conformité avec la sélection des cas, décrite précédemment, la collecte des données

a été guidée par l’objectif analytique de mettre à l’épreuve de manière identique, deux cas

extrêmes de privatisation. Ainsi, la constitution de ces deux bases de données brutes doit

permettre après retraitement263, de tester notre cadre conceptuel et de répliquer son test de

cohérence.

Dans cette optique, la constitution des deux bases de données nécessite le repérage

d’informations empiriques sur le processus global de privatisation. Celui-ci requiert la

connaissance de données relatives aux différentes relations examinées par notre modèle. Il

s’agit de nous documenter sur les caractéristiques du processus décisionnel, des différentes

composantes du système de gouvernance et des relations de chaque firme avec ses

partenaires. En ce sens, nous devons caractériser ces différentes dimensions pour chaque

firme, en distinguant leurs spécificités publiques et les changements qui conduisent à des

caractéristiques « privatisées ». Afin d’analyser ces trois niveaux théoriques dans chaque

cas, nous devons constituer trois groupes de données relatifs aux trois niveaux d’analyse de

notre modèle. Ainsi, notre documentation sur ces trois groupes de données factuelles doit

nous permettre d’identifier pour chaque cas, l’origine de la privatisation et ses étapes

successives de déroulement. Cette information suppose que nous identifions au niveau du

processus décisionnel, du système de gouvernance et des relations partenariales, leurs

caractéristiques dans le contexte de l’entreprise publique afin de pouvoir repérer le

changement organisationnel au profit d’une organisation privatisée. Les données à

recueillir sont donc essentiellement de nature qualitative.

Afin d’accéder à ces trois groupes de connaissance empirique nous nous sommes

documentés auprès de deux types de sources, internes et externes à chaque entreprise.

Cette stratégie de collecte est susceptible d’assurer la triangulation des données puisque ces

dernières sont produites en partie par le cas étudié mais aussi par des instances externes

(presse, ouvrages), suffisamment indépendantes par rapport au cas lui-même. Dans le

développement suivant nous abordons la procédure de collecte de données brutes sur Air

France puis sur DSM.

Dans le cadre de la préparation du test de plausibilité de notre modèle à partir du cas Air

France quatre sources d’informations nous ont permis de constituer une base de données

263 Cette phase du design de notre recherche est traitée dans la prochaine sous-section.

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relativement fiable par recoupement des sources. Dans la mesure où Air France est une

figure emblématique qui a fait l’objet de certaines controverses, plusieurs ouvrages ont été

publiés à son sujet. Ils constituent des témoignages approfondis de la vie de la société de

sorte qu’ils sont à l’origine d’une part importante de notre matériel qualitatif. La

compagnie aérienne a ainsi fait l’objet d’une analyse approfondie de son histoire

notamment à travers quatre ouvrages. Le premier est un récit de B. Attali (1994) ancien

président de la société, de 1988 à 1993, jusqu’au moment du conflit social lorsque

l’entreprise est au bord de la faillite. L’interprétation des événements par l’un des hommes

clé de l’histoire d’Air France nous a permis d’apprécier les différentes phases d’évolution

du groupe au moment où la dérégulation sectorielle s’intensifie et la modernisation de

l’entreprise doit affronter les conflits sociaux. Le second ouvrage, dont L. Belhassine

(1997) est l’auteur, fournit un ensemble données empiriques du point de vue de cet ancien

père fondateur et dirigeant d’une compagnie concurrente, Air Liberté. Sa position

extérieure à l’entreprise étudiée apporte certaines précisions quant à la place privilégiée de

la compagnie nationale sur le territoire et ses « relations incestueuses [avec] l’Etat »264. Le

troisième ouvrage est issu d’une enquête auprès de quatre vingt quinze personnes,

membres de l’entreprise, ou des services de l’Etat, clients ou fournisseurs. Cette enquête

qui remonte jusqu’en 1988, alors que la compagnie est dirigée par B. Attali a été menée par

F. Bouaziz (1998), journaliste spécialisé dans le transport aérien. Cette enquête fournit

plusieurs illustrations des différents niveaux d’analyse de notre modèle à partir de la vision

des partenaires d’Air France dans leurs relations avec elle. Enfin, le quatrième ouvrage,

publié par Autier et al. (2001), à partir duquel nous avons construit notre base de données

brutes représente une analyse de synthèse de l’histoire d’Air France265. Il retrace en effet,

les différents points de rupture de son évolution, depuis ses origines jusqu’à « sa

refondation »266, à partir de l’année 1993, lors de la démission de B. Attali remplacé alors

par C. Blanc en octobre, lui même remplacé en 1997 par J.C. Spinetta. Les auteurs

universitaires, présentent de nombreux témoignages des différents acteurs de l’entreprise

ainsi que des données sectorielles qui permettent de contextualiser la dynamique

organisationnelle d’Air France jusqu’à la clôture de son exercice 1999/2000. Ces différents

264 L’ouvrage de L. Belhassine s’intitule « le ciel confisqué, les relations incestueuses d’Air France et de l’Etat » (1997). 265 C’est principalement à partir de cette source que nous avons élargi parfois notre période d’analyse, lorsque l’événement retenu permettait d’approfondir notre connaissance des processus examinés. 266 L’ouvrage de Autier et al. (2001) a pour titre « Air France, des années héroïques à la refondation ».

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ouvrages contiennent un nombre très important d’informations que nous avons pu recouper

et ainsi intégrer à notre base de données.

En complément, nous avons obtenu les rapports annuels des exercices 96/97, 97/98,

98/99 et 99/00. Ceux-ci correspondent à la période d’entrée en fonction du dernier

président d’Air France, dont la tâche consiste à conduire l’entreprise redressée jusqu’à

l’ouverture du capital. Nous avons ainsi complété la base de données qualitatives à partir

des commentaires de J.C. Spinetta sur l’activité et les perspectives de la privatisation. De

plus, une revue de presse sur la période [1990-2001] à partir des quotidiens Les Echos, La

Tribune, et Le Monde nous a permis de constituer267 un dossier de presse sur les années clé

qui ont précédé la cession partielle, notamment :

- 1991 (crise sociale et économique),

- 1993/1994 (recapitalisation et redressement),

- 1997 (fusion d’air Inter et d’Air France et achèvement de la dérégulation en

Europe),

- 1999 (cession partielle par l’Etat français directement et indirectement de 22% du

capital, le 10/02/99),

- et 2000/2001 (l’après cession partielle).

Les comptes-rendus des assemblées générales des exercices 98/99, et 99/00

respectivement consécutive à l’ouverture du capital et au premier exercice qui l’a suivie,

ont également été intégrés à notre base de données brutes.

Enfin, nous avons pu mener deux entretiens, l’un auprès du chef adjoint du Bureau des

Transport et de l’Urbanisme rattaché au Service des Participations du Ministère de

l’Economie des Finances et de l’Industrie, l’autre auprès d’un cadre intermédiaire d’Air

France qui a souhaité gardé l’anonymat. Pour le premier entretien, si l’obligation de

réserve à laquelle est tenue la personne interrogée a limité notre entrevue à des questions

relativement générales, nous avons pu toutefois, recueillir quelques données confirmatoires

sur certains aspects des relations de l’entreprise avec son actionnaire public. Concernant

l’entretien semi-directif centré268 avec le cadre intermédiaire d’Air France, la personne

267 Après une revue des titres d’articles sur le site Internet des archives de La Tribune et du journal Le Monde ainsi qu’à partir d’une base CD-Rom du journal Les Echos, nous avons retenu les évènements clés repérés par ailleurs auprès des autres sources pour constituer un dossier de presse pertinent par rapport aux processus que nous souhaitons examiner. 268 Nous avons suggéré les thèmes que nous souhaitions aborder par rapport à notre problématique à partir de questions ouvertes de sorte que les personnes interrogées ne soient pas influencées.

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ayant participé à la préparation de l’ouverture du capital269, nous avons pu recueillir des

informations supplémentaires sur les contraintes et opportunités perçues par rapport à cet

événement.

Pour conclure sur l’élaboration de la base de données d’Air France, quatre sources

(ouvrages d’analyse, presse, rapports annuels, entretiens) ont permis de constituer une base

de données essentiellement qualitative. Compte tenu du recoupement des informations

recueillies et de leur transversalité par rapport au cas, nous pouvons considérer que la

validité interne et l’exhaustivité de ces données brutes sont assurées. Par ailleurs, ces

mêmes sources contiennent de nombreuses données chiffrées relatives au secteur et à la

politique financière de l’entreprise. Nous avons pu ainsi compléter notre connaissance des

éléments empiriques en relation avec les deuxième et troisième niveaux d’analyse de notre

modèle. Rappelons que ces deux niveaux d’analyse concernent les manifestations du

processus de privatisation au niveau de l’AO et les conséquences de cette dernière sur la

valeur appropriable par les partenaires retenus.

Dans le cadre de la réplication de notre cadre théorique à partir de l’étude de la

privatisation de DSM, nous avons pu rencontrer trois personnes de l’entreprise. Deux

d’entre elles dont nous respectons l’anonymat, sont entrées en fonction après le

changement juridique de 1967. En revanche elles ont assisté à l’ouverture du capital en

1989 puis 1996. Monsieur Van der Grinten, quant à lui, a effectué l’intégralité de sa

carrière au sein de DSM, avant d’intervenir à l’Université de Maastricht, où il enseigne la

stratégie et le développement de l’entreprise. Il a notamment exercé la fonction d’ingénieur

de recherche avant d’intégrer le département des processus de contrôle et d’optimisation.

Puis, sa promotion au département de la planification et du développement le conduit à en

devenir le directeur jusqu’à sa retraite270. Notre rencontre avec lui a été particulièrement

riche. L’essentiel des informations relatives aux stades d’évolution de DSM, notamment

jusqu’au changement juridique de l’entreprise271 provient de cette rencontre. De par son

cursus, son témoignage sur le processus de privatisation a été fondamental pour la

constitution de notre base de données. Une source complémentaire sur la période

[1986/1998] provient des rapports annuels dont la version anglaise n’existe que depuis

269 Cette personne a aussi participé à la privatisation de Bull. 270 60 ans dans la loi néerlandaise. 271 qui d’après notre étude a été un des événements majeurs du processus de privatisation de DSM.

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1986. Enfin, une revue de presse272 sur la période [1995-2000] qui concerne la seconde

cession en 1996, nous a permis de compléter notre base de données.

Pour conclure sur l’élaboration de la base de données de DSM, les entretiens et les

rapports annuels ainsi qu’une revue de presse constituent les sources de notre base de

données essentiellement qualitative. Certaines données financières ont cependant été

repérées au niveau des rapports annuels d’activité pour pouvoir tester la cohérence de

certaines relations aux deux derniers niveaux d’analyse théorique précédemment cités.

Comparativement à l’étude d’Air France, cette base de données est structurellement moins

fournie, notamment en raison de l’éloignement dans le temps de la majeure partie du

processus de privatisation. Ainsi, le nombre limité des sources contraint le degré de

triangulation des données retenues. En référence à Miles et Huberman (1991), certaines de

ces données d’entrée nécessitent un traitement particulier dans la mesure où elles n’ont pu

faire l’objet d’une triangulation des sources273. Afin de répondre à cette exigence

méthodologique de validité interne des données, lors de la réduction de la base de données

brutes, nous les distinguerons par un astérisque. De cette manière, au moment de l’analyse

et de l’interprétation des résultats, nous attribuerons à ces données un signe de

significativité particulier pour pondérer leur degré d’explication.

La construction de nos deux bases de données brutes est l’étape préliminaire à leur

réduction et à leur analyse abordés dans la sous-section suivante. Au cours de ce traitement

nous espérons d’une part, identifier les phases du processus de privatisation et les

changements organisationnels auxquels elles renvoient, notamment au niveau du processus

décisionnel et du système de gouvernance. D’autre part, nous espérons repérer leurs effets

sur les relations de la firme avec ses différents partenaires ainsi que des indices quantitatifs

susceptibles d’illustrer le niveau de valeur appropriable par certains stakeholders.

272 Source française en raison de l’obstacle de la langue. 273 Cette précaution méthodologique dans notre design de recherche vise à informer le lecteur que le recoupement de certaines données n’a pu être effectué. Précisons que cette indication ne remet pas en cause la sincérité des témoignages sans lesquels nous n’aurions pu obtenir les données qualitatives les plus anciennes relatives au processus décisionnel. En ce sens, si la collecte de données a subi la contrainte des spécificités de la privatisation de DSM et en partie de la langue, l’entretien central avec un membre de la direction qui a vécu l’intégralité du processus de privatisation, nous paraît être une opportunité rare qui renferme un potentiel d’informations qualitatives relativement grand. Le chapitre suivant illustre notre propos.

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3.3. L’exploitation du matériel empirique : méthode de traitement de la base de

données réduites

La majeure partie de nos deux bases de données brutes est qualitative, en adéquation

avec notre cadre conceptuel fondé sur les processus organisationnels. Un premier

retraitement, nécessaire à la mise en lien de nos propositions théoriques et des éléments

empiriques consiste à réduire nos données brutes. La procédure de réduction de données

que nous avons définie repose tout d’abord sur une retranscription des entretiens réalisés à

partir de nos enregistrements et prises de notes afin d’homogénéiser la base de données

textuelles. Ensuite, en nous inspirant de l’étude empirique de Wirtz274 (2000), nous avons

procédé à une analyse de contenu de l’ensemble des données brutes fournies par nos

sources internes et externes. Afin d’assurer un traitement rigoureux, nous avons construit

un lexique des codes correspondants aux variables de notre modèle, de sorte que cette

seconde étape soit formalisée. Ces codes doivent permettre une identification structurée

des passages clés des données textuelles en relation avec le(s) concept(s) au(x)quel(s) ils

renvoient. Dans cet objectif, à la suite de la codification théorique, nous avons défini un

principe d’affectation des codes aux indices empiriques. La table d’affectation qui résulte

de cette démarche de codification s’insère dans notre guide de recherche.

Pratiquement, la lecture des différents supports empiriques s’est accompagnée d’une

mise en évidence des contenus par une annotation en marge du code associé, à chaque fois

que l’indice textuel renvoie au critère d’affectation du code. A titre d’exemple, toute

information relative à l’une des étapes « j » du processus décisionnel (initiative, mise en

œuvre, ratification et surveillance) qui traduit un processus centralisé ou décentralisé est

émargée respectivement par les codes CENTj ou DECj. De plus, dans la mesure où notre

modèle tient compte des niveaux hiérarchiques, leur principe d’attribution est élargi. Ainsi

ces codes sont attribués à toute information relative au processus décisionnel (PD) au

niveau de la direction générale (PDsup) ou des niveaux intermédiaires et inférieurs (PDinf).

La codification du processus décisionnel centralisé ou décentralisé selon le niveau

hiérarchique « n » concerné consiste respectivement à affecter, au cours de la lecture, les

codes suivants : PDnCENTj et PDnDECj aux informations décisionnelles selon leur

modalité. Le lexique des codes utilisés pour la réduction de données est retranscrit dans le

274 L’auteur propose un protocole d’analyse qui consiste à partir d’une analyse formatée du corpus textuel, en une réduction des données brutes puis en une représentation graphique de leur relations avec les concepts.

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240

tableau suivant. Nous mentionnons le concept associé à chaque code et la nature de

l’information à laquelle correspond le concept.

Tableau 10 : Lexique des codes d’analyse de contenu et de réduction des données : notre table d’affectation

Concept code Affectation

Processus décisionnel

PD - PDsupCENTj- PDsupDECj - - PDinfCENTj - PDinfDECj

Information sur l’une des étapes du processus décisionnel qui caractérise :

- au niveau supérieur, un processus centralisé ou décentralisé,

- au niveau intermédiaire et inférieur un processus centralisé ou décentralisé

Système de

gouvernance organisationnelle

SGO - SGM - SGR

Information relative aux mécanismes spécifiques à la firme (CA, contrôle hiérarchique) et aux mécanismes non spécifiques (marchés…) qui caractérisent le type de gouvernance marché et le type de gouvernance réseau

Latitude

managériale Lat-M Information relative à toute décision prise par le dirigeant,

sans consultation préalable, qui peut aller en faveur ou à l’encontre d’une des parties prenantes, dont l’actionnaire.

Valeur partenariale

appropriable VAP

- VAA - VAB - VAC - VAD - VAF - VAS

Information relative aux décisions de création et /ou de répartition de valeur au profit d’un des partenaires (ou groupe) :

- Actionnaire, - Banque, - Client, - Dirigeant, - Fournisseur, - Salarié

En outre, lors de cette phase de réduction des données, notre guide de recherche a été

également complété par le tableau suivant qui reprend les relations théoriques de notre

modèle à partir des codes que nous avons fixés. Ce tableau nous a guidé dans l’affectation

des codes aux données textuelles, pour ne retenir que les informations pertinentes par

rapport à nos questions de recherche, que ces informations convergent vers le sens établi

par nos propositions ou qu’elles s’en éloignent275. A l’instar de la phase de représentation

des liaisons empiriques proposée par Miles et Huberman (1991), ce tableau peut constituer

une phase de représentation théorique préalable à la phase de représentation empirique.

275 Rappelons que le guide, élaboré au moment de la préparation de l’investigation empirique (et que Yin appelle le protocole de recherche), est une aide importante pour la conduite de celle-ci, comme nous le signalions dans la section précédente. Ici, cette étape de l’analyse des données nous a conduit à compléter notre guide par un tableau récapitulatif des relations à examiner. En particulier, nous avons eu recours à ce tableau lorsque nous devions séparer les causes et les effets à observer, selon le niveau d’analyse théorique. Par exemple, nous devions nous assurer qu’une information relative à la valeur appropriable par les clients soit retenue si elle était reliée à une information relative au processus décisionnel et/ou à une information touchant aux mécanismes de gouvernance, conformément à la proposition 8 de notre modèle.

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241

Tableau 11 : Mise en relations des codes d’après notre cadre conceptuel : une représentation simplifiée de nos propositions

propositions représentation théorique simplifiée

P1

- P1(a)

- P1(b)

Privatisation : PD-CENTj => PD-DECj

- PDsupCENTj => PDsupDECj

- PDinfCENTj => PDinfDECj

P2

- P2(a)

- P2(b)

Privatisation : SGR centralisé => SGR * SGM = SGO mixte

- PDsupCENTj => PDsupDECj renforce le contrôle du CA

- PDinfCENTj => PDinfDECj = contrôle hiérarchique plus incitatif

P3 PDsupDECj * SGO mixte => accroissement de Lat-M

P4 SGO mixte => accroissement de VAA

P5 SGO mixte - dont GAP – => VAB (++ pour la banque membre du GAP*)

P6 SGO mixte => accroissement de VAS

P7 PDsupDECj * SGO mixte => accroissement de Lat-M => accroissement de

VAD

P8 [PDinfCENTj => PDinfDECj]*SGO mixte => accroissement de VAC (++ si

dérégulation et/ou membre du GAP)

P9 PDsupDECj * SGO mixte => réduction de VAF ou >=0 si membre du GAP

* Rappel : GAP : groupe d’actionnaires partenaires ; CA : conseil d'administration ; SGO : système de gouvernance organisationnelle ; SGR : système de gouvernance orienté réseaux ; SGM : système de gouvernance orienté marché ; Lat-M : latitude managériale ; VAA : valeur appropriable par les actionnaires ; VAB : valeur appropriable par les banques ; VAS : valeur appropriable par les salariés ; VAD : valeur appropriable par le dirigeant ; VAC : valeur appropriable par les clients ; VAF : valeur appropriable par les fournisseurs.

A partir de cette procédure formalisée, nous avons regroupé dans un tableau organisé, le

résumé des passages émargés par les codes et les relations empiriques observées à partir de

leur représentation théorique simplifiée. Ce nouveau tableau nous permet d’identifier les

caractéristiques des phases du processus de privatisation. Autrement dit, cette base

retranscrit les caractéristiques des différentes dimensions de l’AO dans le contexte public

et leur évolution dans le contexte privatisé. Elles mentionne les références des sources afin

que l’observateur indépendant puisse consulter le lien empirique, de sorte que la démarche

conserve le lien de preuve. Ce tableau forme ainsi notre base de données réduites. Les

champs de sa structure et les modalités centrales sont repris ici276.

276 On remarquera que cette structure reflète de manière sous-jacente, l’analyse comparative des formes organisationnelles selon les dimensions de la TGP, en conformité avec notre approche théorique. Cette remarque donne tout son sens au caractère logique du design de recherche tel que Yin le conçoit (1994, p. 20).

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242

Tableau°12 : Structure de notre tableau des codes centraux et données réduites sur le

processus de privatisation

Contexte public de l’AO Référence source Contexte privatisé de l’AO Référence

source Codes centraux Extraits de passages émargés par les codes correspondants et par les relations observées

PD PDn-CENTj

PDn-DECj PD-CENTj => PD-DECj

SGO

SGM ; SGR (CA et Contrôle hiérarchique)

SGM SGR SGR centralisé => SGR * SGM = SGO mixte

Lat-M PDsupCENTj * SGO centralisé

PDsupDECj * SGO mixte => accroissement de Lat-M

VAP -VAA -VAB -VAD -VAS -VAC -VAF

PDn-CENTj*SGO centralisé => accroissement/réduction de VAP

PDn-DECj et/ou PD-CENTj => PD-DECj * SGO mixte => accroissement/réduction de VAP

De la, pour chaque cas, un schéma processuel sur la période analysée reprend les

différents codes centraux (en gras dans notre table d’affectation) et pour chacun d’eux, les

références empiriques les plus marquantes que le lecteur peut retrouver dans la base de

données réduites. Ces schémas processuels relatifs aux cas étudiés, figurent en annexe 8

(Air France) et 9 (DSM). Ils représentent les traits principaux des processus examinés. En

conséquence, c’est à partir de cette représentation graphique que nous avons pu conduire

notre analyse et mener le contrôle de plausibilité dans le cas d’Air France et sa réplication

dans le cas de DSM.

Par ailleurs, nous avons exploité les données quantitatives qui se rapportent aux

relations établies entre les caractéristiques de la gouvernance et la valeur partenariale

appropriable. Compte tenu des variables concernées par les mesures qualitatives, nous

n’avons pas effectué de retraitement particulier, qu’il s’agisse du cours des titres, du taux

de distribution des dividendes, de la croissance de certains indicateurs de performance

économique susceptibles de toucher certains partenaires.

Pour résumer cette section sur l’exposé de notre design de recherche, la collecte

pertinente et relativement exhaustive de données provenant de différentes sources nous a

conduit à préparer méthodiquement le test de plausibilité dans le cas particulier d’Air

France, puis une réplication dans le cas de DSM. En guise de synthèse, le schéma suivant

reprend notre lecture du processus de test de plausibilité présentée dans la section 2.

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243

Toutefois, nous l’adaptons à notre recherche de terrain de sorte qu’il retrace notre stratégie

d’investigation empirique. Il permet d’illustrer la partie créative de l’investigation par

étude de cas, notamment en matière d’outils analytiques que l’on cherche à adapter à la

problématique de terrain.

Schéma 9 : Stratégie d’investigation empirique au cours du processus de test de plausibilité (sa phase préparatoire)

* TDR : tableau de données réduites

Conclusion du chapitre 5

Pour conclure sur ces réflexions méthodologiques, nous relèverons deux points

essentiels soulevés par l’approche instrumentale d’une théorie. Premièrement, d’un point

de vue générale, la nature de la connaissance à laquelle une théorie est susceptible de

parvenir dépend du stade de développement de celle-ci dans le processus scientifique. Une

théorie déjà bien avancée dans le processus de production du savoir est celle pour laquelle

l’investigation empirique a permis d’apprécier, à plusieurs reprises, sa concordance avec

les faits étudiés. Ainsi, sa confrontation aux réalités qu’elle cherche à examiner conduit à

approfondir son degré de corroboration, comme le souligne Jensen dans le cadre spécifique

de la TPA (1983). En revanche, une théorie émergente est celle pour laquelle la stratégie

d’investigation empirique consiste à apprécier la cohérence de ses différentes composantes

(tautologies, définitions) à partir d’un contrôle de plausibilité des propositions qu’elle

permet d’établir. Ainsi se situe selon nous, le cadre conceptuel de la TGP à partir duquel

nous avons construit notre modèle reliant la privatisation à l’AO. En ce sens, nos

propositions sont susceptibles de faire l’objet d’un test de cohérence avec les faits. De plus

leur test de plausibilité vise à apprécier les hypothèses sous-jacentes à la TGP

codification concepts /liens

codification données brutes

propositions

terrain

données brutes Interne/externe

description des liens

empiriques

déduction logique /questions de

recherche

Résultat de

plausibilité Table affectation

Tableau de représentation théorique

Codes centraux &

TDR*

Représentation empirique Schéma

processuel

Réduction des données

Analyse sur données réduites

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244

(comportement des parties prenantes au processus décisionnel, interactions entre processus

décisionnel et mécanismes de gouvernance). Pour conclure sur ce premier point, la

stratégie d’investigation empirique participe du processus scientifique. Elle doit par

conséquent, faire l’objet d’une attention égale à la problématique que l’on souhaite

développer.

Nous en venons donc au deuxième point. Dans le cadre de notre question de recherche,

la problématique organisationnelle de la privatisation relève des processus, donc

d’interactions plus ou moins explicites et majoritairement non quantifiables. De cette

manière, nous proposons un renouvellement de la problématique initiale du débat entre

privatisation, propriété et performance. En ce sens, à l’appui de l’investigation empirique,

nous espérons parvenir à une compréhension approfondie de la dynamique

organisationnelle sous-jacente au processus de privatisation. Ainsi, l’adéquation entre les

propositions théoriques et l’investigation empirique nous conduit à privilégier une

approche qualitative des faits qu’une étude de cas permet de réaliser. Afin de contrôler la

cohérence de nos propositions, notre choix s’est orienté vers la privatisation d’Air France.

Une réflexion sur le design de notre recherche nous a conduit à exposer la procédure de

notre approche instrumentale des liens entre privatisation et AO. La construction

méthodique d’un tableau de codes centraux et de données réduites relatives au processus

de privatisation de la compagnie aérienne est ainsi susceptible d’assurer au processus de

contrôle de plausibilité, une sécurité scientifique optimale277. Elle expose alors notre

démarche à la critique, à partir de la chaîne de preuves fournie par la base de données

réduites, la description de la procédure et des outils d’analyse. En outre, dans notre

parcours, une opportunité de répliquer la démarche méthodologique d’étude de cas nous a

permis de mettre de nouveau notre modèle à l’épreuve d’autres faits. Ce second test de

cohérence dans le cadre de la privatisation du géant néerlandais DSM permet de poursuivre

notre recherche en la soumettant à un premier contrôle de concordance. Sur la même base

méthodologique définie pour l’étude d’Air France, celui-ci est susceptible d’enrichir par

cette nouvelle observation, la plausibilité de notre modèle et celle de la TGP. Les résultats

de ces deux investigations sont présentés dans le chapitre suivant.

277 Au second degré, c'est à dire sous contrainte des biais empiriques auquel l’étude de cas ne peut échapper.

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245

Chapitre 6

La privatisation d’Air France et de DSM,

deux illustrations de l’interdépendance entre processus décisionnel, système de

gouvernance et efficience organisationnelle en France et aux Pays-Bas

Il n’est pas vrai que l’évolution se dérIl n’est pas vrai que l’évolution se dérIl n’est pas vrai que l’évolution se dérIl n’est pas vrai que l’évolution se déroule imperturbablementoule imperturbablementoule imperturbablementoule imperturbablement selon une trajectoire définie, si rien ne vient l’interrompre.selon une trajectoire définie, si rien ne vient l’interrompre.selon une trajectoire définie, si rien ne vient l’interrompre.selon une trajectoire définie, si rien ne vient l’interrompre.

S. J Gould, Essai n°25, p. 420S. J Gould, Essai n°25, p. 420S. J Gould, Essai n°25, p. 420S. J Gould, Essai n°25, p. 420

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246

Si la privatisation, notamment par offre publique de vente, conduit effectivement à une

amélioration significative ou dans d’autres cas, à des effets plus discrets sur la performance

de l’entreprise, alors quels sont les processus organisationnels sous-jacents susceptibles

d’affecter la création de valeur partenariale ? Autrement dit, dans quelle mesure une vision

processuelle de la privatisation, sur la base d’un cadre théorique émergent, celui de la TGP,

peut-elle participer à notre connaissance de ce phénomène ? Cette question part d’un

constat empirique ambigu par rapport aux réponses théoriques originelles sur le lien entre

propriété, forces de marché et performance. Elle est à l’origine de notre réflexion théorique

sur le sujet. Une manière fondamentale de la mener à son premier terme (avant d’envisager

un retour sur son potentiel explicatif), est de lui donner un écho empirique. Ce chapitre est

consacré à ce premier aboutissement de notre réflexion.

Sur la base de notre design de recherche, nous avons étudié deux cas de privatisation, le

cas français sur le secteur du transport aérien, Air France et le cas néerlandais sur le secteur

de la chimie, DSM. Dans cette perspective, nous avons pu mener une analyse des données

réduites dont la base, pour chaque cas, est fournie dans le volume 2. En référence au

processus scientifique, la formulation de nos propositions se poursuit ainsi par une

appréciation de leur cohérence avec les faits relatifs à la privatisation d’Air France. De

plus, au cours de notre recherche, l’opportunité de prolonger le processus scientifique de ce

travail nous a conduit à renouveler ce contrôle de plausibilité sur le cas DSM. Ainsi, avec

ce dernier cas, nous proposons un premier test de concordance de notre modèle

organisationnel de la privatisation, par sa réplication sur la base méthodologique identique

au premier cas. A cette étape de la démarche d’investigation nous espérons que l’étude

d’Air France (section 1) et celle de DSM (section 2) contribueront à apporter au débat sur

la privatisation et sur la réforme des entreprises publiques quelques éléments de réponses,

que nos propositions soient acceptables et/ou qu’elles nécessitent une amélioration (section

3). En ce sens, la grille de lecture qu’offre la TGP pourra être ré-examinée dans le cadre de

son propre développement. C’est dans cet esprit que nous avons posé et traité d’un point de

vue théorique et maintenant empirique, la question de la dynamique organisationnelle

propre à toute coopération partenariale.

