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UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
LA THÉORlE DES CHOIX RATIONNELS
ET LE COMPORTEMENT ANIMAL
(1970 - 1995)
MÉMOIRE
PRÉSENTÉ
COMME EXIGENCE PARTIELLE
DE LA MAîTRISE EN ÉCONOMIQUE
PAR
YAN-OLIVIER CHAREST
NOVEMBRE 2007
UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL Service des bibliothèques
Avertissement
La diffusion de ce mémoire se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles supérieurs (SDU-522 - Rév.01-2006). Cette autorisation stipule que «conformément à l'article 11 du Règlement no 8 des études de cycles supérieurs, [l'auteur] concède à l'Université du Québec à Montréal une licence non exclusive d'utilisation et de publication de la totalité ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pédagogiques et non commerciales. Plus précisément, [l'auteur] autorise l'Université du Québec à Montréal à reproduire, diffuser, prêter, distribuer ou vendre des copies de [son] travail de recherche à des fins non commerciales sur quelque support que ce soit, y compris l'Internet. Cette licence et cette autorisation n'entraînent pas une renonciation de [la] part [de l'auteur] à [ses] droits moraux ni à [ses] droits de propriété intellectuelle. Sauf entente contraire, [l'auteur] conserve la liberté de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire.»
AVANT-PROPOS
J'ai remis, à la fin de l'été 2003, un premier mémoire de maîtrise au Science Studies
Unit de l'Université d'Édimbourg. Le mémoire étudiait les emprunts réciproques dans les
pensées méthodologiques, théoriques et politiques de l'économiste hétérodoxe T. B. Veblen
(1854 - 1929) et du physiologiste mécaniste J. Loeb (1859 - 1921). Si Veblen est aujourd'hui
considéré comme le père de l'institutionnalisme, Loeb est pour sa part entre autres reconnu
pour avoir exercé une influence marquée sur les principaux instigateurs du béhaviorisme en
Amérique dans les personnes de J. B. Watson et B. F. Skinner'.
Avec un peu de recul, le présent mémoire apparaît donc comme la suite naturelle du
premier puisqu'il propose une deuxième incursion aux frontières historiques de l'économie et
du béhaviorisme. Ce second rapprochement a été amorcé par les économistes 1. H. Kagel et
R. C. Battalio et les psychologues H. C. Rachlin et L. Green au début des années soixante
dix. Si une des thèses développées dans le premier mémoire était que Veblen désirait
remplacer l'approche néoclassique par une nouvelle discipline basée entre autres sur la
physiologie mécaniste de Loeb, une de celles développées dans ce deuxième mémoire est que
Rachlin et Green désiraient construire une nouvelle psychologie du comportement basée sur
le modèle néoclassique de la maximisation de l'utilité. Il y a là une asymétrie fondamentale
qui distingue les deux épisodes historiques.
Malgré cette distinction, plusieurs thèmes récurrents traversent les deux mémoires.
Un de ces thèmes est l'opposition des approches téléologique et génétique causale dans
l'étude du comportement, une problématique qui est toujours au coeur de plusieurs débats
1 Loeb fut le professeur de Watson et de W. .J. Crozier à Chicago entre 1892 et 1899. Watson popularisa ensuite entre 1911, année de parution de son célèbre essai «Psychology as the Behaviorist Views it», et 1958, année de sa mort, les techniques du conditionnement classique. Quant à lui, Crozier enseigna entre autres à Skinner qu'il poussa à travailler sur la théorie des tropismes de Loeb. C'est Skinner qui prit la relève de Watson comme principal promoteur de l'approche béhavioriste en psychologie en développant les techniques du conditionnement opérant entre 1948 et 1974 au laboratoire de psychologie comportementale de l'Université Harvard. Pour plus de détails, voir Hackenberg (1995) et Pauly (1987).
III
méthodologiques en économie et qui, de manière plus générale, est au centre de la
philosophie des sciences sociales depuis les écrits d'Aristote. Un autre est l'existence d'un
lien de familiarité entre l'approche génétique causale dans les sciences humaines, la croyance
dans différentes formes de déterminisme environnemental et les idéaux d'ingénierie sociale
hérités des Lumières. Après tout, Veblen et Skinner sont tous deux largement reconnus pour
leur utopie technocratique.
Les deux mémoires abordent aussi la question de la légitimité de considérer la théorie
microéconomique et le modèle de maximisation de l'utilité comme des bases viables pour la
construction d'une science empirique. Ici, c'est la réfutabilité même des hypothèses sur
lesquelles repose l'économie néoclassique qui est remise en cause. Finalement, il faut
souligner que malgré le fait que le débat autour de cette dernière question ne soit pas encore
clos, l'économie incarne toujours aux côtés de la psychologie comportementale les idéaux
scientistes à l'intérieur des sciences sociales. En ce sens, elles occupent ensemble une place
particulière, souvent celle du «mouton noim, dans l'histoire des idées contemporaines. En
dernière analyse, c'est afin de mieux saisir cette place et son évolution à l'intérieur de la
pensée occidentale que j'ai entrepris la rédaction de ces deux travaux.
Dans la réalisation du présent travail, j'ai eu la chance de profiter de la générosité de
Kagel, Green et Rachlin avec qui j'ai pu entretenir de courtes correspondances en 2006. J'ai
aussi eu le plaisir de rencontrer Kagel et Green en personne au mois de juillet de la même
année. La visite du laboratoire animal de Green à l'Université Washington à St-Louis fut
particulièrement enrichissante puisqu'elle m'aura permis de me familiariser sommairement
avec le matériel expérimental uti lisé dans la réalisation des expériences qui sont abordées
dans le présent travail. Je remercie donc ici les trois pour leur précieuse collaboration.
J'aimerais en terminant aussi remercier Robert Leonard, Gilles Dostaler, Clément
Lemelin et toutes les personnes qui m'ont appuyé au fil des ans au Département d'économie
de l'UQÀM. Sans leur patience et leur soutien moral et financier, il m'aurait été impossible
de mener ces deux projets à terme.
TABLE DES MATIÈRES
AVANT-PROPOS 11
LISTE DES FIGURES VII
LISTE DES ABRÉVIATIONS Vl11
RÉSUMÉ IX
INTRODUCTION .
Juin 1979, Université Harvard, Cambridge, Massachusetts .
L'économie expérimentale et l'utilisation de sujets animaux 4
Structure et division du mémoire 7
CHAPITRE 1
FORMALISATION ET CONVERGENCE (1970 - 1975) II
1.1 Introduction........ II
1.2 Le béhaviorisme radical de Harvard 13
1.2.1 La psychologie de B. F. Skinner 14
1.2.2 Herrnstein et la matching law 19
1.3 La psychologie comportementale à la SUNY à Stony Brook 25
1.3.1 N. Azrin, L. Krasner, R. C. Winkler et les économies de jetons .. 26
1.3.2 Rachlin, Green et l'étude du contrôle de soi 29
1.4 L'économie expérimentale à l'Université Texas A&M 32
1.4.1 De ('économétrie à l'économie expérimentale 33
1.4.2 La conférence de l'Addiction Research Foundation 37
1.5 Conclusion 41
CHAPITRE II
VERS UNE ÉCOLOGIE ÉCONOMIQUE (1973 - 1983) 43
2.1 Introduction................................................................................ 43
v
2.2 Les premiers tests expérimentaux sur des animaux 45
2.2.1 L'entrée en scène de l'expérimentation animale en économie 46
2.2.2 L'entrée en scène de la théorie des choix rationnels en psychologie béhaviorale 51
2.2.3 La consolidation de la collaboration entre Kagel et Battalio et Rachlin et Green 55
2.3 Ma/ching versus maximisation sous contrainte 58
2.3.1 Des premières réactions favorables en psychologie du comportement 59
2.3.2 Les grandes lignes d'une controverse 63
2.4 Évolution parallèle dans les sciences biologiques 73
2.4.1 L'entrée en scène de la théorie des choix rationnels en biologie 74
2.4.2 Le théorème de l'égalisation des valeurs marginales des territoires de fourragement 78
2.5 Vers un nouveau programme de recherche . 81
2.6 Conclusion 84
CHAPITRE III
ÂGE D'OR ET DÉCLIN DE L'ÉCONOMIE BÉHAVlORA LE (1983 - 1995) 87
3.1 Introduction.................. 87
3.2 L'offre de travail et ses déterminants 89
3.3 Environnement incertain et décisions intertemporelles 96
3.4 Derniers développements 106
3.4.1 Quelle forme fonctionnelle représente Je mieux les préférences des sujets animaux? 107
3.4.2 Quelques incursions dans la sphère du politique 111
3.4.3 La confirmation expérimentale de l'existence des biens de Giffen 114
3.5 La fin de la collaboration entre Kagel, Battalio et Green 120
3.6 La place de l'expérimentation animale en économie .. 124
3.6.1 Brève revue de la littérature secondaire en économie 125
3.6.2 Les analyses historiques et philosophiques de Massey, Simon, Mirowski et McDonough 129
3.7 Conclusion 136
VI
CONCLUSION 138
Quelle place pour les travaux de Kagel et al. dans l'histoire de l'économie expérimentale? 140
Mu\tidisciplinarité, convergence et controverses 144
RÉFÉRENCES 146
APPENDICE A : BIBLIOGRAPHIE CHRONOLOGIQUE )67
LISTE DES FIGURES
Figure Page
1.1 Représentation schématique d'une boîte de Skinner 3
1.2 Photographie d'une boîte de Skinner surmontée d'un appareil produisant des contingences de renforcement concurrentes à intervalles variables et à intervalles fixes et d'un appareil permettant l'enregistrement de données. Monté par Ferster en 1953 18
1.3 Photographie prise durant un des séminaires internes tenus hebdomadairement au Pigeon Lab de Harvard dans les années soixante 21
2.1 Graphique illustrant la relation entre la densité de proies et les quantités consommées par la mésange noire 75
3.1 Schéma du déroulement d'une séance expérimentale dans l'étude de Green et al. (1981) 96
3.2 Loteries présentées à des sujets animaux par BattaJio, Kagel et MacDonald. Expérience 1 100
3.3 Loteries présentées à des sujets animaux par Battalio, Kagel et MacDonald. Expérience 3 105
LISTE DES ABRÉVIATIONS
AER American Economie Review
AN American Naturalist
APA American Psychological Association
BAL Behavioral Analysis Letter
BBS Behavioral and Brain Sciences
El Economie lnquiry
EJ Economie Journal
ESA Economie Science Association
JABA Journal ofApplied Behavioral Analysis
JEAB Journal ofthe Experimental Analysis ofBehavior
JPE Journal ofPolitieal Eeonomy
NSF National Science Foundation
SONY State University of New York
RÉSUMÉ
Le mémoire présente une chronique établissant la progression des travaux d'un groupe de chercheurs composé de deux économistes, J. H. Kagel et R. C. Battalio, et de deux psychologues du comportement, H. C. Rachlin et L. Green, qui ont entrepris dans les années soixante-dix de confronter les prédictions de la théorie économique de la décision au comportement de rats et de pigeons évoluant à l'intérieur d'environnements contrôlés. Au début des années quatre-vingt, ces travaux ont suscité un vif intérêt en psychologie et en biologie du comportement, si bien que certains ont alors cru à une éventuelle convergence des différentes disciplines étudiant le comportement animal et humain. En définitive, le dialogue multidisciplinaire qui s'était alors amorcé s'est progressivement effacé vers la fin des années quatre-vingt, ce qui amena finalement Kagel, Battalio, Rachlin et Green a réorienter leur carrière au début des années quatre-vingt-dix. La reconstruction du fil de ces événements se base principalement sur l'étude de la littérature pertinente et sur une série d'entrevues menées au mois de juillet 2006 avec Kagel et Green. Le traitement de ce matériel historique s'appuie par ailleurs sur une approche sociologique qui met l'accent sur les interactions entre les différents acteurs ayant joué un rôle clé dans ces événements et sur les rhétoriques que ces derniers ont développées afin de promouvoir leur intérêt professionnel à l'intérieur des différentes communautés scientifiques concernées. Depuis cette perspective, deux problématiques importantes sont soulevées par ces travaux. La première a trait au processus menant initialement à l'établissement d'un réseau d'acteurs bénéficiant d'appuis institutionnels suffisamment solides pour assurer temporairement la pérennité de leurs recherches. La deuxième a trait aux causes de la dissolution progressive de ce même réseau au début des années quatre-vingt-dix et au rôle qu'ont pu jouer les différents facteurs de résistance institutionnels dans ce processus. Ces deux problématiques sont étudiées par les différents chapitres du mémoire en parallèle des arguments historiques qui y sont développés.
Mots clés: histoire de la pensée économique, économie expérimentale, analyse quantitative du comportement, biologie du comportement
Photographie officielle des participants du Deuxième symposium sur l'analyse quantitative du comportement tenu au Pigeon Lab de Harvard en 1979. Debout, de gauche à droite: 1. Michael L. Commons; 2. Leonard Green; 3. John E. R. Staddon; 4. Barbara Burkhard; 5. Richard 1. Hermstein; 6. B. F. Skinner; 7. R. Duncan Luce; 8. Joseph 1. Pear; 9. Brian L. Rector; 10. Peter A. de Villiers; 11. William Timberlake; 12. Charles P. Shimp; 13. John W. Donahoe; 14. Marvin Z. Deluty; 15. William Vaughan, Jr.; 16. David S. Olton; 17. Alan C. Kamil. Assis sur la marche du haut, de gauche à droite: 1. James Smith; 2. John H. Kagel. Assis sur la marche du bas, de gauche à droite: 1. James Allison; 2. John Gibbon; 3. William M. Baum; 4. Howard Rachlin; 5. John A. Nevin; 6. Stephen E. G. Lea; 7.Ben A. Williams; 8. Gene M. Heyman; 9. Alan Silbergberg; 10. James E. Mazur. (Tirée de Commons, Herrnstein et Rachlin, 1982)
INTRODUCTION
Juin 1979, Université Harvard, Cambridge, Massachusetts
Le cliché date du mois de juin 1979 1 Il met en scène les participants du Deuxième•
symposium sur l'analyse quantitative du comportement tenu à l'Université Harvard. À cette
époque, le Département de psychologie et de relations sociales de l'université, qui abrite le
principal laboratoire de recherche en psychologie comportementale aux États-Unis, est
encore un centre influent de la discipline2• Son influence ne diminuera que dans les décennies
quatre-vingt et quatre-vingt-dix suite au développement rapide des champs émergents de la
psychologie cognitive et des neurosciences. Sur ce grand portrait de famille du mouvement
béhavioriste, il faut d'abord remarquer la présence de B. F. Skinner, psychologue controversé
reconnu entre autres pour avoir développé les techniques du conditionnement opérant. Si
Skinner ne participe pas activement aux travaux de la conférence, c'est lui qui incarne
toujours l'âme du mouvement béhavioriste depuis la mort de J. B. Watson en 1958. R. J.
Herrnstein, se tenant à la gauche dans l'ombre de Skinner, est celui qui a opérationnalisé les
principes du conditionnement opérant en développant la ma/ching law3. Il sera appelé àjouer
un rôle important dans l'histoire qui nous occupera bientôt. Une autre figure centrale de la
famille béhavioriste, H. C. Rachlin, est assise à la droite aux pieds de Skinner. Rachlin
arrivait de Long Island, où il enseigne toujours au Département de psychologie de la SUNY à
Stony Brook, mais il S'agissait pour lui d'un retour à Cambridge puisqu'il avait terminé ses
études et débuté sa carrière au laboratoire de Harvard auprès de Skinner et Herrnstein dans
les années soixante. L. Green, étudiant puis proche collaborateur de Rachlin à Stony Brook,
1 Voirp.x. 2 Sur les différents travaux menés dans le laboratoire de Harvard dans les années cinquante et soixante et leur importance dans le développement de la psychologie comportementale, voir le chapitre 1. Voir aussi le dossier spécial «A Tribute to the Harvard Pigeon Lab, 1948-1998» commémorant les 50 ans d'existence du laboratoire qui ferma définitivement ses portes en 1998 publié dans le JEAB en 2002. J La ma/ching law stipule une relation quantitative entre les fréquences relatives des occurrences d'actions concurrentes et le ratio des renforcements auxquels ces dernières sont respectivement associées. Elle est formulée pour la première fois par Herrnstein en 1961. Une discussion plus détaillée de ses diverses formes est présentée dans la section 1.2.2.
2 est aussi présent. Rachlin et Green défendent à cette conférence une nouvelle approche qui
suscite alors de vifs débats dans le champ de la psychologie comportementale.
Cette année-là, le symposium porte sur deux modèles concurrents dans l'étude du
comportement. En trame de fond des travaux de la conférence se retrouve donc une
confrontation qui oppose deux camps. D'un côté, les tenants d'un béhaviorisme plus
orthodoxe, qui sont généralement associés au Harvard Pigeon Lab, sont regroupés autour de
Herrnstein et soutiennent les principes compoltementaux qui sous-tendent la ma/ching law.
De l'autre côté se retrouvent les promoteurs de l'implantation de la théorie des choix
rationnels et du modèle de maximisation de l'utilité en psychologie comportementale. La
forte personnalité de Rachlin assure à ce petit groupe une présence qui dépasse la popularité
réelle de leurs idées encore marginales. Ce deuxième groupe bénéficie aussi de l'appui d'un
autre acteur important du débat qui s'annonce en la personne de J. H. Kagel qui a fait le
voyage depuis la petite communauté de College Station en banlieue de Houston au Texas.
Kagel collabore depuis quelques années avec Rachlin et Green aux côtés de son ami R. C.
Battali04• En 1979, les deux économistes viennent tout juste d'inaugurer le premier
laboratoire animal destiné à l'étude des principes économiques. Ils y tiendront au cours des
quinze années suivantes des travaux controversés dans le champ encore émergent de
l'économie expérimentale. Le laboratoire est abrité par Je Département d'économie de
l'Université Texas A&M, que Kagel et Battalio ont intégré dix ans plus tôt, en 1969, sous le
protectorat de l'économètre R. Basmann. À une époque où les méthodes expérimentales
traditionnelles ne sont pas encore acceptées par une majorité des membres de la discipline, le
recours à des sujets animaux constitue pour plusieurs collègues économistes de l'Université
Texas A&M une aventure insensée.
Dans une large mesure, le travail qui sera entrepris vise à cerner la signification et
l'impact de la collaboration de Rachlin et Green et Kagel et Battalio sur leur disciplines
d'attache respectives. En cours de route, il faudra entre autres établir ce qui motive Rachlin,
Green et d'autres psychologues du comportement à travailler à l'implantation de la théorie
économique dans leur discipline, et inversement, ce qui motive Kagel et Battalio à chercher
4 Battalio n'étai t pas présent à la conférence.
3 des appuis méthodologiques dans cette communauté. D'autres acteurs secondaires de ce
rapprochement inusité entre la psychologie comportementale et l'économie sont aussi
présents au Deuxième symposium sur l'analyse quantitative du comportement. Mentionnons
ici les noms de W. M. Baum, S. E. G. Lea, J. E. Mazur, A. Silberberg, 1. E. R. Staddon et W.
Vaughan. Tous auront un rôle secondaire dans le débat opposant les deux approches. Aussi,
l'objet de la présente étude est intimement lié au développement des idées néo-béhavioristes
dans les années soixante-dix et quatre-vingt.
Un dernier groupe d'acteurs important doit finalement être présenté. Ces derniers ne
se retrouvent pas sur le portrait et pourtant sans eux personne ne se serait déplacé pour venir
assister aux travaux de la conférence. Dans une certaine mesure, ce sont aussi eux qui
scelleront l'issue du débat qui secoue cette petite communauté quinze ans plus tard. Ces
acteurs se retrouvent à quelques pas de la scène, dans le célèbre Harvard Pigeon Lab. À
l'intérieur du laboratoire, des expériences sont menées principalement sur des pigeons et des
rats à l'aide de boîtes de Skinner (voir Figure 1.1), de petites cages munies de distributeurs de
nourriture, de boutons poussoirs, de haut-parleurs, de voyants lumineux et de planchers
électrifiés.
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Figure 1.1 : Représentation schématique d'une boîte de Skinner.
L'objectif des expérimentateurs est de varier systématiquement les caractéristiques de ces
environnements épurés afin de mesurer quantitativement les réactions des sujets. Le nombre
de réponses observé, leur fréquence et un ensemble d'autres variables quantitatives sont
recueillies systématiquement afin d'être confrontées à différents modèles théoriques dont la
matching law et le modèle de maximisation de l'uti lité. Pour les expérimentateurs, la
prédiction et Je contrôle du comportement des sujets sont les ultimes critères
4 épistémologiques permettant de juger la valeur de ces modèles théoriques concurrents. Ces
derniers sont animés par la possibilité de développer une science empirique quantitative du
comportement. Une science positive comme les autres ... Sauf que pour ces chercheurs, c'est
l'action du sujet, animal ou humain, qui est l'objet du contrôle.
L'économie expérimentale et l'utilisation de sujets animaux
Entre 1975 et 1995, les membres du groupe formé de Kagel, Battalio, Green et
Rachlin ont publié, indépendamment, ensemble ou conjointement avec d'autres chercheurs,
plus de 50 articles ou chapitres d'ouvrages collectifs relatant les résultats d'expériences
menées sur des sujets animaux sur lesquels les prédictions du modèle de maximisation de
l'utilité ont été testées et comparées à celles de modèles concurrents5. Les principaux résultats
de ces recherches sont synthétisés dans Economie Choice Theory: An Experimental Analysis
ofAnimal Behavior, co-écrit par Kagel, Battalio et Green et publié en 19956. Les auteurs y
regroupent leurs travaux autour de quatre objets expérimentaux que sont: la théorie du choix
du consommateur, les microfondements de l'offre de travail, la décision en environnement
incertain et les choix intertemporaux7 . Aussi, des articles répertoriés plus haut, environ la
moitié ont été publiés dans des revues d'économie alors que l'autre l'a plutôt été dans des
revues de psychologie comportementale, en premier lieu le JEAB, édité à Harvard depuis
1958. Toutefois, le groupe s'est aussi aventuré à l'occasion sur le terrain des biologistes en
s'attaquant entre autres à certains modèles de fourragement optimal, ces incursions ayant
mené à quelques publications dans des périodiques de biologie8. Plus de vingt ans après le
début de ces travaux, il faut surtout constater d'une part que ces derniers ont suscité très peu
d'enthousiasme dans la discipline économique malgré un nombre assez important de
5 Ce calcul se base sur une bibliographie chronologique de la littérature pertinente qui est annexée au mémoire. Voir Appendice A. 6 Les membres du groupe ont par la suite cessé leurs travaux expérimentaux sur des sujets animaux en faveur d'expériences menées sur des sujets humains. Voir section 3.5. 7 Rachlin publiera quant à lui sa propre synthèse, qui met l'accent sur la pertinence du modèle de maximisation de l'utilité dans le contexte des choix intertemporaux, dans The Science ofSelf-Control en 2000. Il existe une vaste littérature sur le contrôle de soi en psychologie comportementale qui trouve sa source dans un des premiers articles conjoints de Rachlin et Green publié en 1972. La monographie de G. Ainsly (1992) constitue, aux côtés de l'ouvrage de Rachlin, la principale synthèse de ces travaux. À ce sujet, voir les sections 1.3.2 et 3.3. 8 Ces modèles reposent principalement sur le théorème de l'égalisation des rendements marginaux des différents territoires de fourragement des prédateurs. Voir section 2.4.2.
5 publications dans des revues reconnues et que, d'autre part, c'est à l'intérieur de la
communauté des psychologues comportementaux qu'ils ont soulevé le plus d'intérêt. Il ya là
un paradoxe sur lequel il faudra revenir.
Ce paradoxe met d'emblée en exergue une des principales particularités des travaux
du groupe dans le fait qu'ils évoluent simultanément sur deux fronts où ils poursuivent des
objectifs bien différents. D'un côté, ces travaux incarnent, de l'aveu même des auteurs,
l'avant-garde de l'impérialisme économique qui émerge dans les années soixante-dix autour
du positivisme de l'École de Chicago et plus particulièrement des travaux de G. S. Becker9.
Après J'économie du mariage et du crime, Kagel et al. ont voulu étendre le champ de la
discipline à l'étude du comportement animal et ont dû pour ce faire empiéter sur des
domaines d'études généralement occupés par les psychologues et les biologistes du
comportement. Avec du recul, leurs travaux peuvent être interprétés comme une tentative de
montrer qu'il est possible d'intégrer l'ensemble des différents modèles du comportement
humain et animal à J'intérieur du cadre fourni par la théorie néoclassique des choix rationnels
et plus particulièrement par le modèle de maximisation de l'utilité 1o. Sur ce front offensif, le
groupe tente de convaincre les membres de différentes communautés de chercheurs en
psychologie et en biologie du comportement du bien fondé de cet objectif et des avantages de
l'approche économique afin d'éventuellement les amener à travailler à l'intérieur de ce
nouveau cadre théorique. D'un autre côté, Kagel et al. veulent, en s'appropriant l'appareil
expérimental et/ou la reconnaissance scientifique de ces autres disciplines, renforcer la
légitimité et la crédibilité de la théorie des choix rationnels dont certaines hypothèses sont
alors critiquées pour leur irréalisme à l'intérieur même des frontières de l'économie. Une fois
démontré que le modèle économique est en mesure de prédire correctement le comportement
d'espèces aussi loin dans la phylogénie de l'homme que les pigeons et les rats, il serait
évidemment très difficile de remettre en question la pertinence de ces hypothèses pour l'étude
9 Voir Kagel, Battalio et Green (1995), p.I-2. 10 Le groupe considère par exemple que les conditions d'équilibre prédites par la matching law sont un cas particulier de celles prédites par le modèle de maximisation de l'utilité. Ainsi, selon eux, le modèle de maximisation de l'utilité permettrait d'expliquer autant les résultats pour lesquels les prédictions de la matching law seraient vérifiées que ceux pour lesquels elles ne le seraient pas. À ce sujet, voir la section 2.2.2. Kagel et al. proposent aussi de réconcilier l'approche économique et les sciences biologiques à une époque où plusieurs résultats théoriques de la microéconomie néoclassique, dont plusieurs concepts d'équilibre développés en théorie des jeux, sont de plus en plus utilisés en biologie comportementale. À ce sujet, voir la section 2.4.
6 des phénomènes économiques sur cette base. Aussi, Kagel et al. affirment-ils en 1995 que
leurs travaux ont remis le fardeau de la preuve sur les épaules des détracteurs de la théorie
des choix rationnels ll . Sur ce front défensif, les travaux de Kagel et al. visent donc à
renforcer le statut scientifique de la théorie néoclassique et éventuellement l'autorité morale
qui l'accompagne en matière de politiques économiques l2 • Kagel et al. ont donc dû avoir
recours à différents types de discours et de rhétoriques en fonction du contexte de leurs
interventions et des différents objectifs qu'ils y poursuivaient. À première vue, il semble
qu'ils aient été plus efficaces à convaincre les psychologues et biologistes du comportement
de la capacité de l'approche économique à régler certaines anomalies identifiées dans leurs
propres modèles de comportement animal qu'à convaincre les économistes de la pertinence
d'une méthodologie expérimentale pouvant servir à solidifier la base empirique de la
discipline.
Avec encore plus de recul, il faut finalement considérer que ces travaux s'inscrivent
dans un mouvement plus large de regain d'intérêt pour les idées positivistes qui traverse la
pensée sociale aux États-Unis au milieu des années soixante-dix. Ce mouvement s'organise
principalement autour de la renaissance du paradigme évolutionniste et des idées de
hiérarchisation et de convergence des différentes disciplines des sciences sociales. En 1975,
au moment même où Kagel et al. publient leur premier article conjoint, E. O. Wilson
provoque de vives controverses avec la parution de son livre phare, Sociobiology, qui met de
l'avant pour la première fois les conséquences du principe du «gène égoïste» dans la sphère
sociale. Tenue deux ans plus tard, la conférence du programme NEXA se voulait un tremplin
pour un vaste projet de refonte des sciences sociales sur le nouveau paradigme évolutionniste
fourni par Wilson 13 . Ce dernier effectue ses recherches non loin du Département de
psychologie et de relations sociales de Harvard, au Département de biologie. Les deux
départements symbolisaient alors deux approches s'étant toujours opposées dans l'étude du
comportement, l'une donnant préséance aux déterminants génétiques du comportement et
l'autre donnant préséance à ses déterminants environnementaux. Si le paradigme
II Voir Kagel et al. (1995), p.5. 12 À ce sujet, voir la section 3.4.2. 13 La conférence, instiguée par les artisans du programme NEXA de l'Université d'État de San Francisco s'est tenue à San Francisco les 14 et 15 juin 1977. Les travaux de la conférence ont mené à la publication d'un recueil qui a fait histoire. Voir Gregory, Silvers et Sutch (1978).
7 sociobiologique de Wilson se présente alors aux yeux de plusieurs comme un cadre
prometteur dans l'étude des déterminants biologiques du comportement, le modèle de
maximisation de J'utilité se présente quant à lui aux yeux de d'autres comme un cadre
théorique prometteur dans ['étude des déterminants environnementaux du comportement des
différentes espèces composant le règne animal. Pour plusieurs, la première partie du dernier
énoncé paraîtra un lieu commun alors que la deuxième partie leur paraîtra plus surprenante.
Construit autour de cette idée directrice, le mémoire visera principalement à documenter cette
affirmation.
Structure et division du mémoire
En vue d'atteindre cet objectif, trois chapitres établissent une chronologie des
événements qui ont entouré la collaboration de Kagel et Battalio et de Rachlin et Green. Le
premier chapitre reconstruit les événements qui ont mené à leur rencontre alors que les deux
chapitres suivants retracent les événements de la période comprise entre la publication d'un
premier article conjoint du groupe dans El en mars 1975 et la parution d'Economie Choice
Theory en 1995. Ainsi, le premier chapitre vise à replacer cette coopération, qui peut a priori
paraître inattendue, entre des économistes et des psychologues, à l'intérieur de tendances
lourdes vers la formalisation des deux disciplines dans les années d'après-guerre. Pour sa
part, le chapitre deux, qui s'intéresse en particulier aux événements de la période comprise
entre 1975 et 1983, veut souligner le rôle de catalyseur joué par les travaux du groupe dans
l'élaboration d'un projet plus vaste et ambitieux qui visait à réunir l'ensemble des disciplines
étudiant les déterminants environnementaux du comportement humain et animal sous le
paradigme fourni par Je modèle de maximisation de l'utilité. Finalement, le chapitre trois, qui
suit les travaux du groupe au cours de la période comprise entre 1983 et 1995, fait d'abord
état des nombreux résultats expérimentaux compilés par le groupe durant cette période avant
de proposer une revue exhaustive des quelques réactions que ces résultats ont générées en
économie au cours des vingt-cinq dernières années. D'un point de vue strictement factuel, ces
trois chapitres veulent donc reconstruire la genèse des évènements qui ont mené à la
publication de l'ouvrage synthèse de 1995. À cette fin, ils exposent tour à tour le contenu des
principaux articles et chapitres publiés par le groupe tout au long de ces années et mettent ces
8 derniers en relation avec d'une part la littérature pertinente en psychologie comportementale,
en économie et en biologie comportementale, et d'autre part les informations biographiques
recueillies auprès de Green, Kagel et Rachlin l4 .
L'objet historique qui occupe les trois chapitres est composé de trois réalités
historiques intriquées, à la fois indépendantes et inséparables, sans lesquelles il ne serait tout
simplement plus reconnaissable. La première de ces réalités est celle de l'intégration du
modèle de maximisation de l'utilité comme nouvelle approche théorique en psychologie du
comportement. Rachlin et Green ont évidemment été les principaux promoteurs de cette
intégration dans la communauté des psychologues béhavioristes, même si, comme nous le
verrons bientôt, d'autres les ont très rapidement rejoints l5 . La deuxième de ces réalités est
celle de )' intégration des méthodes expérimentales développées par les psychologues du
comportement dans leur étude du conditionnement opérant, principalement basées sur
l'utilisation de sujets animaux, comme nouvel outil méthodologique en économie. Kagel et
Battalio, les principaux défenseurs de cette intégration dans la communauté économique, sont
pour leur part demeurés plutôt isolés jusqu'au moment où ils ont décidé de laisser tomber
leurs efforts dans cette direction au milieu des années quatre-vingt-dix. Finalement, la
troisième de ces réalités, qui s'inscrit en parallèle de la collaboration entre Rachlin et Green
et Kagel et Battalio, est celle de l'implantation du modèle de maximisation de l'utilité dans
les sciences biologiques, en particulier en écologie environnementale. Ici, ce sont des
biologistes comme A. Covich, D. J. Rapport et G. Tullock qui défendront tour à tour ce
mariage dès le début des années soixante-dix. Bien que les travaux de ces biologistes ne
jouent qu'un rôle secondaire dans les événements qui nous intéressent, leur importance ne
peut être négligée puisque leurs efforts fournissent des appuis importants à Kagel et al. dans
une troisième discipline étudiant les déterminants environnementaux du comportement.
Aussi, il faudra tout au long des trois chapitres du mémoire composer avec ces différentes
réalités. Sur le plan de l'analyse historique, cette diversité confère au sujet son principal
intérêt. En particulier, elle soulève un ensemble de questionnements autant quant au
14 Ces informations proviennent de courtes correspondances entretenues avec ces derniers au printemps 2006 et d'entrevues menées à J'Université d'État d'Ohio à Colombus et à l'Université Washington à St-Louis avec Kagel et Green au mois de juillet de la même année. Battalio n'a pas pu être contacté puisqu'il est malheureusement décédé le 3 décembre 2004. 15 Voir section 2.3.1.
9 fonctionnement interne des disciplines universitaires que des relations qu'elles entretiennent
entre elles.
Afin de souligner l'importance de ces relations, le matériel historique au centre de la
présente étude sera abordé depuis une perspective sociologique selon laquelle ce sont d'abord
les interactions entre les différents acteurs et leurs rhétoriques qui sont en définitive
responsables de l'émergence des consensus qui confèrent à des groupes d'observations
particuliers le statut de faits à l'intérieur de communautés de chercheurs données. Selon cette
conception de l'activité scientifique, il n'existerait donc aucun «fait brut» pouvant être
découvert naturellement par l'observation directe de la nature. En conséquence, le compte
rendu des événements qui est présenté met l'emphase sur les différentes interactions, parfois
coopératives et parfois conflictuelles, entre les membres de différents groupes d'intérêt à
l'intérieur d'un même champ de recherche (ex. : entre les keynésiens et les classiques en
macroéconomie), d'une même discipline (ex.: entre les microéconomistes et les
macroéconomistes en économie), d'un même milieu (ex.: entre les économistes et les
membres des autres disciplines des sciences sociales dans le milieu universitaire), ou en
encore entre différents milieux (ex. : entre des universitaires et des membres des autres
milieux composant une société). Aussi, la complexité de l'objet historique autour duquel est
construit ce mémoire provient non seulement du fait que ce dernier se situe à la frontière de
trois disciplines scientifiques poursuivant des objectifs de recherche différents, mais aussi du
fait qu'il met en scène des interactions entre des acteurs privilégiant différentes conceptions
théoriques à l'intérieur même de chacune de ces trois disciplines l6 .
Avant d'étudier l'ensemble de ces interactions, la première étape consiste à bien
circonscrire les objectifs et les intérêts professionnels et disciplinaires initialement poursuivis
par les principaux acteurs impliqués. C'est implicitement ce que le chapitre 1 réalisera sur le
plan de l'analyse. Lorsque ces intérêts auront été identifiés, il sera plus facile d'analyser les
rhétoriques élaborées et les alliances conclues au fil des ans par les différents intervenants en
vue de défendre leurs intérêts respectifs. Aussi, le chapitre deux s'appliquera, sur le plan de
16 Shapin (1982) propose une discussion détaillée de J'approche sociologique dans l'étude historique des sciences. Voir aussi Barnes, Bloor et Henry (1996), et Bloor (1976) pour des présentations plus générales de cette approche.
10 l'analyse, à établir par quels moyens le groupe de Kagel et al. a tenté de convaincre ses
différents interlocuteurs, économistes, psychologues ou biologistes, qu'il était utile et
légitime d'avoir recours à la théorie des choix rationnels pour expliquer le comportement de
différentes espèces animales. Cet exercice a évidemment été l'occasion de multiples débats à
l'intérieur de chacune de ces disciplines qu'il faudra étudier en cours de route. En
psychologie, le débat déclenché par les travaux de Kagel et al. a porté principalement sur les
capacités relatives du modèle de maximisation de l'utilité et de la matching law de reproduire
les données recueillies dans le laboratoire17 . En économie, le débat a surtout porté sur l'utilité
et sur la légitimité d'utiliser des méthodes expérimentales pour tester certains postulats
fondamentaux de la théorie économique sur le comportement animal 18• Finalement, en
biologie le débat a porté sur la légitimité d'associer l'hypothèse de la maximisation de
l'utilité à l'hypothèse de la maximisation de la fitness biologiquel9 . Quant à lui, le chapitre 3
tentera de comprendre pourquoi les membres de ce petit groupe n'ont pas été en mesure de
convaincre un nombre suffisant d'intervenants à J'intérieur de chacune des communautés
concernées afin que se constitue un véritable programme de recherche multidisciplinaire
autour des intuitions théoriques et des méthodes expérimentales qu'ils ont travaillé à
développer. Une des conclusions importantes qui sera alors tirée est que les difficultés de
rassembler autant d'acteurs aux intérêts divergents ont eu raison d'un projet scientifique qui
semblait pourtant avoir été en mesure, au début des années quatre-vingt-dix, de mener à des
résultats concluants.
17 Voir section 2.3.2. 18 L'analyse de ce débat est réservée pour le chapitre 3. Voir section 3.6. 19 Voir section 2.4.2.
CHAPITRE 1
FORMALISATION ET CONVERGENCE (1970 - 1975)
1.1 Introduction
La première rencontre entre Kagel et Rachlin et Green a lieu en 1973 à la SUNY à
Stony Brook à l'occasion d'une conférence donnée par Kagel au Département de psychologie
de l'université'. Cette rencontre est le résultat improbable d'une série d'accidents historiques
autant qu'elle est le fruit de tendances lourdes dans le développement contemporain de leur
discipline d'attache respective. Dans les années soixante, la psychologie comportementale se
formalise rapidement grâce à plusieurs techniques expérimentales développées dans les
années d'après-guerre. Progressivement, ces techniques ouvrent la voie au développement
des premiers modèles quantitatifs du comportement et à la mathématisation de la discipline.
À la même époque, la formalisation de l'économie va aussi bon train. Alors qu'une part
importante du corpus théorique de la discipline s'exprime dorénavant en langage
mathématique, une préoccupation grandissante des économistes est de compléter ce savoir
théorique en lui fournissant une base empirique plus solide. Aux yeux de la majorité, c'est
l'économétrie qui offre les meilleures perspectives dans cette direction; seuls quelques petits
groupuscules réfléchissent indépendamment à la possibilité d'avoir recours à des techniques
expérimentales afin de tester les multiples prédictions théoriques développées au fil des ans
par la discipline2. Les parcours respectifs de Kagel, Battalio, Rachlin et Green avant 1975
s'inscrivent tous à l'intérieur de ces tendances lourdes qui traversent la psychologie et
1 Kagel était invité à discuter des travaux qu'il menait aux côtés de L. Krasner et R. C. Winkler sur les économies de jetons. À ce sujet, voir la section 1.4.2. Par ailleurs, Battalio, qui coopérait aussi avec le groupe, n'était pas présent lors de cette première rencontre entre Kagel, Rachlin et Green. À ce sujet, voir la section 2.2. 2 À ce sujet, voir pp.140-143.
12
l'économie. Aussi, un premier objectif de ce chapitre est de replacer la série d'événements
qui a mené à leur rencontre dans le contexte plus large de la formalisation des deux
disciplines dans les années d'après guerre. Un deuxième objectif est de comprendre les
motivations des différents membres du groupe à entreprendre leur collaboration.
À cette fin, il faudra positionner les uns par rapport aux autres trois départements
universitaires auxquels sont intimement associés trois territoires de recherche connexes. Il y a
d'abord le Département de psychologie de Harvard qui tout au long des années soixante est le
vecteur principal de développement de la psychologie comportementale aux États-Unis. À
cette époque, Rachlin s'impose rapidement comme un des piliers importants du laboratoire3.
Il y a ensuite le Département de psychologie de la SUNY à Stony Brook qui se fait
principalement connaître peu de temps après son ouverture au milieu des années soixante
pour son expertise dans le design de thérapies comportementales. C'est là que Green se voit
assigner Rachlin comme directeur de thèse en 1970, tout juste après l'arrivée de ce dernier de
Boston. Il y a finalement le Département d'économie de l'Université Texas A&M qui
deviendra peu après l'arrivée de l'économètre R. Basmann et de ses étudiants Kagel et
Battalio, un des vecteurs importants de développement des méthodes empiriques alternatives
aux approches économétriques classiques. Voilà grossièrement tracé le paysage à l'intérieur
duquel évoluent, au moment de leur première rencontre en 1973, Rachlin, Green, Kagel,
Battalio et un ensemble d'acteurs secondaires avec qui ces derniers entretiennent déjà des
échanges soutenus. Il deviendra très vite évident que les questions qui les occupent à cette
époque sont toutes intimement liées au développement contemporain de la pensée
béhavioriste aux États-Unis. Aussi, cette histoire se doit de débuter par un court retour en
arrière qui présentera les principales sources théoriques et méthodologiques qui fondent cette
tradition scientifique et philosophique.
J Rachlin est arrivé à Harvard au début des années soixante avant d'y obtenir son doctorat en 1965. Il a par la suite quitté à la fin de 1969 pour rejoindre le Département de psychologie de la SUNY à Stony Brook.
13
1.2 Le béhaviorisme radical de Harvard
Dans l'histoire de la psychologie, les trente glorieuses sont marquées par l'essor du
béhaviorisme radical ou néo-béhaviorisme qui se construit autour des contributions de C. L.
Hull et B. F. Skinner4• Hull initie ce mouvement dès le début des années trente en juxtaposant
à la conception stimulus-réponse de l'action développée par 1. B. Watson une conception
mathématique des sciences du comportement dont l'objet devient le développement de
modèles quantitatifs où l'action de l'organisme est réduite à la transformation fonctionnelle
de quantités d'inputs (stimuli) en quantités d'outputs (réponsesl C'est toutefois Skinner qui
sera le véritable père du béhaviorisme radical. Dès le début des années trente, Skinner
développe la notion de conditionnement opérant qui s'impose rapidement comme le noyau
central d'un important programme de recherche. Les travaux les plus importants de Skinner
sur le conditionnement opérant seront toutefois réalisés après qu'il ait intégré en 1948 le
Département de psychologie de Harvard où il terminera sa carrière plus d'un quart de siècle
plus tard en 1974. En 1982, les membres de l'APA décrétaient que Skinner s'imposait
comme la figure la plus importante et la plus influente de l'histoire de la psychologie dans les
années d'après-guerre6 . L'approche scientifique et philosophique qu'il a défendue au cours de
ces années est la véritable plateforme sur laquelle a pu s'épanouir au courant des années
soixante-dix la pensée de nombreux de ses étudiants de Harvard dont nous suivrons bientôt
les travaux. Aussi, il apparaît opportun d'en tracer ici les lignes directrices.
C'est Skinner lui-même qui propose dans son ouvrage phare de 1953, Science and Human Behavior, l'appellation «béhaviorisme radical» pour caractériser les positions qu'il y défend. Le néologisme néobéhaviorisme est aussi quelque fois utilisé en référence à ces positions. 5 Cette position entraînera le débat qui a opposé Hull à E. C. Tolman dans les années cinquante. Tolman était beaucoup plus prompt à intégrer des considérations cognitivistes dans son travail. Voir Viney et King (1998), pp.322-331. 6 Voir Viney et King (1998), p.498. L'influence de Skinner sur la discipline a été importante jusqu'à sa mort en 1990, année où il publ ia son dernier article intitulé «Can Psychology Be a Science of Mind» et paru dans American Psych%gisi. Skinner y réitère une dernière fois l'opinion selon laquelle la psychologie doit être et demeurer une science du comportement et non de l'esprit ou de la conscience comme le veulent les tenants des approches cognitiviste et neuropsychologique.
4
14
1.2.1 La psychologie de B. F. Skinner
Avant Skinner, les psychologues béhavioristes étudiaient principalement les
mécanismes du conditionnement classique qui stipulent que les occurrences répétées d'un
stimulus conditionnel (neutre) précédant celles d'un stimulus inconditionnel (non-neutre)
renforceront progressivement l'association du stimulus conditionnel au stimulus
inconditionnel? On dira que le stimulus conditionnel s'est transformé en stimulus
conditionné lorsque la simple présence de ce dernier déclenche une réponse auparavant
uniquement associée à l'occurrence du stimulus inconditionnel. Skinner ajoute aux principes
du conditionnement classique les principes du conditionnement opérant selon lesquels les
conséquences répétées d'une série d'actions similaires entreprises en présence d'un stimulus
conditionnel renforceront progressivement une association plus complexe entre ce stimulus
conditionnel, la série d'actions entreprises par le sujet et leurs conséquences8. Concrètement,
les principes du conditionnement opérant suggèrent que la présence répétée du stimulus
conditionnel déterminera, après une certaine période d'apprentissage, la probabilité
d'occurrence de ces actions en fonction de la nature des conséquences auxquelles elles ont été
associées par le passé.
A priori, les processus des conditionnements classique et opérant pourraient
apparaître à plusieurs comme étant de natures différentes. En effet, dans le cas du
conditionnement classique, le stimulus inconditionnel et éventuellement le stimulus
conditionné déclenche une réaction automatique du sujet alors que dans le cas du
conditionnement opérant, la conséquence de l'apparition d'un stimulus conditionné semble
être le résultat d'une action intentionnelle ou dirigée9 de ce dernier. Dans le langage
philosophique traditionnel, il serait alors d'usage d'identifier les relations de causalité qui
7 Les principes du conditionnement classique sont développés par I. Pavlov dès 1902 et sont par la suite popularisés aux États-Unis par J. B. Watson. Ce dernier est l'auteur du célèbre essai de «PsychoJogy as the Behaviorist Views lb> qui propose une attaque dévastatrice contre la psychologie fonctionnaliste et qui est aujourd'hui considéré comme le manifeste fondateur de la psychologie béhavioriste. Watson est aussi reconnu pour ses travaux expérimentaux sur le conditionnement classique qu'il mène dans les années vingt sur le jeune Albert. 8 Skinner reprend et raffine en fait la loi d'effet qui avait été énoncée par E. Thorndike dès 1911. 9 Le caractère intentionnel d'une action tient essentiellement au fait qu'elle implique une interaction avec au moins un objet de j'environnement du sujet. En ce sens, elle est toujours dirigée vers un objet quelconque.
