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UNIVERSITÉ PARIS DAUPHINE UFR SCIENCES DES ORGANISATIONS DRM – UMR CNRS N° 7088 – DAUPHINE RECHERCHES EN MANAGEMENT CREPA – Centre de Recherche en Management & Organisation N° attribué par la bibliothèque _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ THÈSE pour l’obtention du titre de DOCTEUR ès SCIENCES DE GESTION (Arrêté du 07 août 2006) Présentée et soutenue publiquement par Loïc PLÉ LA COORDINATION D'UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL : LE CAS DE LA BANQUE DE DÉTAIL Tome 1 : Document principal JURY Directeur de thèse : Bernard de MONTMORILLON Professeur à l’Université de Paris-Dauphine Rapporteurs : Éric LAMARQUE Professeur à l’Université de Bordeaux-IV Véronique des GARETS Professeur à l’Université de Tours Suffragants : Michel KALIKA Professeur à l’Université de Paris-Dauphine Olivier ASSELIN Directeur Régional, Banque Scalbert Dupont le 23 novembre 2006

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UNIVERSITÉ PARIS DAUPHINE UFR SCIENCES DES ORGANISATIONS

DRM – UMR CNRS N° 7088 – DAUPHINE RECHERCHES EN MANAGEMENT CREPA – Centre de Recherche en Management & Organisation

N° attribué par la bibliothèque

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _

THÈSE

pour l’obtention du titre de

DOCTEUR ès SCIENCES DE GESTION (Arrêté du 07 août 2006)

Présentée et soutenue publiquement par

Loïc PLÉ

LA COORDINATION D'UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL : LE CAS DE LA BANQUE DE DÉTAIL

Tome 1 : Document principal

JURY

Directeur de thèse : Bernard de MONTMORILLON Professeur à l’Université de Paris-Dauphine Rapporteurs : Éric LAMARQUE Professeur à l’Université de Bordeaux-IV Véronique des GARETS Professeur à l’Université de Tours Suffragants : Michel KALIKA Professeur à l’Université de Paris-Dauphine

Olivier ASSELIN Directeur Régional, Banque Scalbert Dupont

le 23 novembre 2006

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L’université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses : ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

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Remerciements

I

REMERCIEMENTS

Rétrospectivement, la réalisation d’un travail doctoral a ceci de paradoxal qu’il

débouche sur un aboutissement temporaire. Aboutissement, car la soutenance marque la fin

d’un cycle dont tout individu ne ressort à l’identique de ce qu’il était en y pénétrant.

Temporaire, car participant d’une dynamique de recherche, il ne peut prétendre ni à

l’exhaustivité, ni à conclure définitivement toute discussion sur le propos qu’il défend (bien

au contraire !).

Tout au long de cette période, le doctorant se construit à la fois en tant que chercheur,

mais aussi en tant que personne. Les contacts et les relations noués influencent, consciemment

ou inconsciemment, et à des degrés variables, son évolution, ses schémas de pensée, ses

centres d’intérêt, etc. Il s’agit donc d’un processus de maturation intellectuelle personnel,

indéniablement encastré dans un réseau relationnel. L’étendue de ce réseau est vaste, mais je

m’efforcerai de n’omettre personne dans les lignes qui suivent.

En premier lieu, mon directeur de thèse, Président de l’Université Paris-Dauphine, le

Professeur Bernard de Montmorillon. L’enseignement qu’il m’a dispensé en DEA, sa

considération vis-à-vis de ses étudiants, ses méthodes pédagogiques, son perpétuel esprit

critique, déterminèrent ma décision de poursuivre sur la voie doctorale sous sa direction. Pour

son suivi, ses conseils, sa patience, sa compréhension, son soutien permanent face aux

multiples et nombreuses difficultés, ses remarques constructives, je tiens à le remercier

chaleureusement et respectueusement.

J’ai eu la chance dans les premiers mois de ma thèse de rencontrer le Professeur

Lamarque. Ses remarques et conseils avisés m’ont permis de m’ouvrir sur plusieurs pans des

Sciences de Gestion, et de stimuler ma curiosité intellectuelle. Je lui suis donc très

reconnaissant d’avoir accepté de participer à ce jury en tant que rapporteur. Je tiens également

à exprimer ma profonde gratitude au Professeur des Garets pour avoir accepté d’endosser

cette lourde responsabilité.

Les membres du CREPA, mon laboratoire de recherche, furent d’une aide précieuse.

Je souhaite adresser de vifs remerciements au Professeur Romelaer, pour le temps qu’il m’a

accordé à de multiples reprises afin de discuter de mes travaux et des difficultés auxquelles

j’étais confronté. Ses conseils pour les surmonter s’avérèrent toujours judicieux. Quant au

Professeur Kalika, son écoute et sa lecture critiques ont, en pointant de manière constructive

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Remerciements

II

les failles de ma recherche, été à l’origine de remises en cause, d’interrogations et

d’approfondissements qui ont contribué à enrichir ce document. Je suis à la fois heureux, et

très honoré de le compter parmi les membres de mon jury.

Nombreux sont également les docteurs et doctorants qui m’ont aidé à m’orienter vers

la lumière alors que l’obscurité me paraissait insondable, et la tâche insurmontable. Il est

toujours rassurant, encourageant et motivant de constater que d’autres rencontrent les mêmes

difficultés, et parviennent à les surmonter. Isabelle Lefebvre, Olivier Joffre, Xavier Lepers,

Fatma Jaziri, Nabila Boukef, Julie Tixier, Gaël le Boulch, Stéphanie Dameron sont au premier

plan de ceux-là. Ce ne sont certainement pas les seuls, mais que les autres me pardonnent, car

la liste est longue, preuve de la vigueur du laboratoire.

Les séminaires EDOGEST, de l’école doctorale, furent également une mine de savoir

et de stimulation. Leur variété représenta longtemps pour moi une bouffée d’oxygène,

permettant de m’extraire du flot de mon travail personnel pour m’intéresser à des recherches

totalement distinctes. Merci à leurs différents animateurs, et à l’ensemble des personnes qui y

présentèrent, que je ne peux malheureusement remercier individuellement ici.

J’ai en outre bénéficié de l’immense opportunité d’assister aux séminaires du CEFAG,

organisés par la FNEGE. Ce fut exceptionnel à tout point de vue. Professionnellement et

intellectuellement, l’enrichissement fut indescriptible. Humainement, l’expérience fut

certainement la meilleure de mes années de thèse. Les professeurs présents y brillèrent par

leur connaissance, mais aussi et surtout leur humilité, courtoisie et accessibilité. Mes pensées

vont particulièrement vers Raymond-Alain Thiétart, Pierre Batteau et Bernard Forgues, sans

oublier l’ensemble de ceux qui nous ont fait profiter leur savoir au cours de ces trois

séminaires. Quant aux doctorants présents, ce fut un plaisir de partager avec eux ces trois

semaines, et bien plus : Anne Bartel-Radic, Manuel Cartier, Corentin Curchod, Philippe

Drago, Sandrine Emin, Sandrine Hollet, Aude Hubrecht, Olivier Joffre, Xavier Lecocq, Tessa

Melkonian, Lars Meyer-Waarden, Angélique Rodhain, Fabienne Villesèque, Annabel

Salerno, Samuel Sponem, Déborah Wallet-Wodka.

Je tiens aussi à associer à ces remerciements plusieurs collègues, certains étant

devenus des amis au fil du temps, et dont la relecture me fut des plus précieuses : François

Deltour, Caroline Roussel, Jacques Angot, Denis Lapert.

L’accès au terrain est une étape essentielle pour toute thèse en gestion, mais n’en est

pas pour autant la plus aisée. Si les contraintes d’anonymat nous empêchent de citer toutes les

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Remerciements

III

personnes qui nous ont permis cet accès aux données, elles n’en sont pas pour autant oubliées,

et je les associe cordialement à ces remerciements. Parmi elles, Olivier Asselin, Directeur

Régional à la Banque Scalbert Dupont, fut d’une aide extrêmement précieuse, et le compter

comme membre de mon jury constitue un plaisir et un honneur.

Merci également à l’ensemble de mes collègues de l’IESEG, pour leur soutien et leur

grande compréhension durant cette dernière année, et plus encore ces derniers mois.

En dehors du sérail universitaire et professionnel, ma famille et mes amis m’ont

largement soutenu... et supporté, littéralement ! A mon père, ma mère, mes grands-parents,

auxquels je ne compte plus le nombre de fois où j’ai dû expliquer le cheminement de la thèse

et les difficultés de sa réalisation, sans compter la nature de mon sujet... Merci !

Enfin, mon épouse, Anne-Sophie, fut une extraordinaire source de soutien moral et de

réconfort, sans laquelle je n’aurais pu aller au bout, et notre petite fille, Lilou, fut sans aucun

doute l’ultime moteur de ma motivation à mener à son terme ce périple doctoral.

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Sommaire

IV

SOMMAIRE INTRODUCTION GÉNÉRALE ............................................................................................ 1

PREMIÈRE PARTIE : VERS UNE FORMULATION ABDUCTIVE DE LA QUESTION DE RECHERCHE ........................................................................................... 11

CHAPITRE PREMIER :DÉFINITION ET MODALITÉS DE DÉVELOPPEMENT D’UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL..................................................... 13

SECTION I. DU CANAL AU RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL........................14 SECTION II. RAISONS ET LIMITES DU DÉVELOPPEMENT D’UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL. ...................................................................................................41

CHAPITRE DEUXIÈME :PRÉSENTATION DU SECTEUR ET ÉTUDE DE CAS EXPLORATOIRE ................................................................................................................. 71

SECTION I. LA RÉVOLUTION DE LA BANQUE DE DÉTAIL. .............................................72 SECTION II. L’ÉTUDE DE CAS EXPLORATOIRE : LE CAS BANQUE GÉNÉRALE DU NORD (BGN) .................................................................................................................................99

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE................................................................. 143

DEUXIÈME PARTIE : LA LITTÉRATURE AU SERVICE DE LA CONSTRUCTION PROGRESSIVE DE LA PROBLÉMATIQUE ................................................................. 144

CHAPITRE TROISIÈME :LE CLIENT, ACTEUR DE LA VIE ORGANISATIONNELLE......................................................................................................................................................................................................................................................... 146

SECTION I. DE LA PARTICIPATION DU CLIENT. .............................................................. 147 SECTION II. LES DÉTERMINANTS DE LA PARTICIPATION.............................................168 SECTION III. PRÉSENTATION ET PROPOSITIONS D’ÉVOLUTION DES RÔLES DU CLIENT PARTICIPANT ................................................................................................................192

CHAPITRE QUATRIÈME :LA COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE : DES MODÈLES TRADITIONNELS À L’INTÉGRATION DU CLIENT.......................................................................................................................... 219

SECTION I. DES MÉCANISMES AUX PROCESSUS DE COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE. .............................................................................................................220 SECTION II. L’INFLUENCE DU CLIENT SUR LA COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE : PROBLÉMATIQUE ET GRILLE DE LECTURE ............................ 245

CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE................................................................. 260

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Sommaire

V

TROISIÈME PARTIE : MÉTHODOLOGIE ET ÉTUDES DE CAS............................ 261

CHAPITRE CINQUIÈME :POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE ET MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE...................................................................... 263

SECTION I. POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE ET ARCHITECTURE DE LA RECHERCHE ............................................................................................................................... 264 SECTION II. LE PROCESSUS DE COLLECTE DES DONNÉES............................................286 SECTION III. L’ANALYSE DES DONNÉES RECUEILLIES...................................................299

CHAPITRE SIXIÈME :ÉTUDES DE CAS....................................................................... 309 SECTION I. LE CAS BANQUE COOPÉRATIVE RÉGIONALE (BCR) ................................ 310 SECTION II. LE CAS ÉTABLISSEMENT FINANCIER NATIONAL (EFN)..........................362 SECTION III. LA COMPARAISON INTER-CAS AU SERVICE DE LA CONCEPTUALISATION ET DE L’ANALYSE SECTORIELLE.................................................413

CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................................................................. 438

BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................... 444

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Introduction générale

1

INTRODUCTION GÉNÉRALE

« Chercher, c’est laisser votre curiosité vous aiguiller

sur des voies qui se révéleront plus tard intéressantes

ou non. C’est douter. C’est aussi savoir à l’avance que

ce que l’on sait déjà ne suffira probablement pas pour

comprendre, et qu’il va falloir apprendre autre chose,

s’intéresser à d’autres voies de recherches, à d’autres

approches spécialisées, à d’autres techniques, à

d’autres outils mathématiques... Lorsque j’aurai

trouvé, je saurai alors que ce que je savais hier a été

nécessaire mais aussi insuffisant pour que je puisse en

tirer des conclusions qui éclairent les choses sous un

jour nouveau » (Évry Schatzman, 1992 : 16)

nne a travaillé tard pour préparer une réunion importante. A

22 heures, elle décide d'aller sur le site Internet de son

opérateur de téléphonie mobile pour consulter le détail de ses

communications, car sa dernière facture lui semble élevée. Elle constate alors qu'elle ne peut

y accéder via Internet.

Le lendemain matin, elle appelle le service clients pour demander une facture

détaillée. Le téléconseiller propose de la lui envoyer par courrier et voyant que sa

consommation dépasse de beaucoup son forfait, lui suggère de modifier son abonnement.

Anne souhaite y réfléchir, d'autant qu'elle envisage également de changer son mobile.

Dans l'après-midi, Anne passe devant la boutique d'un revendeur. Elle rentre se

renseigner, et décide finalement d’acheter un nouveau mobile et de prendre un abonnement

plus adapté. Malheureusement, le revendeur n'a pas accès aux informations concernant son

abonnement et ne peut procéder à la modification de son contrat. Il contacte le centre

d’appels de l’opérateur pour essayer de les obtenir, mais le téléconseiller qui traite sa

demande lui explique qu’il ne peut rien faire pour lui. Si Anne tient vraiment à effectuer ces

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Introduction générale

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changements, elle doit tout d’abord elle-même recontacter le centre d’appels, afin de faire

procéder dans un premier temps à l’évolution de son contrat, puis revenir en magasin pour

changer son appareil.

Excédée, Anne rentre chez elle et envoie un e-mail à son opérateur pour exprimer son

mécontentement. Deux jours plus tard, elle n'a toujours aucune réponse ».

OBJECTIFS ET PROBLÉMATIQUE DE NOTRE RECHERCHE.

Bien que fictif, cet exemple, adapté de Collart et Lejeune (2001), est le reflet condensé

de quelques uns des avantages et inconvénients induits par une stratégie dite « multicanale1 ».

Ce type de stratégie renvoie, de manière succincte, à l’utilisation par une entreprise de

plusieurs canaux dans la gestion de ses contacts avec ses clients actuels et potentiels, canaux

qui sont autant d’interfaces assurant l’échange entre l’organisation et lesdits clients. Ils

peuvent prendre des formes aussi variées que celles de points de vente physiques, centres

d’appels, sites Internet, etc.

L’intérêt que vouent les entreprises au multicanal est justement étroitement lié à la

diffusion rapide de l’utilisation d’Internet, et aux économies apparemment prodigieuses

promises par ce nouveau média (Grewal et al., 2002 ; Sharma et Krishnan, 2002). Certains

auteurs le considèrent même comme à la fois l’élément déclencheur et le fer de lance des

stratégies multicanales (Prahalad et Ramaswamy, 2000, 2004), même s’il est plus

vraisemblable qu’il soit surtout le catalyseur et l’accélérateur de transformations qui lui

précédaient2.

De par sa nature, l’émergence du multicanal affecte fortement l’activité de distribution

d’une firme. Une stratégie de distribution multicanale permet à une entreprise de multiplier

les possibilités de contacts avec sa clientèle actuelle et potentielle, dans le but d’accroître ses

ventes et d’améliorer la qualité de la relation avec ses clients, tout en diminuant ses coûts

globaux de distribution (Stone et al., 2002). Le client, pour sa part, voit s’amoindrir, sinon

disparaître, certaines barrières (géographiques, temporelles, etc.), ce qui lui facilite l’accès

aux services de son prestataire (Badot et Navarre, 2002).

1 Le terme « multicanal » est un néologisme issu de la littérature, et qui se voit régulièrement décliné soit comme adjectif, soit comme substantif. L’utilisant comme tels, nous parlerons dans ce document du multicanal, de réseaux de distribution multicanaux, de stratégies multicanales, etc. 2 Par exemple, les entreprises de Vente Par Correspondance (VPC) ont commencé à utiliser plusieurs canaux avant l’avènement d’Internet (Vanheems, 1995)

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Introduction générale

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Mais pareille stratégie n’est pas dénuée de risques, dont la nature et l’intensité varient

selon les entreprises : « Les problématiques liées à la distribution sont de plusieurs ordres et

se posent différemment selon que l’entreprise existe ou qu’elle se crée. Il s’agit en effet soit

d’un canal de distribution complémentaire, soit d’un canal nouveau. Pour les entreprises

existantes, la question de la substitution ou de la complémentarité par rapport aux circuits

existants se pose » (Kalika, 2000 : 10). Ainsi, le risque de cannibalisation est patent, en ce que

les nouveaux canaux peuvent détruire la valeur des ressources financières précédemment

investies dans les canaux existants, et réduire de ce fait la rentabilité de l’entreprise, dans

l’hypothèse où les clients se détourneraient massivement des canaux existants au profit des

nouveaux canaux (Vanheems, 1995). L’émergence de conflits, ou encore l’absence de

coordination entre les canaux, constituent autant d’obstacles supplémentaires à la réussite

d’une stratégie multicanale. Obstacles que, à l’évidence, l’opérateur téléphonique d’Anne n’a

pas encore surmontés, à l’instar d’un nombre croissant d’entreprises, quel que soit leur secteur

d’appartenance (Montoya-Weiss et al., 2003).

Parmi ces secteurs où le multicanal est devenu la règle, ou presque, il en est un

particulièrement remarquable, au sens étymologique du terme : la banque de détail.

Historiquement marqué par l’existence d’un réseau physique par lequel transitaient toutes les

opérations, ce secteur a connu maintes évolutions découlant de l’innovation technique.

D’abord, au niveau des activités dites de back-office (n’ayant pas de liens directs avec le

client) à la fin des années 1960 et durant la décennie 1970, puis de plus en plus dans celles de

front-office (en contact avec le client), au cours des années 1980 et 1990. La révolution

numérique en cours depuis la fin de la décennie 1990 a pour sa part impacté ces deux activités

à la fois, ainsi que les échanges entre les personnels travaillant en back et en front-office (de

Fournas, 1998 ; Lallé, 1991 ; Zollinger et Lamarque, 2004).

De ces transformations, celle affectant la distribution des produits et services bancaires

est probablement la plus profonde (Badoc, 1997, 2004a). Elle n’est pas forcément récente,

puisque les premiers services bancaires à distance par minitel furent lancés en France en 1982

par le Crédit Mutuel de Bretagne (Lafitte, 1996). Mais ces services sont longtemps restés

assez basiques (essentiellement, de la consultation de comptes, ou de la réalisation de

virements), particulièrement coûteux pour le client, et relativement peu ergonomiques.

L’arrivée d’Internet, et plus largement la révolution technique dans le domaine des

technologies de l’information et des communications (TIC), a bouleversé la donne, ouvrant la

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Introduction générale

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voie à une palette plus étendue de services, plus simples et plus conviviaux d’utilisation. Elle

a aussi favorisé l’entrée sur le marché de nouveaux acteurs bancaires et extra-bancaires,

nationaux et extranationaux, et suscité une polémique autour de la survie à terme des acteurs

historiques du marché. Entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, plusieurs

analystes prévoyaient ainsi que le pouvoir, dans le secteur des services financiers de détail,

passerait rapidement entre les mains d’entrants innovants, offrant une interface bancaire

attractive, efficace et centrée sur le client (Hensmans et al., 2001). Leurs affirmations

s’appuyaient principalement sur les réussites d’établissements anglo-saxons dépourvus de

réseau d’agences comme First Direct ou Egg3.

En France, les acteurs du secteur se sont d’emblée positionnés dans une perspective

couplant réseau historique d’agences et nouveaux canaux, les agences restant néanmoins le

point d’ancrage de la relation. Plus exactement, confrontées à la double pression de l’arrivée

de ces nouveaux acteurs sur leur marché, et de la demande de leur clientèle qui réclamait plus

de souplesse dans l’accès aux services, les banques de détail françaises ont commencé à

développer des stratégies et organisations distributives multicanales. Et se sont dès lors

trouvées face aux problèmes que nous avons cités précédemment : risque de cannibalisation,

possibilités de conflits, et problèmes de coordination entre les canaux.

Avec un peu de recul, il s’avère qu’à ce jour, l’effet majeur des canaux de banque à

distance4 sur les points de vente fut d’en modifier le rôle, ceux-ci se voyant progressivement

recentrés sur des activités à plus forte valeur ajoutée comme le conseil et la vente (des Garets,

2005). La logique de complémentarité a semble-t-il pris le pas sur celle de substitution que

beaucoup redoutaient initialement (Bendana, 2004 ; Black et al., 2002). L’attachement des

clients à l’agence, notamment, reste très fort5. Subsistent en revanche les risques de conflit et

les problèmes de coordination entre les canaux, qui soulèvent de nombreuses questions et

défis tant managériaux que théoriques.

3 La réussite de ces établissements se fonde largement sur des problèmes structurels de la banque de détail anglo-saxonne, comme le montrent Larréché et al. (1997) dans le cas de la First Direct. 4 Nous regroupons sous cette bannière de banque à distance l’ensemble des outils qui permettent de réaliser des opérations bancaires en dehors de l’agence, soit : les centres d’appels entrants et sortants, les serveurs vocaux interactifs, le site Internet, les DAB / GAB (Distributeurs et Guichets Automatiques) situés en dehors des agences et non dépendants de leurs horaires d’ouverture, les services accessibles par télévision interactive, les services sur téléphone mobile. 5 Une étude réalisée par le Global Market Institute montrent que 74% des clients des banques françaises estiment primordial un contact privilégié avec son banquier, tandis que 57% redoutent qu’Internet devienne le seul moyen de communication avec sa banque (Newsletter de l’Atelier Groupe BNP-Paribas, édition du 18 10 2005)

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Introduction générale

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Sur un plan managérial, l’apprentissage par essais-erreurs semble la règle : « d’un

point de vue pratique, on assiste plutôt à de multiples essais, une sorte de bricolage dont les

résultats déterminent l’avenir. De ce point de vue, nous pouvons considérer que nous sommes

en pleine période d’apprentissage et les solutions qui émergeront ne sont pas encore

clairement identifiées» (Bénavent et Gardes, 2006 : 31).

Sur un plan théorique, bien que leur nombre aille croissant, les publications

académiques qui traitent des réseaux de distribution multicanaux restent encore relativement

peu abondantes. Et si il existe un accord relatif sur les caractéristiques générales de ces

réseaux, aucune définition ne fait consensus. De nombreux auteurs formulent leur définition à

partir de la nature des canaux qui constituent le réseau, plutôt que de caractériser le réseau en

tant que tel. L’absence d’un référentiel commun est ainsi susceptible de poser des problèmes

de comparabilité entre les recherches. En outre, sont généralement étudiés l’influence du

multicanal sur le comportement du consommateur (Burke, 2002 ; Lang et Colgate, 2003), sur

la relation entre le client et l’entreprise prestataire de service (Payne et Frow, 2004), ou enfin,

les avantages ou inconvénients issus d’une stratégie de distribution multicanale (Sharma et

Krishnan, 2002). Ces travaux mobilisent différentes perspectives. Une grande partie s’ancre

en marketing, comme Vanheems (1995) qui analyse les conséquences de la mise en place de

nouveaux canaux sur le comportement du consommateur, et en tire des recommandations

quant à l’organisation des canaux les uns par rapport aux autres. D’autres se positionnent en

systèmes d’informations, à l’instar de Bendana (2004 ; 2006) qui mobilise notamment les

travaux sur la substitution relative des médias pour montrer à quel point il est crucial pour les

banques de détail de combiner canaux traditionnels et canaux de banque à distance.

Cependant, ces recherches n’ont pas pour objet central l’étude de l’organisation et du

fonctionnement d’un réseau de distribution multicanal. Elles n’apportent donc que des

éléments de réponse épars sur ce qui reste peu ou prou une « boîte noire ». Or, nombreux sont

les auteurs qui soulignent le besoin d’approfondissement des connaissances sur ces sujets,

sans toutefois s’y atteler véritablement eux-mêmes (e.g. Frazier, 1999 ; Nunes et Cespedes,

2003 ; Peterson et Balasubramanian, 2002).

Nous sommes donc confrontés à un problème managérial que nous situons dans un

contexte sectoriel particulier, auquel la littérature semble n’apporter qu’un nombre restreint de

réponses. Le premier objectif de cette thèse est ainsi de contribuer à lever un coin du

voile qui abrite cette boîte noire dans le cadre de la banque de détail, afin de tenter

d’apporter des réponses à ces questionnements managériaux et théoriques.

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Introduction générale

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N’étant pas en mesure de trouver dans la littérature, de recherches nous permettant

d’élaborer un cadre conceptuel ancré théoriquement en lien direct avec cette visée, nous avons

décidé d’aller au contact du terrain. Pour cela, nous avons réalisé une étude de cas

exploratoire sur les interrelations entre les canaux d’une banque de détail, procédant selon une

démarche proche de la Grounded Theory (Strauss et Corbin, 1998). Une telle démarche

participe schématiquement de l’idée que les données sont porteuses de théories aux destinées

desquelles préside le chercheur dans un processus d’explicitation de sens. Dans le cas présent,

l’analyse de ces données a conduit à plusieurs résultats, dont l’un a tout particulièrement

retenu notre attention : l’influence que semble jouer le client sur la coordination entre les

canaux.

Ce résultat nous a surpris, car si l’origine des difficultés entre les canaux est bien

souvent plus de nature humaine que technique (Lamarque et Maymo, 2005), les acteurs

considérés dans l’analyse sont les seuls employés qui font partie de l’organisation. Pourtant,

notre étude exploratoire nous a laissé présager que le client qui utilise plusieurs canaux est en

capacité d’influencer la perception de son conseiller à l’égard des autres canaux, en fonction

du retour d’expérience qu’il lui transmet. Cela se traduit chez certains conseillers par une

modification de leur comportement vis-à-vis de ces autres canaux, reflétée par une

détérioration de la qualité et une diminution de la quantité des échanges.

De cette étude exploratoire a donc germé l’idée que le client, bien que a priori acteur

extérieur à l’organisation, peut être légitimement réintégré dans l’analyse de la coordination

multicanale, du fait de l’influence qu’il paraît exercer sur certains des employés avec lesquels

il est en contact. A ce stade de notre réflexion, nous avons alors formulé la question de

recherche qui suit :

Dans quelle mesure le client peut-il influencer les interrelations entre les canaux

qui composent un réseau de distribution multicanal ?

Répondre à cette question appelle tout d’abord sa traduction théorique pour la

reformuler en tant que problématique précise de recherche (Chevrier, 1992). Après cette étape

marquée par un raisonnement inductif, nous avons donc entrepris un retour sur la littérature,

au cœur duquel furent placées deux catégories de travaux : l’une portant sur la participation

du client dans les activités de service, l’autre, sur la coordination intra-organisationnelle, entre

lesquelles nous nous sommes efforcés de tisser des liens.

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Introduction générale

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Les services se distinguent des biens matériels par leur intangibilité, leur hétérogénéité

(tous les services n’offrent pas le même niveau de qualité), leur périssabilité (il est impossible

de constituer des stocks de service), et la simultanéité de leur production et de leur

consommation (Eiglier et Langeard, 1987 ; Grönroos, 2001). Cette dernière pose la contrainte

de la présence du client au moment de la production du service6, à laquelle il prend une part

plus ou moins active. Certains travaux considèrent ainsi le client comme un « employé

partiel » de l’entreprise, transposant des techniques de management des employés pour gérer

efficacement sa participation (Bowen, 1986 ; Kelley et al., 1990). En d’autres termes,

l’entreprise de services est un « lieu de coordination de compétences pour le service de la

clientèle » (Montmorillon et Pitol-Belin, 1995 : 15), mais avec l’aide de cette même clientèle.

Néanmoins, en dépit des avancées multiples de la connaissance en ce domaine, Bowen

et Hallowell (2002) reprennent le constat dressé dix-sept ans auparavant par Peters et

Waterman (1985), dans leur ouvrage A la recherche de l’Excellence : « Aucune des théories

managériales actuelles ne nous aide beaucoup à expliquer le rôle du client dans l’entreprise

qui brille par son excellence7 ». Bowen et Hallowell remarquent que cette citation recèle

encore actuellement une part de vérité plus forte qu’elle ne devrait. Ceci est d’autant plus

surprenant, ajoutent-ils, que les entreprises de services contribuent à la création d’environ

75% du produit national brut des pays développés. Aussi, même si les travaux sur les

organisations de service intègrent de manière croissante le client dans leur réflexion, la tâche

reste immense à leurs yeux. Cela surprend d’autant plus que les entreprises désirent toujours

plus ardemment se centrer sur leurs clients (Gauzente, 2000, 2001 ; Jaworski et Kohli, 1993).

L’analyse de la littérature sur la coordination intra-organisationnelle nous fait partager

leur constat. Originellement fondée sur l’étude des organisations industrielles, un très large

pan de ces travaux n’abordent le client que comme simple récipiendaire de la production de

l’entreprise (Danet, 1981). Ce n’est pourtant pas faute d’appels répétés plaidant pour sa prise

en compte, dont certains émis par des auteurs de référence (Barnard, 1948 ; Bowen et Jones,

1986 ; Lefton et Rosengren, 1966 ; Parsons, 1956…). Or, qu’il s’agisse de l’étude du design

organisationnel (Mintzberg, 1979, 1980 ; Thompson, 1967 ; Van de Ven et al., 1976) ou de

celle des processus sociaux entre les acteurs (Gittell, 2000a, 2001, 2002a, b), sous-jacents à la

6 Encore appelée « servuction » (Eiglier et Langeard, 1987). 7 “No existing management theory helps much in explaining the role of the customer in the prototypical excellent company” (cité par Bowen et Hallowell, 2002 : 70).

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Introduction générale

8

coordination, le client est quasi-systématiquement exclu de la réflexion (Joffre et

Montmorillon, 2001)

Nous faisons donc face à un besoin d’approfondissement théorique maintes fois

souligné, mais semble-t-il trop rarement mené. Un second objectif de cette thèse est donc de

participer à la mise en lumière et à l’explicitation du rôle du client dans la coordination

intra-organisationnelle. Le multicanal représente, dans cet esprit, un contexte

particulièrement adéquat du fait des interactions existant entre le client, d’un côté, et plusieurs

employés qui sont amenés à se coordonner pour lui offrir un service de qualité, de l’autre.

Ce qui nous amène à formuler notre problématique comme suit :

Dans quelle mesure la participation client influence-t-elle la coordination des employés

en contact dans un réseau de distribution multicanal8 ?

Cette problématique s’avère compatible avec nos deux objectifs, puisque pour remplir

le second, il convient de passer par le premier, i.e. d’analyser la coordination du réseau de

distribution multicanal. Au demeurant, ces objectifs sont complémentaires, puisqu’une

meilleure connaissance du rôle qu’est susceptible de jouer le client dans la coordination entre

les employés des canaux devrait logiquement contribuer à améliorer le fonctionnement du

réseau dans son ensemble.

La confrontation de cette problématique avec la réalité empirique passe par la

réalisation de deux études de cas complétant l’étude exploratoire, menées au sein de deux

banques différentes. L’ensemble de ce travail mobilise donc une méthodologie qualitative.

RESTITUTION DU PROCESSUS DE RECHERCHE.

La restitution d’une recherche correspond à une rationalisation ex-post de la part du

chercheur (Schatzman, 1992), dont le principe est de relater linéairement un travail dont le

processus est marqué par des allers et retours entre la théorie et le terrain, des coups d’arrêts et

des accélérations, etc. Donc de relater linéairement un processus naturellement et

fondamentalement récursif. Cela revient, le plus souvent, à donner un aspect de structuration

a priori de l’objet de recherche (Allard-Poesi et Maréchal, 1999). 8 L’influence du client s’entendant ici au sens de Rosengren (1967), i.e. un pouvoir non légitimé, ne résidant pas dans la structure organisationnelle.

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Introduction générale

9

Or, nous nous inscrivons dans un positionnement épistémologique interprétativiste.

Notre problématique ne procède pas de cette structuration a priori, mais d’une construction

progressive forgée sur l’interprétation du sens que donnent les acteurs rencontrés à leur réalité

(Giordano, 2003). Dès lors, nous avons opté pour une restitution que nous jugeons la plus

congruente possible avec notre positionnement, et dont l’apparente linéarité repose dans le

rôle clé joué par notre étude exploratoire. Nous espérons que cela permettra au lecteur de

suivre l’évolution de notre réflexion au fur et à mesure de notre recherche, et de comprendre

de manière détaillée comment nous en sommes arrivé à formuler notre problématique.

Par conséquent, ce document se divise en trois parties, chacune comportant deux

chapitres, dont le schéma 1 ci-après est une représentation visuelle.

La première partie retrace le cheminement dont émane la question de recherche. Elle

s’ouvre sur une revue de littérature sur le multicanal, au cours de laquelle nous avançons

notamment une définition d’un réseau de distribution multicanal. Le contenu de ce premier

chapitre, mettant en exergue l’absence de travaux sur l’organisation de ce type de réseau,

induit le second chapitre. Celui-ci débute par un exposé des transformations du secteur de la

banque de détail, principalement du point de vue de la distribution. Il se prolonge par la

présentation de l’étude de cas exploratoire et de ses résultats. Cette première partie s’achève

sur la formulation de la question de recherche.

Retour sur la littérature et construction concomitante de la problématique et des

propositions de recherche sont la substance de la seconde partie. Le troisième chapitre est

dédié à la littérature sur la participation client, à l’issue duquel nous proposons quatre rôles

que le client est susceptible de jouer, lesquels se construisent à travers les interactions entre le

client et les employés prestataires du service. Le quatrième chapitre s’inscrit dans la

continuité du troisième. Après un état de l’art sur les mécanismes et le processus de

coordination, nous suggérons que la mobilisation de ces quatre rôles permet d’expliquer

l’influence que le client peut avoir sur la coordination intra-organisationnelle. Ce chapitre,

ainsi que la seconde partie, se clôt par la formulation de la problématique, et de cinq

propositions de recherche.

La troisième partie, enfin, débute par le cinquième chapitre, consacré à la

justification du positionnement épistémologique et de la méthodologie de recueil et d’analyse

de données. Le sixième chapitre est voué à l’analyse des deux dernières études de cas, et à

l’interprétation des résultats obtenus.

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Introduction générale

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Schéma 1 : Canevas explicatif de la recherche

Chapitre 1 : Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

■ Proposition d’une définition du réseau de distribution multicanal ■ Proposition de trois types de complémentarité entre les canaux ■ Constat des insuffisances de la connaissance existante

Introduction Générale ■ Présentation synthétique de la recherche et de son processus ■ Énoncé de la problématique

Chapitre 2 : Présentation du secteur et étude de cas exploratoire ■ État des transformations du secteur de la banque de détail ■ Vérification empirique des trois types de complémentarité ■ Mise en évidence de l’influence du client sur le fonctionnement du réseau

Conclusion Générale ■ Synthèse des réponses apportées à la problématique et aux propositions ■ Apports théoriques et managériaux ■ Limites et voies de recherche futures

Chapitre 3 : Le client, acteur de la vie organisationnelle ■ Présentation du contenu et des déterminants de la participation client ■ Proposition d’une définition de la participation ■ Proposition de quatre rôles construits dans les interactions client-employé

Chapitre 4 : La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client

■ Présentation des travaux sur les mécanismes et le processus de coordination ■ Proposition de l’intégration du client comme acteur influençant la coordination

Formulation de la question de recherche

Formulation de la problématique et des propositions de recherche

Chapitre 5 : Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche ■ Positionnement épistémologique interprétativiste ■ Réalisation d’études de cas ■ Analyse des données à l’aide de Nvivo 7

Chapitre 6 : Études de cas ■ Vérification empirique de l’influence du client sur les mécanismes et le processus de

coordination ■ Impacts de la structure et de la stratégie ■ Dynamique historique de la coordination

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Introduction à la Première Partie

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PREMIÈRE PARTIE : VERS UNE FORMULATION ABDUCTIVE DE LA QUESTION DE RECHERCHE

Le questionnement initial de ce travail doctoral a pour objet un faisceau

d’interrogations liées au fonctionnement d’un réseau de distribution multicanal dans le secteur

de la banque de détail. Si de telles interrogations légitiment l’origine d’une recherche (Allard-

Poesi et Maréchal, 1999), elles n’en constituent pour autant ni une question de recherche, ni

moins encore une problématique. S’extraire du contexte bancaire pour poser un regard

théorique sur son objet de recherche constitue une première étape en ce sens.

A ce stade, ledit objet de recherche peut être considéré comme étant le réseau de

distribution multicanal. Dès lors, défricher l’état de l’art pour découvrir ce qu’abrite cette

locution nous paraît nécessaire. Nous débutons donc cette première partie, au cours de

laquelle nous mobilisons successivement matériel théorique et empirique, par un chapitre de

revue de littérature sur le multicanal. Nous définissons à cette occasion ce que nous entendons

par cette expression de réseau de distribution multicanal, et en précisons les caractéristiques

principales, avantages et inconvénients.

La littérature ne semblant pas en mesure de répondre à certaines des questions que

nous nous posions originellement, et en générant de nouvelles, notre parti fut d’aller sur le

terrain pour avoir une vision plus concrète de cet objet de recherche. S’ensuit donc, dans un

deuxième chapitre, une recontextualisation du multicanal dans la banque de détail, à la suite

de laquelle nous livrons les résultats d’une étude de cas exploratoire. Ceux-ci nous permettent

de pallier certaines des insuffisances de la littérature constatées dans le chapitre premier, et de

préciser d’après cette démarche abductive la question de recherche de cette thèse.

Le schéma 2 (page suivante) s’efforce de résumer notre cheminement à travers les

deux chapitres qui composent cette première partie.

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Introduction à la Première Partie

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Schéma 2 : Du questionnement initial à la question de recherche

Analyse des résultats

Étude de cas exploratoire dans une banque de détail - Compréhension et connaissance empirique de l’objet de recherche

(Chapitre 2)

Influence ? Client Interrelations entre les canaux d’un réseau de distribution multicanal

Conclusion de la première partie

Fonctionnement d’un réseau de distribution multicanal bancaire ? - Complémentarités et substitution des canaux ?

- Gestion d’une relation client multicanale ? - Gestion des liens entre les canaux ? etc.

Proposition d’une définition d’un réseau de distribution multicanal -Compréhension et connaissance théorique de l’objet de recherche

(Chapitre 1)

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

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CHAPITRE PREMIER : DÉFINITION ET MODALITÉS DE DÉVELOPPEMENT D’UN RÉSEAU

DE DISTRIBUTION MULTICANAL

Ce premier chapitre participe d’une démarche explicative basée tant sur la description

que sur l’analyse. Nous cherchons en effet à y expliquer ce qu’est le multicanal, et plus

précisément, un réseau de distribution multicanal. La première section du chapitre est ainsi

tendue vers cet objectif de proposition d’une définition d’un réseau de distribution multicanal.

Cette première section nous permet également de constater l’absence relative de

travaux sur la distribution multicanale, et en particulier sur l’organisation de tels réseaux. Dès

lors, la seconde section est tournée vers l’analyse de leurs conditions de développement.

Notre but est alors de comprendre les raisons de leur utilisation croissante, et de mettre en

évidence leurs avantages et de leurs limites, tant pour les entreprises que pour leurs clients.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

14

SECTION I. DU CANAL AU RÉSEAU DE DISTRIBUTION

MULTICANAL.

Littéralement, un réseau de distribution multicanal comporte « plusieurs canaux ».

Cette ébauche de définition, a priori simple, sinon simpliste, engendre un ensemble de

questions auxquelles nous nous efforcerons de répondre ici, telles : qu’est-ce qu’un canal de

distribution ? À quoi sert-il ? À partir de quand pouvons-nous dire que nous sommes en

présence d’un réseau de distribution multicanal ?... Ainsi, avant de nous engager dans une

réflexion autour des caractéristiques de la distribution multicanale (I.2, I.3), puis de proposer

notre propre définition d’un réseau de distribution multicanal (I.4), rappelons-nous ce qu’est

un canal de distribution, dont nous montrons que la littérature reconnaît deux acceptions (I.1).

I.1 LE CANAL DE DISTRIBUTION : DEUX PERSPECTIVES

COMPLÉMENTAIRES.

La notion de canal de distribution fait montre d’une étonnante dualité, que nous

retrouvons tant dans la littérature académique, que dans le langage commun. Étonnante, car il

semblerait pourtant que les auteurs en partagent assez largement les définitions couramment

admises (I.1.1). C’est toutefois l’utilisation du terme même de canal qui est susceptible de

poser une difficulté. Il s’agit alors d’un problème linguistique et / ou contextuel (I.1.2). Ainsi,

puisque nous nous intéressons dans cette recherche à la gestion d’un réseau de plusieurs

canaux de distribution, nous paraît-il impératif de déterminer exactement ce à quoi nous nous

référons. Ceci permettra de renforcer la problématique étudiée, et de la partager avec le

lecteur sur la base d’un référentiel commun (I.1.3). Cette démarche répond ainsi au constat de

Peterson et Balasubramanian, lorsqu’ils notent que :

« Parce que des termes tels que « canal de distribution9 », « activité marketing »,

« approche marketing », et « technique marketing » sont des abstractions qui ont été utilisées

de façon changeante et non discriminée dans la littérature, ils sont devenus flous » (2002 :

11).

9 « Marketing channel » dans l’édition originale.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

15

I.1.1 Une perspective « verticale » du canal de distribution.

I.1.1.a) Caractéristiques générale du canal.

Pour Jallais (1997), un canal de distribution représente « le chemin parcouru par un

produit, lorsqu’il quitte le secteur de production pour atteindre le consommateur final, ce

chemin étant jalonné d’intermédiaires remplissant diverses fonctions » ( : 256). Le canal n’est

dans ce cas que le sous-ensemble d’un circuit de distribution, le circuit correspondant à la

totalité des canaux utilisés pour distribuer soit une catégorie, soit un ensemble de biens et

services donnés (op . cit.). Cette distinction entre le canal et le circuit, nous apprend-il, est une

finesse, une précision linguistique introduite par des auteurs français : les auteurs anglo-

saxons ne s’en soucient guère, qui utilisent la locution « marketing channels ». Celle-ci peut

toutefois être à l’origine de confusions (Dubois et Jolibert, 1999 : 533). Par exemple, lorsque

Lambin (1998) écrit : « un circuit de distribution peut se définir comme étant une structure

formée par les partenaires intervenant dans le processus de l’échange concurrentiel en vue

de mettre les biens et services à la disposition des consommateurs ou utilisateurs industriels.

Ces partenaires sont les producteurs, les intermédiaires, et les consommateurs-acheteurs »

( : 502), il reflète parfaitement les propos de Jallais sur le canal.

Si l’on suit Stern et al. (1996), les canaux de distribution (« marketing channels »)

peuvent être considérés comme des « ensembles d’organisations interdépendantes impliquées

dans le processus de mise à disposition d’un produit ou d’un service pour la consommation

ou l’usage » ( : 1). Ils précisent immédiatement que si un canal permet de satisfaire la

demande, en fournissant conjointement un bien au bon moment, au bon endroit, en quantité et

qualité suffisantes et à un bon prix, il la stimule également, via différentes activités

promotionnelles menées par ses unités. Ils approfondissent alors leur définition initiale,

spécifiant que le canal est un « réseau orchestré qui crée de la valeur pour les utilisateurs

finaux en générant des utilités de forme, de possession, de temps et de place » ( : 2). Filser

(2000), pour sa part, considère le canal de distribution comme « l’ensemble des institutions

qui supportent les flux physiques et les flux d’informations permettant l’achat des produits

par l’acheteur final » ( : 55). Bien que proche des auteurs précités, Filser complète leur

définition en intégrant l’aspect dynamique du canal, notamment caractérisé par l’échange

d’informations entre les parties pour faciliter l’achat du client final. Nous retiendrons enfin la

définition du système de distribution, donnée par O’Shaughnessy (1988) : c’est « le réseau de

personnes, d’institutions ou d’agences impliqué dans le flux d’un produit vers un client,

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

16

associés aux services informationnels, financiers, promotionnels et autres pour rendre le

produit commode, et attractif à acheter et à racheter10 ».

Il est à noter que des définitions de Jallais, d’une part, et de Stern et al., Filser et

O’Shaughnessy d’autre part, pourrait naître une confusion quant à l’objet de leurs recherches

respectives. En effet, si celui-là paraît accorder une place supérieure au cheminement que va

suivre le bien (ou service) avant de parvenir au consommateur final, ceux-ci renvoient plus

explicitement aux entreprises qui vont s’occuper d’assurer ce cheminement de l’entreprise

productive aux consommateurs et /ou utilisateurs. Nous pourrions donc supposer que leurs

travaux relèvent de logiques différentes, et que de cette potentielle distinction pourrait

émerger la seconde acception sus-mentionnée. Cependant, cette remarque ne résiste pas à la

lecture de ces écrits, dont les approches retenues pour présenter le canal de distribution ne

laissent finalement subsister aucun doute quant à une vision identique du canal de

distribution.

I.1.1.b) Les membres du canal.

Par delà les courants théoriques mobilisés pour se livrer à l’analyse des canaux de

distribution, toutes les approches, qu’elles se réclament du modèle comportemental ou du

modèle économique (Filser, 1989) comportent une constante intrinsèquement liée à leur objet

de recherche, donc aux précédentes définitions : sont membres du canal qu’elles composent

toutes les organisations, ou entreprises, incluses dans la chaîne partant du producteur jusqu’au

client final, utilisateur du bien ou service. Ainsi, le canal est composé non seulement du

producteur, mais aussi et surtout de tous les intermédiaires qui le séparent du consommateur

final (e.g. Ingene et Parry, 2000). De ce fait, toute étude sur les canaux de distribution va soit

s’intéresser au canal en tant que système, donc à l’ensemble des firmes autour desquelles il est

organisé, soit à un niveau particulier du canal, c'est-à-dire au comportement d’une firme qui

en fait partie et à ses relations aux autres firmes avec lesquelles elle interagit (Stern et al.,

1996). Le niveau d’analyse est, dans cette perspective, presque exclusivement inter-

organisationnel11 (sauf dans le cas où l’entreprise est verticalement intégrée).

Nous nous situons alors dans une perspective que nous qualifions de verticale du canal

de distribution, qu’illustre la figure 1-1.

10 Cité par Easingwood et Storey, 1996 : 224. 11 Quelques exemples des nombreuses recherches sur les relations inter-organisationnelles dans le canal de distribution : Buvik et John, 2000 ; Ingene et Parry, 2000 ; Weiss et Kurland, 1997.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

17

Figure 1-1 : La conception verticale du canal de distribution

Telle est donc l’acception rencontrée dans la littérature du canal de distribution,

rejoignant en cela une des définitions couramment usitées du canal, et qui reprend l’idée de

circulation, de traversée pour aller d’un point à un autre : c’est un conduit12. A ce point de la

réflexion, il paraît alors curieux de parler de dualité, tant cette conception semble remporter

une large majorité dans la communauté scientifique.

I.1.2 Une conception « horizontale » du canal de

distribution.

En dépit de la rigueur apparente des définitions précédentes, il nous semble qu’existe

une certaine ambiguïté dans l’utilisation même du terme de canal de distribution (ou de

marketing channel, selon que l’on considère la littérature francophone ou anglo-saxonne).

Pour l’illustrer le plus clairement possible, nous reprendrons les auteurs cités supra.

Dans un premier temps, considérons les travaux de Stern et al. (op.cit.). Leur

définition renvoie expressément à « un ensemble d’organisations interdépendantes ». Or, ils

évoquent dans les lignes qui suivent (Stern et al., 1996: 2-3) les superstores (grands

magasins) comme étant des canaux de distribution. Ceci est tout à fait surprenant : si l’on

prend à la lettre leur définition, ces grands magasins ne constituent en fait qu’un élément du

canal, et non un canal à eux seuls. De la même façon, Jallais regroupe les hypermarchés, les

grands magasins, les détaillants électroménagers indépendants, et des magasins possédés en 12 Dictionnaire Encyclopédique Hachette Multimédia, édition 1999

Producteur

Groupe de grossistes

Grossiste

Détaillant

Consommateur

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

18

propre sous cette même appellation de canaux de distribution (Jallais, 1997 : 265). Filser

(1989) avait déjà relevé cette ambivalence : « Les descriptions des systèmes de distribution se

fondent sur une dichotomie commode qui distingue les canaux de distribution et les formes de

vente au détail. Ce clivage entre la dimension verticale du canal et l’interface entre le canal

et le consommateur se retrouve également dans les travaux à caractère analytique qui tentent

d’expliquer le fonctionnement des canaux de distribution » ( : 151). Dans ce cas, le canal est

donc, comme le dit Filser, « l’interface entre le canal13 et le consommateur ». Mais quelle

peut être l’origine d’une telle équivoque ?

En fait, la langue française (et il en va de même en langue anglaise) nuance le mot

« canal ». La locution « par le canal de » veut dire « par l’intermédiaire de, par l’entremise

de14 », proche de la notion d’interface à laquelle renvoie Filser. Ainsi, l’on peut dire que le

canal en tant que signifié se voit attribuer deux signifiants différents : un ensemble

d’organisations interdépendantes d’une part, et une interface d’autre part. Ces deux signifiants

renvoient à une distinction patente de la littérature, qui d’un côté parle du canal de

distribution, comme ensemble d’institutions, et d’un autre, des canaux de distribution, comme

interfaces15 entre l’entreprise chargée de distribuer le produit ou service, et le client final

(distinction dont nous nous faisons d’ailleurs l’écho à travers les titres de chacun de nos deux

schémas).

Ces différences nous ont donc amené à proposer deux conceptions du canal de

distribution : l’une verticale, présentée supra, l’autre horizontale, matérialisée par la figure

1-2.

13 Bien évidemment considéré dans sa conception « verticale ». 14 Dictionnaire Encyclopédique Hachette Multimédia, édition 1999 15 L’interface peut elle aussi s’appréhender doublement. En informatique, c’est le dispositif (matériel et logiciel) grâce auquel s’effectuent les échanges d’information entre deux systèmes. Dans une perspective plus étendue, c’est la limite commune à deux systèmes. Le canal de distribution comme interface intègre les deux visions. En effet, d’un côté, il permettra (entre autres) les échanges d’informations entre les organisations qui composent le canal et le client final. Mais il constitue également bel et bien la limite commune aux deux systèmes suivants : le canal de distribution (pris en tant qu’“ensemble d’organisations interdépendantes”), et les clients finaux.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

19

Figure 1-2 : La conception horizontale des canaux de distribution

Cette figure appelle quatre remarques. Tout d’abord, nous n’y avons volontairement

fait apparaître qu’un nombre limité d’interfaces, afin de ne pas l’encombrer. Par exemple,

nous nous sommes limités à une appellation simple du type point de vente, alors qu’il

conviendrait de distinguer les points de vente en franchise, possédés en propre, etc… Pour la

même raison, nous n’y indiquons pas l’ensemble des échanges possibles entre les canaux (le

point de vente peut être relié au site Internet, et vice versa, ou au centre d’appels, etc.).

Ensuite, nous avons réduit le schéma à l’ensemble constitué par les interfaces elles-mêmes et

la relation qu’elles entretiennent avec le client final16. Mais en amont de ces interfaces se

trouvent bien sûr les autres organisations du canal (dans sa première acception). Enfin, seules

certaines des interfaces possibles sont représentées : les représentants, les services de

télévision interactive ou de téléphonie mobile, les distributeurs automatiques... sont autant de

possibilités d’entrer en contact avec le consommateur final pour lui vendre des biens ou des

services, que nous n’avons pas indiquées, pour ne pas complexifier la figure outre mesure.

L’ambiguïté est donc non seulement linguistique, mais également contextuelle : il

convient de situer le cadre d’étude retenu lorsque l’on parle de canal de distribution. Est-ce

l’ensemble de ces organisations interdépendantes, ou l’interface ? Cela dépend alors de la

problématique étudiée.

I.1.3 Notre recherche : le canal pris comme formule de

distribution.

La distinction précédente entre les perspectives verticale et horizontale du canal de

distribution nous parait représenter un point de départ obligé de la réflexion sur la notion de

« multicanal ». Cette réflexion débute par une interrogation managériale, spécifique à un 16 Ce client final pouvant être bien évidemment un particulier (B-to-C) ou une entreprise (B-to-B).

Point de vente Site Internet Catalogue Centres d’appels

Consommateur / utilisateur

ENTREPRISE DISTRIBUTRICE

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

20

secteur, dans lequel les canaux de distribution que sont par exemple agences, centres d’appels

et autres sites Internet sont des points de contacts entre le client et l’entreprise. Nous nous

situons donc ici dans ce que nous avons appelé la perspective horizontale des canaux de

distribution, puisque le canal représente une interface entre le client et l’entreprise chargée de

lui vendre un bien ou un service. Il s’agit alors de ce que Filser (1989) appelle une « forme de

vente au détail », ou encore une « technologie de vente au détail » ( : 151), synonyme du

« format » ou de la « formule de vente » sur laquelle a travaillé Vanheems (1995).

Telle est donc notre conception du canal de distribution dans le cadre de cette

recherche. En conséquence, à partir de ce moment, les expressions : canal de distribution,

format de vente (au détail), interface (entre le client et l’entreprise), formule de vente, seront

utilisées de façon interchangeable.

Et notre intérêt se portera dès maintenant sur le développement et l’existence de

plusieurs interfaces servant à délivrer un service à un client particulier17 (B-to-C). La suite de

cette section visera à approfondir ce phénomène, qualifié de multicanal.

I.2 LE MULTICANAL : PRÉSENTATION ET CARACTÉRISTIQUES

GÉNÉRALES.

L’objectif de la première section de ce chapitre est de fournir au lecteur une définition

d’un réseau de distribution multicanal. Nous nous basons pour cela sur la littérature existante

qui, bien que peu abondante (I.2.1), nous permet de distinguer certaines des caractéristiques

d’un réseau de ce type (I.2.3) à partir des définitions qu’elle met à notre disposition (I.2.2).

I.2.1 Un constat : une littérature encore peu fournie.

Les recherches sur la distribution reposant sur plusieurs canaux de distribution restent

encore très peu nombreuses, ce qui peut surprendre pour au moins deux raisons.

La première est d’origine académique. Ces dernières années ont vu se multiplier les

appels à plus de recherches sur le développement de ce mode de distribution. Dans son état de

l’art sur les canaux de distribution, dans lequel il expose les domaines vers lesquels les

recherches futures sur ce thème devraient se tourner (tant dans une perspective verticale

qu’horizontale), Frazier (1999) indique que « l’utilisation de multiples canaux de distribution

est en train de devenir la règle plutôt que l’exception » ( : 232). Dans le même temps, il

17 Par opposition à un client entreprise.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

21

s’étonne également que « de telles possibilités [de recherche] restent largement inexplorées »

(ibid.), tandis qu’il avait déjà cherché à attirer l’attention sur ce point quelques années

auparavant (Frazier et Shervani, 1992). Ce constat se retrouve chez Peterson et Balasubramian

(2002), dans leur article introductif du Journal of Retailing sur la vente au détail au 21ème

siècle : « relativement peu de recherches empiriques ont été conduites sur la vente de détail

dans un environnement multicanal, et l’on rapporte encore moins de recherches

conceptuelles dans la littérature » ( : 15). Quant à Easingwood et Coelho (2003), ils

regrettent que « le design des stratégies basées sur des canaux multiples ait été quelque peu

négligé dans la littérature existante sur les canaux de distribution » ( : 32). Enfin Geyskens et

al. (2002) prennent acte de ce que « la recherche académique se caractérise par l’accent mis

sur un unique et conventionnel canal, alors que l’utilisation combinée de canaux multiples, y

compris l’utilisation d’un canal Internet, n’a pas encore reçu l’attention qui lui est due »

( : 102).

Cette absence est d’autant plus singulière que tous ces auteurs s’accordent à

reconnaître l’importance de ces phénomènes de multiplication des canaux dans le quotidien

des entreprises. D’où la seconde raison de notre étonnement de ne pas voir un nombre plus

conséquent de recherches sur la distribution par l’intermédiaire de plusieurs canaux de

distribution. Il est en effet aisé de constater que de plus en plus de sociétés18 mettent au cœur

de leur stratégie de distribution différents canaux par lesquels elles commercialisent leurs

biens et services aux acheteurs finaux, ce à quoi l’avènement d’Internet19 a grandement

contribué (Prahalad et Ramaswamy, 2000, 2004).

Une première explication à cette existence limitée de recherches sur ce mode de

distribution pourrait être la nouveauté apparente20 de la distribution multicanale, liée à

l’apparition et à la pénétration d’Internet, et aux délais de publication dans certaines revues

scientifiques21.

La politique éditoriale des revues spécialisées susceptibles de publier les résultats de

travaux sur le multicanal, ou plus largement l’absence d’intérêt dans la communauté des 18 Pour n’en citer que quelques unes tirées de divers secteurs : la FNAC, la SNCF, la Société Générale, La Redoute, Microsoft, etc… 19 Et plus généralement, la véritable explosion du recours aux Nouvelles Technologies de l’Information et des Communications (NTIC). 20 Apparente, car le multicanal n’est pas un phénomène nouveau. Par exemple, les sociétés de vente par correspondance (VPC) qui ont bâti des réseaux de points de vente complétant leur catalogue ont depuis très longtemps une stratégie multicanale. 21 Des revues de référence comme le Journal of Marketing ou le Journal of Business Review ont des délais de publication pouvant atteindre 3 ou 4 ans.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

22

chercheurs en gestion, peut en constituer une seconde. La relégation des travaux sur les

canaux de distribution au troisième (et dernier) niveau des priorités de recherche du

Marketing Science Institute n’a, par exemple, qu’un caractère faiblement incitatif à poursuivre

des travaux dans cette direction22. Mais ce ne sont là que pures conjectures, et force nous est

d’avouer que nous ignorons pourquoi ce sujet, source de tant de potentialités de recherches,

n’est encore qu’embryonnaire.

I.2.2 Revue chronologique des définitions du multicanal

Le tableau 1-1 présente chronologiquement différentes définitions utilisées dans la

littérature pour désigner le multicanal. Cette présentation offre l’avantage de faciliter leur

mise en perspective, et de faire apparaître les caractéristiques principales du multicanal, que

nous commenterons subséquemment.

Tableau 1-1 : Présentation chronologique des définitions du multicanal dans la littérature23

AUTEURS EXPRESSION UTILISÉE DÉFINITION

Cespedes et Corey, 1990 :

67

Multiple channels management (gestion de canaux multiples)

«[Il s’agit pour les producteurs d’] augmenter les canaux directs de vente avec des canaux de distribution

indirects pour atteindre des segments différents de manière plus efficiente et efficace ».

Moriarty et Moran, 1990 :

146

Hybrid marketing systems (systèmes

marketing hybrides)

« Les managers cherchant à couper dans les coûts et à accroître la couverture du marché, les entreprises ont

ajouté des nouveaux canaux à ceux existants. Ils utilisent tant la vente directe que les distributeurs, les

ventes au détail que le courrier, le courrier que les ventes directes. Comme ils ajoutent des canaux et des méthodes de communication, les managers créent des

systèmes marketing hybrides ».

Collart et Lejeune,

200124 Multicanal

« Le multicanal consiste à offrir les voies les plus rentables pour distribuer, au sens large, les produits et services aux clients. L’entreprise va chercher à adapter

ses canaux de distribution aux besoins spécifiques de ses différents segments de clientèle, de façon à proposer la bonne offre au bon client au bon moment via le bon

canal. Cette approche permet la couverture optimale du

22 http://www.msi.org/msi/rp0204.cfm#Third 23 Ce tableau ne prétend aucunement à l’exhaustivité, mais à donner au lecteur une représentation claire de ce dont nous traitons ici. 24 La contribution de ces auteurs est parue pour la première fois dans Les Echos, l’Art du management, du 18 avril 2001. La source que nous avons utilisée, pour notre part, est électronique, et réside à cette adresse : http://www.pricewaterhousecoopers.com.ua/extweb/ncsurvres.nsf/docid/C9D512F514DD612680256BC7004BC8E4. Ce qui explique que nous ne précisons pas le numéro de page (et nous ne le préciserons pas pour la même raison lorsque nous mobiliserons à nouveau cet article), contrairement aux autres références citées.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

23

marché : le bon équilibre entre volume et rentabilité ».

Anderson, 2001 : 8

Multichannel (multicanal) et clicks and mortar (le click et

le béton)

« [...] modèle de gestion qui combine des canaux en ligne avec des canaux traditionnels off line, le « click and mortar » combine l’avantage de développer la

conscience des clients quant à l’existence des produits et services de votre entreprise, tout en leur offrant un accès plus important à ceux-ci, dans le cadre d’une

gestion renforcée des stocks et des opérations ».

Tang et Xing, 2001 : 331

Multichannel retailers (distributeurs multicanaux)

« [Ce sont] ceux qui combinent des magasins physiques25, des catalogues, des sites Web, ou d’autres

méthodes de vente au détail »

Stone et al., 2002 : 40

Multichannel customer management (gestion multicanale du client)

« L’utilisation de plus d’un canal ou média pour gérer les clients d’une manière cohérente et coordonnée à travers l’ensemble des canaux ou média utilisés ».

Grewal et al., 2002 : 302

Multichannel orientation (orientation

multicanale)

« Une combinaison de magasins traditionnels, de catalogues, ou de ventes directes et d’Internet ».

Nicholson et al., 2002 : 131-

132

(Innovative) Multichannel marketing

strategies (stratégies marketing multicanal

(innovantes))

« [Elles] cherchent à cibler les consommateurs via à la fois des moyens physiques et électroniques, comme autant de multiples chemins vers l’achat. C’est la

prétendue approche « bricks et clicks » ».

Easingwood et Coelho, 2003:

35

Multiple channels (canaux multiples)

« L’utilisation de plus d’un canal pour rendre les produits de l’entreprise disponibles aux

consommateurs »

Montoya-Weiss et al., 2003 : 448

Multichannel environment

(environnement multicanal)

« Dans un environnement multicanal, les fournisseurs de service ont la possibilité d’atteindre les clients en utilisant un mix de formats de canaux, incluant des bureaux, des sites Web en ligne, du courrier et des

kiosques ». Coelho et

Easingwood, 2003: 23

Multiple channel strategy (stratégie de

canaux multiples)

« [Elle] est employée quand une firme rend un produit disponible au marché à travers deux canaux de

distribution ou plus ».

I.2.3 Caractéristiques d’un réseau de distribution

multicanal.

Plusieurs caractéristiques du multicanal émergent des définitions présentées dans le

tableau 1-1. En premier lieu, nombreuses sont celles qui affichent l’importance des objectifs

attribués à un réseau de distribution multicanal, tout comme leur diversité. Ensuite, certaines

s’opposent entre elles (e.g. « canaux en ligne » et « canaux traditionnels », chez Anderson, ;

« physiques » et « électroniques », chez Nicholson et al.). D’autres ont des contours assez

troubles, qui méritent d’être précisés (e.g. « l’utilisation de plus d’un canal », chez

Easingwood et Coelho ; ou « une combinaison [de canaux] », chez Grewal et al.).

25 « Bricks and Mortar »

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

24

Après discussion de ces éléments, nous conclurons par une explication de leur

transposition et nécessaire adaptation à notre recherche, en raison des origines managériales et

sectorielles de celle-ci.

I.2.3.a) Une multiplicité d’objectifs26.

La plupart des définitions précitées intègrent explicitement les objectifs afférents à un

réseau de distribution multicanal : « atteindre des segments différents de manière plus

efficiente et efficace » (Cespedes et Corey, 1990), « couverture optimale du marché » (Collart

et Lejeune, 2001), « gestion renforcée des stocks et des opérations » (Anderson, 2001),

« cibler les consommateurs » (Nicholson et al., 2002)... Le multicanal se voit assigner des

objectifs financiers (il doit permettre d’assurer un certain volume de ventes et être rentable),

marketing (rendre le produit disponible à un nombre croissant de clients, communiquer sur

l’existence du produit), et opérationnels (assurer un service de meilleure qualité aux clients)

qui peuvent très vite en complexifier grandement la gestion. Le multicanal a également pour

but d’assurer une continuité des contacts et de la relation avec les clients sur le long terme, de

par la multiplication des interactions entre ces derniers et l’entreprise. En cela, il se situe dans

la lignée de travaux sur la gestion de la relation client27 (Payne et Frow, 2004).

Pour conclure sur ce point, nous ne pouvons nous empêcher de noter qu’est entretenu

un certain vague sur la distinction, parfois subtile, entre les objectifs de distribution et de

communication du multicanal (Frazier, 1999 : 236). En effet, que dire d’un site Internet qui ne

réalise aucune vente, mais informe de manière détaillée les clients sur les produits de manière

à ce qu’ils puissent les acheter en magasin ? Est-ce de la distribution, ou de la

communication ? Ou encore, un mix des deux ?

La raison tient en ce que l’on ne considère pas, en pareil cas, le site Internet28 comme

une entité isolée, mais comme un élément d’un ensemble distributif plus vaste au sein duquel

le client chemine pour réaliser son achat (Gulati et Garino, 2000). Nous retrouvons alors cette

notion de « chemins vers l’achat » (Nicholson et al., 2002), ce développement de la prise de

26 Nous restons volontairement succincts sur les objectifs assignés à un réseau de distribution multicanal, puisque nous les détaillerons dans les sections ultérieures de ce chapitre. 27 Customer Relationship Management, ou CRM. 28 Nous nous sommes volontairement limité à l’exemple d’Internet, qui est le plus courant dans la littérature (Gulati et Garino, 2000 ; Prahalad et Ramaswamy, 2000 ; 2004, etc.)

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

25

conscience de l’existence des produits et services de l’entreprise (Anderson, 2001), ou encore

de distribution, « au sens large » 29 (Collart et Lejeune, 2001).

De la même manière, Stone et al. (2002) relèvent cette difficulté de distinguer entre

canaux de distribution et de communication, en raison des complémentarités très fortes

existant entre les deux, et des possibilités pour une entreprise d’utiliser un canal de

communication comme canal de distribution dès lors que celui-là comporte une potentialité

d’interaction entre le client et l’entreprise. C’est le cas, par exemple, d’Office Depot, qui

renvoie vers ses magasins à partir de son site Internet30, mais dont les magasins assurent aussi

la promotion du site (Gulati et Garino, 2000), ou encore de la FNAC31. Ainsi, il est vrai que

certains canaux sont nettement orientés vers la distribution, tandis que d’autres relèvent plus

de la gestion de la relation et de la fidélisation des clients. En ce qui nous concerne, nous

avons opté pour l’appellation la plus couramment usitée dans la littérature académique et

managériale, en retenant celle de canaux de distribution, même si nous sommes conscients

des différentes réalités qui peuvent se cacher derrière les multiples canaux existants.

I.2.3.b) Multicanal = plusieurs canaux ?

Il convient tout d’abord de préciser que nous n’avons retenu précédemment que les

définitions explicites de la notion de multicanal. En effet, plusieurs contributions sur ce thème

en adoptent une définition implicite, renvoyant à une acception simple et évidente : qui dit

multicanal, dit plusieurs canaux de distribution (e.g. Nunes et Cespedes, 2003 ; Payne et

Frow, 2004 ; Peterson et Balasubramanian, 2002 ; Prahalad et Ramaswamy, 2004 ; Wiertz et

al., 2004). Cette acception est d’ailleurs prégnante dans l’ensemble des définitions précitées,

ce qui paraît normal du fait de l’étymologie même de ce terme. Elle n’est cependant pas

exempte de critiques, puisque silencieuse sur des questions telles que le nombre de canaux,

leur type, ou leur agencement32.

I.2.3.b.(1) Quid du nombre de canaux. Easingwood et Coelho (2003) battent en brèche cette idée selon laquelle multicanal

serait un simple synonyme de l’expression « plusieurs canaux ». Cherchant à établir une

29 Nous concédons aisément que cette expression laisse libre cours à l’interprétation imaginative du lecteur... 30 Sur lequel il est aussi possible de procéder à des achats. 31 Interview de Jan Löning, PDG de Fnac Direct, accordée au Journal du Net daté du 03/06/2004 : http://www.journaldunet.com/dossiers/fnac/it_loning.shtml 32 Notre ambition n’est pas d’apporter une réponse aux trois limites mises en évidence, mais de les souligner afin d’encourager à plus ample réflexion.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

26

typologie des entreprises dont les ventes reposent sur un réseau de distribution multicanal, ils

expliquent qu’une telle définition est potentiellement fallacieuse. En effet, si elle est

avantageuse de par sa simplicité, elle confond des entreprises dont les mix distributifs peuvent

n’avoir que peu de choses en commun. En particulier, en considérant comme ils le font le

volume de ventes réalisées par chaque canal, comment distinguer, selon cette définition, une

entreprise réalisant 95% de ses ventes par ses magasins et 5% sur Internet, d’une autre qui en

réaliserait 50% sur Internet, 25% par catalogue, 10% par téléphone, et 15% en magasins ? De

même, comparer une entreprise qui n’aurait que deux canaux, à une autre qui en utiliserait

trois ou quatre poserait des problèmes de fiabilité comparative.

Pour cette raison, ces deux auteurs posent des limites33, relativement arbitraires même

si plus ou moins empiriquement fondées, pour classer les entreprises selon leur typologie, et

concluent qu’« il n’y a pas de règle de classification idéale, et les limites les plus

appropriées34 seront dépendantes des spécificités de chaque recherche » (Easingwood et

Coelho, 2003 : 44).

I.2.3.b.(2) Quid du type de canal ? Un canal de distribution peut être concrètement un point de vente, un site Internet, un

centre d’appels, un catalogue de vente par correspondance, etc. Si nous prenons comme point

de départ le simple postulat que le multicanal renvoie à l’utilisation de plusieurs canaux, la

recherche peut rapidement se heurter à un problème majeur, qui est celui de la mobilisation

des travaux antérieurs. En effet, derrière le concept de multicanal, se cachent une multitude de

combinaisons possibles : parle-t-on ici de sites Web ajoutés à un réseau de point de vente

(Burke, 2002 ; Nicholson et al., 2002 ; Zettelmeyer, 2000), qu’il s’agit là d’un catalogue et de

points de vente (Vanheems, 1995), d’un centre d’appels complétant un réseau de points de

vente (Wiertz et al., 2004), d’une combinaison de canaux électroniques (O'Connor, 2001), ou

ailleurs d’un agencement encore différent (Easingwood et Storey, 1996).

Des questions mettant en cause la comparabilité de tels travaux se font donc

rapidement jour : le comportement du consommateur observé face à une configuration de

canaux sera-t-il identique dans une autre ? Les règles permettant le bon fonctionnement de

l’ensemble du réseau multicanal seront-elles transposables par-delà ces configurations ? En

quoi, et jusqu’à quel point, les caractéristiques propres à chaque canal (méthodes de vente,

33 Limites qui portent sur le volume de ventes réalisé par chaque canal, puisque c’est le critère retenu pour leur typologie. 34 Sous-entendu : pour dresser une typologie.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

27

mode de contact avec le client, coût du canal...) peuvent-elles influencer l’ensemble formé ?...

Autant d’interrogations que la littérature semble n’avoir pas abordées à ce jour35.

I.2.3.b.(3) Quid de l’agencement des canaux ? Enfin, ramener le multicanal à la simple idée de l’existence de plusieurs canaux de

distribution, sans poser la question de leur intégration, n’est pas sans risque. Cela peut inciter

à accumuler le nombre de canaux mis à la disposition de la clientèle, pour améliorer le

volume de vente tout en réduisant les coûts de distribution, mais sans envisager toutes les

implications financières, marketing ou organisationnelles de ces transformations.

Par exemple, les banques anglo-saxonnes avaient placé d’importants espoirs dans le

développement de nouveaux canaux, mais les avantages attendus ne se sont guère concrétisés,

car les coûts de leur réseau d’agences et de ces nouveaux canaux se superposèrent, sans que

les seconds ne permettent les économies substantielles attendues (Mizrahi, 2000). En cause,

un positionnement inadéquat. Alors que le but premier était de les faire utiliser par la clientèle

de masse, afin de libérer du temps dans les agences pour améliorer la qualité de service

délivré aux clients haut de gamme, ce sont ces derniers qui se sont massivement tournés vers

ces canaux. Ne leur étant pas initialement destinés, ils se sont avérés insuffisants tant en

termes de fonctionnalités, que de richesse d’offres et de services. Résoudre ce problème est

d’autant plus crucial que la perception que le client a de la qualité du service fourni par

chacun des canaux de distribution a très probablement un impact sur sa satisfaction générale

vis-à-vis de l’entreprise (Montoya-Weiss et al., 2003).

Or, de nombreux auteurs ont souligné les risques organisationnels inhérents à une

organisation multicanale (tableau 1-2 page suivante).

35 Ce qui est à peine surprenant, les réflexions sur le multicanal étant en pleine phase d’émersion.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

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Tableau 1-2 : Extraits de recherches évoquant l’organisation d’un réseau de distribution multicanal

AUTEUR(S) EXTRAIT(S)

Moriarty et Moran, 1990

« L’apparition de nouveaux canaux et méthodes soulève inévitablement des problèmes de conflit et de contrôle » ( : 147)

« Une fois qu’un système hybride est mis en place, son fonctionnement sans heurts dépend non seulement de la gestion des conflits, mais aussi de la coordination entre les canaux et entre chaque activité de vente à l’intérieur de chacun d’eux » ( : 153)

Collart et Lejeune, 2001

« Rapidement, les entreprises se sont rendu compte que ces canaux ne peuvent fonctionner seuls [...]. L’intégration des différents canaux entre eux s’est donc

imposée rapidement »

« La mise en œuvre d’une stratégie multi-canal est avant tout une problématique d’intégration des infrastructures techniques [...] »

Peterson et Balasubraman

ian, 2002

« Plutôt que d’essayer de gérer chaque canal indépendamment des autres, et de maximiser ses profits vis-à-vis des autres canaux, une firme devrait gérer tous ses

canaux simultanément, avec l’objectif de maximiser la profitabilité totale de l’entreprise à travers tous les canaux » ( : 15).

Stone et al., 2002

« L’intégration multicanale requiert un nouveau modèle organisationnel – un modèle qui adapte les individus, les processus et la technologie pour qu’ils soient en

phase avec cette approche coordonnée du management des canaux » ( : 46)

Montoya-Weiss et al.,

2003

« Les activités online ne peuvent pas être considérées isolément, parce qu’elles prennent place dans le contexte plus large des activités marketing conduites

simultanément dans les canaux traditionnels » ( : 448)

« Il est important de réfléchir aux effets transversaux des canaux alternatifs sur l’ensemble du fournisseur de service. [...] Bien que chaque canal soit en mesure

d’offrir une proposition de valeur unique, nos résultats suggèrent que la coordination entre tous les canaux peut engendrer la satisfaction globale du client

dans un environnement relationnel et multicanal de service » ( : 456).

Nunes et Cespedes,

2003

« Mettre en place la stratégie choisie pour faire face au client libéré de ses entraves requerra des changements substantiels – et pas seulement dans votre manière

d’interagir avec vos clients, vos partenaires et vos intermédiaires. Vos transactions internes – entre les différentes unités fonctionnelles et commerciales dans votre

propre organisation – devront également changer » ( : 104).

Wiertz et al., 2004

« [...] la question de la manière dont peut être assurée la coopération de plusieurs canaux reste virtuellement non abordée par la littérature en marketing (des

services) » (: 425).

Payne et Frow, 2004

« Les canaux doivent être considérés dans le contexte de toute l’interaction durant toute la durée du cycle de vie de la relation client, pas seulement en termes

d’activités de vente » ( : 531)

« Développer une stratégie de management intégré des canaux soulève les questions suivantes : [...] s’assurer que les communications et les services que reçoit le client à

travers les différents canaux sont coordonnés et cohérents, taillés sur mesure, et prennent en compte les précédentes interactions avec l’entreprise » ( : 535).

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

29

Ces travaux, plus que d’encourager à la découverte d’un mode d’organisation optimal,

dont d’aucuns reconnaissent d’ailleurs qu’il n’est qu’un idéal illusoire (Payne et Frow, 2004),

remarquent fréquemment l’impératif d’intégration et de coordination des canaux. Certains

vont plus loin, et proposent des ébauches de solution et pistes de réflexion plus avancées

(Cespedes et Corey, 1990 ; Moriarty et Moran, 1990 ; Nunes et Cespedes, 2003 ; Wiertz et

al., 2004), tout en soulignant l’ampleur du travail qu’il reste à faire dans ce domaine.

I.2.3.c) Nature des canaux de distribution.

D’après le tableau 1-1 précédent, il semblerait que le multicanal puisse renvoyer à

quatre catégories de canaux : directs, indirects, online ou offline, que nous opposons deux à

deux.

I.2.3.c.(1) Canaux directs versus canaux indirects. Une analyse chronologique des travaux sur le multicanal semble laisser apparaître que

cette distinction est la première à avoir vu le jour36, comme le montrent les définitions de

Cespedes et Corey (1990), ou de Moriarty et Moran (1990). Bien que les travaux qui s’y

rapportent n’utilisent pas systématiquement l’expression multicanal, ils comportent toujours

l’idée de l’utilisation de plusieurs canaux par une entreprise, lesquels ont en ce cas des statuts

juridiques très différents (Cliquet, 2002).

Les canaux directs appartiennent à l’entreprise qui souhaite assurer elle-même la

distribution de ses biens ou services : le producteur s’adresse directement au consommateur.

Dans pareille situation, l’on se trouve dans une perspective intra-organisationnelle, et

l’entreprise a le contrôle des canaux qu’elle utilise (Zeithaml et Bitner, 2003 : 383).

Les canaux indirects, à l’inverse, sont des intermédiaires (franchisés, agents,

courtiers...) chargés de vendre les biens ou les services, et peuvent parfois se trouver en

situation de concurrence avec les canaux directs. Le niveau d’analyse change alors

fondamentalement, puisque devenant inter-organisationnel.

Les travaux de Cespedes et Corey (1990) et de Moriarty et Moran (1990) s’inscrivent

dans cette combinaison de l’intra et de l’inter-organisationnel. S’appuyant sur des exemples

concrets (IBM, Honeywell...), ils partent du constat de la croissance du recours à des réseaux

36 Ce qui paraît peu étonnant au regard des caractéristiques de la seconde opposition, online versus offline, reposant sur le progrès technique (Internet, notamment).

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

30

multicanaux, proches de ce que Cliquet (2002) appelle aussi « réseaux mixtes37 », afin

d’accéder à une clientèle de plus en plus importante. Si cette mixité peut comporter des

avantages sur le déploiement de canaux strictement directs ou strictement indirects (Cliquet,

2002), elle n’en est pas moins source de problèmes organisationnels profonds. Un exemple :

la nécessité d’une « double organisation » (Cliquet, 2002 : 70), coûteuse : « l’une [pour les

canaux directs] fondée sur un système de contrôle classique, l’autre [pour les canaux

indirects] reposant sur la persuasion » (ibid.). Un autre : l’existence de conflits entre ces

deux catégories de canaux, susceptibles d’entrer en concurrence, réclamant la création de

dispositifs organisationnels ou commerciaux pour les éviter.

En conséquence, un réseau de distribution multicanal est, dans cette logique, un

ensemble d’organisations qui sont en situation d’interdépendance, certaines appartenant

directement à l’entreprise productrice des biens et services vendus, d’autres étant liés

contractuellement (franchise, agents...) au producteur pour lequel elles commercialisent les

produits auprès des consommateurs finaux.

I.2.3.c.(2) Canaux online versus canaux offline. D’autres définitions, plus récentes, mettent en avant une seconde distinction entre les

catégories de canaux utilisés. Ainsi, dans son acception la plus courante, le multicanal

renvoie-t-il à l’utilisation par une entreprise d’un ensemble de canaux qui se différencient par

une composante physique d’un côté, c'est à dire le réseau de points de vente (par exemple, les

agences pour la banque de détail), et une composante qualifiée de « virtuelle », de l’autre, que

représentent Internet, les centres d’appels, les catalogues de vente par correspondance, les

services fournis via un téléphone mobile, etc. Physique et virtuel, « online » et « offline »,

« click and mortar » (e.g. Pottruck et Pierce, 2000), « bricks and clicks » (e.g. Gulati et

Garino, 2000 ; Sharma et Krishnan, 2002 ; Willcoks et Plant, 2001), sont autant d’appellations

différentes d’un même phénomène : la combinaison de plusieurs canaux pour entrer en

contact et vendre des biens et / ou services aux clients existants ou potentiels via plusieurs

médias. L’entreprise dispose donc de plusieurs options, que Payne et Frow (2004) classent

selon un « continuum des formes de contact avec le client, allant du physique (comme la

37 Précisons que Cliquet limite ce concept de « réseau mixte » à la combinaison de succursales et de franchises, deux formes de distribution juridiquement distinctes.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

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rencontre en face-à-face avec un vendeur de l’entreprise) au virtuel (comme l’e-commerce ou

une transaction réalisée par un téléphone mobile de 3ème génération38) » ( : 530).

Cette typologie s’oppose à la précédente en ce sens que le couplage de canaux online à

des réseaux physiques (offline) existants implique le plus souvent qu’une même entreprise

peut détenir ces deux types de canaux. Ainsi, une entreprise ayant déjà à sa disposition un

réseau de points de vente, peut-elle décider de mettre en place un site Web à partir duquel elle

va réaliser des ventes, comme c’est par exemple le cas d’Office Dépôt (Gulati et Garino,

2000). Nous sommes alors dans une logique purement intra-organisationnelle, qui ne va pas

sans poser de souci de coordination entre les canaux (Nunes et Cespedes, 2003 ; Tang et

Xing, 2001 ; Vanheems, 1995).

I.2.3.c.(3) Des typologies non exclusives. Enfin, ces deux typologies, directs versus indirects, online versus offline, ne sont pas

nécessairement exclusives l’une de l’autre : une même entreprise peut très bien avoir à la fois

des canaux directs et indirects, qui peuvent être soit online, soit offline, comme Levi’s39. Cette

entreprise avait développé en 1998 un site Internet dont elle avait internalisé la gestion, avec

pour objectif de s’adresser directement à ses consommateurs (canal direct online) pour leur

proposer ses produits. Mais parallèlement, ceux-ci étaient toujours vendus par d’autres

canaux : un réseau de points de vente, dont certains lui appartenaient directement (canal direct

offline), et dont d’autres étaient tenus par des franchisés (canal indirect offline) ; par des

vépécistes disposant d’un site Web (canal indirect online) ; par des grandes surfaces et des

chaînes spécialisées dans l’habillement (canal indirect offline). Nous avons donc un

dénominateur commun, que résume cette équation : multicanal = plusieurs canaux de

distribution, mais dont la nature juridique peut différer (directs versus indirects), de même que

le support qui va être utilisé pour prendre contact avec les clients et / ou réaliser la vente40

(online / offline).

38 La troisième génération de téléphone mobile, qui fait suite au GSM (première génération) et au GPRS (seconde génération), est également appelée UMTS. En cours de développement en France et en Europe, elle doit permettre à l’utilisateur d’accéder à l’Internet haut débit depuis son téléphone mobile, sous réserve de compatibilité de son appareil avec ce service. 39 http://www.computerworld.com/industrytopics/manufacturing/story/0,10801,51004,00.html. 40 Ces situations sont potentiellement conflictuelles, comme le montre le résultat de l’expérience chez Levi’s. Dès 1999, soit un an plus tard, cette entreprise fut dans l’obligation d’arrêter ses ventes en ligne, et son site Web renvoya vers ceux de ses distributeurs, comme Macy’s. Ces derniers avaient en effet décidé de boycotter la marque puisque, outre la concurrence de son site Web vis-à-vis des points de vente de ses traditionnels distributeurs, Levi’s leur avait également interdit de vendre ses produits en ligne.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

32

I.2.3.d) Quid de notre recherche ?

Nous cheminons vers notre propre définition d’un réseau de distribution multicanal,

laquelle reprendra en les adaptant les éléments présentés supra. Les origines sectorielles et

managériales de notre recherche, évoquées au cours de notre introduction générale, nous

incitent à suivre Strauss et Corbin (1998), lorsqu’ils expliquent qu’il est généralement très

difficile, voire impossible, de calquer des concepts issus d’une recherche sur une autre, et que

l’adaptation contextuelle41 est nécessaire pour renforcer la qualité du travail.

I.2.3.d.(1) Le nombre et le type de canaux. La difficulté d’accéder aux données nécessaires à l’élaboration d’une règle de

répartition des ventes ou du nombre de contacts par canal, par exemple, nous contraindra à

nous limiter à l’équation généralement admise dans la littérature : multicanal = plusieurs

canaux, au sens d’interfaces entre l’entreprise et le client final.

Quant à la prise en compte du type de canal, nous ne pouvons que nous aligner sur la

littérature existante, qui s’attache au multicanal indépendamment des catégories de canaux

étudiées. C’est pour cette raison que nous considérons depuis le départ que les recherches sur

ce thème sont comparables entre elles, bien qu’aucune certitude ne soit acquise sur ce point

comme nous l’avons souligné.

I.2.3.d.(2) La nature des canaux. Du fait de notre enracinement sectoriel, la suite de notre propos écartera délibérément

la distinction entre canaux directs et indirects. Nous ne traiterons pas, par exemple, de

problèmes liés à l’existence simultanée de franchises et de succursales, mais nous

cantonnerons à l’étude de la combinaison de canaux de distribution directs online et offline.

I.3 DIFFÉRENCIATION ET COMPLÉMENTARITÉ FONCTIONNELLES DES

CANAUX DE DISTRIBUTION.

Nous avons mentionné que l’un des risques patents du multicanal est d’adjoindre de

nouveaux canaux à l’existant, sans approfondir la réflexion autour de l’ensemble. En lieu et

place d’un supplément de valeur ajoutée pour les clients et l’entreprise, peuvent s’accumuler

les coûts liés à la création de canaux qui s’empilent les uns sur les autres. Ceci met en

41 Par adaptation contextuelle, nous entendons ici adaptation à la recherche nouvelle mobilisant les travaux antérieurs.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

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évidence la nécessaire complémentarité des canaux entre eux, laquelle peut être notamment

atteinte par une affectation différenciée des tâches.

Cette répartition des tâches entre les canaux a fait l’objet de maintes réflexions dans la

littérature qui étudie le canal dans une perspective verticale. Elle indique que sous

l’appellation générique de distribution, se cache un ensemble de fonctions relevant de cette

activité (I.3.1). Nous postulons ici que cette idée de fonctions peut être reprise et appliquée

aux canaux de distribution comme formules de vente42 (I.3.2), ce qui viendra enrichir la

définition du réseau de distribution multicanal que nous proposons ensuite.

I.3.1 Les fonctions du canal de distribution.

Bien que nous considérions le canal au sens de formule de vente, d’interface entre le

client et l’entreprise, nous faisons ici un détour par la littérature plus traditionnelle des canaux

de distribution, qui recense les travaux s’attachant à déterminer ce que sont les fonctions d’un

canal de distribution. Ces analyses portent donc sur le canal selon une logique verticale, et

font l’objet d’une présentation succincte, que nous commentons ensuite.

I.3.1.a) Typologies des fonctions des canaux de distribution.

Le tableau 1-3 résume quelques unes des typologies des canaux de distribution dans le

cadre de ce que nous avons qualifié la perspective verticale des canaux de distribution. Nous y

avons ajouté, lorsque nécessaire, quelques remarques spécifiques à chacune d’entre elles.

Tableau 1-3 : Typologies des canaux de distribution dans une perspective verticale

AUTEURS FONCTIONS REMARQUES

Avril, 1964 –Jallais, 199743

Fonctions spatiales : transport, allotissement44, et fractionnement

Fonctions temporelles : stockage, financement de la production

Fonctions commerciales : assortiment, communication (aval-amont et vice-versa), et service

La présentation d’Avril comprend les deux

premières fonctions, auxquelles Jallais

ajoute les fonctions commerciales.

42 A nouveau, une remarque s’impose sur les termes employés dans la littérature : si des auteurs comme Dubois et Jolibert (1999) parlent des « fonctions de la distribution » ( : 525), Filser (1989), pour sa part, évoque « les fonctions des canaux de distribution » ( : 104). Ces auteurs traitent cependant de la même chose. 43 Nous présentons les travaux d’Avril à partir de celle qu’en fait Jallais (1997). 44 Organisation de l’entreposage de lots de produits en fonction de leur destination.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

34

Dubois et Jolibert, 1992,

1999

Fonctions classiques - Achat aux producteurs

des produits demandés par la clientèle

- Acheminement des marchandises des lieux de

production aux lieux de consommation

- Fractionnement des quantités importantes

livrées par le producteur en lots plus réduits

conformes aux attentes du consommateur

- Assortiment dans un lieu donné

- Allotissement consistant à regrouper des lots

dispersés de produits - Mise à la disposition et

présentation matérielle des produits aux points de

vente - Vente aux

consommateurs - Service après-

vente,…….

Fonctions modernes - Distribution physique des

produits ou logistique45 grâce aux conteneurs, à l’usage de palettes, de

matériels automatiques de manutention, à

l’implantation des magasins, des entrepôts… - Techniques de

fractionnement, de groupage, et de

conditionnement (packs, films, protecteurs, nouvelles formes d’emballage mieux adaptées au libre-service). - Nouvelles méthodes de vente (généralisation du

libre-service, de la vente par téléphone, commerce

électronique,…) - Moyens d’étude et d’action commerciales (utilisation par les intermédiaires d’études

de marchés, de panels, d’études d’implantation…) - Techniques de gestion et d’exploitation du magasin

Pour Dubois et Jolibert, les fonctions modernes ne remplacent pas les

fonctions traditionnelles, mais les

complètent : « les fonctions modernes de

la distribution se situent dans le

prolongement des fonctions

traditionnelles. Elles ne remettent pas celles-ci en cause mais exigent

du distributeur l’introduction d’un

nouveau savoir-faire aux plans technique et commercial » (: 529)

Stern et al., 1996

Tenue de l’inventaire Génération de la demande (vente)

Distribution physique Service après-vente

Crédit aux consommateurs

Stern et al. considèrent que producteurs,

grossistes, détaillants et tous les autres

membres du canal existent pour accomplir

au moins une de ces fonctions génériques

Kotler et Dubois, 1998

Recueil d’information Promotion

Négociation Prise de commande

Financement Prise de risque

Distribution physique Facturation

Transfert de propriété

Selon Kotler et Dubois, le problème n’est pas de savoir s’il faut ou

non remplir ces fonctions (car elles doivent l’être, dans tous les cas), mais

plutôt de savoir quel membre du canal va les

remplir

45 La logistique prend une place grandissante dans la recherche en distribution, comme le prouve notamment l’ouvrage issu d’un séminaire organisé par la FNEGE (Fabbe-Costes N., Colin J., Paché G. (coord.), Faire de la recherche en logistique et distribution, chapitre 2, pp 55-89, Vuibert-Fnege, Paris).

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

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I.3.1.b) Vers une complémentarité fonctionnelle des acteurs du canal.

Ces typologies, dont la quasi-totalité semble plus particulièrement applicable aux

biens matériels qu’aux services46, soulèvent une interrogation portant sur le caractère exclusif

ou non des fonctions présentées. En d’autres termes : à chaque membre du canal, une fonction

spécifique, que lui seul pourra remplir ? Il s’agirait alors d’une véritable spécialisation

fonctionnelle des canaux de distribution. Cela va dans le sens, par exemple, de Kotler et

Dubois (1999), qui nous disent que la question est de savoir qui, parmi les composantes du

canal, va remplir ces fonctions. Ils prônent une spécialisation des acteurs selon des critères

d’efficacité et d’efficience économique. A l’inverse, Stern et al. (1996) laissent penser que

toutes les composantes du canal peuvent remplir différentes fonctions, et qu’il peut y avoir

redondance : deux membres du canal peuvent accomplir la même fonction. Tenir un

inventaire, par exemple, peut relever autant des missions du grossiste que du détaillant. De

même en va-t-il de la prise de risque, ou de certaines des fonctions spatiales ou commerciales.

Très schématiquement, deux options sont donc possibles. D’un côté, une spécialisation

des acteurs du canal sur certaines fonctions que celui qui les prend en charge est en mesure de

remplir de manière plus efficiente et plus efficace que les autres organisations du canal. Il

s’agit alors d’une différenciation fonctionnelle entre les organisations du canal. De l’autre,

plusieurs membres assurent les mêmes fonctions, dans une redondance qui peut n’être

qu’apparente, puisque ces fonctions peuvent correspondre à différentes étapes du

cheminement suivi par le produit le long du canal. Dans les deux cas, l’objectif est d’assurer

la complémentarité entre les membres du canal, au niveau des fonctions dont ils sont chargés.

I.3.2 Une application aux formules de vente.

Notre but n’est pas par la suite de proposer une typologie des fonctions des canaux

pris en tant que formules de vente. L’introduction de cette notion de fonction vise en fait à

suggérer l’existence de différenciations et de complémentarités fonctionnelles, idée que nous

nous proposons d’appliquer à la perspective horizontale des canaux de distribution.

46 L’acheminement de marchandises, l’assortiment, les techniques d’allotissement, etc. semblent peu appropriées à des activités dont l’une des caractéristiques premières est d’être intangibles (e.g. Eiglier et Langeard, 1987)

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

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I.3.2.a) Préférences fonctionnelles des clients.

Pour reprendre Kotler et Dubois (1998), il faut identifier qui va remplir les différentes

fonctions entre les organisations en présence, lesquelles sont, transposées à notre champ de

recherche, les différentes formules de vente mises à la disposition du client. Ceci est renforcé

par Moriarty et Moran, qui expliquent que ce n’est pas le canal, mais les « tâches marketing »

remplies par le canal qui sont au cœur de la réflexion (1990 : 148). Frazier (1999) ajoute que

« les fonctions d’un canal reflètent les tâches qui doivent être réalisées au sein d’un canal de

distribution » 47 ( : 235).

Identifier les fonctions assurées par des canaux de distribution revient dès lors à

distinguer clairement les tâches relatives de chacun d’entre eux les uns par rapport aux autres.

Autrement dit, les fonctions d’une formule de vente peuvent se retrouver par une

différenciation de ces rôles, et cette différenciation fonctionnelle permettra de positionner

chaque canal par rapport aux autres. Nous entendons donc par fonction, tout rôle que le canal

peut remplir afin de délivrer un produit (bien ou service) au client.

Il semble raisonnable d’imaginer que tous les formats de vente ne remplissent pas

toujours les mêmes fonctions (i.e. les mêmes tâches ou rôles) aux yeux du client. Ainsi,

Nunes et Cespedes (2003) font référence aux résultats d’une étude menée par Forrester

Research, selon laquelle près de la moitié des clients trouvent maintenant de l’information par

le biais d’un canal, puis « lui font défection dès lors qu’il s’agit de faire changer l’argent de

mains [...] Ils savent qu’ils ont plusieurs options de canaux, et qu’à différents moments de

leur processus d’achat, ils seront mieux servis par l’un ou par l’autre» ( : 98 et 99).

Ceci conforte les propos de Stone et al. (2002), qui relèvent que « différents canaux

peuvent être utilisés au mieux pour des tâches différentes, [...] et peuvent être utilisés de

façon différenciée » ( : 40), puis que « [...] plusieurs clients utilisent des canaux multiples à

travers le cycle d’achat ; certains canaux sont utilisés pour effectuer des recherches, tandis

que d’autres sont utilisés pour acheter ou pour obtenir un service. Si une entreprise décide

d’adopter une stratégie multicanale, elle doit se demander si tous ses canaux doivent offrir le

même éventail de produits et services, et si tous les canaux doivent supporter toutes les

fonctionnalités » (op.cit. : 44).

47 Nous adaptons les propos de Frazier à notre problématique, puisqu’ils sont originellement tenus relativement à la perspective verticale des canaux de distribution.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

37

Dans la même veine, Badot et Navarre (2002) évoquent « la double fonction de source

d’information et de canal de distribution » ( : 7) d’Internet, dont ils montrent la « multi-

affectation » (ibid. : 8) au long du processus d’achat48 : le recours à Internet intervient (ou est

susceptible de se produire) à des phases aussi diverses que l’identification du besoin, la

recherche d’informations, l’évaluation des attributs du produit ou service, la décision d’achat,

ou l’achat. D’après Burke (2002 : 418), les clients affichent toutefois des préférences à l’égard

d’un canal particulier selon la phase dudit processus. Par exemple, Internet est privilégié pour

une recherche d’informations sur le produit, ou pour comparer et évaluer les alternatives, et

les magasins, pour acheter et payer le produit, ou ramener des produits dont ils sont

insatisfaits (Anderson et al., 1997 ; Bendana, 2002 ; Burke, 2002).

Ce scénario relève du « click and mortar » : Internet n’est pas le seul canal de

distribution ou d’information dont use le consommateur, mais n’est qu’un des canaux mis à sa

disposition, et qui vient compléter d’autres canaux (centres d’appels, points de vente,

catalogue...). Il met en scène un canal (Internet), qui s’est vu attribuer des fonctions

spécifiques (information, communication, vente...) qui sont autant de services auxquels le

client peut accéder selon ses besoins.

Ces travaux mettent deux éléments en évidence. Le premier nous remet en présence de

notre précédente interrogation quant à la différenciation ou non des fonctions entre les canaux

afin d’assurer leur complémentarité (Anderson et al., 1997 ; Stone et al., 2002). Le second lui

apporte un élément de réponse : cette complémentarité entre les canaux est étroitement liée à

l’utilisation de ces canaux par les consommateurs. Plus exactement, cette complémentarité

trouve sa source dans la perception que les consommateurs ont de la capacité ou non d’un

canal à remplir l’une ou l’autre des fonctions qu’il est supposé remplir, puisque cette fonction

lui a été affectée. Cela appuie le besoin de différencier fonctionnellement les canaux entre eux

de manière objective (cf. ci-dessous), mais aussi de s’assurer que cette différenciation

fonctionnelle débouche sur une complémentarité fonctionnelle, complémentarité qui trouvera

sa raison d’être tout au long du processus de décision et d’achat du consommateur. Dès cet

instant, des redondances fonctionnelles entre plusieurs formules de vente peuvent s’expliquer

par la volonté de l’entreprise d’offrir un maximum de choix à ses clients, pour capter le

marché le plus large possible en répondant à la fragmentation des perceptions49.

48 Les auteurs s’intéressent à l’utilisation d’Internet au long du processus de décision et d’achat d’un véhicule neuf ou d’occasion. 49 L’une des raisons expliquant la croissance des stratégies de distribution multicanales (cf. p 41).

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

38

I.3.2.b) Différenciation et complémentarité fonctionnelles objectives, contextualisées et perçues.

De ce qui précède, nous pouvons déduire que les différences et complémentarités

existant entre les canaux sont notamment liées :

Ø A la nature même de la formule de vente : qui permet ou non d’assurer tel

ou tel rôle (de par ses caractéristiques techniques, son emplacement

géographique, le segment de clientèle auquel elle s’adresse (e.g. Moriarty et

Moran, 1990…). Ce que nous appellerons différenciation et complémentarité

fonctionnelles objectives, ou réelles, associées au canal.

Ø A la contextualisation de la demande du client : selon par exemple le lieu,

le moment, ou le type de produit (Belvaux, 2003 ; Lal et Sarvary, 1999 ;

Payne et Frow, 2004) le client percevra différemment ces différenciations et

complémentarités (Burke, 2002: 427). Nous les qualifions de différenciation

et complémentarité fonctionnelles contextualisées. En pareilles circonstances,

différenciation et complémentarité résultent par exemple de l’existence de

conditions d’utilisation différentes des canaux, qui facilitent la consommation

du client.

Ø A la perception de ces différenciations et complémentarités par le client :

si le contexte peut influencer cette perception, nous insistons plutôt ici sur des

caractéristiques propres au client, telles son âge, son niveau d’éducation, sa

capacité à utiliser certains canaux, etc. Ce sont les différenciation et

complémentarité fonctionnelles perçues. Cette distinction perceptuelle de la

part des clients a été montrée par Vanheems (1995), qui compare les

bénéfices et coûts perçus que des clients associent à deux formules de vente,

le magasin et le catalogue ( : 282-296).

Cette décomposition va dans le sens de Vanheems, pour qui « l’acheteur fait évoluer

les fonctions associées à chaque formule de vente. Il agit en contournant les « désutilités »

qu’il associe à l’une ou l’autre des formules à un niveau spécifique de son processus d’achat.

Il accroît le bénéfice qu’il retire de son processus d’achat, en fréquentant les deux formules

de distribution pour l’achat d’un même produit » ( : 119).

Les fonctions qu’un canal de distribution peut remplir sont donc dépendantes de leurs

caractéristiques intrinsèques, du contexte dans lequel se situe la demande du client, mais aussi

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

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(et peut-être surtout) de la perception des clients quant à la capacité des canaux à assurer ces

fonctions. Il est ainsi possible d’envisager une spécialisation relative des canaux les uns par

rapport aux autres à partir de ces trois dimensions. Par exemple, si les clients jugent qu’un site

Internet n’est pas suffisamment sécurisé pour réaliser un achat, ils n’achèteront pas via ce

canal (Curran et Meuter, 2005). Autrement dit, la fonction vente, bien qu’existante du fait des

caractéristiques (techniques, notamment) du canal Internet, ne sera pas utilisée par les

consommateurs des produits d’une entreprise, qui pourrait même la faire disparaître, faisant

ainsi évoluer ce que nous pourrions appeler « l’éventail fonctionnel du canal »50 (l’ensemble

des fonctions qu’un canal de distribution peut proposer aux clients de l’entreprise).

En ce sens, le recours à plusieurs canaux permet non seulement de combiner leurs

avantages entre eux, mais aussi de limiter les inconvénients propres à chaque canal,

inconvénients difficilement surmontables avec une stratégie « monocanale ».

I.4 LE RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL : UNE DÉFINITION.

Jusqu’à ce stade, nous nous sommes efforcés de mettre en exergue différents éléments

caractéristiques d’un réseau de distribution multicanal, afin de pouvoir en proposer notre

propre définition. Nous les rappelons brièvement :

Ø Un ensemble d’organisations (plusieurs canaux).

Ø Un contact direct avec le client.

Ø Des organisations interdépendantes.

Ø Des statuts juridiques hétérogènes (directs versus indirects).

Ø Des supports hétérogènes (online versus offline).

Ø Des organisations différenciées et complémentaires entre elles.

Ø Des objectifs d’ordre financier, marketing, et opérationnel.

50 C’est ce qui s’est produit pour le site Internet de Décathlon : originellement conçu pour (entre autres fonctions) réaliser des ventes, sa relative non-utilisation par les clients pour réaliser des achats a mené à la disparition de cette fonction vente, pour ne laisser qu’une fonction d’information (Journal du Net, éditions du 07 janvier et du 19 juin 2003).

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

40

En organisant ces éléments, nous sommes en mesure de définir le réseau de

distribution multicanal comme suit (Encadré 1) :

Encadré 1 : Définition d’un réseau de distribution multicanal dans le cadre de cette recherche

Un réseau de distribution multicanal est un ensemble d’organisations en contact

direct avec le client (les canaux), qui sont en situation d’interdépendance, plus ou moins

marquée en fonction de l’existence ou non de différenciations et complémentarités

fonctionnelles entre les canaux qui le composent. Certains de ces canaux peuvent

appartenir directement à l’entreprise productrice des biens et services vendus, tandis

que d’autres lui sont liés contractuellement (franchise, agents...) pour commercialiser

des produits et services (les mêmes ou non) auprès des clients existants ou potentiels.

Chacune de ces organisations peut être présente online et/ou offline, et remplit un

certain nombre de fonctions complémentaires entre elles et entre les canaux, visant à

assurer rentablement une qualité de service optimale aux clients de l’entreprise.

Nous rappelons que l’origine de notre recherche et son champ d’application font que

nos propos porteront sur le cas d’un réseau de distribution multicanal dont les canaux

appartiennent tous directement à l’entreprise productrice, qu’ils soient online ou offline.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

41

SECTION II. RAISONS ET LIMITES DU DÉVELOPPEMENT

D’UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL.

A la suite de cette première section, conclue par l’exposé de notre définition d’un

réseau de distribution multicanal, de nombreuses questions se soulèvent. Parmi elles : pour

quelles raisons de tels réseaux se développent-ils ? Quels avantages, et quels inconvénients,

présentent-ils, pour les entreprises ou pour leurs clients ? etc.

En effet, de multiples industries sont affectées par ces transformations. La banque de

détail, bien sûr, est comme nous l’avons déjà écrit au cœur d’une révolution distributive sans

précédent, conséquence directe de l’introduction de nouveaux canaux de distribution par

lesquels les clients peuvent entrer en relation ou en contact51 avec leur banque. Mais d’autres

secteurs, tels la distribution de voyages (Louvieris et al., 2003), de journaux (Geyskens et al.,

2002), ou de quantité d’autres biens ou services traversent la même phase de changements52.

La sous-section II.1 est consacrée aux raisons de la croissance de ces stratégies basées

sur l’utilisation de multiples canaux pour toucher la clientèle existante ou potentielle, et

distribuer des produits ou services53. Dans un second temps, nous nous penchons sur les

avantages (II.2) et les risques (II.3) inhérents à la mise en place d’une telle stratégie.

II.1 PRINCIPES DU DÉVELOPPEMENT DES RÉSEAUX DE DISTRIBUTION

MULTICANAUX.

Nous identifions six facteurs apparemment non indépendants les uns des autres54, dont

la concomitance peut être considérée à l’origine du développement des nouveaux canaux de

distribution et, par conséquent, des stratégies de distribution multicanale. Ces six facteurs, que

nous développons ci-après, sont succinctement présentés dans la figure 1-3.

51 Nous reviendrons ultérieurement sur la distinction entre ces deux concepts. 52 Ainsi que le prouve le succès d’entreprises ayant opté pour une distribution multicanale, telle la Fnac avec Fnac.com (Journal du Net, 09/12/2004, http://www.journaldunet.com/0412/041209fnac.shtml), Banque AGF... 53 Notre souci dans cette première partie est, rappelons-le, d’étudier le multicanal sans distinction sectorielle, dans un souci de généralisation de nos propos. 54 Non-indépendance que nous ne pouvons que supputer, puisque ne disposant pas de résultats de recherches s’attachant à analyser les éventuelles interrelations entre ces six facteurs. Pour cette raison, nous ne faisons pas apparaître d’éventuels liens entre ces derniers sur la figure 1-3.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

42

Figure 1-3 : Les six facteurs explicatifs du développement des réseaux de distribution multicanaux

II.1.1 L’innovation technique.

Elle semble au premier rang des facteurs explicatifs du développement de ces réseaux

(Burke, 2002 ; Frazier, 1999 ; Prahalad et Ramaswamy, 2000, 2004 ; Willcoks et Plant,

2001), puisque l’une de leurs caractéristiques est de distinguer entre canaux offline et online.

Or, il est évident que ces derniers ne pouvaient se développer sans qu’intervienne, a minima,

le progrès technique. Ordinateur personnel, téléphone portable aux fonctionnalités toujours

plus riches, réseau sans fil, télévision interactive par satellite, bornes interactives toujours plus

performantes... Autant de supports pour des services à distance qui, sans l’explosion

DÉVELOPPEMENT DES RÉSEAUX DE

DISTRIBUTION MULTICANAUX

INNOVATION TECHNIQUE

(développement de nouveaux supports)

RÉVOLUTION CONCURRENTIELLE

(vers le « click and mortar »)

LES CLIENTS : COMMODITÉ ET

CONTRÔLE (affranchissement des

barrières)

FRAGMENTATION DES MARCHÉS (incompatibilité

croissante des segments)

ÉVOLUTION DES FORMULES DE DISTRIBUTION (cycles de vie des formules de vente)

MIMÉTISME STRATÉGIQUE ET

CULTUREL (intra et intersectoriel)

Burke, 2002 ; Frazier, 1999 ; Prahalad et Ramaswamy,

2000, 2004 ; Willcoks et Plant, 2001

Gulati et Garino, 2000 ; Pottruck et Pierce, 2000 ; Sharma et Krishnan, 2002

Bendana, 2004 ; Gauzente, 2000 ; Jaworski et Kohli, 1993 ; Kalika, 2000a ; Prahalad et

Ramaswamy, 2004 ; Rival, 2005

Anderson et al., 1997 ; Vanheems, 1995 ; Zeithaml et

Bitner, 2003

Anderson et al., 1997 ; Vanheems, 1995

Burke, 2002 ; Nunes et Cespedes, 2003 ; Sharma et Krishnan, 2002 ; Sharma et Tzokas, 2002 ; Stone et al.,

2002

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

43

d’Internet, n’auraient pu voir le jour. Leur interconnexion permanente est assurée par des

systèmes d’informations qui assurent transfert et partage des informations en temps réel.

II.1.2 Une révolution concurrentielle.

L’abolition (ou quasi-abolition) des barrières géographiques découlant de l’avènement

d’Internet a favorisé la naissance et le développement d’entreprises ne commercialisant leurs

produits et services qu’en ligne (Pottruck et Pierce, 2000), à l’instar d’Amazon. Ces dernières

se posent en alternatives aux entreprises « en briques et en béton » existantes, i.e. disposant de

réseaux de points de vente physiques dans lesquels doivent se déplacer les clients (Sharma et

Krishnan, 2002). Devant le succès (relatif) de cette stratégie, et afin de répondre aux

exigences nouvelles de la clientèle qu’elle révélait, les entreprises en place durent s’adapter :

« L’éclatante séparation qui distinguait les ‘‘.com’’ des entreprises déjà présentes s’estompe

rapidement. Les entreprises reconnaissent que le succès dans la nouvelle économie ira à

celles qui pourront exécuter des stratégies ‘‘click-and-mortar’’ qui font le lien entre les

mondes physique et virtuel » (Gulati et Garino, 2000 : 107).

Outre Internet, la création de centres d’appels55 utilisant des technologies de gestion de

la relation client de plus en plus poussées participe également de ce mouvement de

renforcement de la concurrence, à l’instar des différentes innovations techniques citées supra.

II.1.3 Les clients à la recherche de commodité et de

contrôle.

La demande des clients pour toujours plus de commodité alimente fortement le

développement du multicanal (Anderson et al., 1997 ; Burke, 2002 ; Stone et al., 2002). La

possibilité de s’informer, de passer une commande, ou d’effectuer un achat depuis son

ordinateur, son téléphone mobile... affranchit les consommateurs des barrières géographiques

et horaires. Ils apprécient également la possibilité de trouver une information sur Internet,

pour ensuite se rendre dans un magasin et contrôler le produit (caractéristiques techniques,

qualité d’une prestation...), et finalement l’acheter sur Internet, via un site affichant un rabais

conséquent sur le prix initial (Nunes et Cespedes, 2003).

Les clients trouvent dans le multicanal une réponse à leur désir de contrôler (ou

d’avoir la sensation de contrôler) la relation avec une entreprise (Sharma et Krishnan, 2002 ;

55 Encore appelés centres de relations clients, ou centres d’interactions clients (« Customer interaction centers », Weirtz et al., 2004 : 424).

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

44

Sharma et Tzokas, 2002). Ainsi, une étude récente (2004) indique que 57% des

consommateurs américains abandonnent leur achat en cours de route sur Internet56, ne se

sentant aucunement obligés d’aller au bout d’un processus qu’ils auraient peut être mené à

son terme en magasin, sous la pression d’un vendeur.

II.1.4 La fragmentation des marchés.

La tendance à la personnalisation accroît la fragmentation de marchés dont les

différents segments, aux attentes parfois incompatibles57 (Zeithaml et Bitner, 2003), ne

peuvent désormais plus que difficilement être touchés par un seul format de distribution : « La

diversité croissante des attentes des consommateurs milite ‘’en faveur d’une segmentation

croissante des marchés, débouchant sur une plus grande variété des concepts de

distribution’’ » 58 (Vanheems, 1995 : 16).

Anderson et al. (1997) abondent en son sens : « De plus, avec [...] la fragmentation

des segments de clientèle, les approches recourant à des canaux multiples sont souvent la

seule manière de couvrir la totalité du marché. Différents consommateurs, aux

comportements d’achat différents, vont chercher les canaux qui servent leurs besoins au

mieux » ( : 64).

II.1.5 Évolution des marchés et des cycles de vie des

formules de distribution59.

Une fois une formule parvenue à maturité, les distributeurs sont obligés d’en adopter

de nouvelles pour satisfaire de nouveaux segments du marché. Cette diversification, selon

Filser (1989), est la meilleure réponse au raccourcissement du cycle de vie des formules de

vente. Elle peut aussi dépendre du cycle de vie des produits commercialisés par l’entreprise

(Vanheems, 1995 : 17 ; Anderson et al., 1997), et de la façon dont les consommateurs

abordent ledit produit au long de ce cycle, ce que Vanheems (1995) résume ainsi : « La

56 Résultats diffusés par le Journal du Net du 23/11/2004 : http://www.journaldunet.com/cc/04_ecommerce/ecom_compachat_us.shtml 57 Un « technophobe » a peu de chances d’acheter un voyage sur Internet, contrairement à un « technophile ». Choisir de distribuer ses produits via l’un ou l’autre des canaux (agence ou Internet, par exemple) reviendra donc inévitablement à se couper de l’un ou l’autre de ces segments, ce qui ne sera pas le cas avec une distribution multicanale. 58 Vanheems cite elle-même l’article de Ducrocq C. (1991), « Principes d’évolution des formules de distribution », Revue Française de Marketing, 135, 5. 59 Ce titre est une adaptation de celui de Vanheems, 1995 : 16 (« Encombrement des marchés et cycle de vie des formules de distribution et des produits »).

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

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proposition d’un nouveau format de vente correspond alors au souci du praticien de

s’adapter aux évolutions de ce que veut le consommateur et à la manière dont il le veut »

( : 17).

Autrement dit, si un consommateur potentiel souhaite pouvoir accéder de chez lui, en

pleine nuit, à un catalogue de voyage pour planifier ses prochaines vacances, il faut lui

proposer cette possibilité en mettant cette offre sur Internet, et en lui fournissant toutes les

informations nécessaires à la préparation de son séjour (Rival, 2005).

Pour affronter cette évolution, Anderson et al. (1997 : 64) conseillent de se placer sur

plusieurs canaux, tout en limitant les investissements pour chacun d’entre eux. Si cette option

peut sembler indécise et peu rationnelle, ils précisent que c’est la plus appropriée dans un

environnement turbulent, qui va rendre plus difficile la détermination du canal le plus

approprié. Procéder par incrémentation, en éliminant successivement les canaux les moins

performants, et en se renforçant progressivement sur ceux les plus valorisés par la clientèle,

constitue donc à leurs yeux le choix adéquat.

II.1.6 Un mimétisme stratégique et culturel.

Confrontées aux cinq facteurs précédents, les entreprises se sont massivement tournées

vers des stratégies basées sur ce que Kalika (2000a) appelle le e-management, c’est-à-dire

« l’intégration dans l’ensemble des processus de management, c’est-à-dire, la finalisation,

l’organisation, l’animation, le contrôle, des impacts des nouvelles technologies de

l’information et de la communication (NTIC) » ( : 3). Une des conséquences apparentes de ce

changement fut la forte croissance de réseaux de distribution multicanaux dans des secteurs

aussi variés que le tourisme (Rival, 2005), la banque de détail (Bendana, 2004), ou la

publication de journaux (Geyskens et al., 2002). Par ailleurs, la multiplicité des avantages

potentiels découlant de telles stratégies (cf. p. 47) n’eut pas pour effet de freiner la volonté et

le désir de les déployer.

En outre, la remise en perspective du contexte historique dans lequel sont intervenues

ces transformations est indispensable à leur compréhension (Gauzente, 2001). Lequel

contexte se caractérise tout d’abord par un effet de mode à la fin de la décennie 1990 et au

début de l’année 2000. Les marchés financiers valorisaient alors systématiquement toute

annonce concernant la mise en place d’un nouveau canal de vente via Internet60. En

60 Ce que nous rappelle Pierre-Antoine Delhommais dans son article intitulé « Du krach des tulipes à la bulle Internet » paru dans Le Monde du 06 Juillet 2002.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

46

conséquence, l’amélioration de la valorisation boursière d’une entreprise passait presque

automatiquement par une initiative allant en ce sens. C’est d’ailleurs un des résultats de

Geyskens et al. (2002), qui montrent que l’addition d’un canal de distribution par Internet a

une influence positive sur le cours de bourse de l’entreprise.

Mais au-delà de cet effet de mode qui a largement favorisé, sinon exacerbé, les effets

de mimétisme stratégique, une transformation culturelle plus profonde s’est progressivement

diffusée et installée. La multiplication des canaux s’est ainsi également inscrite dans le cadre

d’une prise de conscience de l’importance de l’orientation client, ou orientation marché,

correspondant schématiquement à la mise en place d’une organisation centrée sur le client61

(Gauzente, 2000 ; Jaworski et Kohli, 1993 ; Kohli et Jaworski, 1990). Un des corollaires de

cette prise de conscience fut alors de considérer les canaux de distribution comme un moyen

de placer le client au cœur de l’entreprise (Prahalad et Ramaswamy, 2004).

II.2 LES AVANTAGES D’UNE STRATÉGIE DE DISTRIBUTION

MULTICANALE.

L’objectif d’une entreprise adoptant une stratégie multicanale n’est autre que de

combiner les avantages relatifs de chacune des formules de vente, tout en s’affranchissant des

inconvénients intrinsèques à chacune d’elles, de par la complémentarité qu’elle souhaite

instaurer entre ses canaux. En quelque sorte, il s’agit des leviers du développement d’une

stratégie de distribution multicanale.

Ces avantages (de même pour les inconvénients) sont relativement simples à identifier,

par canal (e.g. Sharma et Krishnan, 2002). Il en va différemment lorsque l’on additionne les

canaux entre eux, certains effets positifs pouvant s’annuler entre les canaux. La littérature

nous offre des pistes de réflexion, même si les recherches empiriques sont encore rares. Par

conséquent, une majorité des contributions mobilisées dans cette section sont essentiellement

théoriques (e.g. Grewal et al., 2002) ou managériales (e.g. Collart et Lejeune, 2001).

Certains travaux peuvent même troubler la réflexion, en ce sens qu’ils se concentrent

soit sur l’étude d’un canal en particulier (le plus souvent, Internet), soit sur l’ajout d’un canal

(encore une fois, Internet) à un autre, en se penchant essentiellement sur les avantages propres

à ce nouveau canal, sans forcément se concentrer sur les avantages du couple ainsi formé (à

l’instar de Geyskens et al., 2002). Il convient donc d’être extrêmement attentif à la façon

61 Nous ne nous attardons pas ici sur cette notion, que nous développons ultérieurement (p 250).

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

47

d’exposer ces avantages (et risques), en gardant à l’esprit que notre intérêt premier va à la

combinaison des canaux.

Ces réserves et remarques émises, nous nous intéressons dans un premier temps aux

avantages qui peuvent découler d’un réseau de distribution multicanal pour une entreprise

(II.2.1), puis nous interrogeons sur ses conséquences positives pour le client (II.2.2).

II.2.1 Que peut retirer une entreprise d’une telle

stratégie ?

Le tableau 1-4 synthétise les différents avantages du multicanal pour l’entreprise, que

nous allons passer en revue.

Tableau 1-4 : Les avantages du multicanal : le point de vue de l’entreprise

DU CÔTÉ DE L’OFFRE DU CÔTÉ DE LA DEMANDE Accroissement de la demande Baisse des coûts de distribution

Avantage-coût de chaque canal

Économies d’échelle

Économies d’envergure

Amélioration de la satisfaction globale

du client

Approfondissement de la relation client / entreprise Transversalité, flexibilité et partage des

ressources Accroissement des prix proposés

II.2.1.a) Côté offre : une amélioration de l’efficience.

Baisse des coûts de distribution, économies d’échelle et d’envergure, partage des

ressources, flexibilité... sont autant de vecteurs d’amélioration de l’efficience, définie comme

« le niveau de ressources utilisé pour obtenir une valeur donnée » (Johnson et al., 2002).

II.2.1.a.(1) Une baisse potentielle des coûts de distribution Une des motivations premières de l’introduction de nouveaux canaux est de diminuer

les coûts de distribution, par une action sur l’un de ces trois leviers62.

62 Une autre possibilité est d’agir sur les coûts de transaction, puisque la mise en place d’un site Internet peut permettre une réduction ex-ante des coûts de transaction par un contournement des intermédiaires (Geyskens et al., 2002 : 104). Nous n’en parlons pas à dessein, puisque nous avons explicitement évacué les problématiques inter-organisationnelles de notre réflexion.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

48

(i) Miser sur les avantages de coûts relatifs des

canaux.

Chaque canal se caractérise par une structure de coûts plus ou moins avantageuse pour

l’entreprise, en fonction de son degré d’automatisation, de la répartition frais fixes / frais

variables, etc. Une analyse comparative des coûts de distribution relatifs à certains canaux,

comme celle affichée dans le tableau 1-5, montre que le coût global peut être réduit jusqu’à

98% pour certains services.

Tableau 1-5 : Exemples de réduction du coût de distribution entre un réseau physique et Internet

TRANSACTION COÛT EN POINT

DE VENTE PHYSIQUE

COÛT SUR INTERNET

RÉDUCTION DE COÛT

Vente de logiciels 15 dollars 0,2 dollars 98,7%

Transaction bancaire 1 à 4 dollars 0,13 dollars De 87 à 96,7%

Vente d’un billet d’avion 8 dollars 1 dollar 87,5%

Paiement de factures 2 dollars 0,65 dollars 67,5%

Source : Sharma et Krishnan, 2002 : 319

L’intérêt de ces chiffres reste cependant limité. Ce tableau n’effectue qu’une

comparaison rapide entre deux canaux, tandis qu’une stratégie multicanale implique par

définition de conserver les deux catégories de canaux, et non de faire passer, par exemple,

l’ensemble des ventes réalisées en magasins sur Internet. Qui plus est, de récentes études

menées sur l’évolution du coût de distribution en fonction du nombre de canaux utilisés

laissent dubitatifs quant à la réalité de cette baisse de coût63, que nous préférons donc qualifier

de potentielle. La rareté de ces travaux ne peut cependant ôter tout doute sur les véritables

conséquences de la multiplication des canaux sur le coût global de distribution. Nous nous

bornerons donc à indiquer que l’association de plusieurs canaux pour diminuer le coût de

distribution global de l’entreprise reste pure conjecture.

La réalisation de ces économies dans le coût de distribution est enfin étroitement

dépendante du comportement des consommateurs. Si ces derniers considèrent que le canal qui

maximise le plus leur utilité est celui dont le coût de distribution est le plus élevé pour

l’entreprise, les économies attendues ne se concrétiseront pas, à moins que l’entreprise ne 63 cf. p 58 du présent document.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

49

parvienne à modifier la perception de ses clients quant à la valeur que leur apportent les

différents canaux64.

(ii) Réaliser des économies d’échelle.

Grewal et al. (2002 : 308) défendent l’idée qu’Internet peut permettre de réduire les

coûts de distribution dans les points de vente. De leur point de vue, il est possible de

remplacer des vendeurs à temps plein par des vendeurs à temps partiel dans les magasins,

lesquels coûtent moins cher et permettent d’accroître la flexibilité (en ajustant par exemple le

nombre de vendeurs selon la période de l’année ou même selon l’heure de la journée65). Ils

reconnaissent que cette solution réduirait le nombre de vendeurs professionnels, dotés de la

formation professionnelle adéquate, dans le magasin, ce qui risquerait de faire perdre des

ventes et causer une baisse significative de la qualité du service fourni aux clients. Mais alors

« arrive l’Internet » (ibid.). Source d’informations sur les produits, et élargissant la base de

clients potentiels (cf. infra), Internet peut provoquer une élévation de la productivité des

vendeurs en magasins. D’où l’idée avancée par Grewal et al. (2002) de la possibilité

d’accroître les volumes globaux de ventes à moindre coût.

(iii) Réaliser des économies d’envergure.

Easingwood et Coelho (2003) ont étudié la stratégie de 62 institutions financières

Outre-manche pour vérifier si l’une des raisons d’être du multicanal était la recherche

d’économies d’envergure66. Ils en arrivent à une conclusion contre intuitive intéressante : les

entreprises étudiées ne sont pas focalisées sur la réalisation d’économies d’envergure pour

développer leur stratégie multicanale. Ou plus exactement, ce n’est qu’à partir du moment où

ces entreprises réalisent au moins 15% de leurs ventes par plus d’un canal que la recherche

d’économies d’envergure devient une préoccupation importante. Ces résultats doivent

cependant être maniés prudemment pour au moins trois raisons :

64 Par exemple, une société d’assurance peut tenter de commercialiser ses produits sur Internet, afin de diminuer les coûts afférents au maintien de son réseau de points de vente. Si les clients considèrent qu’Internet n’est pas assez sûr (protection de leurs données personnelles), ou ne leur apporte pas toutes les informations dont ils ont besoin, ils continueront à se rendre chez leur agent d’assurance. 65 Ces auteurs américains fondent leur raisonnement sur un droit du travail plus souple qu’en France, où une telle organisation pourrait s’avérer beaucoup plus complexe à mettre en œuvre. 66 Pour rappel, des économies positives d'envergure existent lorsque le coût de production (ici, de distribution) d'un ensemble de biens ou de services est inférieur à la somme des coûts de production (distribution) de chaque produit pris isolément.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

50

Ø La détermination de ce seuil de 15% est relativement arbitraire, comme

l’admettent les auteurs eux-mêmes.

Ø L’étude ne porte que sur un seul secteur d’activité, ce qui pose un problème

de généralisation.

Ø Enfin, Internet n’est à aucun moment considéré comme canal de distribution

dans l’étude (il n’est pas même mentionné), ce qui peut sembler totalement

incompréhensible67.

II.2.1.a.(2) Transversalité, flexibilité et partage des ressources.

Proposer aux clients de nouveaux modes d’accès aux produits passe par une refonte

importante des processus de l’entreprise, pour en améliorer l’efficacité (Stone et al., 2002).

Un système d’information commun aux différents canaux et le développement d’une

organisation transversale (Kalika, 2000b ; Kalika et al., 2000) à l’ensemble des canaux paraît

être une condition sine qua non de réussite, car permettant à chaque canal de disposer des

mêmes données sur les prix, les produits, les clients... L’interconnexion entre les canaux grâce

à un système de communication favorisant les échanges est lui aussi indispensable (Badoc,

2004a, b), et permet d’améliorer la flexibilité de l’entreprise dans sa réponse à la demande du

client. Comme l’illustre l’exemple de notre chapitre introductif, des dissonances entre les

canaux sur l’un ou l’autre de ces points peuvent avoir de graves conséquences sur la

satisfaction du client.

II.2.1.b) Côté demande : toujours plus.

II.2.1.b.(1) Accroître la demande. La préférence des clients à l’égard d’un canal variant selon des facteurs tels que leur

âge, leur niveau social, la contextualisation de leur demande, etc. (cf. p 38), il en ressort que le

multicanal enrichit les méthodes de segmentation connues. De ce fait, le recours à plusieurs

canaux de distribution permet de toucher des segments nouveaux et différents, donc une

population de clients potentiels plus vaste (Anderson et al., 1997 ; Stone et al., 2002).

Combiner canaux à distance et canaux traditionnels élargit aussi géographiquement le marché

potentiel auquel l’entreprise a accès (Grewal et al., 2002 : 308), à un coût moindre que s’il

avait fallu étendre un réseau de points de vente. Enfin, cela peut procurer un avantage

67 Une possible explication est la date de réalisation de leur phase empirique, qui n’est malheureusement pas indiquée dans leur contribution.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

51

concurrentiel assurant un flux de clients nouveaux qui auparavant s’adressait aux concurrents

de l’entreprise (Geyskens et al., 2002), pour peu qu’une telle combinaison réponde à leurs

attentes.

Toutefois, les résultats de l’étude empirique d’Easingwood et Storey (1996) mettent à

mal cette hypothèse, lesquels montrent qu’il n’y a pas d’association entre l’intensité du mix

distributif d’une entreprise, c’est à dire le nombre total de canaux qu’elle utilise pour

distribuer ses produits et services, et l’accroissement des opportunités de ventes68. Ce résultat

peut néanmoins trouver une explication dans certaines des limites de leur recherche69, et l’on

peut supposer que le multicanal permet bel et bien une extension de la couverture de marché.

II.2.1.b.(2) Améliorer la satisfaction globale du client pour approfondir la relation client / entreprise.

Le multicanal participe à une amélioration de l’expérience de consommation du client

(Badot et Navarre, 2002 ; Burke, 2002), et est susceptible d’accroître la valeur du bien ou

service consommé aux yeux de celui-ci70, donc sa satisfaction vis-à-vis de l’entreprise. La

simple existence du multicanal est donc un facteur potentiel d’amélioration de la satisfaction

du client de par les avantages non-économiques qu’il peut en retirer71.

De plus, la satisfaction générale du client vis-à-vis de l’entreprise est aussi fonction de

sa satisfaction à l’égard du service fourni par chacun des canaux de l’entreprise, autrement dit,

de la qualité de service perçue offerte par chaque canal72 (Montoya-Weiss et al., 2003 : 455).

Puisque semble exister une relation positive entre qualité de la prestation et volonté du

client de poursuivre la relation et d’acheter à nouveau à l’entreprise (e.g. Grönroos, 2001 :

128 ; Hart et Johnson, 1999), le multicanal peut signifier une relation de long terme entre le

client et son fournisseur, lequel devrait voir sa profitabilité s’accroître (Reichheld, 1999).

68 « Enhanced future opportunities », incluant : « better company image, new markets, enhanced new products capability ». 69 L’inclusion d’items aussi divers pour mesurer ce concept est susceptible d’expliquer leur impossibilité à valider leur hypothèse, ce que les auteurs laissent d’ailleurs entendre, mais ils soulignent dans le même temps que l’explication peut reposer dans l’absence de propositions innovantes des entreprises à leurs clients, ce qui limiterait l’accès à ces nouveaux marchés potentiels. Précisons encore que Easingwood et Storey n’incluent pas Internet dans leur recherche. 70 Nous ne faisons qu’effleurer le concept de valeur perçue par le client, car il sera repris plus en détail lorsque nous nous pencherons sur les avantages du multicanal pour le client. 71 Il va sans dire que cette condition est insuffisante pour assurer la satisfaction du client, puisque la simple distribution multicanale ne garantit en rien si le bien ou service consommé est de mauvaise qualité. 72 Malheureusement, les modalités de la combinaison de ces perceptions restent inconnues : y a t il additivité des perceptions ? Ou multiplication ? Ou encore, sont-elles dotées de pondérations différentes dans l’évaluation générale de la prestation, ce qui laisserait penser que la défaillance d’un canal pourrait être compensée par une performance particulièrement remarquable d’un autre ?

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

52

Dans cette veine, Easingwood et Storey (1996 : 238) démontrent empiriquement qu’un réseau

de distribution multicanal induit une augmentation des ventes de l’entreprise73, ainsi d’ailleurs

qu’une profitabilité supérieure à celle résultant de l’utilisation d’un canal unique. De même,

Geyskens et al. (2002) relèvent que les ventes dans les magasins de Barnes and Noble,

libraire américain, ont fortement augmenté après la mise en place du site Internet, « car cela a

accru l’intérêt de ses clients pour les livres » ( : 103).