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247

Section 1 : La privatisation partielle d’Air France : un processus organisationnel

sur 6 ans

En référence à notre réflexion méthodologique du chapitre précédent, cette section est

consacrée au contrôle de plausibilité de notre modèle sur les liens entre privatisation,

processus décisionnel, système de gouvernance et valeur partenariale. Ce contrôle est

conduit à partir de l’étude approfondie des caractéristiques de la dynamique

organisationnelle induite par le processus de privatisation de la société nationale Air

France. Cette entreprise du transport aérien est cotée au premier marché de la bourse de

Paris après une ouverture partielle de son capital (24,4%), le 22 février 1999. A l’issue de

cette opération, sur la base de 14 euros l’action, 11,8% du capital est détenu par les salariés

de l’entreprise, 56,4% est détenu par l’Etat et le solde (31,8%) correspond au flottant. Cette

ouverture partielle à la propriété privée résulte de plusieurs changements organisationnels

successifs entrepris une dizaine d’années auparavant278 et menés par trois dirigeants

différents, B. Attali, C. Blanc et J.C. Spinetta. Ce processus préparatoire à l’ouverture

partielle du capital d’Air France s’est déroulé dans une période où le secteur a connu la

déréglementation européenne, où la France a changé de Président de la République et de

majorité gouvernementale. Nous présentons un bref historique de la société afin de repérer

les stades principaux de son développement (1.1). Ensuite, nous examinons en profondeur

les processus organisationnels déclenchés par les trois PDG successifs exposés à la

question cruciale de l’adaptation du groupe pour sa survie ou de sa disparition (1.2).

1.1. Bref historique d’Air France : 3 stades d’évolution

Notre modèle organisationnel de la privatisation considère celle-ci comme un processus

d’évolution de la firme. En ce sens, ce processus participe au développement global de

l’organisation. Pour identifier ce processus et en analyser les composantes nous présentons

brièvement les principales étapes du développement d’Air France depuis sa création en

1948 jusqu’à l’ouverture du capital en 1999.

1.1.1. La naissance d’une compagnie et du secteur du transport aérien (1933-1948)

La création d’Air France est assez ambiguë dans la mesure où elle a débuté dans un

contexte de crise internationale qui a fortement contribué à son futur statut d’entreprise

278 Voire même depuis la fin des années 1970, comme nous le verrons par la suite.

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248

publique279. En effet, Air France est née de la fusion de cinq entreprises privées avant la

seconde guerre mondiale, pour être par la suite, réquisitionnée pendant le conflit, d’abord

par le ministère de l’air en 1939 puis sous l’occupation. La société anonyme Air France

passe ensuite sous le contrôle total du gouvernement de Vichy par une loi de 1941 relative

au statut de l’aviation marchande. A la sortie de la guerre, l’aviation civile française est

nationalisée par le gouvernement provisoire du général De Gaulle. L’ensemble du réseau

aérien du territoire national est confié à la société Air France. Après deux ans de flou

juridique durant lesquels l’entreprise est dirigée par un conseil de direction provisoire,

c’est en 1948 que la « Compagnie nationale Air France » est déclarée entreprise d’Etat

dans une logique de l’après guerre. L’entreprise d’économie mixte régie par le code de

l’aviation civile participe alors à la reconstruction économique, de l’aménagement du

territoire à l’offre de service public et plus globalement d’emplois. Dès lors, la compagnie

de transport aérien est sous tutelle de l’Etat, en même temps que le secteur entre dans une

phase de croissance rapide, mondiale et durable pour une vingtaine d’années. L’innovation

technologique permet de réduire les coûts et provoque la démocratisation du transport

aérien progressivement déréglementé.

1.1.2. La compagnie nationale Air France jusqu’à sa recapitalisation en 1993

A partir de 1950 Air France, compagnie nationale fait partie des acteurs du transport

aérien mondial dont le développement repose sur deux organisations. L’OACI

(Organisation de l’aviation civile internationale) assure la coopération

intergouvernementale dans le cadre des Nations Unies. Elle participe à la coordination des

pratiques techniques et opérationnelles dans les pays membres. L’IATA (Association

internationale du transport aérien) regroupe les transporteurs aériens. C’est au sein de cette

association professionnelle que sont négociés collectivement les fréquences, les tarifs et les

capacités, en accord avec les Etats.

Parallèlement, Air France participe au développement du transport aérien sur le

territoire national dont l’espace aérien est régi par les pouvoirs publics, notamment le

ministère des Transports auquel est rattaché la DGAC280. Ainsi, née en 1954, Air Inter

(détenue par la SNCF et Air France et la CDC)281 prend en charge le réseau de liaisons

métropolitaines. En 1963, UTA entre en concurrence avec Air France sur la desserte de

279 Nous renvoyons le lecteur à notre tableau des données réduites sur Air France (TDR), à la référence de Autier et al. (2001, p. 21 à 25) soit dans le tableau, le code PD (processus décisionnel), source A (p. 21-25). 280 Direction générale de l’aviation civile. 281 TDR, données sectorielles, site Internet de la compagnie, source www.

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249

certaines lignes internationales attribuées par l’Etat à la petite compagnie282. Air France

développe sa flotte et son réseau aérien, « le plus grand réseau du monde ». Les deux chocs

pétroliers dans les années soixante dix provoquent une hausse des dépenses de carburant

alors que les acteurs du secteur mettent en service les premiers gros porteurs. La

surcapacité du secteur conduit au développement des charters, en même temps que se

produisent la dérégulation du transport aérien aux Etats-Unis (1978) et les premiers

accords bilatéraux avec certains pays d’Europe. La guerre des prix est entamée et aux

Etats-Unis le secteur entre dans une phase de concentration. Elle conduit à la fin des

années quatre vingt à d’importantes restructurations tant aux Etats-Unis qu’en Europe où la

dérégulation progressive est entreprise par la Commission européenne (1987). Les

prévisions optimistes d’évolution du trafic incitent les compagnies, en quête de nouvelles

parts de marché, à investir lourdement et à développer les premières alliances (synergie des

réseaux, programme commun de fidélisation, accord entre Lufthansa et Air France pour le

SIR Amadeus283). La question de la privatisation d’Air France est soulevée en 1987 puis

abandonnée en raison de la crise boursière. La compagnie, seule entreprise européenne à

être en concurrence sur le territoire national avec d’autres entreprises françaises prend le

contrôle d’UTA et indirectement d’Air Inter en 1990. Elle fusionnera avec la première en

1992, donnant naissance à la « Compagnie nationale Air France ». La fusion avec Air Inter

(devenue « Compagnie Air France Europe » en 1996) sera effective en septembre 1997

après plusieurs années de mises en commun des synergies puis une location gérance au

début de l’année 1997. Mais, dans le cadre des règles de la concurrence

intracommunautaire édictées par le Traité de Rome et de l’instauration du Marché unique

en 1993, les autorités nationales délèguent progressivement à l’instance européenne les

autorisations de prise de participation et de contrôle entre les compagnies. Le rachat par

Air France des deux compagnies n’est avalisé par la Commission européenne qu’à trois

conditions. Air France doit ouvrir à la concurrence certaines lignes intérieures, avant

l’entière libéralisation prévue en 1997. L’entreprise doit aussi revendre les droits de trafic

doubles et renoncer pour quatre ans à toute opération de croissance externe.

Parallèlement à ces mouvements internes au secteur, la guerre du Golfe en 1990

renverse la tendance de croissance anticipée par les transporteurs. Elle conduit à une

accumulation des déficits d’exploitation des compagnies internationales de 2,7 milliards de

282 TDR, données sectorielles, site Internet du groupe, source www (fin de tableau). 283 Système informatique de réservation.

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250

dollars. « C’est la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, que le trafic aérien

international diminue. En deux ans, l’industrie du transport a perdu ce qu’elle avait gagné

en vingt ans »284. Air France devient structurellement déficitaire à partir de l’exercice 1990

(plus de 12 milliards de francs de pertes cumulées) malgré les plans de restructuration

lancés à partir de 1989 par B. Attali à son arrivée à la direction d’Air France (Plan CAP93

décliné en deux mises en œuvre, les Plans de Retour à l’équilibre 1 et 2). Suite au

resserrement des conditions financières et de travail demandé par la direction, la crise

sociale d’octobre 1993 aboutit à la démission de B. Attali.

1.1.3. De « l’électrochoc » à l’ouverture du capital : la dynamique organisationnelle

d’un des quatre premiers transporteurs aériens mondiaux

C’est au bord de la faillite de la Compagnie nationale Air France que C. Blanc accepte

en septembre 1993 la direction du groupe sur proposition du Premier ministre E. Balladur.

La recapitalisation s’impose sinon, le coût estimé de la faillite pour l’Etat s’élèverait à 30

milliards de francs285. La Commission européenne accepte le plan de restructuration

proposé par C. Blanc et donne à l’Etat français l’autorisation de recapitaliser son

entreprise, en trois apports (soit 20 milliards de francs sur trois ans286) sous conditions de

les réserver au seul désendettement de la Compagnie Air France et dans une perspective

implicite de privatisation à terme. De plus, en 1994 l’autorité européenne exige par mesure

de transparence, que soit constituée une société holding « Air France SA » à la tête de la

Compagnie Air France et d’Air Inter (future Air France Europe) afin que les fonds soient

effectivement destinés à la seule Compagnie nationale. Le plan stratégique drastique mis

en œuvre par la direction de C. Blanc, (« Reconstruire Air France - Le projet pour

l’entreprise 1994-1996 ») marque la première phase du redressement de l’entreprise qui

enregistre de nouveau un résultat d’exploitation positif à l’issue de l’exercice 1994-1995,

alors que les lignes en partance d’Orly pour Londres, Toulouse et Marseille s’ouvrent à la

concurrence étrangère. Mais l’entreprise présente un taux d’endettement de 3,9 contre un

taux moyen du secteur de 0,8. Après l’inauguration de la plate forme de correspondance de

Roissy Charles De Gaulle (le hub) en 1996 qui offre de nouveaux potentiels de

développement, la Compagnie Air France retrouve une situation bénéficiaire nette en 1997

(résultat net de 213 millions de francs contre 1,3 milliard de francs pour Lufthansa ou 6

284 TDR, données sectorielles, (Autier et al., 2000, p. 198-199). 285 TRD, données sectorielles, Le Monde du 08/06/94. 286 TDR, code PDsupCENTmo dans le contexte public, La Tribune 19/09/95. PDsupDECs.

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251

milliards pour British Airways)287. Le taux d’endettement est ramené à 1,07. Durant cette

première phase, plusieurs mesures de réorganisations internes sont prises pour renforcer le

positionnement d’Air France à l’égard de la clientèle et augmenter la productivité. C.

Blanc est alors favorable à la privatisation du groupe et semble trouver une oreille attentive

auprès du Premier ministre A. Juppé. Mais la dissolution de l’Assemblée Nationale en mai

1997 provoque des élections législatives anticipées. Dans un contexte d’alternance

politique, C. Blanc doit alors composer avec la nouvelle majorité gouvernementale. A

l’occasion d’un entretien télévisé, le nouveau ministre des Transports (J.C. Gayssot)

précise qu’il « ne sera pas le ministre de la privatisation d’Air France »288. Le président de

la compagnie décide de démissionner. J.C. Spinetta reprend la direction du groupe en

septembre 1997 et prolonge la politique de son prédécesseur en renforçant la remontée des

indicateurs de performance. Il bénéficie en 1998 de l’extension du hub de Roissy, un des

rares aéroports mondiaux à ne pas être saturé. Cet avantage stratégique permet en outre

d’attirer des partenaires importants pour créer en juin 2000 une alliance mondiale, Skyteam

avec Delta-Airlines, Aeromexico et Korean Air. Entre temps, Air France est cotée au

premier marché de la Bourse de Paris en févier 1999 et présente en août une hausse de son

cours de 20% contre une progression de 6% du CAC 40 sur la même période. Mis en vente

auprès des particuliers à 14 euros, le titre Air France est évalué à 21 euros un an et demi

après, soit une hausse de 40% sur un secteur sensible à la conjoncture et au prix du baril.

1.2. Privatisation et architecture organisationnelle d’Air France : les résultats de

l’étude des processus

Lors de l’examen théorique de l’entreprise publique nous avons constaté la pluralité des

formes organisationnelles, de la tutelle forte à une autonomie relative. L’étude de la

privatisation d’une entreprise particulière nécessite par conséquent, une analyse de ses

caractéristiques avant que le processus de privatisation ne soit engagé. En ce sens, il

convient d’identifier les caractéristiques de l’entreprise publique et les origines du

processus de privatisation. Le bref historique d’Air France nous conduit à remonter une

dizaine d’années avant l’ouverture du capital, en faisant référence par ailleurs, à des

informations plus anciennes. De cette manière, en identifiant les spécificités publiques de

287 Le résultat net du groupe Air France (société mère de la Compagnie nationale Air France et d’Air France Europe) présente le 31/03/97, un résultat négatif de 147 millions de francs suite à la fusion absorption d’Air France Europe par la Compagnie nationale. 288 Bouaziz ( 1998, p. 68-69).

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252

l’architecture organisationnelle (AO), tout changement en faveur des caractéristiques du

contexte organisationnel privé nous permettra de repérer les phases du processus de

privatisation tel que nous l’avons modélisé. Ainsi, après l’étude des origines du processus

de privatisation et par conséquent, du contexte organisationnel public (1.2.1), nous

présentons les caractéristiques essentielles de la dynamique organisationnelle sous-jacente

(1.2.2). Nous exposons ensuite les effets de l’évolution de la gouvernance sur la valeur

appropriable par les différents partenaires considérés dans notre modèle (1.2.3).

1.2.1. Aux origines du processus de privatisation

En introduction de ce chapitre nous rappelions la question sur laquelle repose nos études

de cas, en l’occurrence celle des processus organisationnels sous-jacents à la privatisation

qui sont susceptibles d’affecter la valeur partenariale. Parallèlement, notre modèle repose

sur une approche comparative des formes organisationnelles publiques et privées. Dans

cette perspective, une analyse processuelle consiste à observer les caractéristiques

organisationnelles « initiales » qui précèdent les premières étapes du processus de

privatisation. La première question que nous posons est celle des spécificités d’Air France

en tant qu’entreprise publique. Plus précisément, Air France est-elle une entreprise

publique marquée par un droit décisionnel public étendu ou plutôt limité (1.2.1.1) ? Une

fois ces caractéristiques d’entreprise publique identifiées, nous présentons les indices qui

montrent les premiers changements de l’AO publique (1.2.1.2) et dans quelle mesure, le

processus de privatisation d’Air France prend essentiellement effet à partir de la

recapitalisation de la compagnie (1.2.1.3).

1.2.1.1. Les caractéristiques organisationnelles publiques de la Compagnie

nationale Air France

Dès sa création, la Compagnie nationale Air France, société anonyme issue par ailleurs

de la fusion d’entreprises privées, est dotée d’une structure juridique commune à celle des

entreprises privées. Toutefois, elle présente sur plusieurs dimensions les caractéristiques

d’une forme organisationnelle publique. En outre, comme nous le relevions dans la sous-

section précédente, jusqu’au début des années quatre-vingt, le secteur du transport aérien

expérimente les deux premières phases du cycle de vie d’une activité, son démarrage et sa

croissance289. L’évolution d’Air France, comme celle de l’ensemble des transporteurs

289 Autier et al. (2001, p.119) relèvent une croissance du trafic de 14% entre 1960 et 1970).

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253

aériens (qui pour la plupart deviendront des groupes privés s’ils ne le sont pas dès leur

création), est parallèle au cycle du secteur et plus largement à la conjoncture.

Plus précisément, Air France, née de la volonté politique du ministre P. Cot en 1933

représente l’instrument privilégié des pouvoirs publics au lendemain de la seconde guerre

mondiale290. La reconstruction des économies européennes passe notamment par

l’aménagement du territoire, le renforcement des intérêts de l’aviation civile, de la

construction aéronautique, en soutien de l’emploi. Parallèlement l’Etat doit maintenir la

participation de la France au développement des relations internationales et diplomatiques.

Dans cette perspective de relance économique, Air France, dont le président est nommé par

son actionnaire public depuis 1939 fait l’objet d’un niveau certain de centralisation

décisionnelle par l’intervention publique sur les décisions et leur contrôle291. Par exemple,

par l’intermédiaire des administrateurs représentants les pouvoirs publics au sein du

conseil d'administration, Air France est soumise à un premier contrôle sur la base d’un

rapport écrit des administrateurs aux ministres de tutelle, dont le ministre de l’Air qui

bénéficie d’un droit d’information générale. De plus, certaines opérations (financement et

exploitation) sont soumises à l’autorisation préalable du ministre et/ou du Parlement. En

particulier, en raison de la nature des investissements lourds propres à ce secteur d’activité,

les subventions publiques représentent 75% des ressources des compagnies aériennes.

Ainsi, lors de l’élaboration de la loi de Finances, l’indemnité forfaitaire destinée à Air

France est votée (en 1933 par exemple, elle s’élève à 200 millions de francs). Enfin, les

décisions d’investissement, notamment d’avions (Airbus) sont vivement encadrées par

certains ministres comme J.P. Fourcade en 1975 ou B. Pons durant le mandat de C. Blanc.

Certaines négociations, comme la fusion d’UTA font l’objet d’un suivi informel par les

ministres.

Enfin, Air France en tant qu’entreprise publique peut faire l’objet d’enquêtes réalisées

notamment par une commission sénatoriale. L’enquête par le sénateur Cartigny en janvier

1991 en constitue un exemple (voir aussi dans le tableau de données réduites, les extraits

du Monde du 25/05/94 et de la Tribune du 15/05/95, code PDsupCENTs). Le contrôle sur

290 Nous ne revenons pas sur la période du conflit international bien que cette période intermédiaire pour Air France présente les caractéristiques les plus prononcées de la forme organisationnelle publique, comme en témoigne la description par Autier et al .(2001, p. 25), de la convention signée en 1942 entre Air France et l’Etat : « l’Etat en temps de guerre a donc un pouvoir absolu sur la compagnie ».(cf. TDR, code PDsupCENTi référence précitée). 291 TDR, code PDsupCENTr et PDsupCENTs référence Autier et al. (2001, p. 23-25 ;105, 187) ; Bouaziz (1997, p.95 ; 98) ; Attali (1994, p. 44-51, 112-113).

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254

Air France peut aussi se faire par les instances européennes, notamment dans le cadre de sa

recapitalisation en 1994292.

Toutefois, « la convergence de certaines missions de service public avec l’intérêt privé

de la compagnie »293 a pu, à certains moments de l’histoire d’Air France, laisser une

latitude à son président ou soutenir son action. A ce niveau, la DGAC (rattachée au

ministère des Transports) exerce un pouvoir étendu dans la mesure où elle définit la

politique de l’espace aérien français, en particulier l’attribution des droits de trafic qui

conditionnent le volume d’activité du transporteur. La présence (non délibérative) de cette

autorité de régulation au conseil d'administration de la compagnie est susceptible de

soutenir de manière privilégiée le volume d’activité d’Air France. Comme le souligne

Bouaziz (1998) si la DGAC « n’agit pas directement en faveur d’Air France, elle utilise un

établissement public placé sous sa tutelle ADP [Aéroport de Paris] ». Au-delà de ces

coalitions internes, peu critiquées jusqu’à l’ouverture et à l’intensification de la

concurrence sur l’espace aérien français à partir de 1987, l’initiative de la direction d’Air

France dans le processus de décision se manifeste depuis sa création. En accord avec les

pouvoirs publics et les salariés, elle confère au dirigeant un rôle actif dans les décisions de

la compagnie. C’est dans ce contexte de convergence d’intérêts que M. Hymans bénéficie

de moyens réels pour mener une politique dynamique d’investissement et commerciale à

partir de 1948294, comme serait d’ailleurs, supposé agir le dirigeant d’une entreprise privée.

Mais en situation conflictuelle, cette initiative managériale n’exerce qu’exceptionnellement

une influence sur les décisions finales et cela jusqu’à des années très récentes de l’histoire

organisationnelle d’Air France. C’est ainsi que la grève par le personnel de la compagnie,

et notamment le personnel navigant technique (PNT) est le mécanisme de gouvernance

privilégié d’un partenaire essentiel d’Air France, les syndicats (le SNPL en particulier). Par

la grève, ceux-ci infléchissent la décision finale qui dans ces situations extrêmes295 est du

ressort des pouvoirs politiques, incarnés la plupart du temps par le Premier Ministre.

Dans ce contexte organisationnel, à ce processus décisionnel fréquemment centralisé au

niveau des instances actionnariales politiques correspond une structure de gouvernance

très marquée par ce centralisme, à l’exception de certaines phases du développement d’Air

292 Voir TDR, données sectorielles et SGI. 293 TDR, code PDsupCENTr référence Autier et al. (2001, p. 26). 294 TDR, codes PDsupCENTr et PDsupDECi (Autier et al., 2001, p. 24-38-66-110) et aussi code Lat-M contexte privatisé (Autier et al., 2001, p. 89). 295 grève de 26 jours en 1971 qui aboutit au texte de référence de la rémunération des pilotes, document qui sera à l’origine d’autres mouvements de grèves, comme celui de juin 1998 à la veille de la coupe du Monde de football dont Air France est le partenaire officiel.

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France. Ainsi, à l’origine, la société d’économie mixte subventionnée reflète un certain

équilibre de pouvoirs au sein du conseil d'administration, notamment avec une succession

de présidents fortement impliqués dans l’activité aérienne alors naissante (ancien pilote, ou

mandat de direction dans les organismes internationaux professionnels) alors qu’Air

France doit se relever de la guerre. La motivation des personnels, des dirigeants et de

l’actionnaire public converge vers un même objectif, la reconstruction du pays et d’Air

France qui doit incarner le pavillon français. C’est dans cet esprit que l’association des

personnels navigants de l’aviation et la section CGT des mécaniciens et personnels au sol

interviennent dans les décisions notamment pour consultation technique296, rôle joué aussi

par le comité central d’entreprise. Cette intervention syndicale au processus décisionnel

s’accompagne progressivement d’un système de « promotion sociale qui comprend la

reconnaissance des responsabilités syndicales comme qualification d’encadrement ». En

outre, le conseil d'administration joue un « rôle de tribune »297 où sont discutés les aspects

techniques, politiques et stratégiques des décisions prises en dehors de cet organe (tarifs,

ouverture de lignes, investissements et financement). Le schéma suivant propose une

représentation des organes participatifs au processus décisionnel dans l’entreprise

publique.

296 TDR, code SGO, référence Autier et al. (2001, p. 44). 297 TDR, code SGO, référence Autier et al. (2001, p. 46 et 149).

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Schéma 10 : Les organes participatifs à la prise de décision au sein d’Air France avant le

processus de privatisation298

Toutefois, ce « trait-d’union » entre les trois partenaires au processus décisionnel d’Air

France s’estompe au fur et à mesure que les forces de marché exercent de plus en plus de

pression sur la gestion du groupe. Au cours des années 1960-1970 ce contexte

environnemental concurrentiel s’accompagne d’une remise en cause de la mission de

service public et du fonctionnement général des entreprises d’Etat. La rédaction du rapport

Nora (1967) puis du rapport La Genière (1977) constituent d’une certaine manière un

témoignage des caractéristiques essentielles de l’entreprise publique en France à cette

époque. Par là même, ces rapports sont aussi à l’origine des contrats de plan qui incarnent

298 La représentation collective au sein de la Compagnie relève du droit commun sauf pour la représentation des salariés.

Comité de direction Président, DG, DG adjoints, Directeur

financier, Inspecteur général du personnel navigant

(Réunion hebdomadaire)

Comité central d’entreprise dialogue entre direction et syndicat,

gestion de services sociaux et sanitaires internes, représente les partenaires sociaux

Conseil d'administration (rôle décisionnaire limité, lieu privilégié de débat et de proposition

-5 représentants de l’Etat : - tutelle technique : commissaire du gouvernement : directeur général de la DGCA, chargé des relations

de la tutelle avec la direction d’Air France, les syndicats, et autres compagnies, - tutelle économique : contrôleur d’Etat, sans droit de vote, interface entre la tutelle et l’entreprise (transmet l’information au ministère et communique sa position aux directeurs d’Air France), relayé par un directeur du Trésor, et un directeur du Budget (centre décisionnaire des subventions et des dotations en capital)

- 6 personnes qualifiées, dont le dirigeant, représentent les chambres du commerce et les usagers d’Air France - 6 (+1) représentants des salariés : élus par catégorie (personnel au sol, PNT, PNC, actionnaire)

Etat Président de la République

Premier ministre Ministères de Tutelle

économique technique Economie-Finances Transport –DGAC

PDsupCENTr

PDsupCENTi PDsupCENTi

PDsupCENTs

PDsupCENTmo

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257

une première tentative de décentralisation du processus décisionnel au sein des entreprises

publiques et en particulier d’Air France.

1.2.1.2. Les premières tentatives de décentralisation du processus décisionnel

Jusque au début des années 1980, Air France évolue dans un environnement favorable à

l’innovation technologique et à l’augmentation exponentielle de la demande. A la fin des

années soixante, comme beaucoup d’entreprises publiques, Air France est fortement

endettée, conséquence logique d’une période d’intense reconstruction. Ainsi, Air France a

dû financer les investissements souvent orientés par les pouvoirs publics sans

compensation des charges financières que font supporter ces décisions politiques sur la

Compagnie. C’est d’ailleurs à partir de ce constat que le rapport Nora relève un des défauts

de la politique de service public. Selon le rapport, « les pouvoirs publics utilisent de

manière abusive le caractère de service public d’une activité pour justifier son contrôle au

nom de préoccupations macroéconomiques » (Autier et al., 2001, p. 109). Dans cette

perspective, Air France développe la filialisation de certaines de ses activités (chaîne le

Méridien) alors que le tourisme est en pleine essor. En écho au rapport Nora, le rapport La

Génière (1977) suggère, dans le sens du président d’Air France de l’époque (P. Giraudet)

de mettre en place une négociation entre l’Etat et les entreprises publiques pour définir les

objectifs assignés à chacune d’elles. Sous le gouvernement Barre en 1977, Air France

expérimente son premier contrat de plan sur quatre ans, dans lequel sont fixés des objectifs

d’activité299, la compensation par l’Etat des obligations de service public et la planification

conjointe des investissements et de leur financement sur la base d’objectifs de croissance.

Dans cette perspective de contractualisation, des primes aux salariés sont mises en place

pour privilégier les efforts de productivité300. Parallèlement à ce mouvement

d’émancipation managériale à l’égard des pouvoirs publics, la libéralisation du transport

aérien aux Etats-unis amorcée en 1978 par le Airline Deregulation Act engendre une

multiplication des accords bilatéraux en Europe, avec les Etats-Unis et surtout entre pays

membres301. Ces accords constituent les premiers pas vers l’ouverture complète du ciel

européen.

299 TDR, code PDsupDECi, référence Autier et al. (2001, p. 110). Rappelons qu’en première partie de ce travail, nous présentions en annexe 4 l’histoire d’EDF et de la SNCF qui dans la même période mettent en place leur propre contrat de plan. 300TDR, code Lat-M, référence Autier et al. (2001, p. 156). 301 TDR, données sectorielles.

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Entre 1978 et 1988, l’accroissement de la latitude des quatre dirigeants successifs en

matière d’investissement et de tarification se renforce. Notamment, dans le troisième

contrat de plan en 1984 les avances en capital remplacent les subventions votées

annuellement dans le cadre de la loi de Finances302. A partir de cette contractualisation des

relations avec son actionnaire public, le dirigeant bénéficie d’une certaine liberté dans le

choix de ses fournisseurs et de l’emploi des bénéfices qui est une contrepartie à

l’obligation croissante de s’autofinancer. Grâce à une politique d’austérité financière

(rationalisation des réseaux, des postes) tout en développant des innovations commerciales,

Air France atteint dans les années 1980 le niveau de productivité des majors européennes

et génère une capacité d’autofinancement de plus en plus grande (moins de 1 milliard en

1978 à plus du double à partir de 1983). Son taux d’endettement, (120% en 1985, l’un des

plus élevés) décroît jusqu’en 1988, année prévue pour le renouvellement de la flotte.

Prévue en 1987, la cession partielle du capital d’Air France est reportée en raison de la

crise boursière la même année qui serait défavorable à Air France. Cependant, la

croissance économique reste de mise (la croissance du PIB prévue par les experts à 1,3%

est en réalité de 4,5%)303.

En octobre 1988, alors que F. Mitterrand est réélu à la présidence de la République,

avec pour conseiller J. Attali, son frère, B. Attali succède à J. Friedmann ami de

J. Chirac304. A son entrée à Air France, le nouveau président constate (Attali, 1994, p. 27) : « D’un côté, Air France me paraissait d’une fragilité évidente à l’aube du processus de

libéralisation en Europe. De l’autre, toute l’entreprise respirait une immense confiance en elle,

une grande autosatisfaction. Tous les événements […] que j’ai pu vivre depuis lors, je les ai

appréciés au travers de cette contradiction, j’allais dire de cette schizophrénie ».

Après la résorption d’une grève de 100 jours (octobre à janvier 1989) de

mécontentement des conditions de travail suite aux politiques successives de productivité,

le nouveau président renforce la politique d’investissement entreprise par son prédécesseur

pour faire face à la croissance et être en mesure de répondre à la concurrence en premier

lieu franco-française. En effet, le partage des liaisons entre Air France, Air Inter et UTA

fragilise Air France par rapport à ses concurrents européens. Le président lance la

302 TDR, code Lat-M, référence Autier et al. (2001, p. 156) 303 Attali (1994, p. 14). 304 TDR, code SGR référence Autier et al. (2001, p. 183).