15
sont isolées dans l'étude du conditionnement classique comme des cas typiques de causes
efficientes alors que celles isolées dans l'étude du conditionnement opérant s'apparenteraient
plutôt à la notion de raisons suffisantes. Pour Skinner, il ne faut toutefois sous aucun prétexte
établir de distinction entre les phénomènes étudiés par les deux types de conditionnement; ces
derniers doivent tous être interprétés comme des causes proximales efficientes du
comportement sous étude. Rappelons à ce sujet que les principes du conditiormement opérant
reposent en définitive selon Skinner uniquement sur les expériences passées des sujets, et non
sur les anticipations ou appréhension de ces derniers relativement aux conséquences de leurs
comportements présents. De plus, par les mécanismes de la sélection naturelle, ces causes
devraient en général concorder avec les causes évolutionnistes ultimes du même
compOitement. Skinner concluait donc que les principes des conditionnements classique et
opérant formaient ensemble la base d'une véritable science génétique causale du
comportement et c'est d'abord en ce sens qu'il qualifiait son béhaviorisme de radical.
En pratique, cette vision de la psychologie comportementale s'appuyait sur une
méthode expérimentale novatrice que Skinner a développée afin d'isoler des rats et des
pigeons à l'intérieur d'environnements épurés pouvant être contrôlés et variés
systématiquement. Ces environnements, dénommés en son nom boîtes de Skinner lO, lui
auront permis de quantifier et d'enregistrer le comportement des sujets tout en réduisant au
maximum le bruit expérimental qui rendait jusqu'alors difficile la réplication des résultats.
Plus que de simples appareils expérimentaux, les boîtes de Skinner matérialisent une
conception particulière des sciences expérimentales dont les principales sources ont été les
positions défendues au début du siècle par le biologiste américain 1. Loeb 11 • À l'intérieur de
cette conception, le travail de l'expérimentateur consiste à appliquer des variations
systématiques par essais et erreurs des conditions environnementales considérées dans ce cas
comme de simples paramètres de contrôle l2 • L'objectif est d'identifier des régularités
empiriques dans le comportement des sujets qui permettront éventuellement de prédire
quantitativement leurs réactions à des variations volontaires de ces paramètres. Dans le
10 Sur les boîtes de Skinner, voir aussi pp.3-4. Il À ce sujet, voir Hackenberg (1995) et Pauly (1987). L'influence du physicien E. Mach sur Loeb et Skinner est aussi à noter. 12 Voir Baum (2002).
16
laboratoire de Skinner, les étudiants avaient ainsi l'entière liberté d'entreprendre toutes les
expériences qu'ils jugeaient eux-mêmes pertinentes sans avoir de comptes à rendre
concernant leur utilisation des ressources rares. Les sujets étaient en réalité le plus souvent
soumis à des variations aléatoires des différents paramètres de contrôle jusqu'à ce qu'un
certain pattern comportemental puisse être identifié. Par ailleurs, la prédiction des réactions
des sujets à ces variations était l'unique critère épistémologique sur lequel juger la validité du
pattern comportemental identifié. Aussi, Skinner aura milité toute sa vie, à tort ou à raison,
pour établir la psychologie expérimentale comme une véritable science empirique construite
sur le modèle des sciences positives. À terme, cette nouvelle science du comportement devait
permettre de moduler le comportement de sujets expérimentaux par le simple contrôle des
conséquences de leurs actions. Aussi, la pensée scientifique de Skinner est souvent associée à
des idéaux d'ingénierie sociale qui font échos à l'héritage idéologique légué par Loeb.
En se rapprochant davantage de l'objet de la présente étude, il faut remarquer que
l'étude du conditionnement opérant ouvre déjà la voie à un rapprochement entre la
psychologie comportementale et l'économie puisque dorénavant les deux disciplines
fournissent des explications concurrentes qui permettent d'expliquer ou du moins
d'interpréter les actions dirigées des sujets qu'elles étudient13 . Skinner lui-même reconnaît
explicitement ce fait et considère que les <dois économiques» devraient être envisagées
comme des cas particuliers des lois générales du conditionnement opérant. À ce titre, le
chapitre XXV du classique Science and Human Behavior, publié en 1953, intitulé «Economie
Control» anticipe déjà beaucoup des intuitions qui sous-tendent les travaux qui seront
effectués à la frontière de la psychologie comportementale et de l'économie expérimentale
par Kagel et al. dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Skinner y établit un premier pont
entre les deux disciplines en soulignant plusieurs analogies dans leurs objets respectifs, dont
les plus importantes en regard des travaux ultérieurs de Kagel et al. sont: 1) celle entre la
notion de renforcement, définie comme une conséquence positive découlant d'une action
donnée, et la notion de bien économique; 2) celle entre la notion de contingences de
IJ Certains économistes autrichiens dont L. von Mises ont d'ailleurs déjà défini les sciences sociales comme l'étude des actions intentionnelles ou praxéologie. Cette thèse est développée par von Mises dans son traité de 1949 intitulé Human Ac/ion: A Trealise on Economies. Évidemment, les autrichiens privilégient une conception subjective de l'intentionnalité qui est en complète contradiction avec le béhaviorisme radical de Skinner.
17
renforcement à ratios fixes, où une quantité donnée de renforcement est attribuée après un
nombre donné de réponses, et la notion de salaire à la pièce; et 3) celle entre la notion de
contingences de renforcement à intervalles fixes, où une quantité donnée de renforcement est
attribuée à des intervalles de temps fixes après qu'une certaine tâche ait été effectuée, et la
notion de salaire horaire l4 • Avec ces propositions, Skinner désire d'abord combattre
l'approche téléologique qu'incarne la théorie des choix rationnels en montrant que ses
prédictions peuvent être reproduites par les lois génétiques causales du conditionnement
opérant l5 . Il suggère donc dans ce chapitre que l'ensemble des lois économiques sont en
définitive des exemples particuliers de conditionnement opérant du comportement l6. Ce
faisant, Skinner défend un certain «impérialisme» psychologique qui marque par ailleurs
profondément l'ensemble de sa pensée.
Dans la foulée des travaux de Skinner sur le conditionnement opérant, une véritable
orthodoxie s'établit dans les années cinquante et soixante autour du Département de
psychologie de l'Université Harvard où toute une génération de chercheurs est formée. Sur le
plan institutionnel, ces chercheurs bénéficieront de deux outils de développement importants.
Le premier est le laboratoire de psychologie expérimentale qui sera plus tard baptisé le
Harvard Pigeon Lab et qui occupera jusqu'en 1963 le sous-sol du Memorial Hall avant de
déménager dans de plus grands locaux au William James Hall où il occupa la majorité de
14 Skinner note que les types de contingences les plus efficaces pour stimuler la productivité des sujets sont celles à ratios et à intervalles variables, où le nombre de réponses requis pour obtenir une quantité donnée de renforcement ou le temps pendant lequel une tâche est effectuée et l'obtention d'une quantité donnée de renforcement varie systématiquement autour d'une moyenne fixe. Il note toutefois que ces dernières sont moins fréquentes dans la réalité économique puisqu'elles seraient difficilement conciliables avec la notion de contrat et d'équité entre l'employeur et le salarié. Skinner propose aussi une interprétation des microfondements de l'offre et de la demande de biens de consommation qui s'appuie sur les résultats des conditionnements passés des demandeurs et des offreurs plutôt que sur le résultat d'un arbitrage raisonné entre des bénéfices et des coOts contingents à ces activités. En outre, le chapitre en entier recense de nombreux parallèles et commentaires intéressants qui influenceront tous dans une certaine mesure l'ensemble des acteurs dont il est question dans ce mémoire. 15 Le lecteur attentif aura remarqué que ce type d'interprétation des «lois» de l'économie néoclassique se rapproche des travaux effectués par certains économistes de la tradition néoinstitutionnaliste dans les années soixante-dix et quatre-vingt. C'est entre autres le cas des travaux de Nelson et Winter (1982). 16 Skinner conçoit l'ensemble des sciences sociales comme autant de champs particuliers où les principes du conditionnement opérant sont à l'œuvre. En plus de l'économie, il consacre ainsi des chapitres à la politique, à l'éducation, à la religion et réduit l'étude de l'ensemble de ces champs à l'étude des conséquences du conditionnement opérant.
18
l'espace disponible sur les sept étages de l'édifice jusqu'à sa fermeture définitive en 199817 •
Si le Pigeon Lab s'est imposé comme une institution importante en psychologie
expérimentale, c'est en partie grâce aux efforts de C. Ferster qui, après son arrivée à Harvard
en 1950, mobilise les ressources nécessaires à l'agrandissement et à la modernisation du
laboratoire. À l'époque, les dispositifs nécessaires au bon fonctionnement d'un laboratoire
animal sont considérables; en plus des dispositions hygiéniques qui sont déjà très coûteuses,
la programmation des cédules de renforcement nécessite de l'équipement informatique et des
installations électriques imposantes (voir Figure 1.2). La lourdeur de ces installations et les
coûts associés à leur entretien pèseront plus tard sur les administrateurs du laboratoire.
Toutefois, dans les années cinquante, à l'époque où Skinner et Ferster dirigeaient ensemble
les activités du laboratoire, les étudiants qui y séjournaient disposaient de toutes les
ressources nécessaires et de la liberté intellectuelle qu'ils auraient pu désirer. Aussi, la
personnalité de Skinner et ces conditions favorables attirent rapidement plusieurs étudiants de
qualité dont Herrnstein et N. Azrin qui intègrent respectivement le laboratoire en 1952 et
1953.
Figure 1.2: Photographie d'une boîte de Skinner surmontée d'un appareil produisant des contingences de renforcement concurrentes à intervalles variables et à intervalles fixes et d'un appareil permettant l'enregistrement de données. Monté par Ferster en 1953. (Tiré de Ferster, 2002.)
17 Le JEAB a publié en mai 2002 un dossier spécial commémorant le 50ième anniversaire de la création du Pigeon Lab à l'intérieur duquel sont regroupés différents témoignages d'acteurs importants qui ont étudié au laboratoire dans les années cinquante, soixante et soixante-dix. Le document constitue une source privilégiée d'information pour quiconque s'intéresse à ['histoire du laboratoire et comprend des articles de Azrin; Baum; Catania; Ferster; Gollub; Lattal; Logue; Zurif.
19
Le deuxième pilier institutionnel sur lequel va pouvoir compter J'orthodoxie néo-béhavioriste
de Havard sera le JEAB qui fut institué par Skinner en 1958. À ses débuts, la revue va
presque exclusivement servir à publier des articles présentant les recherches menées au
Pigeon Lab de Harvard qui sur le plan méthodologique étaient beaucoup trop hétérodoxes
pour être publiées dans d'autres périodiques de psychologie. Plus tard, la revue deviendra un
lieu d'échange privilégié pour les défenseurs d'une science mathématique du comportement.
En particulier, c'est dans le JEAB que seront publiés dans les années soixante-dix et quatre
vingt le plus d'articles en lien avec le projet d'intégration du modèle de maximisation de
l'utilité en psychologie comportementale.
1.2.2 Hermstein et la matching !aw
Sur le plan théorique, c'est Herrnstein qui, lorsqu'il présente sa matching !aw en
1961, va donner à cette orthodoxie un premier parad igme permettant de donner un sens à
quantité de données récoltées au cours des années dans le cadre d'expériences portant sur le
conditionnement opérant '8 . Après ses études auprès de Skinner, Herrnstein quitte
temporairement Harvard en 1955 pour travailler au Walter Reed Army Institute à
Washington. Il réintégra toutefois l'université pour y occuper un poste de professeur associé
dès 1958 avant d'être promu professeur titulaire trois ans plus tard. À cette date, il devient la
principale figure du Département de psychologie avec le retrait progressif de Skinner de la
recherche active généralement associé à la parution de Schedu!es of Reinforcement (1957).
Les travaux de Herrnstein sont les premiers à véritablement intégrer l'approche quantitative
de Hull à l'étude du conditionnement opérant et sa matching !aw est généralement reconnue
par les béhavioristes comme la première loi quantitative du comportement l9 . Aussi,
18 Le terme paradigme est ici utilisé pour désigner toute méthode servant à résoudre une famille de problèmes ou expliquer une famille de phénomènes, une utilisation qui correspond à la définition initialement imaginée par Kuhn dans The Structure 01Scientific Revolutions (1962). Selon cette définition, un des paradigmes importants de l'économie néoclassique serait par exemple la méthode de Lagrange dans la résolution des problèmes de maximisation sous contrainte. Aussi, l'étude du conditionnement opérant n'est pas ici considérée comme un paradigme en soi, mais plutôt comme un programme de recherche, une notion développée par Lakatos. Voir à ce sujet Lakatos (1978). 19 La matching law est présentée par Herrnstein dans un article intitulé «Relative and Absolute Strength of Response as a Function of Frequency of Reinforcement» publié dans le JEAB. Voir aussi Herrnstein (1970 et 1974).
20
Herrnstein incarnera le cœur de l'orthodoxie néo-béhavioriste de Harvard jusqu'à sa mort en
1994.
La ma/ching law est en réalité une condition d'équilibre selon laquelle au terme
d'une période d'apprentissage les choix des sujets entre deux options concurrentes pendant
une période expérimentale donnée sont proportionnels aux quantités de renforcements
auxquels ils ont été associés dans le passé. La ma/ching law a initialement été imaginée par
Herrnstein dans le contexte d'une expérience où des pigeons se voyaient présenter deux
alternatives concurrentes programmées selon des contingences de renforcement à ratios fixes.
Selon Herrnstein, les choix des sujets pouvaient dans ce contexte être prédits par la
condition:
CI / (Cl + C2) = RI / (R)+ R2),
où CI et C2 représentent le nombre de fois que les options 1 et 2 sont choisies et où RI et R2
représentent les quantités de renforcement obtenues chaque fois que les options
correspondantes sont choisies. La ma/ching law prédit donc une relation linéaire passant par
l'origine entre les quantités absolues de réponses émises par le sujet pour chacune des deux
options et les quantités absolues de renforcement émises par les deux distributeurs
concurrents20 . Dans les années soixante, la ma/ching law est confrontée à des résultats
expérimentaux recueillis dans tous les types de contingences de renforcement (à ratios fixes
et à ratios variables, à intervalles fixes et à intervalles variables, etc.), sur un large éventail de
types de renforcement (liquides désaltérants, mélanges de nourriture de différentes qualités
gustatives, etc.), et sur une multitude de combinaisons de différentes contingences de
renforcement sur différents types de renforcements (eau distribuée selon des contingences de
renforcement concurrentes à ratios fixes et à ratios variables, nourriture distribuée selon des
contingences de renforcement concurrentes à intervalles variables et à intervalles fixes,
20 Cette relation linéaire s'écrit Ci = kj Ri où kj est une constante variant selon la nature du renforcement. Dans l'expérience de Herrnstein (1961), les deux renforcements sont de même nature et les constantes ki sont donc les mêmes pour les renforcements associés aux deux distributeurs, ce qui donne donc CI / (Cl + C2) = k RI / k (R l+ R2) et qui explique la relation de ma/ching CI / (CI + C2) = RI / (RI + R2)·
21
nourriture distribuée selon des contingences de renforcement concurrentes à ratios fixes et à
intervalles variables, etc}l.
La renommée croissante que le laboratoire se construit grâce à ces développements
théoriques est bientôt en mesure d'attirer un grand nombre de jeunes chercheurs de talent qui
partagent le projet ambitieux de bâtir une science exacte et quantitative du comportement. Un
des symboles de cette effervescence sont les séminaires internes hebdomadaires qui
deviennent dans les années soixante un lieu d'échange fécond pour l'ensemble des
professeurs et des étudiants impliqués dans les travaux du laboratoire (voir Figure \.3). À
chaque session universitaire, chacun devait y présenter les résultats d'au moins une
expérience qu'il avait menée.
Figure 1.3: Photographie prise durant un des séminaires internes tenus hebdomadairement au Pigeon Lab dans les années soixante. De gauche à droite: 1. B. F. Skinner; 2. C. Marshall; 3. W. H. Morse; 4. R. J. Herrnstein; 5. T. Lohr; 6. N. Azrin; 7. 1. Anliker; 8. M. Sidman (visiteur). (Tiré de Ferster,2002.)
La proximité intellectuelle que tous les participants de ces séminaires ont pu développer peut
être sentie dans leurs travaux respectifs bien longtemps après leur départ de Harvard. En fin
de carrière, beaucoup reconnaîtront d'ailleurs l'importance de ces séminaires22 •
21 Un cas particulier dont aucun résultat n'a à cette époque été publié est celui où des renforcements de différents types, comme de l'eau et de la nourriture, sont distribués selon des contingences de renforcement concurrentes. Les raisons de J'inexistence de telles publications seront discutées dans le chapitre 2. 22 À ce sujet, voir les témoignages présentés dans le dossier spécial du JEAB en commémoration du 50ième
anniversaire de la création du Pigeon Lab publ ié en 2002. Voir aussi p.18, note 17.
22
C'est dans ce contexte que Rachlin débute ses recherches au Pigeon Lab en 1963. Ce
dernier s'intéresse d'abord à la psychophysique avant de reprendre les travaux que Azrin
avait menés sur la punition lors de son passage au laboratoire de Harvard dans les années
cinquante23 . Trois ans plus tard, Rachlin obtient le statut de professeur associé.
Officieusement, Rachlin et Baum, un de ses amis et confrères effectuant des recherches post
doctorales, vont dans les années qui vont suivre progressivement prendre en main la gestion
quotidienne des ressources du laboratoire alors que Herrnstein délaisse de plus en plus de
responsabilités en cette matière à ces anciens étudiants. C'est le début d'une collaboration qui
durera quelques années.
Dans un article de 1969 intitulé «Choice as Time Allocation», Baum et Rachlin
proposent de confronter la ma/ching law à la relation entre le temps alloué à deux activités
concurrentes et les quantités de renforcement associées à l'exécution de chacune d'elles
plutôt qu'à la relation entre le nombre de répétitions d'une tâche donnée et cette même
quantité24 . Leurs conclusions sont qu'en plus d'être plus facilement généralisable,
l'hypothèse selon laquelle les pigeons agiraient de manière à ce que les temps relatifs passés
à effectuer des activités concurrentes soient proportionnels aux quantités relatives de
renforcement qui leur sont associées explique aussi bien leurs observations que l'hypothèse
de Herrnstein selon laquelle les sujets agiraient plutôt de manière à ce que le nombre relatif
de réponses allouées à une option particulière soit proportionnel à ces mêmes quantités
relatives de renforcement. Ils suggèrent ensuite une version modifiée de la matching law qui
s'écrit:
23 Azrin était un des rares à s'être intéressé à l'étude du conditionnement punitif, peut-être parce Skinner croyait fermement que les techniques du conditionnement par renforcement étaient plus efficaces. 24 Formellement, Baum et Rachlin ont testé l'équation TI 1 (TI + T2) = RI 1 (RI + R2), où les variables TI et T2
représentent les temps alloués par les sujets à deux activités concurrentes et où RI et R2 représentent les quantités de renforcement associées à ces deux activités. À cette fin, ils ont utiJisé une chambre expérimentale divisée en trois parties. Lorsque les sujets se tenaient sur la section droite de la chambre, une lumière rouge s'allumait et une quantité RI de renforcement était distribuée selon des contingences de renforcement à intervalles variables. Lorsque les sujets se tenaient au centre de la chambre, une lumière blanche était allumée et aucun renforcement n'était obtenu. Lorsque les sujets se tenaient sur la section gauche de la chambre, une lumière verte était allumée et une quantité R2 de renforcement était distribuée selon des contingences de renforcement à intervalles variables. Les temps TI et T2 représentaient donc le nombre de minutes passées de l'un ou J'autre des côtés de la chambre expérimentale. Plusieurs séries d'expériences ont ainsi été menées pour différents ratios RI 1 R2• Les sujets étaient des pigeons males maintenus à environ 80% de leur masse corporelle de libre accès au renforcement.
23
où
i = 1 ou 2,
et où les variables VI et V 2 représentent les valeurs attribuées par les sujets à chacune des
alternatives concurrentes, les variables RI et R2 sont les ratios de renforcement qui leur sont
associés, les variables Al et A2 sont les quantités de renforcement obtenues par les sujets une
fois que les conditions fixées par les contingences de renforcement sont remplies et les
variables Il et h sont des indicateurs inverses des délais entre le choix des sujets et
l'obtention des différentes quantités de renforcement25. Si l'article démontre l'attachement de
Rachlin et Baum à la tradition orthodoxe de Harvard centrée autour de l'étude expérimentale
de la ma/ching law, il ouvre aussi la voie à plusieurs travaux ultérieurs, notamment par le
biais de l'utilisation d'un indice de valorisation Vi et par la prise en compte du délai entre la
performance d'une activité et l'attribution de la récompense qui y est associée.
En 1970, Herrnstein synthétise plusieurs des résultats compilés au Pigeon Lab dans
les années soixante dans un deuxième article important défendant la ma/ching law qu'il dédit
à son ami Skinner dans les termes suivants: «This paper is dedicated to B. F. Skinner in his
sixty-fith year, in partial payment for an intellectual debt incurred over the past decade and a
halr,26» Les conclusions de Herrnstein sont que ces résultats sont pour la majorité concluants
et que seulement quelques cas particuliers infirment la ma/ching law27. C'est toutefois Baum
qui en 1974, dans un article intitulé «On Two Types of Deviations from the Matching Law:
Bias and Under-matching», solidifie la loi de Herrnstein en s'intéressant à trois anomalies
particulières qui sont celles du biais d'option et des cas d'overma/ching et d'underma/ching.
Baum propose une version modifiée de la ma/ching law qui sera par la suite retenue comme
la forme canonique de la ma/ching law généralisée qui s'écrit :
CI / C2 = k (RI / R2)Sr,
25 Les auteurs se basent sur le fait que la relation de ma/ching a été confirmée pour ces trois variables. Catania (1963) démontre que des pigeons matchent le nombre de coups de becs à la quantité relative de renforcement obtenue, Chung et Herrnstein (1967) montrent que les pigeons matchent le nombre de coups de becs relatifs aux inverses des délais d'obtention du renforcement. Par ailleurs, Rachlin et Baum ouvrent la porte à une loi plus générale qui stipulerait que les valeurs associées à chaque alternative soient des fonctions de plus de trois variables. 26 L'article s'intitule «On the Law of Effect» en référence aux travaux fondateurs de Thorndike. 27 Davidson et McCarthy (1988) proposent une revue de cette littérature.
24
où k représente une mesure du biais du sujet pour le choix 1 et où Sr représente la sensibilité
du sujet aux changements dans les ratios de renforcement associés aux deux options CI et C2•
Par exemple, si Sr < 1, l'impact d'une diminution du ratio RI / R2 entraîne une diminution
moins que proportionnelle du ratio CI / C2• On dit dans ce cas qu'il y a undermatching alors
qu'inversement une situation où Sr > 1 est définie comme une situation d'overmatchini8•
Malgré que la matching law généralisée de Baum pallie à plusieurs défaillances observées
dans les résultats expérimentaux passés, elle ne convainc toutefois pas J'ensemble des
observateurs. Ces derniers insistent surtout sur les limites de la matching law quant à son
incapacité à expliquer le comportement des sujets lorsque les renforcements diffèrent
qualitativement29• Aussi, au début des années soixante-dix le débat est ouvert quant à la
robustesse de ses prédictions. Ce débat ne fera à terme qu'augmenter le nombre
d'observations recueillies et éventuellement le nombre de cas où la matching law est
infinnée3o.
En outre, une véritable tradition scientifique s'est rapidement articulée autour de ces
différentes contributions qUi annoncent le rapprochement entre la psychologie
comportementale et l'économie qui aura lieu au début des années soixante-dix. Rachlin est
d'ailleurs assez clair à ce sujet lorsqu'il écrit: «Even from my days in graduate school 1felt
that the work we were doing was closely connected to economics. Herrnstein himself coined
the word "econology" to describe it,31» Selon les souvenirs de Baum, l'idée selon laquelle
l'hypothèse du matching découlerait en définitive d'une condition plus générale d'optimalité
était même déjà dans l'air du temps au moment où Rachlin a quitté pour la SUNY à Stony
Brook en 1969 :
«\ believe that Howie began talking about optimality before he left, but it wasn't until the early 1970s that 1 first proved that matching on two concurrent variable-interval schedules was optimal and presented it at a pigeon meeting. (1 was 'scooped' by Staddon and Motheral, 1978, but published my own proof in 1981) Dick [Hermstein] had little patience with optimality theory for sorne reason (possibly unfamiliarity with the calculus). \ nevertheless incorporated the idea into
28 Un cas atypique qui n'est pas traité par Baum et dont l'existence même fera plus tard l'objet d'intenses débats est celui de l'antimatching où Sr < O. 29L'étude détaillée des faiblesses de la matching Law est réservée pour le chapitre 3. 30 Une autre extension importante de la ma/ching Law prédit, lorsque le sujet fait face à plus de deux options, une condition d'équilibre de la forme CI = k RI / (R1+ Ri), où la variable Ri capte l'effet de l'ensemble des autres renforcements disponibles et où k représente le nombre de fois que l'option CI est choisie lorsqu'elle est l'unique option disponible (Ri = 0). À ce sujet, voir Logue (2002). 31 Correspondance avec Rachlin.
25
the paper 1 submitted to JEAB (originally called 'Instrumental Behavior and the Theory of Feedback Systems: A Reinterpretation of the Law of Effect'), but the editor, Charlie Catania, had me eut the paper in half, and the ideas about optimality in the other were published in 1981.32»
Baum aurait donc lui-même proposé que les cas observés de ma/ching puissent découler
d'une règle de conduite optimale des sujets dès le début des années soixante-dix mais se
serait fait refuser la publication de cette partie controversée de l'article. Nonobstant la
question du niveau de crédibilité des propos de Baum à ce sujet, ces derniers rendent
certainement compte d'un état commun d'insatisfaction par rapport aux résultats de la
ma/ching law et à la possibilité de réinterpréter ses prédictions dans le cadre d'un modèle de
décision optimale. Au moment du départ de Rachlin, Baum récupéra son poste de professeur
associé. C'est toutefois finalement à Stony Brook, à quelques centaines de kilomètres de
Harvard sur la péninsule de Long Island, que sera proposé une toute nouvelle solution aux
problèmes alors rencontrés par les principales théories du renforcement.
1.3 La psychologie comportementale à la SUNY à Stony Brook
La présence de Kagel à Stony Brook en 1973 n'est toutefois pas directement reliée
aux travaux expérimentaux issus de l'environnement fertile que constituait le Pigeon Lab
dans les années soixante. Afin de comprendre l'objet de la visite de Kagel, il faudra de
nouveau remonter dans le temps afin de situer certains acteurs importants du jeune et
dynamique Département de psychologie de la SUNY à Stony Brook dans le contexte du
développement rapide de nouvelles approches thérapeutiques au début des années soixante
dix. Les travaux de deux groupes de recherche indépendants qui se côtoient à cette époque à
Stony Brook sont à ce titre particulièrement intéressants. Le premier groupe est réuni autour
de Leonard Krasner qui s'impose à l'époque comme une référence dans la supervision des
économies de jetons. Le deuxième groupe se forme autour du laboratoire animal que Rachlin
a été chargé de monter à son arrivée de Harvard. Peu de choses lient les travaux de Krasner à
ceux de Rachlin, sinon l'influence commune d'une série de travaux conduits par Azrin dans
les années soixante en marge de la recherche fondamentale menée à Harvard sur le
cond itionnement opérant.
32 Baum (2002), p.7.
26
1.3.1 N. Azrin, L. Krasner, R. C. Winkler et les économies de jetons
Azrin est peut-être, avec Herrnstein, un des élèves les plus influents de Skinner.
Pendant sa courte présence au Pigeon Lab, entre 1953 et 1955, ce dernier travailla surtout à
développer les techniques du conditionnement opérant par la punition. C'est toutefois depuis
son poste au Anna State Hospital en Illinois, où il développe des technologies
comportementales sur la base de plusieurs intuitions présentées par Skinner dans son ouvrage
fondateur de 1953, que Azrin fera ses contributions les plus marquées. La plus prometteuse
de ces technologies est probablement celle des économies de jetons que Azrin propose pour
la première fois aux côtés de T. Ayllon en 1965 dans un article intitulé «The Measurement
and Reinforcement of Behavior of Psychotics» publié dans le volume 8 du JEAB. Ce type de
système vise à renforcer certains comportements désirés dans des contextes thérapeutiques en
les récompensant par la distribution de jetons pouvant ensuite être échangés contre des
privilèges ou des biens de consommation. Très vite, cette technologie comportementale basée
sur les principes du conditionnement opérant s'est avérée très efficace afin de contrôler le
comportement des patients et son utilisation s'est vite répandue à la fin des années soixante33.
En 1968, Azrin publie conjointement avec J. Powell dans le volume 1 du JABA un autre
article novateur intitulé «Behavioral Engineering: the Reduction of Smoking Behavior by a
Conditioning Apparatus and Procedure». Les auteurs y présentent un procédé thérapeutique
qui vise à diminuer la consommation de cigarettes des sujets en limitant l'accès à ces
dernières à un petit boîtier qui, lorsqu'il est fermé, a la caractéristique de le demeurer pour
une période prédéterminée. Le procédé est aussi élaboré sur la base d'intuitions présentées
par Skinner en 1953 dans le chapitre XV de Science and Human Behavior sur la notion de
contrôle de soi34 . Ainsi, lorsque le désir de fumer du sujet atteint un certain seuil critique, il
n'a qu'à ouvrir le boîtier et à prendre une cigarette. À ce moment, le bénéfice instantané de la
cigarette dépasse son coût qui est la continuation de la dépendance et l'anticipation
d'éventuels problèmes de santé. Cependant, tout juste après avoir consommé une cigarette,
les bénéfices retirés d'une cigarette supplémentaire sont inférieurs aux coûts anticipés et le
33 Winkler (1971) rapporte que déjà en 1970, soit seulement cinq ans après son invention, plus de 48 systèmes de jetons étaient en cours dans des hôpitaux psychiatriques, des maisons de redressement pour jeunes délinquants et des écoles des États-Unis. 34 La notion de contrôle de soi réfère à la capacité de laisser tomber un renforcement immédiat en faveur de l'obtention d'un plus grand renforcement plus tard dans le temps.
27
boîtier peut alors être fermé volontairement par le sujet qui se contraint ainsi à ne pas fumer
pour la période convenue. En augmentant progressivement cette période d'un commun
accord avec le thérapeute, il est possible pour le sujet de diminuer de son propre chef sa
consommation de cigarettes.
Ce sont surtout les techniques de contrôle du comportement développées par Azrin
qui fourniront la matière première des réflexions des membres du Département de
psychologie de la SUNY à Stony Brook35 . Ce dernier sera d'abord la source d'un mouvement
visant à intégrer les possibilités offertes par la théorie économique dans la gestion des
dynamiques des économies de jetons. La première impulsion dans cette direction coïncide
avec la visite, en 1971 et 1972, de R. C. Winkler comme professeur invité. Ce dernier,
originellement de l'Université de New South Wales en Australie, est venu à Stony Brook
pour travailler avec Krasner, un pionnier dans le design d'économie de jetons et
d'environnements thérapeutiques contrôlés. En 1971 et 1973, Winkler publie deux articles
qui ont été écrits lors de son passage à Stony Brook où il propose de penser le design de ces
environnements depuis les intuitions de la théorie économique plutôt que depuis celles
offertes par les différents résultats publiés dans la littérature sur le conditionnement opérant
comme il était jusqu'alors d'usage de le faire36 . Winkler veut démontrer que la théorie
économique fournit un cadre théorique plus complet qui pourrait amener d'importantes
améliorations de l'efficacité de ces systèmes de motivation.
Le premier de ces deux textes s'intitule «The Relevance of Economie Theory and
Technology to Token Reinforcement Systems» et est publié dans Behavior Research and
Therapy. Winkler y propose d'analyser des données compilées dans le cadre d'une économie
de jetons en partant de 1'hypothèse selon laquelle cette dernière partage plusieurs
caractéristiques avec une économie fermée37 • Afin d'étoffer cette hypothèse, il entreprend de
35 Le Département de psychologie de la SUNY à Stony Brook a été créé en 1965. Green recevra plus tard un des premiers doctorats décernés par le Département. 36 Winkler présente aussi en 1971 avec Krasner un document intitulé «The Re1evance of Economics to Token Economies» à une conférence de la Eastern Psychological Association à New York. 37 Les données ont été compilées dans le cadre d'une expérience menée dans un hôpital psychiatrique de Gladesville en Australie où résidaient 66 patientes. Les modalités de fonctionnement de cette économie de jetons sont présentées dans Winkler (1970), «Management of Chronic Psychiatric Patients by Token Reinforcement System», un article publié dans le JABA.
28
comparer les données qu'il a recueillies à un ensemble de faits stylisés de J'économie
américaine38 et conclut que ces derniers sont assez bien reproduits par les données
expérimentales qu'il détient. Il montre par exemple que la propension marginale à
consommer des sujets diminue avec leur revenu, et donc que la part de l'épargne augmente
concurremment. Les sujets ont ainsi tendance à emprunter à des très faibles niveaux de
revenu alors qu'ils ont tendance à en épargner une part de plus en plus grande à des niveaux
de revenu plus élevés. Il établit aussi qu'en parallèle de cette augmentation concourante du
revenu et du taux d'épargne, les sujets tendent à consacrer une part plus grande de leurs
dépenses à l'achat de biens de luxe par rapport à celle consacrée à l'achat de biens nonnaux.
Par exemple, la part de leur revenu que les sujets consacrent à l'achat de repas domestiques
diminue avec ce dernier alors que la part consacrée à l'achat de biens moins essentiels
comme des cigarettes et des boissons augmente. Il montre finalement qu'en accord avec les
résultats précédents, les dépenses pour l'achat de repas ont une élasticité prix inférieure (des
biens normaux dans ce contexte) à celle des dépenses pour l'achat des cigarettes et des
boissons (des biens de luxe dans ce contexte). Dans ce premier article intégrant l'approche
économique à ses travaux, Winkler insiste donc particulièrement sur l'importance de tenir
compte des notions d'élasticités prix et revenu dans le design des économies de jetons afin de
bien anticiper les impacts que tout changement dans les prix des différents biens disponibles
ou dans les revenus des sujets pourrait avoir sur les quantités demandées des différents types
de biens39 .
Dans le deuxième article de 1973, intitulé «An Experimental Analysis of Economic
Balance, Savings, and Wages in a Token Economy» et publié dans Behavior Research and
Therapy, Winkler souligne principalement l'importance de maintenir une balance équilibrée
entre les revenus et les dépenses des sujets afin de maintenir l'efficacité des systèmes. En se
basant sur les mêmes données qui ont été analysées dans l'article de 1971, il montre que les
sujets ayant accumulé des montants élevés d'épargne tendent à être démotivés et à offrir
moins d'effort. Aussi, il remarque une diminution progressive de leur revenu en tenne de
38 Ces faits stylisés sont principalement ceux présentés par R. Dorfman en 1964 dans The Priee System. 39 Il faut ici rappeler que la loi d'effet prédit aussi une demande à pente négative. Aussi, la supériorité de l'approche économique sur les théories du renforcement repose en grande partie sur les notions de substituabilité et d'élasticité croisée qui offrent une manière intuitive et plus complète de comprendre le phénomène. Pour plus de détails à ce sujet, voir la section 2.3.
29
jetons obtenus. Encore une fois, l'auteur conclut que le seul principe du renforcement ne peut
expliquer ce type de modification du comportement en réaction à des changements autres que
la simple modification des ratios de renforcement dans l'environnement du sujet. Certaines
dynamiques temporelles comme le niveau de l'épargne accumulée par les sujets à différents
moments de la thérapie doivent aussi être considérées. Avec ces deux articles, Winkler croit
donc avoir démontré qu'il existe des interactions complexes entre plusieurs variables
économiques qui ne sont généralement pas prises en compte par les psychologues lorsqu'ils
manipulent le design des économies de jetons en tenant uniquement compte des intuitions
fournies par les différentes théories du renforcement.
1.3.2 Rachlin, Green et l'étude du contrôle de soi
En marge des travaux de Winkler et Krasner, une autre cellule préparait à Stony
Brook un rapprochement avec la réflexion économique. Cette cellule naît à l'arrivée de
Rachlin et Green au Département de psychologie en 1969. Green vient alors tout juste de
terminer ses études de baccalauréat à la New School for Social Research à New York.
Écoutant le conseil d'un de ses professeurs d'anthropologie40 et suivant son intérêt pour la
psychologie de l'apprentissage, il décide d'intégrer le Département de psychologie de Stony
Brook où on lui assigne Rachlin comme directeur. Il ne sait alors même pas qu'il travaillera à
l'intérieur du laboratoire animal que Rachlin travaille par ailleurs encore à mettre en place à
son arrivée à l'automne 1970. C'est à l'intérieur de ce laboratoire que se dérouleront dans
quelques années les premiers tests expérimentaux confrontant la théorie économique au
comportement animal. C'est toutefois dans une direction différente que travailleront Rachlin
et Green pour au moins les trois prochaines années. Leur premier article conjoint qu'ils
publient en 1972 dans le JEAB s'intitule «Commitment, Choice and Self-Control». L'article
établit le cadre théorique à l'intérieur duquel la majorité de leurs travaux subséquents vont
s'inscrire. Ils y instituent en réalité un véritable paradigme expérimental qui servira de
canevas à toute une littérature portant sur l'étude du contrôle de soi. L'intuition sur laquelle
repose l'expérience présentée par l'article s'inspire grandement de la procédure que Azrin et
Powell avaient imaginée en 1968. D'emblée, Rachlin et Green établissent un lien entre la
40 Mentionné en entrevue le 24 juillet 2006.
30
boîte thérapeutique imaginée par Azrin et Powell et la participation volontaire à des
programmes de prélèvements salariaux automatiques auxquels plusieurs travailleurs adhèrent
afin d'accumuler des économies. Au moment de la signature du contrat permettant à la
compagnie d'effectuer les prélèvements, les préférences du sujet sont d'économiser ce
montant d'argent alors qu'au moment de la réception de la paye, les préférences du sujet sont
de la consommer en entier, ce qui confère en réalité à l'accord sa raison d'être. Aussi, toute
théorie de la décision doit selon Rachlin et Green tenir compte de la possibilité de ce type de
renversement des préférences dans le temps. Aussi, leur objectif fondamental est de travailler
à la construction d'un tel modèle général de la décision. À ce titre, leur point de départ est la
matching law modifiée proposée par Baum et Rachlin en 1969 qui stipule entre autres que la
valeur relative attribuée à une option est en relation inverse avec le délai qui sépare le choix
du sujet de l'obtention du renforcement41 . Cela revient à dire que le taux d'actualisation ne
peut être considéré indépendant du temps comme il est d'usage de le présupposer en
économie où la fonction d'actualisation décrivant les préférences intertemporelles du sujet est
généralement parabolique. Pour Rachlin et Green, le taux auquel les sujets actualisent les
valeurs futures dépend nécessairement lui-même du temps séparant ce dernier de l'obtention
du renforcement.
En vue d'étudier plus en détails ce renversement des préférences, Rachlin et Green
ont recours à cinq pigeons males adultes maintenus à 80% de leur masse corporelle de libre
consommation. Ces demiers sont confrontés à deux séries de choix. Lors d'une première
étape, les pigeons disposent d'un nombre illimité de coups de bec qu'ils doivent distribuer
entre deux leviers surmontés de voyants lumineux translucides. Les sujets peuvent passer à
l'étape suivante dès qu'ils ont appuyé 25 fois sur un des deux leviers. À la deuxième étape,
les pigeons disposent d'un seul coup de bec qu'ils doivent allouer à un des leviers activés. Si
les pigeons appuient 25 fois sur le levier de gauche à la première étape, les voyants
s'éteignent pour un délai T. Un des voyants se rallume ensuite vert et ['autre se rallume
41 Supposons par exemple que VI / V2 = AI / A2 X O2 / DI où les Vi représentent les valeurs du renforcement associé aux deux distributeurs, où les Ai représentent les quantités de renforcement associées aux deux distributeurs et où et les Di représentent les délais séparant l'occurrence de l'action renforcée de l'obtention des renforcements qui sont associés aux deux distributeurs. Si AI / A2 = 2 (le levier 1 distribue deux fois plus de renforcement), que D, = 4 et que O2 =0, on a alors VI / V2 < 1 et l'option 2 est préférée. Toutefois, si l'on allonge les deux délais de 10 secondes et qu'ils passent respectivement à 10 et 14 secondes, nous avons plutôt VI / V2 > 1 et l'option 1 est préférée. Voir Rachlin et Green (1972).
31
rouge. Si les pigeons appuient alors sur le voyant vert, ils obtiendront un accès à du
renforcement pendant 4 secondes après un délai d'attente supplémentaire de 4 secondes. S'ils
appuient sur le voyant rouge, ils obtiendront immédiatement un accès de deux secondes au
renforcement après quoi les deux voyants s'éteindront de nouveau. Toutefois, si les pigeons
choisissent initialement d'appuyer 25 fois sur le levier de droite, seul le voyant vert se
rallumera après le délai T et ils obtiendront alors automatiquement un accès de 4 secondes
après avoir patienté 4 secondes supplémentaires. Dans ce cas, tout appui sur le levier
correspondant au voyant éteint n'a aucune conséquence positive. Aussi, lorsque confrontés au
choix deux, tous les sujets ont préféré l'option la moins avantageuse démontrant ainsi leur
préférence marquée pour une satisfaction immédiate. En choisissant initialement le levier de
droite, le sujet peut donc profiter de la possibilité de se contraindre lui-même à choisir
l'option la plus avantageuse à la deuxième étape. Les résultats recueillis à l'aide de cette
procédure démontrent que les sujets sont incapables de restreindre leur choix jusqu'à une
valeur critique de T à partir de laquelle ils choisissent systématiquement l'option la plus
avantageuse en appuyant initialement sur le levier de gauche. Rachlin et Green en font état
dans un article de 1972 publié dans le JEAB où ils iront jusqu'à suggérer qu'en matière de
contrôle de soi l'unique différence entre les animaux et les hommes est que ces derniers ont
la capacité de mettre en place des mécanismes, comme celui proposé par Azrin et Powell en
1968, pouvant les contraindre à choisir l'alternative préférée. Cette suggestion repose sur
l'observation que lorsque confrontés à de tels choix, un éventail assez large d'espèces semble
être en mesure de se contraindre à adopter l'alternative la plus profitable (au moins pour
certaines valeurs de T).
La procédure expérimentale qui vient d'être décrite a été inspirée par une expérience
menée en 1969 par G. W. Ainsly qui étudiait alors au Pigeon Lab où il était en contact avec
Rachlin42 . Les résultats de l'expérience de Airrsly seront aussi publiés dans leJEAB en 1974 à
l'intérieur d'un article titré «Impulse Control in Pigeons»43. L'originalité de la procédure de
Rachlin et Green par rapport à celle utilisée par Ainsly réside dans le fait que ces derniers ont
42 Ainsly a par la suite intégré le Massachussets Mental Health Center à Boston, 43 Voir Rachlin et Green (1972), p, 17. Un compte rendu de l'expérience de Ainsly peut être consulté dans Rachlin (1970), pp, 186-188. Green a aussi affirmé en entrevue que Rachlin était très probablement derrière les intuitions sur lesquelles repose l'expérience de Ainsly. Les deux étaient alors à Harvard,
32
confronté les sujets à deux alternatives concurrentes de renforcement et qu'ils ont clairement
mis en lumière le renversement des préférences des sujets en fonction de la valeur du délai T
séparant leur réponse et l'obtention du renforcement. Dans l'expérience initiale de Ainsly, les
sujets avaient le choix entre une petite quantité de renforcement délivrée instantanément
qu'ils obtenaient en appuyant sur un levier et une plus grande quantité délivrée plus tard
qu'ils obtenaient en s'abstenant d'appuyer sur le même levier. Les sujets ont préféré la plus
petite quantité de renforcement plus de 95% des fois, démontrant ainsi leur «impulsivité».
Toutefois, lorsqu'un choix supplémentaire consistant à appuyer sur un levier dans une
première phase de l'expérience pouvait les contraindre à ne pas appuyer sur le levier lors de
la deuxième phase de l'expérience, trois sujets ont choisi systématiquement cette option.
Avec Rachlin et Green, Ainsly sera le principal contributeur à la littérature sur le contrôle de
soi qui étudie un ensemble de problématiques reliées à la prise de décisions intertemporelles.
En 1975, Ainsly publie «Specious Reward: A Behavioral Theory of Impulsiveness and
Impulse Control» dans le Psychological Bulletin. L'article présente d'abord une revue de la
littérature portant sur la question du contrôle de soi qui couvre les analyses économique,
sociologique et psychiatrique en plus de présenter des résultats expérimentaux colligés lors
d'expérimentations animales. Il présente ensuite une discussion sur les particularités
recherchées pour les fonctions d'actualisation et discute des fonctions hyperboliques
proposées pour la première fois par Chung et Herrnstein en 1967. Incontestablement, les
articles de Rachlin et Green (1972) et Ainsly (1975) instituent les bases du programme de
recherche qui va se développer dans les années qui vont suivre autour de l'étude du contrôle
de soi. Les liens de ce programme de recherche avec les travaux de Rachlin et Green avec
Kagel et Battalio seront explorés plus en profondeur dans un chapitre subséquent.
1.4 L'économie expérimentale à l'Université Texas A&M
En 1970, alors que les départements de psychologie de Harvard et de la SUNY à
Stony Brook participent au développement rapide de la psychologie comportementale, Kagel
et Battalio viennent tout juste d'intégrer l'Université Texas A&M auprès de Basmann, leur
33
directeur de thèse à l'Université Purdue44 • À Purdue, ils avaient travaillé avec Basmann dans
le champ en plein essor de l'économétrie. L'objectif général de leur thèse respective était de
démontrer les limites des techniques économétriques traditionnelles reposant sur l'utilisation
de banques de données transversales agrégées45 • Aussi, au moment où ils quittent Lafayette,
les trois économistes cogitent sur le besoin de développer des méthodes alternatives qui
permettraient de pallier aux difficultés rencontrées dans l'utilisation des techniques
économétriques traditionnelles.