II.2.1.b.(3) Accroître les prix proposés. Lal et Sarvary (1999) montrent que lorsqu’il y a une proportion suffisamment

importante d’acheteurs par Internet, et que les attributs non digitaux74 du produit sont

relativement peu nombreux, les entreprises peuvent en profiter pour relever leurs prix sur

Internet. Geyskens et al. (2002) soulignent aussi que les clients peuvent devenir plus fidèles

en achetant sur Internet que dans les magasins physiques, ce qui donne l’opportunité aux

firmes de relever leurs prix, les clients fidèles ayant une élasticité prix moins forte.

Enfin, une étude comparant les politiques de prix entre des vendeurs de DVD utilisant

plusieurs canaux, et leurs concurrents purement en ligne a mis en évidence un écart positif

important (14%) entre les sites Internet des détaillants multicanaux, et ceux de leurs

concurrents (Tang et Xing, 2001), laissant à nouveau supposer que le multicanal peut avoir

tendance à accroître le prix demandé à l’acheteur.

Nous tenons toutefois à nuancer les résultats de ces recherches, qui comportent une

limite majeure qui n’est pourtant que rarement évoquée. Menées alors qu’Internet et les

stratégies multicanales n’étaient encore qu’embryonnaires, elles ne prennent pas en

considération la dimension processuelle d’un double apprentissage que vivent consommateurs

et entreprises. Les premiers, à mesure qu’ils utilisent les canaux mis à leur disposition,

apprennent à les utiliser pour maximiser leur utilité, notamment en faisant jouer la

concurrence sur laquelle ils ont de plus en plus d’informations. Cela induit une nécessaire

adaptation de la part des entreprises, confrontées à des concurrents qui eux aussi adoptent des

stratégies multicanales et proposent une transparence accrue aux consommateurs, ce qui peut

déboucher sur des baisses de prix selon les mécanismes classiques de concurrence (Bienaymé,

1998).

73 Ayant souligné supra que ladite étude montrait que le multicanal n’impliquait pas l’extension de la couverture du marché, nous sommes en droit d’en déduire que l’augmentation des ventes observée par les auteurs résulte de ventes supplémentaires aux clients existants. 74 Attributs nécessitant une inspection physique de la part de l’acheteur pour en évaluer la qualité (Lal et Sarvary, 1999 : 485).

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

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II.2.2 Un gain de valeur délivré aux clients.

Lorsque cela est possible, les clients préfèrent avoir le choix entre différents canaux de

distribution (Burke, 2002). Ce choix du mode de contact avec l’entreprise est supposé

renforcer les avantages intangibles du produit (Collart et Lejeune, 2001). Autrement dit,

l’instauration de canaux supplémentaires à un canal déjà existant peut avoir un impact sur la

perception de la valeur de l’offre par le client, comme nous l’avons d’ailleurs fait remarquer

supra. D’où cette formule qui résume l’ensemble des avantages que peut retirer le client d’un

réseau de distribution multicanal : obtenir plus de valeur (figure 1-4).

Figure 1-4 : Multicanal et gain de valeur pour le client

II.2.2.a) La valeur perçue : une définition.

Les clients perçoivent la valeur d’une offre de quatre manières différentes (Zeithaml,

1988) :

Ø La valeur correspond à un prix bas ;

Ø La valeur correspond à tout ce que je veux dans un service : sont mis en avant

l’ensemble des avantages que le client retire du service, au prix duquel il

attache une importance moindre ;

+ +

RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL

Accroissement des bénéfices perçus : § Nouvelle expérience

§ Praticité

Réduction des sacrifices perçus :

§ Informations

§ Coûts de transaction

VALEUR CLIENT

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

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Ø La valeur est la qualité reçue pour le prix payé : dans ce cas, la valeur perçue

est un compromis entre ce que le client paie pour obtenir le service, et la

qualité qu’il reçoit ;

Ø La valeur est ce que le client reçoit en échange de ce qu’il a donné : sont dans

ce cas intégrés par le client l’ensemble des avantages qu’il retire du service,

de même que la totalité des sacrifices (financiers, intellectuels, en temps...)

que l’obtention du service a impliquée.

Nous retiendrons pour la suite de cette discussion la dernière définition citée, qui

correspond à ce que Lovelock appelle « la valeur nette » (Lovelock, 2001 : 258), car elle

présente l’avantage d’intégrer l’ensemble des éléments positifs et négatifs susceptibles

d’intervenir dans l’évaluation de la qualité du service.

II.2.2.b) Multicanal et valeur perçue.

Keeney (1999) s’est livré à une étude dans laquelle il aspirait à identifier la valeur du

commerce sur Internet pour le consommateur, c’est-à-dire la valeur attribuée à « l’achat et la

vente de produits et services sur Internet » ( : 533). L’intérêt de ses propos réside pour nous

dans leur transposition à d’autres canaux de distribution que l’Internet.

Il reconnaît que le commerce sur Internet en lui-même ne propose pas une valeur

particulière, « puisque ce n’est pas un produit que l’on achète, mais un moyen d’acheter des

produits » (ibid.). Mais il n’est pas contradictoire de lui associer ce qu’il appelle une

« proposition de valeur », établie comme « la valeur nette des avantages et des coûts à la fois

du produit et des processus de découverte, commande et réception du produit » (ibid.). En

d’autres termes, l’évaluation d’un achat par un consommateur combine sa perception de la

qualité dudit produit, et celle de l’expérience de consommation liée au canal de distribution

utilisé pour se le procurer, que ce canal soit un point de vente, un site Internet, un centre

d’appel, des services de télévision interactive, etc.

Le multicanal est donc susceptible d’avoir un impact, positif ou négatif, sur

l’expérience globale de consommation du client, donc de modifier la valeur perçue associée à

l’acte de consommation, ce qui va dans le sens des travaux de Burke (2002).

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

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II.2.2.b.(1) Multicanal et accroissement des bénéfices perçus.

(i) Vivre une nouvelle expérience de consommation.

Coupler différents canaux de distribution au cours d’un processus de décision et

d’achat est susceptible d’enrichir l’expérience de consommation qui en résulte (Prahalad et

Ramaswamy, 2004 : 41). Les résultats de Badot et Navarre (2002) sont à ce titre révélateurs.

S’intéressant à un processus d’achat au cours duquel le consommateur couple Internet et

concessions automobiles pour trouver un véhicule, ces auteurs montrent que les clients

affectent à Internet une fonction de « levier de recherche d’expérience »75 ( : 10), structurée

autour de :

Ø Une expérience d’achat hédoniste : « la recherche et l’acquisition d’une

voiture neuve cherchent à satisfaire un plaisir à orientation d’abord

personnelle » ( : 10) ;

Ø Une expérience d’achat ludique : « le caractère ludique du processus d’achat

se matérialise en véritable chasse au trésor, en enquête policière, en

spéculation boursière » ( : 11) ;

Ø Une expérience d’achat défiante : « recherche de renversement du rapport de

force des offreurs aux consommateurs », Internet étant alors perçu comme

« moyen de reprendre le pouvoir » ( : 11).

En utilisant les multiples canaux à sa disposition, le consommateur co-crée cette

expérience avec l’entreprise, et d’après Prahalad et Ramaswamy (2003 : 14), c’est cette co-

création qui est à l’origine de la valeur qu’il en retire.

(ii) Liberté et praticité76.

Offrir au client la liberté de se procurer le produit qu’il désire, où il le souhaite, quand

il le décide et de la façon dont il le décide (e.g. Collart et Lejeune, 2001), telle pourrait être

résumée en quelques mots la philosophie du multicanal. L’abolition de différentes barrières

place la liberté du client au cœur du dispositif (Sharma et Krishnan, 2002).

75 Dont Badot et Navarre disent qu’il s’agit d’une fonction latente. 76 Nous décrivons ici une situation idéale pour le client : il va sans dire que la liberté et la praticité de la consommation peuvent varier selon la stratégie propre à chaque entreprise, le nombre de canaux qu’elle utilise, et les fonctions affectées à chacun d’eux. Par exemple, l’entreprise de VPC étudiée par Nicholson et al. (2002) « fermait » son site à 23h, heure à partir de laquelle les clients ne pouvaient plus passer commande !

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Liberté temporelle, tout d’abord : le client n’est plus borné par les horaires d’ouverture

des points de vente, et peut procéder à son achat à toute heure du jour et de la nuit. Liberté

géographique, ensuite : il n’a plus obligation de se déplacer dans le point de vente. Liberté

médiatique, enfin : le client peut choisir le média qui convient le mieux à ses attentes, à ses

besoins, ou avec lequel il a le plus d’affinités.

II.2.2.b.(2) Multicanal et réduction des risques et sacrifices perçus.

(i) Multiplication des sources d’informations.

Qui dit plus de canaux de distribution, dit plus de sources d’informations pour le

client : informations sur les caractéristiques du produit, son prix, sa disponibilité, les délais de

livraison, etc. (Badot et Navarre, 2002 ; Grewal et al., 2002 ; Nunes et Cespedes, 2003…).

Ces sources sont aussi potentiellement complémentaires entre elles : le client considérant qu’il

est insuffisamment informé par le catalogue, téléphonera au centre d’appel, ou se rendra

éventuellement en point de vente, pour combler les lacunes du premier média utilisé. Dans ce

cas, comme nous l’avions déjà fait remarquer, la complémentarité de fait existant entre les

canaux est concrétisée par l’action du client.

De cette manière, l’asymétrie d’information entre l’entreprise et ses clients,

traditionnellement en faveur de celle-ci, s’amoindrit. Le client a la possibilité d’accéder

facilement aux informations lui permettant de poser et d’ordonner ses critères de décision

avant de conclure son achat (Grewal et al., 2002), à condition qu’il soit doté du matériel ou

des compétences nécessaires.

En définitive, l’enrichissement de son niveau de connaissance sur le produit rend le

client plus apte à comparer avec les offres concurrentes77 et à faire un choix plus rationnel78.

Cette sensation de contrôle que cela lui procure diminue mécaniquement son niveau de risque

perçu avant l’achat (Lovelock, 2001).

77 Pour autant qu’il dispose des mêmes informations sur celles-ci. 78 Sous-entendu, plus rationnel que si il n’avait pas disposé de ces informations. Il s’agit d’une rationalité limitée, ou procédurale, qui postule que l’individu décideur opte, non pour « des décisions optimales pour un monde imaginaire simplifié », mais pour « des décisions qui sont « assez bonnes » ou adéquates (satisficing) pour un monde perçu plus proche du monde réel » (Simon, 1991 : 30-31).

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(ii) Diminution des coûts de transaction.

Le consommateur souhaitant maximiser son utilité différencie l’utilisation des canaux

de distribution mis à sa disposition en fonction des avantages relatifs qu’ils lui proposent

(Nicholson et al., 2002). La relativité de ces avantages porte tant sur les canaux (e.g. tel canal

présente un avantage de coût sur tel autre) que sur la situation dans laquelle se trouve le

consommateur. En d’autres termes, un canal sera préféré à un autre dès lors que le contexte de

la demande du client permettra à ce dernier d’en retirer des avantages qui n’auront pour autre

but que de maximiser son utilité relative, dépendante des contraintes de coût financier,

intellectuel, psychologique ou encore de temps qui existent au moment où le consommateur

doit faire son choix entre les canaux79.

La réduction des coûts de transaction rendue possible par un réseau de distribution

multicanal relève de cette logique. En fonction des circonstances dans lesquelles il se trouve,

le client privilégiera l’utilisation d’Internet pour s’informer, et par voie de conséquence

diminuer les coûts de recherche (Burke, 2002 : 427). Il se déplacera ensuite en magasin pour

vérifier la qualité réelle du produit, et ce d’autant plus qu’il comporte des attributs digitaux

(Lal et Sarvary, 1999), et passera sa commande via une plate-forme téléphonique, si cette

dernière lui permet de s’assurer immédiatement de la disponibilité du produit, tout en lui

assurant un prix moins élevé qu’en magasin.

Le multicanal permet, au moins en théorie, une réduction des coûts de transaction à la

fois ex-ante (pré-achat et achat) et ex-post (post-achat). Ex-ante, car la recherche

d’informations est facilitée, de même que la comparaison entre les différents concurrents80.

Ex-post, car le client a le choix entre différents canaux pour obtenir de l’aide en cas de

problème, ou pour faire remonter une information concernant son utilisation du produit.

II.3 RISQUES ET INCONVÉNIENTS INHÉRENTS À CETTE STRATÉGIE.

Le multicanal n’est pas « un long fleuve tranquille ». Ses avantages sont

contrebalancés par des risques dont se doit de tenir compte toute firme désireuse de

s’aventurer sur le chemin d’une telle stratégie, dont le client, au demeurant, ne tirera pas

nécessairement profit. Ces risques sont relativement peu abordés par la littérature, et de

manière assez succincte.

79 Ceci renvoie à la notion de différenciation et complémentarité contextualisées dont nous avons parlé supra. 80 On se place dans un jeu où les concurrents ont tous ou presque opté pour une distribution multicanale. Dans le cas contraire, le choix du consommateur se retrouve restreint, à moins d’accroître ses coûts de recherche.

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Suivant la même trame que précédemment, nous présentons tout d’abord quels écueils

l’entreprise doit éviter pour naviguer en relative quiétude (II.3.1), puis les inconvénients que

la mise en place d’un réseau multicanal peut entraîner pour le client (II.3.2).

II.3.1 Risques pour l’entreprise.

Le tableau 1-6 s’efforce de recenser les risques qu’encourt toute entreprise désireuse

de suivre une stratégie multicanale.

Tableau 1-6 : Risques associés à une stratégie de distribution multicanale

DU CÔTÉ DE L’OFFRE DU CÔTÉ DE LA DEMANDE Augmentation des coûts de distribution Surabondance quantitative des informations

Diminution de la qualité des informations Conflits et cannibalisation intra-organisationnels

Inadéquation canal proposé / segment visé

Transfert comportemental81 de la clientèle

Diminution des résultats commerciaux

Transformation de la relation

Démotivation du personnel sur les canaux existants

Moindre fidélité des clients

II.3.1.a) Du côté de l’offre.

II.3.1.a.(1) Une possible augmentation des coûts de distribution

La diminution du coût global de distribution, espoir sur lequel reposent généralement

les stratégies multicanales, n’est pas une évidence, comme nous l’avons déjà noté supra.

Rien ne prouve en effet que les coûts engendrés par un nouveau canal (a fortiori, par

plusieurs) ne viennent pas se surajouter à ceux liés aux canaux existants, puisque :

Ø La création et le développement du canal, sa promotion vis-à-vis des clients

qui doivent être conscients de son existence, le temps d’apprentissage de

l’utilisation de ce canal par les clients (Geyskens et al., 2002 : 104) ;

Ø L’émergence de doublons, en fonction du mode d’organisation retenu

(Easingwood et Storey, 1996 : 324) ;

81 Emprunté à Vanheems, 1995

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Ø Le mode de gestion des canaux, et la réflexion préalable à leur articulation

(Coelho et Easingwood, 2003 : 24 ; Moriarty et Moran, 1990)...

... sont autant de facteurs susceptibles de renchérir le coût de distribution global.

Il peut également augmenter du fait de la nécessité d’instaurer des procédures de

contrôle pour limiter d’éventuels phénomènes de cannibalisation intra-organisationnelle.

Tout lancement d’un nouveau canal de distribution induit des coûts fixes qui doivent

être répartis sur un grand nombre de clients et / ou d’opérations pour espérer rendre la

nouvelle entité rentable. On peut finalement en imaginer une décroissance temporelle, en

forme de U inversé. Une fois amortis les investissements initiaux de création et de

développement, et passé le temps d’adaptation des clients à l’utilisation du (ou des)

nouveau(x) canal (aux), phases pendant lesquelles il est susceptible de s’accroître82, il pourrait

être raisonnable d’envisager que le coût global de distribution décroisse. Mais rien n’est

moins sûr, puisque des augmentations de coût à moyen / long terme ont été rapportées aux

États-Unis dans les secteurs bancaire (Frei et al., 1997 ; Myers et al., 2004) et aérien (Myers

et al., op.cit.), découlant directement du développement de nouveaux canaux. Nous y

reviendrons lorsque nous exposerons le cas spécifique de la banque de détail, dans le second

chapitre.

II.3.1.a.(2) Des risques organisationnels patents. Si les canaux s’adressent à des segments de clientèle identiques, ou si les rôles relatifs

de chaque canal n’ont pas été clairement prédéfinis, le risque est grand d’assister à une

cannibalisation entre les canaux (Frazier, 1999 : 232 ;Tang et Xing, 2001).

Autrement dit, des canaux destinés à être complémentaires entre eux, afin de

bénéficier des avantages issus d’une stratégie de distribution multicanale, peuvent se retrouver

dans une situation de concurrence interne se traduisant par exemple par :

Ø La résistance des canaux existants, qui cherchent à conserver leurs clients

(Cespedes et Corey, 1990 ; Stone et al., 2002). Il y a une probabilité forte de

voir émerger des conflits entre les canaux, puisque « plus d’unités marketing

sont en concurrence pour les clients et les revenus » (Moriarty et Moran,

1990 : 147) ;

82 Toutes choses égales par ailleurs (pas de désinvestissement dans un canal au profit du nouveau, par exemple)

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

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Ø La démotivation du personnel travaillant sur les canaux à coûts et à niveaux

de services élevés, dont les clients risquent de s’orienter vers des canaux à

moindre coût (Easingwood et Storey, 1996 : 324 ; Rich, 2002).

Ces phénomènes de résistance et de démotivation portent en eux un très fort risque de

faire échouer la stratégie de distribution multicanale. Il est donc indispensable de s’y préparer,

en les intégrant en amont du projet de développement de nouveaux canaux. Or, ceci est loin

d’être toujours le cas :

« Un thème commun qui a émergé de nos interviews est que le management des

canaux et les processus de décision afférents sont ‘non scientifiques d’une façon

embarrassante’, particulièrement lorsque comparés à d’autres domaines. Comme l’a exprimé

un manager : ‘ La décision du canal reste un processus particulièrement ad hoc. Si nous

lançons un produit, il sera plus ou moins vendu dans le réseau existant... Nous ne faisons pas

attention au management des canaux de la même manière que nous faisons attention aux

autres éléments du mix... Nous passons des semaines ou même des mois à débattre du prix.

C’est un problème très important car cela a des implications très fortes sur les résultats...

Nous ne lancerions pas un mauvais produit... Nous passerions par des recherches

qualitatives, voire même quantitatives... Mais nous n’accordons pas la même quantité de

temps ni d’argent au management des canaux ’ » (Coelho et Easingwood, 2003 : 24).

D’autres auteurs ont également pointé cette absence, ou insuffisance de réflexion

organisationnelle amont de la gestion des canaux de distribution :

« En fait, la plupart des entreprises décident d’ajouter de nouveaux canaux et

méthodes sans avoir une vision claire et réaliste de l’architecture ultime « prête à aller sur le

marché ». Ces décisions sont généralement prises séparément et indépendamment - et souvent

rapidement aussi. De ce fait, les entreprises se retrouvent à trébucher sur leurs systèmes

hybrides qui ont été faits rapidement et se chevauchent » (Moriarty et Moran, 1990 : 147).

II.3.1.a.(3) Le risque de surpondération du système d’information sur l’organisation et la stratégie.

Les systèmes d’information sont généralement au cœur de tout projet de

développement de réseaux multicanaux, ce qui peut sembler comme allant de soi étant

données la facilité et la rapidité de transfert d’informations qu’ils permettent (Kalika et al.,

2000), et la nature des canaux qui composent de tels réseaux (Prahalad et Ramaswamy, 2004).

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

61

En outre, nous avons indiqué antérieurement que le multicanal pouvait, d’une certaine

manière, être affilié aux travaux sur la gestion de la relation client et le marketing relationnel

(Collart & Lejeune, 2001 ; Payne et Frow, 2004). Or, Grönroos (2001), et surtout Beckett

(2004) expliquent qu’une branche de ces travaux repose sur la mise en avant prépondérante

des technologies de l’information et de la communication, ce que Beckett qualifie de

« perspective managériale » ( : 45) du marketing relationnel. Passent alors au second plan les

implications stratégiques et organisationnelles des choix faits en matière de système

d’information, tombant dans les travers du e-management vis-à-vis desquels Kalika (2000)

met en garde : « Le e-management recouvre à l’évidence ce que l’on appelle le e-business,

c’est-à-dire les stratégies de commercialisation via Internet, mais aussi, et on l’oublie trop

souvent, les implications organisationnelles de ces stratégies en termes de structure, de

gestion des ressources humaines, de système d’information et plus généralement de

fonctionnement d’entreprise » ( : 3).

Or, l’observation de pratiques d’entreprise peut laisser penser que ce risque de

déterminisme technique de la gestion d’un réseau de distribution multicanal est réel83. Nous ne

nous inscrivons toutefois pas dans cette veine. Pour cette raison, il convient de préciser dès

maintenant que, sans dénier l’importance évidente du système d’information dans un réseau

de distribution multicanal, nous le considérons comme un outil de support de son

fonctionnement. Sans le placer au cœur de la réflexion, nous fixons prioritairement notre

attention sur les transformations organisationnelles qui l’accompagnent.

II.3.1.b) Les risques au niveau de la demande.

Les recherches appréhendant le comportement multicanal du client, bien qu’encore

relativement peu nombreuses (Nicholson et al., 2002), émergent progressivement. Mais là

encore, nous devons nous défier d’une confusion qui pourrait aisément nous abuser : les

multiples travaux sur le comportement du consommateur sur Internet ne sont pas des travaux

sur son comportement multicanal, Internet n’étant qu’un canal parmi d’autres. 83 Nous renvoyons essentiellement le lecteur à des articles tirés de la presse managériale, et qui mettent en exergue la prédominance du système technique sur le reste de l’organisation dans le management et la coordination d’un réseau de distribution multicanal. Par exemples : 01 Informatique n° 1470 (10 octobre 2003), p 14 ; Les Echos.net, supplément aux Echos du 21/01/2002, pp 2-3 ; « Darty.com fait un pas supplémentaire dans le multicanal », Journal du Net daté du 23/03/2004 : http://www.journaldunet.com/0403/040323darty.shtml ; « Le Crédit Lyonnais mise sur le multicanal dans sa relation client », Journal du Net daté du 01/02/2005 ; http://www.journaldunet.com/0502/050201creditlyonnais.shtml ; ou encore, le supplément au numéro 606 de Banquemagazine (1999), dédié aux canaux de distribution, et où la part belle est faite au système d’information (e.g. les articles de Stern & Gervaise, Bollendorf, ou Michelin & Riou). Enfin, une citation édifiante d’un responsable marketing de BNP-Paribas, rencontré en 2001 : « De toute façon, que voulez-vous qu’il y ait d’autre [sous-entendu : que l’informatique] pour coordonner tous ces canaux ? Moi, je ne vois pas ».

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II.3.1.b.(1) Quantité et qualité des informations. L’abondance d’informations mises à la disposition du client est potentiellement

nuisible, en l’absence par exemple d’un socle commun d’informations permettant de s’assurer

que les informations fournies par un canal ne vont pas à l’encontre de celles fournies par un

autre canal.

Par ailleurs, les canaux ont des structures de coût différentes, sur lesquelles jouent des

entreprises pour mettre en place des tarifications différenciées pour des offres a priori

identiques, ou amener le consommateur à favoriser l’utilisation d’un canal sur un autre. Or, il

y a un risque de confusion de la clientèle si elle se retrouve face à des offres apparemment

semblables, mais somme toute différentes en termes de prix ou de niveau de services

(Easingwood et Storey, 1996).

Enfin, la perception qu’a le client de la qualité de l’information peut varier selon le

canal par lequel il l’obtient. De cette manière, « la qualité de l’information digitale peut être

pauvre, particulièrement si les clients ont l’habitude de se reposer sur des interactions

physiques ou sociales pour évaluer la qualité du produit » (Burke, 2002 : 412).

II.3.1.b.(2) Des résultats commerciaux remis en question. Une des conclusions de l’étude menée par Easingwood et Storey (1996) est que la

mise en place de canaux multiples n’est pas systématiquement associée à un gain de nouveaux

marchés, « alors que c’est l’un des objectifs de base pour l’ajout de nouveaux canaux »

( : 23). Ce phénomène peut s’expliquer simplement par le fait que les consommateurs peuvent

être enclins à changer de canal pour réaliser leurs achats, sans que cela ne se concrétise par de

nouvelles ventes : il s’agit d’une « translation de canal »84 pour Geyskens et al. (2002 : 104),

ou d’un « transfert comportemental », d’intensité variable, pour Vanheems (1995 : 121). Ce

fut le cas pour Barnes & Nobles qui a, dans un premier temps, déconnecté sa librairie en ligne

des autres canaux. Bilan : le site Web draina la clientèle de ses propres magasins, sans réussir

à attirer d’autres clients85 (Collart et Lejeune, 2001). On peut même aller jusqu’à envisager

une diminution des ventes totales, si les consommateurs modifient leur comportement et

achètent moins par le nouveau canal que par l’ancien86 (Geyskens et al., 2002 : 104). Frazier,

84 Il s’agit de l’expression utilisée dans la traduction française de l’article de Geyskens et al., in Recherche et Applications en Marketing (2003), Vol. 18, n° 2 : 101-128. 85 Ce qui entraîna une refonte de l’organisation, pour aboutir aux résultats positifs dont se font écho Geyskens et al. (2002), dont nous parlons p 51. 86 Les résultats empiriques de Vanheems (1995) semblent montrer que cela n’est cependant pas le cas.

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63

enfin, note que les effets à long terme de l’ajout de nouveaux canaux de distribution restent

encore incertains (Frazier, 1999 : 232).

II.3.1.b.(3) Une inadéquation entre le canal et le segment visé.

Cette idée d’inadéquation entre le canal et le segment visé se base sur une observation

de Mizrahi (2000) que nous avons déjà rapidement utilisée, à propos des banques de détail

anglo-saxonnes. L’auteur explique que ces dernières avaient fondé d’importants espoirs vis-à-

vis des nouveaux canaux de distribution, dont la mission était de fournir des services à faible

valeur ajoutée à « la clientèle de masse », de façon à ce que les agences libèrent du temps

pour proposer des services personnalisés à la clientèle haut de gamme.

Las, la direction générale de ces établissements avait négligé un élément : pour

pouvoir utiliser ces nouveaux canaux, les clients doivent disposer de l’équipement adéquat

(e.g. un ordinateur pour accéder à Internet), des compétences nécessaires (e.g. savoir

comment utiliser un distributeur automatique pour accéder à ses comptes) et doivent accepter

d’utiliser ces canaux, qui induisent de profondes transformations dans leur relation à leur

banque (cf. ci-après). Or, la clientèle de masse s’est détournée de ces canaux, vers lesquels

s’est au contraire tournée la clientèle haut de gamme. S’ensuivirent :

Ø Une désaffection des agences par la clientèle haut de gamme, qui pouvait

réaliser ses opérations courantes sur Internet sans se déplacer ;

Ø Une insatisfaction de ce même segment de clientèle, qui considéra comme

insuffisantes et peu sophistiquées les offres de services mises à leur

disposition via les nouveaux canaux ;

Ø Une non diminution de la fréquentation des agences par la clientèle de masse,

où elle continua à se rendre pour des opérations à faible valeur ajoutée.

II.3.1.c) Un risque de transformation des modalités de l’échange.

Les propos de cette section s’appliquent dans les conditions particulières qui suivent :

Ø A un canal existant, est ajouté au moins un autre canal ;

Ø Au sein de ce canal existant, les clients disposent d’un interlocuteur privilégié

avec lequel ils ont noué une relation de service au sens de Gutek et al. (2002),

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

64

c’est-à-dire que le client « a affaire à quelqu’un qu’il connaît

personnellement et qu’il s’attend à voir à nouveau dans le futur » ( : 133).

II.3.1.c.(1) Relation vs rencontre de service. Gutek et al. (2002) opposent cette « relation de service » à la « rencontre de service »,

dans laquelle « la personne qui fournit le service est un étranger, et le client et lui ne

connaissent pratiquement rien l’un de l’autre » (ibid.). En fait, « les clients ne s’attendent pas

à être servis à nouveau par cet employé », et « ils peuvent même interagir [dans le cadre

d’une rencontre de service] avec une machine, comme un distributeur automatique, ou

Internet, plutôt qu’avec une personne » (ibid.). Gutek et al. appellent ce trio « le modèle C-O-

P » (Customer-Organization-Provider). Il ne s’agit rien moins que d’une analyse des liens

entre les trois entités de ce que Bitner (1995) nomme « le triangle des services », représenté

par la figure 1-5. Ces trois entités sont l’employé, l’entreprise en tant qu’organisation à

laquelle il appartient, et le client. L’employé, « agent prestataire » du service (Gadrey, 1994),

est considéré comme le fournisseur du service au client. Il est pour cela soutenu par son

entreprise, « organisation prestataire » (ibid.), qui met à sa disposition un ensemble de

moyens lui permettant de tenir les promesses qu’elle a faites au client par le biais de la

communication externe.

Figure 1-5 : Le modèle C-O-P

Source : Adapté de Bitner, 1995 ; Gutek et al., 2002

A une relation de service peut se substituer une rencontre de service, sous réserve d’un

diagnostic précis des attentes des clients : la substituabilité n’est possible ni en tout temps,

tout lieu, pour tout service, ni pour tout client (Tableau 1-7).

Marketing interne Rencontre de service

Client Employé

Entreprise

Relation de service

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

65

Tableau 1-7 : Quand proposer une relation ou une rencontre de service ?

QUAND PROPOSER UNE RELATION DE SERVICE ?

QUAND PROPOSER UNE RENCONTRE DE SERVICE ?

Les clients s’attendent à interagir avec « leur » propre fournisseur à chaque fois.

Les clients ne s’attendent pas à interagir avec la même personne à chaque fois.

Les clients peuvent être satisfaits en recevant le service par n’importe quel employé disponible. Les clients tirent avantage de contacts fréquents

avec le même employé. La disponibilité et la praticité87 sont des éléments importants pour le client.

Le coût n’est pas une priorité importante pour les clients. Les clients sont sensibles au coût.

Source : Adapté de Gutek et al., 2002 : 137.

II.3.1.c.(2) Le multicanal au confluent de la rencontre et de la relation ?

Si le principe de base propre à toute stratégie multicanale est celui de la

complémentarité des canaux, celle-ci compte de multiples facettes (cf. p 38), et les points de

vue des entreprises et des clients peuvent différer. Les premières tendent de plus en plus à

« orienter » (sinon contraindre) le client vers le canal le moins coûteux pour elles en fonction

du service auquel il veut accéder (Myers et al., 2004). Autrement dit, elles remplacent le plus

souvent, sous couvert d’économie, une relation par une rencontre de service. Or, ces décisions

ne sont pas forcément optimales, et doivent être mises en regard de leurs effets sur la

satisfaction globale du client, comme le suggèrent Montoya-Weiss et al. (2003).

En outre, les entreprises s’efforcent également de personnaliser au maximum ces

rencontres, par exemple en appelant le client par son nom88. Elles créent alors des « pseudo-

relations », qui sont des rencontres aux allures de relations (Gutek et al., 2002). Il y a une

tentative de personnalisation du service, mais qui n’est le plus souvent basée que sur des

données statistiques globales des consommateurs : la personnalisation n’est qu’apparente, et

tout le monde est traité de façon identique.

De cette manière, nous expliquent Gutek et al., les entreprises tentent d’établir une

relation entre le client et l’entreprise, mais « [elles] ne comprennent souvent pas que les

87 Nous avons traduit « Convenience » par praticité, même si commodité eût convenu, les deux termes étant synonymes. 88 L’article de Gutek et al. (2002) nous fournit une multitude d’autres exemples de tentatives de personnalisation des rencontres.

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

66

relations existent entre les clients et les employés, et non entre les clients et une

organisation » ( : 140), entre lesquels ne peuvent se former que des liens, forts ou faibles.

Dans le cadre du multicanal interviennent plusieurs employés, dont nous avons postulé

plus haut que l’un d’entre eux entretient une réelle relation avec le client. Du fait de cette

volonté de personnalisation des rencontres de la part de l’entreprise prestataire, les autres

employés qui interagissent avec le client développent donc avec lui des pseudo-relations.

D’où la figure 1-6, qui adapte le modèle C-O-P à une situation multicanale.

Figure 1-6 : Le modèle C-O-P dans le cas d’une entreprise utilisant plusieurs canaux89

II.3.1.c.(3) Le risque d’une moindre fidélité. Ce remplacement de la relation par des pseudo-relations peut « ne pas permettre aux

employés et aux clients de développer des rapports entre eux, et peut éroder l’attachement

89 Deux remarques sur ce schéma : premièrement, nous nous sommes volontairement limités à 3 canaux ; deuxièmement, nous n’avons volontairement pas fait apparaître les liens entre les canaux, car ils supposeraient selon cette représentation l’existence de liens entre les employés, ce qui n’est pas toujours le cas comme le relèvent Gutek et al. (2002).

Relation de service

Marketing interne Rencontre de service

Client Employés

Entreprise

E3C3

E2C2

E1C1

E1C1 Employé 1 du Canal 1 – Fournisseur privilégié

E3C3 et E2C2 Employés 2 et 3 des canaux 2 et 3

Pseudo-relations

Légende

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

67

émotionnel que les clients développent vis-à-vis des fournisseurs de service90, qui se crée à

travers les interactions continues qu’ils ont avec les employés de contact » (Yen et Gwinner,

2003 : 484). L’une des conséquences obtenues va à l’encontre d’un des objectifs du

multicanal, puisqu’une telle substitution se traduit généralement par une diminution de la

fidélité des clients, et de leur volonté de recommander l’entreprise à d’autres clients potentiels

(Gutek et al., 2000). Et cela ne saurait être contrebalancé par des mesures prises

unilatéralement par l’entreprise, comme des rabais ou des services supplémentaires (Gwinner

et al., 1998). Au final, une mauvaise estimation des conditions dans lesquelles une rencontre

ou une pseudo-relation peut se substituer à une relation de service peut donc remettre en

question tout ou partie de la stratégie distributive de l’entreprise, et faire échouer toute velléité

de faire passer les clients d’un canal à un autre.

II.3.2 Inconvénients pour le client.

La figure 1-7 récapitule les principaux inconvénients du multicanal pour le client.

Notons, là encore, que la littérature est peu diserte sur ce point.

Figure 1-7 : Les inconvénients associés à un réseau de distribution multicanal pour le client

90 D’après le contexte de la phrase, les fournisseurs de service (« service providers ») sont ici les entreprises qui vendent le service, et non les employés en contact, comme dans le modèle COP, où le P de « Provider » renvoie explicitement à ces employés.

_

RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL

Apprentissage de nouvelles formules de vente

Liberté de choix restreinte

Moindre pouvoir de marché

_ _

VALEUR CLIENT

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

68

II.3.2.a) Un moindre pouvoir de marché.

Tang et Xing (2001 : 329) ont découvert que le pouvoir de marché des consommateurs

pour amener les distributeurs à pratiquer un prix unique est moins important lorsqu’ils font

face à des distributeurs multicanaux que lorsqu’ils ont en face d’eux des distributeurs

uniquement online. Ceci laisse supposer que les détaillants dotés d’un réseau de distribution

multicanal peuvent vendre leurs produits plus cher que les distributeurs monocanal sur

Internet.

II.3.2.b) L’apprentissage des nouvelles formules de vente.

Faire face à une nouvelle formule de vente peut correspondre à deux situations

différentes pour un client qui souhaite acheter un produit à une firme F :

Ø Le client ne connaît pas du tout la formule de vente que F met à sa

disposition. Il n’y a jamais recouru, que ce soit lors d’interactions antérieures

avec F ou une autre entreprise, et son apprentissage est total. C’est par

exemple le cas d’un individu qui n’a jamais utilisé Internet, ou n’y a jamais

rien acheté, et désire le faire. Il doit alors apprendre à se servir d’Internet, et

comprendre comment réaliser son achat sur le site. Il peut pour cela se baser

par exemple sur les explications fournies sur le site de F, ou demander à des

proches ayant déjà vécu cette expérience de le guider.

Ø Le client a déjà utilisé cette formule de vente dans le cadre d’un ou plusieurs

achats. Mais c’est la première fois qu’il l’utilise pour acheter des produits de

F. Son apprentissage sera alors partiel, puisqu’il pourra raisonner et agir en

fonction de son expérience antérieure, tout en adaptant son comportement aux

caractéristiques propres du canal tel que l’a conçu F. Pour reprendre le cas

précédent, le client qui a déjà acheté sur Internet connaîtra la procédure à

suivre pour réaliser son achat. Toutefois, si les sites diffèrent dans leur

présentation, dans leur mode d’accès au contenu du « panier », ou dans le

processus de commande, le client devra faire un effort pour comprendre en

quoi cette expérience se distingue des précédentes, et comment il doit agir

pour que l’achat se déroule au mieux.

L’apprentissage d’un nouveau canal réclame donc un investissement de la part du

client : en temps, financier, psychologique, intellectuel, etc. Ce sont autant d’éléments qui

sont susceptibles d’influencer le choix du canal qu’il utilisera, pour autant qu’il puisse le faire

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Chapitre Premier – Définition et modalités de développement d’un réseau de distribution multicanal

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librement. Et dans les deux cas, F a le pouvoir d’influencer le client dans son choix de canal91

(Myers et al., 2004).

II.3.2.c) Plus de choix apparents pour une liberté moindre ?

Qui dit multicanal, dit plusieurs canaux de distribution que le client peut utiliser pour

entrer en contact avec une entreprise, s’informer sur ses produits et les lui acheter. En

apparence, le choix est donc plus vaste pour le client, qui peut selon ses préférences, se rendre

dans un point de vente, aller sur Internet, recourir au téléphone, etc. En apparence, car pour

bénéficier des avantages coûts relatifs des canaux, les firmes sont amenées à diriger le client

vers un canal plutôt que vers un autre, voire à le contraindre à utiliser l’un plutôt que l’autre :

« Nous parlons depuis le début du design des canaux comme d’un exercice de création

de chemins pour les clients. Certaines entreprises sont même capables de pousser cela à

l’extrême, en leur déniant la possibilité de faire leurs courses sans aucune entrave92. En lui

proposant des avantages très motivants, voire aucun autre choix que celui d’utiliser un

chemin désigné, elles peuvent retenir le client captif, au moins dans la mesure où cette

personne souhaite acheter les produits ou services de cette société » (Nunes et Cespedes,

2003 : 100).

La banque de détail est révélatrice de cet état de fait, comme nous le verrons dans le

second chapitre. En pareil cas, la liberté de choix supposément induite par l’existence de

plusieurs canaux est finalement réduite par la volonté de l’entreprise. Or, cette liberté de choix

peut s’assimiler, pour le client, à une sensation de contrôle de l’échange, laquelle est un

facteur de sa satisfaction : plus ce sentiment de contrôle est fort, et plus le client est satisfait

(Bateson, 1985). Le restreindre peut donc diminuer sa satisfaction, et la valeur que le client

perçoit retirer de l’échange.

91 Ces éléments, qui renvoient à la notion de participation du client à la production du service, sont repris et largement discutés dans notre troisième chapitre. 92 « [...] essentially denying the customer any unfettered shopping ».

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Chapitre Premier – Définition, stratégie et organisation d’un réseau de distribution multicanal

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EN CONCLUSION DU CHAPITRE PREMIER… Le multicanal, un objet de recherche encore méconnu

Notre projet de recherche vise initialement à comprendre la dynamique du

fonctionnement et de l’organisation de réseaux de distribution qui mobilisent plusieurs canaux

de distribution. Or, nous n’avons pu que constater que le multicanal était l’un des parents

pauvres de la littérature académique, tant au plan de l’analyse théorique que des études

empiriques. Parmi les insuffisances notables que nous avons identifiées, nous retiendrons :

Ø Des recherches quantitativement restreintes, tant sur un plan théorique

qu’empirique ;

Ø Une difficile comparabilité entre les différentes publications ;

Ø Une apparente absence de travaux sur l’organisation de réseaux de

distribution multicanaux, en dépit d’appels récurrents émis par différents

auteurs.

La découverte progressive de ces lacunes a donc orienté le plan retenu pour ce premier

chapitre. Dans un premier temps, nous avons jugé primordial de définir ce que nous

entendions par réseau de distribution multicanal. En progressant vers cette définition, nous

avons tenté de mettre en évidence des principes de son fonctionnement. C’est ainsi que, en

partant d’une possible spécialisation relative des canaux, nous avons développé une réflexion

qui a débouché sur la proposition de trois types de différenciations et complémentarités des

canaux de distribution (objectives, contextualisées, et perçues).

Dans un second temps, nous nous sommes interrogés sur les raisons du développement

de ces réseaux à canaux multiples, ainsi que sur leurs avantages et limites. A cette occasion,

nous avons expliqué que si les systèmes d’information étaient incontournables dans toute

organisation multicanale, nous ancrions moins notre travail dans ce champ de connaissance

que dans les implications organisationnelles qui leur sont sous-jacentes.

De cette manière, à défaut d’aboutir à un état de l’art portant sur l’organisation

multicanale dont initialement nous souhaitions faire le soubassement de notre réflexion

théorique, nous avons été contraint de revoir à la fois les objectifs de ce premier chapitre,

mais surtout d’aller rapidement étudier sur le terrain l’organisation d’un réseau de distribution

multicanal. Cette première approche du terrain sera présentée dans le second chapitre.

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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CHAPITRE DEUXIÈME : PRÉSENTATION DU SECTEUR ET ÉTUDE DE CAS EXPLORATOIRE

Une recherche exploratoire est appropriée « en l’absence de théories mobilisables,

comme première étape d’une reconfiguration des connaissances dans un domaine »

(Wacheux, 1996 : 53). Comme notre premier chapitre a cherché à le montrer, nous nous

trouvons dans cette situation quant à l’analyse du mode de fonctionnement des organisations

de distribution multicanales. Hors les avantages et limites de ces organisations, pour

l’identification desquelles les recherches ne semblent cependant pas légion (et moins encore

les travaux empiriques), relativement peu de choses sont connues à leur sujet. La réalisation

d’une étude exploratoire s’impose donc, et constitue à notre sens une étape nécessaire dans la

construction de notre objet de recherche.

Néanmoins, nous avons déjà mentionné à maintes reprises l’ancrage sectoriel de notre

objet de recherche, qui trouve son origine dans la banque de détail. La première section de ce

chapitre se voit donc consacrée à la présentation de ce secteur, qui est tout naturellement

remis dans le contexte du développement des nouveaux canaux de distribution. Cet exposé

sectoriel sera ponctuellement enrichi de citations extraites d’entretiens menés durant une

première phase d’approche du terrain.

Par conséquent, tant les conditions de réalisation de notre étude exploratoire, que les

résultats de celle-ci, qui enrichissent notre compréhension des modalités de développement et

de fonctionnement d’un réseau de distribution multicanal, sont exposés dans la seconde

section. Nous concluons en montrant l’importance de cette phase intermédiaire dans la

détermination de notre question de recherche.

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

72

SECTION I. LA RÉVOLUTION DE LA BANQUE DE DÉTAIL.

La banque de détail, en France comme dans le reste du monde, connaît depuis de

nombreuses années une très forte évolution de ses métiers, dont les répercussions sont

apparentes aux niveaux stratégique, organisationnel et opérationnel. Cette évolution trouve

essentiellement son origine dans les profondes transformations de l’environnement dans

lequel se meuvent les établissements bancaires93 (I.1). Elle se traduit notamment par un

bouleversement des stratégies et des organisations distributives, dont la remise en question est

presque permanente depuis une dizaine d’années (I.2).

I.1 LES MUTATIONS ENVIRONNEMENTALES.

Identifier et imputer à un seul facteur l'ensemble des mutations qui ont affecté

l'environnement et l'activité bancaires ces dernières années est mission impossible. Elles sont

en effet les conséquences d'une combinaison d'éléments, appartenant tant à l’évolution de la

réglementation (I.1.1), qu’à la dynamique concurrentielle (I.1.2), aux changements de

comportements des consommateurs (I.1.3), ou à l’innovation technologique (I.1.4).

I.1.1 Les évolutions réglementaires.

Le secteur bancaire français a été historiquement marqué par de grandes lois qui en ont

défini l’orientation. Nous en citerons quelques unes parmi les plus importantes : mise sous

tutelle des banques par le gouvernement de Vichy les 13 et 14 juin 1941 ; fin du

cloisonnement entre banques de dépôt et banques d’affaires94, et abolition de l’autorisation

préalable pour l’ouverture de nouveaux guichets, par les lois Debré de 1966 et 1967;

obligation du paiement des salaires par chèque ou virement en 1971 ; grande vague de

nationalisations avec la loi du 11 février 1982 ; édiction d’un cadre juridique unique pour

exercer l’ensemble des activités bancaires, et reconnaissance explicite de la vocation

universelle des établissements de crédits, par la loi bancaire du 24 janvier 1984.

93 Nous passerons rapidement en revue ces transformations, et renvoyons le lecteur souhaitant se documenter plus avant sur ce sujet vers : Badoc, 1997, 2004a ; Badoc et al., 2000 ; Bendana, 2004 ; Bonin, 1997 ; De Coussergues, 1996 ; De Fournas, 1998 ; Plihon, 1998 ; Simon, 1994 ; Thiveaud, 1997 ; Zollinger et Lamarque, 1999, 2004. 94 A l’époque, les banques de dépôts étaient autorisées à collecter des dépôts à vue, mais ne pouvaient détenir de participations industrielles ; les banques d'affaires, à l'inverse, étaient autorisées à prendre des participations industrielles, mais n’avaient pas le droit de collecter les dépôts à vue (lois votées au lendemain de la seconde guerre mondiale, instaurant également une troisième catégorie de banque : les établissements de crédit spécialisés (Bonin, 1997).

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

73

Cette dernière poursuit le double objectif de créer les conditions d’une concurrence

normale, et de favoriser la modernisation de la profession par la banalisation, la

déspécialisation et le décloisonnement accrus des activités bancaires. Désirant pour cela

favoriser l'universalité des institutions financières, elle donne une définition, non des banques,

mais de ce qu'elle appelle les établissements de crédits, dont la conception est commune à

l'ensemble des pays de l'Union Européenne (Plihon, 1998). En résulte une concurrence

nettement plus vive que celle à laquelle étaient accoutumés les acteurs du secteur,

simultanément confrontés à deux phénomènes supplémentaires : la désintermédiation95 et

l’instauration de normes prudentielles96. Cette intensité concurrentielle franchit de nouveaux

paliers avec la suppression de l’encadrement du crédit (1er janvier 1987), et du contrôle des

changes (1989). Dans le même temps, sous l'impulsion des changements politiques, se

déroule une première vague de privatisations (1986-1987), à laquelle deux autres succéderont

(1993-1994, puis 1997-1998). Synonymes d'importantes restructurations, elles entraînent une

forte baisse du nombre des établissements de crédit.

D’autres textes importants, en particulier des transpositions de directives européennes

désireuses d’harmoniser les législations nationales entre elles (Cassou, 1995 ; Plihon, 1998),

suivirent les précédents, parmi lesquels nous en retenons deux. Le premier, entré en vigueur

au 1er janvier 2001, constitue le Code monétaire et financier. Il restructure largement le cadre

législatif de l’exercice de la profession, dont il devient la référence. Ce Code se vit enfin

substantiellement modifié par la loi de sécurité financière du 1er août 200397.

En dépit d’un souci d’assouplissement des règles de concurrence, ces lois laissent

toutefois subsister des distorsions que les établissements qui n’en bénéficient pas ressentent

comme d’inacceptables privilèges. Par exemple, le monopole de la distribution de certains

produits spécifiques, comme le livret A ou le livret bleu. Considérés comme des produits

d’appel par excellence, le livret A est le monopole de la Poste et des Caisses d’Épargne,

95 La désintermédiation signifie qu’entreprises et particuliers peuvent dorénavant accéder directement au marché monétaire pour s'y financer ou y placer leurs liquidités, la banque cessant donc d'être l'intermédiaire obligé, provoquant de facto une baisse significative des taux de marge (différence entre les taux de collecte et ceux de la distribution des crédits) 96 L’accès à de nouvelles activités est tout autant source potentielle de croissance, que de risques supplémentaires. Les autorités françaises et européennes sont donc amenées à déterminer des ratios quantitatifs et des règles qualitatives adaptés au caractère multiple des risques pris suite à la diversification des activités des établissements de crédit (Caudamine et Montier, 1998). Ces normes prudentielles sont en pleine discussion, et de nouveaux ratios de solvabilité basés sur les travaux dits de Bâle II doivent être mis en place en 2007. 97 Pour plus d’informations sur ces derniers textes, voir par exemple le rapport annuel 2004 du CECEI (Comité des Établissements de Crédit et des Entreprises d’Investissement)

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

74

tandis que le livret bleu, du Crédit Mutuel98. Un autre exemple de distorsion de concurrence

touche à la nature juridique des intervenants99.

I.1.2 Une dynamique concurrentielle renouvelée.

I.1.2.a) L’évolution de la concurrence intra-sectorielle.

Au cours de ces dernières années, d’importants mouvements ont rebattu les cartes du

jeu concurrentiel dans le secteur de la banque de détail. Le rapport annuel 2004 du CECEI

(Comité des Établissements de Crédit et des Entreprises d'Investissement) pointe ainsi une

forte diminution du nombre d’établissements de crédits depuis 1994 (Tableau 2-1). Selon ce

même rapport, celle-ci s’explique par une recherche d’économies d’échelle, des modifications

juridiques, ou simplement un arrêt de l’activité de la part d’un certain nombre

d’établissements. Le premier facteur mérite que nous nous y arrêtions un instant.

Tableau 2-1 : Évolution du nombre des établissements de crédit

Source : Rapport annuel 2004 du CECEI : 118

Dans les années 1980 et au début des années 1990, le débat fait rage autour l’impératif

pour les banques françaises d’atteindre une taille critique qui leur permettrait de résister à la

concurrence internationale, et de faire les investissements nécessaires au développement de

leur activité (Lambert, 1997). S’y ajoute parallèlement la volonté d’amélioration de la

productivité et du produit net bancaire grâce à une rationalisation des moyens. Tout ceci

entraîne de nombreux regroupements, en particulier entre des établissements appartenant aux

98 Des recours sont encore menés actuellement pour que soit mis fin à la distribution monopolistique du livret A par BNP-Paribas, CA SA, ,le groupe Banque Populaire, et la Société Générale (Les Echos du 16 janvier 2006). 99 Du fait de leur statut, les banques mutualistes sont à l’abri d’opérations hostiles de rachat, et l’existence de véhicules côtés (CASA pour le Crédit Agricole, par exemple) ne change pas fondamentalement cette situation (ce qui ne les empêche pas, en revanche, d’acquérir des concurrents, comme ce fut le cas avec le Crédit Lyonnais). Un autre problème fut longtemps posé par le statut de la Poste, dont la transformation récente en Banque Postale n’a levé qu’une partie des ambigüités.

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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mêmes réseaux (Caisses d’Épargne, Caisses de Crédit Agricole, de Crédit Mutuel, etc.) ou

exerçant les mêmes activités (sociétés de crédit-bail immobilier ou mobilier,...).

D’importantes opérations de fusions-acquisitions entre des acteurs historiques du secteur

accentuent encore la concentration du secteur100. D’après le rapport annuel 2004 du CECEI, la

situation est désormais la suivante en France : « Depuis l’opération d’adossement du Crédit

Lyonnais auprès de Crédit agricole SA, initiée fin 2002, le nombre de groupes offrant une

gamme complète de services (hors La Poste) sur l’ensemble du territoire métropolitain a été

ramené à six. Les six principaux groupes bancaires concentrent désormais plus de 80% des

crédits et 90% des dépôts, et le groupe Crédit Agricole dépasse le seuil des 25% de parts de

marché dans ces deux catégories ».

I.1.2.b) Une concurrence extra-sectorielle et internationale

La banque de détail française a pendant longtemps été protégée par plusieurs barrières

à l’entrée. La réglementation, tout d’abord, que nous avons évoquée ; le coût du réseau

physique, ensuite ; puis l’existence d’économies de gamme ou d’envergure (De Coussergues,

1996) ; et enfin, le rapport des français à l’argent, frein à leur engagement (Michaud et

Desbiolles, 1998). Leur effritement a permis l’émergence ou l’introduction de nouveaux

acteurs, bancaires et non bancaires, nationaux et étrangers. En parallèle, un mouvement de

spécialisation des acteurs bancaires sur certaines activités a fait évoluer le principe de la

banque universelle, concourant à l’arrivée d’acteurs d’autres secteurs (Lamarque, 1997)

Nous commencerons par traiter des concurrents non bancaires français, et en premier

lieu, des compagnies d’assurance. Les relations que ces dernières entretiennent depuis de

nombreuses années avec les établissements de crédit sont progressivement devenues de plus

en plus concurrentielles, sous le double effet de la déréglementation et des transformations

technologiques. Ces dernières ont considérablement accéléré la redistribution de la donne au

cours des cinq dernières années, permettant à une compagnie d’assurance comme AGF de

créer ex nihilo sa banque en ligne, qui s’appuie sur la force de son réseau physique d’agents.

De même pour Axa qui, en rachetant Banque Directe à BNP-Paribas en 2002, a développé

une offre de produits et services bancaires qui se veut de plus en plus agressive101. Notons que

les établissements de crédit ont concomitamment mis au point une offre de produits

d’assurance en concurrence frontale avec les compagnies traditionnelles.

100 Voir en annexe 1, les principales opérations de concentration intervenues dans le secteur bancaire français. 101 Voir le Journal du Net du 26 octobre 2004 : http://www.journaldunet.com/0410/041026axabanque.shtml

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

76

Les groupes de grande distribution constituent le second pôle de cette concurrence non

bancaire nationale. Le plus souvent, ils ont donné naissance à des filiales détenues à 100%, ou

passé des partenariats avec des établissements financiers spécialisés. Leur stratégie, de plus en

plus offensive, est essentiellement axée autour de cartes privatives102, auxquelles sont attachés

de multiples services, ainsi qu’une réserve de crédit permanent.

Cette nouvelle concurrence est aussi marquée par la création de la Banque Postale,

effective depuis le 1er janvier 2006, dénoncée par les établissements de crédit via la FBF103

(Fédération Bancaire Française).

Les banques françaises comptent également un nombre non négligeable de concurrents

étrangers, dont le rapport 2004 du CECEI, cité supra, dresse un état des lieux à fin 2004. A

cette période, la France comptait 248 établissements de crédit sous contrôle étranger104, le plus

grand nombre ayant une origine communautaire. Même si existent des disparités selon les

segments, leur volume d’activité global reste relativement limité105, de même que le nombre

de leurs guichets permanents106.

Concluons enfin sur l’émergence d’un nouveau type de concurrents, dont les

cassandres avaient prédit qu’ils élimineraient à terme les établissements traditionnels. Les

banques en ligne, encore appelées pure players, de nationalité française (par exemple, Banque

Directe) ou non (comme Egg) n’ont finalement pas été en mesure de remplacer leurs

concurrents dès lors que ces derniers eurent adjoint à leur réseau d’agences des canaux

d’accès à distance (Badoc et al., 2000 ; Bénavent et Gardes, 2006 ; de Perthuis, 2002 ;

Geiben, 2002). La liste des projets ayant échoué en la matière, dressée par le CECEI dans son

rapport annuel 2004 ( : 130), est à ce titre édifiante.

102 Des groupes comme Auchan, Carrefour, Ikea, la Fnac… ont développé ce genre de cartes. 103 La FBF a publié un livre blanc concernant la banque postale, librement accessible à l’adresse suivante : http://www.fbf.fr/Web/internet/content_presse.nsf/0/1805dade671a2768c1256ffc00277912?OpenDocument 104 Du fait de la concentration qu’a connue le secteur en France, les banques commerciales étrangères sont maintenant supérieures en nombre aux établissements nationaux. 105 L’ensemble des banques sous contrôle étranger représentait 9,9 % du total de bilan de l’ensemble des établissements de crédit présents en France à fin 2004, contre 12,6 % en 2001, 11,5 % en 2002, 10,3 % en 2003 (Rapport annuel 2004 du CECEI). 106 En 2004, le nombre des guichets permanents exploités par des banques sous contrôle étranger était de 1 647, contre 1 717 en 2003 (Rapport annuel 2004 du CECEI).

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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I.1.3 Des clients plus exigeants.

Sous l’influence des lois Debré (1966-1967) et de celle instaurant le paiement des

salaire par chèque ou virement (1971), le taux de bancarisation des particuliers (nombre

d’individus détenteurs d’un compte bancaire rapporté à la population totale) est passé de 35 à

70% entre 1960 et 1975. Aujourd'hui à 98% d’après la FBF, il cache d’importantes disparités,

dont la multibancarisation d’une part importante de clients, surtout parmi les plus aisés, cible

la plus intéressante pour les banques107.

Par ailleurs, l’élévation du niveau de formation moyen a accru les compétences de la

clientèle, et lui a permis de se familiariser avec certaines techniques bancaires, de même que

l’apprentissage réalisé par un recours accru aux dites techniques. Une autre conséquence de

cette progression de la connaissance générale des services bancaires tient en ce que le client

est maintenant plus à même d'évaluer la qualité du service qui lui est fourni, car il dispose de

standards qui lui servent de référentiels. De plus, avec l’évolution du rapport des Français vis-

à-vis de l’argent, qui a quitté le domaine du tabou, le caractère presque sacré du banquier et la

crainte qui en résultait se sont nettement amoindris (Zollinger et Lamarque, 2004).

Multibancarisé et mieux informé, le consommateur n'hésite plus à faire jouer la

concurrence sur des produits et services qui se banalisent. Les banques se voient donc dans

l'obligation de revoir leur politique de communication externe (publicité et promotion), et

surtout l'ensemble de la relation client, recourant massivement à des techniques de marketing

qu’elles maîtrisent maintenant, après les avoir longtemps délaissées (Badoc, 2004a ; De

Fournas, 1998 ; Zollinger et Lamarque, 1999).

Enfin, pour ces consommateurs, le temps est devenu une valeur de première

importance dans la vie quotidienne (Lemaitre, 1997). Leur but est donc d’optimiser la durée

des contacts qu’ils ont avec leur banque, sans toutefois que la qualité en soit affectée.

L’introduction et l’apprentissage de nouvelles technologies vise à répondre à ces désirs, en

offrant des possibilités d’accès nouvelles aux services bancaires. Les établissements de crédit

doivent dès lors assurer la compatibilité entre leurs exigences de croissance et de rentabilité,

et les exigences du client d'entretenir une relation plus conviviale, plus rapide et plus souple.

107 Résultats d’une enquête réalisée par Accenture en 2002, dont les résultats sont consultables à cette adresse : http://www.accenture.com/Countries/France/About_Accenture/Newsroom/203ban.htm

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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I.1.4 L’innovation technologique.

Les activités de back office (invisibles aux yeux des clients) sont les premières

concernées par le progrès technique, dès les années 1960 (De Fournas, 1998 ; Lallé, 1991).

De nombreuses opérations sont alors automatisées, de manière à en accroître

considérablement la productivité (par exemple, la saisie des chèques avec la création de la

bande magnétique en bas de ceux-ci). Ces tâches administratives évoluent encore avec

l’introduction du poste de travail en agence, permettant une décentralisation de la saisie

d’informations clients. Puis, la mise à disposition du client de moyens télématiques (Minitel,

services audiotel par téléphone), et dans un second temps informatiques (ordinateurs

personnels connectés à Internet) marque une troisième rupture (Badoc et al., 2000). Cette

arrivée progressive de nouveaux canaux s’est faite peu à peu suivant un phénomène de

substitution relative, que Bendana (2004) explique à l’aune de la théorie de la richesse des

médias. L’introduction progressive de technologies de plus en plus avancées explique en

outre les gains de productivité dans la banque de détail, qu’une étude réalisée par Mc Kinsey

estime à 5,5% par an entre 1994 et 2000 (Négiar et Blanco, 2002).

Nous avons évoqué plus haut l’utilisation par les banques de techniques marketing de

plus en plus poussées. Là encore, il s’agit du fruit d’un recours croissant aux nouvelles

technologies, qui rendent possibles l’exploitation de vastes bases de données pour maximiser

la valeur de chaque client. Ce phénomène est décrit et analysé par Badoc et al. (2000), qui en

retracent les évolutions. Ces auteurs dessinent en même temps les contours de ce qu’ils

appellent le « e-marketing bancaire », dont ils mettent en avant l’importance de la dimension

distributive, elle aussi révolutionnée par les nouvelles technologies : Internet, guichets

automatiques toujours plus perfectionnés, téléphones mobiles, etc. Le recours à l’informatique

pour améliorer la gestion de la relation client grâce à l’utilisation de nouveaux canaux de

distribution, tout en réduisant les coûts est un des éléments centraux de la stratégie

d’investissements des banques de détail françaises (de Chambure, 2005 ; Munos, 2003a).

I.2 LA NÉCESSAIRE ÉVOLUTION DE LA STRATÉGIE ET DE

L’ORGANISATION DISTRIBUTIVES.

Les transformations que nous venons d’exposer représentent pour les banques de

colossaux défis en termes d’adaptation, d’accompagnement, et de pro-activité. En particulier,

résister à la poussée de la concurrence, facilitée par les évolutions réglementaires, s’adapter

aux demandes et profils de comportements nouveaux de leurs clients, et digérer la révolution

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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technique au cœur de laquelle elles se trouvent a eu, et continue d’avoir, de profondes

répercussions sur leur politique tarifaire, leur stratégie de distribution, ou leur structure

organisationnelle (e.g. Bendana, 2004 ; Chorafas, 1999 ; De Fournas, 1998 ; Simon, 1994 ;

Zollinger et Lamarque, 1999, 2004).

Nous nous concentrons ici sur la distribution, dont nous nous attachons à montrer la

portée stratégique (I.2.1). L’introduction de nouveaux canaux a modifié cette activité en

profondeur, et ont été fixés d’ambitieux objectifs découlant des avantages qui vont avec toute

organisation de distribution multicanale (I.2.2). Ceux-ci ne doivent toutefois pas faire oublier

les limites d’une telle organisation (I.2.3). Enfin, nous nous penchons sur la traduction

opérationnelle de la mise en place d’un réseau de distribution multicanal bancaire (I.2.4).

Pour traiter de ces éléments, nous nous appuyons, outre la littérature sectorielle, sur

des extraits d’entretiens menées dans une phase de prise de contact avec le terrain avec en

corollaire l’objectif d’améliorer notre connaissance sectorielle108. Ces entretiens, au nombre de

5, furent répartis dans 4 établissements, auprès desquels nous nous sommes engagés à ne pas

communiquer leurs noms. Nous les nommons donc simplement Banque 1, 2, 3 et 4109.

I.2.1 L’importance stratégique de la distribution.

Nous nous accordons avec Badoc (2004a) lorsqu’il indique que « l’élaboration d’une

politique de distribution constitue probablement la décision la plus lourde pour la banque »

( : 224). L’auteur justifie ses propos en expliquant que cette stratégie est déterminée par des

facteurs aussi divers et interreliés que le coût financier, les conséquences sociales des

décisions qui s’y rapportent, la réglementation, l’adéquation du système informatique, la

politique de sécurisation des transactions, la cohérence avec la politique commerciale,…

L’importance stratégique de ces décisions transparaît également dans les travaux de

Lamarque (1998 ; 2000). Les résultats de son étude empirique montrent que, avec la gestion

des risques, l’architecture du réseau de distribution est une compétence distinctive, qui par

conséquent permet la construction durable d’un avantage concurrentiel. Son analyse est

d’autant plus intéressante qu’elle a été menée en deux vagues, à intervalle de quatre années

(1995, puis 1999), la seconde confirmant et enrichissant les résultats de la première. Ses

conclusions éclairent les résultats d’une enquête menée par la Commission Bancaire, publiés 108 Nous donnons plus d’informations sur cette première phase de prise de contact p. 280 et suivantes. 109 Comme cela est précisé dans le chapitre 5 où est exposé le processus de la recherche, les entretiens menés dans les banques 1 et 4 n’ont pu être enregistrés, mais ont fait l’objet d’une prise de note intensive. Les verbatims concernés sont donc occasionnellement des reconstitutions des propos tenus par nos interlocuteurs.

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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en 2004110. Ladite enquête montre que la majorité des grandes banques françaises et

européennes n’externalisent pas (ou très peu) leurs centres d’appels, qui sont devenus des

pièces maîtresses de leurs réseaux de distribution. Ces établissements préfèrent en conserver

la maîtrise, de peur de voir une partie de la relation client leur échapper.

Ce caractère stratégique explique par ailleurs l’échec des tentatives d’introduction sur

le marché français des banques purement en ligne, auxquelles nous nous sommes déjà

brièvement référés. L’espoir de ces dernières était que la seule dimension coût pouvait leur

permettre de disposer d’un avantage concurrentiel. En effet, leur fonctionnement n’intégrait

pas les coûts fixes considérables liés à l’existence et à l’entretien d’un réseau physique

d’agences, ce dont elles profitaient pour proposer des prix inférieurs à leurs concurrents

traditionnels. Mais des études mettent en évidence le besoin de doser judicieusement entre

relation physique et relation humanisée, pour chaque métier et chaque segment de clientèle

(Lamarque, 1996).Et dans ce cas, la tarification avantageuse proposée par les nouveaux

entrants ne peut rivaliser avec la culture du dialogue et de l’échange physique (de Perthuis,

2002 ; Simon, 2002) Voilà résumée simplement, mais très concrètement, la raison première

du revers encaissé par les pure players, et à nouveau illustré le caractère stratégique du réseau

de distribution. Dans ce cas, le couplage entre réseau historique, et développement de

nouveaux canaux a joué à plein son effet de barrière à l’entrée, laquelle semblait pourtant

vouée à disparaître grâce à l’introduction des nouvelles technologies, et notamment Internet.

Depuis lors, bien que l’engouement relativement irrationnel autour des nouvelles

technologies soit retombé comme un soufflé avec l’éclatement de la « bulle Internet »

(Delhommais, 2002), la banque de détail a lancé une véritable réflexion autour du

développement d’architectures multicanales. Au réseau historique d’agences, qui s’était

progressivement enrichi tout d’abord des distributeurs et guichets automatiques, puis durant

les années 1980 du Minitel et des services automatisées par téléphone (Badoc et al., 2000 ; De

Fournas, 1998), se sont donc greffés de nouveaux services de banque à distance : Internet,

téléphonie mobile, télévision interactive, centres d’appels. Les plus grands établissements

bancaires se sont lancés au début de la décennie 2000 dans des plans d’investissements

massifs pour refondre leur réseau de distribution en y intégrant ces nouveaux canaux. A titre

d’exemples, le Crédit Lyonnais a consacré 122 millions d’euros à la mise en place d’un

système de distribution multicanal, tandis que la Société Générale a mis sur la table 260

110 « L’externalisation des activités bancaires en France et en Europe », Bulletin de la Commission Bancaire, N° 31, novembre 2004.

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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millions d’euros dans le cadre de son projet 4D (Dispositif de Distribution multicanal pour la

banque de Détail de Demain)111. L’importance stratégique de ces décisions nous a d’ailleurs

posé problème pour accéder au terrain, nous y reviendrons.

I.2.2 Les objectifs du développement du multicanal dans

la banque de détail…

Nous venons à l’instant de quitter l’un des objectifs initiaux de la mise en place d’un

réseau de distribution multicanal dans la banque de détail : résister aux nouveaux entrants qui

menaçaient de réussir à contourner la barrière du réseau physique pour s’implanter sur le

marché national.

Les autres objectifs se ramènent à la volonté des banques de profiter des avantages

propres à tout réseau de distribution multicanal, présentés dans notre premier chapitre. Nous

les rappelons en quelques mots112.

Tout d’abord, diminuer le coût global de distribution, le coût de réalisation d’une

opération par téléphone ou sur Internet pouvant être de 95% moindre que celui de la même

opération réalisée en agence (Sharma et Krishnan, 2002). Par-delà ces avantages-coûts relatifs

des canaux, cette baisse peut aussi résulter d’économies d’échelle ou d’envergure propres à

leur combinaison. Celles-ci sont rendues possibles par une mise en commun de ressources

(informatiques, interface...) qui deviennent transversales au lieu d’être affectées à un seul et

unique canal. Il ressort de l’étude empirique réalisée par Bénavent et Gardes (2006) que cette

question de la maîtrise des coûts de distribution est une véritable obsession pour l’ensemble

du secteur, et qu’il s’agit « du moteur principal qui oriente les décisions » ( : 28).

Accroître la satisfaction des clients à l’égard de leur banque vient en second. Le

multicanal procure aux clients des avantages qu’ils valorisent fortement. En premier lieu, la

souplesse : ils ne sont plus dépendants ni des horaires, ni de l’emplacement géographique de

leur agence, et peuvent dès qu’ils le souhaitent réaliser la quasi-totalité de leurs opérations

courantes chez eux, ou à un GAB. Second avantage, une qualité de service supérieure, comme

la rapidité du décrochage et du traitement des appels par un centre de relations clients.

Troisième objectif, fidéliser et approfondir la relation client (Munos, 2003b). D’une

part en effet, l’accroissement de satisfaction que provoque le multicanal est supposé 111 Montants étalés sur 5 ans – Les Echos du 22 novembre 2000 pour le Crédit Lyonnais, et du 18 décembre 2000 pour la Société Générale. 112 Les propos qui suivent sont basés sur Plé, 2005.

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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engendrer une fidélité plus forte du client vis-à-vis de son établissement bancaire. D’autre

part, la multiplication induite des contacts entre le client et sa banque offre la possibilité de

modéliser plus précisément son comportement pour lui faire des offres commerciales toujours

plus adaptées à ses besoins... accroissant dès lors sa satisfaction.

S’ensuit la volonté d’augmenter la demande globale adressée à l’entreprise. Rappelons

que les résultats d’Easingwood et Storey (1996) montrent qu’un réseau de distribution

multicanal dans la banque induit une augmentation des ventes de l’entreprise, et une

profitabilité supérieure à celle de l’utilisation d’un canal unique.

Enfin, un autre des présupposés forts du développement du multicanal dans la banque

de détail est de libérer du temps commercial pour les conseillers des agences (Munos, 2003a).

Ces derniers, déchargés de la gestion de tâches à faible valeur ajoutée (demandes de virement,

commandes de chéquiers, soldes...), peuvent alors se concentrer sur des missions de conseil à

forte valeur ajoutée, tout en adoptant une démarche commerciale pro-active. Cette dernière

préoccupation n’est pas indépendante de l’objectif de réduction de coût précité.

Responsable marketing particuliers et professionnels, Banque 1

« La logique est très simple, en fait. On libère les commerciaux du temps que leur prenaient

toutes ces petites opérations, et ça leur en prenait beaucoup, et on leur dit : ‘maintenant, vous

exploitez ce temps pour faire du commercial’. Comme ça, ils peuvent contacter leurs clients,

leur proposer des produits, les recevoir tranquillement, etc. »

I.2.3 … Ne doivent pas en occulter les limites.

Ces limites renvoient aux risques que porte tout réseau de distribution multicanal. De

ce fait, nous procéderons comme précédemment, et les présenterons de manière courte, sans

perdre de vue l’adaptation de nos propos au secteur.

Même si il s’agit de leur objectif prioritaire, la baisse de coût que visent les banques de

détail en développant un réseau de distribution multicanal n’est pas acquise. En effet,

l’empilement des canaux sans réelle logique d’ensemble, dans l’espoir de bénéficier

uniquement des avantages-coûts relatifs de chacun d’eux, renchérira fort probablement le coût

total. Il sera de même si les clients n’utilisent pas tous les services du nouveau canal, en

continuant par exemple à privilégier l’agence pour faire des retraits ou des virements, ou

obtenir des relevés de compte, alors que la banque a investi dans un site Internet et un réseau

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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de GAB pour réaliser ces mêmes opérations à moindre coût. Plusieurs enquêtes nord-

américaines donnent corps à ces hypothèses.

Par exemple, une étude menée par le cabinet Mc Kinsey révèle que dans la banque de

détail américaine, l’utilisation d’Internet et des distributeurs automatiques ont fait reculer le

coût moyen des transactions (consultation des soldes et historiques de comptes, retraits, etc.)

de près de 15% en 15 ans. Mais sur la même période, leurs volumes ont doublé : du fait de la

commodité et facilité de réalisation de ces opérations, induites par les nouveaux canaux, les

clients les réalisent beaucoup plus souvent que lorsqu’ils devaient faire la queue en agence.

Au final, servir chaque client coûte globalement plus cher (Myers et al., 2004). Jonathan

Witter, responsable de la distribution de Wachovia, l’une des plus grandes banques

américaines, reconnaît lui-même, dans un récent entretien accordé à la revue Banking

Strategies, cette augmentation des coûts dans son entreprise, qui va totalement à l’encontre

des espérances placées dans ces nouveaux canaux113. Un de nos interlocuteurs affichait

également son scepticisme à l’égard de la réalité de cette diminution de coût.

Directeur des études et du développement, Banque 2

« Vous savez, cette réduction de coût, elle n’est pas si évidente que cela. Il ne faut pas oublier

de prendre en compte le coût global. Et quand on calcule ce coût global, donc les coûts de

développement du site Internet, du call-center, et autres comme le Wap sur lequel on travaille

actuellement, les économies, on les cherche ».

La réaction des clients constitue un autre des risques notables auquel est confronté le

multicanal : ils peuvent ne pas être satisfaits par les services offerts par les nouveaux canaux,

ou par le changement des habitudes induits par leur simple existence. Nous y reviendrons plus

loin, de même que sur les réticences internes au changement.

Ces dernières sont également très fortes dans la banque de détail. Le personnel

travaillant en agence, seul dépositaire de la relation client avant l’introduction des nouveaux

canaux, peut entraver le bon fonctionnement de l’ensemble en n’incitant pas les clients à les

utiliser. Ces réticences sont d’autant plus vigoureuses que les conseillers du réseau

considèrent que ces outils mis à la disposition des clients cannibalisent une partie de la

demande, compliquant l’atteinte de leurs objectifs commerciaux.

113 http://www.bai.org/bankingstrategies/2005-jan-feb/rationalize/. Les raisons données par Jonathan Witter sont identiques à celles données dans l’étude réalisée par Mc Kinsey.

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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Le temps commercial que doivent libérer ces nouveaux canaux au profit des agences

ne va pas non plus de soi. Tout d’abord, il est très difficile à mesurer réellement, du fait de

l’enrichissement permanent des tâches des conseillers. Il peut aussi être utilisé par les

employés pour soulager leur travail administratif, au détriment du commercial.

Rappelons pour conclure que ce que nous avons développé dans le premier chapitre, à

savoir que multicanal ne rime pas toujours avec gain de nouveaux marchés (Easingwood et

Storey, 1996), et que la non-harmonisation de l’information à destination du client (comme

des réponses divergentes sur un taux de crédit) peut entraîner ce dernier dans la confusion.

I.2.4 Les traductions opérationnelles du développement

du multicanal bancaire.

Nous avons déjà évoqué les différents canaux qui sont au cœur de la réflexion

multicanale dans la banque de détail : agences, centres d’appels, serveurs vocaux interactifs,

Internet, téléphone mobile, télévision numérique, distributeurs et guichets automatiques (ces

derniers étant de plus en plus fréquemment regroupés sous la bannière LSB, pour Libre-

Service Bancaire, dont la palette de services est de plus en plus étendue) sont les principaux.

Cette liste illustre que se sont greffées de nouvelles interfaces à d’autres plus anciennes. D’où

cette triple interrogation : l’arrivée de ces nouveaux canaux a-t-elle eu des retentissements sur

les canaux classiques ? Quelles furent les conséquences de leur introduction sur la relation

entre la banque et ses clients ? Et enfin, comment réussir à gérer la nouvelle architecture

distributive qui en résulte ?

I.2.4.a) L’impact du développement des nouveaux canaux sur l’organisation traditionnelle.

L’arrivée de nouveaux canaux de distribution devait signifier, nous l’avons déjà relevé

maintes fois, la fin des réseaux d’agences : le « click » était supposé prendre l’ascendant sur le

« brick », qui représente le canal historique de contact avec la clientèle et de distribution. La

réalité s’avère toute différente, puisque force est d’admettre que c’est plutôt à un renouveau

de l’agence et de ses fonctionnalités que nous assistons.

Sur un plan quantitatif, tout d’abord, le nombre de guichets permanents a progressé

depuis l’an 2000, puisque la Banque de France nous informe qu’il est passé de 25 657 à

26 370114. Ce flux cache un second événement, qui est une réorganisation géographique des

114 Cf. annexe 2.

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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réseaux d’agences, grâce à l’utilisation de techniques de géomarketing permettant un meilleur

maillage du territoire en fonction du potentiel de génération et de croissance du PNB associé à

la zone géographique couverte par le point de vente (Ciret, 1998 ; Moutet, 1998). Ce vaste

redéploiement est primordial, puisque si nous prenons le cas du Crédit Agricole, chaque

nouvelle agence permet de conquérir entre 200 et 300 nouveaux clients chaque année, durant

sept à dix ans115. Dans un esprit proche de visibilité de la marque, les automates bancaires ont

également fait l’objet d’une redistribution géographique (Geiben, 2002). Par ailleurs, les

agences sont également différenciées en fonction de leurs lieux d’implantation, ce qui joue sur

les objectifs qui leur sont fixés.

Responsable de la stratégie clients / canaux, banque 3

« Nous avons commencé à développer des agences de captation de clientèle, qui sont situées

dans des zones de chalandise importantes, telles des centres commerciaux. Là, c’est plutôt de

l’information qu’on donne. Et en parallèle, nous avons nos agences de centre-ville, qui sont

presque exclusivement réservées au conseil, où les clients sont connus et reconnus, et où ils

cherchent un certain standing, un certain confort… »

Outre cette réorganisation géographique, l’apparence et l’organisation interne des

agences sont revues en profondeur pour répondre aux exigences nouvelles induites par la mise

en place des nouveaux canaux, ou de leur utilisation accrue résultant de leur

perfectionnement. L’agence accorde maintenant une large place à l’automatisation.

L’installation d’espaces de libre-service bancaire, généralement situés à l’entrée de l’agence

dans un hall dédié, accessibles en dehors des horaires d’ouverture de celle-ci, en est une

expression concrète s’il en est. Ces guichets automatiques, qui proposent une gamme de

services de plus en plus riches (retraits d’espèces, virement, consultation de compte,

commande de chéquiers, dépôts de chèques ou d’espèces, voire pour certains établissements

commercialisation de produits non bancaires comme des cartes pour téléphone mobiles, ou

l’achat de places de spectacles, etc.), sont dédiés à la réalisation par le client de tâches

répétitives, à faible valeur ajoutée. Cette réorganisation est accompagnée de programmes de

formation afin que les personnes auparavant mobilisées à plein temps par ces opérations

puissent développer une activité d’accueil et de vente de produits simples (cartes bleues, par

115 Chiffres donnés par Alain Strub, directeur des relations avec les caisses régionales chez Crédit Agricole SA, dans un entretien accordé à La Tribune, datée du 06 janvier 2005.

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exemple), accompagner les clients dans leur utilisation de ces nouveaux outils, prospecter

téléphoniquement pour le compte des conseillers de clientèle de l’agence, etc.

Parallèlement, le recours croissant aux centres d’appels pour accueillir les clients qui

joignent leur banque par téléphone, qu’il s’agisse de serveurs vocaux interactifs (le client

réalise seul ses opérations) ou non (le client entre en contact avec un téléconseiller) a libéré du

temps commercial en agence pour que les conseillers se concentrent sur les demandes de leurs

clients. D’aucuns estiment que si dans les années 1990, ils passaient environ 30% de leur

temps à des tâches strictement commerciales, contre 70% pour de l’administratif, ce ratio se

situe aujourd'hui aux alentours de 50 à 70% pour les agences les plus en pointe116. Quoiqu’il

en soit, l’influence de ces nouveaux canaux sur le renouvellement organisationnel des agences

est une certitude (Harker et Hunter, 1998).

Ces transformations ne sont toutefois pas exemptes d’embûches. Ainsi, l’installation

des espaces de libre-service représente un danger souligné l’un de nos interlocuteurs :

Directeur des études et du développement, Banque 2.

« Il y a quand même un danger, je pense qu’il ne faut pas non plus se couper complètement

du flux dans les agences, parce que bien souvent, ça permet d’alpaguer des gens, de leur dire

‘ben si vous avez cinq minutes, j’aimerais vous parler de quelque chose’. Certains réseaux

ont mis des murs d’argent à l’extérieur de leurs agences, et finalement, ils se coupent du

trafic, et se rendent compte que ce n’est plus forcément ce qu’il faut faire. Je pense qu’il faut

aussi mettre des bornes, des choses un peu technologiques qui aident le client à faire, mais

dans l’agence, parce que comme ça, si le conseiller de clientèle a vraiment quelque chose à

lui dire, qu’il le reconnaît, qu’il peut le voir, il peut aller le choper… C’est une histoire de

merchandising d’agence ».

Gérer l’impact des nouveaux canaux sur l’existant nécessite également de poser la

question de la complémentarité ou de la substituabilité de ces entités les unes par rapport aux

autres. Dans les pays scandinaves, par exemple, la réponse apportée fut de supprimer des

agences pour les remplacer par les canaux de contacts à distance (Leinonen, 2002). De même

au Royaume-Uni117. Nous savons pour l’avoir écrit plus haut que les banques françaises sont

allées à l’encontre de ce mouvement, faisant par la même occasion preuve d’un remarquable

116 Chiffres communiqués par Joël Nadjar, partner chez Accenture, dans Avenel (2005). 117 La Tribune datée du 17 septembre 2004.

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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mimétisme stratégique. Tous les établissements installés ont dès le début annoncé maintenir

l’agence au cœur de leur stratégie distributive. Ainsi, Etienne Pfimlin, président du Crédit

Mutuel, déclare que l’agence est et restera « le pivot de la relation banque / client » 118. De

même en va-t-il à la BRED - Banques Populaires, qui développe un système de « réseau de

réseaux » autour de l’agence, qui reste le pilier de la relation client, autour de laquelle

gravitent des canaux alternatifs que le client est libre de contacter119. Enfin, une étude récente

réalisée par Forrester Research renforce la position dominante de l’agence dans cette stratégie,

puisque 61% de trente-trois dirigeants de banques européennes la classent en tête des canaux

de distribution et de vente pour 2007 (Avenel, 2005).

La gestion de cette complémentarité (traitée infra, cf. p 93)est une des raisons pour

lesquelles il est nécessaire d’obtenir l’adhésion du personnel du réseau pour réussir le

lancement des nouveaux canaux. Une seconde est inhérente à la nature de certains de ces

nouveaux canaux. L’accès au site Internet ou au serveur vocal, par exemple, est considéré

comme un service que vend la banque à ses clients. Or, ce service est vendu par les conseillers

de clientèle de l’agence. Leur adhésion à ces nouveaux canaux est donc indispensable, à peine

de menacer le niveau de leur utilisation par la clientèle. Or, cette adhésion n’est pas toujours

acquise vis-à-vis d’outils qu’ils considèrent comme une menace. Ces quelques passages issus

de nos entretiens sont éclairants sur cette situation et les moyens de la contourner.

Responsable marketing particuliers et professionnels, Banque 1

« Cela n’a rien à voir avec l’affect du conseiller. Non, rien à voir. On rentre dans un domaine

différent, qui est celui de ses primes, de ses objectifs, etc… De toute façon, c’est nous qui

décidons. On fixe des objectifs, et si il veut toucher ses primes, il doit les atteindre. Donc

l’accès à ces nouveaux outils, il n’a pas le choix, il doit le vendre pour toucher sa prime »

118 Interview accordée à BanqueMagazine, n°634, mars 2002 : 30-33. 119 Extrait du projet Orion de la BRED, adapté par la rédaction dans le supplément au n° 606 de Banquemagazine de septembre 1999 sur les canaux de distribution.

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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Directeur des études et du développement, Banque 2

« On était plusieurs à penser que ce ne serait pas évident […] qu’il fallait sans doute faire un

accompagnement du changement. […] Au démarrage de notre call-centrer, ça marchait pas

très très bien. Donc on a fait des enquêtes, et on s’est aperçu qu’il y avait un frein

psychologique, finalement, on me pique mon métier… Il y a le fait que moi, je connais bien

mon client, je suis le seul à le connaître, et vous vous le connaissez pas, ce qui n’est pas

vraiment vrai […] et puis il y a le frein face aux nouvelles technologies ».

« Le terrain considère que ces nouveaux canaux, c’est zéro PNB en plus, donc pourquoi

s’embêter à aller promouvoir ce truc, dépenser du temps, de l’argent, de la sueur, etc.. ».

« C’est pas parce que vous avez des canaux à distance que, justement, il faut tout gérer à

distance. Il faut que vos conseillers de clientèle, ils connaissent le contenu de votre site

Internet, qu’ils puissent faire une démonstration à vos clients, etc. Donc on leur dit, utilisez le

site Web, par exemple, pour votre propre situation ».

I.2.4.b) L’impact du développement des nouveaux canaux sur la relation banque / client.

L’ampleur de ces transformations ne va pas sans peser sur les relations entre les

banques et leurs clients, puisque ceux-ci ont à leur disposition une large palette de possibilités

d’entrer en contact avec celles-là. Ils n’en expriment pas moins une réelle volonté de

conserver un point de contact fixe auquel se référer quand ils le souhaitent : l’agence. Ce

comportement valide la stratégie de développement de nouveaux canaux autour de ce point de

vente physique que nous venons de présenter. Quelques chiffres appuient ces propos : 93%

des Européens se déplacent dans leur agence pour entrer en contact avec leur banque, contre

14% qui exploitent les nouveaux canaux dans ce but. Quant à la relation avec leur conseiller,

51% des clients le connaissent depuis plus de 5 ans, et 66% depuis plus de deux ans. Enfin, 93

% des Français refusent la disparition de leur agence120. Les français apprécient également

fortement l’accueil qu’ils ont en agence, puisque 58% des clients s’en déclarent satisfaits, et

38% extrêmement satisfaits121. Ce que l’un de nos interviewés explicite de cette façon.

120 Résultats d’une étude réalisée en 2002 par Novamétrie auprès d’une trentaine de leaders d’opinion français et européens sur l’évolution de l’agence bancaire, et de 1000 clients bancaires particuliers européens. Principaux résultats disponibles sur : http://www.novametrie.com/html/secto_agence-futur01.html 121 Résultats d’une étude réalisée par le Benchmark Group, en mai 2003, auprès de 1187 internautes. Résultats consultables sur http://www.journaldunet.com/0307/030703enquetebanque1.shtml

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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Directeur des études et du développement, Banque 2

« Si le client veut un engagement contractuel, il passe à l’agence. Ça matérialise aussi le

face-à-face, le contrat, etc. L’élément physique dans un monde où le flux financier, c’est de

l’immatériel, c’est quand même vachement important […] Et moi, j’ai quand même

l’impression qu’aujourd'hui on a fantasmé, et que finalement, les clients sont pas mûrs. C’est

peut-être une question de génération » (s’agissant de l’éventualité du remplacement des

agences par les seuls canaux à distance).

Il n’empêche que les clients bancaires apprécient l’existence de ces moyens d’accès à

leur banque, dont ils considèrent qu’ils leur simplifient la vie. Ainsi, 54% des clients estiment

positive la possibilité de joindre un téléconseiller tard le soir122. En revanche, le passage quasi-

obligé par un centre d’appels, qui plus est sur un numéro surtaxé, au lieu de pouvoir joindre

directement leur conseiller durant la journée, semble leur déplaire. Internet, au contraire,

s’attire leurs faveurs, 57% d’entre eux étant très satisfaits des services Web de leur banque123.

Cette relation banque – client dépend par ailleurs de plus en plus du recours à des

techniques de segmentation, dont le but est de déterminer le couple client / canal le plus

efficient (des Garets, 2005). Chorafas (1999) propose par exemple de segmenter la clientèle

en fonction de ses revenus et du temps dont elle dispose. De cette manière, il distingue d’un

côté les clients riches en argent, mais pauvres en temps, et vice-versa. Les premiers n’ont

donc a priori pas le temps de se rendre en agence, alors que leur profil fait d’eux les plus

rémunérateurs pour la banque, puisque nécessitant des services sur-mesure. Cette dernière

doit donc faire montre d’adaptabilité et de souplesse pour s’ajuster à leurs besoins (horaires

d’ouverture de l’agence, déplacements des conseillers à domicile, etc.), allant même jusqu’à

créer des agences spécialisées dans le traitement de leurs demandes (agences patrimoniales).

Les seconds ont aussi droit à des services de qualité, mais dont la nature fait qu’ils sont

fortement automatisables. Suivant une logique de contrôle des coûts, ces clients sont donc

incités à se reporter autant que possible vers les canaux automatisés, sur lesquels ils pourront

réaliser seuls la majorité, sinon la totalité, de leurs opérations (Internet, serveurs vocaux, LSB,

etc.).

122 Étude Benchmark citée. 123 Résultats d’une seconde enquête Novamétrie, réalisée en 2004, et qui indique que seuls 29% des clients sont satisfaits des contacts téléphoniques qu’ils ont avec leur banque. Résultats disponibles sur : www.novametrie.com/html/secto_internetbque01.html

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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Directeur des études et du développement, Banque 2

« Il faut bien segmenter l’offre de banque à distance en fonction des profils. En ce sens qu’il y

a des canaux qui sont faits pour certaines clientèles, et d’autres pour d’autres clientèles. Je

pense que Internet est, et restera sans doute encore pour quelques années, un canal,

notamment pour Internet sur la bourse, à destination d’une clientèle plutôt avertie, plutôt

haut de gamme […] Le petit client qui demande tout le temps la position de son compte, lui

c’est vers le téléphone qu’il faut l’orienter, et là, on a un gain de productivité ».

Mais Bénavent et Gardes (2006) relèvent que « les clients les plus riches et les mieux

éduqués ont une préférence pour les canaux automatiques et à distance que les plus modestes

n’ont pas et ne peuvent avoir car ils ne sont pas forcément équipés » ( : 29). Ce constat va

dans le sens de celui de Mizrahi (2000), dont nous avons fait mention dans notre premier

chapitre (cf. p. 27). De ce fait, ajoutent Bénavent et Gardes, « l’ajustement économique se

heurte à un ajustement d’usage » (ibid.). Ainsi, la réussite de ce modèle réside notamment

dans la capacité de la banque à orienter les clients vers le canal qui leur est théoriquement

destiné dans cette logique d’efficience.

Cette orientation en fonction des objectifs des établissements bancaires, en tête

desquels la réduction des coûts, amène Munos (2003a) à dire que les clients ont, ou auront à

terme moins de choix dans le mode de contact. Elle cite comme raisons invoquées par les

dirigeants rencontrés durant son étude empirique : la volonté de mieux utiliser et répartir

l’expertise du personnel en contact dans les agences et les centres d’appels ; l’amélioration de

l’entreprise en augmentant l’externalisation sur le clients ; la rentabilisation de l’ensemble des

canaux à distance ; la diminution du lien de dépendance des clients vis-à-vis d’un point de

vente dont les heures d’ouverture doivent être dédiées au traitement d’opérations à forte

valeur ajoutée… Dans le même ordre d’idée, De Perthuis (2002) relève que les acteurs qui

retirent les meilleurs résultats d’une stratégie de distribution multicanale, en termes de coûts,

sont ceux qui parviennent à faire réaliser la plus grande part des opérations par leurs clients.

Cette orientation vers un canal plutôt que vers un autre, les banques tentent de

l’organiser non seulement d’après les critères de segmentation sus-évoqués, mais aussi en se

basant sur le niveau de complexité des opérations. Lorsque cela répond aux objectifs de coûts

fixés par la banque, il s’agit d’assurer la migration des clients vers un canal plutôt que vers un

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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autre124 (Munos, 2003a). Afin d’atteindre ce but, chaque canal utilisé de manière non-

conforme à ce que souhaiterait la banque joue un rôle de prescription qui vise à réorienter le

client vers le « bon » canal pour une opération ultérieure, c'est à dire adéquat au niveau de

complexité de cette opération. Ce qu’illustre la figure 2-1.

Figure 2-1 : La prescription croisée entre les canaux pour atteindre la situation idéale aux yeux de la banque

Source : Adapté de Munos (2003a) : 13-14

La figure 2-1 peut laisser penser que toutes les banques sont à la recherche de cette

même situation. Cela n’est pas forcément éloigné de la vérité, mais toutes n’emploient pas

cependant les mêmes méthodes pour amener les clients à passer d’un canal à un autre. La 124 Ce que Vanheems (1995) appelle la « translation de canal ».

Situation initiale Le client utilise presque toujours le canal qu’il

souhaite, mais en cas de recours à un canal inadapté

à la complexité de son opération, il se voit

réorienté vers un autre canal pour sa prochaine

opération de même nature

Situation désirée par la banque

Le client n’a pas le choix : en fonction du niveau de

complexité de chaque opération est affecté un

canal, et le client est obligé d’utiliser le canal adéquat si il veut que soit réalisée

son opération

Le canal de distribution utilisé par le client correspond à la volonté de la firme

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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fermeture de l’accès à un canal, notamment, peut n’être pas officialisée, mais avancer à pas

feutrés. Ainsi, certains établissements bancaires recourent à l’arme de la tarification pour

dissuader des clients de passer par un canal particulier, quand d’autres indiquent

explicitement l’impossibilité d’utiliser un canal. En voici deux exemples concrets.

Dans le courant de l’année 2000, les agences du Crédit Mutuel affichaient à leur entrée

que des opérations de guichet comme le retrait d’espèces seraient dorénavant exclusivement

réalisées dans les espaces de libre-service. Les clients ne disposant pas de carte en avaient une

temporaire mise à leur disposition, fournie par le chargé d’accueil de l’agence, afin de réaliser

cette opération. A l’inverse, BNP-Paribas permet à ses clients de retirer de l’argent au guichet

de leur banque, mais cette opération est payante (5€) dès lors que ce service peut être obtenu

au DAB de l’agence concernée125. En d’autres termes, le client ne souhaitant pas payer pour

obtenir ce service se voit contraint de prendre une carte bancaire afin d’effectuer son retrait,

même si la banque laisse en apparence le choix du canal. De sorte que, si il y a un véritable

mimétisme stratégique quant à la place centrale de l’agence dans les dispositifs multicanaux,

la situation diverge quant à la manière de guider les clients dans la jungle multicanale.

Certains optent pour des stratégies agressives là où d’autres affichent plus de souplesse.

Responsable marketing particuliers et professionnels, banque 1

« Non, ici ils n’ont pas le choix. Les appels vers les agences arrivent automatiquement dans

un centre d’appels, et les clients ne peuvent pas avoir leur conseiller au téléphone en

appelant. Mais par contre, le client peut décider du canal qu’il souhaite utiliser pour réaliser

des opérations comme le retrait d’espèces, la commande de chéquier, etc. Si il vient au

guichet pour cela, on le servira. Mais bien sûr, ce ne sera pas gratuit ».

Responsable de la stratégie clients / canaux, banque 3

« Le principe, c’est que tous les clients ont accès à tous les canaux. Mais on essaie de les

amener à passer par d’autres moyens que l’agence, comme le téléphone ou les DAB, pour

réaliser des petites opérations qui nous coûtent assez cher, et ne rapportent pas grand-

chose ».

125 Source : Plaquette des conditions et tarifs des produits et services pour les particuliers de BNP-Paribas, janvier 2006.

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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En complément, il convient de noter qu’une large frange des clients s’adresse

spontanément à l’un ou l’autre des canaux en fonction du caractère impliquant de leur

demande (Robinet, 2004). Mais la difficulté réside dans ce que banque et client ne partagent

pas toujours la même vision de ce qu’est un projet impliquant.

I.2.4.c) La nécessité de la cohérence organisationnelle.

D’un document interne remis par l’une des banques contactées (la banque 4), nous

extrayons cette phrase qui résume parfaitement cet enjeu de cohérence :

« Le modèle de distribution actuel, dit pluricanal, prend déjà en compte les différents canaux

par lesquels le client entre en contact avec notre établissement. Mais ces canaux sont

cloisonnés : ils ne sont pas reliés entre eux. Le multicanal crée les passerelles indispensables

à une action coordonnée. Le dispositif est cohérent et plus efficace ».

Plus loin dans ce document, nous apprenons que ce cloisonnement disparaît grâce à

l’instauration de liens entre les canaux par l’intermédiaire d’un outil spécifique de GRC

(Gestion de la Relation Client). Autrement dit, primauté est nettement donnée au système

d’informations et aux bases de données pour aménager le nouvel ensemble et coordonner les

canaux. Le système d’information, et l’informatique en général, se sont vus dotés d’un rôle

primordial pour établir les ponts entre canaux et réussir à gérer l’ensemble nouvellement

constitué126. Or, si leur besoin est indéniable, se concentrer uniquement sur eux peut faire

oublier de gérer et d’accompagner les changements induits par la nouvelle organisation. Cela

est patent dans les propos tenus par le directeur des études et du développement rapportés plus

haut, lorsqu’il évoque la nécessité d’accompagner le changement, déplorant que son

entreprise ne soit pas à la pointe en ce domaine. D’autres citations renforcent tant ce que nous

avançons sur le primat de l’informatique, que sur la nécessité d’une réflexion plus globale.

Responsable marketing particuliers et professionnels, Banque 1

« Ben, pour coordonner tout cela, il y a l’informatique. Que voulez-vous qu’il y ait d’autre ?

Moi je ne vois pas. Avec un bon réseau, vous partagez tout entre les canaux, et vous êtes

tranquille. Après, il faut pas que ça tombe en panne, c’est évident ».

126 Cette situation est criante dans le numéro spécial de Banquemagazine de septembre 1999 consacré aux canaux de distribution.

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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Directeur des études et du développement, Banque 2

« De toutes façons, vraiment, l’interaction des canaux, on peut la faire que si vous avez la

structure informatique qui va bien et qui le permet ».

L’ampleur des transformations implique de penser à leur mise en place longtemps

avant que cette dernière ne soit effective. La majorité des projets de refonte des infrastructures

informatiques et de déploiement de la banque multicanale annoncée par les établissements

nationaux avait un horizon de 5 ans en moyenne (généralement entre 1999 / 2000 et 2004 /

2005). L’importance stratégique de ces plans, les montants engagés, la durée de leur

réalisation, sont autant de facteurs qui ne les encouragèrent pas à communiquer de manière

détaillée à leur sujet.

Responsable de la communication du projet de banque multicanale, banque 4

« Ce projet est un projet de très grande envergure pour notre groupe. Il implique énormément

de modifications de grande ampleur, une refonte totale de notre stratégie de distribution […]

On marche actuellement sur des œufs, les syndicats font très attention aux changements que

ça peut amener dans les agences, et le réseau ne voit pas toujours ça d’un très bon œil… ».

La gestion de la cohérence du nouvel ensemble a donc pour cœur l’informatique, qui

est mise au service de deux objectifs fondamentaux : assurer la complémentarité au niveau

des services offerts et des opérations réalisées par les différents canaux ; et assurer une

complémentarité au niveau de la qualité de service.

Le premier type de complémentarité (sur le plan des services et des opérations) a déjà

été largement abordé supra, lorsque furent croisés nature des canaux et degré de complexité

des opérations pour déterminer par quel canal le client devait passer. Il ne s’agit rien moins

que de spécialiser les canaux sur des tâches spécifiques adaptées à leur capacité à fournir le

service sans baisse de la qualité, et en accord avec leur structure de coût. Les agences sont

donc spécialisées sur le conseil, tandis que d’autres canaux ont pour mission d’effectuer des

tâches à faible valeur ajoutée susceptibles d’être automatisées facilement, et transférées

totalement ou partiellement sur le client. La prescription croisée que nous avons mentionnée

plus haut participe pleinement de ce mouvement de spécialisation de chaque canal. Bénavent

et Gardes (2006) parlent à ce sujet d’une dichotomie entre enrichissement et allégement. Le

premier consiste à « user d’un canal pour capturer un besoin et le renvoyer vers un cala

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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mieux adapté (par exemple, un simulateur de crédit sur le web renvoyant vers l’agence pour

la négociation) […] », alors que le second vise « à dérouter des demandes d’informations

vers des canaux mieux adaptés, c’est-à-dire moins coûteux » ( : 31).

Responsable marketing particuliers et professionnels, Banque 1

« Tout dépend de l’objet de la demande du client pour l’agence ou pour les canaux

alternatifs. Pour le service, ce sont les canaux complémentaires qui seront utilisés. Pour

recruter un client, l’agence sera privilégiée, tout comme pour les ventes à plus forte valeur

ajoutée ».

Directeur des études et du développement, Banque 2

« Ce qui devrait à terme perdurer dans les agences, c’est le conseil à valeur ajoutée,

lorsqu’on vient voir un expert pour un crédit immobilier, pour sa situation patrimoniale, pour

de l’épargne, ainsi de suite, mais pour les petites choses de la vie quotidienne, genre la

consultation du compte, les passages d’ordre de bourse où j’ai pas besoin de conseils sur les

valeurs… Des petites opérations simples comme demander à mon conseiller de clientèle

d’augmenter mon virement sur mon PEL, ça devrait davantage se gérer à distance. Donc

nous, c’est aussi ce qu’on essaie plus ou moins de faire en vendant des canaux à distance

pour réaliser ces petites opérations à distance »

Cette spécialisation n’est pas toujours aisée à réaliser, en raison de ce que les clients ne

sont peut être pas encore tous prêts à s’y contraindre. Mais elle est de toute évidence

nécessaire pour prouver au réseau que, en concordance avec les discours officiels, les canaux

sont réellement complémentaires, et que les agences ne sont pas menacées. Pour cette raison,

il est difficile de proposer des offres spécifiques sur Internet, par exemple, car cela comporte

le risque d’être en porte-à-faux vis-à-vis des agences. Un de nos interlocuteurs notait à ce

sujet que c’est pour cette raison que son établissement ne proposait pas sur son site d’offre

susceptible de contrer celles provenant de pure players, comme ING Direct. Il est

indispensable de ne pas envoyer deux messages contradictoires au personnel du réseau.

Si la spécialisation est de mise, il n’en demeure pas moins que certaines activités se

recoupent entre les canaux. Les centres d’appels, voire pour certains établissements le site

Internet, ont la possibilité de vendre des produits simples comme des cartes bleues, des livrets

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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d’épargne de base (comme le livret d’Épargne Populaire), etc. Mais comme à nouveau, le

souci majeur est de rassurer les agences sur leur avenir, et surtout en ce cas sur la partie

variable de leur rémunération, sont édictées des règles strictes de comptabilisation des ventes.

Directeur des études et du développement, Banque 2

« C’est une crainte qui est en train de se lever, parce que de toute façon, nous, on ne

comptabilise pas d’objectifs sur les canaux à distance. Tout ce qui est fait par les canaux à

distance sur les clients des agences est comptabilisé pour les agences ».

Responsable de la stratégie clients / canaux, Banque 3

« Ce que nous faisons ici, en fait, c’est de demander aux canaux à distance de pratiquer du

rebond commercial. Soit ils vendent le produit, soit ils renvoient le client à l’agence, ça

dépend de la nature du produit. Par exemple, pour un prêt à la consommation, le

téléconseiller demandera au client d’aller voir en agence. Mais dans tous les cas, la vente, si

elle intervient, sera affectée aux objectifs du conseiller d’agence correspondant ».

Cette spécialisation et ce renvoi vers l’agence pour des produits plus complexes dans

la majorité des banques, répond aussi à une donnée spécifique au secteur : celle du risque. En

raison de la nature de leur activité, les établissements bancaires sont soumis à une

contraignante réglementation, qui ne peut être dissociée de la stratégie de distribution. Le

conseiller de l’agence est ainsi responsable de la note de risque de son portefeuille de clients,

et la maîtrise d’autant mieux qu’il est formé à l’évaluation de ce risque, et qu’il entretient des

contacts directs et répétés avec ses clients, dont il connaît la situation personnelle.

Directeur des études et du développement, Banque 2

« Il y a aussi une problématique, dans les banques, qui est embêtante, et qui est une

problématique de risque. Ca fait partie du boulot… Il y a le commercial, mais le métier de

banquier, c’est aussi le métier du risque. Et qu’est-ce qui se passe si les canaux à distance

commencent à vendre du crédit-revolving, alors que moi je considère qu’il n’en faut pas pour

ce client, que sa situation de compte n’est pas bonne, et ainsi de suite ? Donc c’est plus facile

pour les canaux à distance de vendre des petits produits, cartes bancaires, petits produits

d’assurance… que d’aller vendre du crédit, où ça peut être un peu plus délicat ».

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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Enfin, tous nos interlocuteurs ont fortement insisté sur l’impérieuse nécessité d’une

cohérence dans la qualité du service offert au client afin d’assurer la complémentarité aux

yeux des clients, donc d’accroître leur satisfaction (Grönroos, 2001 ; Zeithaml et Bitner,

2003). Pour cela, les canaux sont évalués grâce à la mise sur pied d’indicateurs de qualité de

service, certains communs à l’ensemble des canaux (par exemple, la qualité du partage de

l’information entre les canaux), d’autres répondant à la spécificité propre de chaque canal (par

exemple, le nombre de sonneries avant décrochage pour un centre d’appels, ou la vitesse de

chargement des pages du site Internet). Ils sont dans le sillage de Badoc et al. (2000), qui

insistent également sur l’entrelacement de la cohérence organisationnelle des canaux de

distribution et la satisfaction de la clientèle.

Responsable marketing particuliers et professionnels, Banque 1

« Si vous voulez que les canaux soient réellement complémentaires, il faut qu’ils offrent un

service de qualité identique à vos clients. Donc nous, notre raisonnement pour mettre en

place cette complémentarité, il est basé sur la qualité de service ».

Directeur des études et du développement, Banque 2

« Il faut avoir de la productivité sur le téléphone, elle est importante. Mais il faut aussi que

ces canaux à distance apportent une qualité de service aussi bonne, si ce n’est meilleure, que

celle des agences. Je sais que nous, on a commencé avec une optique très productiviste, et on

revient dessus…»

Responsable de la stratégie clients / canaux, Banque 3

« Après, la complémentarité entre les canaux, c’est aussi la qualité de service. J’irais même

jusqu’à dire, c’est surtout la qualité de service. Il faut qu’elle soit identique partout, quel que

soit le canal que le client utilise […]. Nous la mesurons donc régulièrement, et nous avons

mis au point des indicateurs de qualité qui sont propres à chaque canal. Cela nous permet

d’assurer un suivi, tout en mettant la pression sur les collaborateurs pour être sûrs qu’ils font

en permanence leur maximum pour le client ».

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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Le cadre sectoriel de notre recherche est maintenant planté. Nous allons pouvoir

passer à la présentation de notre première étude de cas, exploratoire, qui nous permettra

d’avancer dans la précision de notre question de recherche.

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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SECTION II. L’ÉTUDE DE CAS EXPLORATOIRE : LE CAS

BANQUE GÉNÉRALE DU NORD127 (BGN)

Ce qui ressort de la présentation précédente et de sa structure est que les

établissements bancaires ont adopté une démarche apparemment rationnelle de choix et

d’évolution des canaux en fonction de facteurs tels les coûts de distribution ou la qualité de

service délivrée au client. Cette vision est toutefois purement idéaliste, et il en va dans le

secteur bancaire comme dans bien d’autres : le « bricolage » y est de rigueur, comme nous en

avertissent Bénavent et Gardes128 (2006 : 31).

Ces auteurs écrivent cela en 2006, à partir d’entretiens réalisés en 2005. Nous nous

situons, en ce qui concerne l’étude exploratoire qui suit, en 2001. A cette période, les banques

étaient en pleine réflexion et ébauche de leurs projets de banque multicanale, et c’est peu de

dire que ce bricolage était d’ores et déjà de rigueur. Cela transparaît d’ailleurs dans certaines

des citations utilisées plus haut. De plus, toutes les données, primaires ou secondaires, à notre

disposition émanaient d’instances dirigeantes ou d’organismes officiels. Or, comme nous

nous intéressons à l’interface en tant que telle, il était indispensable d’aller voir sur le terrain,

dans les canaux, comment étaient vécues ces transformations, et de quelle manière était

opérationnellement gérée la mise en place des nouvelles organisations distributives. En

d’autres termes, il s’agissait d’aller voir comment se faisait ce bricolage au quotidien,

comment il était vécu par le personnel travaillant sur ces canaux, dans une optique de

construction de notre objet de recherche. En effet, l’absence relative de travaux sur les

organisations de distribution multicanales posait la difficulté de la construction d’une grille de

lecture ex-ante, limite que notre étude exploratoire devait nous permettre de surmonter dans

l’optique de la réalisation d’études de cas ultérieures.

Dans un premier temps, nous procédons à un rapide détour méthodologique. Les

modalités de la collecte et de l’analyse des données de cette étude exploratoire sont exposées

(II.1), dans le but de marquer la différence avec les deux autres études de cas que nous

présenterons ultérieurement. Puis nous passons en revue le cas BGN afin de montrer quels

enseignements il nous a apporté pour la suite de notre recherche (II.2, II.3, II.4, II.5, II.6).

127 Cette banque ayant demandé à rester anonyme, nous substituons donc un pseudonyme à son nom véritable. 128 Ils se font en cela l’écho des extraits d’entretiens rapportés par Coelho et Easingwood (2003) sur le management des canaux, et que nous avons déjà cités dans notre premier chapitre (cf. p 59).

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

100

Pour information, le recours au terme « réseau » dans les paragraphes qui suivent

renvoie exclusivement au réseau d’agences, selon l’appellation sectorielle consacrée. Pour

éviter toute ambigüité, nous ajouterons systématiquement le qualificatif « multicanal »

lorsque nous nous référerons au réseau constitué par l’ensemble des canaux.

II.1 COLLECTE ET ANALYSE DES DONNÉES

Le cinquième chapitre de cette thèse est entièrement dédié au positionnement

épistémologique et à la méthodologie de l’ensemble de la recherche. Nous avons toutefois

pris le parti de faire un point rapide sur la méthodologie propre à l’étude exploratoire, à la fois

pour éclairer dès maintenant le lecteur sur les modalités de collecte (II.1.1) et d’analyse

(II.1.2) des données de ce cas, et pour préciser certaines spécificités de cette étude sur

lesquelles nous ne revenons pas dans notre cinquième chapitre.

II.1.1 La collecte des données du cas BGN.

II.1.1.a) L’accès au réel.

Nous avons établi les premiers contacts avec le directeur de l’une des cinq directions

régionales de la BGN, que nous avions déjà eu l’opportunité de rencontrer lors de la

réalisation de notre mémoire de DEA. Un premier entretien de deux heures fut réalisé en

octobre 2000, intégralement enregistré et retranscrit. Nous le rencontrâmes à nouveau en juin

2001, au cours d’une brève entrevue non enregistrée, à l’issue de laquelle il nous donna

l’autorisation de mener des entretiens dans le réseau et sur les deux plates-formes. Il nous

orienta ensuite vers la directrice de la force de vente et la responsable des plates-formes. Au

cours d’un entretien assez rapide (30 minutes environ) et non enregistré à sa demande, la

première détermina avec nous les quatre agences dans lesquelles seraient menés les entretiens,

prenant bien soin de nous préciser que sans l’aval du directeur régional, elle ne nous aurait

jamais laissé faire pour un sujet tel que celui-là.

Après en avoir bénéficié auprès de la directrice de la force de vente, nous avons à

l’inverse cherché à gommer ce parrainage lorsque nous nous sommes adressés aux agences.

Nous voulions absolument éviter que les conseillers ne considèrent notre travail comme une

mission commandée par la direction générale, ce qui aurait risqué de provoquer un certain

blocage dans leurs réponses. En dépit de cette précaution, certains répondants exprimèrent

expressément leurs doutes sur notre indépendance : « ça paraît plus être une mission initiée

par la BGN, sur la plate-forme » (BGN LECL 03).

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

101

II.1.1.b) Les méthodes de collecte de données.

L’essentiel des données recueillies le fut au moyen d’entretiens semi-directifs129.

Nous avons également récupéré deux cassettes vidéo, des documents écrits et une

revue de presse destinés à une diffusion interne. Les deux cassettes avaient pour but, l’une

d’introduire la plate-forme sortante au réseau, l’autre, la plate-forme entrante. La première fut

réalisée à l’époque par la remplaçante de la responsable des plates-formes, qui était alors en

congé maternité. A son retour, cette dernière visionna la cassette et décida finalement de ne

pas la diffuser, nous expliquant : « Sachant que ce qu'il y a dessus, vraiment, une fois que

vous avez vu ça, vous vous dites, c'est pas possible de lancer une plate-forme téléphonique

sortante. C'est vraiment le truc, les commerciaux, ils voient tout en noir, ils disent, les clients

vont pas aimer du tout, de toute façon, le client veut parler qu'à moi tout seul ».

En effet, les conseillers du réseau exprimaient dans cette vidéo toutes leurs craintes et

appréhensions vis-à-vis de cette innovation distributive. Le but initialement recherché avec

cet outil de communication interne était en fait de mettre en avant leurs réticences à l’égard de

cette plate-forme, de manière à les faire lever progressivement par les initiateurs du projet.

La seconde cassette avait été réalisée sous l’égide de la responsable des plates-formes,

et présente l’activité de la plate-forme entrante sous la forme de plusieurs mises en situation

de traitement de la demande d’un client par un téléconseiller. Cette mise en situation explique

les situations dans lesquelles le téléconseiller doit renvoyer le client vers son agence. La

cassette inclut également des interventions formelles du directeur marketing et du directeur

général de la banque, qui insistent sur l’importance stratégique de la transformation.

Nous avons également été autorisé à passer une demi-journée d’observation non-

participante sur les deux plates-formes, qui étaient regroupées dans le même bâtiment. Enfin,

nous nous sommes appuyés sur des articles de presse et de revues managériales.

II.1.1.c) Le guide d’entretien.

Ce guide fut bâti à partir d’éléments présentés en première partie de ce chapitre. Plus

exactement, son socle se compose de ces trois sous-sections : l’impact du développement des

nouveaux canaux sur l’organisation traditionnelle ; l’impact de ces nouveaux canaux sur la

relation avec les clients ; la nécessité de la cohérence organisationnelle. Nos questions étaient

129 Les modalités de leur réalisation sont celles décrites dans le cinquième chapitre. La liste des interviewés figure pour sa part en annexe 3.

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donc centrées sur ces trois grands thèmes, que nous n’avons toutefois pas repris comme tels

dans notre guide, pour éviter certaines redondances risquant de lasser notre interlocuteur.

En définitive, notre guide d’entretien se divisait comme suit :

Ø Description du parcours professionnel et du travail quotidien de l’interviewé

(notamment de manière à établir l’empathie et à le mettre en confiance).

Ø Introduction des nouveaux canaux : communication interne, changements

annoncés, réactions parmi les conseillers, etc.

Ø Échanges entre les canaux : modes de communication, procédures, etc.

Ø Relations avec les clients : évolution des relations, impact des nouveaux

canaux sur cette évolution, perception de l’évolution future, etc.

Il dut parfois être adapté d’après le poste occupé par le répondant. Sa structure ne

variait pas, mais à titre d’exemple, le thème des relations avec les clients était généralement

plus approfondi avec les conseillers qu’avec les téléconseillers (en cause, la nature des

contacts). Quant aux membres de la direction, n’étant pas en contact direct avec les clients, ils

avouèrent parfois ne pas être en mesure de nous apporter de réponses, et nous apportèrent plus

d’informations sur les deux premiers thèmes.

Les questions du guide n’étaient pas figées, de manière à nous adapter à la situation de

chaque entretien. Notre but premier était que tous les thèmes soient systématiquement

abordés, que ce soit ou non dans l’ordre (adapté en fonction des réponses du répondant).

II.1.1.d) Les canaux étudiés.

Les questions du guide mentionnent « canaux de distribution ». Sous cette appellation

générique, se trouvent tout particulièrement l’agence, les deux plates-formes, et le site Internet

du groupe. En effet, nous avons progressivement exclu les autres canaux pour les raisons

suivantes :

Ø La télévision interactive était trop peu utilisée pour que nos interlocuteurs

soient en capacité de nous apporter des informations à son sujet.

Ø Les DAB / GAB permettaient essentiellement le retrait d’espèces.

Ø L’utilisation du serveur vocal interactif par les clients était transparente pour

les conseillers (hormis en cas de problème dont ils nous firent part).

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103

II.1.2 L’analyse des données du cas BGN130

Comme l’écrivent Charreire et Huault (2001), « le processus d’exploration nécessite

de procéder de manière inductive ou abductive, en allant du particulier à des conjectures plus

générales ». Il se caractérise également par la volonté de créer de la théorie à partir des

données recueillies (Strauss et Corbin, 1998) Pour cette raison, la méthode d’analyse des

données de ce cas diffère en partie de celle exposée dans notre cinquième chapitre. Nous nous

attacherons donc ici à mettre en exergue les particularités de l’analyse de ce cas.

II.1.2.a) Le codage des données.

Les codes sont « des étiquettes qui désignent des unités de signification pour

l’information descriptive ou différentielle compilée au cours d’une étude » (Miles et

Huberman, 2003 : 112). La littérature comportant relativement peu d’informations nous

permettant d’élaborer nos codes a priori, il semble naturel que ceux-ci soient profondément

ancrés dans les données recueillies. Cela renvoie immédiatement à des modes d’analyse

proches de la Grounded Theory, présentée par exemple par Strauss et Corbin (1998). A

l’instar de nombreux autres auteurs (e.g. Gibbs, 2002 ; Langley, 1999), nous nous sommes

néanmoins quelque peu détachés de certains des principes inhérents à cette approche, en ce

sens qu’elle exige par exemple d’entreprendre collecte et analyse de données de manière quasi

simultanée, ce que nous n’avons pas fait.

Dans un premier temps, une lecture flottante des entretiens et documents à notre

disposition nous permit de nous familiariser avec les données, et de commencer à identifier

quelques régularités (Bardin, 1977). Cette lecture flottante se fit sur papier, à l’inverse des

suivantes qui se firent en mobilisant un logiciel d’analyse de données qualitatives : Nvivo 2.

Un des avantages de ce genre d’outil pour un codage inductif repose dans la facilité de

la réorganisation des codes entre eux. A l’inverse, cette même facilité peut mener le chercheur

à l’inflation de codes, dans une logique de description et de connaissance approfondies, à un

point tel que tout réarrangement peut s’avérer problématique. Bien que conscient de ce risque,

c’est pourtant un piège dans lequel nous sommes tombés. Suivant les préconisations de la

première étape de codage de Strauss et Corbin (1998), le codage ouvert, nous avons procédé à

une analyse en profondeur, ligne par ligne, de nos entretiens. Pour nous apercevoir que, après

codage de seulement cinq entretiens, nous nous trouvions déjà devant une liste de plus de 220

130 Nous restons volontairement très succinct sur les notions de codage, dictionnaire des thèmes, fiabilité, etc… au motif que nous les reprendrons de manière plus détaillée dans notre cinquième chapitre.

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codes, dont il serait un euphémisme de dire que leur manipulation s’avérait de plus en plus

complexe. 210 étaient répartis sous la forme d’une arborescence131 (30 codes principaux et

leurs « enfants »), tandis que 10 étaient des « codes libres »132.

Ainsi, plutôt que de tenter de tout réorganiser, ce qui risquait d’être très long et source

de multiples erreurs, avons nous fait le point sur les codes existants, pour voir ceux que nous

pouvions conserver, regrouper, ou étions susceptibles de supprimer du fait de leur extériorité

à notre question de recherche, et avons nous commencé à établir une nouvelle liste. Doté de

celle-ci, nous avons donc repris à zéro l’intégralité du codage, pour faire évoluer notre liste au

fur et à mesure, tout en prenant garde à limiter l’inflation du nombre de codes.

II.1.2.b) L’élaboration du dictionnaire des thèmes.

Nous situant dans une logique d’analyse thématique de contenu (Bardin, 2001, 2003),

nous avons ensuite progressivement regroupé ces codes pour qu’ils constituent les propriétés

d’un nombre plus réduit de thèmes, ou « méta-codes » (Miles et Huberman, 2003 : 133). Cette

phase correspond peu ou prou à ce que Miles et Huberman (2003) appellent « la codification

thématique », qui n’est pas sans rappeler le « codage axial » de Strauss et Corbin (1998).

Toutefois, si la rédaction de notre travail implique la linéarité, il convient de préciser que ces

deux étapes de codage et d’élaboration du dictionnaire des thèmes furent extrêmement

imbriquées (de même d’ailleurs que la troisième, de liaison entre les thèmes, même si elle

apparut plus tardivement dans le processus). De cette manière, si généralement les codes

précédèrent les thèmes (agrégation des codes pour aboutir aux thèmes), l’inverse est

également survenu (cf. ci-après l’explication de la construction du thème LÉGITIMITÉ).

Nous avons finalement abouti au dictionnaire des thèmes qui suit (Tableau 2-2).

131 « Tree nodes » dans la terminologie de Nvivo. 132 « Free nodes » dans la terminologie de Nvivo.

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Tableau 2-2 : Dictionnaire des thèmes – cas BGN

THÈMES PROPRIÉTÉS CODES DESCRIPTIONS

Externalisation CLT Ext Report d’activités sur le client grâce aux nouveaux canaux

Réaction CLT Réac Perceptions par les employés des réactions des clients face aux nouveaux canaux

CLIENT

Individu CLT Indiv Caractéristiques personnelles du client

CONNAISSANCE Connaissance des autres canaux CONN

Connaissance du travail, des objectifs, des procédures, et de l’utilisation des autres canaux

Stratégique CONT Strat Description de la concurrence, de l’environnement, des conditions socio-économiques

Organisationnel CONT Orga Situation organisationnelle préalable aux nouveaux canaux

CONTEXTE

Individuel CONT Indiv Approche personnelle de la clientèle / Perception personnelle des nouvelles technologies

IMPLANTATION Mise en place des canaux IMPL

Gestion organisationnelle de la mise en place et du développement des nouveaux canaux

INDULGENCE Indulgence à l’égard des collaborateurs

INDU Compréhension et justification des erreurs commises par les collègues travaillant sur un canal différent

Outils INT Out Outils supportant les interrelations entre les canaux

Procédures INT Proc Règles et procédures mises en place pour gérer les interrelations entre les canaux

INTERRELATIONS

Intensité INT Int Perception de l’importance quantitative des interrelations entre les canaux

Recherche LEG Rech Expression de la recherche de légitimité par les nouveaux canaux

Reconnaissance LEG Reco Expression de la reconnaissance de légitimité par le réseau LÉGITIMITÉ

Déni LEG Déni Expression de doutes sur la légitimité des nouveaux canaux

Quantité TRAV Quant

Charge de travail perçue par les employés des canaux replacée dans la dynamique multicanale TRAVAIL

Qualité TRAV Qual Qualité du travail réalisé par les employés des canaux replacée dans la dynamique multicanale

Soit un total de 8 thèmes et 17 codes

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Les quelques exemples qui suivent visent à illustrer la conception de ce dictionnaire :

Ø Le code CONT Strat provient à l’origine d’une multitude de codes décrivant

les conditions socio-économiques, concurrentielles ou le marché dans lequel

évolue la BGN. Puis, la comparaison du contenu de ces multiples codes avec

d’autres travaux (notamment Dameron, 2000) nous a donné l’idée d’intituler

ce thème CONTEXTE, auquel ont ensuite été assignées ses différentes

propriétés (stratégique, organisationnel, individuel). Nous noterons au

passage que Strauss et Corbin (1998) admettent l’utilisation de thèmes / codes

issus de la littérature, même si ils ne le conseillent pas.

Ø Le code INDU, renvoyant à l’indulgence, est un code « in vivo » : il est

directement issu du terrain, cette notion d’indulgence ayant été explicitement

citée par l’un de nos répondants (BGN PFS 2).

Ø Le thème LÉGITIMITÉ a émergé après un incident expliqué plus loin (cf. p

134). Une meilleure connaissance et compréhension des jeux politiques à

l’œuvre dans la banque nous a conduit à le créer, puis à l’éclater selon trois

propriétés différentes.

Ø Le code CLT Réac fut à l’origine de la création du thème CLT, que nous

avons ensuite scindé selon trois propriétés. Ce même code CLT Réac est le

résultat de ce que nous qualifierons un exemple paroxystique tiré du terrain,

qui pour le coup nous a frappé durant la réalisation d’un entretien (BGN MN

2). Alors que nous n’avions pas réellement pris conscience de l’importance de

ces réactions sur le fonctionnement du réseau de distribution multicanal,

l’explication par ce conseiller de la réaction d’un de ses clients face à la mise

en place des nouveaux canaux, et des implications de cette réaction sur son

travail nous a conduit à lire attentivement nos entretiens pour y vérifier son

occurrence et ses modalités d’apparition. Il s’avéra alors que la manifestation

saillante de ce phénomène n’était que le haut de l’iceberg, puisqu’il était

présent dans de nombreux autres entretiens133.

133 Attention : au plan chronologique, nous avons réalisé l’analyse approfondie des entretiens après la réalisation de l’ensemble de ces derniers. Par conséquent, comme nous l’expliquons, cet « exemple paroxystique » nous a surpris durant l’entretien cité. Rien ne dit que nous ne l’aurions pas vu durant l’analyse. Cette précision est d’importance, car la présentation qui en est faite peut faire croire en l’existence d’un biais nous ayant conduit à sur-représenter cette propriété, ce qui d’après nous n’est pas le cas, comme le montrent d’ailleurs les résultats du double codage.

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Ø Pour le thème TRAVAIL, nous avons distingué entre la charge et la qualité

en repérant des mots clés dans les passages codés. Ainsi, dès qu’étaient

présentes les notions de gain de temps, de quantité de travail, etc., nous

rapportions cela à la charge de travail, donc à la propriété Quantité. En

revanche, si il s’agissait de valorisation, d’expressions telles « petites

demandes », etc, nous rapportions cela à la Qualité. La distinction fut parfois

rendue plus complexe par l’imbrication de ces propriétés au sein d’une même

phrase par les interviewés, nous obligeant occasionnellement à double-coder

un même passage (Gibbs, 2002).

II.1.2.c) Les relations entre les thèmes.

L’analyse nous laissa peu à peu entrevoir des relations entre les différents thèmes,

voire entre leurs propriétés. La présence ou l’absence de ces relations est cruciale, puisqu’elle

permet d’accroître le sens extrait des données, et de renforcer la qualité de l’analyse (Strauss

et Corbin, 1998).

Pour simplifier le repérage de ces relations, nous avons recouru aux modèles proposés

par Nvivo. Ces modèles permettent des représentations schématiques des liens entre les

variables, qui ne sont autres que les thèmes et leurs propriétés. Ces liens sont apparus soit

directement entre les thèmes, soit au niveau de leurs propriétés. La facilité de représentation

schématique de ces liaisons sous Nvivo nous permit une meilleure compréhension du contenu

des données, et facilita la rédaction ultérieure. La figure 2-2 correspond à l’une de ces

représentations schématiques réalisées sous Nvivo.

Figure 2-2 : Exemple de représentation schématique des relations entre les variables issue de Nvivo.

(6 2) LEG Reconnaissance

(6 3) LEG Déni

(5 3) INT Intensité

(1 2) CLT Réaction(1 3) CLT Individu

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Par exemple, ce schéma nous permet de visualiser l’impact de la propriété individu du

thème client sur la réaction des clients, laquelle va influencer la perception de la légitimité

qu’ont les conseillers des plates-formes : soit reconnaissance, soit déni de légitimité. Enfin,

cette perception de la légitimité, comme nous le montrerons plus loin, module l’intensité des

interrelations entre les canaux.

II.1.2.d) La fiabilité de l’analyse.

La fiabilité de l’analyse sera revue en détail dans le cinquième chapitre. En ce qui

concerne le cas BGN, nous avons fourni notre dictionnaire des thèmes à un collègue

chercheur134, ainsi qu’un total de six entretiens à recoder (quatre issus des agences, et un de

chacune des plates-formes). Le taux de fiabilité inter-codeur atteignit 78%, là où Miles et

Huberman estiment qu’il ne faut pas s’attendre à un taux supérieur à 70 ou 80%.

II.2 PRÉSENTATION DE LA BGN135

La présentation des nouveaux canaux et de leur dynamique de développement (II.2.1)

est précédée d’une rapide introduction sur la BGN (II.2.2). S’ensuivent quelques précisions

sur les différentes catégories de conseillers que nous avons rencontrées (II.2.3), et sur le

contexte particulier de la BGN au moment où nous avons mené notre enquête (II.2.4).

II.2.1 Présentation générale.

La Banque Générale du Nord (BGN) est un établissement régional du Nord de la

France, adossé à un grand groupe national anciennement détenu par l’état, et privatisé à la fin

des années 1990. A cette occasion, son rachat par l’un de ses concurrents nationaux a

débouché sur la constitution de l’un des plus importants groupes bancaires de proximité

français. Sa présence est importante dans les grandes zones industrielles et urbaines, où son

réseau est au service de trois cibles de clientèles : les entreprises (notamment les PME

régionales) ; les professionnels ; et enfin, les particuliers. Nous nous sommes strictement

intéressés aux canaux visant cette dernière catégorie de clientèle.

La BGN est dirigée par une direction de groupe, qui délègue une partie de ses pouvoirs

à cinq directions régionales.

134 Nous tenons à remercier Isabelle Cornu-Lefebvre pour le temps qu’elle nous a accordé. 135 Il s’agit d’une description de l’état de l’entreprise début 2002, l’étude de cas exploratoire s’étant déroulée entre juin 2001 et mars 2002.

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II.2.2 Le développement des nouveaux canaux à la BGN.

Dans le contexte de remodelage sectoriel des réseaux distributifs que nous avons

précédemment décrit, la BGN était, durant la période 2001-2002, en pleine réflexion sur

l’évolution de l’architecture de son réseau de distribution. Au début de l’année 2002, celui-ci

comptait six canaux principaux, que présente la figure ci-après.

Figure 2-3 : Les canaux de la BGN en 2002136

Le réseau d’agences, lieu historique du contact avec les clients et de la distribution des

produits et services, compte près de 150 agences au moment de l’étude, et connaît une

véritable cure de jouvence. En sus de l’ouverture de nouvelles agences, les points de vente

plus anciens sont progressivement réaménagés, quand ils ne se voient pas affecter de

nouveaux locaux.

La plate-forme téléphonique sortante débuta son activité courant 1998. Comptant

douze employés, elle émet des appels à destination des clients, et a pour but de venir en

renfort de l’ensemble des agences de la BGN, en pratiquant surtout dans un premier temps des

opérations commerciales spécifiques, comme la vente de produits simples ou la prise de

rendez-vous pour les conseillers agence. Ces opérations sont mises en place de manière

centralisée à partir de listings clients dressés par la direction marketing. Sans toutefois

disparaître, cette centralisation se met progressivement en retrait pour laisser plus de place à

des échanges directs entre conseillers et plate-forme, comme nous le verrons ensuite.

136 A but de clarté, la figure 2-3 ne fait pas apparaître les interrelations entre les canaux, à l’indépendance desquels le lecteur pourrait croire. Ceux-ci n’en sont pas moins reliés entre eux, comme nous l’expliquerons ensuite.