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construction du groupe Air France avec le soutien et l’accord des pouvoirs publics305. Le

processus de rachat des deux compagnies est accéléré (début 1990) avant que la procédure

d’autorisation ne soit du ressort de la Commission européenne (fin 1990)306. L’Etat ne

participant pas au financement de l’opération, celle-ci se réalise par endettement. Le

retournement de conjoncture et la crise du Golfe conduisent le président Attali à faire

approuver au conseil d'administration un plan d’adaptation à la conjoncture. La situation de

plus en plus déficitaire d’Air France malgré les synergies qui commencent à être exploitées

avec UTA et Air Inter conduit la direction à concevoir le plan CAP93. « il constitue une

architecture générale » en quatre orientations stratégiques (Attali, 1994, p. 267) :

- « améliorer la productivité » : économie de 1,5 milliards de francs reconductible sur

trois ans (aménagement des horaires, suppression de 1000 emplois au sol par an, recours

à la sous-traitance) ; « il y va de la survie de l’entreprise. » ;

- « renforcer l’efficacité de l’organisation » qui date du début des années 1970 :

� par un renforcement de la cohésion stratégique du groupe (« mise en place d’un

Comité de direction stratégique, réunissant les plus hautes responsables d’Air

France, Air Inter et des autres partenaires aérien du groupe, […] pour créer un lieu

d’arbitrage au sommet. Un centre de commandement stratégique au niveau du

groupe […] investi de la réflexion à moyen terme, […] une délégation aux

systèmes d’information […] pour suivre la cohérence de l’architecture informatique

d’ensemble. Bref le début d’une holding sans l’avouer. »307) ;

� par une réorganisation de la fonction commerciale pour « une meilleure

décentralisation du processus de décision commerciale » ;

� par une simplification des structures et des processus de décisions.

- « aller au devant du client » : qualité du service sur toute la chaîne, changement de

logotype avec consultation du personnel ;

- « adapter le réseau et la flotte au projet de développement » (réorganisation du

réseau au niveau d’Orly et de Roissy, politique de correspondances offrant un service

intégré du départ à l’arrivée du client – enregistrement informatisé, accueil personnalisé,

confort, coopération avec le TGV, etc.- rajeunissement de la flotte).

305 Nous invitons le lecteur à la description du processus de décision de rachat des compagnies, au sein des pouvoirs publics telle qu’elle est relatée par B. Attali, TDR, code PDsupDECi référence Attali (1994, p. 42-51). 306 TDR, code PDsupDECi référence Attali (1994, p. 29-34) ; code PDsupCENTr référence Autier et al. (2001, p. 187) ; code PDsupDECr Attali (1994, p. 188-191). 307 TDR, code PDsupDECmo référence Attali (1994, p. 110-111).

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Ce plan prévoit deux phases de retour à l’équilibre (PRE 1 et 2) par une rationalisation

toujours plus grande du réseau et des facteurs de production en même temps que s’impose

une politique orientée vers la clientèle. Ainsi, la décentralisation des processus

commerciaux conduit à un renforcement des prérogatives commerciales des délégations

régionales. Cette politique exige une réorganisation interne qui vise une réduction

significative des niveaux hiérarchiques et un décloisonnement, comme le suggère l’étude

du cabinet Andersen appelé par Attali308. La mise en place de contrats d’objectifs-moyens

doit accroître la marge d’action des niveaux opérationnels dont les contrôles sont dès lors a

posteriori. Des relations de type client-fournisseur sont définies. Elles responsabilisent les

fonctions commerciales en charge du suivi de la rentabilité et les unités de production, en

charge de la qualité et des prix de revient. CAP93 et ses deux plans de retour à l’équilibre

engagent donc de nouveaux modes de fonctionnement. Les deux extraits suivants

(introductif et conclusif du document CAP93 à la disposition du personnel) témoignent du

contexte environnemental et organisationnel dans lequel Air France doit entamer un

processus de restructuration profonde : « Pour survivre dans la bataille qui s’annonce, il ne suffira pas d’être plus grand que son

concurrent. Il faudra aussi être plus efficace. C'est-à-dire offrir un meilleur service au client à

un prix compétitif, et donc, agir à la fois sur la qualité et le contrôle des coûts ».

en conclusion… « l’évolution du transport aérien expose Air France à une remise en cause sans

précédent de ses positions commerciales, de sa culture, de ses modes d’organisation et de

fonctionnement. Elle met son devenir en question. »

Malgré ces efforts toujours plus grands de la part de tous les personnels du groupe, et la

rencontre de B. Attali avec le Premier ministre309, l’Etat en 1992, décide de réinjecter 2

milliards de francs pour soutenir le plan d’investissement initié par B. Attali en 1988310.

Celui-ci engage par ailleurs la fusion avec UTA dans la perspective d’améliorer la

productivité311. Exactement cinq ans après son entrée en fonction, B. Attali doit de

nouveau faire face à une grève étendue à l’ensemble du personnel. Une protestation

généralisée est encadrée par les 14 syndicats du groupe qui demandent au Premier ministre

« d’user de son autorité pour le retrait du plan ». Malgré le soutien initial de B. Bosson

alors ministre des Transports, la crise se solde par le retrait de deux mesures financières qui

308 TDR, code PDsupDECr références Attali (1994, p. 104-107 ; 212-228 ; 254-285), Autier et al. (2001, p. 216-223). 309 TDR, code PDsupDECi référence Attali (1994, p. 175). 310 TDR, code PDsupDECr référence Attali (1994, p. 101-102). 311 TDR, PDsupDECr, référence Attali (1994, p. 94-95).

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ne suffira pas face au soutien de syndicats extérieurs à ceux d’Air France312. Finalement, le

retrait total du plan par le ministre des Transports est suivi de la démission de B. Attali.

Cette tentative menée par B. Attali, avait pour objectif de décentraliser le

fonctionnement de l’entreprise qui devait s’orienter nécessairement vers la clientèle et la

rationalisation des coûts de fonctionnement. Cette tentative frappée d’échec illustre

simultanément les deux facettes de l’entreprise publique. D’une part, CAP93 symbolise la

latitude plus grande du PDG qui en est le principal initiateur tout en se soumettant

naturellement au contrôle de son actionnaire public : « servir et rendre compte me paraît évidemment normal. C’est ce que j’ai fait pendant cinq ans.

Le directeur de l’Aviation civile, celui du Trésor, celui du Budget siégeaient personnellement à

notre conseil. Un chef de mission de contrôle, représentant les Finances et doté de tous les

pouvoirs avait son bureau à vingt mètres du mien » (Attali, 1994, p. 113).

Une autre caractéristique de l’entreprise publique sous-jacente au processus décisionnel

marqué par le pouvoir politique centralisé réside dans la nomination par les pouvoirs

publics du président de la compagnie publique et dans la structure en réseau du marché

« politique » des dirigeants. Air France en illustre la particularité :

- Depuis 1948, Air France a connu 12 présidents à sa tête depuis 1933 et 30 ministres

(dont 3 seulement ont renouvelé une fois leur mandat pour une année313).

- Quatre présidents sont spécialisés ou ont eu une expérience dans le domaine de

l’aviation, un président, Officier de carrière, pendant la seconde guerre mondiale

(L. Pujo, 1939-1944), un président ingénieur et avocat ayant eu une expérience par ses

postes de président de l’OACI en 1948 et de secrétaire général de l’aviation civile et

commerciale après la guerre (M. Hymans, 1948-1961), un président, ancien Ingénieur

général de l’Air, Directeur du Transport aérien du ministère des Travaux Publics, ainsi

que le Président actuel, J.C. Spinetta pour avoir été Président d’Air Inter jusqu’à sa

démission en 1993.

- Les 9 autres présidents ont soit une formation dans les grands corps (ENA, Sciences

Politiques, Ponts et Chaussées) soit une expérience politique (du haut fonctionnaire

colonial, gouverneur général d’Indochine, E. Roume (1933-1935) à l’énarque,

Inspecteur général de l’Education nationale et Préfet, J.C Spinetta (1997), en passant par

les Conseillers d’Etat, Directeur de cabinet, Inspecteur des Finances, Conseiller

312 TDR, SGR référence Autier et al. (2001, p. 225) et Attali (1994, p. 182-183). 313 et 22 sous la Vème République au cours de laquelle, jusqu’à aujourd’hui, 5 présidents de la République se sont succédés.

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économique de parti politique et autre Préfet, ayant par ailleurs eu, pour certains, un

mandat dans une autre entreprise publique (RATP, ADP, GAN…).

Une rapide analyse de la relation entre changement de président et majorité

gouvernementale fait apparaître que les quatre derniers présidents de la compagnie

reflètent à travers leur nomination, le changement de majorité gouvernementale. Ainsi, la

nomination de J. Friedman (1987-1988, ami personnel de J. Chirac) suit le changement de

gouvernement en 1986 dont le premier ministre est J. Chirac. La nomination de B. Attali

(1988-1993, frère du conseiller de F. Mitterrand) suit la réélection de F. Mitterrand à la

Présidence de la France. Enfin, la nomination, de C. Blanc fait figure d’exception

quoiqu’elle illustre différemment le lien politique du processus de décision au sein d’Air

France. En effet, en 1993, la démission de B. Attali, suite au conflit insoluble avec le

personnel, est suivie de la nomination de C. Blanc (Rocardien avéré) par le gouvernement

Balladur lui même exposé à la crise sociale d’Air France. Selon Autier et al. (Op. cit., p.

232) le choix d’un président de gauche sous gouvernement de droite trouve deux raisons

logiques. La première est relative à la difficulté de trouver un président motivé par la

direction d’une entreprise en quasi faillite et en passe d’implosion sociale. Le choix pour

C. Blanc qui accepte le mandat, est motivé par son passage à la RATP314 ainsi que par son

rôle dans les accords de Matignon en 1988 concernant la Nouvelle Calédonie.

L’expérience passée de ce candidat à la présidence d’Air France reflète son profil de

« gestionnaire exceptionnel des conflits sociaux ». C Blanc est donc susceptible de

résoudre la crise profonde dans laquelle Air France se trouve. La seconde logique qui a pu

prévaloir au choix surprenant315 d’un homme de l’opposition est justement le fait qu’un tel

Président permette « de désamorcer les critiques de l’opposition sur la gestion de ce

dossier. ». Enfin, C. Blanc, convaincu de la nécessaire privatisation d’Air France pour

pouvoir « lutter à armes égales avec ses concurrents » (Autier et al., 2001, p. 277) tente,

avec les 25 directeurs de la compagnie de convaincre le ministre communiste des

Transports, J.C. Gayssot, le ministre de l’Economie et des Finances et le Premier ministre

L. Jospin d’une telle nécessité. Cette tentative aboutit à la démission de C. Blanc,

remplacée par J.C. Spinetta alors conseiller du ministre de l’Education nationale du

gouvernement Jospin.

314 Même s’il démissionne de la Régie parce que non suivi par le Premier ministre de l’époque et le ministre des Transports alors qu’il propose une réforme en profondeur et un service minimum dans le métro. 315 Notamment en raison des parcours plus linéaires des précédents présidents de la compagnie.

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263

En définitive, à partir de 1948 notamment, le processus décisionnel d’Air France se

caractérise par le lien politique fort du centre décisionnaire supérieur de l’entreprise et de

l’actionnaire public. Les présidents d’Air France sont étroitement liés politiquement et par

conséquent, la structure du processus décisionnel au sein de l’entreprise publique ne peut

qu’être marquée par cette spécificité. Toutefois, la nature de ce lien est complexe. La

succession de B. Attali à J. Friedman par exemple, permet de préciser que ce processus

décisionnel se concrétise également par une autonomie relative pour certaines décisions

stratégiques puisque le nouveau président « décide donc très rapidement de renforcer la

politique de renouvellement de la flotte engagée par Jacques Friedman » (Attali, 1994, p.

197). Cette illustration permet de montrer qu’indépendamment de la tendance politique de

son actionnaire, certaines décisions demeurent indépendantes, émanant de l’initiative du

dirigeant, et parfois insidieusement soutenues par les pouvoirs publics. En ce sens, le

processus décisionnel public est un processus centralisé où se mêlent décisions stratégiques

et décisions politiques en soutien de l’entreprise (protectionnisme politique lié à

l’organisation du secteur mais aussi accompagnement diplomatique pour le développement

international de sa part de marché) mais aussi en soutien de la politique publique (maintien

des emplois, contractions budgétaires). Toutefois, celles-ci semblent aussi liées au contexte

économique et sectoriel, en l’occurrence de croissance. Cette première analyse du

processus décisionnel public (et des premiers indices de séparation fonctionnelle timide

aux niveaux supérieurs et inférieurs) présente plusieurs illustrations susceptibles de

corroborer notre proposition 1 selon laquelle, la privatisation en tant que processus de

réallocation des droits de propriété devrait conduire à une séparation fonctionnelle

(contrôle et décision) plus nette par une décentralisation de tout ou partie des étapes du

processus décisionnel au profit des états-majors et de ses différents niveaux, en fonction du

degré de spécificité des décisions à prendre, a fortiori en cas de dérégulation. En ce sens,

l’instauration des contrats de plans et la mise en œuvre du plan CAP93 traduisent les

premières tentatives, certes timides, de décentralisation décisionnelle. Par ailleurs, l’absence d’incitation et de marge d’action réelle aux niveaux opérationnels

témoigne d’un contrôle hiérarchique cloisonné et formalisé en même temps que le conseil

d'administration reste encore à l’écart des processus de ratification incarnant davantage le

rôle de chambre d’enregistrement. Le rôle des syndicats en amont de cet organe, au niveau

des instances politiques traduit avec les spécificités du contrôle hiérarchique, une

gouvernance nettement marquée par une centralisation globale des mécanismes qui

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264

encadrent le processus décisionnel. Ainsi, Air France jusqu’en 1993 présente les

caractéristiques d’une gouvernance publique qui selon notre proposition 2 devrait évoluer

vers un rôle renforcé du conseil d'administration et vers un contrôle hiérarchique plus

incitatif parallèlement à la décentralisation du processus décisionnel. Cette analyse du

contexte organisationnel public présente par conséquent plusieurs indices qui convergent

vers nos propositions 1 et 2 ainsi que vers leur déclinaisons (1a et b, 2a et b), relatives

respectivement, au processus de décentralisation du processus décisionnel aux niveaux

supérieurs et inférieurs et aux caractéristiques de la gouvernance publique plutôt

centralisée tant au niveau du contrôle hiérarchique qu’au niveau du conseil

d'administration.

Toutefois, l’échec du projet de B. Attali et sa démission en octobre 1993 interrompt le

processus de privatisation tel que les propositions 1 et 2 l’envisagent. A ce moment,

comme le relève la Tribune du 08/09/97, Air France présente une dette de 37 milliards de

francs et 3,3 milliards de frais financiers annuels alors que le déficit net s’élève encore à

2,8 milliards de francs en 1993 et 2,9 l’année suivante. Les agents commerciaux ignorent

le prix de revient des sièges qu'ils vendent (un billet vendu 100 francs occasionne un coût

de 117 francs sur l'Atlantique Nord et 110 francs sur l'Europe : soit une perte de 500

millions de francs mensuelle alors que les appareils sont bien remplis). Les vols d’Air

France et d’Air Inter se font sans souci d'harmonie tarifaire ou horaire, sans rapprochement

des systèmes informatiques ni des réservations. Dans une ambiance conflictuelle

croissante, en 1993 Air France semble illustrer à la fois l’inefficience interne (de 3ème

degré, par rapport aux partenaires) et l’inefficience externe (de 2ème degré, par rapport au

marché) telles que Charreaux (1999) les distingue dans le cadre de la TPA et de la TGP (cf.

chapitre 3, sous-section 1.1).

1.2.1.3. La recapitalisation : un nouveau départ pour l’émancipation d’Air France

vis-à-vis de l’Etat

L’arrivée de C. Blanc marque une étape cruciale dans le développement d’Air France

puisque le nouveau PDG accepte la mission qui lui est proposée à deux conditions.

D’abord, l’actionnaire doit accepter de réinjecter 20 milliards de francs, nécessaires à la

remise en condition d’Air France face à la concurrence (désendettement). Ensuite, le

président doit pouvoir bénéficier d’une entière liberté dans le cadre du plan de

restructuration qu’il propose pour rétablir l’équilibre financier « en évitant le désastre

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265

social »316. Après l’aval de la Commission européenne, le projet « Reconstruire Air

France » élaboré par la direction de C. Blanc et approuvé par le conseil d'administration,

constitue dans le prolongement et le renforcement du programme de B. Attali, les premiers

pas d’Air France vers une réelle privatisation de son architecture organisationnelle317.

« Reconstruire Air France » avec 20 milliards de francs apporté par l’actionnaire public

consiste aussi à augmenter la productivité par une réduction de 30% de la valeur

appropriable par chaque catégorie de salariés dont le coût global représente entre 40% et

75% des coûts totaux dans le secteur entre 1990 et 1995318. Le processus de mise en œuvre

du plan implique une participation directe des salariés au processus décisionnel après une

signature du projet par seulement 6 syndicats sur 14. C’est par un référendum auprès des

salariés que C. Blanc est plébiscité (80% des salariés avalisent le projet avec un taux de

réponse de plus de 83%)319. La direction met en place 14 groupes de projets pour mettre en

œuvre la réorganisation qui s’impose pour la reconstruction d’Air France.

Comme nous le décrit notre interlocuteur du management d’Air France, « la mise à zéro

des compteurs » par la recapitalisation constitue pour Air France « un véritable

électrochoc » en interne, face à un secteur de moins en moins artisanal qui peut se

prévaloir depuis le milieu des années 1980 d’un statut d’industrie320.

1.2.2. La dynamique de l’architecture organisationnelle dans le processus de

privatisation d’Air France

Cet « électrochoc » se traduit par une modification de l’architecture du processus

décisionnel tant au niveau supérieur qu’au niveau inférieur pour lesquels l’initiative et la

ratification semblent de plus en plus décentralisées (1221). Parallèlement, cette

décentralisation croissante s’accompagne d’une adaptation des mécanismes de

gouvernance (1222) dont les effets paraissent bénéficier au dirigeant dans sa liberté

d’action. Les points essentiels de ces modifications de l’AO d’Air France sont reprises

dans le schéma processuel en annexe 8.

316 TRD, code PDsupDECr référence Autier et al. (2001, p. 234-235). 317 TDR, code PDsupDECi référence Autier et al. (2001, p. 234-248). 318 TDR, code VAS, référence Autier et al. (2001, p.246-248). 319 TDR, code PDsupDECr référence Autier et al. (2001, p. 241-242). 320 TDR, code PDsupDECi référence Entretien 2.

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266

1.2.2.1. Vers une décentralisation toujours plus grande

En référence à notre modèle, les propositions 1a et 1b stipulent que le processus de

privatisation consiste en une décentralisation d’une ou plusieurs étapes du processus

décisionnel au niveau supérieur et inférieur, selon le type de connaissance stratégique ou

plus opérationnelle. Concernant le niveau supérieur de l’organisation, la condition de libre

exercice de la gestion exigée par le PDG, sans immixtion d’aucun membre de l’actionnaire

public témoigne d’une première étape de l’abandon du pouvoir décisionnel public. B.

Bosson, alors ministre des Transports évoque ses relations avec C. Blanc : « Entre nous le

pacte était clair, il n’y a plus de ministre tuteur. On se voit une fois par mois, lors d’un

dîner, pour que le patron s’il le souhaite, puisse s’épancher »321. Cette décentralisation

manifeste des décisions de gestion et de leur ratification effective au niveau du conseil

d'administration (et non plus au niveau informel des pouvoirs publics) provient par ailleurs

de l’aval de la Commission européenne qui seule est en droit d’accepter ou de refuser

(donc de ratifier) le projet de C. Blanc. En quelque sorte, l’actionnaire public s’efface

devant une autorité supranationale en charge de surveiller le processus de recapitalisation

et de retour à l’équilibre du transporteur aérien. Cette décentralisation effective des droits

de gestion se traduit par la rédaction d’un projet d’entreprise par l’équipe de C. Blanc

soumis aux syndicats et à l’ensemble du personnel. La décentralisation au niveau supérieur, par rapport à l’Etat, se matérialise aussi avec la

gestion par Air France de la nouvelle aérogare de Roissy322 au lieu d’une gestion habituelle

par ADP. Dans le passé, cette autre entreprise publique a conduit Air France à effectuer

son déménagement à Roissy alors qu’elle venait d’investir lourdement en aménagement à

Orly. La décision a été prise à l’époque par le ministre des Transports suite aux besoins

d’ADP de rentabiliser rapidement le lourd investissement induit par la construction de

l’aéroport, commandé d’ailleurs par l’Etat. Ce transfert, mal venu pour Air France à

l’époque, deviendra à partir des années 1990, son atout essentiel dans sa conquête des parts

de marché et dans le développement des alliances internationales. Pour ces dernières,

l’alliance Skyteam créée avec Delta Airlines repose sur la multiplication conjointe des

lignes de desserte en France et aux Etats-Unis. Le hub de Roissy représente alors une

monnaie d’échange non négligeable, puisqu’il fait partie des trois aéroports au monde à ne

pas être encore saturés. Cet avantage concurrentiel essentiel pour Air France s’inscrit en

321 TDR, code PDsupDECr référence Autier et al. (2001, p. 234), et aussi La Tribune du 15/06/95. 322 Sous C. Blanc cette gestion est assurée par un centre de résultat « Escales de Paris ».

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effet, dans un contexte sectoriel dans lequel la création d’alliances avec des majors

mondiales du transport aérien devient une nécessité. C’est ainsi qu’Aeromexico et Korean

Air ont rejoint l’alliance Skyteam et plus tard Alitalia, pourtant sollicitée par l’alliance

concurrente « Star Alliance » au centre de laquelle se trouve le géant américain United

Airlines parmi 6 autres partenaires dont Lufthansa et Air Canada323.

Toutefois, cette décentralisation du processus décisionnel au profit de l’état-major d’Air

France trouve sa limite lorsque les décisions de la direction se heurte aux préférences

d’investissement lourds de l’Etat. Sur la base de la commission d’enquête sur le choix

d’investissement entre Boeing et Airbus, commandée par C. Blanc, la décision finale sera

prise par le Premier ministre en faveur du PDG. Dans le cadre de son projet de fusion d’Air

Inter et Air France et par ailleurs soutenu par son actionnaire suite au plébiscite par les

salariés, C. Blanc peut alors dénoncer le document de référence de la rémunération des

PNT (personnels navigants techniques), véritable « Totem et Tabou ». Cette première

décentralisation réelle des pouvoirs de gestion au dirigeant s’interrompt toutefois lorsque

celui-ci entame une démarche de discussion sur une privatisation à venir d’Air France avec

le nouveau gouvernement en juin 1997 après la dissolution de l’assemblé nationale. Alors

que le gouvernement d’A. Juppé envisage la procédure, C. Blanc dont le nouveau ministre

des Transports du gouvernement de L. Jospin est C. Gayssot décide, après plusieurs

tentatives de discussion de démissionner324 : « Le management doit toujours appliquer les

décisions prises par l’actionnaire. Je pense que, n’ayant pas réussi à le convaincre du bien

fondé de cette politique, il fallait que j’en tire les conséquences ».

Mais pendant son mandat, C. Blanc a mis en œuvre un processus de décentralisation

interne, à tous les niveaux hiérarchiques. On peut considérer son mandat comme celui d’un

président qui a pu, grâce à un abandon partiel des pouvoirs décisionnels de l’actionnaire

public, déclencher le processus de privatisation d’Air France. Dans la manière de le

conduire d’ailleurs, le PDG semble implicitement choisir de mettre en place un processus

décisionnel consensuel, décentralisé où la concertation permet d’impliquer tous les

partenaires sociaux et directement les salariés (notamment à l’appui de plusieurs supports,

comme le journal du Débat qui deviendra le journal du Projet, l’envoi de questionnaires, et

323 Au départ de Paris, 11300 trajets sont possibles pour Air France, alors que Lufthansa et British Airways comptent respectivement 7545 trajets possibles au départ de Francfort et 3968 au départ de Londres-Heathrow, (Autier et al., 2001, p. 285). 324 TDR, code PDsupDECr référence Bouaziz (1998, p. 65-68).

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du document de cadrage). Afin de réaliser la restructuration nécessaire de l’entreprise

publique, conformément aux accords avec la Commission européenne, C. Blanc met en

œuvre plusieurs procédures d’analyse du fonctionnement interne d’Air France. Ces

procédures impliquent tous les salariés (1700 réunions décentralisées au sein du groupe sur

trois mois). Il fait aussi appel au sociologue F. Dupuy du cabinet SMG pour un audit social

et envisager avec les salariés les réorganisations à tous les niveaux hiérarchiques de

l’entreprise dans une perspective centrale, le sauvetage d’Air France325.

Au niveau inférieur, à partir de 1948, la structure est de type fonctionnel avec une

administration centrale, ses directions techniques (directions du fret, du transport, des

opérations aériennes, du personnel, du matériel, direction financière) et sa direction

commerciale. Ces directions forment des « forteresses ou des « baronnies » qui bataillent

entre elles pour l’allocation des moyens »326. Les budgets sont attribués entre elles à partir

de la comptabilité analytique. Ce système d’allocation de ressources déresponsabilise les

échelons inférieurs pour lesquels il n’existe aucune mesure de performance individuelle.

Les relations entre les directions fonctionnelles et les niveaux intermédiaires et inférieurs

semblent marquées par une importante asymétrie informationnelle, les premières

pratiquant une forte rétention d’information à l’égard des secondes327. Par ailleurs, d’après

Autier et al. (2001, p. 43), la procédure de recrutement reste « la chasse gardée du

ministère du Transport » dont le droit décisionnel porte sur la titularisation des stagiaires et

la gestion des retraites. Les premières tentatives de décentralisation aux niveaux

intermédiaires et inférieurs, interrompues avec la démission de B. Attali prennent

réellement effet sous la direction de C. Blanc. Déjà soulevée par le plan CAP93, la

structure cloisonnée et fortement centralisée éclate avec la mise en œuvre des

recommandations du rapport de mission effectuée par le sociologue F. Dupuy du cabinet

SGM. Air France se réorganise en 11 centres de résultat. Ces 11 « quasi-PME »328 sont

responsables de leur ressources et de leurs dépenses, davantage en phase avec un univers

concurrentiel où la recette unitaire et la part de marché sont les indicateurs de l’avantage

concurrentiel du transporteur aérien :

- 6 centres sont chargés d’une zone géographique et d’un type d’activités aériennes,

- 5 centres de résultats (CDR) sont chargés des activités logistiques, transversales.

325 TDR, code PDsupDECmo référence, Autier et al. (2001, p. 240). 326 TDR, code PDinfCENTi référence Autier et al. (2001, p. 42-43 ; 141). 327 Ibid. 328 TDR, code PDinfDECs référence Autier et al. (2001, p. 249-255).

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Après une décentralisation maximale, certaines fonctions comme la gestion de la flotte

et des horaires, le yield management (optimisation de la recette unitaire lors de la

tarification) ont été re-centralisées pour être prises en compte dans la définition des

orientations stratégiques (fixation des prix et politique commerciale). Ce feed back

organisationnel peut être interprété comme la recherche graduelle d’une co-localisation

optimale des informations locales spécifiques à une prise de décision plus appropriée.

Ainsi, par nature, l’activité (coûts fixes élevés, multiplication des liaisons, système de

réservation libre329) repose sur des informations qui concernent l’ensemble de

l’organisation et non un seul centre de résultat ou une seule agence. En ce sens, la co-

localisation décision/information est influencée par les caractéristiques sectorielles. Le rôle

du système informatique est essentiel pour gérer de manière optimale la répartition des

tarifs au sein d’un même avion et de tous les avions. Ainsi, cette centralisation des clés de

répartition informatique se matérialise par une « salle des marchés » au siège où une

trentaine d’ordinateurs opèrent les calculs. Ainsi, l’organisation matricielle d’Air France

mise en œuvre par C. Blanc traduit selon nous, un effort de co-localisation des décisions

commerciales relatives à la qualité au niveau local (accueil au niveau des comptoirs

d’enregistrement avec la création des vestes rouges et vertes) qui se traduit par plusieurs

mécanismes de coordination et d’évaluation décentralisés. Mais dans la mesure où la

qualité du service est globale, la gestion centralisée des horaires et les mécanismes de

coordination et d’évaluation des retards et des plaintes sont co-localisés au niveau

supérieur afin d’adapter les orientations stratégiques et de définir les mesures correctives.

Ainsi, comme le relève un directeur (Le Monde 28/07/94) : « Il faut rendre une volonté

commerciale à cette entreprise. Les centres de résultat aideront à transformer cette grosse

machine administrative qu'était Air France et ils seront gérés par une structure allégée

proche du terrain et des besoins des clients. »

La forme matricielle adoptée finalement permet à l’entreprise à travers les centres

logistiques fonctionnels, d’assurer la coordination des centres de résultats divisionnels,

spécialisés quant à eux, par activités. Ainsi, entre 1992 et 1996, le processus de co-

localisation des droits de décision/connaissance spécifique répond finalement aux niveaux

supérieur et inférieur, à la nécessité de mettre en adéquation les connaissances spécifiques

de chacun d’eux et l’initiative et la ratification dont ils doivent bénéficier pour que la prise

329 possibilité de réserver sans avances et de ne pas se présenter, contrairement par exemple au système de réservation TGV qui impose un forfait définitif de réservation, non remboursable.

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de décision soit optimale du point de vue de la qualité globale qu’exige ce secteur

d’activité (sécurité, ponctualité, accueil au sol et à bord, réservation, dessertes, fréquence,

etc.). La décentralisation du processus décisionnel achevée avec C. Blanc paraît donner à

Air France la capacité de s’adapter d’un point de vue opérationnel et stratégique. Cette

capacité d’adaptation est cruciale dans un secteur comme le transport aérien, sensible à la

conjoncture économique et politique. Ces réorganisations semblent donc refléter la

recherche d’une efficience de second degré par rapport aux formes organisationnelles

possibles dans un tel contexte d’activité.