J.4. J De J'économétrie à l'économie expérimentale
La même année que Kagel et Battalio intègrent l'Université Texas A&M, Barry
Castro du Collège Hostos de la City University of New York et Kenneth Weingarten de la
Human Resources Research Organization de Monterey publient un article provocateur dans
le JPE qui suggère à la communauté économique de s'intéresser davantage aux techniques
expérimentales développées dans le cadre de recherches menées en psychologie
comportementale sur le cond itionnement opérant. Selon les auteurs, si les méthodes
expérimentales n'ont pas encore conquis la discipline, c'est que les économistes qui les ont
défendues se sont toujours rebutés à utiliser des sujets animaux dans le cadre de leurs
travaux. Selon Castro et Weingarten :
«Restriction to human subjects has imposed serious limitations on economic experimentation. These include an inability to study the effects of substantial economic payoffs and risks, an inability to eliminate significant contamination by the extraexperimental weaJth and income of experimental subjects, an inability to run long-term experiments, and an inability to avoid distortion resuJting from the experimental subject's awareness of the artificial nature of the experimental situation. While economists have noted these limitations, they have incorrectly ascribed them to the experimental method per se, rather than to the restrictions of that method to human subjects. Consequently, neither the feasibility, nor the full implications of experimental economics have yet been developed. 46»
Aussi, en réponse à ceux qui soulèveraient d'éventuelles difficultés quant à la possibilité de
généraliser des résultats obtenus sur d'autres espèces à l'intérieur d'environnements
44 Avant de terminer ses études doctorales à Purdue, Battalio avait terminé des études de premier et deuxième cycles en économie à l'Université de la Californie à Berkeley. Quant à Kagel, son parcours l'avait plutôt amené à terminer des études de premier cycle en économie à j'Université Tufts en 1964 avant d'entreprendre des études de deuxième cycle en affaires publiques et internationales qu'il termina en 1966 à l'Université de Pittsburgh. 45 Les thèses de Kagel et Battalio n'ont malheureusement pas été consultées. Kagel et Battalio auraient toutefois développé un modèle théorique conjointement avec Basmann avant de l'appliquer dans leur thèse respective à des cas de figures différents. Mentionné par Kagel lors de l'entrevue du 21 juillet 2006. 46 Castro et Weingarten (1970), p.599.
34
expérimentaux à des comportements humains à l'intérieur d'environnements institutionnels
réels, les auteurs répondent tout simplement que la question doit être tranchée
empiriquement. Pour le reste, les auteurs semblent surtout intéressés à étudier les impacts des
phénomènes monétaires dans le contexte d'expériences menées avec des sujets répondant à
des renforcements conditionnés. Ainsi, les auteurs soulignent qu'il serait par exemple
possible de renforcer certains comportements avec des jetons chez des primates ou même des
rats et des pigeons après avoir conditionné l'usage de ces jetons avec des renforcements
primaires47 . Dans ce contexte, il serait possible de tester l'impact de changements de prix à
l'aide de différentes contingences de renforcement à ratios fixes sur la consommation de
différents renforcements primaires. Castro et Weingarten ne concrétiseront toutefois jamais
eux-mêmes les avenues de recherche qu'ils ont ouvertes.
De manière assez inusitée, c'est à une soirée tenue dans la famille de la conjointe de
Kagel que l'on doit le premier rapprochement de Kagel et Battalio avec des psychologues du
comportement. Kagel aurait selon ses dires à l'occasion de cette fête résumé le contenu de ses
travaux économétriques à son beau-frère qui était psychologue de formation48. Ce dernier lui
aurait alors mentionné que les travaux de Azrin sur les économies de jetons pourraient à son
avis offrir plusieurs possibilités intéressantes en vue de tester certains axiomes de la théorie
économique. Il lui recommandait en outre fortement de lire The Token Economy (1968) de
Ayllon et Azrin pour s'en faire sa propre idée. C'est donc après une lecture attentive de
l'ouvrage que Kagel a décidé de prendre contact avec Azrin qui était toujours au Anna State
Hospital en lui expliquant dans une lettre qu'il croyait qu'il serait intéressant d'entreprendre
une coopération qui pourrait somme toute bénéficier aux deux parties. À cette lettre, Azrin
aurait répondu qu'un psychologue australien de passage à Stony Brook travaillait justement
sur un tel projet. C'est ainsi que Kagel prit contact avec Winkler qui se montra aussitôt
intéressé à entreprendre une collaboration. Aussi, en 1971, un an après leur arrivée à
l'Université Texas A&M, Kagel, Battalio et Basmann s'embarquaient conjointement avec
47 Battalio et Kagel négligeront plus tard de développer cette possibilité prétextant qu'elle serait trop coûteuse en rapport aux bénéfices marginaux qu'elle pourrait engendrer. En somme, Battalio et Kagel ne s'intéressent pas du tout aux relations entre l'économie réelle et l'économie monétaire et considèrent fort probablement que cette dernière ne présente aucune particularité fondamentale. Cela peut s'expliquer en partie par leur adhérence aux théories monétaristes de l'École de Chicago. 48 Cet épisode a été rapporté par Kagel lors de l'entrevue du 21 juillet 2006.
35
Winkler et Fisher dans un projet qui consistait à modifier le design de l'économie de jetons
déjà en place au Central lslip Hospital de New York49. C'est dans cet esprit général que
Kagel, Battalio et Basmann ont été financés entre 1971 et 1977 par la NSF pour un projet
intitulé «Interpretation Systems for Empirical Economie Theories with Application to
Theories of Consumer and Factor Demand». L'appui indéfectible et la notoriété de Basmann
les auraient, selon Kagel, fortement aidés à obtenir ce financement. Basmann ne s'est
toutefois jamais réellement impliqué dans ce projet. Dès 1972, Kagel publie une courte note
dans le JPE qui s'intitule «Token Economies and Experimental Economies». Kagel y
introduit son propos en disant:
«The purpose of this note is to extend the discussion begun by Castro and Weingarten in this Journal on the application of experimental techniques ta the study of economic behaviour. 1report the development of special economic systems for human populations, called token economies, that provide potential laboratories for economic experiments. Economic experimentation in token economies is offered as a complement and supplement to experimentation with animal populations suggested by Castro and Weingarten and not as an alternative to such experiments.50»
La note présente ensuite les caractéristiques et le mode de fonctionnement des économies de
jetons en portant une attention particulière au contenu des deux articles publiés par Winkler
en 1971 et 1973.
La même année, Kagel et Winkler développeront les propositions mises de l'avant
par Castro et Weingarten dans un article intitulé «Behavioral Economics51 : Areas of
Cooperative Research Between Economies and Applied Behavioral Analysis» qui marque
concrètement le début d'une collaboration fructueuse. L'article a une importance particulière
parce qu'il en dit long sur les motivations de Kagel et Battalio et sur le programme de
recherche qu'ils développeront ensemble aux côtés de Fisher, Winkler, Rachlin et Green dans
les vingt années suivantes. Si l'objectif des auteurs est surtout de plaider pour un
rapprochement entre les psychologues du comportement et les économistes, ils s'efforcent en
particulier de convaincre ces derniers de l'urgence d'emprunter cette voie afin de pallier à
d'importantes faiblesses dans la base empirique des modèles théoriques élaborés dans la
discipline. Cette attaque s'orchestre en deux temps. D'abord, Kagel et Winkler déplorent le
49 Le projet était déjà administré par Winkler sous l'égide de Krasner lorsque Kagel et Battalio ont été impliqués. 50 Kagel (1972), p.779. 51 Les auteurs font ici référence à la branche de la microéconomie qui étudie le comportement individuel. Voir Kagel et Winkler (I972), p.335. Dès 1973, le terme désignera plutôt l'aire de recherche à cheval entre l'économie expérimentale et la psychologie comportementale. Voir Miles (1975), p.viii.
36
primat de la branche théorique sur la branche empirique qui caractérise généralement les
études économiques du comportement individuel. Selon les auteurs: «This mold is the
traditional conception of a scientific theory as an "axiom system", in which it is supposed
that the "axioms" are a priori propositions, i.e. absolutely nondemonstratable, yet known to
be true by their self-evidence to ail thinking minds.52» Reprenant ensuite les propos de O.
Morgenstern (1963), ils affirment que la piètre qualité des données invalide de facto les
résultats des analyses économétriques classiques. Pour eux: «It is exceedingly difficult, and
frequently impossible, to determine exactly what, if anything, the numbers designate even
when prepared by the finest economic-statistical institution.53» Aussi : «The result of
following these research strategies is that there is a fundamental imbalance in behavioral
economics between work on slowly growing but still weak observational foundation and a
proliferating super-structure of observationally uninterpreted theories and tedious arithmetic
computational techniques.54»
La solution qu'ils proposent à ces problèmes est évidemment une coopération entre
les microéconomistes et les psychologues du comportement qui ont en leur possession
plusieurs techniques expérimentales permettant une étude systématique des comportements
individuels par la création de données fiables pouvant procurer des bases empiriques solides
aux théories néoclassiques de la décision. Sans prétendre établir une liste exhaustive des
avenues potentielles de recherche dans cette direction, les auteurs identifient ensuite
différentes aires qui pourraient selon eux profiter particulièrement d'une telle collaboration.
Winkler et Kagel semblent surtout enthousiastes face aux possibilités offertes par l'étude des
données recueillies dans le cadre des économies de jetons. Ils suggèrent toutefois aussi la
possibilité d'appliquer certaines méthodologies expérimentales développées dans l'étude des
principes du conditionnement opérant sur des sujets animaux afin d'étudier le comportement
économique. Aussi, ils affirment que: «Laboratory studies of the behavior of animais below
the human level are long overdue in economics. [... ] [It] is an untapped and immediately
accessible source of information about economic behavior. 55» Ils en concluent donc que:
S2 Kagel et Winkler (1972), p.336. S3 Kagel et Winkler (1972), p.337. S4 Kagel et Winkler (1972), p.337. ss Kagel et Winkler (1972), p.340.
37
«we may suppose that the economic processes and relations studied are definable or expJainable in terms of processes and relations of operant conditioning. That is, that the behavior observed will be consistent with reinforcement principles as currently understood. However, there is no assurance that this will be the case; rather, the behavior observed may be found to be inconsistent with or simply be outside the current scope of rein forcement theory. Thus, the attempt to extend the experimental analysis of behavior to the study of economic behavior is of vital interest to both economists and psychologists.56»
Aussi, Kagel et Battalio collaboreront activement jusqu'en 1978 avec Winkler et Fisher sur
l'application du modèle économique aux thérapies béhaviorales des économies de jetons. Ils
publieront plusieurs articles qui voudront montrer comment la connaissance de certains
résultats de la théorie économique peut améliorer l'efficacité des contingences de
renforcement mises en place dans le contexte thérapeutique des économies de jetons et
comment inversement l'économie peut bénéficier des observations qui y sont recueillies pour
valider empiriquement certains de ces résultats théoriques qui sont plus difficilement
vérifiables par les méthodes quantitatives habituelles. Durant cette période, Winkler fut
même professeur associé au Département d'économie de l'Université Texas A&M avant son
retour en Australie à l'Université de New South Wales.
1.4.2 La conférence de l'Addiction Research Foundation
Une des traces importantes de la coIlaboration entre Kagel et Battalio et Winkler et
Fisher sur le design des économies de jetons est le recueil des textes présentés à une
conférence tenue en octobre 1973 à Toronto par la Addiction Research Foundation. Le
recueil porte le titre «Experimentation in ControIled Environment: Its Implications for
Economic Behaviour and Social Policy Making»57. Kagel, Battalio, Basmann, Winkler,
Fisher et Krasner sont tous présents à cette conférence où ils présentent quatre articles en lien
avec leurs travaux à la frontière de l'économie expérimentale et de la thérapie
comportementale. 11 s'agit des premières analyses communes de nouvelles données émanant
de la collaboration entreprise il y a alors plus de deux années. Aussi, le recueil des articles
présentés à cette occasion publié deux ans plus tard en 1975 est un document qui retrace
mieux que tout autre l'esprit qui animait à cette époque le groupe. On peut entre autres y lire
dans la courte introduction de C. G. Miles:
56 Kagel et Winkler (1972), pp.340-341 57 La conférence suit la parution du Rapport LeDain sur les impacts de la consommation de cannabis par la Commission d'enquête du Canada sur l'usage non médical des drogues.
38
«The eleven papers by a group of researchers with a variety of expertise and experience in dealing with the many facets of human behaviour, represent the fields of experimental psychology, economics, psychiatry, statistics, ecology, architecture, clinical psychology, pharmacology, animal behaviour and anthropology. [... ] Participants in the Symposium recognized that underlying ail the discussions was the creation of a new interdisciplinary approach which could be called behavioural economics. 58»
Les onze essais qui y sont présentés traitent des procédures et des résultats d'une expérience
menée dans un hôpital de Toronto où cinq hommes consommant du cannabis ont consenti à
évoluer pour une période de 70 à 90 jours à l'intérieur d'un environnement contrôlé où ils
leur étaient possible d'effectuer du travail rémunéré et d'acheter des biens divers, y compris
du cannabis et de l'alcool, selon des conditions fixées par les expérimentateurs. Les
particularités de cette expérience par rapport aux économies de jetons traditionnelles sont
décrites par Miles de la manière suivante:
«This was a departure from previous research in three respects. Il represented one of the few longterm studies in the field. Unlike 'token economy' experiments, where subjects are patients or prisoners and modification of behaviour was a partial purpose of the experiment, these were volunteers and the only aim was to observe drug effects. For the former, tokens were the medium of exchange, for the latter, currency equivalent. From these beginnings, the experimental 'micro economy' came into existence.59»
Les objectifs poursuivis par les expérimentateurs étaient donc uniquement d'observer les
impacts de différents patterns de consommation des sujets sur leur productivité, leur offre de
travail et leur revenu total, et non de favoriser la diminution de leur consommation. Une
description plus détaillée des procédures mises en place a été publiée après la conférence et
avant la publication du recueil en supplément du volume 34 (1974) de Acta Pharmacologica
et Toxicologica. L'essai intitulé «An Experimental Study of the Effects of Daily Cannabis
Smoking» est aussi inclus en ouverture du volume retraçant les travaux de la conférence de
1973.
Kagel et Battalio ont d'abord présenté avec Miles et G. F. Rhodes un essai intitulé
«The Effects of Cannabis and Negotiated Wage Rate Changes on Income and Job
Performances in an Experimental Token Economy». Les auteurs y rapportent que les effets
de la consommation de cannabis sur la production et le revenu ont été tels que prévu négatifs,
des résultats pouvant être expliqués par le fait que la consommation du cannabis requiert du
58 Miles (1975), pp. vii-viii. 59 Miles (1975), p.vii. Les sujets se voyaient offrir un bonus de 200 dollars s'ils ne quittaient pas l'expérience avant la fin de la période entendue de 70 jours. À leur sortie, ils étaient aussi en mesure d'échanger les jetons qu'ils avaient épargnés pour des dollars canadiens. S'ils quittaient avant la fin de cette période, ils ne recevaient pas le bonus et devaient échanger leurs jetons pour seulement le quart de leur valeur en dollars canadiens. Pour plus de détails à ce sujet, voir Miles, Congreve, Gibbins, Marshman, Devenyi et Hicks (1974), pp.14-15.
39
temps. Aussi, les heures allouées au loisir et la consommation d'alcool ont augmenté
parallèlement à la consommation de cannabis. Par ailleurs, la productivité des sujets n'a pas
été affectée par cette dernière. Le groupe a présenté avec Miles un autre essai intitulé
«Income, Consumption and Savings in Controlled Environments: Further Economic
Analysis». L'essai reprend en grande partie l'analyse que Winkler a proposée dans son article
de 1973 (écrit en 1971) sur l'importance de maintenir la balance entre les revenus et les
dépenses des sujets afin de maintenir l'efficacité des systèmes d'échange de jetons. La
particularité de l'article est que les auteurs y confrontent les données recueillies à l'intérieur
de l'économie de jetons élaborée par la Addiction Research Foundation en 1973 où les jetons
étaient échangeables en devises réelles et où le système ne poursuivait aucun objectif incitatif
aux données colligées dans le contexte du système d'échange de jetons mis en place au
Central Islip State Hospital de New York où les jetons n'étaient pas échangeables pour des
devises réelles et où le système poursuivait des objectifs thérapeutiques6o. Les auteurs veulent
ainsi vérifier si les phénomènes observés par Winkler (1973) sont reproduits à l'intérieur de
ces deux économies expérimentales de types différents61 • D'une part, les faits stylisés
rapportés par Winkler (1969, 1971, 1973) sont bien vérifiés par les données de l'expérience
menée au Central Islip State Hospital; après une première période durant laquelle les revenus
des sujets dépassent leurs dépenses, une seconde période est caractérisée par la dilapidation
des excédents de jetons accumulés. Durant cette seconde période, la motivation des sujets est
en baisse. D'autre part, cette dynamique n'est pas observée dans les données de l'expérience
de l'Addiction Research Foundation où l'épargne des sujets est plus élevée tout au long de la
durée de l'expérience, ce qui s'explique par le fait que les jetons sont échangeables contre des
dollars canadiens à la fin de la période expérimentale.
Battalio, Kagel et Winkler présentent ensuite un essai intitulé «Analysis of Individual
Behaviour in Controlled Environments: An Economist's Perspective». L'objectif de l'essai
est de convaincre les psychologues et les économistes que chacune des disciplines a
beaucoup à gagner d'une coopération dans le contexte des économies de jetons. Toutefois, si
60 Les détails de cette expérience sont présentés dans une miméographie intitulée «Central Islip Token Economy Experiment 1: Sources and Methods of Data Collection and Processing» qui n'a toutefois jamais été publiée et dont il a été impossible d'obtenir une copie. 61 L'analyse des données recueillies au Central Islip State Hospital de New York vise donc uniquement à reproduire les résultats présentés par Winkler (1973).
40
l'article de Kagel et Winkler publié dans le JABA en 1972 et celui de Kagel dans le JPE
publié la même année visaient d'abord à informer les économistes des possibilités offertes
par une telle coopération, le chapitre de Battalio, Kagel et Winkler reprend plutôt l'objectif
poursuivi par les atticles de Winkler publiés en 1971 et 1973 et vise à persuader les
psychologues du bien fondé du recours aux modèles économiques dans la gestion des
économies de jetons. Pour ce faire, les auteurs empruntent cette fois une approche négative
en voulant montrer comment la théorie économique peut identifier certaines faiblesses des
approches psychologiques. Le groupe a aussi publié dans le recueil un chapitre intitulé
«Methodological and Conceptual Issues in Testing Economie Theory of Consumer Demand
in a Token Economy». L'essai est intéressant parce que pour la première fois, les travaux
expérimentaux menés par Rachlin et Green, qui serviront plus tard de base au premier article
conjoint de Kagel et Battalio et Rachlin et Green, sont mentionnés. On peut entre autres y
lire:
«it wou Id seem that the very same arguments in behaviour modification which stress operant principles established in animal research can be used to cali for animal research into economic behaviour. The assumptions of consumer demand theory are essentially assumptions about choice behaviour in the face of budget constraints, prices and commodities. Choice behaviour with animaIs can be defined as responses on keys, where one key is followed, for example, by food, and another by water. Prices can be defined as the number of key presses required to produce a unit of food or water. Budgets can be defined as the number of responses available to the subject in a given time period. In this way, behavioural economics in animal research, token economy research, and research in national economies can be closely integrated, such that operant and economic theory are blended, with the flow of ideas and melhods going from applied lo basic research, and from basic lo applied research. Research wiLh animais on consumer demand lheory is now under way, lhereby linking up wilh token economy study described here and the national economy studies of Koo (1963), Mossim (1972), and others62 »
Le dernier passage est explicite quant au fait que Kagel était déjà en contact avec Rachlin et
qu'ils avaient discuté de l'importance de mener de tels travaux pour les deux disciplines.
C'est évidemment par l'entremise de Winkler et Fisher que Kagel et Battalio ont
connu Green et Rachlin63 à l'occasion d'une conférence que Kagel a donnée à la SUNY à
Stony Brook. Kagel rapporte qu'au tout début de cette conférence, un groupe de
psychologues réfractaires à l'utilisation des modèles économiques dans leur discipline aurait
62 Batlalio, Kagel et Winkler (1975), pp.I09-l 10. 63 Battalio, Kagel, Winkler, Fisher, Basmann et Krasner ont publié conjointement beaucoup d'autres articles jusqu'en 1978. Voir: Batlalio, Kagel, Winkler, Fisher, Basmann et Krasner (1973 et 1974); Kagel, Battalio, Winkler et Fisher (1977); Fisher, Winkler, Krasner, Kagel, Battalio et Basmann (1978a et 1978b).
41
tout simplement quitté la salle après l'avoir rabroué4. C'est donc avec surprise que Kagel a
par la suite pris connaissance de l'intérêt que Rachlin et Green ont démontré lors d'une
conversation qui se serait tenue tout juste après la fin de la conférence. Rachlin aurait alors
tout simplement dit à Kagel que les lois qu'il tentait de valider avec les données provenant
des économies de jetons pourraient plus facilement être testées sur des animaux en
laboratoire. Rachlin aurait aussi ajouté qu'il croyait que certaines données déjà en sa
possession pourraient probablement servir à de tels tests.
1.5 Conclusion
En 1973, au moment où Kagel prononce sa conférence au Département de
psychologie de la SUNY à Stony Brook, la table est déjà mise pour que la collaboration entre
lui, Battalio, Rachlin et Green voit le jour. Dans l'Est des États-Unis, l'orthodoxie néo
béhavioriste de Harvard dont est issu Rachlin travaille au développement d'une psychologie
quantitative et expérimentale du comportement basée sur les principes du conditionnement
opérant. Pendant ce temps, au Centre du pays et en marge de cette orthodoxie, Azrin, un autre
brillant élève de Skinner au Pigeon Lab de Harvard, développe des techniques thérapeutiques
novatrices sur la base des théories développées à Harvard, la plus révolutionnaire demeurant
la mise en place d'économies de jetons. Enthousiastes devant l'ensemble de ces
développements, plusieurs psychologues du jeune et dynamique Département de psychologie
de la SUNY à Stony Brook poussent alors le rapprochement vers l'économie un peu plus
loin. Un premier groupe, composé de Krasner, Winkler et Fisher, suggère d'abord que
l'utilisation de modèles économiques pourrait raffiner l'analyse des dynamiques
comportementales observées à l'intérieur des économies de jetons, ce qui pourrait
éventuellement mener à l'amélioration de leur efficacité thérapeutique. De leur côté, Rachlin
et Green élaborent un cadre expérimental novateur pour étudier le phénomène du contrôle de
soi. Pour Rachlin, il s'agit déjà de trouver des réponses à des problématiques qui ne peuvent
pas être adéquatement traitées par les théories orthodoxes du renforcement, et en particulier
de pallier aux lacunes de la matching law qui ont récemment été identifiées. Sensible à tout
64 Mentionné dans l'entrevue du 21 juillet 2006.
42
ce foisonnement d'idées, Rachlin est probablement celui qui le premier a saisi le potentiel
que le modèle économique de maximisation de l'utilité représentait pour sa discipline.
Pendant ce temps, dans le Sud du pays, Kagel, Battalio et Basmann arrivent à la
conclusion que les techniques économétriques traditionnelles souffrent de lacunes
importantes qui remettent en cause la solidité des fondations empiriques de la discipline. En
particulier, ils leur semblent que l'économétrie ne sera jamais en mesure de fournir un cadre
adéquat pour tester les prédictions du modèle de maximisation de l'utilité qui concernent des
comportements individuels. Aussi, il s'agit pour ces derniers de développer des techniques
empiriques alternatives qui seraient mieux adaptées à cette tâche. Lorsque Kagel est mis au
courant de l'existence des économies de jetons, il a l'intuition que ces environnements dont
les paramètres sont contrôlés par les expérimentateurs sont des occasions privilégiées de
générer des données fiables sur les comportements économiques individuels. Il contacte donc
Azrin qui lui réfère naturellement Winkler qui s'intéresse déjà aux modèles économiques.
Plus tard, lorsque Kagel prononce sa conférence à Stony Brook, lui et Battalio ont déjà
envisagé d'avoir recours à des données expérimentales recueillies sur des sujets animaux
évoluant à l'intérieur d'environnements contrôlés. Déjà préparé à cette idée, Kagel accepte
sur le champ l'offre que Rachlin lui fait de partager son expertise et certains de ces résultats
expérimentaux dont il a déjà l'intuition qu'ils ne sont pas sans rappeler les comportements
économiques qui ont été observés à l'intérieur des économies de jetons. Du reste Kagel,
Battatio, Rachlin et Green sont alors tous de jeunes universitaires ambitieux qui se soucient
peu des remous que leurs travaux pourraient éventuellement causer. Plus que tout, il faut
peut-être concéder que leur alliance flottait simplement dans l'air du temps. Comme nous le
verrons dans le prochain chapitre, plusieurs allaient bientôt proposer un tel rapprochement
visant en définitive à réunir le raffinement des modèles théoriques formels des déterminants
de l'action élaborés par les économistes et les méthodologies expérimentales développées par
les psychologues du comportement.
CHAPITRE II
VERS UNE ÉCOLOGIE ÉCONOMIQUE (1973 - 1983)
2.1 Introduction
Dès 1973, Kagel et Battalio, en parallèle avec leur collaboration avec Winkler,
Krasner et Fisher sur l'analyse économique des économies de jetons, et Rachlin et Green, en
parallèle avec leurs travaux communs sur le contrôle de soi, élaborent une série d'expériences
visant à confronter les prédictions du modèle de maximisation de l'utilité au comportement
de pigeons et de rats évoluant à l'intérieur de boîtes de Skinner. Ce n'est toutefois que
quelques années plus tard, en 1975 et 1976, que les résultats de ces premières expériences
seront présentés à leur discipline d'attache respective. Débute alors une période s'étalant
jusqu'au début des années quatre-vingt pendant laquelle le groupe tente de convaincre ses
pairs des bénéfices réciproques qu'ils pourraient retirer d'une telle coopération. Devant les
multiples anomalies qui ont été identifiées dans la littérature sur la matching law depuis le
milieu des années soixante, plusieurs psychologues comme J. Allison, S. R. Hursh et S. E. G.
Lea reconnaissent très vite les avantages de l'approche économique sur les théories
classiques du renforcement. Certains, dont Allison, auraient même reconnu ces avantages
avant de prendre connaissance des expériences menées par Kagel et al. Très vite, l'intérêt
démontré par ces derniers pour l'approche économique suscitera plusieurs contre-réactions
du noyau dur de l'orthodoxie néo-béhavioriste de Harvard qui se regroupe afin de défendre la
matching law. Le Second symposium sur l'analyse quantitative du comportement tenu à
Harvard en 1979 n'est qu'une des multiples occasions qui provoqueront des échanges parfois
virulents entre les tenants des deux approches théoriques. Quant à lui, le débat que Kagel et
Battalio voudraient susciter à l'intérieur de la communauté économique sur les avantages de
44
l'approche expérimentale et la pertinence d'avoir recours à des sujets animaux dans ce
contexte est plus difficile à déclencher. Les très rares commentateurs de leurs travaux se
montrent plutôt critiques, ce qui n'empêche toutefois pas le groupe de publier dans des revues
de premier plan tels l'El, le JPE ou encore l'AER.
Malgré l'opposition farouche du noyau dur de l'orthodoxie néo-béhavioriste de
Harvard et la tiédeur de la communauté économique, il semble au début des années quatre
vingt que le projet ambitieux de Kagel et al. soit en mesure de rassembler suffisamment
d'intervenants des deux disciplines pour espérer gagner progressivement en crédibilité. Cela
apparaît d'autant plus réalisable qu'en même temps que se prépare ce rapprochement entre la
psychologie comportementale et l'économie expérimentale se développe un intérêt
grandissant des biologistes du comportement pour le modèle de maximisation de l'utilité et
pour les modèles d'analyse d'interactions stratégiques qui composent la théorie des jeux. Cet
intérêt marque le début d'un nouvel épisode dans la série des chassés-croisés historiques qui
jonchent le développement des deux disciplines'. Très vite le dialogue amorcé dès le début
des années soixante-dix par Kagel et Battalio et Rachlin et Green interpelle donc aussi des
biologistes, si bien qu'au tout début des années quatre-vingt naît l'idée d'une intégration des
différentes disciplines scientifiques étudiant les déterminants environnementaux du
comportement. Ce deuxième chapitre veut d'abord montrer le difficile chemin par lequel des
membres de ces trois disciplines ont passé très près d'entreprendre l'élaboration d'un
programme de recherche commun gravitant autour de l'étude comparative de l'allocation des
ressources rares à usages alternatifs par les organismes vivants. Vu depuis le prisme de la sur
spécialisation qui caractérise la recherche fondamentale contemporaine, cet objectif peut
apparaître ambitieux. Aussi, il faut rappeler que ces événements s'inscrivent dans une époque
1 Cette influence remonte évidemment à celle que les économistes classiques ont eue sur Darwin. À cet effet, il faut évidemment d'abord mentionner l'influence avouée du Treatise on Population (1803) de Malthus. On sait aussi que Darwin aurait lu Theory ofMoral Sentiment (1759) de Smith à bord du Beagle, ce qui laisse croire qu'il était au fait du contenu de The Wealth ofNations (1776). Marx. aurait désiré dédier le Capital (1867) à Darwin, qui aurait poliment refusé son offre. Aussi, un peu.plus tard au tournant du siècle, T. B. Veblen, qui baignait dans le débat entourant les idées évolutionnistes de Spencer aux États-Unis, plaidait dans Why Is Economies Not an Evolutionary Science (1898) pour une économie construite autour du paradigme évolutionniste. Veblen, ami et admirateur du physiologiste mécaniste 1. Loeb, basait même dès le tout début du vingtième siècle son histoire économique sur la théorie des mutations de Mendel. Dans The End ofLaissez-faire (1926) Keynes affirmait que la théorie évolutionniste et la théorie classique étaient deux visages d'une même conception de la réalité et que: «Le principe même de la survie du mieux adapté pouvait être considéré comme une vaste généralisation des principes économiques ricardiens.»
45
où les idées de convergence et d'intégration étaient beaucoup plus présentes dans certains
cercles universitaires.
2.2 Les premiers tests expérimentaux sur des animaux
C'est donc en 1973, à l'occasion d'une conférence donnée par Kagel à Stony Brook
sur l'utilité de la théorie économique pour le design des économies de jetons, qu'a lieu la
première rencontre entre Kagel et Rachlin et Green2• Kagel, pour qui il s'agissait d'une de ses
premières invitations à un tel événement, se souvient avoir d'abord été chahuté par des
membres de l'assemblée visiblement réfractaires aux hypothèses simplificatrices des modèles
économiques. Ces derniers auraient même quitté la salle au milieu de l'exposé, un geste
d'éclat qui en dit long sur ce que devait être, en dehors du petit cercle des béhavioristes, la
réaction d'une majorité de psychologues face à de telles tentatives de rapprochement entre les
deux disciplines. D'autres auditeurs furent plutôt hautement intéressés par la présentation. Se
remémorant la visite de Kagel, Rachlin écrit:
«At Stony Brook 1 attended a colloquium given by Kagel on token economies in mental institutions. Afterward, 1 came up to him and told him that the economic ideas he was trying to test could be much better tested with animais; animais, 1 said, don't come and go in the experiment, experimental manipulations don't conflict with clinical ones, and motivation can be varied over a much wider range. Kagel agreed and advised me to read Newman's "Theory of Exchange") to learn a little microeconomics. 1 did that and, consulting with Kagel, designed the experiments with rats, root beer, and Tom Collins mix that Green and 1 did.\,
Kagel, qui a déjà lui-même proposé cette possibilité l'année précédente aux côtés de Winkler
dans leur article commun publié dans le JABA s, comprend très vite que Rachlin bénéficie des
ressources et de la crédibilité nécessaires pour entreprendre ce type de travaux. Rachlin, qui a
déjà réfléchi à la possibilité que la validité de la ma/ching law dans certains contextes découle
de la solution d'un problème plus général de maximisation sous contrainte, comprend pour sa
part que Kagel peut l'aider à développer cette intuition. Aussi, Green se souvient avoir été
marqué par le fait que quelques instants après leur rencontre, Rachlin et Kagel entreprenaient
déjà le design d'une première expérience. Quelques mois plus tard, en octobre 1973, Rachlin
obtiendra une subvention de recherche de la NSF pour un projet intitulé «Biological and
2 Battalio n'était pas présent à cette conférence. ) Newman fut professeur d'économie à la Johns Hopkins University de 1966 à 1990. Son livre, Theory 01 Exchange, est reconnu pour sa présentation originale de la théorie néoclassique du prix. 4 Correspondance avec Rachlin, août 2006. 5 Pour un résumé du contenu de cet article, voir pp.3S-37.
46
Economic Issues in Psychology». Au total, la NSF versera 139 800$ pour ce projet entre
1973 et 1979, des montants qui serviront à financer l'ensemble des expériences menées par le
groupe jusqu'en 1978.
2.2.1 L'entrée en scène de l'expérimentation animale en économie
C'est ainsi que la première procédure expérimentale visant à confronter le modèle de
maximisation de l'utilité au comportement animal a vraisemblablement été peaufinée par
Rachlin et Green en collaboration avec Kagel et Battalio au courant de l'année qui a suivi
leur rencontre, quelque part entre la fin de 1973 et le début de 1974. L'objectif de cette
première série de tests était de vérifier si les prédictions de l'équation de Slutsky concernant
la négativité de l'effet de substitution étaient bien respectées par les fonctions de demande
dérivées du comportement de rats confrontés à un choix entre deux biens. Concrètement, la
procédure imaginée par le groupe consistait à observer le comportement de rats confinés à
l'intérieur de boîtes de Skinner munies de deux voyants lumineux reliés à des distributeurs
dispensant respectivement de la nourriture et de l'eau. Au début d'une période expérimentale
de 24h, les deux voyants lumineux s'allumaient pour signifier aux sujets que les distributeurs
entraient en fonction. Le revenu disponible des sujets était à ce moment fixé par le nombre
total de fois qu'il leur était permis d'appuyer sur l'un et l'autre des distributeurs durant la
période. Une fois ce nombre atteint, les deux voyants lumineux s'éteignaient et les
distributeurs cessaient de fonctionner jusqu'à leur réinitialisation au début de la prochaine
période. Les prix relatifs des deux liquides étaient quant à eux fixés par le nombre de
pressions requises pour obtenir une unité de chacun des biens. Finalement, à la fin de chaque
période de 24h les choix des sujets étaient comptabilisés et leur masse était enregistrée aux
fins des analyses subséquentes.
Le déroulement de l'expérience suivait trois phases composées chacune de plusieurs
périodes de 24h. Au début de chacune des trois phases, les sujets bénéficiaient de trois
périodes pour s'adapter aux nouvelles contraintes environnementales. Les données récoltées
pour ces périodes étaient compilées mais étaient exclues des analyses subséquentes. Chacune
des phases de l'expérience perdurait jusqu'à ce que les choix des sujets soient jugés
47
suffisamment stables par les expérimentateurs6 pendant dix jours consécutifs. Les préférences
des sujets étaient alors considérées révélées. Une fois le critère de stabilité atteint, soit au plus
tôt au quatorzième jour, les moyennes du nombre de pressions quotidiennes émises par les
sujets sur chacun des distributeurs durant toute la durée de l'expérience, excluant le délai
d'adaptation de trois jours, étaient calculées. Dans la première phase de l'expérience, les
sujets étaient confrontés à des conditions définies par une contrainte budgétaire et un couple
de prix initiaux. Dans la deuxième phase, des variations de prix compensées7 étaient
effectuées et de nouveaux choix moyens étaient enregistrés selon les mêmes procédures.
Finalement, les conditions initiales de la première phase étaient rétablies dans la troisième
phase afin de vérifier si les préférences des sujets avaient été modifiées par la deuxième
phase de l'expérience. Ce retour aux conditions initiales constituait dans les faits une forme
de réplication intra sujet.
En toute logique, les premiers résultats de cette expérience ont vraisemblablement
dus être colligés par Rachlin et Green dans le laboratoire de Stony Brook en 1974. À prime
abord, il semble que Rachlin et Green aient eu de la difficulté à donner un sens aux données
recueillies puisqu'ils les laissèrent de côté et pour une raison inconnue ne prirent pas la peine
de les transmettre à Kagel et Battalio. Il est ici certainement possible d'imaginer que la
collaboration entre les deux groupes ait pu se terminer là. Toutefois, le hasard a voulu que
Kagel ait eu l'habitude de séjourner tous les ans quelques semaines à la maison d'été de ses
parents située tout près de Stony Brook sur la péninsule de Long Island. S'interrogeant sur les
résultats obtenus par Rachlin et Green depuis leurs derniers échanges, qui avaient
probablement eu lieu au courant de l'année 1974, Kagel décide à l'été 1975 de leur rendre
visite. En prenant connaissance des analyses effectuées par Rachlin et Green, Kagel constate
rapidement qu'ils ont isolé la relation entre le nombre total de réponses émises sur chacun des
distributeurs (l'équivalent de la dépense totale pour chacun des biens dans le jargon
économique) et la consommation totale des biens respectivement dispensés par ces derniers.
Ce faisant, ils reproduisaient les réflexes de chercheurs évoluant à l'intérieur du cadre
6 Les auteurs ne spécifient pas le critère de stabilité utilisé. 7 Il s'agissait de variations de prix compensées dites «de Slutsky»; une fois les nouveaux prix relatifs instaurés, la contrainte budgétaire était ajustée de façon à ce que les choix initiaux des sujets puissent toujours être atteints. Les effets de variations de prix compensées classiques dites «de Hicks» sont évidemment invérifiables en pratique puisque la fonction d'utilité des sujets n'est pas connue.
48
théorique de la matching law8. Or, l'expérience confrontait les sujets à un choix entre de la
nourriture et de l'eau, deux biens difficilement substituables pour lesquels un économiste
s'attend à obtenir des fonctions de demande plutôt inélastiques et donc de très petites
variations de la dépense totale en réaction à des variations du prix. Évidemment, Je premier
réflexe de Kagel fut plutôt d'isoler la relation entre les prix, soit le nombre de réponses
nécessaires pour obtenir des quantités données des deux biens, et les quantités consommées
de chacun d'eux. Soumises à cette deuxième analyse, les données colligées par Rachlin et
Green illustraient les premières courbes de demande dérivées du comportement animal. Qui
plus est, les caractéristiques de ces demandes correspondaient en tout point aux attentes de
Kagel et Battalio ; elles étaient à pente négative et à très faible élasticité. Au départ de Kagel
de Stony Brook, le groupe sait qu'il tient entre ses mains le matériel nécessaire à la
publication d'un premier article. Dans les années qui allaient suivre, cette visite estivale de
Kagel à Stony Brook allait devenir une habitude.
Le groupe entreprend donc la rédaction d'un premier manuscrit destiné à être
présenté à Science9. Selon les souvenirs de Green, le comité de lecture choisi par le rédacteur
en chef aurait été composé de deux économistes et de deux psychologues du comportement.
Toujours selon Green, qui a pu consulter les commentaires remis au rédacteur en chef, les
deux psychologues auraient recommandés avec grand enthousiasme la publication de l'article
sans modification et ce dans les plus brefs délais alors que les économistes auraient plutôt mis
en doute le sérieux de l'article. À leurs yeux, les fondements de la discipline économique
étaient simplement incompatibles avec ce type de travaux expérimentaux. Chose certaine,
l'article fut rejeté par Science et le groupe dû rechercher une autre alternative pour la
publication de l'article. Finalement, le manuscrit est publié en mars 1975 dans El sous le titre
«Experimental Studies of Consumer Demand Behavior Using Laboratory Animals»lO.
8 Pour s'en convaincre, voir la section 1.2.2. 9 Il a été impossible de consulter ce manuscrit ou d'obtenir toute information complémentaire concernant les commentaires remis aux auteurs par le rédacteur en chef. iO Si les expériences ont été menées par l'équipe de Rachlin et Green, J'article a été écrit par Battalio et Kagel et est cosigné par Basmann et Klemm. L'article a par ailleurs depuis été réédité dans trois recueils. Voir Kagel, Battalio, Rachlin, Green, Basmann et Klemm (1975).
49
L'objectif poursuivi par ce premier article est de défendre la légitimité et de rendre
compte de la faisabilité du projet initialement proposé par Castro et Weingarten en 1970 et
repris par Kagel et Winkler en 1972. Dès le paragraphe introductif, il est toutefois évident
que l'approche de Kagel et al. se démarque de celle de Castro et Weingarten qui avaient
d'abord mis l'accent sur les avantages pratiques et méthodologiques de recourir à des sujets
animaux plutôt qu'humains dans le design d'expériences en économie expérimentale. Kagel
et al. franchissent un pas de plus en reléguant ces avantages au second rang et en présentant
plutôt leurs travaux comme une opportunité unique d'explorer la continuité dans les
phénotypes du comportement économique des espèces, un objectif de recherche présenté
comme étant légitime et valable en soi. Dès les premières lignes, les auteurs cherchent
d'ailleurs à provoquer des réactions à ce sujet en affirmant:
«Ever since Darwin it has been widely recognized that behavior and structure vary continuously across species and that behavioural princip les do not stop suddenly at the boundary separating humans from other animais. The dimensions of this variation have been of interest on pureJy intellectual grounds to number of psychologists, ethologists, biologists, and ecologists. Determining the dimensions of this variation in economic behaviour between humans and nonhumans is of interest for this same reason. Studying the variations in behaviour across species is also of interest on practical grounds, for if it can be established that analogous economic processes exist across species, our chances of finding out more about these processes are vastly increased by experimenting with laboratory animals. ll»
Sur le dernier point, Kagel et al. reprennent essentiellement les arguments de Castro et
Weingarten selon lesquels pour des raisons éthiques et monétaires l'utilisation de sujets
animaux permettrait plus de souplesse dans le design des expériences. Les auteurs
mentionnent par exemple la possibilité de contrôler un plus grand nombre de paramètres
expérimentaux, notamment en ce qui a trait aux expériences passées des sujets et à
l'amplitude des variations de revenu auxquelles il est possible de les confronter12.
L'introduction de Kagel et al. propose aussi d'emblée des réponses à d'éventuelles
réticences que le recours à des sujets animaux pourrait entraîner, notamment quant à la
légitimité d'utiliser des résultats obtenus sur des sujets animaux évoluant à l'intérieur
d'environnements contrôlés afin d'arriver à mieux comprendre le comportement humain en
II Kagel, Battalio, Rachlin, Green, Basmann et Klemm (1975), p.22. 12 Dans le cadre d'expériences sur des sujets humains, les revenus retirés à l'intérieur du cadre expérimental ont presque toujours été très marginaux en comparaison des revenus totaux des sujets hors du cadre expérimental. Une des rares exceptions qui est à noter est l'expérience de R. Sionim et A. E. Roth qui s'est tenue en Slovénie en 1998 et qui offrait la possibilité aux sujets de gagner jusqu'à J'équivalent de leur salaire mensuel moyen. Voir Slonim et Roth (1998). Les variations de revenu appliquées sur les sujets animaux sont généralement si importantes qu'elles ont un impact sur la masse corporelle des sujets qui voient ainsi leur probabilité de survie grandement altérée.
50
environnement naturel. Aussi, ils s'attèlent rapidement à repousser l'idée selon laquelle ces
difficultés compromettraient la valeur intrinsèque de leurs travaux.
«In using laboratory animais to study behaviour, when the ultimate interest is human behavior, a question of paramount importance is the degree of generality of behavioural variables and processes across species. The resolution of this question requires the formation and actual empirical testing of hypotheses across species, and it would be counterproductive to attempt to resolve this question on the basis of alleged a priori knowledge. When one variable or process is shown to be applicable to both humans and non-humans we gain additional confidence that other variable and processes will generalize directly or indirectly, across species. In this respect, the success of psychologists in using controlled experiments with laboratory animaIs to complement their study of human behaviour provides a promising basis upon which to begin studies of human economic behavior using non-human subjects. lJ»
Aussi, Kagel et al. suggèrent donc de suivre le chemin tracé par les psychologues du
comportement et d'emprunter leurs méthodes et équipements expérimentaux afin d'étudier le
comportement économique d'espèces telles que les rats et les pigeons.
Kagel et al. rapportent ensuite les résultats de deux expériences menées à Stony
Brook en 1974 et 1975 à l'aide de la méthodologie décrite plus haut. La première série
d'expériences relatée par Kagel et al. est la procédure initialement imaginée par Rachlin et
Green dès 1973 où les sujets avaient le choix de consommer de la nourriture ou de l'eau sans
possibilité d'accéder à d'autres renforcements. Dans la deuxième série d'expériences, les
sujets avaient le choix de consommer de la racinette et un mélange Tom Collins Mix l4 alors
que des sources alternatives de nourriture et d'eau étaient disponibles «gratuitement» en tout
temps. Les deux biens présentés dans cette deuxième série d'expériences ont probablement
été choisis parce qu'ils sont des biens fortement substituables pour lesquels les choix des
sujets sont plus difficilement explicables par la ma/ching lawl5. La disponibilité d'eau et de
nourriture en tout temps durant la durée de l'expérience visait à augmenter d'autant le degré
de substituabilité des deux biens dont la consommation était régie par la contrainte
budgétaire l6 . L'intérêt de juxtaposer ces deux séries d'expériences est évidemment de tester
13 Voir Kagel, Battalio, Rachlin, Green, Basmann et Klernm (1975), p.23. 14 Le mélange Tom Collins Mix est une boisson gazéifiée au goût sucré et citronné. À cet effet, Kagel affirme que l'idée de confronter les rats à choisir entre ces deux liquides aurait été suggérée par un ami à Battalio qui était vétérinaire. Ce dernier jouera d'ailleurs plus tard un rôle important dans la gestion du laboratoire animal de COllege Station. Voir pp.55-56. 15 Voir pp. 54-55. 16 Ce type d'environnement expérimental sera plus tard nommé «économie ouverte» par S. R. Hursh en opposition à la notion «d'économie fermée» où tous les biens disponibles sont soumis à une contrainte budgétaire. Voir pp.62-63.
51
la théorie dans des contextes différenciés par des degrés de substituabilité variables entre les
deux biens.