Canaux de distribution de la BGN

Réseau d’agences

Plate-forme téléphonique sortante

Serveur Vocal Interactif

Internet Minitel

Télévision interactive

Plate-forme téléphonique entrante

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Le serveur vocal interactif propose des services téléphoniques automatisés, accessibles

à toute heure par les clients, leur permettant essentiellement de consulter leurs comptes,

commander des chéquiers, ou encore faire opposition à leur carte bleue. Toute communication

avec ce serveur peut également, en fonction de l’horaire où elle est réalisée, être réacheminée

vers la plate-forme entrante, soit à la demande du client, soit en cas d’erreur de sa part dans la

composition de son code secret.

L’usage du site Internet, qui prend progressivement le relais des services minitel, de

moins en moins utilisés par la clientèle, est encore relativement restreint au moment de notre

étude, mais connaît une croissance marquée. Le client peut par exemple y consulter ses

comptes, réaliser des virements, commander des chéquiers, télécharger ses relevés de

comptes, passer des ordres de bourse en bénéficiant d’une tarification préférentielle, ou

encore s’informer sur les produits et services de sa banque. L’offre est peu ou prou identique

sur la télévision interactive, canal toutefois très peu utilisé par les clients. Notons qu’aucun de

ces trois canaux (Internet, Minitel et télévision interactive) n’a d’activité commerciale : le

client ne peut y acheter aucun produit ou service.

La plate-forme entrante fut lancée au milieu de l’année 2000. Elle réceptionne les

appels de clients qui souhaitent passer des ordres de bourse en dehors des heures ou jours

d’ouverture de leur agence, les aide en cas de problèmes rencontrés sur le serveur vocal,

répond à leurs questions sur des produits ou services de la BGN, réalise des opérations

bancaires de base (telles une commande de carte bancaire), ou propose des produits et

services simples à la clientèle (à l’instar de la plate-forme sortante). Contrairement à certains

de ses concurrents, la BGN n’avait pas instauré au moment où nous avons réalisé notre étude

de cas un re-routage automatique des appels des clients vers la plate-forme137. La démarche

d’entrée en relation avec la plate-forme entrante est donc volontaire, et les clients ont pour

cela souscrit à un abonnement mensuel à ce que nous pouvons qualifier de package de

services de banque à distance.

En effet, les nouveaux canaux de la BGN sont commercialisés comme autant de

nouveaux services proposés aux clients, qui s’inscrivent tous dans une logique de

complémentarité vis-à-vis des agences traditionnelles. Et certains d’entre eux sont regroupés

dans ce package (que nous nommerons BAD par la suite), lequel est vendu à la fois par les

agences, mais aussi plus ponctuellement par la plate-forme sortante lors de certaines de ses

137 Pour être exact, une agence-test fut mise en routage automatique durant notre étude. Mais nous avons décidé de ne pas y réaliser d’entretiens en raison de l’absence de recul sur l’événement.

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opérations commerciales. Ainsi, tout comme c’est le cas pour la plate-forme entrante, accéder

au site Internet ou à l’interface de télévision interactive implique de souscrire un abonnement

mensuel, qui permet d’avoir un code et un mot de passe pour utiliser ces services. Le serveur

vocal interactif ne nécessite pas d’abonnement, mais chaque appel est facturé à la minute.

Enfin, nous avons délibérément exclu distributeurs et guichets automatiques de cette

description, qui n’offraient à cette époque ni consultation de comptes, commande de

chéquiers, ou possibilité de réaliser des virements, etc., se limitant à la distribution d’espèces.

II.2.3 La répartition du personnel opérationnel en agence.

Dans un souci de commodité, nous utiliserons ultérieurement la dichotomie conseiller

/ téléconseiller, pour contraster entre d’un côté le personnel des agences, et de l’autre, celui

des plates-formes. Mais la réalité est plus complexe, et l’appellation générique de

« conseiller » cache des différences détaillées dans le tableau 2-3.

Conscient de la perte d’information que ce raccourci peut engendrer, et désireux de

l’éviter, nous ne reprendrons cette distinction à notre compte que lorsqu’elle nous permettra

de mettre en évidence des différences entre les trois profils de conseillers.

Tableau 2-3 : les différents postes de conseillers à la BGN

DÉNOMINATION DU POSTE CARACTÉRISTIQUES

Chargé de clientèle particulier

Doté d’un portefeuille assez volumineux, de 500 à 600 personnes. Sa clientèle est modeste, avec de faibles revenus, et ne consomme que peu

de produits d’épargne, généralement très simples (livrets d’épargne populaire, Codevi, etc.), ne fait pas d’opérations de bourse

Conseiller de clientèle particulier

Doté d’un portefeuille un peu moins important (300 à 500 clients). Sa clientèle est généralement âgée de 25 à 40 ans, en mesure de réaliser des

projets tels l’acquisition de leur premier, voire second, logement, et consomme quelques produits d’épargne dont la réalisation occasionnelle

d’opérations boursières. Un second niveau de conseiller de clientèle particulier existe, dont la clientèle est un peu plus fortunée (donc besoins

d’épargne plus évolués…).

Conseiller patrimonial Portefeuille très restreint (200 à 250 clients). Il apporte à sa clientèle des

solutions personnalisées, sur-mesure, afin de correspondre à leurs besoins d’épargne, dans la gestion de leur portefeuille boursier, etc.

S’ajoutent à ces trois catégories d’employés en agence, les guichetiers, qui bien qu’en

contact avec les clients ne possèdent pas de portefeuille, et les directeurs d’agence, dont

l’activité inclut la gestion de leur équipe, la responsabilité des résultats de leur point de vente

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(du fait du caractère mutualiste de la BGN), et une activité commerciale généralement tournée

vers les entreprises et les professionnels, dont ils peuvent à l’occasion gérer les comptes

personnels. Nous n’avons pas interrogés les premiers, du fait de l’absence de gestion d’un

portefeuille client. Les directeurs de chaque agence où ont été menés les entretiens, en

revanche, ont également été rencontrés.

II.2.4 Un contexte particulier.

Par-delà les transformations sectorielles qui affectent naturellement la BGN, cette

dernière connaît des transformations internes qui peuvent se décliner selon trois axes :

Ø Racheté par l’un de ses concurrents au moment de sa privatisation, à la fin des

années 90, le groupe auquel est adossé la BGN sort à peine du processus de

fusion. Cela s’est apparemment ressenti sur la charge de travail du personnel,

en raison des orientations stratégiques nouvelles impulsées au groupe, parmi

lesquelles l’accentuation de la volonté de développer la bancassurance.

Ø Dans un double souci de rationalisation des coûts et d’amélioration de la

qualité de service, l’ensemble des systèmes informatiques doit être refondu à

la fin de l’année 2002. Cela génère quelques inquiétudes, mais aussi des

attentes importantes chez les conseillers, qui en ont dénoncé les faiblesses et

lenteurs à de multiples reprises durant les entretiens.

Ø Le groupe dont la BGN fait partie a mis l’accent sur son offre de banque à

distance sur l’ensemble de l’année 2001, se traduisant par une vaste

campagne de publicité nationale (radio, télévision, affichage, etc…), relayée

en agence par de la publicité sur le lieu de vente (PLV). Cette opération fut

accompagnée d’une animation commerciale dans le réseau, avec à la clé pour

les meilleurs vendeurs de BAD des cadeaux, voyages, etc. en sus des plus

traditionnelles primes sur objectifs.

II.3 LE MULTICANAL, VÉRITABLE RÉVOLUTION STRATÉGIQUE ET

ORGANISATIONNELLE POUR LA BGN.

Même si les conseillers comprennent les motivations qui poussent la BGN à

développer de nouveaux canaux (II.3.1), il n’en reste pas moins que les choix stratégiques

passés de l’entreprise font que cela y est perçu comme une véritable révolution, à l’origine de

freins et de réticences au changement (II.3.2) que la direction s’efforce de surmonter (II.3.3).

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II.3.1 Objectifs et motivations.

Le mimétisme stratégique sectoriel souligné dans la première partie de ce chapitre

s’applique tout autant à la BGN. Ainsi, économies sur les coûts de distribution, amélioration

de la qualité de service, accroissement de la charge commerciale dans les agences (en

diminuant la charge administrative à faible valeur ajoutée : c’est donc un changement plus

qualitatif que quantitatif de l’activité des conseillers), pression de la concurrence et réponse à

la demande de certains clients sont logiquement des facteurs explicatifs de la mise en place

des nouveaux canaux. S’y ajoute la pression des évolutions de la législation du travail, la loi

sur les 35h ayant alors été récemment appliquée dans l’entreprise (Tableau 2-4).

Parmi ces motivations, la réalisation d’économies est très peu présente. Le directeur

régional et un directeur d’agence y font référence (BGN LECL 5), mais cette justification est

absente des documents de communication interne, qui mettent l’accent sur les avantages que

clients et conseillers retirent de cette nouvelle organisation. Cela tranche avec l’analyse que

nous avons faite du secteur, mais nous conviendrons qu’il s’agit vraisemblablement d’une

stratégie de communication propre à la BGN plutôt que d’une réalité. La réalisation

d’économies apparaît donc comme un objectif peu avouable dans ce contexte.

Tableau 2-4 : Raisons du développement des nouveaux canaux à la BGN

MOTIVATION VERBATIMS CODE

Réaliser des économies

« On a des gens qui viennent au guichet, qui viennent demander leur solde, leur relevé de compte, et ça, on ne veut plus de ça. On ne veut plus de ça parce que c’est trop cher, je veux dire, d’avoir quelqu’un qui est la pour donner ce genre d’informations, alors que bon, vous

pouvez consulter le minitel, Internet… Donc, tout ça va venir parfaitement en renfort des agences » (BGN Siège 1)

CONT Orga

Améliorer la qualité de

service

« on assure une qualité de service auprès de la clientèle, une qualité d’accueil, qui est, on a nos indices de qualité, de 97%, c'est à dire

qu’on perd 3% d’appels seulement, et on répond à 80% des appels en moins de 10 secondes »( BGN Siège 3)

« quand je ne peux pas recevoir, il apprécie, je dirais, le service en

plus de pouvoir appeler le lundi, ou quand je suis occupé, de pouvoir appeler quelqu’un d’autre » (BGN MN 3)

TRAV Qual

Accroître la charge

commerciale en diminuant la

charge administrative

« on essaye, par les canaux, par Pierre et Claire Martin, de libérer du temps commercial pour les conseillers pour éviter que

leur emploi du temps soit utilisé à des tâches pour faire des virements, donner des renseignements quelconques » (BGN MAD 5)

« on donne du temps libre à tous les gens en agence. Enfin, du temps

libre. Du temps retrouvé pour le commercial. A tous les gens en agence » (BGN Siège 3)

TRAV Qual

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Répondre à la concurrence

« [votre client] est, et sera, de plus en plus sollicité par la concurrence, au fur et à mesure que la technologie avance et permet

de le joindre en tout lieu, et à toute heure du jour » (Directeur Général / K7 2)

CONT Strat

Répondre aux demandes de la

clientèle

« […] sur le plan des besoins des consommateurs, qui, plus que jamais, veulent tout, tout de suite, et même pour des services à plus

forte valeur ajoutée » (Directeur Marketing / K7 2)

CONT Strat

S’adapter aux évolutions

législatives du travail

« […] l’effet 35 heures qui est quand même très difficile à absorber au niveau du temps de présence en agence, qui fait qu’on est obligé

de s’adapter d’une manière ou d’une autre » (BGN Siège 1)

« on sent bien qu'avec les 35 heures, si on ne peut pas se délester d'une partie du tout courant là-dessus [les plates-formes], on va

jamais s'en sortir » (BGN MN 2)

CONT Strat

L’objectif d’amélioration de la qualité de service nécessite une précision. Outre

l’amélioration de service global que le multicanal est supposé provoquer pour les clients, la

BGN avait un gros problème découlant d’un choix technique de gestion des appels : si une

des lignes de l’agence n’était pas décrochée (absence de l’interlocuteur, ou ligne occupée),

l’appel était renvoyé sur une autre ligne, et ainsi de suite. Par conséquent, l’appel du client

pouvait faire le tour de l’agence sans que personne ne lui réponde, ce qui se traduisait par un

très important volume de perte d’appels (36 000 appels perdus par an).138

Enfin, fort logiquement mis en avant par la direction, qui les utilise pour justifier de sa

stratégie et de ses choix organisationnels, ces facteurs sont aussi le plus souvent compris et

assimilés par les conseillers, qui les évoquent régulièrement. Mais cette reconnaissance des

enjeux est généralement empreinte de déterminisme, que nous retrouvons jusque dans le

discours du directeur régional qui l’utilise pour justifier du projet de banque multicanale.

Quant aux conseillers et téléconseillers, ils considèrent que s’est enclenché un mouvement de

fond, et sont certains de devoir encore affronter de profonds bouleversements dans leur

activité au cours des années à venir. Ce déterminisme est ancré dans le contexte stratégique

dans lequel baigne la BGN, qu’il soit considéré au plan sociétal, technique ou surtout

concurrentiel.

« Je crois que nous sommes condamnés à le faire, c’est à dire que je pense pas que la banque

puisse dire j’ignore tel ou tel type de canal » (BGN Siège 1).

« Mais c’est le monde actuel… c’est les plates-formes, hein, faudra y passer » (BGN PFE 02).

138 Chiffres communiqués par le directeur régional qui n’a pas été en mesure de nous donner une proportion.

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« Je crois que de toutes façons ils auront pas le choix, parce que c’est comme ça partout. A la

MAAF ils ont fait ça aussi, moi je suis assurée là-bas, hé ben ils font pareil, le Crédit

Agricole ils ont fait ça aussi » (BGN LECL 1)

II.3.2 Limites et freins.

Ce n’est pas parce qu’ils comprennent les raisons pour lesquelles la BGN est amenée à

mettre en place de nouveaux canaux que les conseillers acceptent les transformations qui en

découlent sans exprimer de réticences à l’endroit de cette nouvelle stratégie. Notre analyse

sectorielle précédente le laissait présager, qui mettait en évidence tant ces réticences des

conseillers que les réactions négatives des clients comme limites au développement de

réseaux multicanaux.

A la BGN se surajoute un contexte particulier, lié à la stratégie développée par la

banque depuis près de dix ans, et que de nombreux interlocuteurs résument en deux mots : le

« banquier personnel ». Véritable fer de lance de la stratégie, relayée par les multiples

supports de communication interne et externe, cette notion pose que « vous [le client]

disposez toujours du même interlocuteur qui sera toujours disponible pour vous» (extrait d’un

document de communication externe). Ainsi, la création de plates-formes est vécue comme un

véritable traumatisme, sinon une trahison par certains conseillers, qui y voient une remise en

cause de ce qu’ils considèrent être un atout majeur. En effet, contrairement au site Internet, au

minitel ou au serveur interactif, le client peut cette fois rentrer en contact, soit à son initiative

(plate-forme entrante), soit à celle de la banque (plate-forme sortante), avec un interlocuteur

autre que son conseiller139. Pilier du contexte organisationnel et stratégique dans lequel se

déroulent les relations entre les conseillers et les clients avant la mise en place des nouveaux

canaux, cette notion de banquier personnel s’avère donc un important facteur de méfiance et

de résistance vis-à-vis des changements annoncés.

Le tableau 2-5 reprend les freins et limites au développement de nouveaux canaux que

nous avons identifiés à la BGN.

139 Cette situation se produisait avant l’arrivée des centres d’appels, puisque le guichetier avait comme fonction de répondre aux appels téléphoniques. Mais l’appel arrivait toujours dans l’agence, le conseiller connaissait la personne qui répondait à son client, et il savait que l’appel lui serait transféré en cas de besoin. D’une certaine manière, il conservait donc la maîtrise de l’échange. En outre, la quasi-totalité des clients possédaient la ligne directe de leur conseiller.

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Tableau 2-5 : Freins et limites au développement des nouveaux canaux à la BGN

FREIN VERBATIMS CODE

« Banquier personnel »

« La mise en place de la plate-forme ne va-t-elle pas ternir l’empreinte du banquier personnel que l’on essaie d’inculquer au

client depuis plusieurs années » (Conseiller, K7 1)

« la notion de banquier personnel, on a mis du temps à la faire accepter, elle est là maintenant, elle est ancrée, et si, je pense qu’on

risque de vouloir revenir en arrière, maintenant avec tous ces circuits, ça va pas être simple » (BGN LECL 3)

CONT Orga

Réactions des clients

« Comment les clients vont-ils réagir, alors qu’ils ont l’habitude de traiter avec nous, de pouvoir rentrer directement en contact avec

nous par téléphone » (Conseiller, K7 1)

« je crois qu’il y a un problème, parce que souvent, je sais qu’ils contactent certains clients, parce que j’ai des clients qui m’appellent

en me disant, “vous m’avez appelé, vous saviez pas ceci”, je dis “c’est pas moi”, donc après nous on doit récupérer certains trucs […]si c’est un homme qui appelle, alors là, ils sont complètement paniqués, et ils m’appellent derrière, en me disant, “attendez, on a

eu un appel, c’était pas vous, c’était qui ? » (BGN MAD 1)

CLT Réac

Perte d’opportunités commerciales

« ils viennent pas forcément vous voir, mais ils vont chercher un papier ou quoi, vous lui faites un bonjour, vous discutez un petit peu,

et puis là des fois vous pouvez récupérer des informations intéressantes pour rebondir derrière, ou les rappeler, ou un qui

m’avait sorti une fois qu’il vendait sa maison, “ha bon, vous êtes en train de la vendre?”, et j’ai fait un placement derrière » (BGN

LECL 1)

« Parce que la vente d’opportunité, je dirais, elle fait encore partie du business au quotidien, et je peux vous dire qu’elle est, que c’est le volume qui repose là dessus. Le volume repose là dessus, parce qu’il y a rien de plus facile que de faire une vente à quelqu’un qui est de

passage. Moi j’ai un chargé d’accueil, le vendredi il me fait 5 ventes, et il m’en fait deux par jour. Le jour où il aura plus

personne, il y a aura plus de caisse, il y aura plus personne pour correspondre, communiquer en direct avec le client, ces ventes là,

comment on les fera? » (BGN MAD 4)

CONT Orga

Qualité du service fourni au client par les nouveaux

canaux

« Mais ce qu’il y a, c’est que moi j’ai peur quand même du reroutage aujourd’hui, parce que moi, quand on m’appelle, je sais

pas qui va répondre à ma place, finalement » (BGN MAD 4)

LEG Déni

Coût du service pour

les clients

« a priori, payer quelques francs pour interroger son compte, ça leur va, mais 28FF par mois, juste pour connaitre le solde, parce

que c’est quand même ce que font la majorité des clients, qui l’utilisent juste pour connaitre les en-cours etc., c’est un petit peu

cher, 28FF, c’est vrai que ça tique un peu » (BGN MAD 2)

CLT Réac

Moindre différenciation concurrentielle

« je vois que je récupère des clients du Crédit Agricole, qui sont mécontents, justement, de ça […] Parce qu’ils n’ont jamais

d’interlocuteur » (BGN MR 1)

CONT Strat

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« nos clients en fait, par apport à d’autres banques qui fonctionnent déjà comme ça, qui n’ont pas un contact très privilégié avec le

conseiller, sont venus chez nous, parce que justement, nous, c’est vraiment, la relation banquier personnel / client, et ça ils

apprécient, parce qu’ils sont pas un numéro, ils ont pas anonymes, on connaît notre client, on l’appelle par son nom, ça ils apprécient

énormément » (BGN MR 2)

Utilité des nouveaux

canaux

« je dis pas que c’est pas intéressant, parce que c’est toujours à prendre, mais dans la masse, je pense que c’est beaucoup, beaucoup

d’énergie pour pas grand chose » (BGN LECL 3)

« sincèrement, je pense qu’aujourd’hui, les chiffres doivent pas être ce qu’on attendait, donc on hésite à les communiquer. C’est le non-dit […] Je veux dire, à eux de dire le contraire, c’est à dire qu’ils nous donnent les chiffres de ventes ou de rendez-vous pris » (BGN

MAD 4)

LEG Déni

Ce tableau exige quelques clarifications complémentaires. Ce que nous appelons

« réactions des clients », tout d’abord, représente les perceptions de ces réactions par les

employés des canaux (conseillers et téléconseillers). Comme le montrent les verbatims, la

période préalable à la mise en place de la plate-forme sortante traduisait une crainte de perte

d’une partie de leur clientèle à cause de ce changement. Et par la suite, après son démarrage,

les conseillers ont remarqué l’effet inverse de celui qui leur était annoncé : au lieu de gagner

du temps, ils ne purent que constater que les clients contactés par la plate-forme réagissaient

négativement, téléphonant à leur conseiller pour savoir qui les avait appelés et pour quelle

raison. Lequel devait donc s’employer à les rassurer et à restaurer la relation de confiance.

La perte d’opportunités commerciales recèle une double crainte de la part des

conseillers. La première, immédiate, est liée à une potentielle diminution de leur

rémunération, dont une part non négligeable est variable, pour deux raisons. Au premier chef,

nombre de nos interlocuteurs en agence nous ont expliqué réaliser un volume relativement

important de ventes (qu’ils ont malheureusement été dans l’incapacité de nous chiffrer) sur

des contacts impromptus, totalement imprévus : passage du client à l’agence, appel pour

réaliser un virement, etc. Tout canal limitant le nombre de contacts avec le client peut donc

entraver l’atteinte de leurs objectifs, de la réalisation desquels dépend une partie de leur

rémunération. Ensuite, les téléconseillers des deux plates-formes ont parmi leurs missions la

vente de produits et services de la banque, ventes que ne réaliseront donc pas les conseillers.

Ces craintes étaient largement relayées par la première cassette vidéo, et les téléconseillers de

la plate-forme entrante en ont eu des échos.

« Il y en a qui ont dit, ils vont nous voler notre travail. Nos résultats » (BGN PFE 02).

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La seconde crainte qui se cache derrière cette perte d’opportunités commerciales est

celle du remplacement de leur poste par des téléconseillers. Clairement exprimée par l’un des

conseillers interrogés dans la première cassette vidéo, elle est beaucoup plus sourde chez les

personnes que nous avons rencontrées. En fait, si cette crainte est présente, ils semblent ne pas

vouloir ou pouvoir y croire. Tout d’abord, la direction ne leur donne aucun indice que la

situation pourrait évoluer en ce sens, bien au contraire (cf. p 127). Ensuite, ils semblent

intimement persuadés de la nécessité du contact physique dans la relation bancaire, dont ils ne

pensent qu’il pourra, du moins à court terme, être remplacé par une simple relation

téléphonique, voire à distance au sens large140 (visiophonie, utilisation de l’Internet, etc…).

« Il faut que ça reste dans une certaine limite, hein, si à terme on supprime nos postes… Faut

quand même garder un contact. Pas pour des choses peu importantes, mais quand il y a un

projet ou une étude globale, ou des placements globaux à faire, ou une gestion de patrimoine

etc., je pense qu’il faut que le client, il ait quand même quelqu’un en face » (BGN MN 3)

Ces réticences se sont pour l’essentiel exprimées préalablement à la mise en place des

canaux, reflétant les craintes des conseillers quant à l’impact sur leur travail et leurs relations

avec les clients. Il en est une autre qui s’est faite jour au fur et à mesure de la montée en

puissance de la plate-forme sortante : la perception de la faiblesse des résultats obtenus.

L’organisation retenue pose l’existence d’une seule plate-forme sortante, composée de 12

téléconseillers, au service des 600 conseillers du réseau sur la clientèle de particuliers. La

conséquence de ce différentiel est que chaque conseiller ne voit que peu l’impact de la plate-

forme sur son activité141, doutant dès lors de son efficacité, et même de sa légitimité, comme

le montrent les verbatims du tableau 2-5. L’absence apparente de transparence sur les résultats

obtenus renforce cette perception.

Ces différents freins, et notamment le dernier élément, peuvent contribuer à expliquer

l’inertie que relève la responsable des plates-formes dans le comportement des conseillers.

Cette dernière, cependant, la réduit à des routines qu’ils ont progressivement instaurées dans

l’organisation de leur travail, et par là même dans les relations avec la clientèle. Elle fustige

ainsi à plusieurs reprises leur inertie, ce terme revenant à cinq reprises durant l’entretien, un

paragraphe concentrant à lui seul trois de ces cinq occurrences. 140 Il semble naturel qu’ils tiennent ce discours, afin de défendre leur utilité et leur poste. Mais nous pensons que cela va plus loin, et que par delà la seule valorisation de leur travail, ils ont chevillée au corps la conviction que les clients ne sont absolument pas prêts à abandonner cette relation physique pour l’ensemble de leurs opérations bancaires ou financières. 141 Nous détaillons infra ces liens entre les activités des plates-formes et des conseillers.

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« Je note une grosse inertie. C'est-à-dire que quand on est passé dans tout le réseau pour

présenter la plate-forme entrante il y a un an maintenant, avec la responsable de la plate-

forme sortante, on est passé partout, on a fait de la com interne qui était bien faite, je crois,

tout le monde était enthousiaste, on a rencontré des commerciaux qui disaient c'est super,

c'est très bien, c'est... Et après, on se disait, ben on va avoir beaucoup d'appels du client, mais

au final, ça n’a quasiment pas bougé... Alors, après, en déballant, on leur a demandé si ils

avaient expliqué à leurs clients, ... Ben non, pardon, on n'a pas eu le temps, on a oublié, on

avait autre chose à faire… Vous voyez, une grosse inertie… Oui, une grosse inertie » ; « Il

faut qu’on coupe avec d’anciennes pratiques dans le réseau » (BGN Siège 2)

II.3.3 Les solutions.

Comme nous l’avons écrit supra, les nouveaux canaux de distribution de la BGN sont

présentés aux clients et aux conseillers comme une nouvelle offre groupée (package BAD), ce

qui a de profondes implications. En effet, les conseillers doivent être convaincus de ce que ces

canaux n’empièteront ni sur leur activité commerciale, ni sur la relation qu’ils entretiennent

avec leurs clients. Ils doivent également être convaincus de l’utilité de BAD. Dans le cas

contraire, ils sont beaucoup plus réticents à le vendre.

Pour surmonter ces freins, la direction axe son discours sur la complémentarité des

dispositifs commerciaux. Nous avons identifié plusieurs types de complémentarité dans le

premier chapitre, que nous retrouvons à la BGN. Mais l’instauration de la complémentarité

n’est pas le seul recours pour surmonter ces réticences.

II.3.3.a) Une complémentarité basée sur la différenciation fonctionnelle des canaux.

Tant dans les entretiens que dans les supports de communication interne, le message

que souhaite faire passer la direction au réseau est que les plates-formes lui sont

complémentaires, et non concurrentes. Cette complémentarité se traduit concrètement par une

évolution progressive des tâches des conseillers, qui se concentrent sur les tâches à forte

valeur ajoutée, tandis que celles à faible valeur ajoutée, mais indispensables pour les clients,

sont affectées aux plates-formes et aux autres canaux. Il y a donc une véritable différenciation

fonctionnelle des canaux, qui s’instaurait progressivement au moment de l’étude, puisque les

plates-formes étaient encore relativement jeunes et l’organisation non finalisée.

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« Le banquier personnel que vous êtes, et le conseiller BAD de la plate-forme travaillent main

dans la main […]. Quand l’un agit, c’est toujours dans l’intérêt et en complément de l’autre.

Pour le client, c’est toujours la BGN qui lui répond et lui donne immédiatement la réponse

quel que soit le canal utilisé » (Directeur Général, K7 2)

« Alors quand on met un distributeur, c’est pour éviter d’avoir un caissier, parce que la

caisse est pas un poste à valeur ajoutée, quand on a Pierre et Claire Martin qui répondent

pour faire des virements etc., tout ça ce sont des trucs, ce sont des services qu’on est obligés

de rendre aux clients, mais qui n’ont aucune valeur ajoutée. Donc, ce qu’on essaie de faire,

enfin si j’ai bien compris ce que la BGN essaie de faire, c’est de soulager un maximum les

commerciaux, pour qu’ils puissent rencontrer plus de clients, puis être plus disponibles pour

la clientèle pour les opérations à valeur ajoutée » (BGN LECL 5)

II.3.3.b) Complémentarités objectives, contextualisées et perçues.

Nos propos et les verbatims précédents renvoient à la notion de différenciation et

complémentarité fonctionnelle objective mise en évidence dans le premier chapitre. A cette

aune, la complémentarité des horaires des plates-formes et des agences, sans parler de

l’Internet, est basée sur des éléments tels que la nature du service fourni (faible valeur ajoutée

vs forte valeur ajoutée), ou les caractéristiques « techniques » des canaux, au sens large (par

exemple, complémentarité des horaires, les plates-formes étant ouvertes à des plages où les

agences sont fermées). Ces différenciations et complémentarités fonctionnelles objectives

sont le résultat direct de décisions prises par la direction de la BGN, qui les utilise pour mettre

en place la nouvelle organisation distributive.

Il s’agit également de différenciations et complémentarités contextualisées, dont le

recensement repose non pas directement sur les évaluations des clients, que nous n’avons pas

interrogés, mais sur celles des conseillers telles qu’elles sont influencées par les clients. En

d’autres termes, les conseillers percevront qu’il y a ou non complémentarité entre les canaux

d’après les réactions de leurs clients, réactions qui dans ce cas sont par exemple liées à la

nature de leur demande, ou au moment où ils la formulent. A ce niveau, conseillers et

téléconseillers expriment bien l’existence d’un objectif qui leur est commun, à savoir la

délivrance aux clients de la meilleure qualité de service possible.

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« je pense que c’est bien comme c’est là, c’est bien tant que ça reste complémentaire,

quelqu’un qui peut prendre un client au téléphone, sachant que ça peut être un appel le lundi,

ou un appel urgent pour passer un ordre de bourse le lundi. C’est vrai que c’est embêtant, ça,

moi j’ai déjà eu des cas, où la personne me disait, ben oui, mais le lundi vous travaillez pas,

moi j’avais un ordre de bourse à passer, je fais comment? Donc ça, c’est complémentaire, et

ça permet de nous aider dans notre travail » (BGN MN 3).

« Il y a des clients qui appellent vraiment pour des choses simples, et on peut leur répondre

tout de suite. Donc il y a pas de problème à ce que ce soit quelqu’un d’autre, surtout si c’est

quelqu’un qui a déjà été conseiller » (BGN MR 1).

La même remarque s’applique à ce que nous avons appelé la différenciation et

complémentarité fonctionnelles perçues. Les conseillers se basent toujours sur les réactions de

leurs clients pour évaluer le niveau de complémentarité, mais à partir cette fois des

caractéristiques individuelles de leurs clients (âge, CSP, capacité à utiliser les canaux, etc.).

« Internet, à mon avis, c’est intéressant, et ça a développé BAD. Parce que je le vends plus

facilement, quand j’ai des accros de l’Internet en face de moi. Ou alors, là où ça passe

impeccable, c’est pour les jeunes. Moins de 25 ans, quand c’est gratuit, ils se posent pas 10

fois la question » (BGN LECL 1)

« Il faut savoir que, bon, la plate-forme appelle des clients fortune-patrimoine pour proposer

une carte bleue, ou… Ca fait pas partie de l’approche de ce type de clientèle. Il faut le savoir.

On n’approche pas un client fortune comme un transactionnel » (BGN MN 3).

« Moi j’ai des clients, notamment un très très gros client qui nous reproche d’être fermé le

lundi, hé bien il se refuse à appeler la plate-forme, pourtant je lui ai dit. Il préfère appeler

une autre agence, qui est ouverte le lundi. Ou pas appeler, ou quand je dis appeler, c’est pour

passer des ordres de bourse, on parle d’un client à 20 millions de francs, et pour lui, c’est pas

concevable que le lundi je sois pas accessible » (BGN LECL 3)

Enfin, la perception de cette complémentarité par les conseillers ne dépend pas

uniquement de celles de leurs clients, mais aussi de la manière dont ils évaluent l’impact de

ces nouveaux canaux sur leur travail (transformations qualitatives et quantitatives). Nous

avons évoqué cette perception dans le cadre de la plate-forme sortante. Le plus souvent

négative, elle faisait office de réticence au changement, même si certains conseillers lui

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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reconnaissent un avantage dans la possibilité de joindre des clients qu’ils n’arrivent jamais à

contacter. A l’inverse, cette perception est positive vis-à-vis de la plate-forme entrante, qui est

supposée leur permettre d’améliorer considérablement leurs conditions de travail. Ainsi, les

notions de soulagement, libération, ou déchargement vis-à-vis de ce qu’ils appellent la

pollution résultant de la quantité d’appels téléphoniques reçus en agence sont présents dans la

totalité des entretiens réalisés auprès des conseillers. Cette perception est identique pour les

services Internet.

« C’est très difficile d’abord de joindre les clients parce qu’on a quand même à peu près les

mêmes horaires, donc il faut reconnaître que là la plate-forme [sortante] a une marge de

manœuvre qui est beaucoup plus grande que la nôtre, donc ça permet déjà au moins de

contacter le client, même si par la suite, il refuse le rendez-vous, mais déjà au moins de le

contacter, ce qui est pas toujours notre cas » (BGN MAD 2)

« Tous les clients appelaient tous les matins pour passer leurs ordres de bourse, on passait un

temps énorme, là le fait que les ordres soient passés beaucoup plus par BAD, donc beaucoup

plus par la clientèle qui s’occupe elle-même de passer ses propres ordres, bon, ça nous

soulage » (BGN LECL 2).

Ces différentes perceptions de la complémentarité, qu’elles soient objectives,

contextualisées ou perçues, peuvent s’ancrer dans les caractéristiques « objectives » des

canaux que nous avons déjà présentées. En d’autres termes, la direction peut influencer ce

niveau de complémentarité en prenant appui sur les caractéristiques des autres canaux, ou en

instaurant des règles et procédures qui permettent de renforcer le sentiment de

complémentarité, et par voie de fait tenter de contourner d’éventuelles réticences portées par

une perception initiale d’absence de complémentarité (quelle qu’en soit la nature). C’est ce

que nous allons voir.

II.3.3.c) L’instauration de règles commerciales entre les canaux.

Pour éviter que les commerciaux ne se sentent floués de toute opportunité

commerciale, la direction a dès l’implantation de la première plate-forme instauré de

nouvelles règles commerciales. Il s’agissait de répondre à une crainte exprimée par les

conseillers, crainte qui pouvait paraître d’autant plus fondée que chaque plate-forme compte

parmi ses missions la vente de produits simples que les agences ont pour habitude de proposer

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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à leurs clients (le site Internet n’est pas concerné, n’ayant pas d’objectif commercial de

vente). La mise en place de la plate-forme sortante a donc coïncidé avec l’instauration de la

règle du report de ventes, qui s’est ensuite étendue à la plate-forme entrante : toute vente

réalisée par l’une des deux plates-formes est d’office affectée au conseiller ayant ce client en

portefeuille142. Cette information est bien passée dans le réseau, puisque la quasi-totalité de

nos interlocuteurs nous en a parlé spontanément. Néanmoins, cette règle a généré un certain

espoir, qui s’est vu déçu au regard des résultats obtenus par la plate-forme pour chaque

conseiller, renforçant d’autant une certaine indifférence, voire un questionnement de la

légitimité de cette plate-forme.

« De toute façon si ils font une vente, normalement ils sont censés nous la donner, enfin nous

le signaler (BGN LECL 4).

« Sur le fond, c’est très bien que la plate-forme appelle les clients, mais ceci dit, il y jamais

beaucoup, beaucoup de résultats, ça c’est clair » (BGN LECL 3)

« J’ai jamais eu de rendez-vous, et j’avoue que mises à part quelques optimisations de plans

d’épargne logement, je dirais que depuis la création de la plate-forme, je crois que ça doit

tenir sur ma main, je crois, en-dessous de 10. Par contre, je sais qu’il y a des CA qui sont très

contents de la plate-forme qui leur prend des rendez-vous, mais personnellement, moi je me

demande à quoi ils servent » (BGN MAD 1).

II.3.3.d) L’efficacité relative des objectifs de vente.

En parallèle, l’existence de ce package procure un moyen de pression à la direction :

ces canaux devenant des produits et services, il est possible d’assigner des objectifs de vente

aux conseillers de clientèle. Objectifs dont dépend une partie de leur rémunération, et de leur

avancement, ce qui ne leur laisse d’autre choix que de le vendre. En d’autres termes, la

manière dont sont présentés ces nouveaux canaux (à l’exclusion de la plate-forme sortante,

qui par définition ne peut en faire partie) induit le développement de leur utilisation par les

clients grâce aux conseillers. Pour la banque, atteindre les économies de coûts promises par

l’utilisation de ces nouveaux canaux par les clients, ou plus exactement, par l’externalisation

auprès des clients d’un certain nombre d’opérations, passe donc par une adhésion du réseau,

laquelle adhésion est alors partiellement contrainte. 142 Le cas du client « hors portefeuille », n’étant pas encore client de la banque, ne posait aucun problème, puisque avant de pouvoir réaliser toute opération avec lui, il était nécessaire de lui ouvrir un compte, ce que seule l’agence est autorisée à faire à la BGN.

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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Cette contrainte est toutefois relative, car si certains conseillers se cantonnent à leur

objectif sans chercher à le dépasser, d’autres avouent préférer le sacrifier à la réalisation

d’autres objectifs de vente autrement plus significatifs à leurs yeux (produits d’épargne,

crédits, etc.). Ceci était particulièrement vrai au niveau des conseillers patrimoniaux, qui

avançaient comme raison la nature et les exigences particulières de leur clientèle. Celle-ci,

haut de gamme, réclame une attention personnalisée, à leurs yeux en contradiction avec les

actions des deux plates-formes. L’élément qui trouvait le plus grâce à leurs yeux pour

proposer BAD à leurs clients était la possibilité pour ces derniers de réaliser eux-mêmes leurs

ordres de bourse. De cette manière, ils libéraient du temps pour des tâches à plus forte valeur

ajoutée, leurs clients bénéficiant dans le même temps d’un avantage tarifaire non négligeable

(40% de réduction sur le prix pratiqué en agence).

« On devrait pas le dire, mais c’est clair que moi j’avais, je sais plus trop bien, 31 contrats

BAD à faire cette année, une fois que les 31 sont faits, c’est bon, on arrête là, on attend

l’année prochaine » (BGN LECL 1)

« Je suis pas en campagne BAD, personnellement. Non, Je suis en pleine bourre en prêts

immobiliers, j’ai pleins de dossiers, j’ai plein de retard… Et c’est beaucoup plus important,

pour moi » (BGN MN 2)

Ces objectifs ne sont donc pas une panacée, d’autant que son atteinte peut s’avérer en

contradiction avec leur vision de la relation client, à laquelle ils attachent la plus haute

importance. Et si d’aucuns reconnaissent vendre parfois le produit à des clients qui n’en

auraient pas forcément besoin, la majorité indique se fixer des garde-fous, même si d’après

eux, il n’en va pas de même de tous leurs collègues.

« A la fin de l’année on est commissionnés… il faut avoir fini, il faut être bien vu par sa

direction, et mes clients, ils sont bien gentils, je les aime bien, j’ai pas envie de les arnaquer,

mais qu’en même temps, de toute façon, si moi je le fais pas, il y aura quelqu’un d’autre qui

le fera » (BGN LECL 1)

« Je serais incapable de forcer quelqu’un de 80 ans à prendre un contrat BAD, alors que je

sais très bien qu’il va pas s’en servir. Ce serait du vol. mais je devrais pas dire ça, parce que

la banque elle va dire, vous êtes là pour vendre du BAD, et puis c’est tout » (BGN LECL 4)

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Ils sont clairement conscients du risque d’altération de la relation avec leurs clients

dans le cas où ils leur proposeraient des produits inadéquats à leurs besoins. Notons que

certains emploient des termes très forts : ils parlent de vol, d’arnaque, dès lors qu’ils ont le

sentiment que ce produit ne correspondra pas aux besoins de leur client. Mais certains

soulignent également que la présence d’indicateurs de mesure, tels la durée de conservation

d’un produit par la clientèle, limite ce genre de velléités. Enfin, une grande majorité regrette

que la BGN, à l’instar de ses concurrents, accentue la pression commerciale, dont ils

considèrent qu’elle intervient au détriment de l’attention apportée au client. Le verbatim

précédent tiré de BGN LECL 4 n’en est qu’un exemple, que nous complétons par ceux-ci.

« A une période, on a essayé d'aller vers une approche besoin. Mais, il faut toujours concilier

les deux, production et… Mais bon, moi j'ai quand même une clientèle assez spécifique, donc

je travaille plus quand même l'approche besoins, mais en sachant que j'ai un objectif produit,

donc j'essaie de concilier les deux » (BGN MR 1)

« Le langage de la banque, c'est de dire, vous faites une approche besoin en faisant une

approche produits. C'est a dire que je pense qu'il y a eu une évolution sur l'approche

produits » (BGN MAD 1)

II.3.3.e) La communication interne au service de la connaissance des nouveaux canaux.

La communication interne est très régulière sur ces nouveaux canaux, et le contexte de

l’étude l’a rendue plus prégnante encore, puisque la BGN était en pleine campagne de

promotion de ces derniers auprès de ses clients et de ses collaborateurs.

Cette communication interne est surtout importante pour deux raisons. Tout d’abord,

elle permet de rappeler l’existence des nouveaux canaux, de leurs fonctionnalités, et de leur

complémentarité vis-à-vis des agences. Elle favorise donc la prise de conscience par les

conseillers des enjeux de leur développement, et leur rappelle de ce qu’ils sont partiellement

responsables de la quantité de travail administratif qu’ils vont réussir à libérer en vendant

BAD. Ils sont donc responsabilisés vis-à-vis de l’enrichissement de leur travail.

Cette communication sert aussi à renforcer la connaissance que les conseillers ont des

plates-formes, et à améliorer l’image négative qu’ils ont notamment de la plate-forme

sortante. Plusieurs téléconseillers ont souligné l’importance de cette connaissance, admettant

au passage qu’elle était encore trop fragile pour faire évoluer les choses.

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« C’est pas toujours bien perçu… ce dont on peut s’apercevoir, c’est que parce que c’est

méconnu, en fait, ils savent pas du tout ce qu’on traite, il y a, au départ, eu la peur qu’on

fasse des opérations à leur place et que ça ne compte pas dans leurs objectifs, sachant qu’ils

ont des objectifs maintenant qui sont très très très lourds, donc ils ont eu un petit peu la

crainte qu’on leur vole leurs clients et leurs objectifs, mais ça maintenant, ils savent que ce

n’est pas le cas… Il y a également la peur de l’inconnu, dans le sens où ils savent pas du tout

comment c’est géré, et jusqu’où on peut aller au niveau des réponses » (BGN PFE 02).

« Ils sont pas toujours au courant des campagnes qui sont en cours, donc parfois ils

s’étonnent » (BGN PFS 3).

L’amélioration de cette connaissance va au-delà de la simple communication interne,

et passe beaucoup par des visites des plates-formes par les conseillers, qui sont alors à même

d’apprécier la qualité des supports mis à la disposition des clients. Cependant, ces visites sont

informelles, organisées au détour d’une journée de formation intervenant sur le site de

localisation géographique des plates-formes. D’un autre côté, cet aspect informel peut être

interprété comme une volonté de désacraliser ces nouveaux canaux, en confirmant le discours

officiel selon lequel ils ne sont que des outils au service des agences, discours maintes fois

relayé dans les documents de communication interne.

« La plate-forme entrante […] est un atout mis à votre disposition pour vous faciliter la tâche

[…] Elle vous aide à atteindre vos objectifs en matière de commissions, et en matière de

produits et services » (Directeur marketing, K7 2).

« [La plate-forme sortante] est également un formidable service marketing à l’écoute de nos

banquiers personnels pour : les aider dans la gestion de leur portefeuille clientèle ;

promouvoir des produits financiers pour le compte du réseau ; leur permettre de se

concentrer sur les actes à valeur ajoutée » (Document interne de présentation de la plate-

forme sortante).

Cette connaissance est fondamentale pour influencer la perception des conseillers vis-

à-vis de ces nouveaux outils. Ainsi, un moyen d’assurer la légitimité de la plate-forme

entrante et de prévenir les craintes des conseillers quant à la manière dont leurs clients

seraient accueillis en appelant la banque a été d’y installer des conseillers issus du réseau,

disposant d’une expérience conséquente dans la gestion de la relation client, et qui étaient

volontaires pour l’intégrer. Les documents diffusés au lancement de cette plate-forme s’en

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

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sont fait l’écho, présentant le nom et une photographie de chacun des employés retenus, suivis

de la fonction qu’ils occupaient en agence. Au final, l’ensemble des conseillers rencontrés

savaient quelles étaient les compétences de leurs collègues travaillant sur la plate-forme

entrante, et étaient rassurés de la qualité de l’accueil et du traitement de la demande de leurs

clients. Il est possible néanmoins que ce ne soit pas représentatif de tous les conseillers de la

BGN, comme le montre le verbatim tiré de BGN PFE 02, page précédente.

« J'ai mis beaucoup en avant les gens parce que ce sont des commerciaux qui sont connus

dans le réseau, et qui apportaient plus de crédibilité à la plate-forme, donc on s'est dit si, si

ils ne connaissent pas les gens qui sont sur la plate-forme, ils auront un peu peur de nous

envoyer leurs clients. Or tous, tous ceux qu'on a recrutés sont des commerciaux qui sont

connus, qui sont appréciés dans le réseau, et il n'y avait pas de crainte » (BGN Siège 2).

« Ils nous remplacent. Ils me remplacent moi quand je suis pas là. C’est à dire qu’ils

souscrivent les ordres de bourse, ils font toute opération que moi je pourrais faire. Ils peuvent

souscrire des contrats, hein, ils l’ont déjà fait, j’ai reçu des messageries souscription BAD »

(BGN MN 3).

Est aussi ressorti une dernière conséquence de la connaissance réciproque des canaux,

sur la voie de laquelle nous avons été mis par les entretiens de la plate-forme entrante. Issus

du réseau, les trois téléconseillers rencontrés ont régulièrement mis en avant dans leur

discours l’importance et la multiplicité de la charge de travail des conseillers pour expliquer la

non-réalisation de certaines tâches. En quelque sorte, ils sont plus tolérants, plus indulgents

vis-à-vis des erreurs que commettent leurs collègues en agence, parce qu’ils connaissent pour

l’avoir vécue leur réalité quotidienne. Cette indulgence est présente également dans deux des

trois entretiens menés sur la plate-forme sortante, mais différemment : là, c’est le désir de

mieux connaître pour mieux comprendre qui se dégage, ainsi que la reconnaissance de la

supériorité de l’agence sur la plate-forme, le conseiller maîtrisant la relation. Enfin, les

conseillers font peu preuve de cette indulgence, à laquelle seuls cinq d’entre eux font

rapidement référence.

« On est beaucoup plus tolérant, et puis on sait faire la part des choses : ne pas déranger un

collègue pour une bricole » (BGN PFE 1).

« C’est également, je crois obligatoire, que nous nous sachions comment ils fonctionnent,

parce qu’il y a bien des fois où on se dit, mais pourquoi le conseiller a pas fait telle ou telle

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chose, et puis finalement, on sait très bien qu’il manque de temps, il manque de moyens, il a

énormément de choses à gérer en même temps » (BGN PFE 3)

« On l’a eu plusieurs fois, ce type de remarques, par rapport aux rendez-vous qu’ils ont

essayés de prendre, par rapport aux ventes qu’ils ont essayées de faire, bon souvent on a ce

type de remontées, donc je pense qu’ils rencontrent les mêmes problèmes que nous » (BGN

MAD 2).

II.3.3.f) L’affirmation de l’agence comme pivot relationnel.

La BGN, « suiveur réactif » de l’aveu même de son directeur marketing, bénéficia de

l’expérience de ses concurrents lorsque furent lancées les plates-formes. Elle put donc

anticiper les craintes des conseillers en faisant attention de toujours replacer l’agence comme

le point d’ancrage de la relation avec le client. Récurrente dans le discours, cette intention

s’accompagne de gestes forts visant à montrer au réseau que les investissements dans les

nouveaux canaux n’interviennent pas au détriment des agences, et n’impliquent pas leur

disparition ou diminution. Nous pourrions mobiliser plusieurs verbatims pour appuyer nos

propos, mais il nous semble que la meilleure preuve est l’intégration au cœur même d’un

document de communication interne présentant l’ouverture de la plate-forme entrante de

l’information suivante :

« Ouvertures d’agences – La BGN continue activement sa création et sa rénovation de

nouvelles agences » (s’ensuivent les noms de trois nouvelles agences d’après leur

emplacement géographique, avec leur date d’inauguration, puis ceux de deux agences

entièrement rénovées).

II.4 LA GESTION DES INTERRELATIONS ENTRE LES CANAUX DE LA

BGN.

Les interrelations entre les principaux canaux de la BGN sont réduites à la portion

congrue, et se caractérisent par leur nature très mécaniste et procédurale. Elles sont

principalement portées par le système d’information, qui se décline selon différents outils

(II.4.1). Afin d’améliorer l’efficacité générale du dispositif multicanal, la BGN était en train

de tenter de développer les interrelations entre les agences et la plate-forme sortante (II.4.2).

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II.4.1 Trois outils au service d’interrelations réduites à la

portion congrue.

Ces outils sont la messagerie interne, l’agenda partagé entre les conseillers et les

plates-formes, et dans une moindre mesure la fiche client, qui récapitule l’ensemble des

informations sur le client à la disposition de la banque.

II.4.1.a) La messagerie interne.

La messagerie interne supporte presque exclusivement des flux d’informations

unidirectionnels. Les téléconseillers des deux plates-formes l’utilisent pour transmettre des

informations à destination des conseillers, dans le respect de procédures préalablement

établies, comme par exemple :

Ø Dans le cas d’un contact procurant une information susceptible de déboucher

sur une vente ultérieure de la part du conseiller, mais sans prise de rendez-

vous.

Ø Dans le cas d’une vente, le téléconseiller en informe le conseiller qui peut

l’ajouter à la réalisation de ses objectifs.

« On leur envoie des messages pour leur dire ce qu'on a fait avec leurs clients. Donc, si c'est

insignifiant, on ne fait rien, mais si on a le soupçon d'avoir trouvé quelque chose, on leur

envoie un message » (BGN PFE 1)

« Oui, nos ventes sont comptabilisées dans les objectifs du commercial, et c'est dans ce cas-là

qu'on lui fait une petite messagerie en disant, nous avons vu votre client […], c'est tout des

messages préenregistrés, donc ça va très vite, il y a juste à remplir le nom du client, le

numéro de compte, et il y a la petite phrase, en bas, veuillez comptabiliser ce résultat » (BGN

PFE 1)

II.4.1.b) L’agenda partagé.

L’utilisation quotidienne de l’agenda partagé nécessite que les conseillers le tiennent à

jour pour que les téléconseillers aient la possibilité de leur prendre des rendez-vous en

fonction de leurs disponibilités. L’agenda électronique a précédé de plusieurs mois

l’apparition des plates-formes, afin que les conseillers prennent l’habitude de son utilisation.

Cela n’a toutefois pas empêché les problèmes, qui semblent s’être rapidement résorbés, et cet

outil est un des piliers de la complémentarité entre les canaux.

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« Normalement, les conseillers mettent automatiquement leurs rendez-vous, dans la mesure

du possible, puisque ce qui est arrivé au départ lorsque la plate-forme s’est mis en route,

c’est que les conseillers ne remplissaient pas leur agenda électronique. Donc ça posait

problème puisque nous on travaille exclusivement avec leur agenda. Donc ce qui est arrivé,

c’est qu’ils prenaient leurs rendez-vous, et nous on leur mettait des rendez-vous, ce qui

n’allait pas du tout, mais maintenant, ça s’est bien développé, ils connaissent donc Claire

Martin, ils mettent à jour leur agenda, ça se passe très bien » (BGN PFS 2).

II.4.1.c) La fiche client.

Les informations contenues dans la fiche client proviennent presque exclusivement des

conseillers, qui sont obligés d’y noter un compte-rendu après chaque rendez-vous avec un

client. Elles ne sont pas du tout utilisées par les téléconseillers de la plate-forme sortante, dont

les appels sont très ciblés, et chronométrés. Ils doivent respecter l’argumentaire qui leur est

imposé, et ne pas chercher à développer le contact avec le client. Les téléconseillers de la

plate-forme entrante ont plus de souplesse dans le traitement des appels, et peuvent

éventuellement s’y référer si ils pensent qu’elle contiendra des informations pour apporter au

client la réponse qu’il attend.

Mais dans tous les cas, les procédures établissent que le conseiller de l’agence reste

l’interlocuteur principal du client, et qu’il est seul apte à prendre des décisions importantes

vis-à-vis de ce dernier. Les téléconseillers, qu’ils travaillent sur la plate-forme entrante ou la

plate-forme sortante, n’ont ni le droit, ni la délégation pour résoudre la survenue d’un conflit

avec un client, qu’ils doivent donc orienter vers son conseiller pour trouver une solution.

L’objectif est de toujours affirmer le principe et la primauté du banquier personnel.

« S’ils me parlent d’un PEA, c’est un produit assez complexe, je leur dis que je suis pas en

mesure de répondre à leur question, mais que leur conseiller est là, c’est leur banquier

personnel, que s’ils le souhaitent, on peut prendre un rendez-vous, donc qu’il reste à son

entière disposition » (BGN PFS 3).

II.4.2 Le développement des interrelations entre plate-

forme sortante et agences.

Peu de temps avant le commencement de notre étude, a été mise en place une

campagne intitulée PRV (prise de rendez-vous). Dans ce cadre était donnée aux conseillers

l’opportunité de cibler les clients qu’ils souhaitaient voir contacter par la plate-forme sortante.

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A l’évidence, cette campagne avait pour objectif d’améliorer l’image de cette plate-forme,

dont nous avons déjà souligné les doutes à l’origine desquels elle était chez les conseillers.

Elle s’est traduite par la création d’une interface spécifique sur la fiche client informatisée,

grâce à laquelle les conseillers transmettaient aux téléconseillers les coordonnées des clients

qu’ils avaient ciblés au préalable. Ipso facto, les conseillers maîtrisaient l’initiative d’un

contact avec le client dont ils considéraient qu’il leur échappait, avec pour corollaire leur

perception des conséquences négatives sur la relation client dont nous avons parlé supra. Sa

nouveauté ne nous a pas permis d’en appréhender pleinement l’impact sur les conseillers,

chez lesquels nous avons identifié trois attitudes différentes :

Ø Premièrement, l’utilisation de cette nouvelle possibilité, à laquelle a succédé

l’absence d’intérêt en réponse à un manque de résultats.

« La prise de rendez-vous, de toutes façons, ça fait pas très longtemps qu’on peut le faire,

donc dès qu’on a su qu’on pouvait le faire, j’ai envoyé des fiches, j’ai eu zéro retours. Donc,

je m’interroge, zéro retours… » (BGN MAD 1)

Ø Deuxièmement, l’utilisation prolongée dans le temps de cette possibilité,

grâce à des résultats probants aux yeux du conseiller.

« Pour deux commerciaux, quand on a commencé la prise de rendez-vous, il y a eu du

résultat. Et derrière, il y a eu des ventes qui se sont concrétisées […] je trouve que c’est

concluant » (BGN MN 1).

Ø Troisièmement, enfin, une relative indifférence, s’expliquant généralement

par un manque de temps ou des priorités autres.

« Non, j’en ai pas envoyé. Par manque de temps. Je rentre de congés, j’ai trop de boulot, et

j’ai des priorités, tout simplement. Donc on verra ça après » (BGN LECL 4)

Au final, le directeur marketing nous a confié qu’en six mois, cette campagne avait

donné lieu à 14 300 demandes par les conseillers, qui se sont traduits par 8 740 contacts par la

plate-forme, laquelle a ainsi décroché 4 000 rendez-vous (dont 86% pour les particuliers, le

reste se répartissant entre les professionnels et entreprises). D’après lui, les conseillers ont été

satisfaits des résultats, et la campagne était vouée à quitter son caractère temporaire pour être

pérennisée.

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II.5 CLIENTS, PROCÉDURES ET CHOIX STRUCTURELS : LES TROIS

PIERRES ANGULAIRES DU FONCTIONNEMENT DU MULTICANAL À LA BGN.

Les conseillers qui travaillent en agence ont pour mission historique de gérer la

relation avec la clientèle. Cela comprend schématiquement deux catégories de tâches. La

première, à forte valeur ajoutée, est le conseil et la vente de produits et services adaptés aux

besoins de la clientèle. Elle repose donc sur une écoute attentive des besoins du client, et une

compréhension de ses attentes pour lui proposer une solution qui se veut personnalisée. La

seconde est à faible valeur ajoutée, et comprend des tâches répétitives, chronophages, et peu

valorisantes : répondre aux demandes de soldes, réaliser des virements, commander des

chéquiers, gérer le service après-vente, etc… Dans le contexte d’accroissement de la pression

commerciale, qui se traduit par une révision annuelle à la hausse de leurs objectifs de vente,

ils désirent donc se libérer de celle-ci au profit de celle-là, et ce, même sil ils reconnaissent

qu’elle est à l’occasion pourvoyeuse de ventes imprévues. A cette fin, la direction met à leur

service des outils, parmi lesquels les deux plates-formes téléphoniques, qu’ils perçoivent très

différemment : dithyrambiques sur la plate-forme entrante, ils sont nettement plus réservés,

voire négatifs sur la plate-forme sortante. L’analyse des facteurs qui influencent ces

perceptions montrent qu’ils sont identiques, mais jouent selon des directions opposées (II.5.1

et II.5.2). Cette analyse débouchera sur l’identification de trois éléments saillants,

soubassements d’une grille de lecture du fonctionnement du réseau de distribution multicanal

de la BGN (II.5.3).

II.5.1 Facteurs influençant la perception de la plate-forme

sortante par les conseillers.

II.5.1.a) Les procédures

Dans l’établissement de la prise de contact, la plate-forme appelle la plupart du temps

leurs clients sans en informer préalablement les conseillers. Cette prise de contact leur

échappe donc, ce qui les satisfaits d’autant moins qu’ils reçoivent ensuite un appel du client.

Ensuite, ils se plaignent fréquemment de l’absence de transfert d’informations, puisqu’ils ne

sont informés qu’en cas de réalisation d’une vente ou de prise de rendez-vous. En revanche,

ils ignorent si un contact a achoppé, et quelle en a été la raison, ce qui serait utile à leur

activité commerciale.

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

133

II.5.1.b) Les réactions des clients

Tandis que la plate-forme vise à permettre aux conseillers de gagner du temps,

puisqu’ils n’ont pas à démarcher leurs clients eux-mêmes, c’est généralement l’effet inverse

qui est obtenu, puisqu’ils doivent rassurer ces derniers qui les rappellent pour tenter de

comprendre pourquoi ils ont été contacté par quelqu’un d’autre que « leur banquier

personnel ». De plus, une partie de la clientèle n’apprécie pas ce genre de démarche, préférant

que le contact relève de son initiative, et le fait savoir aux conseillers.

II.5.1.c) Les compétences.

Nous décelons également dans le discours de certains conseillers une crainte de ce que

cette plate-forme ne soit qu’une première étape vers la banalisation de l’activité de banquier, à

laquelle ils attachent une haute estime. Les comparaisons entre les deux plates-formes sont à

cet égard très révélatrices, qui s’ancrent dans les différences de parcours et de tâches des deux

catégories de téléconseillers. L’appellation de banquier est synonyme d’une compétence dont

ne peuvent justifier les téléconseillers de la plate-forme sortante. Cette distinction très nette

est évidente dans les mots utilisés par les conseillers pour désigner les employés de la plate-

forme sortante : ce ne sont que des « télévendeurs » (par opposition aux « téléconseillers » de

la plate-forme entrante). Ce terme est également employé dans les documents de présentation

de la plate-forme. Quant au directeur marketing interviewé dans la première cassette vidéo, il

parle de « télé-opérateurs ». Or, ces métiers sont négativement connotés dans l’esprit des

conseillers, qui font aussitôt le lien avec « les cuisinistes » (comparaison revenue à trois

reprises).

Néanmoins, il semblerait qu’ils blâment moins les compétences des téléconseillers que

la structure à laquelle ils appartiennent, structure qui induit à leurs yeux de faibles résultats.

II.5.1.d) Les résultats obtenus.

Aux yeux des conseillers, la plate-forme introduit une gêne dans les relations avec

leurs clients, gêne doublée par le temps perdu à rassurer leurs clients (résultat qualitatif

négatif), pour un bénéfice individuel des plus maigre (résultat quantitatif). En effet, le choix

structurel retenu à l’implantation de la plate-forme, c’est-à-dire une seule pour l’ensemble de

la BGN, avec un nombre restreint de téléconseillers (6 au moment de notre étude, contre près

de 600 conseillers), fait que mécaniquement, le nombre de ventes réalisé au profit de chaque

conseiller est minime. La procédure de report automatique de la vente ne rencontre donc pas

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

134

le succès escompté. Situation que renforcent encore les positions de défiance ou de rejet dans

lesquelles se réfugient de nombreux clients.

II.5.1.e) Le déni de la légitimité de la plate-forme sortante.

Par conséquent, l’image véhiculée par la plate-forme sortante est particulièrement

négative dans le réseau, même si cela n’est dit qu’à mots couverts. Rares sont ceux qui

expriment ouvertement une opinion négative, mais les discours montrent très nettement que

celle-ci domine. S’ensuit une non-reconnaissance de la légitimité de la plate-forme sortante

par le réseau. Ainsi, nous avons réparti les codes LEG Déni et LEG Reco par plate-forme143, et

les avons opposés entre eux pour chacune des plates-formes. Que ce soit en nombre

d’occurrences ou en nombre de caractères, le déni de légitimité l’emporte sur la

reconnaissance (Tableau 2-6). En outre, la majorité des conseillers reconnaissant la légitimité

de la plate-forme nuancent presque systématiquement ses propos. Et une partie des propos

codés en LEG Reco correspondent à l’expression des attentes par certains conseillers

(notamment, BGN MAD 1, qui concentre le nombre d’occurrences et de caractères le plus

important), attentes qui ont souvent été déçues par les faibles résultats individuels enregistrés.

Tableau 2-6 : Résultat de la comparaison des occurrences des codes LEG Déni et LEG Reco au niveau des agences, pour la plate-forme sortante

LEG DÉNI LEG RECO DIFFÉRENCE

Nombre d’entretiens 12 10 2

Nombre de passages 28 20 8

Nombre de caractères 12 562 7 561 5 001

Ce déni de légitimité est ressenti par les téléconseillers travaillant sur la plate-forme

sortante, qui l’assimilent à une remise en question de leur poste. Nous l’avons surtout

directement vérifié lorsque nous avons adressé notre compte-rendu aux trois téléconseillères

interviewées sur la plate-forme sortante. Après lecture, toutes trois demandèrent instamment à

nous rencontrer de nouveau, afin que nous leur précisions le but exact de notre étude, quels

étaient les destinataires de ces résultats, et si le réseau en aurait connaissance (détails que nous

leur avions déjà apportés en préambule de chacun des entretiens). Particulièrement émues,

143 Cf. annexes 4.1 et 4.2

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135

elle souhaitèrent modifier certains éléments de ces comptes-rendus, qui leur étaient pourtant

strictement personnels. L’une voulut modérer les propos qu’elle avait tenus durant

l’interview, tout en apportant quelques précisions complémentaires. Une seconde nous

demanda de réécrire certains passages de la synthèse qu’elle avait reçue, passages qui

portaient sur l’opinion émise par des conseillers vis-à-vis de la plate-forme en sa présence.

Elle désirait en particulier que soit remplacé le verbatim « ils avaient une mauvaise image de

la plate-forme », par « ils ne savent pas encore en retirer des conclusions positives ».

L’objectif de leur intervention était d’atténuer, sinon de faire disparaître, la moindre

connotation négative de leurs propos. Toutes craignaient véritablement que cette mauvaise

opinion émise par le réseau n’amène la direction à remettre sa stratégie en cause, et donc à

faire disparaître leurs postes. Enfin, il est frappant de constater que les trois téléconseillères

aspiraient toutes à un passage vers l’agence, sur la route de laquelle la plate-forme n’était

qu’une étape.

Ces explications nous fournirent un éclairage nouveau sur les propos tenus par la

responsable des deux plates-formes. Cette dernière, en effet, avait autant que possible tenté de

mettre en avant les bons résultats de cette plate-forme sortante, et l’indéniable

complémentarité existant entre les deux canaux. Elle n’hésitait pas pour cela à mobiliser de la

littérature managériale. A posteriori, il nous paraît que ses propos traduisaient une réelle

recherche de légitimité de cette plate-forme, légitimité qui d’après elle commençait à se

diffuser au sein du réseau.

Par ailleurs, pour lever les craintes des conseillers de voir disparaître leur travail, ou

s’amoindrir la qualité de la relation entretenue avec le client, la plate-forme a d’entrée de jeu

été positionnée comme un outil au service des agences. Cette perspective utilitariste est

prégnante dans maints entretiens, que cet extrait résume parfaitement.

« Moi je vois toujours du côté fonctionnel […] Tant que ça m’est utile, moi je le prends

comme ça […] C’est un outil, qui est complémentaire, et ça permet de nous aider dans notre

travail » (BGN MN 3).

Plus encore qu’une sorte de hiérarchie informelle qui aurait pu s’instaurer entre les

canaux, il s’agit d’une véritable inféodation de cette plate-forme au réseau : ce dernier

considère qu’il pourrait faire sans elle, tandis que la réciproque n’est pas vraie. La réaction de

crainte des téléconseillères que nous avons rencontrées en est une parfaite illustration.

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136

Pour améliorer cette situation, la direction a décidé d’une évolution des procédures, en

accroissant les contacts directs entre les canaux. La perspective utilitariste subsiste, mais vise

à donner plus de pouvoir de décision aux conseillers quant aux clients qui doivent être

contactés par la plate-forme. Paradoxalement, l’accroissement de ce pouvoir des conseillers

sur le choix des clients s’effectue au service de l’assise de la légitimité de cette plate-forme,

puisqu’elle leur fait dorénavant gagner du temps sur leur activité dans le sens qu’ils ont

choisi. Cependant, la nouveauté de cette procédure ne nous a pas permis d’en mesurer

l’impact à long terme sur leur perception.

II.5.2 Facteurs influençant la perception de la plate-forme

entrante par les conseillers.

II.5.2.a) Les procédures.

Les conseillers semblent accueillir favorablement les procédures annoncées par la

direction pour l’instauration du re-routage. La plate-forme n’aura pas pour fonction de faire

barrage au client désireux de parler à son conseiller, mais lui offrira la possibilité de voir sa

demande traitée rapidement par une personne compétente. De plus, si la demande nécessite

son intervention, il sait que la plate-forme lui transmettra l’appel, celle-ci ne faisant pas

barrage, conservant ainsi une maîtrise qui lui échappe totalement dans le cas de la plate-forme

sortante. Quant à la situation présente, elle laisse l’initiative du contact au client, et elle ne

vient donc pas « interférer » dans leur relation avec le client. Au contraire, son existence est

perçue positivement comme une bonne chose, car les clients peuvent y réaliser des opérations

en l’absence de leur conseiller, ou en la fermeture de leur agence.

II.5.2.b) Les réactions des clients

Puisque ces derniers sont pour le moment à l’initiative du contact, ils n’ont pas

tendance à se plaindre de la plate-forme auprès de leur conseiller. La mise en place prochaine

du re-routage risque d’engendrer une levée de boucliers de leur part, que n’appréhendent

toutefois pas les conseillers, en raison des avantages que cela représentera pour eux (libération

du temps commercial, soulagement et limitation de la pollution téléphonique). Une majorité

d’entre ceux qui soulignent ce risque s’empressent d’ajouter que leurs clients devront

s’accoutumer à ce changement, même si ça ne devrait pas leur plaire dans un premier temps.

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

137

La quantité de verbatims codés CLT Réactions pour chacune des deux plates-formes144

renforce cet argument selon lequel ils craignent moins ces réactions que dans le cas de la

plate-forme sortante : leur nombre est bien supérieur dans le cas de la plate-forme sortante (32

occurrences, 12 479 caractères) que dans celui de la plate-forme entrante (19 occurrences, 7

236 caractères). Ce qui ne les empêche pas d’attirer l’attention sur le besoin de garde-fous,

puisqu’ils récupèrent des clients issus d’autres banques au motif de l’existence de plates-

formes entrantes.

Notons pour finir que plusieurs conseillers soulignent connaître d’autres banques dans

les agences desquelles a été instauré le reroutage, ce qui leur a permis d’apprécier le calme de

l’absence de sonneries permanentes, accroissant leur désir de voir cette solution leur être

proposée.

II.5.2.c) Les compétences

La provenance des téléconseillers de la plate-forme entrante, tous originaires du

réseau, est un facteur rassurant souvent avancé par les conseillers. Ils sont sûrs de ce que la

personne que leur client aura au bout du fil sera en mesure de répondre à sa demande. Les

compétences des téléconseillers recrutés pour travailler sur cet outil sont en phase avec

l’image que les conseillers se font du banquier, et cette sorte de réflexe corporatiste accroît la

légitimité qu’ils accordent à la plate-forme entrante.

Cela n’empêche pas toutefois la même vision utilitariste que précédemment, dont est

conscient le personnel de la plate-forme entrante.

« On n’est qu’un service supplémentaire, je dirais, sur la palette des services proposés par la

banque. Eux, ils ont la possibilité d’avoir un conseiller en ligne, c’est un plus, parce que le

leur n’est pas toujours disponible, mais on ne remplacera jamais leur banquier personnel. On

sera toujours, disons, en second plan » (BGN PFE 3).

II.5.2.d) Les résultats obtenus

Les conseillers ne perçoivent pas les résultats des téléconseillers de la plate-forme

entrante à l’aune du volume de ventes qu’ils réalisent, mais de la libération des tâches à faible

valeur ajoutée que leur intervention implique, tout en apportant un service de qualité aux

144Disponible en annexe 4.3

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

138

clients. Cette qualité de service est généralement perçue comme assurée, en raison de la

provenance des téléconseillers.

II.5.2.e) La légitimité reconnue de la plate-forme entrante.

Ce qui précède fait que, au contraire de la plate-forme sortante, la légitimité de la

plate-forme entrante semble admise par les conseillers. Nous avons pour le vérifier réalisé les

mêmes calculs que précédemment, transposés cette fois à la plate-forme entrante (Tableau

2-7).

Tableau 2-7 : Résultat de la comparaison des occurrences des codes LEG Déni et LEG Reco au niveau des agences, pour la plate-forme entrante145

LEG RECO LEG DENI DIFFÉRENCE

Nombre d’entretiens 13 5 8

Nombre de passages 34 9 25

Nombre de caractères 10 768 6 405 4 363

Si il ressort qu’en termes de nombres de passages ou d’entretiens, la plate-forme

entrante est véritablement plébiscitée par les conseillers, la différence en nombre de

caractères, beaucoup plus restreinte, peut surprendre. L’explication est simple : un seul des 5

entretiens de LEG Déni concentre à lui-seul 3 191 caractères, soit près de 50% de la totalité146.

II.5.3 Tout est question d’arbitrage pour les conseillers…

En d’autres termes, si par rapport à la plate-forme sortante, la réaction des clients est

au cœur des préoccupations des conseillers, elle passe au second plan dès qu’il s’agit de la

plate-forme entrante. L’arbitrage qu’ils établissent entre d’un côté, la crainte de la réaction de

leurs clients, et de l’autre côté, le gain de temps et l’enrichissement de leur travail qui

découlent de la nouvelle organisation joue nettement en faveur du second plateau de la

balance. Comme nous l’avons déjà noté, l’idée de soulagement revient très fréquemment,

pour désigner le transfert de la charge de travail à faible valeur ajoutée vers des téléconseillers

dédiés. Et, bien plus que pour la sortante, ils justifient fortement l’existence de la plate-forme

145 Nous avons inversé l’ordre entre les codes par rapport au tableau de la plate-forme sortante, afin d’avoir des différences positives. 146 Disponible en annexe 4.2

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

139

entrante par des comparaisons avec des banques concurrentes, et mettent en avant les

avantages que le client pourra en retirer.

Trois éléments émergent donc de l’analyse :

Ø Les clients : les relations de longue date qu’ils entretiennent avec leur

conseiller leur donne un certain pouvoir sur leur interlocuteur, pouvoir

d’autant plus important que la concurrence se fait plus rude. Les réactions des

clients vis-à-vis des nouveaux canaux influence donc les perceptions qu’en

ont les conseillers, et leur comportement à leur endroit. Ajoutons à cela que

les conseillers parlent toujours de « leurs » clients, marquant une

appropriation qui leur est également reconnue par les téléconseillers des deux

plates-formes. Ces derniers parlent « des » clients, en général, mais leur

discours ne révèle pas ce lien affectif exprimé par les conseillers.

Ø Les procédures : il s’agit de l’ensemble des procédures régissant les

interrelations entre les canaux et la gestion des contacts avec les clients.

Ø Les choix structurels : que ce soit l’implantation d’une seule et unique plate-

forme sortante pour l’ensemble de la banque, ou le déploiement de personnel

du réseau sur la plate-forme entrante, ce sont des choix de structure qui ont

été faits par la direction, et qui modifient le comportement des conseillers.

L’intérêt de ces trois pôles, outre leur identification, repose surtout dans l’existence de

liens entre eux. Les choix structurels portent par exemple les procédures, puisque c’est en

fonction des premiers qu’ont été déterminées les secondes, procédures qui sont impactées par

la manière dont les conseillers vont percevoir les réactions de leurs clients. Concrètement,

certains d’entre eux ont ainsi stoppé l’envoi de demandes de prises de rendez-vous à la plate-

forme sortante suite aux réactions négatives de leurs clients. Ils ont donc procédé à un

arbitrage défavorable au respect des procédures à la suite de ces réactions. L’influence

qu’exercent les clients est d’ailleurs ressentie par les téléconseillers de la plate-forme

sortante :

« J’ai l’impression que le réseau juge plus facilement par rapport à ce que les clients ont dit,

alors qu’il faudrait qu’ils viennent ici voir comment ça se déroule et voir comment ça se

passe » (BGN PFS 3).

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

140

En revanche, les conseillers sont prêts à défendre bec et ongles le choix de la plate-

forme entrante, car ils sentent que les compétences du personnel qui s’y trouve correspond

aux besoins des clients, et savent que les procédures mises en place impliquent leur

intervention en cas d’impossibilité pour le conseiller de répondre à la demande du client. Leur

arbitrage se fonde alors sur les choix structurels qui vont les inciter à privilégier les

procédures sur les réactions des clients, comme l’ont montré plusieurs des verbatims

précédemment utilisés.

II.6 CONCLUSION DU CAS BGN.

Pour refermer ce cas BGN, nous pouvons dire qu’il semblerait que la direction a réussi

à éviter que ne se développe un sentiment de cannibalisation entre les canaux. Néanmoins,

cette absence de cannibalisation n’est pas synonyme de perception de la complémentarité,

puisque si dans le premier cas, prévaut l’absence d’un sentiment de menace, dans le second, il

s’agit d’un sentiment d’obtention d’un avantage grâce à la nouvelle organisation. Or, nous

avons montré que les agences ne se sentent pas véritablement menacées par les nouveaux

canaux, sans toutefois leur reconnaître toujours la possibilité d’améliorer la qualité ou de

diminuer la charge de leur travail, en particulier pour la plate-forme sortante. Cela débouche,

comme nous l’avons montré, sur un déni de légitimité de cette plate-forme, déni qui renvoie

souvent à la même interrogation : les ressources employées par cette plate-forme ne

pourraient-elles pas l’être plus efficacement ? Autrement dit, si il y a absence de

cannibalisation dans le déploiement des canaux, nous pouvons supposer que les agences

perçoivent en revanche une cannibalisation par cette plate-forme des ressources qui pourraient

leur être allouées, perception que la direction tente de faire disparaître par des actions et de la

communication sur ces actions.

Ce phénomène est renforcé par la perception qu’ont les conseillers des réactions de

leurs clients. La vision qu’ils ont de la plate-forme, entrante comme sortante, est largement

technique. A l’inverse, les téléconseillers des deux plates-formes ont une approche plus

affective et empathique, comme le montre la récurrence du thème indulgence dans leurs

entretiens. Ils sont plus prompts à se mettre à la place de leurs collègues du réseau, et à les

excuser. Ils prennent également plus de recul vis-à-vis de ce que disent les clients,

contrairement aux conseillers qui leur attachent beaucoup plus d’importance.

Cette importance se traduit également dans le regret qu’expriment les conseillers par

rapport à la perception qu’ils ont de la stratégie de la BGN. Tous ou presque considèrent que,

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Chapitre Deuxième – Présentation du secteur et étude de cas exploratoire

141

si le client reste officiellement la priorité, le volume de vente devient prépondérant. A leurs

yeux, une optique produit remplace peu à peu une optique client à laquelle ils s’efforcent

cependant de rester fidèles. Cela n’est néanmoins pas toujours aisé, en raison de la pression

des objectifs, et de la multiplication des modes de contacts entre le client et sa banque. Il est

patent que la BGN est dans une phase de substitution progressive de la relation inter-

individuelle (client / conseiller) au profit d’une relation organisation / individu (banque /

client). Ou, pour reprendre les termes employés dans notre premier chapitre, qu’elle est en

train de substituer à la relation initiale, une accumulation de pseudo-relations.

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Conclusion du Chapitre Deuxième

142

EN CONCLUSION DU CHAPITRE DEUXIÈME… Des résultats empiriques au service de l’orientation future

de la revue de littérature

La présentation du secteur de la banque de détail et de ses évolutions, marquées par le

fort développement du multicanal, était une nécessité, du fait de l’origine managériale et

sectorielle de notre objet de recherche. Elle fit donc l’objet de la première section de ce

chapitre, en prenant soin de mêler à la fois données secondaires et primaires pour renforcer la

validité de l’analyse. Dans le magma bouillonnant de ces transformations, nous avons

naturellement insisté sur celles affectant l’organisation de la distribution. Cette mise en

perspective sectorielle nous a permis d’introduire l’étude de cas exploratoire que nous avons

réalisée afin de compléter les insuffisances de la littérature relevées dans le premier chapitre.

Par cette étude exploratoire, nous avons été en mesure d’appréhender plus

concrètement le fonctionnement d’un réseau de distribution multicanal, et de dégager des

éléments importants de l’analyse, parmi lesquels nous retiendrons principalement :

Ø La vérification empirique de l’existence des trois types de complémentarité

que nous avions proposées dans le premier chapitre ;

Ø La mise en évidence de ce que l’absence de cannibalisation ne signifie pas

nécessairement complémentarité entre les canaux, puisque tout dépend du

niveau de complémentarité et de cannibalisation retenu (au niveau des

résultats ? des ventes ? des ressources ?, etc.) ;

Ø L’apparente influence du client sur le fonctionnement du réseau de

distribution multicanal, en particulier sur les interrelations entre les canaux.

Les résultats issus de l’analyse de ces données sont autant de panneaux d’orientation

sur la voie sinueuse de la poursuite de la revue de littérature. Le dernier résultat, qui met en

avant la place que peut jouer le client entre les canaux d’un réseau de distribution multicanal,

nous interpelle particulièrement, car totalement inattendu. Sa relecture théorique, outre poser

dessus un éclairage différent, va nous permettre de construire notre problématique et nos

propositions de recherche, qui nous guideront dans le cadre d’études de cas ultérieures.

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Conclusion de la Première Partie

143

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

Nous avons débuté ce travail de thèse par une interrogation générale, tirée d’une

analyse sectorielle des évolutions de la banque de détail, à propos du fonctionnement d’un

réseau de distribution multicanal. En point de mire de cette première partie, deux cibles :

Ø Proposer au lecteur une définition, que nous avons faite nôtre, d’un réseau de

distribution multicanal, en la replaçant dans le cadre plus général des raisons

et modalités du développement du recours à ce type de réseau.

Ø En écho aux interrogations soulevées, partir à la découverte du « réel »147

pour apporter de premières réponses, et par-dessus tout permettre de faire

évoluer notre réflexion théorique à partir des résultats obtenus148.

Devant la multiplicité des résultats obtenus, et qui ont été présentés dans la seconde

section du second chapitre, un point saillant a retenu notre attention : l’influence que semble

avoir le client sur les interrelations entre agences et centres d’appels. En reformulant ce

résultat, nous aboutissons à la question de recherche qui suit :

Dans quelle mesure le client peut-il influencer les interrelations entre les canaux

qui composent un réseau de distribution multicanal ?

Néanmoins, cette question de recherche ne nous éclaire pas sur les théories à mobiliser

pour y répondre. Il ne s’agit donc pas, en l’état, d’une problématique de recherche149. Ce sera

le but de notre seconde partie que de remédier à cette absence pour justifier de la formulation

de ladite problématique.

147 Les guillemets s’imposent du fait de notre positionnement interprétativiste. 148 Il ne s’agit pas véritablement de procéder à la manière de Strauss et Corbin (1998), qui génèrent de la théorie à partir de leurs données, mais de donner une orientation théorique nouvelle à notre recherche à partir des résultats obtenus. 149 Nous remercions le professeur de Montmorillon pour ses explications sur la distinction entre question de recherche et problématique de recherche.

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Introduction à la Deuxième Partie

144

DEUXIÈME PARTIE : LA LITTÉRATURE AU SERVICE DE LA CONSTRUCTION PROGRESSIVE

DE LA PROBLÉMATIQUE

Ainsi que nous l’avons expliqué, nous devons maintenant traduire théoriquement notre

question de recherche de manière à formuler précisément notre problématique. Cette question

de recherche comporte trois éléments essentiels : le client, les interrelations entre les canaux,

et la manière dont celui-là peut influencer celles-ci.

La revue de la littérature, dont l’orientation est induite par les résultats de l’étude

exploratoire, nous permet de traduire les deux premiers par leurs équivalents théoriques : la

participation client, et la coordination intra-organisationnelle. Cette phase de traduction

(Angot et Milano, 1999) est une étape nécessaire, mais non suffisante, sur le chemin vers la

formulation définitive de la problématique de cette recherche, et des propositions qui

l’accompagnent.

Cela à l’esprit, nous débutons cette seconde partie par une analyse du comportement

productif du client dans le processus de « production » d’un service. Le troisième chapitre a

ainsi pour objectif de présenter ce que la littérature dénomme la participation du client à la

création d’un service, dont nous proposons d’étendre le champ qui est traditionnellement sien.

S’ensuit en quatrième chapitre, un état de l’art sur la coordination intra-organisationnelle,

dont sont présentées deux facettes. L’une se rattache à la dimension structurelle de la

coordination, par l’intermédiaire des travaux en design organisationnel. L’autre, au processus

d’interactions entre individus devant coordonner leurs actions.

A mesure que nous progressons dans ces deux chapitres, nous nous efforçons de

montrer les liens entre ces deux notions de participation client et de coordination intra-

organisationnelle, pour in fine les coupler à la fin du quatrième chapitre. De cette manière,

nous mettons en lumière les éléments théoriques qui nous servent à répondre à notre question

de recherche. Par voie de fait, ce cheminement intellectuel se conclut par l’exposé de notre

problématique et des questions de recherche afférentes (cf. schéma 3 page suivante)

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Introduction à la Deuxième Partie

145

Schéma 3 : De la question de recherche à la problématique

Influence ?

(Chapitres 3 et 4)

Participation client

(Chapitre 3)

Coordination intra-organisationnelle

(Chapitre 4)

Traduction théorique

Dans quelle mesure la participation client influence-t-elle la coordination des employés en contact dans un réseau de distribution multicanal ?

Conclusion de la seconde partie

Influence ? Client Interrelations entre les canaux d’un réseau de distribution multicanal

Conclusion de la première partie

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

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CHAPITRE TROISIÈME : LE CLIENT, ACTEUR DE LA VIE ORGANISATIONNELLE

Le second chapitre a notamment mis en exergue l’importance du rôle que pouvait

jouer le client sur le fonctionnement d’un réseau de distribution multicanal. Le but de ce

retour sur la littérature est maintenant de nous permettre de comprendre et d’expliquer ce rôle.

Le champ de connaissances qui nous concerne au premier chef est celui de la

participation du client au processus de production du service, ou « servuction » (Eiglier et

Langeard, 1987). Les services se distinguent en effet des biens matériels par leur intangibilité,

leur hétérogénéité, leur périssabilité, et la simultanéité de leur production et consommation150.

Ce dernier point implique la présence du client au moment de la production du service, à

laquelle il participe d’une façon ou d’une autre, plus ou moins activement.

Or, ce terme de participation couvre une multitude de situations différentes, et son

usage dans la littérature, des réalités multiples. Notre première section entend donc préciser

cette notion de participation, dont nous fournissons notre définition à l’issue du chapitre.

Dans une deuxième section, nous nous interrogeons sur les motivations qui poussent

un client à participer, de même que sur l’influence que peut avoir l’entreprise sur le

comportement participatif du client et son intensité.

Notre troisième section s’emploie à montrer que le client ne joue pas un seul, mais

plusieurs rôles au cours du processus de servuction. En nous appuyant ponctuellement sur

certains des résultats du cas BGN, nous proposons de jeter un éclairage qui nous paraît

novateur sur cette notion de rôle, en en proposant de nouveaux pour le client.

Enfin, avant d’aller plus loin, nous pensons utile de préciser avoir peu à peu dressé le

constat d’une faible quantité de littérature sur la participation dans un cadre multicanal,

laquelle touche alors surtout aux modalités de choix des clients entre plusieurs technologies

de self-service (Curran et Meuter, 2005 ; Meuter et al., 2005). Aussi ce chapitre s’intéresse-t-

il à la participation d’une manière générale même si, dans un souci de cohérence globale, nous

avons tâché de l’ancrer dès que cela était possible et approprié dans un contexte multicanal.

150 Bien que largement admises dans la littérature (e.g.Eiglier et Langeard, 1987 ; Lovelock et Lapert, 1999 ; Zeithaml et Bitner, 2003), ces distinctions entre biens et services font l’objet de récentes remises en question (Bielen et Sempels, 2003 ; Lovelock et Gummesson, 2004).

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

147

SECTION I. DE LA PARTICIPATION DU CLIENT.

Cette première section est dédiée à la présentation de la notion de participation client

dans les services. Après en avoir constaté et expliqué son évolution récente (I.1), notamment

au plan managérial, nous analysons ce qui en fait sa nature à partir des définitions qu’en

donne la littérature (I.2).

I.1 UNE PARTICIPATION ÉVOLUTIVE.

La vie des entreprises a, ces dernières années, été marquée par l’essor du recours à la

participation client (I.1.1), phénomène pourtant ancien d’externalisation d’une partie de

l’activité généralement assurée en interne (Bendapudi et Leone, 2003). En cause, notamment,

une remise en question du statut du client débouchant sur une vision renouvelée de ce dernier

(I.1.2).

I.1.1 Un accroissement et une mutation de la

participation...

I.1.1.a) Une reconsidération de la participation du client.

Microsoft demande à certains de ses clients de tester des versions de logiciels destinés

à être commercialisés ; La Poste française incite ses clients à écrire les adresses en majuscules

et sans accent sur les enveloppes ; Easycar encourage ses clients à rendre les voitures de

location lavées ; les banques orientent les leurs vers l’utilisation de distributeurs et guichets

automatiques au lieu de se rendre au guichet de leur agence... Ces différents exemples sont

autant d’illustrations d’une tendance croissante du mode de fonctionnement des entreprises de

services, qui de plus en plus font intervenir le client (Bitner et al., 2002 ; Lupieri, 2003) au

cours du processus de « servuction » (Eiglier et Langeard, 1987).

Comme le font remarquer Bendapudi et Leone (2003), « la participation du client en

elle-même n’est pas nouvelle » ( : 14). Ils donnent l’exemple des supermarchés, « modèles de

la co-production par les clients » (ibid.), dans lesquels les clients choisissent, transportent et

emportent les produits, et dont l’existence remonte aux années trente. Le fait que les

entreprises demandent à leurs clients de participer à la production et à la livraison du service

qu’ils souhaitent obtenir n’est donc pas récent. Ce phénomène fut d’ailleurs très tôt relevé par

des auteurs tels Barnard (1948) ou Parsons (1956), précurseurs d’une abondante littérature sur

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le sujet (e.g. Bateson, 1985 ; Bitner et al., 1997 ; Bowen, 1986 ; Fitzsimmons, 1985 ;

Lovelock et Young, 1979 ; Namasivayam, 2003, etc.).

Toutefois, il est plus nouveau de voir les entreprises reconnaître le fait qu’encourager

les clients à participer activement au service constitue la « nouvelle frontière de l’efficacité

compétitive » (Bendapudi et Leone, 2003 : 14). En effet, bien que ses avantages soient depuis

longtemps identifiés, le recours à la participation du client à la production d’un service

semblait jusque récemment faire l’objet d’un traitement assez basique et simple dans l’activité

quotidienne des entreprises. Le passage d’échanges transactionnels classiques à la co-création

de véritables expériences entre les entreprises et leurs clients marque en cela une rupture avec

les pratiques antérieures (Prahalad et Ramaswamy, 2004).

Savoir comment gérer cette participation permet, schématiquement, soit d’améliorer la

productivité de l’entreprise (Bowen et Jones, 1986 ; Lovelock et Young, 1979), ou

d’augmenter le degré de qualité perçue par le client, donc sa satisfaction (Bitner et al., 1997).

C’est dans cet esprit que de nombreux auteurs ont émis (ou, plus rarement, testé) des

propositions de modes de gestion de cette participation (e.g. Bowen, 1986 ; Canziani, 1997 ;

Chervonnaya, 2003 ; Larsson et Bowen, 1989 ; Lovelock et Young, 1979)

I.1.1.b) Une transformation quantitative et qualitative.

L’accroissement de cette participation suit une double tendance. Il est tout d’abord

quantitatif, comme nous l’avons déjà mentionné. Bitner et al. (2002) notent que « les clients

fournissent de plus en plus de leur propre service » ( : 96), essentiellement en raison de la

révolution technologique de ces dernières années. Au cœur de leurs travaux, l’utilisation de

plus en plus massive des technologies de self-service, qui permettent d’externaliser sur le

client une partie plus importante de la servuction. Nous rejoignons alors des problématiques

étroitement liées aux canaux de distribution, puisque ces technologies, interfaces entre

l’entreprise et le client, permettent à ce dernier d’accéder au service qu’il co-crée. Autrement

dit, la création de nouveaux canaux, qui découle en grande partie de l’innovation

technologique (cf. p 42), induit un accroissement de la participation du client. Toutefois n’y

est pas explicitement abordé le sujet de la combinaison de canaux, puisque Bitner et al.

(2002) s’interrogent sur les raisons du développement de ces technologies de self-service et la

manière de les déployer, ainsi que sur les motivations et réticences des clients à les utiliser. En

d’autres termes, il s’agit d’identifier les conditions pouvant mener à un remplacement de

canaux traditionnels impliquant une interaction employé – client par des canaux supprimant

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

149

ladite interaction et reportant la majorité du processus de servuction sur le client. Ces liens

entre multicanal et participation client sont plus explicitement mis en évidence chez Prahalad

et Ramaswamy (2004).

L’accroissement de la participation se veut aussi qualitatif, en ce sens que le client doit

posséder de plus en plus de connaissances, et savoir les mettre en œuvre pour participer

(Danet, 1981). Cet aspect est extrêmement important, puisque de la qualité de sa participation

dépendront par exemple l’amélioration de l’efficacité de l’entreprise, ou de sa propre

satisfaction (Bowers et al., 1990 ; Goodwin, 1988). Dans une relation client – entreprise

caractérisée par l’introduction de nouveaux canaux de distribution, cette dimension prend

toute sa signification. Le client souhaitant y recourir rentre dans un processus d’apprentissage

indispensable à l’optimisation de leur usage, lequel processus sera plus ou moins long en

fonction de la complexité du canal, de son utilisation antérieure par le client (par exemple,

dans le cadre d’une relation avec une autre entreprise), ou encore de la manière dont la firme

va ou non le guider dans cet apprentissage, etc. Ce dont nous avons précédemment évoqué

l’importance et les conséquences pour l’entreprise mettant en place un réseau de distribution

multicanal comme pour ses clients (cf. p. 68).

I.1.2 ...Liés à un renouveau du statut du client.

I.1.2.a) L’approche de Prahalad et Ramaswamy (2000 ; 2004) : du public au joueur.

Dans la lignée de travaux postmodernes (Firat et al., 1995 ; Firat et Venkatesh, 1995),

Prahalad et Ramaswamy considèrent que les clients finaux sont passés au fil des ans d’un

statut de « public passif » à celui de « joueurs actifs » (2000 : 80 ; 2004: 213). Le vocabulaire

employé est lourd de sens. D’un côté, les clients sont vus comme un ensemble agrégé de

personnes n’ayant pas de prise sur l’entreprise (« public passif »). De l’autre, comme des

individus indépendants mais capables de se réunir au sein de communautés, et disposant

personnellement (et collectivement) d’un pouvoir sur l’entreprise et la qualité de la prestation

qu’elle leur délivre (« joueur actif »). Ils font partie du « réseau amélioré » d’où proviennent

les compétences clés de la firme (Prahalad et Ramaswamy, 2000 : 82). Ces auteurs se font en

cela l’écho de Mills et al., qui déjà en 1983 écrivaient que « le client ne [serait] plus

simplement un observateur du produit de ses désirs » ( : 305).

Ce changement est mis sur le compte de l’évolution technologique, et en particulier de

l’Internet, qui tient une place prépondérante dans leur raisonnement. En effet, « en grande

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

150

partie grâce à Internet, les consommateurs se sont de plus en plus engagés dans un dialogue

actif et explicite avec les producteurs de biens et de services » (Prahalad et Ramaswamy,

2000 : 82.) Avec pour pendant un changement du regard que leur portent les entreprises, qui

saisissent tout l’intérêt (mais aussi les risques) que peut induire cette transformation. C’est ce

que montre le tableau 3-1 ci-après.

Tableau 3-1 : Évolution et transformations des consommateurs

CLIENTS = « PUBLIC PASSIF » CLIENTS = « JOUEURS

ACTIFS »

Persuader des groupes de

clients prédéterminés151

Transactions avec des acheteurs individuels

Lier des relations « à vie » avec des

clients individuels

Les clients sont des co-créateurs d’une valeur

unique

Période 1970s – début 80s

Mi- 80s – début 90s Décennie 1990 2000 et plus

Nature de l’échange et

rôle du client

Les clients sont vus comme des acheteurs passifs avec un rôle de consommation prédéterminé par les entreprises. Ils

sont « à l’extérieur de l’entreprise », et sont une cible pour les offres d’échanges des firmes. Les clients sont simplement quelqu’un pour lesquels l’entreprise fait

quelque chose.

Les clients font partie d’un réseau de

compétences élargi. Ils co-créent et co-extraient

de la valeur de l’échange. Ils sont collaborateurs,

co-développeurs et concurrents. Les clients deviennent quelqu’un

avec qui l’entreprise fait quelque chose (créer et

développer des expériences)

Attitude managériale vis-à-vis des clients

Le client est une statistique

moyenne, les groupes de clients sont

prédéterminés par l’entreprise

Le client est une statistique

individuelle dans une transaction.

Le client est une personne. La

confiance et la relation sont

cultivées.

Le client n’est plus seulement un individu qui doit être respecté en tant que tel. Il fait aussi partie d’une structure sociale et culturelle émergente (les communautés de clients),

et du réseau de partenaires de

l’entreprise, au même titre que les fournisseurs,

par exemple. Interactions entreprise /

clients et développe ment des

produits et

L’entreprise mène des études de marché et des recherches pour

créer de nouveaux

On passe de la vente pure à une aide aux clients,

via des départements

spécialisés, des

L’observation des clients permet de subvenir à leurs

besoins. L’entreprise identifie les

Les clients co-créent la valeur, dont les

fondations sont le dialogue, l’accès,

l’évaluation des risques, et la transparence. Ils sont

151 En 1981, Danet écrivait que « les clients servis par les organisations ont été considérés, lorsqu’ils l’étaient, comme des groupes, plutôt que comme des individus » ( : 382).

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

151

services produits / services sans

feedback auprès des clients. Les clients sont de

simples récipiendaires de

la qualité des produits de l’entreprise.

centres d’appels, et des

programmes de service client. L’entreprise identifie les problèmes

rencontrés par les clients, puis redessine les produits et

services grâce à ce feedback

solutions grâce aux leaders, et reconfigure les

produits et services en se basant sur sa

compréhension approfondie des

clients

des co-développeurs d’expériences

personnalisées. Les entreprises et les clients leaders sont unis pour éduquer, façonner les

attentes du marché et co-créer l’acceptation pour les produits et services. Ces derniers font partie de l’environnement de

l’expérience dans lequel les clients co-construisent leurs propres expériences

Objectif et sens de la

communication

L’entreprise cherche à avoir un accès à un groupe cible

prédéterminé de consommateurs. Communication

unidirectionnelle : de l’entreprise vers les clients.

L’entreprise recourt aux bases

de données constituées à

partir du feedback des

clients. Communication bidirectionnelle

L’entreprise instaure un marketing

relationnel, et met en avant

l’importance de la confiance dans

les échanges. Communication

et accès bidirectionnels

Dialogue actif avec les clients et les

communautés pour co-former les attentes individuelles, co-

construire des expériences

personnalisées et développer le bouche à

oreille152. Accès et communication

multiniveau (Internet, points de vente physique,

téléphones fixes et mobiles, télévision

interactive...)

Source : Adapté de Bowen, 1986 ; Hoekstra et al., 1999 ; Lengnick-Hall, 1996 ; Prahalad et Ramaswamy, 2000, 2004153

Par delà l’Internet, source d’interactions nouvelles et d’un dialogue réinventé entre les

clients et les entreprises, Prahalad et Ramaswamy insistent sur la multiplication des canaux de

distribution, dont la portée reste encore nettement sous-estimée par les firmes : « Bien que la

grande majorité des professionnels reconnaisse que le changement technologique est en train

de révolutionner les structures de canaux à travers toutes les industries, ils ne paraissent pas

152 Dans leur article de 2000, Prahalad et Ramaswamy emploient l’expression « buzz » qui, littéralement, peut se traduire par « bourdonnement », ou « ce qu’on raconte », renvoyant à des notions telles que le « buzz marketing » ou le marketing viral (Rosen, 2001 ; Stamboli et Briones, 2002). Nous avons préféré le traduire par l’expression « bouche à oreille », dont nous considérions qu’elle retranscrivait le mieux le sens donné par Prahalad et Ramaswamy. 153 La structure et la majorité du tableau sont basées sur les travaux de Prahalad et Ramaswamy, que nous avons enrichis d’éléments issus des travaux des autres auteurs référencés.

+ NIVEAU D’UTILISATION DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION

DANS LES ÉCHANGES ENTRE LE CLIENT ET L’ENTREPRISE

_

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

152

réaliser que le choix des canaux à la fois par les clients et les entreprises façonne

fondamentalement la co-création d’expérience » (Prahalad et Ramaswamy, 2004 : 41).

Or, il est impossible de faire l’économie de cette réflexion, en dépit des difficultés que

représente la mise en place d’environnements multicanaux, car à l’heure actuelle, les

structures de canaux traditionnelles constituent des obstacles notables à l’établissement

d’expériences personnalisées (ibid.).

I.1.2.b) Une analyse réductrice.

Bien que stimulante, l’approche de Prahalad et Ramaswamy nous paraît souffrir de

quelques limites importantes.

Tout d’abord, ils semblent restreindre les raisons de l’évolution du statut du client à

l’innovation technologique, ce qui est à nos yeux très réducteur. En premier lieu, les clients

disposent désormais d’un niveau d’éducation supérieur, et de capacité de jugement et

d’évaluation renforcées (Danet, 1981 ; Lovelock et Lapert, 1999). Ils sont donc plus à même

de juger de la qualité des biens et des services qui leur sont vendus, même si ces derniers

restent soumis à des difficultés d’appréciation inhérents à leur nature intangible (Siehl et al.,

1992 ; Zeithaml et Bitner, 2003).

Par ailleurs, les entreprises affichent ostensiblement une orientation client de plus en

plus marquée (Grönroos, 2001 ; Hoekstra et al., 1999 ; Jeantet, 2001 ; Lengnick-Hall, 1996),

ce qui a pour effet de modifier les représentations que le client se fait de lui-même, tout

comme son comportement. Jeantet (2001) le montre parfaitement dans son étude des relations

entre les guichetiers de la Poste française et leurs clients : « Les clients seraient plus pressants

du fait des campagnes de publicité lancées par l’ensemble des entreprises de service (les

clients-rois), et du fait du changement d’attitude des agents (lesquels ne peuvent plus se

comporter comme les fonctionnaires décriés autrefois). Les représentations que le client se

fait de lui-même ont changé, et sa conduite en conséquence » (: 75). Nous rejoignons à

nouveau les préoccupations des auteurs postmodernes sus-cités.

Ils donnent ensuite l’impression d’une passivité totale de la part des clients avant l’an

2000 (plus concrètement, avant l’avènement d’Internet), ce qui n’est pas totalement exact. Par

exemple, l’émergence des mouvements consuméristes révélait dès les années 1970 une

volonté réelle des clients d’agir sur les entreprises (Dubois et Jolibert, 1992).

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

153

Enfin, leur analyse ne prend pas en compte les travaux antérieurs sur la participation

du client et ses dimensions. Depuis longtemps reconnue par la littérature (Barnard, 1948 ;

Parsons, 1956 ; Thompson, 1962), cette participation a fait l’objet de deux courants de

recherche opposés (Dabholkar, 2000).

Le premier prend racine dans les travaux de Thompson (1962, 1967), et considère le

client comme une menace pour l’entreprise, dont il amoindrit la productivité, en raison de

l’incertitude que sa participation introduit154 (Chase, 1978, 1981 ; Chase et Tansik, 1983). Dès

lors, mettre en place une organisation efficace et efficiente implique une « désagrégation »

(Chase et Tansik, 1983 : 1039) fine des unités de l’entreprise, de telle sorte que le « cœur

technique »155 (ibid.), c’est à dire les processus de production (op.cit.. : 1038), soit

« découplé » du reste : il faut « séparer physiquement ou sur un plan organisationnel les

activités d’une organisation, et les placer sous des supervisions distinctes » (op.cit.. : 1039).

Le second courant, à l’inverse, reconnaît explicitement les clients comme une source

supplémentaire de productivité (Langeard et al., 1981 ; Lovelock et Young, 1979). Ainsi,

« dans les services, les managers peuvent utiliser des outils marketing pour encourager les

clients à modifier leur comportement afin que les services soient délivrés d’une manière plus

productive et économiquement efficiente » (Lovelock et Young, 1979 : 169). Lovelock et

Young s’appuient sur des exemples concrets d’entreprises qui ont tenté de mobiliser les

compétences de leurs clients pour améliorer la productivité et la rentabilité de certaines

activités de services156. Toutefois, en dépit de cette reconnaissance de l’importance que peut

jouer le client, force est d’admettre que la diffusion de cette idée dans le monde de l’entreprise

reste relativement récente (Bendapudi et Leone, 2003 ; Bitner et al., 2002), ce qui expliquerait

la teneur de l’analyse de Prahalad et Ramaswamy.

I.2 LA NATURE DE LA PARTICIPATION.

La participation du client particulier au processus de production d’un service est donc

de plus en plus importante, les entreprises ayant découvert là un gisement de productivité

encore largement inexploité (Prahalad et Ramaswamy, 2004). Mais derrière ce terme

générique de participation sur lequel la littérature nous éclaire (I.2.1), se cachent diverses

154 Nous tenterons de montrer dans le chapitre 4 que cette interprétation des travaux de Thompson est peut être un peu rapide, et pourrait mériter plus de nuance. 155 Notion qu’ils empruntent à Thompson (1967 : 11). 156 Stations-service automatisées ; distributeurs automatiques de billets ; utilisation de nouveaux codes postaux…

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

154

intensités participatives (I.2.2). Se confondent même avec lui des notions distinctes, qui

peuvent être considérées comme certaines de ses composantes (I.2.3).

I.2.1 Qu’est-ce que la participation client ?

I.2.1.a) Quelques définitions.

La participation, « action de prendre part à quelque chose, à son résultat » 157, semble

naturellement impliquer une action, ou un ensemble d’actions, de la part du client de

l’entreprise de service. Cela induit de nombreuses questions : dans quelles circonstances cette

action se produit-elle ? Est-elle spontanée de la part du client, ou suscitée par l’entreprise ?

Pourquoi le client participe-t-il ? Doit-il toujours participer de la même façon ?...

Pour le savoir, penchons nous pour commencer sur des définitions de la participation

client que nous livre la littérature (Tableau 3-2). Avant tout, nous tenons à souligner que, en

dépit de son utilisation relativement courante, cette expression n’est que parfois littéralement

définie : il n’est pas rare de rencontrer des travaux qui se limitent à son utilisation contextuelle

et/ou à son sens commun, et qui font à peine référence à ses principales dimensions (e.g.

Fitzsimmons, 1985 ; Bowers et al., 1990). En règle générale, la définition retenue reste

implicite et repose sur un consensus autour des dimensions de la participation, ou plus

exactement sur ses composantes que sont les inputs apportés par le client (Bitner et al., 1997 ;

Goodwin, 1988 ; Lovelock et Young, 1979).

157 Dictionnaire Encyclopédique Hachette Multimédia, Édition 2001.

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155

Tableau 3-2 : Revue chronologique de définitions de la « customer participation »

AUTEUR(S) DÉFINITION

Kelley et al., 1990: 315

« Dans le cas de nombreux services, le client se voit demander une contribution en information ou en effort avant que la transaction de service

puisse être consommée »

Dabholkar, 1990 : 484158

« Le degré d’implication du client dans la production et la distribution du service »

File et al., 1992: 6

« « La participation » en tant que construit marketing se réfère aux types et au niveau de comportement dans lequel les clients s’engagent réellement en

fonction de la définition et de la livraison du service (ou de la valeur) qu’ils recherchent »

Cermak et al., 1994159

« La participation se réfère aux comportements du client liés à la spécification et à la distribution d’un service ».

Bettencourt, 1997 : 402

« Le rôle actif du client dans la production ou la distribution d’un service […] Le client est volontaire pour remplir ce rôle »

Rodie et Kleine, 2000 : 111

« La participation du client (CP) est un concept comportemental qui renvoie aux actions et aux ressources fournies par les client pour la production et / ou

la distribution d’un service. La participation du client inclut les inputs mentaux, physiques, et émotionnels des clients ».

Hsieh et al., 2003 : 190

« L’importance des ressources fournies par le client, sous la forme de temps et / ou d’effort, d’informations, et de co-production durant le processus de

production et de distribution du service »

Namasivayam, 2003 : 422

« La participation du client se réfère au rôle du client dans les processus de production, qu’il s’agisse d’un service ou d’un bien tangible »

I.2.1.b) Les composantes de la participation client.

A première vue, la participation implique donc de la part du client une contribution à

deux activités qui incombent généralement à la seule entreprise : la production et la

distribution. Cette contribution peut prendre différents aspects, allant de la communication

d’informations à l’entreprise, pour qu’elle puisse offrir un service correspondant aux attentes

du client, à la réalisation d’efforts qui permettront aux clients d’obtenir ce service (Kelley et

al., 1990). Plus largement, Rodie et Kleine (2000 : 111) parlent de trois catégories d’inputs :

158 Cité par Bendapudi et Leone (2003 : 14). 159 La source n’ayant pu être consultée qu’au format HTML sur une base de données (EBSCO), il nous est malheureusement impossible de préciser la page de cette référence.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

156

Ø Les inputs mentaux : ils incluent l’information donnée par le client à

l’entreprise, et l’effort mental qu’il consent à faire pour obtenir le service

(Mills et al., 1983 ; Mills et Turk, 1986 ; Rodie et Kleine, 2000). Source

d’informations sur ses propres attentes (Canziani, 1997 ; Siehl et al., 1992), le

client fournit un effort mental ou « travail cognitif » (Rodie et Kleine, 2000 :

112), comme l’effort de structuration de ces informations, ou l’effort de

compréhension des modalités de réalisation du service.

Ø Les inputs physiques : ils « incluent les biens matériels propres du client et

ses efforts physiques » (Rodie et Kleine, 2000 : 112). Les premiers peuvent

aussi bien être tout ou partie du corps du client (e.g. le visage chez une

esthéticienne), ou des biens que le client possède ou dont il a la charge (un

véhicule déposé chez un garagiste) (Lovelock, 1983, 2001 ; Lovelock et

Lapert, 1999 ; Siehl et al., 1992). Le second correspondra aux actions

entreprises par le client au cours de sa participation (Siehl et al., 1992).

Ø Les inputs émotionnels : il s’agit de l’ensemble des émotions éprouvées par

les clients au cours de la production ou de la distribution du service. Ce peut

être, par exemple, la maîtrise (ou non) d’un énervement que provoquerait un

employé incompétent ou désagréable.

A ces trois catégories, nous ajouterons les quatre suivantes :

Ø Les inputs financiers : c’est tout simplement le prix facturé par l’entreprise et

payé par le client (Bitner et al., 1997; Zeithaml et Bitner, 2003). Il implique

que celui-ci décide d’une allocation de ses ressources financières au détriment

d’un autre bien ou service. Ces inputs financiers ne rentrent pas, selon nous,

dans les inputs physiques tels que définis par Rodie et Kleine (2000), qui

correspondent plutôt à des possessions du client sur lesquelles l’entreprise

agit dans le cadre de la prestation de service.

Ø Les « inputs temporels » : la participation prend un temps variable au client

selon le service concerné : il est nécessaire de prévoir plus de temps pour un

soin corporel dans un salon d’esthétique, que pour effectuer un retrait

d’argent à un distributeur automatique. Le temps que le client va accepter de

passer pour obtenir un service est un facteur qui rentre en compte dans son

évaluation du coût du service (Lovelock, 2001 ; Lovelock et Lapert, 1999 ;

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

157

Song et Adams, 1993). Il faut également y inclure le temps éventuellement

passé par le client à comprendre le fonctionnement du service, avant même de

l’obtenir (Mills et Morris, 1986).

Ø Les inputs « comportementaux » : Kelley et al. (1990 ; 1992) transposent au

client la distinction faite par Grönroos entre qualité technique et qualité

fonctionnelle160. Ils supposent ainsi que le client peut agir sur la qualité du

service à la fois par ce qu’il va faire, mais aussi par sa manière d’agir, donc

par sa manière d’apporter des inputs au processus de servuction. Cela renvoie

en particulier à des aspects interpersonnels de la prestation, tels que le respect

ou la courtoisie dont le client fait preuve vis-à-vis de son prestataire ou des

autres clients. Mais bien que proche en apparence des « inputs émotionnels »

de Rodie et Kleine, cette catégorie d’inputs est plus large, puisque pouvant

aussi se rattacher à la rapidité avec laquelle le client fournit les informations

ou les biens demandés par le prestataire de services, ou à la bonne (ou

mauvaise) volonté avec laquelle le client acceptera de participer. En d’autres

termes, il s’agit de ce que nous appelons son « comportement productif »,

essentiel dans le cadre de la servuction pour déterminer la qualité du service,

sur laquelle il est admis qu’il agit (e.g. Kelley et al., 1992). Pour cette raison,

nous proposons de parler des « inputs comportementaux » du client comme

composante de sa participation.

Ø Les inputs relationnels : l’idée de cette catégorie d’inputs provient d’une

réflexion personnelle, basée sur deux constats. Premièrement, nous n’avons

pas trouvé dans la littérature de travaux mentionnant l’importance du contenu

de l’échange entre un client et un prestataire de service sur le contenu d’un

échange ultérieur (immédiat ou différé dans le temps) entre ce client et un

autre prestataire de service (que ce dernier fasse ou non partie de la même

entreprise). Or, la qualité du contenu de l’échange entre le client et son

prestataire rentre dans l’évaluation que fait le client de la qualité globale du

service qui lui est délivré. Les expériences antérieures du client influençant

ses attentes et son comportement futur vis-à-vis d’un prestataire de service

160Pour Grönroos (1984 ; 2001), la qualité d’un service peut se diviser en deux parties. D’un côté, la qualité technique, qui se réfère au résultat du processus de servuction, i.e. au service lui-même au sens de Bancel-Charensol et Jougleux (1998), et de l’autre, la qualité fonctionnelle, c’est-à-dire la façon dont le client reçoit le service, et sa perception de la manière dont le service lui est délivré.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

158

(Grönroos, 2001), il semble logique de penser que le contenu de l’échange

passé aura une influence sur la manière dont le client abordera un échange

futur dans un cadre similaire de consommation (par exemple, avec la même

entreprise, le même employé, ou une autre entreprise appartenant au même

secteur que la précédente). Par exemple, si un client a une mauvaise

expérience, voire plusieurs, avec un chauffeur de taxi, il est probable qu’il

adopte progressivement un a priori négatif à l’égard de l’ensemble des

chauffeurs de taxi, ce qui est susceptible d’altérer le contenu des échanges

(donc la qualité du service) avec ces chauffeurs. Le deuxième élément qui

nous conduit à proposer cette notion d’inputs relationnels repose dans les

résultats de notre étude exploratoire. Nous avons montré que le client

influence la perception que le conseiller a de ses collègues de la plate-forme,

en lui faisant part de son opinion basée ses contacts avec la plate-forme

(contacts contraints ou volontaires, en fonction de la nature de la nature du

centre d’appels). La portée de cette idée d’inputs relationnels est alors

potentiellement très large, puisque dans ce cas, leur mobilisation par le client

(i.e. la transmission d’informations par le client sur l’échange qu’il a eu avec

un employé ou un système technique, à un autre employé) peut être en

mesure d’avoir un impact sur les relations à l’intérieur de l’organisation.

Figure 3-1 : Les composantes de la participation du client au service

PARTICIPATION CLIENT

Inputs mentaux Informations et efforts mentaux

Inputs physiques Biens matériels et efforts physiques

Inputs émotionnels

Émotions

Inputs financiers Prix payé

Inputs temporels

Temps

Inputs comportementaux

Comportements productifs

Inputs relationnels Contenu et qualité

perçue des échanges antérieurs

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

159

La figure 3-1 synthétise ces différentes catégories, qui sont bien sûr non exclusives les

unes des autres. Par exemple, participer à un programme d’amincissement requerra à la fois

du client qu’il exprime son besoin et comprenne le fonctionnement du programme (inputs

mentaux), s’efforce de limiter sa consommation de nourriture en dépit d’éventuelles

sensations de faim (inputs physiques), affronte les phases de découragement par lesquelles il

peut passer au cours du programme (inputs émotionnels), paie l’organisme qui lui établira un

programme de régime personnalisé (inputs financiers), accepte de prendre le temps de

participer aux réunions de suivi imposées par le programme (inputs temporels), au cours

desquels il doit être respectueux des animateurs et des autres clients qui suivent le même

programme (inputs comportementaux). En outre, au cours de ce programme, le client peut

avoir une altercation avec un des animateurs, qui risquera d’avoir des répercussions sur

l’ensemble de son comportement vis-à-vis des autres animateurs (inputs relationnels).

I.2.1.c) La nature des inputs comme source d’arbitrage entre les canaux.

Il convient de remarquer pour conclure qu’un client n’est aucunement tenu de

mobiliser dans toute situation l’ensemble de ces inputs, entre lesquels il peut arbitrer. Ainsi,

un client souhaitant ne pas se déplacer en point de vente pour limiter son effort (input

physique) et éviter de perdre du temps (input temporel) privilégiera de passer par Internet, ou

de téléphoner pour passer une commande, même si cela lui coûte les frais de livraison ou de

connexion (inputs financier). Par conséquent, nous proposons que le choix d’un canal de

distribution peut dépendre de l’arbitrage que le client fera entre la nature des inputs qu’il

consentira à mobiliser, ou sur la base de leur combinaison nécessaire à l’obtention du service.

I.2.2 Différents degrés de participation.

I.2.2.a) Un continuum de la participation.

Le client ne participe pas toujours de la même façon, ni avec la même intensité, au

service qui est lui est fourni. La définition de Dabholkar (1990) dans le tableau 3-2 en est

particulièrement révélatrice, lorsqu’elle parle du degré d’implication du client au service.

La détermination du niveau optimal de participation des clients à un service est

reconnue comme stratégiquement primordiale (Bowen, 1986). Mais ce niveau est également

hautement spécifique à chaque secteur, voire à chaque entreprise en fonction de l’organisation

et de la stratégie adoptées (Bitner et al., 1997 ; Larsson et Bowen, 1989 ; Mills et Morris,

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

160

1986). Aussi ne trouve-t-on pas d’étude fixant une fois pour toute ce niveau optimal, mais

plutôt des continuums de la participation, sur lesquels on peut fixer la « taille du rôle »161 des

clients (Rodie et Kleine, 2000 : 117), i.e. l’importance de leur participation.

Bowen (1986) distingue deux situations : celles où le client « agit seulement comme un

« co-producteur » avec les employés », de celles où il devient « le seul producteur » du

service ( : 378). Cette idée avait déjà été formulée par Fitzsimmons (1985), qui expliquait que

« selon le niveau d’implication du client, on peut envisager un spectre de systèmes de

production et de distribution de services allant du « faites-le-vous-même » à une dépendance

complète vis-à-vis du fournisseur » ( : 61).

D’autres travaux se sont depuis inscrits dans la même lignée. Par exemple, Kelley et

al. (1990 : 328) proposent deux extrêmes de la participation client. D’un côté, si le client est

familier du service, sa participation sera machinale : ses efforts, notamment cognitifs, seront

alors minimes. Bateson (2002) parle dans ce cas de « client expert ». Par contre, si il ne

connaît pas le service (« client novice » d’après Bateson, op.cit.), ou si celui-ci requiert des

efforts mentaux ou physiques importants, alors il sera « absorbé » par sa participation, qui

sera plus intense162. Ceci n’est pas non plus sans rappeler la distinction que posent Meuter et

Bitner (1998) entre trois types de production : la production assurée par l’entreprise, la

production jointe, et la production assurée par le client. Ce dernier type s’avère d’autant plus

fréquent que le développement technique offre des modes de self-service de plus en plus

élaborés (Bateson, 1985, 2002 ; Bitner et al., 2002).

Bitner et al. (1997), puis Zeithaml et Bitner (2003), à la suite de Hubbert (1995), ont

approfondi cette notion de continuum, et identifié trois niveaux de participation (tableau 3-3).

161 « Role size » (Rodie et Kleine, 2000 : 117), qui est « la proportion du service produit et distribué par le client lui-même » (ibid.). 162 Kelley et al. (1990 : 328) parlent respectivement de « mindlessness » (cas où le client est familier du service) et d’« engrossment » (si le client ne connaît pas le service ou si son obtention demande d’importants efforts).

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

161

Tableau 3-3 : les 3 niveaux de participation du client selon le niveau de standardisation des services.

FAIBLE NIVEAU DE

PARTICIPATION

NIVEAU DE PARTICIPATION

MODÉRÉ

FORT NIVEAU DE

PARTICIPATION Degré de

standardisation / personnalisation

Les services sont standardisés

Les inputs du client permettent de

personnaliser un service standard

La participation active du client guide

un service qui est personnalisé

Production et distribution du service

Le service est fourni sans tenir compte de

l’achat individuel

La mise à disposition du service requiert

son achat par le client auquel il est destiné

Le service ne peut pas être créé en dehors de

l’achat et de la participation active du

client

Inputs du client

Le paiement peut être le seul input que

l’entreprise requiert du client (en dehors

de sa présence)

Les inputs du client sont nécessaires pour un résultat adéquat,

mais l’entreprise reste seul fournisseur

Les inputs du client sont obligatoires et participent à la co-

création du résultat de la servuction

Exemples Une nuit d’hôtel Une coupe de cheveux

Un programme de formation

personnalisé

Exemples transposés au multicanal bancaire

La consultation de comptes sur Internet

Le traitement d’une demande de crédit

véhicule

La gestion d’un portefeuille patrimonial

Sources : adapté de Bitner et al., 1997 : 194 ; Zeithaml et Bitner, 2003 : 353.

Dans le premier cas, seule la présence du client est requise. Dans le second, il doit

amener des inputs163 pour que l’entreprise puisse créer le service. Enfin, le troisième

correspond à ce qu’elles qualifient de véritable co-création du service entre le client et

l’entreprise : « les clients ont des rôles essentiels dans la production qui, si ils ne sont pas

remplis, affecteront la nature du résultat de la prestation » (Bitner et al., 1997 : 195). Placé

dans le cadre du multicanal, ce continuum peut permettre de mettre en place une stratégie de

distribution selon laquelle à chaque canal, serait assigné un niveau particulier de participation.

De cette manière, il serait possible de proposer (ou d’imposer) aux clients, en fonction du

niveau de participation qu’ils souhaitent atteindre (ou de celui que l’entreprise souhaite les

voir atteindre, nous y reviendrons), le canal correspondant.

Une telle stratégie mériterait toutefois d’être affinée. En effet, cette typologie n’est pas

exempte de critique. En particulier, nous émettons une réserve à son encontre, laquelle réserve

se rapporte à l’utilisation de technologies de self-service par le client (distributeurs

automatiques). En pareille situation, le service est standardisé, et peut être fourni sans tenir

163 Que Zeithaml et Bitner (2003) ramènent à de l’information, des efforts ou des possessions physiques (: 354).

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

162

compte de l’achat individuel. Toutefois, ce service ne peut pas être créé en dehors de la

participation active du client, qui doit avoir appris à utiliser le distributeur, et doit enclencher

un certain nombre d’actions qui lui permettront d’obtenir le service qu’il désire. Il est de toute

évidence difficile de placer ce cas de figure dans l’une des cases du tableau 3-3. Une manière

d’affiner cette typologie serait ainsi de distinguer parmi différentes participations considérées

à l’aune de la nature des inputs (financiers, physiques, mentaux...) que doit mobiliser le client.

Cette présentation selon trois niveaux de participation reste proche de Bowen (1986)

ou de Meuter et Bitner (1998). Son intérêt principal est de mettre en avant l’importance de la

personnalisation du service, fortement liée au degré de participation du client. Cette

conclusion recoupe notamment celle de Kelley et al. (1990), puisque d’après eux, « pour

fournir un service personnalisé, il est important que le client ait un fort niveau d’implication

dans le service » ( : 329). L’implication est ici la contribution du client à la production du

service, notamment sous la forme d’efforts ou d’informations, et à laquelle Lovelock (1983)

fait notamment appel pour établir ses classifications des activités de services.

Nous retiendrons enfin la contribution de Chervonnaya (2003), qui s’est également

penchée sur les liens entre le niveau de standardisation / personnalisation du service, et le

degré de participation du client. En croisant le niveau de standardisation avec le « degré de

monopole du producteur sur la connaissance permettant de réaliser un processus de service

particulier » ( : 352), elle propose une typologie à quatre quadrants des processus de services,

qui permet d’établir le degré de participation du client approprié pour chacun de ces

processus. Le degré de participation est dans ce cas assimilé à un ou plusieurs rôles que joue

le client au cours de la servuction164.

I.2.2.b) Le client comme seul producteur ?

Précédemment, nous avons mentionné que la littérature désignait parfois le client

comme quasiment seul producteur du service (e.g. Bowen, 1986 ; Meuter et Bitner, 1998),

dans le cas où ce dernier est face à une technologie de self-service. Cette notion a été a été

reprise et récemment poussée à l’extrême par Namasivayam (2003), qui regrette que « la

plupart de la recherche en management des services voit implicitement le fournisseur du

service comme le « producteur » du service prêt à être consommer par le consommateur » (:

421). D’après lui, cela sous-estime l’importance du rôle de co-producteur que joue le client, et

il propose de voir dans le client le « seul producteur » du service. L’entreprise aura

164 Nous reviendrons ultérieurement, au cours de ce chapitre, sur la notion de rôle joué par le client.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

163

uniquement comme rôle de favoriser ou de faciliter la production du service165, que celle-ci

mobilise uniquement des technologies de self-service ou non.

Nous marquons notre désaccord à l’adresse de cette vision que nous pensons être trop

extrême. Nous reconnaissons l’importance indéniable du client dans le processus de

servuction. Néanmoins, dire à l’instar de Namasivayam que l’entreprise de service ne fait que

mettre à disposition du client un ensemble de composants parmi lesquels ce dernier fait son

choix, et qu’il combine selon sa propre volonté, nous paraît par trop réducteur.

Qui plus est, le client est assimilé à une ressource dans le processus de servuction. Or,

Lorino (1995) avance qu’une ressource ne peut être considérée comme telle que si elle a une

contribution potentielle ou réelle à un processus créateur de valeur : « sans le processus qui la

mobilise, la ressource n’existe pas » (Lorino, 1995 : 66). Autrement dit, comme le client ne

peut pas produire son service en indépendance totale des éléments mis à sa disposition par

l’entreprise, il peut difficilement en être considéré comme le « producteur unique » 166. Pour

cette raison, nous préférons à cette expression celle de « producteur essentiel » de la

prestation.

I.2.2.c) Le niveau de la participation comme source d’arbitrage entre les canaux.

Nous avons proposé que la nature des inputs mobilisés, de même que leur

combinaison, peuvent être une explication de l’arbitrage que peut être amené à faire un client

entre plusieurs canaux (cf. p 159). Par ailleurs, le tableau 3-3 permet de penser que, en

fonction des canaux, le niveau de participation sera différent, comme nous l’avons souligné.

Ainsi, par-delà leur nature, ou leur combinaison, nous pouvons suggérer que la quantité des

inputs, qui détermine le niveau de la participation demandée, intervient également dans

l’arbitrage que réalise un client entre plusieurs canaux de distribution.

165 « This view highlights the role of the consumer as sole “producer” and the service provider as “enabler” or facilitator in the production or assembly of the product » (Namasivayam, 2003 : 421). 166 Pour être complet, il convient de préciser que cette omission peut également provenir de problèmes de traduction d’écrits anglo-saxons. En effet, le producteur du service, ou « provider », correspond à l’employé en contact avec le client, et chargé de réaliser le service. En ce sens, l’on pourrait dire que le seul « provider » du service serait le client, même si d’après nous il s’agit d’une vue de l’esprit beaucoup trop partielle : si les systèmes d’informations ou les matériels techniques mis à la disposition du client pour la production du service sont défaillants, c’est cette dernière en tant que prestataire de services qui en sera tenue pour responsable.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

164

I.2.3 Ce que n’est pas la participation.

Nous refermons cette première section en soulevant quelques interrogations théoriques

quant à la possibilité de considérer la participation comme construit résultat de la

combinaison de différentes notions. La littérature renferme en effet plusieurs concepts qu’il

serait aisé de confondre avec celui de la participation du client, dont ils diffèrent pourtant

conceptuellement (Rodie et Kleine, 2000). Certains pourraient cependant être considérés

comme des composantes de la participation, à l’instar du premier d’entre ceux qui suivent.

I.2.3.a) La participation ne se limite pas au contact.

L’expression « contact client » fut introduite pour la première fois par Chase en 1978,

même si des travaux antérieurs en avaient posé les prémices, ainsi que le rappellent Kellog et

Chase (1995). Elle renvoie alors « à la présence physique du client dans le système » (Chase,

1978 : 138). L’étendue du contact y est définie comme « le pourcentage de temps pendant

lequel le client doit se trouver dans le système, relativement au temps total que cela prend

pour le servir » (ibid.). Ce temps passé dans le système correspond en fait au temps que le

client passe avec l’employé qui doit lui fournir le service. Le contact entre l’employé et le

client n’est pas obligatoirement physique, de face-à-face, mais peut intervenir par le biais de

média de communication (Bitran et Hoech, 1990).

Chase se situe dans la lignée de Thompson (1967), qui préconise que le « cœur

technique » de l’entreprise doit être coupé de l’environnement, donc des clients167. Il émet

l’hypothèse que moins le client passe de temps dans le système de production, plus en sera

accrue l’efficience de l’entreprise (Chase, 1978, 1981). En effet, une telle organisation permet

de limiter l’incertitude inhérente à la présence du client dans le système (op.cit.). Il prend soin

de préciser que cela n’est pas possible pour tout type de service, ce qui l’amène à distinguer

entre les systèmes à fort et ceux à faible contact. Toutefois, Chase est peu disert sur l’intensité

ou la nature des actions que le client doit entreprendre pour participer à la production /

livraison du service durant cette période de contact168. De surcroît, nous abondons dans le sens

de Canziani (1997) lorsqu’elle écrit que Chase ne propose en fait qu’une simple substitution

d’un type de contact à un autre lorsqu’il distingue entre ces deux systèmes. 167 Nous verrons dans le chapitre 4 qu’une autre lecture des travaux de Thompson est envisageable. 168 De cette manière, nous pouvons aller jusqu’à dire qu’un faible niveau de contact ne correspondra pas forcément au faible niveau de participation de Bitner et al. (1997), par exemple. Si le client reste peu en contact, mais donne force informations ou a une activité intense dans le système de servuction pendant un bref délai, il peut bénéficier d’un service standardisé qui, dans la typologie de Bitner et al., correspond à un fort niveau de participation, tandis que le contact tel que défini par Chase aura été de courte durée.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

165

Des travaux plus récents ont tenté d’opérationnaliser cette notion de contact client en

utilisant trois mesures : la durée de la communication entre l’employé et le client ; la valeur

de l’information échangée entre les parties, et la confiance mutuelle entre l’employé et le

client au cours de l’échange (Kellog et Chase, 1995). Il n’en demeure pas moins que Rodie et

Kleine (2000) font observer que le contact reste un concept qui relève de la perspective de

l’entreprise, à l’inverse de la participation qui relève du client, en ce qu’elle « couvre

l’ensemble des inputs du client à la production et livraison du service, et n’est pas contrainte

par les frontières d’une seule rencontre de service » ( : 112). Pour autant, la confusion

survient parfois dans la littérature. Par exemple, l’étude empirique réalisée par Fitzsimmons

(1985) montre qu’il se situe dans une perspective de contact client (tandis qu’il affiche

clairement son intention de parler de participation). Au final, et compte tenu de ce que nous

présenté de la participation jusqu’à maintenant, il paraît raisonnable de dire que le contact

peut être caractérisé comme étant une dimension de la participation du client.

I.2.3.b) La participation ne se limite pas à l’engagement ou l’implication169.

Au quotidien, la participation du client peut être décrite comme une implication, un

engagement du client dans le processus de création du service. La littérature en marketing et

en comportement du consommateur pose une différence entre les deux notions, puisque

définissant l’engagement comme « le niveau d’identification psychologique [du client] avec

le service et avec le fournisseur de service » (Bowers et al., 1990 : 56). Il s’agit donc de ce

que Rodie et Kleine (2000) appellent une « caractéristique dispositionnelle » ( : 112) du

client, qui renvoie à l’idée d’une certaine proximité entre celui-ci et l’entreprise qui lui fournit

le service (Siehl et al., 1992 : 541). L’implication n’est alors qu’un ensemble de

prédispositions qui accompagnent le client au moment de la rencontre de service. A l’opposé,

la participation du client survient à travers son ou ses comportements qui interviennent au

moment de la co-création du service (Rodie et Kleine, 2000). Il n’empêche que leur emploi

est occasionnellement indifférencié dans la littérature, comme dans le cas du contact client (à

titre d’exemples, nous citerons comme tels les travaux de Julian et Ramaseshan, 1994 ; Mills

et Moberg, 1982 ; Song et Adams, 1993).

D’un autre côté, Cermak et al. (1994), tout en reconnaissant que participation et

implication sont deux notions différentes, précisent qu’ont été mises au point plusieurs

169 La langue anglaise utilise le terme « involvement », qui supporte au moins trois traductions : la participation ; l’implication ; l’engagement, qui sont trois concepts distincts dans la littérature (e.g. Cermak et al., 1994).