1.2.2.2. Evolution du système de gouvernance au cours du processus de

privatisation

Selon notre modèle, le processus de privatisation est susceptible de modifier le système

de gouvernance c'est-à-dire la combinaison des mécanismes qui encadrent le processus

décisionnel. En ce sens, la gouvernance plutôt centralisée dans l’entreprise publique

devrait changer au profit d’un système de gouvernance mixte. Tout en conservant certaines

caractéristiques du processus décisionnel associé au modèle orienté réseau, le processus de

privatisation devrait donc combiner des mécanismes plus incitatifs orientés marché,

notamment en rapport avec le contrôle hiérarchique (mécanismes incitatifs construits sur

des critères de marché(s)). Dans le cas d’Air France, notre analyse de données (relatives

aux mécanismes plutôt orientés marché et aux mécanismes plutôt orientés réseau) fait

apparaître plusieurs changements. Notamment, le processus de décentralisation progressif

du processus décisionnel semble lié aux mécanismes de marchés (secteur du transport

aérien et marché financier) qui se traduisent de manière complémentaire par une évolution

des mécanismes plus spécifiques à la firme (CA, contrôle hiérarchique et autres organes de

surveillance). Ainsi, nous observons une première relation entre processus décisionnel et

système de gouvernance, le premier étant influencé par les forces de marché, une des

composantes du second. Cependant, si la décentralisation est effectivement induite par une

recherche d’efficience de second degré supérieure pour survivre, elle s’accompagne aussi

d’une évolution de l’AO. L’analyse du processus de privatisation d’Air France nous a

permis d’observer une seconde relation, relative à l’évolution de la gouvernance de

l’entreprise, conjointement à celle du processus décisionnel, comme l’envisage notre

modèle.

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Longtemps au sein d’Air France, les réunions informelles au niveau des instances

politiques (cabinet ministériel avec les syndicats et/ou la direction) se sont substituées au

rôle dévolu traditionnellement au conseil d'administration. Parallèlement, le rôle d’arbitre

joué par le cabinet du Premier ministre s’explique par la dualité entre la direction et le

« lieu incontournable » du bureau des syndicats, notamment celui de R. Génovès, ancien

secrétaire général de la section Force Ouvrière d’Air France330. Ce rôle d’arbitre s’explique

aussi semble-t-il, par la dualité potentielle entre les deux tutelles de l’entreprise, le ministre

de l’Economie et des Finances et celui des Transports331. Avec la recapitalisation d’Air

France, la gouvernance va progressivement évoluer, en même temps que le processus

décisionnel traduit l’abandon des pouvoirs publics de la fonction de gestion au profit d’une

direction en quête de cohérence organisationnelle. En référence à notre schéma processuel

relatif à l’AO d’Air France, nous pouvons remarquer une relation complexe entre

l’évolution graduelle du processus décisionnel (aux niveaux supérieurs et inférieurs) et le

rôle essentiel des mécanismes de marché (notamment le secteur d’activité), dans la

dynamique de la gouvernance d’Air France.

Tout d’abord, au cours des premières tentatives de décentralisation au niveau supérieur,

la mise en place des contrats de plan dans les années 1970-80 intervient en même temps

que la concurrence s’intensifie aux Etats-Unis et par extension en Europe. La pression

concurrentielle croissante depuis les années 1980 contraint les transporteurs aériens à des

efforts continus de productivité, d’autant plus que l’activité fait appel au financement par

endettement et par conséquent, impose de lourdes charges financières. Comme notre TDR

le montre à plusieurs reprises (voir code SGO-SGM), durant la phase I du processus de

privatisation, depuis le plan CAP93 élaboré par B. Attali jusqu’au projet de J.C. Spinetta

qui vise à « restaurer la compétitivité d’Air France », la politique est à la réduction de

coûts. La séparation fonctionnelle entre l’Etat et le dirigeant de la compagnie, timidement

amorcée avec les contrats de plan se renforce sous la direction de C. Blanc et du PDG

actuel, comme nous l’avons relevé dans la sous-section précédente. Ainsi, Air France doit

faire face à une concurrence croissante, notamment sur le marché national avec la perte

progressive de l’autorité des pouvoirs publics sur les droits de trafic intérieurs (au profit de

la Commission européenne et de la libéralisation totale depuis 1997). C’est dans ce

330 TDR, code PDsupCENTr référence Bouaziz (1998, p. 193-210). 331 TDR, code PDsupCENTr référence Bouaziz (1998, p. 96-97). Remarquons à ce propos, que la convergence d’objectifs entre la direction et le ministre de l’Economie est susceptible d’être plus forte qu’avec le ministre des Transports.

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contexte que B. Attali initie le projet de fusion d’Air France avec UTA puis Air Inter. Suivi

par le gouvernement jusqu’à sa mise en oeuvre, ce projet est finalisé par C. Blanc sous

réserve d’une décentralisation totale de la gestion afin de permettre à Air France de

répondre aux menaces des concurrents sur les lignes intérieures en particulier. Dans ce

contexte de comparaison continue entre acteurs du secteur, c’est d’ailleurs sous C. Blanc

que la période d’exercice fiscal d’Air France (initialement calée sur l’année civile) est

modifiée pour s’adapter aux normes sectorielles. Ainsi, l’exercice 1994 court du

1er/01/1994 au 31/03/95 en parallèle à l’activité touristique. De même, C. Blanc a placé son

projet « Reconstruire Air France » sur le benchmark de Lufthansa, afin de donner au

personnel un repère de compétitivité, en même temps qu’Air France prend une structure de

holding. La décentralisation par rapport aux pouvoirs publics se concrétise davantage avec

l’abandon de trois procédures :

- le contrôle des investissements par le Fonds de développement économique et

social ;

- le contrôle a priori par un comité spécialisé ministériel d’investissement ;

- l’autorisation préalable à celle du conseil d'administration en cas de création, de

gestion ou de prise de participation d’Air France dans des activités annexes332.

En outre, les obligations éventuelles de service public par Air France doivent faire

l’objet de contrats assortis d’un cahier des charges entre la société et l’Etat ou autres

collectivités publiques333. Ainsi, pendant la première phase du processus de privatisation

d’Air France, (avant l’ouverture du capital), ces recentrages du rôle de la tutelle de l’Etat,

contribuent à redonner au conseil d'administration un pouvoir effectif de ratification, en

particulier concernant les opérations de croissance externe.

Ensuite, avec l’ouverture du capital en 1999, la deuxième phase du processus de

décentralisation s’est traduite par l’introduction d’actionnaires privés à hauteur de 32%

(11% salariés, 32% flottant et 57% Etat qui détenait 94,5% en 1998). Ce nouvel équilibre

de l’actionnariat334 a conduit à modifier la représentativité au conseil d'administration dont

le nombre légal de membres passera de 18 à 21335 en 2001. Le dépassement du seuil de 4%

de capital détenu par les salariés PNT (7% en mars 2000) a imposé la désignation d’un

332 TDR, code PDsupCENTr référence Bouaziz (1998, p. 96-97) et code SGI national référence Rapport 264 du Sénat. 333 TDR, code SGI national référence Rapport 264 du Sénat. 334 soit 1,3 millions d’actionnaires en avril 1999 (rapport 1999/2000). 335 TDR, code SGI national, référence Rapport 264 du Sénat.

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troisième censeur au conseil d'administration en plus du représentant des salariés

actionnaires (depuis 1998336). En outre, la représentation des salariés par 6 personnes élues

est maintenue du fait de la détention majoritaire du capital par l’Etat. De même, sont

maintenus les 5 représentants de l’Etat et les six personnes qualifiées toujours nommées

par décret. Cette modification de la composition du conseil d'administration et de ses

prérogatives s’est accompagnée en 1999, de la création de deux comités spéciaux pour

lesquels l’Accord Global Pluriannuel signé avec les pilotes en 1998 prévoyait un

représentant censeur au conseil d'administration. Sur l’exercice 99/00 ces comités se sont

réunis deux fois et se composent de la manière suivante 337 :

- comité stratégique (6 personnes) :

� le PDG,

� deux représentants de l’Etat (le directeur du Trésor, le Chef de l’Inspection

générale de l’aviation civile et de la Météorologie)

� une personne qualifiée (le PDG d’Usinor),

� le censeur Commandant de bord, représentant les PNT actionnaires,

� un représentant des salariés PNT.

- comité d’audit (4 personnes) :

� un représentant de l’Etat Conseiller Maître à la Cour des Comptes,

� Deux personnes qualifiées (le PDG de Sanofi-Synthélabo et le PDG de Dexia),

� Le censeur Commandant de Bord, représentant les PNT actionnaires

La mise en place de ces organes fait partie d’un ensemble de changements

fondamentaux des rapports d’Air France avec son actionnaire initial. Selon notre

interlocuteur, Air France doit répondre à « un regard nouveau d’évaluation porté par la

communauté financière sur sa stratégie. Cette prise de conscience s’est traduite par un

changement en matière de communication à la fois interne et externe (en conformité avec

la réglementation de la COB). » Ainsi, les comités spécialisés constituent des vecteurs

d’information et de contrôle sans immixtion dans la gestion. La personne interrogée les

336 En 1994, 12000 salariés ont accepté un échange d’actions contre une baisse volontaire de leur salaire pendant 3 ans. A cette participation de 1% s’ajoute la participation de 1,2% des salariés ayants-droit, lors de la transformation de la Compagnie en SA avec la dissolution de la Société coopérative de main d’œuvre qui détenait les droits de vote attribués aux salariés dans la société anonyme à participation ouvrière. (Rapport, 1997/1998, p. 44-45). De ce fait, l’exercice de BSA assorti à ces deux formules d’actionnariat salarié, complété par l’actionnariat salarié d’Air France Europe, l’échange d’action contre une réduction de salaire des pilotes en octobre 1998 et par un plan d’options d’achat d’action mis en oeuvre en mai 2000 par Air France, a conduit à un actionnariat de plus de 4% du capital émis, donnant droit à l’élection d’un représentant des salariés depuis 1998 et à la nomination d’un troisième censeur au CA depuis septembre 2000. 337 TDR, code SGR, référence rapport AG 99/00.

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qualifie de « courroies de transmission » qui permettent aux actionnaires privés un accès

privilégié aux informations financières et, à l’Etat, de déléguer une partie de la fonction de

contrôle à deux organes susceptibles de porter un regard professionnel sur la gestion. Dans

le cadre de cette phase II du processus de privatisation, l’ouverture du capital

s’accompagne donc d’un nouveau regard, celui de la communauté financière sur la gestion

d’Air France. Le marché financier apparaît donc comme un nouveau mode de gouvernance

qui commence à contrebalancer le système de gouvernance fortement marqué par les

réseaux syndicaux, politiques et participatif à la décision en amont. Ainsi, selon notre

interlocuteur, ces deux mécanismes complémentaires au conseil d'administration qui

exerce un rôle plus ponctuel, représentent une garantie importante pour le marché

financier, en particulier pour les investisseurs institutionnels338. En outre, parmi ces

changements cruciaux pour Air France à l’égard de ses nouveaux actionnaires individuels,

la création d’un comité consultatif en juin 2000 répond au souci de l’entreprise « de

connaître [les attentes des actionnaires] et d’y répondre le mieux possible » (discours de

J.C. Spinetta à l’AG de septembre 2000). Objectif qui semble déjà atteint en partie puisque

le service actionnaires d’Air France a été récompensé par le 2ème prix des Fils d’Or

2000339.

Enfin, parallèlement à ce détachement de plus en plus net à l’égard des pouvoirs

publics, la part majoritaire de l’Etat dans le capital se traduit toutefois par un maintien de

ses contrôles (économique et technique) en plus de ses cinq représentants au conseil

d'administration. Ainsi, parmi les neuf autres personnes qui assistent également au conseil

d'administration avec voie consultative (TDR, code SGO, référence rapport AG 99/00)

quatre sont rattachées aux pouvoirs politiques (un chef de mission de contrôle, un

contrôleur d’Etat, deux commissaires du gouvernement rattachés à la DGAC).

Cette évolution conjointe au niveau supérieur du processus décisionnel et de la

gouvernance s’est accompagnée au niveau intermédiaire et inférieur, de modifications du

contrôle hiérarchique. En particulier, le cadre interrogé considère que la structure

actionnariale a affecté le fonctionnement interne. En particulier, en combinant l’association

du personnel au capital de l’entreprise (notamment la minorité de blocage que représente

les pilotes) au rôle du marché financier, la culture de la rentabilité paraît s’installer. Notre

interlocuteur observe que les messages financiers de critères de rentabilité, de benchmark,

338 TDR, code SGO référence entretien 2. 339 TDR, code SGM.

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notamment Lufthansa sont mieux entendus340. Par ailleurs, la création de la « lettre aux

actionnaires », l’organisation de la « journée de bourse » ou le « guide de la formation pour

devenir actionnaire » sont autant de supports par lesquels le personnel apprend les

mécanismes de bourse et intègre le rôle d’évaluation par ce marché de la performance

d’Air France.

Dans le même sens, en raison de la contrainte exercée par la croissance du secteur,

notamment la crise mondiale dans les années 1990341, Air France a dû mettre en place trois

plans d’entreprise successifs (un par président) visant à réduire les coûts de personnel et

leur harmonisation. Plusieurs mécanismes internes de rémunération incitative à la

performance ont été mis en place progressivement depuis les premières tentatives de

décentralisation interne sous la direction de B. Attali, mais surtout à partir de la

décentralisation effective sous C. Blanc puis son successeur :

- mise en place de critères de rémunération basés sur la performance au niveau des

vendeurs sous la direction Attali342 ;

- opérations successives d’échange salaires-actions, dans le cadre du projet de

reconstruction de C. Blanc343 ;

- contrats de performance interne avec l’obligation de respecter les balises de qualité

sous J.C. Spinetta344.

Les avantages statutaires (rémunération des pilotes notamment) générateurs de conflits

(grèves de 1971, 1988, 1993) ont dû être renégociés. Le processus décisionnel consensuel

mis en place par C. Blanc a permis de contractualiser les rapports sociaux de sorte que la

réduction de coûts soit négociée sans générer de conflits préjudiciables. Ainsi, différents

accords (accords de janvier-février et juillet 1997 par exemple)345 ont permis entre autres, à

chaque salarié, de percevoir une prime exceptionnelle de 2500 francs, après un gel des

salaires de quatre ans et d’harmoniser le système de rémunération des pilotes d’Air France

Europe et des autres pilotes sur la base forfaitaire et non plus à l’heure de vol. Suite au

conflit de juin 1998, un protocole d’accord visant la stabilité sociale durable est mis en

place. Il prévoit plusieurs principes à partir desquels les signataires devront trouver un

340 TDR, code SGM référence entretien 2. 341 TDR, code SGO et données sectorielles. 342 TDR, code SGM référence Attali (1994, p. 14-16). 343 TDR, code SGM entretien 2. 344 TDR, code SGM, Autier et al. (2001, p. 289-296). 345 Rapport 1997-1998, p. 42.

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accord. Ces principes font référence à la nécessaire maîtrise de l’évolution des coûts du

personnel, un actionnariat salarié significatif à terme, une révision de la rémunération

(suppression de la double échelle des salaires, mise en place d’une rémunération spécifique

« pilotes cadets » par exemple). En 1998, trois accords sont passés entre les trois catégories

de personnels et Air France :

- Accord Global Pluriannuel avec le PNT (personnel navigant technique), issu de

l’accord de sortie de conflit de juin 1998 ;

- Accord pour le Développement Partagé du PS (personnel au sol) qui constitue un

cadre pour les négociations décentralisées dans l’entreprise ;

- Accord Collectif Pluriannuel pour le PNC (personnel navigant commercial).

Ainsi, la négociation des accords avec le personnel est internalisée sur la base d’un

processus décisionnel progressivement décentralisé en réponse à l’impératif de

productivité économique. En outre, elle se traduit par un contrôle hiérarchique construit sur

des critères de performance commerciale et boursière (via la rémunération en actions).

Enfin, plusieurs modifications institutionnelles et propres à Air France semblent

modifier le rôle du marché du travail pour le personnel d’Air France. Le recours aux

suppressions négociées d’emploi depuis les années 1990346, période de crise du secteur et

la modification des conditions de rémunération (salaire plus bas pour les jeunes

embauchés, Accord Global Pluriannuel) ainsi que la récente harmonisation européenne des

licences de pilotes et le recours croissant à la sous-traitance de ces mêmes personnels par

les transporteurs favorisent la mobilité du personnel.

Pour conclure sur la dynamique organisationnelle d’Air France au cours de son

processus décisionnel, nous proposons dans le schéma 11 (ci-après) une représentation des

organes participatifs au processus décisionnel et la structure organisationnelle

correspondante à l’issue du processus de privatisation jusqu’en 2001.

La gouvernance de l’entreprise à l’issue de ces 6 années de processus de privatisation

semble progressivement s’ouvrir sur des mécanismes de marché, tant au niveau du conseil

d'administration et des comités spécialisés périphériques qu’au niveau du contrôle

346 Dont Attali est le premier président pour Air France, à présenter un plan de redressement fondé sur la suppression d’effectifs (code Lat-M, référence Attali, 1994, p. 113).

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hiérarchique qui a progressivement privilégié la performance interne, individuelle et

actionnariale, notamment pour les pilotes, indispensables au fonctionnement de

l’entreprise. Cette analyse de la dynamique organisationnelle d’Air France au niveau du

processus décisionnel et de sa gouvernance converge vers notre proposition 2. Ainsi, le

cas Air France permet d’accepter notre modélisation des effets de la privatisation sur la

gouvernance en combinant un contrôle fort au sein du conseil d'administration

(proposition 2a), notamment par les salariés qui en définitive représentent un actionnaire

stable tout comme l’Etat. A ce renforcement du contrôle par le conseil d'administration

s’ajoutent d’autres mécanismes orientés marché, notamment au niveau interne, comme la

structure de rémunération ou le système d’information, mais aussi les comités spéciaux

(proposition 2b). Toutefois, le rôle ambigu de la DGAC en tant qu’autorité de régulation

et membre du conseil d'administration (deux personnes avec voix consultative et une

personne de l’aviation civile) donne à la dimension réseau de la gouvernance d’Air France

toute sa signification347 de même que le rôle joué par le syndicat majoritaire d’Air France

FO, dont le secrétaire général de section « est qualifié par ses admirateurs de « syndicaliste

à l'allemande » (La Tribune 06/03/97). En ce sens, le processus de privatisation n’étant pas

achevé, la gouvernance d’Air France paraît encore très marquée par un contrôle fort, axé

sur les décisions stratégiques. De plus, le conseil d’administration se caractérise par la

présence d’industriels, personnes qualifiées mais aussi d’un actionnariat salarié renforcé.

347 TDR, code SGR référence

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Schéma 11 : Les organes participatifs à la prise de décision au sein d’Air France à l’issue de la phase II du processus de privatisation

Comité exécutif Développement, RH, Relations publiques,

International et Europe, système informatique, Affaires financières, Marketing

Comité d’entreprise

Conseil d'administration 5 représentants de l’Etat (décret) : tutelle technique, tutelle économique 6 personnes qualifiées (décret) : dont le président 6 administrateurs salariés : élus par catégorie (4 PS dont 1 cadre, 1 PNT, 1 PNC) - 1 représentant des actionnaires salariés désigné parmi ceux-ci 3 censeurs dont un PNT

Etat : 56% Président de la République, Premier ministre,

Ministères de Tutelle (technique, économique)

PDsupCENTr

PDsupDECi-mo-r-s

PDsupCENTs

CDR activités aériennes

CDR activités logistiques

* re-centralisés progressivement pour les orientations stratégiques

Air France informatique*

Escales de Paris*

Commercial France*

Air France Industries

Air France Maintenance

Amériques

Afrique/Moyen-Orient

Asie/Pacifique

Fret

Europe

Antilles/Guyane/Réunion

Actionnaires salariés 11%

Flottant 33%

Comité d’audit - Conseiller Maître à la Cour des Comptes - 2 Personnes qualifiées nommées par décret- censeur représentant des salariés

Comité stratégique PDG Directeur du Trésor Personne qualifiée Censeur salarié Salarié administrateur Inspecteur Aviation civile

Marché financier

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1.2.2.3. Vers une latitude managériale croissante

D’après notre modèle, la décentralisation du processus décisionnel au profit de l’équipe

managériale combinée à un système de gouvernance mixte est susceptible d’accroître la

marge d’action du dirigeant dans l’exercice plein et entier de sa fonction de gestion à

l’issue de la privatisation. Le développement précédent souligne l’importance des

initiatives menées à terme par C. Blanc et son successeur, contrairement à B. Attali348

encore fortement contraint en amont, par un pouvoir décisionnel à trois. Si, notre recueil

des données permet de constater la convergence des allocutions des différents ministres des

Transports, du rapport Nora (PDsupDECi-r) et des discours tenus par les syndicats (code

SGO) à l’égard de l’autonomie de gestion plus grande nécessaire au dirigeant d’Air France,

ce n’est que depuis C. Blanc et la recapitalisation qu’elle est réellement effective (code

Lat-M). De plus, la contractualisation des relations avec le personnel depuis 1998

essentiellement, permet une négociation directe sans intervention des pouvoirs publics au

niveau supérieur et sur plusieurs années entre la direction et son personnel. Ainsi, la

décentralisation du processus décisionnel au profit de l’équipe managériale conformément

à notre proposition 1 (a et b) paraît plus favorable au dirigeant, (proposition 3) comme C.

Blanc l’avait d’ailleurs souhaité à son entrée en fonction. Comme le souligne le journal Les

Echos du 23/10/97, «alors qu’il avait claqué la porte d’Air Inter en 1993 parce que sa

tutelle lui refusait des fermetures de lignes déficitaires, J.C. Spinetta semble avoir plus de

latitude aujourd’hui : il renforcera la qualité de son réseau domestique « dans le cadre de

choix économique qu’il (lui) appartiendra d’apprécier ». Enfin, comme le souligne J.C.

Spinetta lui-même,349 : « C’était la même chose qu’avec mon prédécesseur, le président d’Air France a une autonomie

de gestion pleine et entière… Naturellement l’Etat a des pouvoirs de contrôle. Mais il a appris

depuis quelques années que la seule relation possible avec les entreprises dans lesquelles il est

actionnaire majoritaire, c’est de faire confiance à la direction des entreprises, sans interférer

dans les décision de gestion ».

Pour conclure sur le lien entre privatisation et latitude managériale, faute de pouvoir la

quantifier, précisons toutefois que si cette autonomie paraît croissante elle n’en demeure

pas moins bornée dans la mesure où elle s’accompagne aussi d’un conseil d'administration

348 sauf, exception notoire de la négociation de la fusion avec UTA entre les deux PDG, processus qui annonce la séparation fonctionnelle plus franche dans les années qui suivent (TDR code Lat-M référence : Attali, 1994, p. 44-51 et aussi 59-63 ; et référence Bouaziz, 1998, p. 140 et 160). 349 TDR code PDsupDECr référence Les Echos 11/03/98.

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davantage « opérationnel » (dorénavant, les décisions sont prises principalement au sein de

cet organe et non plus au niveau des pouvoirs publics) et d’un regard (contrôle) nouveau

porté par la communauté financière. De plus, la présence majoritaire des pouvoirs publics

au sein du conseil d'administration reste potentiellement un mécanisme de gouvernance

fortement contraignant. En revanche, la contractualisation avec le personnel semble

atténuer l’intervention directe des syndicats dans le processus décisionnel d’autant plus que

les pilotes en particulier, constituent un actionnaire de référence, comme c'est d’ailleurs le

cas pour United Airlines (50%) par exemple.

1.2.3. Dynamique de la gouvernance et valeur appropriable par les partenaires

Le troisième niveau d’analyse de notre modèle organisationnel de la privatisation

correspond aux effets de cette dynamique de la gouvernance sur la capacité des acteurs

impliqués dans le processus décisionnel, à s’approprier une partie de la valeur partenariale.

Autrement dit, la question adressée ici est la suivante : en modifiant les mécanismes par

lesquels les partenaires peuvent influencer la création et répartition de la valeur, la

privatisation engendre-t-elle un niveau plus ou moins élevé de valeur appropriable par

chaque partenaire considéré ? Notre modèle ayant pris en compte les actionnaires, les

salariés dont le dirigeant, les clients et les fournisseurs, nous présentons les résultats de ce

dernier niveau d’analyse pour les actionnaires (1231), dont les salariés et le dirigeant d’un

coté et les partenaires commerciaux ensuite (1232).

1.2.3.1. La dynamique organisationnelle au niveau des différentes catégories

d’actionnaires

Globalement, la conclusion du président actuel d’Air France sur la stratégie du groupe

depuis son entrée en fonction (phase I et II), nous paraît symbolique des effets de

l’orientation progressive de la gouvernance vers un modèle mixte sur la valeur

appropriable par l’ensemble des actionnaires : « En termes de taille, de rentabilité, de parts de marché, d’efficacité des alliances, je pense que

nous sommes incontestablement entrés dans le camp des entreprises majeures au niveau

mondial dans notre secteur. Ainsi, le marché semble faire confiance à notre stratégie et à notre

vision de l’avenir, puisqu’il considère que la progression de 45 % du titre d’Air France recèle

encore un potentiel important de croissance. Il nous appartient de lui donner raison et

d’exploiter l’ensemble de nos atouts. J’annonce à l’ensemble des actionnaires de l’Entreprise

que ce pari me semble bien engagé » (discours de J.C. Spinetta à l’AG de septembre 2000).

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En convergence avec notre proposition 4, selon laquelle la gouvernance mixte accroît

le niveau de valeur actionnariale appropriable, il semble en effet que l’ouverture de

l’entreprise à des mécanismes de marché favorise un encadrement du processus

décisionnel orienté vers le résultat distribuable et la plus-value potentielle sur le cours

malgré la spécificité du secteur350. En outre, l’actionnariat salarié et les mesures internes de

coordination orientées sur les performances boursières et commerciales de l’entreprise

tendent également à inciter les comportements vers une création de valeur actionnariale

susceptible d’être appropriée par les salariés détenteurs d’actions. Singulièrement, depuis

mai 2000, les pilotes dont la spécificité du capital humain semble renforcer leur

participation au processus décisionnel, bénéficient (pour 2787 d’entre eux) d’un plan

d’options sur action dont le prix d’exercice est fixé à 15,75 euros. En outre, la nomination

de C. Paris (gérant des fonds de placements des pilotes) en tant que censeur au conseil

d’administration et membre des deux comités spéciaux, en plus des représentants des

actionnaires pilotes et des salariés PNT, octroie à cette catégorie de salariés de nouveaux

modes d’action sur le processus décisionnel. Ces mécanismes d’encadrement du processus

décisionnel sont détachés en partie des syndicats et des pouvoirs politiques, sans toutefois,

que cette dernière option de recours ne soit exclue, l’Etat et notamment le ministre des

Transports étant encore majoritaires. La proposition 6 relative à la valeur appropriable par

les salariés au capital humain spécifique trouve ici plusieurs illustrations convergentes. En

effet, notre modèle stipule que la privatisation via le système de gouvernance mixte

(rémunération indexée sur la performance comptable et/ou boursière) permet aux salariés

actionnaires d’accroître le niveau de la valeur qu’ils peuvent s’approprier, a fortiori pour

les salariés-actionnaires au capital humain fortement spécifique à la firme.

Concernant plus spécifiquement la valeur appropriable par les dirigeants d’Air France,

leur rémunération au sein d’Air France ne semble pas significativement influencée par le

processus de privatisation à l’heure actuelle, comparativement aux PNT. En effet, ils ne

bénéficient pas avec l’ouverture du capital de plan d’option sur actions351. Mais ils peuvent

souscrire au capital d’Air France en tant qu’actionnaire individuel, comme J.C. Spinetta le

précise d’ailleurs à l’assemblée générale des actionnaires de septembre 2000 (environ 900

actions). De plus, la séparation fonctionnelle qui résulte de ce processus de privatisation

350 Annexe 8a : cours d’Air France depuis sa cotation en février 1999. et TDR, code VAA (valeur appropriable par les actionnaires), référence Autier et al. (2001, p. 302-304). 351 Document de référence 1999/2000, p. 88.

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partielle est susceptible de renforcer le capital managérial dans la mesure où le dirigeant est

plus libre dans ses choix comparativement au contexte décisionnel public. En ce sens, la

valeur appropriable par le dirigeant peut aussi résider dans la notoriété (politique et/ou

économique) qu’il peut acquérir via sa participation centrale au processus de privatisation

de l’entreprise publique. Le marché des dirigeants français semble en effet favoriser le

parcours au sein d’une entreprise publique comme nous le relevions lors de l’historique du

parcours des dirigeants successifs d’Air France. C. Blanc a ainsi reçu en 1998, la légion

d’honneur par le président de la République352. En, outre, sur un marché mondial comme le

transport aérien, la latitude relativement réduite (mais croissante) des dirigeants français

publics semble aussi être valorisée puisque le même président qui a su, à plusieurs reprises,

tenir tête à ses actionnaires, s’est vu décerner en 1997, par l’Aviation Week (magasine

américain) les lauriers du transports aériens pour son action à la tête d’Air France. Enfin, concernant la politique de financement, notre proposition 5 considère que les

choix plus larges avec l’ouverture au marché financier, devraient être davantage orientés

vers l’endettement en présence d’une banque parmi les actionnaires dominants. Dans le cas

d’Air France, l’histoire du groupe, sa structure actionnariale et l’évolution de son ratio

d’endettement353 ne permettent pas de mesurer ce lien théorique. Toutefois, au 31/03/1998,

la Caisse des Dépôts et Consignation (CDC) détient 0,57% dans le capital d’Air France. En

1991-1992, avec la BNP (encore publique) la CDC a permis à Air France d’émettre des

emprunts obligataires alors que l’entreprise présente des ratios supérieurs à 1 juste avant la

recapitalisation. Le rôle des deux banques alors qu’Air France est au bord de la faillite

illustre le rôle de soutien qu’une banque actionnaire est susceptible de jouer. Cet exemple

extrême, notamment aussi en raison de la spécificité du secteur, pour lequel l’endettement

est le mode principal de financement donne quelques indices favorables à cette

proposition. On pourrait d’ailleurs être surpris de l’absence d’une banque au sein de

l’actionnariat de référence.

1.2.3.2. La dynamique organisationnelle an niveau des clients et des fournisseurs

D’un point de vue général, la valeur appropriable par les clients est fortement

conditionnée par le niveau concurrentiel du marché. Dans le cas particulier du transport

aérien, les clients semblent avoir bénéficié des effets organisationnels de la pression

croissante de la libéralisation américaine et européenne sur Air France malgré les grèves à

352 TDR, code VAD contexte public référence Bouaziz (1998, p. 84). 353 Cf. Annexe 8b courbe de l’endettement d’Air France depuis la recapitalisation.