Les résultats des deux séries d'expériences confinnent que le comportement des deux
sujets expérimentaux est conforme aux prédictions de l'équation de Slutsky selon lesquelles
des variations de prix compensées mènent à des variations dans le sens inverse des quantités
consommées. Les auteurs concluent donc que les effets de substitution qui ont été observés
étaient bien négatifs et statistiquement significatifs. Afin d'explorer la stabilité observée dans
les choix de consommation des sujets, les auteurs ont, dans la deuxième série d'expériences,
aussi procédé à des variations de prix compensées de plus grandes amplitudes. En réaction à
une de ces variations plus marquées, un des deux sujets aurait préféré ne pas épuiser son
revenu. Enfin, lorsque les conditions initiales ont été rétablies, les choix de ce sujet seraient
revenus très près de son premier choix. Ce résultat a priori difficilement explicable aurait de
plus par la suite été reproduit avec un autre sujet. Les auteurs ne sont ici pas en mesure de
fournir une explication de ce comportement paradoxal qui semble aller à l'encontre des
prédictions du modèle de maximisation de l'utilité'? En définitive, ils concluent que malgré
le fait que le comportement erratique de ces deux sujets dans ce cas particulier demeure
inexpliqué, les résultats des deux séries d'expériences fournissent à leur avis la première
véritable confirmation empirique de l'axiome des préférences révélées qui est à la base du
modèle de maximisation de l'utilité et de la théorie des choix rationnels. À première vue, il
est difficile d'imaginer une affirmation plus forte ou qui serait plus susceptible de susciter
d'importantes réactions dans la communauté économique. Pourtant, et malgré la rhétorique
plutôt agressive des auteurs, cette prétention demeure jusqu'à aujourd'hui relativement
passée sous silence.
2.2.2 L'entrée en scène de la théorie des choix rationnels en psychologie béhaviorale
Rachlin et Green présentent l'année suivante les mêmes résultats à la communauté
des psychologues du comportement dans un chapitre d'un recueil intitulé The Psych%gy of
17 Ils reviendront plus tard sur ce phénomène. Voir pp.54-55.
52
Learning and A1otivation l8 • L'essai qui est titré «Economic Demand Theory and
Psychological Studies of Choice» poursuit toutefois des objectifs bien différents de ceux de
J'article de Kagel et Battalio paru en 1975 dans El. Plutôt que de présenter les expériences de
1973-1975 comme des avancées vers l'étude comparative des comportements économiques
des espèces ou encore comme une nouvelle approche empirique éventuellement utile au
développement de la théorie économique, le groupe présente maintenant ses travaux comme
une tentative de trouver un cadre théorique plus performant que la matching law pour prédire
le comportement animal observé en laboratoire. Le chapitre s'ouvre avec une affirmation
claire à ce sujet:
«ln operant experiments, objects of choice have usually been various parameters-rates, arnounts, delays, etc.-of a single commodity. Matching parameters of rein forcement to pararneters of responding (Hemnstein, 1970) and other quantitative expressions of choice developed byoperant researchers (Catania, 1963; Squires & Fantino, 1971) can be applied only with difficulty when the objects of choice are qualitatively dissimilar. For instance, Hollard and Davidson (1971) found that pigeons' choices between electrical brain stimulation and food conformed to Hermstein's matching law only when a new pararneter (q) representing unmeasured differences between the rewards was introduced. lt is unlikely that even this tactic, the introduction of new pararneters into the matching equation, would suffice for choices between such conunodities as food and water where complex biological interactions play a major role. The purpose of this chapter is to introduce a frarnework borrowed from economics within which choices between different commodities may be studied in a consistent manner. 19»
Conséquemment, le chapitre débute par une courte présentation du problème du
consommateur formalisé par les notions de contraintes budgétaires et de courbes
d'indifférence. L'objectif est de souligner les possibilités interprétatives offertes par les
notions de degré de substituabilité et d'élasticité croisée.
Cette présentation de la théorie du consommateur est assortie d'une rhétorique assez
agressive sur la nécessité d'un dialogue entre les deux disciplines. Sur ce point, les auteurs
affirment simplement que la microéconomie et la macropsychologie du comportement
étudient en fait exactement le même objet, soit le comportement d'organismes individuels,
depuis des perspectives méthodologiques et théoriques différentes qui offrent de nombreuses
possibilités d'échange. Il est dans ce cadre utile de voir les travaux du groupe comme une
coopération visant à combiner l'appareil expérimental développé par les psychologues du
comportement et les modèles théoriques formels des économistes. Les propos de Rachlin et
al. viennent aussi très près de suggérer une hiérarchie des différentes disciplines des sciences
18 Le chapitre est aussi cosigné par Kagel et Battalio, mais le manuscrit a été rédigé par Rachlin et Green. 19 Rachlin, Green, Kagel et Battalio (1976), p.130.
53
humaines à J'intérieur de laquelle la micropsychologie ou psychophysique devrait chercher à
fournir les fondements de l'étude macropsychologique du comportement, qui correspondrait
aussi à l'objet d'étude de la microéconomie, laquelle devrait enfin chercher à fournir les
fondements théoriques de la macroéconomie. Les références à une telle hiérarchie reviennent
par ailleurs à quelques reprises dans les écrits du groupe. Aussi, elles rappellent l'affiliation
historique et philosophique entre les idées positivistes de E. Mach et le mouvement
béhavioriste20.
L'analyse des résultats présentée dans le chapitre de 1976 s'est enrichie sur plusieurs
points par rapport à celle présentée dans l'article de 1975. Les auteurs suggèrent par exemple
que les choix sous optimaux d'un des deux sujets lors de la deuxième série d'expériences
pourraient s'expliquer par des préférences plus marquées pour le loisir. Selon cette
explication, le sujet, faisant face à des augmentations très importantes du prix d'un des biens
disponibles et à un couple de biens difficilement substituables, se serait tourné vers la
consommation d'un troisième bien implicitement disponible, en occurrence le loisir. Aux prix
les plus élevés, le sujet n'aurait pas consenti à l'effort minimal requis pour épuiser sa
contrainte budgétaire et aurait plutôt préféré substituer une quantité du bien coûteux pour
acheter du loisir. Cette explication souligne l'ambiguïté qui existe entre une activité de
consommation, qui requiert toujours un certain effort de la part du sujet, et une activité de
production, qui peut parfois procurer un certain bien-être à ce dernier. Si on analyse le
comportement de ce rat dans le contexte d'une activité de production, il est possible de
conclure que la diminution progressive du salaire fourni pour l'effort dirigé sur le levier
associé au bien coûteux a éventuellement amené le rat à diminuer son offre de travail sur ce
levier. Aussi, Rachlin et al. suggèrent que la contrainte budgétaire fixant le nombre de
pressions disponibles soit restrictive uniquement dans le contexte d'une expérience portant
sur la théorie du consommateur. Les auteurs soulignent finalement que les déterminants de
l'offre de travail pourraient aussi être étudiés à l'intérieur d'un design expérimental où la
contrainte budgétaire correspondrait à un temps limite pendant lequel les deux voyants
seraient allumés alors que les deux distributeurs seraient en fonction et où les renforcements
20 Mach est reconnu pour avoir été une des principales influences sur Loeb, avec qui il entretenait une correspondance, Watson et Skinner.
54
seraient distribués en fonction du temps passé à exercer des pressions sur chacun des leviers.
Les sujets devraient alors allouer le temps disponible à appuyer sur l'un ou l'autre des leviers
en fonction du salaire horaire qu'ils en retireraient. Cette procédure correspond dans les faits
à des contingences de renforcement de type Findley, qui avaient d'ailleurs été identifiées dès
1972 par Kagel et Winkler comme une des trois avenues de recherche potentiellement
fructueuses entre l'économie et la psychologie.
Finalement, l'élément le plus important de l'article de 1976 est probablement la
démonstration qu'en plus de permettre d'élargir le champ explicatif de la ma/ching law aux
cas où les renforcements ne sont pas complètement substituables, le modèle de maximisation
de l'utilité est aussi en mesure de reproduire les prédictions de la ma/ching law dans le cas où
les renforcements sont des substituts parfaits. À ce sujet, ils s'attardent d'abord à expliquer
les résultats obtenus par Herrnstein et Loveland dans leur article de 1975 intitulé
«Maximising and Matching on Concurrent Ratio Schedules»21 qui étaient jusque là demeurés
une énigme. Dans cette expérience, une majorité de sujets ayant été confrontés à deux
distributeurs de renforcements parfaitement substituables programmés selon des contingences
à ratios variables identiques ont montré des patterns de choix erratiques alors qu'une minorité
ont plutôt systématiquement choisi l'un ou l'autre des distributeurs. Pour Rachlin et al., le
pattern de choix erratiques observé par Herrnstein et Loveland peut s'expliquer dans le cadre
du modèle de maximisation de l'utilité par le fait qu'en présence de biens parfaitement
substituables et de prix identiques la contrainte budgétaire et les courbes d'indifférence ont
des pentes unitaires. Or, le modèle ne prédit dans ce cas aucun équilibre particulier. Quant
aux quelques sujets ayant privilégié une des deux solutions de coin possibles, les auteurs
spéculent que leur comportement pourrait être causé par un mauvais calibrage des tensions
des ressorts des deux distributeurs qui ferait dévier légèrement la pente de la contrainte
budgétaire de l'unité. Rachlin et al. s'attaquent ensuite au cas plus complexe où deux biens
toujours identiques sont cette fois distribués selon des contingences de renforcement
concurrentes à intervalles variables. Dans ce cas, la contrainte budgétaire devrait être angulée
à 90°, sauf que dans les faits un délai supplémentaire de transition durant lequel aucun
21 Herrnstein et Loveland, qui allaient demeurer de farouches opposants à l'implantation de t'approche économique, anticipaient dans cet article important le débat à venir et proposait une première version de l'hypothèse méliorative qui sera discutée plus bas.
55
renforcement n'est distribué est généralement appliqué lorsque le sujet change de distributeur
afin de limiter l'utilisation d'une stratégie de choix erratiques qui maximiserait le gain à long
terme. Dans ce cas, la contrainte budgétaire est plutôt une courbe concave et l'équilibre de
consommation optimal est le point le plus éloigné de l'origine sur la contrainte budgétaire.
Or, le ratio exprimé par ce couple de choix optimaux correspond à celui des intervalles de
temps sur lesquels sont programmés les distributeurs. Dans ce cas particulier, l'hypothèse de
la maximisation de la quantité de renforcements obtenue par le sujet prédit donc la même
solution que la relation de matching. Aussi, Rachlin et al. estiment avoir démontré que le
modèle de maximisation de l'utilité est non seulement en mesure d'expliquer davantage
d'observations empiriques que la matching law, mais qu'il est aussi en mesure de prédire les
cas pour lesquels cette dernière est valide.
2.2.3 La consolidation de la collaboration entre Kagel et Battalio et Rachlin et Green
Depuis le milieu des années soixante-dix, Rachlin et Green, qui bénéficiaient déjà des
infrastructures, du matériel, du savoir-faire et du financement nécessaires, menaient toutes les
expériences du groupe depuis le laboratoire de la SUNY à Stony Brook. C'est finalement au
courant de 1977 que Kagel et Battalio décident de mettre sur pieds leur propre laboratoire
animal à l'Université Texas A&M. Grâce à des compétences acquises avant sa carrière
d'économiste, Battalio sera le véritable maître d'oeuvre de ce projet. Ce dernier a d'abord
appris le métier d'électricien dans l'armée américaine avant d'exercer la profession pour une
compagnie de téléphone. Le savoir-faire développé à ces occasions lui permet de maîtriser
rapidement les rudiments de la programmation des boîtes de Skinner qui se fait à l'époque
encore à l'aide de vastes panneaux électriques. Battalio et Kagel comptent aussi sur la
collaboration de Rachlin et de Green qui pourront éventuellement leur montrer les rudiments
de la manipulation et de la programmation des différents appareils expérimentaux. Battalio
peut aussi compter sur son ami vétérinaire qui aidera à la gestion des stocks de pigeons et de
rats nécessaires au bon fonctionnement du laboratoire. Battalio et Kagel présentent donc à
l'automne 1977 une demande de subvention à la NSf pour la mise sur pied du laboratoire. Le
titre du projet est «Experimental Studies of Consumer Demand and Labor Supply Behavior:
Comparative Statics and Dynamical Adjustment Processes». Selon Kagel, la présence de
56
Robert Wilson sur le comité de sélection aurait été décisive pour l'obtention de la subvention.
Wilson aurait par ailleurs plus tard fortement recommandé au rédacteur en chef du QJE la
publication de l'article de Kagel et al. en 1981. La subvention est finalement octroyée au
printemps 1978, mais la mise sur pied du laboratoire est retardée faute de locaux disponibles.
Les instances de l'université sont alors mises dans une position difficile; les membres du
Département de psychologie qui disposent déjà d'un laboratoire similaire refusent
catégoriquement de partager leur équipement alors que le pavillon qui héberge le
Département d'économie est déjà densément occupé, sans compter que plusieurs collègues de
Kagel et Battalio sont plutôt défavorables au projet. Sous la menace que la subvention soit
retirée, le recteur décide en désespoir de cause que le laboratoire sera installé au Département
d'économie. Quelques mois après l'ouverture du premier laboratoire d'économie animale, en
octobre 1981, la NSF se verra décerner le Golden Fleece Award22 par le Sénateur William
Proxmire pour avoir octroyé 144 012$ en subventions de recherche Kagel et Battalio. Le
communiqué de presse émis à cette occasion fustige l'organisation: «For spending to test
commonly accepted, historically proven, fundamental economic principles on supply and
demand -on pigeons.23» Le premier, et jusqu'à ce jour l'unique, laboratoire animal en
économie expérimentale fut donc institué dans la controverse. Cela n'empêchera toutefois
pas que dès la fin de 1978 les travaux expérimentaux du groupe se fassent dorénavant en
parallèle dans les deux laboratoires de Stony Brook et de College Station.
La prochaine étape est pour le groupe de développer les intuitions annoncées dans le
chapitre de The Psychology ofLearning and Motivation sur la possibilité de tester l'axiome
des préférences révélées dans le contexte de la théorie de l'offre de travail. En 1979, Battalio,
Kagel et Green publient sur ce sujet un chapitre intitulé «Labor Supply Behavior of Animal
Workers: Towards an Experimental Analysis» dans Research in Experimental Economies
(vol.l). L'article vise d'abord à montrer comment les intuitions de Skinner qui avait établi
des liens théoriques entre différents types de contingence de renforcement et les conditions
salariales d'emploi sur le marché du travail peuvent être étudiées expérimentalement. Les
designs expérimentaux utilisés dans ce contexte particulier se distinguent en plusieurs points
22 Ce prix fut décerné par le coloré sénateur William Proxmire de 1975 à 1988 à des organismes gouvernementaux reconnus pour avoir utilisé les deniers publiques à des fins jugées critiquables. 23 Voir le site internet http://www.taxpayer.net/awards/goldenfleece/l980-1985.htm.
57
de ceux utilisés dans les expériences passées du groupe sur la théorie du consommateur. Les
sujets sont maintenant confrontés à un seul levier qui distribue un seul bien selon des
contingences de renforcement à ratios fixes représentant différents niveaux de salaire. Dans
ce nouveau contexte, le nombre de pressions nécessaires pour obtenir une quantité donnée du
renforcement est par ailleurs plus élevé et la contrainte budgétaire imposée sur le nombre de
pressions allouées est relâchée. Pour ce premier article sur le sujet, Battalio et al. se
contentent de présenter une revue de la littérature présentant des résultats d'études menées en
psychologie comportementale dont les paramètres expérimentaux se rapprochaient de ces
caractéristiques. Seuls quelques résultats préliminaires recueillis par Green sont mentionnés
au passage. Ces résultats ont aussi probablement servi à une conférence intitulée «The Effects
of Deprivation Level on Labor Supply in Pigeons: an experimental analysis of economic
behavior» donnée par J. K. Green et L. Green la même année à la Fifth Annual Convention of
the Association for Behavior Analysis tenue dans le Michigan24 . Cependant, aucune
publication officielle présentant des résultats recueillis par le groupe dans ce contexte ne sera
publiée avant 1981. Battalio et al. terminent le chapitre de 1979 en soulevant la similarité de
tels designs expérimentaux avec d'autres expériences menées en psychologie et en biologie.
«The experimental procedures can also be extended in directions that will help provide a basis for the further integration of research results in other disciplines. Two illustrations will make this type of extension clear: (1) the introduction of the multiple jobs into the above experimental procedure results in fin experimental design that is similar to that used in psychology in studies of the matching law and (2) the introduction of multiple consumption goods results in an experimental design that is similar to that used in biology to study predator-prey switching. In both cases, experiments conducted under these extensions would help to integrate the empirical behavioural relationships in these other disciplines with economic theory. Extending the range of circumstances in which economic concepts are known to be able to organize individual subject behaviour would be of obvious value for economic science.25»
Cette clôture en dit long sur les projets futurs du groupe qui s'engagera plus tard dès le début
des années quatre-vingt dans l'étude des comparaisons des performances relatives de ces
différents modèles théoriques.
En 1980, Kagel et Battalio offrent une synthèse des travaux qu'ils ont menés au
courant de la dernière décennie aux côtés de Winkler et Fisher sur le comportement de
patients évoluant à l'intérieur d'économies de jetons et aux côtés de Rachlin et Green sur le
comportement animal. Cette synthèse prend la forme d'un chapitre du volume Evaluation of
24 Ce texte n'a pu être récupéré. Par ailleurs, J. K. Green n'entretient aucun lien familial avec L. Green. 25 Battalio, Kagel et Green (1979), p.250.
58
Econome/rie Models intitulé «Token Economy and Animal Models for the Experimental
Analysis of Economic Behavior». À défaut de présenter du matériel empirique nouveau,
l'article offre une vitrine à leurs travaux. Il s'agit en particulier pour Battalio et Kagel d'une
occasion intéressante de plaider que la méthode expérimentale offre une corde
supplémentaire à l'arc des économètres pour tester empiriquement les hypothèses des
différents modèles économiques. Le chapitre est suivi des commentaires de J. G. Cross et F.
P. Stafford, tous deux économistes au Département d'économie de l'Université du Michigan
à Ann Arbor. Ces deux brèves notes constituent, plus de cinq années après la publication de
l'article de 1975, les premières réactions officielles d'économistes. Ce qui ressort des
quelques commentaires qu'elles contiennent est un double scepticisme quant à d'une part la
pertinence des techniques expérimentales et d'autre part celle d'avoir recours à des sujets
animaux dans ce contexte. Il faudra par la suite attendre encore cinq années avant qu'un
économiste ne commente à nouveau les travaux de Kagel et a1.26 •
2.3 Ma/ching versus maximisation sous contrainte
Contrairement à Kagel et Battalio qui doivent composer avec des embûches
institutionnelles et le scepticisme de plusieurs de leurs pairs, Rachlin et Green obtiennent très
rapidement l'appui de plusieurs membres de la petite communauté des psychologues du
comportement. Avant 1979, plusieurs d'entre eux, mécontents des anomalies recensées dans
la littérature sur la ma/ching law, se rallient à Rachlin et Green et concluent que le modèle de
la maximisation de l'utilité doit être considéré comme un concurrent crédible à la ma/ching
law. S'en suit un débat qui oppose entre 1979 et 1983 les tenants des deux approches
théoriques. Trois documents importants rendent compte du contenu des discussions qu'ont
entretenues à cette époque les deux factions. Le premier est le recueil des textes présentés lors
du Second symposium sur l'analyse quantitative du comportement qui fut édité
conjointement par M. 1. Commons, Herrnstein et Rachlin et qui fut publié en 1981 deux ans
après la tenue du symposium. Le deuxième est un dossier spécial publié la même année dans
le BBS qui présente, en plus d'une synthèse des principaux résultats obtenus par Rachlin et
26 Le commentaire sera cette fois le fait de Lucas. L'analyse de ces commentaires est réservée pour le chapitre 3. Voir section 3.6.
59
Green et Battalio et Kagel depuis 1973, 25 réactions d'acteurs importants en psychologie
comportementale auxquels Rachlin et al. offrent aussi leurs contre-réactions. Le troisième est
le résultat de la publication d'un article étoffé d'un étudiant de Herrnstein à Harvard, D.
Prelec, en 1982 dans Psychological Review auquel Kagel, Battalio et Green et Rachlin
offriront deux répliques l'année suivante. Sur le plan de l'analyse historique, ces documents
sont particulièrement riches puisqu'ils offrent une opportunité privilégiée de suivre et
d'analyser l'évolution de la controverse qui entoure les propositions du groupe. Par ailleurs,
leur analyse met en lumière le rôle fondamental que joue l'allégeance à l'un ou l'autre des
deux modèles théoriques dans l'interprétation de données empiriques dont la validité est
quant à elle très rarement débattue. L'analyse qui suit ne peut prétendre être exhaustive et
vise uniquement à positionner les principaux acteurs impliqués dans cette controverse et les
principaux points de vue qu'ils ont défendus.
2.3.1 Des premières réactions favorables en psychologie du comportement
En 1978 et 1979, deux articles favorables aux travaux de Kagel et al. sont publiés
respectivement par S. E. G. Lea et J. Allison. Lea, du Département de psychologie de
l'Université Exeter en Angleterre, propose d'abord dans le volume 85 du Psychological
Bulletin un essai intitulé «The Psychology and Economies of Demand» qui vise à attirer
l'attention d'un plus grand nombre de psychologues sur les développements récents amenés
entre autres par les travaux de Kagel et al. en psychologie du comportement. Lea présente lui
même son article en mentionnant:
«This commonality between economics and psychology is weil know; in a sense it goes back to Bentham's 'hedonic calculus', and it has been an established topic in the literature at least since Edwards (1954) reviewed decision theory for psychologists. Simon and Sterdy (1969) provided a more up-to-date review of this field, among others, and it is therefore given slight attention here, except in so far as it has been given a new point by Rachlin, Green, Kagel and Battalio (1976); they applied the same argument but with the very different psychology of choice that is current in operant experiments. 27»
L'essai débute par une courte revue de la littérature des nombreux appels historiques à une
plus grande coopération entre les deux disciplines qui est suivie d'une revue exhaustive des
rapprochements existants entre l'étude du conditionnement opérant issu de l'orthodoxie néo
béhavioriste de Harvard et la théorie économique de la demande depuis la proposition initiale
27 Lea (1978), p.441.
60
de Skinner en 195328 . L'analyse que Lea établit entre la littérature sur le conditionnement
opérant et l'économie est fouillée et va beaucoup plus loin que Rachlin et Green dans la
réinterprétation des données colligées antérieurement par les psychologues béhavioristes
depuis le prisme de la théorie économique. Les conclusions générales tirées de ces analyses
sont que plusieurs de ces données peuvent être mieux expliquées par la théorie économique
que par les théories traditionnelles du renforcement et que la théorie économique offre une
interprétation plus intuitive de ces dernières grâces à des notions comme celles d'élasticité
croisée et d'effets de revenu et de substitution. L'auteur en conclut: «Thus the aim of the
present article has been to encourage psychologists to think "economically", so that a more
complete psychological account of choice can be produced.29» En somme, cet article de Lea
fournit un premier appui important au projet de Rachlin et Green qui engage la discussion sur
les capacités de la théorie économique à rendre compte de résultats auparavant considérés
comme autant de confirmations empiriques de la matching law.
Lea publia aussi deux années plus tard, en 1981, un article intitulé «Animal
Experiments in Economie Psychology» dans le volume 1 du Journal of Economie
Psychology qui voit le jour cette année là. L'article s'adresse à un auditoire peu familier de ce
type de travaux; aussi, la discussion qui est proposée est généralement plus légère que
substantielle. Il n'en demeure pas moins que Lea tente encore une fois clairement d'attirer
l'attention d'un auditoire plus large en psychologie. À cette fin, il présente d'abord les
grandes lignes des développements qui ont été couverts dans le premier chapitre du mémoire
concernant le rapprochement inattendu de la psychologie du conditionnement opérant et de
l'économie. Prenant ensuite plus de recul, Lea propose une discussion des pour et des contre
de l'utilisation des animaux en vue de tester la théorie des choix rationnels. Finalement, il
présente une courte synthèse des résultats de plusieurs des études qui ont été ici résumées.
Quant à lui, l'article qu'Allison propose en 1979 s'intitule «Demand Economies and
Experimental Psychology» et paraît dans le volume 24 de Behavioral Science30• L'essai se
28 Voir pp.J6-17. 29 Lea (1978), p.461. 30 La version ici résumée est une réédition de l'article initial dans Harzem et Zeiler (Eds.) (1981) sous le titre «Economics and Operant Conditioning».
61
dresse plus explicitement contre la conception orthodoxe défendue à Harvard que celui de
Lea publié la même année. En introduction, Allison affirme d'ailleurs crûment: «This
chapter proposes that the response strengthening metaphor has become so difficult to defend,
and so limited in comparison with other theoretical accounts, that it merits no further use as
an explanatory concept.Jl » Selon Allison, le principal handicap des théories traditionnelles du
renforcement est que si un événement A peut augmenter la probabilité d'occurrence d'un
événement antérieur B à l'intérieur de certains contextes expérimentaux, le même événement
B peut tout aussi bien renforcer le même événement A dans des contextes différents. Premack
a par exemple montré dans une étude importante en 1965 que si un rat est maintenu assoiffé
et qu'il est récompensé par l'obtention de différentes quantités d'eau lorsqu'il roule dans une
roue, ce dernier aura évidemment tendance à rouler davantage plus cette quantité sera grande.
Dans ce cas, l'eau joue le rôle de renforcement pour l'action de rouler. Inversement, si le rat
dispose d'eau en quantité illimitée et est limité dans son utilisation de la roue, ce dernier aura
tendance à boire davantage si cette action est récompensée par plus de temps alloué pour
ns'activer dans la roue . Dans ce cas, le temps libéré pour l'exercice joue le rôle de
renforcement pour l'action de boire. Ainsi, selon Allison les travaux de Premack soulignent
que la notion de renforcement est vouée à être relative à un état particulier vécu par le sujet.
Pour Allison, la théorie économique propose une solution viable à ce problème
structurel fondamental. Si le modèle économique ne fournit pas d'explication concrète pour
rendre compte du processus d'apprentissage menant à l'établissement de choix stables, sinon
le recours ex post au processus de sélection naturelle, il est selon lui en mesure d'expliquer
bon nombre de défaillances que la conception orthodoxe de la psychologie du
cond itionnement opérant ne peut expliquer. Sur ce dernier plan, l'exposé d'Allison n'ajoute
rien de substantiel à ceux de Rachl in et al. (1976) et de Lea (1978). Allison conclut
finalement son article en soulignant:
«Several economists and psychologists have already argued that each of their two behavioral sciences should pay doser attention to the other (Castro and Weingarten, 1970; Hayes, 1950; Kagel and Winkler, 1972; Mitchell, 1914; Rachlin et al., 1976; Skinner, 1953). Perhaps the argument was never more cogent than now33»
li Allison (1981 a), p.321. 32 11 faut noter que les premiers moments passés à effectuer de l'exercice dans une telle roue sont fortement désirés ~ar les rats. 3 AlIison (1981 a), p.350.
62
Ce dernier commentaire, tout comme la progression générale du propos, suggère qu'Allison
est arrivé à ces conclusions après avoir longuement réfléchi aux implications des travaux de
Premack et sans avoir eu connaissance des travaux de Kagel et al. ou de ceux de Lea. En
d'autres circonstances, Allison confirmera clairement cette hypothèse en écrivant:
«1 soon discovered that several other investigators had taken much the same trip, and seen much the same sights, at about the same time or even long before: S. E. G. Lea, H. Rachlin, L. Green, R. Winkler, J. H. Kagel, R. C. Battalio, R. L. Basmann, W. R. Klemm, B. Castro, et K. Weingarten.34»
Nonobstant la véracité de cette affirmation, il demeure que les propos d'Allison ajoutent de
l'eau aux critiques des théories orthodoxes du renforcement.
Finalement, S. R. Hursh, psychologue à la Walter Reed Army Instute35 , produira une
série d'études expérimentales dont la première sera publié sous le titre «The Economics of
Daily Consumption Controlling Food-and Water-Reinforced Responding» dans le volume
29 du JEAB. Cette étude est particulièrement intéressante parce qu'il s'agit d'un des seuls
tests expérimentaux de la théorie économique mené en dehors des laboratoires de Rachlin et
Green et de Battalio et Kagel et qu'elle est menée sur des singes Rhésus36 . Hursh établit
d'abord, tout comme Lea l'avait fait dans son article de 1978, que les notions économiques
de substitution et d'élasticité fournissent un cadre théorique adéquat ayant un pouvoir
explicatif plus grand que l'hypothèse du ma/ching. En 1980, Hursh produit un autre article
intéressant intitulé «Economic Concepts for the Analysis of Behavior» dans le volume 34 du
JEAB en 1980. Hursh y présente un autre survol des relations entre les théories classiques du
conditionnement opérant et l'économie présentant les notions de prix et de demande et
d'élasticité de substitution. La seule contribution réellement originale de Hursh dans cet
article est la distinction entre les économies expérimentales dites fermées à l'intérieur
desquelles la totalité des renforcements consommés sont acquis selon les contingences de
renforcement en place et les économies expérimentales dites ouvertes à l'intérieur desquelles
le sujet a accès gratuitement à des quantités définies de renforcements en dehors de ces
contingences. Il faut finalement noter que Hursh s'en prend aussi directement à la ma/ching
law en argumentant que la relation simple de ma/ching ne peut qu'expliquer les cas où les
34 Allison (1983), p. v. 3S Herrnstein a aussi séjourné au Walter Reed Institute entre 1955 et 1958, bien avant l'arrivée de Hursh. 36 À cette date, les seules autres études ayant testé la théorie économique sur des primates sont celles de Silberberg, Warren-Boulton et Asano CI 987) et de Chen, Lakshminarayanan et Santos (2006).
63
biens présentés aux sujets sont parfaitement substituables. Il développera un point de vue
similaire dans «Behavioral Economics» publié dans la même revue en 1984. Avec les appuis
de Lea, Allison et Hursh le point de vue initialement défendu par Rachlin et Green bénéficie
maintenant d'une crédibilité grandissante qui amènera vite plusieurs chercheurs fidèles à la
matching law à répliquer à ses détracteurs. La table est mise pour un débat opposant les
points de vue des deux groupes sur les capacités prédictives et les qualités heuristiques et
épistémologiques des deux modèles.
2.3.2 Les grandes lignes d'une controverse
Le débat entre les tenants de la matching law et les tenants du modèle de
maximisation de l'utilité s'ouvre véritablement en 1979 à l'occasion du Deuxième
symposium sur l'analyse quantitative du comportement tenu à l'Université Harvard qui a été
organisé expressément afin de déclencher un dialogue entre les tenants des deux approches
théoriques. Au centre des discussions du Symposium, deux des figures les plus
charismatiques en psychologie du comportement canaliseront les énergies des deux camps.
Herrnstein est évidemment celui qui offre la plus ferme opposition à l'hypothèse de la
maximisation de l'utilité. L'appuyant à la conférence, ses plus fidèles élèves dont Vaughan,
Heyman et Mazur. Rachlin, qui a quitté le Pigeon Lab à la fin des années soixante avant de se
dissocier progressivement de la matching law, est celui qui va lui tenir têté7. À ses côtés, il
pourra compter sur l'appui de Green, Kagel, Allison, Hursh et Lea qui participent tous au
symposium. Entre ces deux camps, une multitude de positions alternatives sont aussi
proposées par différents observateurs afin d'enrichir les théories classiques du renforcement
et/ou les tentatives d'application de l'hypothèse de l'optimalité du comportement. Étant
donné l'espace disponible et la diversité de ces différentes contributions, la présente section
se contentera de polariser le débat autour des articles de Herrnstein et Rachlin38•
37 Green, Kagel et Battalio défendront aussi l'approche économique dans le recueil des textes de la conférence dans un chapitre présentant leurs premiers travaux portant sur la relation entre l'étude du conditionnement opérant et la théorie de l'offre de travail. 38 Les autres contributions présentées dans le recueil sont celles de : Allison, «Constraint on Performance in Two Elementary Paradigms»; Baum, «Instrumental Behavior and Foraging in the Wild»; Burkhard, «Preference and Response Substitutability in the Maximization of Behavioral Value»; Commons, Woodford et Ducheny, «How Reinforcers Are Aggregated in Reinforcement-Density Disrimination and Preference Experiments»; Deluty, «Maximising, Minimising, and Matching Between Reinforcing and Punishing Situations»; de Villiers, «Toward a
64
Dans le chapitre 16, intitulé «Economics ofthe Matching Law», Rachlin propose une
démonstration importante visant deux objectifs ambitieux. D'une part, Rachlin veut
démontrer formellement que les conditions d'équilibre stipulées par la matching law
généralisée de Baum découlent directement des conditions de premier ordre d'un problème
plus large de maximisation de l'utilité. D'autre part, Rachlin veut montrer qu'une fois cette
démonstration faite il est possible de mieux comprendre les réalités que captent les deux
paramètres de la relation de matching. Aux fins de sa démonstration, Rachlin formalise
d'abord les relations établies par des contingences de renforcement concurrentes à l'aide de
fonctions de réaction reliant, pour chacune de ces contingences, le temps passé à accomplir
une tâche à laquelle est associée l'obtention d'un renforcement (T) et la quantité totale
consommée au terme de l'exercice (C). Rachlin attribue la forme générale de Cobb-Douglas à
ses fonctions, qui peuvent donc s'écrire:
C· = a· Tmi \. = 1 2
1 1 l' ,
où le paramètre ai indique la quantité de renforcement qui sera obtenue par le sujet s'il fournit
l'effort maximal durant l'intervalle de temps Ti et où le paramètre mi caractérise soit une
contingence de renforcement à temps variable (mi = 0), soit une contingence de renforcement
à intervalles variables (0 < mi < 1), soit une contingence de renforcement à ratios variables
(mi = 1). Rachlin présente ensuite une fonction d'utilité reliant le bien-être d'un individu à sa
consommation de deux renforcements distincts et a encore une fois recours à la forme
générale des fonctions Cobb-Douglass, ce qui implique que:
U = Xl C1Y + X2 Cl,
Quantitative Theory of punishment»; Donahoe, Crowley, Mallard et Stickney, «A Unified Principle of Reinforcement: Some Implications for Matching»; Green, Kagel et Battalio, «Ratio Schedules of Reinforcements and their Relationship to Economic Theories of Labor Supply»; Herrnstein, «Melioration as Behavioral Dynamism»; Heyman, «Is Time Allocation unconditioned Behavior?»; Lea, «Some Mechanism of Optimality in Foraging»; Lindstrom, «An Ecological Perspective on the Study of the Allocation of Behavior»; Mazur, «A Molecular Approach to Ratio Schedule Performance»; Nevin, «Some Persistent Issues in the Study of Matching and Maximising»; Olton, «Staying and Shifting: Their Effect on Discrimination Learning»; Pear, Rector et Legris, «Toward Analyzing the Continuity of Behaviom; Rachlin, «Economics of the Matching Law»; Shimp, «Reinforcement and the Local Organisation of Behavior»; Silberberg et Ziriax, «The Interchangeover Time as a Molecular Dependent Variable in Concurrent Schedules»; Staddon, «Behavioral Competition, Contrast and Matching»; Timberlake, «The Emperor's Clothes: Assumptions of the Matching Law»; Vaughan, «Choice and the Rescorla-Wagner Model»; et Williams, «Do Interactions in Multiple and Concurrent Schedules Have a Common Basis?».
65
Dans le cas où le sujet doit allouer tout son temps aux deux activités concurrentes, nous
avons une contrainte supplémentaire de la forme:
T I +T2 =1,
et il est alors possible de réécrire:
YTmly Y(1 T)m2yU = XI al 1 + X2 a2 - 1 •
En différentiant cette équation par rapport à T), nous obtenons, après quelques manipulations,
une condition de premier ordre39 de la forme:
Tl / T2= ml / m2 . XI / X2' (CI / C2/.
Or, cette forme est aussi la forme générale de la condition d'équilibre prédite par la ma/ching
law. Aussi, il est maintenant possible de montrer que la notion de biais incluse dans la
ma/ching law généralisée de Baum sous la forme du paramètre k provient d'une part du ratio
XI / X2, qui représente les préférences relatives de l'individu pour le bien 1 indépendamment
du degré de substituabilité des deux biens, et d'autre part du ratio ml / m2, qui dépend des
caractéristiques des fonctions de réaction CI et C2 , et donc du type de contingences de
renforcement utilisé. Pour sa part, le paramètre Sr de la ma/ching law généralisée correspond
au paramètre y et est un indicateur de l'élasticité de substitution des deux biens. Rachlin
suggère enfin qu'étant donné que la ma/ching law stipule que le ratio TI / T2 dépend
uniquement du ratio CI / C2 et d'aucune combinaison additive de Cl et C2, toutes les
fonctions d'utilité homothétiques devraient être en mesure de reproduire des démonstrations
similaires.
C'est en large partie afin de pallier aux faiblesses identifiées par les nombreuses
critiques de la ma/ching law que Herrnstein présente, dans le chapitre 19 du recueil intitulé
«Melioration as Behavioral Dynamism», un nouveau cadre conceptuel appuyant cette
dernière. Ce cadre repose sur l'hypothèse selon laquelle les choix des sujets tendent toujours
à converger vers l'option fournissant le meilleur ratio local de renforcement4Ü, et ce malgré le
39 Il possible de montrer que les conditions de second ordre sont respectées, sauf dans le cas où les deux contingences concurrentes sont à ratios variables (ml = m2 = 1) et que les deux renforcements sont des biens parfaitement substituables (y = 1). Il s'agit évidemment du cas où les solutions optimales sont des solutions de coin. 40 La notion de ratio local de renforcement correspond au rendement présent d'une contingence de renforcement en particulier à un moment donné. Elle est opposée à celle de ratio total de renforcement qui correspond au rendement moyen obtenus sur toutes les contingences de renforcement pendant une période expérimentale donnée. La maximisation de l'utilité requiert généralement la maximisation de ratio total de renforcement. Cette
66
fait que cette stratégie ne soit pas optimale à long telme. Avant d'amorcer la présentation de
ce cadre, Hermstein en profite toutefois pour attaquer ses adversaires en écrivant:
«The idea of maximisation, deep\y rooted in common sense, holds behavior to be nonnatively rational and adaptive. Behavior is depicted as seeking an equilibrium that maximises something-be it total subjective utility, hedonic value, rein forcement, energy intake, or reproductive fitness-within limitations of memory and discriminative acuity as weil as the limitations imposed by the environment. [... ] Equilibrium is reached with a distribution of activities that cannot be detectably improved upon by a redistribution of choices; that is, the obtained outcomes are maximised. [... ] Not surprisingly, an intuitively compelling idea \ike maximisation penneates behavioral sciences besides economics, such as sociology (Homans, 1974), behavioral biology (Pyke, Pulliam, and Chamoy, 1977; Schoener, 1969, 1971; Krebs and Davies, 1978), and psychology (Rach lin, 1980; Rachlin, Battalio, Kagel and Green, 1981 ).41»
Quant au corps de l'argument, Herrnstein l'organise en quatre parties. Dans la première, il
montre que dans un contexte de contingences de renforcement concurrentes à ratios variables
qui sont caractéristiques de plusieurs environnements naturels42, les hypothèses du matching
et de la maximisation de l'utilité prédisent toutes deux que le sujet finira par choisir celle qui
offre le prix unitaire le moins élevé et donc le rendement par pression le plus élevé. Dans la
deuxième partie, Herrnstein argumente que la matching law est en mesure de mieux prédire
les comportements des sujets dans le contexte de contingences de renforcement concurrentes
à ratios et à intervalles variables. Il observe que dans ce cas la maximisation requérrait un
biais marqué pour la contingence à ratios variables43, ce qui n'est pas observé. Cette critique
demeurera longtemps l'argument principal pour réfuter la maximisation de l'utilité. Les
réponses de Kagel et al. à ce sujet sont présentées plus bas. Dans les deux dernières sections
de l'article, Herrnstein analyse les résultats d'expériences menées respectivement par Mazur
et Vaughan. Ces analyses ne seront pas présentées ici puisqu'elles n'ajoutent rien de
fondamental à la démonstration. Herrnstein conclut donc: «The law of effect interpreted as
the dynamism of melioration leading to the equilibrium of the matching law appears to
explain when organisms maximise and when they do not.44 »
distinction a initialement été proposée par Herrnstein et Vaughan dans un article daté de 1981 et intitulé «Melioration and Behavioral Allocation». 41 Herrnstein (1982), p.433. 42 Ce contexte ressemble par exemple au problème qui est fonnalisé par les modèles de choix optimaux des territoires de fourragement développés en biologie du comportement. Voir à ce sujet pp.79-81. 43 L'intuition est ici que relativement peu de pressions sont nécessaires pour maximiser le rendement de la contingence de renforcement à intervalles variables, ce qui libère plus de temps à attribuer à la contingence à ratios variables. 44 Herrnstein (1982), p.456.
67
En 1981, deux ans après la conférence de 1979 et un an avant la parution du recueil
des textes qui y ont été présentés, paraît dans le BBS un important dossier sur les récentes
tentatives d'implantation du modèle de maximisation de l'utilité en psychologie du
comportement animal. Le dossier est particulièrement riche et révélateur parce qu'il s'adresse
à un large auditoire et qu'il présente des réactions de plusieurs observateurs évoluant en
périphérie du petit cercle plus fermé que constituent l'orthodoxie béhavioriste de Harvard et
ses quelques commentateurs. Les commentaires de ces observateurs sont généralement plus
généraux et démontrent un certain recul critique qui permet d'aller au delà des nombreux
débats statistiques arides et techniques qui caractérisent la majorité des publications du JEAB.
Le dossier débute avec un essai de Rachlin, Battalio, Kagel et Green intitulé «Maximisation
Theory in Behavioral Psychology» qui présente les principaux résultats expérimentaux
obtenus jusqu'alors par le groupe. L'article ne présente aucun matériel empirique ou
argument foncièrement nouveau, aussi son contenu ne sera pas ici résumé. Les multiples
réactions qui accompagnent l'essai paraîtront en deux temps dans la revue; une première série
de commentaires sera publiée à la suite de l'article initial de Rachlin et al. dans le volume 4
de l'édition de 1981 alors qu'une deuxième série sera plus tard présentée dans le volume 2 de
l'édition de 198345 . Rachlin et al. offrent aussi à ces deux occasions une réplique à chacun de
leurs commentateurs. Il serait impossible de revoir ici en détails l'ensemble des remarques
soulevées par ces différents commentateurs. Aussi, seulement les plus pertinentes seront ici
reprises. Par ailleurs, il est possible de réunir la majorité de ces commentaires autour de trois
thèmes connexes.
45 Les commentaires publiés dans le volume 4 de 1981 sont: Allison, «Two Cheers for Maximisation Theory»; Baum et Nevin, «Maximisation Theory: Some Empirical Problems»; Bolles, «Trouble in Reinforcementland»; Fantino, «ls Maximisation Theory General, and ls it Refutable»; Hanson, «To Maximise or not to Maximise...»; Hermstein, «A First Law for Behavioral Analysis»; Houston et Staddon, «Optimality Principles and Behavior: lt's All for the Best»; Keeley, «The Microeconomics of Nonhuman Behavior»; Killeen et Allen, «Maximisation Theory: The "Package" Will not Serve as an AtOIID>; Leslie, «Is Operant Conditonning Ready for Formai MoJar Theories?»; Moffit, «The Power of Maximisation Theory»; Motheral, «Ideal Versus Real Worlds: Bliss Points, Time Allocation and Curve Fitting»; Powers, «Maximisation, or Control?»; Rosen, «Rate and Utility Maximisation: An Economist's View»; Rowland, «Deprivation and Maximisation: Mixed Feelings About Tom Collins et aL»; Schneider, «Economic Psychology: From Descartes to Newton»; Thaler, «Maximisation and selfcontrol»; Timberlake, «Bliss Points and Utility Functions»; Vaughan, «Rein forcement or Maximisation?». Les commentaires publiés dans le volume 2 de 1983 sont: Catania, «Is nonresponding behavior?»; Gibbon, «Maximizing the Past Minimizes the Future»; Heyman, «A Cross-Situational Test of Utility Theory»; Hursh, «Maximization and Reinforcement Theory Compared»; Lea, «Substitutability, the Form oflndifference Contours, and some Pitfalls for a Maximization Paradigm»; Schwartz, «Behavior Theory's Garb: The Emperor's New Clothes»; Wong, «Limitations of the Economic Animal».
68
Le premier de ces thèmes a trait au constat des multiples anomalies jusqu'alors
recensées dans l'étude des théories traditionnelles du renforcement par conditionnement
opérant et sur la nécessité de trouver une nouvelle approche théorique pouvant pallier à ces
problèmes46 • Allison est encore une fois celui qui exprime peut être le plus clairement d'une
part son mécontentement à l'égard des positions défendues par l'orthodoxie néo-béhavioriste
de Harvard et d'autre part son enthousiasme devant les possibilités offertes par le modèle de
la maximisation de l'utilité. Il écrit d'ailleurs à ce sujet: «Response reinforcement probably
does not merit further use as explanatory concept. We may, however, gain sorne valuable
new perspectives by viewing laboratory rewards not as response-strengthening agents, but as
economic goods or commodities.47» D'autres, dont A. J. Hanson, ont des points de vue plus
mitigés. Si ces derniers ne s'étonnent pas de constater que certains dont Rachlin et al. tentent
de répondre à la crise de confiance dans les théories traditionnelles du conditionnement
opérant en développant différentes alternatives, ils doutent que l'approche économique ait
réellement les qualités prédictives et heuristiques pour éventuellement être en mesure de les
supplanter.
Le deuxième thème abordé abondamment dans les multiples commentaires regroupe
un ensemble de considérations épistémologiques découlant du changement de paradigme
proposé par Rachlin et al. Selon plusieurs, ce changement s'accompagnerait nécessairement
d'une coupure radicale avec la conception de l'action défendue par les théories traditionnelles
du renforcement. P. T. P. Wong souligne par exemple l'opposition entre la conception
mécaniste de l'action défendue par Skinner et l'approche téléologique incarnée par
l'approche économique:
<<lt is quite apparent even to the casual reader that the economic animal created by Rachlin et al.'s (l98Ia) is very different from the animal familiar to learning psychologists. According to reinforcement theory, which has dominated behavioral psychoJogy for sorne time, an organism is conceptualized as a reactive automaton, whose behaviour is shaped and controlled by existing reinforcement contingencies. Many reinforcement theorists, such as Skinner, believe that a response is strengthened automatically as a resull ofreinforcement, and independently of motives. An organism does not acquire certain behavior in order 10 obtain reinforcement; such a conception would be teleological.48
)}
P. R. Killeen et C. M. Allen expriment une opinion similaire lorsqu'ils écrivent:
46 Les références explicites et implicites aux thèses de Kuhn concernant les concepts de crise et de révolution scientifique sont omniprésentes dans plusieurs des commentaires. 47 Allison (l98Ib), p.388. 48 Wong (1983), p.328.