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

166

échelles de l’implication qui la considèrent, au moins partiellement, comme un

comportement. Développant leurs arguments, ils en arrivent à cette conclusion : « il semble

approprié de réserver le terme d’implication pour se référer aux attitudes ou aux états du

client, et d’utiliser la participation pour désigner les comportements relatifs à la spécification

et à l’utilisation d’un service. De cette manière, la participation inclut des aspects pertinents

de l’implication » ( : 92). Autrement dit, à l’instar du contact, l’implication peut être

considérée comme une dimension de la participation.

I.2.3.c) La participation ne se limite pas à la consommation.

L’inséparabilité caractérisant les services renvoie à la simultanéité de leur production,

distribution et consommation. Mais la production, nous nous sommes employés à le montrer,

mobilise des actions et ressources de la part du client, au contraire de la consommation, qui

place le client dans une situation plus passive au cours de laquelle il « bénéficie des avantages

de la production et de la distribution » (Rodie et Kleine, 2000 : 113).

Cette distinction conceptuelle est parfois moins aisée dans la pratique, où peuvent être

intriquées les deux activités. Cela dépend alors de la nature du service et du contexte dans

lequel il intervient (Chervonnaya, 2003 ; Rodie et Kleine, 2000). Comme le notent Rodie et

Kleine (op.cit.), il est aisé de distinguer les actions entreprises par le client pour produire et

obtenir (distribution) son service de la consommation lorsqu’il s’agit de services juridiques,

ou d’un coiffeur. C’est plus difficile si il s’agit d’un service à forte composante expérientielle

comme un safari, par exemple. Ainsi, de même que le contact et l’implication, pouvons nous

avancer que la consommation peut s’analyser comme étant une des composantes de la

participation170.

I.2.3.d) Contact + engagement + consommation = participation ?

Généralement, la littérature s’est attachée à distinguer la participation du contact, de

l’engagement ou de la consommation (Cermak et al., 1994 ; Chervonnaya, 2003 ; Rodie et

Kleine, 2000). En revanche, les liens potentiels entre ces quatre notions restent, à notre

connaissance, inexplorés. En effet, il conviendrait de s’interroger : puisque le contact,

l’engagement et la consommation sont, à en croire les travaux précités, des sous-parties de la

170 Des recherches complémentaires doivent cependant être réalisées pour clarifier ces distinctions entre participation et consommation, en fonction des contextes et de la nature du service (Rodie et Kleine, 2000 : 113).

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participation du client, est-il possible d’aller jusqu’à dire que l’addition du contact, de

l’engagement et de la consommation équivaut à la participation ? Et dans ce cas, cette

addition procède-t-elle d’une logique séquentielle ? Ou la participation est-elle plus riche

encore, et transcende cette simple addition ? Notre objectif n’est pas de répondre à cette

question, mais de soulever une interrogation dans l’espoir qu’elle stimulera de futures

recherches dans cette voie.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

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SECTION II. LES DÉTERMINANTS DE LA PARTICIPATION.

Pourquoi le client décide-t-il de participer ? La question mérite d’être posée, puisque

l’on pourrait s’attendre à ce qu’il préfère être servi par l’entreprise, plutôt que de s’investir

dans la production de ce qu’il reçoit, et remplacer partiellement son prestataire. Or, pour que

l’entreprise bénéficie des avantages découlant d’une stratégie multicanale (ou en limite les

inconvénients), il faut que le client adhère à celle-ci. Cela n’est pas assuré à l’avance,

puisqu’une telle stratégie conditionne en règle générale, nous l’avons dit, une modification

qualitative et / ou quantitative de la participation du client.

En outre, s’intéresser à la participation revient le plus souvent à envisager le client

comme un « employé partiel » de l’entreprise (Mills et Morris, 1986). Cette réflexion conduit

Bowen à suggérer que « les stratégies de gestion du comportement du client dans la

production et la distribution d’un service peuvent être tirées des modèles de comportement

des employés » (Bowen, 1986 : 378). Cela débouche sur plusieurs critères influençant le client

à participer ou non au service, qui dans le cas du multicanal par exemple, peuvent permettre à

l’entreprise de faire en sorte que le client comprenne les transformations attendues de sa

participation, les accepte plus facilement, etc…

La difficulté de leur traitement tient en ce que ces critères se rapportent à deux

catégories différentes et interreliées171. La première reprend un ensemble de caractéristiques

spécifiques au client (II.1), qui peuvent être influencées par la seconde que représentent

certaines actions de l’entreprise (II.2), puisqu’elle agit par exemple largement sur la clarté de

la participation. Nous concluons cette section en montrant de quelle manière ce qui précède

peut conduire un client à arbitrer entre différents canaux (II.3)

171 La littérature en identifie une troisième, qui est l’influence potentielle des autres clients sur la participation, même si les relations entre participation client et interactions entre clients sont l’objet de peu de travaux (Parker et Ward, 2000). En quelques mots, si certains clients connaissent mieux l’entreprise ou savent mieux utiliser les services qu’elle propose, ils sont en mesure d’influencer la qualité et le degré de participation des nouveaux clients. Ainsi, Bowers et al. (1990) insistent sur l’importance de définir « le travail des clients » (: 62), afin que ceux qui savent exactement ce qu’ils ont à faire puissent venir en aide aux autres. Par exemple, dans un club de sport, un habitué sera en mesure de renseigner un novice sur le mode d’utilisation des machines de musculation, sur la qualité des professeurs de sport,... Bowers et al. (op.cit.) poursuivent en expliquant que « l’utilisation de clients comme mentors pour d’autres clients permet d’enrichir le contenu des interactions subséquentes avec les employés en contact » ( : 63), phénomène formalisé par Bateson (2002) (clients « experts » vs clients « novices »). Par observation (Mills et Morris, 1986 : 371) et / ou imitation des premiers, les seconds peuvent développer leurs capacité à participer. Le bouche à oreille positif de la part des clients experts permet également d’améliorer la participation des nouveaux clients (File et al., 1992).

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II.1 LES DÉTERMINANTS DE LA PARTICIPATION INHÉRENTS AU CLIENT.

A la suite de Bowen (1986), Rodie et Kleine (2000) proposent trois déterminants de la

participation : l’importance de la participation, la capacité, et la volonté du client à participer.

Bitner et al. (2002), dans une étude sur l’adoption des technologies de self-service, intègrent

dans ce qu’ils appellent le niveau de préparation du client172, la capacité, la clarté du rôle, et la

motivation des clients. Lengnick-Hall et al. (2000) mettent en avant trois facteurs essentiels à

la participation : la clarté perçue de la tâche assignée au client, sa capacité ou compétence

technique, et sa motivation. Enfin, Goodwin (1988) insiste sur l’importance de la prise de

conscience de cette participation par les clients.

Nous retenons pour notre part quatre déterminants majeurs : la prise de conscience

(II.1.1) ; la clarté perçue du rôle attribué au client (II.1.2) ; la capacité perçue (II.1.3), et enfin

la volonté du client à participer (II.1.4). Nous excluons temporairement l’importance173 du

champ de notre analyse, dont Rodie et Kleine (2000) soulignent qu’elle est essentiellement

déterminée par l’entreprise, même si elles précisent qu’elle dépend bien évidemment de la

capacité et de la volonté du client à participer. Nous abordons pour finir les liens potentiels

entre ces quatre déterminants (II.1.5).

II.1.1 La prise de conscience.

II.1.1.a) Définition

Tout au long de sa vie et de sa confrontation à des services différents, le client suit un

processus de socialisation centré sur l’apprentissage de rôles spécifiques (Goodwin, 1988 ;

Kelley et al., 1990). Il s’agit pour lui de prendre conscience174, d’apprendre, puis d’internaliser

le ou les rôles qu’il devra adopter au cours des différentes étapes de la production d’un

service, donc la participation qui lui est demandée, et ses modalités de mise en œuvre. Cela

rejoint ce que Kelley et al. appellent « l’identification de rôle », c’est à dire le degré auquel un

individu s’identifie à un rôle spécifique ou à un ensemble de comportements (Kelley et al.,

1990 : 328). Cette identification va entraîner ou faciliter la mise en œuvre de ces

comportements en fonction de la situation dans laquelle se trouve l’individu.

172« Customer readiness », que l’on peut également traduire par « l’empressement du client à participer ». 173 « Role size », Rodie et Kleine, 2000 : 117. Nous reviendrons sur l’importance du rôle lorsque nous spécifierons l’influence de l’entreprise sur la participation (cf. p. 180). 174« Awareness » (Goodwin, 1988 : 72)

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II.1.1.b) Trois niveaux de prise de conscience.

Cette prise de conscience peut s’envisager à trois niveaux. Tout d’abord, le client doit,

tout simplement, être conscient qu’il lui faut participer au service pour l’obtenir, ce que nous

appellerons la prise de conscience de l’existence (ou du besoin) de sa participation. Elle

émerge essentiellement lorsque le client est confronté à une situation nouvelle : nouveau

service, ou changement dans un service existant, par exemple : « L’individu devient conscient

des exigences de rôles quand il ou elle présente un « moi » inapproprié à la situation »

(Goodwin, 1988 : 72). Dans les autres situations (c’est à dire quand son « moi » est approprié

à la situation, pour paraphraser Goodwin) le client sait qu’il doit agir, et de quelle manière il

doit agir. Il a pour cela appris des scripts175 qu’il connaît et mobilise en situation pour se

guider dans les étapes de la servuction impliquant sa participation.

Il lui faut également être conscient des modalités et de l’importance de cette

participation : que doit-il faire, de quelle manière, où doit-il se rendre... ? Le troisième niveau,

enfin, est celui de la prise de conscience des avantages de la participation (Bowen, 1986 :

381) : que peut-il en retirer ?

En d’autres termes, si le client ne prend pas conscience de la nécessité de sa

participation, en saisit mal les dimensions (i.e. quels sont les rôles qu’il doit remplir), ou ne

voit pas les avantages qu’il peut en recueillir, soit il ne participera pas, soit il participera mal,

ce qui risque d’avoir des effets négatifs tant pour lui (e.g. une moindre satisfaction) que pour

l’entreprise (e.g. une moindre productivité). D’où la nécessité pour l’entreprise d’exposer

clairement les modalités de la participation qu’elle attend de la part du client, comme nous le

verrons plus loin.

En dépit de son importance, et de ce qu’elle semble un préalable logique à l’évaluation

par le client de la participation qui lui est demandée, de sa capacité et de sa motivation à

l’assurer, cette prise de conscience a fait l’objet de peu de recherches conceptuelles, et moins

encore empiriques.

175 Un script est « un ensemble de comportements appropriés à une situation et qui accroissent la probabilité d’atteinte de l’objectif. Chaque participant a un rôle à jouer, et le script qu’il utilise est souvent strictement défini » (Solomon et al., 1985 : 101).

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II.1.2 La clarté du rôle perçue par le client.

II.1.2.a) Définition et sources de la clarté du rôle perçue par le client

La clarté du rôle176 perçue par le client est « un aspect de la connaissance qui

contribue à la capacité » du client à participer au service (Rodie et Kleine, 2000 : 117 ;

Chervonnaya, 2003 : 361). Le client doit savoir et comprendre ce qu’il a à faire (Bowen,

1986 ; Bitner et al., 2002), « comprendre comment exécuter un rôle » (Rodie et Kleine, 2000 :

117). Elle est donc nécessairement perçue, puisque dépendante de la manière dont le client va

comprendre le rôle que l’entreprise attend qu’il remplisse.

Cette clarté du rôle est très importante : Bitner et al. (1997) montrent par exemple que

plus le niveau de connaissance et de compréhension du rôle attendu est élevé, plus la

propension des clients à participer est forte, confirmant les allégations de Mills et al. (1983).

Rodie et Kleine (2000 : 117-118) identifient quatre sources de ce déterminant de la

participation qui sont propres au client :

Ø La première est l’expérience propre du client avec un fournisseur de services

particulier. Celle-ci lui permet de développer un script facilitant la co-

production du service avec un fournisseur spécifique.

Ø La seconde est l’expérience accumulée par le client dans des contextes

similaires (Bowen, 1986 : 379).

Ø Ensuite, un client qui découvre un contexte de service totalement nouveau

pour lui peut se reposer sur d’éventuelles expériences antérieures dans des

contextes similaires, et…

Ø […] En pareille situation, il pourra également prendre modèle sur le

comportement des autres clients.

II.1.2.b) De l’ombre à la lumière.

A nouveau, la clarté du rôle n’est pas figée, mais s’inscrit dans une dynamique. « Au

cours d’une rencontre de service, les clients redéfinissent leur rôle à mesure qu'ils

accumulent plus d’expérience avec le service et le fournisseur particulier de ce service »

176 Kelley et al. (1990) parlent de « direction motivationnelle » (: 321).

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(Goodwin, 1988 : 74). Bateson (2002) le confirme, qui oppose les clients entre eux de par leur

niveau de connaissance et de compréhension (organisation des connaissances) du service.

Un client découvrant un nouveau service soulèvera donc peu à peu le voile qui

obscurcit les modalités de sa participation, qu’il assimilera plus ou moins rapidement.

L’entreprise a dès lors tout intérêt à éclaircir autant que possible le rôle des clients. Il existe

donc d'autres sources de la clarté du rôle pour le client, générées par l'entreprise177, comme

nous le verrons plus loin (cf. p. 182).

II.1.3 La capacité du client à participer au service.

II.1.3.a) La capacité perçue à participer.

Pour Bitner et al. (2002), la capacité du client est « la capacité perçue [par le client] à

réaliser le comportement [attendu ou demandé par l’entreprise] » (: 103). Rodie et Kleine

(2000) étendent cette définition, considérant que « la capacité du client se réfère à la

possession par les clients des ressources nécessaires pour participer au niveau de rôle idéal,

c’est à dire, les niveaux spécifiés par l’entreprise pour atteindre une qualité de service et une

satisfaction optimales. Dans le sens le plus large, la capacité inclut toutes les ressources

pertinentes comme la connaissance, la compétence, l’expérience, l’énergie, l’effort, l’argent

ou le temps » (: 117). Elles sont suivies par Chervonnaya (2003) : « la capacité du client [est]

la capacité de réaliser son rôle » 178 ( : 354).

Cette notion est proche de celle de « compétence client » développée par Canziani

(1997) : c’est « le niveau de correspondance entre les inputs du client (capacité,

connaissance et motivation) et les rôles correspondants des clients dans les systèmes de

production et de distribution des entreprises » ( : 8). Puis cet auteur distingue la compétence

client générique, de la compétence client spécifique : la première « se réfère à l’adéquation

des connaissances, des capacités et des motivations avec les rôles les plus généraux que les

gens tiennent dans les entreprises de service » (ibid.), tandis que la seconde porte plutôt sur

l’adéquation de ces mêmes connaissance, capacité et motivation aux procédures spécifiques

177 Et par les autres clients, comme nous l’avons évoqué antérieurement. 178 La nature tautologique de cette définition a de quoi surprendre le lecteur, puisque nous écrivons que « la capacité [est] la capacité... ». Comme souvent, il s’agit ici d’un point de traduction, plusieurs synonymes étant utilisés dans la littérature anglo-saxonne pour traiter de notions proches, voire identiques. Ainsi, Bitner et al. (2002) parlent de« customer ability », de même pour Rodie et Kleine. Par contre, Chervonnaya (2003) emploie le terme de « customer skill », Prahalad et Ramaswamy de « customer competence », et enfin, Canziani (1997), de « customer competency ».

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utilisées par une seule entreprise (et plus précisément, par un système de production /

distribution spécifique).

Ces trois définitions sont relativement proches, à ceci près que celle de Bitner et al.

(2002) a l’intérêt non négligeable de souligner explicitement que c’est la perception que le

client a de sa (ou ses) propre(s) capacité(s) à participer qui est le plus important, dimension

implicitement présente chez les autres auteurs cités. Bitner et al. se font en cela l’écho de

Goodwin (1988), lorsqu’elle écrit que « les gens qui se sentent impuissants affichent souvent

une performance moindre dans une grande variété de contextes » ( : 74). Dès lors, même si

l’entreprise considère que son client a (ou devrait avoir) les capacités intellectuelles,

financières,... pour participer, sans que cette vision soit partagée par le client, elle se trouvera

rapidement en situation d’échec, à moins d’aider le client à modifier sa propre perception.

Dans le cas d’un self-service, cette capacité se traduit de deux manières (Bitner et al.,

2002). Le client doit disposer des infrastructures ou du matériel nécessaires à l’obtention du

service. Par exemple, pour utiliser un service de banque à domicile via Internet, il doit avoir

un ordinateur, ainsi qu’un abonnement et une connexion Internet. Mais il doit aussi, et c’est la

seconde forme de capacité, se sentir capable d’utiliser la (ou les) technologie(s) qui sous-

tend(ent) le service. Ainsi, même si ce client possède un ordinateur et est doté d’une

connexion à Internet, il n’utilisera peut être pas le service que lui propose sa banque si il se

sent perdu, ne sait pas où se diriger, craint de faire de fausses manipulations…

II.1.3.b) Une capacité dynamique.

Cette notion de compétence, ou de capacité du client, à participer, s’est vue

approfondie par les travaux de Prahalad et Ramaswamy (2000) : « la compétence que les

clients apportent est une fonction de la connaissance et des capacités qu’ils possèdent, de

leur volonté à apprendre et à connaître des expériences, et de leur capacité à s’engager dans

un dialogue actif » ( : 80). Ils dépassent la simple co-production du service par le client, pour

s’engager dans une réflexion plus vaste autour de la co-création de valeur entre l’entreprise et

le client, vue comme « l’avenir de la concurrence » 179 (2004). L’apport de ces auteurs est de

considérer la capacité du client à participer comme fondamentalement dynamique, dont les

possibilités d’évolution sont, en particulier, étroitement liées à l’explosion de l’utilisation

d’Internet. Cet aspect dynamique est également souligné par Chervonnaya (2003). 179 Il ne s’agit rien moins que du titre de leur ouvrage paru en 2004 : Prahalad, C.K et Ramaswamy V. (2004), The Future of Competition, Co-Creating Unique Value with Customers. Boston, Massachussets: Harvard Business School Press.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

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Le client doit donc être capable de participer à la production / distribution du service,

ce qu’il sera d’autant plus en mesure de faire qu’il disposera de ressources, compétences,

connaissances, en adéquation avec les exigences du prestataire. Sa capacité à participer n’est

en aucun cas figée, et l’entreprise dispose de puissants leviers pour la faire évoluer (cf. p 183).

II.1.4 La volonté du client de participer au service.

II.1.4.a) Une volonté variable selon les clients.

Le dernier déterminant est le désir affiché par le client de participer au service. Ceci

est très important, car tous les clients ne veulent pas forcément participer au service, ou pour

le moins, tous ne souhaitent pas participer forcément de la même façon, ou avec le même

degré d'intensité (Bowers et al., 1990 : 65 ; Zeithaml et Bitner, 2003 : 367). En ligne avec

cela, Bateson (Bateson, 1983 ; 1985) a empiriquement montré d’un côté que certains clients

étaient par nature attirés par des « self-services », c’est-à-dire des services impliquant un fort

niveau de participation, tandis qu’existait à l’opposé une frange de consommateurs que le

self-service n’intéressait pas du tout. A cela, trois explications possibles :

Ø Le client ne perçoit pas, ou mal, les avantages qu’il pourrait retirer de sa

participation.

Ø Le client présente des caractéristiques personnelles (psychologiques,

comportementales...) qui font qu'il n'a pas envie de participer.

Ø Le client considère, par exemple, qu'il n'a pas les capacités nécessaires pour

participer au service, ou que l'importance de la participation qui lui est

demandée est trop élevée.

Ces trois éléments constituent autant de facteurs susceptibles d'influencer le degré de

motivation (ou de volonté) du client, et de faire la lumière sur les différences entre les niveaux

de participation d’un client à un autre, ou pour un même client d’un service à un autre.

II.1.4.b) Moteurs et freins de la volonté à participer.

Rodie et Kleine (2000) font remarquer que : « comme la plupart du temps dans la vie,

en fonction de l'opportunité, les gens/clients participent dans la mesure où leurs bénéfices

sont supérieurs à leurs coûts » (: 118). Elles identifient ainsi trois catégories non exclusives

d'avantages incitant le client à participer, mais qui, en conséquence, représentent autant de

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

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freins potentiels. A celles-ci nous ajoutons une quatrième, issue de Kelley et al. (1990) : le

degré d'identification du client à son rôle.

II.1.4.b.(1) Maximiser l'efficience du processus. Puisque la participation du client permet un transfert de coût de l’entreprise sur le

client, ce dernier attend de la première qu’elle lui rétrocède tout ou partie de ces économies, et

ce d’autant plus qu’une des dimensions de sa participation est monétaire. Un prix plus faible

est une traduction claire de cette rétrocession, dont l’impact est positif sur la volonté des

clients à participer. Ainsi, Fitzsimmons (1985) a t-il montré que les clients affichaient une

volonté plus importante s'ils étaient récompensés par un prix inférieur pour obtenir le service

auquel on leur demandait de participer.

Mais, comme le fait remarquer Bowen (1986) : « les clients ne sont pas uniquement

conduits par des besoins économiques » (: 381). C'est pour cette raison que des auteurs ont

mis l'accent sur l'existence de coûts non monétaires comme le temps, des efforts physiques,

ou encore des coûts sensoriels180. Dans cette optique, à la suite de ce qu'avait proposé Bowen

(1986), des recherches ont permis de montrer que, notamment dans le cas de l'utilisation de

technologies de self-service, la motivation du client à participer était d'autant plus forte que

celle-ci lui permettait de gagner du temps (Bateson, 1983, 1985 ; Bitner et al., 2002 ; Bowers

et al., 1990). Outre le temps que le client peut gagner, la facilité d'utilisation du service entre

également dans la détermination des coûts non monétaires, puisqu'elle limite les efforts

physiques ou intellectuels du client. Autrement dit, plus un service est facile d'utilisation, et

plus le client sera prêt à participer (Fitzsimmons, 1985 ; Bowers et al., 1990).

II.1.4.b.(2) Maximiser l'efficacité et la qualité du service reçu.

Le second élément susceptible de motiver le client n'est autre que l'amélioration de

l'efficacité et de la qualité du service reçu. Nous avons déjà souligné que certains services ne

peuvent être délivrés que grâce aux inputs qu’apporte le client : des biens matériels lui

appartenant, de l'information, de la communication... En de telles circonstances, si le client

refuse de participer, soit il ne pourra pas disposer du service, soit ce dernier aura un niveau de

qualité déplorable (Rodie et Kleine, 2000). Ainsi, certains clients « participent uniquement

pour réduire la probabilité d'obtenir un service de qualité insuffisante » (ibid.). Nous y

reviendrons plus loin, mais nous pouvons d'ores et déjà préciser que le niveau de participation 180 Nous les avons évoqué au cours de notre discussion sur les composantes de la participation (cf. p 155). Pour une synthèse, voir Lovelock et Lapert, 1999 : 268 ; Zeithaml et Bitner, 2003 : 482-483

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a tendance à augmenter dès lors que les clients pensent qu'ils sont sur le point d'obtenir un

service de qualité non satisfaisante (Kellog et al., 1997). En d'autres termes, les clients seront

d'autant plus prompts à participer qu'ils «percevront que leur participation active améliore la

qualité ou la valeur du service » (Bowers et al., 1990 : 65).

En outre, d'après Kelley et al. (1990), les clients ayant des attentes précises tant quant

aux ressources qu'ils devront mobiliser durant la rencontre de service, que quant à la manière

dont ils devront les mobiliser, participeront certainement plus volontiers que les autres clients

(Bitner et al., 1997 ; Schneider et Bowen, 1995). Notons que ces attentes peuvent être

influencées par l'entreprise, en fonction de la façon dont elle éclaircira les modalités de la

participation du client (cf. p. 180).

Enfin, le client peut être motivé à participer dans l'espoir d'améliorer la qualité future

du service fourni. Nous touchons alors à son comportement de réclamation, c'est-à-dire que

nous sommes dans une perspective particulière par rapport à nos propos antérieurs. La

participation du client se fait ex-post, puisque sa réclamation intervient le plus souvent après

l'obtention du service. Toutefois, cette réclamation implique des efforts (intellectuels, en

temps,...) que le client ne sera prêt à consentir que si il pense que son fournisseur remédiera

réellement aux problèmes (Snellman et Vihtkari, 2003 ; Zeithaml et Bitner, 2003).

II.1.4.b.(3) Des avantages psychologiques. Le client peut retirer plusieurs avantages psychologiques de sa participation, au

caractère fortement incitatif. Ceux-ci sont grandement liés à certaines de ses caractéristiques

personnelles (facteurs attitudinaux, comportementaux ou psychologiques, etc.), mais

constituent à ce jour l’objet de trop peu de recherches, comme le déplorent Bendapudi et

Leone (2003).

Ainsi, un certain attrait pour la nouveauté, ou une possibilité de se divertir tout en

participant peuvent amener les clients à participer (Dabholkar, 1996, 2000). C'est ainsi que

l'on sait que, même en l'absence des avantages précités, certains clients aiment tout

simplement participer au service, car ils apprécient le simple fait de prendre part à sa

production (Bateson, 1985 : 73). Pour ces clients, la volonté de participer transcende même

les catégories de services (Bateson, 1983, 1985 ; Langeard et al., 1981).

Un autre avantage psychologique pouvant amener le client à participer plus activement

à la servuction est le niveau de contrôle perçu par le client. Dans son étude de 1985 sur

différents types de self-service (station-service, banque de détail, fast-food, aéroport, hôtel,

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

177

agence de voyages), Bateson a montré que plus le client avait une forte sensation de contrôle

sur le service, et plus il était motivé à participer. Ces résultats furent renforcés par ceux de

Dabholkar (1996). D'autres recherches menées dans le milieu médical ont aussi mis en

évidence l'importance du niveau de contrôle perçu181. L'amélioration de l'image de soi

résultant de cette indépendance et de ce contrôle perçus peuvent expliquer une plus forte

motivation du client (Fitzsimmons, 1985 : 67).

Il ne faut pas non plus négliger que le client, du fait de sa participation, est

partiellement responsable de la qualité du service qu'il reçoit, et du confort qu'il peut en

retirer. Pour cette raison, Goodwin explique que l’acceptation ou non de cette responsabilité

aura un effet important sur sa volonté de participer au service (Goodwin, 1988 : 74).

II.1.4.b.(4) Le degré d'identification du client à son rôle. Pour Kelley et al. (1990), « le client joue deux rôles uniques [au cours du processus

de servuction] : le rôle traditionnel du client, et le rôle de l'employé partiel » (: 329). En

fonction de son niveau d'identification à l'un ou l'autre de ces rôles, le client aura un

comportement différent, et en particulier, sa volonté de participer ou non au service sera

différente. « Les clients qui s'identifient plus fortement au rôle traditionnel du client seront

moins prêts à modifier leur comportement (ce qui peut être nécessaire pour eux afin de

contribuer efficacement aux ressources de la transaction) » (ibid.).

Ces auteurs envisagent donc le client comme un acteur à double facette, dont le niveau

d’identification à l’un ou l’autre des deux rôles qu’il peut endosser aura un impact sur sa

volonté à participer au processus de servuction.

II.1.4.c) Le caractère processuel de la volonté de participer.

Tout comme la capacité du client à participer, et la clarté de son rôle, la volonté du

client de participer au service n'est pas déterminée une fois pour toutes. En effet, différentes

actions de l'entreprise de services (par le biais de méthodes de socialisation organisationnelle,

Kelley et al., 1990) peuvent l'influencer, comme nous le verrons plus loin.

II.1.5 Des déterminants interdépendants ?

Même si, à notre connaissance, aucune étude empirique ne l'a montré, il semblerait

que prise de conscience, clarté du rôle, capacité, et volonté du client et ne soient pas

181 Langer, Janis et Wolfer, 1975 ; Dennis, 1987, cités in Rodie et Kleine, 2000 : 120.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

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indépendants les uns des autres. Pour Rodie et Kleine (2000), « des changements dans le mix

des ressources du client (i.e., sa capacité) pourraient modifier sa volonté à participer à

différents aspects du service » (: 118). Goodwin (1988) envisage dans le même sens cette

relation entre capacité et volonté, tout comme ou Kelley et al. (1990). Ce lien est

empiriquement établi chez Kelley et al. (1992), Walker et al. (2002), et Lefebvre et Plé

(2003), qui montrent que la première influence la seconde. Nous avons également noté supra

que clarté et capacité sont étroitement dépendants. En effet, pour reprendre la citation que

nous avions alors employée, la clarté du rôle perçue par le client est « un aspect de la

connaissance qui contribue à la capacité » du client à participer au service (Rodie et Kleine,

2000 : 117 ; Chervonnaya, 2003 : 361).

Cela nous laisse supposer l’existence d’une logique séquentielle entre les déterminants

de la participation inhérents aux clients. C’est ce que représente la figure 3-2 ci-après, basée

sur la littérature précédemment exposée, justifiant l’ordre retenu (prise de conscience, clarté,

capacité et volonté), que nous avons tentée d’enrichir de deux relations complémentaires.

Figure 3-2 : Les potentielles interactions entre les déterminants de la participation client

Prise de conscience

Clarté du rôle du client

Capacité du client à participer

Volonté du client de participer

PARTICIPATION CLIENT

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

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La séquence initiale : prise de conscience, clarté du rôle, capacité et enfin volonté du

client à participer semble justifiée au regard des références précitées. Il n’en va pas de même

pour la rétroaction entre la volonté et la capacité, ni pour les liens entre prise de conscience et

volonté, puis clarté du rôle et volonté.

Penchons-nous en premier lieu sur la relation rétroactive. Il nous paraît logique de

penser que si le client est volontaire pour participer, il peut être prêt à faire un effort pour

améliorer la qualité de sa participation, dès lors que les bénéfices issus de cette amélioration

lui paraissent supérieurs à l’ensemble des coûts que cela engendre.

Cette rétroaction trouve un appui dans les résultats de Snellman et Vihtkari (2003).

Réalisant une étude sur le comportement de réclamation des clients vis-à-vis de l'utilisation de

technologies de self-service dans le secteur bancaire finlandais, ils notent que le taux de

réclamation des consommateurs utilisant le site Internet de la banque est supérieur à celui des

consommateurs utilisant les services des distributeurs et guichets automatiques, depuis plus

longtemps à la disposition des clients. Selon eux, « cela indique que le processus

d'apprentissage est toujours en cours [pour le site Internet] » (: 228). Autrement dit, le client

se plaint à la fois pour obtenir une amélioration de l'ergonomie du site Internet de la banque,

mais ce faisant, il exprime également sa volonté d'apprendre, son désir d'accroître sa

participation pour utiliser un service dont il perçoit les avantages. On passe ainsi de la volonté

du client à participer, à la volonté du client d'apprendre à participer, c'est-à-dire la volonté du

client d'augmenter sa capacité à participer. Ce que nous illustrons par cette rétroaction entre la

volonté et capacité du client à participer.

Nous proposons ensuite une relation entre la prise de conscience et la volonté de la

participation. Nous faisons référence ici au troisième niveau de prise de conscience de la

participation, qui est celui des avantages que le client peut en retirer. A nouveau, il paraît

logique de penser que si le client est conscient de ceux-ci, il sera d’autant plus motivé à

participer.

La troisième relation que nous avons ajoutée préjuge d’un lien entre la clarté du rôle

du client et sa volonté à participer. Il n’est pas déraisonnable de penser que si le rôle qu’il doit

remplir n’est pas clair à ses yeux, le client sera plus réticent à participer. Il jugera

certainement le risque perçu comme trop important, et souhaitera alors le limiter, voire

l’éliminer, en ne participant pas. Nous supposons par conséquent que plus le client percevra

clairement le rôle qu’il doit remplir, et plus il sera prêt à participer au processus de servuction.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

180

II.2 L’ENTREPRISE, INCITATRICE OU FREIN À LA PARTICIPATION.

Le client intervient à des degrés variables dans la production ou la distribution de

services. Cela signifie donc que « l'organisation doit développer des mécanismes pour gérer

ses clients afin de s'assurer qu'ils adoptent des comportements facilitant la rencontre de

service » (Kelley et al., 1990 : 316). Par conséquent, « les fournisseurs de services doivent

chercher à comprendre dans quelle mesure leurs clients sont prêts et capables d'être plus

impliqués dans le service » (Bowers et al., 1990 : 65). Ce qui veut dire que dès que

l'entreprise n'est pas en mesure de faire cela, elle risque de mettre en place des actions qui, au

lieu d'inciter le client à participer, menacent de le rebuter. Mais l’inverse est vrai également :

comme les entreprises n’ont pas toujours intérêt à ce que les clients participent, il est

nécessaire de cadrer les situations dans lesquelles cette participation peut véritablement servir

à l’entreprise (Bowers et al., 1990).

Comme nous l’avons déjà dit, la littérature considère les clients comme des

« employés partiels » (Mills et Morris, 1986), auxquels peuvent s’appliquer, dans une certaine

mesure, des techniques de gestion jusqu'alors réservées aux employés (e.g. Bowen, 1986 ;

Bowers et al., 1990 ; Kelley et al., 1990 ; Zeithaml et Bitner, 2003).

De cette façon, Kelley et al. (1990) suggèrent de recourir à des méthodes de

socialisation organisationnelle, i.e. « un processus par lequel un individu s'adapte à et en

vient à apprécier les valeurs, normes, et les schémas de comportement requis par une

organisation » (: 316), applicables à tous les individus, et non uniquement aux employés. Dès

lors, ils définissent la socialisation des clients comme « un processus se rapportant au

développement de compétences, de connaissances, et d'attitudes du consommateur, et qui

seront pertinentes sur le marché en général » (: 318). Ils émettent l’idée que ces méthodes de

socialisation organisationnelle seront d'autant plus applicables que les services seront

fortement personnalisés, et dirigés vers des individus ou des possessions intangibles.

Nous allons successivement étudier comment les entreprises font usage de ces

techniques pour éclaircir les modalités de la participation de ses clients (II.2.1) ; fixer

l’importance de cette participation (II.2.2) ; et les aider à développer leur capacité et leur

volonté à participer (II.2.3 et II.2.4).

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

181

II.2.1 Éclaircir la participation et ses modalités.

La question se pose en ces termes simples : « les clients comprennent-ils comment ils

sont supposés agir ? » (Bowen, 1986 : 379). Il s’avère que ce n'est pas toujours le cas, même

si le client arrive souvent avec une préconception du rôle et des actions qu'il devra remplir

(Mills et Morris, 1986).

Pour s'en assurer, Bowers et al. (1986 : 62), suivis par Zeithaml et Bitner (2003 : 364),

proposent de « définir le travail du client ». Bowen (1986), lui, conseille d'orienter le client

qui est présent sur le lieu de servuction de deux façons distinctes. La première a pour but de

répondre aux interrogations du client quant à l'endroit où il se trouve, ou sur la façon dont il

peut rejoindre une autre partie de l'organisation : c'est ce qu'il appelle « l'orientation de

place » (: 379). Il qualifie la seconde d’ « orientation fonctionnelle » (ibid.), en ce sens qu’elle

aide le client à répondre à des questions sur le fonctionnement de l'organisation.

L'hypothèse sous-jacente à son raisonnement est que les clients pénètrent le système

de servuction avec différentes questions, différents doutes, et, pour y répondre, ont le choix

entre plusieurs sources d'information (Bowen, 1986). Par exemple, l'expérience accumulée au

fil de l'utilisation de services de l'entreprise (ou d'entreprises similaires) ; la « lisibilité

intrinsèque du système » (paraît-il facilement compréhensible ou non ?) ( : 379) ; ou encore,

ce qu'il appelle les « aides à l'orientation » ( : 379), fournies par l'entreprise de services.

Celles-ci peuvent être des règles de comportement que le client doit suivre dans un hôtel, des

panneaux l'orientant dans un aéroport, une gare, un supermarché… Dans ce dernier cas, il

s'agit d'utiliser des éléments de ce que Bitner (1992) appelle la « servicescape » 182 (Zeithaml

et Bitner, 2003 : 280) pour aider le client à comprendre ce qu'il doit faire, où il doit le faire…

Outre la servicescape, il est aussi possible d'utiliser des programmes formels de

socialisation ; une présentation préalable et réaliste du déroulement du service183 ; de la

« littérature organisationnelle » (Kelley et al., 1990 : 318), comme des brochures fournies à

de nouveaux membres d'un club de sport, décrivant les cours et les services offerts par le club.

Les employés en contact avec le service peuvent également permettre aux clients de mieux

comprendre ce qui est attendu d’eux. Par exemple, une banque comme le Crédit Mutuel a

formé des hôtesses d'accueil chargées d'expliquer à certains clients non munis d'une carte

bleue qu'ils devaient dorénavant utiliser les distributeurs automatiques pour retirer de l'argent,

182 Que Lovelock et Lapert traduisent par le néologisme « serviscène » (Lovelock et Lapert, 1999 : 209). 183 Voir des exemples dans Bowen, 1986 ; ou Mills et Morris, 1986.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

182

le service de caisse ayant disparu du guichet. Enfin, des procédures (par exemple, des files

d'attente) et des règles précises informent également les clients des comportements appropriés

à suivre (Bowen, 1986 ; Rodie et Kleine, 2000).

II.2.2 Fixer l'importance de la participation.

II.2.2.a) L’importance « qualitative » de la participation.

L’aspect qualitatif de l’importance de la participation que l’entreprise demande au

client vient d’être traité, puisqu’il ne s’agit rien moins que de la manière dont l’entreprise

éclaire le client sur les modalités de cette participation. Nous passons donc immédiatement à

son importance « quantitative ».

II.2.2.b) L’importance « quantitative » de la participation.

Savoir qu’il doit participer, et de quelle manière cette participation va s’effectuer n’est

pas suffisant pour que le client décide de participer ou non au service. L’importance de la

participation que l’entreprise lui demande va aussi fortement influencer sa décision. En effet,

en fonction de l’importance de la participation que l’entreprise exige de lui, donc en fonction

de l’importance du rôle que l’entreprise demande au client, celui-ci sera plus ou moins prêt à

participer, à des degrés variables. Puisque l’on parle ici de « la proportion du service qui est

produite et distribuée par le consommateur lui-même » (Rodie et Kleine, 2000 : 117), nous

revenons à la discussion antérieure sur les degrés de participation du client (p 159).

L’importance de cette participation est très variable d’une industrie à une autre, d’une

entreprise à une autre (Bowen, 1986 ; Rodie et Kleine, 2000). Par exemple, il y a une très

forte différence entre l’achat d’un billet de train Lille-Paris, et la réservation d’un voyage dans

un hôtel en pension complète pour quinze jours en République Dominicaine.

N’oublions pas, pour finir, que « bien que la taille idéale de la participation soit

conçue par le fournisseur du service par l’intermédiaire du mix du service, ce sont les actions

du client qui déterminent la taille réelle de cette participation » (Rodie et Kleine, 2000 : 121).

Cela peut poser à l’entreprise des problèmes de productivité, ou de qualité de service, d’où

l’importance pour l’entreprise d’essayer de lui fixer certaines limites. C’est d’ailleurs pour

surmonter cette incertitude liée à la participation du client que des auteurs en design

organisationnel préconisent de limiter au maximum la présence du client dans le système

servuctionnel (e.g. Chase, 1978 ; 1981).

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

183

II.2.2.c) L’« importance temporelle » de la participation.

L'importance de la participation ne se limite pas, selon nous, à la proportion du service

dont le client est à l'origine. En effet, pour un service donné, la participation du client a un

commencement et une fin, deux limites de ce que nous qualifions d'« importance temporelle »

de la participation. Or, selon que l'on se base du point de vue du client ou de l'entreprise, ce

commencement et/ou cette fin peuvent être différents (Hubbert et al., 1995 ; Mills et Morris,

1986). Il en résulte que l'entreprise doit savoir mettre un terme à la participation du client,

même si ce dernier ne le souhaite pas (Mills et Morris, 1986).

II.2.3 Développer la capacité du client à participer.

Le fournisseur de services peut agir sur plusieurs leviers différents dont le résultat sera

une amélioration des capacités du client à participer.

Tout d'abord, mettre en place un processus de recrutement et de sélection des clients

(Bowen, 1986 ; Mills et Morris, 1986), basé sur une analyse de leur comportement et des

déterminants de ce comportement (Lovelock et Young, 1979). Ainsi, « plus les capacités et la

connaissance que l'entreprise requiert du client pour produire le service sont complexes, et

plus le niveau et la durée de l'inclusion du client [au sein du système de servuction] sont

importants, plus l'on peut s'attendre à ce que l'entreprise utilise de ressources pour

sélectionner les clients possédant a priori les capacités les plus importantes de participer aux

opérations de production » (Mills et Morris, 1986 : 729). Toutefois, ces mêmes auteurs font

remarquer que la mise en place d'une telle sélection n'est pas toujours évidente, car le

prestataire de services ne dispose pas toujours « d'informations fiables et valides sur les

clients potentiels » (ibid.).

C'est pour cette raison qu'ils conseillent de socialiser les clients dès ce qu'ils appellent

« la phase de pré-rencontre », c'est-à-dire de « façonner les capacités de production du

client » avant même qu'il ne pénètre dans le processus de servuction. Mais ils s'attendent à ce

que de tels efforts soient rares de la part des entreprises, et ce pour trois raisons184 :

Ø Les entreprises de services suivent généralement les protocoles marketing

utilisés historiquement dans l'industrie, où la participation du client au

processus de production n'est pas au cœur des préoccupations.

184 Les travaux de Mills et Morris remontent à 1986. Depuis, la situation a changé dans les entreprises, et la littérature récente que nous mobilisons dans ce chapitre tend à montrer que les deux premiers arguments qu’ils avancent sont certainement moins valables aujourd'hui.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

184

Ø Les fournisseurs de services n'ont pas toujours la connaissance nécessaire à la

mise en place de tels processus de sélection.

Ø Enfin, ces efforts peuvent être risqués et peu efficaces dans un environnement

compétitif, puisque si une entreprise supporte les coûts d'amélioration des

capacités du client dans cette phase de pré-rencontre, cela accroît ses coûts de

production. Et si, finalement, le client décide de recourir aux services d'un

autre prestataire, elle aura travaillé pour ses concurrents.

Par conséquent, les solutions privilégiées par les entreprises de services sont le plus

souvent des programmes de formation / apprentissage développés à destination des clients

(Bowen et Jones, 1986 ; Bowers et al., 1990 ; Goodwin, 1988 ; Grönroos, 2001 ; Lovelock et

Young, 1979 ; Zeithaml et Bitner, 2003). Il s'agit de fournir aux clients de l'information et de

la connaissance (Mills et Moberg, 1982), afin d'accroître leurs compétences à participer. Cette

information et cette connaissance peuvent être transmises au client par le biais des mêmes

outils évoqués pour améliorer la clarté de la participation (programmes formels, présentation

préalable et réaliste, littérature organisationnelle...). Elles seront d'autant plus indispensables

que l'entreprise a introduit une nouvelle technologie (Fitzsimmons, 1985).

Par exemple, les fournisseurs d'accès à Internet laissent leurs clients installer eux-

mêmes leur connexion haut débit, mais, partant du principe que tous ne disposeront pas des

connaissances techniques nécessaires, fournissent généralement une documentation papier ou

numérique qui va les guider pas à pas à travers les différentes opérations de cette installation.

En cas de gros problèmes, les clients ont même la possibilité de contacter des opérateurs

travaillant sur des plates-formes téléphoniques, qui pourront les aider185.

Utiliser les employés en contact avec les clients pour qu'ils les forment et les

encouragent à participer correspond d'ailleurs à une autre stratégie possible pour améliorer la

185 Ce cas est toutefois un peu particulier. En effet, le client trouve un support auprès de techniciens qui vont lui permettre d'accomplir son rôle efficacement. Mais, pour avoir ces informations, et cette aide, le client doit payer une communication surtaxée. L'on est donc en droit de se demander si nous sommes en présence, en pareille situation, d'un programme de formation visant à améliorer les compétences techniques du client, ou si il s'agit d'un service supplémentaire facturé au client, et dont on pourrait considérer qu'il sanctionne son absence de compétences. Dans un tel cas, même si le client gagne des compétences techniques supplémentaires, l'entreprise fait d'une pierre deux coups. En effet, elle améliore sa productivité par un transfert de l'activité sur le client, tout en lui facturant la formation qu'elle lui délivre (laquelle formation vise à accroître les compétences du client pour participer, donc pour améliorer encore ultérieurement la productivité de l'entreprise). Ce genre de pratique peut également trouver une seconde explication : l’entreprise souhaite décourager, par un tarif relativement important, le client de faire trop facilement appel à ses services en cas de problème, et l’amener à privilégier des solutions alternatives telles qu’une auto-formation sur Internet, recourir aux services d’amis aux connaissances avancées en informatique, etc… Telle est d’ailleurs la logique des FAQ (Foire aux Questions) disponibles sur de nombreux sites Internet.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

185

compétence des clients : il est impératif que « les employés se trouvant à l'interface autorisent

(en fait, encouragent) le client à plus interagir au cours du processus de transformation »

(Mills et al., 1983 : 305). Reprenons l'exemple du Crédit Mutuel, employé plus haut. Les

hôtesses d'accueil avaient également pour mission d'apprendre aux personnes qui n'avaient

pas l'habitude d'utiliser une carte (en particulier, les personnes âgées) à se servir du

distributeur automatique pour retirer de l'argent, en lieu et place du guichet traditionnel. Le

but de l'entreprise était, in fine, d'amener cette catégorie de clients à acheter une carte, de

façon à ce que, par la suite, ils réalisent leurs opérations de retrait eux-mêmes.

Un tel raisonnement vient appuyer les travaux de Goodwin (1988), pour qui aider le

consommateur d'un service à développer une nouvelle image de lui-même est une étape

importante : dans un premier temps, l'entreprise le convainc qu'il est capable de faire ce que

l'on attend de lui, ce qui, selon Goodwin, va faire émerger (ou conforter) chez lui sa volonté

de participer au service. À ce niveau également, « le personnel en contact peut renforcer le

sentiment de confiance [des clients] par un compliment (...),des indications non verbales

d'approbation (...), ou même en appelant un client « Mme Smith » au lieu de « Jane » »(: 74).

II.2.4 Développer la volonté du client à participer.

Lors de l’étude des déterminants de la participation, la volonté des clients ressortit

nettement comme la fonction d'une série d'avantages (économies financières, économies de

temps, amélioration du contrôle perçu par les clients...). Récompenser le client est donc une

condition importante pour l’inciter à réaliser sa part de « travail »186 au cours de la servuction,

même si ce n’est pas un pré-requis pour tous les clients (Bateson, 1985). Il semblerait

également que l’on puisse envisager une relation négative entre le niveau de risque perçu

associé à la participation, et la volonté du client à participer (Abernathy et Butler, 1993).

Mais même si ces avantages existent objectivement, ils sont inutiles tant que les clients

ne les perçoivent pas. Pour cette raison, Bateson (1985) insiste fortement sur le fait que, au

plan managérial, il est capital que l’entreprise développe187 la conscience de ces avantages

dans l’esprit des clients, notamment par le biais de politiques marketing et de communication

centrées sur les bienfaits qu’ils peuvent retirer d’une participation efficace. Le corollaire est

186 Les guillemets s’imposent puisque, comme le rappelle Jeantet (2002), le client ne « travaille » pas au sens propre du terme, étant donné qu’il n’est pas lié à l’entreprise par un contrat de travail, à l’inverse de l’employé avec lequel il interagit. 187 Bateson parle même de « construire » cette perception des avantages (ibid.).

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

186

de mener une réflexion en se mettant à la place du client, en l’associant à la conception ou au

renouvellement de l’offre de services, etc. (Bitner et al., 2002 ; Grönroos, 2001).

L’utilisation de littérature organisationnelle, et par extension de toute méthode de

socialisation organisationnelle est un autre moyen d’accroître la volonté des clients à

participer, conséquemment à l’apprentissage induit par ces méthodes, et à une meilleure

compréhension des tâches que doit remplir l’organisation (Kelley et al., 1990 ; 1992).

L’entreprise peut aussi communiquer sur les avantages relatifs d’une offre de service

sur une autre pour inciter le client à basculer sur une offre sur laquelle elle supporte des coûts

moindres (Fitzsimmons, 1985). Dans le cadre du multicanal, cela revient à mettre en avant le

canal aux coûts relatifs les plus faibles, pour amener les clients à l’utiliser au détriment

d’autres canaux. C’est ce que font les banques, qui insistent sur la flexibilité d’Internet vis-à-

vis de l’agence pour consulter ses comptes, commander un chéquier, ou réaliser un virement,

par exemple. Dès lors, il s’agit d’un exercice de pédagogie auquel les entreprises de service

doivent se livrer, en étant relativement transparents sur leurs processus188. Cette situation est

relativement nouvelle puisque, historiquement, les entreprises ont généralement tenu les

clients dans l’ignorance de leurs processus internes (Fitzsimmons, 1985).

Enfin, le comportement qu’adoptera l’entreprise face au comportement de réclamation

des clients sera déterminant de leur motivation future à participer. Nous avons en effet

considéré supra qu’une réclamation formulée par un client peut être assimilée à un type de

participation de sa part, puisque cela implique pour le client d’agir, de déployer des

ressources, de fournir un effort (mental, physique et / ou émotionnel) de façon à intervenir

(ex-post, le plus souvent) sur la production / distribution du service... ce qui rejoint la

définition de la participation de Rodie et Kleine (2000). Si le client constate par exemple qu’il

a fait l’effort de réclamer (donc, de participer) sans obtenir aucune amélioration de la qualité

du service fourni, sa motivation de participer (directement, cette fois, durant la servuction)

s’en verra très certainement diminuée (Snellman et Vihktari, 2003). De ce fait, de par le

support qu'elle lui apporte, l'entreprise investit le client d'un certain pouvoir et de certaines

responsabilités, et développe « sa conscience et sa compréhension du problème auquel il fait

face » (Thompson et McEwen, 1958 : 28).

188 Le site de Easyjet est, à ce titre, un exemple de pédagogie : le client y est renseigné très précisément sur le niveau de service qu’il recevra, relativement aux compagnies aériennes traditionnelles comme Air France, et il se voit expliquer de manière détaillée les raisons pour lesquelles la compagnie réussit à proposer des tarifs extrêmement bas.

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187

II.3 LES DÉTERMINANTS DU CHOIX DES CANAUX DE DISTRIBUTION D’UN

RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL.

Nous venons de nous pencher sur les déterminants de la participation du client, et les

moyens dont dispose l’entreprise pour les influencer. Notre but est maintenant de proposer de

relier ces éléments au choix d’un canal de distribution. Il s’agit donc de tenter d’établir un lien

entre le multicanal et ces déterminants, lien que nous nous avons jusqu’ici fait

occasionnellement apparaître à titre d’exemples.

Nous avons expliqué qu’un canal de distribution n’est autre qu’une technologie de

vente, interface entre l’entreprise et ses clients, qui permet à ces derniers d’accéder à des

services à la co-création desquels ils participent. Il a aussi été précisé plus haut que le choix

d’un canal de distribution pouvait s’expliquer à partir des inputs associés à la participation qui

lui est demandée pour utiliser cette technologie de vente, qu’il s’agisse de la nature, de la

combinaison, ou de la quantité desdits inputs (cf. p.159 et p.163). Nous prolongeons cette

voie en faisant tout d’abord un détour par le comportement multicanal du consommateur, qui

nous permettra de mettre en évidence que l’importance des déterminants de la participation ne

semble pas prise en compte dans le choix d’un canal (II.3.1). Nous proposons alors d’analyser

cette dynamique à l’aune de ces déterminants (II.3.2).

II.3.1 Le comportement multicanal du consommateur.

Nous pouvons schématiquement classer en trois branches les travaux s’attachant aux

liens entre le client et le multicanal. La première concerne le processus de décision et d’achat

du produit / service au fil de l’utilisation de canaux différents par le client (Badot et Navarre,

2002 ; Burke, 2002). La seconde s’intéresse au processus de choix du canal lui-même (e.g.

Black et al., 2002 ; Nicholson et al., 2002 ; Sharma & Krishnan, 2002 ; Vanheems, 1995). La

troisième étudie pour sa part l’impact d’un réseau de distribution multicanal sur la satisfaction

globale du client (Lang et Colgate, 2003 ; Montoya-Weiss et al., 2003). Cette classification

présente un intérêt qui se veut avant tout didactique, puisque certains travaux sont

transversaux à deux, voire aux trois catégories.

Le tableau 3-4 ci-après synthétise quelques-unes des recherches sur le comportement

multicanal du consommateur dans un ordre chronologique.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

188

Tableau 3-4 : Le comportement multicanal du consommateur

AUTEURS OBJECTIFS MAJEURS PRINCIPAUX RÉSULTATS

Vanheems, 1995189

Analyser les modifications de comportement d’achat des clients face

à la création de formules de vente complétant un dispositif existant

Déterminer les facteurs impactant ce comportement.

En évaluer les conséquences sur le niveau de fidélité du client

Proposition et définition du concept de transfert comportemental

Élaboration d’un modèle explicatif du transfert comportemental

Démonstration d’une relation positive entre le transfert comportemental et la fidélité du client à

l’enseigne

Mathwick et al., 2001

Développer un outil de mesure des différences dans la valeur

expérientielle vécue délivrée par des systèmes de vente multicanaux

La préférence des consommateurs pour Internet vis-à-vis d’autres canaux est associée à

l’efficience perçue de l’expérience vécue et à la disponibilité relative du produit acheté.

Le recours à d’autres canaux (ici, un catalogue) enrichit la valeur de l’expérience vécue sur des

dimensions telles l’amusement ou l’attrait (visuel)

Badot et Navarre,

2002

Explorer l’influence d’Internet et du type de canal sur le comportement

d’achat des consommateurs de véhicules neufs et quasi-neufs

Identifier les « attitudes et comportements des acheteurs à

l’égard d’Internet dans ce processus d’achat » (: 6)

Les consommateurs ont un processus de décision et d’achat multicanal, dans lequel « Internet est enchâssé dans un système complexe de canaux

d’information et de distribution » ( :7).

Scénario « click and mortar » validé

Le multicanal renforce la recherche d’expériences tout au long du processus

Black et al., 2002

Identifier les facteurs qui influencent le choix du canal de distribution pour

des produits / services similaires

Le choix semble dépendre de caractéristiques intrinsèques : au client ; au produit ; au canal ; à l’organisation fournissant le service. De même, les interactions produit / canal, et client / canal

paraissent jouer un rôle important

Nicholson et al., 2002

Étude du processus de sélection des canaux par le consommateur en

fonction de variables situationnelles (cadre physique, cadre social,

perspective temporelle, définition des tâches, états antérieurs du client)

Mise en évidence de l’impact fort que jouent ces variables sur toutes les étapes du processus de

choix, sans toutefois réussir à identifier les relations entre ces variables, ni l’intensité relative

de chacune d’elles

Sharma et Krishnan,

2002

Déterminer si le choix du brick sur le click dépend de la possibilité pour le client d’examiner physiquement le

produit, ou résulte de l’offre de service liée à la présence du vendeur

Le choix est particulièrement influencé par la possibilité de toucher le produit avant achat, le

rôle des vendeurs devant être revu en profondeur

189 La nature des travaux de Vanheems (thèse de doctorat) nous amène à réduire fortement ses conclusions. Nous renvoyons le lecteur au tableau confrontant ses hypothèses à ses principaux résultats ( : 565-570).

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

189

Burke, 2002

Étudier le comportement d’achat des consommateurs dans des formules de

vente online et offline

Déterminer comment ces deux catégories de média sont utilisées tout

au long du processus d’achat.

Les canaux sont utilisés dans une logique de complémentarité, en partie dépendante du type de

produit acheté

Les caractéristiques des consommateurs (âge, sexe...) influencent le choix du canal utilisé

La technologie utilisée doit créer de la valeur pour le client

L’entreprise doit aider les clients à utiliser les différents canaux

Lang et Colgate,

2003

Montrer de quelle manière les clients utilisent une combinaison de canaux

basés sur les technologies de l’information pour interagir avec leur

fournisseur de service

Montrer en quoi cette interaction affecte la qualité de la relation entre le

client et son fournisseur

L’inadéquation entre les attentes des clients vis-à-vis des moyens techniques pour interagir avec leur fournisseur et les moyens que celui-ci met à leur

disposition crée un écart positif (les moyens mis à disposition sont trop sophistiqués) ou négatif (moyens pas assez sophistiqués) qui affecte

négativement la perception de la qualité de la relation par les clients.

Positif ou négatif, cet écart peut résulter de trois facteurs imputables à la firme.

Montoya-Weiss et al., 2003

Identifier les déterminants de l’utilisation d’un canal online et son impact sur la satisfaction du client

vis-à-vis de la prestation globale de l’entreprise

Le design et les caractéristiques esthétiques du canal online influencent l’évaluation du

consommateur quant au risque et à la qualité de service offerte par ce canal, ce qui se répercute sur

son niveau d’utilisation de ce canal

La satisfaction globale du client vis-à-vis de l’ensemble de la prestation est déterminée par la qualité de service reçue par chacun des canaux.

Curran et Meuter,

2005

Identifier les déterminants de l’adoption de technologies de self-service par comparaison de trois

technologies

L’adoption varie considérablement entre des technologies fournissant des services identiques

L’attitude à l’égard d’une technologie de self-service influence l’intention d’utilisation du client

La facilité d’utilisation et l’utilité sont primordiales dans l’adoption de la technologie

Meuter et al., 2005

Identifier les déterminants de la décision initiale d’essayer des technologies de self-service

Les caractéristiques de l’innovation et les différences individuelles influencent cette

décision d’essai

Cette influence est médiée par trois dimensions de ce que les auteurs appellent le « customer

readiness » (niveau de préparation et d’empressement à utiliser ces technologies)

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

190

Les travaux cités dans ce tableau montrent que le choix d’un canal par le client

découle le plus souvent de l’évaluation des avantages que le client retire de ce canal (et non

des avantages inhérents à la participation que nécessite le recours à ce canal), certaines de ses

caractéristiques individuelles, ou encore de la qualité de service perçue reçue de chaque canal.

L’influence de la participation du client, fût-elle estimée à partir de la nature ou de la quantité

des inputs qu’elle induit, semble absente de la perspective. Une exception : les travaux de

Meuter et al. (2005) prennent presque explicitement en compte la participation du client, leur

construit de « customer readiness » se décomposant entre la clarté du rôle, la motivation du

client, et sa capacité à utiliser la technologie en question.

II.3.2 Un arbitrage entre canaux influencé par les

déterminants de la participation.

En nous inspirant des résultats obtenus par Meuter et al. (2005), nous émettons donc la

proposition que le choix d’un canal peut s’analyser à partir non seulement de la nature des

inputs ou du niveau de la participation que nécessite le recours à ce canal, mais aussi des

déterminants de cette participation.

En d’autres termes, et pour résumer l’ensemble de nos propos précédents sur cette

notion d’arbitrage, nous proposons que :

Ø L’arbitrage que réalise un client entre différents canaux peut s’analyser à

l’aune de sa participation.

Ø Cette participation peut elle-même être décomposée à partir des inputs qu’elle

implique, que ce soit au niveau de la nature, de la quantité, ou de la

combinaison de ces inputs.

Ø Cette participation doit par ailleurs s’analyser en fonction des facteurs qui

vont la déterminer : le client choisira un canal si il est conscient de la

participation qui lui est demandée pour utiliser ce canal, si il considère que le

rôle qui lui est demandé est clair, si il considère qu’il est capable d’assurer

cette participation (i.e. d’utiliser cette technologie de vente au détail), et / ou

si il désire utiliser cette technologie.

Ø L’entreprise est en mesure d’influencer son arbitrage en recourant à un

ensemble de mesures dites de socialisation organisationnelle.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

191

Ø Cet arbitrage n’est donc pas figé, mais est susceptible d’évoluer en fonction

notamment des techniques de socialisation organisationnelle mises en place

par l’entreprise et des expériences antérieures du client.

Nous reprendrons ultérieurement cette notion d’arbitrage du client, que nous avons

progressivement introduite dans ce chapitre, lorsque nous élaborerons notre grille de lecture

de la coordination d’un réseau de distribution multicanal (chapitre 4).

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

192

SECTION III. PRÉSENTATION ET PROPOSITIONS

D’ÉVOLUTION DES RÔLES DU CLIENT PARTICIPANT

Durant notre discussion précédente, nous avons en certaines occasions mentionné que

le client joue un rôle au cours de la servuction, rôle dont la clarté est l’un des facteurs

déterminants de sa participation. L’objectif affiché de cette section est, après avoir discuté la

notion de rôle du client telle que l’aborde la littérature (III.1), de mettre en évidence un certain

nombre de lacunes des recherches existantes, lacunes dont nous pensons que leur critique peut

déboucher sur une perspective élargie des rôles que joue le client lorsqu’il participe à la

production du service (III.2). Nous proposons dans le même temps de nouveaux rôles pour le

client, que nous replaçons dans le contexte d’un réseau de distribution multicanal.

III.1 DU RÔLE DU CLIENT DANS LA SERVUCTION.

Partant d’une présentation rapide du concept de rôle de façon générale (III.1.1), nous

nous attardons ensuite sur les multiples rôles que la littérature identifie pour un client

participant à la production d’un service (III.1.2).

III.1.1 Présentation de la notion de rôle.

III.1.1.a) Deux approches indissociables.

Comme le rappelle Perrot (2000), l’émergence et le développement du concept de rôle

s’ancrent dans « un foisonnement d’approches et de définitions très différentes, issues de la

sociologie, de la psychologie, et de la psycho-sociologie » (: 113). Il présente deux approches

opposées : fonctionnaliste et interactionniste.

« L’approche fonctionnaliste des rôles s’inspire de la sociologie où les rôles sont

analysés à partir des concepts de structures, de normes sociales, de statuts, de modèles

culturels, etc… [Elle] fait émerger deux notions clés constitutives du rôle : le comportement

de l’individu et les attentes qui pèsent sur lui et influencent son comportement » (Perrot, 2000

: 113 ; 115). A l’inverse, les tenants de l’approche interactionniste « insistent sur les

processus de construction sociale des rôles » (Perrot, 2000 : 115), et combattent l’idée

fonctionnaliste d’enfermement des individus dans les rôles qui leur sont prescrits. Pour eux,

les acteurs cherchent même à échapper au rôle et aux fonctions qui leur sont attribués (Crozier

et Friedberg, 1977).

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

193

En dépit de leurs différences, Perrot qualifie ces deux approches d’« indissociables »

( : 117), dont il souligne à la suite de ses auteurs de référence les complémentarités et

convergences.

III.1.1.b) Définition du rôle.

L’existence de ces deux courants, fonctionnaliste et interactionniste, et la multiplicité

des utilisations du concept, de ses définitions, etc. amènent Perrot (2000) à écrire qu’«il est

donc impossible de retenir une définition générale et consensuelle du rôle » 190 ( :117).

Néanmoins, soucieux de concilier ces deux approches, il explique à la suite de

Granovetter (1985) et de Goffman (1973) que « le rôle ne s’impose pas strictement à

l’individu, et se construit dans une mise en scène de ses relations avec autrui » (Perrot, 2000 :

118). Cela l’amène à proposer sa propre définition du rôle : « Activités et comportements

exercés par l’individu au sein de son ensemble interactionnel ». Cette notion d’ensemble

interactionnel provient de celle d’« ensemble de rôle » que Perrot emprunte à Katz et Kahn

(1966), et qui désigne l’ensemble des personnes en relation avec l’individu, au sein duquel

s’insèrent les activités et comportements associés à la position dudit individu dans

l’organisation (Perrot, 2000 : 119).

III.1.2 Un client « multi rôles ».

III.1.2.a) Les rôles du client dans la littérature

Sans prétendre à l’exhaustivité, par définition impossible ne serait-ce que du fait de la

nature processuelle et cumulative de toute recherche, nous nous sommes efforcés de recenser

au sein du tableau 3-5 ci-après un nombre conséquent de travaux sur la participation client, au

sein desquels nous avons repris ou identifié au besoin les rôles joués par le client.

190 Il cite pour cela Neiman et Hughes (1951), qui parlent d’« un fouillis indescriptible de différentes définitions, emplois et implications du concept de rôle ».

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

194

Tableau 3-5 : Revue chronologique de la littérature sur la participation client et les rôles joués par les clients

AUTEUR(S) ANGLE D’ANALYSE

RÔLE DU CLIENT

NATURE DE L’ÉTUDE PRINCIPAUX APPORTS

Lovelock et Young, 1979

Les clients sont une source de productivité

Ressource

Contributeur de productivité

Théorique

A partir de plusieurs exemples, explique que les clients sont source de gains de productivité.

Explique que cela nécessité de faire accepter le principe de cette participation par les clients, et propose des moyens en ce sens.

Whitaker, 1980

En participant, les citoyens influencent

les politiques publiques

Co-producteur Théorique Suggère que les citoyens sont en mesure d’influencer à la fois la formulation des politiques publiques de service, mais aussi leur

exécution de par leurs interactions avec les agents de l’état

Chase, 1981191 La participation est

considérée à l’aune du contact direct entre le client et l’entreprise

Limiteur de productivité Théorique

Suggère que le client est une entrave à la productivité de l’entreprise, en raison de sa présence dans le processus de servuction

Propose une typologie des activités de service d’après le niveau de contact direct

Langeard et al., 1981

Segmenter les clients d’après leur volonté à

participer Ressource Empirique

Montre qu’il est possible de segmenter les clients d’après leur volonté à participer.

Montre que des clients acceptent (ou refusent) de participer quelle que soit la nature du service ou de la participation demandée

Mills et Moberg, 1982

La technologie organisationnelle des

services diffère de celle des biens

Ressource Théorique

Oppose les modes de production des services à ceux des biens. Suggère que la différence principale tient en le rôle joué par le client dans la

servuction. Les clients y apportent de l’information et de l’effort, sources d’incertitude qu’il faut gérer pour réduire ladite incertitude.

191 Cet article de Chase s’inspire fortement d’une de ses précédentes publications parue dans la Harvard Business Review en 1978, mais dont la nature était plus managériale que théorique, d’où notre décision de retenir celui de 1981.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

195

Argote, 1982

La participation client est un des facteurs

influençant la nature des modes de coordination

Ressource Empirique

Montre que la participation du client au service est une source d’incertitude, en fonction de l’importance de laquelle les mécanismes de

coordination seront soit basés sur des plans (faible incertitude), soit basés sur des modes de coordination moins formalisés (forte incertitude)

pour accroître l’efficience

Chase et Tansik, 1983

La participation est considérée à l’aune du contact direct entre le client et l’entreprise

Limiteur de productivité Théorique

Suggère que le client, de par sa présence dans le processus de servuction, va gêner la bonne marche de l’entreprise, et en réduire la productivité.

Propose d’adapter le design organisationnel des entreprises en fonction de l’importance du contact avec le client

Mills et al., 1983

Gérer les clients comme des employés partiels pour améliorer

la productivité

Employé partiel

Contributeur de la productivité

Théorique

Propose d’améliorer la performance et la productivité de l’entreprise en mobilisant le système employé / client, et notamment en incitant le client

à plus participer à la servuction.

Suggère d’utiliser les mêmes techniques de motivation et de gestion de la participation client que celles utilisées pour les employés.

Bateson, 1985 Comprendre les

motivations des clients à utiliser un self-

service

Contributeur de la productivité Empirique

S’intéresse au self-service. Analyse les différences entre les clients préférant réaliser eux-mêmes le service à ceux qui préfèrent être servis.

Met en évidence qu’une frange de clients préfère le self-service, même si l’entreprise ne les y encourage pas par l’offre d’un quelconque avantage. Montre l’importance des notions de « temps nécessaire perçu » et de «

contrôle perçu sur la réalisation du service » pour les clients

Fitzsimmons, 1985

Améliorer la productivité en faisant

participer le client

Ressource

Concurrent

Employé partiel

Empirique

Suggère que le client est une « ressource productive » ( :61), qui peut être mobilisé par le biais de 3 types de stratégies.

Montre l’importance de la prise de conscience des alternatives par les clients (participation vs non-participation) et de leur « éducation » par

l’entreprise

Bowen, 1986 Gérer les clients comme de véritables

Employé partiel

Contributeur de Théorique Souligne les lacunes des théories managériales et organisationnelles vis-

à-vis du client. Soulève trois points essentiels : le client est désirable sur

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

196

ressources humaines la productivité site pour améliorer la productivité et l’efficience ; le climat organisationnel joue sur la satisfaction du client ; l’entreprise doit

apprendre à gérer les rôles du client et faciliter sa participation

Mills et Morris, 1986

Gérer les clients comme des employés

partiels

Employé partiel

Contributeur de la productivité

Théorique

Suggère que le degré d’implication du client dans la servuction dépend à la fois de caractéristiques du service et du client.

Propose une séquence de la participation du client, dont chaque phase implique une gestion particulière par la firme

Bowen et Jones, 1986

Identifier les caractéristiques de

l’échange qui favorisent l’inclusion

ou non du client

Ressource

Employé partiel

Contributeur de la productivité

Théorique

A partir de la théorie des coûts de transaction, propose une typologie de quatre modes de gouvernance des échanges de service, en fonction

desquels le client devra ou non être intégré, et varieront les modes de coordination

Goodwin, 1988

Application des méthodes de socialisation

organisationnelles à la gestion de la

participation client

Contributeur de la qualité du

service et de la productivité de

l’entreprise

Employé partiel

Théorique

Suggère que les techniques de socialisation organisationnelles peuvent permettre d’améliorer la qualité de la participation du client et son

impact sur la productivité de l’entreprise en l’incitant à apprendre de nouvelles procédures, de nouveaux rôles

Suggère que la réussite de la mobilisation de ces techniques variera positivement en fonction de l’implication du client à l’égard de son prestataire, et de la présence d’autres clients durant la rencontre de

service

Larsson et Bowen, 1989

Gérer la participation client en tant que source majeure d’incertitude

Ressource Théorique

Propose de développer des portefeuilles de mécanismes de coordination basés sur les types d'interdépendances induits par l'incertitude générée par la participation du client

Emet des propositions reliant nature des mécanismes, diversité de la demande et interdépendances

Johnston, 1989

Le client participe activement au design,

à la création et à la Ressource Théorique Suggère des sous-rôles du client en tant qu’employé partiel : fournisseur

de service (à lui-même, à d’autres clients, à l’organisation) ; créateur

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

197

distribution du service Employé partiel d’environnement ; formateur de clients ; fournisseur d’information.

Propose des moyens de gestion de la participation du client empruntés à la gestion des employés

Kelley, et al., 1990

Application des méthodes de socialisation

organisationnelles à la gestion de la

participation client

Contributeur de la qualité du

service et de la productivité de

l’entreprise

Employé partiel

Théorique

Suggère que le client contribue à la qualité fonctionnelle et technique du service, au sens de Grönroos (1984)

Suggère que le client peut peser sur la qualité du service, sa propre satisfaction, et la productivité et les réponses émotionnelles des

employés

Bowers et al., 1990

Importance de l’impact des

interactions entre employés en contact et

clients sur la productivité et la

qualité

Employé partiel

Contributeur de la qualité de son

service et de celui d’autres

clients

« Marketeur »

Théorique Suggère de traiter les employés comme des clients, grâce au marketing interne (études sur les besoins de formation des employés), et les clients

comme des employés (formation et récompense).

Kelley et al., 1992

Application des méthodes de socialisation

organisationnelles à la gestion de la

participation client

Contributeur de la qualité du

service et de la productivité de

l’entreprise

Employé partiel

Empirique

Montre l’apport des procédures de socialisation organisationnelle sur la qualité et la quantité de la participation

Démontre que la satisfaction du client est liée à ce que les clients apportent au processus de servuction, et à la manière dont ils participent

File et al., 1992

L’influence de la participation sur le

bouche à oreille et la prescription

Marketeur (prescripteur) Empirique

Montre que quatre dimensions de la participation influencent fortement un bouche à oreille positif et un comportement de prescription de la part

des clients ayant participé

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

198

Song et Adams, 1993

Réussir à se différencier en faisant

participer le client Ressource Théorique

Suggère que la participation est une des possibilités de se différencier, tant pour les services que les biens

Souligne les menaces, mais aussi les opportunités stratégiques qui découlent d’une telle situation, et propose des solutions managériales

pour y faire face

Fodness et al., 1993

Le client peut devenir un concurrent de

l’entreprise Concurrent Théorique

Suggère que le client peut décider, en fonction de ses capacités, de se substituer à l’entreprise pour obtenir le service

Souligne les menaces, mais aussi les opportunités stratégiques qui découlent d’une telle situation, et propose des solutions managériales

pour y faire face

Cermak et al., 1994

La participation a une influence différente de

l’implication sur la qualité perçue et la

satisfaction

Contributeur de la qualité Empirique

Estime que, sur un plan théorique, l’implication du client est une des dimensions de la participation. Montre que le niveau de participation est

positivement relié à la qualité perçue et à la satisfaction, et qu’il est supérieur dans les nouvelles relations (par opposition aux relations

existantes).

Firat et al., 1995

Le client dans une perspective

postmoderne

« Customizer »

Co-producteur Théorique

Analyse le passage d’une vision moderne du consommateur à une vision postmoderne du client, qui personnalise et co-produit des expériences

auxquelles il participe. Le client devient un acteur de sa consommation.

Wikström, 1996

Une des manières de concevoir l’entreprise

orientée client est d’intégrer le client

comme co-producteur

Co-producteur Théorique

Suggère de développer les interactions sociales entre le client et l’entreprise, cette dernière permettant au client d’intervenir aux moments de la conception, de la production et de la consommation, afin de créer

plus de valeur.

Lengnick-Hall, 1996

Une des manières de concevoir l’entreprise

orientée client est

Ressource

Co-producteur Théorique

Suggère que, de par les différents rôles qu’il est susceptible d’endosser durant la relation de service, le client est en mesure d’affecter

positivement ou négativement la qualité du service.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

199

d’intégrer le client en tant que contributeur

de la qualité

Acheteur

Utilisateur

Produit

Contributeur de la qualité

Recommande aux entreprises de maîtriser et de mobiliser ces différents rôles pour disposer d’un avantage compétitif

Kellog et al., 1997

En participant, le client a une incidence

sur sa satisfaction

Contributeur de la qualité

« Marketeur relationnel »

Substitut au leadership

Empirique

Montre que le client adopte un comportement participatif séparable selon quatre phases (préparation, construction de relation, échange

d’information et intervention) afin d’améliorer la qualité de son service. Les trois premières phases influencent positivement sa satisfaction, la

dernière négativement

Propose une chaîne de valeur du service au client, dont sont étudiées les implications managériales

Canziani, 1997

Mobiliser la participation client pour disposer d’un

avantage concurrentiel

« Ressource critique »

Employé partiel Théorique

Évalue les conséquences de la participation du client sur les processus de l’entreprise, tant au niveau des opérations, du marketing, des ressources

humaines et de l’organisation. Estime que la capacité à mobiliser la compétence client est une clé de l’obtention d’un avantage concurrentiel

Bitner et al., 1997

L’intensité de la participation et la nature du rôle du client influence sa

satisfaction

Ressource

Contributeur de la qualité

Concurrent

Empirique Propose une typologie des niveaux de participation du client

Introduit trois rôles spécifiques du client, endossés à l’intérieur de chacun des différents niveaux de participation

Prahalad et Ramaswamy,

2000

L’entreprise doit rallier la compétence

des clients

Co-créateur d’expérience Théorique

Considère l’évolution du statut du client (de public passif à acteur actif)

Suggère que la capacité des entreprises à mobiliser leurs clients dans la co-création d’expériences personnalisées accessibles via des canaux multiples est primordiale à l’obtention d’un avantage concurrentiel

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

200

Lengnick-Hall et al., 2000

Une des manières de concevoir l’entreprise

orientée client est d’intégrer le client en tant que contributeur

de la qualité

Ressource

Co-producteur

Acheteur

Produit

Empirique Montre que les clients influencent nettement, de par les rôles qu’ils jouent, le service qu’ils reçoivent et dont ils font partie (en tant que

résultat d’une prestation à laquelle ils participent).

Parker et Ward, 2000

Les interactions entre les clients influencent

le rôle qu’ils endossent et leur

perception du service

Chercheur d’aide

Assistant proactif

Assistant réactif

Empirique

S’attache aux interactions entre les clients et aux rôles qu’ils jouent dans ces interactions.

Identifie les facteurs motivant les clients à adopter les rôles mis en évidence dans la littérature, et propose un script adapté à chacun de ces

rôles.

Dabholkar, 2000

Revue de littérature sur la participation client dans le cadre

d’un self-service

Employé partiel Théorique

Souligne les implications de la participation sur le design d’un self-service et des modalités de mise en place du service après-vente

correspondant

Dresse des pistes de recherche et d’action futures

Rodie et Kleine, 2000

Revue de la littérature sur la participation

client

Ressource

Employé partiel

Contributeur de la qualité et de la productivité

Théorique Souligne le faible nombre de travaux empiriques sur la participation

client, et à partir de la revue de la littérature, dresse des pistes de recherche futures

Ulwick, 2002

Proposer une nouvelle façon d’intégrer le

client dans le processus

d’innovation

Force de proposition dans

le processus d’innovation

Théorique

Suggère de modifier le mode d’intégration des clients dans le processus d’innovation, en leur demandant quelles sont les fonctionnalités qu’ils

attendent d’un bien ou d’un service. Le choix du support revenant à l’entreprise.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

201

Bateson, 2002

L’efficience de la servuction dépend au

moins partiellement de la participation du

client

Ressource

Employé partiel Théorique

Oppose client expert vs client novice. En fonction du client, suggère des implications différentes sur l’efficience de l’entreprise et la satisfaction

des clients.

Propose d’utiliser les scripts pour aider à faire face aux novices et utiliser les experts

Bitner et al., 2002

L’utilisation des technologies de self-service par les clients

Ressource

Employé partiel Empirique192

Explique les motivations des entreprises qui proposent des technologies de self-service.

Explique quels sont les facteurs incitatifs et dissuasifs à l’utilisation de telles technologies par les clients.

Chervonnaya, 2003

Le client suit un chemin tout au long de la servuction, au cours

duquel se modifient son rôle et les

capacités afférentes

Client « caméléon » =

8 rôles (consommateur

passif ; instructeurs ;

ressource ; co-producteur ;

auditeur ; concurrent ; marketeur ; décideur)

Théorique

Revue de la littérature des différents rôles tenus par le client au cours d’un même processus de servuction

Propose de répartir ces rôles en fonction de deux caractéristiques des processus de servuction (niveau de standardisation, et degré de

monopole du producteur de service sur la connaissance nécessaire à la réalisation d’un processus de service donné). Les rôles endossés par le

client sont donc prédeterminés par la nature du processus.

Hsieh et al., 2003

La participation du client influence la charge de travail

perçue par les employés

Employé partiel Empirique

Montre que la participation du client au service est positivement corrélée à l’importance de la charge de travail perçue par les employés. Plus le client participe, et plus les employés ressentent une charge de travail

(psychologique et physique) importante.

192 Contribution basée sur une recherche empirique dont seuls les résultats généraux sont exposés. Pour la méthodologie et les résultats détaillés, nous renvoyons à Meuter et al., 2005.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

202

Namasivayam, 2003

Le client est le seul producteur du service,

et l’entreprise un facilitateur

Employé transitoire Théorique

Considère le client comme employé transitoire, auquel on peut transposer des techniques de gestion des ressources humaines. En déduit 4 types de travail pour le client, en fonction des exigences du travail et

de la latitude décisionnelle dans le travail.

Gouthier et Schmid, 2003

Les implications stratégiques de la

participation client à l’aune de la ressource-

based view

Ressource

Co-designer

Co-interacteur

Substitut au leadership

Acheteur

Co-marketeur

Théorique

Suggère que les clients, de par les rôles qu’ils endossent, et les relations client sont des ressources importantes pour la firme.

Analyse cela à l’aune de la ressource-based-view, et suggère les potentielles implications stratégiques d’une telle perspective

Bendapudi et Leone, 2003

Le client influence sa propre satisfaction en

participant

Contributeur de la qualité Empirique

Aborde l’impact psychologique de la participation client sur sa satisfaction

Montre, en recourant au biais de self-service, que la satisfaction varie selon que le client participe ou non. Importance du choix laissé au client

de participer ou non sur sa satisfaction finale

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

203

La construction de ce tableau mérite quelques précisions :

Ø Lorsqu’un même auteur avait sous son nom des contributions relativement

proches, nous n’en avons retenu qu’une seule193, en dehors du cas où l’une

était théorique, l’autre empiriquement fondée (e.g. Kelley et al., 1990 ; 1992).

Ø Les rôles des clients tels que nous les indiquons dans ce tableau étaient soit

tous explicitement présents dans l’article cité (par exemple, parmi d’autres,

Chervonnaya, 2003 ; File et al., 1992 ; Lengnick-Hall, 1996), soit implicites

de par les propos du ou des auteurs (e.g. Lovelock et Young, 1979 ; Song et

Adams, 1993).

Ø Enfin, pour éviter d’allonger les dénominations, nous avons simplement

indiqué « contributeur de la qualité », alors que la quasi-totalité des articles

concernés mentionnent que, en pareil cas, le client contribue également à sa

satisfaction (en toute logique, puisque celle-ci est fonction de celle-là194).

III.1.2.b) Les implications des rôles du client

Le fait que le client joue un ou plusieurs rôles a des implications à différents niveaux,

pour la plupart présentées dans le tableau 3-5. Schématiquement, elles portent sur :

Ø La qualité du service rendu, et partant, la satisfaction que le client retire de ce

service : le client, en participant, a ainsi un impact direct sur cette qualité et sa

satisfaction (Bitner et al., 1997 ; Kelley et al., 1992…)

Ø La productivité de l’entreprise : source d’incertitude, le client peut restreindre

la productivité (Chase, 1981), mais peut aussi l’améliorer (Lovelock et

Young, 1979 ; Rodie et Kleine, 2000), si il est bien guidé à travers les étapes

du processus de servuction, grâce à la mobilisation de techniques de

socialisation organisationnelles (Bowen, 1986 ; Kelley et al., 1990).

Ø Les modes de segmentation de la clientèle : sachant que certains clients sont

disposés à participer quel que soit le service, même en l’absence d’avantages

découlant de cette participation, il est possible d’utiliser ce critère comme clé

de segmentation, sur laquelle peuvent être basés la conception et le design

193 Ce qui explique par exemple l’absence de Bateson, 1983, auquel nous avons préféré l’article de 1985, plus largement cité et dont les apports diffèrent peu ; ou encore, la seule présence de Firat et al., 1995, que nous aurions pu compléter par Firat et Venkatesh, 1993 ; 1995. 194 Voir par exemple Zeithaml et Bitner, 2003 : 85.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

204

retenus pour le service (Bateson, 1985 ; Langeard et al., 1981). Peut aussi être

considérée la complémentarité entre les clients, qui n’ont pas les mêmes

compétences ou le même niveau d’expérience avec l’entreprise (Bateson,

2002).

Ø L’innovation : nous avons volontairement restreint le nombre de

contributions portant sur l’intégration du client dans le processus

d’innovation en raison de leur éloignement avec notre problématique. Ces

perspectives de co-développement de l’innovation se développent, tant pour

les biens matériels que les services, surtout depuis les travaux de Von Hippel

(e.g.Thomke et Von Hippel, 2002 ; Von Hippel, 1986). Bien qu’adoptant une

perspective différente sur la position occupée par le client, des auteurs comme

Prahalad et Ramaswamy (2000 ; 2002 ; 2004) ont également proposé de le

considérer comme partie prenante du processus d’innovation par le biais de la

co-création d’expériences.

Ø L’obtention d’un avantage concurrentiel : même si il est évident que

l’amélioration de la qualité perçue et de la productivité sont autant de facteurs

visant à améliorer la situation concurrentielle, certains travaux proposent que

la capacité de la gestion de la participation client est une véritable

compétence clé (Canziani, 1997 ; Prahalad & Ramaswamy, 2000 ; 2004). En

ce sens, la participation client constitue une ressource clé (Gouthier et

Schmid, 2003), dont la maîtrise est un pilier de l’obtention d’un avantage

concurrentiel.

Ø Les modes de coordination : introduisant de par sa présence une incertitude

sur laquelle l’entreprise a peu de prise, la participation du client influence les

modes de coordination sur lesquels s’appuie la servuction (Argote, 1982 ;

Bowen et Jones, 1986 ; Larsson et Bowen, 1989).

A ceci viennent se greffer nombre de recherches qui examinent l’incidence de la

présence et de la participation du client sur le comportement et les conditions de travail des

employés en contact. Ce sont les travaux sur le stress de rôle, le conflit de rôle, ou l’ambiguïté

de rôle que ressentent les employés en contact, pris en tenaille entre les exigences quelquefois

divergentes du client avec lequel ils interagissent, et celles de leur direction dont ils dépendent

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

205

(Hartline et Ferrell, 1996 ; Parkington et Schneider, 1979 ; Wetzels et al., 1999). Ne portant

pas sur explicitement sur la participation, nous ne les avons pas inclus dans le tableau 3-5.

III.2 PROPOSITION DE NOUVEAUX RÔLES ANCRÉS DANS LES

INTERACTIONS CLIENTS – EMPLOYÉS.

De la revue de littérature qui précède sur l’étude des rôles du client, nous souhaitons

montrer qu’elle pêche par omissions, qui une fois comblées peuvent permettre d’élargir cette

notion de rôle. Nous relevons donc dans un premier temps ce qui à nos yeux constitue des

absences, et par là-même des opportunités nouvelles de développement théorique (III.2.1). Le

prolongement naturel de cette réflexion est de proposer de nouveaux rôles que peut jouer le

client (III.2.2).

III.2.1 Des lacunes dans la littérature.

Nous nous arrêterons sur ce que nous considérons être deux des lacunes principales.

La première est le défaut d’approfondissement des liens entre la participation et la

coordination. La seconde se rapporte à la perspective dans laquelle s’inscrivent ces travaux.

III.2.1.a) La sous-exploration des liens entre participation client et coordination.

Si les relations entre participation du client et coordination ont été abordées dans la

littérature, il n’en reste pas moins qu’elles n’ont fait l’objet que d’un nombre très restreint de

recherches. En l’occurrence, nous en avons identifié trois, citées dans notre tableau, qui se

focalisent sur leur étude : Argote, 1982 ; Bowen et Jones, 1986 ; Larsson et Bowen, 1989,

dont seule la première a une base empirique, les deux autres étant purement théoriques. Par

conséquent, parmi les recherches sur les implications de la participation, il est clair que cette

catégorie est réduite à la portion congrue, en particulier si on la compare, par exemple, à

celles sur les liens entre la participation et la qualité ou la productivité des services.

Pourtant, si la qualité de la coordination est positivement reliée à l’efficacité et à

l’efficience (Cheng, 1983 ; Georgopoulos et Mann, 1962), il paraît légitime de penser qu’un

approfondissement des retombées de la présence du client sur la coordination est nécessaire.

En effet, nous pouvons supposer que les pistes d’amélioration de la productivité et de

l’efficience liées à cette participation sont loin d’avoir toutes été explorées. Reste néanmoins à

savoir comment procéder à cette analyse. Nous nous pencherons sur cela dans notre quatrième

chapitre. Dans l’attente, continuons à explorer les zones d’ombre qui nous préoccupent.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

206

III.2.1.b) Une approche plutôt fonctionnaliste de la notion de rôle du client.

Les publications mobilisant la théorie des rôles appliquée à la participation des clients

renvoient généralement peu ou prou des références identiques. En particulier, l’une d’entre

elles, très fréquemment citée, est la contribution de Solomon et al. (1985). Ces derniers

abordent, et définissent, le rôle de la manière suivante :

« Une approche en terme de théorie des rôles met l’accent sur la nature des individus

en tant qu’acteurs sociaux qui apprennent des comportements appropriés aux positions qu’ils

occupent dans la société. Bien que les « acteurs » d’un processus de production de service

puissent être des individus très différents dans leur temps libre, ils doivent adopter un

ensemble de comportements relativement standardisés (i.e. lus à partir d’un script commun)

quand ils viennent au travail ou entrent sur une place de marché. En fait, les gens sont

souvent définis par les rôles qu’ils jouent dans le service […] Cette structure implicite n’est

pas réservée qu’au fournisseur du service. Le récipiendaire du service joue également un

rôle. Le rôle du client est composé d’un ensemble de comportements appris, d’un répertoire

de rôles […] L’étude d’un rôle – un ensemble de signaux sociaux qui guident et dirigent le

comportement d’un individu dans un cadre donné – est l’étude de la conduite associée à

certaines positions socialement définies plutôt que celle des individus particuliers qui

occupent ces positions » (Solomon et al., 1985 : 102).

Or, si nous nous rappelons l’une des citations de Perrot : « L’approche fonctionnaliste

des rôles s’inspire de la sociologie où les rôles sont analysés à partir des concepts de

structures, de normes sociales, de statuts, de modèles culturels, etc. » (2000 : 113). Il apparaît

donc que Solomon et al., au regard de leurs écrits195, ont une sensibilité proche du

fonctionnalisme. Cette même perspective est patente dans de nombreux travaux s’attachant à

déterminer les rôles du client participant, comme par exemple Bitner et al.196.(1994), Bitner et

al. (1997), Kelley et al197. (1990 ; 1992), Mills et Morris (1986), Surprenant et Solomon

(1987), Chervonnaya198 (2003)… Ils se situent dans le sillage de ce que Granovetter (1994)

195 Plus précisément, Solomon et al. (1985) analysent la dyade client-employé qui existe dans le cadre de la rencontre de service à l’aune de la théorie des rôles. 196 « Un rôle est un comportement associé à une position socialement définie (Solomon et al., 1985) » (Bitner et al., 1994 : 96). 197 « L’identification de rôle est le degré d’identification d’un client à un rôle, ou ensemble de comportements, spécifique » (Kelley et al., 1990 : 328). 198 « Un rôle est généralement défini comme « un ensemble de schémas comportementaux appris à travers l’expérience et la communication, accomplis par un individu au cours d’une interaction sociale particulière, afin d’atteindre son objectif avec un maximum d’efficacité » (Bateson, 1989) » (Chervonnaya, 2003 : 348).

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

207

appelle la conception sur-socialisée de l’action humaine, qui « implique que les gens suivent

automatiquement et inconditionnellement les coutumes, les habitudes ou les normes »

(Granovetter, 1994 : 84), par opposition à une conception sous-socialisée qui omet toute

relation sociale, et ne s’intéresse à l’homme qu’en tant qu’acteur économique rationnel

maximisant son utilité.

III.2.1.c) Quid des interactions sociales ?

La réponse à cette question-titre réside dans nos propos antérieurs. Puisque le rôle du

client a été appréhendé d’après une perspective ancrée dans le fonctionnalisme, il n’est dès

lors pas étonnant de constater la quasi-absence de prise en compte des interactions entre le

client et les employés en contact dans le façonnage desdits rôles. Ç’aurait été lui reconnaître

des degrés de liberté qui, épistémologiquement, lui étaient inaccessibles, voire interdits. Ces

interactions sociales, dans les travaux précités, constituent exclusivement le cadre de

l’exercice du ou des rôles du client, un simple contexte normatif.

Ce n’est d’ailleurs rien moins que ce qu’écrit Czepiel (1990), faisant référence à

plusieurs des travaux précédemment mobilisés199 : « ces études négligent l’aspect social de

l’interaction en faveur de l’étude de l’impact fonctionnel de la présence du client dans

l’organisation – comme lorsque plusieurs des études ci-dessus caractérisent le client comme

un ‘employé partiel’ » (1990 : 17).

Notre objectif est de rompre avec cette conception, en montrant pourquoi il est

important de réintégrer ces relations dans la « fabrication » des rôles du client. Plus encore

que les relations clients / employés, nous allons nous employer à montrer que les échanges

clients / employés, et entre les employés, sont en mesure de façonner certains des rôles du que

jouent les clients.

III.2.2 Le client comme filtre et catalyseur dans les

interactions entre les employés en contact.

Nous avons posé, dans le chapitre premier, que le multicanal correspondait à une

situation d’existence simultanée de multiples canaux avec lesquels le client était en

interaction. Ce dernier est ainsi au cœur du dispositif multicanal (voir la figure 3-3).

Autrement dit, le multicanal correspond à une situation particulière d’un cas général où le

199 Sont cités Schneider (1973, 1980), Lovelock et Young (1979), Bateson (1983), Bowen (1986), et Mills et Morris (1986).

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

208

client se trouve en situation d’interaction avec plusieurs employés en contact d’une entreprise,

à cette exception près où le client serait en contact avec le même interlocuteur quel que soit le

canal de distribution. Cependant, cette situation semble difficilement applicable à une

situation de B-to-C, et risquerait de faire disparaître plusieurs des avantages du multicanal

décrits dans le premier chapitre. Bien que conscient de cette possibilité, nous ne la retenons

donc pas dans notre réflexion.

Figure 3-3 : Le client au cœur du dispositif multicanal200

De par sa position, le client est donc en mesure de jouer, d’une certaine manière, un

rôle d’intermédiaire entre ces différents employés. En ce qui nous concerne, nous parlerons

dorénavant du client comme jouant le rôle d’un filtre ou d’un catalyseur201 entre les employés,

dont nous proposons ci-après plusieurs déclinaisons : le client comme filtre informationnel,

puis comme catalyseur interprétationnel et interactionnel, rôles qu’il va construire dans ses

interactions avec les différents employés. Le premier sera construit en liaison directe avec le

multicanal, tandis que les deux autres seront développés à partir du cas plus général

d’interactions entre le client et plusieurs employés en contact, donc transposables au

multicanal dont nous avons précisé qu’il n’était qu’un cas particulier de cette situation. Nous 200 A fin de lisibilité, nous n’avons pas indiqué de potentiels échanges entre les canaux 1 et 3, 2 et 5, etc. susceptibles d’intervenir. 201 Ces termes sont explicités dans les paragraphes qui suivent.

CANAL

5

CANAL

4

CANAL

3

CANAL

2

CANAL

1

CLIENT

Échanges entre le client et les canaux Échanges entre les canaux (formels et informels)

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

209

nous inspirerons en outre des résultats du cas BGN pour introduire un dernier rôle de

catalyseur, que nous qualifierons de perceptuel. Enfin, nous préciserons certaines des

conditions d’exercice de ces rôles.

III.2.2.a) Le client, « filtre informationnel »202.

Le client est une source d’incertitude pour le processus de servuction (Chase, 1981 ;

Chase et Tansik, 1983 ; Mills et Turk, 1986), incertitude que Galbraith (1973) définit comme

« la différence entre la quantité d’information requise pour réaliser une tâche et la quantité

d’information déjà possédée par l’entreprise » ( : 5).

Argote (1982) explique à sa suite que « l’incertitude de l’input [dans une unité

organisationnelle] provient de l’environnement externe avec lequel les différentes unités sont

en contact continu, ce qui a un impact immédiat sur les tâches réalisées par ces unités »

( : 422).

Transposé aux canaux de distribution, cela signifie que les tâches, les actions réalisées

par ces canaux, qu’ils soient considérés indépendamment ou ensemble au sein d’un réseau de

distribution, sont (entre autres) liées aux actions entreprises par les clients pour co-produire le

service qui leur est délivré. Généralement, l’incertitude provenant des clients est mesurée à

l’aune de la diversité de leur demande, ou de leur disposition à participer au service (Larsson

et Bowen, 1989). Mais nous avons montré antérieurement que ces actions incluent aussi la

transmission d’informations du client à l’entreprise. Ces informations peuvent par exemple

concerner la situation personnelle du client (niveau de revenus, situation matrimoniale, âge,...)

ou ses attentes vis-à-vis du service.

Or, il ne semble pas irréaliste d’envisager que le client ne donne pas toujours la même

information à ses interlocuteurs qui travaillent sur des canaux différents203 dans l’entreprise,

que ce soit dans l’expression de ses attentes, dans la qualité de l’information fournie, ou dans

sa quantité, etc. Cela peut se faire soit volontairement, soit involontairement.

Dans le premier cas, le client peut considérer qu’il a tout intérêt à créer une asymétrie

d’information qui jouera en sa faveur pour obtenir un avantage quelconque, comme un

avantage tarifaire. Prenons l’exemple suivant, utilisé dans l’une de nos publications (Plé,

2006) : lors de sa réservation via le centre d’appels d’une chaîne d’hôtels, un client tente

d’obtenir une réduction sur sa nuitée, réduction qui lui est refusée par le téléopérateur qui 202 Propos basés sur Lefebvre et Plé, 2003 ; Plé, 2006. 203 Nous sommes toujours, bien évidemment, dans l’hypothèse où le client utilise plusieurs canaux.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

210

traite sa demande. Lorsque le client se trouve sur le point de payer, à l’hôtel, il feint de ne pas

comprendre le tarif qui lui est appliqué, prétextant qu’on lui avait accordé une réduction de

20% au moment de sa réservation.

Dans le second cas, le client peut involontairement être à l’origine de cette asymétrie

d’information en oubliant tout simplement, et en toute bonne foi, de donner un détail qu’il

avait communiqué à son premier interlocuteur.

De ce fait, et d’une certaine manière, le client joue le rôle de filtre informationnel entre

les employés en contact avec lesquels il interagit, rôle qu’il ne peut construire que dans et par

ses interactions, et qu’il peut parfois déployer dans son propre intérêt pour se construire une

réalité sociale différente de ce qu’elle serait si il était simple émetteur / récepteur

d’information. Cette information porte non seulement sur le client ou l’input matériel qu’il

amène dans le processus de servuction (le cas d’un véhicule chez un garagiste), mais aussi sur

le contenu et / ou le résultat de ses interactions antérieures avec des collègues de l’employé

avec lequel il interagit à l’instant t.

Le terme de filtre est ici utilisé, car le client émet à la fois de l’information qu’il

génère lui-même (sur lui ou son input matériel), mais aussi de l’information qu’il a recueillie

et interprétée lors d’échanges antérieurs, et sur laquelle il peut jouer de manière plus ou moins

consciente (car il peut en tirer profit, ou n’a pas les capacités cognitives nécessaires au

traitement adéquat de cette information pour la transmettre ensuite, par exemple)204.

III.2.2.b) Le client, catalyseur interprétationnel et interactionnel.

Les employés en contact doivent fréquemment composer avec les exigences

potentiellement contradictoires de leur direction et des clients avec lesquels ils interagissent

(e.g. Wetzels et al., 1999). Ils peuvent être amenés, pour satisfaire le client, à contourner des

règles et procédures organisationnelles en inadéquation avec sa demande ou ses attentes.

L’employé est donc au cœur d’une véritable lutte d’influence entre le marteau des contraintes

managériales et l’enclume des desiderata de la clientèle (Eddleston et al., 2002).

Dans une étude portant sur les rôles et comportements des caissiers dans un

supermarché, Rafaeli (1989) cherche notamment à comprendre et expliquer les relations à la

fois entre les différents caissiers, et entre ces employés en contact et les autres membres de

204 Nous nous inspirons de la notion de filtre telle qu’utilisée dans la littérature communication organisationnelle, (Giordano, 2001).

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

211

l'organisation, parmi lesquels sont inclus les clients. Il montre tout d’abord que ceux-ci sont

les personnes qui ont l'influence immédiate la plus importante sur les caissiers, en raison de ( :

256-259) :

Ø La proximité physique entre ces deux catégories d’acteurs

Ø La quantité de temps que clients et caissiers passent ensemble

Ø L'importance quantitative et l’immédiateté du feedback que renvoient les

clients aux caissiers

Ø La quantité d'informations que les clients fournissent

Ø Le rôle crucial que les caissiers attribuent aux clients205

A l’inverse, ces caissiers perçoivent l’influence de la direction comme plus légitime,

mais surtout beaucoup plus distante.

Ce qui est très intéressant également est la démonstration empirique par l’auteur de ce

que les clients exercent une pression à la fois directe sur les caissiers, mais aussi indirecte, en

agissant à la fois sur leurs collaborateurs (en l’occurrence, d’autres caissiers, i.e. d’autres

employés en contact) et sur la direction de ces employés en contact (cf. figure 3-4). Cette

pression indirecte au niveau de la direction se traduit par l’intervention du client qui se plaint,

ou adresse ses félicitations à la direction quant à la qualité du service que tel employé lui a

fourni, ce qui peut avoir un impact sur l’évolution professionnelle ou la rémunération de cet

employé. Mais Rafaeli nous explique que les employés en contact sont parfois amenés à

détourner les procédures pour satisfaire leurs clients (cf. ci-après). En pareilles circonstances,

lorsque le client fera part de sa satisfaction à la direction, nous nous retrouvons face à une

situation où le client, de par ce feedback auprès de la direction, entretiendra ce phénomène de

détournement de ces procédures (i.e. incitera indirectement l’employé à continuer à détourner

les procédures).

205 Extrait d’une des citations retranscrites par Rafaeli : « Parce que si les clients nous laissent, où seront nous ? Ce sont eux qui font le magasin. Ce sont eux qui font mon salaire. Sans les clients, le magasin n’existerait jamais » ( : 259)

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

212

Figure 3-4 : Les parties et les dynamiques déterminant le comportement de l’employé en contact : l’influence du client, des co-employés, et de la direction

Source : Rafaeli, 1989 : 254

Ce détournement des règles et procédures prend par exemple forme lorsque les clients

tentent de décourager les caissiers d’interagir avec d’autres caissiers ou avec le management,

dès lors qu’ils considèrent comme une perte de temps (Rafaeli, 1989 : 258), alors que ces

interactions que veut initier le caissier répondent au suivi de règles et procédures fixées par la

direction206.

En d’autres termes, le client tente d’influencer directement et indirectement l’employé

avec lequel il est en contact pour qu’il interprète ou adapte les règles et procédures qu’il

devrait normalement suivre pour honorer le contrat qui le lie à son employeur. Ce qui signifie

que, à travers les interactions qu’il entretient avec le caissier au sein de son ensemble

interactionnel, le client joue un rôle que nous qualifions de « catalyseur interprétationnel »,

rôle qui s’exprime vis-à-vis des règles et procédures organisationnelles. Nous utilisons cette

206 Par exemple, lorsque le caissier a besoin d’une autorisation pour réaliser une opération, ou préfère vérifier une information que lui donne un client sur un produit auprès d’un de ses collègues.

Influence directe Influence indirecte

Clients

Collègues

Direction

Comportement du caissier

-

+

+

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

213

fois-ci le terme de catalyseur207, que le Petit Robert définit ainsi : « Ce qui déclenche une

réaction par sa seule présence ». C’est ce qui se passe ici, puisque c’est l’action ou les propos

du client qui peuvent amener le caissier à suivre ou non ces règles et procédures.

Par ailleurs, il l’influence dans la qualité et la quantité de ses interactions avec ses

collègues, en l’amenant à limiter par exemple la quantité de ses échanges avec eux, ou a

contrario en l’incitant à les accroître (par exemple, pour que le caissier obtienne une

information dont le client a besoin). Nous qualifions ce rôle de « catalyseur interactionnel ».

Du fait de ce que nous avons précisé précédemment sur la singularité du multicanal

vis-à-vis de situations au cours desquelles le client interagit avec plusieurs employés de

l’entreprise, nous pensons qu’il est envisageable de transposer ces deux rôles de catalyseur

interprétationnel et interactionnel au cas d’un réseau de distribution multicanal.

III.2.2.c) Le client, catalyseur perceptuel.

Parmi les résultats du cas BGN, nous avons montré que les clients sont à même de

moduler l’appréciation que portent les conseillers à l’endroit des téléconseillers des plates-

formes. Ils peuvent donc faire évoluer la perception que les premiers ont du travail des

seconds, soit en renforçant leur perception initiale, soit en la modifiant. Cela va d’ailleurs

dans le sens d’un résultat émergent de Wiertz et al. (2004), qui montrent que la perception des

clients vis-à-vis d’un des prestataires de service peut influencer celle qu’en auront les autres

prestataires. D’où l’appellation de « catalyseur perceptuel » que nous assignons à ce rôle joué

par le client.

III.2.3 Implications de ces rôles de filtre et catalyseur.

La manière dont nous avons élaboré ces rôles nous éclaire sur l’impact que peuvent

avoir sur ces derniers tant les déterminants de la participation, que la nature de l’échange ou

des canaux de distribution étudiés. Enfin, leur existence vient en renfort de notre

compréhension de la participation client, de par leur complémentarité à la définition que nous

en proposons à la fin de ce chapitre.

207 Nous exprimons notre vive reconnaissance au Professeur Lamarque pour nous avoir suggéré l’utilisation de ce terme de catalyseur, dont la définition reflète ce que nous souhaitions montrer.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

214

III.2.3.a) Comprendre ces rôles de catalyseur à partir des déterminants et inputs de la participation.

Dans la perspective qui est la nôtre, ces rôles de filtre et de catalyseur que peut être

amené à jouer le client se construisent et interviennent durant ses interactions avec les

employés en contact au moment de la servuction. Ils se situent donc dans le cadre de sa

participation à cette servuction. Or, nous avons vu que les conditions de réalisation ou non de

cette participation, i.e. ses déterminants, sont les suivantes : le client doit être conscient de sa

participation, en comprendre l’importance, être capable de, et vouloir participer.

Nous pouvons alors supposer qu’il existe un lien entre ces déterminants et les rôles de

catalyseur que nous venons de détailler. Nous ne pensons pas, en revanche, que ce lien

s’applique au rôle de filtre informationnel, en raison de la nature de l’objet sur lequel il porte

(l’information émise par le client dans les conditions que nous avons décrites).

Le point de départ de cette supposition a pour origine le cas BGN, où le rôle de

catalyseur perceptuel peut se comprendre à partir de l’expression par le client de son refus du

changement de la participation qu’exige l’entreprise de sa part. Le client exprime en effet une

évaluation négative à l’égard des nouveaux outils, et plus particulièrement de la plate-forme

sortante, car cette dernière induit un changement de sa participation qui ne lui convient pas

(absence de sa volonté de modifier sa participation). Et c’est à travers la perception qu’a son

conseiller (i.e. l’employé en contact principal) de ce refus de participer selon de nouvelles

modalités que s’exerce ce rôle de catalyseur perceptuel.

De même, dans le cas du rôle de catalyseur interprétationnel, le client refuse l’ampleur

de sa participation, dont une expression peut être d’attendre que l’employé en contact ait

obtenu une information par un collègue. A nouveau, c’est parce que l’employé en contact

perçoit ce refus, et le considère comme une menace dans sa relation avec le client, qu’il peut

être amené à interpréter différemment les règles et procédures organisationnelles. Le

déclenchement de ce rôle de catalyseur interprétationnel prend donc source dans la perception

qu’a l’employé en contact d’un des déterminants de la participation du client.

Autrement dit, il est possible de voir ces rôles de catalyseur comme le résultat de la

perception qu’ont les employés en contact des déterminants de la participation (par exemple,

comment l’employé perçoit-il la volonté de participer du client ?) au moment de leurs

interactions avec les clients. Or, la dimension perceptuelle est primordiale dans une

interaction (Cook et al., 2002 ; Czepiel, 1990). En outre, dans un contexte multicanal, nous

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

215

avons expliqué que les clients réalisent un arbitrage entre les canaux, lequel arbitrage

s’effectue notamment à partir non seulement des déterminants, mais aussi des inputs leur

participation (cf. p. 190).

Donc, dans un contexte multicanal, nous pouvons envisager que ces rôles de

catalyseurs sont le résultat de la perception qu’ont les employés en contact de cet arbitrage

mesuré à l’aune des déterminants et des inputs de la participation du client.

III.2.3.b) La modulation de la nature de l’échange sur l’intensité du rôle de filtre ou de catalyseur que joue le client.

Le premier chapitre fut l’occasion de présenter la différence entre relation et rencontre

de service, au sens de Gutek et al. (2002). Pour rappel, la relation existe lorsque le client « a

affaire à quelqu’un qu’il connaît personnellement et qu’il s’attend à voir à nouveau dans le

futur » (Gutek et al., 2002 : 133), tandis que dans le cas de la rencontre, « la personne qui

fournit le service est un étranger, et le client et lui ne connaissent pratiquement rien l’un de

l’autre […] les clients ne s’attendent pas à être servis à nouveau par cet employé », et « ils

peuvent même interagir [dans le cadre d’une rencontre de service] avec une machine, comme

un distributeur automatique, ou Internet, plutôt qu’avec une personne » (ibid.). Il en va à

l’identique de la pseudo-relation.

De cela, nous inférons que l’intensité de la réussite de la mobilisation par le client de

son rôle de filtre informationnel, ou de catalyseur interprétationnel / interactionnel /

perceptuel sera étroitement liée à la nature de l’échange (rencontre, pseudo-relation ou

relation). Dans une relation de service, existe notamment une dimension de confiance entre

les deux acteurs (Eddleston et al., 2002), qui peut par exemple mener l’employé :

Ø À croire plutôt les informations que lui donnent le client que celles qui lui

sont fournies par ses collègues d’autres canaux (filtre informationnel) ;

Ø À privilégier une solution qui satisferait son client au risque de déplaire à sa

direction ou à ces mêmes collègues (catalyseur interprétationnel) ;

Ø À plus facilement contacter ses collègues si il estime que cela sert les intérêts

de son client (catalyseur interactionnel) ;

Ø Ou enfin à modifier sa perception de la qualité du travail de ses collègues

(catalyseur perceptuel). Dans un tel cas, l’intensité des rôle de filtre et de

catalyseur que joue le client serait vraisemblablement élevée.

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

216

Inversement, cette intensité sera vraisemblablement plus faible si l’employé n’a pas ou

peu d’affinité avec le client (cas de la rencontre et pseudo-relation). Il sera moins enclin à se

laisser influencer, déploiera peut être plus d’énergie à vérifier les informations fournies par le

client, s’emploiera à ne pas s’écarter soit des règles et procédures issues de sa direction, soit

des normes issues de son environnement collaboratif (ou s’en écartera le moins possible), ou

ne souhaitera pas faire l’effort de contacter d’autres canaux si le client lui demande.

III.2.3.c) Nature des canaux et rôles des clients.

Avant de conclure ce chapitre, une dernière clarification s’impose. De ce que nous

avons exposé supra, il découle naturellement que le client ne pourra pleinement jouer son rôle

de filtre informationnel ou de catalyseur (fût-il interprétationnel, interactionnel et / ou

perceptuel) que si il dispose de quelqu’un pour l’écouter. En conséquence, ce rôle ne pourra

s’exercer que si l’un des canaux au moins du réseau de distribution multicanal a une

composante humaine, par opposition aux canaux ramenés à une unique interface technique

(technologies de self-service).

III.2.4 La participation client : une définition.

Au regard de ce que nous avons écrit tout au long de ce chapitre, nous pensons être en

mesure de donner notre propre définition de la participation client (Encadré 2).

Encadré 2 : Définition de la participation client dans le cadre de cette recherche

La participation client est un concept comportemental qui renvoie aux actions et

ressources fournies par le client pour la production et / ou la distribution d’un service.

Influençable par la firme prestataire, elle dépend de déterminants propres au client, et

inclut l’apport par celui-ci d’inputs d’intensité variable, non exclusifs les uns des autres :

inputs physiques, mentaux, temporels, émotionnels, financiers, comportementaux, et

relationnels. La mobilisation de l’ensemble de ces inputs intervient dans le cadre de la

dynamique des interactions du client avec l’entreprise, caractérisées par un contenu

social variable selon leur nature et leur support (employé ou technologie de self-service).

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Chapitre Troisième – Le client, acteur de la vie organisationnelle

217

De cette manière, cette définition, inspirée en partie de celle fournie par Rodie et

Kleine (2000), replace le terme « comportemental » dans une perspective organisationnelle, et

non seulement marketing208. Ce qu’illustrent les rôles de filtre et de catalyseur que nous avons

proposés, et qu’il est susceptible de jouer (Encadré 2 ci-après).

Tableau 3-6 : Le rôles de filtre et les trois rôles de catalyseur que peut jouer le client

RÔLE DÉFINITION

Filtre informationnel

Rôle joué par le client qui lui permet, volontairement ou non, de créer une asymétrie d’informations en sa faveur entre les employés en contact de

l’organisation prestataire de service à laquelle il s’adresse

Catalyseur interprétationnel

Rôle joué par le client qui lui permet d’influencer un ou plusieurs employés en contact pour qu’il(s) détourne(nt) en sa faveur les règles et procédures instaurées dans l’organisation prestataire de service à laquelle il s’adresse

Catalyseur interactionnel

Rôle joué par le client qui lui permet d’influencer à son avantage les interactions entre les employés en contact de l’organisation prestataire de

service à laquelle il s’adresse, et / ou entre ces employés et leurs supérieurs hiérarchiques

Catalyseur perceptuel

Rôle joué par le client qui lui permet209 d’influencer la perception qu’a l’employé avec lequel il est en contact des compétences des autres

employés en contact avec lequel le client a déjà interagi

208 Dans l’esprit, Rodie et Kleine rapprochent plutôt ce terme de la notion de comportement du consommateur. 209 A l’inverse des précédents, nous utilisons le terme « susceptible » car nous ne supputons pas que le feedback du client a cet objectif que d’altérer l’évaluation que fera l’employé en contact des compétences de ses collègues. Les résultats du cas BGN, dont ce rôle est originaire, ne nous permettent pas de tirer cette conclusion.

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Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client

218

EN CONCLUSION DU CHAPITRE TROISIÈME... Le client, un acteur multi-facettes du processus de

servuction auquel il contribue

Au cours du chapitre qui se referme, nous avons introduit la notion de participation du

client au service, que nous avons essayée de replacer régulièrement dans le cadre originel de

notre réflexion sur le multicanal, en dépit de nos difficultés à lui trouver des travaux dédiés.

Nous retiendrons principalement les éléments suivants :

Ø La littérature nous informe sur le contenu de la participation, ainsi que sur les

facteurs endogènes (les déterminants propres au client) et exogènes (les

techniques de socialisation organisationnelle de l’entreprise prestataire) qui la

déterminent.

Ø Le client est susceptible d’endosser des rôles multiples et variés au cours de

sa participation.

Ø Les travaux existants sont pour l’essentiel fondés sur une perspective

fonctionnaliste de la participation, et en négligent donc les aspects sociaux.

En réponse à l’appel de Czepiel (1990), nous avons finalement proposé une vision

élargie de cette participation, qui s’extraie de ce fonctionnalisme.

Cette vision élargie, traduite notamment par la proposition d’une définition de la

participation, postule que le client joue un rôle de filtre et / ou de catalyseur dans les

interactions entre les employés avec lesquels il est en contact au fil de ses échanges avec la

firme prestataire du service. A ce titre, les inputs relationnels que nous proposons de lui

attribuer dans le cadre de sa participation sont en accord avec cette vision.

Celle-ci donne selon nous une nouvelle dimension à la place qu’il prend dans

l’entreprise en tant que co-créateur de son service. Elle permet de dépasser l’étude de sa

simple activité de production, pour prendre en considération l’impact de sa présence et de ses

actions sur les échanges entre les employés en contact impliqués dans la servuction. Le client

s’affirme donc un peu plus en tant qu’acteur de la vie organisationnelle, point de vue que le

quatrième chapitre va s’ingénier à approfondir.

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Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client

219

CHAPITRE QUATRIÈME : LA COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE : DES MODÈLES

TRADITIONNELS À L’INTÉGRATION DU CLIENT

Le troisième chapitre vient d’élargir l’horizon de la participation du client aux

échanges entre les employés en contact avec lesquels il interagit. Du fait des rôles de filtre et

de catalyseur qu’il semble théoriquement apte à jouer, il nous paraît raisonnable de penser

qu’il est en position d’exercer quelque influence sur la coordination entre ces employés. Or, à

notre connaissance, cette influence n’a été qu’effleurée par la littérature.

La coordination peut s’appréhender de deux manières. La première prend racine dans

les travaux sur le design organisationnel, qui mettent notamment l’accent sur les mécanismes

de coordination. La seconde est plutôt portée sur l’étude de la composante sociale de la

coordination, et sur le contenu des interactions entre les individus qui doivent se coordonner

entre eux. La revue de littérature sur ces deux courants, accompagnée d’une définition de la

coordination qui ne sera qu’intermédiaire, compose la première section de ce chapitre.

La seconde la complète utilement, puisqu’elle met en évidence l’absence du client

dans les travaux sur la coordination intra-organisationnelle. A partir de ce constat, nous

proposons de le réintégrer dans une définition de la coordination que nous nous approprions,

pour tenir compte de son influence en utilisant ce que nous avons écrit jusqu’alors. Cela

débouche sur l’exposé de notre problématique et des propositions de recherche qui

l’accompagnent.

L’entame de ce chapitre, enfin, ne peut se faire avant l’apport d’une dernière précision.

A notre connaissance, la coordination dans un cadre multicanal n’a fait l’objet que de très peu

de travaux, comme nous l’avons indiqué dans notre premier chapitre. Et moins encore

paraissent avoir traités de l’influence de la participation du client sur la coordination.

L’essentiel de notre propos, durant ce chapitre, n’est donc que peu connecté à la dimension

désormais contextuelle que représente le multicanal, que nous réintroduirons dans la

formulation de la problématique et des propositions de recherche.

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Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client

220

SECTION I. DES MÉCANISMES AUX PROCESSUS DE

COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE.

La littérature aborde généralement la coordination sous un angle négatif. Elle

représente en effet un « problème fondamental » (March et Simon, 1964 : 27), un « fardeau »

(op.cit. : 156), ou un « challenge » que doivent impérativement relever les entreprises

(Thompson, 1967 : 158). Ce « problème de la coordination » (Piret, 1998) dépasse d’ailleurs

le cadre purement opérationnel, et prend une dimension conceptuelle lorsque la littérature

l’assimile à des notions telles la coopération ou l’efficacité organisationnelle (Cheng, 1984).

D’où un besoin d’explicitation de la nature de la coordination (I.1).

Relever ce challenge revient, pour une organisation, à déployer des modes de gestion

de l’action collective qui permettront à l’ensemble composé par ses parties de fonctionner de

la manière la plus efficace et efficiente possible. Tel est l’objet de la littérature sur les

mécanismes de coordination que nous passons en revue (I.2). Nous poursuivons par une

critique de ces travaux, en introduisant ce que Gittell (2002a ; 2002b) appelle la

« coordination relationnelle » (I.3).

I.1 COORDINATION ET INTERDÉPENDANCES, LES DEUX FACES D’UNE

MÊME PIÈCE

Comme nous le verrons, qui dit coordination dit inévitablement, d’une façon ou d’une

autre, interdépendances. A une présentation générale de la notion de coordination, au cours de

laquelle sera mis l’accent sur une analyse de ses définitions issues de la littérature (I.1.1)

succède donc un détour par la notion d’interdépendance (I.1.2). Nous concluons en donnant

les premières clés de notre future définition de la coordination (I.1.3).

I.1.1 Introduction à la notion de coordination.

Pourquoi faut-il coordonner ? La réponse à cette question conduit à s’interroger sur la

signification de la coordination, ce que nous faisons par une analyse de définitions de cette

notion. Nous établissons enfin une distinction avec la coopération, concept dont la proximité

provoque parfois la confusion.

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Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client

221

I.1.1.a) Origines des besoins de coordination.

Historiquement, plusieurs facteurs ont donné lieu à l’émergence d’un besoin de

coordination au sein des organisations. D’une manière synthétique, la coordination

présuppose trois éléments fondamentaux (Georgopoulos et Mann, 1962 : 270) :

Ø La division du travail entre les membres de l’organisation ;

Ø La différenciation et la spécialisation des rôles et des fonctions entre ces

membres. Cette spécialisation prend deux formes : verticale (nombre de

niveaux hiérarchiques) et horizontale (fonctions et services indépendants) ;

Ø Les interdépendances entre ces membres, rôles et fonctions qui émergent de

ces division et spécialisation du travail.

Les buts notables des deux premiers sont d’accroître la productivité et l’efficience de

la firme, afin que celle-ci en retire in fine un avantage concurrentiel. Ainsi, la coordination est

l’une des activités essentielles des organisations (Kogut et Zander, 1996), dont chacun de ses

présupposés n’est cependant pas exempt d’embûches210. Et les interdépendances qui en

résultent doivent être gérées en vue de mettre l’organisation au service de cet objectif

d’obtention d’un avantage concurrentiel.

Poser la question de la coordination en ces termes justifie d’emblée la nécessité de

s’interroger sur la coordination des canaux d’un réseau de distribution multicanal. Nous avons

en effet expliqué que l’organisation de ces canaux reposait sur des différenciations et

complémentarités fonctionnelles (cf. p 33 et suivantes). Les interdépendances que nous avons

mises en évidence entre les canaux211 impliquent un besoin de coordination, et en conséquence

exigent qu’elle soit précisément définie.

I.1.1.b) De multiples définitions…

Alsène et Pichault (2004) notent que relativement peu d’auteurs se sont risqués à

définir la coordination. Il est vrai que de nombreuses études qui lui sont consacrées n’en

retiennent qu’une définition implicite (e.g. Adler, 1995 ; Argyres, 1999 ; Mintzberg, 1982).

Pour notre part, il nous semble essentiel de procéder comme nous l’avons fait dans nos deux

210 Pour une présentation des avantages et inconvénients liées à ces trois présupposés de la coordination, voir Kalika et al., 2006. 211 Dans les chapitres 1 et 2.

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222

premiers chapitres, en en proposant une définition propre, assise sur la littérature. D’où le

tableau 4-1 ci-après, qui alimentera notre réflexion.

Tableau 4-1 : Quelques définitions de la coordination intra-organisationnelle

AUTEUR(S) DÉFINITION

Georgopoulos et Mann, 1962 : 273

« La coordination représente dans quelle mesure les différentes parties interdépendantes d’une organisation fonctionnent d’après les besoins et les

exigences des autres parties de l’organisation, et du système dans son ensemble »

March et Simon, 1964 : 27

« Le problème de l’arrangement de systèmes de signalisation entre des activités interdépendantes est le problème de la coordination »

Thompson, 1967 : 55

« Dans une situation d’interdépendance, l’action concertée vient par le biais de la coordination »

Van de Ven et al., 1976 : 322

« La coordination signifie l’intégration ou la mise en place de liens entre différentes parties d’une organisation pour accomplir un ensemble collectif

de tâches »

Argote, 1982 : 423 « La coordination implique de faire correspondre les activités des membres

d’une organisation, et sa nécessité provient de la nature interdépendante des activités réalisées par les membres de cette organisation ».

Cheng, 1983 : 156 « La coordination est définie comme le niveau de cohérence et de régularité logique existant entre les activités des membres d’une organisation »

Martinez et Jarillo, 1991 : 431

« la coordination est définie comme le processus d’intégration des activités qui sont dispersées entre des filiales »212

Ching et al., 1992 : 276

« La coordination définit les schémas dynamiques et structurels des relations entre les participants dans une organisation »

Malone et Crowston, 1994 : 90

« La coordination correspond au management des dépendances entre des activités »

Rathnam et al., 1995 : 1900

« La coordination est le ciment qui relie les activités des membres de l’équipe, afin que les activités interdépendantes nécessaires à la résolution

d’un problème s’assemblent pour former un processus de résolution de problème fluide, cohérent et équitable »

Young et al., 1998 : 1215

« La coordination a été définie comme l’activité consciente d’assemblage et de synchronisation de différents efforts dans le travail afin qu’ils

fonctionnement en harmonie pour atteindre les objectifs organisationnels »

Farraj et Sproull, 2000 : 1555

« La coordination se réfère à des interactions situées à l’intérieur d’une équipe, qui visent à gérer les ressources et les dépendances d’expertise »

212 Ces auteurs définissant le processus d’intégration comme le fait « d’accroître le niveau d’interdépendance entre les filiales » (Martinez et Jarillo, 1991 : 430).

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Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client

223

Heath et Staudenmayer,

2000 : 156 « Organiser les individus afin que leurs actions soient alignées »

Tsai, 2002 : 180 « La coordination organisationnelle renvoie à l’intégration ou l’établissement de liens entre les différentes parties de l’organisation »

Schermerhorn (Jr.) et al., 2003 : 229

« La coordination est l’ensemble des mécanismes qu’utilise une organisation pour relier les actions de ses unités de manière cohérente »

Alsène et Pichault, 2004 : 273

« Coordonner, c’est répartir les ressources et les tâches, rendre cohérents les actes, et orchestrer les activités ».

Lamarque et Maymo, 2005 : 229

« Coordonner, c’est combiner, agencer, disposer de façon judicieuse des éléments faisant partie d’un tout, afin d’obtenir un ensemble cohérent ou un

résultat »

Kalika et al., 2006 : 281

« La coordination a pour objet d’ajuster les éléments de la structure, aussi bien horizontalement que verticalement. Comme une force vitale, la

coordination maintient ensemble les différentes parties et les différents acteurs de la firme »

I.1.1.c) … Proches du sens commun.

Ces définitions s’inspirent, en l’enrichissant, du sens commun de la coordination, tel

que nous le donne le Petit Robert. Issue du latin ordinatio, qui signifie « mise en ordre », la

coordination y est définie comme « l’agencement des parties d’un tout selon un plan logique,

pour une fin déterminée »213. C’est-à-dire qu’il s’agit de « disposer en combinant des

éléments », ou « d’organiser un ensemble par une combinaison d’éléments ». La coordination

implique donc une action finalisée, orientée vers un ou plusieurs objectifs que l’organisation

peut atteindre en structurant ses composantes (Alsène et Pichault, 2004 ; Georgopoulos et

Mann, 1962 ; Lamarque et Maymo, 2005 ; McNaughton et al., 1999 ; Tsai, 2002 ; Van de

Ven et al., 1976). Elle est d’autant plus nécessaire que la différenciation des tâches est forte

(Lawrence et Lorsch, 1973).

La littérature complète cette acception, en y ajoutant en particulier la notion

d’interdépendance, qui se veut essentielle puisque « si il n’y a pas d’interdépendances, il n’y

a rien à coordonner » (Malone et Crowston, 1994 : 90). Même en l’absence d’une définition

explicite de la coordination, cette idée d’interdépendance est éminemment prégnante (e.g.

213 Remarquons au passage la similitude anthropomorphique de ces définitions avec celle appliquée à un système biologique, donnée dans le Robert : « Combinaison des contractions des muscles en vue d’une action bien ordonnée, cohérente ».

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Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client

224

Mintzberg, 1982). Elle mérite donc d’être approfondie, non sans avoir auparavant apporté une

ultime précision sur la notion de coordination.

I.1.1.d) Coordination et coopération : deux concepts proches et complémentaires, mais distincts214.

Georgopoulos et Mann (1962), ou encore Cheng (1984), relèvent que la coordination

est fréquemment confondue avec d’autres concepts, parmi lesquels la coopération.

Comme nous le rappelle Dameron (2000), « le terme coopération vient de

l'association de la racine operare et du préfixe co, c'est-à-dire travailler ensemble,

conjointement » ( : 8). Selon l'auteur, la coopération est une troisième forme de coordination,

au même titre que le marché ou la hiérarchie. Elle se distingue cependant de ces deux

dernières par son caractère intrinsèquement dynamique, et repose sur la dualité entre deux

logiques de comportement, l'opportunisme et le besoin d'appartenance à un groupe. Si la

coordination renvoie à la manière dont les efforts des acteurs sont régulés, articulés et reliés

les uns aux autres (Georgopoulos et Mann, 1962), alors la coopération est une forme

particulière de coordination. Dameron (2000) parle ainsi de « coordination coopérative » (:

42).

I.1.2 L’interdépendance sur le chemin d’une définition de

la coordination

La centralité apparente de la notion d’interdépendance implique de la préciser pour

progresser vers l’objectif que nous nous sommes fixés d’aboutir à une définition propre de la

coordination.

I.1.2.a) L’interdépendance : présentation générale

L’interdépendance entre différentes unités d’une entreprise, ou « interaction

interfonctionnelle », pour reprendre les propos d’Adler (1995 : 149), est donc une notion

fondamentale de la coordination. A nouveau, elle est généralement comparable au sens

commun. L’interdépendance traduit un état de « dépendance réciproque » selon le Petit

Robert. Entre deux unités d’une entreprise, cela revient à dire que les actions ou activités

214 Nous sommes infiniment reconnaissant envers Stéphanie Dameron pour les remarques qu’elle nous a adressées sur cette distinction entre coordination et coopération.

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225

d’une des unités ne peuvent se réaliser sans l’action ou l’intervention d’une ou plusieurs

autres unités215.

Ceci n’est pas sans rappeler la définition qu’en donnent Van de Ven et al. (1976), pour

qui elle représente « [...] l’importance de la dépendance réciproque entre les membres du

personnel d’une unité pour réaliser leur travail individuel » ( : 324). Ils renvoient cependant

aux interdépendances existant au sein d’une unité, tandis que nous nous intéressons aux

interdépendances entre des unités. Nous ne retiendrons donc pas leur définition.

Nous ne retiendrons pas non plus celle de Cheng (1983), selon lequel « [...]

l’interdépendance est définie comme la mesure dans laquelle la tâche d’une organisation

requière de ses membres qu’ils travaillent ensemble » ( : 156). Trop vague à nos yeux, elle

reste également très discrète sur la notion de réciprocité.

Nous leur préférerons la définition que nous procurent Mc Cann et Ferry (1979) :

« L’interdépendance existe lorsque les actions entreprises par un système référent affectent

les actions ou les résultats d’un autre système référent » ( : 113). Nous la modifions en nous

inspirant de Rispens (2006), pour aboutir à cette version : « l’interdépendance existe lorsque

les actions entreprises par un système référent déterminent, influent ou contrôlent les actions

ou les résultats d’un autre système référent ». Outre sa portée (différentes unités d’une

organisation), elle supporte implicitement la réciprocité, (puisque tout dépend du système

référent initialement considéré), sans exclure celle de pouvoir naturellement attachée à la

notion d’interdépendance216 (Victor et Blackburn, 1987).

I.1.2.b) Les sources d’interdépendance

Un autre intérêt de la définition adaptée de Mc Cann et Ferry est qu’elle distingue en

son sein ce que Wageman (1995) appelle « les sources des interdépendances » ( : 146), dont

elle discerne quatre catégories qui peuvent être étudiées soit indépendamment les unes des

autres (e.g. Thompson, 1967), soit combinées (Van Vijfeijken et al., 2002 ; Wageman, 1995) :

Ø Les inputs nécessaires à la tâche, « comme la distribution des compétences et

des ressources, et la technologie qui définit le travail » (Wageman, 1995 :

146). C’est typiquement le point de vue adopté par Thompson (1967), pour

215 Nous reprenons la définition que donne le Petit Robert du verbe dépendre, d’étymologie latine dependere, signifiant « pendre de », ou « se rattacher à » : « Ne pouvoir se réaliser sans l’action ou l’intervention (d’une personne ou d’une chose) ». 216 Notion expressément présente dans une des définitions que nous donne le Petit Robert de la dépendance : « Être sous l’autorité, la domination, l’emprise ».

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Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client

226

qui le recours à l’une ou l’autre des interdépendances présentées infra est

fonction de la technologie employée.

Ø Les processus mis en place au sein de l’entreprise pour favoriser la

combinaison des inputs afin d’accomplir une tâche dans son ensemble (Shea

& Guzzo, 1987217), i.e. la manière dont le travail est organisé (structure,

procédures de travail, etc.).

Ø La manière dont sont définis et atteints les objectifs (par exemple, mesures

individuelles ou collectives de la performance)

Ø La manière dont est récompensée la performance (individuelle ou globale).