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répétition que cette libéralisation a pu engendrer. Relativement au service, la multiplicité

des exemples et des indicateurs relevés dans notre tableau des données réduites354 (taux de

remplissage 78%, en hausse de +2%, part de marché en hausse par rapport au secteur) vont

dans le sens de la proposition 8 selon laquelle, la décentralisation du processus

décisionnel, notamment au niveau inférieur combinée à un système de gouvernance mixte

accroît la valeur appropriable par les clients a fortiori en cas de dérégulation355. Ainsi, la

politique de gamme, l’amélioration des systèmes de réservation et de fidélisation à l’appui

d’une co-localisation aux niveaux inférieur et supérieur des prises de décision commerciale

(organisation en CDR) et stratégique (structure holding, comité exécutif autonome, outil de

Revenue management) et des systèmes de contrôle (acquisition du data warehousing,

prime à la performance interne, suivi de carrière) ont pris le pas sur la préoccupation

exclusivement technique. Celle-ci, marquée par l’orientation politique et le contexte

historique des débuts a fait d’Air France une des compagnies les plus performantes sur le

plan technique pendant longtemps, avec le plus long réseau du monde. Mais, si la qualité à

bord comme au sol s’est améliorée grâce à la décentralisation organisationnelle aux

niveaux supérieur et inférieur c’est aussi par la possibilité de développer une alliance

mondiale. Or, Skyteam et Skyteam Cargo (alliance pour l’activité fret) sont nées en 2000 à

la suite d’un processus de privatisation. Celui-ci a conduit à un abandon significatif de la

participation de l’Etat dans la gestion de l’entreprise, avec des garanties au niveau de la

gouvernance et de la stabilisation des relations sociales via les différents mécanismes

d’encadrement du processus décisionnel précités. Toutefois, la régulation du trafic au

niveau européen et les retards accumulés sur certains aéroports sont susceptibles de devoir

faire l’objet d’une gouvernance institutionnelle qui dépasse Air France. Quoiqu’il en soit,

notre proposition 8 trouve dans l’exemple d’Air France certains indices convergents.

Enfin, le processus de privatisation d’Air France souligne les effets renforcés de la

libéralisation sur la baisse de la valeur appropriable par les fournisseurs au moment où Air

France est elle-même affaiblie par un processus décisionnel et un système de gouvernance

centralisés. L’annulation de commandes d’avions, la réduction des coûts

d’approvisionnement de 24 milliards de francs sous la direction de C. Blanc (sur la

vaisselle par exemple)356 durant le processus de privatisation ont cependant un effet positif

354 TDR code VAC. 355 ou a fortiori lorsque le client devient membre du groupe d’actionnaires partenaires, ce qui à notre connaissance n’est pas le cas pour Air France. 356 TDR code VAF référence Bouaziz (1998, p. 136).

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depuis le rétablissement de la compagnie qui lance un programme d’investissement de 40

milliards de francs sur 5 ans357.

Remarquons enfin qu’Air France développe des partenariats intermodaux sur les lignes

en partance et à l’arrivée de Roissy avec la SNCF (réservation d’un billet pour les deux

transports), membre (entreprise publique) du conseil d'administration (1,54% du capital au

31/03/98). Ainsi l’AO qui résulte de la privatisation (système de gouvernance mixte

combinée à un processus décisionnel plus cohérent avec les conditions de marché) ne

conduit pas nécessairement à la réduction de valeur pour certains partenaires fournisseurs,

d’autant plus qu’Air France recourt davantage à la sous-traitance que par le passé et peut

librement choisir ses fournisseurs. Ainsi, notre proposition 9 doit être tempérée.

Ainsi, l’efficience interne d’Air France paraît supérieure à l’issue de ces deux phases de

la privatisation. Elle illustre un changement d’équilibre qui paraît progressif au profit d’une

efficience de second degré également plus grande (pour les partenaires de la coopération).

On trouve avec l’étude du cas d’Air France plusieurs explications de nature

organisationnelle et institutionnelle des conséquences de la privatisation sur la performance

organisationnelle. Cette perspective permet de comprendre comment la dynamique

organisationnelle est touchée par la privatisation et comment chaque catégorie de

partenaire peut être différemment concernée. Sans pouvoir généraliser notre modélisation

de la privatisation, nous obtenons ici des résultats complémentaires à ceux apportés dans la

littérature. En particulier, la privatisation constitue un processus dont l’offre publique sur le

marché ne constitue qu’une phase, la dernière ou l’avant dernière si la privatisation est

partielle. La section suivante est consacrée à une seconde mise à l’épreuve de notre modèle

organisationnel dans un contexte très différent.

Section 2 : La privatisation graduelle de DSM : analyse du lien entre processus

décisionnel et GE : mise en évidence de la dynamique

organisationnelle

Dans le cadre de notre stratégie de recherche, nous consacrons cette section à un second

test de notre modèle organisationnel de la privatisation dans le cas néerlandais de

l’entreprise chimique DSM. Cette réplication de notre démarche empirique consiste à

reconduire le contrôle de plausibilité des liens entre privatisation/AO/valeur appropriable.

357 TDR code VAF, référence La Tribune 30/05/01.

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285

Dans cette perspective, nous présentons d’abord un bref historique de l’entreprise, cotée en

bourse depuis 1989, afin de repérer les principaux événements qui ont marqué son

développement (2.1). A partir de cette approche historique, nous examinons ensuite les

phases de la privatisation de DSM à partir de notre cadre théorique. L’exposé des

principaux résultats porte ainsi sur l’évolution du processus décisionnel, la dynamique

sous-jacente de la gouvernance et les effets de ce développement organisationnel sur le

niveau de la valeur partenariale appropriable dans (2.2).

2.1. Bref historique de Dutch State Mines : 2 stades d’évolution

Dans le cadre de la même approche méthodologique que nous avons appliquée pour

l’étude d’Air France, nous résumons ici l’évolution de DSM. Depuis sa création au début

du vingtième siècle, l’entreprise a connu deux phases essentielles de développement liées

étroitement aux conditions sectorielles d’origine. L’entreprise d’Etat a progressivement

abandonné sa vocation publique (2.1.1) au profit d’un développement international qui la

place parmi les géants mondiaux du secteur de la chimie aujourd’hui (2.1.2).

2.1.1. La vocation publique de DSM (1902-1967)

L’entreprise State Mines est créée en 1902 par les pouvoirs publics dans le cadre du

développement du secteur minier. Pendant les trente premières années, State Mines est

chargée de l’extraction minière. La découverte d’une source de gaz dans le sud des Pays-

Bas dans les années trente conduit l’entreprise a en prendre en charge la distribution,

contribuant alors au développement industriel et social du sud du pays. En plus de cette

nouvelle activité, State Mines participe en effet à la mise en place de services sociaux dans

le Limburg, tels que les hôpitaux par exemple. C’est ainsi que l’entreprise publique, jusque

dans les années 1940-1950, participe aux comités d’études au sein desquels se réunissent

des employés et des cadres de l’entreprise, les syndicats et les autorités locales pour mettre

en place un programme de développement socio-économique de la région sud. Toutefois,

l’arrivée à maturité du secteur minier conduit progressivement l’entreprise à s’orienter vers

l’activité de gaz et la diversification vers le secteur de la chimie alors en démarrage à

l’échelle mondiale. A partir des années 1960, le changement d’activité de State Mines

conduit à sa métamorphose en entreprise chimique. Elle se libère progressivement de son

rôle dans la politique de développement socio-économique régional au profit d’une

ouverture sur l’étranger.

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286

2.1.2. Mutation sectorielle, croissance du secteur de la chimie et changement

d’orientation stratégique de DSM

L’activité de DSM, à l’origine centrée sur l’extraction minière s’oriente vers la

distribution de gaz à hauteur de 40% des parts de marché, notamment dans le sud des Pays-

Bas. Ces deux activités occupent 2/3 du portefeuille de DSM au début des années 1940.

Simultanément, la diversification entamée au profit de l’activité chimique conduit

l’entreprise à engager avec son actionnaire unique une réorientation progressive de

l’activité et de son organisation. La fin des années 1960 marque un changement de cap de

l’entreprise industrielle. En 1967, State Mines devient Dutch State Mines à partir d’un

changement de structure au profit d’une société anonyme. DSM concentre dès lors son

développement sur l’activité chimie tout en maintenant l’activité de gaz et assurant encore

pour quelques années la transition avec son rôle social. Vingt ans après cette réorientation

stratégique, l’Etat néerlandais cède 69% des actions de la société sur le marché boursier

d’Amsterdam, en deux vagues successives, en février au prix d’émission de 108 florins et

en septembre de 125 florins. Dès lors, le groupe participe aux mouvements de globalisation

du marché. En 1996, la cession finale des actions de l’Etat rachetées puis annulées par

DSM finalise le processus de privatisation. Au 31 décembre 1998, le titre est coté à 178,5

florins, soit en 9 ans une hausse confirmée de plus de 40%.

2.2. Privatisation et architecture organisationnelle de DSM : les résultats de l’étude

des processus

A partir des données que nous avons collectées et traitées, il apparaît que DSM présente

au cours de sa première phase de développement, les caractéristiques de l’entreprise

publique. Ainsi, nous présentons dans la première sous-section les indices qui reflètent le

statut public de l’AO de DSM et l’origine de son processus de privatisation (2.2.1). Nous

consacrons la deuxième sous-section aux phases du processus lui-même, jusqu’à la

seconde cession du capital par l’Etat (2.2.2). Enfin, les effets de cette dynamique

organisationnelle sur la valeur appropriable par les partenaires sont examinés dans la

troisième sous-section (2.2.3).

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287

2.2.1. Aux origines du processus de privatisation

Dès sa création, DSM est considérée comme une concession de l’activité d’extraction

minière par l’Etat358. En ce sens, l’entreprise a la responsabilité de la gestion technique de

l’activité. La commercialisation du charbon est, quant à elle, gérée par un bureau d’étude à

La Hague. Comme nous le précise M. Van der Grinten, l’approbation des décisions

d’investissement relèvent du gouvernement. Plus précisément, c’est à la seconde chambre

à La Hague que les choix commerciaux et techniques sont faits. Ainsi, dans ce contexte

décisionnel, « il était nécessaire [pour les dirigeants] de monter à La Hague pour

négocier ». En corollaire, le financement était examiné par le département des Affaires

économiques et des Finances à La Hague. En outre, le secteur minier arrivant en phase de déclin dans les années trente, la

direction suggère de réorienter l’activité de DSM. Parallèlement, la découverte d’une

source importante de gaz naturel sur le territoire conduit le gouvernement à confier à son

entreprise la distribution de gaz dans le sud du pays. En 1957-1958, en accord avec le

gouvernement, la direction décide de réduire petit à petit l’activité principale au profit du

segment de la chimie et d’autres activités. L’entreprise lance ainsi un vaste programme de

restructuration, en contrepartie duquel DSM doit assurer le replacement de ses salariés

concernés par le plan. C’est ainsi que l’entreprise participe au développement du sud des

Pays-Bas sur décision des pouvoirs publics, en commun avec le comité central

d’entreprise. Pour accompagner cette décentralisation du replacement des employés, le

gouvernement ouvre à Heerlen où siège l’entreprise, un bureau de statistiques en charge du

suivi de la politique sociale de DSM. Parallèlement, l’entreprise met en place un bureau

d’industrialisation qui gère les activités de services dans la région. A l’issue de ces

réorientations stratégiques, DSM abandonne totalement l’activité d’origine et peut replacer

avec l’implication forte de ses cadres, la moitié du personnel concerné soit 25000

personnes359. Aucun licenciement sec n’a été effectué grâce au versement d’une prime de

préretraite aux personnes non réaffectées. Jusqu’en 1967, DSM ancien monopole d’Etat,

est dirigé par un management en coopération étroite avec son actionnaire, le

gouvernement360. La direction est ainsi en contact avec trois interlocuteurs privilégiés à La

Haye, à quelques 100 kilomètres du siège et de l’activité. Un schéma permet de représenter

358 TDR code PDsupCENTr référence entretien 1. 359 TDR, code VAS référence entretien 1. 360 TDR code PDsupCENTr entretien 3.

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288

les organes participatifs à la prise de décision durant cette phase cruciale pour DSM en

pleine remise en question de son objet jusqu’en 1967. Schéma 12 : Les organes participatifs à la prise de décision au sein de DSM avant le

processus de privatisation

Ainsi, jusqu’à son changement de structure juridique, l’AO de DSM présente une

séparation fonctionnelle limitée entre les pouvoirs publics et la direction de l’entreprise.

Son objet est davantage fondé sur des préoccupations de développement d’une région sous-

équipée. Cette évolution de State Mines durant la première moitié du siècle caractérise

l’influence significative du gouvernement à La Haye dans les choix d’investissements

stratégiques. Si l’origine de nombreuses décisions émane de la direction, leur approbation

et leur suivi restent ainsi du domaine des pouvoirs politiques. Mais, l’évolution du secteur

de la chimie sur lequel DSM s’oriente de plus en plus incite la direction à solliciter

l’actionnaire pour changer de mode de fonctionnement décisionnel. 1967 est l’année de la

renaissance de DSM.

2.2.2. La dynamique de l’architecture organisationnelle dans le processus de

privatisation de DSM

En référence au schéma processuel joint en annexe 9, le changement de structure en

1967 constitue pour DSM la remise en cause profonde de son fonctionnement originel, tant

au niveau du processus décisionnel que de sa gouvernance.

La HayeDépartement des Affaires économiques et des Finances

2nde chambre du gouvernement

Direction de DSM PDsupDECmo

PDsupCENTr - PDsupCENTs Financement Investissement

Bureau d’étude de marché

Comité central

Bureau d’industrialisation Bureau de statistiques

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289

2.2.2.1. Une décentralisation du processus décisionnel sur 30 ans

A l’issue des réorganisations internes, la volonté de la direction de poursuivre l’activité

chimie en plein essor et dans des conditions de concurrence croissante, sollicite l’accord de

son actionnaire pour transformer State Mines. Ainsi M. Van der Grinten nous relate le

contexte dans lequel s’est effectué le changement crucial pour DSM : « [La branche chimie de DSM] s’est développée dans un milieu concurrentiel mondial

nécessitant des choix d’investissements risqués ce qui bien sûr ne pouvait être réalisé par le

gouvernement. C’est pour cette raison majeure que la décision de convertir DSM en société

anonyme, indépendante du gouvernement a été prise. Finalement, DSM est née en 1966 et non

en 1902, date à laquelle a été créée Dutch State Mines ».

L’entreprise d’Etat devient ainsi Dutch State Mines N.V., société anonyme à capitaux

publics, dotée d’une structure duale directoire et conseil de surveillance, tous deux

détachés du gouvernement. Dès lors, l’entreprise entame un processus de décentralisation

progressive de la structure décisionnelle. Ainsi, deux membres sur douze représentent le

département des Affaires économiques et des Finances, seul actionnaire de DSM. La

législation sur les entreprises privées permet alors une prise de décisions sur approbation

du conseil de surveillance et non plus à la seconde chambre du gouvernement, lors du

débat annuel sur les budgets. M. Van der Grinten insiste bien sur le fait qu’à partir de 1967,

le conseil de surveillance prend effectivement les décisions dans l’intérêt de l’entreprise et

non plus dans l’intérêt du gouvernement. Les membres de l’organe décentralisé de contrôle

approuvent la stratégie, les choix d’investissements et les comptes annuels, nomment et

remplacent les directeurs de DSM. Ceux-ci ont alors le droit d’agir en tant que représentant

de la société à responsabilité limitée avec l’obligation de rétribuer son actionnaire

unique361. Le contrôle par ce dernier s’effectue essentiellement en assemblée générale, très

fermée.

La privatisation de DSM est donc entamée en 1967, à l’issue de son changement

juridique. Celui-ci traduit la perte réelle des droits décisionnels des agents publics d’une

part, au profit de l’équipe de direction en charge de la fonction de gestion des décisions

d’autre part, au profit d’un conseil de surveillance séparé de la Haye. Cette séparation

fonctionnelle nette au niveau supérieur est à l’origine d’un processus de réorganisation

361 TDR code PDsupDECr entretien 1.

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290

interne, jusque dans les années 1990362. A cet égard, la description que nous en fait notre

interlocuteur dans les dix premières années de la nouvelle entreprise est intéressante : « Toutefois, DSM présentait une structure centralisée, avec au sommet de la hiérarchie, le

gouvernement, puis le conseil de direction et enfin les niveaux intermédiaires et inférieurs.

Lorsque j’ai été promu au département des processus de contrôle et de planification, je devais

mettre en place un système de planification stratégique. Sans une réorganisation interne

préalable je ne pouvais pas faire ce travail car la structure hiérarchique était centralisée. Un

système de planification stratégique commence toujours par le bas. Les connaissances locales

des marchés, des possibilités et des besoins techniques doivent être envisagées avec les

personnes informées pour ensuite définir les besoins d’investissements et les options de

développement stratégiques. Or ces personnes n’existaient pas dans DSM. Une

décentralisation du pouvoir de décision s’imposait au profit de personnes affectées aux

relations commerciales, pour ensuite comparer les demandes, évaluer les plus profitables et

enfin décider à mon niveau, les plans stratégiques à mettre en œuvre. »

« A partir de 1966, la structure décisionnelle a été progressivement décentralisée et a

parfaitement fonctionné à partir de 1976 environ. De là, nous avons pu mettre en place un

système de planification stratégique. Les restructurations internes de gestion et la flexibilité du

système de planification stratégique n’auraient pas eu d’existence si nous n’avions pas été

privatisés. »

Dans le prolongement de cette décentralisation interne du processus décisionnel en

cohérence avec les connaissances du marché, la volonté de la direction de poursuivre son

développement sur le secteur de la chimie se traduit en 1985 par un programme de

diversification de l’activité (hydrocarbures et polymères, ingénierie plastique, produits

chimiques basiques et élaborés en plus des activités devenues périphériques de pétrole et

de gaz en mer du Nord) toujours en vigueur aujourd’hui. Les relations internes évoluent au

profit d’une participation du personnel, qui dès lors est régulièrement consulté. Ainsi, les

négociations syndicales sur les conditions de travail se font de manière décentralisée au

niveau de chaque unité (accords collectifs à DSM Limburg, Curver Group)363.

Parallèlement à cette recherche d’optimisation des centres décisionnaires à tous les

niveaux des processus de décisions (co-localisation des informations spécifiques et des

sources décisionnelles) a lieu l’ouverture du capital en 1989 à hauteur de plus de 66%. La

recherche de performance de ses divisions et de réduction des coûts de fonctionnement se

362 TDR, codes PDsupDECr et PDinfDECr entretiens et rapports annuels. 363 TDR code PDinfDECr rapport 1988, p. 18 et entretien 3.

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291

concrétise de nouveau, très récemment par le projet Concern 2000 mis en place en 1991364.

Durant la crise économique de la période 1991 et 1993 le nouveau challenge de l’entreprise

est de maintenir l’équilibre entre les résultats de court-terme et les objectifs de long-

terme365, à l’appui de ce projet.

Consacré à l’autonomie de gestion, ce projet développe une décentralisation

organisationnelle toujours plus grande au niveau du management pour accroître sa

flexibilité et répondre plus rapidement au marché. Le recours à la sous-traitance pour

certaines activités est complété par la mise en place de mécanismes de coordination et

d’évaluation de la performance aux niveaux des centres de profits. Ceux-ci que nous

abordons dans la section suivante, répondent à cette décentralisation toujours plus

cohérente avec les besoins du marché. Elle se traduit à l’issue de l’année 1994 par de

nouvelles structures. Ainsi, les 9 divisions sont éclatées en 25 centres de profits en relation

directe avec le directoire. La décentralisation des responsabilités se traduit en effet, par une

réduction des niveaux hiérarchiques afin de « privilégier une approche plus orientée sur les

résultats et les clients » et développer l’esprit d’initiative366. Un an plus tard, le nombre de

centres de profit est ramené à 13 afin d’améliorer la coordination interne367. A la suite de la

cession complémentaire hors marché par l’Etat, le programme de réorganisation interne se

poursuit. Le rapport annuel de 1997 rappelle ainsi ses concepts clés : « capable, sûr,

responsable et réactif » à partir desquels des formations spéciales et des programmes de

communication sont mis en place pour coordonner les équipes dans un « nouvel esprit

orienté sur les performances des centres de profit ». Les directeurs de ces centres

deviennent responsables de leur équipe et sont invités à leur donner plus de liberté

d’action. Ils sont encadrés par des réunions directes avec le directoire sur la base d’une

« analyse de la valeur de chaque centre » mise en place en 1991368.

En définitive, depuis la séparation fonctionnelle entamée en 1967 et le changement

juridique, DSM poursuit l’allocation des droits décisionnels en interne en cohérence avec

une stratégie de diversification sur un secteur à forte innovation. Cette analyse du

processus de privatisation de DSM depuis son origine sur plus de trente ans converge vers

nos proposition 1a et 1b selon lesquelles, la privatisation est un processus de

364 TDR code PDsupDECr rapport annuel (1991, p. 8-16). 365 TDR, code PDsupDECr référence rapport annuel de 1991 (mot du président). 366 TDR code PDinfDECr rapports annuels 1994, p. 2 et 1995, p. 12. 367 Ramenés à 17 unitésopérationnelles après la fusion avec Gist-Brocades (groupe de biotechnologie) en 1998. 368 TDR, code PDinfDECr rapport annuel 1992, p. 12.

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décentralisation du processus décisionnel au niveau supérieur (P1a) et inférieur (P1b).

Dans ce contexte de décentralisation interne toujours plus approfondie par rapport à une

stratégie de diversification, l’ensemble des mécanismes de gouvernance du processus

décisionnel évolue.

2.2.2.2. Evolution du système de gouvernance au cours du processus de

privatisation

Les premiers changements du système de gouvernance de DSM sont observables dès

1966. La substitution du conseil de surveillance au département directement lié au

gouvernement de La Haye exprime le rôle attribué à ce nouvel organe dans les fonctions

exclusives de contrôle et de ratification des décisions. Celles-ci concernent essentiellement

les résultats financiers, les choix de développement des centres de résultats, le plan

d’investissement et de financement du groupe ainsi que le plan stratégique pluriannuel369.

En contrepartie de cet organe interne de contrôle et de l’évaluation de la politique menée

par la direction, cette dernière obtient une autonomie plus grande en matière de gestion

stratégique. En effet, la nature du rôle qui lui est attribué se différencie de celle relative au

département en liaison directe avec les pouvoirs publics. Le rôle centralisateur des

décisions par le premier organe a été remplacé par un rôle d’approbation des décisions,

accompagnant la séparation fonctionnelle. De même, l’intervention de l’actionnaire public

est limitée à sa participation à l’assemblée générale et à sa présence au sein du conseil de

surveillance via deux sièges. Ce recentrage du rôle des représentants gouvernementaux

illustre le rôle exclusif de contrôle de cet organe interne de gouvernance et non plus de

participation à la fonction de gestion des décisions, via l’ancien département.

Une analyse de la composition du conseil de surveillance montre une variation faible du

nombre de membres (entre 8 et 12 entre 1987 et 1998). Depuis la dernière cession du

capital par l’Etat, le nombre de membres est stable, limité à 10. Trois membres sur dix en

1998 ont un siège depuis plus de dix ans, dont le président et le vice-président370 (4 autres

membres sont en fonction depuis 1995). Les changements sont apparus dès 1990 avec la

369 La mission de cet organe est rappelée dans le rapport annuel 1997 à partir duquel DSM améliore son information relativement aux recommandations du comité Peters sur la gouvernance des entreprises, l’équivalent des rapports Viénot (juillet 1995 et juillet 1999) en France. 370 Le président du conseil de surveillance a par ailleurs un mandat de présidence du comité de direction de Rabobank et depuis 1999, de la présidence du Conseil socio-économique des Pays-Bas. En outre, il fut président de l’Association des banques des Pays-Bas, membre du conseil de surveillance et du comité de direction de certaines entreprises néerlandaises. Le vice-président, Professeur en politique économique a été président de l’Institut de la politique financière et économique ainsi que du Comité central de statistique.

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nomination de l’ancien président371 (en retraite) du syndicat central de DSM qui quitte son

siège en 1998. La même année, l’ancien secrétaire du ministère néerlandais des Affaires

générales est remplacé par son successeur. En 1998, trois autres membres entrent au

conseil. Ils exercent par ailleurs des fonction de direction et/ou de surveillance dans

d’autres sociétés, instituts ou universités. Par ailleurs, deux membres d’origine allemande

sont au conseil de surveillance : l’ancien membre de la direction d’Unilever N.V. et Plc. et

l’ancien vice-président de la direction de Hoescht A.G. On remarque enfin la présence en

1998, de deux membres ayant eu par ailleurs des mandats au conseil de surveillance de

deux entreprises qui détiennent individuellement plus de 5% du capital de DSM depuis de

1996. Il s’agit de l’ancien président du conseil de surveillance de Aegon N.V. et de

l’ancien président du conseil de surveillance d’ABN-Amro et d’Unilever (d’où provient

également un des membres actuels du conseil).

Ainsi, la deuxième cession du capital par l’Etat, en 1996 a conduit au placement de 20%

des 31% du capital restant public372 auprès d’investisseurs institutionnels. La structure

actionnariale de DSM se précise avec la constitution d’un groupe d’actionnaires

institutionnels détenant individuellement plus de 5% du capital, comme l’illustrent les deux

graphiques suivants. Le premier porte sur l’évolution de la répartition globale du capital,

entre 1989 et 1997. Le second illustre l’évolution du groupe d’actionnaires partenaires

connus depuis 1996. Cette structure actionnariale qui représente un groupe d’actionnaires

est donc susceptible de renforcer le rôle de contrôle du conseil de surveillance.

Graphique 1 :

0%

50%

100%

1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997

Evolution de la structure du capital de DSM N.V. depuis la première cotation en 1989

Investisseursétrangers

Investisseursnéerlandais

Etat

371 Il fut également à la tête de la gestion de trésorerie de DSM, ancien vice-président du conseil de surveillance d’une société rattachée à DSM pour la gestion des retraites, membre du conseil de surveillance du Centre régional de formation de la province du Limburg, auquel participe DSM en contrat avec l’Etat. 372 En mars 1996, l’Etat s’est totalement désengagé par rachat des actions restantes par DSM pour être annulées (Rapport annuel, 1996).

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294

Graphique 2 :

0%20%40%60%80%

100%

1996 1997

Evolution du groupe d'actionnaires de référence en 1996-97 Pensionfunds ABP

Cooperative CentraleRaiffeisen-BoerenleenbankBACommercial UnionAssurance Plc/Delta Loyd

ABN AMRO Holdong N.V.

Aegon N.V.

De plus, l’ouverture du capital en 1989 pour les deux tiers sur le marché d’Amsterdam a

conduit à la création de deux commissions spéciales :

- la DSM Priority Shares Foundation : (5 membres) trois membres sont nommés par

le ministère des Affaires économiques dont le président. Les deux autres membres sont

les présidents des deux organes centraux de DSM, le directoire et le conseil de

surveillance.

� Cette commission approuve les décisions d’émission d’actions et

d’affectation en réserves du résultat, les propositions de modification des statuts

et de dissolution de la société.

� Elle détermine la rémunération des membres du conseil de surveillance.

- la DSM Preference Shares Foundation : (3 membres indépendants) en vertu des

statuts de DSM, elle peut émettre et placer 62,5 millions d’actions préférentielles en vue

de protéger la société contre une prise de contrôle hostile. Une modification des statuts

de cette structure a été effectuée en 1994 pour être en conformité avec le règlement des

émissions et cotations de la bourse d’Amsterdam. Seules les personnes n’ayant aucun

lien avec DSM sont autorisées à siéger dans ce comité373.

La phase finale de la privatisation de DSM entamée en 1989 a donc conduit à la mise en

place de deux organes de surveillance parallèles. L’un confère aux pouvoirs publics un

droit de contrôle complémentaire sur la structure des fonds propres, la répartition des droits

de vote et la rémunération des membres du conseil de surveillance. L’autre comité permet

373 Rapport annuel 1994, p. 55.

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de neutraliser les prises de contrôle comme peut le faire également tout groupe

d’actionnaires partenaires, notamment en France.

Par ailleurs, le rôle de ces organes spécifiques de gouvernance de DSM est complété par

le marché financier ainsi que par des mécanismes qui lui sont associés. Comme nous le

précise l’un de nos interlocuteurs, ce mécanisme nouveau influe sur le processus

décisionnel et sur le comportement du dirigeant : « La demande plus élevée de la communauté financière après l’ouverture du capital a modifié

l’horizon d’investissement. Le programme de développement de DSM est toujours orienté sur

le long terme mais le marché financier, spécialement les investisseurs institutionnels exigent

un retour sur investissement plus rapide, comparativement à l’actionnaire public. La principale

raison de ce changement provient du fait que la valorisation boursière ne dépend pas seulement

du résultat mais aussi de la perception des investisseurs sur la rentabilité attendue des choix

d’investissement ».

Ainsi, depuis 1989 DSM a mis en place un département de relations investisseurs, que

notre interlocuteur qualifie de « nouvelle activité pour DSM, en relation avec de nouveaux

types d’actionnaires. Le rôle nouveau du marché des capitaux implique un changement de

philosophie. Le marché boursier est plus sévère que les hommes politiques »374. Enfin,

depuis 1998, DSM accentue ses efforts en matière de communication financière en

adaptant ses supports aux catégories d’investisseurs :

- le bulletin « valeur entreprise » destiné aux actionnaires privés néerlandais, journée

porte ouverte pour les actionnaires (700 visiteurs) ;

- présentations et visites de la compagnies ;

- rapports trimestriels plus développés (chiffre d’affaires par segment d’activités,

bilan consolidé) ;

- informations plus détaillées du contrôle exercé par le conseil de surveillance dans le

rapport annuel, (mention d’une rubrique corporate governance à partir de 1996, exposé

des 40 recommandations du comité Peters sur la gouvernance aux Pays-Bas, et le

positionnement de DSM dans le rapport 1997375) ;

- réunions avec les analystes et présentations proposées aux investisseurs

institutionnels étrangers, club d’investissements.

374 TDR, code SGM référence entretien 3. 375 En annexe 10 nous reprenons le document de DSM joint au rapport annuel de 1997.