69
«the view offered by this maximization theory is hypermetropic; it sees most clearly the control exerted over behavior distant from events that may be properly treated as packages, but it is blind to behaviour in the foreground, where strings on the packages have been sundered by rapidly changing constraints, and where the older, more molecular reinforcement theory retains the preferred position.49»
Finalement, B. Schwartz va un peu plus loin sur ce dernier point en liant ces deux
conceptions opposées de l'action à des interprétations différentes de la théorie évolutionniste:
«The notion of maximization is a distortion of evolutionary theory. It is a way of sneaking teleology into evolution. Evolutionary change is incremental - it takes one small adaptive step at a time. As Gou Id (1981) says, "organic forms are not an array of optimal adaptation to their immediate surroundings, but complex products of history, not always free to change in any direction that might 'improve' them"(p.43). It is hard to see how a nonteleological evolutionary process can produce organisms that are maximisers, even if we could say what it is that they are supposed to be maximising. 50»
Il ne faut donc pas se surprendre que les commentaires de Herrnstein et Vaughan soulignent
que la supériorité de leur hypothèse de la maximisation du rendement local provient du fait
qu'il s'agit d'une interprétation beaucoup plus réaliste, moins exigeante, des conséquences de
la sélection naturelle. Cette conception accepte par exemple une très grande myopie de la part
des sujets. Principalement pour cette raison, W. M. Baum et J. A. Nevin se rallient aussi à
cette hypothèse.
Finalement, un troisième thème, relié de près aux deux premiers, est la question de la
réfutabilité du modèle de maximisation de l'utilité. À ce sujet, les remarques de Houston et
Staddon opposent d'abord la conception de l'optimalité défendue par les tenants de
l'approche économique à celle qui est généralement adoptée par les biologistes et les
psychologues. Ils écrivent sur ce point:
« The general approach of Rachlin et al. is one of inverse optimality, that is, the function that is maximised is inferred from the observed behavior. When used in this way, optimality principles describe the trajectories of physical objects. For example, the path of Iight ray through media of different refractive indices minimizes travel time; it is sometimes convenient to tackle optical problems from this point of view. However, discussing biological work in the context of utility is descriptive, whereas the use of optimality in the context of natural selection is normative, that is, it specifies the behaviour that ought to be followed if Darwinian fitness is to be maximised. 51 »
Cette remarque touche un point fondamental qui est que les conclusions tirées à partir de la
conception économique de l'optimalité sont limitées à des descriptions a posteriori de
l'action observée de la part des sujets. Depuis cette optique, aucune loi génétique causale
pouvant être réfutée ne peut être déduite par cette approche. D'autres, dont E. J. Fantino, se
49 Killen et Allen (1981), pp.397-398. 50 Schwartz (1983), p.328. 51 Houston et Staddon (1981), p.394.
70
questionnent carrément sur la réfutabilité du modèle de maximisation de l'utilité puisque sur
la base du fait qu'il doit toujours exister a posteriori une fonction d'utilité qui permettra
d'interpréter le comportement observé comme étant cohérent avec les préférences qu'elle
décrit. Dans l'ensemble, ces critiques soulignent donc le lien existant entre les caractères
téléôlogique, descriptif et non réfutable du modèle de maximisation de l'utilité52.
Le débat technique sur les capacités prédictives de le ma/ching !aw et du modèle de
maximisation de l'utilité culmine finalement en 1982 lorsque D. Prelec, représentant du point
de vue béhavioriste orthodoxe de l'Université Harvard, publie dans le numéro 89 de
Psycho!ogica! Review une attaque en règle contre les tenants du modèle de maximisation de
l'utilité dans laquelle il propose une autre démonstration selon laquelle le modèle de
maximisation de l'utilité décrirait un cas particulier d'une loi comportementale plus simple et
fondamentale qu'est la ma/ching !aw dans sa version de 197953. Aux fins de sa
démonstration, Prelec a recours à un ensemble de données concernant le comportement de
rats soumis à des contingences de renforcement concurrentes à ratios et à intervalles
variables. La particularité de ce type de contingences de renforcement est que leur analyse
doit tenir compte autant de l'arbitrage de l'effort relatif devant être déployé par le sujet que
de l'actualisation de la valeur des renforcements obtenus du distributeur programmé selon
des intervalles variables. La réplique de Rachlin à Prelec rappelle d'abord que si la présence
d'un biais d'option est correctement théorisée par la ma/ching !aw généralisée de Baum, les
cas d'an/ima/ching sont quant à eux très difficilement explicables dans ce cadre. Pour
Rachlin, la principale force du modèle de maximisation de l'utilité est justement d'être en
mesure de prédire les cas où ce phénomène est observé. Aussi, Rachlin avance que la
principale faiblesse de l'argument de Prelec est de ne reposer que sur l'utilisation de
fonctions d'utilité linéaires et de se limiter aux cas où les renforcements offerts aux sujets
sont identiques. Rachlin rappelle toutefois que même dans ce cas, Prelec n'est pas en mesure
de conclure que le modèle de la maximisation de l'utilité est infirmé par les données ou que
52 En outre, ces critiques et les liens qui sont établis entre elles par les différents commentateurs ne sont pas sans ressembler à celles qui ont été par le passé exprimées par plusieurs économistes institutionnalistes. Voir entre autres, Veblen (1898), Keynes (1926). Voir aussi pp. 110-111. 53 En somme, Prelec veut étoffer la démonstration initialement proposée par Skinner dans le chapitre 19 du recueil de texte du Second symposium sur ['analyse quantitative du comportement publié la même année, soit en 1982. Cette attaque pourrait suspendre certains lecteurs compte tenu du fait que Prelec est aujourd'hui un promoteur enthousiaste de le neuroéconomie.
71
la ma/ching law fournisse une description plus précise de ces dernières. Le seul cas pour
lequel Prelec arrive à une telle conclusion est celui des contingences de renforcement
concurrentes à intervalles et à ratios variables où l'hypothèse de la maximisation implique
une préférence marquée pour la contingence à ratios variables qui n'est pas observée. Or,
dans ce cas, les deux biens dispensés ne peuvent selon Rachlin être considérés comme des
substituts parfaits, comme l'assume l'utilisation de fonction d'utilité linéaire par Prelec,
puisque dans ce cas les deux contingences diffèrent dans la quantité de loisir qu'elles
permettent au sujet de consommer. Rachlin ajoute donc qu'avant de conclure à la supériorité
de la ma/ching law dans ce contexte, il faudrait imaginer une expérience reproduisant des
contingences à intervalles et à ratios variables dont la procédure annulerait l'effet lié à la
présence du loisir. Selon Rachlin, une telle expérience a été menée par Green dans son
laboratoire de St-Louis et les résultats confirmeraient les prédictions du modèle de
maximisation de l'utilité selon lesquelles les sujets démontreraient alors des préférences
marquées pour la contingence à ratios variables. Quant à elle, la réplique de Kagel, Battalio et
Green reprend plus ou moins les mêmes points et ne fournit pas plus de renseignement sur
l'expérience supposément en cours dans le laboratoire de Green sur laquelle une partie de la
réponse de Rachlin s'appuie. Finalement, dans sa réponse Prelec concède que la ma/ching
law ne peut expliquer les comportements des sujets dans le cas où des renforcements
qualitativement différents leur sont présentés, ce qui ne constitue à son opinion pas un
argument pour discréditer la ma/ching law pour l'explication des cas où les renforcements
sont hautement substituables.
Après 1983, le débat s'estompe entre Kagel et al. et les néo-béhavioristes orthodoxes
de Harvard. Non pas qu'un clan ait donné raison à l'autre, mais plutôt parce que chacun
semble s'être assis sur sa position et que le dialogue les opposant a été rompu. Dorénavant,
les deux approches cohabiteront en psychologie comportementale. Deux conclusions
s'imposent toutefois à l'étude de l'épisode. D'une part, il faut reconnaître que malgré une
quantité imposante de résultats expérimentaux colligés sur plus d'une décennie, aucun
consensus concernant la supériorité prédictive d'un des deux modèles n'a pu émerger sur la
simple base de l'évidence empirique accumulée au fil des années. Dans plusieurs cas de
figure, ces données peuvent être expliquées raisonnablement bien par les deux modèles
72
théoriques, ce qui a toujours permis à chacun de conclure à la supériorité de son approche.
Plus fondamentalement, les défenseurs des deux écoles ont toujours maintenu la conviction
que le cadre théorique de leur adversaire était en réalité un simple cas particulier de son
propre modèle. Devant cette indétermination empirique de la problématique, force est donc
de chercher ailleurs les motivations des différents belligérants à maintenir leur ligne de
pensée respective. Cet exercice suggère une deuxième conclusion qui est que les hypothèses
du matching et de la maximisation sous contrainte incarnent des conceptions ultimement
incompatibles de J'action. D'un côté, il faut garder en tête que la matching law est issue de la
tradition néo-béhavioriste dont les racines demeureront les pensées mécanistes de Mach,
Loeb et Skinner. Selon les ténors de cette tradition, l'explication scientifique du
comportement doit s'en tenir à considérer uniquement les expériences passées des sujets et de
leurs ancêtres comme les déterminants de leur propre comportement présent. De l'autre, il
faut aussi reconnaître que l'hypothèse de la maximisation de l'utilité représente une
conception téléologique de l'action selon laquelle ce sont d'abord les conséquences futures
d'une action potentielle qui déterminent le comportement présent d'un sujet. Ces deux
conceptions fournissent ultimement des cadres concurrents à l'intérieur desquels il est
possible de donner des sens différents à un même groupe de données empiriques. Sans
surprise, la rhétorique des défenseurs de l'approche mécaniste s'articule en dernier ressort sur
la supériorité de ses assises épistémologiques alors que celle des partisans de l'approche
téléologique s'exprime davantage autour des qualités heuristiques des notions d'élasticité et
d'effets de revenu et de substitution54 •
Avec encore plus de recul, on s'aperçoit finalement que cette opposition s'inscrit de
manière plus large à l'intérieur de deux conceptions différentes de la théorie de l'évolution
qui s'opposent depuis sa formulation au XIXième siècle. Rachlin a l'intuition de cette scission
fondamentale à l'intérieur de la communauté béhavioriste lorsqu'il écrit:
«Behaviorists disagree with each other about whether complex behavioral patterns of whole organisms are usefully labeled by terms from our mental vocabulary. Skinner (1990) thought not. 1 believe, on the contrary, that mental terms are useful in behavior analysis (Rachlin, 1994). You could caU this the "teleological stance".'\}
54 Cette polarisation des rhétoriques des deux écoles est caractéristique de plusieurs débats ayant eu cours en d'autres temps, notamment de celui ayant opposé la philosophie mécaniste de Loeb à la philosophie téléologique des vitalistes à la fin du XIXième siècle. " Rachlin (2000), p.14.
73
Articulée de façon plus formelle, cela revient à dire que les béhavioristes mécanistes ou
orthodoxes s'en tiennent à une interprétation plus stricte de la sélection naturelle à l'intérieur
de laquelle l'explication ontologique des comportements des individus composant une espèce
doit toujours précéder l'explication de l'évolution phylogénétique de cette dernière alors que
les béhavioristes plus enclins à accepter l'approche téléologique de l'économie ont plutôt
tendance à expliquer l'évolution ontologique d'un individu comme le résultat de l'évolution
phylogénétique de l'espèce. Selon cette deuxième approche, le comportement des membres
d'une espèce est donc déterminé par le résultat de la sélection passée des phénotypes
comportementaux les mieux adaptés à l'environnement, ce qui suggère que les patterns
comportementaux observés au terme de cette sélection puissent revêtir une certaine forme
d'optimalité. Pour les mécanistes comme Loeb, Skinner et Herrnstein, il s'agit d'une grave
erreur causée par un biais anthropomorphique qui consiste à attribuer une certaine fin ou
direction à l'évolution. Encore une fois, comme les propos de Rachlin le suggèrent d'ailleurs,
les tenants de l'approche téléologique considèrent plutôt que la différence entre les deux
conceptions est davantage linguistique que fondamentale et que l'important demeure toujours
d'arriver aux prédictions les plus précises et intuitives possibles des comportements observés.
2.4 Évolution parallèle dans les sciences biologiques
En marge des efforts de Kagel et al. pour amorcer un dialogue entre l'économie et la
psychologie comportementale, un autre rapprochement important se prépare entre l'économie
et certains domaines de la biologie comportementale et de l'écologie. Dès la fin des années
soixante et le début des années soixante-dix, plusieurs chercheurs de ces disciplines
s'intéressent aux possibilités offertes par les modèles de comportements optimaux dans S6différents contextes allant de la détermination de l'investissement parental optimal à
l'analyse des équilibres compétitifs et coopératifs caractérisant les interactions de différentes
espèces évoluant à l'intérieur d'une même niche écologiqueS? Parmi la panoplie des avenues
explorées, deux propositions vont toutefois se rapprocher davantage des problématiques
étudiées par Kagel et al. La première est le fait des biologistes D. J. Rapport et 1. E. Turner et
56 Schaffer ( 1974). 57 Maynard-Smith (1978) et Hirshleifer (1978).
74
de l'économiste G. Tullock58 qui suggèrent tour à tour que le modèle de maximisation de
l'utilité fournit une explication valable et intuitive de plusieurs comportements de
fourragement observés chez plusieurs espèces tels que le renversement subit des préférences
relatives d'un prédateur pour différentes proies. D'autres biologistes du comportement dont
Charnov et G. A. Parker et R. A. Stuart étudient plutôt le choix entre différents territoires de
fourragement occupés par les mêmes proies et développent le théorème de l'égalisation des
valeurs marginales des activités de prédation menées sur chacun de ces territoires. Bien que
Kagel et al. émettront plus tard des réserves sur certaines des hypothèses à la base de ces
deux familles de modèles dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, ils soulignent dès
1976 à maintes reprises le lien de parenté existant entre ces travaux et les leurs. Pour des
raisons sur lesquelles il faudra revenir, cette deuxième rencontre ne souleva toutefois jamais
autant de passion dans les rangs des biologistes que dans ceux de la petite communauté
béhavioriste.
2.4.1 L'entrée en scène de la théorie des choix rationnels en biologie
L'histoire commune de ['économie et de la biologie est truffée d'influences et
d'emprunts réciproques qui ont pour la vaste majorité déjà été recensés et documentés. Un
des points de rencontre entre les deux disciplines qui a toutefois été relativement peu souligné
dans la littérature passée sur le sujet est l'application de la théorie néoclassique du
consommateur dans l'interprétation des comportements de prédation. La première
proposition formelle en ce sens est le fait de G. Tullock alors chercheur au Center of Study of
Public Choice de la Virginia Polytechnique Institute. Dans une courte note adressée au
directeur de la revue intitulée «The Coal Tit as a Careful Shopper» et publiée dans l'AN en
1971, ce dernier souligne que la relation établie par Gibb en 1958 entre la consommation
d'Ernarmonia conicolana par les mésanges noires et la densité de proies préalablement
recensées à l'intérieur des surfaces analysées rappelle étrangement la relation stipulée par
l'analyse classique du comportement du consommateur entre la quantité consommée d'un
bien et son prix (voir Figure 2.1). Il relate sa découverte en mentionnant:
58 Bien qu'économiste, Tullock a publié quasi exclusivement dans des périodiques de biologie.
75
«Regardless of the reasons, it is true that 1 was reading Lack's book, and in it 1 came across a summary of the work of J. Gibb on the consumption of the eucosmid moth Ernarmonia conicolana by coal tits which contains a figure which looks surprisingly like a standard economic demand and suppJy diagrarn. A little exarnination indicated that it was not a true demand and supply curve, but nevertheless that economic princip les do apply quite readily. Indeed, it can be said that the coal tits are maximizing the return to their labor in searching out food supplies. We need not, of course, argue that the coal tits have thought the matter out in the sarne way that human beings wouId. Presumably, they have inherited an efficient pattern of behaviour resulting from natural selection which would eliminate inefficient heritable behavior patterns. 59»
OJFf'EilENT l.,OCI\UTil-:S
Figure 2.\ : Graphique illustrant la relation entre la densité de proies et les quantités consommées par la mésange noire. Les courbes A et B représentent les densités de proies observées avant et après la prédation alors de la courbe C représente une estimation hypothétique de la densité observée durant la saison de prédation. (Tiré de Tullock, \971.)
L'oiseau semble donc exploiter systématiquement les superficies contenant les plus fortes
densités de spécimens qui correspondent aux prix unitaires les moins élevés et se déplacer
graduellement vers les superficies à moins forte densité à mesure que sa cueillette exerce une
pression à la baisse sur la disponibilité de la ressource à l'intérieur des zones déjà exploitées.
Aussi, l'écart entre les courbes A et B, qui représente la quantité de proies consommées sur
chacun des territoires, diminue bien progressivement à mesure que la densité de proies
observée sur ces derniers diminue et que le prix de la ressource augmente. Ce comportement
correspond bien à une solution optimale au problème auquel fait face le prédateur qui doit
exploiter la ressource de façon à maximiser la quantité de larves consommées. Tullock en
conclut que plusieurs problématiques relatives aux comportements de fourragement
pourraient être éclairées par l'approche économique du problème du consommateur. Il
ajoute:
«The interrelation between economics and biological sciences has perhaps been less obvious in recent years than it was in the days of Malthus, Darwin, and Wallace. Still, structural similarities between the two fields do exists, and the recent interest in ecology has led a great many
59 Tullock (1971), p.77.
76
economists to become concerned with biological problems and biologists to become concerned with economic problems6o»
L'année suivante, il fait un pas de plus dans cette direction et publie une autre courte note
dans le Bull. Ecol. Soc. Amer. intitulée «Switching in General Predators : Comments» où il
suggère d'étudier le renversement des préférences des prédateurs pour différentes proies dans
le cadre du modèle de maximisation de l'utilité.
La même année, soit en 1971, le biologiste D. J. Rapport publie aussi dans l'AN une
première tentative formelle d'application du modèle de maximisation de l'utilité au problème
du renversement des préférences préalablement identifié par Tullock dans un article intitulé
«An Optimization Model of Food Selection». En conclusion de l'article, Rapport souligne le
récent intérêt de plusieurs auteurs pour différents modèles économiques. Il écrit à ce sujet:
«The model presented here derives From a consideration of models found useful in microeconomic analysis (Watson 1963). Rosen suggests the application of economic models to biological phenomena and, more specifically, formulates an analysis of optimal sugar intake by bacteria in terms of an economic linear programming mode!. Tullock (1970, 1971) has suggested the usefulness of consumer economic theory to explain biological phenomena and has applied "demand theory" to the analysis of predation. When this work was nearly completed, 1 learned that Covich (1969, 1971) had independently developed a predation model based on "indifference" curves analysis derived From consumer economic theory.61»
Par ailleurs, la présentation plus intuitive que formelle que Rapport fait du modèle de
maximisation de l'utilité met encore une fois l'accent sur la relation entre les diverses formes
possibles des courbes d'indifférence et le degré de substituabilité des biens composant les
différents paniers auxquels sont potentiellement confrontés les sujets. Le principal objectif
poursuivi par Rapport est de montrer qu'il est possible de déduire des propositions testables
empiriquement sur la base de ce modèle. Aussi, il propose par exemple que les résultats de
Murdoch (1969) concernant le renversement des préférences de murènes pour deux espèces
similaires de mollusques en réaction à des variations de leur abondance relative puissent être
interprétés comme la conséquence directe de leur degré élevé de substituabilité. Rapport
montre que dans ce cas, de petites variations de l'abondance relative des deux espèces
peuvent mener à d'importantes variations des quantités consommées des deux proies, le cas
extrême d'un tel renversement étant évidemment le passage d'une solution de coin à une
autre pouvant être observé en présence de substituts parfaits. Selon Rapport plusieurs
résultats empiriques recueillis autant en environnement naturel qu'en laboratoire par des
60 Tullock (1971), p.77. 61 Rapport (1971), p.586.
77
biologistes reproduisent ces résultats. Il note finalement que les psychologues du
comportement ont aussi reproduit de tels résultats dans le cadre d'expériences menées sur des
rats et des pigeons confrontés à des distributeurs d'un même renforcement programmés selon
des contingences de renforcement concurrentes à ratios variables62 •
En 1977, Rapport63 et J. E. Turner publient dans Science une revue de la littérature
entourant l'emprunt de modèles économiques d'allocation optimale néoclassiques par des
biologistes. Cette revue, intitulée «Economic Models in Ecology» et sous-titrée «The
Economics of Resource Allocation Provide a Framework for Viewing Ecological Processes»
poursuit l'objectif de montrer que les résultats accumulés dans cette littérature fournissent des
bases suffisamment solides pour qu'il soit possible de considérer qu'il existe un avenir pour
une «économie des communautés naturelles». Aux dires même des auteurs:
«Viewed as a group these and other recent contributions may lay the foundations for an approach to ecology in terms of an economics of natural communities. In this article we review how economic analysis has contributed to our understanding of ecology and show how a comprehensive framework for economic analysis of ecological phenomena may emerge.64»
Après un bref rappel des interactions historiques entre les deux disciplines, les auteurs
regroupent ces différents résultats en trois sections. Dans une première section, ils relatent les
différentes tentatives d'application de la théorie du consommateur effectuées en biologie,
dont une des principales contributions demeure celle que Rapport établit dans son article de
1971 sur les comportements optimaux de prédation. Dans une deuxième partie de l'argument,
les auteurs recensent les études qui pourraient être interprétées dans le cadre de la théorie de
la production, notamment concernant la question de l'investissement parental optimal ou de
l'analyse de la division du travail proposée par Wilson dans Sociobiology. Finalement, ils
suggèrent que les interactions entre les populations de prédateurs et de proies puissent être
conceptualisées par la notion de marché. Dans ce cadre, la récolte énergétique de la
population de prédateurs exprimée comme une fonction croissante de la densité de la
population de proies tiendrait lieu de demande alors que la population de proies exprimée
comme une fonction croissante de sa densité tiendrait lieu d'offre. Sur ce dernier point en
particulier, les auteurs commettent certainement quelques simplifications abusives qui leurs
62 Voir pp.54-55. 63 Rapport est à l'époque environnementaliste à Statistique Canada et Turner est au Département de mathématique de l'Université McGi11. 64 Rapport et Turner (1977), p.367.
78
permettent de conclure avec un peu trop d'empressement que le projet qu'ils proposent est
non seulement viable mais aussi incontournable. Toutefois, du point de vue historique
l'article a le mérite de refléter un état certain esprit qui anime au moins quelques biologistes
enthousiastes devant les possibilités offertes par l'intégration des deux disciplines.
2.4.2 Le théorème de l'égalisation des valeurs marginales des territoires de fourragement
S'intéressant à un problème légèrement différent où le prédateur doit choisir entre
différents territoires de fourragement recensant des proies identiques, Charnov est le premier
a proposer le théorème de l'égalisation des valeurs marginales des territoires de fourragement
dans un court article publié en 1976 et intitulé «Optimal Foraging: the Marginal Value
Theorem». Ce modèle caractérise les territoires de fourragement disponibles par des
fonctions de production à rendements décroissants représentant différentes densités initiales
de proies où l'apport énergétique retiré de la prédation sur chacun des territoires est donc
considéré comme une fonction croissante et concave du temps passé sur ce territoire. Les
seules autres hypothèses avancées par le modèle de Charnov sont que des dépenses
énergétiques différentes sont associées au temps dédié au déplacement entre les territoires et
au temps dédié à la prédation. À l'aide de ce petit modèle simple, Charnov arrive au résultat
que la stratégie qui maximise dans ces conditions l'apport énergétique est de quitter un
territoire donné lorsque la valeur énergétique marginale des captures sur ce territoire tombe
en dessous du rendement moyen de tous les territoires. La même année, G. A. Parker et R. A.
Stuart publient un article intitulé «Animal Behavior As a Strategy Optimizer : Evolution of
Resource Assessment Strategies and Optimal Emigration Thresholds» à l'intérieur duquel ils
généralisent la portée du théorème à des cas beaucoup plus complexes. Kagel et al. feront
plus tard la remarque dans Economie Choice Theory que Chamov et Parker et Stuart
supposent que le prédateur bénéficie de tout le temps qu'il désire pour vaquer à ses activités,
ce qui les amènerait à négliger le coût d'option de fourrager sur un territoire, qui est de ne pas
fourrager sur un territoire potentiellement plus productif. En présence d'une telle contrainte
horaire, Kagel et al. montrent que les prédateurs auraient avantage à quitter un territoire de
fourragement donné plus tôt que ne le prédit la littérature proposant le théorème de la valeur
marginale des territoires de fourragement.
79
Il est aussi intéressant de noter qu'à l'occasion de cette critique, Kagel et al.
mentionnent aussi:
«In Rapport's model, if nature is ruthlessly efficient in "weeding out" individuals that fail to make optimal food choices, then the optimal choice point is one that will yield the maximum inclusive fitness to the animal in relation to any other point on the budget constraint. This notion of optimality, common in the biology literature, is quite different from the economist's, for whom tastes are regarded as given even if they are detrimental to the consumer's health.65»
Aux dires même de Kagel et aL, les morphologies très similaires des deux modèles de choix
optimaux élaborés en économie et en biologie cacheraient donc des conceptions
fondamentalement différentes de la théorie de l'action. D'une part, l'interprétation
économique de la maximisation de l'utilité repose sur l'axiome des préférences révélées et
s'en tient donc à des énoncés de principe relativement simples concernant les préférences
individuel1es comme la non satiation et la transitivité. De son côté, l'interprétation biologique
de l'optimalité repose plutôt sur la conception classique de fitness biologique qui se traduit
dans ce cas du problème des comportements de prédation optimaux par l'hypothèse de la
maximisation de l'apport énergétique. Aussi, il faut noter que la maximisation de l'utilité
s'appuie sur une notion subjective de la valeur que l'individu attribue lui-même aux
différents choix devant lesquels il est confronté alors que le modèle des comportement
optimaux développés en biologie s'appuie sur une notion objective de la valeur qui est ici
établie par un observateur neutre comme étant l'apport énergétique des comportements
choisis. Cette distinction fondamentale sera plus tard à la base des attaques que Mirowski et
McDonough ont portées à la légitimité des applications du modèle de maximisation de
l'utilité aux comportements d'espèces animales. Pourtant, la citation de Kagel et al. à ce sujet
démontre bien que ces dernier sont au fait de cette différence. Ce qui est fondamentalement
en jeu dans ce débat est le statut scientifique du critère de maximisation de l'utilité qui, à
l'opposé du critère de maximisation de l'apport énergétique, apparaît aux yeux de plusieurs
comme étant impossible à falsifier66 . Par ailleurs, la question se pose à savoir si la simple
similarité morphologique des problématiques traitées par les deux disciplines ne serait pas en
soi un élément suffisamment intéressant pour que l'on n'y prête une attention particulière.
65 Kagel, Battalio et Green (1995), p.30. 66 Voir à ce sujet le commentaire intéressant de Boland (1981).
80
Il faut finalement revenir sur le peu de réactions causées en biologie par les travaux
de Tullock, Gordon et Turner qui demeurent en définitive de réelles tentatives d'application
de la théorie des choix rationnels au comportement animal en environnement naturel. Sur ce
point, il apparaît d'une part que le principal défenseur de cette approche en biologie du
comportement, G. Tullock, est avant tout un économiste de formation qui tente une intrusion
dans ce champ d'étude alors que le groupe de Kagel et al. pouvait compter sur la prestance de
Rachlin, une des figures les plus imposantes de la communauté béhavioriste ayant par le
passé lui-même contribué à établir la réputation de l'orthodoxie du Harvard Pigeon Lab67 •
D'autre part, il faut noter que l'étude des comportements individuels est une problématique
périphérique en biologie et en écologie, des disciplines où les interactions entre les différents
membres d'une même espèce ou encore entre les différentes espèces composant un même
écosystème occupent davantage l'avant-scène. Il faut à ce titre rappeler que dès la fin des
années soixante-dix l'application de la théorie des jeux à de telles problématiques s'est vite
répandue après la publication du célèbre ouvrage Sociobiology de Wilson qui propose
d'étudier systématiquement les comportements sociaux des différentes espèces depuis
l'hypothèse de la sélection génétique. Si Wilson intègre lui-même plusieurs notions
économiques dans son analyse, d'autres iront vite beaucoup plus loin dans cette direction.
Tullock se dirigera lui-même dans cette voie et délaissera dès le milieu des années soixante
dix l'étude des comportements individuels proprement dite68 • Un autre économiste, J.
Hirshleifer, fera de même et publiera dès 1977 une analyse explorant les différentes aires de
coopération possibles entre la sociobiologie et l'économie69 dans un article intitulé
«Economies from a Biologieal Viewpoint» dans le Journal of Law and Economies. Le
contenu de l'article est par ailleurs repris dans un texte intitulé «Natural Economy versus
Political Economy» qui sera présenté le 30 mars 1978 à l'Université de Rochester dans le
67 Bourdieu a à ce sujet déjà développé la thèse selon laquelle tout agent de changement important dans une communauté donnée devait nécessairement être un «insider» afin de pouvoir ébranler les fondements même de la conception orthodoxe. Ce dernier cite entre autres abondamment l'exemple du peintre Manet qui provoqua la révolution impressionniste après avoir étudié aux Beaux-Arts l'académisme enseigné par les peintres «pompiers». 68 En 1978 et 1979, Tullock a notamment publié «Altruism, malice and public goods» dans le Journal ofSocial and Biologieal Structure et «Sociobiology and Economies» dans le Atlan/ie Economie Journal. 69 1.1 ne s'agit donc plus de déterminer comment un organisme individuel réagit face à une contrainte de rareté, mais plutôt comment le comportement social d'une espèce, qu'il soit coopératif ou conflictuel, est déterminé par la rareté relative des ressources qui sont à sa disposition. Pour étudier les résultats de la compétition entre diverses espèces ou entre divers membres d'une même espèce, Hirshleifer a recours au concept d'équilibre de NashCournot.
81
cadre de la Gilbert Memorial Lecture. Quoi qu'iJ en soit, à la fin des années soixante-dix
plusieurs travaux relativement publicisés dans la communauté des biologistes du
comportement avancent que les deux disciplines pourraient largement bénéficier d'une plus
grande coopération. En soi, cela était suffisant pour alimenter l'ambition de plusieurs des
défenseurs d'une écologie économique.
2.5 Vers un nouveau programme de recherche
Avec les appuis d'acteurs comme Lea, Allison, Hursh et Staddon en psychologie
comportementale et Rapport et Tullock en biologie comportementale, le projet initié par
Kagel, Battalio, Rachlin et Green semble dorénavant en mesure de rassembler assez
d'opinions favorables pour bénéficier d'un certain appui dans chacune des communautés
concernées. D'une part, les résultats des premiers tests expérimentaux confrontant l'axiome
des préférences révélées dans le contexte de la théorie du consommateur et de la théorie de
l'offre de travail au comportement animal semblent concluants. D'autre part, il semble que le
modèle de maximisation de J'utilité est en mesure de prédire les choix des pigeons et des rats
confrontés à une panoplie de contingences de renforcement en environnements
expérimentaux plus précisément que les théories classiques du renforcement par
conditionnement opérant. Finalement, l'analyse de données recueillies par des biologistes sur
les comportements de prédation d'espèces évoluant dans leurs environnements naturels et en
laboratoire suggère que les comportements de ces derniers puissent aussi être expliqués par le
modèle de maximisation de l'utilité. Finalement, l'ensemble des acteurs avançant dans ces
diverses directions sont tous au fait des travaux en cours dans les autres domaines. Tour à
tour, ces différents auteurs ont d'ailleurs recours à ces différents travaux afin de légitimer
leurs propres efforts, de sorte qu'une certaine synergie s'installe entre ces différents
chercheurs qui oeuvrent dans l'ensemble de ces champs de recherche. Il est sur ce point par
exemple amusant de remarquer que les articles de Kagel et al. qui ont été publiés dans des
revues d'économie ont bien souvent été révisés par Hirshleifer ou de noter la présence de
Kagel sur le comité éditorial du BAL entre 1981 et 1983.
82
Un des témoignages les plus éloquents de cet enthousiasme demeure toutefois la
publication en 1980 du volume Limits to Action: The Allocation ofIndividual Behavior. Dans
la préface et l'introduction du recueil, l'éditeur 1. E. R. Staddon70 ne se limite à encourager la
coopération des membres des diverses disciplines étudiant le comportement humain et animal
mais défend plutôt clairement l'idée selon laquelle la théorie économique offre un cadre
prometteur pour la mise sur pied d'un véritable programme de recherche intégrateur.
«Behavioral psychologists, behavioral ecologists, and economists are ail interested in how individual organisms allocate their time and energy; ail have found it convenient to look to the consequences of such allocation for part of its explanation. Yet no book has been available that makes this common interest explicit. This volume is a beginning at1empt to acquaint researchers and advanced students in each of these areas with the idea and methods of the other twO. 71 »
Plus loin, dans l'introduction, l'éditeur souligne plus précisément le contenu de ces intérêts
communs:
«In a competitive world, ail organisms face this problem: Time and energy are limited, and the plant that puts too much of its substance into growth and not enough into reproduction, or the animal that spent too much time in courtship and not enough in defending its territory, will alike suffer loss in reproductive success, in Darwinian fitness. Efficient resource allocation is essentiaJ to success, and, moreover, is something over which the individual has direct control.72»
Finalement, l'éditeur annonce plus clairement les objectifs communs poursuivis par tous les
chapitres du recueil:
«The chapters of this book emphasize the intimate relation between the concepts of utility, reinforcement, and Darwinian fitness. Ail, for similar reasons, have proved difficult to define and measure. They are not independent notions, since things that are "reinforcing", in the definitional sense of "strengthening" behavior, must aJso be things that in the history of the species have promoted inclusive fitness; that is, if it feels good, it is probably good (or was sa for one's ancestors). This book provides no grand resolution, but it is helpful to be reminded that the problem of utility and reinforcement is part of the larger problem of measuring fitness in two inconvenient populations: one's ancestors and one's descendants.7J»
Le contenu de ces chapitres se veut par ailleurs beaucoup plus rhétorique que substantif;
l'objectif n'est pas de présenter de nouveaux résultats, mais plutôt d'élargir les intervenants
dans un dialogue déjà amorcé entre les trois disciplines.
Le volume se divise donc assez naturellement en trois parties regroupant dans l'ordre
des chapitres se situant dans les champs de la biologie évolutionniste, de la psychologie
70 Rachlin s'est aussi beaucoup impliqué dans le projet comme en témoignent les remerciements que Staddon lui adresse: «I also thank Howard Rachlin for his indispensible assistance during the book's early stages: Without his persuasive powers, it might never have found a publisher». Rachlin est aussi le seul à avoir contribué à deux des huit chapitres du livre. 71 Staddon (1980), p.xi. 72 Staddon (1980), p.xv. 73 Staddon (1980), p.xviii.
83
comportementale et de l'économie74 • Le premier chapitre présente d'abord une étude menée
par le biologiste J. Antonovics qui vise à interpréter la croissance des végétaux comme le
résultat de la compétition de différents individus (plans) et de différentes espèces (essences)
pour les ressources rares d'un écosystème donné. Le chapitre deux de 1. A. Real vise ensuite
à opérationnaliser la notion de fitness en terme de l'optimisation de l'apport énergétique sous
des contraintes de quantités de ressources disponibles, de temps disponible et des risques
propres au territoire occupé par l'individu. Pour sa part, D. 1. Rubenstein s'attaque dans le
chapitre trois à la question des déterminants de la stratégie de reproduction optimale. Les
trois chapitres suivants écrits respectivement par Staddon, Herrnstein et Vaughan, et Houston
et McFarland traitent de développements récents en psychologie comportementale. Staddon
étudie d'abord la relation existant entre plusieurs résultats obtenus en psychologie
comportementale par les techniques de conditionnement opérant et plusieurs analyses des
comportements de prédation optimaux développées par des biologistes du comportement.
Herrnstein et Vaughan présentent ensuite un modèle qui fournirait sur la base d'une version
dynamique de la matching law une alternative à l'hypothèse d'optimalité défendue par les
autres contributions75 . Quant au chapitre de Houston et McFarland, il traite de la relation
existant entre les phénomènes physiologiques de résiliences observés chez des animaux et la
théorie de la demande. Les trois derniers chapitres de Rachlin, de Kagel, Battalio, Green et
Rachlin, et de Winkler abordent des problématiques plus près de l'économie. Le chapitre de
Rachlin établit d'abord les liens qui unissent les théories classiques du renforcement et la
théorie économique. Par la suite, Kagel, Battalio, Green et Rachlin présentent un résumé des
résultats expérimentaux qu'ils ont obtenus depuis le début de leur collaboration en 1973.
Dans cette présentation, ils lancent en particulier un appel à une plus grande coopération
entre les différentes disciplines étudiant le' comportement animal:
<<ln recent years economic theories of individual choice behavior have been applied both to the allocation of limited resources in ecology and to studies of animal choice behavior in psychology [... ] While the application of models of individual choice behavior varies between economics, psychology and biology, the common nature of a number of underlying concepts makes these experiments relevant to ail three disciplines. 76»
Finalement, un neuvième et dernier chapitre signé par Winkler présente des applications
concrètes de théories économiques aidant à la compréhension des comportements des patients
74 Saum (1982) propose un compte rendu intéressant du contenu du volume. 75 L'argument qu'ils présentent à cette occasion n'est pas sans ressembler à celui contenu dans Herrnstein (1982). 76 Kagel, Sattalio, Green et Rachlin (1980), p.238.
84
évoluant à l'intérieur d'économies de jetons. Au total, le spectre de sujets couverts par les
neuf articles composant le recueil est donc très large; allant de l'étude de l'allocation des
ressources rares par les végétaux au recours à la théorie économique afin d'améliorer
l'efficacité de certaines thérapies comportementales.
En 1983, Allison proposera finalement une première monographie portant sur
l'exploration des liens unissant le modèle microéconomique de maximisation de l'utilité et la
psychologie comportementale. Son titre, Behavioral Economies, suggère d'emblée
l'émergence d'un nouveau paradigme de recherche multidisciplinaire. Dans les différents
chapitres de l'ouvrage, Allison situe le contexte de cette rencontre inattendue et recense les
différentes possibilités offertes par l'élaboration d'un tel programme de recherche. 11 suggère
aussi différentes problématiques plus complexes qui pourraient être éventuellement étudiées
à l'aide des techniques présentées dans le volume comme l'étude de l'émergence des prix de
marché des interactions entre des offreurs et des demandeurs et l'étude des facteurs temporels
et du risque dans la prise de décision. Dans les années qui allaient suivre, la majorité des
intervenants de cette littérature allaient se tourner davantage vers l'étude des deux dernières
problématiques.
2.6 Conclusion
Le début des années quatre-vingt est donc marqué par l'enthousiasme de plusieurs
intervenants qui désirent exploiter davantage les possibilités offertes par une plus grande
coopération entre les différentes disciplines étudiant les déterminants environnementaux du
comportement. Cet enthousiasme cache toutefois une réalité beaucoup plus complexe qui est
celle de la divergence des prémisses théoriques et des intérêts des différents acteurs réunis
par Staddon dans Limits to Action en 1980. Pour Kagel et Battalio, il s'agissait d'abord de
développer une alternative originale et relativement peu coûteuse aux méthodes
économétriques traditionnelles qui serait mieux adaptée à la vérification empirique des
hypothèses émises par la théorie des choix rationnels sur le comportement individuel. Pour
Rachlin, Green, et les autres psychologues du comportement, il s'agissait simplement
d'arriver à des prédictions plus justes concernant le comportement des sujets expérimentaux
85
afin d'être éventuellement en mesure de développer des technologies comportementales plus
efficaces. Quant aux différents biologistes du comportement s'étant intéressés aux
possibilités offertes par le modèle de la maximisation de l'utilité, il s'agissait plutôt pour eux
d'être en mesure d'expliquer plus précisément le comportement d'espèces en environnements
naturels. En somme, malgré la morphologie très similaire des problématiques qu'ils abordent,
ces trois groupes poursuivent des objectifs assez différents depuis des perspectives parfois
irréconciliables. Aussi, les économistes tardent à s'intéresser aux travaux de Kagel et al. alors
que plusieurs psychologues rejettent la conception téléologique de l'action et de l'évolution
qu'incarne à leurs yeux le modèle économique et qu'un doute persiste toujours quant à la
possibilité de réconcilier la conception subjective de l'optimalité prônée en économie et la
conception objective de cette dernière prônée en biologie.
Si les trois groupes bénéficiaient tous temporairement des appuis nécessaires, leurs
travaux se devaient de rassembler rapidement un bassin plus large de chercheurs pour espérer
s'imposer dans leur discipline respective. Au début des années quatre-vingt, c'est à l'intérieur
de la communauté béhavioriste que l'avenir de l'économie béhaviorale semble le plus assuré
alors que ce sont les économistes qui semblent montrer le plus de scepticisme. En 1981, Lea
écrivait d'ailleurs en conclusion de son article dans le Journal ofEconomie Psychology :
«The convergence of interests of operant psychologist and behavioral ecologists, focusing on optimisation models, makes it certain that both these groups of behavioural scientists will be quarrying economics for sorne years to come. What remains to be seen is whether this will become a two-way traffic: whether economists, and indeed economic psychologists, will know how to make use of data from animal experiments.77»
Deux ans plus tard, en 1983, il est encore trop tôt pour avancer une réponse à cette
interrogation. Ce qui est toutefois certain est que tous les acteurs impliqués par ces différents
travaux participent à leur manière au regain d'intérêt pour les idées positivistes de
formalisation et de convergence qui traversent alors les sciences humaines et sociales. Kagel
et Battalio eux-mêmes ne cachent pas qu'ils considèrent que leurs travaux s'inscrivent dans la
lignée de «l'impérialisme» économique développé par l'École de Chicago. Sans surprise,
Becker est très favorables aux travaux du groupe au point il n'aurait pas hésité à user de son
influence pour que le directeur du JPE publie sans modification un de leur article78 . Aux
77 Lea (1981), p.267. 78 Entrevue du 24 juillet 2006 avec Green. Selon toute vraisemblance, il s'agirait de l'article de Battalio, Kagel, Rachlin et Green de 1981. Kagel mentionne aussi le support de Becker sans faire référence à l'incident.
86
côtés des vagues déclenchées par l'économie politique de Chicago, les sciences humaines
sont aussi secouées par tout le débat entourant la sociobiologie et son hypothèse d'un
déterminisme biologique strice9. En trame de fond de ces tendances deux visions doivent être
distinguées. Selon une première vue répandue chez les béhavioristes, les comportements
individuels seraient plus influencés par les conditions environnementales présentes que par le
fruit de la sélection génétique passée. Selon une seconde vue répandue parmi les biologistes,
l'optimalité de ces mêmes comportements découlerait naturellement de la sélection génétique
passée. À mi-chemin entre ces deux conceptions, le projet de construction d'une économie
béhaviorale qu'incarnent les travaux de Kagel et al. peut autant être envisagé comme une
alternative à la sociobiologie construite autour de l'hypothèse d'un déterminisme
environnemental strict que comme un de ses principaux compléments8o•
79 Si ces deux courants partagent certaines affinités méthodologiques ou philosophiques, il ne faut pas pour autant les associer trop étroitement. Green est par exemple assez sévère sur le projet scientifique de Wilson alors que ce dernier est un démocrate assez critique face aux thèses libérales de Chicago. 80 Green conçoit par exemple clairement ses travaux depuis la première optique.
CHAPITRE III
ÂGE D'OR ET DÉCLIN DE L'ÉCONOMIE BÉHAVIORALE (1983 - 1995)
3.1 Introduction
Après 1982, les occasIOns d'échange entre Kagel et Battalio et la communauté
béhavioriste se tarissent progressivement. En marge de cette distanciation, Rachlin s'écarte
du reste du groupe après que Green ait quitté Stony Brook au début de 1983 pour assurer la
direction du laboratoire de psychologie animale de l'Université Washington à St-Louis.
Rachlin écrira d'ailleurs plus tard à ce sujet:
«At the beginning of the collaboration we ail just had the desire to see if these experirnents would work. But 1 at least was interested in what light econornic theory cou Id shed on psychological results while Kagel was interesled in the reverse. Gradually we slopped working together though we rernained in contact. Green was sornewhere in the rniddle, and kept working with Kagel for sorne lime after. 1»
Rachlin se concentre alors de nouveau à l'étude du contrôle de soi, problématique qui n'a
jamais cessé de les intéresser lui et Green après la publication de leur article fondateur de
1972 sur le sujet. En vérité, l'étude du contrôle de soi est le véritable fil conducteur de la
carrière des deux psychologues pour qui la coopération avec Kagel et Battalio n'aura en
définitive été qu'un long intermède. De son côté, Kagel quitte la même année son poste à
Texas A&M pour intégrer le Département d'économie de l'Université de Houston où il
enseignera jusqu'en 1988. L'année suivante, il prendra en charge la direction du laboratoire
d'économie expérimentale de l'Université de Pittsburgh. L'ensemble de ces déplacements
n'empêche toutefois pas Kagel, Battalio et Green de poursuivre leur proche collaboration.
Entre 1983 et 1992, Battalio et Green continuent donc de mener des expériences dans les
laboratoires animaux de College Station et de St-Louis. Les thèmes abordés par le groupe
1 Correspondance avec Rachlin, élé 2006.
88
durant cette période sont des plus diversifiés et incluent les déterminants de l'offre de travail,
les décisions intertemporelles et les décisions en environnement incertain. Ces extensions du
territoire couvert par leurs travaux les amèneront entre autres à proposer des modifications au
modèle des territoires de fourragement optimaux développé par Charnov, Parker et Stuart
dans les années soixante-dix et à s'aventurer sur le terrain plus glissant du politique. Entre
1987 et 1992, le groupe retournera finalement à l'étude d'implications plus fondamentales de
la théorie du consommateur et cherchera à fournir une première preuve expérimentale de
l'existence des biens de Giffen. Ces derniers travaux marquent par ailleurs le ralentissement
du rythme des publications du groupe alors que chacun s'implique de plus en plus dans des
projets individuels.