A partir de cette analyse, Wageman (1995) sépare d’un côté les interdépendances liées

à la tâche218, qui se situent au niveau des inputs utilisés et des processus nécessaires à la

réalisation du travail ; et d’un autre côté, les interdépendances de résultat219, ancrées dans les

définitions et mesures des objectifs ou des récompenses. Ce qui rejoint la distinction entre

actions et résultats de la définition que nous avons reprise chez Mc Cann et Ferry.

I.1.2.c) L’intensité des interdépendances

« Supposer qu’une organisation est composée de parties interdépendantes ne revient

pas nécessairement à dire que chaque partie est dépendante de, et supporte, toute autre partie

de manière directe » (Thompson, 1967 : 54). L’interdépendance peut donc exister de manière

indirecte ou directe. Dans le premier cas, les différentes unités travaillent indépendamment

chacune de leur côté, et contribuent à l’ensemble auquel elles appartiennent (cf. tableau 4-2,

« pooled interdependence »). Dans le second, elles sont, d’une manière ou d’une autre, en

contact, et les actions de l’une dépendent partiellement ou totalement des actions de l’autre

(cf. tableau 4-2, les trois autres types d’interdépendance). Nous nous trouvons donc, d’après

les termes de Wageman, en présence d’interdépendances liées à la tâche, et non

d’interdépendances de résultat.

Thompson (1967) postule ainsi qu’existent trois types d’interdépendances (qui

représentent en fait autant de niveaux d’intensité de l’interdépendance), auxquelles Van de

Ven et al. ajoutent une quatrième (1976 : 335). Nous les présentons dans le tableau 4-2.

217 Cité par Van Vijfeijken et al., 2002 : 366. 218 « Task interdependence » 219 « Outcome interdependence »

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227

Tableau 4-2 : 4 catégories d’interdépendances

INTERDÉPEN-DANCE CARACTÉRISTIQUES ILLUSTRATION

Pooled interdependence220

Chaque partie de l’entreprise lui offre sa propre contribution, laquelle est elle aussi supportée

par l’ensemble auquel elle collabore

Interdépendance séquentielle

Il y a un lien de dépendance directe entre les unités, dont

l’ordre peut être précisé. Mais chaque unité contribuant à

l’ensemble, et inversement, on retrouve aussi, d’une certaine

manière, la « pooled interdependence »

Interdépendance réciproque

Dans cette situation, qui reprend les deux premières, les outputs d’une unité deviennent des inputs pour les autres. Mais

contrairement à l’interdépendance séquentielle,

il y a ici une réciprocité de l’interdépendance

_

I N T E N S I T É D E L’ I N T E R D É P E N D A N C E

+

Interdépendance d’équipe221

Dans cette situation, les membres d’une équipe

transversale à plusieurs unités posent le diagnostic, résolvent le problème, et collaborent en tant que groupe dans le même

temps

Source : à partir de Thompson, 1967 : 54-55 ; Van de Ven et al., 1976 : 334-335

220 Dont une traduction possible est « couplage de communauté » (d’après la traduction de Mintzberg faite par Romelaer, in Mintzberg, 1982 : 39). 221 Nous reprenons l’idée de « Team Work Flow Case », émise par Van de Ven et al., 1976 : 335, mais la transposons à des unités. En effet, ces auteurs reprennent les travaux de Thompson (1967), originellement appliqués aux relations entre les unités, pour les transposer aux relations entre les membres d’une même unité. Nous faisons le cheminement inverse, en postulant l’existence d’une équipe projet transversale à différentes unités, et qui, par exemple en utilisant des outils collaboratifs, travaillera comme envisagé par Van de Ven et al.

Le travail rentre dans l’unité

Le travail sort de l’unité

Le travail rentre

Le travail sort

Le travail rentre

Le travail sort

Le travail rentre

Le travail sort

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228

Comme l’indique la flèche située à gauche du tableau, cette typologie est construite

dans une perspective cumulative : à chaque stade correspond un degré d’interdépendance plus

élevé. Mais nul besoin de passer par un stade inférieur pour accéder au niveau suivant (la

préexistence d’interdépendance séquentielle n’est aucunement indispensable à l’émergence

d’interdépendances réciproques au sein d’une organisation aux unités interdépendantes).

I.1.3 Une définition intermédiaire de la coordination.

Sur la base des éléments dont nous venons de nous faire l’écho, il nous semble

pertinent et possible de proposer dès maintenant une définition de la coordination, que nous

ferons évoluer ultérieurement.

La coordination s’entendra donc, dès ce point, comme la gestion finalisée des

interdépendances entre des activités qui surviennent lorsque les actions entreprises par un

système référent pour remplir ses objectifs particuliers déterminent, influent ou contrôlent les

actions ou les résultats d’un autre système dans l’atteinte de ses propres objectifs.

De cette manière, nous reconnaissons :

Ø Que la coordination renvoie à l’existence d’interdépendances qu’il convient

de gérer ;

Ø Que la gestion de ces interdépendances participe de l’atteinte d’un objectif

commun aux différents « systèmes référents » (les unités de l’entreprise, donc

en l’occurrence, les canaux de distribution) ;

Ø Que chacun de ces systèmes référents est doté d’objectifs particuliers qui

peuvent dépendre de la réalisation ou non des objectifs d’autres systèmes

référents.

I.2 LA GESTION DES INTERDÉPENDANCES PAR LES MÉCANISMES DE

COORDINATION

Savoir que la coordination est la gestion finalisée d’interdépendances entre des

systèmes référents est une première étape. Une seconde sera maintenant de nous pencher sur

les modalités de la gestion de ces interdépendances, i.e. le recours à des mécanismes de

coordination (I.2.1), dont nous verrons que les travaux qui les présentent se rattachent pour

l’essentiel à l’école de la contingence (I.2.2).

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229

I.2.1 Quels mécanismes de coordination ?

Les mécanismes de coordination sont donc des instruments qui permettent de gérer les

interdépendances afin de générer de la coordination dans une organisation (Cheng, 1984 ;

Rispens, 2006). Nous nous limiterons arbitrairement à la présentation de trois des typologies

les plus fréquemment usitées dans la littérature, tout en gardant à l’esprit que d’autres

chercheurs ont travaillé sur ces questions en se basant généralement sur ces travaux

fondateurs. Le tableau 4-3 rapporte quelques-unes de ces différentes contributions.

Nous replacerons également l’utilisation de ces mécanismes dans le cadre du

développement des technologies de l’information, qui à défaut d’en transformer la nature, en

sont devenus des supports incontournables.

Tableau 4-3 : Quelques typologies des mécanismes de coordination établies dans la littérature

AUTEUR(S) MÉCANISMES DE COORDINATION

March et Simon, 1958222 Coordination par plan Coordination par rétroaction

Georgopoulos et Mann, 1962

Coordination programmée223 Coordination générale224

Thompson, 1967 Standardisation Coordination par plan Coordination par ajustement mutuel

Van de Ven et al., 1976 Mode impersonnel de coordination Mode personnel de coordination Mode « groupal »225 de coordination

Mintzberg, 1982, 1990

Ajustement mutuel Supervision directe Standardisation des procédés de travail Standardisation des résultats Standardisation des qualifications (et du savoir)226 Standardisation des normes

Kalika, 1988

Comité de direction Directeur adjoint Responsable d’un projet Responsable d’une activité particulière

222 Il s’agit de l’édition originale de leur ouvrage, dont nous avons consulté la version française, dont la première édition date de 1964. Mais par souci de respect chronologique, nous indiquons la date de 1958 dans ce tableau. 223 Équivalente à la coordination par plan de March et Simon (1958), d’après Georgopoulos et Mann. 224 Équivalente à la coordination par rétroaction de March et Simon (1958), d’après Georgopoulos et Mann. 225 « Group mode » ( : 323). 226 Romelaer (2002) renomme ce procédé « standardisation des compétences » ( : 8).

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230

Martinez et Jarillo, 1989227

Mécanismes structurels et formels :

• Départementalisation228

• Centralisation (ou décentralisation)

• Formalisation et standardisation

• Contrôle du résultat et du comportement

Mécanismes informels et « plus subtils » :

• Relations latérales

• Communication informelle

• Culture organisationnelle

Ching et al., 1992 Processus de construction de réputation Processus d’allocation de tâches

Adler, 1995229

Non-coordination Standards Programmes et plans Ajustement mutuel Équipes

Nizet et Pichault, 1999 Relations interpersonnelles Programmation Représentation mentale

I.2.1.a) La typologie de March et Simon (1958/1964)

March et Simon (1958) proposent deux modes généraux de coordination : par plan, et

par rétroaction ( : 157). Le premier est « basé sur des réglementations préétablies » : ce sont

par exemple des règles, des procédures organisationnelles, des prévisions, des systèmes

formalisés d’information et de communication. Ce type de mécanisme voit donc son efficacité

maximale en univers certain, lorsqu’il est possible de limiter l’incertitude à sa portion congrue

et de planifier les activités à l’avance.

Si à l’inverse, des divergences se font jour entre situation réelle et situation planifiée,

force est de recourir à ce qu’ils nomment la coordination par rétroaction, qui « implique la

transmission d’une information nouvelle » (ibid.), et qui permettra l’ajustement indispensable

à la survenue de ces déviations.

Précurseurs, Simon et March ont influencé une large majorité de recherches

consacrées à la description et l’analyse des modes de coordination qui cherchent à les

approfondir (Tableau 4-3 ci-dessus).

227 Martinez et Jarillo ont exposé la même typologie dans un article ultérieur (1991). 228 Proche de la différenciation de Lawrence et Lorsch (1973) 229 L’apport principal des travaux de Adler est d’instaurer une dynamique de ces mécanismes de coordination qui sont placés dans une perspective temporelle.

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231

I.2.1.b) L’apport des travaux de Thompson (1967)

Thompson (1967) reprend et enrichit la typologie de March et Simon, et avance trois

types de coordination des activités d’une entreprise.

La standardisation est le premier d’entre eux. Elle implique « la mise en place de

routines ou de règles qui contraignent l’action de chaque unité de telle sorte qu’elle soit

cohérente avec les directions suivies par les autres unités dans le cadre d’une relation

d’interdépendance » ( : 56). Thompson mentionne que ce type de coordination est approprié

dans des situations stables et répétitives.

La seconde reprend la notion de coordination par plan, dont Thompson précise qu’elle

« ne requière pas le même degré de stabilité et de routinisation que celui requis pour la

coordination par standardisation » ( : ibid.). Elle est donc plus applicable à des situations

dynamiques (changement de l’environnement, notamment).

Enfin, la troisième est la coordination par ajustement mutuel, impliquant « la

transmission d’informations nouvelles durant le processus qui est en œuvre » ( : 56). Si la

définition est proche de la coordination par rétroaction, Thompson précise que chez March et

Simon, celle-ci est étroitement liée à une transmission dans le cadre hiérarchique, tandis que

l’ajustement mutuel englobe tant la communication hiérarchique que latérale, ce qui lui donne

un caractère bien moins formel.

I.2.1.c) Les mécanismes de Mintzberg (1982 ; 1990).

La première mouture de la typologie de Mintzberg apparaît dans son célèbre ouvrage

de 1982, Structure et Dynamique des Organisations230. Il y distingue cinq mécanismes,

inspirés des travaux précédents.

Ø L’ajustement mutuel : il « réalise la coordination du travail par simple

communication informelle » (: 19). Il s’agit, pour Mintzberg, du « seul qui

marche dans des circonstances extrêmement difficiles », l’auteur s’inscrivant

là dans les propos tenus par ses prédécesseurs. Il s’en démarque néanmoins

en réduisant ce mécanisme à des échanges strictement informels, ce qui

tranche singulièrement avec les conceptions de March et Simon (ajustement

formel sous contrainte hiérarchique), ou de Thompson (ajustement formel ou

informel).

230 Version originale parue en 1979 sous le titre : The structuring of Organizations : a synthesis of the research.

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232

Ø La supervision directe231 : « mécanisme de coordination par lequel une

personne se trouve investie de la responsabilité du travail des autres » (: 20).

Ø La standardisation des procédés de travail : « le contenu du travail est spécifié

ou programmé » ( : 21).

Ø La standardisation des résultats du travail : spécification ex-ante des résultats

qui doivent être atteints.

Ø La standardisation des qualifications (et du savoir) : elle est effective

« lorsqu’est spécifiée la formation de celui qui exécute le travail » ( : 22)

Nizet et Pichault (1999) relèvent que cette typologie a peu à peu évolué à mesure des

publications de Mintzberg, et montrent comment a germé l’idée d’un sixième mécanisme de

coordination : la coordination par les normes, qui éclot dans son ouvrage de 1990 : « ce sont

les normes, qui dictent le travail, qui sont contrôlées, et, en règle générale, elles sont établies

pour l’organisation dans sa globalité » (Mintzberg, 1990 : 158). Elles sont donc un référentiel

de données ou de croyances communes qui favorise le travail collectif.

Mintzberg (1982) classe ces mécanismes selon un continuum selon la complexité du

travail à coordonner : plus celle-ci s’accroît, plus l’ajustement mutuel laissera la place à la

supervision directe, laquelle la cédera ensuite à la standardisation, pour enfin retourner à

l’ajustement mutuel dans les situations les plus complexes. Il ajoute que les organisations

utilisent généralement plusieurs de ces mécanismes de coordination, qui sont non exclusifs les

uns des autres, bien qu’ils puissent « être considérés comme quelque peu substituables entre

eux » (ibid.).

I.2.1.d) Les technologies de l’information, supports des mécanismes de coordination.

C’est un euphémisme de dire que les technologies de l’information ont eu un impact

considérable sur la coordination des entreprises (Boukef, 2005 ; Kalika, 2000 ; Kalika et al.,

2000). Ainsi, l’utilisation d’un Intranet permet une diffusion instantanée à l’ensemble des

membres de l’organisation. L’e-mail est un outil appréciable dans la coordination

hiérarchique et non-hiérarchique, même si il n’est pas pour autant dépourvu de certaines

limites (Boukef, 2005). Les systèmes d’information permettent également une mise à jour

immédiate des procédures à suivre dans l’entreprise en cas de changement de celles-ci.

231 D’aucuns placent la supervision directe sous la bannière des mécanismes de contrôle (e.g. Gittell, 2000).

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233

Aussi, sans constituer en eux-mêmes des mécanismes de coordination, les outils issus

de la révolution de ces technologies et qui sont de plus en plus diffusés, constituent des

supports à la coordination dont la portée et l’intérêt sont indéniables. Certains auteurs parlent

même à leur propos de « coordination distancielle » (Kalika et al., 2006).

I.2.2 Une perspective contingente de la coordination.

Les travaux sur les mécanismes de coordination se rattachent à l’école de la

contingence, qui cherche à « identifier quelle est la forme structurelle la meilleure pour une

organisation placée dans des conditions spécifiques données » (Mintzberg, 1982 : 26).

Par exemple, March et Simon (1964) expliquent que plus la situation est stable et

prévisible, et plus l’on fera confiance à la coordination par plan. Thompson (1967), de son

côté, relie la nature des interdépendances à un type de coordination. Ainsi, à la « pooled

interderdependence » correspondra comme mécanisme de coordination la standardisation ; les

interdépendances séquentielles sont, elles, mieux coordonnées par les plans ; quant aux

interdépendances réciproques, s’y applique l’ajustement mutuel. Pareillement, chez

Mintzberg (1982), le mécanisme de coordination principalement utilisé dans une organisation

dépend de la configuration de la structure : il s’agira de la supervision directe dans une

structure simple, de l’ajustement mutuel dans une adhocratie,... (Mintzberg, 1982 : 404-405).

De leur côté, Malone et Crowston (1994) ont contribué au développement de tout un

courant de recherche qu’ils intitulent « la théorie de la coordination » 232, qui s’inscrit dans

cette perspective contingente. Leur point de vue est qu’il est nécessaire d’identifier les

interdépendances existant dans l’organisation, pour leur faire correspondre les mécanismes de

coordination correspondants. Par exemple, l’existence d’une interdépendance au niveau des

ressources peut être résolue par des mécanismes tels : premier entrant / premier sortant ; des

décisions managériales ; la priorité des commandes ; les budgets, etc.

D’autres auteurs encore ont étudié l’impact de l’environnement sur le choix de la

structure233. Citons pour mémoire Lawrence et Lorsch (1973), qui montrent que plus un

environnement est instable et complexe, plus sera favorisé le recours à l’ajustement mutuel,

par opposition à un environnement plus stable et moins complexe, où les entreprises

privilégieront la supervision directe et la standardisation. 232 Crowston et al. (2004) dénombrent plus de 280 publications (articles, communications, thèses) basés sur cette « théorie de la coordination ». 233 Passer en revue l’abondante littérature sur la théorie de la contingence structurelle dépassant le champ de notre réflexion, nous renvoyons le lecteur à la synthèse qu’en fait Desreumaux (1998).

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234

Fortement déterministe, cette école n’apporte toutefois pas d’informations sur le

processus même de structuration des organisations (Desreumaux, 1998), en ce qu’elle ne nous

renseigne pas sur le contenu social de la coordination (Gittell, 2002).

I.3 LE PROCESSUS DE COORDINATION : LA « COORDINATION

RELATIONNELLE » (GITTELL, 2000A, B, 2001, 2002A, B, 2004)234.

Nous rejoignons Rispens (2006) qui écrit que les travaux précédents considèrent plutôt

la coordination comme un état que comme un processus. D’autres, en revanche, ont montré

leur intérêt pour les interactions sociales inhérentes à ce qu’il convient dans ce cas d’appeler

le processus de coordination, en particulier les travaux de l’approche sociologique des

théories néo-institutionnelles (Desreumaux, 1998 ; Joffre et Montmorillon, 2001).

Nous nous attarderons spécifiquement en ce qui nous concerne sur les travaux de

Gittell, qui à travers de multiples écrits a développé le concept de coordination relationnelle,

lequel s’intéresse justement au contenu de ce processus de coordination. A la suite d’une

introduction aux fondements de ce concept qui nous permet d’en saisir la portée et ses

évolutions (I.3.1), nous nous livrons à une analyse détaillée de ses dimensions

communicationnelle (I.3.2) et relationnelle (I.3.3), puis de leurs interrelations (I.3.4).

I.3.1 Introduction à la coordination relationnelle.

I.3.1.a) Les fondements de la coordination relationnelle

Dans de récents travaux, Gittell avance le construit de coordination relationnelle pour

expliquer les modalités de la coordination des actions de différents employés conjointement

impliqués dans la fourniture d’un service à un client donné, ce qu’elle intitule la

« coordination relationnelle ». Elle s’emploie dans le même temps à en montrer l’impact sur

la performance organisationnelle. Elle en explique précisément les origines dans son article

paru dans le Journal of Service Research en 2002, où l’on apprend qu’il est inspiré du

croisement de trois pans de la littérature. Nous résumons son propos dans le tableau 4-4.

234 Tout au long de cette partie, il nous arrivera de nous référer simplement à Gittell, sans en préciser l’année. En pareille circonstances, nos propos s’appliqueront à l’ensemble de son œuvre.

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235

Tableau 4-4 : Les origines de la coordination relationnelle

LITTERATURE IDÉES-FORCES AUTEURS235 APPORTS DE

GITTELL

Travaux sur le marketing et la qualité de service internes

Tout le monde doit prendre conscience qu’il a un client dans l’entreprise

La qualité des échanges internes impacte la qualité perçue par le client final

La sélection des employés, les systèmes de rémunération, la formation, les règles et

procédures, les moyens et outils de communication pour servir clients internes

et externes influencent la qualité perçue

Emery et Fredendall,

2002 ; Gremler et al., 1994 ;

Grönroos, 2001 ; Hallowell et Schlesinger,

2000 ; Zeithaml et Bitner, 2003

Les relations entre les différents

employés assurant la production du service peuvent

elles aussi avoir un impact sur la

qualité perçue par le client final

Travaux sur l’efficacité

des groupes

Les relations entre les fournisseurs peuvent avoir une importance sur les résultats que le client peut retirer de leur action collective

La performance du groupe dépend en particulier de la cohésion en son sein, ou

des échanges entre les membres de l’équipe

La nature des relations entre les membres tendra à faciliter ou à gêner les ajustements

de leurs actions interdépendantes

Ancona, 1987 ; Bakeman et Helmreich,

1975 ; Gully et al., 1995 ; Hackman,

1987 ; Seers et al., 1995

Ces travaux peuvent se

transposer aux services, où la coordination impacte les

résultats obtenus par les clients (e.g.

Argote, 1982)

Travaux sur le capital

social organisation

nel

Les relations fournisseur-fournisseur peuvent créer de la valeur pour le client,

valeur encastrée dans les capitaux physique et humain, et dans les liens relationnels et la

communication entre les acteurs

Burt, 1997 ; Granovetter, 1973, 1985 ; Leana et Van Buren, 1999

Pour la même raison que

précédemment, ces travaux peuvent se

transposer aux services

Source : Adapté de Gittell, 2002a

I.3.1.b) Définition de la coordination relationnelle.

Gittell aborde la coordination en reprenant la définition de Malone et Crowston

(1994), c’est-à-dire « la gestion des dépendances entre des activités » ( : 90). Elle la replace

dans le cadre des interactions entre les individus, en s’extrayant des théories du design

organisationnel dont elle note que les mécanismes de coordination qui s’y rattachent « sont

des structures qui soit facilitent l’interaction ou en réduisent le besoin » (2002b : 1423). A

l’inverse, « la coordination relationnelle représente le processus d’interaction lui-même »

(ibid.). La coordination relationnelle examine donc les interactions entre les membres d’une

organisation, dont Gittell note que la littérature les qualifie d’ajustement mutuel (Thompson,

1967 ; Mintzberg, 1982) ou de travail d’équipe (Van de Ven et al., 1976). Pour la raison que

235 La plupart de ces auteurs proviennent de Gittell (2002a), notamment pour les travaux sur l’efficacité des groupes.

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236

nous venons d’évoquer, elle en conteste l’appellation traditionnelle de mécanismes de

coordination, qu’elle désigne par la locution de « coordination relationnelle ».

Relevons au passage que ce processus qu’elle met en avant diffère profondément de

celui que décrivent Georgopoulos et Mann (1962), puis Cheng (1984) : « La coordination

concerne le degré d’articulation fonctionnelle (ou l’unité de l’effort) entre différentes parties

d’une organisation. Le processus de coordination, d’un autre côté, concerne les mécanismes

par le biais desquels les différentes parties composant une organisation sont articulées les

unes avec les autres, comme l’ajustement mutuel, les règles et programmes organisationnels,

et les réunions de groupe pour résoudre les problèmes » (Cheng, 1984 : 832). Dans les termes

de Gittell, ce processus n’est autre que le recours aux traditionnels mécanismes de

coordination (cf. p 228).

Gittell définit finalement la coordination relationnelle comme : « une forme de

coordination basée sur une communication et des relations intensives qui sont supposées être

particulièrement importantes pour atteindre de hauts niveaux de performance dans des

conditions caractérisées par une interdépendance réciproque (Thompson, 1967), un niveau

élevé d’incertitude (Van de Ven et al., 1976 ; Argote, 1982 ; Gittell 2002b), ou de lourdes

contraintes temporelles » (Gittell, 2004 : 3). Elle ajoute que « sous ces conditions, une

coordination efficace devrait être particulièrement dépendante de la qualité de la

communication et des relations entre les participants » (ibid.).

I.3.1.c) Une conceptualisation évolutive.

Cette définition fait apparaître deux dimensions principales : l’une liée à la

communication, l’autre aux relations. Tant leur appellation que leur contenu ont évolué au fil

des publications de Gittell (tableau 4-5). Néanmoins, ces différences de vocable cachent

moins une transformation sémantique fondamentale qu’une réorganisation progressive de ces

dimensions pour parvenir à une mouture peut être plus aboutie (2002a, b ; 2004).

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237

Tableau 4-5 : l’évolution chronologique236 des dimensions de la coordination relationnelle chez Gittell

PUBLICATION DIMENSIONS DE LA COORDINATION RELATIONNELLE

Gittell, 2000a: 518

• Communication : fréquence ; opportunité237 ; aptitude à résoudre les problèmes

• Utilité

• Objectifs partagés

• Connaissance partagée

• Respect mutuel

Gittell, 2001 : 471

• Une composante « communication » : fréquence ; opportunité

• Une composante « relation » : force de l’aptitude à résoudre les problèmes ; aide ; respect mutuel ; objectifs partagés ; connaissance partagée

Gittell, 2002a : 301-302 ; Gittell,

2002b : 1410 ; Gittell, 2004 : 3-4

• Communication : fréquente ; opportune ; précise ; apte à résoudre les problèmes

• Relations : objectifs partagés ; connaissance partagée ; respect mutuel

Rapidement se sont dessinées les deux dimensions principales, i.e. communication et

relation, dont ont progressivement émergé les composantes. L’une d’entre elles, en

particulier, a été doublement remaniée. L’utilité238 (2000), devenue aide239 (2001), s’est

finalement transformée en précision240, et a transité de la composante relationnelle à la

communication.

I.3.2 Les composantes de la dimension communication.

I.3.2.a) La fréquence de la communication (« frequent communication »)

Gittell relève que la fréquence de la communication a déjà fait l’objet de travaux dans

les domaines de l’étude du design organisationnel (Argote, 1982 ; Van de Ven et al., 1976) et

de l’analyse des groupes (Katz et Tushman, 1979 ; Ancona et Caldwell, 1992, cités par 236 La chronologie est basée sur les dates de publication des travaux de l’auteur, mais ne correspond pas nécessairement à la chronologie de l’évolution de sa réflexion, du fait des différences pouvant exister entre les délais de publications des revues académiques. 237 « Timeliness » (identique dans les autres publications) 238 « Helpfullness » 239 « Helping » 240 « Accuracy »

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238

Gittell, 2001). D’après elle, ils ont accordé une place importante à la fréquence de la

communication entre les participants. Mais, note-t-elle, le rôle de cette communication n’est

pas simplement informationnel, puisqu’elle favorise l’élaboration de liens et de relations à

travers la répétition des échanges et des contacts. Ceci va dans le sens de la théorie des

réseaux sociaux, qui attache également de l’importance à la fréquence des échanges dans la

construction de ce que Granovetter (1973) appelle « les liens forts » 241.

La fréquence de cette communication est estimée subjectivement, puisque Gittell

(2004) explique qu’elle est mesurée à partir des perceptions des acteurs. Elle souligne en

outre (2004) que, indépendamment de la fréquence de communication peuvent aussi exister

des connections ou échanges de « grande qualité »242. C’est ainsi qu’elle met en relief la

nécessaire, mais non suffisante, inclusion de la fréquence de la communication dans la

coordination relationnelle, enrichie des dimensions subséquentes. A l’instar de la fréquence,

ces dimensions sont elles aussi mesurées subjectivement à partir des perceptions des acteurs

interrogés.

I.3.2.b) L’opportunité de la communication (« timely communication »)

La fréquence de la communication entre deux individus n’implique ni la qualité de son

contenu, ni n’en évalue l’opportunité. Or, peuvent en découler des erreurs, des retards dans la

coordination, et par conséquent des répercussions négatives sur la performance

organisationnelle, dont Gittell considère la coordination comme l’un des déterminants. Il n’en

reste pas moins que, aussi étonnant que cela puisse paraître, cette composante n’a fait l’objet

que d’un nombre très confidentiel de recherches, aux dires de Gittell (2001), qui n’en identifie

que deux reliant positivement l’importance de l’opportunité de la communication sur la

réussite organisationnelle (Orlikowski et Yates, 1991 ; Waller 1999, in Gittell, 2004).

Elle précise enfin que la communication sera opportune si elle intervient dans les

délais impartis pour la réalisation de la tâche commune, donc dans les délais nécessaires aux

parties pour accomplir leur tâche propre en tant que sous-tâche de l’ensemble.

241 Toutefois, la seule fréquence des échanges ne garantit pas la construction de liens forts, comme le note Granovetter lorsqu’il définit la force des liens (1973, traduction française en 2000 : 46-47). 242 Elle utilise pour cela les travaux de Dutton et Heaphy, 2003 (in Gittell, 2004 : 4).

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239

I.3.2.c) La précision de la communication (« accurate communication »)

Il paraît logique de dire que même si deux personnes communiquent énormément, et le

font d’une manière opportune, cela sera d’une faible utilité si le contenu de ces échanges n’est

pas précis, ou n’est pas juste243. Dans ce cas, le risque d’erreur ou de retard s’en voit accru.

Gittell mobilise les recherches de O’Reilly et Roberts (1977), qui plaident, et démontrent

empiriquement que la précision de la communication joue un rôle important dans l’efficacité

de la coordination entre les membres d’un groupe.

I.3.2.d) L’aptitude de la communication à résoudre les problèmes (« problem-solving communication »)

Gittell reste très discrète sur cette composante dans la majorité de ses travaux. Tout

juste peut-on lire que « la résolution de problème a été relativement négligée en tant que

dimension des processus de groupe, bien qu’il ait été exploré sous la perspective des réseaux

sociaux (Stevenson et Gilly, 1993 ; Rubinstein, 2000) » (2001 : 471).

Elle est plus explicite en 2004, lorsqu’elle stipule que les interdépendances débouchent

souvent sur des problèmes qui requièrent un processus de résolution conjointe. Elle note

cependant que la réponse la plus commune à cette interdépendance est le conflit, ainsi que le

reproche ou sa prévention, ce qui peut avoir des conséquences négatives sur la performance

organisationnelle244 (Gittell, 2004 : 5).

I.3.2.e) Les supports de la communication entre acteurs.

Avant de poursuivre sur l’étude des composantes de la dimension relationnelles, nous

souhaitons attirer l’attention du lecteur sur un point concernant la dimension

communicationnelle. Nous n’avons pas trouvé, dans les articles de Gittell, d’information

concernant les supports de cette communication : s’agit-il de face-à-face, d’échanges

téléphoniques ou par e-mail, de mémos ou courriers, etc. ? Nous n’en savons rien. Or, d’après

Daft et Lengel (1986), la richesse de l’information transmise par un média de communication

243 A nouveau, nous nous heurtons à un problème de traduction. En anglais, « accurate » signifie précis, i.e. « dont les détails sont clairs », mais également juste ou exact. Or, ce qui est exact est « conforme à la vérité, à la réalité ». C’est donc exact par opposition à faux, ce qui n’est pas la même chose que précis. Par conséquent, l’expression « accurate communication » employée par Gittell peut soit renvoyer à la précision de la communication (sa clarté), soit à son exactitude (au sens de sa correspondance à la réalité). Le contexte des travaux de Gittell nous a toutefois laissé penser que la première signification était adéquate, ce qui explique la traduction que nous avons finalement retenue. 244 Elle se réfère à Pondy (1967) ; Gladstein (1984) ; ou Donnellon (1994).

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240

dépend de sa nature. Ainsi, la précision de l’information, par exemple, que Gittell mesure à

partir de la perception des acteurs, peut-elle varier en fonction du type de média utilisé. De

même, ce qu’elle appelle opportunité de la communication peut-elle varier selon le média

dont disposent les acteurs pour communiquer. Enfin, nous pouvons également supposer que le

type de média utilisé est susceptible d’avoir un impact sur la dimension relationnelle de la

coordination, que nous allons maintenant aborder, mais à ce propos également, Gittell nous

semble rester silencieuse.

I.3.3 Les composantes de la dimension relationnelle.

Ce sont les éléments de la coordination relationnelle que Gittell a le plus

abondamment documentés au fil de ses publications. Comme précédemment, nous présentons

ses arguments pour justifier de leur présence dans la coordination relationnelle.

I.3.3.a) Les objectifs partagés (« shared goals »)

« La coordination relationnelle repose sur l’existence d’un niveau élevé d’objectifs

partagés entre les participants pour qu’ils puissent réaliser le processus dans lequel ils sont

engagés. Lorsqu’ils partagent un ensemble d’objectifs, ces participants sont reliés par un lien

fort, et peuvent plus facilement aboutir à des conclusions compatibles sur la manière de

réagir à la disponibilité d’une information nouvelle» (Gittell, 2004 : 5).

Ainsi, March et Simon (1964) décrivent-ils les effets potentiellement néfastes en

termes d’intégration de la poursuite par les individus de leurs simples objectifs fonctionnels,

sans référence aux objectifs supérieurs et généraux de l’ensemble du processus auquel ils

prennent part. Et Nauta et Saunders (2001) montrent que par-delà la réalité de la différence du

partage des objectifs, c’est fondamentalement la perception que les acteurs ont de ces

différences d’objectifs (objectifs de l’unité vs objectifs de l’ensemble de l’entreprise) qui

importe. L’importance de la compréhension et de la connaissance de ce différentiel perceptuel

quant au partage des objectifs est majeure, lorsque l’on sait que plus les différences perçues

sont grandes, et plus les conflits entre les unités sont fréquents et graves (op.cit.).

L’innovation de Gittell tient ici dans sa caractérisation des objectifs partagés comme

éléments des relations entre acteurs devant se coordonner durant un processus de production,

et non comme éléments caractérisant la tâche d’acteurs interdépendants (Wageman, 1995).

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241

I.3.3.b) La connaissance partagée (« shared knowledge »)

Une des premières questions qu’il importe de se poser en évoquant cette connaissance

partagée est : sur quoi porte-t-elle ? A cela, Gittell répond que c’est la connaissance que

chacun a de la tâche des autres avec lesquels il doit se coordonner, ainsi que des

correspondances entre lesdites tâches. Plus cette connaissance partagée sera importante, et

plus la coordination s’en verra facilitée.

Le partage de cette connaissance vise à créer un lien fort entre les acteurs, et une

bonne connaissance du contexte dans lequel ils interviennent, sachant de ce fait « qui sera

impacté par tout changement, et donc qui doit savoir quoi, selon quel degré d’urgence »

(Gitell, 2004 : 6). Elle remarque, à la suite de Dougherty (1992), que les participants issus de

différentes fonctions développent souvent des « mondes de pensée » différents, dus à des

écarts de formation, de socialisation et d’expertise. Elle s’appuie en outre sur les théories de

Weick (1993) sur le sensemaking, qui suggère que les membres de ces « mondes de pensée »

distincts peuvent toutefois être reliés ou connectés par le biais d’un esprit collectif, qu’elle

rapproche d’une compréhension mutuelle des processus individuels de travail, ce qui est

susceptible d’améliorer la coordination entre les acteurs.

I.3.3.c) Le respect mutuel (« mutual respect »)

Van Maanen et Barley (1984) ont montré que les membres de groupes distincts ont

souvent des statuts différents, et peuvent être enclins à renforcer leur propre statut en cultivant

activement le manque de respect à l’endroit du travail fourni par les acteurs n’appartenant pas

à leur groupe, mais avec lesquels ils doivent cependant se coordonner. De tels comportements

ne sont pas de nature à faciliter la coordination, qu’ils sont plutôt propices à miner, ce que

Gittell (2004) exprime de la sorte : « le manque de respect est une des sources potentielles de

division entre ceux qui jouent différents rôles dans un processus de travail donné » ( : 6).

En incluant le respect mutuel dans la coordination relationnelle, Gittell s’inscrit par

exemple dans le prolongement de Eisenberg (1990), qui relève que « le respect des uns vis-à-

vis de la compétence des autres peut être essentiel dans le processus d’intégration de tâches

interdépendantes » (Gittell, 2002a : 302).

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242

I.3.4 Les interrelations entre la dimension communication

et la dimension relationnelle.

Pour résumer ce qui précède, nous pouvons dire que ce que Gittell appelle « la théorie

de la coordination relationnelle » pose que la coordination entre plusieurs acteurs en situation

d’interdépendance réciproque, temporellement contraints, ou de forte incertitude est plus

efficacement réalisée grâce à une communication et des relations de bonne qualité245. Mais la

simple existence de ces dimensions n’est pas suffisante pour assurer la coordination. Celle-ci

repose dans les interrelations entre communication et relations.

Dès lors, la coordination relationnelle est un processus d’interactions se renforçant

mutuellement entre la communication et les relations déployées à fin d’intégration de tâches

interdépendantes (Gittell, 2002a). Autrement dit, la nature de la communication, que

caractérisent sa fréquence, son aptitude à solutionner des problèmes, sa précision et son

opportunité, est influencée par les relations existant entre les parties prenantes au processus

qui est l’objet de cette coordination, et ces relations se retrouvent à leur tour influencées par la

nature de la communication entre ces parties. C’est donc l’ensemble de ces éléments et leurs

interrelations qui vont permettre aux acteurs de coordonner efficacement leur travail.

L’analyse des différentes contributions de Gittell nous amène à proposer que deux des

composantes relationnelles, en l’occurrence les objectifs partagés et le respect mutuel,

peuvent être qualifiés de moteurs de la communication, tandis que la connaissance partagée

en sera plutôt un facilitateur. En effet, les objectifs partagés contribuent à ce que les acteurs

s’appliquent à atteindre l’objectif commun plutôt que le seul objectif fonctionnel. Quant à la

réciprocité du respect, elle tend pareillement à renforcer leur volonté d’agir relativement à

tout le processus, grâce à la valorisation de leur tâche par les autres acteurs et inversement.

Enfin, la connaissance partagée les amène à replacer leur tâche dans l’ensemble du processus,

et à faciliter la communication entre les acteurs, par exemple grâce à un vocabulaire commun.

Puis, à son tour, la communication motive et facilite les relations, mais les indications

que l’auteur nous transmet laisse une trop vaste liberté d’interprétation pour pouvoir en

classer les quatre composantes selon cette distinction moteur / facilitateur. Raison pour

laquelle la figure 4-1, que nous avons construite à partir de ses travaux, ne décompose pas la

rétroaction de la communication vers les relations. 245 Sachant que, comme nous l’avons dit antérieurement, la communication sera considérée de bonne qualité si elle permet de résoudre des problèmes communs, est opportune, précise et fréquente ; et les relations, si elles sont basées sur une connaissance partagée, des objectifs partagés, et un respect mutuel.

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243

Figure 4-1 : Représentation des interrelations entre les dimensions de la coordination relationnelle

S’impose une dernière précision quant à ce schéma. Les termes employés pour

qualifier les dimensions et leurs interrelations, c’est-à-dire « moteur » et « facilitateur » ne

sont à l’évidence applicables que dans une situation où objectifs et connaissance sont

partagés, le respect, mutuel, et la communication, fréquente, précise, opportune et apte à

résoudre les problèmes. Dans le cas contraire, i.e. en l’absence d’un partage des objectifs et /

ou de la connaissance, de respect mutuel, et / ou lorsque la communication est peu fréquente,

peu opportune, peu précise et peu apte à résoudre les problèmes, nous parlerons alors plus

volontiers de freins (par opposition à moteur) ou d’entrave (par opposition à facilitateur).

I.4 RELIER LES MÉCANISMES AU PROCESSUS DE COORDINATION.

Généralement, les présentations existant dans la littérature pourraient laisser penser

que se trouvent d’un côté les mécanismes de coordination, et de l’autre, le processus. Or, il ne

semble pas irraisonnable d’envisager leur imbrication. Ainsi, même lorsqu’un mécanisme de

coordination est mis en place de façon très formelle, il peut être lui-même à l’origine d’un

processus de coordination au sein de l’organisation. Ce que d’ailleurs laissent entendre

certaines définitions de la coordination citées supra (cf. p. 221 : Thompson parle d’« action

concertée », Farraj et Sproull « d’interactions situées à l’intérieur d’une équipe », etc.). Par

exemple, la planification hebdomadaire d’une réunion entre différentes équipes de travail

pour prévoir la répartition des tâches durant la semaine à venir engendre des interactions entre

COORDINATION RELATIONNELLE

RELATIONS

Objectifs partagés

Respect mutuel

Connaissance partagée

COMMUNICATION

Fréquence

Opportunité

Précision

Aptitude à résoudre les problèmes

Moteurs (freins)

Facilitateur (entrave)

Moteurs et facilitateurs (freins et entraves)

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244

les acteurs, interactions qui portent ce processus de coordination. Ce processus peut

s’analyser, comme nous l’avons proposé plus haut, à l’aune des composantes des deux

dimensions de la coordination relationnelle (communication et relation).

Or, la littérature ne nous paraît pas d’une clarté absolue sur ces liens entre mécanismes

et processus. Ainsi, March et Simon (1964), en distinguant la coordination par plan de celle

par rétroaction, laissent planer un doute : la coordination par plan proscrit-elle tout processus

de coordination, qui n’existerait que dans le cadre d’une coordination par rétroaction ? En

effet, dans le cas d’une coordination par plan « la coordination des parties est incorporée au

programme quand il est établi, et le besoin de poursuivre la communication est réduit de

façon correspondante » (March et Simon, 1964 : 158-159). Mintzberg (1982, 1990) entretient

également la confusion en déconnectant l’ajustement mutuel du reste des mécanismes de

coordination. Il se démarque néanmoins en assimilant, nous l’avons dit, l’ajustement mutuel à

des échanges informels, qui par définition sont dissociés des règles et procédures. Si nous

restons sur l’ajustement mutuel aux sens de Simon et March (ajustement formel sous

contrainte hiérarchique), ou de Thompson (ajustement formel ou informel), nous ne pouvons

pas exclure que celui-ci soit prévu par les procédures organisationnelles. Ainsi, un mécanisme

de coordination (une règle à suivre) est-elle dans ce cas à l’origine d’un processus de

coordination.

Dès lors, étudier l’un plutôt que l’autre risque de ne donner qu’une vue parcellaire de

la coordination. Gittell (2000b) a ébauché un mouvement en ce sens, en montrant de quelle

manière deux mécanismes de coordination pouvaient influencer la coordination relationnelle.

Un de nos objectifs, dans cette thèse, est d’analyser tant les mécanismes que les processus de

coordination entre des employés qui sont en contact avec le client. La présence de ce dernier

(le client) nous conduit à nous interroger sur les conséquences éventuelles de sa présence (de

sa participation) sur ces mécanismes et processus.

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245

SECTION II. L’INFLUENCE DU CLIENT SUR LA

COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE :

PROBLÉMATIQUE ET GRILLE DE LECTURE

Les travaux sur la participation client (chapitre 3) se penchent sur la place du client

dans l’organisation, selon qu’il est considéré comme une ressource productive, un employé

partiel, un consultant, un concurrent, etc. Au regard de l’importance qu’il est susceptible de

prendre dans la servuction, il ne semble pas incongru d’envisager que le client puisse avoir un

impact sur la coordination au sein de l’organisation. Or, nous avons rapidement mentionné

que seul un très petit nombre de recherches s’y est intéressé (cf. p. 205).

Souhaitant contribuer à enrichir ce débat, nous adoptons une démarche en deux étapes.

Nous commençons par faire le point sur le statut accordé au client dans les travaux sur la

coordination intra-organisationnelle (II.1). Puis proposons une manière de conceptualiser son

intégration dans ce champ de connaissance (II.2). A cette occasion, nous formulons notre

problématique, ainsi que les propositions de recherche qui l’accompagnent.

II.1 QUID DU CLIENT DANS LES TRAVAUX SUR LA COORDINATION INTRA-

ORGANISATIONNELLE ?

La littérature organisationnelle tend à laisser le client au bord du chemin, et à rarement

l’intégrer dans ses travaux. Nous constatons pourtant que cela n’est pas faute de multiples

appels, lesquels mentionnent plus ce besoin d’approfondissement qu’ils n’y contribuent

véritablement (II.1.1).

Dans le prolongement, nous nous arrêtons sur deux catégories de travaux qui

proposent chacune à leur façon d’analyser la contribution du client à la coordination intra-

organisationnelle, tout en en pointant les lacunes (II.1.2). Nous concluons cette sous-section

en fournissant au lecteur, à l’instar de ce que nous avons fait supra, notre propre définition de

la coordination (II.1.3).

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246

II.1.1 L’apparente absence du client dans les théories

organisationnelles

L’absence du client des théories organisationnelles, et a fortiori des travaux sur la

coordination, est patent, en dépit de plusieurs tentatives d’intégration. Nous nous risquerons à

un essai d’explication de cet état de fait.

II.1.1.a) Plaidoyers pour la prise en compte du client.

Dès 1966, Lefton et Rosengren relèvent l’absence du client dans les principaux

courants de l’analyse organisationnelle. La divisant en quatre branches246, ils notent qu’elles

sont unifiées par ce qu’elles ne considèrent pas explicitement les clients, ce qui paraît

totalement incongru aux auteurs pour lesquels « les clients des organisations [sont] des

facteurs à part entière qui influencent la structure et le fonctionnement de tels systèmes » ( :

802). Le tableau 4-6 de la page suivante est une tentative de présentation synthétique de leur

critique.

246 Nous n’émettons ici ni accord ni désaccord quant à leur analyse, mais la reprenons simplement pour ce qu’elle apporte au débat sur l’absence de la prise en compte du client dans les théories organisationnelles.

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247

Tableau 4-6 : La critique de Lefton et Rosengren (1966) aux quatre courants de l’analyse organisationnelle

COURANT AUTEURS AFFÉRENTS247 PRÉSENTATION ET CRITIQUE

La bureaucratie organisationnelle248

Blau, 1955 ; Crozier, 1964249 ; Etzioni, 1961 ; Gouldner,

1954 ; Weber

La base de ce courant est le modèle bureaucratique décrit par Weber, qui conçoit la bureaucratie comme une forme

d’autorité légitime, et analyse les bureaucrates opérationnels des organisations plutôt que les clients qu’ils servent250.

La structure communautaire

Belknap et Steinle, 1963 ; Blau et Scott, ; Miller, 1958 ; Perrow,

1963

Cette approche porte sur les processus mobilisés pour rendre les « publics en contact » congruents avec les besoins des organisations, et l’émergence de celles-ci comme produits écologiques et démographiques de leur communauté hôte.

Le client se fond dans la communauté des clients.

L’approche du système social

Parsons, 1953 ; Selznick, 1948, 1953

Ce courant met l’accent sur les relations systémiques entre les organisations et les sous-systèmes institutionnels dont ils font partie. Le niveau d’analyse retenu tend à empêcher de

s’intéresser au rôle du client dans l’organisation

L’interactionnisme symbolique

Bensman et Gerver, 1963 ; Glaser et Strauss, 1965 ; Goffman, 1956

Cette approche mène à concevoir les structures et processus organisationnels comme n’ayant qu’une importance

secondaire, ne fournissant qu’un fond contextuel à l’analyse des processus d’émergence de rôles, d’identité de soi,… Par

définition, le client ne peut donc influencer ces structures

Source : A partir de Lefton et Rosengren, 1966

A leur critique initiale, ils ajoutent que différents auteurs parmi l’un ou l’autre de ces

courants ont relevé la présence du client (à l’instar de Parsons, ou Glaser et Strauss), et

l’importance que celle-ci pouvait avoir, mais aussi suggestives soient-elles, le caractère par

trop descriptif de ces remarques en a empêché la réalisation du potentiel analytique. Lefton et

Rosengren intègrent ensuite le client en utilisant deux dimensions majeures de sa relation à

l’organisation. L’une, temporelle, est la durée pendant laquelle le client sera en contact avec

l’organisation ; l’autre, physique, l’importance de la participation du client251. Établissant une

247 Cités par Lefton et Rosengren (1966). Ils ne sont à ce titre pas repris dans notre bibliographie. Pour alléger la présentation, nous n’avons évoqué que quelques uns des nombreux auteurs mobilisés au sein de chaque courant. 248 Danet (1981) se livre elle aussi à une critique de la théorie bureaucratique, en tentant d’y réintégrer le client. 249 Version anglo-saxonne de l’ouvrage de Michel Crozier, dont la première édition française date de 1963. 250 Thompson (1967) abonde en leur sens : cette théorie « prend note des personnes extérieures [à l’organisation] – la clientèle – mais en annule les effets en dépersonnalisant et en catégorisant les clients » ( : 6) 251 L’expression employée est celle de « biographical space » ( : 805), mais il s’agit bien de cette idée d’importance de la participation du client (« role size ») que nous avons développée dans notre second chapitre : « Certaines organisations peuvent avoir un intérêt dans un aspect limité du client en tant que personne – comme dans le cas d’hôpitaux généraux de court séjour – tandis que d’autres organisations peuvent afficher un intérêt plus grand à l’égard du client pris comme un produit de et un participant à la société – comme dans le cas d’un malade externe d’un service de psychiatrie » (ibid.).

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Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client

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typologie des organisations à partir de la combinaison de ces deux dimensions, ils concluent

en montrant de quelle manière elles sont en mesure d’influencer les structures et dynamiques

organisationnelles, mais ne se concentrent pas spécifiquement sur la coordination.

Danet (1981) dresse un constat similaire. Elle explique avoir volontairement introduit

le mot « client » dans le titre de son article, car il est rare de le trouver employé en pareil

endroit dans la littérature managériale et organisationnelle : « les théoriciens des

organisations ont à peine mentionné le client. Il est vrai que les relations entre les

organisations et leur environnement sont devenues une préoccupation majeure, mais les

clients servis par l’organisation ont été traités, pour autant qu’ils l’aient été, comme des

groupes, plutôt que comme des individus » ( : 382). Le lien est patent entre ces propos et

l’analyse de Prahalad et Ramaswamy (cf. p.149).

Enfin, Bowen et Hallowell (2002) marchent dans les pas de leurs prédécesseurs,

lorsqu’ils dénotent que « il est encore rare de trouver le ‘client’ dans les titres d’articles de

journaux ou dans les index des ouvrages de management » ( : 70). A l’inverse, « cette

conclusion est bien moins vraie dans le cas des théoriciens des organisations de service »

(ibid.). Il n’en reste pas moins que cette remarque vaut majoritairement pour des travaux sur

la gestion de la participation client, laquelle a de facto un impact sur le design organisationnel

qui doit être adapté pour intégrer cet élément malgré tout extérieur252 qu’est le client.

Nonobstant, la littérature n’offre, à notre connaissance, que peu d’analyses des liens entre

cette participation du client et la coordination comme élément fondamental du design

organisationnel (à l’exception notable de Argote, 1982 ; Bowen et Jones, 1986 ; Larsson et

Bowen, 1989). D’autres publications ne font en revanche que les aborder succinctement ou

implicitement, par exemple via l’analyse du différentiel de productivité résultant de la

présence du client (e.g. Fließ et Kleinaltenkamp, 2004 ; Lovelock et Young, 1979).

II.1.1.b) Un essai d’explication de cette absence : l’interprétation des travaux de Thompson (1967)

« La notion même de prescrire des conditions et des mécanismes pour inclure le client

à l’intérieur des frontières de l’organisation est contraire à la théorie organisationnelle en

vigueur. La littérature met l’accent sur le besoin d’isoler l’organisation du client (Thompson,

1967), et que l’environnement, généralement, impose des contraintes à l’organisation (Pfeffer

et Salancik, 1978) » (Bowen et Jones, 1986 : 439). Ainsi, Thompson, source la plus citée en 252 L’absence de contrat de travail entre le client et l’organisation productrice du service fait que celle-ci aura toujours une maîtrise moindre sur celui-là que sur ses employés (Bowen, 1986 ; Jeantet, 2001).

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Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client

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design organisationnel (Heath et Staudenmayer, 2000) préconiserait-il cet isolement du client

de l’entreprise. Nous nous inscrivons cependant en faux contre cette interprétation, qui peut

selon nous être une explication de l’absence du client dans ce champ de la littérature.

Désireux de réconcilier deux conceptions de l’organisation (système clos vs système

ouvert) en s’inspirant de récents travaux de son époque (ceux de Simon, Cyert, et March),

Thompson définit l’organisation complexe comme « un système ouvert, donc indéterminé et

devant faire face à l’incertitude, mais qui est dans le même temps sujet à des critères de

rationalité et par conséquent a besoin de détermination et de certitude » (op.cit. : 10).

Il suggère dès lors de réduire l’incertitude en diminuant le nombre de variables

susceptibles d’agir sur son « cœur technique », par l’instauration de zones-tampons ( : 20). Il

reconnaît ensuite que le client est une source d’incertitude que, conformément à sa logique, il

peut être nécessaire d’isoler du cœur technique grâce à ces zones-tampons. Mais il ne va pas

jusqu’à proscrire le client de l’organisation. A contrario, « les organisations opérant de

manière intensive avec le client [devraient] chercher à placer leurs frontières autour de ce

client » ( : 43). A titres d’exemple, une université ou un hôpital. Cette inclusion, qui reste

temporaire, du client dans l’organisation, est même selon lui une nécessité : « dans les deux

[exemples], l’organisation incorpore ses clients sur une base temporaire pour réduire la

possibilité de contamination du client par des facteurs externes susceptibles de diminuer ou

réduire à néant l’efficacité des efforts de l’organisation » (op.cit. : 43). L’inclusion ponctuelle

du client dans l’entreprise permet alors d’accroître le contrôle sur celui-ci, et limite l’apport

d’incertitude environnementale au sein du système ouvert qu’est l’organisation253.

II.1.2 Le client, source d’incertitude et d’information

Deux manières de tenir compte du client dans l’étude de la coordination sont

premièrement, de l’envisager en tant que générant de l’incertitude de par sa présence, et

deuxièmement, en tant que source d’information.

II.1.2.a) Le client, source d’incertitude contraignant la coordination intra-organisationnelle.

Le client se voit donc généralement appréhendé comme une source majeure

d’incertitude qu’il convient de prévenir en découplant le cœur technique de l’environnement,

dont le client fait partie. De cette manière, des chercheurs étudient empiriquement (Argote, 253 Il est d’autant plus surprenant que le client n’ait pas été, par la suite, intégré à la réflexion sur le design organisationnel que Thompson évoque cela dans le chapitre qui porte le titre « Organizational Design ».

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1982 ; Rathnam et al. 1995) ou théoriquement (Bowen et Jones, 1989 ; Larsson et Bowen,

1989) les implications de l’incertitude résultant de la présence du client, donc d’une des

modalités de sa participation dans le processus de servuction sur les mécanismes de

coordination.

Argote (1982), en réduisant l’incertitude provenant de l’environnement à celle induite

par la présence du client dans la servuction, montre empiriquement que plus l’incertitude est

forte, et moins les mécanismes programmés de coordination (i.e. des mécanismes qui

permettent de spécifier à l’avance les activités respectives des unités, comme les règles, les

réunions programmées, les plans, etc…) contribuent à la performance organisationnelle.

Rathnam et al. (1995) montrent que l’apparition de ce qu’ils appellent des gaps de

coordination, i.e. des ruptures dans les flux de travail et d’information au sein d’une équipe

traitant la demande d’un client, dépendent au moins en partie de cette même incertitude.

Larsson et Bowen (1989) s’attachent de leur côté à définir l’incertitude issue des

inputs du client comme étant « l’information incomplète que possède l’organisation sur le

contenu, le lieu, le moment et la manière dont l’input du client va être transformé pour

produire le résultat désiré » ( : 217). Cette incertitude, expliquent-ils, est gouvernée par deux

contingences : la propension du client à participer, et la diversité de la demande. Lesquelles

contingences vont, une fois combinées, « créer quatre situations distinctes d’incertitude »,

chacune correspondant à un type particulier d’interdépendance au sein de l’organisation. Ils

relient enfin ces types d’interdépendances à des portefeuilles de mécanismes de coordination.

Bowen et Jones (1989) pour leur part, suggèrent que le management de l’incertitude liée au

client peut se faire par un recours différencié à des mécanismes de gouvernance, selon une

analyse économique de leur efficience en termes de coûts de transaction.

Enfin, et cette remarque peut également s’appliquer au paragraphe qui suit, l’essentiel

de ces travaux a pour objet la coordination entre front et back office, tandis que nous nous

concentrons sur la coordination entre des employés de front-office.

II.1.2.b) L’information client au service de la coordination, la coordination au service du client.

De la qualité de la coordination semble dépendre la performance organisationnelle

(Cheng, 1983, 1984 ; Kalika, 1988). Tout est cependant fonction de la manière dont celle-ci

est évaluée. Si nous la définissons avec Georgopoulos et Mann (1966) comme le niveau de

satisfaction perçue par le client final, alors leurs résultats empiriques laissent penser que la

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251

qualité perçue, donc une grande partie de la satisfaction perçue, est positivement reliée à la

coordination intra-organisationnelle. Mais la participation client se résume en ce cas à sa seule

présence, et n’influence pas outre mesure la coordination.

Les travaux sur l’orientation marché (ou orientation client) ont également mis en

lumière l’importance de la coordination sur la satisfaction du client (Gauzente, 2000). Le

construit d’orientation marché est défini autour des trois activités suivantes (Kohli et

Jaworski, 1990) : la génération de l’intelligence du marché relative aux besoins actuels et

futurs du client254 ; la dissémination de cette intelligence entre les départements ; et enfin, la

réactivité de l’ensemble de l’organisation face à celle-ci, tant au niveau de la préparation de

plans d’actions que de leur exécution. Cette orientation est avant tout centrée sur un ensemble

de croyances qui accordent une place prioritaire aux intérêts du client, tout en assurant un

développement rentable à long terme de l’entreprise (Kennedy et al., 2003). Indéniablement,

une des bases fondamentales d’une telle orientation est donc l’acquisition d’informations sur

les clients (Gulati et Oldroyd, 2005 ; Slater et Narver, 1994). Ces informations doivent ensuite

être rendues disponibles pour tous dans l’entreprise, et mettre l’accent sur le caractère non

négociable de l’impérieuse nécessité pour tous ses membres de satisfaire les clients externes

est un exercice crucial (Grönroos, 2001). Cela permet de forger le sentiment de travail

collectif, et facilite la coordination de l’ensemble des acteurs organisationnels travaillant dans

cette direction (Kennedy et al., 2003). En retour, cette coordination accroît le degré

d’orientation client de l’entreprise, ainsi que sa performance organisationnelle et la

satisfaction client (Jaworski et Kohli, 1993 ; Kohli et Jaworski, 1990 ; Slater et Narver, 1994).

Les travaux de Gulati et Oldroyd (2005) s’inscrivent pleinement dans cette voie. À

l’instar de Grönroos (2001), ils relèvent que l’accroissement de la proximité avec le client ne

dépend pas uniquement de l’installation de systèmes informatiques plus efficaces de gestion

de la relation client. Bien que reconnaissant leur portée, ils considèrent que se rapprocher des

clients revient à réaliser « un voyage que doit faire l’ensemble de l’organisation » ( : 92). La

condition sine qua non pour s’y engager est en premier lieu d’apprendre tout ce qu’il y à

apprendre sur les clients de l’entreprise, jusque l’information la plus mineure, afin de dresser

un portrait détaillé de leurs besoins passés, présents et futurs. Ces collecte et acquisition

d’informations, de même que leur dissémination, pour reprendre les termes de Jaworski et

Kohli (1990), ne sont pas exemptes d’embûches. Externes : le client doit être disposé à 254 « L’intelligence de marché est un concept plus large que la verbalisation des besoins et préférences des clients en ce qu’il inclut une analyse des facteurs exogènes qui influencent ces besoins et préférences » (Kohli et Jaworski, 1990 : 4).

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252

transmettre des informations qui compléteront les données recueillies sur son comportement

de consommateur (en d’autres termes : doit accepter de participer). Et internes, dont la

moindre n’est pas les résistances des employés à cette ouverture et à ce partage,

potentiellement contraires à leurs intérêts. Ces portraits sont finalement à la base de la

stratégie et des structures organisationnelles de l’entreprise. Graduellement se mettent en

place des types de coordination qu’identifient empiriquement Gulati et Oldroyd255, constituant

la pierre angulaire du périple vers le centrage sur le client.

Autrement dit, à partir de l’un des inputs du client (l’information qu’il donne, soit

directement, soit indirectement de par son comportement de consommateur), l’entreprise

développe différents modes de coordination centrés sur le partage de cette information, qui

sont de plus en plus aboutis, et visent à assurer une qualité de service optimale au client, grâce

à une amélioration des processus internes de l’organisation. Le client est donc présent à la fois

comme input (les informations sur son comportement) et naturellement comme output de la

coordination intra-organisationnelle (la satisfaction qu’il retire de la consommation du bien /

service). Néanmoins, sa dimension participative demeure particulièrement restreinte dans ce

genre d’analyse.

II.1.3 La coordination intra-organisationnelle : une

définition.

A leur instar, nous considérons que les auteurs qui plaident pour une intégration du

client dans la coordination ne semblent pas avoir reçu tout l’écho nécessaire au message qu’ils

souhaitent faire passer. Un moyen les faire résonner différemment peut être de proposer une

définition de la coordination dans laquelle apparaît explicitement le client, afin de lui

reconnaître ce rôle qu’il paraît être en mesure de jouer, rôle que nous nous emploierons

ultérieurement à montrer empiriquement. Dès lors, ce travail doctoral s’appuiera sur la

définition suivante de la coordination (Encadré 3).

255 Au fur et à mesure du temps se succèdent quatre types de coordination, de plus en plus sophistiqués : communautaire ; séquentielle ; symbiotique ; et la plus complète, intégrale.

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253

Encadré 3 : Définition de la coordination dans le cadre de cette recherche

La coordination est la gestion finalisée des interdépendances entre des activités.

Ces interdépendances surviennent lorsque les actions entreprises par un système

référent pour remplir ses objectifs particuliers déterminent, influent ou contrôlent les

actions ou les résultats d’un autre système dans l’atteinte de ses propres objectifs. La

gestion de ces interdépendances, qui peuvent s’inscrire dans un processus social

d’interactions entre acteurs, est réalisée au moyen de mécanismes de coordination. Tant

ces mécanismes que le processus de coordination peuvent être influencés par le client en

tant qu’acteur participant à la création du service que lui délivre l’entreprise, de par sa

mobilisation consciente ou inconsciente de rôles de filtre et/ ou catalyseur au cours de ses

interactions avec les employés en contact de l’entreprise.

La première partie de cette définition est identique à notre définition intermédiaire, sur

laquelle nous avions formulé quelques commentaires qui s’appliquent donc ici (cf. p. 228).

Ajoutons que le fait que cette gestion finalisée d’interdépendances se fasse entre des activités

renvoie au niveau organisationnel de la coordination, tandis que l’expression « système

référent » est suffisamment large pour renvoyer qui à une unité de l’entreprise, qui à un acteur

de cette unité.

Ceci est complété par la précision de ce que le client est susceptible d’intervenir sur

cette coordination, tant au niveau du design, que du processus de coordination, grâce aux

rôles que nous avons proposé de lui attribuer dans le chapitre 3.

II.2 PROPOSITION D’UNE CONCEPTUALISATION DE L’INFLUENCE DU

CLIENT SUR LA COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE :

PROBLÉMATIQUE ET PROPOSITIONS DE RECHERCHE

A partir tout ce qui précède, nous allons maintenant formuler la problématique de cette

thèse (II.2.1), ainsi que les propositions de recherche qu’elle sous-tend (II.2.2).

II.2.1 Formulation de la problématique.

La littérature présentée supra nous a permis de montrer que si un nombre confidentiel

de travaux appelle de ses vœux à la prise en compte du client dans les théories

organisationnelles, la réponse tient en un nombre plus restreint encore de recherches qui

tentent cette intégration. Parmi ces derniers, certains s’intéressent plus à son impact sur le

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254

design organisationnel en introduisant la variable d’incertitude. D’aucuns, en revanche,

s’interrogent sur les conséquences de la diffusion de l’information obtenue auprès de lui, et

aux processus internes de communication qui soutiennent cette diffusion. Enfin, ces deux

courants partagent l’objectif d’améliorer la performance organisationnelle, mesurée par la

capacité de l’organisation de fournir de façon efficiente au client un résultat qui le satisfera.

Il n’en reste pas moins que ces travaux ne s’attachent pas véritablement au client en

tant qu’acteur. Dans le premier cas, cette dimension est évacuée au profit de l’introduction de

l’incertitude, dont ce sont les conséquences sur le design organisationnel qui sont étudiées.

Dans le second, le client est ramené à des statistiques comportementales diffusées à toute

l’organisation. Et si la dimension sociale interne de la coordination y est sous-jacente (dans

les processus de communication et d’échange au sein de l’entreprise), celle inhérente à

l’échange avec le client ne l’est à aucun moment. Or, dès lors qu’un employé (ou plusieurs)

intervient dans la production d’un service (i.e., dès lors qu’il ne s’agit pas d’un self-service,

où le client est seul avec une machine), la participation du client induit l’existence

d’interactions entre lui et ledit employé. Dans un contexte multicanal, ces interactions entre le

client et un employé interviennent dans le cadre d’interdépendances d’intensités variables

entre les employés des différents canaux.

Autrement dit, nous pouvons supposer que les interactions entre le client et un des

employés peuvent avoir un impact sur la coordination entre l’ensemble des employés qui sont

en contact avec le client. D’où cette interrogation : comment ces interactions entre le client et

les employés en contact influencent-elles la coordination entre ceux-ci ? Et puisque ces

interactions prennent place dans le cadre de la participation du client, cela revient dans un

certain sens à se poser la question de la manière dont la participation client influence cette

coordination. Nous rappelons enfin au lecteur que nous considérons, à l’inverse de plusieurs

des recherches précitées, à la fois les mécanismes et les processus de coordination (cf. p. 243).

En revenant sur l’origine première de nos préoccupations (le multicanal), cette

interrogation se voit finalement enrichie d’une dimension contextuelle dont nous ne pouvons

faire l’économie (Encadré 4). Contrairement aux formulations précédentes, il s’agit

véritablement d’une problématique, puisque la question de recherche est formulée de telle

sorte qu’apparaissent les axes théoriques qui nous permettent d’y répondre.

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Encadré 4 : Problématique de cette recherche

Dans quelle mesure la participation client influence-t-elle la coordination des employés

en contact dans un réseau de distribution multicanal ?

L’influence du client s’entendant ici au sens de Rosengren (1967), i.e. un pouvoir non

légitimé, ne résidant pas dans la structure organisationnelle.

II.2.2 Propositions de recherche.

Une réponse possible à cette question peut passer par les rôles de filtre et de catalyseur

construits à la fin du troisième chapitre. Pour rappel, nous avons proposé que le client peut

jouer un rôle de filtre, et trois rôles de catalyseur sur les interactions entre les employés de

l’entreprise : filtre informationnel (asymétrie d’information) ; et catalyseur interprétationnel

(interprétation / détournement des règles), interactionnel (impact sur les interactions entre

employés), et perceptuel (perception des compétences des autres employés).

Mais, du fait de leurs définitions mêmes, dire que c’est parce que le client joue ces

rôles qu’il influence la coordination est quasiment tautologique. De surcroît, ces rôles de filtre

et de catalyseur ne sont pas automatiques : ils ne s’imposent pas au client comme dans la

logique fonctionnaliste traditionnellement utilisée pour l’analyse des rôles.

Il faut donc aller au-delà, et comprendre de quelle manière ces rôles se construisent à

partir des interactions entre le client et les employés. Nous avons tenté une ébauche

d’explication théorique précédemment (cf. p. 214), en postulant que ces rôles se construisent

dans les interactions entre les employés en contact et les clients. Plus exactement, dans ces

interactions, ils résultent de la perception qu’ont les employés de l’arbitrage qu’effectue le

client entre les canaux. Lequel arbitrage, traduit en termes de participation, est fonction des

inputs et des déterminants de cette participation (cf. p 190).

Ce qui jette un éclairage nouveau sur les réactions des clients dans le cas BGN, qui

peuvent s’exprimer à l’aune de leur participation : par exemple, nous pouvons dire que c’est

parce qu’ils refusaient de participer pour obtenir leur service par la plate-forme téléphonique

que les clients avaient des réactions négatives à son égard, réactions qui affectaient ce que

nous avions alors intitulé les interrelations entre les canaux. Dit différemment, les conseillers

percevaient que les clients réalisaient un arbitrage négatif entre les déterminants de la

participation liée à la plate-forme, et celle liée à l’agence ou à Internet, ainsi qu’entre les

inputs qu’exigeait chaque type de participation, et cela influençait les interrelations entre les

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canaux. D’où les propositions de recherche subséquentes, que résume la figure 4-2 qui

constitue notre cadre conceptuel (cf. p. 258).

II.2.2.a) 1ère proposition de recherche : le client est à l’origine d’interdépendances entre les employés en contact

Nous avons discuté des quatre sources d’interdépendances communément admises

dans la littérature. Il est cependant frappant de constater que celles-ci sont largement centrées

sur l’intérieur de l’entreprise, et que le client est absent de la liste. Or, dans une activité de

service, la présence du client, et sa participation (quel qu’en soit le degré) sont indispensables

à la production du service (Eiglier et Langeard, 1987). Par conséquent, il ne semble pas

illogique de penser que le client soit en situation de générer des interdépendances, variables

en fonction des déterminants de sa participation, et de la congruence de ces déterminants avec

les objectifs de l’entreprise (Hubbert et al., 1995).

II.2.2.b) 2ème proposition : le client influence le recours aux mécanismes de coordination

La littérature (Malone et Crowston, 1994 ; Mintzberg, 1982 ; Thompson, 1967) nous

enseigne que les mécanismes de coordination dépendent notamment de l’existence

d’interdépendances et de leur intensité. Donc, si le client est en mesure d’agir sur cette

existence et cette intensité, il peut alors influencer le recours aux mécanismes de coordination

que feront les employés en contact. Nous postulons que la prise en compte des interactions

sociales entre le client et les employés en contact peut déboucher, en raison de la possibilité

pour le premier de jouer des rôles de filtre et / ou de catalyseur entre les seconds, sur une

moindre contingence que celle qui ressort de la littérature. Le caractère quasi-automatique

habituellement souligné par la littérature de l’application de tel ou tel mécanisme de

coordination ne prend pas en compte ces interactions. Plus que l’utilisation d’un mécanisme

au détriment d’un autre, c’est bien le fait que l’employé en contact recoure ou non au

mécanisme de coordination qu’il est supposé mobiliser qui nous intéresse ici.

II.2.2.c) 3ème proposition : le client influence le processus de coordination entre les employés en contact.

Gittell (Gittell, 2000a, b, 2001, 2002a, b, 2004) s’est penchée sur les processus de

coordination au sein des activités de services (transport aérien et milieu hospitalier).

Étonnamment, toutefois, elle ne s’intéresse à aucun moment au client, sauf en tant que

réceptacle de la performance organisationnelle mesurée par la qualité du service qui lui est

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délivré. Et lorsqu’elle s’intéresse aux facteurs pesant sur la coordination relationnelle, elle

adopte une position qui reste centrée sur l’organisation. Ainsi, même si elle étudie le contenu

social de la coordination, elle en délaisse d’après nous une partie importante. Nous nous

proposons donc de voir de quelle manière le client, membre du système servuctionnel, peut

influencer le processus de coordination lorsqu’il joue ses différents rôles de filtre.

II.2.2.d) 4ème proposition : La nature de l’échange (relations vs pseudo-relations) module l’influence qu’exerce le client sur l’employé en contact.

Cette quatrième proposition est en quelque sorte transversale aux trois premières, et

son fondement explicité à la fin du chapitre troisième (cf. p. 215). Rappelons qu’une relation

schématiquement est un échange entre un individu prestataire d’un service et un client, ces

deux personnes s’attendant à et ayant l’habitude d’interagir à plusieurs reprises. Une pseudo-

relation est basée sur des échanges répétés entre un individu et une organisation prestataire de

service : les employés varient systématiquement, et les individus ne s’attendent pas à interagir

à nouveau ultérieurement (Gutek, 2000 ; Gutek et al., 2000 ; Gutek et al., 2002). Dans le

cadre d’un réseau de distribution multicanal, il arrive que soient mixés relations et pseudo-

relations256. Comme la répétition des échanges entre les acteurs peut renforcer l’influence

potentielle du client sur l’employé (Rafaeli, 1989), il paraît légitime de penser que la nature

de l’échange, selon qu’il s’agit d’une relation ou d’une pseudo-relation jouera sur l’intensité

de l’influence exercée par le client sur le recours aux mécanismes, ou le processus de

coordination.

II.2.2.e) 5ème proposition : Mécanismes et processus de coordination sont liés du fait des rôles de filtre / catalyseur joués par le client.

Toute recherche comporte une part plus ou moins importante d’intuition, qui fait qu’il

est difficile d’expliquer l’origine de tout ce que le chercheur veut s’employer à trouver

(Langley, 1999). C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons ici, en formulant cette

cinquième proposition. Gittell (2000b) montre que certains mécanismes de coordination

renforcent, tandis que d’autres amoindrissent, la coordination relationnelle. Notre objectif est

d’approfondir ce résultat en prenant en considération l’influence que le client peut avoir sur

ces liens entre mécanismes et processus de coordination. 256 C’est le cas de la banque de détail, bien sûr, mais également de l’assurance, du tourisme (de manière plus limitée), etc., voire de certains services publics (où la distinction public / usager peut néanmoins entraîner des perceptions différentes tant de la part du client que du prestataire de service).

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Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client

258

Figure 4-2 : Cadre conceptuel - Résumé des propositions de recherche

Implicites sur ce schéma, les actions de l’entreprise vis-à-vis du client, et de l’échange

client-employé, via les techniques de socialisation organisationnelles, ne sont pas oubliées, et

seront prises en compte dans l’analyse. Elles sont d’importance, car le cas BGN nous laisse

penser que l’influence du client, à l’instar de sa participation, n’est pas figée. Or, ces

techniques de socialisation organisationnelles en sont des facteurs non négligeables

d’évolution.

INTERDÉPENDANCES

Perception par les employés

Des inputs de la participation client

Des déterminants de la participation

client

Mécanismes de coordination

Processus de coordination

2

3

Nature de l’échange

4

5

1

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Chapitre Quatrième - La coordination intra-organisationnelle : des modèles traditionnels à l’intégration du client

259

EN CONCLUSION DU CHAPITRE QUATRIÈME... Le client, un acteur influant sur les mécanismes et le

processus de coordination

Avec le réseau de distribution multicanal et la participation client, la coordination

intra-organisationnelle est la troisième notion clé de ce travail doctoral. Elle a donc

naturellement fait l’objet de ce quatrième chapitre, dont ressortent notamment les points

suivants :

Ø Les interdépendances organisationnelles peuvent être gérées à l’aide de

mécanismes de coordination non exclusifs les uns des autres ;

Ø La gestion de ces interdépendances est caractérisée par un contenu social, que

nous avons nommé processus de coordination, qui peut s’étudier à l’aune des

composantes communicationnelles et relationnelles développées par Gittell

(2001) ;

Ø L’analyse de l’ensemble de la coordination, fût-ce au niveau des mécanismes

qu’à celui du processus de coordination, reste très majoritairement centrée sur

l’intérieur de l’entreprise, occultant la place que peut y tenir le client.

Tentant de replacer cette analyse dans le contexte du multicanal, situation au cours de

laquelle le client est amené à interagir avec plusieurs employés et / ou systèmes techniques de

l’entreprise, nous a ainsi conduit à nous interroger sur la manière d’intégrer le client dans la

coordination intra-organisationnelle. Nous avons finalement proposé de le réintroduire dans la

réflexion par le biais de la perception que les employés en contact ont des modalités de sa

participation (inputs et déterminants). Cela s’est traduit par l’énoncé d’une définition de la

coordination faisant explicitement référence au client et à son rôle potentiel dans cette

coordination.

Nous avons enfin, sur les fondations de cette analyse de la littérature, formulé notre

problématique définitive et nos propositions de recherche.

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Conclusion de la Deuxième Partie

260

CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE

La première partie constituait notre entrée dans ce travail doctoral, dont cette seconde

s’avère être le pivot. Nous l’avons construite autour de deux concepts majeurs, fruits de

l’interprétation théorique de résultats de notre étude exploratoire :

Ø Le premier fut la participation du client à la servuction, sur laquelle la

littérature porte un regard fonctionnaliste. En fut alors avancée une relecture

interactionniste, laquelle a débouché sur la proposition de nouveaux rôles de

filtre et / ou catalyseur que pourrait jouer le client dans le cadre de ses

interactions avec les employés de l’entreprise prestataire.

Ø La coordination intra-organisationnelle fut la seconde clé de voûte de cette

partie. L’abordant à la fois au plan du design organisationnel et des processus

qui lui sont sous-jacents, nous avons constaté que le client était peu présent

dans les travaux la concernant.

De surcroît, l’effort a été mis sur les possibilités de fertilisation théorique entre ces

concepts, avec comme objectif de répondre, dans la mesure de nos moyens, à certaines des

interrogations soulevées par quelques auteurs quant à la place du client dans l’organisation, et

en particulier son impact sur la coordination intra-organisationnelle. Le résultat de cette

réflexion fut la formulation de notre problématique :

Dans quelle mesure la participation client influence-t-elle la coordination des employés

en contact dans un réseau de distribution multicanal ?

De cette problématique, nous avons fait ressortir cinq propositions de recherche. Il

nous reste maintenant à leur apporter des réponses empiriques. Tel sera l’objet de notre

troisième et dernière partie.

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Introduction à la Troisième Partie

261

TROISIÈME PARTIE : MÉTHODOLOGIE ET ÉTUDES DE CAS

Doté de notre problématique, nous sommes maintenant en mesure de passer à la phase

empirique de cette recherche. Bien que retracée ici de manière linéaire, cette dernière n’en est

pas moins caractérisée par des allers-retours fréquents entre la théorie et le terrain. En effet, la

confrontation des données recueillies avec notre cadre conceptuel peut mettre en lumière

l’absence ou l’insuffisance de certains concepts, ce qui peut amener à revenir sur la littérature

pour lever les zones d’ombre.

Dans sa retranscription linéaire, cette phase comporte deux étapes, qui sont autant de

chapitres, structurés de la manière suivante.

Le cinquième chapitre répond aux exigences posées par la réalisation de toute

recherche scientifique. En d’autres termes, nous exposons et justifions tout d’abord notre

positionnement épistémologique, pour ensuite clarifier les modalités de recueil et d’analyse de

nos données.

Le sixième chapitre révèle ce que nous avons trouvé sur le terrain à travers deux

études de cas : la Banque Coopérative Régionale (BCR) et l’Établissement Financier

National257 (EFN). La description de chacune de ces deux études de cas, ainsi que la

présentation de l’analyse des résultats, de leur interprétation et leur comparaison sont au cœur

de ce dernier chapitre.

Le schéma 4 ci-après illustre la démarche de cette troisième et ultime partie.

257 Pour des raisons de confidentialité, ces deux établissements bancaires ont préféré conserver l’anonymat.

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Introduction à la Troisième Partie

262

Schéma 4 : De la problématique aux résultats de la recherche

Explication et justification - Positionnement interprétativiste

- Réalisation d’études de cas - Méthode d’analyse des données

(Chapitre 5)

Opérationnalisation de la recherche

Étude empirique

Réponses à la problématique et aux propositions de recherche (Chapitre 6)

Dans quelle mesure la participation client influence-t-elle la coordination des employés en contact dans un réseau de distribution multicanal ?

Conclusion de la seconde partie

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

263

CHAPITRE CINQUIÈME : POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE ET MÉTHODOLOGIE DE LA

RECHERCHE

Si la revue de littérature et le travail de construction théorique qui l’accompagne n’est

pas dénuée de complexité, celle-ci prend une tournure différente lors du passage à

l’opérationnalisation de la recherche à laquelle peut difficilement se défausser un travail

doctoral. La difficulté de prendre contact avec le terrain, dont les acteurs sont préoccupés

avant tout par la rapidité et la tangibilité des apports de la recherche, peut parfois être

dissonante des objectifs du chercheur. C’est un aspect qu’il est indispensable d’avoir à

l’esprit, et avec lequel il faut (apprendre à) composer.

Cette intrication n’est pas amoindrie par la nécessaire adéquation entre d’un côté la

manière de mener recueil et analyse de données, et de l’autre le positionnement

épistémologique du chercheur. Cette congruence est l’un des éléments justifiant de la qualité

des résultats. C’est pourquoi la première section de ce cinquième chapitre développe notre

positionnement épistémologique, en en expliquant les fondements et en replaçant

l’architecture de la recherche dans une perspective dynamique.

Dans le prolongement de cette présentation, la seconde section met l’accent sur les

modalités du recueil des données, tandis que la troisième, sur les modalités de l’analyse. En

effet, comme le notent Drucker-Godard et al. (1999), l’explicitation des modes de collecte et

d’analyse des données qualitatives participe de la fiabilité et de la validité de la recherche.

Cette phase est donc un passage indispensable pour donner au lecteur les clés pour apprécier

la qualité des résultats qui lui seront présentés plus loin.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

264

SECTION I. POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE ET

ARCHITECTURE DE LA RECHERCHE

Nous avons déjà abordé la question de notre positionnement épistémologique durant la

présentation de notre première étude de cas, soulignant que nous nous réclamions de

l’interprétativisme. Nous explicitons donc ici le choix de cette posture épistémologique (I.1).

Dans un second temps, nous présentons l’architecture générale de la recherche (I.2),

dont la cohérence s’évalue notamment à l’aune de cette posture (Charreire et Huault, 2001).

I.1 UN POSITIONNEMENT INTERPRÉTATIVISTE

L’épistémologie, « science de la connaissance », s’intéresse « à la façon dont

émergent, se structurent et évoluent les connaissances qui forment les sciences » (Batteau et

Thiétart, 2001 : 1). En d’autres termes, une réflexion épistémologique sur la nature de la

connaissance résultant d’une recherche, la démarche mise en œuvre pour y parvenir, et les

modalités de son évaluation est indispensable pour asseoir le caractère scientifique de toute

recherche (Girod-Séville et Perret, 1999 ; Wacheux, 1996). En fonction du paradigme dans

lequel il s’inscrit, le chercheur obtiendra des réponses différentes à ces trois questions,

formalisées par la figure 5-1.

Le positionnement au sein d’un paradigme implique d’être conscient du large éventail

paradigmatique existant (Chalmers, 1987 ; McKelvey, 1999). Les sciences de gestion, pour

leur part, se caractérisent généralement par la mobilisation de l’un ou l’autre de ces trois

paradigmes épistémologiques : positiviste ; interprétativiste ; constructiviste (Girod-Séville et

Perret, 1999). Le premier domine encore nettement les sciences de gestion, en particulier du

fait de la prépondérance de la conception nord-américaine de la recherche (Thiétart, 1999),

même si les deux autres tendent à gagner du terrain (Mir et Watson, 2000).

La discussion entamée à ce stade vise donc, non à les présenter in extenso, mais à

justifier de notre ancrage interprétativiste en confrontant les réponses qu’apportent ces trois

paradigmes aux questions précédentes (I.1.1, I.1.2 et I.1.3).

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

265

Figure 5-1 : Trois questions pour préciser son positionnement épistémologique

Source : À partir de Girod-Séville et Perret, 1999 : 14

I.1.1 La question du statut de la connaissance…

I.1.1.a) … Dans les trois paradigmes majeurs

Le paradigme positiviste, qui a pour père fondateur Auguste Comte, est d’abord fondé

sur ce que Le Moigne (1990) appelle le principe ontologique (tableau 5-1) : la science dispose

d’un critère de vérité, et a pour but de « dé-couvrir »258 La Vérité en en décrivant la réalité.

Suivant un principe d’objectivité (Le Moigne, 1990), le positivisme pose l’existence

d’une réalité indépendante de la perception du chercheur, que ce dernier peut chercher à

connaître, mais par laquelle il ne sera pas affecté et qu’il n’affectera pas lui-même . Cette

réalité, d’après le principe de l’univers câblé (Le Moigne, 1990) répond à « ses propres lois,

immuables et quasi-invariables » (Girod-Séville et Perret, 1999 : 18), basées sur des relations

causales qui existent, fussent-elles déjà mises à jour ou non. La vérité scientifique est donc

universelle, totalement acontextuelle (Evrard et al., 2000), et par voie de conséquence

« indépendante du contexte d’interaction des acteurs » (Girod-Séville et Perret, 1999 : 18).

258 A l’instar de Giordano (2003 : 20), nous utilisons « dé-couvrir » pour suggérer « à la manière d’enlever une couverture ».

Quelle est la nature de la connaissance produite ?

Comment la connaissance scientifique est-elle engendrée ?

Quels sont la valeur et le statut de cette connaissance ?

Vision du monde social par le chercheur ; nature du lien sujet

/ objet ; nature de la réalité

Chemin de la connaissance emprunté

Critères de validité de la connaissance produite

QUESTIONS À SE POSER RÉPONSES À APPORTER

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

266

Tableau 5-1 : Statut de la connaissance et nature de la réalité dans les paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste

Paradigmes

Questions épistémo- logiques

Positivisme Interprétativisme Constructivisme

Quel est le statut de la connaissance ?

Hypothèse ontologique

L’objet de connaissance a une essence propre

Hypothèse phénoménologique

L’essence de l’objet ne peut être atteinte (constructivisme modéré ou interprétativisme)

ou n’existe pas (constructivisme radical)

La nature de la “réalité”

Indépendance sujet / objet

Hypothèse déterministe

Le monde est fait de nécessités

Dépendance sujet / objet

Hypothèse intentionnaliste

Le mode est fait de possibilités

Source : Girod-Séville et Perret, 1999 : 14-15

Les paradigmes interprétativiste et constructiviste se démarquent en posant

l’impossibilité d’accès à une connaissance objective de la réalité, « jamais indépendante de

l’esprit, de la conscience de celui qui l’observe ou l’expérimente » (Girod-Séville et Perret,

1999 : 19). A l’hypothèse ontologique s’oppose frontalement l’hypothèse

phénoménologique : l’objet étudié et son observateur (le sujet) sont dépendants. Ces remises

en cause des postulats du positivisme impliquent que interprétativistes et constructivistes

appréhendent le monde social à travers des interprétations construites à partir des interactions

contextualisées entre les acteurs. La réalité est donc socialement construite par les actions et

pensées des individus qui y participent en fonction de leurs finalités (Berger et Luckmann,

1966).

I.1.1.b) … Dans notre recherche.

Nous avons de commun avec les interprétativistes et les constructivistes, le partage de

leur hypothèse phénoménologique, par opposition à l’hypothèse ontologique positiviste. Nous

reconnaissons donc le caractère représentatif (au sens de : issu d’une représentation), sinon

construit, d’une réalité qui dans ces circonstances est subjective et contextuelle. Cette

représentation relève de notre travail en tant que chercheur, et notre interdépendance avec la

réalité étudiée fait que nous sommes amenés à co-construire cette représentation avec les

acteurs qui appartiennent à cette réalité, mais en l’interprétant à l’aide de nos filtres théoriques

(Allard-Poesi et Maréchal, 1999). Et par ricochet, nous ne pouvons exclure avoir influencé les

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

267

perceptions de ces acteurs, en dépit des précautions prises pour l’éviter. Enfin, nous sommes à

l’unisson avec l’hypothèse intentionnaliste quant à la vision du monde social.

I.1.2 La question de l’engendrement de la connaissance.

I.1.2.a) … Dans les trois paradigmes majeurs.

S’engager sur l’un ou l’autre des chemins vers la connaissance du tableau 5-2 est

indissociable du statut de la vérité propre au paradigme dans lequel s’inscrit le chercheur.

Ainsi, un chercheur positiviste laisse son intuition sur le bord de la route (Wacheux, 1996),

postulant que, l’univers étant câblé, il est possible de découvrir des lois qui s’imposent aux

acteurs, dont les interactions n’influencent pas la réalité objective qu’il veut mettre au jour et

expliquer. Il s’agit bien de la mettre au jour, puisque « l’idée force de cette vision est que ces

lois existent même si elles ne peuvent pas toutes être découvertes » (Girod-Séville et Perret,

1999 : 23). Ces lois sont basées sur des causalités tant circulaires que multiples (Chalmers,

1987 ; Girod-Séville et Perret, 1999 ; Le Moigne, 1990, 1993).

Tableau 5-2 : Le chemin vers la connaissance dans les paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste

Paradigmes

Questions épistémo- logiques

Positivisme Interprétativisme Constructivisme

La découverte L’interprétation La construction Comment la connaissance est-elle engendrée ?

Recherche formulée en termes de “pour quelles

causes…”

Recherche formulée en termes de “pour quelles

motivations des acteurs…”

Recherche formulée en termes de “pour quelles

finalités…”

Le chemin de la connaissance scientifique

Statut privilégié de l’explication

Statut privilégié de la compréhension

Statut privilégié de la construction

Source : Girod-Séville et Perret, 1999 : 15

Dans une posture interprétativiste, le chercheur a pour objectif une compréhension

interprétative du sens que les acteurs qu’il observe donnent à la réalité. En d’autres termes,

« tout individu (ordinaire ou savant) est donc sujet interprétant et ses interprétations lui sont

spécifiques car intimement liées à son expérience personnelle du monde. Pour le chercheur,

connaître revient à tenter de comprendre le sens ordinaire que les acteurs attribuent à la

réalité, inconnaissable dans son essence » (Giordano, 2003 : 20). L’interprétativisme est

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

268

étroitement relié à la « sociologie compréhensive » (Wacheux, 1996 : 40) née des travaux de

Max Weber. Ce dernier pose deux niveaux de compréhension (verstehen). Le premier renvoie

au processus d’interprétation par les individus de leur propre vie quotidienne et du monde

dans lequel elle se déroule. Le second met en avant la subjectivité du chercheur : le verstehen

renvoie alors au processus d’interprétation par le chercheur des interprétations du premier

niveau. En d’autres termes, il interprète « les significations subjectives qui fondent le

comportement des individus qu’il étudie » (Girod-Séville et Perret, 1999 : 23), et est donc

partie intégrante du processus méthodologique qu’il déploie (Giordano, 2003).

Le constructiviste partage cette conception, mais s’en démarque sur deux points

(Girod-Séville et Perret, 1999). En premier lieu, la réalité des acteurs étudiés, dont il nie

l’existence a priori, est en partie construite par la démarche de compréhension du chercheur

(Mir et Watson, 2000). Chaque dalle pavant le chemin de la connaissance produite se

positionne sous ses pieds à mesure qu’il progresse dans son projet de connaissance. Laquelle

notion de projet porte la seconde distinction, celle de la finalité. Le Moigne (1990 ; 1993)

souligne ainsi l’inhérence d’un principe téléologique au constructivisme. Pour l’auteur, le

principe de l’univers construit fait que tout projet de connaissance vise « l’actualisation des

possibles » et « la création de nouveaux possibles par l’action intelligente » (1990).

I.1.2.b) … Dans notre recherche.

Nous nous étions arrêtés, du fait de leur rattachement aux mêmes hypothèses

fondatrices sur le statut de la connaissance, à un positionnement qui pouvait être soit

interprétativiste, soit constructiviste. La différence essentielle entre les deux tient cependant,

nous venons de le voir, dans l’interprétation par le chercheur de la réalité subjective des

acteurs avec lesquels il est en interaction. Interprétation à laquelle nous nous sommes livrés

au fil de notre analyse, afin de comprendre le rôle joué par le client dans la coordination

multicanale. Tout rattachement au constructivisme se trouve dès lors disqualifié de par ce

caractère interprétatif de notre démarche d’engendrement de connaissance.

I.1.3 La question de la valeur de la connaissance.

I.1.3.a) … Dans les trois paradigmes majeurs.

Au regard de leurs différences quant au statut accordé à la réalité et à la connaissance,

et aux démarches mises en œuvre pour l’engendrer, l’existence de critères distincts de

validation de la connaissance entre ces trois paradigmes n’est guère surprenante.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

269

Le positivisme retient trois critères de validité (Tableau 5-3) qui se veulent universels.

Le premier, dont Chalmers (1987) dénonce les limites, est le principe de vérifiabilité, qui

consiste à s’assurer de pouvoir procéder au test empirique de toute assertion. Vient ensuite la

confirmabilité, ou dont Chalmers (op.cit.) dit qu’il s’agit de l’introduction de la logique

probabiliste au secours du principe de vérifiabilité : si l’on ne peut s’assurer que les

généralisations émanant des tests empiriques sont forcément vraies, à tout le moins, il est

possible de dire qu’elles sont probablement vraies. Le troisième critère, celui de réfutabilité

(Popper, 1973) refuse comme le précédent de reconnaître le caractère permanent de la vérité

d’une connaissance ou d’une théorie. Selon Popper, une théorie sera provisoirement vraie du

moment qu’elle n’est pas réfutée. Et ne sera scientifique que si elle est réfutable. En d’autres

termes, une théorie qui reste valable quelles que soient les observations n’est pas scientifique.

Tableau 5-3 : Les critères de validité de la connaissance dans les paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste

Paradigmes

Questions épistémo- logiques

Positivisme Interprétativisme Constructivisme

Quelle est la valeur de la connaissance ? Les critères de validité

Vérifiabilité

Confirmabilité

Réfutabilité

Idiographie

Empathie (révélatrice de l’expérience vécue par

les acteurs)

Adéquation

Enseignabilité

Source : Adapté de Girod-Séville et Perret, 1999 : 15

Interprétativistes et constructivistes se démarquent naturellement de ces trois critères.

Pour les uns, l’idiographie et l’empathie sont au cœur du processus de validation, tandis

qu’adéquation et enseignabilité guident les autres.

La nature idiographique d’une recherche s’évalue à l’aune de sa capacité à présenter

l’étude en situation d’un phénomène, lequel doit être décrit de manière détaillée, et à fixer son

attention sur les événements singuliers plutôt que de se concentrer sur la recherche de lois

générales et régulières (Girod-Séville et Perret, 1999). Second critère interprétativiste de

validation, l’empathie est puisée dans les travaux de Weber (1971). Littéralement « capacité

de se mettre intuitivement à la place de son prochain, de ressentir la même chose que lui, de

s’identifier à lui », cette empathie est indispensable à l’appréhension et à la compréhension

des réalités sociales observées. Il faut s’efforcer de « rendre compréhensible, sur la base des

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

270

indications qu’on aura autant que possible interprétées intellectuellement ou essayé autant

que possible de revivre approximativement par empathie, le déroulement de l’activité »

(Weber, 1971, 1995259 : 30). Et finalement, « la valeur d’une recherche sera mesurée au

regard de sa dimension empathique, c’est-à-dire de sa capacité à mettre à jour et à travailler

non plus uniquement sur les faits mais sur la façon dont ceux-ci sont interprétés par les

acteurs » (Girod-Séville et Perret, 1999 : 29).

Les critères de validité du constructivisme sont toujours débattus. Sont mis en avant le

critère d’adéquation (Le Moigne, 1990), et celui d’enseignabilité (Le Moigne, 1995, cité par

Girod-Séville et Perret, 1999). Une connaissance répond au premier si elle convient et peut

être appliquée dans une situation donnée. Second critère, l’enseignabilité proposée par Le

Moigne, de par les termes de reproductibilité, d’intelligibilité et de constructibilité par

lesquels elle s’énonce, semble surtout insister sur la capacité du chercheur à décrire et

expliquer en l’argumentant sa démarche de construction de son projet de connaissances, de

manière à ce qu’elle puisse être reproduite.

I.1.3.b) … Dans notre recherche.

La posture interprétativiste qui est la nôtre nous amène à en respecter les critères

afférents : l’idiographie et l’empathie. Nous avons souligné en plusieurs occasions

l’importance du contexte sur l’étude que nous avons menée. Quant à l’empathie, elle s’est

traduite par notre volonté de maîtriser dans un premier temps les dynamiques du secteur

étudié, les entreprises qui y interviennent, les pratiques distributives en place, etc. Dans un

second temps, nous avons cherché dès nos contacts initiaux à nous faire préciser le

fonctionnement formel des entreprises où nous avons recueilli nos données, et à nous

familiariser rapidement avec les termes employés par nos interlocuteurs principaux, afin

d’avoir un référentiel proche du leur, et à être en mesure de communiquer avec eux sur la base

dudit référentiel.

I.2 PROCESSUS ARCHITECTURAL DE LA RECHERCHE

Le design, ou architecture de la recherche, « est la trame qui permet d’articuler les

différents éléments d’une recherche : problématique, littérature, données, analyse et

résultats » (Royer et Zarlowski, 1999b : 139). Mais renvoyant à l’idée de l’esthétique d’un

259 Nous nous référons à l’ouvrage « Économie et Société », dont la première publication française date de 1971, et dont nous avons consulté la réédition parue en deux tomes en 1995. Les numéros de page indiqués ici renvoient au premier tome de cette édition.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

271

objet (pour le design), ou à la structure ou l’organisation des éléments d’un ensemble

complexe (pour l’architecture), ces termes nous paraissent s’inscrire dans une statique, dont le

pendant est d’exclure la dynamique propre à toute recherche. Leur utilisation peut surprendre

d’autant plus que cette dynamique est, de manière explicite ou implicite, incontestablement

reconnue (Royer et Zarlowski, 1999b).

Pour cette raison, nous préférons utiliser l’expression de processus architectural qui

replace ces différentes composantes dans la dynamique de leurs interactions, intrinsèques à la

démarche de recherche (Schatzman, 1992). Ainsi, après avoir fait part de notre stratégie

d’accès au réel (I.2.1), revenons-nous à l’instar de Dameron (2000) sur le processus qui a

guidé la recherche depuis son origine jusque son aboutissement (I.2.2).

I.2.1 La stratégie d’accès au réel.

Les stratégies d’accès au réel sont multiples, et il en existe certainement autant que de

chercheurs (Eisenhardt, 1989). Très souvent considérées comme étroitement liées au

positionnement épistémologique, dire qu’il y a une relation de cause à effet entre l’un et

l’autre est une simplification abusive (Royer et Zarlowski, 1999b : 144). Il n’en est pas moins

vrai qu’existe un réel besoin de cohérence entre l’un et l’autre (Charreire et Huault, 2001) et

que, comme nous le rappelle Lecocq (2003), c’est « moins le choix d’une méthode que son

application qui détermine la pertinence de l’ensemble du design de recherche » ( : 224).

Pour cette raison, précisons que, si pertinent que cela puisse paraître dans la posture

interprétativiste que nous avons faite nôtre, aborder le terrain dans une logique de table rase

ne correspond pas exactement à la réalité de notre démarche. Nous expliquerons plus tard en

quoi la méthode de l’étude de cas à laquelle nous avons recourue était appropriée aux

objectifs et à la logique de notre recherche.

I.2.1.a) Le mythe de la table rase.

Comme le note Josserand, la question du degré de structuration des modèles avec

lesquels un chercheur peut ou doit arriver sur le terrain prend place sur un continuum : « à une

extrémité du spectre, la tabula-rasa, le chercheur arrive vierge de tous présupposés sur un

nouveau terrain d’investigation ; à l’autre extrémité, le chercheur met en place une démarche

hypothético-déductive, appréhendant le terrain avec un modèle comprenant des hypothèses et

les outils nécessaires pour les tester » ( : 98). Ce premier pôle, radical par nature, n’est qu’un

idéal-type au sens de Weber (1971), qui n’a pas d’existence réelle. Même les plus ardents

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

272

défenseurs de la Grounded Theory, ou théorie enracinée, fondée en 1967 par Glaser et

Strauss, n’ont pas une posture aussi extrême. Voici ce que nous trouvons, par exemple, dans

l’ouvrage de référence de Strauss et Corbin (1998) : « Le chercheur apporte à sa recherche

des connaissances considérables issues de son passé professionnel et de la littérature

concernant la discipline […] La question est de savoir comment les utiliser pour enrichir, et

non contraindre, le développement de la théorie » ( : 48-49). Ils assurent ensuite qu’il n’est

néanmoins pas nécessaire de lire la totalité de la littérature avant de commencer

l’investigation, puisque d’après eux, il est impossible de savoir avant de la débuter quels

problèmes essentiels ou concepts théoriques émergeront. En cela, le désaccord est profond

avec Miles et Huberman (2003), dont le fondement de la démarche tient au développement de

« canevas de recherche préstructurés » ( : 39) qui préexistent à la recherche empirique. Leur

point de vue se justifie à partir du même constat que Strauss et Corbin : tout chercheur arrive

sur le terrain avec des idées directrices, des centres d’intérêt, des outils… La table-rase n’est

donc que cet idéal-type inatteignable. Mais par-dessus tout, le risque est de perdre un temps

précieux à collecter des données qui pourraient déboucher sur des évidences, ou des éléments

déjà présents dans la littérature, limitant considérablement l’attrait de la recherche et de ses

résultats. Enfin, le danger d’être asphyxié par l’abondance de données est réel (Eisenhardt,

1989 ; Miles et Huberman, 2003). Mais Miles et Huberman reconnaissent que« l’ensemble de

la recherche qualitative actuelle se situe entre ces deux extrêmes » ( : 38), et qu’il est dès lors

possible de s’appuyer sur un cadre conceptuel souple qui pourra subir des évolutions au fil de

la recherche.

En ce qui nous concerne, expliquer le point de départ de notre recherche relève du

processus d’ensemble que nous avons suivi au fur et à mesure que nous l’avons mené, que

nous détaillons ultérieurement (cf. p. 277 et suivantes). Nous nous bornerons donc ici à dire

que si, dans une première étape, nous étions très proches de la première extrémité du spectre

(la table rase), nous avons ensuite évolué vers une posture intermédiaire, structurant le recueil

ultérieur de données lors de notre retour sur le terrain.

I.2.1.b) Une méthode qualitative basée sur l’étude de cas.

Le plus fréquemment, à une posture positiviste correspond une démarche quantitative,

et symétriquement, à une posture interprétativiste ou constructiviste, une démarche

qualitative. Mais systématiser un lien entre positionnement épistémologique et méthodes

serait abusif, voire fallacieux, sens dans lequel abonde par exemple Giordano (2003).

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

273

Méthodes et / ou données qualitatives peuvent tout aussi bien être utilisées par des tenants du

positivisme, tandis que des constructivistes mobiliseront des méthodes et / ou données

quantitatives (Baumard et Ibert, 1999 ; Mir et Watson, 2000 ; Royer et Zarlowski, 1999b).

Pour autant, les liaisons existent entre méthodes d’un côté, et positionnement épistémologique

de l’autre, mais reposent surtout dans l’application des premières et leur adéquation aux

objectifs de l’étude, et non dans leur simple choix (Charreire et Huault, 2001 ; Lecocq, 2003).

C’est en ayant ceci à l’esprit que nous motivons notre choix de l’emploi de la méthode de

l’étude de cas pour réaliser la phase empirique de notre recherche.

I.2.1.b.(1) Justification du recours à l’étude de cas. Nous commençons par rappeler au lecteur que nous nous situons dans une perspective

de génération de théorie sur un phénomène qui, comme notre revue de littérature visait à le

démontrer, semble avoir fait jusqu’alors l’objet d’un nombre plus que restreint

d’observations. Cet objectif de génération théorique est mis en avant par des auteurs tels

Eisenhardt (1989), Giroux (2003), Miles et Huberman (2003), Wacheux (1996), Yin (2003),

et joue en faveur de l’adéquation entre méthode et objectifs. La richesse des études et des

données qualitatives, qui « permettent des descriptions et des explications riches et

solidement fondées de processus ancrés dans un contexte local » (Miles et Huberman, 2003 :

11), est donc un premier élément plaidant pour leur utilisation dans notre travail.

Du fait de sa dimension qualitative, la méthode de l’étude de cas est souvent associée

au paradigme interprétativiste (Giroux, 2003) ou constructiviste (Josserand, 1998).

Néanmoins, dans son article de référence de 1989, Eisenhardt indique expressément que le

processus qu’elle décrit relève d’une vision positiviste de la recherche, en ce que ce processus

« est dirigé vers le développement de théories et d’hypothèses testables et généralisables à

plusieurs cadres » 260 ( : 546). Cela est cohérent avec notre remarque précédente, et bien qu’en

accord avec cette méthode, notre seul positionnement épistémologique ne peut donc expliquer

ou justifier son adoption. Ce qui nous conduit à nous orienter maintenant vers ses principes et

modalités d’application.

La littérature propose plusieurs définitions de l’étude de cas (e.g. Eisenhardt, 1989 ;

Giroux, 2003 ; Wacheux, 1996 ; Yin, 2003). Ainsi, pour Yin (2003), dont la définition nous

paraît intégratrice, c’est « une recherche empirique qui enquête sur un phénomène 260 Toutefois, Eisenhardt ne justifie ce positionnement que sur la base de l’objectif de ce processus, et reste silencieuse sur le statut accordé à la réalité étudiée. De plus, comme nous l’avons relevé plus tôt, Weber (1971) indique bien que les méthodes de la sociologie compréhensive (fondement de l’interprétativisme) peuvent fonder des explications causales.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

274

contemporain dans le cadre de son contexte réel, en particulier lorsque les frontières entre

phénomène et contexte ne sont pas clairement établies » ( : 13). Il est clair, au regard de nos

développement antérieurs, que nous respectons le cadre de la première partie de cette

définition : de par sa prise en compte de la temporalité (Giroux, 2003 ; Wacheux, 1996),

l’étude de cas est adaptée aux études contextuelles. De même en est-il pour la seconde : nous

avons montré en quoi le contexte (le réseau de distribution multicanal) influence le

comportement des acteurs, qui à leur tour ont une incidence sur le fonctionnement de la

structure dans le cadre de laquelle ils agissent.

Véritable « stratégie de recherche » (Yin, 2003 : 3), l’étude de cas peut être comparée

à d’autres méthodes en fonction de la forme de la question de la recherche, du contrôle requis

sur les comportements durant la recherche, ou de l’intérêt qu’elle accorde aux événements

contemporains (Tableau 5-4). La réponse à ces différentes questions permet de justifier le

recours à l’une ou l’autre de ces méthodes.

Tableau 5-4 : Les critères de choix d’une stratégie de recherche

STRATÉGIE

FORMULATION DE LA

QUESTION DE RECHERCHE

CONTRÔLE REQUIS SUR LES

COMPORTEMENTS

CENTRAGE SUR LES

EVENEMENTS CONTEMPORAINS

Expérimentation Comment ? Pourquoi ? Oui Oui

Enquête Qui ?

Quoi ? Où ?

Combien ?

Non Oui

Analyse d’archives Qui ?

Quoi ? Où ?

Combien ?

Non Oui / Non

Étude historique Comment ? Pourquoi ? Non Non

Étude de cas Comment ? Pourquoi ? Non Oui

Source : Yin, 2003 : 5

Cette recherche vise à mettre en évidence les modalités de l’influence du client sur la

coordination intra-organisationnelle (i.e. « comment »), dans le cadre d’un phénomène

contemporain261 qui est celui du développement de réseaux de distribution multicanaux. Qui

plus est, notre contrôle sur le comportement des acteurs rencontrés peut être considéré comme

261 Au sens : que les acteurs présents sur le terrain étudié connaissent au moment de la collecte de données.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

275

nul, contrairement à un protocole d’expérimentation par lequel le chercheur « peut manipuler

directement, précisément et systématiquement le comportement » (Yin, 2003 : 8). Nous

rentrons donc pleinement dans le cadre défini par Yin pour le recours à une étude de cas.

Enfin, pareille étude n’a pas pour obligation de partir d’un cadre très structuré : une

large définition de la question de recherche initiale est certes nécessaire, mais une

spécification a priori des construits de la recherche pas indispensable (Eisenhardt, 1989),

même si tout le monde ne partage pas cet avis (Miles et Huberman, 2003 ; Yin, 2003). Notre

propre démarche, comme nous allons le voir en exposant le processus de la recherche,

comprit deux temps : le premier caractérisé par une formalisation très faible (étude de cas

exploratoire), le second, par le retour sur le terrain avec une grille de lecture plus formalisée.

I.2.1.b.(2) Le choix des cas et de leur nombre. Plusieurs facteurs sont susceptibles d’influencer le nombre de cas. Une polémique a

notamment opposé à ce sujet en 1991 Eisenhardt à Dyer et Wilkins, dans les pages de la revue

Academy of Management Review. Les seconds, répondant à l’article de 1989 de Eisenhardt,

s’appuient sur des recherches débouchant sur des résultats considérables et à la qualité

largement reconnue262. Sur cette base, ils argumentent en faveur d’un cas unique, qui seul

permettra une description, compréhension et analyse en profondeur du phénomène étudié, et

de faire émerger de nouvelles relations théoriques par opposition à l’existant. Eisenhardt leur

adresse une réplique cinglante, soulignant dans un premier temps que nombre d’études basées

sur plusieurs cas ont elles-aussi abouti à des résultats d’une portée impressionnante263. Dans

un second temps, elle critique la manière dont Dyer et Walkins abordent les études auxquelles

ils se réfèrent : « Les auteurs de la critique suggèrent que les études de cas classiques

reposent sur une cas unique développé avec un moindre souci de rigueur méthodologique. Il

s’agit d’une interprétation totalement erronée de ces études. Bien qu’elles puissent se centrer

sur un seul contexte, comme une grande entreprise, ce ne sont pas des cas uniques. Pour

beaucoup, ce sont plutôt des études basées sur des cas multiples, se reposant sur une logique

comparative de réplication et d’extension utilisée pour développer leurs intuitions

théoriques » (Eisenhardt, 1991 : 622). Cette double logique de réplication, c’est-à-dire

l’utilisation de cas individuels pour corroborer de manière indépendante des propositions

spécifiques, et d’extension, qui renvoie à l’utilisation de cas multiples pour développer une

théorie plus élaborée, est selon Eisenhardt le fer de lance de sa méthode. 262 Parmi les études qu’ils citent : Selznick (1949), Whyte (1943) ; Gouldner (1954), etc. 263 Parmi celles-ci : Chandler (1962) ; Lawrence et Lorsch (1967), ou Kanter (1983).

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

276

Nous nous sommes ralliés à ses arguments pour mettre en place un dispositif basé sur

des cas multiples au sens de Eisenhardt (1991), ou encastrés264 au sens de Yin (2003 : 42),

dont un avantage est de ne pas exclure la surprise théorique. Cette aproche retient également

plusieurs niveaux d’analyse (Lecocq, 2003), allant de l’ensemble du cas à l’individu, en

passant par les unités organisationnelles. Sous cet angle, chaque sous-élément d’analyse peut

être considéré comme un « mini-cas » (Eisenhardt, 1989 : 545 ; Josserand, 1998). C’est ce

qui se passe dans notre recherche, dont le niveau d’analyse initial est le canal de distribution,

mais dont les interactions se situent à la fois au niveau interindividuel (nous avons

essentiellement analysé les interactions entre les employés des différents canaux, d’un côté, et

entre eux et leurs clients, d’un autre côté) et intra-organisationnel (étude des interactions entre

les canaux de distribution, qui sont autant de sous-unités organisationnelles, et de celles entre

ces canaux et leur hiérarchie au niveau structurel).

Par-delà ces niveaux d’analyse, nous avons également opté pour ce que Yin qualifie de

« design basé sur des cas multiples » (2003 : 39). En l’occurrence, il s’agit en ce qui nous

concerne du nombre d’entreprises étudiées, plus précisément, le nombre d’établissements

bancaires auprès desquels recueillir les données nécessaires à la réalisation de la partie

empirique de ce travail doctoral. Ceci selon une visée réplicative (Eisenhardt, 1989) proche de

celle que Yin (2003) dénomme « réplication littérale » ( : 47), c’est-à-dire une situation où les

cas sont sélectionnés de telle sorte qu’ils donnent des résultats similaires. La logique de

mimétisme sectoriel du développement des canaux de distribution, et l’existence de facteurs

similaires entre les établissements (confiance, relations de long terme, etc.) dans la

construction de relations entre le client et son conseiller (cf. chapitre 2) nous laissaient en

effet supposer une relative proximité des résultats.

Quant au nombre de cas, plusieurs positions s’opposent également. Eisenhardt évoque

arbitrairement le nombre de 4 à 10 cas, notant que « avec moins de 4 cas, il est souvent

difficile de générer de la théorie avec beaucoup de complexité, et son fondement empirique

risque de ne pas être suffisamment convaincant, à moins que le cas n’ait plusieurs mini-cas

qui le composent » (Eisenhardt, 1989 : 545). Glaser et Strauss (1967), puis Strauss et Corbin

(1998) considèrent que le nombre adéquat de cas est atteint dès lors qu’il y a saturation

théorique. Celle-ci correspond à la situation dans laquelle un nouveau cas n’apporte pas

d’information supplémentaire aux précédents, et n’apportera donc rien à la génération de

théorie. Nous sommes d’accord avec Royer et Zarlowski (1999a), ou Eisenhardt (1989), qui 264 « Embedded case studies ».

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

277

leur opposent des considérations pratiques. Pour les premiers, il est difficile d’être certain

qu’il n’y a pas d’information nouvelle, et le choix revient donc au chercheur. Pour la seconde,

il est courant d’arriver sur le terrain avec le nombre de cas planifiés à l’avance, ne serait-ce

que pour des raisons de disponibilités des ressources, et de contraintes de temps.

Pour notre étude, nous avons utilisé trois cas. Le premier, exploratoire, visait à générer

de théorie sur un phénomène mal connu dans la littérature, et à nous permettre de nous

positionner dans cette littérature. Les deux autres avaient pour but de valider et d’enrichir la

théorie préalablement développée. Ce qui nous amène à exposer le processus de notre

recherche.

I.2.2 Le processus de la recherche.

« La présentation du processus de la recherche permet de faire partager au lecteur la

démarche de découverte, […] marquée par des allers-retours entre la théorie et le terrain.

Elle permet ainsi de mieux comprendre le statut des différentes notions que nous avons

présentées » (Dameron, 2000 : 165). Nous adhérons à cette opinion, laquelle vient en écho de

nombre d’auteurs qui mettent en avant le besoin de clarification de la démarche dans la

réalisation d’une étude qualitative (Eisenhardt, 1989 ; Giroux, 2003 ; Wacheux, 1996 ; Yin,

2003). La présentation de ce processus est donc tout autant celle d’une histoire, que d’une

analyse réflexive sur cette dernière.

I.2.2.a) L’origine de la recherche

Cette présentation commence par un rapide résumé de l’origine de la recherche.

Allard-Poesi et Maréchal (1999) listent plusieurs points de départ potentiels pour un objet de

recherche, parmi lesquels « un problème concret » ( : 49), et « un domaine d’intérêt » ( : 50).

Le nôtre prend sa source à leur intersection. Notre travail a en effet débuté par un intérêt

particulier pour le secteur bancaire, plus exactement, pour la banque de détail265. Au fur et à

mesure de notre lecture de revues managériales et d’approfondissement de notre connaissance

du secteur, nous avons vu remonter un ensemble de problématiques tournant autour des

stratégies et de l’organisation d’un réseau de distribution multicanal. Encore émergentes au

début de l’an 2000, c’est-à-dire lorsque nous avons entamé notre réflexion doctorale, ces

stratégies semblaient être en passe de s’imposer sur les stratégies dites de « pure player » (cf.

chapitre 2). Néanmoins, subsistaient d’importantes questions sur les modes de gestion de

265 Intérêt concrétisé par plusieurs mémoires de DEA sur le sujet.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

278

telles architectures distributives, notamment au plan organisationnel. Faire travailler ensemble

ces différents canaux, et assurer la gestion de l’ensemble paraissait être du domaine de

l’informatique, supposé solutionner la quasi-totalité des problèmes (cf. chapitre 2, section 1).

L’aspect organisationnel, sans être totalement absent, nous paraissait pour le moins négligé.

Ce passage au second plan des questions organisationnelles, au profit des aspects purement

techniques, est d’ailleurs soulevé par Kalika (2000 a).

D’où notre premier choix d’orientation, quelque peu en réaction à l’encontre du

discours ambiant, vers une littérature en opposition avec ces présupposés, et excluant les

systèmes d’information de notre réflexion. Ces derniers ne seraient considérés, dans nos

travaux, que comme des outils certes indispensables dans ce contexte, mais qui n’étaient pas

seuls à permettre le bon fonctionnement de ces réseaux.

I.2.2.b) La recherche de littérature.

Ce premier choix fait, et doté d’une connaissance apparemment solide sur le secteur,

vint la recherche de littérature, qui s’avéra vite complexe. En effet, si l’intérêt du sujet tenait à

sa contextualisation, il en portait aussi une difficulté d’importance. Les articles managériaux

étaient légion, mais il n’en allait pas de même pour les travaux académiques. Hormis de rares

exceptions (Cespedes et Corey, 1990 ; Easingwood et Storey, 1996 ; Hitt et Frei, 1999), les

recherches scientifiques sur le multicanal étaient inexistantes, comme le montrent les

références mobilisées dans notre premier chapitre. Il était donc nécessaire de trouver un autre

point d’ancrage que le simple multicanal, et de se pencher sur des travaux théoriques

permettant d’en expliquer les logiques de fonctionnement. Pour cette raison, nous nous

sommes orientés vers les recherches sur les ressources et compétences clés (e.g. Barney, 1991

; Prahalad et Hamel, 1990 ; Wernerfelt, 1984). Très schématiquement, notre but était de

montrer que les canaux répondaient à une logique de choix de ressources et compétences,

parmi lesquelles certaines pouvaient être considérés comme clés. Puis de tenter de montrer

que les liens entre les canaux, et la cohérence de l’architecture globale pouvaient s’expliquer à

l’aune des liens entre les compétences clés que nous aurions identifiées sur le terrain. Il

s’avéra que, après avoir présenté et évoqué ce point de départ avec plusieurs collègues, cette

orientation posait d’importants problèmes, notamment d’opérationnalisation, et risquait de

nous mener sur une voie de garage. Nous l’abandonnâmes donc après peu ou prou un an de

travail.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

279

I.2.2.c) Une nécessaire maturation.

Pour surmonter ce point de blocage, le choix de l’entrée sur le terrain nous parut donc

incontournable. A ce stade de la rédaction, il nous paraît nécessaire, dans la logique

explicative et de communication qui est la nôtre, d’apporter une précision quant notre état

d’esprit à ce moment de la recherche. De nombreux auteurs expérimentés en méthodologies

qualitatives notent qu’un jeune chercheur peut être perdu face au terrain, face aux données, ou

face à la démarche de recherche qualitative (e.g. Miles et Huberman, 2003 ; Wacheux, 1996).

C’est peut être d’autant plus le cas en France, patrie de Descartes, dont la force des idées et la

structuration de la démarche ont pénétré l’ensemble du système éducatif, qui se veut

privilégier le raisonnement hypothético-déductif.

Jeune chercheur nous-mêmes à ce moment, il est indéniable que, en dépit de nos

abondantes lectures, des séminaires auxquels nous avons assisté266, et des enseignements qui

nous avaient été préalablement dispensés, le processus d’une démarche qualitative allait à

l’encontre de l’ensemble de nos schémas cognitifs, établis dans cette tradition de

l’hypothético-déductif le plus pur267. Nous manquions totalement de maturité pour nous lancer

dans cette étude, et aller sur le terrain sans une grille d’analyse parfaitement structurée nous

paraissait donc un obstacle insurmontable268. Ce n’est que dans cette interaction même entre la

littérature et le terrain, par le biais des premiers recueils de données, que nous avons été à

même d’appréhender plus correctement la manière dont se structure une grille de lecture d’un

terrain, de développer cette maturité qui nous faisait défaut, et de fixer notre posture

épistémologique interprétativiste, qui n’était jusqu’alors qu’une vague sensibilité. Il n’est

selon nous pas inutile d’indiquer cela dans cette explicitation du processus d’avancement de

notre travail doctoral, tant cela peut permettre de dépasser les doutes et les interrogations

inhérentes à tout processus de recherche, lesquels sont certainement d’autant plus intenses que

le chercheur est inexpérimenté.

Il nous était malgré tout inconcevable, en dépit de l’absence de littérature, d’aller sur

le terrain sans un minimum de structuration. Puisque, dans les écrits managériaux consultés,

revenaient souvent les thèmes de la coordination et de la complémentarité des canaux, nous

les avons intégré dans un premier document très succinct, qui visait à présenter rapidement la

266 L’auteur tient à remercier la FNEGE pour les séminaires CEFAG auxquels il a eu l’honneur, le plaisir et la chance de participer durant l’année 2001, ainsi que l’ensemble des professeurs et les autres doctorants présents. Cette étape fut très importante pour mieux appréhender ce dont il parle ici. 267 Tradition que pourfend continuellement Le Moigne, par exemple, dans ses travaux ou conférences. 268 Nous sommes infiniment redevable au Professeur de Montmorillon de nous y avoir poussé

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

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teneur de nos travaux, et nos objectifs d’une manière très générale. Une critique au moins que

nous pouvons adresser a posteriori à notre démarche, fut de ne pas avoir suffisamment

approfondi la notion de coordination dès ce moment, pour bâtir le cadre théorique autour de

celle-ci. Sa portée nous paraissait limitée, en ce sens que nous avions le sentiment qu’en nous

engageant dans cette voie, nous n’aurions procédé qu’à une simple réplication d’études

existantes sur la coordination intra-organisationnelle, appliquée au cadre du multicanal.

D’autant que (vanité de jeune chercheur ?), cela ne nous paraissait pas suffisamment

ambitieux, alors que nous souhaitions que nos travaux soient porteurs d’une importante valeur

ajoutée pour notre champ de connaissance.

Nous souhaitons toutefois éviter toute méprise sur la teneur de nos propos : ce n’est

aucunement un mea culpa auquel nous nous livrons ici. Nous cherchons à expliciter dans le

détail, en utilisant les notes que nous avons prises progressivement et régulièrement, les

sensations par lesquelles nous sommes passé au fur et à mesure de ces années de travail

doctoral, et qui, quoi qu’il arrive sont indissociables de notre processus de thèse. Elles

expliquent au moins partiellement les choix que nous avons faits, les raisons pour lesquelles

nous avons mené la recherche de la manière dont nous l’avons conduite269.

I.2.2.d) Les premières tentatives d’accès au terrain.

Le terrain fut donc abordé, avec le premier contact réel en octobre 2000, après

quelques tentatives infructueuses sur lesquelles nous ne revenons pas. Dès ce moment, nous

avons suivi les recommandations de Wacheux (1996) quant à la rédaction d’un journal de

recherche270.

Nos premiers entretiens furent réalisés dans plusieurs établissements, avec en tête ce

double objectif :

Ø La littérature managériale nous avait permis d’accumuler un volume

conséquent de connaissances sur le secteur étudié et sur le phénomène de

développement du multicanal. Nous tenions cependant, suivant un principe de

triangulation des sources de données (Baumard et al., 1999 ; Baumard et

Ibert, 1999 ; Miles et Huberman, 2003 ; Wacheux, 1996), à recouper ces

informations à la source. Il s’agissait en d’autres termes de coupler des

269 Wacheux (1996) insiste à de multiples reprises sur ces éléments dans son ouvrage, notamment p 232. 270 Une partie de ce journal est reproduite dans l’annexe 5 de ce document

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

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données primaires aux données secondaires recueillies durant la première

étape de notre travail.

Ø Commencer à nouer des liens et prendre des contacts pour réaliser notre

enquête de terrain.

Entrent dans ce cadre cinq entretiens, menés dans quatre établissements différents,

puisque nous avons rencontré deux fois la même personne dans l’un d’entre eux (Tableau

5-5).

Tableau 5-5 : Les entretiens d’approfondissement de notre connaissance sectorielle et de prise de contact terrain

DATE DURÉE BANQUE INTERLOCUTEUR RESULTAT

14/03/2001 45 min 1 Responsable marketing

particuliers et professionnels

Entretien non enregistré à la demande de l’interlocuteur – prise de note

intensive - Refus de la méthodologie et de l’exposition de la stratégie de

l’entreprise dans un document public

15/03/2001

07/06/2001

2h

1h30 2 Directeur des études et

du développement

Entretiens enregistrés et retranscrits – Acceptation pour mener la recherche au

niveau stratégique, blocage pour accéder aux agences

24/04/2001 2h 3 Responsable de la stratégie clients /

canaux

Entretien enregistré et retranscrit – Acceptation pour mener la recherche au

niveau stratégique, blocage pour accéder aux agences

02/05/2001 1h 4

Responsable de la communication du projet de banque

multicanale

Entretien non enregistré à la demande de l’interlocuteur – prise de note

intensive – Pas de pouvoir de décision, en a référé à ses supérieurs

hiérarchiques, mais nous communique des documents de communication

interne sur le projet – Après plusieurs échanges de mails et appels

téléphoniques, refus de la méthodologie et de l’exposition de la stratégie de

l’entreprise dans un document public

Le premier objectif fut atteint, et ces données primaires exploitées et recoupées avec

les données secondaires que nous possédions. Ces deux ensembles furent utilisés pour la

rédaction de notre description et analyse de la banque de détail et de ses évolutions, qui nous a

servi dans le second chapitre de cette thèse à replacer notre étude de cas exploratoire dans son

contexte sectoriel.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

282

Le second objectif s’avéra nettement plus complexe à remplir, pour deux raisons. La

première tient à la méthodologie que nous avions initialement l’intention de mettre en place.

Proche de la recherche-intervention telle que la définit David (David, 2001a), notre but était

alors de prendre part activement à un projet de développement de banque multicanale pour

étudier les relations de complémentarité et / ou de substitution entre les canaux à la fois aux

niveaux fonctionnel (au siège) et opérationnel (gestion quotidienne dans les canaux

concernés). Or, et c’est la seconde raison, tant les montants investis, que les enjeux

stratégiques et organisationnels inhérents à ces projets271posèrent problème, et les possibilités

d’accès au réel via cette méthodologie se réduisirent vite comme peau de chagrin. En dehors

des refus épistolaires ou téléphoniques essuyés suite à nos demandes écrites de rendez-vous,

nous vîmes se refermer les portes de l’accès à deux acteurs majeurs du secteur après un ou

deux rendez-vous. Ces deux établissements ne souhaitaient pas voir s’afficher leur stratégie

dans une thèse, document public, et les arguments que nous leur opposâmes ne permirent pas

d’infléchir leur position. Si la méthodologie retenue ne semblait pas adéquate, son couplage

au contexte de développement des projets de banque multicanale la rendait quasiment

intenable, comme le témoigne cette citation extraite de l’un de ces cinq entretiens

préalables272 : « Vous pensez bien que votre démarche nous pose problème. Votre thèse, c’est

un document public, tout le monde peut le lire. On ne peut pas prendre le risque de voir

s’afficher toute notre stratégie dans ce genre de document, consultable par n’importe quel

concurrent » (responsable marketing particuliers et professionnels, banque 1).

Dans deux autres établissements, les entretiens étaient réalisables au niveau du siège,

mais pas de l’opérationnel. La gestion interne du projet s’avérait déjà difficile avec les

agences, et notre intervention en tant qu’élément relativement peu contrôlable à leurs yeux

risquait de provoquer des remous nuisibles au bon développement du dispositif multicanal.

271 Voir la première section du chapitre 2. 272 Ces propos ont été reconstruits après l’entretien, du fait du refus de notre interlocuteur d’être enrgistré.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

283

I.2.2.e) L’influence du terrain sur la méthodologie

Puisque l’accès aux canaux nous apparaissait primordial, il était nécessaire de faire

évoluer notre démarche (Baumard et al., 1999). Poursuivant notre apprentissage de la

recherche empirique, nous décidâmes de nous adapter à la situation et aux obstacles

rencontrés en révisant notre stratégie d’accès de deux manières simultanées :

Ø Premièrement, la méthode de recueil de données : puisque l’intégration d’un

projet semblait poser problème, et que récolter des donnés dans les directions

fonctionnelles et au plan opérationnel posait problème, il convenait de choisir

entre les deux. Le choix fut réalisé en faveur de l’opérationnel, qui s’imposait

à nous en raison de notre volonté de travailler sur l’interface entre

l’organisation et le client que constitue le canal.

Ø Deuxièmement, puisque les contacts pris à la tête des entreprises bancaires,

que ce soit dans les directions marketing, projet, développement, etc. avaient

tendance à achopper, nous avons décidé de nous réorienter vers un niveau

plus local. Il nous fallait néanmoins un contact avec une instance

décisionnaire, capable de nous accorder ce que nous souhaitions, c’est-à-dire

la possibilité d’aller dans les canaux pour y mener nos entretiens

(méthodologie peut être moins ambitieuse, mais qui s’avéra plus réaliste).

Nous avons donc recontacté le directeur régional d’une banque locale du nord de la

France, que nous avions déjà rencontré à l’occasion de notre mémoire de DEA, et à la fin de

l’année 2000. Après lui avoir remis un document lui exposant notre démarche, il nous donna

l’autorisation d’accéder au terrain. Sous son parrainage, nous avons ensuite rencontré la

responsable de l’organisation du réseau, avec laquelle furent ciblées les agences dans

lesquelles seraient menées les interviews, puis la responsable de la plate-forme téléphonique.

Entre cette autorisation et la fin de l’étude de cas exploratoire, s’écoulèrent environ dix mois

(de juin 2001 à mars 2002 pour le dernier entretien), consacrés au recueil de données. Au fur

et à mesure de leur collecte, elles firent conjointement l’objet d’une analyse succincte afin

d’améliorer la qualité du recueil sur le fond (quelles données ? quel degré

d’approfondissement de certains éléments ? etc.) et sur la forme (surmonter certains défauts

personnels dans la manière de conduire les entretiens). Nous suivions en cela les

préconisations de Miles et Huberman (1991). Cette analyse au fil de la collecte nous a aussi

permis d’établir progressivement des recoupements entre les entretiens, et d’essayer de

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

284

trouver un nouvel ancrage pour procéder à leur relecture théorique, laquelle avait pour but de

déboucher sur une grille de lecture utilisable pour de futures études de cas.

I.2.2.f) L’élaboration progressive de la grille de lecture.

Cette relecture théorique se fit par tâtonnement, différentes théories nous paraissant

susceptibles de nous aider à donner du sens à nos données afin d’élaborer un cadre d’analyse

propre aux deux études de cas ultérieures. Surpris par le rôle que semblait jouer le client dans

le fonctionnement de l’ensemble, nous avons cherché à approfondir ce thème, ce qui nous a

amené, comme nous l’avons dit, à la littérature sur la participation client. En outre, durant

cette étape de revue de littérature, nous prîmes connaissance des travaux de Gittell, par le

biais de son article du Journal of Service Research en 2002. Là encore, les liens avec nos

propres travaux nous ont semblé patents, même si le client était exclu de son analyse de la

coordination entre employés en contact. Dès lors, nous avons cherché à approfondir ses

travaux pour accorder au client la place qui était la sienne dans nos données, et combiner ce

qu’elle qualifie de « coordination relationnelle » avec la participation client. Cette réflexion

déboucha sur la grille de lecture que nous présentons à la fin de notre revue de littérature.

L’élaboration de cette grille de lecture fut suivie d’un retour sur le terrain. Sur les

recommandations d’un contact personnel, nous entrâmes en relation avec trois responsables

locaux, suivant le même schéma que précédemment. Deux aboutirent, et purent donner lieu

aux deux études de cas qui nous ont servi à vérifier l’applicabilité de notre grille de lecture, et

à l’enrichir.

I.2.2.g) En conclusion : la rationalisation « inspirée » d’un processus abductif.

Ce qui précède a pour objectif d’expliquer autant que faire se peut les différentes

étapes de la recherche, et la construction progressive de l’objet de recherche via la

construction de la grille de lecture de la réalité observée. Il eût été possible, comme nous

l’avons souligné en introduction, de procéder à l’instar de publications rattachées à

l’interprétativisme qui répondent au standard des revues nord-américaines. Ces dernières

notifient dès l’introduction l’objet de leur recherche sous forme d’une problématique, en le

positionnant généralement par rapport aux théories et courants existants. Ce genre de

présentation peut laisser penser à une structuration a priori de l’objet, comme dans une

approche positiviste (Allard-Poesi et Maréchal, 1999 : 43-44).

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

285

Notre position s’en distingue, comme le montre la description et l’analyse détaillée

que nous venons de faire de notre processus de recherche. A cela, deux motivations. La

première relève de ce que la mise à disposition du processus par le chercheur est un moyen de

vérifier la démarche mise en œuvre (Dameron, 2000 ; Eisenhardt, 1989, 1991 ; Miles et

Huberman, 2003 ; Wacheux, 1996).