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De plus, le système de rémunération des dirigeants a évolué avec la mise en place de

plan d’options sur actions après l’ouverture du capital en 1989. Elargi à l’ensemble des

employés, ce mécanisme incitatif associé à la performance boursière de DSM semble

toutefois n’avoir eu un réel succès qu’auprès des principaux dirigeants comme le précise

M. Van der Grinten. En outre, DSM continue de privilégier un système de promotion

interne au poste de direction. Le dernier président du groupe est parti en retraite après 32

ans d’exercice au sein de l’entreprise, tout comme l’un de nos interlocuteurs.

Enfin, depuis 1997, le conseil de surveillance a mis en place un comité spécial chargé

de préparer les réunions entre le conseil de surveillance et le directoire. Il est également

chargé de la rémunération des membres de ce dernier. De plus, le conseil syndical de DSM

participe en tant qu’organe consultatif à plusieurs réunions (entre 6 et 8 réunions annuelles)

avec une délégation du conseil de surveillance. Au cours de ces rencontres, sont discutées

les opérations de financement, d’acquisition, de développement stratégique ainsi que le

suivi des plans de réorganisation interne, notamment Concern 2000376. DSM, depuis sa

création a toujours privilégié le dialogue coopératif avec les représentants des employés. A

partir de 1967, les négociations ont été progressivement décentralisées comme nous

l’avons abordé dans la sous-section précédente. En 1998, le rapport du conseil de

surveillance mentionne l’assemblée plénière annuelle du conseil avec le comité central du

groupe et des auditeurs externes (Moret Ernst & Young). Cette assemblée qui peut être

rapprochée de l’assemblée générale des actionnaires mais consacrée aux seuls employés

est un mécanisme de consultation à l’appui duquel les représentants des salariés participent

au suivi du processus décisionnel par les propositions qu’ils peuvent émettre. Nous

reprenons dans le schéma suivant les organes participatifs de DSM à l’issue du processus

de privatisation entamé en 1967.

376 Rapport annuel 1995, p. 35.

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297

Schéma 13 : Les organes participatifs à la prise de décision au sein de DSM à l’issue du processus de privatisation (mars 1999)

9 départements centraux logistiques

Personnel et organisation

Relations publiques

Sécurité, technologie

environnement

Finance Dévelop., planification

Affaires juridiques

DSM Research

Gist Limburg

Directoire

Conseil de surveillance 10 membres : qui exercent (ou ont) par ailleurs des mandats de présidence dans les organes d’autres entreprises, institut et universités, comité central de DSM, secrétaire général du ministère des Affaires économiques et président du Conseil national de l’énergie

PDsupCENTr

PDsupDECi-mo-r-s

PDsupCENTs

4 branches d’activités (16 Unités opérationnelles)

Produits de biotechnologie

Activité plastique

Chimie industrielle et polymères

Autres activités (participations, brevets…)

Investisseurs institutionnels (+ 5%)

Flottant 27% investisseurs privés 73% investisseurs institutionnels (dont 24% néerlandais, et 27% américains)

Commissions spéciales

DSM Priority Shares Foundation : Comité central du groupe

Marché financier

DSM Preference Shares Foundation

Comité délégué au conseil de surveillance

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298

En définitive, les rapports mieux définis de la direction de DSM avec son actionnariat

unique public puis élargi, reposent sur des modes de gouvernance modifiés notamment en

1967, puis à l’occasion de l’ouverture à la communauté financière en 1989 et renforcés en

1996. Ces modifications convergent vers la proposition 2a de notre modèle, selon laquelle

la séparation fonctionnelle liée au processus de privatisation renforce le rôle attribué au

conseil d'administration ou au conseil de surveillance. Mais l’étude de cas permet aussi de

compléter l’analyse théorique par l’identification d’organes complémentaires comme les

comités spéciaux précités par exemple.

Au niveau inférieur, l’évolution du processus décisionnel au profit des échelons

intermédiaires s’est traduit tout d’abord par la mise en place dans les années 1980 d’une

partie variable de la rémunération qui « a eu probablement des vertus incitatives plus

grandes que la souscription de stock options (en 1989) par l’ensemble des salariés »377. Les

accords collectifs permettent de renforcer l’incitation à la performance via des schémas de

bonus, les entretiens de plan de carrière, l’octroi de prix internes à l’innovation378. Avec les

centres de résultats, des critères de performance de type valeur ajoutée, positionnement et

niveau de coûts par centre, forment les nouvelles bases du système de contrôle

hiérarchique de plus en plus orienté sur les performances commerciale et économique. La

mise en place d’un reporting financier renforcé depuis 1995 (réduction du nombre de

centres de profits) permet le suivi des décisions d’investissements, des standards

d’environnement et de sécurité sur la base d’indicateurs stratégiques, financiers et

opérationnels. Les orientations globales, tous les trois ans, font l’objet d’une surveillance

directe et d’une adaptation annuelle. Ce système de coordination confère aux dirigeants des

centres de profit un rôle important d’interface entre le directoire et les unités

opérationnelles. Cette évolution du contrôle hiérarchique en parallèle à celle du processus

décisionnel au niveau interne converge vers notre proposition 2b. Selon cette proposition,

la décentralisation des décisions opérationnelles modifie la nature du contrôle hiérarchique

qui devient plus incitatif parce que basé sur les performances comptables voire sur la

performance boursière.

Pour conclure sur la relation entre privatisation et gouvernance, le processus de

privatisation de DSM (sur 30 années) a eu plusieurs effets sur la gouvernance de

377 TDR code SGM référence entretien 3. 378 TDR code SGO référence rapport 1988.

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299

l’entreprise. Les indices empiriques recueillis concernent le conseil de surveillance, son

rôle et la pression exercée par le marché financier ainsi que celle du secteur d’activité qui

est à l’origine du processus de privatisation. Ces résultats procurent à notre modélisation

des liens entre privatisation/processus décisionnel/gouvernance, plusieurs illustrations qui

vont dans le sens de notre proposition 2 (et ses déclinaisons au niveau du conseil de

surveillance et du contrôle hiérarchique) relative au système de gouvernance mixte induit

par la privatisation.

2.2.2.3. Une latitude managériale définitivement acquise

Notre modèle organisationnel de la privatisation suppose un lien positif entre la

structure de propriété plus ouverte à l’issue du processus de privatisation (combinée à une

gouvernance mixte) et la latitude managériale. D’après l’analyse des données recueillies

(notamment par entretiens), il apparaît clairement que l’autonomie de la direction dans la

poursuite du développement stratégique du groupe est définitivement acquise en 1967

lorsque la structure duale est adoptée. Dans notre tableau des codes centraux et des

données réduites, les modalités du processus décisionnel du contexte organisationnel

public font ressortir la faible marge d’action des dirigeants avant cette date, comme en

témoigne M. Van der Grinten : « Le comité de direction était très frustré par ce phénomène. Il avait peu de pouvoir, ne

pouvait prendre des décisions de plus d’un an hormis celles concernant des problèmes

techniques de long terme. »

« Le management de DSM s’est beaucoup battu pour pouvoir élargir son droit de décider seul,

notamment en ce qui concernait les investissements de long terme qui devaient par ailleurs,

rester secrets en raison du marché concurrentiel et international. Ce problème a été

complètement et réellement résolu en 1966.379 »

La gouvernance associée à cette marge de manœuvre correspond à l’époque à des

préoccupations de développement économique et social. Ces préoccupations nécessitaient

un processus décisionnel naturellement marqué par l’influence majeure des pouvoirs

publics sur le processus décisionnel et sur les mécanismes sur lesquels celui-ci reposait (cf.

schéma 12 de la sous-section précédente). A partir de la privatisation, le processus

décisionnel modifié par les conditions sectorielles conduit à une séparation fonctionnelle

qui bénéficie au dirigeant. Dès lors, les orientations stratégiques imposent une

réorganisation interne qui bénéficie aussi aux dirigeants intermédiaires. Le système de

379 Nos italiques correspondent aux réactions insistantes de notre interlocuteur que nous avons relevées au cours de l’entretien puis retranscrites dans notre journal de recherche, code PDsupCENTi et r.

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300

gouvernance mixte que l’on vient d’analyser répond à cet impératif de liberté d’action

donnée au management pour répondre à un contexte concurrentiel dans lequel les

avantages compétitifs passent par une initiative importante des niveaux opérationnels. En

outre, l’ouverture au marché financier permet à DSM de s’internationaliser plus librement,

comme le reflète notre revue de presse, notamment entre 1995 et aujourd’hui380. Mais, en

contrepartie de cette latitude plus grande, certains choix sont fortement influencés par ce

mécanisme de marché. C’est ainsi qu’après quarante ans passés au sein de DSM, M. Van

der Grinten constate : « Je pense qu’une bonne position sur le marché boursier influence parfois notre gestion en

l’orientant plus sur des décisions de court terme. Les actionnaires étant les patrons, nous

devions nous plier à la loi du marché des capitaux. En tant que cadre dirigeant ayant une

perspective de plus long terme je trouve dommage que le marché boursier ait une vision si

courtermiste ; un choix d’acquisition est positivement sanctionné alors qu’un plan

d’investissement... ».

Pour conclure sur ce point, la latitude managériale est sensiblement plus grande depuis

1967 en convergence avec notre proposition 3. Encadrée par un système plus souple quant

à son autonomie de gestion, le dirigeant et ses collaborateurs sont davantage influencés,

plus indirectement par la communauté financière. La mise en place d’un noyau

institutionnel au sein de DSM à la suite de la dernière cession par l’Etat est susceptible de

renforcer à nouveau le système de gouvernance par un contrôle direct plus actif,

comparativement à la période 1989-1997 pendant laquelle, la liberté d’action paraît la plus

large compte tenu de la structure de capital plus diffuse.

2.2.3. Dynamique de la gouvernance et valeur appropriable par les partenaires

D’après le troisième volet de notre modèle, la modification du processus décisionnel et

de la dynamique de la gouvernance qui caractérisent le processus de privatisation devraient

modifier le niveau de valeur appropriable par les partenaires. En effet, les mécanismes qui

encadrent le processus décisionnel de création et de répartition de la valeur

organisationnelle sont considérés dans notre modèle, comme les moyens par lesquels les

partenaires peuvent protéger leurs intérêts dans la coopération. Une évolution du système

de gouvernance organisationnelle influe par conséquent sur la position des partenaires dans

la coopération. Qu’en est-il au sein de DSM ? Dans quelle mesure la gouvernance de DSM

380 TDR code PDsupDECr référence de La Tribune.

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301

a-t-elle influencé les modes d’action par lesquels les actionnaires, les salariés et les

partenaires commerciaux peuvent s’approprier une part de la valeur partenariale ?

2.2.3.1. La dynamique organisationnelle au niveau des différentes catégories

d’actionnaires

Notre analyse précédente de la gouvernance actionnariale de DSM fait ressortir le rôle

nouveau joué par le marché financier, la pression qu’il exerce sur la politique de

l’entreprise et la présence d’actionnaires institutionnels de référence depuis 1996. Ces

mécanismes sont donc susceptibles d’inciter davantage l’équipe dirigeante à opérer des

choix sanctionnés favorablement par le marché, via l’évolution du cours de l’action et/ou

l’évolution du résultat distribuable (annexe 9a). Sur la période [1989-1998], l’analyse

graphique du cours du titre DSM fait apparaître une croissance de la plus value-potentielle

de plus de 40%. Entre 1994 et 1997, le cours du titre a dépassé l’indice AEX de la bourse

d’Amsterdam (rapport annuel, 1998). Cette analyse du titre témoigne de l’intérêt porté par

les investisseurs sur cette valeur et les choix managériaux. De même, l’évolution de la

structure actionnariale va dans ce sens. La part des actionnaires institutionnels, notamment

néerlandais, reflète cet intérêt actionnarial pour DSM. Enfin, le taux de distribution de

dividende limité à 20% sous l’actionnariat public oscille entre 20% et 40% depuis

l’ouverture du capital en 1989. Le résultat négatif enregistré en 1992 a conduit DSM à

ponctionner sur ses réserves pour assurer la distribution de dividende. Au regard de ces

éléments réalisés de la valeur actionnariale, et du contexte de gouvernance auquel ils

correspondent, notre proposition 4 trouve ici plusieurs éléments de corroboration. En

effet, elle suggère que le système de gouvernance mixte associé au processus de

privatisation accroît les incitations du dirigeant à augmenter la valeur appropriable par les

actionnaires, comparativement au système de gouvernance publique. Dans le contexte

public, les dirigeants ont aussi contribué à la valeur actionnariale publique (bénéfices

sociaux associés au développement du sud des Pays-Bas par exemple). Mais leurs efforts

pour s’en détacher reflètent les motivations différentes auxquelles d’ailleurs correspond la

gouvernance publique. A cet égard, selon M. Van der Grinten les tempéraments des deux

dirigeants concernés par le processus de privatisation dans les années 1970 reflètent les

incitations différentes alors que le passage de l’un à l’autre correspond aux modifications

de l’AO de DSM381. Ils sont significatifs du changement de perspective et de gouvernance

381 TDR code Lat-M référence entretien 1.

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302

qui aujourd’hui semble correspondre le plus à ce contexte de création de valeur

actionnariale.

Concernant les salariés, les mécanismes de gouvernance susceptibles d’influencer la

valeur qu’ils peuvent s’approprier reposent essentiellement sur leur système de

rémunération et leur valorisation sur le marché du travail. Comme nous l’avons observé, le

contrôle hiérarchique a instauré un système de rétribution sur critère de performance. Ce

mode de coordination interne est construit sur des mesures de performance individuelle

prévue notamment en 1988 par un accord collectif prévoyant des schémas de bonus.

Complété par l’élaboration des plans de carrière et de formation, ce système de

rémunération en partie variable, incite à la mobilité interne. Ce mécanisme de coordination

et d’évaluation/rétribution renforce le système de promotion interne, comme le reflètent les

parcours des présidents successifs de DSM382. Par ailleurs le changement de structure

juridique après 1967 s’est accompagné d’une hausse généralisée des salaires telle que M.

Van der Grinten l’a décrite. Enfin, la mise en place d’un plan de stock options qui semble

avoir été plus appréciée par les cadres dirigeants et l’accroissement des compétences induit

par le contrôle hiérarchique383 vont dans le sens de nos propositions 6 et 7. Notre analyse

théorique des effets de la dynamique organisationnelle induite par la privatisation sur la

valeur appropriable par les salariés suggère en effet que le système de gouvernance mixte

est susceptible d’augmenter le niveau de valeur appropriable par les salariés actionnaires et

notamment ceux au capital humain spécifique, et en particulier le dirigeant.

Enfin, vis-à-vis des banques, notre modèle (proposition 5) considère que la politique de

financement, malgré les choix plus larges avec l’ouverture au marché financier, devrait se

traduire par des choix orientés vers l’endettement si parmi les éventuels actionnaires de

référence se trouve une banque. Un premier indice relatif à cette catégorie de partenaire est

relaté par M. Van der Grinten : « Le rôle actif du marché des capitaux se traduit par la possibilité d’émettre des actions

nouvelles ou d’utiliser le levier d’endettement par appel aux banques sur la base d’éléments

probants de bilan et non sur les garanties de l’Etat.»

« Les banques étaient très désireuses d’accompagner la privatisation de DSM et de l’avoir

comme client après. Leurs conditions étaient très compétitives, et pour la première fois des

banques étrangères pouvaient aussi offrir leurs services ».

382 TDR, codes VAS, référence entretiens 1 et 3 ; code SGR, références rapport annuel 1986, la Tribune 31/12/1998-04/01/1999 et code SGM, notamment références entretiens 1 et 3 et rapport annuel 1988. 383 TDR, codes SGM et VAS, références entretien 1 et 2.

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303

Une analyse complémentaire du niveau d’endettement fait ressortir une hausse du ratio

dettes sur capitaux propres à l’issue de chaque cession du capital par l’Etat (annexe 9b).

Sans pouvoir établir un lien de causalité certain, nous pouvons toutefois considérer que la

présence de banques partenaires détentrices de plus de 5% du capital en 1997 converge

vers une telle relation théorique.

2.2.3.2. La dynamique organisationnelle au niveau des clients et des fournisseurs

Comme nous le relevions dans la première sous-section, le développement du secteur de

la chimie est à l’origine du processus de privatisation de l’entreprise dont l’activité

principale appartenait à un secteur en phase de déclin (extraction minière). La pression

exercée par ce mécanisme de marché est ainsi responsable de l’évolution de l’AO tant au

niveau de la décentralisation du processus décisionnel aux échelons locaux qu’au niveau

du système de coordination et de contrôle interne. Dans ce contexte, la gouvernance qui a

résulté du processus de privatisation contribue à la création de valeur destinée aux clients.

En effet, l’intensification de la concurrence a conduit DSM à des efforts d’organisation

interne toujours plus grands pour pouvoir répondre à sa clientèle. L’un de nos

interlocuteurs estime que « la principale variable du développement de DSM est le marché

des biens. L’objectif essentiel est d’améliorer la qualité de nos produits pour nos clients ».

Ci-après, la représentation graphique du chiffre d’affaires de DSM entre 1986 et 1998 nous

permet de contextualiser l’activité de DSM puisque la baisse du chiffre d’affaires entre

1989 et 1993 reflète la crise économique384 comme d’ailleurs nous l’avions également

prise en compte dans l’analyse d’Air France.

Graphique 3 :

Chiffre d'affaires de DSM entre 1986 et 1998 en millions de Florins)

0

2000

4000

6000

8000

10000

12000

14000

16000

1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998

CA net

384 taux de croissance des pays industrialisés de 1% en 1992, surcapacité du marché des polymères, baisse de la consommation des fertilisants en Europe dans le cadre de la politique européenne (Rapport 1992, p. 5).

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304

Enfin, la stratégie choisie par DSM fondée sur une intégration avale « pour

accompagner ses clients »385 illustre notre proposition 8 selon laquelle la décentralisation

du processus décisionnel, notamment au niveau inférieur, combinée à un système de

gouvernance mixte accroît la valeur appropriable par les clients.

Concernant les fournisseurs, notre proposition 9 considère que la privatisation est

susceptible de réduire le niveau de valeur appropriable par les fournisseurs à moins que

ceux-ci ne soient actionnaires de référence. Dans le cas de DSM, la structure actionnariale

ne présente, parmi les actionnaires de référence, que des investisseurs institutionnels. En

conséquence, nous ne pouvons évaluer la plausibilité de notre proposition que dans sa

première partie. Dans cette perspective, l’effet spécifique du processus de privatisation de

DSM sur ses relations avec les fournisseurs est relaté par M. Van der Grinten et semble

converger vers notre proposition : « La privatisation a changé les relations de DSM avec ses fournisseurs. Les fournisseurs

historiques et locaux sont maintenant comparés aux autres fournisseurs, notamment

étrangers ».

Enfin, notons que l’évolution technologique des moyens d’information a modifié la

configuration du secteur puisqu’une plate-forme Internet a été mise en place par les acteurs

du secteur afin d’optimiser leur approvisionnement par regroupement des offres et des

demandes. Ainsi, d’après notre interlocuteur 50% des commandes sont passées sur ce

marché virtuel. La position concurrentielle de DSM qui résulte de sa privatisation lui

permet ainsi de faire partie des acteurs principaux du marché et de participer activement à

cette nouvelle donne.

Pour conclure, l’étude du processus de privatisation de DSM a permis de répliquer le

premier test de plausibilité de notre modèle après l’étude d’Air France. Globalement, cette

réplication renforce la plausibilité de notre modèle organisationnel de la privatisation.

Nous envisageons dans la section suivante les principaux apports et enjeux de ces deux

études.

385 TDR code VAC référence La Tribune du 21/02/95.

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305

Section 3 : Portée explicative du modèle et apports des deux études de cas

Les deux sections précédentes nous ont permis d’étudier le processus de privatisation de

deux entreprises. Ces études de cas ont permis de réaliser et de répliquer un contrôle de

cohérence des liens théoriques avec les faits analysés. Ainsi, à l’appui des données que

nous avons traitées, cette investigation empirique offre plusieurs enseignements. Ils

concernent d’une part, les effets organisationnels de la privatisation sur le processus

décisionnel et sur la gouvernance de l’entreprise, d’autre part, les effets de cette dynamique

organisationnelle sur la valeur partenariale. Afin d’évaluer la portée explicative de notre

modèle et du cadre conceptuel sous-jacent, cette section est consacrée aux repérages des

faits saillants dans les deux cas et à la capacité de la TGP à expliquer les divergences

éventuelles. En réponse aux limites théoriques et empiriques observées dans la littérature,

nous avons modélisé la privatisation à partir d’une grille théorique plus intégratrice des

fondements théoriques traditionnellement exploités pour analyser le lien entre privatisation

et performance. A l’appui de la théorie de la gouvernance partenariale, nous avons proposé

un modèle organisationnel de la privatisation. Sous cet angle, le transfert de la propriété

publique à la propriété privée consiste en une modification complexe de l’AO tant au

niveau de la répartition des droits décisionnels que de la gouvernance de l’entreprise, à

tous les échelons (3.1). Cette évolution organisationnelle est alors susceptible de modifier

les rapports de coopération entre les partenaires et par conséquent l’efficience interne (3.2).

Enfin, cette adaptation organisationnelle relève théoriquement du processus de sélection

naturelle imposée par les conditions de marché. En ce sens, l’évolution de la dynamique

organisationnelle est supposée conduire dans une perspective de long terme, à une

efficience de second degré plus grande (3.3).

3.1. La privatisation : un processus organisationnel qui met en jeu les composantes

de l’architecture de l’entreprise

Notre modèle considère la privatisation comme un processus organisationnel qui

conduit à modifier le processus décisionnel et le système de gouvernance supposé

l’encadrer. Cette dynamique de l’AO est susceptible de modifier la coopération entre

partenaires et le niveau de valeur qu’ils peuvent s’approprier. Ce processus repose a priori

sur une évolution de ses caractéristiques organisationnelles publiques vers une architecture

de type privé. Les caractéristiques décisionnelles publiques reposent théoriquement sur la

centralisation et la séparation fonctionnelle supérieure limitée. Les caractéristiques de

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306

gouvernance publique sont relatives à un système de coordination et de contrôle centralisé

doté d’un faible niveau d’incitations à la performance économique, et dont le rôle des

organes de contrôle est limité. A l’issue du processus de privatisation ces caractéristiques

sont supposées évoluer vers :

- un processus décisionnel décentralisé qui privilégie une co-localisation des droits

décisionnels et des informations spécifiques nécessaires à une prise de décision

optimale ;

- un système de coordination et de contrôle au niveau supérieur et aux échelons

intermédiaires et inférieurs en cohérence avec la séparation fonctionnelle, soit un

renforcement du rôle de contrôle des organes attachés à la direction (conseil

d'administration ou conseil de surveillance) et une modification du contrôle

hiérarchique plus incitatif.

Dans le cas d’Air France, comme dans le cas de DSM, nous avons observé une volonté

managériale de se dissocier des pouvoirs politiques de sorte que l’autonomie de gestion

soit assurée. Ainsi, dans le premier cas, le rôle joué par C. Blanc à la suite des premières

tentatives lancées par B. Attali, a contribué fortement à la séparation fonctionnelle au profit

de l’équipe managériale dès 1993 comme la proposition 1a de notre modèle le supposait.

Cette autonomie décisionnelle reste naturellement encadrée par les pouvoirs publics. Si les

relations plus informelles sont maintenues avec les tutelles, le conseil d'administration

devient progressivement l’organe central qui joue un rôle d’interface entre les choix

managériaux et les intérêts actionnariaux. Notamment à partir de l’introduction partielle en

bourse en 1999, le conseil renforce le rôle directement participatif des salariés et des

pilotes. Dans cette perspective notre proposition 2a considère le renforcement du rôle de

cet organe parallèlement à la séparation fonctionnelle au niveau supérieur. Le rôle du

conseil d'administration est complété par la mise en place de deux comités spéciaux d’audit

et de stratégie au sein desquels intervient un représentant des pilotes actionnaires (censeur

au conseil d’administration). Le recentrage du rôle de l’actionnaire public sur la fonction

de surveillance a permis à la direction de modifier l’AO à tous les échelons de l’entreprise,

en convergence avec notre proposition 1b. La restructuration en centres de profit résulte

d’une mise en cohérence des droits décisionnels et des centres informationnels pertinents

pour une prise de décision optimale. Cette modification d’architecture a d’abord concerné

le système de coordination, essentiellement par la mise en place d’une négociation

décentralisée et contractualisée avec les employés et leur représentants syndicaux,

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307

neutralisant progressivement le rôle d’arbitre traditionnellement joué par la tutelle. Cette

reconception de la coordination s’est traduite par une adaptation du système d’évaluation

de la performance (système d’information, balises commerciales386, suivi client) et de

rémunération (introduction de critères indexés sur la performance commerciale puis

boursière, l’actionnariat salarié étant de 11%). Ainsi le contrôle hiérarchique repose sur des

indicateurs de performance plus incitatifs associés à une décentralisation fonctionnelle

interne, comme notre proposition 2b en proposait la modélisation. Le processus de

privatisation d’Air France illustre en définitive la décentralisation du processus décisionnel

(proposition 1) simultanément à la mise en place de nouveaux mécanismes d’encadrement

de cette nouvelle répartition des droits décisionnels. Ces nouveaux mécanismes de

gouvernance sont fondés sur des indicateurs de marché et sont encore marqués par un

contrôle fort au niveau supérieur partagé entre un actionnaire public majoritaire et des

salariés actionnaires très impliqués. Cette gouvernance intègre davantage le rôle des

mécanismes de marché et modifie la nature du contrôle de l’actionnaire dominant au profit

d’un actionnaire de référence salarié. Il en résulte donc un système de gouvernance mixte,

en convergence avec notre proposition 2. Selon cette proposition, le processus de

privatisation conduit à un processus décisionnel décentralisé auquel correspond une

gouvernance mixte.

Dans le cas de DSM, le processus de privatisation a également été déclenché par

l’équipe dirigeante auprès des pouvoirs de La Haye. Ceux-ci sont fortement impliqués dans

le rôle socio-économique joué par DSM dans la province du Limburg jusque dans les

années 1970, même si l’entreprise conserve par la suite, une activité annexe dans cette

zone du sud-est des Pays-Bas. 1967 est donc l’année cruciale pour DSM dans son

processus de privatisation avec notamment la création d’un conseil de surveillance au sein

duquel 2 représentants du ministère des Affaires économiques participent à la surveillance

et à l’approbation annuelle sans autre immixtion dans la gestion (propositions 2a). Dès

lors, la décentralisation interne entamée dans les années 1970 permet une dizaine d’années

après la séparation fonctionnelle au niveau supérieur (proposition 1a), de constituer un

centre de planification stratégique, véritable interface entre les centres opérationnels et la

386 115 « balises de qualité de service » mises en place depuis 1997, permettent de mesurer à tous les niveaux de l’entreprise et sur toute la chaîne de valeur, la qualité de service (réservation, agence de vente, cars, arrivée à l’aéroport, enregistrement, embarquement, salon, vol, débarquement, correspondance, fidélisation Fréquence Plus). Ces balises sont mises à jour à l’appui des suggestions recueillies par le système des « 110 clients mystères » (rapport 1998/1999, p. 32).

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308

définition stratégique au sommet hiérarchique (proposition 1). Jusqu’au projet Concern

2000 finalisé à la fin des années 1990, l’architecture de DSM évolue continuellement afin

d’optimiser la co-localisation des droits décisionnels au niveau des centres informationnels

spécifiques. C’est ainsi que la création de centres de profits en relation directe avec le

directoire instaure un nouveau mode de contrôle hiérarchique (proposition 2b). Les

dirigeants intermédiaires sont responsables de leur unité opérationnelle via des contrats de

performance tri-annuels définis avec le management central. L’indexation de la

rémunération sur la performance individuelle et entre chaque centre est mise en place. La

phase finale de la privatisation entamée en 1989 puis terminée en 1996 par la cession totale

des actions de l’Etat, conduit à instaurer un rôle nouveau plus strict de la communauté

financière à l’égard de la politique managériale. Mais la constitution d’un groupe

d’investisseurs institutionnels de référence en 1996 par la cession hors marché des parts de

l’actionnaire public ré-instaure un contrôle plus stable de DSM (proposition 2). Par

ailleurs, le groupe chimique constitue en 1989 deux commissions spéciales (DSM Priority

Shares Foundation et DSM Preference Shares Foundation) afin de réduire les risques de

prise de contrôle hostile. Le rôle des représentants syndicaux, toujours parties prenantes

des décisions, se formalise avec la mise en place d’assemblées plénières annuelles avec

une délégation du conseil de surveillance pour une coopération constructive sur le

déroulement des projets mis en œuvre et la décentralisation des négociations collectives

aux niveaux opérationnels.

Pour conclure sur ce premier lien entre privatisation et AO, la privatisation de

l’entreprise apparaît comme un véritable processus de privatisation de son architecture. En

ce sens, elle dépasse la simple question des transferts de propriété d’actifs qui n’en

constituent qu’une des étapes finales. La gouvernance de l’entreprise publique semble

effectivement marquée par une centralisation forte du processus décisionnel et par

conséquent, par une centralisation correspondante des mécanismes de gouvernance

organisationnelle, tant au niveau interne qu’au niveau supérieur. La forme holding de

l’entreprise publique semble ainsi constituer une forme d’architecture en cours de

privatisation tout comme le passage d’une entreprise privée dans le giron de l’Etat en

constitue une forme en cours de nationalisation.

Nous résumons dans la représentation graphique suivante, les principaux résultats des

deux cas étudiés par rapport aux deux premiers niveaux d’analyse de notre modèle. Ainsi,

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309

nous positionnons la trajectoire du processus décisionnel et de la gouvernance d’Air France

et de DSM au cours de leur processus de privatisation.

Schéma 14 : Les phases du processus de privatisation d’Air France et de DSM

Rappel : SGR : système orienté réseau ; SGM : système orienté marché ; PD-Cent : processus de décision centralisé ; PD-Dec : processus de décision décentralisé ; I et II correspondent aux phases I et II du processus de privatisation de chaque entreprise considérée.