En retraçant l'ensemble de ces derniers développements, ce troisième chapitre vise
d'une part à compléter la chronique des événements qui ont entouré la collaboration de
Kagel, Battalio, Rachlin et Green entre 1972 et 1995. C'est ce qui est accompli dans les deux
premiers tiers du chapitre, qui tentent aussi de circonscrire les raisons qui ont pu mener les
membres du groupe à réorienter leurs travaux au début des années quatre-vingt-dix. Le
dernier tiers revient pour sa part sur les quelques réactions que les travaux du groupe auront
suscitées au cours des ans en économie. Si l'entreprise de Kagel et al. a très vite su séduire
plusieurs psychologues et biologistes du comportement, il faut constater que plus de vingt
cinq ans après la parution du premier article relatant les recherches de Kagel et Battalio dans
un périodique d'économie, les publications en faisant seulement mention se comptent encore
sur le bout des doigts. Pourtant, des trois disciplines touchées directement par les différentes
expériences du groupe, l'économie était indéniablement celle qui avait le plus à gagner en
terme de reconnaissance de la communauté scientifique dans son ensemble. Faut-il rappeler
ici qu'un des principaux objectifs de ces travaux était d'élargir le champ heuristique du
modèle de la maximisation de l'utilité? Sciemment laissée de côté jusqu'à présent, chacune
de ces publications sera ici analysée en vue d'identifier les causes de ce manque profond
d'intérêt de la communauté économique envers les travaux de Kagel et al. Évidemment, la
première difficulté se dressant devant une telle analyse est justement la rareté des
commentaires sur lesquels la baser. Confrontées à une telle rareté, les conclusions pouvant
89
être tirées d'une telle analyse demeurent malheureusement sommaires et seront toujours
sujettes à spéculation.
3.2 L'offre de travail et ses déterminants
Dès leur deuxième publication commune en 1976, le quatuor avait envisagé
d'étendre son étude expérimentale de l'axiome des préférences révélées au contexte plus
particulier de la demande de revenu ou de l'offre de travail. Déjà, le groupe avait entrevu
qu'il suffirait de relâcher la contrainte budgétaire imposée aux sujets afin que ces derniers
soient en mesure de décider eux-mêmes la quantité d'énergie à dépenser afin d'obtenir des
quantités données de renforcement, et qu'ils décident donc par le fait même le temps de loisir
demeurant à leur disposition2. Battalio, Kagel et Green avaient même de leur côté offert en
1979 une revue des différents résultats d'expériences menées en psychologie du
comportement pouvant être réinterprétés à la lumière des intuitions fournies par la théorie de
l'offre de travail. Cette revue était accompagnée de résultats préliminaires d'expériences sur
le sujet menées dans le laboratoire de Green à St-Louis. Ces résultats partiels avaient par la
suite été repris l'année suivante par Kagel et Battalio dans un chapitre d'Evaluation of
Econometrie Mode!!? Il aura toutefois fallu attendre la publication en 1981 dans l'AER d'un
article intitulé «Income-Leisure Tradeoffs of Animal Workers» avant d'obtenir une
présentation formelle des procédures utilisées et des résultats finaux recueillis lors de ces
expériences. L'ensemble de ce matériel est présenté à la communauté béhavioriste l'année
suivante dans un chapitre du recueil des textes présentés au Second symposium sur l'analyse
quantitative du comportement, lui aussi cosigné par Battalio, Green et Kagel4• La discussion
de ces travaux a été écartée du chapitre 2 pour plusieurs raisons. D'une part, ces derniers
marquent déjà la distanciation qui se concrétisera par la suite entre Rachlin et le reste du
groupe. D'autre part, ils n'ont jamais été au cœur des débats opposant l'orthodoxie néo
2 Voir pp.53-56. 3 Pour des comptes rendus des deux derniers documents, voir pp.57-58. 4 Ces résultats n'ont probablement pas été présentés au Symposium où les débats ont plutôt porté sur les premières expériences présentées dans l'article de Kagel, Battalio, Rachlin, Green, Basmann et Klemm publié en 1975 dans El et le chapitre de Rachlin, Green, Kagel et Battalio publié en 1976 dans The Psych%gy of Learning and Motivation. Paradoxalement, l'article de 1981 mentionne le chapitre de 1982 alors que le chapitre de 1982 ne mentionne pas l'article de 1981. Dans tous les cas, les deux textes ont dû être écrits simultanément vu leur grande ressemblance.
90
béhavioriste aux défenseurs de l'approche économique qui ont plutôt tourné autour de
l'utilisation du modèle de la maximisation de l'utilité dans le contexte de la théorie du
consommateur.
L'expérience rapportée dans l'article de l'AER en 1981 et dans le chapitre du volume
tiré de la conférence de 1979 a donc vraisemblablement dû être imaginée entre 1977 et 1979.
La procédure consistait à confronter six pigeons maintenus à 80% de leur masse de libre
accès au renforcement à un seul distributeur de nourriture programmé selon une contingence
de renforcement à ratios variables5. L'offre de travail des sujets est alors simplement calculée
par le nombre de pressions appliqué sur le levier alors que le salaire est fixé par la quantité de
renforcement obtenue en moyenne à chaque pression du levier. Le problème auquel sont
confrontés les sujets est donc l'allocation du temps total disponible entre le travail et le loisir.
Formellement, la contrainte fixée par une telle contingence de renforcement à ratios variables
peut s'écrire:
c = w R; avec w = A / N, où C est la consommation totale, west Je salaire moyen par pression, R est le nombre de
pressions appliqué par le sujet et où A et N sont respectivement la quantité de renforcement
distribuée au sujet et le nombre de pressions requis pour l'obtenir. Une contrainte horaire
faisant implicitement partie du problème auquel font face les sujets peut aussi s'écrire:
T = H + L ; avec H = a R,
où H est le temps passé à travailler, L est le temps dédié au loisir et où a est le temps moyen
nécessaire pour appliquer une pression. Finalement, si un revenu garanti F, consistant en une
quantité donnée de nourriture distribuée gratuitement par le même distributeur selon une
contingence à temps variables6, s'ajoute au revenu contingent au nombre de pressions
appliqué, il est possible de réécrire:
C =wR+F. Formellement, le problème auquel font face les sujets est donc:
Max U (A R / N + F, T - a R). R
5 Jusqu'à présent, toutes les expériences présentées dans ce mémoire forçaient les sujets à choisir entre des distributeurs programmés selon des contingences de renforcement concurrentes. 6 Ce type de contingence de renforcement distribue une quantité fixe du renforcement à des intervalles de temps variables indépendamment de l'action du sujet. La quantité totale distribuée selon cette contingence durant chaque session expérimentale est toutefois toujours la même (F est fixe).
91
L'objectif de Battalio et al. est de vérifier si le comportement des pigeons est compatible avec
la solution optimale à ce problème de maximisation. Plus précisément, il s'agit encore une
fois de vérifier que l'effet de substitution, ici entre la consommation de loisir et le revenu,
mesuré dans ce contexte expérimental particulier est bien systématiquement négatif chez les
sujets testés.
L'expérience se déroule en trois temps. Dans une première phase, les sujets sont
d'abord confrontés à une contingence à ratios variables sans revenu garanti. Puis, dans une
deuxième phase, le salaire west diminué en même temps qu'est instauré un revenu garanti
permettant l'atteinte de la combinaison loisir-travail choisie lors de la première phase. Cette
procédure correspond évidemment à une variation de salaire compensée dite «de Slutsky»7.
Finalement, dans une troisième phase, le salaire par pression de la deuxième phase est
maintenu alors que le revenu garanti est aboli. L'ensemble de la procédure permet donc,
selon la méthode habituelle, de décomposer l'impact de la variation de salaire non
compensée, soit le passage des conditions de la phase un à celles de la phase trois, en effet de
revenu et en effet de substitution. Lors des trois phases, les salaires sont variés en modifiant
le nombre de pressions requis pour obtenir une même quantité de renforcement. Chaque
session quotidienne dure 40 minutes excluant le temps durant lequel la nourriture est
présentée au sujet. Par ailleurs, les conditions de chacune des phases doivent être maintenues
au moins 30 jours et chaque phase se termine lorsque les choix moyens des sujets sur trois
jours consécutifs sont considérés stables sur une période de 9 jours. Finalement, seules les
moyennes des choix des cinq derniers jours sont conservées aux fins de l'analyse.
Au total, six sujets ont été soumis à 22 variations de salaire compensées, appliquées
selon la procédure qui vient d'être décrite. Ces variations pouvaient aller jusqu'à faire
fluctuer de 12,5 à 400 le nombre de pressions requis pour obtenir une même quantité de
renforcement. Pour 19 de ces variations, les prédictions de la théorie concernant la négativité
de l'effet de substitution ont été vérifiées par des marges statistiquement significatives. Les
trois variations pour lesquelles ces prédictions n'ont pas tenu étaient celles impliquant le
7 Pour un rappel de la différence entre des variations de prix ou de revenu compensées «de Slutsky» et «de Hicks», voir pA7, note 7.
92
niveau de salaire le plus élevé parmi ceux auxquels les six sujets ont été confrontés, soit w =
8008. Quatre des six sujets ont par ailleurs subi quatre variations de salaire compensées
identiques faisant en sorte que le revenu garanti de la condition en cours était toujours fixé à
la moitié du revenu total gagné dans la condition précédente, de façon à ce que les variations
relatives des deux variables demeurent équivalentes9. Cette procédure avait pour but de
vérifier si le niveau de salaire a un impact significatif sur la taille de l'effet de substitution.
D'une part, les effets de substitution mesurés pour ces quatre sujets furent tous négatifs et
variés tandis que leur ordre de grandeur fut strictement conservé entre les différentes
conditions salariales imposées. Ces résultats confirment donc dans un premier temps la
négativité de l'effet de substitution et la stabilité des préférences des sujets pour le revenu et
le loisir. Par ailleurs, ce dernier bien était dans ces conditions un bien normal pour tous les
sujets puisque le maintien du salaire wet l'ajout d'un revenu minimum garanti ont dans tous
les cas eu pour effet d'augmenter la quantité de loisir consommée et de diminuer le nombre
de pressions exécuté et la quantité de renforcement obtenue. En poussant leur analyse, les
auteurs ont remarqué que la taille des effets de substitution mesurés pour tous les sujets et
celle des effets de revenu observés chez trois d'entre eux étaient corrélées négativement avec
le niveau du salaire. Battalio et al. observent aussi que pour au moins trois des quatre sujets,
la taille de l'effet de substitution a diminué plus rapidement que celle de l'effet de revenu. Ce
dernier résultat suggère que le comportement de ces sujets dans ces conditions est compatible
avec l'hypothèse d'une courbe d'offre de travail individuelle présentant une section à pente
positive correspondant aux salaires les plus bas et une section à pente négative correspondant
aux salaires les plus élevés, comme le suppose la majorité des manuels d'introduction à la
microéconomie.
L'article réserve aussi quelques commentaires supplémentaires sur les effets à court
terme de l'instauration d'un programme de revenu minimum garanti financé par des
prélèvements sur les salaires. Ici, les résultats sont sans équivoque et confirment que les
8 Les auteurs ont recours à un indice pour mesurer les différents niveaux de salaire. Cet indice varie inversement aux pressions nécessaires pour obtenir une même quantité du renforcement. Aucune définition formelle de cet indice n'est toutefois fournie par les auteurs. 9 Ces variations correspondaient à des niveaux de salaire de : w = 100 et w = 50 + F = 50 ; w = 200 et w = 100 + F = 100; w = 400 et w = 200 + F = 200; et w = 800 et w = 400 + F = 400.
93
diminutions de revenu compensées ont eu un impact négatif sur l'offre de travail des sujets.
Ainsi, les auteurs soulignent d'abord:
«The results of the present experiments indicate the pervasiveness of income-Ieisure tradeoffs and the need to account for them in understanding behavior. Hungry pigeons consistently choose to decrease work time in response to Slutsky-compensated wage decreases. They do so in an environment which is designed to promote key pecking (Iabor supply) since there is little else for birds to do except preen themselves and walk about. Further, the job task, key pecking, is not awkward or difficult for pigeons to perform but is highly compatible with their evolutionary niche. Substitutability of income and leisure appears to be a fundamental, bioJogicaJly based, law ofbehavior. 10»
Ces conclusions aux saveurs franchement politiques sont toutefois rapidement modérées sur
la base de travaux menés par J. K. Green et Green sur les impacts de variations de la masse
corporelle sur l'offre de travail à l'aide d'une méthodologie très similaire à celle qui vient
d'être décrite. Ces résultats sont présentés dans un article publié en 1982 dans le BAL intitulé
«Substitution of Leisure for Income in Pigeon Workers as a Function of Body Weight». La
conclusion générale des auteurs est que la taille de l'effet de substitution est liée
négativement au degré de privation des sujets, qui est alors opérationnalisé en maintenant ces
derniers à différentes fractions de leur masse corporelle de libre accès au renforcement. Ces
résultats suggèrent que les moins nantis tendraient à avoir des offres de travail répondant
moins fortement aux variations salariales et donc à l'instauration d'un revenu minimum
garanti. Battalio et al. se permettent de spéculer sur cette base que la taille importante des
effets de substitution associés au fait d'avoir de bas salaires pourrait être compensée par la
petite taille des effets de substitution associés à des degrés de privation élevés. Ils avancent
de plus que dans la réalité, il se pourrait que les programmes de revenu minimum garanti
n'aient pas d'impacts significatifs sur l'offre de travail des individus en bénéficiant. Prenant
finalement leurs distances d'éventuelles généralisations hâtives au comportement humain, ils
notent:
«Whether the results of these or any other experiments with animais should be considered seriously in terms of understanding of human economic behavior, no less be taken into account in reaching public policy recommendations, remains an open question at this time. At a minimum, animais provide a vehicle for empirically investigating and sorting out between competing theoretical explanations at a relatively low cost, uncluttered by extraneous events Iikely to be encountered with comparable studies in national economic systems. [... ] At a maximum, such theories enables us to investigate issues with potential public policy implications such as factors responsible for the size of the substitution effects in labor-leisure tradeoffs and the impact of economic variables on the distribution of earnings. lt is an empirical question whether the pigeons' (or rats) leisure interacts with their income in the same way that a person 's leisure interacts with that person 's income. We have enough information now to give a partial answer to
10 Battalio, Green et Kagel (1981), p.630.
94
this question: to the extenl we can rely on available data, the income-leisure tradeoffs of pigeons are in many respects similar to those of humans. 11 »
Ce qu'il faut ici retenir de ces travaux sur l'offre de travail est qu'ils amènent le groupe à
devoir se pencher sur des problématiques soulevant d'importants questionnements
politiques12.
Encore une fois, les rhétoriques développées afin de présenter ces résultats aux deux
communautés concernées varient énormément, et ce même si elles partagent quelques traits
communs. Ainsi, l'article de 1981 s'ouvre avec l'incontournable commentaire concernant la
pertinence des méthodes expérimentales développées en psychologie du comportement en
économie et par le rappel de plusieurs résultats recensés dans cette littérature. Puis, après
avoir présenté la procédure utilisée et leurs principaux résultats, Battalio et al. terminent en
suggérant que les données recueillies pourraient être utilisées afin de départager la
performance de différents modèles théoriques alternatifs dont évidemment la ma/ching law et
celui des comportements irrationnels développé par Becker dans «Irrational Behavior and
Economic Theory», un article publié en 1962 dans le JPE. Kagel et Battalio mèneront plus
tard de tels tests dont la discussion est réservée pour une section subséquente\3. De son côté,
le chapitre paru en 1982 débute par l'incontournable rappel à l'autorité morale de Skinner qui
avait dès 1953 associé la notion de contingence à ratios fixes à celle de salaire à la pièce l4 •
Aussi, Green, Kagel et Battalio débutent-ils le chapitre en écrivant:
«As early as 1953 B. f. Skinner suggested that ratio schedules of rein forcement used to study the behavior of laboratory animais could be viewed as piecework wage rates like those paid to employees in human economic systems. [... ] Skinner's proposition is the starting point of this chapter: The economist's theory of labor supply is adapted to characterize laboratory procedures used in sludying ratio schedules. 15»
Après avoir présenté brièvement les bases de la théorie soutenant l'offre de travail, la
procédure expérimentale utilisée et leurs principaux résultats, Green et al. soulignent que ces
derniers pointent vers l'importance de tenir compte de la présence implicite du loisir comme
bien économique dans plusieurs contextes expérimentaux déjà explorés dans la littérature sur
le conditionnement opérant. Ils s'appliquent ensuite à montrer que c'est à cause de l'omission
Il Battalio, Green et Kagel (1981), p.63 1. 12 Une discussion plus détaillée de cet aspect des travaux de Battalio, Kagel et Green est présentée à la section 3.4.2. 13 Voir section 3.4.1. 14 Voir pp. 16-17. 15 Green, Kagel et Battalio (1982), p.395.
95
de ce fait que plusieurs modèles concurrents, dont la matching law, ne sont pas en mesure
d'expliquer aussi précisément plusieurs résultats dont ceux qu'ils viennent de faire état l6 •
C'est d'ailleurs à cette occasion que le groupe souligne pour la première fois que la prise en
compte du loisir pennet d'expliquer les anomalies observées dans les résultats d'expériences
faisant intervenir des contingences de renforcement concurrentes à ratios et à intervalles
variables. Il faut ici rappeler que c'est cette problématique qui était au centre du débat entre
les tenants de la matching law et les tenants du modèle de la maximisation de l'utilité17 •
Après la publication des résultats de cette première série d'expériences menées sur
les déterminants de l'offre de travail, il faudra attendre 1985 avant que d'autres résultats sur
le sujet ne soient publiés. Ce nouveau matériel sera présenté en 1985 à la communauté
économique dans un chapitre du recueil Research in Experimental Economies intitulé
«Consumption-Leisure Tradeoffs of Animal Workers: Effects of Increasing and Decreasing
Marginal Wage Rates in a Closed Economy Experiment». Il sera par la suite présenté aux
psychologues du comportement deux ans plus tard dans un article intitulé «Consumption
Leisure Tradeoffs in Pigeons: Effects of Changing Marginal Wage Rates by Varying
Amounts of Reinforcement» publié dans le JEAB. Les résultats exposés dans ces deux
articles ne font en réalité que répliquer et évaluer la robustesse de ceux déjà présentés par
Battalio et al. en 1981à l'aide de procédures sensiblement différentes. D'une part, l'étude de
1981 utilisait des pigeons alors que celle de 1985 utilise des rats. D'autre part, l'étude de
1981 avait uniquement recours à des diminutions de revenu compensées alors que celle de
1985 a aussi recours à des augmentations de revenu compensées. Finalement, l'étude de 1981
était menée dans un contexte d'économie ouverte alors que celle de 1985 est menée dans un
contexte d'économie fermée où il existe beaucoup moins de substituts l8 . Cette dernière
distinction permet notamment d'expliquer que les élasticités estimées sur la base des résultats
de l'expérience de 1985 sont beaucoup plus faibles et que les offres de travail estimées sur la
base de ces résultats n'ont plus de sections à pente négative l9 . Après ces deux dernières
16 Les autres modèles testés par Green et al. sont le «modèle de conservation» de Allison, Miller et Wozny (1979), le «triangle temporel» de Rachlin et Burkhard (1978) et l'hypothèse de la «distance minimum» de Staddon (1979). Ces différentes démonstrations ne seront pas présentées ici. 17 Voir section 2.3.2. 18 Pour un rappel dela distinction entre les deux types de contextes expérimentaux, voir pp.62-63. 19 Pour plus de détails, voir Battalio et Kagel (1985), pp.24-25.
96
publications, les références à des applications de la théorie de l'offre de travail dans
l'interprétation du comportement animal seront très dispersées. Ainsi, ces travaux sont, à
l'intérieur de la séquence de développement des recherches du groupe, à la fois l'extension
des premières expériences menées au milieu des années soixante-dix et la matière première
qui soutiendra une partie des publications ultérieures dont les résultats seront publiés à la fin
des années quatre-vingt.
3.3 Environnement incertain et décisions intertemporelles
Dès le début des années quatre-vingt, Green retourne, en parallèle des travaux sur
l'offre de travail, vers l'étude du contrôle de soi. En 1981, il mène dans son laboratoire de St
Louis une série d'expériences importantes sur le sujet qui vise à généraliser les résultats qu'il
avait obtenus aux côtés de Rachlin en 1972 concernant le renversement des préférences
relatives de sujets animaux pour un petit renforcement et un gros renforcement différenciés
par leur délai d'obtention en fonction des longueurs relatives de ces derniers. Les résultats de
ces expériences seront présentés dans un article du BAL publié en 1981 et intitulé «Preference
Reversai and Self Control: Choice as a Function of Reward Amount and Delay». La
procédure que Green y décrit consiste à confronter quatre pigeons maintenus à 80% de leur
masse de libre accès au renforcement à deux distributeurs concurrents dispensant
respectivement une petite quantité de renforcement après un délai d'attente relativement court
et une grande quantité de renforcement après un délai d'attente relativement long (voir Figure
3.1).
th10 ="'" 'n s
l,
IIIlp L
5 10 15 20 25 30 35
TOTAL TIME (S)
Figure 3.1: Schéma du déroulement d'une séance expérimentale dans l'étude de Green et al. (1981). (Tiré de Kagel, Caraco et Green, 1986.)
97
Concrètement, chaque session débute par un délai ts devant s'écouler avant que les deux
distributeurs ne soient mis en opération, ce qui est signifié au sujet par l'apparition de deux
voyants lumineux vert et rouge pouvant aisément être discriminés. À ce stade, si le sujet opte
pour le petit renforcement, il obtient un court accès de th1 secondes au renforcement après un
délai tpl relativement court et doit ensuite patienter un délai to supplémentaire avant le début
de la prochaine période expérimentale. Si le sujet opte plutôt pour l'obtention du gros
renforcement, il obtient un accès plus long d'une durée th2 au renforcement après un délai !P2
relativement long qui fait en sorte que le délai th2 clos la période expérimentale. Dans les
faits, chaque session expérimentale dure un total de 40 secondes, peu importe l'option choisie
par le sujet, et les délais thl et th2 sont respectivement maintenus à 2 et 6 secondes alors que
les délais ts, tpl et tp2 varient dans les différentes conditions. Chaque jour les pigeons sont
confrontés à un total de 66 essais débutant par 16 choix forcés. L'expérience dure un
minimum de 15 jours et se termine lorsque les fréquences relatives des choix des sujets pour
les deux options sont jugées stables sur une période de cinq jours consécutifs. Seules les
données compilées durant les cinq derniers jours de l'expérience sont toutefois soumises aux
analyses statistiques. Pour deux des pigeons, le délai ts est d'abord fixé à 28 secondes, ce qui
implique des délais tp de 2 secondes pour la première option et de 6 secondes pour la
deuxième, puis ts est diminué progressivement jusqu'à 2 secondes de façon à vérifier s'il y a
ou non renversement des préférences au-delà d'un certain seuil. La progression inverse est
programmée pour les deux autres pigeons.
Les résultats de cette expérience sont sans équivoque et montrent une relation
croissante entre la fréquence à laquelle le long renforcement est choisi et le délai tp(ce qui
correspond à une relation inverse avec la durée du délai ts)' Ainsi, sur un horizon temporel
relativement long, les sujets sont en mesure de patienter afin d'obtenir le gros renforcement
alors que passé un certain seuil, ils sont incapables de faire preuve d'un degré suffisant de
contrôle de soi et se montrent plutôt impatients. Pourtant, lors d'expériences où les délais th
des deux options étaient équivalents, les sujets préféraient systématiquement la première
option au délai tp le plus court, ce qui démontre bien la capacité du sujet à discriminer par
anticipation les options selon les délais tp qui les différencient. Force est de conclure à la
lumière de ces résultats que les fonctions d'actualisation des sujets ne sont pas paraboliques,
98
comme il est généralement supposé dans les modèles économiques de maximisation
intertemporelle, mais sont plutôt hyperboliques. Autrement dit, les préférences
intertemporelles des sujets ne sont pas cohérentes et sont telles que le facteur d'actualisation
est lui-même une fonction décroissante du délai d'obtention des différents renforcements. En
soi, ces résultats ne vont pas nécessairement à l'encontre du modèle de la maximisation
intertemporelle de l'utilité qui ne prescrit aucune restriction particulière concernant les
formes des fonctions d'actualisation. Toutefois, ces derniers vont à contre-courant du recours
quasi-systématique des fonctions paraboliques dans la discipline économique.
La même année, Green travaille à l'ébauche d'une introduction générale de la
problématique du contrôle de soi destinée à un auditoire d'économistes. Cette introduction
sera publiée l'année suivante, en 1982, dans le deuxième volume de Research in
Experimental Economies à l'intérieur d'un chapitre intitulé «Self-Control Behavior ln
Animais». Green y reprend entre autres certains des résultats qui viennent d'être présentés et
d'autres qui ont été présentés au premier chapitre20 . Il suggère surtout que plusieurs de ces
résultats portent à réfléchir sur la possibilité que l'impatience démontrée en laboratoire par
les sujets animaux pourrait aussi caractériser certains comportements humains rencontrés
dans la vie de tous les jours comme la toxicomanie, qui se caractérise par une préférence pour
de petits plaisirs instantanés procurés par des consommations supplémentaires au détriment
d'un plus grand plaisir à plus long terme qui est la sobriété, ou encore la décision de quitter
l'école et de laisser tomber d'importants salaires dans le futur afin d'obtenir de petits salaires
dès maintenant. Malgré l'intérêt de plusieurs de ces questions, Green laissera par la suite
encore une fois de côté l'étude expérimentale du contrôle de soi. Cette fois, ce sera afin de
s'attaquer aux côtés de Kagel et Battalio à un autre sujet qu'est le comportement animal en
environnement incertain. L'étude de cette nouvelle problématique sera au centre des travaux
du groupe entre 1984 et le début des années quatre-vingt-dix. Dès 1982, Kagel et Battalio ont
d'ailleurs obtenu un financement de la NSF pour un projet intitulé «Experimental Studies of
Individual Choice Behavior in Certain and Uncertain Context» alors qu'ils seront
simultanément financés entre 1984 et 1985 par la Earhart Foundation pour un projet intitulé
«Consumer Demand Theory and Animal Behavior». Entre le temps que les membres du
20 Voir section 1.3.2.
99
groupe consacrent encore à cette époque au débat les opposant aux défenseurs de la matching
law, leurs travaux portant sur l'offre de travail et ceux portant sur le risque, il reste
simplement insuffisamment de temps à dédier à la question des décisions intertemporelles.
Tandis que Green s'intéressait à la décision intertemporelle de pigeons évoluant à
J'intérieur d'environnements contrôlés, un biologiste du Département de biologie de
l'Université de Rochester à New York utilisait pour la première fois la théorie de l'utilité
espérée afin d'étudier le comportement animal à l'intérieur d'environnements expérimentaux
incertains. T. S. Caraco est un spécialiste des modèles de fourragement optimaux qui a étudié
au Département d'écologie et de biologie évolutionniste de l'Université de l'Arizona à
Tucson. Avec S. Martindale et T. S. Whittam, il a publié en 1980 un important essai intitulé
«An Empirical Demonstration of Risk-Sensitive Foraging Preferences» dans Animal
Behavior. Pour la première fois, des résultats expérimentaux confirment que les
comportements de prédation ne répondent pas seulement au rendement moyen des différents
territoires exploités, mais aussi à leur variance. Ainsi, les juncos aux yeux jaunes (Junco
phaeonotus), de petits oiseaux communs dans le Sud-Ouest des États-Unis, seraient portés à
être riscophobes et à préférer des habitats au rendement moyen et à la variance moins élevée
dans des situations où l'apport énergétique minimal à leur survie est satisfait alors qu'ils
seraient portés à être riscophiles et à préférer les habitats au rendement et à la variance plus
élevée dans des états de famine avancée. Les auteurs suggèrent que dans de telles
circonstances une préférence accrue pour le risque permettrait d'augmenter la probabilité de
survie de l'individu. Ils en concluent évidemment que les modèles de territoires de
fourragement optimaux devraient prendre en compte cette sensibilité aux éléments
stochastiques qui caractérisent la très vaste majorité des environnements naturels. Deux
articles publiés en 1981 et 1982 par Caraco et intitulés respectivement «Energy Budgets, Risk
and Foraging Preferences in Dark-Eyed Juncos (Junco Hyemalis)>> et «Aspects of Risk
Aversion in Foraging White-Crowned Sparrows» généraliseront ces résultats aux
comportements de deux autres espèces dans différents contextes environnementaux.
100
De son côté, le groupe de Battalio, Kagel et Green imagine ses propres expériences
sur le sujet entre 1982 et 1985.2\ Ils en rapporteront cette année-là les résultats auprès de
Donald MacDonald dans l'AER à l'intérieur d'un article s'intitulant «Animais' Choices Over
Uncertain Outcomes: Sorne Initial Experimental Results». Les mêmes résultats avaient par
ailleurs déjà été présentés par Kagel l'année précédente dans «Effects of Varying Liquid
Levels on Risk Preferences in Rats», un document de travail remis au Département
d'économie de l'Université de Houston. Trois séries d'expériences visant à vérifier six
hypothèses concernant le comportement animal en environnement incertain qui ont été
menées au laboratoire de College Station y sont discutées.
Dans la première série d'expériences, les sujets sont confrontés à un choix entre deux
leviers distribuant en moyenne la même quantité d'un même renforcement. Les deux leviers
diffèrent uniquement par la variance des quantités de renforcement qu'ils distribuent en
moyenne. Aussi, les sujets sont d'abord soumis à 8 choix contraints séparés par des
intervalles d'une minute afin que ces derniers se familiarisent avec les conditions
environnementales qui leur sont imposées. À la suite de ces essais, deux des sujets sont
confrontés à 22 essais libres alors que les deux autres sont confrontés à 17 essais libres. Ces
deux groupes doivent choisir entre deux loteries sélectionnées parmi un ensemble de loteries
A, B, Cet D (voir Figure 3.2).
Number of Free· Prospect Px, X, P" X2 Choiœ Trials
Subjects 210 and 211 A 1.0 10 22 B .5 4 .5 16 22 C .5 1 .5 19 22 D .75 l .25 37 22
Subjects 303 and 323 A' 1,0 8 17 8' .5 4 .5 12 17 C' .5 1 ,5 15 17 D' .75 1 25 29 17
Figure 3.2 : LOleries présenlées à des sujets animaux par Battalio, Kagel et MacDonald. Expérience 1. Pxi est la probabilité d'obtention du renforcement Xi mesuré en nombre de grains. (Tiré de Battalio, Kagel et MacDonald, 1985.)
21 Il a été impossible de déterminer si ces derniers connaissaient les résultats de Caraco avant de mener leur première expérience sur le risque ou s'ils en ont pris connaissance par après. Chose certaine, les trois articles mentionnés précédemment sont cités dans la première publication du groupe sur le sujet. Voir Battalio, Kagel et MacDonald (1985).
101
La procédure est répétée une fois par jour à tous les jours dans un contexte d'économie
fermée, et ce pour un minimum de 15 jours et un maximum de 24 jours, les combinaisons de
loteries étant modifiées uniquement lorsque les choix des sujets se stabilisent sur une période
de cinq jours consécutifs. Aux fins de l'analyse, l'option choisie plus de la moitié du temps
au cours des cinq derniers jours est considérée préférée. Finalement, les sujets sont confrontés
successivement aux différents couples de loteries possibles. Dans des analyses subséquentes,
Battalio et al. confrontent les résultats obtenus à l'aide de ces procédures à trois hypothèses.
La première est que les fonctions d'utilité des sujets sont concaves et que ces derniers sont
donc riscophobes sur tout le domaine des salaires qui leur sont offerts. La deuxième
hypothèse est la transitivité simple des préférences des sujets alors que la troisième est la
transitivité stochastique forte qui implique par exemple que:
F(A, C) ~ min [ F(A, B), F(B, C)],
où les loteries A, B et C sont caractérisées par des niveaux de risque croissants et où F(A, C)
est la fréquence relative des essais pour lesquels l'option A est préférée à l'option C lors de
tests confrontant les sujets à ces deux options. Si les résultats montrent que les
comportements observés chez tous les rats confirment dans tous les cas les hypothèses un et
deux, ils suggèrent plutôt qu'il faille rejeter l'hypothèse trois puisque pour au moins trois des
sujets l'inégalité
F(B, D) ~ F(A, D)
a été observée22 . Les auteurs concluent donc que ces résultats sont incompatibles avec les
fonctions d'utilité de type Neumann-Morgenstern qui postulent la transitivité stochastique
forte. Ce résultat est évidemment malheureux puisque c'est ce type de fonctions qui est
généralement utilisé dans les travaux théoriques sur le risque.
La deuxième série d'expériences rapportée par Battalio et al. confronte encore une
fois les sujets à des choix entre deux leviers distribuant en moyenne des quantités
équivalentes de renforcement, sauf que cette fois-ci les variances des deux options présentées
sont les mêmes alors que les revenus totaux, constitués des renforcements obtenus lors des
essais forcés et des essais libres, sont variés. Les deux options présentées sont les loteries A'
et D' (voir Figure 3.3). De son côté, le niveau de revenu est ajusté en modifiant le nombre de
22 Aussi, Battalio et al. ne peuvent rejeter 1'hypothèse nulle que F(A, D) ~ F(B, D) au seuil de 1%.
102
choix forcés imposés aux sujets de 32, à 24, à 8 puis à 0, ce qui représente une variation de
200% entre le niveau de revenu le plus élevé (32 essais forcés, soit environ le niveau de
revenu de satiation) et le niveau de revenu le moins élevé (0 essai forcé, soit un niveau de
revenu insuffisant pour la survie à long terme de l'animal)23. Les auteurs confrontent deux
hypothèses, les hypothèses 4 et 5, aux données recueillies à l'aide de cette procédure.
L'hypothèse 4 est que la fréquence relative avec laquelle l'option la moins risquée est choisie
devrait demeurer la même ou diminuer à mesure que le niveau de revenu augmente, le
différentiel de risque étant par ailleurs conservé entre les deux options. Quant à elle,
l'hypothèse 5 est que pour les niveaux de consommation extrêmement faibles pour lesquels la
stratégie de choisir uniquement l'option la moins risquée mettrait en péril la survie de
l'organisme, l'option la plus risquée devrait être préférée. Ces deux dernières hypothèses
reposent sur les conclusions de Caraco selon lesquelles l'adoption de ces stratégies
complémentaires pourrait augmenter la probabilité de survie de l'individu. Les résultats de
Battalio et al. montrent toutefois que les sujets ont été riscophobes à tous les niveaux de
consommation, le degré d'aversion absolu tendant même à se maintenir sur tout le domaine
des revenus testés. Aussi, si les données confirment l'hypothèse 4, l'hypothèse 5 qui conférait
aux résultats de Caraco leur originalité, est pour sa part infirmée.
Ces résultats seront par la suite reproduits l'année suivante dans un article de Kagel,
MacDonald, Battalio, White et Green publié dans le Journal of Comparative Psychology et
intitulé «Risk Aversion in Rats (Rattus norvegicus) Under Varying Levels of Resource
Availability». Les procédures qui y sont présentées sont similaires à celles rapportées dans
l'article de 1985 publié dans l'AER, sauf qu'ici ce sont des renforcements d'eau plutôt que de
nourriture qui sont soumis à différents degrés de variation. Les rats testés par Kagel et al. ont
encore une fois montré une aversion constante pour le risque, ce qui confirme les résultats
préalablement obtenus avec des sources de nourriture sur la même espèce. En somme, les
expériences reportées infirment l'hypothèse selon laquelle les préférences de certaines
espèces pour le risque passeraient d'une aversion marquée dans une situation de surplus
énergétique à une préférence marquée dans un état avancé de famine. Toutefois, les auteurs
23 Lors de cette expérience, tous les sujets ont vu leur masse corporelle diminuer drastiquement au point de mettre leur survie en danger.
103
mentionnent que la probabilité de survie des oiseaux utilisés comme sujets dans l'expérience
de Caraco est beaucoup plus sensible à de telles variations de revenu, ces derniers ayant des
réserves d'énergie beaucoup moins importantes. Ils en concluent donc que de manière
générale, les oiseaux pourraient être beaucoup plus prompts à développer un tel renversement
de leurs préférences pour le risque en réaction à des variations de leur masse corporelle que
les mammifères qui bénéficient en général de réserves énergétiques beaucoup plus
importantes.
En 1985, Caraco assiste à une conférence que Kagel donne à l'Université de
Rochester sur les expériences qu'il mène auprès de Battalio et Green24 • Intéressé par ces
travaux, Caraco aurait par la suite contacté Kagel. Le résultat de la courte correspondance qui
s'en est suivie a été la publication en 1986 dans Animal Behaviour d'un article intitulé
«When Foragers Discount the Future: Constraint or Adaptation?» cosigné par Kagel, Green
et Caraco. L'article propose des modifications à la formulation classique des modèles de
choix optimaux des territoires de fourragement en vue d'y incorporer des éléments
stochastiques et des considérations intertemporelles qui permettent de rendre compte des
résultats expérimentaux compilés par les deux parties. Il semble que Caraco ait été
particulièrement intéressé à l'apport que les résultats de Green pouvaient fournir à ses travaux
précédents sur le risque puisque l'argument développé par les auteurs est que l'absence de
contrôle de soi observée par ce dernier ne constitue pas nécessairement une réaction non
optimale aux contraintes environnementales et peut même être interprétée comme une
adaptation intelligente. Ils rappellent à ce sujet que la majorité des espèces évolue à
l'intérieur d'environnements très compétitifs où aucune garantie légale concernant des droits
de propriété ne prévaut, où la survie des individus est continuellement menacée par des
prédateurs et où ces derniers subissent des épisodes répétés de famine. Toutes ces situations
sont selon eux propices au développement d'un degré important d'incertitude pouvant
favoriser la dépréciation hyperbolique des bénéfices futurs observée en laboratoire. Dans tous
ces cas, la stratégie maximisant l'apport énergétique de long terme ne correspond pas selon
eux à la stratégie maximisant la probabilité de survie à court terme de l'individu, ce qui était
jusque-là pris pour acquis dans tous les travaux sur le sujet. Kagel, Battalio et Green ne
24 li a été impossible de retrouver la date exacte à laquelle s'est tenue cette conférence.
104
mettront pas de temps à imaginer une expérience ayant pour but de tester cette conjecture
selon laquelle le niveau de privation induirait un changement dans le taux d'actualisation des
sujets. La discussion de J'article en présentant les résultats est toutefois reportée à une section
ultérieure25 .
Finalement, Ja troisième série d'expériences rapportée par Battalio et al. dans l'article
de 1985 porte sur la violation de l'effet de ratios communs ou d'Allais de l'a~iome
d'indépendance de J'utilité espérée observée lors de plusieurs tests sur des humains. Avec
ces expériences, un des problèmes que Battalio et al. désirent éviter est le recours à des choix
entre des loteries hypothétiques sans conséquence sur le bien-être des individus qui y sont
confrontés26. Aussi, Ja sixième et dernière hypothèse testée par les auteurs est que dans un
environnement recréant les caractéristiques des choix de loteries hypothétiques utilisés lors
des tests sur des humains, les rats violeraient l'axiome d'indépendance comme l'avait
découvert Allais dès 1953. Les procédures mises en place pour tester cette sixième hypothèse
sont similaires à celles des deux premières séries d'expériences, à la différence que les deux
distributeurs sont dorénavant programmés pour offrir consécutivement un choix entre deux
couples de loteries concurrentes A-B, C-D ayant les caractéristiques générales suivantes:
Option A: p X2 Option B : q X3
(l-p)X1 (1- q) XI Option C : lep X2 Option D le q X3
(I-lep)X 1 (1- le q) XI, Avec p > q > X3 > X2 > Xl et 0 < le < 1. Dans ces cond itions, un renversement des
préférences des sujets en faveur de l'option la plus risquée en réaction à des diminutions de le
consisterait en une violation d'Allais de l'axiome d'indépendance. Concrètement, la
procédure utilisée consiste à confronter successivement les sujets, quatre rats, à 16 choix
forcés suivis de 20 choix libres entre des loteries respectant les caractéristiques précédentes
pour différentes valeurs de le (voir Figure 3.3).
25 Voir section 3.4.2. 26 Dans l'expérience de Battalio et al., la sous-alimentation des sujets dans les conditions environnementales imposées était telle que deux des quatre rats sont décédés avant la fin de l'expérience.
105
Condition Prospec.ts Value of À
l A: 8 pellets, prob. Lü or B: 13 pellets, prob. 3/4 1.0 (8.0) 1 pellet, prob. 1/4
(10.0) 2 c: 8 pellets. prob. 112 or D: 13 pellets. prob. 3/8 1/2
1 pellet, prob. 1/2 1 pellet. prob. 5/8 (4.5) (5.5)
3 E: 8 pellets, prob. 1/3 or F: 13 pellets, prob. 1/4 1/3 1 pellet. prob. 2/3 1 pellet. prob. 3/4
(3.33) (4.0)
Figure 3.3 : Loteries présentées à des sujets animaux par Battalio, Kagel et MacDonald. Expérience 3. (Tiré de Battalio, Kagel et MacDonald, 1985.)
Les sujets sont, lors de quatre phases successives, confrontés aux conditions 1,2, 3 et 1, ce
dernier retour à la condition initiale ne servant qu'à vérifier que le processus n'a pas modifié
les préférences des sujets. Les résultats obtenus par le groupe montrent que 3 de ces 4
derniers ont préféré l'option la moins risquée lors des deux occasions où À = 1, alors que ces
mêmes sujets ont tous préféré l'option la plus risquée dans la condition À = 1/327 • Des
violations d'Allais sont donc bien observées.
Les mêmes auteurs développeront plus tard cette troisième piste à l'intérieur de deux
articles qui paraîtront en 1990 et 1991. Ces derniers s'intitulent «Tests of 'Fanning Out' of
Indifference Curves: Results from Animal and Human Experiments» et «Animais' Choices
Over Uncertain Outcomes : Further Experimental Results»28 et sont publiés respectivement
dans l'AER et l'EJ. Les auteurs y proposent une série de tests expérimentaux visant à vérifier
la validité de l'hypothèse de l'effet d'éventail (<<fanning out») des courbes d'indifférence
menée sur des animaux confrontés à des loteries leur imposant tantôt des pertes et leur offrant
tantôt des gains. La pertinence de ces tests repose sur le fait que la confirmation de cette
hypothèse permettrait entre autres d'expliquer les violations d'Allais de l'axiome
d'indépendance et de la théorie de l'utilité espérée. Les expériences présentées dans l'article
27 Le quatrième rat n'a pu compléter toutes les phases de l'expérience. Par ailleurs, un seul des trois rats a préféré l'option la plus risquée dans la condition À = \1,.
28 Kagel, MacDonald, Green et Battalio produiront aussi en 1988 un document de travail intitulé Risk Preferences over Losses in Rats: Responses to Variable Shocks Levels and Delays ofReinforcement déposé comme cahier de recherche à l'Université de Pittsburgh. Malheureusement, ce document n'a pu être récupéré. Un autre article de Battalio, Kagel et K. Jiranyakul intitulé «Testing Between Alternative Models ofChoice Under Uncertainty: Sorne Initial Results» explore des résultats très similaires obtenus sur des humains. Ce dernier article a été publié dans le Journal of Risk and Uncerlainty en 1990 et a été réédité dans le volume 1 de Recent Developments in Experimental Economies.
106
de 1990 confrontent les sujets à des choix de loteries leur imposant des pertes et montrent que
les courbes d'indifférence représentant les préférences de ces derniers auraient tendance à
montrer un effet d'éventail renversé (<<fanning in») dans la région Sud-Est du triangle des
probabilités unitaires, ce qui va à l'encontre de l'hypothèse de l'effet d'éventail proposée en
1982 par Machina dans Econometriea. De leur côté, les résultats d'expériences similaires
impliquant des récompenses relatés dans l'article de 1991 montrent que les courbes
d'indifférence représentant les préférences des sujets tendraient à montrer un effet d'éventail
dans la région Sud-Est du triangle des probabilités unitaires alors qu'elles tendraient à
montrer un effet d'éventail dans sa portion Nord-Ouest. Les résultats récoltés sur des sujets
animaux tendent donc à limiter considérablement la robustesse de l'hypothèse de l'effet
d'éventail, ce qui élimine un remplaçant potentiel à la théorie de l'utilité espérée déjà
infirmée par les multiples observations de violations d'Allais. Par conséquent, cette série de
résultats récoltés par Kagel, Battalio et MacDonald concluent à une absence de candidats
crédibles permettant de combler l'ensemble des lacunes identifiées dans l'étude
expérimentale de la théorie de la maximisation de l'utilité espérée.
3.4 Derniers développements
En 1987, Kagel publie un chapitre dans le volume Laboratory Experiments in
Economies: Six Points of View qui s'intitule «Economies According to the Rats (and Pigeons
too): What Have We Learned and What Can We Hope to Learn?». L'introduction que Kagel
y formule résume bien où en sont rendus Kagel et Battalio :
«It has been more than 10 years since we published our tirst experimental test of economic choice theory using animal subjects (Kagel et aL, 1975) and even longer since we began conducting economic choice theory using animal subjects (1971) (SIC). We continue to be engaged in experimental studies with animal subjects, extending our inquiries beyond static models of consumer choice and labor supply behaviour under certainty to choice among risky alternatives (Battalio, Kagel and MacDonald, 1985) and intertemporal choice behavior (Kagel, Green and Caraco, 1986). Although no other economists we know of have undertaken experimental studies of animal choice behaviour (i.e., with their own laboratories), there is a growing dialogue between economists and psychologists concerned with investigating economic choice theory using animal subjects, as judged by the expanding number of research proposais and working papers involving such collaborative efforts. In addition, efforts by psychologist to design and analyse animal choice experiments with economic models (e.g., Lea, 1981; Hursh, 1984) have increased, as has the use of optimization theories in biology, borrowed more or less directly from economics and operation research, to analyse the ecological behaviour of animaIs (Maynard-Smith, 1978). (... ] These developments in biology and psychology suggest a secure place in these disciplines for experimental studies of economic choice theory involving animal subjects. Indeed, this work has
107
always been rather weil received in psychology and biology. Furthermore, most economists readily acknowledge the benefits these other disciplines are bound to receive from a little economic theory - economic imperialism at its finest! The role of animal experiments in economics is on somewhat less certain footing, however. 29»
Afin de tenter de renverser cet état de fait, Kagel et Battalio s'appliqueront dans la deuxième
moitié des années quatre-vingt à greffer à leur analyse expérimentale des fondements
axiomatiques de la théorie néoc1assique, le traitement de différentes problématiques
périphériques qui seront tantôt de nature strictement théorique et tantôt de nature franchement
politique, mais qui seront toutes susceptibles d'attirer l'attention de leurs pairs.