La seconde s’inscrit dans le cours de la précédente. Cette description du processus

n’est autre qu’une explicitation de la rationalisation dont nous avons fait preuve durant ce

travail, dont Schatzman (1992) dit ceci : « La rationalisation n’est pas, en soi, une pensée ou

un mode opératoire de pensée qui serait rationnel au départ, c’est-à-dire d’emblée soumis à

la raison, suivant un raisonnement ou quelque procédé de ce genre, [mais] la justification a

posteriori des associations libres d’idées qui ont permis d’arriver à une compréhension

nouvelle » ( : 18). D’après Schatzman, le processus de rationalisation conduisant à la

production de connaissances scientifiques se situe donc à la croisée de deux mondes : celui de

la pensée rationnelle, et celui de l’imaginaire.

Le premier peut intervenir de plusieurs manières. En ce qui nous concerne, notre

processus de recherche est fondamentalement abductif (David, 2001b), l’abduction étant ainsi

définie par Koenig (Koenig, 1993) : « l’opération qui n’appartenant pas à la logique, permet

d’échapper à la perception chaotique que l’on a du monde réel par un essai de conjecture sur

les relations qu’entretiennent effectivement les choses » ( : 7). Mais de manière à tenir compte

du second, le monde imaginaire, nous ajoutons l’inspiration, susceptible d’intervenir à tout

moment du processus de construction de connaissances (Langley, 1999 : 707)). Nous

entendons par là que, aussi détaillée que soit l’explicitation de ce processus, il arrive toujours

un moment où le chercheur n’est pas forcément en mesure d’éclairer une étape, car celle-ci

repose sur l’intuition et l’imagination du chercheur qui cherche à donner du sens à son travail

de mise en relation entre la théorie et ses données (Langley, op.cit.).

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

286

SECTION II. LE PROCESSUS DE COLLECTE DES DONNÉES

Outre le positionnement épistémologique, la première section a exposé notre stratégie

d’accès au réel, ainsi que le processus sous-jacent à l’ensemble de ce travail doctoral. Nous

allons maintenant mettre l’accent sur la méthodologie de recueil des données des deux études

de cas présentées dans le chapitre 6.

Cette collecte s’est déroulée avec à l’esprit la nécessité d’effectuer des recoupements

permanents entre les données. La manière dont nous avons tâché d’atteindre cet objectif est

donc exposée, et à cette occasion sont rapidement introduites les méthodes de collecte

utilisées (II.1). Nous les détaillons ensuite, en accordant tout d’abord une importance

particulière aux entretiens, du fait de leur statut de principale méthode de recueil de données

dans cette recherche (II.2), auxquels succèdent l’observation et de l’étude documentaire (II.3).

II.1 LA TRIANGULATION, « UN ÉTAT D’ESPRIT »273.

Nous choisissons de traiter de la triangulation dès le début de l’explicitation de notre

collecte de données. En effet, si nous adhérons au point de vue de Miles et Huberman (2003),

pour lesquels « la triangulation n’est pas tant une tactique qu’avant tout un état d’esprit »

( :482), faire part de l’état d’esprit qui a guidé notre collecte avant de parler de cette collecte

elle-même ne semble pas illogique.

La triangulation permet d’accroître la fiabilité de l’information, et peut se faire à partir

de différentes sources de données, méthodes, chercheurs, théories, ou types de données (Miles

et Huberman, 2003274). Notre recherche s’est construite dans ce souci de trianguler à la fois les

méthodes de recueil (II.1.1), les sources (II.1.2) et les types de données (II.1.3).

II.1.1 La triangulation des méthodes de recueil de données

Yin (2003) distingue entre six méthodes de recueil de données (Tableau 5-6), qui

présentent chacune des avantages et inconvénients propres.

273 Miles et Huberman, 2003 : 482 274 Miles et Huberman reprennent les conclusions de Denzin (1978) en ce qui concerne les sources de données, méthodes, chercheurs et théories, et ajoutent le dernier.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

287

Tableau 5-6 : 6 méthodes de recueil de données et leur application à notre recherche

MÉTHODE COMMENTAIRES MOBILISÉE275

Étude documentaire

La mémoire écrite du cas peut provenir soit de l’organisation (documents officiels, lettres, rapports), soit de l’individu, soit encore avoir été produite par des entités

extérieures à l’organisation (e.g. journaux, revues spécialisées). Source essentielle de la chronologie, elle doit être systématiquement rapprochée du discours des acteurs

OUI

Enregistrement des archives

Les archives enregistrées participent au système d’information, mais nécessitent une reconstitution des

données comme la pratiquerait l’acteur NON

Entretien Les entretiens permettent de recueillir des opinions et des

analyses, mais ne peuvent être la seule méthode de recueil. Leur choix et leur forme en constituent le principal

problème

OUI

Observation directe

Méthode qui nécessite un guide de l’observation, et la mise en place d’un dispositif de contrôle de la perturbation créée

par la présence du chercheur. OUI

Observation participante

Permet la présence quotidienne du chercheur sur le terrain, mais implique souvent de masquer le travail en cours. L’enregistrement des données est confronté au même

problème que l’observation directe

NON

Artefacts physiques

Il s’agit d’outils, d’instruments, d’une pièce d’art, ou de toute autre preuve physique. Peu utilisés dans la majorité

des études de cas NON

Sources : Adapté de Yin, 2003 : 86 ; Sargis-Roussel, 2003 : 253

Ø L’analyse documentaire : elle est basée sur des documents de natures

diverses. Tout d’abord, des documents de communication interne. Puis, de

communication externe (publicités sur le lieu de vente, courriers envoyés aux

clients, etc.). Enfin, des documents externes tirés de journaux spécialisés sur

le secteur bancaire276, et de journaux à vocation d’information économique.

Ø Les entretiens : Du fait de notre volonté de comprendre et d’expliquer la

coordination des employés en contact dans un réseau multicanal, avec en

exergue l’influence que peut exercer sur eux leur perception de la

participation du client, les entretiens nous sont naturellement apparus comme

la méthode la plus adéquate pour recueillir nos données.

275 Mobilisation de cette méthode dans le cadre de ce travail doctoral. 276 Revue Banque et BanqueStratégie, pour l’essentiel.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

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Ø L’observation directe : sans avoir été réellement formalisée, elle s’est

surtout faite « à la volée ». Nous avons profité de chacun de nos passages sur

le terrain, des temps d’attente avant les entretiens, etc. pour noter tout ce qui

nous semblait en mesure d’accroître notre connaissance ou d’améliorer notre

compréhension du phénomène étudié.

Ces trois méthodes seront développées plus en détail dans la suite de cette section.

II.1.2 La triangulation des sources de données.

Selon Miles et Huberman (2003), ces sources peuvent inclure des personnes, des

périodes de temps, des lieux, etc., ce qui appliqué à notre recherche donne ceci :

Ø Les personnes : nous avons interrogé tant des acteurs purement opérationnels

(employés en contact) de niveaux hiérarchiques variés, que d’autres rattachés

à la direction générale (direction du réseau, des centres d’appels, etc.).

Ø Les canaux : les perceptions des employés travaillant sur deux types de

canaux (agences et centres d’appels) ont été recueillies et comparées.

Ø Les périodes de temps : l’étalement dans le temps des entretiens nous a

permis de vérifier la stabilité relative des résultats. De même, l’étude

documentaire s’est étalée sur toute la durée de la recherche.

II.1.3 La triangulation des types de données.

Introduite par Miles et Huberman (2003), ce mode de triangulation recoupe les

précédents, les auteurs désignant par les « types de données », un texte qualitatif, des

enregistrements, des données quantitatives. L’étude documentaire nous a permis d’accéder

tant à des textes qu’à des données quantitatives portant sur le secteur et sur les organisations

étudiées, tandis que l’enregistrement des entretiens nous permettait de conserver le discours

de nos interlocuteurs, lesquels nous ont parfois également communiqué des données chiffrées

sur lesquelles nous nous sommes appuyé pour mener à bien notre analyse.

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289

II.2 LES ENTRETIENS, PRINCIPALE ORIGINE DES DONNÉES PRIMAIRES.

La triangulation cherche à combler une attente de corroboration du chercheur à l’égard

des données qu’il collecte, dont il souhaite ainsi renforcer la fiabilité. Encore faut-il déployer

des méthodes de recueil rigoureuses à fin de comparabilité entre les données. Nos entretiens

étant à l’origine de la majorité de celles-ci, il nous paraît utile de leur consacrer la totalité de

cette sous-section, tandis que la troisième sera vouée aux deux autres méthodes, moins

utilisées et sources de moins de données.

Après avoir rapidement justifié du choix de l’entretien comme méthode principale de

recueil de donnés (II.2.1), et précisé la nature des entretiens menés (II.2.2), nous expliquons la

construction de notre guide d’entretien (II.2.3), et le choix de nos répondants (II.2.4). Enfin,

nous nous attardons sur leur déroulement (II.2.5), pour conclure sur les mesures spécifiques

au renforcement de la validité et de la fiabilité de cette méthode de recueil (II.2.6).

II.2.1 Pourquoi l’entretien ?

Classiquement, l’entretien est la méthode de recueil de données la plus importante

dans la réalisation d’une étude de cas (Yin, 2003). Permettant d’entrer dans l’intimité d’une

organisation en rencontrant les personnes qui la font vivre, et de se sensibiliser aux nuances

du contexte (Demers, 2003 : 175), nous avons également considéré qu’elle était, parmi les six

méthodes cités supra, celle qui s’approchait le plus de la démarche que nous souhaitions

initialement mettre en œuvre277. Enfin, notre positionnement épistémologique ne fut pas neutre

dans notre choix. Si il est certes mobilisable dans une perspective fonctionnaliste, l’entretien

paraît particulièrement approprié dans le cas du positionnement interprétativiste que nous

avons fait nôtre, puisque « l’objectif est de comprendre la réalité organisationnelle telle que

se la représentent les acteurs en leur demandant ce qu’ils en pensent » (Demers, 2003 : 177).

Enfin, moins invasif que d’autres formes plus participatives de recherche, il facilite également

l’accès aux entreprises (Demers, 2003), ce dont nous avons fait l’expérience.

II.2.2 Le type d’entretien utilisé.

« Procédé d’investigation scientifique, utilisant un processus de communication

verbale, pour recueillir des informations, en relation avec le but fixé » (Grawitz, 2001 : 644),

l’entretien peut être soit individuel, soit de groupe (Baumard et al., 1999). Nous n’avons pour

277 Comme nous l’expliquons p 283, notre intention première était d’adopter une démarche proche de la recherche-intervention.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

290

notre part réalisé que des entretiens individuels278. La littérature en répertorie généralement

trois formes : directif, non-directif, ou semi-directifs. Ne souhaitant pas être confiné par les

premiers, ni risquer nous perdre dans les méandres des seconds, il nous a semblé naturel de

nous orienter vers des entretiens semi-directifs, qui offrent à l’acteur de s’exprimer librement,

mais selon des thèmes préalablement définis par le chercheur (Wacheux, 1996).

Grawitz (2001) note qu’un tel type d’entretien peut être soit guidé, soit « centré »

(Merton, Fiske et Kendall, 1990, in Yin, 2003 : 90), bien que la distinction entre les deux soit

ténue (Grawitz, 2001). Néanmoins, Romelaer (2001) établit la différence entre les deux. Sa

présentation est résumée par Lepers (2003) dans le tableau 5-7. Au regard de ces critères,

nous avons réalisé des entretiens semi-directifs centrés, même si nous avons parfois dû nous

adapter à des répondants nécessitant une plus grande directivité (Baumard et al., 1999).

Tableau 5-7 : Distinction entre entretiens guidés et entretiens semi-directifs centrés

CARACTÉRISTIQUES DE L’ENTRETIEN ENTRETIEN GUIDÉ ENTRETIEN SEMI-

DIRECTIF CENTRÉ

Objectif Porte sur des questions précises,

posées à l’interviewé

« Porte sur des thèmes déterminés avant l’entretien. Ces thèmes ne

sont pas communiqués au répondant » (Romelaer, 1999)

Support de l’entretien Le guide d’entretien comprend les

questions posées Le guide de l’interviewer liste

l’ensemble des thèmes

Manière de conduire l’entretien

Précise, d’une part à partir du guide, d’autre part grâce à des

questions afin d’affiner les réponses

Plus souple. Après une entame directive, ce sont les

reformulations et les relances qui permettent d’orienter l’entretien

sur les thèmes du guide de l’interviewer.

Source : Lepers, 2003 : 195

II.2.3 Le guide d’entretien279

Le guide d’un entretien semi-directif centré liste les thèmes définis par l’interviewer,

lesquels peuvent être souplement abordés au gré du discours du répondant. Ils sont pertinents

par rapport à la littérature de recherche, à la problématique, et / ou peuvent provenir de

l’intuition (Romelaer, 2001). Dans cette recherche, l’intuition basée sur les résultats de notre

étude exploratoire nous a conduit progressivement vers la littérature adéquate à la formulation

278 A l’exception de deux d’entre eux, pour lesquels les circonstances ont fait que nous avons eu face à nous deux interlocuteurs. 279 Ou « guide de l’interviewer », Romelaer, 2001.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

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de la problématique. Trois thèmes sont centraux : la coordination, la perception de la

participation du client par l’interviewé, et les liens entre ces deux thèmes. Néanmoins, pour

les aborder, nous avons décliné le guide de la manière suivante, que nous commentons pour

en expliciter la forme et le contenu au lecteur (Tableau 5-8).

Tableau 5-8 : Guide de l’interviewer commenté

PARTIES DU GUIDE DESCRIPTION COMMENTAIRES

Présentation de

l’interviewer et de la

recherche

« Bonjour. Je m’appelle Loïc Plé, et je réalise une recherche sur le

développement des moyens d’échanges et de contact entre la banque et ses clients, ce sur quoi portera donc notre discussion. Avant de commencer, je tiens à

vous préciser que les propos que vous tiendrez seront strictement

confidentiels280 »

• Pas d’utilisation du terme canal, généralement incompris ou flou pour les interlocuteur – Objectif d’adaptation au vocabulaire de référence des interviewés.

• L’indication du sujet de la recherche n’est pas indispensable (Romelaer, 2001), mais peut néanmoins mettre l’interviewé en confiance (Nils et Rimé, 2003). Nous avons opté pour une brève présentation de l’objectif.

Phrase d’entame

Pas de phrase d’entame à proprement parler

• En rupture avec Romelaer (2001) sur ce point, nous n’avons pas utilisé de phrase d’entame au sens où il l’entend (cf. ci-dessous)

Parcours professionnel et travail quotidien de l’interviewé

• Répondant au besoin d’empathie et de création d’une relation de confiance avec l’interviewé (Demers, 2001), nous préférons débuter l’entretien par une question générale sur son travail

Gestion de l’introduction des nouveaux canaux

• L’étude exploratoire nous a permis de constater que ce thème était une source importante d’information, et constituait une bonne entrée en matière pour aborder les autres, généralement effleurés dans les réponses. Nous l’avons donc repris, en cherchant à approfondir durant l’entretien des points auxquels nous n’aurions pas pensé avant la revue de littérature281

Thèmes et sous-thèmes

du guide

Coordination entre les canaux • Un des thèmes principaux, sinon le principal. Nous avions pour objectif de passer en revue tant le design

280 La littérature recommande une uniformisation du recueil des données, avec une standardisation de la présentation de la recherche aux différents répondants. La pratique est cependant souvent plus complexe (Baumard et al., 1999), et nous avons rarement pu l’exposer telle quelle, nos interviewés posant fréquemment des questions avant le début de l’entretien sur l’objectif de notre visite et l’utilisation future de leurs propos. 281 Par exemple, nous avons cherché à savoir si les clients avaient été impliqués dans le développement et le déploiement des centres d’appels, et le cas échéant, de quelle manière et à quels stades.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

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(mécanismes et supports de ces mécanismes) de la coordination que son processus ) à partir des dimensions communicationnelles et relationnelles (perception de l’intensité des échanges d’information ou de leur précision)

Gestion des relations / contacts avec les clients

• Le recueil de cette information sur la perception par les répondants de l’état et l’évolution de leurs relations / contacts avec les clients paraît adéquate pour estimer l’importance de l’influence que ces derniers sont susceptibles d’exercer sur eux.

Clôture de l’entretien

Demande de complément d’information (« avez-vous quelque

chose à ajouter ? ») Collecte d’informations

personnelles (âge, formation, etc.) Remerciements

• La fin de l’entretien peut être une occasion d’impliquer différemment le répondant (Grawitz, 2001).

• La collecte d’informations personnelles à son égard vise à laisser l’impression que la considération apportée au début de l’entretien n’était pas une façade

• Cela peut en outre représenter une source d’informations complémentaires que l’interviewé n’a pas osé, pensé ou désiré livrer durant le cadre formel de l’entretien

A ces commentaires sur chaque partie, nous en ajoutons un dernier, plus global. Ce

guide n’est pas sans similitude avec celui de l’étude exploratoire. En effet, nous sommes

partis du principe que puisque celui-ci nous avait permis d’obtenir des données dont l’analyse

avait ensuite orienté notre réflexion, il n’était pas dénué d’intérêt pour la suite de la recherche.

Notamment, il nous permet d’approcher indirectement la perception de la participation client,

à travers des questions sur l’évolution des relations avec les clients et la coordination entre les

canaux. Notre position fut donc moins celle d’une refonte totale, que d’un aménagement et

approfondissement de chaque thème du guide, à l’instar de Sargis-Roussel (2002).

II.2.4 La constitution de l’échantillon.

II.2.4.a) Le nombre de répondants.

Le cœur du problème est de « minimiser la taille de l'échantillon sous contrainte

d’obtenir une confiance satisfaisante des résultats » (Lepers, 2003 : 178). Les études

qualitatives utilisent souvent un critère de saturation théorique (Strauss et Corbin, 1998),

supposée atteinte lorsqu’un entretien supplémentaire n’apporte plus d’information

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

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complémentaire capable d’enrichir la théorie. La mise en œuvre rigoureuse de ce principe est

difficile, sinon impossible, et c’est sur les épaules du chercheur que repose le choix de l’arrêt

de la collecte dès qu’il estime avoir atteint cette saturation (Royer et Zarlowski, 1999a). Pour

cette raison, nous avons décidé d’interrompre plus tôt le recueil de données dans le cas EFN,

sentant que nous commencions à obtenir des données trop redondantes.

La pratique de constitution d’un échantillon peut également interférer avec ce critère :

il peut arriver que le nombre de répondants soit contraint par le terrain (nombre de personnes

interrogeables à un niveau précis ; volonté de la direction ; etc.). La durée attribuée à l’étude

est également une contrainte non négligeable, de même que le nombre de chercheurs (Miles et

Huberman, 2003).

Nous allons maintenant nous pencher sur le processus et les critères de la sélection des

personnes interrogées282.

II.2.4.b) Le choix des répondants.

Il s’agit d’un choix fait sous au moins trois contraintes : la problématique, la variété, et

l’accessibilité (Demers, 2001 ; Miles et Huberman, 2003 ; Sargis-Roussel, 2000). Portant sur

la coordination d’un réseau de distribution multicanal bancaire, notre étude de terrain a

commencé par la détermination des canaux où seraient menés les entretiens. Nous avons étayé

notre choix grâce aux résultats de l’étude exploratoire et à l’analyse sectorielle, décidant de

nous intéresser principalement à la coordination entre agences et centres d’appels. Dès lors,

nous nous devions d’accéder à des répondants différents sur chaque canal, ainsi qu’à des

acteurs en charge de la gestion de l’ensemble des canaux.

Cet accès a été rendu possible par une concertation réalisée à l’issue d’entretiens avec,

dans l’un des cas, un membre de la direction du réseau, et dans l’autre, deux responsables

régionaux. Nous avons tenté de respecter, dès lors que c’était possible, la contrainte de

diversité entre les répondants (Demers, 2001) : agences réparties sur toute la région, aux

caractéristiques de marché distinctes, comptant des conseillers de formations, d’anciennetés,

et d’âges différents ; niveaux hiérarchiques différents sur les catégories de canaux étudiées,

etc. Sargis-Roussel (2002) complète ce critère de diversité par celui d’homogénéité283 entre les

répondants d’un même site, afin de retirer des données comparables entre les sites284.

282 Le détail des interviewés est précisé en annexe 6. 283 Au niveau des profils et du nombre de répondants 284 Contrairement à Miles et Huberman (2003), qui assimilent un site à un cas, nous faisons une distinction entre

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

294

Enfin, une fois les choix conjointement effectués, nous disposions des coordonnées

des acteurs à contacter pour planifier les entretiens, sans que n’interfèrent en aucune façon les

responsables qui avaient participé à ce choix. Si nous admettons ne pas avoir pleinement

maîtrisé la constitution de l’échantillon, nous pensons avoir assuré une diversité suffisante

entre les répondants, même si notre connaissance partielle des deux banques et de leurs jeux

politiques constitue une limite susceptible d’avoir biaisé cette phase.

II.2.5 La conduite des entretiens.

II.2.5.a) Leur déroulement.

D’après Wacheux (1996), « l’entretien est une situation anormale pour les deux

participants » ( : 205). Ce constat n’est pas totalement exact dans notre situation. D’un côté,

en tant que chercheur qualitatif, il s’agit d’une situation à laquelle nous sommes régulièrement

confronté. Mais surtout, de l’autre côté, la majorité de nos interviewés sont quotidiennement

en situation d’entretien (commercial ou de conseil) avec leurs clients. Pour eux, nos entretiens

se singularisent, outre leur nature, par une inversion des rôles, compte tenu de ce que ce sont

eux qui mènent habituellement l’entretien, alors qu’ils prennent ici la place du répondant.

La réussite de l’entretien repose sur la capacité de l’interviewer d’écouter activement

son interlocuteur, de s’y adapter, et de le mettre en confiance. Le guide d’entretien, explicité

supra, a été élaboré avec l’objectif d’instaurer cette confiance dès la prise de contact initiale,

et de l’entretenir par la suite grâce à une démarche empathique, en nous adaptant par exemple

au vocabulaire de notre interlocuteur, ou aux connaissances qu’il possédait (Nils et Rimé,

2003). Le type d’entretien retenu, relativement flexible, a facilité cette démarche. Ainsi, si

tous les thèmes furent abordés pendant tous les entretiens, il arriva qu’ils soient plus ou moins

développés en fonction de la contribution que pouvait apporter la personne à laquelle nous

faisions face.

Ces précautions comportementales de la part de l’interviewer, si elles peuvent

améliorer la qualité des données recueillies (Baumard et al., 1999), n’en restent pas moins

insuffisantes pour relever les défis et risques inhérents à cette méthode de recueil.

les deux. Ainsi, l’appellation « site » renvoie pour nous à une agence, à un centre d’appels, etc., tandis que l’appellation « cas », à chaque entreprise étudiée.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

295

II.2.5.b) Risques et précautions méthodologiques inhérentes au déroulement des entretiens.

Parmi les risques pouvant miner la qualité de l’entretien et des données qui en

proviennent, nous en retenons quatre auxquels nous avons été confrontés, et que nous avons

cherchés à limiter en prenant les précautions méthodologiques présentes dans le tableau 5-9.

Tableau 5-9 : Risques et précautions méthodologiques correspondantes pour améliorer la qualité de l’entretien

RISQUES DÉFINITIONS PRÉCAUTIONS MÉTHODOLOGIQUES

La fuite (Grawitz,

2001 : 659)

Tentative de dérobade, ou dérobade, de la part de

l’interviewé pour ne pas répondre à la question

(refus de répondre, porte claquée au nez, excuse polie, mensonge…).

• Rassurer le répondant sur l’utilisation de ses propos et son anonymat

• Reformuler la question, soit immédiatement, soit en l’insérant plus tard de façon naturelle dans l’entretien

• Scinder la question en plusieurs sous-questions pour arriver au but de manière détournée

La rationalisation

(Grawitz, 2001)

Justification par l’interviewé de son attitude

par une explication à laquelle il croit, mais ne correspondant pas à la

réalité

• Recouper les propos avec d’autres sources (documents, entretiens antérieurs…)

• Reformuler « naïvement » : donner l’explication que l’on pense correspondre à la réalité, en faisant semblant de ne pas comprendre l’explication de son interlocuteur285

Le parrainage (Baumard et

al., 1999 : 242)

Possibilité d’accéder à un terrain, de contacter des

acteurs, sur la recommandation d’un

membre de l’organisation

• Recourir à des parrains différents • Prouver son statut de chercheur extérieur à

l’organisation286 • Rappeler l’absence de tout mandat ou salaire de

la part de l’organisation

La contamination (Baumard et

al., 1999 : 244)

Risque d’influence directe ou indirecte d’un acteur sur un autre durant le processus de recueil des données. Soit

intragroupe (entre les acteurs interviewés), soit découlant du parrainage

(choix des répondants, etc.)

• Interroger les acteurs d’un même site dans un laps de temps réduit287

• S’assurer de pouvoir intervenir sur le choix des répondants (fixation de critères précis, proposition, etc.)

• Demander au parrain, en cas d’intervention directe auprès des futurs interviewés, de rester vague sur le contenu de l’entretien

285 Cette technique est très risquée, car elle peut braquer l’interviewé et le bloquer dans ses réponses. Il est préférable de l’utiliser de manière asynchrone, par exemple après avoir recoupé les informations, et avoir envoyé le compte-rendu d’entretien pour vérifier si le répondant maintient sa version. 286 Dans le cas d’une thèse, Lepers (2003) conseille de montrer sa carte d’étudiant au début de l’entretien 287 En ce qui nous concerne, nous nous sommes arrangés pour réaliser tous les entretiens d’une même agence sur une ou deux journées, en fonction du nombre d’interlocuteurs et de leur emploi du temps.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

296

Bien que ne garantissant pas la réussite de surmonter ces risques, ces techniques se

sont avérées précieuses dans notre phase de réalisation d’entretiens. Notons que nous aurions

également pu y mentionner l’absence de souvenirs, ou la faible remémoration par les

interviewés relativement à certaines questions, mais ne l’avons pas fait dans la mesure où ce

risque est supposé être limité par notre démarche permanente de triangulation.

II.2.6 Validité et fiabilité méthodologiques de la méthode

de recueil par entretiens.

Enfin, en sus de ces précautions méthodologiques que nous avons assignées à la

conduite des entretiens, il convient de mentionner qu’ont été utilisées trois autres techniques

visant à renforcer la validité et la fiabilité des données issues des entretiens.

La première est l’enregistrement et la retranscription288 de l’intégralité des entretiens,

aucun des interviewés ne s’y étant opposé. Yin (2003 : 92) revient sur les dangers inhérents à

cette démarche, desquels nous étions conscients, notamment celui d’une écoute moins active

de la part de l’interviewer, donc d’un recueil de moindre qualité. Ces enregistrements et

transcriptions sont à l’origine de l’essentiel de l’analyse de données. La seconde est

l’utilisation de notes de synthèse (Miles et Huberman, 2003), dont la plupart prirent la forme

de comptes-rendus envoyés aux interviewés pour validation, modification ou infirmation de

leurs propos. La troisième, enfin, est la tenue d’un journal de recherche (Wacheux, 1996),

compilation de notes prises après chaque contact terrain, résumant la nature du contact, notre

état d’esprit et celui de notre interlocuteur tel que nous le percevions, les conditions de

réalisation de l’entretien, et les éventuels propos tenus après l’arrêt de l’enregistrement.

II.3 LES DEUX AUTRES MÉTHODES DE RECUEIL : OBSERVATION ET

ÉTUDES DOCUMENTAIRES.

En complément ont été mobilisées deux autres méthodes de recueil, source de

moindres quantités de données que les entretiens : de l’observation non participante tout

d’abord, réduite à la portion congrue, et dont nous traitons rapidement (II.3.1) ; puis de

l’étude documentaire, dont l’apport en quantité de données fut nettement supérieur à

l’observation (II.3.2).

288 A propos de la retranscription, nous donnons quelques conseils qui peuvent permettre de gagner du temps en annexe 7, de même que quelques conseils généraux d’utilisation des outils bureautiques permettant de gagner du temps vis-à-vis de certaines tâches répétitives.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

297

II.3.1 L’observation

L’observation se démarque de l’entretien en ce qu’elle permet de « saisir sur le vif

l’expérience des individus au quotidien » (Groleau, 2003 : 213). En cela, elle nous fut utile

dans l’optique de triangulation qui a guidé la collecte de données. Elle fut toutefois réduite ici

à peu de choses, puisque nous avons passé une demi-journée sur un centre d’appels, afin

d’avoir une meilleure connaissance de la manière dont travaillaient les téléconseillers. En

parallèle, nous avons également suivi les conseils de Yin (2003) en mettant à profit les temps

d’attente289 entre les entretiens dans les agences et dans les centres d’appels, pour observer le

comportement de la clientèle et celui des personnels de guichet et des conseillers, ainsi

qu’examiner précisément l’organisation physique des locaux. Notes que nous avons ensuite

pu mettre en regard des propos des interviewés, et même parfois utiliser directement au cours

de l’entretien lorsqu’un élément nous avait interpellé. Cette technique de recueil fut par

ailleurs très utile pour identifier certaines des techniques de socialisation organisationnelle

déployées par les banques sur le lieu de vente, et leur utilisation par les différentes agences.

II.3.2 L’étude documentaire.

L’étude documentaire diffère des deux autres méthodes de recueil en ce qu’elle assure

la collecte de données secondaires. Elle peut renvoyer à l’utilisation de sources d’origines

diverses et présentées sur des supports différents (Yin, 2003). Wacheux (1996) distingue pour

sa part entre sources internes et externes à l’organisation. Le tableau 5-10 recense les

documents qui ont alimenté notre étude documentaire. Les cas auxquels ils se rapportent sont

précisés entre parenthèses.

289 Ceux-ci furent parfois non négligeables, s’élevant jusqu’à une heure dans une agence, et atteignant en moyenne une dizaine de minutes avant chaque entretien.

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298

Tableau 5-10 : Les documents utilisés dans cette recherche

ORIGINE CATÉGORIE NATURE DU DOCUMENT

Organisationnelle interne

• Compte rendu de réunion de groupe transversal aux canaux (BCR290)

• Description des procédures de gestion du multicanal (BCR) • Compte-rendu d’appel téléphonique envoyé par les plates-

formes aux agences (BCR et EFN) • Typologie des clients (BCR) • Statistiques d’activité de la plate-forme (BCR) • Mails d’information sur l’évolution des procédures (BCR) • Supports de présentation de la plate-forme (EFN) • Présentation sur internet des entreprises et de leur organisation

/ stratégie (BCR et EFN)

Interne aux

banques étudiées

Organisationnelle externe291

• Publicité sur le lieu de vente (BCR et EFN) • Courriers envoyés aux clients (EFN)

Externe Journalistique • Journaux professionnels (Revue Banque et BanqueStratégie ;

The Banker) • Journaux d’information économique (Les Echos, La Tribune)

Source : Format adapté de Wacheux, 1996.

Ces sources doivent toujours être replacées dans un contexte historique,

organisationnel, stratégique, et comparées les unes aux autres, et aux données recueillies

autrement pour en saisir la signification (Wacheux, 1996). A ce propos, nous faisons un bref

aparté concernant la littérature traitant de l’étude documentaire. Les quelques références que

nous avons consultées (Baumard et al., 1999 ; Wacheux, 1996 ; Yin, 2003) ne paraissent pas

traiter des documents destinés aux clients. Or, ces derniers nous semblent avoir une puissance

explicative très importante292. Ils nous furent en tout cas très utiles pour relier les propos de

nos interlocuteurs à la stratégie de l’entreprise et à son mode de fonctionnement.

290 Comme nous l’avons dit, BCR et EFN sont des pseudonymes, les deux établissements nous ayant demandé la confidentialité. 291 Cette catégorie renvoie à de la documentation organisationnelle générée à destination des clients de l’entreprise. 292 Sous-entendu : en fonction de la problématique de recherche.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

299

SECTION III. L’ANALYSE DES DONNÉES RECUEILLIES

Nous sommes maintenant en possession de nos données, récoltées suivant le processus

et à l’aide des méthodes précédemment explicitées. Par conséquent, la suite logique est de

procéder à leur analyse, pour enfin leur donner du sens et apporter des réponses aux questions

que nous soulevons. La nature de la recherche et des données recueillies exige à nouveau que

soient décrits et explicités le processus et les méthodes d’analyse retenus et déployés.

Dans une recherche qualitative, le recueil de données accouche d’une masse

considérable de données, dont la réduction est un préalable nécessaire à leur interprétation.

Cette réduction peut être réalisée grâce à l’élaboration d’un dictionnaire des thèmes, qui

permettra le codage des données durant l’analyse de contenu de chaque entretien (III.1). Une

fois cette étape derrière nous, il est alors possible de procéder aux recoupements nécessaires à

fin d’analyse au sein de chacun des deux cas, et entre ceux-ci (III.2).

III.1 LE DICTIONNAIRE DES THÈMES AU SERVICE DE L’ANALYSE DE

CONTENU.

Nos données existent principalement sous forme écrite et discursive, du fait des

méthodes privilégiées pour leur recueil. L’élaboration d’un dictionnaire des thèmes, que nous

explicitons ci-après, est donc particulièrement utile, sinon indispensable, pour les organiser et

en avoir une vision affinée (III.1.2). Première phase du processus analytique, elle est rapport

avec le type d’analyse retenu (III.1.1), dont la mise en œuvre passe notamment par une

activité de codage et de synthèse (III.1.3). Enfin, la fiabilité de ce processus se doit d’être

évaluée (III.1.4).

III.1.1 Une analyse de contenu thématique.

La littérature recense une multitude de possibilités d’analyse des données qualitatives

(Allard-Poesi et al., 1999). Nous avons pour notre part opté en faveur d’une analyse de

contenu, que Bardin (Bardin, 2001) définit comme « un ensemble de techniques d’analyse des

communications » ( : 35). Ce n’est donc pas « un instrument, mais [plutôt] un ensemble

d’outils » (ibid.), parmi lesquels il faut faire son choix en fonction de la nature des données

récoltées et des objectifs de la recherche.

Nous avons choisi de mener, selon les termes de Bardin, une analyse catégorielle

thématique, par opposition à l’analyse catégorielle lexicale (Bardin, 2003). Cette dernière

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

300

s’attache à la structure linguistique, à la richesse et à la nature du vocabulaire utilisé. Elle se

veut d’inspiration quantitative, par le recours notable à des calculs de fréquence (Allard-Poesi

et al., 1999).

L’analyse thématique, pour sa part, a comme unité d’analyse la portion de phrase, la

phrase entière ou un groupe de phrases, ce qui permet d’avoir une compréhension des

perceptions que les acteurs expriment dans leur discours sans scinder les faits ou concepts

qu’ils mobilisent pour cela. Les objectifs de notre recherche, et dans une certaine mesure

notre positionnement interprétativiste, nous ont conduit à adopter cette approche. En effet,

nous nous intéressons à la perception des acteurs interrogés quant à la coordination du réseau

de distribution multicanal auquel ils appartiennent, et plus particulièrement à l’impact de leur

perception de la participation de leurs clients sur cette coordination. Ce choix cadre avec les

recommandations de Allard-Poesi et al.. (1999).

III.1.2 L’élaboration du dictionnaire des thèmes.

Les thèmes peuvent être considérés comme des unités de sens agrégées à un niveau

supérieur à partir de propriétés communes, dans une optique de construction d’ensembles

distincts et, à l’idéal, clairement délimités (Bardin, 2003). Le dictionnaire des thèmes

regroupe donc l’ensemble des thèmes qui sont utiles au traitement des données par codage.

Ces thèmes ne surgissent pas ex nihilo. Ils sont susceptibles d’émerger des données

étudiées, dans le cadre de procédures de recherche proches de la théorie enracinée (Strauss et

Corbin, 1998). Mais ils peuvent aussi provenir du cadre conceptuel mis en place par le

chercheur à l’issue de sa revue de littérature, dont les thèmes sont dans ce cas originaires

(Miles et Huberman, 2003). Dans la démarche abductive qui est la nôtre, nous nous plaçons à

mi-chemin entre ces deux perspectives inductive et déductive (Allard-Poesi, 2003 ; Mbengue

et Vandangeon-Derumez, 1999), situation dont conviennent d’ailleurs aisément Miles et

Huberman (2003).

Notre recherche mobilise les cinq thèmes suivants : Contexte ; coordination ;

participation client ; nature de l’échange ; socialisation organisationnelle. La grande majorité

d’entre eux, de leurs propriétés et des composantes de ces propriétés proviennent de la

littérature293. Ainsi, sur les trente-trois codes qu’ils forment, seuls sept ont une origine

exogène à la littérature. Quatre ont émergé de notre étude exploratoire. Tout d’abord, les trois

293 L’annexe 8 présent le dictionnaire des thèmes, ainsi que l’origine de ces derniers.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

301

propriétés du thème « contexte », comme nous l’avons expliqué dans le second chapitre. Puis,

la composante « indulgence » de la propriété « processus » du thème « coordination », qui a

elle-aussi été déjà explicitée.

Deux ont émergé des études de cas BCR et EFN : la composante « reconnaissance »

de la propriété « processus » du thème « coordination », qui exprime la perception qu’ont les

employés en contact à l’égard du travail fourni par leurs collaborateurs. Puis la propriété

« employés » du thème « socialisation organisationnelle », qui résulte de notre observation de

ce que, en sus des techniques de socialisation organisationnelles instaurées par l’entreprise,

certains employés en développaient de nouvelles, ou déviaient les techniques existantes pour

les mettre en ligne avec leurs besoins dans les relations clients.

Une dernière (les inputs relationnels) résulte enfin d’une construction théorique que

nous avons faite dans notre troisième chapitre, à partir de l’analyse des résultats de cette

même étude exploratoire.

Chaque thème est subdivisé de manière plus ou moins fine selon le degré de précision

que nous permettaient d’atteindre à la fois la littérature et le terrain suivant le processus que

nous venons d’expliciter. Mais aussi, et même surtout, en fonction de son importance dans

notre cadre conceptuel. Ainsi, la finesse des thèmes est corrélée à leur importance pour

répondre à notre problématique et nos propositions de recherche, ce qui justifie du degré de

décomposition des thèmes « coordination » et « participation ». De surcroît, ces thèmes

révèlent une cohérence interne entre le cadre conceptuel et les données recueillies (Lepers,

2003). En effet, le prolongement du cadre théorique par cette « grille catégorielle » de lecture

(Bardin, 2003 :253) nous place dans de bonnes conditions pour améliorer la précision de notre

compréhension des données (Mbengue et Vandangeon-Derumez, 1999).

Enfin, les définitions que nous leur avons attribuées viennent également soit de la

littérature, soit de notre interprétation du discours des acteurs ou des documents analysés.

III.1.3 La mise en œuvre de l’analyse.

III.1.3.a) L’analyse durant la collecte de données.

Suivant les conseils de, entre autres auteurs, Miles et Huberman (2003), nous avons

débuté l’analyse durant la collecte de données. Cela nous notamment a permis d’améliorer la

manière dont nous menions les entretiens, en constatant que parfois, certains des thèmes

abordés ne l’avaient pas été suffisamment en profondeur. Nous avons également pu

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

302

commencer à mettre en évidence certaines relations possibles entre les thèmes, qu’il nous

fallait néanmoins explorer plus avant, sans nous arrêter à nos pressentiments initiaux.

Cette première phase d’analyse, concomitante au recueil, s’est faite selon le principe

de lecture flottante prôné par Bardin (2001), et dont elle écrit ceci : « [elle] consiste à se

mettre en contact avec les documents d’analyse, à faire connaissance en laissant venir à soi

des impressions, des orientations […] Petit à petit, la lecture devient plus précise en fonction

d’hypothèses émergentes, de la projection sur le matériel de théories adaptées, de

l’application possible de techniques utilisées sur des matériaux analogues » ( : 126). Réaliser

cette lecture flottante durant le recueil des données ne nous a toutefois pas empêché, bien

évidemment, de nous replonger dans des entretiens antérieurs lorsque nous avions

l’impression que des ressemblances ou divergences entre ceux-ci se faisaient jour. Cela a

donné lieu à une importante prise de notes, dont certaines rédigées directement lors de la

transcription des entretiens, parfois très courtes, et généralement intégrées directement aux

entretiens, au niveau des passages concernés par ces remarques, mais dans une couleur

différente pour les repérer plus facilement et rapidement.

Cette façon de travailler et d’appréhender nos données fut très importante, et nous

rejoignons Lepers (2003) lorsqu’il explique que, dans le cadre de sa recherche, cette phase fut

des plus enrichissantes. En effet, même si ce document retrace de façon linéaire notre

processus de réflexion, son déroulement « réel » se caractérise, comme nous l’avons expliqué,

par un mode de raisonnement abductif. L’évolution même de la revue de littérature et du

cadre conceptuel a été parfois guidée, outre les résultats de notre étude exploratoire, par cette

analyse « au fil de l’eau », de même que le dictionnaire des thèmes.

Les résultats finaux se ressentent de cette première étape, comme le soulignent Miles

et Huberman (2003) : « Dès le début de la collecte des données, l’analyste qualitatif

commence à décider du sens des choses, il note les régularités, les ‘patterns’, les explications,

les configurations possibles, les flux de causalité et les propositions. Le chercheur compétent

garde un esprit ouvert et critique. Il ne s’arrête pas à ces conclusions. Toutefois, elles sont

toujours là, d’abord vagues et informes, puis de plus en plus explicites et enracinées, pour

reprendre l’expression classique de Glaser et Strauss (1967). Les conclusions ‘finales’

peuvent n’apparaître qu’une fois la collecte de données terminée, en fonction du volume de

notes de terrain, des méthodes utilisées pour le codage, le stockage et le recouvrement, du

degré de sophistication du chercheur, et des exigences du commanditaire, mais elles ont

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

303

souvent été pressenties depuis le début, même lorsque le chercheur déclare avoir procédé

‘inductivement’ » ( : 30).

III.1.3.b) La phase de codage.

L’analyse des données se poursuit en disséquant le contenu des diverses documents

(entretiens, notes internes, documents de communication externe, notes personnelles issues de

l’observation, etc.) à l’aide du dictionnaire des thèmes. Cette phase de codage, c’est-à-dire de

« processus d’identification et d’affectation d’un ou plusieurs passages de texte ou d’autres

données (par exemples, des parties d’une image) pour illustrer la même idée théorique ou

descriptive » (Gibbs, 2002 : 58) a elle-aussi démarré durant le recueil. Nous avons donc

commencé à coder les premiers entretiens tandis que nous n’avions pas fini de tous les mener.

Cette façon de faire a également participé de l’enrichissement de notre dictionnaire des

thèmes, comme expliqué précédemment.

Ce codage thématique a débuté avec la version 2 du logiciel d’analyse Nvivo, puis fut

poursuivie à l’aide de la version 7. Ce codage a suivi les préconisation de, notamment,

Deschenaux et Bourdon (2005), et Gibbs (2002). Ainsi, partant du principe que le discours

des acteurs est riche et naturellement porteur de significations ou de concepts différents,

plusieurs extraits de texte ont fait l’objet d’un codage multiple. Pour cette raison, certains de

nos verbatims illustrent parfois des éléments différents lors de la restitution des résultats.

L’un des avantages majeurs de Nvivo 7, outre son ergonomie améliorée, est de

permettre facilement la mise en relation de deux thèmes et / ou de leurs propriétés, et

d’illustrer cette mise en relation par des sections de texte correspondantes. Aussi, à mesure

que nous avons progressé dans nos données, avons-nous pu nous constituer un corpus de

relations particulièrement utile à la compréhension générale de l’ensemble des données, et

améliorant notre capacité à leur donner du sens.

Enfin, pour avoir une vision plus synthétique de chaque entretien, nous avons réalisé

une synthèse d’une à deux pages reprenant les principaux thèmes tels qu’ils étaient abordés

par le guide d’entretien, et non directement par le dictionnaire des thèmes. En effet, la plupart

de ces synthèses a été adressée aux interviewés correspondants pour validation. Or, notre

guide d’entretien abordait indirectement les thèmes de la coordination et de la participation,

comme nous l’avons expliqué plus haut. Nous avons donc cherché à mettre en avant dans ces

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304

synthèses les thèmes de notre dictionnaire, mais en utilisant une structure respectant celle du

guide d’entretien294.

Le tableau 5-11 récapitule linéairement la mise en œuvre de l’analyse de données.

Tableau 5-11 : Récapitulatif de la mise en œuvre de l’analyse de données

PHASE COMMENTAIRE Lecture flottante –

Analyse « au fil de l’eau » Concomitante au recueil de données et à la transcription des

entretiens

Élaboration du dictionnaire des thèmes Construction abductive, fortement ancrée dans la littérature

Codage des documents Utilisation de Nvivo 2, et surtout Nvivo 7

Synthèse de chaque document 1 à 2 pages à destination des interviewés pour validation

III.1.4 Fiabilité de l’analyse.

Un moyen d’asseoir la fiabilité de l’analyse est de décrire précisément le processus et

les techniques mobilisées pour mener cette analyse (Drucker-Godard et al., 1999), ce que

nous nous sommes efforcé de faire auparavant. Un autre moyen est de s’assurer de la fiabilité

du codage. D’après les travaux de Weber295 (1990), trois critères permettent cela : la stabilité,

la précision, et la reproductibilité (Tableau 5-12).

Tableau 5-12 : Trois critères de la fiabilité du codage

CRITERE DEFINITION

Stabilité Niveau de similarité des résultats du codage lorsque les données sont codées par le codeur à plusieurs reprises

Précision Mesure de la proximité entre le codage d’un texte et un codage standard

Reproductibilité Encore appelée fiabilité inter-codeurs – Niveau de similarité des

résultats du codage lorsque les données sont codées par des chercheurs différents du codeur initial

Source : Adapté de Weber (1990), in Sargis-Roussel (2002)

Si ces trois critères sont utilisables, Weber (1990) explique cependant que la mesure

de la précision est rarement réalisée, en raison de la difficulté d’obtenir un codage standard

294 Un exemple de synthèse d’entretien telle que remise à ces interviewés figure en annexe 9. 295 Présentés par Sargis-Roussel (2002).

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

305

pour un texte donné. Pour cette raison, nous n’avons pas utilisé ce critère, contrairement à

ceux de stabilité et de reproductibilité.

Les taux de stabilité et de reproductibilité se mesurent tous les deux à l’aide de la

même formule (Miles et Huberman, 2003 : 126) :

Pour éviter de recoder de mémoire, nous avons laissé s’écouler entre 1 à 2 mois entre

le codage initial et le second codage. Ce dernier a été réalisé sur la base des 10 premières

pages de plus de la moitié de nos entretiens. Le taux de stabilité que nous avons atteint selon

cette procédure est d’environ 89 %.

En ce qui concerne la fiabilité inter-codeurs, qui permet d’évaluer la reproductibilité

des résultats de la recherche, nous nous sommes inscrits dans la lignée de Miles et Huberman

(2003), qui conseillent que l’échantillonnage doit se faire sur 5 à 10 pages des premières

transcriptions. Nous avons réalisé ce double codage sur les 10 premières pages de la moitié de

nos entretiens296, choisis de manière aléatoire. Le taux de fiabilité inter-codeurs obtenu est

d’environ 83%, là où Miles et Huberman s’attendent à un taux proche de 70%.

III.2 L’ANALYSE INTRA ET INTER-CAS.

La phase d’analyse de contenu est indispensable, car elle a posé les fondements de nos

analyses intra-cas (III.2.1) et inter-cas (III.2.2).

III.2.1 L’analyse intra-cas.

L’utilisation de Nvivo 7 s’est révélée d’une aide précieuse dans la réalisation de cette

analyse intra-cas. Celle-ci correspond en fait à une analyse inter-site, d’après la terminologie

que nous avons retenue précédemment, puisqu’il s’agissait de recouper entre les résultats

obtenus dans chaque agence, chaque plate-forme, les entretiens menés aux sièges, etc.

Nous avons donc pour cela fait usage plusieurs outils de Nvivo 7, qui sont venus

utilement compléter l’activité de codage.

296 Nous remercions Isabelle Cornu-Lefebvre pour nous avoir aidé dans cette tâche.

Nombre d’accords

Nombre total d’accords + Désaccords

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

306

En premier lieu, l’outil « Queries » nous a permis de créer différentes catégories de

matrices. L’avantage de l’utilisation d’un logiciel comme Nvivo dans la création et la

manipulation de matrices est multiple. Tout d’abord, il offre une multiplicité de présentations.

Il est en effet possible d’afficher dans les matrices soit le nombre d’entretiens dans lequel

apparaît un thème particulier, soit le nombre d’occurrence de ce thème sur l’ensemble des

entretiens retenus, etc. Ensuite, l’accès aux verbatims est facilité, puisqu’il suffit de double-

cliquer sur une cellule pour avoir le contenu des verbatims qu’elle contient à disposition. Par

ailleurs, la réorganisation des lignes / colonnes est aisée, de même que le filtre des données (il

est par exemple possible de demander à ce que n’apparaissent que les entretiens d’où le code

recherché est absent) et une option supplémentaire permet de teinter les cases en fonction de

la fréquence d’occurrence du thème. La comparaison entre les entretiens de chaque cas a donc

été facilitée par l’utilisation de cet outil297.

Couplé à cet outil, nous avons recouru à la fonction « Sets » de Nvivo. Cette fonction

nous a permis de créer des ensembles correspondants pour chacun à ce que nous avons appelé

site. De cette manière, nous avons pu à la fois comparer les résultats de chaque entretien du

site à ceux de l’ensemble du site. Nous avons également pu comparer les sites entre eux, avec

toujours une facilité d’accès aux verbatims qui permettait de revenir au matériau de base en

permanence. En effet, les matrices générés par Nvivo 7 comportent, nous l’avons dit, des

indications chiffrées à partir desquelles pourrait être menée l’analyse des données. Il s’agit

alors de faire de l’analyse quantitative de données qualitatives (Bardin, 2001). Cependant, tel

n’était pas là notre objectif premier. Ce repérage quantitatif nous a surtout permis de limiter la

distorsion naturelle liée à notre perception du cas, et à notre intimité avec les données. Par

exemple, alors que nous procédions à l’analyse de contenu des entretiens d’une agence, il

nous a semblé que l’opinion du personnel y travaillant vis-à-vis de la plate-forme entrante

était plus influencée par le client que dans d’autres caisses. Cette analyse quantitative nous a

permis de vérifier qu’il n’en était rien, et que la différence était somme toute minime.

L’analyse quantitative fut donc beaucoup plus un simple guide jalonnant l’analyse qualitative

des données, que sa pierre angulaire.

Les matrices n’ont pas uniquement été bâties autour des codes de notre dictionnaire

des thèmes, ni les sets, des entretiens réalisés. Nous avons repris les relations mises en

évidence au cours de l’analyse de contenu, et les avons également mises sous forme de

matrices et de sets. Au niveau des matrices, tout d’abord, nous avons pu comparer les 297 Nous avons mis en annexe 10 un exemple de matrice utilisé.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

307

entretiens entre eux en fonction des relations qu’ils contenaient. Ensuite, nous avons regroupé

les relations par ensembles (sets) : un ensemble dédié aux relations entre la participation client

et les mécanismes de coordination, un autre, aux relations entre la participation et le processus

de coordination, etc. Par exemple, nous avions donc un set nommé « BCR processus vers

processus », qui nous permettait d’afficher en un seul coup d’œil la totalité des relations

contenues dans le cas BCR qui mettaient en évidence des liens entre les composantes et les

dimensions du processus de coordination. Ces ensembles ont à nouveau servi à composer des

matrices par entretien et par site298. Nous avons donc pu avoir des visions plus globales à la

fois par entretien, et par sets d’entretiens, de ces relations, et nous assurer d’une meilleure

compréhension et connaissance de nos données.

Enfin, nous avons repris l’outil « Modèles » de Nvivo 7, pour construire et représenter

schématiquement de véritables chaînes de causalité et / ou d’associations entre un nombre

plus important de variables (Mbengue et Vandangeon-Derumez, 1999), à l’image de ce que

nous avions fait pour l’étude exploratoire (cf. p. 107). Ceci nous a permis de passer outre la

limite de l’outil « Relations », qui ne permet que d’établir des liens entre deux variables

(codes), alors que la réalité s’avère souvent plus complexe.

III.2.2 L’analyse inter-cas.

L’analyse inter-cas diffère assez peu de la manière dont nous avons mené l’analyse

intra-cas. Ceci peut se comprendre par le fait que, pour chaque cas, nous avons au fur et à

mesure comparé les sites entre eux pour aboutir à nos résultats finaux.

Nous avons donc reproduit le même type de matrices, utilisé les relations, les sets et

les modèles de Nvivo pour comparer les cas entre eux de la même façon que nous avions

comparé les entretiens et les sets entre eux dans l’analyse intra-cas. Cette analyse a donc

généré de nouvelles matrices et de nouveaux modèles, dont le changement fondamental par

rapport à l’analyse intra-cas est qu’ils permettaient de comparer le cas BCR au cas EFN.

Enfin, la structure rédactionnelle (un plan similaire) retenue pour chacun des cas vise

également à nous faciliter cette comparaison. Elle a facilité l’élaboration d’une matrice

comparative commentés des résultats entre les deux cas299.

298 L’annexe 11 illustre les propos tenus ici. 299 Disponible en annexe 12.

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Chapitre Cinquième – Positionnement épistémologique et méthodologie de la recherche

308

EN CONCLUSION DU CHAPITRE CINQUIÈME… Des études de cas selon un positionnement interprétativiste

Ce pénultième chapitre a levé le voile sur notre positionnement épistémologique et les

modalités de recueil et d’analyse de nos données. Ses trois aspects majeurs sont les suivants :

Ø Nous avons déployé une stratégie d’accès au réel basée sur le recours à des

études de cas menées suivant une posture interprétativiste ;

Ø Bien que recourant essentiellement aux entretiens, la phase de recueil de

données s’est déroulée en ayant en permanence à l’esprit la nécessité de

trianguler les méthodes, les sources et les types de données ;

Ø La clé de voûte de l’analyse a résidé dans le dictionnaire des thèmes, qui

couplé à l’utilisation du logiciel d’analyse de données Nvivo 7, nous a

permis de construire des matrices comparatives facilitant l’analyse intra et

inter-cas, et de dégager les relations entre les thèmes.

Cette phase d’explicitation de la construction de notre recherche et des méthodes

qu’elle mobilise constituait un préalable indispensable à la présentation des résultats des deux

études de cas, sur la voie desquels nous nous engageons dans le chapitre suivant.

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Chapitre Sixième – Études de cas

309

CHAPITRE SIXIÈME : ÉTUDES DE CAS

Le but de ce sixième et ultime chapitre est de restituer les résultats de deux études de

cas réalisées suivant la méthodologie précédemment explicitée. Lesdites études s’inscrivent

dans un projet de recherche dont la problématique et les propositions de recherche sont les

suivantes (Encadré 5) :

Encadré 5 : Rappel de la problématique et des propositions de recherche

PROBLÉMATIQUE

Dans quelle mesure la participation client influence-t-elle la coordination des employés en contact dans un réseau de distribution multicanal ?

PROPOSITIONS DE RECHERCHE

1. Le client est à l’origine d’interdépendances entre les employés en contact

2. Le client influence le recours aux mécanismes de coordination

3. Le client influence le processus de coordination entre les employés en contact.

4. La nature de l’échange (relations vs pseudo-relations) module l’influence qu’exerce le client sur l’employé en contact

5. Mécanismes et processus de coordination sont liés du fait des rôles de filtre / catalyseur joués par le client.

Les deux premières sections correspondent à la présentation des résultats de chacun

des cas. Nous commençons par ceux de la Banque Coopérative Régionale (BCR), et

poursuivons avec ceux de l’Établissement Financier National (EFN). Notons que la nature de

notre problématique nécessite une analyse dans leur ensemble tant des mécanismes que du

processus de coordination, tout en replaçant au fur et à mesure l’influence du client sur cette

coordination.

Enfin, dans une troisième et dernière section, nous procédons à une comparaison des

résultats entre les deux cas. Cette dernière étape est l’occasion d’une confrontation de nos

résultats avec la théorie, ainsi que d’une analyse des défis sectoriels liés à la distribution dans

la banque de détail.

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Chapitre Sixième – Études de cas

310

SECTION I. LE CAS BANQUE COOPÉRATIVE RÉGIONALE

(BCR)

L’étude de ce cas suit la trame suivante. Après avoir présenté l’entreprise (I.1), nous

nous attachons à l’analyse des interdépendances entre les canaux (I.2), puis des mécanismes

de coordination qui gèrent ces interdépendances (I.3), avant de passer au processus de

coordination entre les canaux (I.4). Vient ensuite l’étude des liens entre mécanismes et

processus de coordination (I.5). Nous achevons ce cas par une discussion et interprétation des

résultats (I.6).

I.1 PRÉSENTATION DE L’ENTREPRISE

A une présentation très générale de l’entreprise (I.1.1), succèdent l’explication de la

stratégie et de l’organisation du multicanal à la BCR (I.1.2), la présentation du personnel

opérationnel des différents canaux étudiés (I.1.3), et le contexte de l’instauration du réseau de

distribution multicanal (I.1.4).

I.1.1 Présentation générale de la BCR.

La Banque Coopérative Régionale (BCR) fait partie d’un ensemble plus vaste

d’entités constituantes d’un groupe bancaire national. Elle est présente dans sept départements

répartis sur trois régions du nord de la France, ainsi qu’en Belgique et au Luxembourg. Elle

est caractérisée par une structuration par pôles (bancassurance, entreprises, etc..) autour d’une

caisse fédérale qui est à la tête du réseau.

Ses points de vente, au nombre de 230 environ, comptent plus d’un million de clients,

et sont divisés entre des caisses locales et des bureaux, ces derniers étant des entités plus

petites rattachées aux premières. Les caisses, pour leur part, disposent d’une certaine

autonomie, chacune établissant un compte de résultat et un bilan indépendants. En

péréquation financière, ces caisses reversent par ailleurs une partie de leur résultat à leur

organisme fédéral, dont elles détiennent la totalité du capital. Le capital de ces caisses, enfin,

est lui-même détenu par les sociétaires300 de la BCR.

300 Est considéré comme sociétaire toute personne physique ou morale ayant souscrit au moins quinze parts sociales incessibles et soumises à l’agrément du conseil d’administration.

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Chapitre Sixième – Études de cas

311

I.1.2 Le multicanal à la BCR.

Nous passons d’abord en revue les différents canaux de la BCR, à l’organisation

desquels nous nous intéressons rapidement, avant de préciser le caractère stratégique de leur

développement.

I.1.2.a) Les différents canaux utilisés à la BCR.

La nature des canaux utilisés par la BCR ne diffère pas beaucoup de ceux que

proposent leurs concurrents : des points de vente ; un centre d’appels entrants (composé de six

plateaux géographiquement distincts) et sortants (un seul plateau) ; un serveur vocal

interactif ; des distributeurs et guichets automatiques ; un site Internet ; des services de

télévision interactive ; et finalement, des services sur téléphone mobile. Le réseau de

distribution multicanal qu’ils composent est organisé comme suit :

Ø Les points de vente : comprenant les caisses locales et les bureaux, ils sont

naturellement rattachés à la direction du réseau.

Ø Les plates-formes entrantes : assimilées à de grosses caisses locales, elles

dépendent également de la direction du réseau, car « le personnel qui est sur

le plateau est du personnel à profil bancaire. Donc, leur métier c'est la

banque, et il a été considéré effectivement qu'elles seraient mieux en étant

rattachées à la direction du réseau qu'à une direction marketing » (BCR

Siège 01). Elles ont des horaires d’ouverture plus étendus que ceux des points

de vente, et sont ouvertes 6 jours sur 7.

Ø Les activités de banque à distance : incluant le serveur vocal interactif, le

site Internet, le minitel, les services mobiles et plus largement tout ce qui

permet d’échanger à distance, elles sont regroupées au sein de la direction du

marketing et du développement, en charge du marketing stratégique et

opérationnel.

Ø La plate-forme sortante : a contrario, la plate-forme sortante est décrite par

son directeur comme une entité juridique distincte de la BCR, dont elle est

une filiale sous la forme d’une SAS301.

Dans le cadre de cette recherche, nous nous sommes principalement limités à l’analyse

de la coordination entre les points de vente et les deux centres d’appels entrants et sortants, 301 Société par Actions Simplifiée.

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Chapitre Sixième – Études de cas

312

pour les raisons que nous avons déjà expliquées et sur lesquelles nous ne reviendrons donc

pas ici. En particulier, à fin de comparabilité entre les cas, l’accent sera surtout mis sur les

liens entre points de vente et centre d’appels entrants302

Cette organisation se veut pensée comme étant « au service des caisses », comme nous

allons le voir.

I.1.2.b) La stratégie de développement du multicanal de la BCR : au service des caisses locales.

Notre deuxième chapitre analyse les raisons du développement du multicanal dans la

banque de détail, auxquelles la BCR ne déroge pas (économies, amélioration de la qualité

globale de service, etc.). En outre, ce changement s’inscrit dans une profonde volonté de la

part de l’établissement d’externaliser une part croissante de l’activité non génératrice de

PNB303 (à faible valeur ajoutée) sur le client. Aussi, à partir de la fin des années 1990 (1998 /

1999), des points de vente de la BCR arrêtèrent de délivrer des espèces à leurs clients, les

orientant vers un distributeur automatique, mettant au besoin à leur disposition une carte

dédiée à cette seule opération. Des employés de la banque avaient alors pour mission de

montrer à ces clients l’utilisation des machines, de les convaincre de leurs avantages, et de

leur vendre une carte qui les rendrait encore plus autonomes par la suite.

Dans ce large cadre d’externalisation sur le client, la banque déploya deux entités

chargées pour l’une, d’émettre des appels téléphoniques, pour l’autre, d’en assurer la

réception. La première, mise sur pied en 1999, se veut un support au développement

commercial de la BCR, puisqu’allégeant le personnel des points de vente de la prise de

rendez-vous, et s’occupant de la gestion d’événements (fin d’un crédit ou plan épargne, etc.).

Elle compte une quinzaine d’employés permanents, et recourt occasionnellement à du

personnel temporaire.

La seconde vit le jour progressivement, entre septembre 2000 et juillet 2003, en

réponse à des études montrant que le taux de pertes d’appels en caisses locales était d’environ

25%. Elle est constituée de six plateaux téléphoniques ouverts 6 jours sur 7, dont les durées

d’ouverture sont supérieures à celles des points de vente. Ces plateaux sont répartis sur les

sept départements où est présente la BCR (à l’inverse du centre d’appels sortants qui ne

compte qu’un seul plateau), sur lesquels travaillent un total de 160 employés. Ce déploiement

302 La banque EFN ne disposant pas réellement, nous y reviendrons, de centre d’appels sortants. 303 PNB : Produit Net Bancaire – l’équivalent du chiffre d’affaires de la banque.

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Chapitre Sixième – Études de cas

313

sur les sept départements répond à la préoccupation de tenir compte des différences de

clientèles entre les départements, et d’être donc « au plus proche du terrain » (BCR PFE 01).

Cela n’empêche toutefois que ces six plateaux soient interconnectés afin d’optimiser la

gestion du flux global d’appels304. Au moment de notre étude, ces plateaux traitent 75 à 80%

des demandes de la clientèle, les 20% restants faisant soit l’objet d’un rappel par le conseiller,

soit d’un transfert d’appel de la plate-forme vers le point de vente.

D’emblée, la mission de ces centres d’appels entrants et sortants fut clairement définie

comme celle d’un support vis-à-vis des caisses : « on est un prestataire de services pour le

réseau », qui vise à « simplifier la vie du client et de la caisse » (BCR PFE 01). Ce qu’appuie

le membre de la direction du réseau que nous avons rencontré :

« Il n'y a, chez nous, aucune ambiguïté possible. Tout ce qui est fait est fait au profit de notre

réseau »; « L’objectif est d’alimenter le réseau en rendez-vous » ( BCR Siège 1).

« La première relation, c'est la caisse locale, banque de proximité, hein, ça c'est une volonté

affirmée » (PFE 01).

Dans cette optique de simplification, néanmoins, les caisses conservent une certaine

liberté vis-à-vis de leurs clients. Elles sont en effet habilitées à transmettre un numéro direct à

certains de leurs clients, si elles pensent que cela est nécessaire pour assurer la bonne

continuité de la relation. Consigne est cependant donnée de diffuser ce numéro avec une

parcimonie extrême, pour ne pas recréer les problèmes auxquels la plate-forme entrante

apporte une réponse.

Cette stratégie de mise à disposition des caisses locales des centre d’appels est

également valable pour l’ensemble des autres canaux, le réseau restant indéniablement la

figure de proue distributive de la BCR. Mais cette philosophie que nous pourrions résumer à

« tous pour le réseau » (et pour le client) traduit des réalités organisationnelles différentes

pour chacun des deux centres d’appels vis-à-vis du réseau, comme nous l’avons souligné.

304 En d’autres termes, si un client appelle la plate-forme de Lille alors qu’elle est embouteillée, il voit son appel réorienté de manière totalement transparente vers une autre plate-forme du groupe. Cette solidarité entre les plates-formes permet également de faire plus facilement face à des imprévus en termes de gestion du personnel (absentéisme, etc.).

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Chapitre Sixième – Études de cas

314

I.1.3 La répartition du personnel opérationnel.

A l’image de ce que nous avons fait pour l’étude exploratoire, nous utilisons à

nouveau la dichotomie conseiller / téléconseiller pour distinguer entre le personnel en contact

des points de vente et celui des plates-formes, même si la réalité des premiers est plus

complexe. Ainsi, le tableau 6-1 présente les caractéristiques principales des employés que

nous avons rencontrés en points de vente.

Tableau 6-1 : Les différents postes dans les points de vente de la BCR.

DÉNOMINATION DU POSTE CARACTÉRISTIQUES

Chargé de relation clientèle

Assure l’accueil physique des clients dans l’agence, réalise des opérations de base, repère et transmet les potentialités commerciales, promeut

l’utilisation des automates et services de banque à distance Objectifs commerciaux sur la vente de produits simples

Pas de portefeuille de clients

Attaché commercial (AC)

Chargé de prospection téléphonique et physique en banque et assurance Gère un portefeuille de clients restreint, car transmet progressivement ses clients recrutés par prospection à un CCP dans un délai d’un an environ

Chargé de clientèle particulier (CCP)

Gère un portefeuille d’environ 400 clients, pour lesquels sont traitées à la fois des activité de banque (prêts, épargne, gestion de compte, etc.…) et

d’assurance (IARD) Doit recevoir l’ensemble des clients de son portefeuille au moins une fois

dans l’année

Responsable de marché particulier

(RMP)

Rattaché au responsable de point de vente, il anime et manage l’équipe de conseillers clientèle particuliers du point de vente

Gère un portefeuille de clients restreint

Responsable de point de vente

Animateur et gestionnaire du point de vente Gère un portefeuille de clients très réduit, essentiellement composé de

professionnels

Les effectifs des plates-formes entrantes sont de leur côté majoritairement issus des

points de vente, à 75% environ. Les 25% restants sont un mélange entre personnel

anciennement affecté à des services centraux administratifs, des nouveaux embauchés ou des

personnes en contrats de qualification. Les personnes qui y travaillent sont donc dotées, pour

la plupart, d’une certaine expérience de la relation client de face-à-face, et connaissent le

fonctionnement d’une caisse locale. Enfin, la plate-forme sortante est composée de

téléprospecteurs d’origines variées, sans connaissance particulière du secteur, et n’ayant pas

travaillé en caisse locale auparavant.

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I.1.4 Le contexte du développement du multicanal.

À la mise en place du multicanal, qui s’est étalée sur plusieurs années et dont le

déploiement se poursuit, ont coïncidé les événements suivants :

Ø La BCR a fortement développé son activité assurance, ou plus exactement de

bancassurance, depuis 1998. Cela a entraîné une charge de travail

supplémentaire conséquente pour les employés des points de vente,

notamment sur le plan administratif.

Ø Parallèlement, un nouvel outil informatique a été développé et mis à

disposition des conseillers pour favoriser leur efficacité commerciale.

Ø L’organisation physique des caisses locales a été revue, à l’instar de ce qu’ont

fait les concurrents, de manière à mettre en avant le libre-service bancaire

(distributeurs et guichets automatiques).

Ø Une organisation par marché a été mise en place, en remplacement de

l’ancienne organisation par type d’activité (placements, crédits, risques, etc.),

pour réellement instaurer une relation globale entre conseillers et sociétaires,

avec l’obligation pour ceux-là de rencontrer ceux-ci au moins une fois par an.

Ø Enfin, les caisses locales sont passées d’un traitement de flux des demandes

de sociétaires à une régulation de ces demandes, traduisant la volonté de la

BCR de faire travailler les conseillers sur rendez-vous, d’où notamment la

mise en place de ces centres d’appels.

I.2 L’ANALYSE DES INTERDÉPENDANCES ENTRE LES CANAUX DE LA

BCR.

L’analyse de ces interdépendances se déroule en trois étapes. A une brève description

des outils qui permettent d’assurer ces interdépendances (I.2.1), succède l’analyse de leur

nature et intensité (I.2.2). Enfin, nous nous intéressons aux mécanismes de leur génération,

qui mettent en avant le rôle que joue le client à ce niveau (I.2.3).

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Chapitre Sixième – Études de cas

316

I.2.1 Les outils au service des interdépendances.

Avant de nous intéresser à la nature et l’intensité des interdépendances entre les

canaux de la BCR, il nous paraît naturel de préciser les outils que nous avons identifiés

comme en étant les supports. Nous nous limitons ici à leur simple description, les modalités

de leur utilisation étant approfondies tout au long de ce cas. Ces différents outils sont les

suivants :

Ø L’agenda partagé : C’est la pierre angulaire du fonctionnement de

l’ensemble du réseau de distribution multicanal de la BCR. Les deux plates-

formes et les caisses partagent le même agenda, qui reste néanmoins celui du

conseiller, les centres d’appels étant chargés de l’alimenter en rendez-vous.

Cet agenda fonctionne sur la base de codes couleurs différenciés, qui

indiquent notamment si les centres d’appels peuvent ou non prendre des

rendez-vous pour le conseiller. Ce dernier peut aussi s’en servir pour notifier

à la plate-forme entrante qu’il attend un appel du client afin de s’assurer du

transfert de l’appel, en recourant à un code particulier.

Ø La fiche d’information sur la caisse : il s’agit d’un outil dont dispose la

plate-forme, qui l’informe des particularités générales de la caisse (conseillers

présents, fonctions, horaires d’ouverture de la caisse, etc.).

Ø La messagerie : Après l’agenda, il s’agit vraisemblablement de l’outil le plus

important. L’ensemble des informations récoltées par la plate-forme entrante

de la part des clients transite par cette messagerie interne, qui vient alimenter

une boîte de réception Outlook commune à l’ensemble de la caisse, avant que

les messages ne soient répartis dans les boîtes de réception de chaque

conseiller.

Ø Le téléphone : Les échanges téléphoniques entre les canaux sont très

ponctuels, et ne surviennent que dans le cas où un client qui appelle la plate-

forme entrante doit être transféré à la caisse, ou dans des situations qui

nécessitent un transfert d’informations pour un ajustement rapide. Les

conseillers peuvent aussi l’utiliser, mais le font très rarement, si ils souhaitent

faire remonter une information, ou signaler un dysfonctionnement.

Ø Les échanges de face-à-face : Ils sont restreints. Leur survenue intervient

lors de l’organisation de visites du personnel des caisses sur la plate-forme,

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Chapitre Sixième – Études de cas

317

du passage en caisse de responsables de plate-forme, ou encore de réunions

communes aux canaux.

Ø Les documents de communication interne : Leur utilisation est de plus en

plus réduite au profit de l’intranet. Nous ne nous attarderons donc pas dessus.

Ø L’intranet : Principal vecteur de la communication interne, l’intranet de la

BCR permet aux canaux d’être informés des évolutions de la banque, de

communiquer des informations sur leur fonctionnement et leurs évolutions,

etc.

I.2.2 Nature et intensité des interdépendances.

Nous avons repris pour analyser ces interdépendances la distinction que fait la

littérature entre interdépendances « pooled » (que nous appellerons dès maintenant les

couplages de communauté305), séquentielles et réciproques. Nous n’avons pas cherché à

mesurer l’importance respective de chaque type d’interdépendance, ce qui aurait nécessité une

méthodologie différente. Cela ne nous a pas pour autant empêché de mettre au jour trois types

d’interdépendances entre les canaux306.

I.2.2.a) Les couplages de communauté.

Nous commencerons par les couplages de communauté. Sans chercher à effectuer de

pondération, comme nous l’avons dit, nous pouvons néanmoins supposer qu’il s’agit du type

d’interdépendance le plus important. En effet, le centre d’appel entrant traite environ 80% des

appels, indépendamment de tout contact avec les caisses, comme nous l’a indiqué le

responsable de l’ensemble des centres d’appels. Quant au centre d’appels sortants, la grande

majorité de ses appels n’aboutit pas sur des rendez-vous, rendant son activité là encore

grandement indépendante des caisses. Les caisses, pour finir, assurent la majeure partie de

leurs missions sans liens avec les plates-formes.

305 Reprenant ainsi la traduction que fait Romelaer dans Mintzberg (1982). 306 L’identification de ces types d’interdépendances s’est faite indirectement par l’activité de codage. Nous avons utilisé la possibilité que nous offrait Nvivo d’annoter le contenu des entretiens codés pour, au fur et à mesure de l’analyse, indiquer la présence d’interdépendance, d’où l’absence d’un thème spécifique dans notre dictionnaire des thèmes.

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Chapitre Sixième – Études de cas

318

I.2.2.b) Les interdépendances séquentielles.

Nous avons également identifié des interdépendances de type séquentiel entre les

canaux pris deux à deux. En effet, les caisses sont interdépendantes des centres d’appels

entrants et sortants, lesquels sont totalement indépendants les uns vis-à-vis des autres. Des

interdépendances séquentielles surviennent donc lorsque, par exemple, la plate-forme entrante

transfère l’appel du client sur la caisse, ou envoie à la caisse de l’information que le client a

mis à sa disposition.

Le sens de ces exemples est du type : plate-forme vers caisse, ce qui est apparemment

le plus fréquent. Mais d’autres exemples surviennent également en sens inverse. Ainsi, les

caisses peuvent envoyer à la plate-forme, à travers leur agenda, une information selon laquelle

un client doit les contacter, et que le client doit leur être automatiquement transféré.

I.2.2.c) Les interdépendances réciproques.

Les interdépendances réciproques sont apparemment peu nombreuses. Elles semblent

survenir essentiellement en cas de problèmes ou de dysfonctionnements. En effet, les caisses

n’ont a priori pas de raison de contacter les plates-formes, même si elles en ont la capacité et

l’autorisation. Elles ont pour cela à leur disposition certains des outils listés précédemment,

comme le téléphone ou la messagerie. Ainsi, un conseiller jugeant absconse une information

transmise par un téléconseiller suite à un échange téléphonique avec un client peut recontacter

la plate-forme pour l’éclaircir.

I.2.2.d) Le choix du niveau d’analyse.

Ainsi, il nous a semblé que les interdépendances réciproques étaient moindres que les

deux autres. Mais en réalité, nous pensons que tout va dépendre en fait du niveau d’analyse.

Si l’on se situe au niveau d’un seul contact avec le client, dans ce cas, la décomposition de

l’interdépendance se situe au niveau d’un événement unique. Cette vision correspond à celle

développée par de nombreux auteurs dans la littérature (Thompson, 1967 ; Van de Ven et al.,

1976).

Néanmoins, si l’on considère la relation entre l’entreprise et le client, laquelle passe

par les différents canaux de distribution, la notion d’interdépendance séquentielle est moins

nette. En effet, le conseiller qui se trouve en caisse alimente au fur et à mesure de ses

échanges avec ses clients une fiche client informatisée partagée avec les autres canaux. Cette

information est exploitable, et souvent exploitée, par les téléconseillers de la plate-forme

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Chapitre Sixième – Études de cas

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entrante pour traiter la demande d’un client qui les contacte, résultat de la demande qui

alimente ensuite la connaissance qu’a le conseiller de son client en vue des prochains

contacts. Le changement du niveau d’analyse fait que la frontière est alors ténue entre les trois

types d’interdépendances. A l’extrême, tout pourrait être considéré comme interdépendances

réciproques, si l’on s’intéresse à l’ensemble de la relation, car les canaux entretiennent des

échanges permanents dont l’objectif est de satisfaire le client.

I.2.3 La génération des interdépendances.

Suivant notre cadre conceptuel, nous nous concentrons ici sur le rôle que joue le client

dans la génération de ces interdépendances. Dans un second temps, nous constaterons de

quelle manière la nature et l’historique de l’échange sont susceptibles de moduler cette

influence du client sur la génération d’interdépendances.

I.2.3.a) L’influence du client sur la génération des interdépendances.

I.2.3.a.(1) Le rôle du client dans la création des plates-formes entrantes

La création des centres d’appels entrants de la BCR est l’aboutissement d’une

réflexion basée sur un constat : un nombre considérable d’appels perdus par les caisses307.

« Le point de départ de ça, c'était un constat qui était fait où il y avait quand même beaucoup

d'appels qui étaient perdus en caisses locales auparavant, parce qu'on était amené à perdre

environ 25 % des appels, soit un appel sur quatre qui aboutissait pas. Parce que la caisse

était fermée, réduction des horaires, les 35 heures […] parce que les sociétaires appelaient

en dehors des heures d'ouverture, ou appelaient le midi » (BCR PFE 01)

Cette perte très importante, et reconnue par tous, posait d’importants problèmes, tant

économiques, organisationnels, et in fine impactait négativement la satisfaction de l’ensemble

des clients. De ceux qui appelaient, tout d’abord, puisque n’ayant pas de réponse. De ceux

présents en caisse pour un rendez-vous avec leur conseiller, ensuite, le personnel étant en

permanence obligé de couper l’entretien pour répondre à un maximum d’appels, le service

d’accueil téléphonique de la caisse étant débordé. Cette situation était par ailleurs génératrice

d’un niveau important de stress et d’inconfort pour les conseillers.

307 Dès ce moment, la partie révélatrice de ce que nous voulons montrer dans nos verbatims est soulignée. L’impossibilité de les détacher de leur contexte, à but de compréhension, fait que les verbatims sont nécessairement plus longs que ces parties soulignées.

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Chapitre Sixième – Études de cas

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L’importance et la croissance permanente de ce nombre d’appels s’expliquaient par le

désir d’un grand nombre de clients d’avoir des informations sur leurs comptes, de réaliser des

opérations simples en s’assurant qu’elles l’étaient par leur conseiller, etc.

« Quand on était en entretien, on avait le téléphone qui sonnait sans arrêt parce que le

guichet au bout d’un moment est saturé […] donc vous êtes obligé de prendre, et vous êtes

avec un client en train de lui monter un crédit consommation, de lui parler d’assurance vie, et

que vous décrochez, et que bonjour madame, je voudrais savoir si les ASSEDIC ou la CAF

sont arrivés, c’est vrai que c’était très embêtant, c’était tout le temps » (BCR GAMB 01).

« Ce que ça donnait avant, c’est qu’on était un standard. La personne qui se trouvait au

guichet, en l’occurrence, moi je l’ai fait pendant 3 mois, c’était très pénible, c’est à dire

qu’on devait répondre pas mal au téléphone. Face à vous vous avez des clients, de l’autre

côté au bout du fil, vous avez d’autres clients, qui veulent savoir où en sont leurs comptes

bancaires, si ils sont à découvert, pas à découvert, ce qui est passé, c’est des questions

banales, alors qu’il y a le minitel, il y a Internet, il y a le téléphone, ils pouvaient le faire

d’eux-mêmes, mais ils avaient une démarche systématique d’appeler. Ce qui fait qu’on était

pas mal dérangés, nous, conseillers de clientèles, en entretien, et le guichet, c’était infernal,

c’était un véritable standard » (BCR ST MAUR 01).

Les clients généraient donc un nombre considérable d’appels sans valeur ajoutée, qui

venaient polluer le temps de travail des conseillers, dont l’intervention n’était pourtant pas

absolument nécessaire. En d’autres termes, leur comportement productif était en décalage

avec ce que la BCR en attendait pour un fonctionnement optimal. Nous pouvons donc

considérer que ce sont les inputs comportementaux introduits par les clients dans l’obtention

de leur service par leur banque qui sont à l’origine, d’une certaine manière, de la nécessité de

la création de la plate-forme entrante. Or, sans plate-forme, pas d’interdépendances entre

caisses et plate-forme.

Finalement, l’anticipation de ces mêmes inputs comportementaux a également

influencé le choix de la tarification du numéro, qui de par son coût pour les clients permet de

réguler la durée des appels. Cette participation financière (inputs financiers) régule ces

comportements qui étaient anticipés.

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Chapitre Sixième – Études de cas

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« Ils ont effectivement choisi de faire un numéro pas gratuit, un numéro indigo, en disant que

si il était gratuit, les gens appelleraient encore plus, parce que forcément ils payent pas, là ils

payent, donc ils sont un peu plus concernés par les appels, ils essaient de faire court » (BCR

GAMB 03).

De ce fait, nous pouvons dire que les clients sont, initialement, à l’origine des

interdépendances, quelle qu’en soit la nature, entre centres d’appels entrants et caisses. Mais

qu’en est-il dans le quotidien du fonctionnement du réseau de distribution multicanal ?

I.2.3.a.(2) L’influence quotidienne du client sur la génération d’interdépendances entre les canaux.

L’activité des différents canaux n’est possible (comme pour toute activité de service),

que si le client est présent. En d’autres termes, les tâches que doivent accomplir les employés

des canaux n’existent que si le client y prennent part plus ou moins activement308. Par ailleurs,

nous pouvons considérer que le client est un facteur essentiel de la génération des

interdépendances entre les canaux, quelles qu’elles soient. Le discours de nos interviewés est

d’ailleurs révélateur de ce que c’est le client qui est au cœur de leur génération.

« On nous a changé nos serveurs téléphoniques, donc on a changé carrément de numéros de

téléphone, et ce jour là, ça a été le calme plat, c’était fantastique, il y avait pas d’applsl (elle

sourit en disant cela). C’était assez marrant d’ailleurs. Du jour au lendemain, la coupure

était assez impressionnante » (BCR ST MAUR 01)

Ce verbatim donne un exemple de la génération d’une interdépendance type couplage

de communauté par les clients : le renvoi des appels des clients vers la plate-forme fait que les

tâches générées par les appels des clients peuvent être traitées indépendamment des caisses.

Néanmoins, cela induit que les clients doivent accepter les nouvelles modalités de la prise de

contact avec leur banque. Leur refus de ces modalités est alors susceptible de générer des

interdépendances réciproques ou séquentielles, génération qui peut s’expliquer à l’aune de

leur participation, comme le montre le tableau 6-2 ci-dessous qui relie la nature de

l’interdépendance aux déterminants et aux inputs de la participation du client.

308 Dans le cas contraire, la littérature parle uniquement de « potentialités de service » ou de « capacités de service » (Eiglier et Langeard, 1987 : 16).

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Chapitre Sixième – Études de cas

322

Tableau 6-2 : L’influence de la participation client sur la génération d’interdépendances séquentielles et réciproques dans le cas BCR

INTERDÉPENDANCE VERBATIMS

NATURE DE L’INFLUENCE

DU CLIENT « Le téléphone c’est quand la personne insiste vraiment pour nous avoir » (BCR PORT 01)

« Si un client insiste pour avoir un rendez-vous hors plage, ils le prennent, mais là, ils envoient en même

temps un message » (BCR MAD 02)

Inputs comportementaux

« Les gens ont pas non plus envie de tout raconter à quelqu'un qu'ils connaissent pas » (BCR BOUL 01)

Volonté de participer

« Des fois, le sociétaire, il se dit aussi, je vais pas non plus tout dévoiler au téléphone, parce qu’il y a aussi

beaucoup de gens qui mettent en avant le coût. Le coût de l’appel, 0820, même si il est indiqué, qui

essaient d’abréger au maximum. Parce qu’ils savent que ça coûte cher, quoi » (BCR BOUL 01)

Inputs financiers

Volonté de participer

Séquentielle

« Lorsque le client appelle et qu’il dit, mais il le dit pas toujours, qu’il dit ce qu’il veut et ce qu’il

recherche, on a le message, qui nous dit ce qu’il veut » (BCR GAMB 01)

Volonté de participer

Inputs mentaux

« Une dame qui appelle 3 fois alors qu’on avait un courrier parce que elle nous avait donné l’ordre de faire un virement et elle nous avait pas communiqué la totalité du RIB. Donc on retourne le courrier en disant donnez nous les coordonnées complètes pour envoyer le virement. La plate-forme rappelle pour dire, vous devez appeler, vous, à la société où vous

devez envoyer les fonds, pour savoir le RIB exact où il faut envoyer les fonds. Je dis attendez, on a envoyé un

courrier pour savoir le RIB complet, on va pas téléphoner à la société où il faut envoyer les fonds

pour connaître le RIB » (BCR MAD 04)

Inputs mentaux

Réciproque

« Ça arrive que les caisses nous contactent directement […] ça reste relativement rare, mais ça

arrive à partir du moment où le message est pas forcément pas clair, souvent parce que le client n'a

pas donné assez d'informations. Enfin donc il est pas clair, et il renvoie un nouveau message en demandant

un petit plus d’explications. De temps en temps, ça arrive qu’on prenne le téléphone et qu’on rappelle directement, pour s’en expliquer » (BCR PFE 02)

Inputs mentaux

Dès lors, si le couplage de communauté se veut l’état naturel d’interdépendance, le

client peut modifier cet état de fait, soit en affichant son refus de participer, ce qui renvoie au

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Chapitre Sixième – Études de cas

323

déterminant « volonté de participer », soit en ne transmettant pas, volontairement ou non,

l’ensemble des informations nécessaires au traitement de sa demande au téléconseiller qui

réceptionne son appel (inputs mentaux). La qualité des informations qu’il transmet intervient

donc dans la génération d’interdépendances. Il peut aussi être rebuté par d’autres facteurs, tels

le coût de l’appel (inputs financiers), ou enfin être très insistant, voire afficher clairement son

hostilité, à l’égard de son interlocuteur pour que son appel soit transféré auprès de son

conseiller (inputs comportementaux).

Certaines des caractéristiques individuelles des clients, bases de la segmentation (âge,

CSP, etc.), permettent aussi de distinguer entre des clients qui tentent d’influencer la

génération d’interdépendances dans un sens ou un autre. Ainsi, les clients plus âgés et les

clients dits haut de gamme, semblent avoir un comportement qui va dans le sens d’un

remplacement des couplages de communauté par des interdépendances séquentielles (ils

préfèrent avoir l’agence en passant par la plate-forme que d’être obligés de répondre à la

plate-forme). D’autres catégories de clients, enfin, ont un comportement qui renforce le

couplage de communauté, en ce qu’ils préfèrent utiliser la plate-forme. Ceux-ci représentent

apparemment une nette majorité de la clientèle, aux dires des interviewés.

« Ça passait bien, à part une tranche d’âge un peu élevée » (BCR ST MAUR 02)

« Le client qui a un gros portefeuille, il va vouloir que vous le rappeliez rapidement parce

qu’il s’estime, il estime qu’il vous a beaucoup donné, il veut qu’on le privilégie un petit peu,

et de toute façon il faut qu’on le privilégie un petit peu » (BCR GAMB 01)

« C’est une population urbaine, ils rentrent tard le soir, donc ils trouvent que les horaires des

banques, ben c’est leurs horaires à eux de travail » (BCR ST MAUR 01)

Enfin, des clients qui refusent les modalités participatives exigées par cette nouvelle

situation développent même des stratégies de contournement de la plate-forme, afin de

reprendre en main leur relation avec leur conseiller. En pareille situation, nous nous

retrouvons en présence d’un renforcement du couplage de communauté, mais dans un sens

opposé à celui auquel la banque souhaite parvenir, puisque les opérations du client sont alors

réalisées en agence, canal de distribution plus coûteux que le centre d’appels.

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Chapitre Sixième – Études de cas

324

« Alors, la déviance du système, c'est des gens qui viennent directement, et puis des gens qui,

par Internet, en disant, ben rappelez-moi, ou j'ai un petit renseignement à vous demander,

est-ce que vous pouvez me rappeler » (BCR BOUL 01).

« Les gens qui habituellement avaient pris le pas de la plate-forme, téléphonaient

systématiquement à la plate-forme […] ben ils ont pris la décision de ne plus téléphoner, et

de venir ici au guichet » (BCR PORT 04).

« Il y en a certains qui sont plus enclins par contre à passer par le mail, parce que là ils

paient pas » (BCR ST MAUR 02).

Ces verbatims expriment l’arbitrage que réalise le client entre les différents types de

participation qui s’offrent à lui, et des inputs qui sont liés à ces participations. D’un côté, le

client est prêt à payer pour appeler la plate-forme (inputs financiers), dont il doit accepter les

modalités de la participation, c'est à dire schématiquement donner les informations

nécessaires au traitement de sa demande au téléconseiller (inputs mentaux). D’un autre côté, il

refuse d’appeler la plate-forme, et préfère se déplacer (inputs physiques) pour faire la même

opération, ou envoie un e-mail qui lui permet d’éviter la dépense qu’aurait induit l’appel à la

plate-forme, mais présuppose qu’il est équipé pour utiliser ce mode de communication

(capacité).

I.2.3.a.(3) L’orientation du client par des techniques de socialisation organisationnelles.

Pour faire face à ces comportements productifs qui limitent l’efficacité de son

dispositif, la BCR utilise diverses techniques de socialisation organisationnelles.

Tout d’abord, au moment de la bascule des appels sur la plate-forme, les clients ont

reçu des courriers les informant du changement de numéro de téléphone, des horaires de la

plate-forme, etc. Des informations ont aussi été insérées aux relevés de compte.

De plus, une carte plastifiée, au format carte de crédit, résumant toutes les

informations de la plate-forme (numéro de téléphone, horaires, niveau prévisible d’attente en

fonction des jours / heures, demandes qu’elle peut traiter, coût, etc.) est mise à la disposition

des clients dans les caisses. Des affiches et de la publicité sur le lieu de vente (PLV) sont

aussi régulièrement déployées pour rappeler l’existence de la plate-forme, et les avantages

qu’elle apporte aux clients, notamment en termes de disponibilité par rapport aux caisses. La

BCR demande enfin à ses conseillers de faire en permanence œuvre de pédagogie auprès de

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Chapitre Sixième – Études de cas

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leurs clients pour justifier de l’existence de la plate-forme, et de la nécessité de ce qu’ils lui

transmettent les informations dont ils disposent.

« Ben, premièrement, essayez de le mettre dans la peau de si il était en rendez-vous. Lui dire,

voilà, aujourd'hui on a une plate-forme, c'est vrai qu'on nous a pas directement, mais si vous

étiez dans mon bureau avec le téléphone sonne trois fois, je suis sûr que ça va pas vous

plaire... Donc ça, ça passe bien. Et puis, la plage horaire. Si ils veulent appeler le lundi, ils

peuvent appeler le lundi. Si ils veulent appeler en rentrant du boulot, parce que les horaires

d'ouverture sont assez larges, ils peuvent. Et puis, on a une petite carte avec les horaires, qui

est là... Il suffit de le vendre, donc il y a le numéro, et puis les plages horaires, avec en fait, en

rouge, ben, c'est là où il y a le plus de trafic, et puis les gens, ça leur permet d'appeler un peu

plus tranquillement »(BCR BOUL 01).

Le contexte stratégique dans lequel évolue la BCR, que les conseillers sont amenés à

évoquer vis-à-vis des clients qui menacent de clôturer leur compte du fait de la mise en place

de cette plate-forme, peut également être interprété comme une forme de technique de

socialisation organisationnelle. Cela fait en effet prendre conscience aux clients de la

nécessité de s’adapter à cette nouvelle donne, qui risque d’être identique quel que soit

l’établissement bancaire vers lequel il se dirigera.

« D'ailleurs, quand on est un peu curieux, on s'aperçoit que les plates-formes téléphoniques,

au niveau bancaire, on doit pas être les seuls. Je sais pas s'il en a beaucoup qui n'utilisent pas

la plate-forme. Donc, comme argument de fuite, bon... Ou alors, des fois, on peut s'en amuser,

en disant, ben ouais, allez-y, allez en face, vous verrez si leur plate-forme est mieux que la

nôtre, donc les gens sont un peu refroidis » (BCR BOUL 01)

Ce contexte stratégique favorise par ailleurs, selon les conseillers, l’acceptation du

changement par un socle plus large de leur clientèle. Ils l’utilisent également en mettant en

avant les avantages de leur système avec celui retenu par des concurrents, de manière à en

améliorer encore ce taux d’acceptation.

« Il y a toujours un contact avec la BCR et avec une personne physique, et ça, c’est

important. Je crois que le jour où on n’a plus ça, c’est mauvais. C’est mauvais. Parce que

c’est d’ailleurs pour ça, enfin, en partie pour ça, que les Zebank, les, les ING Direct et les

banques directes fonctionnent pas très très bien. Ils ont beau donner des offres et tout ça, ils

n’ont pas forcément quelqu’un en face d’eux » (BCR ST MAUR 01).

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Chapitre Sixième – Études de cas

326

« Ils se rendent bien compte que c'est traité au sein de la BCR, par des collaborateurs de chez

nous, qui ont une expérience du réseau, et, à l’heure en fin de compte, où beaucoup de choses

sont délocalisées, c'est pas quelqu'un qui va leur répondre soit d'Irlande, soit du Maroc, mais

c'est bien la BCR, avec des gens qui connaissent les problématiques » (BCR PFE 01).

Enfin, le simple fait d’avoir imposé à ses clients de passer automatiquement par la

plate-forme dès l’instant qu’ils souhaitent rentrer en contact avec leur banque peut également

être considéré comme une forme que nous pouvons qualifier de coercitive de socialisation

organisationnelle.

I.2.3.b) La modulation de la nature et de l’historique de l’échange.

Notre quatrième proposition de recherche indiquait que la nature de l’échange pouvait

moduler l’influence du client sur l’employé en contact. Or, nous avons constaté que, en plus

de cela, l’historique de l’échange modulait lui aussi cette influence. C’est pourquoi,

dorénavant, nous nous intéresserons aux effets modulateurs tant de la nature que de

l’historique de l’échange.

I.2.3.b.(1) La nature de l’échange comme modulateur. Nous avons précédemment utilisé ce verbatim, tiré de BCR BOUL 01 : « Les gens ont

pas non plus envie de tout raconter à quelqu'un qu'ils connaissent pas ». Peu de temps

auparavant, ce même interviewé nous avait déjà confié : « Je dirais que de temps en temps, on

est, après le médecin, on est le deuxième confident de la personne, quoi. Des histoires de

famille, ou des choses ou les gens ont pas trop envie de s'étaler ». Cela montre bien

l’attachement des clients à l’égard de leur conseiller et de la relation qu’ils entretiennent avec

eux. Plus ce sentiment est important, et plus les clients semblent d’ailleurs réticents à accepter

les nouvelles modalités de leur participation, i.e. passer par la plate-forme au lieu d’avoir leur

conseiller directement. Ce qui se traduit par un refus plus appuyé de leur part de donner les

informations aux téléconseillers, ou une insistance particulière pour obtenir leur conseiller.

D’autres verbatims, à l’instar du suivant, illustrent cet état de fait.

« Donc ils nous donneraient volontiers des informations, les clients, parce qu’ils nous

connaissent, et il y a plus de réticence à mon avis à donner des informations à la plate-forme

parce qu’ils savent pas mettre un visage sur la personne qui leur répond » (BCR MAD 01)

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Chapitre Sixième – Études de cas

327

Les clients, du fait de la nature de la relation qu’ils entretiennent avec leur banquier,

refusent donc les modalités liées au développement de la pseudo-relation qu’instaure sa

banque. Ce qui, traduit en termes d’interdépendances, s’exprime ainsi : le client génère de

cette manière, ou cherche à générer, des interdépendances séquentielles vs les couplages de

communauté qui semblent économiquement plus favorables à la banque. Ou cherchent à

provoquer des couplages de communauté économiquement défavorables à la banque en

contournant la plate-forme.

I.2.3.b.(2) L’historique de l’échange comme modulateur. L’historique de l’échange comme modulateur de l’intensité des interdépendances peut

difficilement se détacher de l’influence de cet historique sur le recours aux mécanismes de

coordination, dont nous traiterons plus loin. Ne souhaitant pas dès maintenant trop défricher

le terrain, nous nous bornerons à dire que plus la relation est ancienne, et plus le conseiller de

clientèle a une connaissance fine de son client, ce qui peut l’amener à prendre du recul face à

ses réactions. Cette prise de recul amène généralement le conseiller à adapter différemment

son comportement vis-à-vis de son client, selon que ce dernier affiche une tendance naturelle

à se plaindre ou non.

I.3 L’ANALYSE DES MÉCANISMES DE COORDINATION.

Nous reprenons rapidement l’ensemble des mécanismes de coordination identifiés à la

BCR, dont nous cherchons à préciser l’importance relative (I.3.1). Dans un second temps,

notre attention se porte sur l’influence du client tant sur ces mécanismes, que sur leur

utilisation (I.3.2). Dans un troisième temps, sur l’aspect modulateur de la nature et de

l’historique de l’échange (I.3.3).

I.3.1 L’identification et l’importance relative des

mécanismes.

I.3.1.a) Les mécanismes de coordination utilisés à la BCR.

Le tableau 6-3 reprend ces différents mécanismes commentés309, et les illustre par un

verbatim.

309 Pour rappel, l’origine des mécanismes retenus est présentée avec le dictionnaire des thèmes en annexe 8.

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Chapitre Sixième – Études de cas

328

Tableau 6-3 : Les mécanismes de coordination de la BCR.

MÉCANISME DE COORDINATION VERBATIM COMMENTAIRE

Ajustement mutuel

« Ben c’est eux qui appellent en fait. Ça peut être des motifs tout à fait divers et variés. Le dernier appel que j’ai eu, c’était par exemple

pour mettre à jour les compétences d’un collaborateur, où ça bloquait » (BCR PFE 02)

De nombreuses informations favorisant

l’ajustement mutuel sont disponibles sur l’intranet

(ex : numéros de tél)

Communication interne

« Vis-à-vis du réseau il y a eu quand même toute une démarche de communication

importante d’information générale dans le domaine de l’encadrement » (BCR Siège 02)

« Les agences ont des informations qui leur sont données par le biais de l’intranet » (BCR PFS

02)

L’intranet est un support incontournable. Mais

l’importance de la communication interne

s’est surtout ressentie au moment du lancement

des plates-formes.

Normes « La différence, c’est que la plate-forme

sortante, c’est pas du tout des banquiers [… ] Ils conseillent en rien du tout, c’est pas des

banquiers » (BCR GAMB 04)

Distinction très nette entre plate-forme entrante et plate-forme sortante. Il

semble y avoir un très fort esprit de corps basé sur un partage de valeurs /croyances sur le métier

du banquier

Relations latérales « On va même les voir pour savoir ce qui va, ce qui va moins bien, ce qui peut être amélioré, les

remontées des sociétaires » (BCR PFE 01)

Les relations latérales semblent facilitées, voire préconisées, sur un plan

organisationnel

Standardisation des compétences

« Dans la mesure de leurs possibilités, ils peuvent pas faire de prêt immo, ils sont très

limités, enfin, ils ont pas toutes nos compétences en termes d’activité bancassurance, donc ils

peuvent pas traiter une demande comme nous » (BCR GAMB 03)

Même si les caisses sont pratiquement en mesure de traiter les appels de la

plate-forme, l’inverse n’est pas vrai

Standardisation des procédés

« C’est un souci qu’on traite en fait tout ce qui est opérations de service, sachant bien entendu

qu’il y a des procédures qui sont écrites, qui sont respectées bien sûr, et qui sont à connaître

et à être appliquées par les personnes qui travaillent sur les plates-formes » (BCR PFE

02) « Les messageries, ça peut être soit pour nous prévenir qu'il y a des plages indisponibles, ou que notre agenda est complet, pour essayer de retrouver un autre rendez-vous » (BCR PORT

01)

Les cahiers de procédures sont très denses, et mis à la disposition de chacun

sur l’intranet

Ces procédures recourent aux outils évoqués

précédemment

Standardisation des résultats

« On a plusieurs objectifs : 80% des questions doivent être traitées. C’est un souci qu’on traite

en fait tout ce qui est opérations de service » (BCR PFE 02)

La coordination par les résultats s’effectue

essentiellement en termes de niveau de réponses

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Chapitre Sixième – Études de cas

329

aux demandes des clients qui appellent la plate-

forme, ou de volume de prise de rendez-vous

Supervision directe

« Si il y a une information importante à fournir, effectivement, il rend compte au superviseur qui s’occupe du plateau, qui lui selon le cas jugera

de la nécessité ou non de prendre un contact avec la caisse, ou par contact téléphonique, soit

par messagerie » (BCR PFS 02)

Elle est généralement assurée par les directeurs

de caisses ou les superviseurs de centres d’appels, mais peuvent

aussi être, plus rarement, les délégués fédéraux

Transfert de personnel

« Quelqu’un qui a fait que du téléphone et qui ne connaît pas du tout les modalités de

fonctionnement d’une caisse, il aura un langage différent de celui qui vient de la caisse. Il

répondra peut être moins bien, moins précisément aux clients. C’est la logique »

(BCR PORT 02)

Le transfert du personnel joue un rôle très important dans

l’acceptation de la plate-forme entrante par les conseillers du réseau

En support de ces mécanismes, rappelons que la BCR dispose d’une batterie d’outils

qui portent les interdépendances entre les canaux. L’agenda ou la messagerie, par exemple,

constituent ainsi des outils indispensables à la mise en place des procédés tels qu’ils ont été

conçus à la BCR, dans le cadre d’une coordination de type « distancielle »310.

I.3.1.b) L’importance relative des mécanismes entre eux.

Sans être en mesure de précisément indiquer l’importance relative de ces mécanismes

les uns par rapport aux autres, nos entretiens révèlent que la coordination entre les canaux de

la BCR est très largement portée par les procédés, qui sont le mécanisme de coordination qui

revient le plus. Le transfert de personnel, en ce qu’il concoure à la formation de normes

partagées entre les canaux (entre les caisses et la plate-forme entrante) ou non (entre les

caisses et plate-forme sortante), ressort également très fréquemment. Il paraît clair que

l’embauche sur les centres d’appels entrants de personnels disposant d’une expérience réseau

a nettement favorisé l’acceptation du dispositif chez les conseillers, rassurés du traitement

apporté aux demandes de leurs clients. Les relations latérales, enfin, semblent également assez

nombreuses, et paraissent être le résultat d’une culture du dialogue entre les différents canaux,

qui a débuté dès les préparatifs de création de la plate-forme.

310 D’après l’expression de Kalika et al. (2006).

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Chapitre Sixième – Études de cas

330

« Il y a eu un groupe de travail à ce moment là, avec un test, et puis une forte volonté de

l'entreprise de déployer, donc ça s'est fait avec tous les acteurs concernés, le réseau, le

service du personnel, l'organisation » (BCR PFE 01)

I.3.2 L’influence du client sur les mécanismes de

coordination.

Tous les mécanismes de coordination ne sont pas impactés de la même manière par la

participation du client. Les relations entre nos codes que nous avons faites ressortir de

l’analyse de nos entretiens montrent que les procédés sont essentiellement ceux qui sont

impactés par le client. L’ajustement mutuel l’est également, dans une moindre mesure. C’est

donc l’influence que le client a sur ces mécanismes que nous plaçons au cœur de cette

restitution de résultats.

I.3.2.a) L’anticipation des réactions du client.

Nous exprimons ici ces réactions du client à l’aune des déterminants et inputs de sa

participation. L’anticipation à leur égard intervient à deux niveaux : celui de l’ensemble du

réseau multicanal, tout d’abord, et celui de chacun des canaux.

I.3.2.a.(1) Au niveau du réseau de distribution multicanal pris dans son ensemble.

Nous avons expliqué précédemment en quoi le client est un facteur explicatif fort de la

nécessité de la création de la plate-forme entrante. Ce dernier pouvant être considéré comme

l’origine des interdépendances entre les canaux, il n’est que peu surprenant que ses réactions

et ses besoins aient été anticipés dans la façon de mettre en place les procédés régissant

l’activité et le fonctionnement du réseau de distribution multicanal. Par exemple, le

responsable de la banque à distance de la BCR nous a expliqué ce qui suit, se rapportant à la

refonte de la gestion de cette activité.

« Nous avons été amenés à former la, d'abord à faire une présentation globale de ce qui allait

se passer, mais également à former un certain nombre de personnes, donc les superviseurs,

notamment, sur tout ce qui allait se passer autour de la banque à distance, les réactions déjà

pressenties de la clientèle, les problèmes qui pouvaient se présenter » (BCR Siège 01)

Ce même interlocuteur nous a également fait part des interrogations prises en compte

dans la mise en partage des agendas et des règles de prise de rendez-vous qui en ont découlé.

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Chapitre Sixième – Études de cas

331

« L'autre difficulté, c'est que si on fait une action trop importante, sur de trop grosses cibles,

on est coincé, parce qu'on risque d'injecter, d'abord, on ne peut pas injecter des rendez-vous

trop lointains, parce que si c'est des prospects, on va avoir déjà des taux de lapins très

importants, et si c'est de la clientèle, et même dans les deux cas, ils risquent d'oublier. Donc

les rendez-vous doivent être relativement proches, ce qui justifie d'un étalement des appels

téléphoniques, et des actions, par voie de conséquence, pour justement, lisser les prises de

rendez-vous dans le temps, et faire en sorte qu'elles soient absorbables par le réseau, et

acceptables à la fois par la personne qui va devoir recevoir ou aller chez le client, et par le

client lui-même » (BCR Siège 01).

En d’autres termes, la gestion partagée des agendas s’est faite sur la base d’une

anticipation des inputs comportementaux des clients vis à vis des rendez-vous pris (i.e. s’y

rendront-ils ou pas ?).

De même, la création de la plate-forme s’est faite en ayant à l’esprit de soulager les

conseillers des opérations à faible valeur ajoutée en traitant un maximum des demandes des

clients. Pour cela, la BCR a tenté d’anticiper les réactions des clients confrontés à ce

changement organisationnel, et d’élaborer à l’avance les procédés répondant à ces demandes.

Dans ce cadre, un groupe de travail transcanal a été mis sur pied avant la création de la plate-

forme entrante, pour que soient élaborés en accord avec le réseau, qui prend le pouls de la

clientèle, ces procédés.

« J’ai assisté au départ à plusieurs réunions, c’est le groupe qui a été au départ constitué

[avec] les premières caisses qui allaient passer en plate-forme entrante, donc la caisse de W.

à l’époque, plus les caisses qui allaient y passer juste après, et des représentants des services

fédéraux. Donc c’est là où on a établi, en fait, les règles de départ. C’est un tour de table.

Tout a été listé, toutes les choses qui nous sont passées par la tête, ce qui peut être posé

comme questions par le client, comment on fait. Comment on fait, comment on fait, comment

on fait, en fonction de ce qu’il faut apporter comme réponse au client, de la manière dont il

réagirait, etc. Il y a une checklist qui avait été établie, et le téléopérateur l’avait pour

répondre aux clients qui appelaient » (BCR GAMB 04).

Pour finir, les procédés ont aussi été dessinés pour faire face à toute situation « de

crise » : dans l’hypothèse où le client prend la mouche et s’énerve (inputs émotionnels), ou

devient vraiment désagréable à l’égard du téléconseiller parce que ce dernier ne veut pas lui

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Chapitre Sixième – Études de cas

332

passer son conseiller (inputs comportementaux), il est prévu que le téléconseiller rentre en

contact avec la caisse pour laisser le conseiller gérer la situation.

« Si vraiment le client devient insistant, ou même malhonnête, là on gère. Là ils nous passent

les personnes, pour calmer le client, parce que si ils ont pas réussi à le faire, ou le client crie

passez moi Mme G., ça arrive de temps en temps, ils laissent tomber » (BCR GAMB 01).

I.3.2.a.(2) Au niveau des employés en contact. En contact direct et quotidien avec la clientèle, les conseillers ont vu l’organisation de

leur travail, et donc la gestion des relations avec les clients, considérablement transformée par

l’introduction des plates-formes, en particulier de la plate-forme entrante. Bien que heureux

d’être soulagés de la prise en charge des appels à faible valeur ajoutée, tous n’étaient pas a

priori convaincus de ce que la plate-forme ne serait qu’une source de bienfaits.

« C’est ce que j’ai dit au départ, c'est à dire qu’effectivement, on n’est plus pollué par des

appels qui sont polluants, de toute façon il y a pas d’autre mot, pendant qu’on s’entretient

avec un sociétaire […] je vois pas d’autre côté positif » (BCR GAMB 01).

La nature de la banque, mutualiste, fait que certains considèrent encore plus difficile le

passage à cette organisation multicanale autour d’un centre d’appels entrants. Le slogan de la

banque, par exemple, qui met en avant la notion de contact avec client, est repris par des

clients qui souhaitent montrer qu’il est en contradiction avec la mise en place du centre

d’appels.

« Par rapport même à notre historique, on est quand même une banque mutualiste, les gens

comprennent pas que ce soit pas leur conseiller au bout du fil » (BCR BOUL 01).

Les conseillers ont donc anticipé les réactions de leurs clients, et se sont préparés à y

faire face, en fonction de certaines caractéristiques individuelles de leurs clients (âge, CSP,

etc.), ou de leur perception de leur niveau d’acceptation de ce nouveau système, donc de leur

volonté de participer. Leur marge de manœuvre était néanmoins assez faible pour y répondre,

puisque n’ayant que deux outils à leur disposition : le numéro de téléphone direct de la caisse,

qu’ils ne sont autorisés à donner que de manière tout à fait exceptionnelle, et la pédagogie,

dont nous avons déjà parlé, forme de technique de socialisation organisationnelle.

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Chapitre Sixième – Études de cas

333

« Des menaces [de clôture de compte], oui, mais ça, il y en a toujours, des menaces. Il suffit

d’expliquer un petit peu, c’est tout. On n’a pas un système, ça c’est ce que je précise aux

personnes qui râlent et qui peuvent menacer, c’est pas des machines qui répondent, c’est déjà

ça. Il y a pas besoin de faire d’étoile, ou de 1 ou 2 ou 3 pour passer d’un poste à l’autre. Vous

avez un être humain qui est d’abord en face, quand même, qui est compétent, qui est salarié

de la BCR, qui vient du réseau généralement, donc qui connaît quand même le

fonctionnement interne. Donc qui va bien les renseigner, et qui va savoir traiter l’opération.

Parce que beaucoup de personnes pensent que c’est en fait une sous-traitance. Que c’est pas

des banquiers, quoi […] ils ont peur d’un certain manque de confidentialité, ou du moins,

d’un manque de compétences » (BCR GAMB 04).

Des conseillers ont donc directement décidé de donner leur numéro direct à certains de

leurs « gros » clients, afin de leur faire sentir qu’ils étaient privilégiés, et en d’autres termes

n’auraient pas nécessairement à adapter leur participation à la banque, mais que la banque

s’adaptait à eux.

« Bon, moi à l’époque, j’avais un client particulier que j’ai reçu longtemps à l’avance, je l’ai

reçu pour le prévenir, et il a eu le fameux numéro tout de suite, parce que là on savait qu’on

courait à la catastrophe, ça l’a pas empêché de réagir le jour où c’est arrivé. Mais bon, c’est

pour le plaisir de » (BCR GAMB 04).

I.3.2.b) L’adaptation progressive aux réactions des clients.

I.3.2.b.(1) Au niveau du réseau de distribution multicanal pris dans son ensemble

Le groupe de travail transcanal mis en place durant la phase de création de la plate-

forme n’a pas été dissous, et continue à se réunir trimestriellement, en faisant tourner ses

membres. Son objectif est celui d’une amélioration permanente des procédés qui assurent le

bon fonctionnement de l’ensemble, à partir des remarques formulées par les caisses et / ou la

plate-forme sur la base de dysfonctionnements qu’elles ont rencontrés. Le compte-rendu

d’une de ces réunions mentionne par exemple le point suivant :

« Lorsque les agendas de la caisse sont surbookés et qu’un client demande un rendez-vous :

la plate-forme incite parfois le client à passer à la caisse (remarque formulée par le

représentant de la caisse) à la plate-forme préconisera dans ce cas un double appel vers la

caisse pour régler directement le problème qui se pose »

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Chapitre Sixième – Études de cas

334

Lorsque l’on recoupe cela avec les propos tenus par de nombreux membres des

caisses, il semble que le client joue un rôle important dans la génération de

dysfonctionnements de cette nature.

« On comprend aussi que la pression du sociétaire fait qu’on prend rendez-vous avec la

personne avec qui on nous a demandé, parce que ça fait une heure qu’on explique, mais que

la personne elle veut pas comprendre que c’est quelqu’un d’autre » (BCR BOUL 01)

« On a des fois des personnes qui appellent à la plate-forme pour prendre des rendez-vous,

bon, les rendez-vous sont pas toujours pris dans les agendas, ou on leur dit de passer à telle

heure et on n’est pas prévenu […] Après, bon, le client il a peut-être pas dit vrai non plus, le

client, peut-être qu’il s’amène, et puis qu’il dit on m’a dit de passer et que c’est pas vrai,

forcément » (BCR PORT 03).

Autrement dit, la génération de ces dysfonctionnements, et donc l’aménagement des

procédés qui en découle, est dans ce cas la résultante des inputs comportementaux du client,

lequel soit force le téléconseiller à prendre un rendez-vous en dehors des plages horaires

indiquées par son homologue de la caisse, soit vient dans la caisse en se disant envoyé par la

plate-forme. Le moyen de contrôle de la caisse à l’égard des déclarations des clients

concernant ce qu’auraient pu leur dire les téléconseillers est alors quasi-inexistant, et le client

peut profiter de cette asymétrie informationnelle.

En réponse, la BCR a décidé de modifier la procédure de coordination, en exigeant

que de telles situations soient gérées par un contact direct entre le point de vente et la plate-

forme par le biais d’une communication téléphonique.

I.3.2.b.(2) Au niveau des employés en contact. L’influence des clients sur l’utilisation des mécanismes de coordination par les

conseillers des points de vente se traduit surtout par le développement de stratégies de

contournement des procédés de la part des conseillers. Nous avons assimilé cela à de la

génération de techniques de socialisation organisationnelles qui leur sont propres. Ces

détournements répondent généralement à des exigences de leur clientèle, à laquelle ils tentent

ainsi de proposer des solutions permettant d’améliorer la qualité de leur relation, ou tout au

moins d’éviter sa dégradation. Le tableau 6-4 recense les stratégies de détournement que nous

avons identifiées.

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Chapitre Sixième – Études de cas

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Tableau 6-4 : Les stratégies de détournement des procédés mises en place par les conseillers des caisses de la BCR

STRATÉGIE VERBATIM COMMENTAIRE

Suggérer / proposer d’autres modes de contact

« Ça c’est un travers dans lequel je suis tombé, parce que effectivement, au départ, je disais, vous pouvez

toujours me joindre par mail » (BCR ST MAUR 03) « Je leur conseille le mail parfois, parce que je leur dis, je leur explique le fonctionnement, je leur dis

voilà, vous appelez, le message est traité par un de mes collègues, c’est possible que je l’ai pas tout de

suite. Donc si vous voulez une réponse rapide, dans la journée, vous m’écrivez directement, je l’aurai sur ma

boîte perso » (BCR GAMB 03)

Le mail n’est pas sur la carte de visite, ce qui correspond à une volonté de la banque pour éviter que les

conseillers ne soient pris d’assaut par ce

moyen de communication

Indiquer l’information à

donner à la plate-forme

« Moi, ça m'arrive très fréquemment de dire à la personne, appelez la plate-forme en demandant que je vous rappelle. Et puis on verra après […] on leur dit pas toujours, dites pas ce que vous voulez, mais, de

temps en temps, on est obligé, et puis, les gens ils ont pris le pli, ils disent non, il faut qu'il me rappelle, et

puis voilà» (BCR BOUL 01) « Demain matin, j’ai un rendez-vous avec cette dame, il est marqué : flp, faire le point. Elle s’est pas étalée

sur le truc, elle a pas raconté sa vie […] Flp, les clients, en général, ils connaissent le truc. Ils

appellent, c’est pour faire un point […] C’est quelque chose de classique. Vous voyez, encore une deuxième,

pour faire un point sur le compte... C’est un motif récurrent » (BCR ST MAUR 01)

Il y a un risque d’apprentissage de la part des clients qui

vont savoir comment contourner le

système

Donner le numéro de la caisse

« On avait un flux relativement important, on en a encore un malheureusement relativement important, parce qu’il y a pas mal de gens qui, ça arrive que ce

soit de notre faute également, pour une opération très précise, on a besoin de réponse rapide, on donne

notre numéro direct, le problème, c’est qu’après le client l’utilise pour des choses bénignes » (BCR MAD

01) « Là ça devient un peu problématique, parce que tout

le monde, enfin, tout le monde connaît le numéro d’appel direct, d’accord, on a peut-être trop tendance

à le donner facilement » (BCR PORT 04)

Le client peut abuser de l’avantage tiré d’une situation

semblant nécessiter ce détournement

procédural

Les raisons qui poussent les conseillers à mettre en place ces stratégies sont

généralement le fruit de leur perception de la réaction des clients vis-à-vis du centre d’appels,

réactions dont les perceptions se déclinent de différentes manières : perception de l’absence

de volonté des clients de participer ; perception de la manière dont les clients ont vécu les

échanges avec les téléconseillers (inputs relationnels) etc. Cela ne concerne néanmoins qu’un

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Chapitre Sixième – Études de cas

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nombre restreint de clients, les interviewés prenant toujours soin de préciser que globalement,

tout se passe bien dans la majorité des cas.

Les conseillers ne sont pas les seuls à dévier des procédés sous la pression du client.

Les téléconseillers eux-aussi y dérogent parfois, ce qui est source de dysfonctionnements

entre les canaux, comme l’a montré l’extrait du compte-rendu cité plus haut.

Le tableau 6-5 reprend ces principales raisons, toujours suivant notre grille de lecture

de l’influence de la perception de la participation du client.

Tableau 6-5 : Les raisons poussant les employés en contact de la BCR à détourner les procédés

CAUSE VERBATIM COMMENTAIRE

Volonté

Inputs comportementaux

« En fait, on s'est dit, on va pas biaiser tout de suite le système. On va les laisser utiliser la plate-forme.

Sinon, ça n'avait aucun intérêt. Donc on les a laissés, alors, il y en a qui se sont très très bien

acclimatés, et qui l'utilisent, et puis il y en a qui ont dit, ben c'est ça, ou on retire nos comptes. Donc

bon, après, vous avez pas d'autre solution, souvent, c'est les gros déposants, en plus, donc... Il y a dû y

avoir des aménagements » (BCR BOUL 01)

La perception par les conseillers du refus des

clients de participer selon les modalités

résultant de l’existence de la plate-forme a

mené ces conseillers à ces « aménagements »

Inputs émotionnels

« En général, on a des échos très négatifs, sincèrement, pour être honnête, c’est pas très bien perçu par la clientèle […] Le motif, c’est que c’est impersonnel. Avant, ils appelaient ici en caisse, ils

pouvaient nous joindre directement. Ils nous entendaient, ils étaient contents, ils entendaient une

voix qu’ils connaissaient, ou ils entendaient quelqu’un qu’ils connaissaient » (BCR GAMB 03)

Le mécontentement des clients perçu par les

conseillers peut, selon ceux-ci, impacter sur la qualité de leur relation,

ce qui les incite à privilégier d’autres modes de contact

Inputs relationnels

« La relation, enfin, à mon avis, d’après ce que j’entends de mes clients, elle doit pas être si bonne

que ça. Enfin, les appels sont traités, c’est vrai, mais je pense que ça doit pas toujours bien se

passer » (BCR GAMB 03)

La perception de ce que les contacts avec la

plate-forme sont plus ou moins de bonne

qualité peut conduire le conseiller à développer ou non ces stratégies

A l’inverse, comme nous l’ont expliqué les conseillers, une grande majorité de leurs

clients vivent bien le passage à cette nouvelle organisation. De ce fait, lorsqu’ils constatent

que leurs clients acceptent de passer par la plate-forme, que ces clients leur disent que celle-ci

fait du bon travail et répond à leurs attentes…, les conseillers s’en tiennent-ils aux procédés

officiels.

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Chapitre Sixième – Études de cas

337

Ensuite, les verbatims du tableau 6-4 montrent que les conseillers sont conscients de

dévier ces procédures, ainsi que des implications de ce détournement. L’un d’entre eux

reconnaît même avoir planifié ce détournement à l’avance, si jamais les choses tournaient mal

avec ses clients (BCR BOUL 01, cité dans le tableau 6-5).

Avant-dernière précision sur ces stratégies de détournement : les clients apprennent

très vite à les utiliser et à s’en resservir, voire en abusent (phénomène d’apprentissage au

niveau des inputs comportementaux), ce qui peut poser des problèmes, dont sont d’ailleurs

conscients les conseillers interrogés. Celui-ci parle de « travers » (ST MAUR 03), en se

référant à son adresse mail qu’il a abondamment donnée, quand celui-là évoque « les choses

bénignes » (BCR MAD 01) pour lesquelles l’utilise le client qui a eu le numéro direct de la

caisse.

Enfin, la survie de ces déviances procédurales peut être limitée dans le temps. Tout

d’abord, certaines caisses ont tellement communiqué le numéro direct à leurs clients, lesquels

se le sont en plus donnés les uns aux autres, qu’elles sont à nouveau débordées par les appels.

« La caisse réceptionne de nombreux appels de sociétaires qui détiennent le numéro noir311 :

y-a-t-il possibilité d’obtenir un nouveau numéro noir ? à oui, c’est une option que nous

pouvons exceptionnellement envisager et d’ailleurs une étude de France Télécom est en cours

sur l’utilisation des numéros noirs pour joindre les points de vente » (Extrait de compte-rendu

d’une réunion du groupe transcanal).

Ensuite, et le verbatim précédent l’illustre également, la banque a la possibilité de

reprendre la main sur les modes de contact. Notamment, une réflexion sur le reroutage

automatique des e-mails sur les plates-formes entrantes a donné lieu à un test sur une dizaine

de caisses, avant une éventuelle généralisation à la totalité du réseau.

I.3.3 La modulation de la nature et de l’historique de

l’échange.

I.3.3.a) La nature de l’échange comme modulateur.

Au regard des propos précédents, il est patent que les conseillers s’adaptent aux

réactions de leurs clients en fonction de la nature des liens qu’ils entretiennent avec eux. En

l’espèce, la relation, telle que nous l’avons définie, est susceptible de les amener à modifier

311 Le numéro noir est le numéro direct des caisses.

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Chapitre Sixième – Études de cas

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les procédures dans le sens qui convient à leurs clients, que ce soit en anticipant ou en

s’adaptant à leurs réactions, même si cela risque de se faire au détriment des objectifs initiaux

assignés au projet multicanal de la BCR. Les résultats que nous avons à ce niveau recoupent

ceux de Rafaeli (1989), commentés dans notre revue de littérature. Nous y reviendrons

lorsqu’il s’agira d’interpréter ces résultats.

Mais cette relation s’inscrit également dans une histoire entre le client et le conseiller,

dont l’importance ne doit pas être négligée.

I.3.3.b) L’historique de l’échange comme modulateur.

La durée de la relation peut jouer, semble-t-il de deux manières. Elle permet d’avoir

une meilleure connaissance du client, et donc de planifier à l’avance la manière dont il faudra

composer avec ce client dans le cas d’un changement tel que celui de l’instauration d’une

plate-forme d’appels entrants. L’historique de la relation, dans ce cas, permet un

apprentissage de certaines caractéristiques comportementales du client, dont la maîtrise vise à

faciliter l’adaptation, encore que rien ne soit garanti à l’avance. Elle permet aussi une prise de

recul vis-à-vis du comportement du client, ce qui peut aller à l’encontre de ces détournements.

C’est une autre manière d’expliquer ce verbatim, que nous avons déjà utilisé précédemment

dans un contexte différent.

« Bon, moi à l’époque, j’avais un client particulier que j’ai reçu longtemps à l’avance, je l’ai

reçu pour le prévenir, et il a eu le fameux numéro tout de suite, parce que là on savait qu’on

courait à la catastrophe, ça l’a pas empêché de réagir le jour où c’est arrivé. Mais bon, c’est

pour le plaisir de » (BCR GAMB 04).

« De temps en temps quand c’est un sociétaire qu’on connaît, déjà chez nous il est limite, on

se dit qu’au téléphone c’est pareil, c’est pas forcément la plate-forme. […]Donc on le laisse

derrière nous, dans ce cas, on laisse le client râler et puis c'est tout » (BCR BOUL 01)

Mais il arrive également que des conseillers ne s’en tiennent pas strictement aux

procédés lors de ce qu’ils appellent une « entrée en relation », donc avec des nouveaux

clients. Nous avons ainsi deux attachés commerciaux, qui sont donc responsables de

prospection de nouveaux clients, qui nous ont confié donner directement aux clients dont ils

sentent qu’ils recèlent un certain potentiel, leur e-mail ou leur numéro de ligne directe, pour

qu’ils ne soient pas rebutés par cet aspect plate-forme au premier abord. Dans ce cas, le

détournement procédural se fait dans l’optique d’un développement ultérieur de la relation,

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Chapitre Sixième – Études de cas

339

avec le risque toutefois d’avoir des clients déçus lorsqu’ils comprendront la nécessité pour

eux de passer par le centre d’appels.

« Les prospects que je vois, si je sens que c’est une affaire chaude, je leur dis voilà mon e-

mail perso […] je laisse le mail, parce qu’ils ont l’impression, chose qu’ils n’auront pas

quand ils appelleront la BCR, ils me joindront directement. Ils m’écriront, c’est moi qui

répondrai. Si ils appellent, ils vont dire voilà, je voudrais un rendez-vous avec M. L., ils

m’auront pas moi, ils auront une personne X qui va prendre un rendez-vous […] si ils ont pas

la réponse assez rapidement, ils vont pas donner suite » (BCR GAMB 03).

D’autre part, un conseiller d’une autre agence a avoué faire de même avec ses

nouveaux clients, pour des raisons similaires.

« Ils peuvent me joindre aussi par mail ou par fax. Mais j’essaie effectivement, par contre, à

chaque entretien, de re-préciser ça, surtout dans une entrée en relation, parce que bon, c’est

quand même important pour le client » (BCR ST MAUR 02).

I.4 L’ANALYSE DU PROCESSUS DE COORDINATION.

Nous avons expliqué que le client peut être considéré comme à l’origine des

interdépendances entre les canaux de distribution. Ainsi, contrairement aux mécanismes qui

peuvent être étudiés en tant que tels, l’analyse du processus de coordination peut difficilement

se différencier de celle de l’influence qu’a le client sur ce processus. C’est donc le premier

point que nous abordons (I.4.1). S’ensuit l’analyse de l’effet modulateur de la nature et de

l’historique de l’échange (I.4.2).

I.4.1 L’influence du client sur le processus de

coordination.

Nous considérons successivement cette influence sur la dimension

communicationnelle, puis relationnelle du processus. Nous finissons par une analyse des liens

au sein de ces dimensions, et entre elles, en soulignant systématiquement la part que peut y

prendre le client.

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Chapitre Sixième – Études de cas

340

I.4.1.a) L’influence du client sur la dimension communicationnelle du processus.

La dimension communication du processus de coordination est fortement encadrée par

les procédés de travail, comme nous avons pu le voir précédemment. Ainsi, les

communications entre les canaux interviennent le plus souvent dans un cadre procédural. Il

n’empêche que le client est en mesure d’influencer la qualité de cette communication, même

si toutes les composantes de la dimension ne sont pas impactées à l’identique.

I.4.1.a.(1) L’influence du client sur l’aptitude de la communication à résoudre des problèmes.

Nous n’avons pas identifié, dans nos données, de situations dans lesquelles le client

influençait cette aptitude de la communication à résoudre des problèmes. Mais

l’opérationnalisation de cette dimension n’est pas aisée312, et est par ailleurs étroitement liée à

la précision de l’information, même si elle ne peut se confondre avec elle. C’est, selon nous,

ce qui peut largement expliquer l’absence de relation entre participation client et cette

dimension.

I.4.1.a.(2) L’influence du client sur la fréquence de la communication.

Nous pouvons mettre en évidence que la perception que les employés ont de plusieurs

inputs de la participation du client, ainsi que d’un de ses déterminants, influence la fréquence

de la communication entre les canaux. La figure 6-1, adaptée d’un modèle réalisé avec Nvivo

7, en donne une représentation schématique, tandis que le tableau 6-6 illustre ces liens par des

verbatims.

312 Comme nous le rappelons en annexe 8.

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Chapitre Sixième – Études de cas

341

Figure 6-1 : Représentation schématique de l’influence du client sur la fréquence de la communication entre les canaux de la BCR

Nous avons conservé cette notion d’influence, car le client peut soit accroître, soit

diminuer la fréquence entre les canaux, en fonction par exemple de la qualité de l’information

qu’il va fournir aux téléconseillers, par exemple (inputs mentaux). Il n’est dès lors pas

possible de donner à ces relations une nature positive ou négative, les deux étant possibles.

Par exemple, le fait que le client accepte de donner une information à la plate-forme pour

qu’elle puisse traiter son opération va impacter négativement la fréquence de communication,

tandis que son refus va l’accroître.

INPUTS

DÉTERMINANT

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Chapitre Sixième – Études de cas

342

Tableau 6-6 : Illustration de l’influence du client sur la fréquence de la communication entre les canaux de la BCR

ORIGINE DE L’INFLUENCE VERBATIM

Inputs comportementaux

« Il arrive de temps en temps, quand on est en entretien, ben vous avez un deuxième message, c’est le sociétaire qui a rappelé, en disant, ils m’ont

pas rappelé » (BCR BOUL 01)

Inputs mentaux « Sachant que si il s’agit d’une opération d’un montant un peu plus

sensible, on lui laisse un message bien sûr […]dans un but commercial. Pour une exploitation derrière, si éventuellement le chargé de clientèle

n’est pas au courant du virement » (BCR PFE 02)

Inputs émotionnels

« Si il y a vraiment un caractère d’urgence, ou quelqu’un qui s’énerve au téléphone, là ils appellent, et ils demandent si on peut pas prendre, parce que ça mousse, et puis il faut éviter ça, quoi, et puis il faut pas, il faut pas

que ça vienne gonfler » (BCR ST MAUR 03)

Volonté « On a moins de personnes à rappeler pour des questions simples. On en

a toujours, mais moins qu’avant. Et en règle générale, quand on les a, c’est que les clients ont pas voulu donner la raison de leur appel » (BCR

MAD 01)

I.4.1.a.(3) L’influence du client sur l’opportunité de la communication.

Pour rappel, la communication sera considérée comme opportune si elle parvient à

temps à l’employé en contact chargé de répondre à la demande du client. Nous n’avons pas

trouvé de relation indiquant que le client, de par sa participation, influençait positivement ou

négativement cette opportunité de la communication. Ceci ne nous semble guère surprenant,

puisque le client contacte la banque lorsqu’il a besoin de ses services, donc au moment qui lui

semble opportun.