3.2. Dynamique organisationnelle et efficience interne

D’après notre modèle la dynamique de l’AO devrait modifier la coopération entre

partenaires et le niveau de valeur qu’ils peuvent s’approprier. Dans ce contexte

organisationnel « privatisé », les mécanismes de participation des différents partenaires au

processus décisionnel ont évolué. La valeur que ceux-ci peuvent s’approprier est donc

susceptible de varier. L’analyse a ainsi porté sur la valeur actionnariale, salariale

notamment la valeur appropriable par le dirigeant, ainsi que celle appropriable par les

clients et les fournisseurs. Cette modification de l’équilibre coopératif est observable dans

les deux cas.

Ainsi, Air France illustre la capacité croissante des salariés et notamment des pilotes

(proposition 6) à influer sur la valeur actionnariale dont ils sont une des parties prenantes

via leurs représentants (représentant des salariés actionnaires, représentant des actionnaires

AF1990

DSM1970

AF1993-95 AF1999

PD-Dec PD-Cent

AF2000

SGM

SGR

DSM1967

DSM1989

DSM2000

I

II

I

II

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310

pilotes par le censeur et 3 représentants des 3 catégories de salariés). En outre, l’autonomie

plus grande du dirigeant dans l’exercice de sa fonction de gestion sanctionnée positivement

par le marché semble accroître la valeur du capital managérial, en particulier sur le marché

politique français. Par exemple, C. Blanc a reçu en 1997 les lauriers du transport aérien et

la Légion d’honneur. En revanche, si les dirigeants sont actionnaires d’Air France à titre

individuels, ils ne bénéficient pas de plan d’options sur actions, contrairement aux pilotes.

Ce résultat peut paraître surprenant dans la mesure où leurs compétences en tant

qu’entrepreneurs organisationnels sont essentielles au cours du processus de privatisation.

Cette spécificité dans le cas français reflète le rôle particulier du marché des dirigeants.

Fortement marqué par les réseaux politiques, ce mécanisme d’évaluation des dirigeants

favorise plus l’appartenance au réseau dans la détermination de la valeur managériale que

les seules compétences. De plus, nommé par l’actionnaire public majoritaire, la durée du

mandat est susceptible de dépendre encore des échéances électorales. Enfin, le système de

plan d’options sur action relève davantage de l’esprit de l’actionnaire privé que de

l’actionnaire public. En ce sens, la privatisation d’Air France n’est pas encore achevée. Ce

constat permet d’apporter des illustrations à notre proposition 7 qui considère que le

système de gouvernance mixte induit par le processus de privatisation, accroît le niveau de

valeur appropriable par le dirigeant. Au cas particulier, comparativement au dirigeant de

l’entreprise publique « pure » le dirigeant peut s’approprier un surplus de valeur par les

actions qu’il peut souscrire et surtout par la valeur managériale qu’il peut retirer d’une telle

mission. Par ailleurs, ces incitations pour le dirigeant à accroître la création de valeur

actionnariale sont renforcées par l’influence jouée par le marché financier (proposition 4).

Ainsi, malgré les spécificités du secteur du transport aérien, l’action Air France est dans

son secteur, « la préférée des investisseurs » avec une croissance du cours de 40% sur les

deux années de cotation. Enfin, la présence d’une banque partenaire au sein de

l’actionnariat de référence est supposée par la proposition 5, accroître les incitations du

dirigeant à recourir davantage au financement par endettement que par appel au marché

financier. La spécificité du secteur pour lequel l’endettement est le mode de financement

principal devrait selon notre proposition 5, conduire à la présence d’une banque partenaire

au sein de l’actionnariat d’Air France. D’ailleurs, avant que la privatisation ne soit

engagée, l’Etat via la CDC et la BNP alors publique, a largement contribué au financement

d’Air France. Or, à notre connaissance, la structure actionnariale d’Air France après

l’ouverture du capital n’indique pas de partenaire bancaire particulier ou autre détenteur de

plus de 5% du capital ou des droits de vote. Le processus de privatisation n’étant pas

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311

achevé, on est en mesure de penser qu’à terme un ou plusieurs partenaires bancaires

pourront intégrer le conseil d'administration. Concernant les partenaires commerciaux,

l’AO d’Air France issue du processus de privatisation a de toute évidence contribuer à

améliorer le service au client qui bénéficie pour l’instant des forces de marché pour influer

sur l’offre du transporteur (proposition 8). Les fournisseurs, quant à eux semblent avoir

essuyé les restructurations organisationnelles engagées depuis B. Attali, renforcées par C.

Blanc et poursuivies par J.C. Spinetta, conformément à notre proposition 9.

Dans le cas de DSM, la gouvernance mixte de l’entreprise à l’issue des trente années de

privatisation a visiblement orienté le comportement managérial vers la création de valeur

actionnariale (surperformance du titre entre 1994 et 1997 par rapport à l’indice) d’autant

plus qu’ils bénéficient de plan d’options sur actions fortement intéressant selon l’un de nos

interlocuteurs, ancien cadre dirigeant (propositions 4-7). De plus, notre proposition 5

relative à l’incitation à recourir plutôt à l’endettement qu’au marché financier en présence

de partenaires de référence, semble être corroborée compte tenu de la hausse du ratio

d’endettement sur les périodes d’ouverture du capital, notamment en 1997 suite à la

constitution d’un groupe d’actionnaires partenaires. Concernant les autres salariés, les

plans d’options sur actions ont eu moins d’effet que la rémunération variable indexée sur

les performances comptables à partir desquelles les promotions internes sont effectuées.

Ainsi, conformément à notre proposition 6, les salariés au capital humain spécifique

bénéficient davantage de la privatisation, notamment par la capacité qu’ils ont à valoriser

leur capital humain dans l’entreprise. Enfin, les clients de DSM semblent avoir bénéficié

des réorganisations internes qui privilégient l’initiative dans ce domaine à forte innovation.

Le renforcement de la réorientation stratégique de DSM vers ses clients illustre notre

proposition 8 qui trouve ainsi plusieurs éléments de confirmation des effets positifs de la

privatisation sur la valeur appropriable par les clients. De même, la négociation renforcée

avec les fournisseurs d’origine de DSM depuis le début du processus de privatisation

converge vers notre proposition 9 selon laquelle la contrainte d’efficacité associée au

système de gouvernance mixte engendre une réduction de valeur appropriable par cette

catégorie de partenaires.

Au regard de ces résultats sur les effets de la dynamique organisationnelle sur la valeur

partenariale, le processus de privatisation modifie effectivement les termes de la

coopération des différents partenaires. L’ensemble des partenaires est concerné par une

renégociation de leur contrat avec l’entreprise. A l’exception des fournisseurs et de certains

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312

salariés (une minorité) concernés par la rupture de contrats, les autres partenaires semblent

bénéficier des réorganisations de l’AO des deux entreprises. En ce sens, le processus de

privatisation reflète le déséquilibre organisationnel duquel résulte au final un nouvel

équilibre. Celui-ci paraît associé à un niveau d’efficience de troisième degré plus élevé

comparativement au niveau d’efficience d’origine, dans les nouvelles conditions

environnementales. Dans le cas d’Air France comme dans celui de DSM, l’organisation

publique peut représenter un équilibre particulier susceptible d’être affecté par un

changement des conditions environnementales, comme nous l’abordons dans la sous-

section suivante.

3.3. Evolution organisationnelle, vers l’efficience externe

L’évolution organisationnelle déclenchée par le processus de privatisation répond dans

les deux cas étudiés, à une modification des contraintes environnementales. Dans le cas

d’Air France, la libéralisation croissante qui a succédé à la période de reconstruction des

économies après la Seconde Guerre mondiale a imposé une adaptation de l’AO pour

répondre aux concurrents et à une demande de plus en plus large. L’évolution trop lente de

l’organisation d’Air France entre 1970 et 1990 a conduit à une situation de quasi-faillite en

1993 et à sa recapitalisation à hauteur de 20 milliards de francs. Air France à ce moment là

caractérise un niveau de sous-efficience de deuxième degré (externe) évident alors que

d’un point de vue de la coopération elle-même, à l’exception des dirigeants entrant et

sortant, le niveau de satisfaction paraît acceptable (efficience de troisième degré dans la

teminologie proposée par Charreaux, 1999). Selon nous, Air France illustre

symboliquement la nature « schizophrénique » de l’entreprise publique avant son

processus de privatisation. De plus, l’implication croissante des instances européennes

dans l’organisation du transport aérien européen, au détriment des Etats, a contribué au

processus de privatisation. L’aval de la Commission Européenne pour la recapitalisation a

été ainsi conditionné par une réorganisation interne dans le respect des règles de

concurrence prévues par le Traité d’Amsterdam. Ainsi, la libéralisation totale du secteur

entamée dans les années 1970 aux Etats-Unis et le rôle croissant des institutions

européennes ont provoqué le déséquilibre organisationnel d’Air France au profit d’un

nouvel équilibre. Le processus engagé par Air France a permis d’augmenter, dans le

nouveau contexte environnemental, l’efficience interne (entre les partenaires de la

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313

coopération) et externe de l’entreprise (comme forme organisationnelle parmi les choix

possibles dans le contexte environnemental donné).

Du coté de DSM, la maturité du secteur de l’extraction minière dans les années 1920-

1930 a provoqué une réorientation de l’activité principale de DSM au profit du gaz puis de

la chimie. Alors que ce secteur connaît à partir des années 1950 une concurrence mondiale

croissante, la direction de DSM sollicite de son actionnaire public une réorganisation

structurelle afin d’assurer le développement de l’entreprise. Ainsi, le déséquilibre

organisationnel entamé avec la restructuration préalable dans les années 1950-1960, à

contribué à un nouvel équilibre à partir de 1967 tant du point de vue interne que du point

de vue externe compte tenu des contraintes environnementales dans lesquelles évolue

DSM.

Ainsi, la contrainte environnementale constitue une source d’ajustement de l’équilibre

organisationnel. La gouvernance de l’entreprise qui dépend de la configuration

environnementale souligne la nécessité de distinguer une dimension supérieure du système

de gouvernance. En effet, la gouvernance institutionnelle que nous avons identifiée au

cours de notre investigation empirique est une variable à part entière du processus de

privatisation. Elle figure d’ailleurs comme un des codes centraux de notre tableau des

données réduites que nous avons pu affiné. Ainsi, plus particulièrement pour Air France,

les données recueillies faisant référence à des informations institutionnelles internationales

ont été codées SGI, les informations institutionnelles européennes, SGUE et nationale, SGN.

Cette distinction au cours de la démarche empirique, nous a permis de prendre en compte

les spécificités institutionnelles d’un secteur, au-delà de ses caractéristiques de marché

(SGM). Elles s’inscrivent dans l’analyse du fonctionnement de la firme comme une

composante de son système de gouvernance organisationnelle. Ainsi, dans le secteur

aérien, la législation spécifique à l’organisation des vols, les organisations internationales

et l’Etat, par son rôle diplomatique, entrent dans cette gouvernance institutionnelle qui

influe sur le fonctionnement de la firme, notamment au niveau du processus décisionnel.

Certaines décisions prises par les pouvoirs publics sont imposées à la compagnie, à l’appui

de règlements supranationaux. La gouvernance institutionnelle permet de contextualiser

certaines caractéristiques de la gouvernance organisationnelle qui finalement demeure en

cohérence avec les spécificités du processus décisionnel et du contexte environnemental.

Ainsi comme le souligne Autier et al. (2001, p. 103) :

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314

« [la définition européenne de service public aérien] remédie à l’incompréhension entre

l’actionnaire et les dirigeants de la compagnie nationale opposés sur leurs conceptions des

missions d’Air France. En effet, pour le gouvernement, la compagnie doit assurer à moindre

coût le transport de fret et de passagers, démocratiser le transport aérien, véhiculer l’image de

la France dans des escales lointaines, apporter des devises, et acheter des avions français. Or la

doctrine du service public ne justifie en principe que les deux premières missions. »

On comprend ainsi, sous couvert de réglementation liée au service public, comment

l’Etat français a pu, à certains moments de l’histoire du développement de la compagnie,

intervenir dans le processus décisionnel au-delà de ses prérogatives officielles. En

particulier, la séparation fonctionnelle limitée a pu contribuer au développement d’Air

France. Via la jurisprudence ou grâce à sa position diplomatique, L’Etat a ainsi soutenu la

stratégie d’efficience et de rentabilité conduite par le dirigeant, dans l’attribution de droits

de trafic par exemple. Mais, cette séparation fonctionnelle limitée dans une organisation

aussi complexe qu’Air France, a également contribué à des décisions inopportunes lourdes

de conséquences comme la mise en concurrence intérieure entre trois compagnies

françaises alors que l’ouverture à la concurrence étrangère s’opérait.

Plus globalement, l’évolution de la structure organisationnelle reflète la progression de

l’architecture organisationnelle vers une décentralisation toujours plus cohérente entre les

informations spécifiques locales et plus globales. Cette adaptation reflète par ailleurs

l’existence d’une organisation devenue sous-efficiente, et son développement progressif

vers une architecture plus efficiente au second et troisième degré. Cette dernière laisse

prévoir un avenir potentiellement favorable à la position d’Air France et qui est confirmée

dans le cas de DSM dont le processus de privatisation est déjà plus ancien.

Conclusion du chapitre 6

Notre modèle, construit sur trois niveaux d’analyse, considère la privatisation comme

un processus organisationnel qui conduit à modifier le processus décisionnel (I) et le

système de gouvernance supposé l’encadrer (II). Cette dynamique de l’AO est susceptible

de modifier la coopération entre partenaires et le niveau de valeur qu’ils peuvent

s’approprier (III). L’analyse a ainsi porté sur la valeur actionnariale, salariale (notamment

la valeur appropriable par le dirigeant), ainsi que celle appropriable par les clients et les

fournisseurs.

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315

L’objectif de ce chapitre a consisté à tester la cohérence des propositions du modèle des

liens entre privatisation, AO et efficience organisationnelle. La plausibilité de ce modèle a

ainsi été évaluée à partir de l’étude de cas d’Air France puis par une seconde mise à

l’épreuve dans le cas de DSM. En référence à la section 3, les résultats encourageants que

nous avons pu obtenir grâce à cette réplication théorique nécessiteraient cependant une

application à d’autres cas pour pouvoir statuer sur la généralisation statistique de notre

modèle. Les enseignements tirés de ces premiers résultats empiriques concernant le cadre

de la TPA soulignent l’importance de la prise en compte des variables de gouvernance

institutionnelle pour appréhender véritablement la dynamique de l’AO et plus

particulièrement la gouvernance organisationnelle.

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316

Conclusion de la troisième partie

Notre réflexion théorique dans les deux premières parties, nous a conduit à la

construction d’un modèle à partir d’une grille de lecture susceptible d’intégrer les

différents angles de vue des travaux antérieurs sur la privatisation. D’après notre modèle,

ce phénomène d’envergure mondiale est susceptible d’influer sur le gouvernement de

l’entreprise et sur le niveau de valeur appropriable par différents partenaires. La

problématique de recherche est fondée sur des variables essentiellement qualitatives

relatives aux processus organisationnels. Une réflexion méthodologique sur la stratégie de

recherche empirique dans le chapitre 5, nous a conduit à privilégier une approche qui soit

la plus cohérente possible avec la problématique de recherche. Ainsi, après une brève

revue des différentes instrumentalisations possibles de l’approche qualitative sous-jacente

à notre modèle, nous avons opté pour l’étude de cas. Cette dernière est une stratégie de

recherche potentiellement riche pour la compréhension des réactions organisationnelles

complexes dans le cadre spécifique du processus de privatisation. La question que nous

posons à travers notre modèle vise à comprendre d’une part, comment la privatisation

modifie l’architecture de l’organisation d’autre part, ses implications en termes

d’efficience organisationnelle. Ainsi, souhaitant accéder à une connaissance plausible du

phénomène organisationnel que représente la privatisation ainsi qu’à une connaissance plus

générale de la dynamique organisationnelle, nous avons construit la confrontation de notre

modèle organisationnel de la privatisation à partir de deux études de cas. En ce sens, nous

privilégions un objectif de « généralisabilité analytique » qui concerne le cadre conceptuel

plutôt qu’un objectif de « généralisabilité statistique ». Dans cet esprit, nous avons donc

construit plusieurs instruments d’investigation qualitative (table d’affectation des codes

centraux et tableau des données réduites en particulier) afin de collecter les données et

d’analyser le plus rigoureusement possible, les caractéristiques organisationnelles de la

privatisation d’Air France et de DSM.

A l’issue de notre réflexion méthodologique qui expose notre design de recherche, le

chapitre 6 présente les résultats de chaque étude de cas. DSM comme Air France présente

des caractéristiques organisationnelles relatives au processus de privatisation en

convergence avec nos différentes propositions. Enfin, dans la dernière section, nous

apprécions plus globalement la plausibilité des hypothèses fondatrices de la théorie de la

gouvernance partenariale tant dans le contexte organisationnel public que privé ainsi que sa

portée explicative en matière d’efficience à différents niveaux.

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317

Conclusion générale

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318

La controverse théorique et empirique sur la question de la privatisation au regard de la

performance de l’entreprise, notamment dans les travaux les plus récents, est à l’origine de

cette recherche. Partant du constat d’ambiguïté qui ressort des travaux sur le lien entre

propriété, performance et privatisation, nous nous sommes interrogés sur la signification de

la privatisation et sur le comportement de l’entreprise dans un tel contexte de changement.

Alors que théoriquement, la privatisation est à l’origine de l’accroissement de

performance, comment expliquer qu’elle conduise dans les faits, à des résultats empiriques

contradictoires ou pour le moins non significatifs ? Aborder cette question en sciences de

gestion a donc consisté à poser la question des effets de la privatisation sur le processus

décisionnel de création et de répartition de la valeur organisationnelle. Afin d’expliquer

cette dynamique induite par le processus de privatisation, dans une première partie, nous

avons identifié les caractéristiques organisationnelles publiques et privées des variables de

performance présentées dans la littérature. Dans la mesure où ces différentes lectures, à

l’origine de la controverse, ne permettent pas d’apporter une réponse définitive, nous avons

proposé dans une deuxième partie, un renouvellement de l’analyse de la privatisation. Dans

une perspective dynamique du fonctionnement de l’entreprise, nous avons construit un

modèle organisationnel de la privatisation à partir du cadre conceptuel de la théorie de la

gouvernance partenariale. Fondée sur la théorie positive de l’agence, cette grille de lecture

est en effet susceptible d’intégrer simultanément les caractéristiques de la propriété et des

relations d’agence ainsi que leur évolution au niveau du processus décisionnel. Une

confrontation de nos propositions théoriques à deux cas de privatisation nous a permis dans

la troisième partie, d’appréhender la plausibilité de notre modélisation du processus

organisationnel sous-jacent au processus de privatisation.

En conclusion générale, nous rappelons les principaux résultats de ce travail dans sa

démarche théorique, méthodologique et empirique, avant d’apprécier la portée de cette

recherche et les perspectives d’enrichissement et d’ouverture qu’elle propose.

Au-delà du transfert de propriété d’actifs, la privatisation représente a priori un

processus d’évolution organisationnelle de la coopération partenariale

Dans une approche très générale, nous avons identifié les contours multidimensionnels

de la privatisation et les arguments théoriques et empiriques du débat traditionnel sur le

lien entre propriété, privatisation et performance (chapitre 1). Qu’il s’agisse de la vertu

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319

incitative des forces de marché ou des caractéristiques exogènes d’efficience supérieure de

la propriété privée par rapport à la propriété publique, les observations montrent que

l’hypothèse d’accroissement de performance induit par la privatisation reste partiellement

corroborée. En reprenant les fondements de ces approches traditionnelles, nous avons

proposé une lecture des deux formes organisationnelles d’après les différents prismes

théoriques contractuels (fondements de la théorie des droits de propriété, sa version

actuelle des contrats incomplets, certains aspects de la théorie des coûts de transaction et

l’approche principal-agent - chapitre 2). A l’appui de cette synthèse, nous avons montré

l’insuffisance des arguments théoriques pris indépendamment les uns des autres, pour

comprendre les mécanismes par lesquels la privatisation peut conduire à une amélioration

de la performance de l’entreprise. Dans cette perspective, la théorie de l’architecture

organisationnelle semble proposer un cadre conceptuel pertinent pour l’analyse de la

dynamique organisationnelle (Chapitre 3). En effet, ce référentiel théorique intègre les

différents aspects de l’organisation et surtout leurs interactions. Plus particulièrement, un

de ses champs de recherche en cours de développement, la théorie de la gouvernance

partenariale concentre l’analyse sur les contraintes susceptibles d’être exercées par les

différents partenaires sur le processus décisionnel au centre duquel se trouve le dirigeant.

Elle permet ainsi d’appréhender les variables impliquées dans le changement

organisationnel pour l’ensemble des partenaires et par conséquent, les incidences sur

l’efficience interne et externe387. Lorsqu’on examine les implications de la privatisation sur

l’efficience de l’entreprise, la question de l’évolution de l’architecture organisationnelle

doit donc être soulevée.

Dans cet esprit, une relecture de la privatisation fondée sur la théorie de la gouvernance

partenariale produit un certain nombre de liens intermédiaires entre ce phénomène et ses

effets sur la performance (chapitre 4). L’analyse des composantes du processus décisionnel

sur lequel repose cette dernière permet d’appréhender les effets de la privatisation sur la

répartition des droits décisionnels et sur le système de coordination et de contrôle. Dès lors,

387 En référence à la terminologie proposée par Charreaux (1999, p. 110), l’efficience externe (ou de deuxième degré) s’entend par rapport au critère de remédiabilité. En ce sens, les formes organisationnelles efficientes sont celles « qui sont censées s’imposer, car elles conduisent à une performance supérieure » ou autrement dit, qui présentent une « capacité à mieux réduire les coûts d’agence » parmi l’ensemble des choix possibles. L’efficience interne (ou de troisième degré) vise, quant à elle, l’équilibre organisationnel que représente la firme pour les parties prenantes à la coopération. Elle permet d’expliquer l’existence de multiples formes efficientes (au troisième degré) à un instant donné, parmi lesquelles sur le long terme, certaines disparaîtront, d’autres s’adapteront pour tendre vers l’efficience externe. « Ainsi, le nouvel équilibre qui s’établit suppose l’efficience de troisième degré ».

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320

la privatisation doit être envisagée comme un processus organisationnel et non plus comme

un seul transfert de propriété d’actifs. L’examen des relations entre la répartition des droits

décisionnels et les mécanismes de gouvernance qui encadrent le processus décisionnel

permet de comprendre comment le dirigeant peut être contraint différemment, au cours du

processus de privatisation dans l’accomplissement de sa fonction de gestion. De plus, cette

exploration des processus engagés lors de la privatisation permet d’envisager les moyens

issus de la privatisation par lesquels les différents partenaires sont susceptibles d’influencer

le processus décisionnel et par conséquent la valeur qu’il peuvent s’approprier. En ce sens,

la théorie de la gouvernance partenariale permet une approche de la dynamique

organisationnelle à partir d’une démarche statique comparative en identifiant les

mécanismes par lesquels la privatisation conduit d’un état organisationnel à un autre.

Même si les liens qu’elle permet d’établir n’explicitent pas le caractère progressif de

l’évolution organisationnelle, cette théorie se concentre, à un instant donné, sur l’étude du

système de gouvernance du processus décisionnel. Sous cet angle, elle permet de comparer

le système de gouvernance publique et le système de gouvernance privée dans leur forme

la plus forte. Nous redéfinissons alors la privatisation comme une réallocation des étapes

du processus décisionnel au profit d’agents privés. Cette réallocation des droits

décisionnels au sein de l’organisation est encadrée par certaines contraintes

environnementales, notamment institutionnelles qui, pour certaines, sont à l’origine du

processus. Cette dynamique du processus décisionnel se traduit par une évolution du

système de gouvernance.

Ce travail nous permet de conclure que la privatisation dépasse la « simple »

modification de la propriété publique au profit de la propriété privée, source d’une

réduction idéalisée des coûts organisationnels. L’application des fondements de la théorie

de la gouvernance partenariale démontre que la privatisation est un enchaînement de

processus internes en interaction avec l’environnement de l’organisation. Les mécanismes

qui encadrent le processus décisionnel et qui forment l’architecture organisationnelle

évoluent lors de la privatisation de telle sorte qu’ils modifient l’architecture du processus

de création et de répartition de la valeur organisationnelle. Ainsi, la privatisation en

modifiant la configuration de la coopération influe sur le niveau de valeur appropriable par

les partenaires.

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321

La stratégie de recherche empirique doit privilégier l’adéquation du terrain et de la

problématique : le choix méthodologique de l’étude de cas pour l’analyse des processus

organisationnels

Dans la poursuite du processus de notre recherche, nous nous sommes interrogés sur la

stratégie d’investigation empirique susceptible d’évaluer de manière pertinente la

vraisemblance de notre modèle (chapitre 5). Cette interrogation émane du constat sur

l’évolution méthodologique des travaux sur la privatisation. En effet, le test de l’hypothèse

d’efficience plus grande de la propriété privée a fait principalement l’objet d’études

statistiques portant sur la comparaison de performance des entreprises publiques et privées

(Boardman et Vining, 1989), puis sur la comparaison de performance avant et après la

privatisation (Megginson et al., 1994). Ce n’est que très récemment que l’observation de

quelques cas ponctuels d’entreprises privatisées a été réalisée (Parker, 1994). De plus, les

études visant une représentativité statistique ont constaté la nécessité de prendre en compte

d’autres variables que la seule performance (souvent actionnariale et portée sur le niveau

d’emploi). Ainsi en privilégiant les dimensions environnementales de l’entreprise

(variables sectorielles, cycles économiques, taille), quelques études s’orientent sur une

vision plus dynamique du changement organisationnel (Villalonga, 2000 ; Alexandre et

Charreaux, 2001).

A partir de cette synthèse empirique et de la question de recherche que nous posons au

départ, nous avons d’abord défini le type de connaissance à laquelle nous souhaitions

parvenir. Dans cet esprit, le modèle organisationnel de la privatisation que nous souhaitons

tester vise l’explication des mécanismes organisationnels sous-jacents au processus de

privatisation. Ces mécanismes devraient modifier la coopération et son efficience au

niveau des partenaires (troisième degré) et plus largement, au niveau des autres acteurs

(deuxième degré), comparativement aux concurrents. Notre modèle cherche ainsi à

répondre à la question : comment le privatisation modifie-t-elle l’équilibre organisationnel

interne et externe ? Notre stratégie de recherche doit nous permettre d’apprécier la

plausibilité de nos propositions centrées principalement sur des informations qualitatives

(répartition des droits décisionnels, caractéristiques du système de coordination et

d’évaluation, gouvernance organisationnelle et valeur appropriable).

Dans cette perspective, le positionnement de notre cadre conceptuel fondé sur la théorie

de la gouvernance partenariale a guidé notre démarche d’investigation empirique. Visant la

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322

compréhension de la dynamique organisationnelle, nous avons par conséquent privilégié

une approche qualitative des faits en choisissant l’étude de cas. Comme toute approche

empirique, elle est exposée au risque d’erreur méthodologique et, en particulier, au biais

d’interprétation des données. Nous avons donc procédé à la sélection rigoureuse d’un cas.

Celui-ci doit dans la mesure du possible répondre aux critères de représentativité théorique

autrement dit, le cas doit refléter une accentuation des liens testés. Dans cette optique, nous

avons orienté notre investigation sur la privatisation partielle d’Air France, suffisamment

récente (ouverture du capital en février 1999). De plus, elle illustre le cas d’une entreprise

soumise à la question de sa survie (en 1993) avec une recapitalisation d’envergure (20

milliards de francs, la deuxième après celle du Crédit Lyonnais). En outre, notre parcours

de recherche nous a permis de poursuivre le processus scientifique propre à notre modèle,

par une réplication théorique à un second cas. Nous avons réitéré la mise à l’épreuve du

modèle à partir de l’examen des mécanismes organisationnels induits par la privatisation

de DSM, entreprise de l’Etat néerlandais jusqu’à la cession totale du capital en 1996.

Initialement destinée à l’extraction minière et à l’extraction de gaz, en raison de la maturité

sectorielle dans les années 1950, cette entreprise est devenue l’un des leaders mondiaux de

la chimie fine et de la biotechnologie.

Dans une perspective de rigueur scientifique, nous avons défini notre stratégie de

recherche empirique. Nous avons ainsi exposé le processus de construction des outils

méthodologiques nécessaires à la collecte de données qualitatives. Le tableau des codes

centraux et des données réduites (volume 2) résulte de l’exposé de notre design de

recherche. Il permet ainsi au lecteur de suivre, en toute indépendance, notre démarche

empirique, de la collecte au traitement des données. Cette chaîne de preuves nous a aussi

permis de répliquer en toute rigueur la même méthodologie au cas particulier de la

privatisation de DSM. Dans ce cadre méthodologique, cette deuxième étude doit permettre

de renouveler le test de plausibilité de notre modèle, et d’enrichir ainsi la cohérence de nos

propositions. De plus, cette réplication théorique nous permet de statuer sur la pertinence

du cadre de la théorie de la gouvernance partenariale par rapport à la question de la

dynamique organisationnelle.

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323

Le processus de privatisation de l’architecture d’Air France et de DSM : la dynamique

du processus décisionnel et de la gouvernance partenariale et l’efficience

organisationnelle

L’étude des deux cas de privatisation présente une convergence de nos propositions

avec chaque processus organisationnel analysé. Elle confère à notre modèle un degré de

plausibilité acceptable et renforce ainsi les principes du cadre conceptuel de la théorie de la

gouvernance partenariale. Celle-ci voit aussi sa plausibilité renforcée (chapitre 6).