3.4.1 Quelle forme fonctionnelle représente le mieux les préférences des sujets animaux?
Avant 1986, les études menées par Kagel et al. se bornaient toutes à tester les
prédictions du modèle de maximisation de l'utilité dans leur formulation les plus générales.
En particulier, le groupe prenait toujours soin de ne pas s'aventurer dans la caractérisation
des formes fonctionnelles des fonctions d'utilité susceptibles de mieux représenter les
différents résultats expérimentaux qu'ils présentaient. Pourtant, de tels tests basés sur
l'observation de comportements individuels sont particulièrement intéressants pour la
discipline dans la mesure où ils constituent une manière intuitive de comparer la performance
de différents modèles théoriques concurrents. Si cette intuition avait été présentée dans
l'article de Battalio et al. daté de 1981 3°, il faut attendre 1986 avant que Battalio, Dwyer et
Kagel ne fassent un pas de plus dans cette direction en testant plusieurs modèles pouvant
expliquer la négativité des pentes des courbes de demande estimées par les techniques
économétriques traditionnelles basées sur des données agrégées. Ces tests seront d'abord
présentés en 1986 dans un chapitre du volume 5 de Advances in Econometries intitulé «Test
of Sorne Alternative Theories of Individual Choice Behavior» avant d'être repris l'année
suivante dans un article publié dans l'EJ intitulé «Tests of Competing Theories of Consumer
Choice and the Representative Consumer Hypothesis».
Concrètement, l'objectif poursuivi par les deux textes est de voir dans quelle mesure
différentes formes fonctionnelles permettent d'expliquer les comportements de différentes
29 Kagel (1987), pp.155-156. JOLes prédictions du modèle des comportements aléatoires de Becker et de la ma/ching /aw de Herrnstein avaient alors été sommairement confrontées aux données présentées dans l'article.
108
espèces évoluant en laboratoire à l'intérieur de différents contextes expérimentaux. Les
données utilisées à cette fin ont été recueil1ies dans le cadre d'expériences confrontant le
comportement de rats à la théorie du consommateur et celui de pigeons à la théorie de l'offre
de travaiI3!. Concrètement, cinq hypothèses y sont testées en plus de la matching law32. Les
trois premières sont dérivées du modèle des comportements irrationnels de Becker. Cette
«irrationalité» peut prendre trois formes générales : la première est l'attribution aléatoire
d'unités de revenu entre la consommation de tous les biens disponibles; la deuxième est la
consommation aléatoire d'unités physiques de tous les biens disponibles; et la troisième est
définie par différentes combinaisons des deux derniers types de comportement33 • La
quatrième hypothèse testée repose sur l'idée que l'organisme alloue les ressources à sa
disposition de façon à minimiser l'écart entre sa consommation et un panier de biens idéal.
Finalement, la cinquième hypothèse est que l'organisme alloue les ressources à sa disposition
de façon à d'abord sécuriser la consommation d'un panier de biens donné assurant la
satisfaction de ses besoins vitaux et alloue ensuite le surplus à sa guise.
Ces différentes hypothèses peuvent toutes être formalisées par différentes familles de
fonctions d'utilité. Les auteurs montrent par exemple que l'hypothèse de la distance minimale
peut être représentée par les fonctions d'utilité quadratiques pour lesquelles les sentiers
d'expansion sont linéaires et convergent vers le panier de consommation optimal alors que
celle des besoins minimums vitaux peut être formalisée par la famille des fonctions d'utilité à
élasticité de substitution constante. Les auteurs montrent finalement que ces différentes
famil1es de fonctions d'utilité peuvent elles-mêmes être formalisées par des restrictions sur
les paramètres d'un système de fonctions de demande34• À partir des données en leur
possession, Kagel et al. sont ensuite en mesure d'estimer ces différents paramètres par la
méthode des moindres carrés non linéaires dans différents contextes et de caractériser les
31 Ces résultats sont ceux des expériences résumées dans Kagel, Battalio, Rachlin, Green, Basmann et Klemm (1975) et Battalio, Green et Kagel (1981). Les procédures utilisées lors de ces différentes expériences ont déjà été eésentées. Voir pp.46-48 et pp.90-92. 2 Les tests de la ma/ching law sont ici repris par les auteurs uniquement parce que l'article est destiné à un
auditoire d'économistes. Ils ne seront toutefois pas repris ici. Pour plus de détails sur ces derniers, voir section 2.3. 33 Voir Becker (1962) pour la démonstration surprenante que ces comportements peuvent mener à l'obtention de fonctions de demande de marché agrégée à pente négative. 34 Voir Battalio, Dwyer et Kagel (1987) pour une description détaillée de ce système de fonctions de demande et des restrictions imposées à différents paramètres par les modèles étudiés.
109
fonctions de demande individuelle des sujets pour les différents renforcements ou pour le
revenu 35 . 11 est ensuite possible de comparer les estimations obtenues de ces paramètres aux
restrictions imposées par les formes canoniques représentant les différentes hypothèses
comportementales et d'en tirer les conclusions qui s'imposent quant à la validité de ces
dernières. Finalement, l'article de 1987 se permet sur la base de ces résultats de tester
l'hypothèse du consommateur représentatif. Ce test supplémentaire est particulièrement
important puisque cette hypothèse soutient bon nombre de procédures économétriques
couramment utilisées afin de tester des conjectures relatives aux comportements individuels à
partir de données agrégées compilées sur les marchés. Afin de trancher sur la légitimité de
cette démarche, il suffit de tester si la différence entre les valeurs estimées des paramètres
pour les différents individus est statistiquement significative36 . Évidemment, l'ensemble de la
procédure imaginée par Battalio et al. comporte son lot de difficultés méthodologiques, en
particulier quant à la robustesse de résultats reposant sur des données colligées sur un très
petit nombre d'individus. Toutefois, il faut concéder que très peu de procédures ont jusqu'à
maintenant été en mesure de fournir une appréciation du degré de réalisme de l'hypothèse du
consommateur représentatif.
Les estimations produites sur la base des données provenant des tests de la théorie du
consommateur sur des rats rejettent toutes les hypothèses à l'exception de celle de la satiation
des besoins minimums vitaux. Sur la base du test de maximum de vraisemblance, les auteurs
concluent aussi que l'hypothèse faible d'agrégation ne peut être rejetée puisque les
préférences des deux sujets sont caractérisées par des fonctions d'utilité de la même famille
alors que l'hypothèse forte doit l'être puisque la différence des valeurs estimées des
paramètres des deux sujets est statistiquement significative. Quant aux estimations produites
sur la base des données colligées lors des expériences portant sur l'offre de travail de
pigeons, ils pointent aussi vers un rejet de toutes les hypothèses théoriques sauf celle des
besoins minimums vitaux. Encore une fois, les mêmes conclusions peuvent être tirées en ce
35 Dans les faits, les auteurs estiment les pourcentages du revenu total que représentent les dépenses totales pour les différents biens, soit les différentes équations des ratios PiXj / M dans le cas des données sur la théorie du consommateur et les ratios Tw / T dans le cas des données sur l'offre de travail. Voir Battalio, Dwyer et Kagel (1987), p.848. 36 Un test du maximum de vraisemblance est utilisé. Pour plus de détails sur cette procédure, voir Battalio, Dwyer et Kagel (1987), p.848.
110
qui a trait aux hypothèses d'agrégation puisque sur la base du même test du maximum de
vraisemblance l'hypothèse faible ne peut être rejetée alors que l'hypothèse forte doit l'être.
De tous ces résultats, Battalio et al. retiennent donc que la famille de fonctions d'utilité à
élasticité de substitution constante est celle qui décrit le mieux les préférences des différents
sujets ayant pris part à ces deux séries d'expériences.
Il peut paraître paradoxal que le cadre de l'économie néoclassique puisse ainsi servir
à tester la validité de différentes hypothèses théoriques concurrentes. Plusieurs observateurs
en psychologie du comportement ont à cet effet déjà fait remarquer que la théorie
néoclassique n'était pas à leur avis une véritable théorie scientifique, mais plutôt un cadre
formel permettant de tester différentes théories comportementales3? Dans cette optique, il
peut être intéressant de considérer ce cadre comme une «grammaire» de l'action
intentionnel.le (toute action dirigée vers un objet) ou comme un mode descriptif de
représentation ex post des interactions entre des organismes vivants et leur environnemenes.
Sur ce point, les critiques les plus virulents sont d'ailleurs allés jusqu'à affirmer que
l'économie néoclassique était fondamentalement tautologique39 . Le caractère tautologique
proviendrait ici du fait que la théorie néoclassique prétend expliquer une action par la
maximisation d'une fonction d'utilité dont les caractéristiques sont dites révélées par l'action
elle-même. Or, il existera généralement toujours ex post une fonction d'utilité dont la
maximisation est compatible avec l'action observée. Aussi, pour les critiques, une théorie
scientifique devrait plutôt stipuler une forme particulière aux fonctions d'utilité avant
l'observation de l'action. Pour Battalio et al. et les défenseurs de l'économie néoclassique,
une façon de répondre à cette apparence de paradoxe serait d'argumenter que l'ensemble des
différentes hypothèses testées sont des cas particuliers de la théorie de Slutsky et Hicks de la
demande qui repose sur l'axiome des préférences révélées. Rappelons qu'un tel argument
J7 Voir section 2.3.2. 38 Un tel mode de représentation descriptif de l'action a aussi été brillamment proposé par le philosophe J. R. Searle autour de la notion d'intentionnalité. Voir Searle (1983) pour une présentation de cette notion. Il faut toutefois noter que Searle est relativement critique face à la théorie de la décision défendue par l'approche néoclassique. Pour une exposition de cette critique, voir Searle (2001). 39 L'idée que la théorie néoclassique ne peut être considérée comme une théorie scientifique génétique causale et que cette dernière est plutôt une simple tautologie est le plus clairement exprimée dans le classique «Why Is Economies Not an Evolutionary Science?» de Veblen paru en 1898 dans le JPE. Voir aussi 2.3.2.
111
avait été développé par le groupe dès 1976 au sujet de la matching law4o. Dans ce cas la
réfutation de certaines d'entre elles peut être attribuée à certaines de leurs hypothèses plus
spécifiques et par le fait même plus contraignantes. Évidemment, cette dernière réplique ne
pourrait tenir dans le cas des hypothèses découlant du modèle des comportements irrationnels
de Becker. Dans tous les cas, les auteurs semblent ici ne pas voir ce paradoxe.
3.4.2 Quelques incursions dans la sphère du politique
Entre 1985 et 1987, le groupe est amené à prendre position sur plusieurs
problématiques sociales comme les effets démotivants de l'implantation d'un programme de
revenu minimum garanti et les hypothèses controversées de trappe à inactivité et de trappe à
pauvreté. Ces prises de position s'effectuent dans le contexte de développements naturels des
travaux du groupe portant sur les déterminants de l'offre de travail et les préférences
intertemporelles. Plusieurs de ces positions sont élaborées par Kagel dans «Economics
According to the Rats (and Pigeons too): What Have We Learned and What Can We Hope to
Learn?»41. Dans une première section du chapitre traitant du marché du travail, Kagel discute
de l'hypothèse de la trappe à inactivité selon laquelle le fait de profiter temporairement des
politiques de redistribution de revenu aurait un impact permanent sur les préférences travail
loisir de l'individu qui tendrait à réduire son offre de travail. Afin de tester cette hypothèse,
quatre pigeons et deux rats ont été confrontés à des contingences de renforcement et à des
procédures similaires à celles utilisées dans l'article publié par Battalio et al. dans l'AER en
1981 42 . L'unique différence est que dans ce cas-ci, les conditions environnementales de la
première phase de l'expérience étaient simplement rétablies dans la troisième phase de façon
à comparer les choix des sujets avant et après l'application d'une diminution de salaire
compensée par l'ajout d'un revenu minimum garanti. Les résultats de cette série
d'expériences auraient confirmé que les sujets appliquent un nombre inférieur de pressions
lors de la troisième phase de l'expérience que lors de la première43 . Kagel en conclut, non pas
40 Pour un rappel de cet argument, voir pp.54-55. 41 Ce texte a déjà été cité plus haut. Voir pp.lü6-1ü7. 42 Voir section 3.2. 43 Ces résultats expérimentaux ont aussi été présentés dans un cahier de recherche intitulé «Consumer Demand Theory and Animal Behavior» déposé à l'Université de Houston en 1987. Malheureusement, ce document n'a pu être récupéré.
112
sans soulever quelques réserves liées à la difficulté d'inférer des conclusions concernant la
non efficacité de politiques économiques à partir de données colligées en laboratoires sur des
animaux, que ces derniers appuieraient l'hypothèse de la trappe à inactivité.
Kagel affirme plus tard dans le chapitre que les résultats d'une autre série
d'expériences élaborées conjointement avec Battalio et Green contrediraient l'hypothèse de la
trappe à pauvreté proposée par Fisher dès 1907. Selon cette hypothèse les moins nantis
tendraient à le demeurer en raison de leur préférence plus marquée pour la consommation
présente au détriment de la consommation future, ce qui les ferait moins épargner et qui les
exclurait du partage des gains de capital. Cette dernière hypothèse est similaire à la
conjecture avancée par Kagel, Green et Caraco stipulant une relation positive entre les degrés
de privation des sujets et leur préférence relative pour la consommation présente. Les
expériences auxquelles Kagel fait référence auraient été menées selon une procédure encore
une fois similaire à celle utilisée dans un article précédent du groupe. Cette fois-ci, la
procédure imaginée est presque identique à celle qui avait été utilisée par Green et al. en
1981, sauf qu'ici un premier groupe de rats, les rats à faible revenu, se voit attribuer un total
de 7 cm3 de liquide par jour alors qu'un deuxième groupe, les rats à haut revenu, se voit
plutôt attribuer 28 cm3 quotidiennement. Étonnamment, les résultats de ces expériences
montrent que les rats soumis à des niveaux de privation plus élevés ont choisi plus
fréquemment l'option plus éloignée, contrairement à ce qui avait été imaginé par les
expérimentateurs, des résultats qui mettent donc en doute la conjecture de Fisher44 • Ici, il faut
remarquer qu'autant dans le cas de la trappe à inactivité que dans celui de la trappe à
pauvreté, il est permis d'imaginer que Kagel effectue une ultime tentative de publiciser les
44 Des propos similaires sont repris dans «Intertemporal Choice Behavior: Evaluation of Economie and Psychological Models», un chapitre que Kagel et Green ont publié dans le premier volume d'une série de 3 intitulée Advances in Behavioral Economies dont ils sont les éditeurs. Ce texte est aussi construit autour de l'expérience sur le contrôle de soi menée par Green en 1981 et des conclusions tirées dans l'article conjoint de Kagel, Caraco et Green publié en 1986. Les autres contributions au premier volume sont: Becker, «Economie Analysis and Human Behaviom; Simon, «Rational Decision Making in Business Organizations»; Rachlin, «Animal Choice and Human Choice»; Junker, «The Role of Microdata in the Production of Economie Knowledge»; Lea, «Animal Experiments in Economic Psychology»; Hursh et Bauman, «The Behavioral Analysis of Demand»; Vaughan et Herrnstein, «Stability, Melioration, and Natural Selection»; Wilde, «Consumer Behavior Under Imperfect Information: Review of Psychological and Marketing Research as Il Relates to Economie Theory»; et Covich, «Optimal Use of Space by Neighboring Central Place Foragers: When and Where to Store Surplus Resources». Par ailleurs, certains de ces textes ont déjà été discutés dans des sections précédentes du mémoire, dont ceux de Lea et de Vaughan et Herrnstein. Voir p.6û et pp.65-66. Malheureusement, les contributions contenues dans les volumes 2 et 3 n'ont pu être retrouvées.
113
efforts du groupe puisque dans les deux cas, des conclusions identiques ou très similaires
avaient déjà été avancées antérieurement sans aucune référence à la possibilité de leur
conférer une quelconque interprétation politique.
En 1986, Battalio et Kagel ont publié dans El en collaboration avec O. R. Phillips un
article intitulé «Optimal Prices and Animal Consumers in Congested Markets» à l'intérieur
duquel ils ont recours à des données compilées sur des animaux afin d'étudier la politique de
tarification optimale des «biens de congestion». L'hypothèse de départ des auteurs est que le
nombre de visites et la consommation moyenne par visite peuvent être substitués afin
d'atteindre un certain niveau de consommation. De plus, l'imposition d'un droit d'accès
tendrait à augmenter la consommation moyenne par visite, ce qui aurait comme effet indirect
d'augmenter d'autant les problèmes de congestion que la politique visait à régler. Trois des
études présentées dans l'article reproduisent les conditions d'un buffet à volonté où les sujets,
des rats, des cochons et des chats, doivent d'abord payer un droit d'accès au buffet avant de
pouvoir manger la quantité qui leur convient45 . Leur analyse confirment que lorsque le prix
du buffet est augmenté, les sujets réduisent leur nombre d'accès et augmentent leur
consommation moyenne par visite46 • En conséquence, les auteurs suggèrent qu'il est
préférable de mesurer la congestion comme une fonction dépendant autant du nombre de
visites que de la consommation moyenne par visite. Ils en concluent que la politique de
tarification par visite ne peut être considérée comme étant Pareto optimale, la politique idéale
devant plutôt être indépendante autant du nombre de visites que de la consommation
moyenne du bien par visite.
Finalement, Kagel et al. iront dans leur ouvrage synthèse de 1995 jusqu'à étudier la
distribution des revenus de populations de rats et de pigeons et à calculer le coefficient de
45 Ces études sont celles de Collier et Hirsch (1971), Collier, Hirsch et Hamlin (1972), Hirsch et Collier (1974) et de Kanarek (J 975). 46 Des résultats similaires ont aussi été observés sur des sujets humains. Dans une expérience menée en 1972 par Bigelow et Liebson dont les résultats ont été publiés dans The Psychological Record des alcooliques ont été confrontés à deux conditions. Dans la première condition, les sujets pouvaient se procurer autant de breuvages qu'ils le désiraient alors qu'ils étaient contraints à une dépense et à un prix donné. Dans la deuxième condition, le prix des breuvages était doublé après la deuxième consommation. Devant ces différentes contraintes, les sujets ont réagi en substituant une partie des consommations dépassant la deuxième pour plus d'heures passées à consommer.
114
Gini les caractérisant47 . La discussion présentée à cette occasion s'inspire du contenu d'un
article de Battalio, Kagel et Reynolds publié dans le JPE en 1977. L'article intitulé «Income
Distributions in Two Experimental Economies» analysait toutefois les facteurs responsables
des inégalités de richesse sur la base de données compilées à l'intérieur des économies de
jetons du Central Islip Hospital et de l'Addiction Research Foundation48 . Les coefficients de
Gini mesurés sur les populations animales varient autour de 0,10 et 0,20, ce qui somme toute
apparaît relativement élevé étant donné la similitude du bagage génétique et des expériences
de vie passées des individus les composant. Afin de vérifier si cette disparité est simplement
due à des variations indépendantes des individus ou si elles sont plutôt causées par une
certaine variabilité des préférences individuelles pour le loisir et le revenu, Kagel et al ont
mesuré les réactions de ces mêmes sujets à l'ajout de différents revenus garantis. En réaction
à ces variations, les sujets ont systématiquement conservé leur rang dans la distribution des
revenus49. Les auteurs en concluent donc qu'au moins une partie des écarts de revenu
observés doit provenir de la variabilité des préférences individuelles. À leur avis, il est permis
de spéculer que ces résultats caractérisent probablement aussi les populations humaines qui
sont par surcroît caractérisées par d'importantes différences culturelles. Avec ce résultat et
ceux énumérés précédemment, Kagel, Battalio et Green s'avancent donc clairement sur le
terrain glissant du politique en entérinant en particulier certaines positions associées à la
droite républicaine. Aussi, certains observateurs les taxeront plus tard de maintenir de fortes
affinités idéologiques avec les idées libérales de l'École de Chicagoso. À ce titre, la
nomination de Kagel comme «National Fellow» de la Hoover Institution entre 1981 et 1983
n'a certainement rien fait pour mitiger l'opinion de ces commentateurs.
3.4.3 La confirmation expérimentale de l'existence de biens de Giffen
La dernière problématique abordée par le groupe est la démonstration expérimentale
de l'existence des biens de Giffen. Cet épisode est l'un des plus controversés de la
47 Ces analyses n'avaient jamais été publiées auparavant. Par ailleurs, les auteurs ne spécifient pas sur quelles données elles reposent. 48 À ce sujet, voir chapitre 1. 49 Voir Kagel, Battalio et Green (1995), pp.128-132. 50 Voir section 3.6.
115
collaboration entre Kagel, Green et Battlali051 . D'une part, les détracteurs de l'économie
néoclassique et plus particulièrement de la théorie de la demande de Slutsky et Hicks ont
souvent souligné l'absence de confirmation de l'existence de tels biens afin d'attaquer sa
légitimité. En somme, cette prédiction de la théorie orthodoxe est si contre-intuitive que sa
confirmation empirique fournirait des arguments de poids à ses défenseurs. D'autre part, une
telle observation serait à même de jeter un ultime discrédit sur la matching law puisque cette
dernière postule que le niveau de revenu absolu n'a aucun impact sur les choix des sujets, ces
derniers étant uniquement déterminés par le ratio des renforcements associés à des options
concurrentes. Auparavant, la majorité des attaques contre la matching law reposaient sur son
incapacité à rendre compte des cas où l'effet de substitution observé était négatif, soit lorsque
les deux biens étaient complémentaires52. Le premier article qui attaque la matching law sur
la base du fait qu'elle ne prédit aucun changement dans les choix des sujets en réaction à des
variations dans le revenu total est celui de A. Silderberg, F. R. Warren-Boulton et T. Asano
publié dans le Journal of Experimental Psychology: Animal Behavior Processes en 1987 et
intitulé «Inferior-Good and Giffen-Good Effects in Monkeys Choice Behavior». Trois ans
plus tard, T. Hastjarjo, Silberberg et Hursh étendront la portée de ces premiers résultats dans
un autre article intitulé «Quinine Pellets as an Inferior Good and a Giffen Good in Rats» qui
paraît cette fois dans le JEAB. Étrangement, si Kagel fait déjà mention en 1987 d'expériences
visant à confirmer l'existence de biens de Giffen, il faut attendre 1991 avant que ne soit
publié le premier article de lui et Battalio sur le sujet53. Par ailleurs, ces derniers ne font que
mentionner au passage l'article de 1987 de Silberberg et al. et ne font aucune mention des
résultats de Hastjarjo et al., ce qui laisse présager que l'article a été présenté au rédacteur en
chef avant la publication de ce dernier.
Les expériences de Silberberg et al. sont effectuées sur deux macaques japonais à
100% de leur masse de libre accès au renforcement soumis à 23 h de jeûne. Ces derniers
doivent choisir entre une portion relativement grande de nourriture au goût désagréable et une
portion relativement petite de nourriture régulière distribuées selon des contingences de
51 Voir à ce sujet l'essai historique de McDonough (2003) dont le contenu est discuté plus bas. Voir pp.131-133. 52 Il s'agit du cas de !'antimatching pour lequel le coefficient Sr de la matching law généralisée de Baum est négatif. Voir sections 1.2.2 et 2.3. 53 Voir Kagel (1987), p.167. Il est possible de penser que Kagel et Battalio ont eut certaines difficultés à reproduire des conditions pouvant mener à la présence d'un bien de Giffen.
116
renforcement concurrentes à intervalles fixes alors qu'ils ont accès à de l'eau en quantité
illimitée. L'expérience se déroule en deux phases. La première phase vise à vérifier que la
nourriture au goût désagréable présente bien les caractéristiques d'un bien inférieur. Le
revenu des singes y est d'abord maintenu à un faible niveau avant d'être progressivement
augmenté alors que les prix relatifs des deux biens sont conservés54 . Lors de cette première
phase, les sujets ont bien diminué leur consommation de nourriture au goût mauvais lorsque
leur revenu augmentait et qu'ils lui substituaient de la nourriture régulière. Les auteurs en
concluent donc que dans les conditions recréées, la nourriture au mauvais goût représente un
bien inférieur pour les deux sujets. Lors de la deuxième phase de l'expérience, les
distributeurs sont plutôt programmés selon des contingences de renforcement à intervalles
variables, ce qui permet d'altérer les prix relatifs des deux biens en fonction de la probabilité
de livraison et de mesurer l'effet de ces variations sur les quantités qui en sont consommées.
Les résultats montrent que lorsque le prix de la nourriture au mauvais goût est augmenté en
diminuant la probabilité d'obtention du renforcement, les sujets choisissent d'en consommer
davantage comme le prédit la théorie dans le cas de biens de Giffen. Pour les auteurs, ces
résultats prédits par le modèle de maximisation de l'utilité ne peuvent être expliqués par les
théories classiques du conditionnement opérant.
L'expérience de Hastjarjo et al. présente deux différences avec celle de Silberberg et
al. D'une part, les sujets sont quatre rats évoluant à l'intérieur de boîtes de Skinner. D'autre
part, le revenu de ces derniers est maintenant fixé par le nombre de pressions alloué à ces
derniers à chaque période expérimentale. Aussi, les résultats ne pourront être mis en doute
sur la base de la présence hypothétique d'un biais d'actualisation dû à la variation du délai
d'obtention du renforcement à l'intérieur de contingences de renforcement à intervalles
variables comme celles utilisées dans l'expérience de 1987. Dans une première série
d'expériences, les rats sont confrontés à deux leviers distribuant respectivement une
combinaison A de 2 portions de nourriture régulière et 1 portion de nourriture au goût
mauvais et une combinaison B de 2 portions de nourriture régulière et 4 portions de
54 Dans cette expérience, les revenus sont déterminés par des délais séparant les essais dont la durée est programmée par des contingences à intervalles variables. Dans la condition de haut revenu, le délai moyen séparant les essais est de 15 secondes alors qu'il est respectivement de 60 et 70 secondes pour chacun des deux sujets dans la condition de bas revenu. La durée totale de chaque session expérimentale est évidemment toujours la même dans les deux conditions.
117
nourriture au goût mauvais. Chaque période expérimentale débute par une série de 10 choix
forcés durant laquelle chaque option est choisie un nombre égal de fois selon une séquence
aléatoire. Par la suite, les sujets sont successivement confrontés à des périodes où ils
bénéficient de 30 et 150 choix libres, ce qui induit une importante variation de leur revenu.
Finalement, chaque période expérimentale prend fin lorsque le sujet a épuisé ses essais ou
après 30 minutes d'inactivité. Les résultats montrent que lorsque le revenu des rats est
contraint par 30 essais libres, ces derniers choisissent davantage l'option B alors qu'ils
préfèrent l'option A lorsque leur revenu est contraint par 150 essais libres. Aussi, la
nourriture au mauvais goût correspond encore une fois à un bien inférieur dans les conditions
imposées aux sujets puisque sa consommation diminue lorsque le revenu de ces derniers
augmente. Dans une deuxième série d'expériences, les rats sont d'abord confrontés à deux
leviers distribuant respectivement une portion de nourriture régulière et 4 portions de
nourriture au mauvais goût. Le revenu est ensuite varié en offrant 140 ou 100 essais libres
afin de vérifier que la nourriture au mauvais goût est toujours un bien inférieur dans ces
nouvelles conditions. Finalement, des variations de prix sont ensuite imposées en modifiant
le nombre de portions de la nourriture au mauvais goût à 3 et 1 portion(s). Les résultats de
cette deuxième série d'expériences montrent que la nourriture au mauvais goût est toujours
un bien inférieur pour les rats 1, 3 et 4 alors que le rat 2 préférait toujours le levier distribuant
davantage de mauvaise nourriture. Par ailleurs, les rats 1 et 3 ont bien diminué leur
consommation de ce bien lorsque son prix a été diminué55. Les auteurs en concluent donc que
pour ces derniers la nourriture au mauvais goût est dans les conditions imposées un bien de
Giffen.
L'année suivant la parution de l'article de Hastjarjo et al., Battalio, Kagel et Kogut
publient dans l'AER un article sur le sujet intitulé «Experimental Confirmation of the
Existence of a Giffen Good». Dans les expériences qui y sont rapportées, les auteurs
confrontent des rats à un choix entre une solution quinine et de la bière d'épinette. Les sujets
passent trois heures par jour dans la chambre expérimentale durant lesquelles ils reçoivent
toute leur ration quotidienne de liquide alors que de la nourriture solide est distribuée
55 Le rat 4 a été retiré de ['expérience lorsque sa masse est descendue en dessous des 70% de sa masse de libre accès au renforcement.
118
gratuitement toute la journée. Les liquides sont distribués selon des contingences de
renforcement à ratios fixes fixant les prix relatifs des deux liquides. Ces derniers sont par
ailleurs fixés de façon à ce que le prix de la solution quinine soit largement inférieur à celui
de la bière d'épinette de façon à favoriser la consommation du premier bien lorsqu'un certain
degré de rareté est imposé. Le revenu des sujets est pour sa part fixé par le nombre de
pressions permis pendant les trois heures que dure l'expérience. Ici encore, chaque condition
est répétée pendant au moins dix jours et l'expérience prend fin après cinq journées
consécutives pendant lesquelles les choix des sujets sont considérés stables. L'expérience se
déroule, à J'intérieur de ce cadre, en quatre phases. Dans une première phase, Battalio et al.
appliquent des diminutions de revenu faisant en sorte que les sujets puissent maintenir leur
consommation totale de liquides s'ils délaissent complètement la bière d'épinette en faveur
de la solution quinine. L'objectif de ces diminutions de revenu est de s'assurer d'entamer la
seconde phase de l'expérience sur une partie du domaine des revenus pour laquelle la
solution quinine est un bien fortement inférieur. Dans une deuxième phase, des variations de
prix compensées sont appliquées en augmentant la quantité de solution quinine distribuée par
pression. L'objectif est de vérifier si la solution quinine est dans ces conditions un bien de
Giffen. Dans une troisième phase, les sujets pour qui la solution quinine a été identifiée lors
des deux premières phases comme un bien inférieur de Giffen sont soumis à des variations de
prix compensées négatives. Il s'agit ici de vérifier que l'effet de substitution observé est bien
négatif, comme l'exige la théorie de Slutsky et Hicks de la demande. Finalement, le revenu
de ces sujets est augmenté lors d'une quatrième phase à l'aide de variations de prix
compensées. Les auteurs veulent par cette procédure vérifier si la solution quinine est
toujours pour ces derniers un bien inférieur de Giffen. De manière générale, toutes ces
procédures sont donc plus formelles que celles proposées dans les deux articles précédents.
Batta.lio et al. sont les seuls à avoir recours à des variations de prix compensées et sont aussi
les seuls à proposer une réplication intra-sujet de leurs résultats.
Les résultats de la première phase de l'expérience indiquent d'abord qu'à de faibles
niveaux de revenu la solution quinine représentait un bien fortement inférieur pour trois des
six sujets. Pour ces derniers, des courbes de demande à pente positive ont pu être construites
sur la base des données récoltées lors de la deuxième phase de l'expérience, ce qui confirme
119
que la solution quinine représentait pour eux un bien de Giffen. Les auteurs notent toutefois
que les choix de ces sujets à des niveaux de revenu plus élevés offert lors de la quatrième
phase donnaient lieu à des courbes de demande conventionnelles à pente négative. Battalio et
Kagel soulignent sur cette base l'importance d'attribuer les caractéristiques des biens de
Giffen aux préférences des sujets pour un intervalle de revenu donné plutôt qu'aux
caractéristiques du bien lui-même. Parmi les trois autres sujets, deux ont démontré lors de la
première phase des variations négatives non significatives de leur consommation alors que la
solution quinine était plutôt un bien normal pour le dernier des sujets. Toutefois, les courbes
de demande individuelle construites pour ces trois sujets étaient toutes à pente négative. Si la
solution quinine représentait donc un bien inférieur pour les deux premiers sujets, elle n'était
un bien de Giffen pour aucun d'eux. Pour tous ces sujets, la solution quinine était un bien
normal pour les niveaux de revenu plus élevés imposés lors de la quatrième phase.
Finalement, les effets de substitution mesurés lors de troisième phase pour les six sujets ont
tous été significativement négatifs.
Au niveau agrégé les variations négatives de prix compensées imposées lors de la
deuxième phase ont résulté en une mince réduction statistiquement non significative des
quantités totales consommées, ce qui suggère que l'hétérogénéité des préférence des sujets
est un obstacle important à l'identification de biens de Giffen à l'aide de données agrégées.
Comme dans le cas de l'étude des distributions des revenus, les auteurs se permettent de
suggérer que cette hétérogénéité devrait être encore plus prononcée dans le cas des humains
pour qui les distinctions culturelles et sociales sont beaucoup plus importantes. Une autre
difficulté devant l'identification des biens de Giffen est le fait que le bien en question doit
d'abord être fortement inférieur, ce qui semble exiger un état de famine assez avancé. Les
auteurs notent finalement que la présence dans la réalité contemporaine de nombreux
substituts s'ajoute à ces difficultés. Au total, ces dernières expliquent à leur avis la difficulté
de démontrer l'existence de biens de Giffen à l'aide des techniques économétriques
traditionnelles. Finalement, les auteurs présentent ces résultats comme une autre
démonstration des failles de la ma/ching law pour les raisons expliquées plus haut. La
démonstration de l'existence de biens de Giffen confirmait que suite à des variations de prix
compensées négatives, non seulement la part de revenu allouée à la consommation du bien
120
pouvait diminuer (antimatching), mais que même sa consommation totale pouvait diminuer.
Ce résultat général va non seulement complètement à l'encontre des prédictions particulières
de la matching law, mais plus généralement de l'intuition des théories béhavioristes du
renforcement qui ne font aucune place à des variables comme le revenu comme facteurs
influençant les préférences des individus.
3.5 La fin de la collaboration entre Kagel, Battalio et Green
Dès le début des années quatre-vingt-dix, le nombre d'expériences visant à tester le
modèle de maximisation de l'utilité sur le comportement animal a progressivement diminué,
jusqu'à ce que Kagel et Battalio décident eux-mêmes de limiter leurs travaux à l'étude du
comportement humain. En 1991, Battalio se concentre à la mise en place à l'Université Texas
A&M de l'Economie Science Laboratory qui deviendra l'Economie Research Laboratory en
1997. L'année suivante, le laboratoire animal que Battalio dirige depuis plus de treize ans
ferme finalement ses portes. Après 1992, Kagel se concentre lui aussi à ses fonctions de
directeur du laboratoire d'économie expérimentale de l'Université de Pittsburgh. C'est à cette
époque qu'il entreprend la rédaction de Economie Choice Theory dont il écrira seul la
majeure pat1ie, Battalio et Green se contentant d'en réviser les épreuves56. Plusieurs facteurs
peuvent être avancés pour expliquer ces réorientations. Aux dires de Kagel et Green, le
groupe aurait simplement manqué d'idées originales d'expériences à mettre en place5? En
considérant la diversité des thèmes qui ont été abordés uniquement dans le présent chapitre, il
est évidemment possible de conclure à la mort naturelle du projet. 11 est toutefois plus
probable que ces causes internes se soient jumelées à des modifications de l'environnement
institutionnel du groupe. Les possibilités professionnelles grandissantes offertes à Kagel et
Battalio dans le champ de l'économie expérimentale plus orthodoxe qui se développe
rapidement et qui reçoit d'importantes subventions au début des années quatre-vingt-dix ont
par exemple probablement eu un rôle important àjouer dans le désintérêt progressif de Kagel
et Battalio pour leurs travaux sur des sujets animaux.
56 Green aurait toutefois contribué davantage à l'écriture du chapitre 7 portant sur les décisions intertemporelles. Mentionné dans l'entrevue avec Green, juillet 2006. 57 Mentionné dans les entrevues de juillet 2006.
121
Aujourd'hui, Green dirige toujours le laboratoire animal du Département de
psychologie de ['Université Washington à St-Louis et est depuis 2004 le rédacteur en chef du
JEAB. Ses recherches se concentrent de nouveau sur l'étude du contrôle de soi, bien que les
liens entre la théorie économique de la décision et la psychologie continuent de l'intéresser
comme en témoignent plusieurs publications intéressantes dont «Prisoner's Dilemma and the
Pigeon: Control by Immediate Consequences» publié en 1995 dans le JEAB 58 • L'intuition
développée par les auteurs est qu'il est possible d'utiliser différentes contingences de
renforcement afin de reproduire les stratégies de réponse utilisées par les adversaires d'un jeu
présentant les caractéristiques du dilemme du prisonnier. Les réactions de sujets animaux
confrontés à des distributeurs programmés pour reproduire ces stratégies peuvent ainsi être
mesurées dans différentes contextes environnementaux. Rachlin est quant à lui toujours
professeur au Département de psychologie de la SUNY à Stony Brook. Son «béhaviorisme
téléologique» est aujourd'hui reconnu comme une approche théorique novatrice en
psychologie comportementale. En 2000, il a synthétisé cette approche dans un ouvrage
important, The Science of Self Control, qui recense des résultats recueillis au cours des 25
années de travaux qui l'auront entre autres amené à intégrer le modèle de maximisation de
l'utilité à la psychologie du comportement59 . On peut y lire dans l'introduction:
<dmagination is also necessary in self-control. One cigarette refusai by a smoker is utterly worthless - like only one soldier in a rout turning and making a stand. Refusai of an individual cigarette is never reinforced - not now, not later, not symbolically, not intemally. Only an extended series of cigarette refusaIs is reinforced. Refusai of the first cigarette is thus an act of imagination - behaving as you would if a state of affairs existed when it does not (yet) exist. Such complex long-term imaginative acts would be shaped from simpler short-term acts. The function of such behavior is clear. Getting up in the morning, at least for me, is an act of imagination6o»
Cette nouvelle idée originale, selon laquelle ce seraient des patterns comportementaux qui
seraient renforcés plutôt que des séries d'actes indépendants, fait sont chemin dans la
58 L'article est coéerit par Priee et Hamburger. 59 L'ouvrage est articulé autour des notions d'ambivalences simple et complexe. Le premier type d'ambivalence réfère plus directement au renversement des préférences discuté plus haut et observé en laboratoire. Voir par exemple pp.96-98. Quant à elle, la notion ambivalence complexe est une tentative de produire un modèle dynamique afin d'analyser le développement des dépendances à l'intérieur duquel une série de choix intertemporaux successifs peuvent mener soit au développement de pathologie, soit à la dévalorisation progressive des consommations. Par ailleurs, la dernière partie de l'ouvrage explore la relation entre les décisions intertemporelles, le contrôle de soi et la capacité à l'altruisme. Raehlin a en réalité recours au problème canonique du dilemme du prisonnier afin de formaliser une situation où deux sujets font face à un arbitrage entre un petit bénéfice certain et un grand bénéfice incertain. Dans ce cas, il est possible de penser que le développement d'un degré élevé de contrôle de soi pourrait engendrer une stratégie d'altruisme réciproque permettant d'éviter l'équilibre non coopératif en stratégie dominante. L'altruisme réciproque est évidemment dans ce cas un équilibre de Nash. 60 Rachlin (2000), p.IS.
122
communauté béhavioriste. Aussi, les travaux et la forte personnalité de Rachlin continuent de
soulever la polémique, comme en témoignent les réactions aux dossiers sur le contrôle de soi
et l'altruisme parus dans le BBS en 1995 et 2002 selon la même formule que celui de 1981
sur la place du modèle de maximisation de l'utilité en psychologie béhavioralé l. Avec ces
multiples réalisations, Rachlin et Green figurent actuellement sans contredit parmi les
personnalités les plus influentes du béhaviorisme aux États-Unis.
Les réussites de Rachlin et Green sont toutefois des exceptions dans le
développement récent du mouvement béhavioriste. Depuis la fin des années quatre-vingt, les
chercheurs affiliés à ce mouvement de pensée ont d'énormes difficultés à trouver les
montants nécessaires au financement de leurs recherches. Une des causes de ces difficultés
sont les coûts importants de fonctionnement des laboratoires animaux qui sont soumis à des
règles sanitaires strictes62 . Une autre est la popularité grandissante des domaines des sciences
cognitives et de la neuropsychologie qui récoltent une part de plus en plus importante du
financement alloué à la recherche fondamentale en psychologie. Dans ces conditions, seuls
quelques laboratoires ont su survivre grâce à la ténacité de leur directeur. Signe d'un temps
révolu, le Pigeon Lab ferma ses portes en 1998 après le départ de Herrnstein63 . L'abandon du
célèbre laboratoire par les administrateurs de Harvard a été décrié par plusieurs comme un
manque flagrant de reconnaissance envers les legs des Skinner, Herrnstein, et tous ceux qui
ont contribué à faire du laboratoire le centre de la psychologie comportementale pendant plus
de vingt ans. Malgré ce recul du mouvement béhavioriste dans son ensemble, la place des
idées économiques en son sein semble assurée, comme en témoigne les nombreuses
publications qui paraissent années après années dans le JEAB qui demeure le principal organe
de diffusion des recherches des membres de cette communauté64 .
61 Voir p.67-70. 62 Il faut toutefois noter que les avancées technologiques des dernières années ont diminué considérablement les coOts associés à la programmation des boîtes de Skinner. Il est aujourd'hui facile de programmer les contingences de renforcement de multiples boîtes de Skinner depuis un seul microordinateur. LI se peut donc que cette augmentation d'efficacité doublée des coOts fixes élevés associés aux règles sanitaires soit en partie responsable de la rationalisation des différents laboratoires animaux aux États-Unis. 63 En 1972, les départements de psychologie et de relations sociales sont fusionnés. Pour 8aum, la fusion marque clairement le début de la fin pour le Pigeon Lab et la recherche fondamentale qui voit progressivement son financement diminuer. Voir 8aum (2002). 64 Pour des exemples récents, voir Oliveira-Castro, Foxall et Schrezenmaier (2006) et Madden, Smethells, Ewan et Hursh (2007).
123
À l'été 2006, Kagel, Green et Rachlin furent réunis pour la première fois en vingt ans
à l'occasion d'une conférence où ils étaient invités à discuter de leur collaboration passée. Le
sort aura malheureusement voulu que Battalio, qui est décédé le 1er décembre 2004, n'y soit
pas présent. Ses funérailles ont eu lieu à la St. Joseph Catholic Church à Bryan au Texas où
sa dépouille repose toujours au Mount Calvary Cemetery. Une élégie écrite en son honneur et
publié dans l'AggieDaily de l'Université Texas A&M soulignait:
«Dec. 3, 2004 - Raymond Battalio, professor of economics and the Marie Tucker Curie Professor in Liberal Arts at Texas A&M University, passed away on Dec. 1 after a brief illness. [... ] Battalio [... ] was one of the leading practitioners in applying experimental methods to economic science. He pioneered the study of economic decision-making using animal subjects. He joined the Texas A&M faculty in 1969 after receiving his doctorate at Purdue University. During his graduate training at Purdue University he became dissatisfied with the accuracy of easily obtainable economic statistics. Under the supervision of Robert Basmann and in partnership with John Kagel, he sought out alternative ways to make observations that were accurate enough to be meaningful tests of economic (and psychological) theories. He began by testing fundamental economic theories, like the strong axiom of revealed preference, in existing token economies. [... ] He next turned to experiments using animais, primarily rats and pigeons. Animal subjects not only allow accurate observations but also have the advantage that meaningful changes in wealth are possible. Using animal experiments he demonstrated the existence of Giffen goods and that poverty does not make animais more myopic. The final phase of his career used human subjects to study economic theories. He built the Economic Science Laboratory in 1991 and the Economic Research Laboratory in 1997. Battalio published 50 articles in refereed economics journals, 11 articles in refereed psychology journals, and one book. His work was often written up by science writers and appeared in such places as Fortune magazine, the Wall Street Journal and Business Week. He raised more than $2,000,000 in research grants and his work had been funded by the National Science Foundation since 1971. He was one of the "twelve apostles" of experimental economics who began meeting at the Westward Look in the Jate 1970's. The Economic Science Association, which emerged out of those meetings, was founded in 1986. Battalio served as the third president of the Economic Science Association.65»
Kagel dirige pour sa part depuis 1999 le laboratoire d'économie expérimentale de
l'Université d'État d'Ohio à Colombus. En 2006, c'était aussi à son tour de diriger l'ESA.
Même si après 1995, Battalio et Kagel se sont davantage impliqués dans leur rôle
administratif, ces derniers ont quand même depuis publié plusieurs articles intéressants.
Battalio a surtout travaillé sur les problèmes d'apprentissage et de coordination dans la
formation des équilibres coopératifs66 alors que Kagel s'est surtout intéressé au
développement de la théorie des enchères67 •
65 L'AggieDaily est un site internet diffusant quotidiennement de l'information sur la vie du campus. Le court texte peut être consulté à l'adresse: http://newsarchives.tamu.edu/stories/04/120304-11.html. 66 Voir par exemple Huyck, Battalio et Bei! (1990 et 1991). 67 Voir par exemple Levin, Kagel et Richard (1996) et Kagel et Levin (1999). Kagel et Levin ont d'ailleurs publié en 2002 une monographie intitulée Common Value Auetions and the Winner's Curse recensant tous leurs travaux communs sur le sujet.
124
Quant à 1'histoire de l'expérimentation animale en économie après 1995, elle se
résume à la publication en 2006 d'un article de M. K Chen, V. Lakshminarayanan, et L. R.
Santos intitulé «How Basic are Behavioral Biases? Evidence from Capuchin Monkey Trading
Behavior» dans le JpJf>8. À cette date, elle est la seule étude de ce type menée par des
économistes qui n'est pas été le fait du groupe de Kagel et Battalio. Cette dernière est
particulièrement intéressante parce qu'elle a été réalisée dans le contexte de la mise sur pied
d'un nouveau groupe de recherche en économie expérimentale travaillant pour la première
fois avec des primates. L'expérience est aussi la première à incorporer l'utilisation de jetons
comme monnaie d'échange. Il faut à cet effet rappeler que dès 1970, Castro et Weingarten
avaient proposé qu'une telle utilisation dans le cadre d'étude sur des rats et des pigeons était
possiblé9. Les difficultés et les coûts associés au conditionnement préalable des jetons sur
des sujets tels que des pigeons et des rats avaient toutefois empêché ce type d'expériences
d'être réalisées. À plusieurs niveaux, l'expérience de Chen et al. se situe à mi-chemin entre
les études menées par Kagel et Battalio sur des rats et des pigeons et leurs travaux sur les
dynamiques des économies de jetons. Sans surprise, l'objet de la première expérience dont
les résultats ont été publiés par le groupe est le même que celui de l'article fondateur de
Kagel et al. publié en 1975, soit la réaction des sujets à des variations de prix compensées. Il
reste à voir si le mouvement amorcé par ce groupe de chercheurs de Yale sera en mesure
d'actualiser les objectifs des travaux de Kagel et Battalio.