La transmission de l’information de la plate-forme vers la caisse est immédiate. Un

léger délai peut survenir du fait de l’arrivée de cette information dans une boîte de réception

commune à la caisse, avant d’être répartie dans les boîtes personnelles des conseillers, mais

aucun d’entre eux n’a considéré que la communication ne s’effectuait pas dans les délais

nécessaires au traitement de la demande du client.

I.4.1.a.(4) L’influence du client sur la précision de la communication.

L’influence du client sur la précision de la communication paraît être assez forte. C’est

en tout cas la dimension qui de leur discours ressort le plus comme étant impactée par la

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Chapitre Sixième – Études de cas

343

participation du client, mais d’une manière somme toute assez simple, comme le montre la

figure 6-2, et qu’illustrent les verbatims du tableau 6-7.

Figure 6-2 : Représentation schématique de l’influence du client sur la précision de la communication entre les canaux de la BCR

Tableau 6-7 : Illustration de l’influence du client sur la précision de la communication entre les canaux de la BCR

ORIGINE DE L’INFLUENCE VERBATIM

Inputs mentaux « Ça n’a peut-être pas été non plus demandé correctement par le client. Si elle avait dit faire une étude en immobilier, là peut être que ça aurait

tilté » (BCR GAMB 02)

Volonté « C’est très variable, quoi, parce que ça dépend de ce que le client a bien voulu dire. Parfois il y a rien, faut rappeler un client, c’est tout. Parfois,

il y a l’indication du pourquoi » (BCR MAD 01)

Comme le laissent supposer les verbatims ci-dessus, les inputs mentaux sont ici

l’expression de la volonté du client de participer : si il n’acceptait pas, il ne donnerait pas les

informations, ou ne donnerait pas suffisamment de précisions.

Enfin, soulignons que tous les conseillers ne sont pas conscients de cette influence

potentielle du client sur la précision de l’information transmise par la plate-forme.

« Ce qu’il y a, c’est qu’il faut bien prendre les informations, c’est surtout ça qu’il faudrait

dire à la plate-forme, par exemple, quand il y a une personne qui appelle parce que son

compte est en débit, à la limite, elle donne l’info à la plate-forme, il y aura telle et rentrée, la

plate-forme envoie le message, et c’est bon, on n’est pas obligé de rappeler pour entendre

dire la personne oui, il y a ça qui va rentrer » (BCR MAD 04)

INPUT

DÉTERMINANT

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Chapitre Sixième – Études de cas

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I.4.1.b) L’influence du client sur la dimension relationnelle du processus.

Au regard de leurs occurrences relatives, les composantes de la dimension

relationnelle paraissent nettement plus impactées par le client que celles de la dimension

communicationnelle. Nous allons voir de quelle manière.

I.4.1.b.(1) L’influence du client sur la connaissance partagée.

La connaissance partagée dont il est fait état est la connaissance qu’ont les employés

d’un canal des procédures et du mode de fonctionnement propres à un autre canal. La nature

même de cette connaissance fait donc que nous ne sommes que peu surpris de ne pas avoir

trouvé sur le terrain de preuve d’une influence quelconque du client à ce niveau.

Le niveau de connaissance partagée semble supérieur chez les téléconseillers que chez

les conseillers, du fait de l’origine des téléconseillers, issus des caisses pour la plupart. Ce

partage de connaissance est généralement assuré par la communication interne, mais pas

seulement, et sa mise à jour semble complexe. Nous y reviendrons lorsque nous étudierons les

liens entre mécanismes et processus de coordination.

I.4.1.b.(2) L’influence du client sur l’indulgence mutuelle La figure 6-3 montre que ce sont à nouveau les inputs comportementaux et la volonté

du client qui permettent d’expliquer en quoi la perception qu’ont les employés en contact de

la participation client peut accroître l’indulgence des uns vis-à-vis des autres. Le tableau 6-8

renforce cette figure par des exemples de verbatims.

Figure 6-3 : Représentation schématique de l’influence du client sur l’indulgence dans le cas BCR

INPUT

DÉTERMINANT

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Chapitre Sixième – Études de cas

345

Cette fois-ci, nous avons codifié la relation entre les inputs comportementaux et

l’indulgence par « augmente », car les exemples que nous avions dans le discours des

conseillers montraient nettement que leur perception de ces inputs tendait à accroître leur

indulgence.

Tableau 6-8 : Illustration de l’influence du client sur l’indulgence mutuelle dans le cas BCR

ORIGINE DE L’INFLUENCE VERBATIM

Inputs comportementaux

« En règle générale, il y a pas de critique à apporter. Parce qu’il faut se les taper aussi, les appels, tous les jours. Les clients sont pas toujours

faciles, loin de là. Ils sont pas toujours aimables » (BCR ST MAUR 03)

Volonté « On m’envoie des messages auxquels je sais très bien que la plate-forme est capable de répondre. Je le constate là dessus, donc je me doute que c’est pas eux qui ont pas su donner la réponse, que c’est le client qui a

pas voulu lui donner la raison de son appel » (BCR MAD 01)

Aussi, dès que les conseillers intègrent dans leur raisonnement le comportement que le

client peut avoir avec la plate-forme, ils sont plus prêts à pardonner ce qui à première vue

pourrait être pris comme des erreurs de la part de la plate-forme.

I.4.1.b.(3) L’influence du client sur les objectifs partagés. Entre les cinq composantes relationnelles du processus, les objectifs partagés sont

ceux qui sont le moins ressortis. Nous n’avons pas repéré d’influence particulière du client à

ce sujet.

Les trois objectifs partagés que nous avons identifiés peuvent être classés entre :

Ø Des objectifs économiques : Il s’agit de faire baisser les coûts de distribution

en optimisant la productivité de chacun des canaux, grâce à l’organisation

retenue.

Ø Des objectifs commerciaux : L’augmentation du chiffre d’affaires de la BCR

est une des raisons de la mise en place du multicanal. Pour cela, la libération

de temps en agence doit permettre d’accroître le nombre de dossiers traités,

ainsi que la qualité de ces dossiers (développement de ventes croisées). Et les

téléconseillers sont mis à contribution en tentant de faire des propositions

commerciales aux clients lors de leurs appels, propositions qui se traduisent,

lorsque le client accepte, par une prise de rendez-vous en caisse.

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Chapitre Sixième – Études de cas

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Ø Un objectif qualitatif de satisfaction du client : « On travaille avec le même

objectif de la satisfaction finale du client. C'est clair. C'est l'objectif numéro

un, et on a bien le même » (BCR PFE 01).

Nous n’avons pas en revanche identifié de situation de divergence d’objectifs entre les

canaux.

I.4.1.b.(4) L’influence du client sur la reconnaissance mutuelle

Il s’agit de la dimension du processus de coordination sur laquelle le client paraît avoir

l’influence la plus forte. A nouveau, nous utilisons une figure pour représenter graphiquement

les relations d’influence, tandis qu’un tableau les illustre par des verbatims.

Figure 6-4 : Représentation schématique de l’influence du client sur la reconnaissance mutuelle dans le cas BCR

Un seul déterminant apparaît, comme dans les cas précédents. Nous avons à ce propos

une explication à suggérer. Il semblerait que les conseillers tiennent pour acquis le fait que les

clients n’ont pas de problème particulier pour utiliser la plate-forme, puisque reposant sur un

outil courant : le téléphone. Comme nous l’a dit l’un de nos interviewés : « Après tout, ce

I N P U T S

DÉTERMINANT

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Chapitre Sixième – Études de cas

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n’est que le téléphone » (BCR MAD 03). La notion de capacité à utiliser la plate-forme ne

pose donc pas apparemment à leurs yeux de problèmes. La prise de conscience semble

acquise, et aucun conseiller n’a rapporté de cas où le client lui aurait dit que l’utilisation de la

plate-forme n’était pas simple (clarté de sa participation). D’où l’importance accordée à la

volonté des clients d’utiliser la plate-forme dans leur discours (et certainement d’autant plus

que leur refus de participer est le déterminant qui a le plus de répercussions sur le quotidien

opérationnel des conseillers).

Tableau 6-9 : Illustration de l’influence du client sur la reconnaissance dans le cas BCR

ORIGINE DE L’INFLUENCE VERBATIM

Inputs comportementaux

« On avait un esprit un peu négatif sur le mode de fonctionnement. On s’est un petit peu corrigés, puisqu’on s’est mis à leur place, c’est vrai qu’il y a beaucoup de sociétaires qui appellent, qui râlent, ils veulent absolument parler à la personne, et ça c’est impossible, ils ont un but,

c’est traiter l’appel, essayer de traiter leur demande » (BCR GAMB 03)

Inputs émotionnels

« Quand vous vous rendez compte, que vous y réfléchissez un peu, vous vous dites, le client a dû râler, il a dû se mettre en colère, donc pour eux c’est pas évident à gérer […] je pense que eux ils comprennent que nous

on a beaucoup de boulot, et puis nous on comprend également que eux, le client est pas content quoi » (BCR MAD 01)

Inputs mentaux « Pour moi, il n’y a pas de problème, et on n’a pas de remarque à ce sujet

là [de la part des clients]. Pour ça, c'est comme nous, c'est répondre correctement au client, lui donner l'information qu'il souhaite, et être poli

avec lui » (BCR PORT 01)

Inputs relationnels « Ils disent j’ai eu un de vos collègues, très sympathique d’ailleurs, mais vous étiez occupé, mais il m’a dit que vous alliez rappeler, et puis il m’a quand même expliqué, donc c’est quand même je pense que globalement,

c’est positif » (BCR MAD 02)

Volonté « On est capable aujourd'hui de répondre au sociétaire, qui lui-même a

dû avoir un temps d'adaptation, parce qu'on l’a quand même coupé d'une relation directe avec son conseiller. Donc il était un peu réticent au

départ » (BCR PFE 01).

Notons aussi que cette reconnaissance apparaît de manière unilatérale, en l’occurrence

des conseillers des caisses vis-à-vis des plates-formes, et prend différentes formes, puisqu’ils

distinguent entre :

Ø Le confort de travail : il s’agit du différentiel de confort de travail existant

entre avant et après l’instauration de la plate-forme entrante. Tous les

conseillers rencontrés, sans exception, le mettent en avant, et ce verbatim

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Chapitre Sixième – Études de cas

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reflète leur état de pensée général : « aujourd'hui, personne ne voudrait

revenir en arrière, même si on râle tous une fois par semaine sur ils ont fait

ci, ils ont fait ça » (BCR GAMB 04). Ce gain en termes de confort de travail

se traduit également par le sentiment de plusieurs conseillers de reprendre la

main sur la relation avec les clients, et donc de regagner du pouvoir vis-à-vis

de leurs demandes : « c’est nous qui décidons du moment où nous aurons

l’entretien téléphonique avec le client, c’est l’essentiel de ce que ça a

modifié » (BCR MAD 02). Ce point est récurrent dans la majorité des

entretiens des conseillers de la BCR.

Ø Les compétences techniques : il s’agit de la qualité de réponse aux questions

des clients, ou de la technicité dont font preuve les téléconseillers de la plate-

forme sortante dans leur activité de démarchage.

Ø Les compétences relationnelles : cela renvoie à la qualité relationnelle de

l’accueil et du traitement des appels par les téléconseillers. Les conseillers

peuvent l’évaluer, notamment, grâce aux remarques positives ou négatives

que leur font leurs clients à ce sujet.

Ø Les résultats obtenus :Au niveau de la plate-forme entrante, cela est peu

dissociable du confort de travail qui découle de son implantation. Cette

reconnaissance est plutôt négative à l’égard de la plate-forme sortante, en

raison du nombre de rendez-vous pris dans les agendas, mais non honorés par

la clientèle.

Cette reconnaissance s’inscrit en outre dans une dynamique. Elle n’est pas figée. Au

départ se mêlent inquiétude face à l’inconnu, et soulagement lié au confort de travail que les

conseillers retirent en agence de l’arrêt de l’incessante sonnerie téléphonique. Elle est ensuite

modifiée, soit positivement, soit négativement selon les conseillers, en fonction de trois

éléments : les réactions de leurs clients ; la quantité d’erreurs commises par la plate-forme

(dans la précision des informations transmises, dans la durée retenue pour les rendez-vous,

etc.) ; et enfin, de la qualité des réponses apportées à leurs clients. Sur ce dernier point, le

transfert de personnel du réseau sur la plate-forme joue un effet très positif. Enfin, rentre en

jeu la notion d’indulgence dont ils peuvent être amenés à faire preuve à l’égard de leurs

collaborateurs des plates-formes.

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Chapitre Sixième – Études de cas

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Par conséquent, cette reconnaissance des agences vis-à-vis de la plate-forme entrante

peut schématiquement se ramener au fruit d’un arbitrage dynamique qu’effectuent les

conseillers entre les avantages qu’ils retirent de cette plate-forme, et de l’autre, les problèmes

qu’elle leur procure.

I.4.1.b.(5) L’influence du client sur le respect mutuel. L’influence directe que joue le client sur le respect mutuel semble particulièrement

restreinte. En général, elle ressort comme plutôt liée au partage de connaissance sur le

fonctionnement réciproque des canaux. Nous revenons sur ce point dans la sous-partie qui

suit.

I.4.1.c) Les liens entre les composantes et les dimensions du processus de coordination.

Nous proposons une représentation graphique des liens qui existent à la fois au sein

des dimensions du processus de coordination, mais aussi entre elles, par la figure 6-5 (page

suivante). Pour ne pas encombrer le schéma, nous n’y avons pas indiqué les inputs et

déterminants du client qui en influencent chacune des composantes, leur étude venant d’être

réalisée.

Cette représentation montre que la dimension relationnelle est sur-représentée par

rapport à la dimension communicationnelle dans les liens entre les composantes, et que seule

la précision de la communication a un effet sur un élément de la dimension relationnelle (la

reconnaissance). Nous avons cette fois été en mesure d’indiquer plus précisément la nature de

certaines relations. Ainsi, il est ressorti par exemple que le partage de connaissance entre les

canaux sur leur fonctionnement influençait favorablement l’indulgence mutuelle, ce que nous

avons donc codé par la relation « augmente ». Bien entendu, implicitement, cela signifie que

l’absence de ce partage de connaissance tend à diminuer cette indulgence, comme le laisse

entendre le verbatim que nous avons retenu pour l’illustrer.

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Chapitre Sixième – Études de cas

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Figure 6-5 : Les liens entre les composantes et dimensions du processus de coordination dans le cas BCR

Le tableau suivant illustre ces relations par des verbatims.

Tableau 6-10 : Illustration des liens entre les composantes et dimensions du processus de coordination dans le cas BCR

NATURE DE LA RELATION VERBATIM

Connaissance partagée augmente indulgence mutuelle

« On constate que très peu connaissent notre fonctionnement. A la fois les contraintes du métier, les contraintes techniques qui sont liées à notre activité […] Ils savent qu’on prend des rendez-vous, mais dans quelles

conditions, quels moyens on utilise, comment on fonctionne, vraiment très peu les connaissent […] On aurait un climat plus tranquille sur des

situations de dysfonctionnement ou autre, où les caisses n’arrivent pas toujours à discerner quel est le niveau de responsabilité du

dysfonctionnement » (BCR PFS 02)

Connaissance partagée augmente

reconnaissance mutuelle

« C’était des collègues qui venaient du réseau, donc qui connaissaient les produits, ils connaissaient les réclamations, etc, et savaient les gérer.

Donc on était sûr que nos clients seraient bien accueillis, qu'il y avait ce qu'il fallait derrière » (BCR ST MAUR 04)

Dimension relationnelle Dimension communicationnelle

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Chapitre Sixième – Études de cas

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Connaissance partagée augmente

respect mutuel

« De par cette visite, certains collègues ont dit tiens, il faut faire ce qu’ils font […] Donc c’est vrai que j’aurais bien aimé être mis en phase par

rapport à ce métier, et voir comment ils font. Parce que je sais que c’est pas facile pour eux. C’est pas facile pour eux » (BCR BOUL 02)

Reconnaissance influence indulgence

mutuelle

« C’est vrai que de temps en temps, il y a des coquilles. Mais bon, l’un dans l’autre, avec le confort d’entretien qu’on a grâce à la plate-forme,

de pas être dérangé, on se dit que c’est pas bien méchant » (BCR GAMB 02)

Précision influence reconnaissance

mutuelle

« On a un maximum d’infos, en règle générale, c’est quand même pas mal étoffé […] Donc là on a l’avantage quand même de préparer son travail »

(BCR ST MAUR 03)

Enfin, l’existence de ces liens montre que l’influence que joue le client sur le

processus de coordination n’est donc pas seulement directe, mais peut aussi être indirecte.

Ainsi, l’influence du client sur la précision va indirectement impacter la relation entre

précision et reconnaissance. Et la prise de conscience par les conseillers de ce que les clients

ont un impact sur la précision de l’information qui leur est transmise par la plate-forme tend à

accroître leur indulgence à l’égard de certains messages imprécis. Il en va de même pour la

relation entre la reconnaissance et le respect mutuels, celle entre l’indulgence et la

reconnaissance mutuelles, ou entre la précision et l’indulgence.

I.4.2 La modulation de la nature et de l’historique de

l’échange.

I.4.2.a) La nature de l’échange comme modulateur.

Comme dans le cas des mécanismes, il est patent que la nature de l’échange peut avoir

un impact sur l’influence qu’exerce le client sur le processus de coordination. Ainsi, la raison

pour laquelle les clients refusent de donner des informations à la plate-forme est, nous l’avons

déjà dit, liée à ce qu’ils n’ont pas forcément confiance dans les téléconseillers, car ils ne les

connaissent pas. Cela est source d’imprécision dans la communication entre les canaux, dans

le sens plate-forme vers caisse. De même, leur comportement vis-à-vis des téléconseillers est

différent de celui vis-à-vis de leur conseiller.

« Ça se passe mieux, à mon avis, avec nous, qu’avec la plate-forme. A mon avis, ils doivent

plus se défouler avec la plate-forme. Parce que de toute façon, ils les connaissent pas, alors

que nous, ils nous connaissent » (BCR MAD 01)

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Chapitre Sixième – Études de cas

352

L’utilisation de techniques de socialisation, parmi lesquelles surtout des explications

de la part de leur conseiller, en qui ils ont confiance, semble aller dans le sens d’une réduction

de cet état de fait, et donc jouer en faveur d’une amélioration du processus de coordination.

I.4.2.b) L’historique de l’échange comme modulateur.

L’historique de l’échange va jouer un rôle modulateur dans l’appréciation que vont

avoir les conseillers des réactions de leurs clients. En fonction de l’histoire de la relation entre

eux et leurs clients, ils seront amenés à les croire plus ou moins facilement, ce qui peut

impacter différemment le processus de coordination.

« C’est souvent le sociétaire qui va dire, ouais, ils m’ont répondu comme ça, après, c’est la

parole du sociétaire contre la parole de la personne de la plate-forme […] Il y a des

sociétaires qui sont pas polis non plus. Donc de temps en temps quand c’est un sociétaire

qu’on connaît, déjà chez nous il est limite, on se dit qu’au téléphone c’est pareil, c’est pas

forcément la plate-forme » (BCR BOUL 01).

Cet exemple laisse ainsi penser que l’historique de la relation entre le client et son

conseiller amène ce dernier à accorder un crédit variable aux dires de son client. Dans le cas

présent, il remet en question le comportement du client, et se montre plus indulgent à l’égard

de la plate-forme en cas d’information incomplète. Cette connaissance du client peut donc

accroître l’empathie dont font preuve les conseillers à l’égard des téléconseillers, et leur

permet d’en relativiser les erreurs éventuelles.

I.5 L’ANALYSE DES LIENS ENTRE LES MÉCANISMES ET LE PROCESSUS

DE COORDINATION.

Nous commençons par analyser la teneur des liens allant dans le sens processus vers

mécanismes de coordination (I.5.1). Nous poursuivons par l’étude des liens de sens inverse,

nettement plus nombreux (I.5.2).

I.5.1 Dans le sens processus vers mécanismes de

coordination.

Cette analyse sera très rapide, puisque n’est ressortie de nos données qu’une seule

relation de ce sens. Il s’agit du partage de connaissance entre les canaux, qui semble faciliter

l’adaptation des procédés.

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Chapitre Sixième – Études de cas

353

Figure 6-6 : L’influence du processus sur les mécanismes de coordination dans le cas BCR

Cette relation peut paraître logique, car comme nous l’avons montré, la BCR a posé ce

partage de connaissances comme principe de la résolution de problèmes dans le cadre du

développement et du fonctionnement du réseau de distribution multicanal.

« On pourra leur expliquer comment on travaille, et comment on priorise nos appels, et

pourquoi on répond pas tout de suite, il y a des fois, on met 3 jours […] Et je pense que si on

tombe sur des personnes intelligentes, elles vont faire passer le mot, et dire écoutez, on

devrait pas faire ça, parce que de l’autre côté, ils sont pas contents » (BCR GAMB 03)

Néanmoins, ce partage de connaissances ne se fait pas sans support, ce qui nous invite

à nous pencher sur les liens allant des mécanismes vers les processus de coordination.

I.5.2 Dans le sens mécanismes vers processus de

coordination.

Ces relations sont beaucoup plus étoffées en ce sens, puisque nous en comptons sept,

dont six en direction des composantes de la dimension relationnelle du processus. La figure

6-7 représente l’ensemble de ces relations, que nous allons décomposer successivement.

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Chapitre Sixième – Études de cas

354

Figure 6-7 : L’influence des mécanismes sur le processus de coordination dans le cas BCR

I.5.2.a) L’influence des relations latérales.

La figure 6-8 ci-dessous illustre cette influence.

Figure 6-8 : L’influence des relations latérales sur le processus de coordination dans le cas BCR

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Chapitre Sixième – Études de cas

355

L’influence des relations latérales sur la connaissance partagée revient fréquemment

dans les entretiens, les conseillers soulignant pour les uns à quel point elles leur ont permis

d’apprendre sur le fonctionnement de la plate-forme, pour les autres, à quel point il leur serait

utile d’en savoir plus à ce propos. Ces derniers indiquent que cela leur permettrait de mieux

comprendre ce qu’ils considèrent habituellement comme des erreurs de la plate-forme. Enfin,

les responsables des centres d’appels que nous avons rencontrés expliquent que dès la phase

de conception de la plate-forme, ces relations latérales ont été privilégiées pour assurer une

sorte de socle commun de connaissances entre les canaux qui en faciliterait le fonctionnement

d’ensemble. Nous avons déjà eu l’occasion de souligner ce dernier point.

Les relations latérales interviennent sous de multiples formes : soit ce sont des visites

de la part de conseillers du réseau sur les plates-formes ; soit des réunions du groupe de

travail transcanal dont nous avons déjà parlé ; soit des contacts directs entre les employés des

canaux ; soit des visites des superviseurs des plates-formes dans les caisses ; soit enfin de

courtes périodes d’intégration en caisse pour les nouveaux téléconseillers ayant une origine

extérieure. Ces relations sont intervenues très tôt dans le développement de la plate-forme,

chaque caisse recevant en outre la visite d’un superviseur et éventuellement d’un délégué

fédéral avant que ses appels ne soient reroutés pour leur en expliquer le fonctionnement et

répondre à leurs questions. Quant aux visites sur la plate-forme, elles sont appréciées de la

part des conseillers, qui ont confirmé en avoir beaucoup appris sur son fonctionnement, bien

que tous n’y soient pas encore allés.

« Il y a des visites organisées sur les plates-formes, où les gens viennent passer une matinée,

on leur explique le fonctionnement, ils viennent écouter auprès des collaborateurs comment

ça se passe, et ils se rendent compte qui traite leurs appels téléphoniques » (BCR PFE 01)

« Je crois qu’on fait pas assez d’immersion, à la fois eux en caisse locale pour voir comment

on travaille […] et nous on devrait aller en plate-forme téléphonique voir comment eux

travaillent. Parce que moi j’y suis jamais allée personnellement […] et je pense qu’on a peut-

être pas assez d’échanges par rapport à ça, je pense qu’on comprendrait beaucoup plus de

choses » (BCR GAMB 01)

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Chapitre Sixième – Études de cas

356

I.5.2.b) L’influence de la communication interne.

La figure 6-9 représente graphiquement cette relation.

Figure 6-9 : L’influence de la communication interne sur le processus de coordination dans le cas BCR

La communication interne (diffusion de documents, d’informations par le biais

d’intranet, etc.) a joué un rôle important dans la phase d’implantation de la plate-forme,

venant en renfort des relations latérales. Depuis, elle est surtout assurée par le biais d’intranet,

qui met à disposition des caisses un nombre considérable d’informations, comme nous

l’avons dit précédemment.

Mais ces informations ne sont que peu consultées. A titre indicatif, nous avons

demandé dans chacune des caisses à nos interviewés si ils utilisaient l’intranet, et si ils

savaient ce que la plate-forme mettait à leur disposition dessus. Dans la totalité des cas, les

réponses furent approximatives, trois d’entre eux s’y rendant durant l’entretien pour découvrir

en même temps que nous les informations présentes. Pourtant, une rubrique dédiée aux

centres d’appels entrants existait, et comportait l’ensemble des procédures que doivent suivre

les téléconseillers, de même que des statistiques de prises d’appels, un rappel de leurs

missions et objectifs, les numéros de téléphone directs des superviseurs, etc… Cela est

d’autant plus surprenant que ces trois personnes considéraient qu’il y avait un déficit

d’information vis-à-vis de ce canal, et qu’ils aimeraient en savoir plus sur son

fonctionnement. L’explication que chacun a fourni de cette méconnaissance de ces

informations fut identique : « nous n’avons pas le temps d’aller regarder tout cela, on a déjà

tellement de travail à côté… ». Cela pose ainsi des problèmes de mise à jour des

connaissances. Un conseiller nous a par exemple cité la mise à jour des adresses clients

comme activité réalisable par les plates-formes entrantes, alors que le responsable de celles-ci

nous avait dit que c’est une activité qu’ils avaient dû arrêter.

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Chapitre Sixième – Études de cas

357

I.5.2.c) L’influence du transfert de personnel.

Le transfert de personnel est également une donnée très importante, et qui a été

réfléchie comme telle dès le départ par la direction de la BCR, ainsi que nous l’avons déjà

laissé entendre.

Figure 6-10 : L’influence du transfert de personnel sur les processus de coordination dans le cas BCR

Plus de 75% du personnel d’origine de la plate-forme était issu des caisses, et avait

donc une expérience du terrain et de la relation client. Mécaniquement, cela a accru le niveau

de connaissance partagée parmi les téléconseillers, et facilité l’acceptation des plates-formes

entrantes, ainsi que la reconnaissance de la part de leur collaborateurs en caisse.

Tableau 6-11 : Illustration de l’influence du transfert de personnel sur le processus de coordination dans le cas BCR

NATURE DE LA RELATION VERBATIM

Transfert de personnel influence

reconnaissance mutuelle

« L’avantage d’avoir mis des gens qui étaient des banquiers à la plate-forme entrante, c’est qu’ils sont capables de répondre à des questions

simples, donc ça, ça nous fait gagner du temps » (BCR MAD 01)

Transfert de personnel influence

connaissance partagée

« Les responsables des plates-formes, en général, et moi-même, en fait, et mon prédécesseur, étaient des anciens directeurs d'agence. Donc ça, c'est pour avoir bien en tête la problématique qu'on a en fait avec la relation client en agence. C'est une volonté de l'entreprise. Les responsables des

centres d'appels, à l'exception d'une seule personne, sont des anciens directeurs d'agence » (BCR PFE 01)

I.5.2.d) L’influence des procédés de travail.

Les procédés sont le seul mécanisme dont nous avons repéré qu’ils influençaient une

composante de la dimension communicationnelle du processus : la fréquence. Cette relation

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Chapitre Sixième – Études de cas

358

n’est absolument pas étonnante, les échanges entre les canaux étant, nous l’avons mentionné,

largement procéduraux.

Figure 6-11 : L’influence des procédés de travail sur le processus de coordination

Mais les procédés influencent également la reconnaissance et le respect mutuels. La

première, parce que le respect ou non de ces procédés fait que les employés en contact sont

plus ou moins reconnaissants de la qualité du travail fourni par leurs collaborateurs. Mais

également, parce que certains des procédés semblent déconnectés de la réalité aux yeux des

conseillers, qui de ce fait ne comprennent pas la légitimité des décisions de la plate-forme, et

remettent en question l’avantage qu’elle peut représenter (cf. Tableau 6-12). La seconde

relation est pour sa part liée également au respect ou non des procédés.

Tableau 6-12 : Illustration de l’influence des procédés de travail sur le processus de coordination dans le cas BCR

NATURE DE LA RELATION VERBATIM

Procédés influence fréquence

« La procédure, c’est de faire un deuxième rappel, en indiquant il me semble que vous n’avez pas encore contacté le sociétaire en question,

donc n’oubliez pas de le rappeler le plus vite possible » (BCR PFE 02)

Procédés influence reconnaissance

mutuelle

« Ça, ça fait partie de certains dysfonctionnements, moi ça m’est arrivé pas mal de fois. Votre agenda, vous avez un rendez-vous d’une heure qui

va se transformer en rendez-vous d’une demi-heure pour pouvoir en caser un autre. Ça c’est désagréable » (BCR GAMB 04).

Procédés influence respect mutuel

« C’est pas toujours facile, parce que on a quelque fois des messages qui sont ventilés, mais on respecte pas vraiment le chargé de clientèle […] C’est-à-dire qu’il y a des rendez-vous qui sont pris, bon, un chargé de

clientèle est absent, on prend quand même le rendez-vous ce jour là, mais sur quelqu’un d’autre » (BCR MAD 02)

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Chapitre Sixième – Études de cas

359

I.6 INTERPRÉTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS.

Nous allons conclure l’étude de ce cas par une discussion sur les résultats que nous

venons de présenter, selon deux axes. Nous revenons dans un premier temps sur les rôles de

filtre et de catalyseur que joue le client dans les liens entre les canaux (I.6.1). Nous

continuons en traitant de ce que nous appelons l’influence duale du client sur la coordination

(I.6.2).

I.6.1 Le client comme filtre et catalyseur.

I.6.1.a) L’identification de ces rôles.

Tout au long de ce cas, nous avons constaté que des clients étaient en position de

générer des asymétries informationnelles en leur faveur entre les membres des canaux. Plus

exactement, ces clients se servaient de leur connaissance et de leur maîtrise de certaines

informations les concernant directement pour contourner le canal que la banque cherchait,

d’une certaine manière, à lui imposer. En d’autres termes, ces clients jouent, ou cherchent à

jouer, ce que nous avons appelé un rôle de filtre informationnel entre les canaux. L’utilisation

de ce rôle, en ce qui concerne le cas BCR, semble tout à fait conscient, et peut même être

construit à l’aide du conseiller.

Cette aide qu’est susceptible d’apporter le conseiller au client n’est toutefois pas

automatique, ni systématique. Elle est prioritairement le pendant de la réaction et des propos

du client vis-à-vis de la plate-forme entrante, réaction et propos qui influencent la perception

qu’a le conseiller à l’égard de ladite plate-forme. Nous retrouvons donc là le rôle de

catalyseur perceptuel que nous avions proposé.

Une conséquence de cette altération de perception du conseiller est qu’il lui arrive de

détourner certains des procédés qu’il est supposé respecter, afin de satisfaire son client. Ce

détournement intervient donc toujours sous l’influence du client, qui joue alors son rôle de

catalyseur interprétationnel.

Enfin, lorsque le client refuse de donner de l’information au téléconseiller, la limite au

maximum, ou mobilise une stratégie d’évitement, il agit naturellement sur les interactions

entre les employés en contact, obligeant par exemple le téléconseiller à prévenir le conseiller

qu’il doit rappeler son client, contact à l’occasion duquel ce téléconseiller peut notifier son

agacement vis-à-vis du conseiller. Le client endosse donc son rôle de catalyseur

interactionnel.

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Chapitre Sixième – Études de cas

360

I.6.1.b) L’impact relatif de ces rôles.

Ces rôles ne semblent donc pas être indépendants les uns des autres, mais interreliés.

Nous pourrions même proposer que le rôle de filtre informationnel et celui de catalyseur

perceptuel précèdent ceux de catalyseur interprétationnel et interactionnel.

L’existence de ces rôles concorde avec une partie des résultats de Rafaeli (1989),

présentés dans notre troisième chapitre. Néanmoins, nous les enrichissons par l’aspect

modulateur de la nature et de l’historique de l’échange que nous avons mis en évidence. Cette

modulation, transversale à la fois aux interdépendances, aux mécanismes et au processus de

coordination, ne peut apparaître chez Rafaeli, qui s’intéresse à ce que nous avons qualifié de

rencontres de service. Nous avons ainsi montré que dans le cas d’une relation, le personnel

aura tendance à fortement écouter le client, dont l’impact des rôles sus-présentés sera alors

élevé.

Ce résultat est toutefois contrebalancé par le fait que nous avons identifié certaines

situations où les téléconseillers semblent accepter de déroger aux procédures pour satisfaire le

client (par exemple, en prenant un rendez-vous plus court que ne prévoit la procédure). Cette

situation confirme alors les résultats de Rafaeli (1989), en ce sens que c’est alors la pression

du contact avec le client qui amène le conseiller à agir de la sorte, mais minore la portée de

notre propre résultat sur l’aspect modulateur de la nature de l’échange (et non sur le rôle de

catalyseur du client, qui s’exerce également dans ce type de situation).

Enfin, l’historique de la relation semble intervenir également, puisque l’employé en

contact pourra par exemple se baser sur la connaissance fine qu’il a du client, développée au

fil de la relation, pour relativiser l’importance qu’il doit accorder à ces mêmes rôles.

I.6.2 L’influence duale du client sur la coordination.

I.6.2.a) Une influence ex-ante et ex-post.

Les résultats précédents montrent que le client n’influence pas seulement la

coordination à partir du moment où existent les entités à coordonner, mais que de par son rôle

de générateur d’interdépendances, il est également pris en considération avant la création de

la plate-forme.

Son influence s’exerce aussi par la suite, après la création et la mise en place de la

plate-forme. Cette influence passe par l’existence des quatre rôles de filtre et catalyseur,

comme nous venons de l’expliquer.

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Chapitre Sixième – Études de cas

361

Cette influence ex-ante et ex-post procède d’une dualité entre l’anticipation et

l’adaptation des réactions du client, puisque ces réactions jouent sur le niveau d’acceptation

ou de refus de l’introduction d’un nouveau canal par le personnel en contact du canal existant.

Il est donc nécessaire de les considérer à l’avance, puis de s’y adapter progressivement

ensuite, pour favoriser les chances de succès du changement organisationnel que représente

l’implantation de ce nouveau canal.

I.6.2.b) Une influence globale et locale.

La relecture de la coordination multicanale à l’aune de la participation du client nous

permet aussi de découvrir que l’influence du client se fait à deux niveaux. Une influence

globale, tout d’abord, qui porte sur l’ensemble du réseau de distribution multicanal, en ce que

le client est pris en considération pour « façonner », d’une certaine manière, ce réseau. Cette

influence globale, qui se produit à la fois ex-ante et ex-post (dualité anticipation / adaptation)

intervient donc principalement au niveau du design organisationnel.

Il a également une influence que nous qualifions de locale, au niveau des différents

employés en contact, influence qui se traduit notamment par une déviance des procédés de la

part des employés en contact, et par une altération du processus de coordination. A ce niveau,

son influence semble d’ailleurs plus importante sur la dimension relationnelle que

communicationnelle dudit processus.

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362

SECTION II. LE CAS ÉTABLISSEMENT FINANCIER

NATIONAL (EFN).

Le plan suivi pour rédiger cette seconde étude de cas sera, dans les grandes lignes,

identique à celui de la BCR. Ainsi, nous débutons avec une présentation de l’entreprise (II.1),

avant d’analyser les interdépendances (II.2) et les mécanismes de coordination de l’EFN

(II.3). Nous prolongeons avec l’étude du processus de coordination (II.4), l’analyse des liens

entre les mécanismes et le processus (II.5), pour conclure sur une rapide interprétation et

discussion des résultats (II.6).

II.1 PRÉSENTATION DE L’ENTREPRISE

La présentation générale de la banque (II.1.1), puis de la stratégie et de l’organisation

du multicanal (II.1.2), précèdent la présentation du personnel opérationnel des canaux (II.1.3),

avant que nous ne précisions quelques éléments contextuels du développement du multicanal

à l’EFN (II.1.4).

II.1.1 Présentation générale de l’EFN

L’Établissement Financier National (EFN) est un établissement bancaire présent sur

l’ensemble du territoire national français, qui dispose aussi d’une présence internationale.

Il repose sur une assise de peu ou prou 1900 agences, qui détiennent environ 4,5

millions de comptes clients particuliers. Les agences appartiennent au groupe EFN, vis-à-vis

duquel elles n’ont aucune autonomie. Elles sont les relais opérationnels de prises de décisions

stratégiques centralisées, en contact direct avec les clients.

II.1.2 Le développement du multicanal à l’EFN

A une présentation rapide des canaux et de leur organisation, succède l’analyse du

caractère stratégique de leur développement.

II.1.2.a) Les différents canaux utilisés à l’EFN

L’offre multicanale de l’EFN ne diffère pas fondamentalement de celle de la plupart

de ses concurrents. Elle compte ainsi des points de vente ; un centre d’appels entrant

(composé de six plates-formes réparties sur le territoire national) ; un serveur vocal interactif ;

des distributeurs et guichets automatiques ; un site Internet ; des services sur mobile. A ceux-

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Chapitre Sixième – Études de cas

363

ci, vient s’ajouter un centre d’appels sortants, mais dont la gestion est externalisée auprès d’un

tiers indépendant, et dont la nature fait que nous ne le prenons pas en compte313. Nous nous

focaliserons donc sur la coordination entre les agences et la plate-forme entrante.

Plusieurs de nos interviewés ont mis l’accent sur trois catégories de canaux, au cœur

de ce réseau, qui sont :

Ø Les points de vente : ce sont l’ensemble des agences du groupe EFN,

réparties sur toute la France.

Ø La plate-forme entrante : tout comme le réseau, elle est une émanation de la

direction des particuliers et professionnels de l’EFN. Mais elle n’est pas

ensuite rattachée hiérarchiquement à la direction du réseau, représentant une

branche distincte dans la structure de l’entreprise. La plate-forme entrante

inclut le serveur vocal interactif, nous y reviendrons. Ses horaires d’ouverture

sont plus étendus que ceux des agences, et les téléconseillers sont accessibles

6 jours sur 7.

Ø Le site Internet : c’est le troisième pilier de l’organisation multicanale de

l’EFN. Il préexistait à l’offre de la plate-forme entrante.

Cette organisation a été pensée selon une logique de complémentarité commerciale,

comme nous allons l’expliquer.

II.1.2.b) La stratégie de développement du multicanal de l’EFN : en complément des agences.

Les objectifs poussant l’EFN à baser son organisation distributive sur le multicanal

sont dans l’ensemble identiques à ceux des autres acteurs du secteur : accroître la productivité

en libérant du temps commercial en agence, améliorer la qualité de service externe et la

satisfaction client, etc., auxquels s’ajoute un désir de modernisation de l’image. L’aspect

« libération de temps commercial » était en particulier un des objectifs prioritaires, la banque

ayant évalué le temps quotidien passé par chaque conseiller au téléphone à 1h ou 1h30,

majoritairement pour répondre à des appels à faible, sinon aucune, valeur ajoutée pour l’EFN.

C’est dans cet esprit que fut prise la décision de rerouter (ou dériver) les appels

entrants de la totalité des agences de l’EFN vers six centres d’appels, aux fonctions

identiques, mais géographiquement distincts. Leur déploiement est intervenu entre 2001 et

313 Puisque nous nous focalisons sur la coordination intra-organisationnelle des canaux

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Chapitre Sixième – Études de cas

364

2004, ces six plates-formes étant délibérément implantés en France. Au moment de notre

étude, environ 35 à 37% des agences étaient dérivées, et ce mouvement devait s’étaler jusque

2006.

La volonté de disposer d’un outil technologiquement évolutif, d’après le directeur de

l’un des centres d’appels, a abouti au choix technique suivant : il existe une plate-forme

unique, virtuelle, à laquelle sont interconnectés les six centres d’appels physiques.

Concrètement, lorsqu’une personne (client ou non) compose le numéro d’une agence de

l’EFN, elle arrive sur un serveur à reconnaissance vocale, qui va identifier le cas échéant son

agence de rattachement et le segment auquel elle appartient (par la communication vocale du

numéro de compte et du code confidentiel de l’appelant), et la nature de son besoin. A partir

de ces informations, le client peut alors choisir de réaliser son opération seul sur le serveur, ou

voir son appel transféré vers l’un des six centres d’appels, en fonction de leur disponibilité

relative. L’origine géographique de l’appelant n’ayant aucune incidence sur le renvoi de son

appel, un client du nord de la France pouvant donc voir son appel traité par une plate-forme

située dans le sud. A l’arrivée de l’appel sur son poste, le téléconseiller dispose

automatiquement, si tant est que les informations communiquées par le client sont bonnes, du

dossier client qui en facilite l’identification, et lui permet de personnaliser l’appel.

La mission de la plate-forme est double : il s’agit à la fois de répondre aux demandes

de la clientèle, c’est-à-dire schématiquement soit réaliser des opérations simples, soit prendre

des rendez-vous avec le conseiller, de l’agenda duquel disposent les téléconseillers. Mais

aussi de pratiquer ce qu’ils appellent le « rebond commercial ». Les téléconseillers ont donc

une activité de vente, qui va de produits simples comme des cartes, des assurances sur

moyens de paiement, ou des solutions de banque à distance, à des produits plus élaborés,

comme des prêts personnels ou des crédits permanents. Ils ont pour cela à leur disposition les

mêmes outils d’aides à la décision, de scoring, etc., que ceux dont sont dotés les conseillers en

agence. Ainsi, si cela « ça n’enlève en rien que le canal principal est l’agence » (EFN Siège

01), il n’en reste pas moins que la plate-forme « est une entité commerciale, en complément

des agences » (EFN PFE 01). Il s’agit donc, selon les termes du directeur de plate-forme que

nous avons rencontré, « d’une organisation collégiale tournée vers le client, sans aller pour

autant à l’encontre de la même organisation commerciale en agence ».

Les agences, justement, ont vu leurs numéros de téléphone changés au moment de la

dérivation. Outre le numéro qui renvoie sur la plate-forme, elles sont dotées de nouvelles

lignes, qui « ne doivent jamais être communiquées aux clients » (support de présentation en

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Chapitre Sixième – Études de cas

365

agence de la dérivation des appels entrants). A cette règle, une exception : les clients classés

« très haut de gamme » et « moyen haut de gamme » se voient communiquer directement le

numéro direct de leur conseiller, en plus de celui de la plate-forme. Les autres clients du

segment haut de gamme ont, pour leur part, uniquement le numéro de la plate-forme, mais

leur conseiller est autorisé à leur communiquer, de manière tout à fait exceptionnelle, sa ligne

directe si le besoin s’en fait impérativement sentir (risque de départ du client, par exemple).

En effet, dans le même temps a été menée une réflexion stratégique globale autour de

la segmentation de la clientèle, qui se traduit par une réorganisation commerciale autour des

clientèles particuliers et professionnels, dans le but de mettre surtout l’accent sur la clientèle

« représentant le plus fort potentiel de développement » (EFN Siège 01), c’est-à-dire cette

clientèle haut de gamme, fortement contributrice au PNB.

« Les opérations courantes, [nous avons voulu] les canaliser sur la plate-forme téléphonique,

de manière à recentrer l’activité vers le segment de clientèle à plus fort potentiel et diminuer

par définition le temps consacré aux segments les moins porteurs », partant du principe que

« le client à fort potentiel mérite, enfin, a une demande qui est parfois plus élaborée, et qui

demandera plus de temps, et qui demande à ce que le rendez-vous soit plus long, alors que

parfois, une petite demande qui peut être traité d’une manière plus rapide et, sous une forme

binaire, peut être traitée par la plate-forme » (EFN Siège 01)

Par conséquent, le développement de la plate-forme téléphonique s’inscrit dans le

cadre d’une stratégie commerciale globale de l’EFN, avec une volonté très nette de recentrage

sur les segments de clientèle à plus fort potentiel / rentabilité.

II.1.3 La répartition du personnel opérationnel

La distinction conseiller / téléconseiller cache des réalités plus subtiles, que nous

illustrons ci dessous (tableau 6-13 et tableau 6-14).

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Chapitre Sixième – Études de cas

366

Tableau 6-13 : Les différents postes dans les points de vente de l’EFN.

DÉNOMINATION DU POSTE CARACTÉRISTIQUES

Responsable Accueil et Services

Responsable de l’accueil des clients dans l’agence. Il gère les opérations courantes (encaissement, décaissement, virements, etc.), vend des produits simples (cartes, etc.), doit pratiquer le rebond commercial

Conseillers grand public - Conseiller moyenne gamme -

Conseiller patrimonial -

Conseiller privé

Ces quatre catégories de conseillers ont, sur le fond, des fonctions identiques, en ce qu’elles sont chargées d’un portefeuille client (dont la taille décroît avec la montée en gamme). Donc vente de crédits, produits

d’épargne, etc. dont la nature varie selon le segment de clientèle

Directeur d’agence Avec ou sans portefeuille client, il est le supérieur hiérarchique de tous les

conseillers de l’agence, à l’exception des conseillers privés. Il a une fonction d’animation commerciale et de management d’équipe

Nous avons interrogé majoritairement des conseillers grand public et moyenne

gamme, ainsi qu’un conseiller patrimonial, et le directeur de chacune des agences visitées.

En outre, chaque point de vente fait partie d’une unité commerciale de 4 ou 5 agences,

unité à la tête de laquelle se trouve un responsable qui s’occupe de l’animation commerciale,

de la formation, de l’accompagnement du personnel, du respect des règles et procédures, et

des contrôles de risque. Ce responsable a lui aussi systématiquement été interrogé.

Tableau 6-14 : Les différents postes sur les plates-formes entrantes de l’EFN

DÉNOMINATION DU POSTE CARACTÉRISTIQUES

Téléconseiller généraliste Réceptionne les appels de la clientèle bas et moyen de gamme

Téléconseiller spécialiste Réceptionne les appels des clients haut de gamme et gestion privée

Superviseur Gère une équipe d’une dizaine de téléconseillers (8 généralistes, 2

spécialistes) - Veille au bon fonctionnement de son équipe, au respect par celle-ci des objectifs quantitatifs et qualitatifs

Télé-assistant Gestion du travail administratif post-appel (ouverture de comptes, envoi de fax aux agences, envoi de documents aux clients, etc.)

Responsable des télé-assistants Gère l’équipe de 8 télé-assistants présents sur la plate-forme

Planificateur Gère les emplois du temps, les congés, répartition des horaires, etc.

Logisticien Gère le matériel et les systèmes informatiques

Formateur Assure la formation des nouveaux arrivants, formation continue, etc.

Responsable de plate-forme

Responsable de l’activité de l’ensemble de la plate-forme physique, manage les équipes, etc.

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Chapitre Sixième – Études de cas

367

Les téléconseillers sont, pour un tiers d’entre eux, issus du réseau, la sélection s’étant

faite sur la base du volontariat. Un second tiers provient des services administratifs, et n’avait

donc pas l’expérience de la relation client en agence. Le troisième tiers, enfin, provient

d’embauches extérieures à l’EFN, dans le but de participer au renouvellement progressif de la

pyramide des âges de l’entreprise.

Rappelons que nous avons interviewé deux téléconseillers généralistes, deux

spécialistes, et le responsable de leur plate-forme.

II.1.4 Le contexte du développement du multicanal

Parallèlement à la mise en place du multicanal, l’EFN instaure les changements

suivants :

Ø Changement de l’outil informatique des conseillers des agences, qui

commençait à être déployé durant notre étude..

Ø Révision de l’agencement des points de vente : un nombre croissant

d’agences devient automatisé, afin que le client réalise lui-même ses

opérations courantes, et que le responsable accueil et services soit libéré de

ces tâches pour se concentrer sur la proposition de produits simples, de la

prise de rendez-vous pour les conseillers, et faciliter son activité de phoning.

Ø Remplacement de la logique existante de traitement de flux des demandes de

clients par une logique de régulation de la demande pour que les conseillers

travaillent essentiellement sur des rendez-vous préparés.

Ø Évolution de la stratégie commerciale, qui se concentre sur les clients à plus

forte valeur ajoutée, dont nous avons déjà parlé plus haut.

II.2 L’ANALYSE DES INTERDÉPENDANCES ENTRE LES CANAUX DE

L’EFN

Nous commençons par décrire les outils qui portent les interdépendances (II.2.1), puis

analysons la nature et intensité de celles-ci (II.2.2). Nous terminons par l’étude de leur

génération, en faisant particulièrement ressortir le rôle qu’y joue le client (II.2.3).

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Chapitre Sixième – Études de cas

368

II.2.1 Les outils au service des interdépendances

Nous avons identifié comme outils supports des interdépendances entre les canaux de

l’EFN ceux qui suivent :

Ø L’agenda électronique partagé : Il est primordial dans le fonctionnement du

multicanal de l’EFN. Quelle que soit la localisation géographique de la plate-

forme physique, les téléconseillers qui y travaillent peuvent accéder

instantanément à l’agenda de n’importe quel conseiller de clientèle en France

dont l’agence est dérivée sur la plate-forme. Cet agenda utilise des codes

couleurs différenciés, qui permettent aux conseillers de signaler aux

téléconseillers si ils peuvent ou non prendre des rendez-vous.

Ø Le dossier client partagé : Les téléconseillers ont accès à l’ensemble du

dossier du client, lequel, tenu à jour, contient tout ce qu’a noté le conseiller

sur son client, incluant d’éventuels projets futurs. Les téléconseillers peuvent

l’alimenter en fonction de la nature de l’information demandée ou donnée par

le client, et de l’opération qu’ils ont éventuellement réalisée avec lui. Si

l’opération est complexe (vente d’un crédit, par exemple), ou si l’information

le nécessite, le fax est alors privilégié.

Ø Le fax : Un compte rendu de l’entretien est envoyé par fax aux agences en

fonction des informations qui sont communiquées par le client au

téléconseiller. Pour éviter de surcharger les agences de fax, ces comptes-

rendus sont révisés par le superviseur de la plate-forme, et gérés par une

équipe administrative locale de télé-assistants au sein de chaque plate-forme,

qui va s’assurer du lien avec l’agence314.

Ø Le fichier d’information agences : les téléconseillers ont accès à une base

de données qui regroupe toutes les informations sur les agences dérivées sur

la plate-forme (noms des conseillers, numéros de téléphone externes et

internes, horaires, services de libre-service bancaire proposés par l’agence,

etc.). Cette base est localisée dans l’intranet, et est révisée régulièrement par

les agences en cas de besoin, afin que les plates-formes disposent

d’informations à jour.

314 Au moment où nous avons mené notre enquête terrain, l’EFN réfléchissait à la possibilité de mettre en place un système de messagerie interne entre les caisses et les plates-formes pour remplacer le fax.

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Chapitre Sixième – Études de cas

369

Ø Le téléphone : son utilisation est réduite au plus strict minimum. Les

téléconseillers n’appellent les agences qu’en cas d’urgence absolue, si par

exemple ils doivent les informer d’un problème exceptionnel à régler avec le

client. Quant aux conseillers, jamais ils n’appellent les plates-formes. Le

transfert d’appels de la plate-forme vers l’agence est pour sa part rendu

techniquement irréalisable.

Ø Les échanges de face-à-face : Quasiment inexistants, ils ne se produisent que

lorsque des conseillers vont sur visiter une plate-forme pour en apprendre le

fonctionnement.

Ø Les documents de communication interne : Peu de documents concernant

la plate-forme semblent être émis. Néanmoins, nous avons pu nous procurer

deux exemplaires d’un journal de communication interne de 6 pages chacun

environ, visant à informer sur le travail réalisé par la plate-forme. Peu de

conseillers y ont fait référence toutefois, ne se souvenant pas avoir vu ce

genre de documents.

II.2.2 Nature et intensité des interdépendances315.

En nous calquant à nouveau sur la littérature, voici les résultats que nous avons obtenu

dans le cas EFN.

II.2.2.a) Le couplage de communauté

Ce type d’interdépendance semble être le plus important. En effet, près de 90% des

opérations réalisées par la plate-forme se font sans avoir besoin de recourir ou de prévenir à

l’agence (document de communication interne). Quant aux agences, leur activité reste très

majoritairement indépendante des plates-formes.

II.2.2.b) Les interdépendances séquentielles

Les interdépendances séquentielles sont moins fréquentes, et initiées des plates-formes

à destination des agences, comme dans le cas de l’envoi d’un fax demandant au conseiller de

rappeler son client, ou l’informant d’un élément dont leur a fait part un client sur sa situation

personnelle.

315 La remarque que nous avons formulée sur le choix du niveau d’analyse pour étudier la nature et l’intensité des interdépendances s’applique ici également. Nous le rappelons simplement, sans reprendre l’argumentaire.

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Chapitre Sixième – Études de cas

370

II.2.2.c) Les interdépendances réciproques

Nous n’avons pratiquement pas identifié de situation illustrant une interdépendance

réciproque entre les canaux étudiés. Les conseillers n’ont normalement pas l’autorisation de

contacter directement la plate-forme par eux-mêmes, et doivent passer par la voie

hiérarchique pour faire remonter un problème. Une téléconseillère nous a toutefois confié que,

très occasionnellement, des fax que la plate-forme avait envoyé à une agence leur revenaient,

bardés de points d’interrogation signifiant l’incompréhension de son récepteur.

II.2.3 La génération des interdépendances

Le client joue un rôle important dans la génération des interdépendances entre les

canaux, comme nous nous employons à le montrer. Nous nous intéressons ensuite au rôle de

la nature et de l’historique de l’échange dans cette génération.

II.2.3.a) L’influence du client sur la génération des interdépendances.

II.2.3.a.(1) Le rôle du client dans la création des plates-formes entrantes.

Une des raisons de la création de la plate-forme répond, nous l’avons dit, à la volonté

d’améliorer la qualité de service dans les agences, à la fois vis-à-vis des clients qui appelaient,

que de ceux qui s’y déplaçaient pour un rendez-vous. Pour les premiers, les chiffres parlaient

d’eux-mêmes : le taux d’abandons des appelants était de 40% au moment où fut prise la

décision de créer la plate-forme, comme nous le révèle un document interne. Pour les

seconds, la gêne était considérable en rendez-vous, puisque leur conseiller était régulièrement

coupé pour répondre à des appels. Un des responsables d’unité commerciale nous a d’ailleurs

fait part de cette anecdote révélatrice survenue à l’un de ses conseillers : après cinq ou six

interruptions, le client s’est levé, a quitté le bureau, sans que son interlocuteur ne s’en

aperçoive car il était occupé à répondre au téléphone… Et l’appel suivant fut émis par ce

même client, qui jugeait avoir plus de chance d’obtenir ses informations par ce biais qu’au

cours d’un entretien de visu.

En outre, toujours d’après ce document interne, 60% des appels alors émis par les

clients vers leur agence avaient une connotation administrative, donc non commerciale, donc

non génératrice de valeur ajoutée pour l’entreprise (demandes de soldes, commandes de

chéquier, réclamations sur divers mouvements, etc.). Les conséquences négatives de cette

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Chapitre Sixième – Études de cas

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situation étaient donc de trois ordres : économiques ; moindre satisfaction des clients ; stress

et inconfort de travail pour les conseillers.

En d’autres termes, il était devenu impératif pour l’EFN de mettre fin à ces routines

comportementales de la part de ses clients, et seule une solution de rupture telle celle qui a été

retenue semblait possible et porteuse de résultats. Pour cette raison, il est légitime de

considérer que les inputs comportementaux des clients sont à l’origine de la décision de la

plate-forme entrante, sans laquelle ne se poserait pas la question de ces interdépendances.

« C’est des choses qui pourraient être traitées par un autre biais, mais les clients ont pris une

habitude à travailler de cette manière là, c'est à dire pour un solde, par exemple, appeler.

Avoir leur conseiller. Pour une commande de chéquier, appeler. Avoir leur conseiller. En fait,

ce sont des habitudes, il y avait pas ce type de système, de toute manière, donc forcément, ils

utilisaient les moyens qu’ils avaient à leur disposition, mais aujourd'hui, toutes ces petites

choses qui prennent quand même du temps, hein, vous êtes en rendez-vous, puis vous avez 4

ou 5 appels pendant votre entretien, bon, la personne qui est quand même venue vous voir a

pris sur son temps également, et désire que vous en ayez autant pour elle, donc une

implication complète. Quand vous aviez le téléphone qui sonnait 4 ou 5 fois pendant votre

entretien, c’est vrai que c’est difficile quand vous faites une proposition commerciale de

continuer le fil » (EFN PFE 05).

Ensuite, l’étude des préférences des clients et l’anticipation de leur comportement ont

partiellement guidé les choix techniques retenus.

Les préférences des clients, tout d’abord, ont conduit à privilégier un serveur vocal

aux traditionnels services téléphoniques interactifs nécessitant l’appui des touches du clavier.

« On a souhaité éliminer la reconnaissance par touches, qui bien souvent est un des obstacles

en tout cas mis en avant par l’utilisateur, par le consommateur, par le client, à ne pas utiliser

le service » (EFN PFE 01).

Autrement dit, l’EFN a anticipé la capacité de ses clients à participer, pour s’adapter

aux problèmes que les limites de cette capacité risquaient de faire émerger, et a opté en

conséquence pour un serveur vocal.

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Chapitre Sixième – Études de cas

372

II.2.3.a.(2) L’influence quotidienne du client sur la génération d’interdépendances entre les canaux

Au-delà du rôle légitime qu’il est possible d’attribuer aux clients dans la création de la

plate-forme entrante, ceux-ci sont aussi à l’initiative des interdépendances quotidiennes entre

les canaux.

Ils agissent en premier lieu sur les couplages de communauté. D’abord, parce que ce

sont leurs appels qui sont à l’origine de l’activité de la plate-forme entrante, et que leur

dérivation sur ladite plate-forme modifie l’activité des agences.

« Quand on avait des appels téléphoniques, c’était sans arrêt, c’est vrai, c’était des

informations un peu banales on va dire, donc c’est vrai que ça nous a déchargés beaucoup au

niveau des appels entrants, ça c’est une révolution, quand même » (EFN WAT 02)

Mais qui dit action sur les couplages de communauté, ne dit pas nécessairement action

dans le sens qu’attend la banque. Nous voulons dire par là que si la banque souhaite voir ses

clients passer par la plate-forme pour leurs opérations à moindre valeur ajoutée, ces derniers

ne répondent pas toujours présents. Ainsi, nous avons mis à jour des stratégies de

contournement de la part de certains clients, qui s’ingénient à trouver des solutions pour ne

pas avoir à appeler la plate-forme, et rétablir un contact direct avec leur conseiller.

Ces stratégies illustrent d’un arbitrage de la part du client entre les inputs de sa

participation propres à chacun de ces modes de contact. Ainsi, dans certains cas (cf. citation

de EFN BET 04), il arbitre entre l’effort que lui demande la plate-forme dans son utilisation

(inputs mentaux), et celui que lui demande le déplacement en agence (inputs physiques). Dans

d’autres (EFN BOUL 01), ce peut être le refus de payer l’appel (inputs financiers) qui peut

être originaire de son comportement. Ces stratégies montrent également le refus des clients de

participer selon les nouvelles règles édictées par la banque, voire parfois leur incapacité à

participer.

« Le client aime pas ça, et il l’utilise plus, ça arrive, où le client a essayé une fois ou deux, la

plupart du temps, et puis c’est tout, il vient plutôt à l’agence » (EFN BET 04).

« Quand ils ne peuvent pas passer par la porte, ils essaient de passer par la fenêtre, par

exemple, de temps en temps, ici, c’est le centre d’affaires professionnel, et donc il y a un

standard dont le numéro figure dans le bottin, à centre d’affaires professionnel, EFN, donc

certaines personnes hésitent à appeler le 0800 et passent par le centre d’affaires

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Chapitre Sixième – Études de cas

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professionnels […] Ce qui fait que là, on leur dit, vous n’êtes pas à l’agence particuliers, je

ne peux pas vous passer votre interlocuteur, il faut appeler le numéro machin, le 800 etc,

donc bon, certains comprennent mal parce que ils se rendent compte que le centre d’affaires

il est dans la même agence » (EFN BOUL 01)

Ce genre de situation est néfaste pour l’EFN, en ce qu’elle induit à un couplage de

communauté dont le calcul économique lui est défavorable. Nous pouvons donc parler dans

ce cas de coût de coordination généré par le refus du client de passer par la plate-forme, et par

les comportements qui vont de pair avec ce refus316.

Les clients agissent aussi sur les interdépendances séquentielles (Tableau 6-15). Nous

ne sommes en revanche pas en mesure de fournir d’exemple d’interdépendance réciproque

dans le cas de l’EFN mettant clairement en évidence le client.

Tableau 6-15 : L’influence de la participation client sur la génération d’interdépendances séquentielles dans le cas BCR

INTERDÉPENDANCE VERBATIMS

NATURE DE L’INFLUENCE

DU CLIENT « Quand on effectue une opération importante avec le

client, l’agence est avertie, le conseiller est averti aussitôt par fax ou par téléphone quand c’est

vraiment un cas urgent » (EFN PFE 02)

Inputs mentaux

Volonté

« J’ai déjà eu l’occasion d’avoir des personnes de plate-forme qui m’ont appelée en direct. Sur une

urgence très très ponctuelle. Ou des clients vraiment très, très énervés. Donc là, ils m’appellent tout de

suite, et moi je rappelle après » (EFN BET 04)

Inputs mentaux

Inputs émotionnels

Séquentielle « Vous avez des gens également qui sont pas du tout

satisfaits de ne pas nous avoir en direct. Donc ils essaient, parce que vous avez des filous, moi j’ai un client, c’est un sacré filou, il a dit à la plate-forme,

dites à Mme D. qu’elle m’appelle tout de suite, parce que j’ai gagné au loto […]bon là, ce monsieur était

directeur, il savait pertinemment comment ça se passait, donc il a trouvé le filon, je dirais, entre

guillemets, pour que je l’appelle » (EFN BET 01)

Volonté

Inputs mentaux

Inputs comportementaux

Caractéristiques

individuelles

316 Bien évidemment, tout dépend de la valeur ajoutée que représente le client : avoir un client qui reste fidèle à son agence parce qu’il a trouvé ce substitut peut être préférable. Mais les clients les plus importants disposant de la ligne directe de leur conseiller, il est possible que la perte dudit client soit économiquement plus profitable.

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Chapitre Sixième – Études de cas

374

Ainsi, le degré d’acceptation des clients (volonté) joue sur la génération de ces

interdépendances réciproques. De même que la qualité ou la nature de l’information qu’ils

vont transmettre aux téléconseillers (inputs mentaux), ou à la manière dont ils vont se

comporter en les ayant au téléphone (inputs émotionnels et inputs comportementaux). Ils

peuvent également chercher à contourner la plate-forme au moment où ils établissent le

contact avec le téléconseiller (EFN BET 01).

Enfin, certaines des caractéristiques individuelles du client vont également avoir une

influence sur ces interdépendances, comme dans le cas du client qui tente de se faire passer

pour un gagnant au loto : le conseiller qui nous rapporte cette anecdote a pris soin de préciser

que « il était directeur, donc il savait comment ça se passait ». L’utilisation des critères de

segmentation basés sur la profitabilité du client pour décider de lui donner ou non le numéro

de la plate-forme renforce à l’inverse les couplages de communauté, soit dans le sens de la

plate-forme, soit dans le sens des agences. L’âge des clients influence également leur

comportement, accroissant généralement leurs réticences vis-à-vis de la plate-forme, et

pouvant générer plus d’interdépendances séquentielles.

II.2.3.a.(3) L’orientation du client par des techniques de socialisation organisationnelle.

Les techniques de socialisation organisationnelle utilisées par l’EFN, qui visent à faire

prendre conscience du changement aux clients, à éclaircir les modalités de leur participation, à

leur permettre d’apprendre à utiliser les nouveaux canaux, ou à les inciter à participer, sont

diverses. Nous regroupons celles que nous avons identifiées sous cinq catégories non-

exclusives, présentées dans le tableau 6-16 qui les illustrent par des verbatims.

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Chapitre Sixième – Études de cas

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Tableau 6-16 : Les cinq modes de socialisation organisationnelle identifiés à l’EFN

MODE DE SOCIALISATION VERBATIMS

Littérature organisationnelle /

Affichage

« Un mailing a été envoyé avec une petite carte où on spécifiait le numéro de la plate-forme, donc le numéro est différent par rapport aux agences, donc chaque agence a un numéro bien spécial, et leur code confidentiel.

Donc ça a été fait comme ça, et puis une lettre » (EFN WAT 02) « On a encore toujours des affichages en permanence, il y a eu des affiches qui ont été apposées, et puis il a été distribué au niveau du guichet ce petit

document à chacun des clients, pour leur rappeler le choix fait » (EFN BOUL 02)

Démonstration « Les jeunes ont plus de facilité, il y a certains clients, il a fallu leur montrer

comment utiliser ce service d’accueil, parce que ils n’arrivaient pas à accéder » (EFN BET 01)

Pédagogie par le personnel en

contact

« Il faut que chaque conseiller, et chaque chargé d’accueil, puisse vendre ces différents canaux, puisse expliquer pourquoi ils sont là, leur utilité »

(EFN WAT 01)

Référence au contexte

stratégique

« De toute façon, d’ailleurs, on le dit nous-mêmes, c’est un peu partout comme ça, on est obligé d’avoir ce genre de chose maintenant » (EFN VIL

02)

Coercition « Tout cela nous a en fait amené l’EFN à se dire : stop. On ne peut plus continuer comme ça. Il faut obliger les clients à faire autrement […] de

toute façon, une clientèle, ça s’éduque » (EFN VIL 01)

Concomitamment à la dérivation des appels de leur agence sur la plate-forme, les

clients reçoivent donc, dans les quelques jours qui précèdent, un courrier les informant de ce

changement, de ses raisons, du nouveau numéro à contacter et des missions de la plate-forme.

En même temps que ce courrier, les clients réceptionnent également une petite carte,

au format carte de crédit, qui les informe là encore du numéro de la plate-forme et ses

missions principales, et leur laisse un espace dédié à l’inscription de son mot de passe pour

accéder aux services du centre d’appels.

Quant aux clients des conseillers patrimoniaux et privés, eux-aussi sont informés du

changement de numéro de leur conseiller, dont ils reçoivent la nouvelle ligne directe. Les

techniques de socialisation organisationnelles sont donc variables en fonction du segment de

clientèle, certains faisant l’objet d’une attention particulière.

La démonstration est également utilisée par certains conseillers dont les clients

affichent des capacités limitées à l’utilisation du serveur vocal. Le client vient alors en agence

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Chapitre Sixième – Études de cas

376

avec son code personnel, où il effectue la manipulation en compagnie de son conseiller. Cela

permet par ailleurs d’améliorer la clarté de leur participation à l’égard de ce nouveau service.

Par ailleurs, les conseillers sont sollicités par leur direction pour faire montre de

pédagogie vis-à-vis de leurs clients, en leur expliquant les avantages qu’ils peuvent retirer de

ce changement. Le contexte stratégique leur sert également, garantissant un aspect inéluctable

à la décision, et preuve également d’un certain déterminisme sur l’évolution de leur industrie.

Enfin, nous considérons aussi que l’obligation faite aux clients (sauf aux clients des

segments haut de gamme, à nouveau) de passer par la plate-forme, et la non-possibilité de

transfert d’un appel sur une agence sont aussi des techniques de socialisation

organisationnelle, que nous qualifions de coercitives.

II.2.3.b) La modulation de la nature et de l’historique de l’échange

II.2.3.b.(1) La nature de l’échange comme modulateur. Les clients, attachés à la relation qu’ils entretiennent avec leur conseiller, ont d’autant

plus de mal à accepter les transformations induites par l’apparition de la plate-forme. La

nature de cet échange les amène donc soit à avoir une vision négative de la plate-forme, tout

en l’utilisant contraints et forcés, soit à déployer des stratégies de contournement qui

remettent en cause l’efficacité du système.

« Ce que reprochent les clients, c’est de ne plus avoir le contact direct avec le collaborateur.

Se retrouver sur une plate-forme téléphonique, c’est impersonnel, ils nous font le reproche.

Ils ne savent pas où ils aboutissent. C’est sûr qu’ils ont l’information qu’ils souhaitent avoir,

mais ils n’ont pas l’interlocuteur qu’ils auraient souhaité avoir » (EFN BOUL 01)

La nature de cet échange joue d’autant plus que la modulation qu’elle engendre est

d’une certaine manière entérinée par la stratégie de segmentation de l’EFN, les clients les plus

haut de gamme n’étant pas confrontés à ces changements, sinon en sortent avec l’impression

d’être toujours plus privilégiés, ce qui répond à un des objectifs de la banque.

« Quand on travaille avec une clientèle haut de gamme, le fait d’avoir une plate-forme, c’est

très, très mal perçu par les clients, parce qu’ils aiment bien avoir leur conseiller en direct, ils

ont besoin d’avoir une relation privilégiée » (EFN BET 03).

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Chapitre Sixième – Études de cas

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Enfin, il est apparu que justement, cette stratégie de segmentation faisait que certains

clients bas de gamme ne se sentaient plus nécessairement bien accueillis dans leur agence, et

préféraient, aux dires d’une téléconseillère, la réception qu’ils avaient sur la plate-forme. Dans

ce cas, la nature de la relation joue dans le sens d’un renforcement des couplages de

communauté en direction de la plate-forme, et correspond donc au sens souhaité par l’EFN.

« Certains clients bas de gamme ou moyen de gamme, quand ils vont à leur agence, ne sont

pas non plus bien reçus, donc quand ils appellent l’accueil, ils ont l’impression d’être

écoutés, on répond à leurs demandes, donc c’est vrai qu’à la limite, ils sont moins réticents

au service. Les clients un peu plus haut de gamme, ils aiment bien être servis, reconnus […]

je ne suis pas dans l’agence, tout de suite, ils aiment pas trop le concept » (EFN PFE 02)

II.2.3.b.(2) L’historique de l’échange comme modulateur. La relation s’inscrit dans un historique qui fait que l’employé en contact a une

connaissance plus ou moins fine de son client. L’impact de cet historique sur les

interdépendances n’est pas ressorti de nos entretiens menés en plate-forme, mais en agence

uniquement.

Cet historique leur permet soit de prendre du recul vis-à-vis des réactions de leurs

clients à propos de la plate-forme, soit pose des problèmes du fait de leur implication devenue

trop importante dans cette relation. Ce rôle modulateur de l’historique sur les

interdépendances ne peut facilement être distingué de celui qu’il joue en regard des

mécanismes et processus de coordination : c’est pourquoi nous ne le développons pas plus ici.

II.3 L’ANALYSE DES MÉCANISMES DE COORDINATION.

Commençant par l’identification des mécanismes de coordination et de leur

importance relative (II.3.1), cette sous-section se poursuit par l’étude de l’influence du client

lesdits mécanismes et sur leur utilisation (II.3.2). Nous concluons par l’aspect modérateur de

la nature et de l’influence de l’échange (II.3.3).

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Chapitre Sixième – Études de cas

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II.3.1 L’identification et l’importance relative des

mécanismes.

II.3.1.a) Les mécanismes de coordination utilisés à l’EFN

Le tableau 6-17 illustre ces différents mécanismes, que nous commentons. Pour

rappel, ces mécanismes sont supportés par les outils que nous avons identifiés plus haut

comme assurant les interdépendances entre les canaux.

Tableau 6-17 : Les mécanismes de coordination de l’EFN.

MÉCANISME DE COORDINATION VERBATIM COMMENTAIRE

Ajustement mutuel

« Il m’arrive de contacter le responsable de la plate-forme, de manière informelle, avec comme

objectif de faire avancer les choses, de faire évoluer les mentalités, de se caler sur les attentes des uns et des autres, d’évacuer les freins réseau, les freins

plate-forme » (EFN WAT 01)

L’ajustement mutuel est très rare, et n’est pas facilité en raison du

manque d’information disponible. Il s’effectue le plus souvent à des

niveaux hiérarchiques supérieurs

Communication interne

« On a mis en place une communication interne avant, en

amont, [qui] doit continuer encore de s'amplifier au fur et à mesure de la

dérivation de ces agences nouvellement rattachées aux plates-

formes » (EFN PFE 01)

Surtout abondante dans les semaines qui précèdent la mise en

place de la plate-forme, elle semble quasiment inexistante ensuite, la majorité des conseillers déclarant n’avoir aucune information de la

plate-forme

Relations latérales « On a eu l’occasion d’aller rendre visite à la plate-forme pour voir un petit peu comment ça se passait »

(EFN WAT 02)

Ces relations latérales existent prioritairement par les visites des conseillers sur les plates-formes,

dans un cadre très normé. Le groupe de travail semble avoir une existence plus théorique que réelle au niveau local, peu le connaissant,

même au siège régional

Standardisation des procédés

« Certains ne connaissent toujours pas le timing de prise de rendez-vous entre le client qui vient faire un changement d’adresse, et un client qui vient faire un prêt immobilier » (EFN BET 04)

« Chez nous, c'est le mot homogénéisation qui prime. De pratiques, de comportements, de procédures, d'utilisation. Et de discours client » (EFN PFE 01)

Les procédures, qui sont fortement ancrées dans les outils décrits

précédemment, sont très détaillées pour chaque canal, et ne sont pas

diffusées entre les canaux

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Chapitre Sixième – Études de cas

379

Standardisation des résultats

« C’est par point que ça fonctionne, faut qu’on ait notre quota par jour, ça fonctionne par trimestre […] chaque produit a un nombre de points qui lui

est rattaché, donc suivant l’importance du produit, ce que ça rapporte à

l’EFN, et on a un pourcentage global à faire par trimestre » (EFN PFE 02)

Cette standardisation s’exprime à la fois en termes d’objectifs

commerciaux quantifiés pour chacun des canaux, mais aussi en termes qualitatifs (e.g. rapidité de décroché pour un téléconseiller ; conservation du produit pour un

conseiller).

Supervision directe

« Régulièrement, je fais remonter, via le responsable de l’unité commerciale, et via le développement commercial, je fais remonter ce type d’information »

(EFN BOULO 02)

Les lignes hiérarchiques sont très marquées, et l’information transite

presque exclusivement entre les canaux par les supérieurs

Transfert de personnel

« Dans la population du personnel présent, il y a 1/3 d’embauches, 1/3 de

personnes qui viennent de centres administratifs, unités d’appui

commerciales, et 1/3 qui viennent du réseau » (EFN Siège 01)

Très peu utilisé (1/3 du personnel de la plate-forme est issu du

réseau), les conseillers interrogés y font peu référence. Surtout utilisé au niveau des responsables et des

superviseurs de plate-forme. Commence à devenir bilatéral

A ce tableau, nous jugeons indispensable l’ajout de deux remarques. La première porte

sur la standardisation des compétences, que nous n’avons pas indiqué parmi les mécanismes

de coordination, ce qui aura peut être surpris le lecteur. En fait, nous aurions pu l’inclure,

mais il nous a paru que nos données ne rentraient pas véritablement dans ce que la littérature

met sous cette appellation. En effet, la stratégie commerciale de l’EFN implique que

conseillers et téléconseillers sont supposés être capables de réaliser exactement les mêmes

opérations, la limite ne résidant pas dans des différentiels de compétences, mais à des

contraintes à la fois juridiques et techniques (dixit le responsable de la plate-forme). Par

conséquent, il nous a paru difficile d’indiquer cette standardisation des compétences en tant

que mécanisme de coordination entre les canaux. Pourtant, les conseillers perçoivent, eux, une

différence entre les postes… Différence que les téléconseillers ne perçoivent pas.

« On fait deux métiers différents. Pour moi, leur premier métier, c’est d’accueillir le client, et

de le renseigner pour, entre guillemets, des choses simples. Pour un prêt immobilier, ils ne

peuvent pas, si, donner des renseignements très succincts, genre documents qu’il faut, etc, ou

comment ça se passe pour un client qui ne sait pas du tout comment ça se passe, mais ils ne

peuvent pas eux faire un prêt immobilier, il faut un certain temps, il faut une certaine

formation, je ne sais pas si ils ont cette formation » (EFN BET 01).

« On est conseiller au même titre que leur conseiller en agence, on peut faire les mêmes

opérations, on est habilité à faire les mêmes choses, sauf certaines choses, bien sûr, par

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Chapitre Sixième – Études de cas

380

exemple quand il y a des justificatifs à fournir au conseiller, et que nous on n’a pas au

téléphone, donc on peut pas faire la modification » (EFN PFE 03)

« En fait, c’est pas des opérations qu’on peut faire et des opérations qu’on peut pas faire,

c’est il y a des opérations qu’on peut mener à leur terme, et il y a des opérations qu’on ne

peut pas. Parce que les procédures ne nous y autorisent pas » (EFN PFE 05)

Cette différence peut selon nous s’expliquer par la nature de l’échange que ces deux

catégories d’employés en contact entretiennent avec le client. D’un côté, la pseudo-relation,

sur la plate-forme, privilégie nettement un échange technique ancré dans des procédures

strictes. De l’ordre, même si les procédures sont également strictes pour le conseiller, le fait

qu’il entretienne une vraie relation avec son client l’amène à percevoir cette différence, que

mettent beaucoup moins en avant les téléconseillers. Ces derniers sont certes conscients de

cette différence, mais considèrent être sur un pied d’égalité avec les conseillers au plan

purement technique. La stratégie de l’EFN, sur les segments bas et moyen de gamme (et non

sur les segments haut de gamme, bien sûr), tend à valider leur interprétation.

Une dernière précision à ce sujet : nous ne disons pas que la standardisation des

compétences n’est pas utilisée par l’EFN. Nous disons juste, en l’argumentant, qu’elle ne

nous paraît pas être un mécanisme de coordination au niveau du réseau de distribution

multicanal. A contrario, il est clair que ce mécanisme est utilisé au sein de chacun des canaux

que nous avons étudié, comme le prouve l’existence de différentes catégories de conseillers et

téléconseillers.

Notre deuxième remarque touche aux relations latérales. Le responsable de la plate-

forme nous a parlé d’un groupe de travail transversal à la plate-forme et aux agences, qui était

en fait une équipe projet chargée d’en assurer la mise en place. Il nous a par ailleurs glissé que

ce groupe était devenu « une équipe d’accompagnement sur un fonctionnement qui existe ».

Or, aucun de nos autres interlocuteurs, que ce soit en agence ou au siège social, n’a été en

mesure de nous confirmer l’existence de groupe, dont ils n’avaient apparemment jamais

entendu parler. Ils savaient qu’une structure ad hoc avait géré ce développement, mais ne

disposaient pas d’information complémentaire. Un approfondissement nous a permis de

comprendre que ce groupe était une entité nationale, centralisée, mais sur la fréquence de

réunion duquel nous n’avons pu avoir d’éclaircissement.

Il semblerait plutôt que ces relations latérales ne soient pas assez nombreuses, ce que

déplorent d’ailleurs de nombreux interviewés, qui se plaignent de ne pas savoir suffisamment

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Chapitre Sixième – Études de cas

381

ce que font leurs collègues des autres canaux. Quant à l’association des agences à la démarche

de dérivation, elle semble arriver tardivement.

« L'importance du projet, la relative complexité technique d'une part, d'autre part, l'absence

de faits concrets dans le quotidien des acteurs était entre autres une des raisons pour

lesquelles on n’a peut-être pas souhaité les associer trop dans le détail, en tout cas avant le

démarrage du projet. Alors, ils y étaient associés, et c'est toujours le cas, au fur et à mesure

des dérivations d'agences, puisqu'il y a quand même toute une phase préparatoire au

basculement de la dérivation » (EFN PFE 01).

Nous reviendrons sur cela lorsque nous aborderons les liens entre les mécanismes et le

processus de coordination.

II.3.1.b) L’importance relative des mécanismes entre eux.

N’ayant pas d’outil permettant d’évaluer cette importance relative des mécanismes les

uns par rapport aux autres, nous estimons que deux d’entre eux ressortent particulièrement

dans ce cas EFN : la standardisation des procédés et des résultats, la coordination procédurale

étant certainement la plus importante.

Quant à celle par la standardisation des résultats, elle revient très fréquemment dans

nos entretiens, et semble à l’origine de problèmes de coordination. En effet, ce mécanisme

comporte deux types d’indicateurs : qualitatifs et quantitatifs. C’est la seconde qui pose

problème, puisque basée sur les résultats commerciaux, donc les ventes réalisées par les

canaux.

Il faut savoir que les conseillers de l’EFN ont une part variable de leur rémunération

dépendante de l’atteinte de leurs objectifs, mais aussi de rétrocessions sur les produits vendus.

Or, toute vente faite par la plate-forme à un client vient alimenter le nombre de ventes du

conseiller dont dépend le client, mais la rétrocession revient dans ce cas au téléconseiller, et

non plus au conseiller. En outre, chaque produit sur la plate-forme se voit affecté un certain

nombre de points, chaque téléconseiller devant atteindre un certain nombre tous les trimestres.

Et plus le produit est élaboré, plus le nombre de points rapportés est élevé. Ce qui incite

naturellement les téléconseillers à les privilégier dans leur démarche de « rebond

commercial ». Ce n’est pas du goût des conseillers, dont certains s’interrogent sur la mission

première de la plate-forme. Et ce d’autant plus que le message selon lequel les téléconseillers

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Chapitre Sixième – Études de cas

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auraient une activité commerciale n’était pas bien passée dans le réseau317, ce qui donne à

certains conseillers l’impression que la plate-forme avance à pas feutrés vers une

cannibalisation relative de leur activité. Cette impression peut être renforcée par le fait que le

responsable de la plate-forme se refuse à parler d’objectifs en ce qui concerne ses

téléconseillers, mais de points, qui fonctionnent selon le principe expliqué ci-dessus.

« Même si il y a pas d’objectifs, c’est déguisé. Vous avez des challenges avec les classements

qui sont affichés toutes les semaines, vous avez donc une partie variable, vous devez faire tant

d’objectifs, enfin, tant de ventes, tant de points, puisque c’est quantifié en points, pour arriver

à ça, vous devez prendre tant d’appels, etc., donc il y a pas d’objectifs définis, mais ils sont

là, il faut pas se leurrer » (EFN PFE 04).

« On se rend compte quand même que ces services d’accueil on les booste quand même

également pour faire beaucoup d’affaires. Ils ont également des objectifs […] Et à la base, on

nous l’a pas dit, […] on ne nous a jamais dit que nos collaborateurs auraient des objectifs »

(EFN BET 01)

Nous approfondirons les conséquences de cette situation lorsque nous traiterons des

liens entre mécanismes et processus de coordination (cf. p 401).

II.3.2 L’influence du client sur les mécanismes de

coordination

L’influence du client sur les mécanismes se fait en deux temps : une phase

d’anticipation des réactions, suivie d’une phase d’adaptation.

II.3.2.a) L’anticipation des réactions du client.

II.3.2.a.(1) Au niveau du réseau de distribution multicanal pris dans son ensemble

Lorsque nous avons traité des interdépendances, nous avons montré dans quelle

mesure les client avaient eu un impact sur leur génération. Leurs réactions furent également

anticipées, comme nous l’avons alors fait remarquer en expliquant les raisons du choix d’un

serveur vocal par opposition à un serveur à touches, afin de faciliter la capacité du client à

accéder au service. 317 Cela est démenti toutefois par des responsables d’unité commerciale. Nous avons également consulté un document de communication interne remontant à 2003 qui fait état des opérations commerciales que sont habilités à réaliser les téléconseillers, et qui a fait l’objet d’une diffusion en agences.

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Chapitre Sixième – Études de cas

383

Leur comportement potentiel fut également intégré dans la réflexion autour des

nouveaux numéros attribués aux agences. Tous furent changés, pour éviter que les clients

n’appellent sur les anciens numéros. Ce risque était patent, comme nous l’avons montré en

mettant en lumière les stratégies de contournement de certains clients. Tous, y compris ceux

des conseillers patrimoniaux ou privés, bien que non concernés, pour éviter le risque que les

clients ne retrouvent les nouveaux numéros, faisant ainsi achopper l’opération.

« Tous les numéros étaient dénumérotés. Pour éviter d’avoir des clients qui appellent sur les

anciens numéros, et qui fassent la liste [pour tomber] sur le numéro de la personne qui

pouvait éventuellement répondre » (EFN Siège 01).

De surcroît, les procédures ont dès le départ prévu que, en cas de réactions trop

virulente de la part du client (inputs émotionnels), le téléconseiller avait la possibilité de

joindre le conseiller en double appel, pour lui demander de rappeler son client

immédiatement, le choix technique de l’EFN interdisant, rappelons le, le transfert d’appels de

la plate-forme vers l’agence.

Enfin, la nature du segment auquel appartient le client (donc ses caractéristiques

individuelles) fut également un facteur important de prédétermination des procédés, puisque

en fonction de ce segment, le client est ou non renvoyé sur la plate-forme ou sur le poste de

son conseiller.

II.3.2.a.(2) Au niveau des employés en contact. Cette anticipation n’existe qu’au niveau des conseillers, les téléconseillers ne pouvant

bien sûr être concernés, puisque pas encore en place. Bien qu’intéressés par le confort de

travail que leur laissait présager la plate-forme, tous étant « pollués » en agence par les appels

téléphoniques, ils n’en craignaient pas moins les réactions de leurs clients en regard de ce

changement. De même, certains conseillers redoutaient de perdre une partie de cette relation

privilégiée avec leurs clients, lesquels, au détour d’une conversation ou d’un appel

initialement non productif, leur livraient des informations qu’ils réutilisaient un peu plus tard

à but commercial.

« D’un point de vue commercial notamment par rapport aux bons clients, c’était le souci du

fait qu’ils allaient être plus difficiles à joindre […] quelle allait être la réaction des clients

quand ils allaient avoir affaire à une plate-forme et non plus à leur agence préférée. C’est un

petit peu ce souci là sur lequel il a fallu les rassurer » (EFN BET 05)

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Chapitre Sixième – Études de cas

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La différenciation annoncée du traitement réservé aux segments haut de gamme

résolvait en partie ce problème, puisque ceux-ci avaient la ligne directe de leur conseiller,

mais restait limitée à un nombre somme toute restreint de clients. Pour le reste, les conseillers

durent user de pédagogie en amont, en expliquant à l’avance à leurs clients ce qui allait se

passer, pour quelles raisons ce dispositif était mis en place, et les avantages qu’ils en

retireraient.

II.3.2.b) L’adaptation progressive aux réactions des clients.

II.3.2.b.(1) Au niveau du réseau de distribution multicanal pris dans son ensemble

Les dysfonctionnements inhérents à un changement de cette ampleur font

normalement l’objet d’une remontée d’informations entre les canaux, suivant la voie

hiérarchique : le conseiller informe son directeur d’agence, lequel peut soit traiter le problème

en appelant directement la plate-forme concernée, ou le faire remonter auprès de son

responsable d’unité commerciale, qui se chargera lui-même de la transmission avec la plate-

forme. Si le problème est identifié par la plate-forme, le téléconseiller est alors supposé en

aviser son superviseur.

« On fait la réclamation, et puis après, c’est au sup de voir, de transmettre... Voilà. C’est ça.

Nous, notre travail s’arrête à remplir la feuille de déclaration, et puis ensuite on transmet,

c’est tout » (EFN PFE 02).

Comme nous l’avons déjà rapporté, il ne semble pas y avoir de groupe de travail, ni

même de réunions entre différents membres des canaux pour faire un point régulier sur ces

dysfonctionnements, et procéder à des améliorations ou à des rappels de procédures. Ces

enrichissements se font à la marge, ponctuellement, et de manière décentralisée.

II.3.2.b.(2) Au niveau des employés en contact. Parmi les problèmes rencontrés, nombreux sont ceux qui touchent aux rendez-vous

pris sur les agendas par les téléconseillers : la durée est parfois non conformes à la nature de

la demande du client ; les précisions indiquées par les conseillers ne sont pas suivies ; ou les

clients ne sont pas affectés au conseiller adéquat. Ces situations à problème semblent le plus

souvent trouver leur origine dans la pression exercée par le client pour obtenir un rendez-vous

dans les conditions qui lui conviennent (inputs comportementaux).

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Chapitre Sixième – Études de cas

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« Bien souvent, la plate-forme […] trouve le directeur d’agence pour assumer le rendez-vous

qui ne peut être affecté à tel ou tel collaborateur, parce que le client veut tel jour à telle heure

et que le collaborateur est déjà occupé, ou que le collaborateur est en congé, ou autre. Et

donc, la plate-forme me remet le client, pour être sûr qu’il ait un rendez-vous à l’heure qu’il

voulait, le jour qu’il voulait » (EFN BOUL 02).

En outre, nous avons appris par le responsable du centre d’appels que les

téléconseillers ne peuvent mettre fin à l’appel, tâche qui incombe au client. Il est donc

possible, même si nos données ne nous permettent pas de l’affirmer, que cette situation puisse

occasionnellement renforcer l’influence que le client a sur le téléconseiller.

La pression des clients réticents à l’utilisation de la plate-forme pousse aussi certains

conseillers à assouplir ponctuellement les procédés qu’ils sont supposés respecter, mettant en

place des stratégies de contournement. Celles-ci sont toutefois particulièrement rares, et ne

sont revenues qu’à trois reprises chez les interviewés.

« Il y a eu quand même quelques tensions, il y a pu y avoir des dérapages sur certains

conseillers qui ont quand même communiqué leur ligne » (EFN WAT 01)

« Au niveau des fax, oui, moi j’informe les clients que j’ai un fax, oui » (EFN WAT 02)

« Malgré tout, de temps en temps, on communique notre numéro de téléphone, quand on a un

dossier en cours avec un client, c’est vrai qu’après finalement, il garde le numéro, il nous

rappelle, mais bon, ça n’a rien à voir par rapport à avant » (EFN VIL 02).

Leurs possibilités de contournement sont toutefois plus que restreintes : la

communication des numéros directs fait l’objet d’un strict encadrement, et les agences ne

disposent pas d’un accès à Internet, donc les conseillers n’ont pas de messageries

professionnelles qu’ils peuvent communiquer à leurs clients.

II.3.3 La modulation de la nature et de l’historique de

l’échange.

II.3.3.a) La nature de l’échange comme modulateur

Seuls les conseillers font apparemment preuve de déviances par rapport aux procédés,

comportement qui, comme le montrent les résultats précédents, découle directement de la

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Chapitre Sixième – Études de cas

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préexistence de la relation à la plate-forme. La nature de l’échange, i.e. une relation dans ce

cas, a tendance à amplifier la portée de l’influence du client sur le conseiller. Néanmoins, il

n’y a pas de déterminisme net, car d’autres facteurs rentrent en jeu, comme la structure de

contrôle au sein de l’entreprise (vérification de ce que le personnel des agences ne donne pas

le numéro de la ligne directe) et, directement lié à l’échange, l’historique de celui-ci.

II.3.3.b) L’historique de l’échange comme modulateur.

L’ancrage de l’échange dans la durée semble jouer, même si son apparition est rare

dans nos entretiens.

« Les collaborateurs sont relativement anciens dans leur poste, puisque la plupart d’entre eux

ont dix ans de fonction avec la même clientèle, donc les relations sont devenues tellement

fines, tellement amicales, que ça crée un problème supplémentaire. D’où, malheureusement,

le défaut de certains de communiquer le nouveau numéro de téléphone, afin que les clients

puissent les avoir en direct » (EFN BOUL 02).

En outre, cette connaissance qu’ont les conseillers des clients a conduit la direction de

l’EFN à ne pas autoriser les téléconseillers à réaliser certaines opérations, non parce qu’ils

n’en ont pas les compétences, mais parce qu’ils n’ont pas le même niveau de connaissance de

la clientèle (contrainte de gestion du risque, qu’une meilleure connaissance du client est

supposée faciliter).

« On connaît pas le client, donc c’est vrai qu’on peut pas, même en ayant un historique, on le

connaît pas. Donc on sait pas, on connaît pas, on sait ce qu’il fait, on sait sa profession, mais

on connaît pas ses habitudes, etc, suffisamment pour pouvoir décider d’une opération. Donc

c’est le conseiller qui gère » (EFN PFE 02).

II.4 L’ANALYSE DU PROCESSUS DE COORDINATION.

Nous commençons par l’analyse de l’influence du client sur le processus de

coordination (II.4.1), pour nous atteler ensuite à la modulation de la nature et de l’historique

de l’échange (II.4.2).

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Chapitre Sixième – Études de cas

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II.4.1 L’influence du client sur le processus de

coordination.

Comme dans le cas BCR, nous nous focalisons premièrement sur la dimension

communicationnelle, puis sur la dimension relationnelle, avant de nous intéresser aux liens

entre les dimensions et composantes de ce processus.

II.4.1.a) L’influence du client sur la dimension communicationnelle du processus.

Même si la communication entre les canaux est presque totalement bornée par les

procédures, il n’empêche que le client, en tant que générateur des interdépendances, a un

impact, assez inégal il est vrai, sur certaines des composantes de ces dimensions.

II.4.1.a.(1) L’influence du client sur l’aptitude de la communication à résoudre des problèmes.

Nous avons été confronté au même problème d’opérationnalisation de cette dimension

que dans le cas BCR, et sa proximité avec la précision de la communication fait que nous

n’avons pas pu identifier de liens entre cette dimension et la participation client.

II.4.1.a.(2) L’influence du client sur la fréquence de la communication

La fréquence de la communication dépend des procédures que sont contraints de

respecter les téléconseillers, puisque cette communication est essentiellement unilatérale, des

plates-formes vers les agences. Mais le client étant à l’origine des interdépendances entre les

canaux, cela nous permet de dire que l’activation de ces procédés dépend de sa participation,

et plus précisément, de ses inputs émotionnels, comportementaux, et mentaux, ainsi que de sa

volonté à participer. Ce dont fournit une représentation la figure 6-12, illustrée par le tableau

6-18.

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Chapitre Sixième – Études de cas

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Figure 6-12 : Représentation schématique de l’influence du client sur la fréquence de la communication entre les canaux de l’EFN

En fonction de la présence ou de l’absence de ces inputs, ou de ce déterminant, la

fréquence de la communication sera plus ou moins élevée. Ainsi, l’énervement d’un client au

téléphone provoquera l’envoi d’un fax, voire un double appel pour demander au conseiller de

recontacter ce client immédiatement.

Tableau 6-18 : Illustration de l’influence du client sur la fréquence de la communication entre les canaux de l’EFN

ORIGINE DE L’INFLUENCE VERBATIM

Inputs comportementaux

« Ou alors, ils nous appellent. Des fois, ils nous appellent en direct. Un client, très, très urgent, des fois, il faut absolument l’appeler » (EFN VIL 01)

Inputs mentaux « En fonction de la nature de l’information que le client va nous laisser, en fait, on va prévenir l’agence ou pas » (EFN PFE 05)

Inputs émotionnels

« Un client qui fait une réclamation... Alors, ça aussi, client mécontent, pouvez-vous le rappeler... » (EFN VIL 02)

Volonté « Quand le client ne souhaite vraiment pas voir avec nous, dans ce cas là, on laisse le message » (EFN PFE 02)

II.4.1.a.(3) L’influence du client sur l’opportunité de la communication.

Nos données ne laissent pas transparaître d’influence du client sur l’opportunité de la

communication. En revanche, la nature de l’outil qui porte cette communication fait qu’elle

est parfois peu opportune, et peut arriver tardivement aux conseillers.

INPUTS

DÉTERMINANT

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Chapitre Sixième – Études de cas

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« Régulièrement, j’ai les fax plus tard, le lendemain ou le soir, pour me dire que le rendez-

vous de telle heure est reporté ou annulé, ça c’est très gênant » (EFN BET 03)

II.4.1.a.(4) L’influence du client sur la précision de la communication.

Le client exerce naturellement une certaine emprise sur la précision de la

communication, puisque étant à l’origine de l’information qui va engendrer ladite

communication. Par conséquent, la présence des inputs mentaux et de sa volonté comme

facteurs de sa participation agissant sur la communication ne constituent pas une surprise

(Tableau 6-19 et Figure 6-13)

Figure 6-13 : Représentation schématique de l’influence du client sur la précision de la communication entre les canaux de l’EFN

Tableau 6-19 : Illustration de l’influence du client sur la précision de la communication entre les canaux de l’EFN

ORIGINE DE L’INFLUENCE VERBATIM

Inputs mentaux « C’est souvent trop court par rapport à l’objet demandé. Alors après,

est-ce que le client a bien tout expliqué, enfin, là, c’était vraiment un prêt immobilier, c’était sûr » (EFN VIL 02)

Volonté

« On essayait de leur faire comprendre qu’on était là pour les renseigner, maintenant, si il y avait rien à faire, on prenait le message, quand même, et puis on transmettait au conseiller. Sachant que le conseiller n’avait pas

grand chose dans ces cas là : merci de rappeler le client, n’a pas voulu communiquer l’objet, c’est tout, ça s’arrêtait là » (EFN PFE 02)

INPUT

DÉTERMINANT

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Chapitre Sixième – Études de cas

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II.4.1.b) L’influence du client sur la dimension relationnelle du processus.

Si l’on se base sur les occurrences des dimensions, les composantes de la dimension

relationnelle semblent dépendre beaucoup plus de la participation que celles de la dimension

communicationnelle.

II.4.1.b.(1) L’influence du client sur la connaissance partagée

Le partage d’information et de connaissance est très faible entre les canaux, de l’aveu

même du personnel opérationnel que nous avons rencontré. Quasiment tous nos interviewés,

qu’ils soient conseillers, téléconseillers, directeurs d’agence ou responsables d’unité

commerciale regrettent en effet un manque d’informations sur le fonctionnement et l’activité

de leurs collègues qui travaillent sur l’autre canal. Ils s’accordent pourtant sur ce que cela

contribuerait indéniablement à harmoniser le fonctionnement de l’ensemble.

« Pour certains, ils se demandent si ils sont dans la même entreprise, ils découvrent » (EFN

PFE 01)

« Il y a des moments, on sait pas trop comment de leur côté, ils géreraient le dossier, donc on

a tendance à envoyer le message, ou à diriger le client de telle façon parce que on sait pas

trop comment ils fonctionnent, alors que bon, si on savait un petit peu le mode de

fonctionnement, ça serait peut être un peu plus simple » (EFN PFE 02)

« On n’a pas beaucoup d’informations sur ce qu’ils sont capables de faire. On nous en donne

pas » (EFN BET 01)

Nous avons aussi noté un déficit de partage d’information entre les personnes

travaillant à la direction régionale des professionnels et particuliers, et ceux travaillant sur la

plate-forme locale, les premières pensant que la plate-forme ne vendait que des produits

« basiques », comme des assurances sur moyens de paiement, des accès aux canaux de

banque à distance, etc., alors que les téléconseillers commercialisent également des crédits.

La mise à jour des connaissances partagées est aussi problématique, comme nous le

verrons ultérieurement.

Ce défaut d’un socle commun de connaissance partagée suffisant émanant de

l’entreprise fait que le client peut lui-même contribuer à générer de cette connaissance. Le

souci étant que dans ce cas, ce mécanisme générateur échappe à l’entreprise, et est susceptible

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Chapitre Sixième – Études de cas

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d’avoir des conséquences négatives, car donne aux employés le sentiment que leur entreprise

leur cache des choses. C’est le cas par exemple lorsqu’ils se déplacent en agence au lieu de

renvoyer des documents sur la plate-forme (inputs comportementaux), ou alors lorsque la

plate-forme les envoie sur l’agence pour signer une demande de prêt faite par téléphone.

« J'ai même été surprise parce qu'il m’est arrivé de recevoir des demandes de prêt personnel

faites par les plates-formes téléphoniques » (EFN VIL 02)

II.4.1.b.(2) L’influence du client sur l’indulgence mutuelle Le thème de l’indulgence mutuelle ressort très peu de nos entretiens, et ne met à aucun

moment le client en avant comme l’influençant positivement ou négativement. A l’inverse,

l’organisation et la stratégie de la banque jouent un rôle fort dans l’indulgence dont les

conseillers font montre à l’égard de la plate-forme. En d’autres termes, aux yeux de certains

conseillers, les erreurs de leurs collègues des plates-formes sont moins de leur fait, que des

choix organisationnels et / ou stratégiques de l’EFN.

Quant aux téléconseillers, ils ressentent que leur image n’est pas idéale auprès de

toutes les agences, loin s’en faut… De leur côté, la plate-forme ne blâme jamais les

conseillers pour les erreurs qu’ils pourraient commettre, notamment dans le remplissage des

agendas. Ils renvoient aussi généralement la responsabilité des problèmes qui surviennent à la

manière dont les choses ont été présentées aux conseillers, les déchargeant d’une partie de

leur responsabilité.

« Vous savez, c’est normal, il faut toujours un petit temps d’adaptation […] Et puis il faut

voir aussi comment ça leur a été présenté, c’était peut être pas toujours approprié…

Maintenant, on n’a pas vraiment beaucoup de soucis avec eux, et quand ça arrive, ce n’est

pas grand-chose, c’est vite réglé » (EFN PFE 04)

II.4.1.b.(3) L’influence du client sur les objectifs partagés La stratégie de l’ENF est de faire de la plate-forme un réel outil de développement

commercial. Cela pose donc des problèmes quant à la perception d’un réel partage d’objectifs

vis-à-vis des agences, objectifs que nous pouvons classer en trois catégories :

Ø Des objectifs économiques : Il s’agit d’améliorer la productivité sur chaque

canal tout en limitant les coûts de distribution des produits et services.

Ø Des objectifs commerciaux : Ces objectifs commerciaux répondent à la

volonté de l’EFN d’accroître son chiffre d’affaires, de deux manières. Tout

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Chapitre Sixième – Études de cas

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d’abord, par une augmentation des ventes en agences, grâce à une libération

de temps commercial et à une démarche pro-active de la part des conseillers,

qui doivent mettre à profit une partie du temps libéré sur les appels entrants

pour le transformer en appels sortants à destination de leur clientèle. Puis, par

les rebonds commerciaux des téléconseillers, qui se voient fixer des objectifs

(même si le terme n’est pas expressément employé) trimestriels de vente.

Ø Un objectif qualitatif de satisfaction du client : L’ensemble du nouveau

dispositif est supposé améliorer la qualité de service apportée au client,

objectif qui semble atteint, puisque les chiffres de satisfaction de la clientèle

tant vis-à-vis de leur établissement bancaire, que de la plate-forme, sont en

hausse constante.

Le problème majeur se pose naturellement sur la seconde catégorie d’objectifs. Le fait

que les téléconseillers ait une activité de vente accroît le sentiment de pression commerciale

sur les conseillers, et leur donne le sentiment d’être dépossédés d’une partie de leur métier.

« Donc certaines agences réagissent bien, au contraire, et d’autres un peu moins bien, ne

nous prenant pas pour des collègues, mais plutôt comme, enfin, des voleurs entre guillemets

de ventes, quoi (rires gênés) » (EFN PFE 02)

De surcroît, la rémunération des conseillers de l’EFN est partiellement indexée sur

leurs objectifs commerciaux, de deux manières : une partie est liée à la vente du produit, sur

laquelle ils touchent une commission (rétrocession), et une autre, à l’atteinte de leurs

objectifs. Or, la règle concernant les ventes de la plate-forme est la suivante : toute vente faite

par un téléconseiller à un client alimente les objectifs réalisés par le conseiller de ce client,

mais la rétrocession revient au téléconseiller. Les conseillers se sentent donc également

dépouillés d’une partie de leur rémunération.

« Le fait qu’il y ait un intermédiaire, donc la plate-forme, qui filtre, et qui peut éventuellement

proposer des produits, des ventes, ça gêne certains conseillers. Parce que ils ont l’impression

qu’on leur retire un peu le pain de la bouche » (EFN BOUL 01).

Ajoutons toutefois que les règles de la plate-forme sont claires en ce qui concerne le

rebond commercial : certains produits peuvent être vendus indépendamment de l’agence, qui

est simplement prévenue par fax ; d’autres peuvent l’être, mais avec retour des documents et

vérification des signatures en agence ; d’autres, enfin, son proposés par le téléconseiller, mais

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Chapitre Sixième – Études de cas

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pour prise d’un rendez-vous en agence ensuite. Pour être tout à fait complet, précisons que la

plate-forme n’a pas le droit de faire de rebond commercial entre 10h et 12h30, période

pendant laquelle les appels sont les plus nombreux, et qui nécessite un traitement rapide des

demandes, incompatible avec la vente de produits. Le but est naturellement d’éviter de

diminuer la qualité de service offerte au client.

Dans ce dispositif, nous pourrions croire que l’influence du client sur la perception

d’une communauté d’objectifs est très faible, tant l’emprise de la stratégie et de la structure

(les procédés de travail selon lesquels les téléconseillers doivent avoir cette activité de vente)

semble forte. Toutefois, renversons la logique pour partir du client : si ce dernier n’accepte

pas d’acheter des produits ou services bancaires par téléphone, le problème disparaît.

Autrement dit, l’acceptation du client de participer au service de cette manière (i.e. sa volonté)

peut être considéré comme l’élément déclencheur de ce sentiment de conflit et d’injustice que

semblent ressentir un grand nombre de conseillers.

II.4.1.b.(4) L’influence du client sur la reconnaissance mutuelle

Nous avons détecté un désir de reconnaissance de leur travail très fort de la part des

téléconseillers, qui ont le sentiment de ne pas être légitimes aux yeux du réseau (ou plus

exactement, aux yeux de ceux du réseau qui ne connaissent pas leur activité). Ce sentiment

s’est forgé à partir de contacts informels et sur la réaction de certains conseillers qui viennent

visiter la plate-forme.

« Je sais que si je pars en réseau par la suite, et que je viens de l’accueil téléphonique, je vais

devoir me justifier sur le travail que j’ai fait avant, parce que c’est pas, ça vient pas comme

ça » (EFN PFE 03)

« On apporte certaines choses, je pense, c’est pas toujours forcément, pas forcément, pas

interprété, mais l’idée qu’on s’en fait n’est pas forcément la bonne non plus, mais je pense

qu’on apporte beaucoup » (EFN PFE 05)

Cela est accru par la frustration qu’ils expriment de ne pas avoir de suivi, ou de

retours, de la part des conseillers à la suite du traitement de certains dossiers dont ils ont eu la

charge.

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Chapitre Sixième – Études de cas

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« Il y a très peu de choses qui remontent […] Par exemple, on prend rendez-vous pour un

client qui vient, je sais pas, d’avoir un héritage, qui a une grosse rentrée d’argent, on prend

rendez-vous pour des placements, c’est vrai que ça serait intéressant, même si nous on peut

déjà dégrossir avec le client, l’orienter un petit peu sur certains types de placements, c’est

vrai que ça serait intéressant d’avoir un retour. Tout simplement. Savoir ce qui a été fait,

dans quelles conditions, etc., ça serait intéressant. C’est vrai qu’on l’a pas. Alors qu’ils

peuvent le faire. Techniquement parlant » (EFN PFE 04).

En ce qui concerne les conseillers d’agence, ils expriment ou non leur reconnaissance

vis-à-vis de leurs collègues des plates-formes en fonction de plusieurs éléments :

Ø Le confort de travail : Comparant leurs conditions de travail avec celles qui

étaient les leurs avant la mise en place de la plate-forme, ils reconnaissent

unanimement l’avantage que représente ce changement. Certains ont

également le sentiment d’avoir repris le pouvoir sur les sollicitations

permanentes de certains clients.

Ø Les compétences techniques : Il s’agit de la qualité de réponses des

téléconseillers aux clients, tant au niveau des questions posées, que de la

vente des produits et services. Elle est globalement évaluée positivement par

les conseillers sur le premier point, à ceci près que plusieurs considèrent leurs

agendas pollués par des rendez-vous pris par la plate-forme, pour des choses

que le téléconseiller aurait pu traiter, selon eux.

Ø Les compétences relationnelles : Est concernée ici la qualité de l’accueil, la

manière dont les appels sont traités, etc. Les conseillers l’évaluent sur la base

des retours, positifs ou négatifs, de leurs clients. Généralement, ils semblent

apprécier ce traitement.

Ø Les résultats obtenus : Il s’agit ici des résultats commerciaux obtenus par la

plate-forme. Comme nous l’avons expliqué, même si ces résultats viennent en

déduction des objectifs des conseillers, cela a un effet particulièrement négatif

sur leur reconnaissance à l’égard des téléconseiller. Et d’autant moins qu’ils

considèrent que les dossiers ne sont pas montés comme il le faudrait.

La reconnaissance globale des conseillers vis-à-vis de la plate-forme s’inscrit très

clairement dans une dynamique, dont le point de départ est généralement une vision positive

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Chapitre Sixième – Études de cas

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vis-à-vis de la disparition de la pollution téléphonique, mais également teintée d’une crainte

quant à la réaction de leurs clients.

« Un peu sceptiques au départ, un peu sceptiques sur la notion de qualité dans le travail »

(EFN Siège 01)

« Ben, au départ, c’était une réaction positive. Parce que moins d’appels entrants, donc peut-

être plus d’activité commerciale en direct par la prise de rendez-vous » (EFN BOUL 02).

Cela tend ensuite à évoluer lorsqu’ils sont confrontés aux réalités quotidiennes de

coordination avec le nouveau canal, et surtout, se dégrade généralement lorsqu’ils constatent

que des ventes sont réalisées par les téléconseillers. Cette dégradation est d’autant plus forte

qu’ils ont le sentiment que ces ventes ne sont pas faites « dans les règles de l’art », et que le

dossier du client n’a pas été traité avec toute la rigueur que celle dont eux auraient fait preuve.

« Ce qui se passe, c’est que effectivement, on a eu quelques problèmes avec la plate-forme au

début, mais qui se sont vite résolus, parce que comme ils ont accès à notre agenda

informatique, on va dire qu’il y avait certaines plages où des fois on se dit, comme il y a

beaucoup d’administratif, donc on se prend peut-être une heure, et de temps en temps, dès

qu’il y a un client qui appelait à la plate-forme, et qui était un petit peu soucieux, la plate-

forme de temps en temps flanchait un petit peu, et puis disait, écoutez, passez en agence.

Donc c’est vrai qu’on a eu quelques petits soucis au début […] mais ça s’est vraiment bien

amélioré » (EFN WAT 02)

« J’ai eu le cas d’un client qui avait fait un crédit personnel par téléphone, on lui avait dit,

allez y, vous n’avez plus qu’à signer, et puis en fait, quand j’ai repris le dossier, le dossier

n’était pas favorable, il fallait le revoir, parce que il était trop endetté, donc il faut quand

même faire attention à ce qui est fait par la plate-forme » (EFN BET 02)

Les conseillers reconnaissent donc indéniablement l’avantage que la plate-forme leur

apporte en termes de confort de travail et de libération de temps, qu’il soit commercial ou

administratif, mais cette reconnaissance est altérée par leur perception de la qualité du travail

réalisé, et surtout, par l’absence de perception d’objectifs partagés.

Dans ce contexte, le rôle joué par les clients ne semble pas primordial, même si son

existence est indéniable (Figure 6-14 et Tableau 6-20). Il participe également de cette

dynamique de la reconnaissance dont nous venons de parler.

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Figure 6-14 : Représentation schématique de l’influence du client sur la reconnaissance mutuelle dans le cas EFN

Tableau 6-20 : Illustration de l’influence du client sur la reconnaissance dans le cas EFN

ORIGINE DE L’INFLUENCE VERBATIM

Inputs comportementaux

« Après, il y a le client, au milieu. Donc le client est pas forcément discipliné. Il peut très bien dire qu’on l’envoie de la plate-forme, ce qui est complètement faux. Après, des rendez-vous peuvent être pris par le client qui a fait le forcing auprès de la plate-forme […] Le client est quand même là, le client peut court-circuiter l’authentification plate-

forme pour gagner du temps, etc. » (EFN WAT 01)

Inputs mentaux « C’est ce que je trouve très bien au service d’accueil, c’est que même

nous on a des clients, on a du mal à les comprendre, tout le monde ne sait pas bien s’exprimer, donc il faut aussi réussir à comprendre le client,

c’est pas toujours facile » (EFN BET 01)

Inputs relationnels « Le ressenti, c’est ils ont pas voulu donner votre numéro, je sais pas

pourquoi, ou je veux vous avoir vous, c’est dur de vous avoir […] j’ai eu une voix du sud, c’est qui qui était au téléphone, c’était quoi ça » (EFN

BET 03)

Volonté

« Alors, la réaction des clients, ben la réaction des clients, pour être franc et direct, le 08, c’est un peu merdique, quoi, c’est très direct, mais ça veut dire ce que ça veut dire, ça a le mérite d’être clair, bon, ça c’est une catégorie de clientèle, il y a une autre catégorie de clientèle, c’est la

plus grosse majorité, qui accepte l’instrument » (EFN BOUL 01)

I N P U T S

DÉTERMINANT

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Chapitre Sixième – Études de cas

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II.4.1.b.(5) L’influence du client sur le respect mutuel. A nouveau, la question du respect mutuel est apparue de manière unilatérale : des

agences vers les plates-formes. De même qu’ils ne sentent pas leurs compétences reconnues,

les téléconseillers ont également l’impression que leur travail n’est pas respecté, voire dénigré

par leurs collègues.

« Quand j’étais à un pot par exemple, pour un départ en agence, on m’a dit, ha tu viens de la

plate-forme, ha t’es partie à la plate-forme, enfin, c’est un peu dénigré » (EFN PFE 03)

Néanmoins, les conseillers que nous avons rencontrés nous ont fait entrevoir une

vision différente. Ils respectent généralement les personnes qui se trouvent sur la plate-forme,

mais c’est du système en lui-même dont ils ont une très mauvaise image.

« C’est peut-être pas le terme que je devrais employer, mais ils sont un peu fliqués quand

même, leur façon de travailler […] Ils sont quand même à mon avis aussi stressés que nous.

Parce que leur façon de travailler, ça doit pas être facile tous les jours » (EFN BET 01)

Le client, pour sa part, ne nous est pas apparu comme facteur influençant le niveau de

respect mutuel entre les employés en contact des canaux.

II.4.1.c) Les liens entre les composantes et les dimensions du processus de coordination.

Nous faisons apparaître sur la figure 6-15 les relations que nous avons faites ressortir

de nos données entre les composantes et les dimensions du processus de coordination. Le

tableau 6-21 les illustre par des verbatims. Ces relations sont plus nombreuses du côté de la

dimension relationnelle, tandis que la dimension communicationnelle n’est présente que par la

précision et la fréquence de la communication.

Nous sommes conscient d’avoir déjà évoqué certaines de ces relations précédemment

durant l’analyse de ce cas. Toutefois, l’imbrication entre ces composantes est parfois telle que

cela nous semblait alors indispensable pour améliorer la compréhension des phénomènes

observés.

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Chapitre Sixième – Études de cas

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Figure 6-15 : Les liens entre les composantes et dimensions du processus de coordination dans le cas EFN

Comme nous l’avons déjà maintes fois souligné, le besoin de connaissance partagée se

fait nettement ressentir pour améliorer à la fois le respect mutuel et la reconnaissance. Les

téléconseillers considèrent que leur travail n’est pas reconnu par les agences, au moins par

certaines d’entre elles, et que cela est essentiellement dû à cette absence de connaissance sur

leur mission et son déroulement.

Ce partage de connaissances est également important pour améliorer la perception du

partage d’objectifs de la part du personnel qui travaille sur les deux canaux. Ainsi, parmi les

téléconseillers, certains ont travaillé en agence, ou y fait un stage de quelques semaines, ce

qui leur permet de replacer leurs actions relativement aux besoins et aux impératifs de

l’agence, pour ne pas la surcharger en fax, par exemple. Inversement, le fait que les

conseillers semblent ne pas avoir tous appris dès l’origine que la plate-forme allait réaliser des

Dimension relationnelle Dimension communicationnelle

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Chapitre Sixième – Études de cas

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ventes, ou ne sachent pas tous comment sont réparties les ventes de la plate-forme318, pose

d’importants problèmes. Une meilleure connaissance de ces éléments influence favorablement

la perception de partage d’objectifs, même commerciaux, ce qui joue en faveur d’une

reconnaissance accrue du travail de la plate-forme.

Enfin, les deux seules composantes communicationnelles à intervenir le font toutes

deux en direction de la reconnaissance. Généralement, plus le degré de précision est élevé, et

plus les agences ont une vision positive de la plate-forme, et vice-versa. Quant à la fréquence

de la communication, les agences se plaignent de ce qu’elle est trop importante. Cette

doléance est peut être liée à la nature du mode de contact, physiquement envahissante, et

contraignante, puisque les conseillers sont obligés de se déplacer pour aller les chercher sur le

seul appareil de l’agence. Cela donne d’ailleurs lieu à des organisations différentes selon les

agences : certaines pratiquent l’alternance (des tours sont attribués à chacun), d’autres ont une

gestion plus spontanée (la personne qui se rend au fax pour aller vérifier si il en a un prend

ceux de ses collègues), ou totalement centralisée (les fax arrivent dans le bureau du directeur

de l’agence qui les redistribue).

Tableau 6-21 : Illustration des liens entre les composantes et dimensions du processus de coordination dans le cas EFN

NATURE DE LA RELATION VERBATIM

Connaissance partagée influence objectifs partagés

« On a déjà eu des exemples de ventes qui se faisaient au niveau de la plate-forme, et quand l’agence s’apercevait de la vente, aussitôt, c’était

annulé pour refaire la même chose. Donc, il y a bien un peu des fois, oui, quand on est mal informé, il y a, c’est pas une rivalité, mais bon, un petit

peu, quoi » (EFN PFE 02)

Connaissance partagée augmente

reconnaissance mutuelle

« Ceux qui ne connaissent pas ont une image de la dérivation où ils la subissent, c'est à dire qu’ils se retrouvent avec des rendez-vous dans leur agenda, parfois, subis, ou dont ils voient pas forcément l’intérêt, ou qu’ils

auraient peut être pu gérer d’une autre manière. Et souvent, par méconnaissance de ce qui est fait réellement dans une plate-forme

téléphonique » (EFN Siège 01)

Connaissance partagée augmente

indulgence

« Ça a permis d’éviter des malentendus. De bien savoir avec le cahier des charges, que faisait la plate-forme, quel était le rôle du réseau » (EFN

WAT 01)s

Connaissance partagée augmente

respect mutuel

« Ça a permis à beaucoup de personnes de voir cette image un peu mieux, enfin, d’avoir une plus belle image de la plate-forme » (EFN WAT 02)

318 Nou s avons eu droit dans les agences à trois versions différentes de la manière dont sont réparties entre ces ventes entre le téléconseiller et le conseiller.

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Objectifs partagés influence

reconnaissance mutuelle

« Ça pose quelques petits problèmes, quelques grincements entre les collaborateurs et la plate-forme, parce que la plate-forme faisant

l’opération, c’est une opération qui a peut-être été initiée au départ par le collaborateur, le collaborateur avait un suivi, le client rappelle le

collaborateur, il tombe sur la plate-forme, la plate-forme indique qu’on peut très bien faire l’opération en lieu et place du conseiller habituel, ça

crée quelques petits grincements à ce niveau là, puisque les collaborateurs sont quand même rémunérés à la commission, et les opérations qui sont faites par la plate-forme leur échappent » (EFN

BOUL 02)

Précision influence reconnaissance

mutuelle

« Ce dont ils se plaignent le plus, c’est les fax. Même les personnes qui arrivent maintenant, qui viennent d’agence et qui arrivent sur la plate-

forme, essentiellement, ce sont les fax qui sont envoyés, qui sont pas bien, pas tous bien référencés, le conseiller a pas l’objet, ou il y a toujours des

informations qui manquent » (EFN PFE 02)

Fréquence influence reconnaissance

mutuelle

« Et puis, le second, négatif, ça a été de voir arriver les petits fax, les comptes-rendus, qui dans un premier temps ont été relativement

nombreux» (EFN BET 05)

II.4.2 La modulation de la nature et de l’historique de

l’échange.

II.4.2.a) L’aspect modulateur de la nature de l’échange

L’impact de la nature de l’échange en tant que modulateur de l’influence du client sur

le processus de coordination des employés en contact semble important dans le cas EFN,

d’autant plus fort que la connaissance partagée est faible. En effet, les conseillers s’accordent

à reconnaître qu’ils mettent plus de distance vis-à-vis des propos de leurs clients lorsqu’ils

savent comment leurs collègues travaillent. Cela en limite donc la portée sur le processus de

coordination.

« Quand certains clients me disaient, mais on attend au moins dix minutes, je me disais, c’est

pas bon... Bon, maintenant, je sais comment ça fonctionne, donc je leur dis, écoutez, c’est pas

possible, puisque au bout d’un certain temps, ils ont une technique pour décrocher quand il y

a trop longtemps qu’un client appelle […] On savait pas trop, avant de visiter la plate-

forme... On se faisait un petit peu l’avocat du diable entre la plate-forme et les clients, on

savait pas trop à quoi s’en tenir » (EFN WAT 02).

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II.4.2.b) L’aspect modulateur de l’historique de l’échange.

Là encore, l’historique de l’échange va avoir un rôle modulateur pour les conseillers

vis-à-vis des réactions de leurs clients, auxquelles ils accorderont plus ou moins de crédibilité

en fonction du comportement habituel de ces clients.

« J’ai déjà eu des clients qui m’ont dit, oui, elle m’a dit que c’était pas possible, mais bon,

après, il faut voir, ça dépend quels clients aussi, il y a des clients qui sont jamais contents »

(EFN VIL 02) »

L’influence que le client aura sur le processus de coordination dépendra donc de la

manière dont le conseiller s’est construit sa perception de son comportement au fur et à

mesure de la relation qu’il entretient avec lui.

II.5 L’ANALYSE DES LIENS ENTRE LES MÉCANISMES ET LE PROCESSUS

DE COORDINATION.

L’analyse des liens partant du processus vers les mécanismes (II.5.1) précède celle des

liens partant des mécanismes à destination du processus (II.5.2).

II.5.1 Dans le sens processus vers mécanismes de

coordination

Nous avons identifié deux relations : la première relie les objectifs partagés aux

procédés, la seconde, la connaissance partagée à ces mêmes procédés. Toutefois, la différence

entre les deux types de relations est d’importance.

Figure 6-16 : L’influence du processus sur les mécanismes de coordination dans le cas EFN

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II.5.1.a) L’influence des objectifs partagés sur les procédés.

Nous avons parlé précédemment des stratégies de contournement mises en place par

les conseillers. En certaines occasions, ces stratégies de contournement sont déployées parce

qu’ils ont la sensation de voir leurs clients leur échapper, ce qui les amène à prendre un peu

plus de distance par rapport aux procédés qu’ils sont supposés respecter. Cela se traduit par un

numéro de téléphone qui peut être donné un peu plus facilement qu’il ne le devrait, par

exemple.

« D’où malheureusement, le défaut de certains de communiquer le nouveau numéro de

téléphone, afin que les clients puissent les avoir en direct. Et ça,, cette réaction, je la

comprends, parce que elle vient du fait que si au départ, ça a été bien apprécié, cette création

de la plate-forme téléphonique, ça l’a été un peu moins quand ils se sont rendus compte qu’il

y a avait des résultats qui étaient faits ailleurs. Donc ils ont eu la tentation de communiquer à

nouveau à leurs clients leur nouveau numéro de téléphone pour dire de court-circuiter un

petit peu ce problème » (EFN BOUL 02).

Cette citation, extraite d’un entretien avec un directeur d’agence, laisse en plus penser

que ce dernier valide au moins partiellement cette stratégie de contournement des procédés,

leur permettant d’une certaine manière de s’institutionnaliser localement.

II.5.1.b) L’influence de la connaissance partagée sur les procédés.

Dans la quasi-totalité des cas, l’amélioration de la connaissance partagée débouche sur

une amélioration des procédés.

« C'est se connaître, travailler ensemble, et aussi constater que l'on n'a pas forcément la

même organisation, les mêmes outils, mais qu'une connaissance réciproque permettra

notamment l'optimisation des résultats, et d'un point de vue quantitatif, mais aussi in fine bien

évidemment la satisfaction client » (EFN PFE 01).

Toutefois, ce n’est pas le cas partout, et notamment lorsque cette connaissance porte

sur le fait que les téléconseillers peuvent avoir des résultats commerciaux, puisque cela crée

généralement un sentiment de mise en concurrence interne entre les canaux (cf. relation

précédente). Il existe néanmoins certains acteurs extérieurs à la plate-forme qui ont un regard

positif sur cela, sans vivre la situation comme défavorable à leur activité.

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« Pour eux, c’est bien, parce que effectivement ils ont à la limite que cette possibilité là pour

se valoriser […] donc moi je pense que c’est bien, parce que pour nous, déjà, ça change rien,

et puis deuxièmement, ça leur permet de pouvoir se valoriser auprès de leur hiérarchie »

(EFN WAT 02).

Précisons que cette personne était au courant de l’absence de rétrocession sur son

portefeuille dans le cas d’une vente faite par la plate-forme, sans que cela la dérange plus que

cela, puisqu’elle ajoute ultérieurement : « ça va quand même faire bénéficier mon

portefeuille, mes objectifs. Mais par contre, ça leur permet d’avoir ces commissions »

II.5.2 Dans le sens mécanismes vers processus de

coordination.

Nous identifions huit relations entre les mécanismes d’un côté, et le processus de

coordination de l’autre. Parmi ces relations, six ont comme destinataire des composantes

relationnelles du processus, et deux, des composantes communicationnelles (Figure 6-17).

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Figure 6-17 : L’influence des mécanismes sur le processus de coordination dans le cas EFN

II.5.2.a) L’influence des procédés sur le processus de coordination.

La standardisation des procédés est le seul mécanisme à impacter la dimension

communicationnelle du processus de coordination, au niveau de deux de ses composantes : la

fréquence et l’opportunité de la communication (voir Figure 6-18 et Tableau 6-22).

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Chapitre Sixième – Études de cas

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En ce qui concerne la fréquence, les procédés encadrent tout contact entre les canaux.

Ils sont mis en place pour les limiter au maximum, de manière à ce que la plus grande

proportion possible de demandes des clients soit gérée sur la plate-forme. Ils sont également

prévus pour éviter le plus possible toute communication de la part des conseillers vers les

plates-formes en dehors des voies hiérarchiques. Sans être un mécanisme de coordination, la

stratégie de segmentation influence également cette fréquence de communication, puisque en

fonction du segment du client, ce dernier sera obligé ou non de transiter par la plate-forme.

Quant à l’opportunité, elle est impactée par la nature de l’outil par lequel transite la

communication des plates-formes vers les agences, i.e. le fax.

Reconnaissance et respect mutuel sont eux-aussi influencés par les procédés, selon que

ceux-ci dont respectés ou non par les employés en contact.

Figure 6-18 : L’influence des procédés sur le processus de coordination dans le cas EFN

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Chapitre Sixième – Études de cas

406

Tableau 6-22 : Illustration de l’influence des procédés de travail sur le processus de coordination dans le cas EFN

NATURE DE LA RELATION VERBATIM

Procédés influence fréquence

« C’est simple : on doit prendre et traiter le maximum de demandes de la clientèle pour éviter que les agences soient obligées s’en occuper » (EFN

PFE 04)

Procédés influence opportunité

« Les fax sont pas envoyés en temps réel, ils sont envoyés par vague, il y a 3 ou 4 vagues dans la journée, donc […] c’est vrai que là, vous faites un compte-rendu, il part, donc c’est les télé-assistants qui vont l’éditer, qui

vont le faxer un peu plus tard dans la journée, ensuite, le conseiller il aura le fax si il lui est distribué ou si il vient le chercher, donc non, c’est

pas, c’est pas efficace » (EFN PFE 04)

Procédés influence reconnaissance

mutuelle

« Il nous arrive régulièrement, je dirais même systématiquement, d’avoir à refaire les dossiers de prêt crédit personnel qui peuvent être faits par la

plate-forme. Parce que il y a une anomalie dedans » (EFN BOUL 02)

Procédés influence respect mutuel

« On a beaucoup de travail, on a un certain côté commercial et on a un côté administratif, et c’est vrai que conjuguer les deux c’est pas toujours

facile, et de voir arriver un client, qu’il soit mécontent ou content, ça nous chamboule un peu toute notre organisation, c’est pas forcément

facile, donc on se demande si ils connaissent la difficulté de notre quotidien » (EFN WAT 02)

II.5.2.b) L’influence des mécanismes sur la connaissance partagée

Trois mécanismes ont un impact sur la connaissance partagée : les relations latérales,

la communication interne, et le transfert de personnel (Figure 6-19 et Tableau 6-23).

Figure 6-19 : L’influence des mécanismes de coordination sur la connaissance partagée dans le cas EFN

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Chapitre Sixième – Études de cas

407

Les relations latérales existantes se résument essentiellement aux visites des

conseillers qui sont organisées sur les plates-formes, ainsi qu’à des stages de formation en

agence, mais de courte durée, des nouveaux embauchés avant qu’ils ne prennent leur poste sur

la plate-forme. L’influence de ces relations latérales est très souvent soulignée comme vecteur

important de connaissance partagée, mais elles sont souvent stigmatisées pour leur absence,

puisque ressenties comme nécessaires. Il en va de même pour la communication interne. Ces

difficultés (le manque de relations latérales et de communication interne) semblent le fruit

d’une culture d’entreprise. En outre, elles sont dans la même veine qu’un constat qui revient

fréquemment : la mise en place de la plate-forme n’a été suivie d’aucune réorganisation du

travail en agence, pour apprendre aux conseillers à s’approprier de manière productive et

efficace le temps qui leur a été libéré, ce que résume pleinement le verbatim qui suit.

« Quand une agence bascule, on bascule, mais aujourd'hui, on l’accompagne pas. C'est à

dire qu’on réorganise une communication, on réorganise les flux, on réorganise le téléphone,

mais derrière, une fois que l’agence a basculé, on reste assez passif. Le constat est là

aujourd'hui. On reste trop passif. On n’accompagne pas nos clients sur l’avantage des

canaux de distribution, sur l’avantage des techniques, le plus Internet, le plus de tout ce qui

permet d’être résolu à domicile, etc., et en plus, on ne sensibilise pas assez en interne nos

collaborateurs sur l’avantage d’être libérés des appels entrants, et sur, en contrepartie,

l’obligation de développer l’acte commercial, d’être plus efficace, de développer l’efficacité

commerciale, le nombre de ventes » (EFN WAT 01)

Enfin, le transfert de personnel a lui aussi un impact favorable sur la diffusion de

connaissance réciproque entre les canaux. Il s’exerce des agences vers les plates-formes,

puisque du personnel commercial a été embauché sur les centres d’appels, mais commence

aussi à fonctionner en sens inverse, puisque des téléconseillers partent (ou repartent) ensuite

vers le réseau.

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408

Tableau 6-23 : Illustration de l’influence des mécanismes de coordination sur la connaissance partagée dans le cas EFN

NATURE DE LA RELATION VERBATIM

Relations latérales augmente

connaissance partagée

« On nous avait parlé, c’est apparemment toujours pas en place, de sortes de tables rondes entre des conseillers agence, des DA, des téléconseillers, superviseurs, pour pouvoir un petit peu échanger,

partager le ressenti les uns par rapport aux autres, etc, enfin, pour instaurer un début de dialogue entre le réseau et les plates-formes, et ça

pareil, c’est toujours à l’état de projet » (EFN PFE 04)

Communication interne influence

connaissance partagée

« Il y a pas du tout de communication sur la production commerciale de nos téléconseillers, en faveur des agences. On reçoit de temps en temps

des statistiques mais il y a tout à faire là-dessus » (EFN WAT 01)

Transfert de personnel augmente

connaissance partagée

« J’ai bien compris le fonctionnement en agence avec le stage. C’est vrai que si j’avais pas eu le stage, il y a des choses que j’aurais pas trop

compris » (EFN PFE 03)

II.5.2.c) L’influence de la standardisation par les résultats sur le processus de coordination.