L’étude du processus de privatisation d’Air France illustre en effet la modification

complexe de l’architecture organisationnelle. Au bord de la faillite en 1993, la

recapitalisation par l’actionnaire public, sous surveillance de la Commission européenne,

constitue pour le transporteur aérien un nouveau départ et le commencement de son

processus de privatisation. L’arrivée de C. Blanc se traduit par une exigence forte de celui-

ci à agir librement pour restructurer intégralement Air France et l’élever parmi les premiers

mondiaux en trois ans. La première rupture de la centralisation forte du processus

décisionnel avec l’Etat est entamée. Le dirigeant la renforcera en neutralisant partiellement

et ponctuellement le rôle des syndicats par une négociation directe avec les salariés, via un

référendum. Son plébiscite permettra par la suite de décentraliser les négociations

syndicales à tous les niveaux de l’organisation. La contractualisation des relations d’Air

France avec son personnel constitue une illustration symbolique de la décentralisation du

processus décisionnel au niveau supérieur puisqu’elle neutralise le rôle d’arbitre joué

traditionnellement par l’Etat en cas de conflits. Elle illustre aussi le processus progressif de

décentralisation à tous les échelons puisqu’à partir de ce plébiscite, le plan « reconstruire

Air France » sera mis en œuvre. La réduction des niveaux hiérarchiques entamée par B.

Attali est accentuée par C. Blanc. La création de centres de résultats permet au groupe Air

France (issu entre temps de la fusion avec UTA en 1992, puis avec Air Inter en 1997) de

mettre en place une organisation matricielle sur cette nouvelle base plus flexible. Le

système de coordination interne repose sur un système de contrôle et d’évaluation de la

performance de plus en plus orienté sur des critères commerciaux puis financiers. Ainsi

l’ouverture partielle du capital (24%) en 1999 complète ce système d’évaluation avec des

indicateurs boursiers et financiers internes, quotidiennement affichés.

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324

Au niveau supérieur, la séparation fonctionnelle clairement entamée en 1993 à l’arrivée

de C. Blanc s’accompagne d’un rôle renforcé du contrôle par le conseil d’administration,

qui progressivement est devenu l’interface avec l’actionnaire public. Son rôle s’accentue

avec une recomposition de ses membres à l’issue de l’ouverture du capital. Avec un

flottant de 33% du capital, un actionnaire public majoritaire et un actionnariat salarié de

11% (première entreprise française), le conseil d’administration intègre un nouvel

administrateur, le censeur représentant les salariés actionnaires pilotes (en plus du

représentant de l’ensemble des salariés actionnaires et des 6 représentants du personnel).

Les personnes qualifiées toujours nommées par décret peuvent toutefois être choisies au-

delà de leur seul statut de représentant des usagers, pour leur compétence économique

notamment. Un projet de loi vise par ailleurs une représentation à venir d’actionnaires

privés autres que l’Etat et les salariés. Il constitue une étape importante du processus de

privatisation d’Air France.

Issue de ces modifications organisationnelles, la coopération entre partenaires d’Air

France semble avoir profité aux salariés actionnaires, notamment les pilotes tant au niveau

de leur influence sur le processus décisionnel qu’au niveau de leur rémunération (plan

d’options sur actions qui leur est exclusivement destiné). Parallèlement, la hausse de 40%

du cours d’Air France témoigne de la hausse du niveau de valeur appropriable par les

actionnaires. En outre, les clients semblent bénéficier également de ces changements

imposés à l’origine par un marché toujours plus concurrentiel. Ainsi la qualité et la

compétitivité du service d’Air France lui assure une place de deuxième mondial sur le

transport de passagers. De plus, la contractualisation des relations sociales visant à

stabiliser les rapports avec le personnel est aussi susceptible d’assurer aux clients d’Air

France une garantie plus grande de service. Si la pression concurrentielle bénéficie à cette

catégorie de partenaires, en revanche, les fournisseurs semblent en avoir été jusqu’à

maintenant les victimes compte tenu des efforts considérables sur les coûts

d’approvisionnement. Toutefois le rétablissement de la compagnie profite maintenant à

certains d’entre eux, notamment les constructeurs. Enfin, parmi les dirigeants d’Air France

a avoir vu leur valeur managériale probablement augmenter, C. Blanc figure en bonne

place, tant sur le marché international que sur le marché français des dirigeants.

L’étude de DSM présente également une illustration originale du processus de

privatisation de l’architecture du groupe chimique. En 1967, le changement de structure

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juridique pour une société anonyme avec conseil de surveillance et directoire, met fin à une

structure très centralisée du processus décisionnel au niveau supérieur depuis 1902. Jusque

là les décisions prises à la Seconde Chambre du gouvernement à La Haye donnaient à

DSM toutes les caractéristiques de l’entreprise publique. C’est ainsi que la privatisation de

l’entreprise entamée en 1967 se finalise une trentaine d’années après par la cession totale

de la part de l’Etat en 1996. Durant ces trente années, la décentralisation interne s’est

progressivement mise en place, d’abord avec la création d’un centre de planification

stratégique initialement localisé à La Haye. Puis, la pression concurrentielle croissante du

secteur a conduit à la mise en place de centres de profit en même temps que DSM engage

une diversification d’envergure au début des années 1980. Le système d’évaluation de la

performance donne dès lors une place centrale aux dirigeants d’unités opérationnelles en

relation directe avec le directoire. Celui-ci est contrôlé depuis 1967 par un conseil de

surveillance où les pouvoirs publics ne sont représentés que par deux membres sur douze.

Cette séparation fonctionnelle définitivement acquise verra l’apparition en 1997 d’un

groupe d’actionnaires de référence, investisseurs institutionnels dont certains seront

membres du conseil.

Cette décentralisation de l’architecture organisationnelle fondée sur une optimisation de

la prise de décision dans un secteur à forte innovation, semble avoir profité aux

actionnaires vu la croissance du cours du titre de plus de 40% depuis 1989. Les salariés

bénéficiaires d’options sur actions semblent avoir davantage profité de l’accroissement de

compétence induit par la décentralisation et un contrôle hiérarchique orienté sur la

performance individuelle et la promotion interne. Cette restructuration a également permis

au client de bénéficier de produits offerts par une entreprise devenue mondiale.

A l’issue de ces deux études, la privatisation semble effectivement représenter un

processus organisationnel d’adaptation des rapports entre différents partenaires au niveau

interne ainsi qu’au niveau externe. En effet, Air France et DSM ont acquis une position

favorable vis-à-vis de la concurrence. En ce sens la privatisation reflète le déséquilibre

organisationnel qui est à sa source et le nouvel équilibre organisationnel auquel elle

aboutit. Ainsi si pour DSM, le processus de privatisation semble effectivement achevé, il

semble qu’Air France doive poursuivre son adaptation afin de tendre vers un nouvel

équilibre organisationnel susceptible au niveau interne, de stabiliser sur le long terme les

relations sociales et de renforcer la séparation fonctionnelle avec l’Etat et, au niveau

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externe, de renforcer sa position stratégique. En définitive, les résultats de ces deux études

du processus de privatisation et leur convergence avec les liens théoriques de notre modèle

offrent une explication des mécanismes organisationnels sous-jacents à la privatisation.

Quelles perspectives ?

La plausibilité de notre modèle organisationnel de la privatisation issue de ce travail

permet de conclure à l’intérêt de la théorie de la gouvernance partenariale pour comprendre

la dynamique organisationnelle, ses efforts d’adaptation dans un contexte environnemental

de plus en plus tourné vers la mondialisation des échanges mais aussi des règles

institutionnelles.

A partir du phénomène de privatisation, l’analyse du système de gouvernance publique

et du système de gouvernance privée permet de comprendre comment l’entreprise publique

peut constituer dans certains cas particuliers, un système organisationnel efficient pour ses

partenaires. La comparaison des deux types de gouvernance fait ainsi apparaître l’existence

d’équilibres multiples de troisième degré. Elle permet aussi de comprendre comment la

privatisation peut conduire à un système organisationnel de type privé efficient au

troisième degré et comment ce système peut tendre vers l’efficience de deuxième degré en

raison de l’évolution des règles du jeu, notamment en cas de dérégulation sectorielle.

L’évolution des mécanismes de gouvernance au niveau institutionnel national et

international conduit à un processus sélectif des formes organisationnelles ouvertes et

permet de contextualiser les vagues de privatisation depuis le début des années 1980.

Par rapport au débat controversé des effets positifs de la privatisation sur la performance

de l’entreprise, la réponse apportée par le cadre de la théorie de la gouvernance

partenariale est claire. La privatisation constitue un processus d’adaptation

organisationnelle en supposant a priori un « encastrement » institutionnel de certains

mécanismes de gouvernance. Cette conclusion répond ainsi à l’observation de l’impact

positif relatif de la privatisation sur la performance de certaines entreprises et sur certaines

zones géographiques. En effet, le processus d’adaptation organisationnel induit par un

changement de contexte environnemental dépend, au moins en partie, de l’environnement

institutionnel national. On peut considérer alors que l’ouverture aux capitaux étrangers et

la réglementation sur la propriété privée en cours d’institutionnalisation dans les pays

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émergents, accentuent l’image de la privatisation comme un processus organisationnel

conduisant à un équilibre intermédiaire avant le passage à une efficience de deuxième

degré. La période d’analyse est donc déterminante pour pouvoir conclure sur les effets de

la privatisation sur l’efficience interne et externe. Dans une démarche inversée, la

nationalisation peut également être lue comme un processus d’équilibre organisationnel

conduisant à un équilibre intermédiaire avant le passage à une efficience de deuxième

degré dans le contexte environnemental donné.

Par ailleurs, notre modèle est fondé sur le cadre conceptuel général de la théorie positive

de l’agence. Or celle-ci repose sur l’hypothèse de rationalité limitée qu’elle a enrichie

d’une composante adaptative et créative. Notre question de recherche fondée sur le

processus organisationnel de la privatisation laisse par conséquent ouverte l’analyse des

mécanismes sous-jacents d’apprentissage des acteurs au sein de l’organisation. Dans notre

modèle, ses mécanismes sont en « tâche de fond » de l’évolution du système de

gouvernance sans pour autant être explicités. Ainsi, un enrichissement possible consisterait

en une analyse des mécanismes d’apprentissage au cours du processus de privatisation. Ces

mécanismes pourraient d’ailleurs en expliquer l’étalement dans le temps.

En définitive, comme le suggère notre modèle, les institutions dans le système de

gouvernance organisationnelle jouent un rôle important dans le déroulement du processus

de privatisation. En ce sens, les institutions nationales ou internationales sont à l’origine de

la dynamique de la gouvernance de l’entreprise. Le statut exogène de cette variable

environnementale est susceptible d’ouvrir l’analyse du système de gouvernance privatisée

envisagée dans notre modèle à l’ensemble des entreprises concernées par ces mêmes règles

institutionnelles. Une ouverture de recherche est celle d’une gouvernance européenne

susceptible de tendre vers un système de gouvernance mixte identifié dans notre grille de

lecture, notamment pour toutes les entreprises privatisées de taille comparable. Une telle

convergence vers un modèle de gouvernance mixte permettrait alors d’endogénéiser les

règles institutionnelles dans l’analyse des systèmes de gouvernance et de donner une portée

plus générale à notre modèle explicatif. Par conséquent, dans la perspective de ces

ouvertures, nous sommes confiants quant à l’explication qu’apporte, dans le cadre des

sciences de gestion, la théorie de la gouvernance partenariale, par rapport à la question si

controversée de la privatisation.

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Notre approche de la privatisation a ainsi permis de dégager plusieurs voies de

recherche future, qu’il s’agisse aussi bien de la question de l’évolution de l’organisation

des services publics et des règles du jeu qui les gouvernent aujourd’hui, que de l’évolution

de ces dernières dans la coopération entre le domaine public et privé et dans le devenir de

l’environnement institutionnel dans lequel évolue l’ensemble des organisations. Cette

recherche souligne la direction dans laquelle se tourne et se construit selon nous, ce

probable et néanmoins nécessaire modèle européen de gouvernance dans le mouvement de

globalisation qui se renforce aujourd’hui.

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343

Liste des tableaux, schémas et graphiques Tableau 1 : Privatisation : un concept multiforme…………………………… p. 33

Tableau 2 : Typologie des privatisations adaptée de Clarkson, 1989………….. p. 35

Tableau 3 : Les formes de privatisation et l’influence des pouvoirs publics, le

cas américain, adapté de Clarkson, 1989………………………………………... p. 36

Tableau 4 : Revue de littérature sur les études longitudinales de la

privatisation, l’évolution méthodologique……………………………………... p. 77

Tableau 5 : Caractéristiques comparées de la propriété publique et privée : une

interprétation au regard de la TCI………………………………………………. p. 100

Tableau 6 : Synopse des caractéristiques organisationnelles publiques et

privées, à partir de différents prismes théoriques contractuels………………….. p. 121

Tableau 7 : Nature de la gouvernance et typologie des mécanismes de GE,

adapté de Charreaux (1997, p. 427)……………………………………………... p. 156

Tableau 8 : Caractéristiques du processus décisionnel public et du processus

décisionnel privé comparable…………………………………………………… p. 174

Tableau 9 : Les caractéristiques générales du système de gouvernance de

l’entreprise privatisée dans la forme la plus forte de privatisation, l’OPV…… p. 180

Tableau 10 : Lexique des codes d’analyse de contenu et de réduction des

données : notre table d’affectation……………………………………………… p. 240

Tableau 11 : Mise en relations des codes d’après notre cadre conceptuel : une

représentation simplifiée de nos propositions…………………………………... p. 241

Tableau 12 : Structure de notre tableau des codes centraux et données réduites

sur le processus de privatisation………………………………………………… p. 242

Schéma 1 : Privatisation et performance : l’évolution de la problématique des

travaux sur le test de la propriété………………………………………………... p. 78

Schéma 2 : La problématique de la privatisation dans la littérature et ouverture p. 80

Schéma 3 : Degré d’extension du droit de décision résiduel public (DDRP) à

partir de la typologie des entreprises publiques proposées par Glachant (1994) p. 99

Schéma 4 : La théorie de la gouvernance, un champ spécifique de la TPA

comme théorie de l’architecture organisationnelle (AO)……………………….. p. 157

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344

Schéma 5 : Privatisation et processus décisionnel, une lecture de la dynamique

organisationnelle à travers la théorie de la gouvernance partenariale…………... p. 161

Schéma 6 : Architecture de la fonction de gestion des décisions au sein de la

hiérarchie publique, adapté de Glachant (1994)………………………………… p. 173

Schéma 7 : Stade exploratoire (I) et stade confirmatoire (II) du processus

scientifique et positionnement de la TPA et TPG………………………………. p. 218

Schéma 8 : Le processus du test de plausibilité d’une théorie émergente dans le

processus scientifique…………………………………………………………… p. 224

Schéma 9 : Notre stratégie d’investigation empirique au cours du processus de

test de plausibilité (dans sa phase préparatoire)………………………………… p. 243

Schéma 10 : Les organes participatifs à la prise de décision au sein d’Air

France avant le processus de privatisation……………………………………… p. 256

Schéma 11 : Les organes participatifs à la prise de décision au sein d’Air

France à l’issue de la phase II du processus de privatisation…………………… p. 278

Schéma 12 : Les organes participatifs à la prise de décision au sein de DSM

avant le processus de privatisation……………………………………………… p. 288

Schéma 13 : Les organes participatifs à la prise de décision au sein de DSM à

l’issue de la phase II du processus de privatisation……………………………... p. 297

Schéma 14 : Les phases du processus de privatisation d’Air France et de DSM p. 309

Graphique 1 : Evolution de la structure du capital de DSM NV depuis la

première cotation en 1989………………………………………………………. p. 293

Graphique 2 : Evolution du groupe d’actionnaire de référence en 1996-1997… p. 294

Graphique 3 : Chiffre d’affaires de DSM de 1986 à 1998…………………… p. 303

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345

Table des matières

Introduction ---------------------------------------------------------------------------------------------------------9 Première partie : La privatisation : théories et faits ---------------------------------------------------------------- 24

Chapitre 1 : Le débat traditionnel sur le lien entre propriété et performance --------------------------- 28 Section 1 : Le concept de privatisation : un phénomène organisationnel à plusieurs facettes -------------29

1.1. La privatisation : différentes perspectives------------------------------------------------------------------30 1.2. La privatisation de l’entreprise : quelle interprétation de la firme ? -----------------------------------33 1.3. D’un concept multiforme à une définition générique de la privatisation------------------------------37

1.3.1. Une lecture par les objectifs et le transfert de propriété --------------------------------------------38 1.3.2. Le lien entre degré de privatisation et degré de contrôle -------------------------------------------40 1.3.3. La diversité des modalités de changement de propriété : vers un continuum-------------------43

Section 2 : Un lien positif entre privatisation et performance : la propriété comme variable intermédiaire--------------------------------------------------------------------------------------------------------------46

2.1. Propriété publique et privatisation---------------------------------------------------------------------------47 2.2. Propriété publique et nature des objectifs ------------------------------------------------------------------55

Section 3 : Illustrations empiriques : des conclusions hétérogènes---------------------------------------------58 3.1. Performances comparées des organisations publiques et privées --------------------------------------59

3.1.1. Comparaison de performance dans les deux types organisationnels : diversité et non significativité des tests de la propriété-------------------------------------------------------------------------59 3.1.2. L’accréditation de la thèse de la propriété ------------------------------------------------------------62

3.2. Privatisation et performance : évolution méthodologique, un retour sur le questionnement théorique---------------------------------------------------------------------------------------------------------------66

3.2.1. Privatisation et performance : l’approche statique---------------------------------------------------67 3.2.2. L’approche dynamique du lien entre privatisation et performance -------------------------------74

Section 4 : Forces de marché et comportement managérial : une remise en cause de la propriété comme facteur discriminant -------------------------------------------------------------------------------------77

4.1. Structure du marché et mécanisme incitatif à la performance ------------------------------------------78 4.2. Privatisation, structure de marché et performance --------------------------------------------------------79

Section 5 : Synthèse et extension : une remise en question de l’interprétation théorique ------------------81 Conclusion du chapitre 1 ----------------------------------------------------------------------------------------------80

Chapitre 2 : Analyse comparative des formes organisationnelles publiques et privées : contributions des approches contractuelles ----------------------------------------------------------------------- 83

Section 1 : Contribution de la théorie des contrats incomplets--------------------------------------------------86 1.1. Hypothèses fondatrices et modèle des contrats incomplets ---------------------------------------------87 1.2. Structure de propriété et sources de coûts ------------------------------------------------------------------95

Section 2 : Contributions de l’approche principal-agent ------------------------------------------------------- 103 2.1. Les hypothèses essentielles du modèle d’agence-------------------------------------------------------- 103 2.2. Conflits d’intérêts et sources de coûts dans les deux types organisationnels ----------------------- 106

Section 3 : Contribution de la théorie des coûts de transaction ----------------------------------------------- 110 3.1. Les hypothèses essentielles du modèle ------------------------------------------------------------------- 111 3.2. Attributs des transactions et mode de gouvernance efficace : la neutralité de la propriété ------ 113

Section 4 : Synthèse et extension des apports des différents prismes théoriques des approches contractuelles------------------------------------------------------------------------------------------- 119

4.1. Comparaison des formes organisationnelles : la nécessité d’un cadre théorique intégrateur ---- 120 4.2. Le problème informationnel au centre de l’efficience organisationnelle : vers une théorie de l’architecture organisationnelle---------------------------------------------------------------------------------- 123

Conclusion du chapitre 2 -------------------------------------------------------------------------------------------- 124 Conclusion de la première partie ---------------------------------------------------------------------------------125

Deuxième partie : Privatisation et processus décisionnel : l’analyse dynamique du gouvernement d'entreprise----------------------------------------------------------------------------------------127

Chapitre 3 : Privatisation et gouvernement d'entreprise : le champ de l’architecture organisationnelle-------------------------------------------------------------------------------------130

Section 1 : Des origines au statut actuel de la théorie positive de l'agence---------------------------------- 131 1.1. Les fondements contractuels-------------------------------------------------------------------------------- 132

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1.2. Extensions et développement d’une théorie du fonctionnement organisationnel------------------ 134 1.2.1. Enrichissement de l’hypothèse comportementale : vers une analyse dynamique ------------ 135 1.2.2. Connaissance et processus décisionnel : l’interface entre les approches contractuelle------ 136 1.2.3. Une théorie de l’agence élargie à l’ensemble des partenaires ----------------------------------- 141

1.3. L’intérêt théorique d’une approche partenariale de l’organisation----------------------------------- 145 Section 2 : Architecture organisationnelle et gouvernement d'entreprise : vers une théorie de la

gouvernance partenariale----------------------------------------------------------------------------- 149 2.1. Le gouvernement d'entreprise dans l’approche partenariale de l’organisation--------------------- 150 2.2. Processus décisionnel : l’interface entre architecture organisationnelle et gouvernement d'entreprise ---------------------------------------------------------------------------------------------------------- 153

Section 3 : Privatisation et gouvernance partenariale : l’intégration de la dynamique organisationnelle dans la problématique de l’efficience -------------------------------------------------------------- 159

3.1. Privatisation : déséquilibre institutionnel et processus adaptatif de l’organisation---------------- 159 3.2. Dynamique du GE et privatisation : l’analyse du processus de création et de répartition de la valeur partenariale ------------------------------------------------------------------------------------------------- 160

Conclusion du chapitre 3 -------------------------------------------------------------------------------------------- 161 Chapitre 4 : Analyse de la privatisation à partir de la théorie de la gouvernance partenariale : une

relecture du lien entre propriété et performance----------------------------------------------163 Section 1 : Une ré-interprétation de la privatisation au regard de la TPA----------------------------------- 165 Section 2 : Privatisation, un changement d’architecture organisationnelle : première série de

propositions -------------------------------------------------------------------------------------------- 168 2.1. Privatisation et système de propriété : la dynamique du processus décisionnel ------------------- 169 2.2. Adaptation du système de coordination et de contrôle ------------------------------------------------- 177 2.3. Privatisation et dirigeant : les contraintes incitatives sur la création de valeur--------------------- 185

Section 3 : Dynamique du système de gouvernance et efficience organisationnelle ---------------------- 192 3.1. Privatisation, GE et politique financière : le point de vue des actionnaires apporteurs de fonds 193 3.2. Privatisation, GE et politique financière : le point de vue des salariés ------------------------------ 196 3.3. Privatisation et valeur partenariale : le point de vue des clients et des fournisseurs -------------- 199

Conclusion du chapitre 4 -------------------------------------------------------------------------------------------- 201 Conclusion de la deuxième partie --------------------------------------------------------------------------------203

Troisième partie : Privatisation et processus décisionnel : une intégration de la dynamique de la gouvernance à travers deux études de cas----------------------------------------------------206

Chapitre 5 : Privatisation, processus décisionnel et gouvernement d’entreprise : Réflexion méthodologique --------------------------------------------------------------------------------------209

Section 1 : Problématique fondée sur les processus organisationnels et choix du positionnement méthodologique---------------------------------------------------------------------------------------- 211

1.1. Approche instrumentale qualitative et étude de cas : le choix d’une stratégie de recherche----- 211 1.2. Processus scientifique et nature de la connaissance ---------------------------------------------------- 215

Section 2 : Investigation empirique et sécurité scientifique : les particularités de l’étude de cas ------- 219 2.1. Nature des données et objet du problème étudié -------------------------------------------------------- 220 2.2. Logique argumentaire du design de recherche : la validité empirique et la plausibilité théorique------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 222

Section 3 : Conduite de la recherche qualitative sur la privatisation d’Air France et de DSM ---------- 226 3.1. Air France et DSM, un potentiel illustratif intéressant pour l’examen empirique de notre modèle------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 227

3.2. La base de données brutes ---------------------------------------------------------------------------------- 234 3.3. L’exploitation du matériel empirique : méthode de traitement de la base de données réduites - 239

Conclusion du chapitre 5 -------------------------------------------------------------------------------------------- 243 Chapitre 6 : La privatisation d’Air France et de DSM, deux illustrations de l’interdépendance entre

processus décisionnel, système de gouvernance et efficience organisationnelle en France et aux Pays-Bas --------------------------------------------------------------------------------------245

Section 1 : La privatisation partielle d’Air France : un processus organisationnel sur 6 ans------------- 247 1.1. Bref historique d’Air France : 3 stades d’évolution ---------------------------------------------------- 247

1.1.1. La naissance d’une compagnie et du secteur du transport aérien (1933-1948) --------------- 247 1.1.2. La compagnie nationale Air France jusqu’à sa recapitalisation en 1993 ---------------------- 248 1.1.3. De « l’électrochoc » à l’ouverture du capital : la dynamique organisationnelle d’un des quatre premiers transporteurs aériens mondiaux ---------------------------------------------------------- 250

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1.2. Privatisation et architecture organisationnelle d’Air France : les résultats de l’étude des processus------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 251

1.2.1. Aux origines du processus de privatisation --------------------------------------------------------- 252 1.2.1.1. Les caractéristiques organisationnelles publiques de la Compagnie nationale Air France------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 252 1.2.1.2. Les premières tentatives de décentralisation du processus décisionnel------------------- 257 1.2.1.3. La recapitalisation : un nouveau départ pour l’émancipation d’Air France vis-à-vis de l’Etat ----------------------------------------------------------------------------------------------------------- 264

1.2.2. La dynamique de l’architecture organisationnelle dans le processus de privatisation d’Air France------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 265

1.2.2.1. Vers une décentralisation toujours plus grande----------------------------------------------- 266 1.2.2.2. Evolution du système de gouvernance au cours du processus de privatisation --------- 270 1.2.2.3. Vers une latitude managériale croissante ------------------------------------------------------ 279

1.2.3. Dynamique de la gouvernance et valeur appropriable par les partenaires--------------------- 280 1.2.3.1. La dynamique organisationnelle au niveau des différentes catégories d’actionnaires - 280 1.2.3.2. La dynamique organisationnelle an niveau des clients et des fournisseurs -------------- 282

Section 2 : La privatisation graduelle de DSM : analyse du lien entre processus décisionnel et GE : mise en évidence de la dynamique organisationnelle -------------------------------------------------- 284

2.1. Bref historique de Dutch State Mines : 2 stades d’évolution------------------------------------------ 285 2.1.1. La vocation publique de DSM (1902-1967) -------------------------------------------------------- 285 2.1.2. Mutation sectorielle, croissance du secteur de la chimie et changement d’orientation stratégique de DSM--------------------------------------------------------------------------------------------- 286

2.2. Privatisation et architecture organisationnelle de DSM : les résultats de l’étude des processus 286 2.2.1. Aux origines du processus de privatisation --------------------------------------------------------- 287 2.2.2. La dynamique de l’architecture organisationnelle dans le processus de privatisation de DSM--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 288

2.2.2.1. Une décentralisation du processus décisionnel sur 30 ans ---------------------------------- 289 2.2.2.2. Evolution du système de gouvernance au cours du processus de privatisation --------- 292 2.2.2.3. Une latitude managériale définitivement acquise -------------------------------------------- 299

2.2.3. Dynamique de la gouvernance et valeur appropriable par les partenaires--------------------- 300 2.2.3.1. La dynamique organisationnelle au niveau des différentes catégories d’actionnaires - 301 2.2.3.2. La dynamique organisationnelle au niveau des clients et des fournisseurs -------------- 303

Section 3 : Portée explicative du modèle et apports des deux études de cas -------------------------------- 305 3.1. La privatisation : un processus organisationnel qui met en jeu les composantes de l’architecture de l’entreprise------------------------------------------------------------------------------------------------------- 305 3.2. Dynamique organisationnelle et efficience interne ----------------------------------------------------- 309 3.3. Evolution organisationnelle, vers l’efficience externe ------------------------------------------------- 312

Conclusion du chapitre 6 -------------------------------------------------------------------------------------------- 314 Conclusion de la troisième partie---------------------------------------------------------------------------------316

Conclusion générale ----------------------------------------------------------------------------------------------------317 Bibliographie ------------------------------------------------------------------------------------------------------329 Liste des tableaux, schémas et graphiques --------------------------------------------------------------------------343 Annexes ------------------------------------------------------------------------------------------------------348 Liste des annexes ------------------------------------------------------------------------------------------------------349 Volume 2 : Tableau des codes centraux et des données réduites

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Annexes

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Liste des annexes

Annexe 1 : Schémas de Glachant (1994)……………………………………….. p. 351

Schéma n°1 : Axe de la nature des biens et axe des niveaux de la contrainte

marchande, Glachant (1994, p. 75)

Schéma n°2 : Axe de l’entité entreprise et axe des configurations

institutionnelles, Glachant (1994, p. 109)

Schéma n°3 : Typologie du secteur public en quatre niveaux, Glachant (1994,

p. 147)

Schéma n°4 : Les quatre grands types d’unités du secteur public, Glachant

(1994, p. 149)

Annexe 2 : Résumé et caractéristiques des trois groupes de sociétés

(Charreaux G. et Pitol-Belin J.P., 1985a, in Charreaux éd. 1997, Annexe 6.6,

p. 192)…………………………………………………………………………… p.355

Annexe 3 : Huit leçons tirées des expériences de privatisation, Le rôle des

forces de marché………………………………………………………………… p. 356

Annexe 4 : Une illustration des relations entre l’Etat français et deux

entreprises publiques (EDF et la SNCF) : évolution de l’étendue du DDRP et

contrats de plan………………………………………………………………….. p. 357

Annexe 5 : Les caractéristiques des deux principaux systèmes de

gouvernement (Tableau 15.3, Charreaux 1997b, p. 465)……………………….. p. 363

Annexe 6 : Typologie des mécanismes de gouvernement des entreprises

(Tableau 15.1, Charreaux 1997b, p.427)……………………………………… p. 364

Annexe 7 : Structure globale de notre protocole d’investigation empirique…… p. 365

Annexe 8 : Schéma du processus de privatisation de l’AO d’Air France (1948-

2001)…………………………………………………………………………….. p. 366

Annexe 8a : Evolution du cours d’Air France………………………………….. p. 367

Annexe 8b : L’évolution du taux d’endettement d’Air France depuis la

recapitalisation en 1994…………………………………………………………. p. 368

Annexe 9 : Schéma processuel de la privatisation de DSM……………………. p. 369

Annexe 9a : Evolution du cours de DSM NV entre 1989-1998 et du taux de

distribution de dividende………………………………………………………... p. 370

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Annexe 9b : L’évolution de l’endettement de long terme et du taux

d’endettement de DSM de 1986 à 1998………………………………………… p. 371

Annexe 10 : 40 recommandations du rapport Peters sur la gouvernance et

positionnement de DSM………………………………………………………… p. 372

Annexe 11 : Questionnaire……………………………………………………… p. 376

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