Nous avons déjà abondamment parlé de l’influence de la stratégie de distribution de

l’EFN, qui consiste à assigner des objectifs quantitatifs de nature commerciale aux

téléconseillers de la plate-forme. Il n’est donc pas surprenant de retrouver cette relation, dont

les implications dépassent cependant ce cadre strict.

Figure 6-20 : L’influence de la standardisation par les résultats sur les objectifs partagés dans le cas EFN

Le désir d’avoir une complémentarité entre les objectifs conduit en fait à un sentiment

de cannibalisation entre les canaux, ressenti par les agences, et qui n’ont donc pas

l’impression d’un partage d’objectifs, mais plus d’un « vol d’objectifs » (une téléconseillère

nous ayant confié que les agences avaient l’impression qu’ils leur volaient leurs résultats).

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Chapitre Sixième – Études de cas

409

Cette stratégie résulte d’une volonté de capter un marché plus important, à la fois en volume

et en valeur. Néanmoins, constatant que les ventes réalisées par les plates-formes sont de plus

en plus nombreuses, et surtout ne touchent plus uniquement des produits simples, mais aussi

par exemple des crédits, les conseillers commencent à adopter des réactions défensives, face à

ce qu’ils considèrent être de mauvaises pratiques de la part des téléconseillers. La plus notable

de ces stratégies est la rétention d’informations en agence : au lieu d’alimenter la fiche client,

les conseillers conservent ce qu’ils ont sur le client en agence, pour éviter que les

téléconseillers ne réalisent la vente à leur place.

« Ce qui a fait des problèmes également, c’est qu’on s’est rendu également compte que de

temps en temps on avait des suivis avec des clients, hé bien quand ils faisaient le rendez-vous,

la personne faisait l’affaire. Sur la plate-forme. Elle demande le motif de l’appel pour un

rendez-vous, le client lui disait, j’avais rendez-vous pour faire un codevi, j’en ai parlé, ils

disaient M., je peux vous le faire tout de suite » (EFN BET 01)

« Cette manière de faire, ça amène aussi parfois des conseillers à ne pas alimenter la fiche

client. Ils ont peur de se faire piquer, si l'on peut dire, le client par la plate-forme. Donc ils se

gardent parfois l'information en agence, sur un papier, mais c'est tout » (EFN BOUL 01)

Par ailleurs, observant que la qualité des dossiers montés par la plate-forme n’est pas

optimale, ils sont amenés à les annuler. Annulation dont les téléconseillers s’aperçoivent

occasionnellement, lors d’un contact ultérieur avec le client, et qu’ils interprètent comme un

geste négatif de la part des agences à leur attention. Ce qui diminue chez eux également le

sentiment de partage d’objectifs, au moins sur un plan commercial.

« On voit des choses un petit peu bizarres. Des ouvertures de compte épargne, par exemple,

faites par la plate-forme, fermées dans la foulée par l’agence, et ré-ouvertes juste derrière

[…] C’est pas très courant, mais effectivement, de temps en temps, on tombe dessus. Donc il y

a un petit peu une guerre entre plate-forme et certains conseillers » (EFN PFE 04)

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Chapitre Sixième – Études de cas

410

II.6 INTERPRÉTATION ET DISCUSSION DES RÉSULTATS.

Privilégiant le même mode rédactionnel que celui qui fut le nôtre depuis le début de ce

cas, nous reprenons les mêmes intitulés pour les titres des deux axes de cette sous-section.

Nous traitons donc successivement du client comme filtre et catalyseur (II.6.1), puis de

l’influence duale du client (II.6.2). Néanmoins, derrière la similitude des titres, se cachent des

différences non négligeables que nous précisons progressivement.

II.6.1 Le client comme filtre et catalyseur.

II.6.1.a) L’identification de ces rôles.

Nous avons retrouvé à travers ce cas les quatre rôles que nous avions construits dans la

revue de littérature.

Commençons par celui de filtre informationnel. Nos entretiens montrent que le client

joue, consciemment ou non (nous ne pouvons assurer de l’un ou de l’autre), de l’existence de

plusieurs interlocuteurs pour arriver à ses fins. Lesquelles fins sont par exemple, soit rentrer

en contact direct avec son conseiller, soit bénéficier d’un produit ou d’un service que son

conseiller a pu lui refuser, etc. Le second est ressorti à travers trois entretiens de conseillers, et

un entretien de téléconseiller. La stratégie de l’EFN de positionner la plate-forme comme un

réel canal de vente peut constituer une explication à la présence de ces comportements que

nous qualifions d’opportunistes du client (Plé, 2006). Le qualificatif nous paraît approprié, en

ce que le client tente d’atteindre un objectif personnel en divulguant des informations

incomplètes ou dénaturées (Williamson, 1985). Nous reviendrons plus loin sur les

répercussions de cette situation.

Dans le même temps, le client cherche régulièrement à faire pression sur les employés

en contact, qu’il s’agisse des conseillers ou des téléconseillers, de manière à obtenir un

traitement de faveur de leur part : réussir à obtenir la ligne directe de leur conseiller. En cas

d’échec de l’exercice de ce rôle de catalyseur interprétationnel, soit ils adaptent leur

comportement en remplaçant le mode de contact téléphonique avec leur banque par un autre,

soit ils se résignent à utiliser la plate-forme. Il est donc à noter que l’exercice de ce rôle peut

tendre à s’estomper avec le temps, qu’il ait ou non satisfaction.

Pour assurer la réussite de ce rôle de catalyseur interprétationnel, les clients jouent sur

des expériences négatives qu’ils ont pu connaître avec la plate-forme, ou recourent à la

menace de quitter l’EFN. Ces deux comportements sont révélateurs de la volonté du client

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Chapitre Sixième – Études de cas

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d’influencer la perception de son conseiller par rapport à sa situation personnelle, donc de le

faire évoluer dans sa position vis-à-vis de la plate-forme (catalyseur perceptuel).

Enfin, le fait de donner ou non une information au téléconseiller, ou la qualité de

l’information qu’il va lui transmettre, engendre une interdépendance séquentielle, qui va se

traduire par un accroissement mécanique de la fréquence de communication entre les canaux.

Nous retrouvons là ce que nous avons intitulé le rôle de catalyseur interactionnel du client.

II.6.1.b) L’impact relatif de ces rôles.

Il semblerait que l’on puisse envisager l’existence de liens séquentiels entre ces quatre

rôles : les filtre informationnel et catalyseur perceptuel paraissent servir de leviers au client

pour activer dans ses interactions avec les employés en contact ses deux autres rôles.

Ces résultats vont dans le sens de la littérature (Rafaeli, 1989), littérature que nous

enrichissons par le rôle modulateur de la nature et de l’historique de l’échange. Cette

modulation est transversale à l’influence que le client peut exercer sur l’employé en contact

tant au niveau des interdépendances, que des mécanismes ou du processus de coordination.

Les choix stratégiques et organisationnels de l’EFN modulent également, pour finir,

l’influence du client. Ainsi, les réactions positives à l’égard de l’utilisation de la plate-forme

sont contrebalancées par la vision qu’en ont les conseillers, qui pensent qu’elle leur « vole des

ventes » (EFN PFE 02). De même en va-t-il des choix techniques en termes de limitation de

l’influence du client : le conseiller n’a pas de réelle possibilité de renouer le direct contact

avec son client, hors lui donner le numéro direct, ce qui est interdit pour l’extrême majorité

des clients. Il a donc un choix très limité de médias pour contourner les procédures qui

accompagnent la plate-forme.

II.6.2 L’influence duale du client sur la coordination

II.6.2.a) Une influence ex-ante et ex-post

La prise en compte du comportement productif du client avant la mise en place de la

plate-forme montre que ce dernier influence le fonctionnement du réseau de distribution

multicanal avant même qu’il ne soit déployé. Précisément, le client peut être considéré

comme l’un des facteurs majeurs conduisant à la dérivation des appels. Et comme un des

facteurs qui va déterminer ex-ante les mécanismes de coordination qui vont assurer la gestion

des interdépendances entre les canaux. Parmi ces comportements productifs, l’EFN intègre

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Chapitre Sixième – Études de cas

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une potentialité d’opportunisme. Comme nous l’avons dit, cela se traduit par la recherche, par

le client, de son intérêt personnel par la divulgation d’informations incomplètes ou

dénaturées. Il s’agit donc d’une facette de son rôle de filtre informationnel. Devant une telle

situation, Williamson nous enseigne qu’il est nécessaire de mettre en place des « garde-fous

organisationnels », que nous assimilons aux mécanismes de coordination, et plus précisément

ici, à la standardisation des procédés, qui vont permettre de limiter les effets de ces éventuels

comportements opportunistes (Lefebvre et Plé, 2003). La structure de l’entreprise, dans ce

cas, limite l’influence potentielle du client sur le réseau de distribution multicanal. La

stratégie de l’entreprise limite également cette influence, puisque si la plate-forme n’avait pas

d’activité de vente, les conséquences de cet opportunisme seraient vraisemblablement bien

plus réduites pour la banque.

Une fois la plate-forme créée, l’exercice de ses quatre rôles montre que le client n’est

pas neutre dans la coordination du réseau de distribution multicanal.

Cette dualité entre l’anticipation et l’adaptation est primordiale. En effet, les réactions

des clients sont un facteur notable de l’acceptation ou non du nouveau canal par les employés

du canal existant, et ce d’autant plus que ces derniers gardent la main sur la relation client. Il

est vraisemblable que ce soit une des clés de la réussite du changement organisationnel

incarné par l’implantation du nouveau canal.

II.6.2.b) Une influence globale et locale.

L’influence du client intervient au niveau de l’ensemble du réseau de distribution

multicanal, puisque son comportement est pris en compte dans la façon dont le réseau est

conçu, comme nous venons de l’expliquer.

De plus, elle entre en jeu de manière plus locale, au niveau des différents employés en

contact, notamment par un comportement de détournement des procédés, certes restreint, et

par une altération du processus de coordination, tout particulièrement sur la dimension

relationnelle de ce processus.

Outre l’influence du client, la stratégie et l’organisation qui la porte agissent

également sur le processus de coordination, la première en diffusant un sentiment de mise en

concurrence des canaux à l’encontre duquel la seconde ne semble pas en mesure d’aller, du

fait de l’absence de partage de connaissance au niveau du réseau d’agences.

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413

SECTION III. LA COMPARAISON INTER-CAS AU SERVICE DE

LA CONCEPTUALISATION ET DE L’ANALYSE SECTORIELLE

L’ultime étape de notre analyse passe par une comparaison entre les deux cas que nous

venons de présenter. Cette comparaison se fait en deux temps. Le premier est plutôt de nature

théorique : il s’agit de replacer nos résultats au regard de nos propositions de recherche pour

ensuite proposer une conceptualisation processuelle de la coordination (III.1). Le second est

consacré à une analyse sectorielle focalisée sur les défis stratégiques et organisationnels au

devant desquels, d’après nous, vont les banques de détail (III.2).

III.1 LA COORDINATION D’UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL :

UN PROCESSUS SOCIAL PLACÉ DANS UNE DYNAMIQUE HISTORIQUE.

Nos questions de recherche ont guidé notre analyse intra-cas. Nous allons les utiliser

une dernière fois pour procéder à la comparaison inter-cas, de manière plus succincte (III.1.1).

Cette comparaison débouche sur une perspective processuelle et historique de la coordination

d’un réseau de distribution multicanal (III.1.2).

III.1.1 Retour sur les propositions de recherche : une

analyse inter-cas.

L’analyse comparative des deux cas au niveau des propositions de recherche est basée

sur une matrice comparative réalisée à l’issue de la rédaction des deux cas319, qui a facilité

l’identification des similitudes et divergences entre les cas. Nous traiterons de la quatrième

proposition de façon transversale aux trois premières.

III.1.1.a) P1 : Le client est à l’origine d’interdépendances entre les employés en contact.

L’analyse de la génération des interdépendances montre que l’influence du client, dans

les deux cas, semble identique dans sa nature. Les inputs et déterminants présents sont les

mêmes, et ils sont intégrés par la BCR et l’EFN en deux temps. Une première phase,

antérieure à la création des nouveaux canaux, vise à anticiper les modalités de la participation

du client dans le cadre de la création d’un nouveau canal, de la création duquel le client est

pour partie responsable en raison de son manque relatif de discipline, aux yeux des

319 Nous rappelons que cette matrice est visible en annexe 12.

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Chapitre Sixième – Études de cas

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établissements bancaires. Nous ne sommes pas en mesure, en revanche, d’estimer l’intensité

de son influence relativement à d’autres facteurs320 à partir des outils de mesure dont nous

disposons.

Ainsi, la phase de conception des plates-formes tente d’envisager le maximum de

situations possibles pour savoir comment il faudra gérer ces interdépendances une fois en

situation, et limiter autant que faire se peut les coûts de coordination. Dans ce contexte,

l’anticipation de la participation du client, à l’aune de ses inputs et déterminants, est cruciale.

C’est ce que nous avons appelé l’influence ex-ante de la participation client.

La réponse apportée par les banques à cette question s’inscrit typiquement dans la

tradition des travaux de Chase (1978 ; 1981) : la mise en place des centres d’appels répond à

une logique de découplage entre services à niveau de contact faible (plates-formes

téléphoniques), et services à niveau de contact élevé (agences). L’objectif étant de diminuer

un maximum la présence du client dans le système productif, afin de maximiser la rentabilité

et la productivité de l’entreprise.

A partir de ce type d’organisation, néanmoins, le client est en mesure d’avoir un

impact sur l’intensité des interdépendances entre les canaux. Autrement dit, il peut soit

accepter la logique de son prestataire de service, et générer un couplage de communauté en

passant par le canal qui lui est imposé. Soit il génère une interdépendance séquentielle, en

donnant par exemple une information incomplète au premier canal qui ne pourra pas traiter sa

demande. Soit il génère une interdépendance réciproque, nécessitant un aller-retour entre les

canaux. Ses actions vont donc avoir un impact sur la coordination de l’ensemble du réseau de

distribution multicanal : ce que nous avons qualifié d’influence globale.

Ajoutons que l’influence exercée par le client est également modulée par la nature et

par l’historique de l’échange avec l’employé en contact (4ème proposition de recherche).

Enfin, le client n’est pas le seul facteur influant sur l’intensité des interdépendances :

les choix techniques du prestataire, et la nature des outils de communication, peuvent laisser

plus ou moins de choix au client de participer, et donc le contraindre à générer des

320 Car nous n’oublions toutefois pas que la création de ces nouveaux canaux répond aussi en grande partie à des impératifs stratégiques d’affrontement de la concurrence et de réponses à la demande des clients, ainsi qu’à des impératifs économiques de rentabilité et de productivité. Notre interprétation est liée à la grille de lecture que nous avons adoptée pour décoder la coordination, en tentant de redonner au client une place qui lui est généralement déniée, ce qui peut parfois donner l’impression d’oublier d’autres éléments. Ce biais est normal, et nous l’assumons, tout en rappelant régulièrement, comme nous venons encore de le faire, que pour important que soit le client, il n’est pas le seul facteur à influencer la coordination. Ne pas en être conscient serait faire preuve d’une naïveté excessive quant à l’ampleur du rôle joué par le client dans la coordination.

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Chapitre Sixième – Études de cas

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interdépendances correspondant à la situation souhaitée par son prestataire. De même, ledit

prestataire a à sa disposition tout un ensemble de techniques de socialisation organisationnelle

dont l’efficacité de la mobilisation se mesurera à leur capacité à amener le client à générer les

interdépendances économiquement favorables à l’entreprise.

III.1.1.b) P2 : Le client influence le recours aux mécanismes de coordination

Dans les deux cas, nous avons constaté que la standardisation des procédés semble le

mécanisme essentiel de coordination entre les canaux. Étant donnés les objectifs assignés au

multicanal par les établissements bancaires, il est donc vraisemblable que ce mode de

coordination soit le plus approprié pour coordonner les canaux à moindre coût, tout en

apportant la meilleure qualité de service possible au client.

Néanmoins, ces procédés sont soumis à l’influence du client. Notre supposition

initiale, pour cette proposition, était la suivante : « Plus que l’utilisation d’un mécanisme au

détriment d’un autre, c’est bien le fait que l’employé en contact recoure ou non au mécanisme

de coordination qu’il est supposé mobiliser qui nous intéresse ». Ce n’est pas exactement ce

qui se produit, puisque soit le conseiller procède à un détournement des procédures qu’il doit

suivre, soit il les applique, en fonction de la situation à laquelle il est confronté. Il reste donc

dans le cadre d’une coordination procédurale, qui n’est pas toujours celle souhaitée par sa

banque, mais qui lui permet de conserver un lien direct avec son client, et à ses yeux, de

mieux le satisfaire. Il s’agit d’une partie de ce que nous avons appelé l’adaptation locale à

l’influence du client.

A ce propos, plusieurs conseillers, tant dans le cas BCR que EFN, ont mis en avant, en

même temps qu’ils reconnaissaient le confort de travail résultant de la plate-forme, le fait

qu’ils reprenaient une certaine forme de pouvoir sur leur client, le moment du contact étant

dorénavant, le plus souvent, à leur initiative, puisque c’est à eux de le rappeler. Couplé à notre

remarque précédente, il ne semble pas exagéré de dire que la mise en place d’un nouveau

canal comme un centre d’appels téléphoniques dans une banque de détail contribue à

l’émergence ou la formation d’un espace de liberté vis-à-vis de son client. Le conseiller

récupère en effet un pouvoir certain sur ce dernier. Or, « le pouvoir réside dans la marge de

liberté dont dispose chacun des partenaires engagés dans une relation de pouvoir, c’est-à-

dire dans sa possibilité plus moins grande de refuser ce que l’autre lui demande » (Crozier et

Friedberg, 1977 / 2001 : 69). En l’occurrence, le conseiller peut décider du moment où il

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Chapitre Sixième – Études de cas

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rappelle son client, peut décider de donner ou non une manière de contourner la plate-forme si

le client le souhaite, peut décider du client qui bénéficie de cette solution, etc. Bien sûr, cet

espace de liberté reste contraint par une autre partie prenante à l’échange, i.e. l’entreprise, qui

a un moyen de contrôler le respect des procédés par le conseiller, et la qualité du service

fourni aux clients.

Prendre en compte cet espace de liberté permet alors de relativiser le degré d’influence

du client sur la manière dont l’employé en contact va se comporter vis-à-vis des mécanismes

de coordination à sa disposition, puisque l’on peut imaginer que ledit employé n’agira qu’en

fonction de l’avantage, en termes de pouvoir, qu’il en retirera sur son client. Enfin, l’exercice

ou non de ce pouvoir dépendra également de la nature de l’échange que le conseiller souhaite

conserver avec son client, ainsi que de l’historique de cet échange. Si il sait d’expérience que

le client tend à appeler régulièrement pour un virement, commander un chéquier, etc., il est

peu probable qu’il communique au client l’information que ce dernier souhaite avoir (son

numéro de téléphone direct). En revanche, si le client a un potentiel de développement

intéressant, et utilise régulièrement Internet pour gérer lui-même ses comptes, et réaliser ses

petites opérations courantes, il est plus probable qu’il la lui transmette.

Nous clôturons ce point en spécifiant que la nature et l’historique de l’échange

semblent à nouveau moduler l’influence de la participation du client sur l’employé en contact

(4ème proposition de recherche).

III.1.1.c) P3 : Le client influence le processus de coordination entre les employés en contact

La littérature nous offre plusieurs portes d’entrée dans l’étude du processus de

coordination : travaux sur le marketing interne (Gremler et al., 1994), sur le capital social

organisationnel (Leana et Van Buren, 1999), ou sur l’efficacité des groupes321 (Seers et al.,

1995),ou sur la coordination relationnelle (Gittell, 2001). Nous avons retenu pour notre part

ceux de Gittell, en raison de leur adéquation avec les résultats de notre étude exploratoire.

Ceux-ci nous ont justement permis d’enrichir ce construit au niveau de sa dimension

relationnelle, que nous avons élargi en y ajoutant la reconnaissance et l’indulgence mutuelles,

que nous avons à nouveau retrouvé dans les deux dernières études de cas. Nous avons en

321 Les références citées sur le capital social organisationnel et l’efficacité des groupes sont reprises chez Gittell (2001).

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Chapitre Sixième – Études de cas

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outre approfondi certaines des composantes de cette même dimension, en différenciant trois

types d’objectifs partagés, et quatre de reconnaissance.

En ce qui concerne l’influence du client sur ce processus, elle est indéniable à la fois

dans le cas BCR comme dans le cas EFN, même si elle est inégale en fonction tant des

dimensions, que des composantes de chaque dimension du processus de coordination. En

particulier, nous avons noté un impact particulièrement marqué sur la dimension relationnelle.

Nous n’avons cependant pas d’explication valable à apporter à ce résultat. Quant à la

dimension communicationnelle, seules la fréquence et la précision de la communication sont

influencées.

L’influence du client sur le processus de coordination amène là encore les employés

en contact, principalement en agence, à adapter leur comportement à l’égard de l’autre canal,

et à revoir positivement ou négativement leur opinion à son égard. Nous sommes à nouveau

dans le cas de l’influence locale de la participation client, qui intervient après la mise en place

de la plate-forme (ex-post).

Cette influence est en outre modulée par la nature et l’historique de l’échange entre le

client et l’employé en contact.

Enfin, les résultats de l’EFN montrent que la stratégie et la structure de l’entreprise

peuvent avoir un impact également sur le processus de coordination. Dans le cas présent, la

stratégie influence notamment la perception de partage d’objectifs, et la structure, la

connaissance partagée, qui brille par son absence. A l’inverse, la BCR se caractérise par la

perception d’une communauté d’objectifs entre les canaux, du fait d’une logique stratégique

qui place d’emblée les plates-formes au service des caisses, sans réelles velléités

commerciales322. Quant à la structure de la BCR, elle veille à ce que soit assuré un certain

niveau de connaissances partagées. Mais nous rentrons là dans le domaine de la cinquième et

dernière proposition.

III.1.1.d) P5 : Mécanismes et processus de coordination sont liés du fait des rôles de filtre / catalyseur joués par le client

Cette dernière proposition était basée sur notre intuition. Puisque nous pensions que le

client jouait un (ou plusieurs) rôles dans la coordination entre les canaux, ce rôle permettrait

d’expliquer les liens entre mécanismes et processus de coordination. Il s’est finalement avéré

322 La BCR, au moment de notre étude, commençait à pratiquer le rebond commercial sur les demandes des clients, mais avec renvoi automatique vers la caisse.

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Chapitre Sixième – Études de cas

418

que si ces liens s’avèrent exister, le client ne semble pas avoir d’influence dessus, au moins

pas directement. Nous reprenons ci-dessous, pour faciliter la lecture, les schémas

correspondant à chacun des cas (Figure 6-21).

Figure 6-21 : Comparaison schématique des liens partant des mécanismes vers le processus de coordination dans les cas BCR et EFN

Débutons par l’analyse des liens allant des mécanismes vers le processus. Gittell

(2000a) relève l’existence d’une influence de deux mécanismes sur le processus de

coordination, les systèmes d’informations, et l’équivalent de ce que nous avons appelé les

relations latérales. Ces dernières, selon ses résultats, ont un impact positif sur le processus de

coordination.

CAS BCR CAS EFN

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Chapitre Sixième – Études de cas

419

Pour notre part, nous constatons que quatre types de mécanismes sont communs aux

deux cas : la standardisation des procédés, le transfert de personnel, la communication interne

et les relations latérales. La standardisation des procédés est la seule à impacter la dimension

communicationnelle du processus de coordination, ce qui n’est somme toute pas une surprise,

puisque le fonctionnement du réseau de distribution multicanal et la gestion des

interdépendances dépendent fortement de cette coordination procédurale. Pour le reste, nous

voyons que plusieurs mécanismes de coordination, en l’occurrence les relations latérales, la

communication interne et le transfert de personnel peuvent être mis à contribution pour

développer la connaissance partagée, qui est ressortie comme étant un élément très important

du processus de coordination, notamment de par l’impact qu’elle a sur la reconnaissance

mutuelle. Cependant, pour ce qui touche à la communication interne, encore faut-il que le

mode de transmission de cette communication soit adéquat. Le cas BCR a ainsi montré que

tout ce qui concernait les plates-formes se trouvait sur l’intranet, mais que les conseillers ne le

consultaient pas par manque de temps, mais aussi par peur d’être noyés sous les informations.

Quant aux liens entre procédé, et reconnaissance et respect mutuels, ils s’expliquent

par le fait que les procédés tels qu’ils ont été prévus ex-ante par la banque peuvent jouer

négativement ou positivement dans la perception que les canaux ont les uns des autres.

Ces liens entre mécanismes et processus de coordination font une fois de plus la part

belle à la dimension relationnelle de la coordination. Ceci pourrait paraître surprenant, car la

coordination entre les canaux est distancielle, et est donc basée sur les systèmes

d’information. Or, Gittell (2000a) montre que les systèmes d’information influencent

négativement la coordination relationnelle. Les liens entre systèmes d’information et

processus de coordination mériteraient donc d’être approfondis pour éclaircir ce résultat, mais

cela dépasse l’objet de la présente thèse.

Enfin, le lien entre la standardisation par les résultats et les objectifs partagés a déjà été

expliqué durant l’étude du cas EFN. Nous nous bornerons donc simplement à rappeler que

son apparition n’est pas étrangère à la stratégie de l’entreprise en matière de distribution, qui

met presque sur un pied d’égalité agences et plates-formes en termes de compétences

distributives.

Dans le sens du processus vers les mécanismes, cette fois-ci, les relations sont

nettement plus rares (Figure 6-22)

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Chapitre Sixième – Études de cas

420

Figure 6-22 : Comparaison schématique des liens partant du processus vers les mécanismes de coordination dans les cas BCR et EFN

La standardisation des procédés est soit impactée positivement par la connaissance

partagée, qui va être à l’origine de leur amélioration. Soit elle peut mener à leur adaptation

locale (autrement dit, un détournement), car la connaissance partagée n’est pas congruente

avec les attentes des employés en contact eu égard à leurs collègues des autres canaux. C’est

la même chose pour les objectifs partagés.

III.1.2 Une perspective processuelle et historique de la

coordination d’un réseau de distribution multicanal.

Tout ce qui précède nous a conduit à mener une réflexion sur la nature de la

coordination. Cette réflexion passe tout d’abord par l’étude des conditions et lieux

organisationnels d’exercice des rôles de filtre / catalyseur du client, avant de préciser

pourquoi nous adoptons cette perspective processuelle de la coordination..

III.1.2.a) L’exercice des rôles de filtre / catalyseur du client.

Le client peut jouer le rôle de filtre informationnel, de catalyseur perceptuel,

interprétationnel, et / ou interactionnel. Il semblerait que ces rôles ne soient pas indépendants,

mais que l’on puisse établir une hiérarchie dans leur apparition, les filtre informationnel et

CAS EFN

CAS BCR

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Chapitre Sixième – Études de cas

421

catalyseur perceptuel se partageant la première place, et favorisant le déclenchement des deux

autres rôles.

Nous avons vu par ailleurs que l’influence du client est soit ex-ante / ext-post, soit

globale / locale. Il est possible de croiser ces influences entre elles, pour arriver à la figure

6-23, qui nous donne l’occasion de situer les rôles du client sur ces quadrants.

Figure 6-23 : L’influence du client sur la coordination d’un réseau de distribution multicanal

Mise en place du nouveau canal

Global Local

Ex-ante

Phase de management

• Adaptation des mécanismes / du processus

Phase de conception

• Attente • Anticipation de la

participation

Phase de conception

• Anticipation de la participation

• Préparation des mécanismes / du processus

• Interdépendances

Phase de management

• Adaptation des mécanismes / du processus

ç å

é è

Ex-post

Filtre informationnel Catalyseur perceptuel Catalyseur interprétationnel Catalyseur interactionnel

Légende

Influence directe sur l’employé en contact

Influence indirecte sur la hiérarchie

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Chapitre Sixième – Études de cas

422

Le quadrant å correspond à la phase de conception au niveau global. Il s’agit de

concevoir, comme son nom l’indique, les mécanismes de coordination qui vont permettre

d’assurer la gestion des interdépendances entre les canaux, interdépendances dont l’intensité

(couplages de communauté, séquentielles, réciproques) est également définie à ce stade.

Le quadrant ç est toujours dans la phase de conception, mais au niveau local cette

fois-ci. Les conseillers, sauf si ils sont mis à contribution dans le quadrant å, par exemple en

tant que membres d’un groupe de travail chargé de réfléchir à la mise en place du nouveau

canal, ne peuvent rien faire d’autre qu’attendre, et éventuellement commencer à informer les

clients dont ils pensent qu’ils marqueront d’importantes réticences à ce changement.

Le quadrant é passe dans ce que nous appelons la phase de management, postérieure

à la mise en place de la plate-forme. Il s’agit d’adapter les mécanismes et les éléments du

processus de coordination au fur et à mesure de l’expérience de la gestion du réseau de

distribution multicanal.

Enfin, le quadrant è correspond lui aussi à une phase d’adaptation, mais localisée

dans les canaux, avec une adaptation locale des mécanismes et du processus de coordination,

comme nous l’avons déjà expliqué.

L’influence de l’anticipation de la participation client durant la phase de conception

est patente, comme nous l’avons montré. Il ne s’agit pas toutefois de ses rôles de filtre ou de

catalyseur, qui eux ne rentrent en jeu que durant la phase de management, dès le moment où

la plate-forme est mise en place. Ceci est normal, puisque dans la perspective de la

participation qui est la nôtre, nous postulons qu’ils se construisent dans les interactions avec

les employés en contact des différents canaux. Ces rôles s’exercent directement sur les

employés en contact, et de manière plutôt indirecte, par l’intermédiaire desdits employés en

contact, sur la hiérarchie qui s’occupe de gérer l’ensemble du réseau de distribution

multicanal.

III.1.2.b) La coordination, un processus social et historique.

La coordination est vue de deux manières dans la littérature : qui comme un état, qui

comme un processus (Cheng, 1984). Lawrence et Lorsch (1973) adoptent eux une position

qui nous semble intermédiaire, avec leur concept d’intégration, fort proche de celui de

coordination : « Alors que nous utiliserons le terme intégration, tout d’abord pour faire

référence à l’état des interrelations entre départements, nous l’utiliserons également, par

convention, pour décrire tant le processus par lequel cet état est atteint, que les stratégies

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Chapitre Sixième – Études de cas

423

organisationnelles utilisées dans ce but » ( :23). La coordination est donc, dans leur esprit, à

la fois un état et un processus, lequel va mobiliser des « stratégies organisationnelles »

(mécanismes de coordination) pour arriver à cet état.

Pour ce qui nous concerne, nous considérons la coordination d’un réseau de

distribution multicanal comme un processus social entre acteurs, dont les dimensions sont

celles mises en évidence par Gittell, et que nous avons approfondies. Ce processus intervient

dans le cadre d’interdépendances, pour la gestion desquelles les acteurs s’appuient sur des

mécanismes de coordination.

Nous ne considérons pas que la coordination débute uniquement au moment où

apparaissent les interdépendances entre les canaux, mais en amont de celles-ci. Ce que nous

avons appelé la phase de conception, dans la figure 6-23, fait à nos yeux d’ores et déjà partie

de la coordination entre les canaux. Cette phase est en effet à l’origine de réflexions et

d’échanges entre des acteurs qui pour la plupart seront ultérieurement parties prenantes des

interdépendances entre les canaux, échanges qui à en croire nos deux études de cas se

déroulent au sein d’une structure projet ad hoc, vouée à perdurer par la suite323 pour faciliter

l’adaptation de la coordination. Cette structure projet, en elle-même, représente un mécanisme

de coordination porteur des prémisses de la coordination durant la phase de management. Les

décisions prises durant cette phase de conception sont étroitement dépendantes de la stratégie

et de la structure de l’entreprise. Pour les raisons qui précèdent, nous pensons pouvoir dire

que notre perspective processuelle de la coordination s’inscrit dans une dynamique historique

qui précède la naissance des interdépendances entre les systèmes référents (ici, les canaux) à

coordonner. Nous allons donc au-delà de la pensée de Gittell, chez qui la nature historique du

processus ne débute pas avant la création des interdépendances, et reste à la fois implicite et

localisée dans les interactions entre les dimensions communicationnelles et relationnelles qui

s’entretiennent l’une l’autre.

A l’extrême, nous pourrions aller jusqu’à dire que le processus de coordination se

décompose en deux phases : une phase dite de « coordination-conception », et une autre dite

de « coordination-management ». Sur un plan managérial, l’avantage de cette perspective

processuelle de la coordination telle que nous venons de la définir (donc historiquement

ancrée) est multiple, d’après nous :

323 Cette structure perdure dans le cas BCR, et apparemment également dans le cas EFN, même si la structure beaucoup plus centralisée de l’entreprise ne nous a pas permis d’en apprendre beaucoup sur ce groupe projet.

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Chapitre Sixième – Études de cas

424

Ø Elle oblige à faire un point précis sur l’ensemble des acteurs qui seront

concernés par les interdépendances et à étudier leur rôle dans ces

interdépendances. En particulier, dans une entreprise de service, cela permet

d’intégrer en amont le rôle que joue le client sur la coordination, celui-ci étant

partie prenante naturelle des interdépendances, du fait des caractéristiques des

services.

Ø En favorisant une réflexion qui incorpore le client, elle permet de prendre

conscience de l’ensemble des liens entre qualité de service interne et qualité

de service externe. La littérature nous enseigne traditionnellement que la

qualité de service interne a un impact sur la qualité de service externe

(Gremler et al., 1994). Or, nos résultats montrent que, puisque le client

influence la coordination intra-organisationnelle entre plusieurs employés

avec lesquels il est en contact, la communication par le client auprès de

l’employé A d’un retour d’expérience (positif ou négatif) avec l’employé B

peut influencer la perception de A vis-à-vis des compétences, ou de la qualité

du travail de B (ce que montrent également Wiertz et al., 2004). Cette

diminution ou ce renforcement de la perception de A à l’égard de B n’est pas

sans conséquences (positives ou négatives) sur la coordination. En d’autres

termes, la qualité de service externe peut avoir un impact sur la qualité de

service interne, ce sur quoi la littérature est muette, à notre connaissance.

Ø Elle participe d’une démarche de transparence interne sur les processus qui

vise à améliorer le partage de connaissances en amont, pour faire mieux

comprendre et accepter les décisions prises par les acteurs concernés.

Ø Connaissance des acteurs, transparence sur les processus, mise en relation de

la qualité interne et externe… Tout cela doit permettre de favoriser la prise de

conscience de la nécessité de l’accompagnement des acteurs qui vont se

trouver en situation d’interdépendance, alors qu’ils étaient auparavant plutôt

indépendants. Cet accompagnement semble la dernière roue du carrosse dans

le cas EFN, et même dans le cas BCR, il semble être resté limité (les

conseillers ont constaté l’arrivée de la nouvelle organisation, sans bénéficier

de formation les accompagnant dans les transformations de leur façon de

travailler).

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Chapitre Sixième – Études de cas

425

III.2 LES BANQUES DE DÉTAIL FACE À DES DÉFIS STRATÉGIQUES ET

ORGANISATIONNELS324.

Au regard de nos études de cas, et de l’analyse documentaire à laquelle nous nous

sommes livrés sur le secteur, nous pensons avoir identifié un certains nombre de problèmes

liés à la manière dont les banques ont déployé leur multicanal (III.2.1). Nous nous efforçons

de proposer quelques solutions pour éviter ces écueils qui se dessinent (III.2.2). Nous

concluons en soulevant une interrogation générale sur les possibilités de développement futur

du multicanal (III.2.3)

III.2.1 Les défis qui se profilent

Nous avons traité, dans le second chapitre, des avantages et des risques propres aux

stratégies multicanales dans la banque de détail. Les réponses à ces derniers se sont traduites

par la mise en avant de la complémentarité entre les canaux, l’amélioration de la qualité de

service externe, ou encore l’allégement des tâches à faible valeur ajoutée pour le réseau. Nous

considérons toutefois qu’elles portent les germes de multiples problèmes. Sans prétendre à

l’exhaustivité, nous souhaitons attirer l’attention sur ce qui nous semble faire partie des

embûches majeures au développement futur du multicanal bancaire, tant en interne que dans

les relations avec les clients.

III.2.1.a) La réalité de la complémentarité en question.

Le mot d’ordre du développement du multicanal bancaire fut la complémentarité entre

les canaux. Cependant, elle n’est souvent, à notre sens, qu’une façade masquant la survenance

prochaine d’importants problèmes organisationnels.

Peut-on en effet parler de complémentarité lorsque GAB, serveurs vocaux, sites

Internet et autres centres d’appels offrent quasiment tous la même panoplie de services ? La

gestion des opérations courantes est ainsi possible via chacune de ces interfaces, qui sont à

l’aune de ce critère parfaitement substituables. Elles ne restent complémentaires que dans leur

mode d’accès aux services (à domicile ou non), et sous contrainte de l’équipement du client.

Contrainte qui tend à diminuer avec l’accroissement du taux d’équipement des ménages en

informatique et en connexion haut débit (câble, ADSL). Il n’y a de réelle complémentarité

324 Cette sous-section est basée sur Plé, 2005.

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Chapitre Sixième – Études de cas

426

qu’entre les agences et les autres canaux, dans la mesure où elles ont été recentrées sur une

activité de vente et de conseil que les autres ne fournissent pas, ou peu (des Garets, 2005).

Ce constat posé amène à se demander, par exemple, de quoi sera fait l’avenir des

téléconseillers qui travaillent sur les centres d’appels entrants. A leur création, ces centres

d’appels ont généralement intégré du personnel issu du réseau, dans des proportions plus ou

moins importantes selon les établissements bancaires. Cela permettait notamment d’asseoir la

légitimité de ces plates-formes vis-à-vis des conseillers des agences, tout en les rassurant

quant à la qualité du service qui serait apporté à leurs clients, et en multipliant l’éventail des

métiers proposés, afin de garantir de nouvelles possibilités de mobilité et d’évolution internes.

En règle générale, ces centres ont été conçus comme de simples services d’accueil, cantonnés

essentiellement à des tâches répétitives à faible valeur ajoutée (commandes de chéquier, prise

de rendez-vous, virements, etc...), se risquant ça et là à de rares incursions dans le pré carré

commercial des agences en vendant des produits simples (cartes bleues, assurances sur les

moyens de paiement, accès aux services de banque à distance...), ou en pratiquant le rebond

commercial pour enrichir l’agenda de leurs collègues du réseau.

Mais ces tâches à faible valeur ajoutée, Internet ou les GAB en accomplissent la

grande majorité (hormis notamment la prise de rendez-vous), à moindre coût et avec la même

efficacité technique pour le client. Comment alors ne pas parler de substitution entre les

canaux ? A nouveau, la complémentarité porte moins sur le type de services rendus, que sur la

manière d’y accéder. Rester dans une logique d’hyperspécialisation des centres d’appels sur

ce type de tâches soulèverait donc un problème économique, mais également humain : il est

probable de voir s’émousser la motivation des collaborateurs, qu’ils soient ou non issus du

réseau, qui pourraient avoir le sentiment de galvauder leurs connaissances et leurs

compétences. Trois des téléconseillers rencontrés à l’EFN nous ont ainsi confié avoir la

volonté de rejoindre le réseau par la suite, considérant avoir fait le tour de leur métier après un

ou deux ans d’activité, sauf en cas de passage d’un poste de téléconseiller généraliste à

spécialiste.

III.2.1.b) Les risques organisationnels de la cannibalisation entre les canaux.

Or, ce mode d’organisation occasionne des dérives aux effets potentiellement

dévastateurs. L’étude du cas EFN a mis en lumière le comportement de certains conseillers du

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Chapitre Sixième – Études de cas

427

réseau qui, constatant la vente de produits par le centre d’appels, les annulent tout simplement

pour les refaire à l’identique, et par conséquent éviter de perdre la prime liée à la vente.

Notre recherche de terrain a mis en évidence que des conseillers du réseau D’autres

développent de véritables stratégies leur permettant de reprendre la main sur la relation avec

leur clientèle haut de gamme (la plus rémunératrice), qui en communiquant un numéro de

téléphone direct, qui l’e-mail professionnel, qui encore en indiquant à ses clients comment

contourner ce qu’ils considèrent être le « barrage » de l’accueil (dixit plusieurs des

conseillers interviewés). D’autres enfin limitent volontairement la quantité d’informations

renseignée dans la fiche client informatisée, pour s’assurer d’une meilleure maîtrise de la

relation.

Pourtant, pour paradoxal que cela puisse paraître, la totalité des conseillers rencontrés

est unanime sur un point : il est hors de question de revenir en arrière, tant la nouvelle

organisation a amélioré leur confort de travail. Malgré cela, la plupart ne considère ces centres

d’appels que comme de simples outils destinés à les décharger d’une part chronophage et peu

valorisante de leur métier (ce dont ils leur sont très reconnaissants), ce qui est normal

puisqu’ils leur furent conçus comme tels. Mais ils ne sont absolument pas prêts à leur céder la

part commerciale de leur travail. Quoique embryonnaires, ces dérives n’en sont pas moins

révélatrices d’un certain malaise au sein des réseaux, malaise auquel les directions ne portent

pas toujours l’attention nécessaire.

III.2.1.c) Le mirage du marketing relationnel.

Le multicanal se veut être le fer de lance des stratégies relationnelles des banques de

détail. Il est basé sur une multiplication des contacts entre la banque et ses clients à travers

différents médias. Ces stratégies, nous l’avons expliqué plus haut, consistent par ailleurs à

substituer pour une large part une pseudo-relation à une relation interindividuelle entre le

client et son conseiller. Dans le premier cas, ce n’est que multiplication de contacts, de

transactions entre le client et différentes interfaces de la banque pour délivrer un service

standardisé et impersonnel : le client aura toujours affaire à une machine, et/ou à des

interlocuteurs différents et parfaitement interchangeables, qui tenteront de donner l’illusion de

la personnalisation. Cette distinction a des retombées managériales lourdes de conséquences.

En effet, les clients sont conscients des différences entre pseudo-relations et relations,

qu’ils valorisent très différemment (Gutek et al., 2000 ; Gutek et al., 2002 ; O'Loughlin et al.,

2004). Dans la banque, les secondes sont primordiales pour s’assurer de la fidélité de la

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Chapitre Sixième – Études de cas

428

clientèle. Or, certaines des modalités de l’implémentation des stratégies multicanales,

couplées à des facteurs tels que des tarifs que les client perçoivent comme opaques et en

permanente augmentation, laissent augurer des répercussions négatives sur la qualité de ces

relations. Surprenant et Solomon (1987) montrent ainsi que la personnalisation programmée

(par exemple, accueil des clients par leur nom alors que les deux interlocuteurs ne se

connaissent pas), propre aux pseudo-relations, réduit l’évaluation que fait le client d’élément

aussi essentiels que la confiance, la compétence et l’efficacité.

La possibilité pour le client d’effectuer la majorité de ses opérations courantes en

dehors de l’agence par l’intermédiaire des canaux précités limite le nombre de contacts

inopinés avec son conseiller. Ceci se traduit, comme nous l’avons souligné, par une

organisation plus efficace du commercial. Mais c’est oublier que ces échanges directs sans

valeur ajoutée immédiate contribuent à construire la dimension affective indispensable à la

relation, et sur le long terme améliorent la productivité, la qualité de service perçue et la

fidélité des clients (Lemmink et Mattsson, 1998). Leur amoindrissement explique de manière

tout à fait plausible les propos tenus par plusieurs des conseillers que nous avons interrogés,

selon lesquels « les clients ne font plus de sentiment », « maintenant, ils partent à la

concurrence pour 0,10% ».

Cet aspect a été totalement occulté par la nouvelle organisation de la distribution. En

dépit du discours rassurant selon lequel prévalaient réactivité et qualité du service sur la

réduction de coût, il est évident que c’est cette dernière qui a guidé l’essentiel de la réflexion

de l’industrie bancaire (Beckett, 2004 ; Bénavent et Gardes, 2006).

III.2.1.d) La question du choix du mode de contact.

Bateson (1985) a montré que les clients préfèrent avoir le choix du mode de contact

avec l’entreprise prestataire de services, de même que leur satisfaction s’accroît avec leur

perception du degré de contrôle qu’ils exercent sur ce mode de contact. Transposé au

multicanal bancaire, cela revient à dire que plus les clients ont la sensation de maîtriser le

moment et la façon dont ils entrent en contact avec leur banque, plus ils sont satisfaits.

Considérons le canal Internet. Le client est libre de l’utiliser ou non, dès qu’il le

souhaite, et ne ressent aucune contrainte commerciale, du fait de l’absence d’interlocuteur

(tout comme pour les serveurs vocaux). De plus, l’utilisation du Web permet de bénéficier de

tarifications avantageuses (virements, ordres de bourse, etc.). La situation diffère quelque peu

pour les DAB / GAB : les clients y ont été poussés par la tarification progressive d’opérations

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Chapitre Sixième – Études de cas

429

au guichet de l’agence, puis par leur suppression pure et simple dans certains réseaux. La

période de transition a facilité l’acceptation par la majorité de la clientèle, qui a très vite pris

conscience des avantages du système (attente minime, accessibilité, rapidité de l’opération,

etc.), et qui conservait néanmoins la possibilité de réaliser l’opération en agence. Il s’agit

alors d’un choix sous contrainte, les banques orientant leur clientèle vers un canal à moindre

coût (Munos, 2003a).

Il en va tout autrement pour les centres d’appels, fussent-ils entrants ou sortants. Pour

les seconds, c’est l’évidence même : le contact est à l’initiative de la banque, et le client subit

l’appel. En ce qui concerne les premiers, le degré de contrôle perçu par le client ne relève pas

de l’existence ou non du centre, mais du mode d’organisation retenu, et du segment auquel

appartient le client. Dorénavant, ce dernier n’a plus le choix : hormis dans le cas, rare, où son

conseiller lui a transmis son numéro direct, il ne peut plus joindre directement son agence et

doit transiter par un téléconseiller, dont les compétences techniques permettent le plus

souvent de traiter sa demande, mais dont la simple existence vide d’une partie de sa substance

la relation client / conseiller. Cela n’est cependant pas vrai si le client présente un profil qui le

classe dans les segments que la banque cherche à capter, conserver et privilégier.

Impersonnel est certainement le qualificatif le plus approprié pour qualifier tout

échange entre un client et un centre d’appels, en dépit des effort déployés pour

« repersonnaliser » l’échange. Un des téléconseillers de l’EFN nous a d’ailleurs avoué ce qui

suit :

« Quand je dis personnalisé, c’est vrai qu’on personnalise le client dans notre discours, mais

c’est ça, c’est que ça. C’est pas réellement, c’est pas vraiment personnalisé, je veux dire. On

va pas traiter un client différemment d’un autre. Donc c’est vrai que ça reste assez anonyme.

L’avantage, c’est que le discours est censé être homogène, d’un téléconseiller à l’autre, d’un

client à l’autre, mais bon, c’est tout » (EFN PFE 04).

Ces éléments nous permettent d’interpréter comme suit deux résultats d’une récente

étude, où le taux de satisfaction affiché à l’égard des services dispensés par téléphone n’est

que de 29%, et où une majorité de clients se disent « insatisfaits de l’intimité de la relation

avec l’interlocuteur principal325 ». Le passage quasi-obligé par un téléconseiller a un impact

325 « L’Internet bancaire, nouvelle vague ? », Étude réalisée par Novamétrie en 2004. http://www.novametrie.com/html/secto_internetbque01.html

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Chapitre Sixième – Études de cas

430

négatif sur la relation de proximité que les clients souhaiteraient entretenir avec leur conseiller

attitré, puisqu’ils ont la sensation que ce dernier n’est plus seul à gérer leur compte.

Finalement, une des finalités du multicanal était de différencier les fonctions des

canaux, en permettant aux conseillers de se concentrer sur les activités à plus forte valeur

ajoutée, visant à favoriser leur activité commerciale et, partant, accroître leur volume de

vente. Or, on peut se demander si le mode d’organisation et la façon de mettre en place le

multicanal ne vont pas, au moins partiellement, à l’encontre de cet objectif, puisque les gains

de productivité attendus tardent à se faire sentir.

III.2.2 Les solutions possibles.

Sans donner de solution clés en main, il nous semble que les pistes qui suivent

mériteraient d’être creusées pour améliorer l’efficacité et l’efficience de la distribution

multicanale. Certaines d’entre elles sont déjà en cours d’implémentation dans certains

établissements.

III.2.2.a) L’enrichissement des tâches des centres d’appels.

Nous avons souligné les problèmes de motivation qui risquent de se poser dans les

centres d’appels, si les banques veulent y conserver un personnel doté de compétences

bancaires sans être de purs téléopérateurs. Une solution possible passe par l’enrichissement du

travail des téléconseillers. La BCR, par exemple, avait commencé au moment de notre étude à

rerouter les mails destinés aux agences vers les centres d’appels, pour que leur traitement soit

assuré par les téléconseillers. Il est également possible de donner à leur travail une

composante commerciale plus marquée, comme le font déjà certains établissements, à l’instar

de l’EFN, qui proposent par ce canal crédits personnels, produits d’épargne, etc... Nous avons

toutefois vu le tollé que cela provoque parmi les conseillers du réseau : outre ouvrir de facto

une brèche dans leurs prérogatives quasi-exclusives, et renforcer une pression commerciale

déjà très pesante, cela limite en plus la part de leur rémunération indexée sur le volume de

leurs ventes ou la réalisation de leurs objectifs.

Cet enrichissement ne peut donc se faire, pour le moins, sans une réflexion d’ensemble

sur les modes de rémunération à la fois propres à chaque canal, qu’à l’ensemble des canaux.

Rétrocéder la totalité des ventes aux agences, sans qu’aucune partie variable ne revienne aux

téléconseillers équivaudrait d’une certaine manière à demander à ces derniers de travailler

gratuitement pour les premières. Quant au principe de double rétrocession (la prime sur la

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Chapitre Sixième – Études de cas

431

vente est touchée à la fois par le conseiller et son homologue du centre d’appels qui a réalisé

la vente), il n’est pas économiquement viable à long terme pour l’entreprise, à moins d’en

faire une mesure de transition vers un système qui sera perçu comme plus équitable (Myers et

al., 2004).

III.2.2.b) Aider à la réorganisation du travail des conseillers du réseau

Soulagés de la pollution des appels téléphoniques, les conseillers doivent réinvestir ce

gain de temps pour faire du commercial, et en particulier, adopter une démarche pro-active :

puisque les clients ne viennent plus à eux, à eux d’aller vers leurs clients. Une telle

transformation implique de dépasser le stade de la simple incantation, et les former à cette

approche, tout en renforçant encore leurs compétences de ciblage de la clientèle et de gestion

du risque. Or, nos études de cas montrent que cette réflexion n’est pas menée. La dérivation

des appels a lieu, l’intérêt est porté au fonctionnement global du réseau, avec une acuité plus

ou moins vive, mais la réorganisation que ce changement engendre en agence ne semble pas

faire l’objet d’une attention particulière. Ni les conseillers, ni les responsables locaux

rencontrés n’ont fait état de formations consécutives à la mise en place des nouveaux canaux.

Certains établissements (parmi lesquels la BCR) proposent à leurs employés des formules de

prêt à conditions préférentielles pour s’équiper en informatique, et ainsi se familiariser d’eux-

mêmes avec Internet. D’autres ont organisé des séances de présentation des nouveaux outils.

Mais cela ne va généralement pas plus loin. Il n’y pas eu de formation au phoning, à la

gestion du temps, etc. Schématiquement, le principe de base fut de dire : « vous voilà

maintenant doté d’un temps commercial accru. Il faut que vous l’utilisiez pour accroître vos

ventes et votre productivité », sans (presque) aucun accompagnement.

III.2.2.c) Ne pas oublier ce qui fait la nature de la relation.

Parallèlement, les contacts avec la clientèle ne doivent pas tous se limiter à une

activité de vente. Plusieurs des conseillers rencontrés au cours de notre étude ont mis en avant

la redoutable efficacité de gestes commerciaux « de courtoisie » (envoi d’une carte de vœux

personnelle, appel à l’occasion d’un anniversaire, etc...) à destination de leur clientèle haut de

gamme. Il est bien évident que de telles stratégies locales ne peuvent concerner l’ensemble de

clients, et doivent s’ancrer dans une segmentation précise de la clientèle. Mais elles

participent indéniablement d’une politique de fidélisation, qui contraste avec les objectifs

court-terme imposés par les établissement bancaires à leur personnel.

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Chapitre Sixième – Études de cas

432

Nous pensons qu’une réduction, même minime, de la taille des portefeuilles

(compensée par un nombre limité d’embauches) favoriserait une telle gestion qualitative de la

relation, et renforcerait la fidélisation de la clientèle, entraînant une augmentation des revenus

à long terme (Reichheld, 1999. En outre, les clients considèrent que les offres bancaires sont

faiblement différenciées, tant au plan des produits et services proposés, que de la gestion de la

relation (Zollinger et Lamarque, 2004). Pareille décision irait dans le sens d’une réelle

différenciation vis-à-vis des concurrents, et faciliterait le retour des clients vers les agences

pour des opérations ciblées à forte valeur ajoutée.

Cette prise de conscience s’illustre d’ailleurs par les campagnes récentes de

communication de certains établissements. Le nouveau slogan du Crédit Agricole est « une

relation durable, ça change la vie », tandis que le Crédit du Nord affichait récemment, à

l’entrée de ses agences : « Ici, tous nos conseillers sont joignables directement par

téléphone ».

III.2.2.d) Accroître la socialisation organisationnelle des clients.

Le rôle accru que le multicanal fait jouer aux clients nécessite qu’ils soient plus

conscients de l’importance de leur comportement sur la qualité globale du service qu’ils

reçoivent. Outre l’explication des avantages que les changements peuvent représenter, nous

pensons que les banques doivent s’astreindre à une plus grande transparence sur leurs

processus. Cela permettrait aux clients de mieux comprendre leur rôle, et de participer non

dans une logique de résignation face à la contrainte, mais d’acceptation.

Les évolutions du progrès technique vont d’ailleurs dans le sens de cette transparence :

les clients en agence peuvent maintenant regarder l’écran d’ordinateur de leur conseiller alors

même que ce dernier leur fait une simulation de prêt ; les opérations de maintenance des sites

Internet sont généralement planifiées et indiquées à l’avance aux clients. Cela va dans le sens

de Fitzsimmons, qui dès 1985 soulignait que la nature des entreprises de services les

contraindrait de plus en plus à une certaine transparence sur leur fonctionnement. Les

banques, comme les clients, comme les employés, doivent être véritablement conscientes de

ce que l’organisation de leur réseau de distribution multicanal est le fruit d’une construction

entre eux trois. Et la seule manière pour les clients d’en prendre conscience de manière

congruente avec les attentes de la banque repose dans les techniques de socialisation

organisationnelle.

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Chapitre Sixième – Études de cas

433

Celles-ci restent notamment primordiales pour amener le client à utiliser les nouveaux

canaux mis à sa disposition. Or, sur un plan organisationnel, cette contrainte n’est pas suivie

des faits. Une banque comme l’EFN, lorsque nous y avons mené nos entretiens, ne fournissait

pas même l’accès à Internet à ses agences, dans lesquelles les employés ne pouvaient donc

pas se connecter avec leurs clients pour faire des démonstrations en temps réel. Seul, un

applicatif leur permettait de procéder à cette démonstration, sans aucune souplesse.

III.2.2.e) Développer les échanges et synergies entre les canaux.

Sur un plan opérationnel, l’obligation de réactivité à la demande du client, qui souhaite

obtenir rapidement sa réponse, exige des moyens de communication appropriés (téléphone,

messagerie interne). Nous avons dans notre étude terrain deux cas diamétralement opposés

sur ce plan : l’utilisation du fax à l’EFN, en plus de donner de l’entreprise une image peu

moderne, retarde la communication entre les canaux, et accroît le sentiment d’être

physiquement débordé par l’information. Les conseillers de la BCR, à l’inverse, reçoivent ces

informations en temps réel sur leur poste de travail, et peuvent les traiter facilement sans être

encombré d’une multitude de documents. Néanmoins, ces échanges et synergies ont été très

largement basés sur l’informatique et les moyens modernes de communication, au détriment

semble-t-il de l’organisation.

Ainsi, le déploiement de structures appropriées pour faciliter ces échanges et synergies

entre les canaux est également indispensable. Cela doit se faire, comme nous l’avons montré,

en amont de l’existence des nouveaux canaux, mais leur existence doit également être

pérennisée ensuite, d’une manière ou d’une autre. L’organisation régulière de groupes de

travail mêlant personnel des agences (directeurs d’agence, mais aussi simples conseillers), et

personnel d’autres canaux doit permettre une évolution incrémentale des procédures. La

fréquence de ces réunions était trimestrielle à la BCR, et les membres du groupe de travail

issus des caisses tournaient régulièrement pour assurer le renouveau des idées et du feedback

de la clientèle. Cette évolution nécessite aussi une sensibilisation des opérationnels à

l’importance de la remontée systématique des dysfonctionnements, laquelle reste trop faible.

La simple mise à disposition de l’information favorisant ces échanges n’est pas suffisante

sans de fréquents rappels.

Par ailleurs, coopération et coordination entre les canaux passe aussi par une

reconnaissance et une valorisation de leur importance mutuelle. Autrement dit, et pour donner

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Chapitre Sixième – Études de cas

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un exemple, si un téléconseiller obtient un rendez-vous en agence à la suite d’un rebond

commercial, il doit savoir si ce rendez-vous a débouché ou non sur un résultat. Sans

obligatoirement mettre en place des outils de suivi au cas par cas (trop lourd et d’une moindre

efficacité), une gestion globale renforcerait la motivation des téléconseillers, qui connaîtraient

leur contribution à l’activité commerciale des agences, et limiterait très certainement les

pratiques peu orthodoxes des conseillers que nous avons mentionnées plus haut.

Enfin, la mobilité fonctionnelle, i.e. le transfert de personnel entre les canaux, outre

donner des perspectives d’évolution variées susceptibles de fidéliser le personnel (Lamarque

et Maymo, 2005) participe d’un partage de connaissance réciproque sur le fonctionnement des

canaux, favorable à la coordination.

Pour conclure sur ce point, nous reprendrons les propos de Gittell (2002), qui à nos

yeux résument parfaitement les enjeux sous-jacents à ce besoin d’échanges et de synergie

dans le contexte dans lequel évolue le multicanal bancaire : « les relations entre les employés

prestataires de services vont certainement devenir de plus en plus importantes dans le

support des relations entre un prestataire avec un client tandis que les opportunités de

relations personnelles déclinent entre les employés en contact et leurs clients » ( : 308-309).

III.2.3 Une possible inadéquation des objectifs du

multicanal.

Nous conclurons cette analyse, et par là même ce chapitre, en soulevant l’interrogation

qui suit : les objectifs du multicanal sont-ils congruents entre eux ?

L’objectif stratégique avoué de la majorité, sinon la totalité, des établissements

bancaires est de pouvoir, à terme, transformer tout contact en opportunité de vente. Nous nous

demandons toutefois si cela ne relève pas d’une fausse bonne idée. Nous ne remettons

absolument pas en cause l’existence du multicanal, dont la réalité est incontournable, et les

avantages considérables. Et nous reconnaissons que, à l’instar de toute entreprise (de Fournas,

1998), l’objectif d’une banque est de croître et de générer de la valeur pour chacun de ses

« stakeholders » (parties prenantes). Mais la possible inadéquation entre ces deux objectifs –

vendre sur tous les canaux et créer de la valeur pour les parties prenantes – mérite une

attention particulière.

Il semble difficile de maximiser la valeur actionnariale si la concurrence interne a des

conséquences organisationnelles négatives, qui se traduisent par le besoin de mettre en place

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Chapitre Sixième – Études de cas

435

des procédures de contrôle interne plus coûteuses que le résultat net marginal que cette

cannibalisation permet d’atteindre. On ne pourra pas non plus créer de valeur pour des

employés qui se sentent concurrencés par leurs propres collaborateurs, et investissent une

partie de leurs efforts dans le contournement de cette concurrence. Enfin, certains réseaux

distribuent, via Internet ou leur centre d’appels, des produits selon des conditions distinctes de

celles disponibles en agence (des taux différents pour un crédit, par exemple). Là encore,

comment créer de la valeur pour les clients, susceptibles de se perdre dans une multitude

d’offres différenciées selon les canaux ? A nouveau, ces interrogations montrent que les

solutions ne sont pas simples, et que le travail tant théorique que managérial nécessaire à leur

résolution reste immense.

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Chapitre Sixième – Études de cas

436

EN CONCLUSION DU CHAPITRE SIXIÈME… L’influence multi-niveaux du client sur la coordination

d’un réseau de distribution multicanal

Ce chapitre nous a permis de confronter au terrain nos interrogations sur la

coordination d’un réseau de distribution multicanal, à travers la réalisation de deux études de

cas dont nous venons de livrer les résultats. Leur analyse nous a notamment permis :

Ø De contribuer à l’approfondissement du processus de coordination en

développant les dimensions et composantes de la coordination relationnelle

qui nous ont servi à l’analyse des données ;

Ø D’attester empiriquement de notre proposition théorique de la création

interactionniste de quatre rôles que joue le client, rôles qui influencent la

coordination des employés en contact d’un réseau de distribution multicanal ;

Ø De montrer que l’influence du client sur l’employé en contact est modulée par

la nature et l’historique de l’échange qu’il entretient avec ledit employé ;

Ø De placer l’influence du client sur la coordination relativement à deux

dualités : l’une située temporellement par rapport à la mise en place d’un

nouveau canal (ex-ante vs ex-post), l’autre située structurellement (locale vs

globale) ;

Ø De proposer une perspective de la coordination comme étant un processus

social, ancré dans une dynamique historique, qui mobilise différents

mécanismes de coordination pour gérer les interdépendances

Ø De nous livrer à une analyse des défis stratégiques et organisationnels

auxquels le secteur de la banque de détail risque selon nous d’être confronté

dans un avenir proche, voire immédiat, du fait de la croissance continue du

multicanal.

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Conclusion de la Troisième Partie

437

CONCLUSION DE LA TROISIÈME PARTIE

S’achève avec cette troisième partie la dernière étape de notre recherche. Après avoir

bâti, durant les deux premières, un cadre théorique visant à comprendre la place du client dans

la coordination d’un réseau de distribution multicanal, nous l’avons rapproché du « réel »

pour en vérifier le potentiel explicatif. La manière dont nous avons procédé à cette

confrontation a été retranscrite en deux chapitres :

Ø L’un justifie notre positionnement épistémologique et notre démarche de

recherche, aux plans du recueil et de l’analyse des données. Ce chapitre est à

la fois celui d’une élucidation du processus de la recherche, mais aussi d’une

réflexion a posteriori sur la manière dont ledit processus a été vécu par le

chercheur.

Ø Le second apporte l’éclairage des acteurs terrain tel que le chercheur

l’interprète en regard de sa grille de lecture. Il fut l’occasion d’éclairer les

propositions de recherche que nous avions formulé, mais également de les

dépasser, en nous permettant de nous situer dans les débats sur la nature de la

coordination en tant que processus ou en tant qu’état. Enfin, nous nous

sommes livré à une analyse prospective de la banque de détail en ciblant

quelques uns des principaux défis stratégiques et organisationnels que portent

en germe les stratégies et organisations multicanales des acteurs du secteur.

L’exposé des résultats tirés de l’analyse du terrain complète et enrichit la revue de

littérature, et nous permet de situer l’ensemble des apports de cette thèse, ainsi que de prendre

conscience de certaines de ses carences.

Ainsi, après avoir gouverné notre embarcation sur l’immense océan de la

connaissance, nous apercevons finalement le rivage…

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Conclusion Générale

438

CONCLUSION GÉNÉRALE

a réalisation de ce travail doctoral, dont la restitution atteint maintenant le

terme de son périple, a été guidée par deux objectifs, résumés en une

problématique que nous avons déclinée en cinq propositions de recherche.

Nous les rappelons une ultime fois (Encadré 6), avant d’exposer les apports théoriques,

méthodologiques, et managériaux de cette thèse, de même que ses limites et les voies de

recherche futures qu’elle concoure à ouvrir.

Encadré 6 : Rappel des objectifs, de la problématique et des propositions de recherche

OBJECTIFS

1. Contribuer à répondre aux interrogations théoriques et managériales concernant l’organisation d’un réseau de distribution multicanal

2. Participer à l’explicitation du rôle joué par le client dans la coordination intra-organisationnelle

PROBLÉMATIQUE

Dans quelle mesure la participation client influence-t-elle la coordination des employés en contact dans un réseau de distribution multicanal ?

PROPOSITIONS DE RECHERCHE

1. Le client est à l’origine d’interdépendances entre les employés en contact

2. Le client influence le recours aux mécanismes de coordination

3. Le client influence le processus de coordination entre les employés en contact.

4. La nature de l’échange (relations vs pseudo-relations) module l’influence qu’exerce le client sur l’employé en contact

5. Mécanismes et processus de coordination sont liés du fait des rôles de filtre / catalyseur joués par le client.

APPORTS THÉORIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES.

Notre recherche permet d’apporter des éléments de réponse au confluent de trois

appels à contributions émanant de la littérature : l’un en faveur de travaux théoriques et

empiriques sur le multicanal, tout d’abord (Frazier, 1999 ; Frazier et Shervani, 1992 ;

Peterson et Balasubramanian, 2002) ; un autre, d’un besoin d’approfondissement de la

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Conclusion Générale

439

connaissance sur la place tenue par le client dans une organisation productive (Bowen et

Hallowell, 2002 ; Danet, 1981 ; Parsons, 1956) ; le troisième, enfin, du développement de

travaux multidisciplinaires sur les organisations de service (Lemmink, 2005 ; Lemmink et al.,

2004 ; Lings et al., 2004).

Le multicanal est un objet de recherche relativement neuf. Ainsi, notre état de l’art

représente, en lui-même, une contribution à la littérature, dont l’intérêt réside principalement à

deux niveaux. Tout d’abord, la proposition de trois types de complémentarité,

empiriquement vérifiés. Secundo, une définition d’un réseau de distribution multicanal

qui s’émancipe de la nature des canaux qui le composent pour s’ancrer dans ses

caractéristiques propres.

Puis, l’adoption d’une perspective interactionniste de la participation client, qui

rompt avec la tradition fonctionnaliste présente dans la littérature, nous a permis d’intégrer le

client en tant qu’acteur de la coordination du réseau de distribution multicanal. Cette

perspective, à partir de laquelle nous avons avancé que le client est à l’origine

d’interdépendances dont il est lui même partie prenante, a pris corps de trois manières :

Ø Une définition interactionniste de la participation client ;

Ø La proposition de l’existence d’inputs relationnels, enracinés dans les

données de l’étude exploratoire, et validés par les deux études de cas

ultérieures ;

Ø La proposition d’un rôle de filtre, et de trois rôles de catalyseur que joue le

client. Ces rôles, vérifiés empiriquement, se construisent dans ses interactions

avec les employés en contact de l’entreprise, et sont le fruit de la perception

de l’arbitrage entre les déterminants et des inputs de sa participation par

lesdits employés.

L’exercice de ces quatre rôles par le client a une influence sur la coordination des

canaux qui composent le réseau, à la fois au niveau de leur design, i.e. sur les mécanismes

qui assurent la coordination entre les canaux, mais aussi sur le processus social de

coordination entre les employés en contact, dans le cadre duquel sont mobilisés ces

mécanismes. Nous avons de plus empiriquement identifié les inputs et les déterminants à

l’origine de la survenue de cette influence en fonction des mécanismes, et des dimensions et

composantes du processus de coordination.

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Conclusion Générale

440

De surcroît, ce processus de coordination a fait l’objet d’un double enrichissement

empirique. Sa dimension relationnelle a été élargie par l’ajout de l’indulgence et de la

reconnaissance, et certaines de ses composantes ont été approfondies (différenciation entre

plusieurs catégories d’objectifs partagés, diverses caractérisations de la reconnaissance).

Enfin, nous adoptons une vision processuelle de la coordination d’un réseau de

distribution multicanal, qui est intimement connectée à la stratégie et à l’organisation. Cette

vision implique l’existence d’un processus social à deux dimensions (communicationnelle et

relationnelle), qui s’inscrit dans une dynamique historique et s’appuie sur différents

mécanismes de coordination. Nous prenons donc part au débat sur la nature de la coordination

(Cheng, 1984), laquelle se veut pour nous fondamentalement processuelle, au sens où nous

l’avons défini.

Au regard de la méthodologie, deux types d’apports peuvent être évoqués :

Ø Certaines publications s’adressent aux employés pour mesurer le degré de

satisfaction des clients vis-à-vis d’une rencontre de service (e.g. Bitner et al.,

1994 ; Schneider et al., 1980). Mais nous n’en avons pas vu cherchant à

mesurer la perception que les employés ont de la participation, ni a

fortiori s’intéressant à l’influence de cette participation sur la coordination de

cette manière.

Ø Les travaux de Gittell sur le processus de coordination font appel à une

méthodologie quantitative. Nous considérons le recours à des études

qualitatives comme un apport méthodologique, qui nous a mis en capacité

d’enrichir le processus de coordination.

En outre, notre recherche est l’une des premières à employer les outils d’analyse

qualitative mis à notre disposition par Nvivo 7, dont nous espérons avoir convaincu de

l’intérêt d’utilisation dans une recherche de cette nature.

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Conclusion Générale

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APPORTS MANAGÉRIAUX.

L’ancrage empirique de cette thèse nous permet d’en retirer un certain nombre

d’apports managériaux.

Tout d’abord, la mise en évidence du rôle tenu par le client dans la coordination

multicanale nécessite une réflexion plus vaste sur la socialisation organisationnelle du client,

qui doit notamment passer par une transparence accrue sur les processus, afin de valoriser

sa participation et d’en améliorer la teneur (amélioration de la qualité de service interne et

externe).

Ensuite, le déploiement d’un réseau de distribution multicanal ne peut se faire sans

l’active coopération de tous les acteurs, au risque d’assister à une multiplication des

comportements déviants, aux répercussions économiques négatives. Si en externe, cela passer

par l’utilisation des techniques de socialisation organisationnelle, en interne, cela nécessite

une implication des parties prenantes en amont de la finalisation du nouveau canal. Cette

implication passe par leur incorporation dans des structures projet temporaires, dont

l’avantage est double : montrer au personnel existant qu’il est pris en compte dans la

démarche, et intégrer l’expérience et la connaissance qu’ont les employés en contact sur les

clients, avec tout ce que cela induit en termes de gestion de la relation client, d’organisation

quotidienne du travail, etc.

Ces structures doivent être pérennisées, soit en l’état, soit sous une forme

aménagée. Elles doivent également être complétées par d’autres mécanismes qui

promeuvent les échanges et les collaborations entre les canaux.

Enfin, le déploiement d’un réseau de distribution multicanal ne peut faire l’économie

d’un accompagnement du personnel des canaux existants, dont l’activité se trouve

fortement modifiée.

LIMITES

La première des limites de cette recherche est inhérente à sa méthodologie, qualitative,

qui proscrit toute visée généralisatrice des résultats.

La maîtrise de la constitution de notre échantillon nous a partiellement échappé

dans les trois établissements bancaires étudiés. Aussi, en dépit des précautions

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Conclusion Générale

442

méthodologiques dont nous avons tenté de faire preuve, il est possible que cela ait biaisé nos

résultats.

Ensuite, nous n’avons pas pu récolter d’informations sur les caractéristiques

précises de la clientèle de chaque banque, de chaque agence ou de chaque conseiller. La

qualité de la comparaison entre les agences, et entre les cas, s’en est peut être ressentie, avec

une analyse un peu moins fine que nous ne l’aurions souhaitée initialement.

Une autre limite dont souffre notre travail tient à la structure des réseaux de

distribution multicanaux étudiés : le client y est en interaction avec un employé différent

sur chaque canal. Or, la totalité de notre analyse s’effondre dans le cas où le client dispose

d’un interlocuteur unique quelque soit le canal qu’il utilise, puisque n’interagissant plus avec

plusieurs employés, dont la problématique de coordination vis-à-vis du client disparaît.

Néanmoins, ce type d’organisation paraît peu vraisemblable sur un marché de masse, mais

plus plausible sur un marché de niche.

Enfin, l’importance que nous accordons à la participation client pourrait laisser

croire au lecteur qu’il s’agit du seul facteur à influencer la coordination. Nous assumons cette

présentation, puisqu’elle nous permet de répondre à nos objectifs et problématique de

recherche. Néanmoins, nous tenons à préciser que sommes conscients de ce que nous

n’expliquons qu’une partie de la coordination intra-organisationnelle, qui dépend de la

participation, mais aussi d'autres facteurs comme la stratégie ou la structure organisationnelle.

VOIES DE RECHERCHES FUTURES

Ces voies de recherches sont de trois ordres : théoriques et / ou empiriques ; et

méthodologiques. Commençons par les deux premières.

Notre réflexion sur l’influence du client sur la coordination est enchâssée dans le

multicanal. Nous pensons toutefois que ses soubassements théoriques sont suffisamment forts

pour l’en déconnecter, et avons la conviction de sa portée généralisatrice à toute situation où

le client est en contact avec plusieurs employés interdépendants, dont le multicanal est à nos

yeux un idéal-type au sens de Wéber. Néanmoins, conviction n’est pas science, et des

travaux menés dans des contextes distincts du multicanal sont nécessaires pour l’invalider,

la renforcer, ou l’enrichir.

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Conclusion Générale

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Nous n’avons en outre fait qu’effleurer les liens potentiels entre les quatre rôles de

filtre et de catalyseur que nous avons mis à jour. L’approfondissement de ces liens est une

piste intéressante, car il permettrait une compréhension accrue du rôle du client sur la

coordination.

Ces recherches seraient susceptibles de s’inspirer des théories néo-institutionnelles,

à l’enrichissement desquels elles participeraient, puisque Joffre et Montmorillon (2001)

notent que le client est « très curieusement absent » ( : 244) de leur analyse. Les travaux

relevant de ce courant recèlent vraisemblablement des outils d’analyse qui pourraient aider à

une meilleure compréhension de la participation du client à la coordination, et bénéficieraient

de nouveaux approfondissements.

Enfin, il serait intéressant de transposer cette analyse à un contexte

interorganisationnel, comme dans le cadre d’une alliance entre deux entreprises proposant

des services différents à des clients identiques.

Au plan méthodologique, nous proposons trois catégories de travaux :

Ø Des recherches quantitatives menées auprès des employés en contact

uniquement, à fin de généralisation de nos résultats.

Ø Des recherches quantitatives ou qualitatives auprès des clients, par

exemple pour mesurer leur degré de conscience de l’activation de ces rôles,

de manière à savoir comment le prestataire de services peut les influencer en

sa faveur.

Ø Des recherches quantitatives ou qualitatives au niveau de la dyade

client/employé, par exemple pour mesurer le niveau de congruence des

perceptions des acteurs et les accorder sur la base d’un script commun qui

maximiserait l’efficacité de la coordination, de façon à améliorer la qualité de

service. Ce genre de travaux sur la dyade reste encore confidentiel, alors que

l’utilité théorique et la portée managériale en sont avérées (Hubbert et al.,

1995).

Cette thèse ne fait que poser les fondations d’un projet de connaissance à plus long

terme. Et à l’instant où nous la clôturons, nous mesurons peut-être mieux que jamais la portée

de la citation d’Evry Schatzman qui a ouvert ce document…

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Bibliographie

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Table des Matières

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TABLE DES MATIÈRES

REMERCIEMENTS....................................................................................................................I SOMMAIRE .............................................................................................................................IV INTRODUCTION GÉNÉRALE ................................................................................................. 1

PREMIÈRE PARTIE : VERS UNE FORMULATION ABDUCTIVE DE LA QUESTION DE RECHERCHE .......................................................................................................................... 11

CHAPITRE PREMIER :DÉFINITION ET MODALITÉS DE DÉVELOPPEMENT D’UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL....................................................................... 13

SECTION I. DU CANAL AU RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL........................14 I.1 Le canal de distribution : deux perspectives complémentaires. ...........................................14

I.1.1 Une perspective « verticale » du canal de distribution. ...............................................15 I.1.1.a) Caractéristiques générale du canal. .....................................................................15 I.1.1.b) Les membres du canal. ........................................................................................16

I.1.2 Une conception « horizontale » du canal de distribution.............................................17 I.1.3 Notre recherche : le canal pris comme formule de distribution. ..................................19

I.2 Le multicanal : présentation et caractéristiques générales..................................................20 I.2.1 Un constat : une littérature encore peu fournie. ........................................................... 20 I.2.2 Revue chronologique des définitions du multicanal ....................................................22 I.2.3 Caractéristiques d’un réseau de distribution multicanal. .............................................23

I.2.3.a) Une multiplicité d’objectifs.................................................................................24 I.2.3.b) Multicanal = plusieurs canaux ?..........................................................................25

I.2.3.b.(1) Quid du nombre de canaux. ............................................................................25 I.2.3.b.(2) Quid du type de canal ? ..................................................................................26 I.2.3.b.(3) Quid de l’agencement des canaux ?................................................................ 27

I.2.3.c) Nature des canaux de distribution. ......................................................................29 I.2.3.c.(1) Canaux directs versus canaux indirects. .........................................................29 I.2.3.c.(2) Canaux online versus canaux offline. ............................................................. 30 I.2.3.c.(3) Des typologies non exclusives. .......................................................................31

I.2.3.d) Quid de notre recherche ? ...................................................................................32 I.2.3.d.(1) Le nombre et le type de canaux. .....................................................................32 I.2.3.d.(2) La nature des canaux. .....................................................................................32

I.3 Différenciation et complémentarité fonctionnelles des canaux de distribution. ..................32 I.3.1 Les fonctions du canal de distribution. ........................................................................33

I.3.1.a) Typologies des fonctions des canaux de distribution. .........................................33 I.3.1.b) Vers une complémentarité fonctionnelle des acteurs du canal............................ 35

I.3.2 Une application aux formules de vente........................................................................35 I.3.2.a) Préférences fonctionnelles des clients................................................................. 36 I.3.2.b) Différenciation et complémentarité fonctionnelles objectives, contextualisées et perçues. ............................................................................................................................. 38

I.4 Le réseau de distribution multicanal : une définition...........................................................39

SECTION II. RAISONS ET LIMITES DU DÉVELOPPEMENT D’UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL. ...................................................................................................41

II.1 Principes du développement des réseaux de distribution multicanaux. ........................... 41 II.1.1 L’innovation technique. ............................................................................................... 42

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Table des Matières

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II.1.2 Une révolution concurrentielle. ...................................................................................43 II.1.3 Les clients à la recherche de commodité et de contrôle...............................................43 II.1.4 La fragmentation des marchés. ....................................................................................44 II.1.5 Évolution des marchés et des cycles de vie des formules de distribution....................44 II.1.6 Un mimétisme stratégique et culturel. .........................................................................45

II.2 Les avantages d’une stratégie de distribution multicanale. .............................................46 II.2.1 Que peut retirer une entreprise d’une telle stratégie ? .................................................47

II.2.1.a) Côté offre : une amélioration de l’efficience. .....................................................47 II.2.1.a.(1) Une baisse potentielle des coûts de distribution ............................................47

(i) Miser sur les avantages de coûts relatifs des canaux. .........................................48 (ii) Réaliser des économies d’échelle........................................................................49 (iii) Réaliser des économies d’envergure. .................................................................49

II.2.1.a.(2) Transversalité, flexibilité et partage des ressources. ......................................50 II.2.1.b) Côté demande : toujours plus. .............................................................................50

II.2.1.b.(1) Accroître la demande. ....................................................................................50 II.2.1.b.(2) Améliorer la satisfaction globale du client pour approfondir la relation client / entreprise. .......................................................................................................................51 II.2.1.b.(3) Accroître les prix proposés. ...........................................................................52

II.2.2 Un gain de valeur délivré aux clients...........................................................................53 II.2.2.a) La valeur perçue : une définition. .......................................................................53 II.2.2.b) Multicanal et valeur perçue. ................................................................................54

II.2.2.b.(1) Multicanal et accroissement des bénéfices perçus.........................................55 (i) Vivre une nouvelle expérience de consommation...............................................55 (ii) Liberté et praticité. .............................................................................................. 55

II.2.2.b.(2) Multicanal et réduction des risques et sacrifices perçus. ............................... 56 (i) Multiplication des sources d’informations. .........................................................56 (ii) Diminution des coûts de transaction. ..................................................................57

II.3 Risques et inconvénients inhérents à cette stratégie. .......................................................57 II.3.1 Risques pour l’entreprise. ............................................................................................ 58

II.3.1.a) Du côté de l’offre. ............................................................................................... 58 II.3.1.a.(1) Une possible augmentation des coûts de distribution ....................................58 II.3.1.a.(2) Des risques organisationnels patents. ............................................................ 59 II.3.1.a.(3) Le risque de surpondération du système d’information sur l’organisation et la stratégie. .......................................................................................................................60

II.3.1.b) Les risques au niveau de la demande. .................................................................61 II.3.1.b.(1) Quantité et qualité des informations. ............................................................. 62 II.3.1.b.(2) Des résultats commerciaux remis en question. ..............................................62 II.3.1.b.(3) Une inadéquation entre le canal et le segment visé. ......................................63

II.3.1.c) Un risque de transformation des modalités de l’échange....................................63 II.3.1.c.(1) Relation vs rencontre de service. ...................................................................64 II.3.1.c.(2) Le multicanal au confluent de la rencontre et de la relation ? .......................65 II.3.1.c.(3) Le risque d’une moindre fidélité....................................................................66

II.3.2 Inconvénients pour le client. ........................................................................................67 II.3.2.a) Un moindre pouvoir de marché...........................................................................68 II.3.2.b) L’apprentissage des nouvelles formules de vente. ..............................................68 II.3.2.c) Plus de choix apparents pour une liberté moindre ?............................................69

EN CONCLUSION DU CHAPITRE PREMIER… LE MULTICANAL, UN OBJET DE RECHERCHE ENCORE MÉCONNU ..................................................................................... 70

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Table des Matières

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CHAPITRE DEUXIÈME :PRÉSENTATION DU SECTEUR ET ÉTUDE DE CAS EXPLORATOIRE .................................................................................................................... 71

SECTION I. LA RÉVOLUTION DE LA BANQUE DE DÉTAIL. .............................................72 I.1 Les mutations environnementales.........................................................................................72

I.1.1 Les évolutions réglementaires. ....................................................................................72 I.1.2 Une dynamique concurrentielle renouvelée................................................................. 74

I.1.2.a) L’évolution de la concurrence intra-sectorielle...................................................74 I.1.2.b) Une concurrence extra-sectorielle et internationale ............................................75

I.1.3 Des clients plus exigeants. ........................................................................................... 77 I.1.4 L’innovation technologique. ........................................................................................78

I.2 La nécessaire évolution de la stratégie et de l’organisation distributives. ..........................78 I.2.1 L’importance stratégique de la distribution. ................................................................ 79 I.2.2 Les objectifs du développement du multicanal dans la banque de détail… ................81 I.2.3 … Ne doivent pas en occulter les limites. ...................................................................82 I.2.4 Les traductions opérationnelles du développement du multicanal bancaire. ...............84

I.2.4.a) L’impact du développement des nouveaux canaux sur l’organisation traditionnelle.........................................................................................................................84 I.2.4.b) L’impact du développement des nouveaux canaux sur la relation banque / client. ............................................................................................................................. 88 I.2.4.c) La nécessité de la cohérence organisationnelle. ..................................................93

SECTION II. L’ÉTUDE DE CAS EXPLORATOIRE : LE CAS BANQUE GÉNÉRALE DU NORD (BGN) .................................................................................................................................99

II.1 Collecte et analyse des données .....................................................................................100 II.1.1 La collecte des données du cas BGN.........................................................................100

II.1.1.a) L’accès au réel. .................................................................................................100 II.1.1.b) Les méthodes de collecte de données................................................................ 101 II.1.1.c) Le guide d’entretien. .........................................................................................101 II.1.1.d) Les canaux étudiés. ........................................................................................... 102

II.1.2 L’analyse des données du cas BGN...........................................................................103 II.1.2.a) Le codage des données......................................................................................103 II.1.2.b) L’élaboration du dictionnaire des thèmes. ........................................................104 II.1.2.c) Les relations entre les thèmes. ..........................................................................107 II.1.2.d) La fiabilité de l’analyse. ....................................................................................108

II.2 Présentation de la BGN .................................................................................................108 II.2.1 Présentation générale. ................................................................................................ 108 II.2.2 Le développement des nouveaux canaux à la BGN...................................................109 II.2.3 La répartition du personnel opérationnel en agence. .................................................111 II.2.4 Un contexte particulier............................................................................................... 112

II.3 Le multicanal, véritable révolution stratégique et organisationnelle pour la BGN.......112 II.3.1 Objectifs et motivations. ............................................................................................ 113 II.3.2 Limites et freins. ........................................................................................................115 II.3.3 Les solutions. .............................................................................................................119

II.3.3.a) Une complémentarité basée sur la différenciation fonctionnelle des canaux. ..119 II.3.3.b) Complémentarités objectives, contextualisées et perçues. ................................ 120 II.3.3.c) L’instauration de règles commerciales entre les canaux. ..................................122 II.3.3.d) L’efficacité relative des objectifs de vente........................................................123 II.3.3.e) La communication interne au service de la connaissance des nouveaux canaux. ... ........................................................................................................................... 125 II.3.3.f) L’affirmation de l’agence comme pivot relationnel..........................................128

II.4 La gestion des interrelations entre les canaux de la BGN. ............................................128 II.4.1 Trois outils au service d’interrelations réduites à la portion congrue. .......................129

II.4.1.a) La messagerie interne........................................................................................129 II.4.1.b) L’agenda partagé............................................................................................... 129

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Table des Matières

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II.4.1.c) La fiche client....................................................................................................130 II.4.2 Le développement des interrelations entre plate-forme sortante et agences..............130

II.5 Clients, procédures et choix structurels : les trois pierres angulaires du fonctionnement du multicanal à la BGN...............................................................................................................132

II.5.1 Facteurs influençant la perception de la plate-forme sortante par les conseillers. .....132 II.5.1.a) Les procédures ..................................................................................................132 II.5.1.b) Les réactions des clients....................................................................................133 II.5.1.c) Les compétences. .............................................................................................. 133 II.5.1.d) Les résultats obtenus. ........................................................................................133 II.5.1.e) Le déni de la légitimité de la plate-forme sortante............................................134

II.5.2 Facteurs influençant la perception de la plate-forme entrante par les conseillers......136 II.5.2.a) Les procédures. .................................................................................................136 II.5.2.b) Les réactions des clients....................................................................................136 II.5.2.c) Les compétences ............................................................................................... 137 II.5.2.d) Les résultats obtenus .........................................................................................137 II.5.2.e) La légitimité reconnue de la plate-forme entrante. ...........................................138

II.5.3 Tout est question d’arbitrage pour les conseillers…..................................................138 II.6 Conclusion du cas BGN. ................................................................................................ 140

EN CONCLUSION DU CHAPITRE DEUXIÈME… DES RÉSULTATS EMPIRIQUES AU SERVICE DE L’ORIENTATION FUTURE DE LA REVUE DE LITTÉRATURE ............... 142

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE........................................................................ 143

DEUXIÈME PARTIE : LA LITTÉRATURE AU SERVICE DE LA CONSTRUCTION PROGRESSIVE DE LA PROBLÉMATIQUE........................................................................ 144

CHAPITRE TROISIÈME :LE CLIENT, ACTEUR DE LA VIE ORGANISATIONNELLE................................................................................................................................................ 146

SECTION I. DE LA PARTICIPATION DU CLIENT. .............................................................. 147 I.1 Une participation évolutive. ............................................................................................... 147

I.1.1 Un accroissement et une mutation de la participation... ............................................147 I.1.1.a) Une reconsidération de la participation du client. .............................................147 I.1.1.b) Une transformation quantitative et qualitative. .................................................148

I.1.2 ...Liés à un renouveau du statut du client...................................................................149 I.1.2.a) L’approche de Prahalad et Ramaswamy (2000 ; 2004) : du public au joueur. .149 I.1.2.b) Une analyse réductrice. .....................................................................................152

I.2 La nature de la participation.............................................................................................. 153 I.2.1 Qu’est-ce que la participation client ? .......................................................................154

I.2.1.a) Quelques définitions. ........................................................................................154 I.2.1.b) Les composantes de la participation client........................................................155 I.2.1.c) La nature des inputs comme source d’arbitrage entre les canaux. ....................159

I.2.2 Différents degrés de participation. .............................................................................159 I.2.2.a) Un continuum de la participation. .....................................................................159 I.2.2.b) Le client comme seul producteur ? ...................................................................162 I.2.2.c) Le niveau de la participation comme source d’arbitrage entre les canaux........163

I.2.3 Ce que n’est pas la participation. ...............................................................................164 I.2.3.a) La participation ne se limite pas au contact. .....................................................164 I.2.3.b) La participation ne se limite pas à l’engagement ou l’implication....................165 I.2.3.c) La participation ne se limite pas à la consommation. .......................................166 I.2.3.d) Contact + engagement + consommation = participation ?................................ 166

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Table des Matières

474

SECTION II. LES DÉTERMINANTS DE LA PARTICIPATION.............................................168 II.1 Les déterminants de la participation inhérents au client. ..............................................169

II.1.1 La prise de conscience. .............................................................................................. 169 II.1.1.a) Définition ..........................................................................................................169 II.1.1.b) Trois niveaux de prise de conscience. ............................................................... 170

II.1.2 La clarté du rôle perçue par le client..........................................................................171 II.1.2.a) Définition et sources de la clarté du rôle perçue par le client ........................... 171 II.1.2.b) De l’ombre à la lumière. ...................................................................................171

II.1.3 La capacité du client à participer au service. ............................................................. 172 II.1.3.a) La capacité perçue à participer..........................................................................172 II.1.3.b) Une capacité dynamique. ..................................................................................173

II.1.4 La volonté du client de participer au service. ............................................................ 174 II.1.4.a) Une volonté variable selon les clients. .............................................................. 174 II.1.4.b) Moteurs et freins de la volonté à participer.......................................................174

II.1.4.b.(1) Maximiser l'efficience du processus. ........................................................... 175 II.1.4.b.(2) Maximiser l'efficacité et la qualité du service reçu......................................175 II.1.4.b.(3) Des avantages psychologiques. ...................................................................176 II.1.4.b.(4) Le degré d'identification du client à son rôle. ..............................................177

II.1.4.c) Le caractère processuel de la volonté de participer...........................................177 II.1.5 Des déterminants interdépendants ? ..........................................................................177

II.2 L’entreprise, incitatrice ou frein à la participation. ......................................................180 II.2.1 Éclaircir la participation et ses modalités. .................................................................181 II.2.2 Fixer l'importance de la participation. .......................................................................182

II.2.2.a) L’importance « qualitative » de la participation. ..............................................182 II.2.2.b) L’importance « quantitative » de la participation. ............................................182 II.2.2.c) L’« importance temporelle » de la participation. ..............................................183

II.2.3 Développer la capacité du client à participer. ............................................................ 183 II.2.4 Développer la volonté du client à participer. ............................................................. 185

II.3 Les déterminants du choix des canaux de distribution d’un réseau de distribution multicanal....................................................................................................................................187

II.3.1 Le comportement multicanal du consommateur. .......................................................187 II.3.2 Un arbitrage entre canaux influencé par les déterminants de la participation. ..........190

SECTION III. PRÉSENTATION ET PROPOSITIONS D’ÉVOLUTION DES RÔLES DU CLIENT PARTICIPANT ................................................................................................................192

III.1 Du rôle du client dans la servuction. .............................................................................192 III.1.1 Présentation de la notion de rôle. ...............................................................................192

III.1.1.a) Deux approches indissociables. ........................................................................192 III.1.1.b) Définition du rôle. ............................................................................................. 193

III.1.2 Un client « multi rôles ». ........................................................................................... 193 III.1.2.a) Les rôles du client dans la littérature.................................................................193 III.1.2.b) Les implications des rôles du client ..................................................................203

III.2 Proposition de nouveaux rôles ancrés dans les interactions clients – employés. ..........205 III.2.1 Des lacunes dans la littérature. ..................................................................................205

III.2.1.a) La sous-exploration des liens entre participation client et coordination. ..........205 III.2.1.b) Une approche plutôt fonctionnaliste de la notion de rôle du client...................206 III.2.1.c) Quid des interactions sociales ? ........................................................................207

III.2.2 Le client comme filtre et catalyseur dans les interactions entre les employés en contact. 207

III.2.2.a) Le client, « filtre informationnel ». ...................................................................209 III.2.2.b) Le client, catalyseur interprétationnel et interactionnel. ...................................210 III.2.2.c) Le client, catalyseur perceptuel. ........................................................................213

III.2.3 Implications de ces rôles de filtre et catalyseur. ........................................................213 III.2.3.a) Comprendre ces rôles de catalyseur à partir des déterminants et inputs de la participation........................................................................................................................214

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Table des Matières

475

III.2.3.b) La modulation de la nature de l’échange sur l’intensité du rôle de filtre ou de catalyseur que joue le client. .............................................................................................. 215 III.2.3.c) Nature des canaux et rôles des clients. .............................................................. 216

III.2.4 La participation client : une définition.......................................................................216 EN CONCLUSION DU CHAPITRE TROISIÈME... LE CLIENT, UN ACTEUR MULTI-FACETTES DU PROCESSUS DE SERVUCTION AUQUEL IL CONTRIBUE .................... 218

CHAPITRE QUATRIÈME :LA COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE : DES MODÈLES TRADITIONNELS À L’INTÉGRATION DU CLIENT ...................................... 219

SECTION I. DES MÉCANISMES AUX PROCESSUS DE COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE. .............................................................................................................220

I.1 Coordination et interdépendances, les deux faces d’une même pièce................................ 220 I.1.1 Introduction à la notion de coordination. ...................................................................220

I.1.1.a) Origines des besoins de coordination................................................................ 221 I.1.1.b) De multiples définitions… ................................................................................221 I.1.1.c) … Proches du sens commun. ............................................................................223 I.1.1.d) Coordination et coopération : deux concepts proches et complémentaires, mais distincts. ........................................................................................................................... 224

I.1.2 L’interdépendance sur le chemin d’une définition de la coordination.......................224 I.1.2.a) L’interdépendance : présentation générale........................................................224 I.1.2.b) Les sources d’interdépendance .........................................................................225 I.1.2.c) L’intensité des interdépendances ......................................................................226

I.1.3 Une définition intermédiaire de la coordination. .......................................................228 I.2 La gestion des interdépendances par les mécanismes de coordination ............................. 228

I.2.1 Quels mécanismes de coordination ?.........................................................................229 I.2.1.a) La typologie de March et Simon (1958/1964) ..................................................230 I.2.1.b) L’apport des travaux de Thompson (1967) .......................................................231 I.2.1.c) Les mécanismes de Mintzberg (1982 ; 1990). ..................................................231 I.2.1.d) Les technologies de l’information, supports des mécanismes de coordination.232

I.2.2 Une perspective contingente de la coordination. .......................................................233 I.3 Le processus de coordination : La « coordination relationnelle » (Gittell, 2000a, b, 2001, 2002a, b, 2004). ..........................................................................................................................234

I.3.1 Introduction à la coordination relationnelle. .............................................................. 234 I.3.1.a) Les fondements de la coordination relationnelle...............................................234 I.3.1.b) Définition de la coordination relationnelle........................................................235 I.3.1.c) Une conceptualisation évolutive. ......................................................................236

I.3.2 Les composantes de la dimension communication. ...................................................237 I.3.2.a) La fréquence de la communication (« frequent communication »)...................237 I.3.2.b) L’opportunité de la communication (« timely communication ») .....................238 I.3.2.c) La précision de la communication (« accurate communication ») ...................239 I.3.2.d) L’aptitude de la communication à résoudre les problèmes (« problem-solving communication ») ...............................................................................................................239 I.3.2.e) Les supports de la communication entre acteurs...............................................239

I.3.3 Les composantes de la dimension relationnelle. ........................................................240 I.3.3.a) Les objectifs partagés (« shared goals »)..........................................................240 I.3.3.b) La connaissance partagée (« shared knowledge ») ...........................................241 I.3.3.c) Le respect mutuel (« mutual respect »)............................................................. 241

I.3.4 Les interrelations entre la dimension communication et la dimension relationnelle. 242 I.4 Relier les mécanismes au processus de coordination. .......................................................243

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476

SECTION II. L’INFLUENCE DU CLIENT SUR LA COORDINATION INTRA-ORGANISATIONNELLE : PROBLÉMATIQUE ET GRILLE DE LECTURE ............................ 245

II.1 Quid du client dans les travaux sur la coordination intra-organisationnelle ?.............245 II.1.1 L’apparente absence du client dans les théories organisationnelles ..........................246

II.1.1.a) Plaidoyers pour la prise en compte du client. ...................................................246 II.1.1.b) Un essai d’explication de cette absence : l’interprétation des travaux de Thompson (1967) ...............................................................................................................248

II.1.2 Le client, source d’incertitude et d’information ........................................................249 II.1.2.a) Le client, source d’incertitude contraignant la coordination intra-organisationnelle.................................................................................................................249 II.1.2.b) L’information client au service de la coordination, la coordination au service du client. ........................................................................................................................... 250

II.1.3 La coordination intra-organisationnelle : une définition. ..........................................252 II.2 Proposition d’une conceptualisation de l’influence du client sur la coordination intra-organisationnelle : problématique et propositions de recherche ...............................................253

II.2.1 Formulation de la problématique. ..............................................................................253 II.2.2 Propositions de recherche. .........................................................................................255

II.2.2.a) 1ère proposition de recherche : le client est à l’origine d’interdépendances entre les employés en contact ......................................................................................................256 II.2.2.b) 2ème proposition : le client influence le recours aux mécanismes de coordination .. ........................................................................................................................... 256 II.2.2.c) 3ème proposition : le client influence le processus de coordination entre les employés en contact. ..........................................................................................................256 II.2.2.d) 4ème proposition : La nature de l’échange (relations vs pseudo-relations) module l’influence qu’exerce le client sur l’employé en contact. ...................................................257 II.2.2.e) 5ème proposition : Mécanismes et processus de coordination sont liés du fait des rôles de filtre / catalyseur joués par le client. .....................................................................257

EN CONCLUSION DU CHAPITRE QUATRIÈME... LE CLIENT, UN ACTEUR INFLUANT SUR LES MÉCANISMES ET LE PROCESSUS DE COORDINATION............ 259

CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE ....................................................................... 260

TROISIÈME PARTIE : MÉTHODOLOGIE ET ÉTUDES DE CAS...................................... 261

CHAPITRE CINQUIÈME :POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE ET MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE............................................................................ 263

SECTION I. POSITIONNEMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE ET ARCHITECTURE DE LA RECHERCHE ............................................................................................................................... 264

I.1 Un positionnement interprétativiste ...................................................................................264 I.1.1 La question du statut de la connaissance… ............................................................... 265

I.1.1.a) … Dans les trois paradigmes majeurs ............................................................... 265 I.1.1.b) … Dans notre recherche....................................................................................266

I.1.2 La question de l’engendrement de la connaissance. ..................................................267 I.1.2.a) … Dans les trois paradigmes majeurs. .............................................................. 267 I.1.2.b) … Dans notre recherche....................................................................................268

I.1.3 La question de la valeur de la connaissance. ............................................................. 268 I.1.3.a) … Dans les trois paradigmes majeurs. .............................................................. 268 I.1.3.b) … Dans notre recherche....................................................................................270

I.2 Processus architectural de la recherche ............................................................................270

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Table des Matières

477

I.2.1 La stratégie d’accès au réel. .......................................................................................271 I.2.1.a) Le mythe de la table rase...................................................................................271 I.2.1.b) Une méthode qualitative basée sur l’étude de cas. ............................................272

I.2.1.b.(1) Justification du recours à l’étude de cas. ......................................................273 I.2.1.b.(2) Le choix des cas et de leur nombre............................................................... 275

I.2.2 Le processus de la recherche. ....................................................................................277 I.2.2.a) L’origine de la recherche ..................................................................................277 I.2.2.b) La recherche de littérature.................................................................................278 I.2.2.c) Une nécessaire maturation. ...............................................................................279 I.2.2.d) Les premières tentatives d’accès au terrain.......................................................280 I.2.2.e) L’influence du terrain sur la méthodologie .......................................................283 I.2.2.f) L’élaboration progressive de la grille de lecture. ..............................................284 I.2.2.g) En conclusion : la rationalisation « inspirée » d’un processus abductif. ..........284

SECTION II. LE PROCESSUS DE COLLECTE DES DONNÉES............................................286

II.1 La triangulation, « un état d’esprit ». ............................................................................286 II.1.1 La triangulation des méthodes de recueil de données................................................286 II.1.2 La triangulation des sources de données....................................................................288 II.1.3 La triangulation des types de données. ......................................................................288

II.2 Les entretiens, principale origine des données primaires..............................................289 II.2.1 Pourquoi l’entretien ?.................................................................................................289 II.2.2 Le type d’entretien utilisé. .........................................................................................289 II.2.3 Le guide d’entretien ...................................................................................................290 II.2.4 La constitution de l’échantillon. ................................................................................292

II.2.4.a) Le nombre de répondants. .................................................................................292 II.2.4.b) Le choix des répondants....................................................................................293

II.2.5 La conduite des entretiens..........................................................................................294 II.2.5.a) Leur déroulement. ............................................................................................. 294 II.2.5.b) Risques et précautions méthodologiques inhérentes au déroulement des entretiens. ........................................................................................................................... 295

II.2.6 Validité et fiabilité méthodologiques de la méthode de recueil par entretiens. .........296 II.3 Les deux autres méthodes de recueil : observation et études documentaires. ...............296

II.3.1 L’observation .............................................................................................................297 II.3.2 L’étude documentaire. ............................................................................................... 297

SECTION III. L’ANALYSE DES DONNÉES RECUEILLIES...................................................299

III.1 Le dictionnaire des thèmes au service de l’analyse de contenu. ....................................299 III.1.1 Une analyse de contenu thématique...........................................................................299 III.1.2 L’élaboration du dictionnaire des thèmes. .................................................................300 III.1.3 La mise en œuvre de l’analyse...................................................................................301

III.1.3.a) L’analyse durant la collecte de données............................................................ 301 III.1.3.b) La phase de codage. ..........................................................................................303

III.1.4 Fiabilité de l’analyse. .................................................................................................304 III.2 L’analyse intra et inter-cas. ........................................................................................... 305

III.2.1 L’analyse intra-cas.....................................................................................................305 III.2.2 L’analyse inter-cas.....................................................................................................307

CHAPITRE SIXIÈME : ÉTUDES DE CAS............................................................................ 309 SECTION I. LE CAS BANQUE COOPÉRATIVE RÉGIONALE (BCR) ...............................................310

I.1 Présentation de l’entreprise ............................................................................................... 310 I.1.1 Présentation générale de la BCR. ..............................................................................310 I.1.2 Le multicanal à la BCR.............................................................................................. 311

I.1.2.a) Les différents canaux utilisés à la BCR. ........................................................... 311

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Table des Matières

478

I.1.2.b) La stratégie de développement du multicanal de la BCR : au service des caisses locales. ........................................................................................................................... 312

I.1.3 La répartition du personnel opérationnel. ..................................................................314 I.1.4 Le contexte du développement du multicanal. ..........................................................315

I.2 L’analyse des interdépendances entre les canaux de la BCR. ...........................................315 I.2.1 Les outils au service des interdépendances................................................................ 316 I.2.2 Nature et intensité des interdépendances. ..................................................................317

I.2.2.a) Les couplages de communauté..........................................................................317 I.2.2.b) Les interdépendances séquentielles...................................................................318 I.2.2.c) Les interdépendances réciproques.....................................................................318 I.2.2.d) Le choix du niveau d’analyse............................................................................318

I.2.3 La génération des interdépendances. .........................................................................319 I.2.3.a) L’influence du client sur la génération des interdépendances...........................319

I.2.3.a.(1) Le rôle du client dans la création des plates-formes entrantes......................319 I.2.3.a.(2) L’influence quotidienne du client sur la génération d’interdépendances entre les canaux. ......................................................................................................................321 I.2.3.a.(3) L’orientation du client par des techniques de socialisation organisationnelles. . ......................................................................................................................324

I.2.3.b) La modulation de la nature et de l’historique de l’échange. ............................. 326 I.2.3.b.(1) La nature de l’échange comme modulateur. .................................................326 I.2.3.b.(2) L’historique de l’échange comme modulateur. ............................................327

I.3 L’analyse des mécanismes de coordination. ......................................................................327 I.3.1 L’identification et l’importance relative des mécanismes. ........................................327

I.3.1.a) Les mécanismes de coordination utilisés à la BCR...........................................327 I.3.1.b) L’importance relative des mécanismes entre eux. ............................................329

I.3.2 L’influence du client sur les mécanismes de coordination. .......................................330 I.3.2.a) L’anticipation des réactions du client. .............................................................. 330

I.3.2.a.(1) Au niveau du réseau de distribution multicanal pris dans son ensemble. .....330 I.3.2.a.(2) Au niveau des employés en contact. ............................................................. 332

I.3.2.b) L’adaptation progressive aux réactions des clients. ..........................................333 I.3.2.b.(1) Au niveau du réseau de distribution multicanal pris dans son ensemble ......333 I.3.2.b.(2) Au niveau des employés en contact. ............................................................. 334

I.3.3 La modulation de la nature et de l’historique de l’échange. ......................................337 I.3.3.a) La nature de l’échange comme modulateur. .....................................................337 I.3.3.b) L’historique de l’échange comme modulateur. .................................................338

I.4 L’analyse du processus de coordination. ...........................................................................339 I.4.1 L’influence du client sur le processus de coordination..............................................339

I.4.1.a) L’influence du client sur la dimension communicationnelle du processus. ......340 I.4.1.a.(1) L’influence du client sur l’aptitude de la communication à résoudre des problèmes. ......................................................................................................................340 I.4.1.a.(2) L’influence du client sur la fréquence de la communication. .......................340 I.4.1.a.(3) L’influence du client sur l’opportunité de la communication. ......................342 I.4.1.a.(4) L’influence du client sur la précision de la communication. ........................342

I.4.1.b) L’influence du client sur la dimension relationnelle du processus. ..................344 I.4.1.b.(1) L’influence du client sur la connaissance partagée.......................................344 I.4.1.b.(2) L’influence du client sur l’indulgence mutuelle ...........................................344 I.4.1.b.(3) L’influence du client sur les objectifs partagés. ...........................................345 I.4.1.b.(4) L’influence du client sur la reconnaissance mutuelle ...................................346 I.4.1.b.(5) L’influence du client sur le respect mutuel...................................................349

I.4.1.c) Les liens entre les composantes et les dimensions du processus de coordination. . ........................................................................................................................... 349

I.4.2 La modulation de la nature et de l’historique de l’échange. ......................................351 I.4.2.a) La nature de l’échange comme modulateur. .....................................................351 I.4.2.b) L’historique de l’échange comme modulateur. .................................................352

I.5 L’analyse des liens entre les mécanismes et le processus de coordination. .......................352

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Table des Matières

479

I.5.1 Dans le sens processus vers mécanismes de coordination. ........................................352 I.5.2 Dans le sens mécanismes vers processus de coordination. ........................................353

I.5.2.a) L’influence des relations latérales.....................................................................354 I.5.2.b) L’influence de la communication interne. ........................................................356 I.5.2.c) L’influence du transfert de personnel. .............................................................. 357 I.5.2.d) L’influence des procédés de travail...................................................................357

I.6 Interprétation et discussion des résultats. ..........................................................................359 I.6.1 Le client comme filtre et catalyseur...........................................................................359

I.6.1.a) L’identification de ces rôles. .............................................................................359 I.6.1.b) L’impact relatif de ces rôles. .............................................................................360

I.6.2 L’influence duale du client sur la coordination. ........................................................360 I.6.2.a) Une influence ex-ante et ex-post. ......................................................................360 I.6.2.b) Une influence globale et locale. ........................................................................361

SECTION II. LE CAS ÉTABLISSEMENT FINANCIER NATIONAL (EFN)...........................................362

II.1 Présentation de l’entreprise ........................................................................................... 362 II.1.1 Présentation générale de l’EFN .................................................................................362 II.1.2 Le développement du multicanal à l’EFN .................................................................362

II.1.2.a) Les différents canaux utilisés à l’EFN .............................................................. 362 II.1.2.b) La stratégie de développement du multicanal de l’EFN : en complément des agences. ........................................................................................................................... 363

II.1.3 La répartition du personnel opérationnel ...................................................................365 II.1.4 Le contexte du développement du multicanal ........................................................... 367

II.2 L’analyse des interdépendances entre les canaux de l’EFN..........................................367 II.2.1 Les outils au service des interdépendances................................................................ 368 II.2.2 Nature et intensité des interdépendances. ..................................................................369

II.2.2.a) Le couplage de communauté.............................................................................369 II.2.2.b) Les interdépendances séquentielles...................................................................369 II.2.2.c) Les interdépendances réciproques.....................................................................370

II.2.3 La génération des interdépendances ..........................................................................370 II.2.3.a) L’influence du client sur la génération des interdépendances...........................370

II.2.3.a.(1) Le rôle du client dans la création des plates-formes entrantes.....................370 II.2.3.a.(2) L’influence quotidienne du client sur la génération d’interdépendances entre les canaux .....................................................................................................................372 II.2.3.a.(3) L’orientation du client par des techniques de socialisation organisationnelle. .. .....................................................................................................................374

II.2.3.b) La modulation de la nature et de l’historique de l’échange .............................. 376 II.2.3.b.(1) La nature de l’échange comme modulateur. ................................................376 II.2.3.b.(2) L’historique de l’échange comme modulateur. ...........................................377

II.3 L’analyse des mécanismes de coordination. ..................................................................377 II.3.1 L’identification et l’importance relative des mécanismes. ........................................378

II.3.1.a) Les mécanismes de coordination utilisés à l’EFN ............................................378 II.3.1.b) L’importance relative des mécanismes entre eux. ............................................381

II.3.2 L’influence du client sur les mécanismes de coordination ........................................382 II.3.2.a) L’anticipation des réactions du client. .............................................................. 382

II.3.2.a.(1) Au niveau du réseau de distribution multicanal pris dans son ensemble .....382 II.3.2.a.(2) Au niveau des employés en contact. ............................................................ 383

II.3.2.b) L’adaptation progressive aux réactions des clients. ..........................................384 II.3.2.b.(1) Au niveau du réseau de distribution multicanal pris dans son ensemble.....384 II.3.2.b.(2) Au niveau des employés en contact. ............................................................ 384

II.3.3 La modulation de la nature et de l’historique de l’échange. ......................................385 II.3.3.a) La nature de l’échange comme modulateur ......................................................385 II.3.3.b) L’historique de l’échange comme modulateur..................................................386

II.4 L’analyse du processus de coordination. .......................................................................386 II.4.1 L’influence du client sur le processus de coordination..............................................387

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Table des Matières

480

II.4.1.a) L’influence du client sur la dimension communicationnelle du processus. ......387 II.4.1.a.(1) L’influence du client sur l’aptitude de la communication à résoudre des problèmes. .....................................................................................................................387 II.4.1.a.(2) L’influence du client sur la fréquence de la communication .......................387 II.4.1.a.(3) L’influence du client sur l’opportunité de la communication. .....................388 II.4.1.a.(4) L’influence du client sur la précision de la communication. .......................389

II.4.1.b) L’influence du client sur la dimension relationnelle du processus. ..................390 II.4.1.b.(1) L’influence du client sur la connaissance partagée .....................................390 II.4.1.b.(2) L’influence du client sur l’indulgence mutuelle ..........................................391 II.4.1.b.(3) L’influence du client sur les objectifs partagés ...........................................391 II.4.1.b.(4) L’influence du client sur la reconnaissance mutuelle ..................................393 II.4.1.b.(5) L’influence du client sur le respect mutuel..................................................397

II.4.1.c) Les liens entre les composantes et les dimensions du processus de coordination. . ........................................................................................................................... 397

II.4.2 La modulation de la nature et de l’historique de l’échange. ......................................400 II.4.2.a) L’aspect modulateur de la nature de l’échange .................................................400 II.4.2.b) L’aspect modulateur de l’historique de l’échange. ...........................................401

II.5 L’analyse des liens entre les mécanismes et le processus de coordination. ..................401 II.5.1 Dans le sens processus vers mécanismes de coordination .........................................401

II.5.1.a) L’influence des objectifs partagés sur les procédés. .........................................402 II.5.1.b) L’influence de la connaissance partagée sur les procédés. ............................... 402

II.5.2 Dans le sens mécanismes vers processus de coordination. ........................................403 II.5.2.a) L’influence des procédés sur le processus de coordination. ............................. 404 II.5.2.b) L’influence des mécanismes sur la connaissance partagée ............................... 406 II.5.2.c) L’influence de la standardisation par les résultats sur le processus de coordination........................................................................................................................408

II.6 Interprétation et discussion des résultats. ......................................................................410 II.6.1 Le client comme filtre et catalyseur...........................................................................410

II.6.1.a) L’identification de ces rôles. .............................................................................410 II.6.1.b) L’impact relatif de ces rôles. .............................................................................411

II.6.2 L’influence duale du client sur la coordination .........................................................411 II.6.2.a) Une influence ex-ante et ex-post .......................................................................411 II.6.2.b) Une influence globale et locale. ........................................................................412

SECTION III. LA COMPARAISON INTER-CAS AU SERVICE DE LA CONCEPTUALISATION ET DE L’ANALYSE SECTORIELLE ................................................................................................................413

III.1 La coordination d’un réseau de distribution multicanal : un processus social placé dans une dynamique historique. ..........................................................................................................413

III.1.1 Retour sur les propositions de recherche : une analyse inter-cas............................... 413 III.1.1.a) P1 : Le client est à l’origine d’interdépendances entre les employés en contact. ... ........................................................................................................................... 413 III.1.1.b) P2 : Le client influence le recours aux mécanismes de coordination................415 III.1.1.c) P3 : Le client influence le processus de coordination entre les employés en contact ........................................................................................................................... 416 III.1.1.d) P5 : Mécanismes et processus de coordination sont liés du fait des rôles de filtre / catalyseur joués par le client ............................................................................................ 417

III.1.2 Une perspective processuelle et historique de la coordination d’un réseau de distribution multicanal. ...........................................................................................................420

III.1.2.a) L’exercice des rôles de filtre / catalyseur du client. ..........................................420 III.1.2.b) La coordination, un processus social et historique............................................422

III.2 Les banques de détail face à des défis stratégiques et organisationnels. ......................425 III.2.1 Les défis qui se profilent............................................................................................ 425

III.2.1.a) La réalité de la complémentarité en question....................................................425 III.2.1.b) Les risques organisationnels de la cannibalisation entre les canaux. ................426 III.2.1.c) Le mirage du marketing relationnel. .................................................................427

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Table des Matières

481

III.2.1.d) La question du choix du mode de contact. ........................................................428 III.2.2 Les solutions possibles............................................................................................... 430

III.2.2.a) L’enrichissement des tâches des centres d’appels.............................................430 III.2.2.b) Aider à la réorganisation du travail des conseillers du réseau ..........................431 III.2.2.c) Ne pas oublier ce qui fait la nature de la relation. .............................................431 III.2.2.d) Accroître la socialisation organisationnelle des clients.....................................432 III.2.2.e) Développer les échanges et synergies entre les canaux. ...................................433

III.2.3 Une possible inadéquation des objectifs du multicanal. ............................................434

EN CONCLUSION DU CHAPITRE SIXIÈME… L’INFLUENCE MULTI-NIVEAUX DU CLIENT SUR LA COORDINATION D’UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL .............................................................................................................................. 436

CONCLUSION DE LA TROISIÈME PARTIE ..................................................................... 437

CONCLUSION GÉNÉRALE ..................................................................................................... 438

BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................. 444

TABLE DES MATIÈRES ....................................................................................................... 470 TABLE DES TABLEAUX ...................................................................................................... 482 TABLE DES FIGURES .......................................................................................................... 485 TABLE DES ENCADRÉS ...................................................................................................... 487 TABLE DES SCHÉMAS....................................................................................................... 487

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Table des Tableaux

482

TABLE DES TABLEAUX

Tableau 1-1 : Présentation chronologique des définitions du multicanal dans la littérature.... 22

Tableau 1-2 : Extraits de recherches évoquant l’organisation d’un réseau de distribution multicanal ............................................................................................................ 28

Tableau 1-3 : Typologies des canaux de distribution dans une perspective verticale.............. 33

Tableau 1-4 : Les avantages du multicanal : le point de vue de l’entreprise ........................... 47

Tableau 1-5 : Exemples de réduction du coût de distribution entre un réseau physique et Internet ................................................................................................................ 48

Tableau 1-6 : Risques associés à une stratégie de distribution multicanale............................. 58

Tableau 1-7 : Quand proposer une relation ou une rencontre de service ? .............................. 65

Tableau 2-1 : Évolution du nombre des établissements de crédit ............................................ 74

Tableau 2-2 : Dictionnaire des thèmes – cas BGN ................................................................ 105

Tableau 2-3 : les différents postes de conseillers à la BGN................................................... 111

Tableau 2-4 : Raisons du développement des nouveaux canaux à la BGN ........................... 113

Tableau 2-5 : Freins et limites au développement des nouveaux canaux à la BGN .............. 116

Tableau 2-6 : Résultat de la comparaison des occurrences des codes LEG Déni et LEG Reco au niveau des agences, pour la plate-forme sortante......................................... 134

Tableau 2-7 : Résultat de la comparaison des occurrences des codes LEG Déni et LEG Reco au niveau des agences, pour la plate-forme entrante......................................... 138

Tableau 3-1 : Évolution et transformations des consommateurs ........................................... 150

Tableau 3-2 : Revue chronologique de définitions de la « customer participation » ............ 155

Tableau 3-3 : les 3 niveaux de participation du client selon le niveau de standardisation des services. ............................................................................................................. 161

Tableau 3-4 : Le comportement multicanal du consommateur.............................................. 188

Tableau 3-5 : Revue chronologique de la littérature sur la participation client et les rôles joués par les clients..................................................................................................... 194

Tableau 3-6 : Le rôles de filtre et les trois rôles de catalyseur que peut jouer le client ......... 217

Tableau 4-1 : Quelques définitions de la coordination intra-organisationnelle ..................... 222

Tableau 4-2 : 4 catégories d’interdépendances ...................................................................... 227

Tableau 4-3 : Quelques typologies des mécanismes de coordination établies dans la littérature........................................................................................................................... 229

Tableau 4-4 : Les origines de la coordination relationnelle ................................................... 235

Tableau 4-5 : l’évolution chronologique des dimensions de la coordination relationnelle chez Gittell................................................................................................................. 237

Tableau 4-6 : La critique de Lefton et Rosengren (1966) aux quatre courants de l’analyse organisationnelle ............................................................................................... 247

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Table des Tableaux

483

Tableau 5-1 : Statut de la connaissance et nature de la réalité dans les paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste...................................................................... 266

Tableau 5-2 : Le chemin vers la connaissance dans les paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste................................................................................................ 267

Tableau 5-3 : Les critères de validité de la connaissance dans les paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste...................................................................... 269

Tableau 5-4 : Les critères de choix d’une stratégie de recherche .......................................... 274

Tableau 5-5 : Les entretiens d’approfondissement de notre connaissance sectorielle et de prise de contact terrain ............................................................................................... 281

Tableau 5-6 : 6 méthodes de recueil de données et leur application à notre recherche ......... 287

Tableau 5-7 : Distinction entre entretiens guidés et entretiens semi-directifs centrés ........... 290

Tableau 5-8 : Guide de l’interviewer commenté.................................................................... 291

Tableau 5-9 : Risques et précautions méthodologiques correspondantes pour améliorer la qualité de l’entretien.......................................................................................... 295

Tableau 5-10 : Les documents utilisés dans cette recherche.................................................. 298

Tableau 5-11 : Récapitulatif de la mise en œuvre de l’analyse de données........................... 304

Tableau 5-12 : Trois critères de la fiabilité du codage........................................................... 304

Tableau 6-1 : Les différents postes dans les points de vente de la BCR................................ 314

Tableau 6-2 : L’influence de la participation client sur la génération d’interdépendances séquentielles et réciproques dans le cas BCR ................................................... 322

Tableau 6-3 : Les mécanismes de coordination de la BCR.................................................... 328

Tableau 6-4 : Les stratégies de détournement des procédés mises en place par les conseillers des caisses de la BCR........................................................................................ 335

Tableau 6-5 : Les raisons poussant les employés en contact de la BCR à détourner les procédés............................................................................................................. 336

Tableau 6-6 : Illustration de l’influence du client sur la fréquence de la communication entre les canaux de la BCR ........................................................................................ 342

Tableau 6-7 : Illustration de l’influence du client sur la précision de la communication entre les canaux de la BCR ........................................................................................ 343

Tableau 6-8 : Illustration de l’influence du client sur l’indulgence mutuelle dans le cas BCR........................................................................................................................... 345

Tableau 6-9 : Illustration de l’influence du client sur la reconnaissance dans le cas BCR.... 347

Tableau 6-10 : Illustration des liens entre les composantes et dimensions du processus de coordination dans le cas BCR ........................................................................... 350

Tableau 6-11 : Illustration de l’influence du transfert de personnel sur le processus de coordination dans le cas BCR ........................................................................... 357

Tableau 6-12 : Illustration de l’influence des procédés de travail sur le processus de coordination dans le cas BCR ........................................................................... 358

Tableau 6-13 : Les différents postes dans les points de vente de l’EFN................................ 366

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Table des Tableaux

484

Tableau 6-14 : Les différents postes sur les plates-formes entrantes de l’EFN ..................... 366

Tableau 6-15 : L’influence de la participation client sur la génération d’interdépendances séquentielles dans le cas BCR........................................................................... 373

Tableau 6-16 : Les cinq modes de socialisation organisationnelle identifiés à l’EFN .......... 375

Tableau 6-17 : Les mécanismes de coordination de l’EFN. .................................................. 378

Tableau 6-18 : Illustration de l’influence du client sur la fréquence de la communication entre les canaux de l’EFN .......................................................................................... 388

Tableau 6-19 : Illustration de l’influence du client sur la précision de la communication entre les canaux de l’EFN .......................................................................................... 389

Tableau 6-20 : Illustration de l’influence du client sur la reconnaissance dans le cas EFN .. 396

Tableau 6-21 : Illustration des liens entre les composantes et dimensions du processus de coordination dans le cas EFN............................................................................ 399

Tableau 6-22 : Illustration de l’influence des procédés de travail sur le processus de coordination dans le cas EFN............................................................................ 406

Tableau 6-23 : Illustration de l’influence des mécanismes de coordination sur la connaissance partagée dans le cas EFN .................................................................................. 408

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Table des Figures

485

TABLE DES FIGURES

Figure 1-1 : La conception verticale du canal de distribution.................................................. 17

Figure 1-2 : La conception horizontale des canaux de distribution ......................................... 19

Figure 1-3 : Les six facteurs explicatifs du développement des réseaux de distribution multicanaux ......................................................................................................... 42

Figure 1-4 : Multicanal et gain de valeur pour le client ........................................................... 53

Figure 1-5 : Le modèle C-O-P.................................................................................................. 64

Figure 1-6 : Le modèle C-O-P dans le cas d’une entreprise utilisant plusieurs canaux........... 66

Figure 1-7 : Les inconvénients associés à un réseau de distribution multicanal pour le client 67

Figure 2-1 : La prescription croisée entre les canaux pour atteindre la situation idéale aux yeux de la banque................................................................................................ 91

Figure 2-2 : Exemple de représentation schématique des relations entre les variables issue de Nvivo................................................................................................................. 107

Figure 2-3 : Les canaux de la BGN en 2002 .......................................................................... 109

Figure 3-1 : Les composantes de la participation du client au service................................... 158

Figure 3-2 : Les potentielles interactions entre les déterminants de la participation client ... 178

Figure 3-3 : Le client au cœur du dispositif multicanal ......................................................... 208

Figure 3-4 : Les parties et les dynamiques déterminant le comportement de l’employé en contact : l’influence du client, des co-employés, et de la direction .................. 212

Figure 4-1 : Représentation des interrelations entre les dimensions de la coordination relationnelle....................................................................................................... 243

Figure 4-2 : Cadre conceptuel - Résumé des propositions de recherche ............................... 258

Figure 5-1 : Trois questions pour préciser son positionnement épistémologique.................. 265

Figure 6-1 : Représentation schématique de l’influence du client sur la fréquence de la communication entre les canaux de la BCR...................................................... 341

Figure 6-2 : Représentation schématique de l’influence du client sur la précision de la communication entre les canaux de la BCR...................................................... 343

Figure 6-3 : Représentation schématique de l’influence du client sur l’indulgence dans le cas BCR................................................................................................................... 344

Figure 6-4 : Représentation schématique de l’influence du client sur la reconnaissance mutuelle dans le cas BCR.................................................................................. 346

Figure 6-5 : Les liens entre les composantes et dimensions du processus de coordination dans le cas BCR......................................................................................................... 350

Figure 6-6 : L’influence du processus sur les mécanismes de coordination dans le cas BCR........................................................................................................................... 353

Figure 6-7 : L’influence des mécanismes sur le processus de coordination dans le cas BCR354

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Table des Figures

486

Figure 6-8 : L’influence des relations latérales sur le processus de coordination dans le cas BCR................................................................................................................... 354

Figure 6-9 : L’influence de la communication interne sur le processus de coordination dans le cas BCR............................................................................................................. 356

Figure 6-10 : L’influence du transfert de personnel sur les processus de coordination dans le cas BCR............................................................................................................. 357

Figure 6-11 : L’influence des procédés de travail sur le processus de coordination ............. 358

Figure 6-12 : Représentation schématique de l’influence du client sur la fréquence de la communication entre les canaux de l’EFN ....................................................... 388

Figure 6-13 : Représentation schématique de l’influence du client sur la précision de la communication entre les canaux de l’EFN ....................................................... 389

Figure 6-14 : Représentation schématique de l’influence du client sur la reconnaissance mutuelle dans le cas EFN.................................................................................. 396

Figure 6-15 : Les liens entre les composantes et dimensions du processus de coordination dans le cas EFN................................................................................................. 398

Figure 6-16 : L’influence du processus sur les mécanismes de coordination dans le cas EFN........................................................................................................................... 401

Figure 6-17 : L’influence des mécanismes sur le processus de coordination dans le cas EFN........................................................................................................................... 404

Figure 6-18 : L’influence des procédés sur le processus de coordination dans le cas EFN... 405

Figure 6-19 : L’influence des mécanismes de coordination sur la connaissance partagée dans le cas EFN ......................................................................................................... 406

Figure 6-20 : L’influence de la standardisation par les résultats sur les objectifs partagés dans le cas EFN ......................................................................................................... 408

Figure 6-21 : Comparaison schématique des liens partant des mécanismes vers le processus de coordination dans les cas BCR et EFN ............................................................. 418

Figure 6-22 : Comparaison schématique des liens partant du processus vers les mécanismes de coordination dans les cas BCR et EFN......................................................... 420

Figure 6-23 : L’influence du client sur la coordination d’un réseau de distribution multicanal........................................................................................................................... 421

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Table des Encadrés et des Schémas Récapitulatifs

487

TABLE DES ENCADRÉS

Encadré 1 : Définition d’un réseau de distribution multicanal dans le cadre de cette recherche............................................................................................................................. 40

Encadré 2 : Définition de la participation client dans le cadre de cette recherche................. 216

Encadré 3 : Définition de la coordination dans le cadre de cette recherche........................... 253

Encadré 4 : Problématique de cette recherche ....................................................................... 255

Encadré 5 : Rappel de la problématique et des propositions de recherche ............................ 309

Encadré 6 : Rappel des objectifs, de la problématique et des propositions de recherche ...... 438

TABLE DES SCHÉMAS

Schéma 1 : Canevas explicatif de la recherche ........................................................................ 10

Schéma 2 : Du questionnement initial à la question de recherche ........................................... 12

Schéma 3 : De la question de recherche à la problématique.................................................. 145

Schéma 4 : De la problématique aux résultats de la recherche .............................................. 262

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488

VU : LE PRÉSIDENT VU : LES SUFFRAGANTS

M. : …………………... MM. : …………………...

Vu et permis d’imprimer :

Le Vice-Président du Conseil Scientifique Chargé de la Recherche de l’Université Paris Dauphine.

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LA COORDINATION D’UN RÉSEAU DE DISTRIBUTION MULTICANAL : LE CAS DE LA BANQUE DE DÉTAIL

La multiplication de nouveaux canaux (centres d’appels, Internet...) en sus des traditionnelles agences conduit les banques de détail à s’interroger sur le fonctionnement et la coordination de leurs réseaux de distribution devenus multicanaux. Ces questions fondent notre recherche.

La littérature leur offrant encore peu de réponses, nous empruntons tout d’abord la voie d’une étude de cas exploratoire, dont les résultats orientent la réflexion théorique. L’émergence de liens entre participation client, d’un côté, et mécanismes et processus de coordination de l’autre, aboutit finalement à cette problématique : dans quelle mesure la participation client influence-t-elle la coordination des employés en contact dans un réseau de distribution multicanal ? Les réponses sont apportées par deux études de cas. Elles montrent que le client génère des interdépendances entre les canaux. Par ailleurs, à travers des rôles de filtre et de catalyseur résultant de ses interactions avec les employés en contact, il influence à la fois mécanismes et processus de coordination. Cette influence procède d’une double logique ex-ante et ex-post, et locale et globale. Elle est en outre modulée par la nature et l’historique de l’échange entre le client et l’employé en contact. Enfin, nous considérons la coordination comme un processus social historiquement situé qui s’appuie sur des mécanismes de coordination.

Mots clés : coordination intra-organisationnelle ; réseau de distribution multicanal ; participation client ; rôle de filtre du client ; rôle de catalyseur du client. MULTICHANNEL DISTRIBUTION NETWORK COORDINATION: THE CASE OF

RETAIL BANKING

The development of new distribution channels (call-centres, websites…) in addition to classic branches has raised a lot of questions among retail banks about the ways to coordinate these multichannel networks. These interrogations constitute the origin of my research.

Since literature is quantitatively limited to answer these questions, I realized an exploratory case study, the results of which orientated my theoretical reflexion. Having built a conceptual framework linking on the one hand, customer participation, and coordination mechanisms and process on the other hand, I formulate the following research question: to what extent does customer participation influence boundary-spanner employees coordination in a multichannel distribution network? I use two other case studies to answer it. These show that the customer generates interdependencies between the channels. He also develops two different kind of roles, filter and catalyst, in his interactions with these boundary-spanner employees. These roles influence both coordination mechanisms and process. This influence takes place in an ex-post and ex-ante logic, both globally and locally. Moreover, it is modulated by the exchange nature and history between the customer and boundary-spanner employee. Finally, coordination is considered as a social process historically located, that uses coordination mechanisms.

Keywords: intra-organizational coordination; multichannel distribution; customer participation; customer as filter ; customer as catalyst.