3.6 La place de l'expérimentation animale en économie
Très peu d'économistes ont commenté l'utilisation de sujets animaux dans le cadre
d'études menées dans le champ encore jeune de l'économie expérimentale. L'identification
des causes de ce mutisme a d'ailleurs déjà été reconnue comme une avenue de recherche
intéressante en soi par McDonough qui a proposé en 2003 la première étude historique sur les
travaux de Battalio et Kagel. Ainsi, en plus de l'étude de McDonough, qui s'inspire
largement d'un argument développé par Mirowski dans un chapitre de Natural Images in
Economie Thought publié en 1994, seul le commentaire du philosophe G. J. Massey publié en
68 Le même texte avait préalablement été déposé en juin 2005 comme cahier de recherche de la Cowles Foundation sous le titre «The Evolution of our Preferences: Evidence from Capuchin-Monkey Trading Behaviom. 69 Voir pp.33-34.
125
1995 aux côtés de celui de Simon propose une réflexion sur la signification des travaux de
Kagel et Battalio pour la discipline. Dans l'ensemble, ces réflexions sont plutôt spéculatives
et aucune d'elles ne présente une analyse complète de la littérature secondaire constituée des
diverses réactions d'économistes aux travaux du groupe accumulées au fil des ans. Un tel
exercice est ici proposé. Les premiers commentaires émis par des économistes sur les travaux
de Kagel et al. sont ceux publiés par Cross et Stafford à la suite de chapitres de V. Smith et
de Kagel et Battalio publiés dans Evaluation ofEconometrie Models en 19807°. Par la suite,
quelques très courts commentaires seront publiés à travers les réactions de psychologues
publiées dans le dossier spécial du BBS en 1983. Lucas commente pour sa part au passage les
travaux de Kagel et al. dans un article de 1986 visant à souligner les possibilités offertes par
la convergence des théories économiques de la décision et des modèles d'apprentissage
développés en psychologie comportementale. À ces quelques réactions, il faut finalement
ajouter trois comptes rendus publiés après la parution de Economic Choice Theory. Ces
quelques sources tranchent avec les multiples réactions et questionnements soulevés par les
travaux de Kagel et al. dans la communauté des psychologues du comportement, et dans une
moindre mesure en biologie du comportement. Aussi, la question se pose à savoir si une
réponse peut être proposée pour expliquer ce mutisme relatif sur la base d'une analyse
systématique des arguments soulevés à ces occasions.
3.6.1 Brève revue de la littérature secondaire en économie
Parus en 1980, les commentaires de Stafford et Cross sont les premiers à être publiés
sur les travaux expérimentaux de Kagel et Battalio impliquant des sujets animaux71 .
Malheureusement, ces commentaires traitent aussi des travaux expérimentaux présentés par
Smith dans le chapitre précédant celui de Kagel et Battalio et des travaux de ces derniers dans
le cadre de la gestion des économies de jetons en environnement thérapeutique. Les propos
concernant plus spécifiquement l'utilisation de sujets animaux sont donc dilués à l'intérieur
de discussions plus générales sur la pertinence des méthodes expérimentales en économie.
70 Pour un compte rendu de l'argument développé par Kagel et Battalio, voir pp.57-58. Voir aussi Smith (1980). 71 Dans leur article commun de 1980, Kagel et Battalio ne font mention que des résultats des expériences résumées dans l'article fondateur de 1975 publié dans l'E! et de quelques données préliminaires recueillies sur l'offre de travail qui ne seront finalement publiées que l'année suivante, en 1981, dans l'AER. Voir pp.90-92.
126
Stafford souligne d'abord que Kagel et Battalio auraient dû confronter leurs données à plus
d'un modèle théorique afin de comparer leur performance relative, tout en mentionnant au
passage la possibilité de tester des hypothèses ayant des conséquences pratiques dans la
gestion des politiques économiques. Sur ce dernier point controversé, Stafford néglige
toutefois de considérer la difficulté supplémentaire reliée à l'utilisation de sujets animaux, ce
qui suggère que ces propos s'appliquent davantage aux expériences menées à l'intérieur des
économies de jetons. Quoiqu'il en soit, Kagel et Battalio auront plus tard l'audace de
développer ces deux suggestions72 . Pour le reste, Stafford est plutôt mitigé quant à la valeur
et à l'utilité qu'il attribue aux travaux de Kagel et Battalio pour la discipline. De son coté,
Cross émet d'abord des doutes sur le fait que la simple mention du principe de continuité
biologique entre les espèces, reposant sur l'hypothèse d'une histoire génétique commune,
puisse constituer un argument suffisant pour conclure à la possibilité de généraliser des
résultats obtenus sur des sujets animaux au comportement humain. De manière plus générale,
il remet aussi en question la possibilité de tirer des conclusions concernant le comportement
des sujets, humains ou animaux, dans leur environnement naturel à partir d'observations
colligées à l'intérieur d'environnements expérimentaux contrôlés. D'emblée, Cross se pose
donc franchement en sceptique de l'économie expérimentale avant d'ajouter que même
advenant qu'une certaine validité méthodologique soit accordée aux travaux de Kagel et
Battalio, ces derniers demeuraient inintéressants parce qu'ils ne font en outre que confirmer
des faits déjà connus et acceptés par une très vaste majorité d'économistes73 •
La critique de Cross devient toutefois plus intéressante lorsqu'il souligne d'abord que
le modèle de maximisation de l'utilité ne peut être comparé aux modèles d'apprentissage par
conditionnement opérant développés en psychologie comportementale. L'argument de Cross
est ici que le modèle économique ne s'intéresse qu'aux situations d'équilibre de long terme,
où les choix des sujets sont stabilisés, alors que les théories du conditionnement classique
s'intéressent plutôt à la dynamique d'apprentissage. Le lecteur de ce mémoire saura à ce
stade que ce commentaire ne peut s'appliquer à la principale loi quantitative développée en
72 Voir sections 3.4.1 et 3.4.2. 73 Dans leur livre de 1995, Kagel, Battalio et Green soulignent que ce commentaire leur a été adressé maintes fois au cours des années. Ils en attribuent la cause au fait que plusieurs économistes semblent étrangement considérer les preuves mathématiques comme des démonstrations suffisantes de la validité empirique de leurs résultats. Voir Kagel, Battalio et Green (1995), p.? Ce passage est par ailleurs cité plus bas à la page) 34.
127
psychologie comportementale, la matching law, qui s'en tient elle aussi à prédire un tel
équilibre. Cross émet toutefois une critique plus intéressante lorsqu'il suggère que si Kagel et
Battalio avaient étudié les mêmes phénomènes en incluant de l'incertitude, ils auraient
probablement invalidé le modèle de maximisation de l'utilité. Si Kagel et Battalio se sont
peut-être inspirés de cette suggestion de Cross au moment où ils ont entrepris leurs travaux
sur le risque, les résultats qu'ils ont obtenus font plutôt mentir les prédictions de ce dernie?4.
En somme, ces commentaires de Cross et Stafford émettent plusieurs critiques qui trahissent
de sérieux doutes quant à la valeur scientifique de l'entreprise de Kagel et Battalio, même
s'ils ne présentent pas un rejet catégorique de cette dernière.
Le dossier spécial du BBS publié en 1983 compte parmi les 25 commentateurs de
l'article de Rachlin et al. quelques économistes présentant des propos généralement
favorables à une telle extension des domaines d'application de la théorie des choix rationnels.
R. A. Moffit écrit par exemple:
«As an economist who has worked with choice theory for several years, with both experimental and nonexperimental data, 1am still periodically amazed by the astounding power of this theory. !ts power lies in the generality of its application, in the way it allows investigators to organize their hypotheses into conceptually neat and coherent boxes, and in the way it similarly suggests ways to organize statistical data into meaningful categories and to provide new interpretations of old correlations, The integrative power of the theory is attested by the diversity of the problems to which it has been applied [... ].75»
D'autres, comme H. S. Rosen, soulignent que ce type d'expériences peut aider à pallier à
certaines difficultés rencontrées lors d'expériences menées sur des humains. Rosen note
d'ailleurs à ce sujet: «Carefully conducted experiments of the sort they describe might go a
long way toward filling the gap in knowledge created by the infeasibility of doing interesting
economic experiments on people.76» Finalement, si aucune de ces réactions ne présente une
analyse en profondeur des implications des travaux de Kagel et Battalio sur la discipline, tous
s'accordent pour applaudir leur audace et leur originalité.
Il faut finalement attendre 1986 pour qu'un premier économiste intègre dans l'une de
ses publications les travaux de Battalio et Kagel, et ce dernier n'est nul autre que R. Lucas.
Les commentaires de ce dernier sur les travaux de Kagel et al. visent à souligner la
74 À ce sujet, voir section 3.2, 75 Moffit (1981), p.399. 76 Rosen ( 1981), pAO l.
128
complémentarité et la convergence de la théorie économique de la décision et des modèles
d'apprentissage développés en psychologie comportementale. Lucas commente plus
particulièrement des résultats présentés en 1981 par Battalio et al. dans le JPE qui
confirmaient que le comportement de pigeons évoluant en environnements contrôlés
respectait les prédictions de la théorie de Slutsky et Hicks de la demande. Lucas émet
quelques réserves sur le fait que Battalio et Kagel ne font que tester les prédictions du modèle
de maximisation de l'utilité à des données agrégées représentant la moyenne des choix
effectués par les sujets durant une période de temps où leur consommation est relativement
stable. Lucas aurait aimé voir Battalio et al. analyser en détails le processus d'adaptation aux
nouvelles conditions expérimentales de façon à en arriver à une meilleure compréhension de
la mécanique de l'apprentissage des sujets. Sans cette connaissance, la théorie des choix
rationnels ne peut selon lui que constituer une théorie partielle de la décision puisque d'une
part elle ne permet pas de rendre compte de la dynamique menant le sujet à ce point
d'équilibre et que d'autre part elle ne fournit aucune explication sur la nature des mécanismes
physiologiques qui sous-tendent cette dernière. Malgré ces réserves, Lucas considère que les
résultats préliminaires de Battalio et al. confirment que cette dynamique d'apprentissage,
résultant de la combinaison des propensions biologiques de l'espèce et de sa capacité à
utiliser l'information recueillie sur la base d'expériences passées, mène les choix du sujet,
même animal, à converger à terme vers l'équilibre prédit par la théorie des choix rationnels.
Lucas est donc enthousiaste devant les possibilités offertes par cette nouvelle famille de
travaux expérimentaux en économie.
Trois comptes-rendus seront publiés dans des périodiques d'économie à la suite de la
sortie de Economic Choice Theoryen 1995. Le premier de ces résumés est de D. M. Grether
et paraît dans le Journal ofEconomie Litera/ure en mars 1996. Le propos est plutôt favorable
au contenu du livre qu'il conseille à tous ceux intéressés par la microéconomie et les
techniques expérimentales. R. Sudgen propose l'année suivante son opinion sur le contenu du
volume dans l'édition de novembre de l'El. Sudgen considère que les expériences sont tout à
fait pertinentes comme tests de la théorie économique mais doute toutefois qu'il soit légitime
d'extrapoler l'efficacité ou les coûts de certaines politiques économiques, comme dans le cas
129
de l'étude des impacts indirects des prestations de revenu minimum sur l'offre de travail, sur
l'unique base des résultats colligés avec de telles méthodes. Il écrit à ce sujet:
«To take just one example, it is not clear what the authors mean when they claim that the results of their labour supply experiments on animais 'validate ... (SIC) the disincentive effect of guaranteed income programs on labor supply' (page 103). Whether or not such policies have disincentive effects depends on specifie properties of human preferences over income and leisure; we surely cannot discover those properties by studying rats and pigeons. (Imagine the implications of using this method to infer human discount rates!).7\>
Cette dernière critique a par ailleurs souvent été adressée aux béhavioristes. Pour Green, il
s'agit d'un des principaux handicaps de cette ligne de recherche lorsque vient le temps de
chercher du financement. Si l'industrie phannaceutique se voit attribuer des sommes
astronomiques pour développer des modèles animaux sur la base d'une continuité des
caractéristiques biologiques entre les espèces, de tels modèles animaux manquent souvent de
considération dans l'analyse du comportement. Pourtant, il est démontré que la majorité des
dépenses en santé sont liées à des comportements pathologiques comme le tabagisme, la
toxicomanie ou l'obésité78 . Finalement, J. M. Walker, un ancien étudiant de Kagel et Battalio
à l'Université Texas A&M, propose un résumé de l'ouvrage dans le volume 92 de Public
Choice. Walker est enthousiaste dans son compte rendu des différents chapitres et conclut:
«Important insights, both methodological and behavioral, can be gained from the research
presented in this volume. [... ] To economists, the methodology and results should be both
thought provoking and challenging.79» Ces différentes critiques sont donc dans l'ensemble
plutôt favorables. Avec un peu de recul, force est de conclure qu'à part la proposition de
Lucas, les travaux de Battalio et Kagel n'ont pas généré l'enthousiasme auquel il était
possible de s'attendre.
3.6.2 Les analyses historiques et philosophiques de Massey, Simon, Mirowski et
McDonough
La première analyse extérieure de la signification plus globale des travaux de Kagel
et al. est celle que le philosophe G. 1. Massey propose dans Concept, Theories, and
Rationality in the Biological Sciences, le recueil des textes présentés au Second Pittsburgh
77 Sudgen (1997), p.18I1. 78 Ces derniers arguments ont été longuement développés par Green au cours de l'entrevue de juillet 2006. 79 Walker (1997), p.21 O.
130
Konstanz Colloquium in the Philosophy of Science tenu en octobre 1993. L'objectif de
Massey est de replacer les travaux de Kagel et al. à l'intérieur d'une dichotomie opposant le
scientisme quasi-créationniste (SIC) et l'humanisme séculaire (SIC) qui forment selon lui
deux courants s'opposant à l'intérieur des sciences sociales80• Situé à l'un des deux pôles de
cette opposition, le scientisme quasi-créationniste, incarné dans la pensée moderne par le
rationalisme cartésien et ses descendants idéologiques, établirait une discontinuité stricte
entre le comportement animal quasi-automatique et le comportement humain déterminé par
l'exercice de la faculté de la raison. Situé à l'autre pôle, l'humanisme séculaire, incarné dans
la modernité par l'empirisme de Hume et ses descendants, tenterait plutôt d'affirmer une
continuité phylogénétique liant l'ensemble des espèces incluant l'homme. Pour Massey, toute
l'importance des travaux de Kagel et al. réside dans le fait qu'ils impliquent une coupure
définitive d'avec les réflexes archaïques du scientisme quasi-créationniste qui se cachent à
son avis encore derrière la pensée de bon nombre de défenseurs de la théorie des choix
rationnels pour qui le processus de valorisation qu'elle décrit est le propre du cogito humain.
Massey croit que la démonstration que des espèces aussi primitives que les rats et les pigeons
sont aussi capables de réagir de façon optimale à des variations exogènes de leur
environnement impose le repositionnement de la théorie à l'intérieur de l'humanisme
séculaire défendu par les empiristes. Il dit clairement à ce sujet:
So interesting is the recent work in animal economics that it might lull one into thinking that Scientific quasi-Creationism is dead or dying in the social sciences. The patient, alas, is doing quite weil. Even Kagel sometimes betrays minute traces of quasi-Creationism. [... ] The quasiCreationism lies in the asymmetry implicit in Kagel's failure to propose as an equally live option that human subjects may also be viewed "as if' they were maximising, while remaining intrinsically passive reactors to conditions and constraints, reflecting generations of natural selection and the fact that experimental procedures have not strayed too far from their natural ecologl l .»
En somme, Massey aimerait même voir Kagel endosser plus fortement son penchant
béhavioriste.
Le court commentaire de Simon, qui suit celui de Massey, présente une attaque
directe contre les travaux de Kagel à laquelle ce dernier aura par la suite l'occasion de
répliquer. D'une part, Simon rejette d'emblée l'idée selon laquelle la continuité
phylogénétique entre les espèces puisse servir d'argument pour négliger les différences
80 [1 aurait ici été plus simple d'utiliser les termes naturalisme et rationalisme pour désigner les deux courants. 81 Voir Massey (1995), pp.353-354.
131
fondamentales séparant les contextes sociaux et environnementaux de cousins aussi éloignées
que les rats et les humains. Sur ce point, Kagel se contentera dans sa réplique de répéter une
autre fois que la question de l'évaluation des limites que ces différences culturelles imposent
quant à la généralisation de résultats colligés sur une espèce aux comportements d'une autre
devait demeurer une problématique empirique. Kagel réaffirme donc qu'à son avis les
multiples confirmations des prédictions de la théorie des choix rationnels lors de tests
expérimentaux sur différentes espèces montrent que les effets de ces différences culturelles
sont probablement surestimés. D'autre part, Simon s'engage dans une attaque plus technique
selon laquelle les tests expérimentaux menés par Kagel ne constituent pas de véritables tests
empiriques de la théorie néoclassique des choix rationnels. Selon lui, les conjectures testées
par Kagel ne seraient pas des implications générales de la théorie mais découleraient plutôt
d'une hypothèse supplémentaire introduite indûment par Kagel selon laquelle le travail et le
loisir sont des biens substituts. Pour Simon, les résultats de Kagel et al. devraient plutôt être
interprétés comme la confirmation expérimentale de cette hypothèse plutôt que du modèle
néoclassique. Ce que Simon sous-entend ici est que le modèle de maximisation de l'utilité est
en réalité irréfutable et donc non scientifique au sens de Popper et qu'uniquement les fonnes
des fonctions d'utilité peuvent être testées empiriquement. Sur ce point, Kagel répond que
l'argument de Simon tiendrait si les tests avaient été effectués à l'aide de variations de revenu
non compensées. Or, Kagel et al. ont plutôt mené des variations de revenu compensées pour
lesquelles les implications de l'équation de Slutsky concernant la négativité de l'effet de
substitution s'appliquent clairement à toutes les fonctions d'utilité respectant les principaux
axiomes à la base de la théorie néoclassique. Simon conclut finalement sa diatribe avec
quelques commentaires généraux sur les difficultés liées au recours à des sujets animaux dans
l'étude des comportements rationnels:
The rationality of biological organisms, including our species, is bounded. [... ] The consequences of actions are not automatically known; they are estimated, in the face of enormous uncertainties, using exceedingly Iimited computational facilities. The behavior of an organism of bounded rationality can not be deduced in an armchair from the postulates of rationality, or even by studying empirically another species whose informational and computational limits are quite different from those of the species of interest. So we are back to empirical research on human behavior. Kagel makes much of the difficulty of doing systematic, controlled research on human subjects, or of gaining comparable information by sophisticated analysis of economic statistics. The difficulties to which he alludes are both real and weil known to economists. But to embrace animal experimentation as the solution is much like searching for the wallet under the lamppost (which is not where it was lost) because the light is better there82 .»
82 Simon (1995), pp.364-365
132
Au total, Simon réussit à marquer des points avec ces derniers arguments mais sort affaibli de
l'échange technique sur la portée des tests rapportés par Kagel.
Il faut finalement revenir sur les études historiques de Mirowski et McDonough qui
soulèvent aussi des objections fondamentales sur les travaux de Kagel et al. L'argument des
deux auteurs est que ces derniers représentent une tentative illégitime de «naturaliser» le
domaine du social en assimilant les «lois économiques» à des lois biologiques. Il serait ainsi
selon eux impératif de distinguer la notion économique d'utilité et la notion biologique de
fitness, toutes deux incarnées dans la pratique de chacune des disciplines par une fonction
objectif qui est maximisée sous une contrainte environnementale. Cette distinction serait
nécessaire parce que la notion d'utilité serait fondamentalement subjective alors que la notion
de fitness serait objective, les deux se situant donc à des niveaux ontologiques différents83.
Ainsi, il n'y aurait pas une analogie stricte entre les sciences économiques et biologiques,
comme les travaux de Kagel et al. semblent à leurs yeux le supposer, mais plutôt un simple
emprunt métaphorique qui se limiterait à la possibilité de transposer certains paradigmes84 ,
comme les techniques de maximisation sous contrainte ou certains concepts d'équilibre non
coopératifs développés en théorie des jeux, d'une discipline à l'autre. Ainsi, l'emprunt
métaphorique de certaines méthodes développées en économie par les biologistes leur semble
légitime alors qu'ils considèrent l'incursion de Kagel et al. sur le territoire des biologistes
illégitime. McDonough affirme par ailleurs que cette naturalisation forcée poursuit l'objectif
de fournir une crédibilité supplémentaire à l'économie néoclassique dont certaines
hypothèses, et en particulier celle de l'agent rationnel, sont à cette époque de plus en plus
remises en question en tentant de les asseoir sur une base empirique plus solide. Peu seront
surpris par cette affirmation puisqu'il s'agit du principal objectif avoué de Kagel et Battalio85 .
83 Il s'agit ici d'une interprétation personnelle des propos de McDonough qui ne sont pas toujours clair sur ce point. II est peut-être aussi utile de préciser que lorsque la notion d'utilité est qualifiée comme étant «ontologiquement subjective», il est entendu qu'elle résulte d'un exercice de valorisation interne effectué par le sujet. Aussi, lorsque la notion de fitness est qualifiée d'objective, il est entendu qu'elle représente un critère impersonnel externe indépendant de la volonté du sujet. 84 Le terme est ici utilisé en référence à des «outils théoriques». Pour plus de détails sur cette utilisation du terme, voir p.19, note 18. 85 Voir Kagel, Battalio et Green (1995), p.l.
133
Sur le plan historique, l'étude de McDonough souffre toutefois de plusieurs lacunes.
Elle néglige en premier lieu les interactions que Kagel et al. ont eues avec le mouvement
béhavioriste et s'en tient plutôt à étudier leurs travaux dans le contexte d'un rapprochement
entre l'économie et la biologie. Pourtant, le premier ensemble d'interactions a certainement
joué un rôle plus important que le second dans la genèse des travaux du groupe d'ailleurs
composé de deux psychologues béhavioristes. De même, la validité de l'argument
méthodologique de Mirowski et McDonough demeure objet à discussion dans la mesure où il
ne permet pas de rendre compte des résultats positifs des recherches de KageJ et al. et de la
conversion de plusieurs psychologues et biologistes aux avantages théoriques du modèle de
maximisation de l'utilité. Dans les deux cas, les auteurs préfèrent oblitérer cette réalité de
façon à isoler et à marginaliser les efforts de Kagel et Battalio. Étant donné l'aversion
reconnue de Mirowski pour l'économie néoclassique, Je béhaviorisme et toute forme de
pensée positiviste en général, et ses nombreux plaidoyers pour l'adoption d'une métaphore
biologique fortement inspirée de la pensée institutionnaliste en économie, cette partialité
n'est pas surprenante. L'appui inconditionnel de McDonough à l'argument de Mirowski est
pour sa part plus difficile à accepter dans la mesure où son étude se présente davantage
comme un travail historique plutôt que comme un essai de philosophie des sciences. Un autre
aspect problématique du compte rendu de McDonough est la prémisse de J'existence d'un
malaise entourant les travaux de Kagel et Battalio à l'intérieur de la communauté
économique. McDonough en fait un des points de départ de son analyse sans avoir vérifié
que cette dernière reflétait bien la saveur des commentaires ayant été émis par des
économistes sur le sujet. Or, un examen systématique de ces commentaires suggère plutôt
que ces derniers ont simplement eu de la difficulté à voir l'intérêt de chercher à démontrer la
robustesse de résultats qui leur semblaient aussi «évidents» et «intuitifs» que l'existence
d'une relation négative entre le prix d'un bien et les quantités consommées ou encore entre le
salaire et les quantités de temps travaillées. Il y a entre cette conclusion et la prémisse de
McDonough une nuance importante.
Outre ces quelques commentaires, la place réservée aux travaux de Kagel et al. dans
la littérature économique est limitée à de courtes mentions dans plusieurs manuels
134
d'introduction à la microéconomie86. Aussi, il faut conclure que l'économie expérimentale
comparée proposée par le groupe n'a pas réussi à s'imposer comme une branche prometteuse
de recherche capable d'attirer de jeunes chercheurs. En plus des multiples réticences liées au
recours à des modèles animaux afin d'étudier des problématiques comportementales
soulevées par plusieurs commentateurs, plusieurs positions fondamentales balisant la pratique
de l'économie dans la très grande majorité des départements universitaires peuvent être
avancées pour expliquer cet échec relatif. La première de ces positions concerne la nature
foncièrement mathématique et abstraite qui est conférée à l'objet de la discipline depuis les
écrits de Jevons et Walras. Une conséquence importante de cette position est fort bien
résumée par un commentateur cité pour la première fois par Kagel en 198787 et repris plus
tard dans l'introduction de Economie Choice Theory. Ce dernier écrit à Kagel:
<dt seems to me your research has been directed at verifying existing economic theory. For example in the paper you sent me you found downward sloping demand curves. In other works you have produced Giffen goods under the conditions dictated by the Slutsky equations. Research of that sort is weil suited to establishing the relevancy of animal experiments to economics. For your purposes, that objective is a worthy objective in itself. However, 1 am a 'true believer' in microeconomic theory, and as a result, 1 am perfectly willing to accept mathematical proofs without experimental confirmation88»
Cette prémisse partagée par d'autres sciences déductives dont la physique a évidemment pour
effet de valoriser le développement des modèles théoriques abstraits au détriment des
recherches empiriques. Il existe toutefois en économie une barrière supplémentaire se
dressant devant l'expérimentation. Cette dernière est la notoriété dont jouit l'économétrie
comme méthode empirique dominante dans la discipline. Il est à cet effet révélateur de penser
qu'encore aujourd'hui, et bien que les choses soient en train de changer avec le
développement rapide de l'économie expérimentale, les étudiants de premier cycle en
économie ne sont pour la majorité même pas informés de la possibilité d'avoir recours à la
méthode expérimentale dans leur discipline89 . Or, les travaux de Kagel et al. ont parfois
attaqué de front la validité des résultats obtenus sur la base des techniques économétriques
traditionnelles. D'une part, ces derniers ont émis des doutes quant à la qualité des données
brutes fournies par les organismes statistiques. D'autre part, certains de leurs résultats ont mis
86 Voir entre autres Browning et Browning (1992) et Dolan et Lindsay (1991) 87 Voir Kagel (1987), p.156. 88 Cité par Kagel, Battalio et Green (1995), p.7, note #1. 89 Il faut noter que les étudiants de premier cycle en psychologie ne sont pour leur part pas informés de la possibilité d'avoir recours aux techniques économétriques. Il semblerait pourtant normal que les deux méthodes soient enseignées dans les deux disciplines comme deux moyens alternatifs d'isoler ou de mesurer l'impact d'une variable de contrôle sur une variable dépendante.
135
en doute le fait que les préférences des individus soient suffisamment homogènes pour qu'il
soit possible d'avoir recours à l'hypothèse du consommateur représentatif afin d'utiliser des
données agrégées pour étudier des comportements individuels90. Finalement, leurs résultats
expérimentaux reposent pour la majorité sur de très petits échantillons de quelques sujets. En
somme, plusieurs raisons pourraient expliquer que les économètres et leurs défenseurs voient
d'un mauvais œil les efforts de Kagel et Battalio. Il faut toutefois souligner qu'à la même
époque l'économie expérimentale plus orthodoxe pratiquée avec des sujets humains a été en
mesure de se tailler une place aux côtés de l'économétrie dans plusieurs départements
universitaires aux États-Unis. Par conséquent, force est de chercher ailleurs les causes ultimes
de la tiédeur de la communauté économique.
Bien qu'il n'existe certainement pas une cause unique permettant d'expliquer cette
réaction mitigée, il faut retenir l'importance de la dichotomie identifiée par Massey entre les
tenants d'un certain rationalisme cartésien et les défenseurs de la pensée naturaliste91 • À ce
titre, il faut rappeler que Kagel et al. assoient leur conception de la rationalité sur une
rhétorique évolutionniste et sur la continuité des phénotypes comportementaux caractérisant
les différentes espèces plutôt que sur la prémisse de l'existence d'un processus conscient de
valorisation propre au cogito humain. Rachlin est clair à ce sujet lorsqu'il écrit:
«My disagreement with most rational choice theorists (and most psychologists and microeconomists in general) is that they think they're talking about internaI mechanisms while l'm talking about patterns in behavior itself. Unfortunately, we're aU using the same (mental) tenns.92»
Aussi, le type de rationalité défini par la théorie des choix rationnels est pour eux en quelque
sorte imposée à tous les organismes complexes par le processus de sélection naturelle, une
idée déjà exprimée dans le deuxième article du groupe publié en 1976. Rachlin et al.
écrivaient alors:
«The economists will object that their theories refer to the behavior of human beings and not to animaIs, especially ones so undignified as rats. But the axioms of demand theory are simple: transitivity; more is better than less; the existence of indifference contours, etc. If these axioms cannot adequately account for the behavior of rats, they must be more inadequate when applied to the complex behavior of humans.93»
90 Voir section 3.4.1. 91 Pour des raisons pratiques, les tennes rationalisme et naturalisme sont ici préférés à ceux de scientisme quasicréationniste et d'humanisme séculaire utilisés par Massey. Il est toutefois pris pour acquis que ces derniers désignent plus ou moins les mêmes réalités. 92 Correspondance avec Rachlin, été 2006. 93 Rachlin, Green, Kagel et Battalio (1976), p.142.
136
Cette reconsidération de la signification des axiomes se trouvant derrière la théorie
néoclassique ramène donc la rationalité qu'elle stipule au rang d'une série d'actes
automatiques non réfléchis hérités d'une sélection des phénotypes les mieux adaptés au cours
de J'évolution. Ultimement, ce type de rationalité est peut-être davantage le fait de plusieurs
espèces animales plutôt que celui de l'homme. Dans cet ordre d'idées, certains auteurs ont
déjà avancé l'idée que la supériorité de l'intelligence humaine repose davantage sur une plus
grande capacité de traitement émotionnel plutôt que computatiormelle de l'information94.
3.7 Conclusion
Dès le début des années quatre-vingt-dix, Green se tourne encore une fois vers
l'étude du contrôle de soi, une problématique qu'il avait contribué à mettre sur pied au début
des années soixante-dix aux côtés de Rachlin à la SUNY à Stony Brook. De leur côté, Kagel
et Battalio se découvrent respectivement de nouveaux intérêts de recherche dans le
développement de la théorie des enchères et des problèmes d'apprentissage et de
coordination dans la formation des équilibres coopératifs. En 1991, la fermeture du
laboratoire animal de College Station confirme la fin de la collaboration entre les amis qui
était au cœur du projet d'une plus grande intégration de l'économie, de la psychologie
comportementale et plus généralement de l'ensemble des disciplines étudiant le
comportement depuis vingt ans. Après 1992 plusieurs psychologues du comportement
continuent à avoir abondamment recours aux modèles économiques, comme en font foi une
quantité appréciable d'articles publiés notamment dans le JEAB. En plus de contribuer
sporadiquement à cette littérature, Green et Rachlin sont, de par les fonctions et les positions
qu'ils occupent, en mesure de soutenir les efforts de certains de leurs collègues dans cette
direction. L'intérêt des économistes a pour sa part été depuis le début plus difficile à
soulever. Au mieux, les travaux de Kagel et al. ont été considérés comme des confirmations
originales de résultats pris depuis longtemps pour acquis. Au pire, ils ont été décrits comme
une tentative illégitime de naturaliser le discours économique visant à «dépolitiser» le
politique. Dans tous les cas, la collaboration entre Kagel et al. n'aura pas été en mesure de
rassembler assez d'alliés pour s'imposer comme une avenue de recherche à long terme en
94 Voir par exemple Damasio (1994).
137
économie malgré la renaissance récente de leurs idées à travers les travaux du groupe de
Stanford. Quant à eux, les biologistes du comportement ont aussi conservé un certain intérêt
pour les modèles économiques, quoique l'enthousiasme démontré par ces derniers n'est plus
ce qu'il était au courant des années soixante-dix.
Pourtant, les expériences menées par Kagel, Battalio et Green tout au long des années
quatre-vingt ont fourni des résultats importants sur une multitude de sujets. Il y a d'abord les
travaux sur l'offre de travail qui ont débouché sur l'étude de problèmatiques aussi larges que
les effets démotivants des programmes de revenu minimum garanti et la viabilité de
l'hypothèse d'une trappe à inactivité. Il y a ensuite les travaux sur les décisions
intertemporelles qui ont démontré le renversement des préférences en fonction des délais
d'obtention relatifs de renforcements concurrents et par le fait même l'intenabilité des
fonctions d'actualisation paraboliques généralement utilisées en économie. Il y a ensuite les
travaux sur le risque qui ont démontré que plusieurs espèces animales, et en particulier les
espèces comme les mammifères qui peuvent stocker d'importantes quantités d'énergie,
seraient généralement riscophobes. L'extension de ces travaux mènera aussi à l'observation
de violations d'Allais lors de tests confrontant des rats et des pigeons à des choix de loteries
et au rejet de l'hypothèse de J'effet d'éventail des courbes d'indifférence qui avait été
proposée comme solution par Machina. Il y a finalement la démonstration expérimentale de
l'existence des biens de Giffen, sans oublier la proposition d'une nouvelle politique de
tarification optimale en présence de «biens de congestion». Plusieurs de ces développements
ont amené Kagel, Green et Battalio sur le terrain du politique, ce qui leur aura attiré des
critiques parfois sévères de plusieurs commentateurs. Malgré l'originalité du programme de
recherche développé par le groupe au fil des ans, il apparaît progressivement au trio au début
des années quatre-vingt-dix qu'ils sont arrivés au terme de l'aventure. À cette époque, les
idées d'expériences se tarissent en même temps que d'intéressantes opportunités
professionnelles s'ouvrent après l'institutionnalisation rapide de l'économie expérimentale
dans les années quatre-vingt. En définitive, le dernier legs du groupe demeurera la rédaction
d'Economie Choice Theory qui fait état des résultats de vingt années consacrées à l'étude
expérimentale du comportement animal à l'intérieur du cadre fourni par la théorie des choix
rationnels.
CONCLUSION
Les événements qui viennent d'être relatés ont ultimement émergé des travaux menés
dans les années cinquante et soixante par l'orthodoxie néo-béhavioriste qui s'était construite
autour du Pigeon Lab du Département de psychologie de Harvard et de ses deux principaux
piliers, Skinner et Herrnstein. Plus directement, ils ont été la conséquence logique du
développement rapide des économies de jetons à l'intérieur d'environnements thérapeutiques
contrôlés et de la naissance de l'étude expérimentale des mécanismes du contrôle de soi, deux
champs de la psychologie comportementale qui au début des années soixante-dix ont
contribué à la renommée du Département de psychologie de la SUNY à Stony Brook et de
ses deux figures imposantes, Krasner et Rachlin. À la même époque, plusieurs économètres
dont les jeunes Kagel et Battalio prenaient de leur côté conscience des limites des méthodes
économétriques traditionnelles, notamment en ce qui concerne la fiabilité des données brutes
colligées par les principaux organismes statistiques et les possibilités limitées de vérification
des prédictions de la théorie microéconomique au sujet des comportements individuels. Avec
le recul historique nécessaire, il apparaît que ces développements devaient à tenne
inévitablement déboucher sur un dialogue entre les deux disciplines. Aussi, lorsque Kagel est
mis au courant de l'existence des économies de jetons, il conçoit sur le champ que ces
dernières pourraient aisément être transformées en véritables laboratoires économiques où les
principales prédictions du modèle de maximisation de l'utilité pourraient être vérifiées à
l'aide de données fiables. De la même manière, lorsque Rachlin prend quelques années plus
tard connaissance des tests menés conjointement par Kagel et Battalio et Krasner et Fisher, il
se montre tout de suite intéressé à entreprendre des tests similaires dans son laboratoire
animal. Tout est alors en place pour que débute une longue collaboration qui allait provoquer
de vives réactions à l'intérieur des deux disciplines.
Les premiers résultats récoltés par le groupe au milieu des années soixante-dix sont
d'abord encourageants. D'une part, les techniques expérimentales développées dans la
139
littérature sur le conditionnement opérant semblent être en mesure de s'adapter sans difficulté
majeure à ce nouveau contexte. Pour Kagel et Battalio, les résultats obtenus à l'aide de ces
procédures fournissent les premières confirmations empiriques de la validité de l'axiome des
préférences révélées qui est au cœur du modèle de maximisation de l'utilité. D'autre part, il
semble que ce modèle puisse fournir des prédictions plus précises du comportement de rats et
de pigeons confrontés à plusieurs types de contingences de renforcement que les différentes
théories quantitatives élaborées dans la tradition de la recherche sur le conditionnement
opérant. Pour Rachlin, Green et bientôt plusieurs autres psychologues du comportement, le
modèle de la maximisation de l'utilité s'impose en particulier rapidement comme une
alternative crédible à la matching Law de Herrnstein. Les résultats obtenus par le groupe
prendront toutefois toute leur signification lorsqu'un lien sera tissé avec les travaux de
plusieurs biologistes du comportement, dont Tullock, Rapport et Turner, qui proposent
d'appliquer le modèle de la maximisation de l'utilité à l'étude du comportement animal en
environnement naturel. Optimistes devant autant de résultats positifs et devant les possibilités
offertes par une telle convergence disciplinaire, certains comme Staddon vont au début des
années quatre-vingt jusqu'à annoncer l'émergence d'un nouveau programme de recherche
visant à étudier l'ensemble du vivant depuis le cadre offert par la microéconomie moderne.
Malgré plusieurs contributions originales à leur discipline respective dans la décennie qui
suit, les occasions d'échange entre ces dernières autour des efforts de Kagel et al. se tariront
toutefois progressivement avant de s'éteindre pour de bon au début des années quatre-vingt
dix. L'ère du temps est alors au retour à un plus grand cloisonnement des disciplines
universitaires et à un refroidissement de l'intérêt des organismes subventionnaires pour la
recherche fondamentale. Du même coup, Rachlin et Green retournent à l'étude du contrô le de
soi qui promet encore d'importantes avancées dans le traitement des dépendances et Battalio
et Kagel réorientent leurs travaux vers des préoccupations plus orthodoxes dans le champ de
l'économie expérimentale, un domaine qui s'est entre-temps taillé une place aux côtés de
l'économétrie dans les départements d'économie des grandes universités américaines.
Au cours des vingt années qu'aura duré l'aventure, les idées gravitant autour des
travaux du groupe auront incontestablement menées à l'avènement d'une riche littérature
touchant des domaines aussi larges que la saine gestion des économies de jetons dans des
140
contextes thérapeutiques, l'étude des caractéristiques des fonctions d'actualisation de
différentes espèces, la confrontation de l'axiome des préférences révélées au comportement
animal à l'intérieur d'environnements contrôlés et non contrôlés, la décision en
environnement incertain, la réplication et la généralisation des observations du paradoxe
d'Allais, l'étude des déterminants des inégalités de richesse et la politique de tarification
optimale des «biens de congestion». À défaut d'avoir clos les débats ayant cours autour de
plusieurs des dernières problématiques, les études de Kagel et al. auront dans tous les cas
proposé une approche originale autant que formelle. En définitive, la reconsidération de
l'ensemble de ces travaux suggère deux pistes de réflexion importantes. Pour l'historien de
l'économie, elle suggère d'abord qu'il faille reconsidérer les différentes sources historiques
de l'économie expérimentale pour y inclure l'influence de la tradition béhavioriste et les
contributions de Battalio et Kagel. Pour l'historien des sciences, l'exercice suggère plutôt une
réflexion sur les conditions propices à l'élaboration d'un programme de recherche
multidisciplinaire et sur les difficultés institutionnelles liées à une telle entreprise.
Quelle place pour les travaux de Kagel et al. dans l'histoire de l'économie expérimentale?
L'histoire de l'économie expérimentale est évidemment encore jeune et plusieurs
épisodes fondateurs sont encore à écrire. Pourtant, jusqu'à présent la littérature portant sur la
période précédant l'institutionnalisation de la discipline dans les années quatre-vingt fait
généralement uniquement mention de trois foyers de naissance indépendants'. Un premier
foyer serait né dans le contexte des recherches effectuées à la RAND suite à la parution de
Theory of Games de J. von Neumann et Morgenstern en 1944. Le séminaire tenu à Santa
Monica à l'été 1952 sur le design d'expériences étudiant le processus décisionnel est en
particulier fréquemment mentionné comme l'élément déclencheur d'une série de travaux
précurseurs. Le séminaire a probablement entre autres fourni l'impulsion nécessaire à S.
Siegel et L. Fouraker pour réaliser les expériences dont ils feront état dans Bargaining and
Group Decision Making en 1960. Un deuxième foyer serait apparu en Europe dans les années
cinquante autour de la critique de la théorie de l'utilité espérée formulée par Allais.
Finalement, le troisième foyer serait issu des expériences rapportées par E. Chamberlin dans
1 Voir par exemple Guala (2007), Roth (1993) ou Smith (1992).
141
un article du lPE intitulé «An Experimental Imperfect Market» publié en 1948. Les
expériences menées à Harvard par Chamberlin seraient probablement passées inaperçues si
V. Smith n'avait pas tenté d'en reproduire les résultats à la fin des années cinquante dans ses
classes de l'Université Purdue, là même où Kagel et Battalio allaient plus tard poursuivre
leurs études doctorales sous la supervision de Basmann. C'est toutefois uniquement lorsque
Smith fera son entrée à Caltech, où C. R. Plott ira le rejoindre au début des années soixante
dix, que les deux économistes feront leurs plus importantes contributions à la naissance de
l'économie expérimentale. À la même époque, A. Tversky et D. Kahneman entreprenaient
finalement de leur côté la collaboration qui les mènerait à l'élaboration de leur théorie des
perspectives à l'Université hébraïque de Jérusalem.
Parmi cette multitude de travaux hétéroclites, les expériences que Kagel et Battalio
ont menées avec Fisher et Krasner sur le design des économies de jetons puis avec Rachlin et
Green sur l'expérimentation animale sont donc généralement laissées pour compte. Pourtant,
ils surviennent dans les mêmes années que celles qui allaient plus tard assurer le prix de la
Banque de Suède en mémoire d'Alfred Nobel à Smith et Kahneman pour leur contribution
respective à la naissance de l'économie expérimentale. Par ailleurs, il importe ici de spécifier
que Kagel et Battalio n'étaient, jusqu'à preuve du contraire, au courant d'aucune de ces
tentatives au moment où ils entreprirent leur collaboration avec Fisher en 19722• Ce dernier
fait peut paraître surprenant puisqu'à l'époque où Battalio et Kagel étudiaient à Purdue,
Smith venait vraisemblablement tout juste de quitter le Département d'économie de
l'université alors que Plott y était toujours. Il est en effet probable que Kagel et Battalio
soient arrivés à Purdue la même année où Smith aurait assuré pour la dernière fois la
direction de son séminaire avant-gardiste sur le recours à l'expérimentation en économie3.
Dans tous les cas, il semble que Kagel et Battalio n'ont jamais eu vent des tentatives de
Smith, ni par le biais de Plott, ni par le biais d'aucun autre étudiant ou professeur du
2 Kagel affirme même clairement qu'il n'était à cette époque au courant d'aucune des tentatives précédentes d'établir des travaux expérimentaux en économie, que ce soit des recherches menées à la RAND, des travaux de Simon à Canergie Mellon, ou encore des expériences menées par Smith. Mentionné dans l'entrevue de juillet 2006. J Smith a quitté Purdue en 1967 après avoir donné son dernier séminaire sur l'économie expérimentale durant l'année scolaire 1966, la même année où Kagel et Battalio ont débuté leurs études de maîtrise. Si Kagel et Battalio n'eurent jamais l'occasion d'assister au séminaire de Smith sur l'économie expérimentale, il s'en est certainement fallu de peu.
142
département. Aussi, à la lumière de tout ce qui vient d'être dit, force est de conclure que le
rôle joué par Battalio et Kagel dans l'émergence de l'économie expérimentale ne peut être
négligé.
À l'instar de la majorité des autres contributions précoces à l'économie expérimentale,
celle de Battalio et Kagel est aussi le fruit d'une collaboration entre des économistes et des
psychologues en vue de réconcilier le formalisme théorique des modèles développés en
économie et celui des méthodes expérimentales développées en psychologie4• L'originalité de
la contribution de Kagel et Battalio à cette histoire vient du fait qu'elle est la seule à être
issue d'une collaboration avec des psychologues formés à l'intérieur de la tradition
béhavioriste plutôt que de la psychologie de la décision ou de la psychologie sociale. Cette
particularité est la source de plusieurs distinctions fondamentales qui existent entre
l'économie expérimentale plus orthodoxe et celle proposée par Kagel et Battalio. C'est
évidemment d'abord ce qui explique le recours à des sujets animaux et à des appareils
expérimentaux comme les boîtes de Skinner. À elle seule, cette différence serait suffisante
pour confirmer l'originalité des contributions de Kagel et Battalio. Elle en cache toutefois
une autre qui revêt peut-être une importance encore plus grande qui est que ces techniques
expérimentales matérialisent une conception de l'action fondamentalement incompatible avec
celle défendue par les psychologues sociaux et cognitifs qui sont entre autres associés aux
expériences menées à la RAND et à celles menées par Tversky et Kahneman. Les propos de
Rachlin introduisent particulièrement bien cette différence lorsqu'il écrit:
«The behavior analyst tums the dials and presses the levers, as it were, to discover, not what goes on inside the robot, but how the robot as a whole june/ions in its environment (what are the relevant rein forcement contingencies and discriminative stimuli). That is, the behavior analyst approaches the study of a human being in exactly the same way as the evolutionary biologist approaches the study of a non-human animal.5»
Aussi, le pari de Kagel, Battalio, Green et Rachlin a été que la forme somme toute assez
restreinte de rationalité définie par les modèles économiques est beaucoup plus primitive
qu'il est généralement admis; que cette dernière n'est pas le résultat des fonctions les plus
évoluées de notre cerveau, mais bien plutôt celui de ses parties les moins évoluées. Aussi,
cette présomption tranche drastiquement avec les racines historiques de la pensée rationaliste
4 Seuls les travaux de Chamberlin et Smith sont exempts de cet échange disciplinaire. 5 Rachlin (2007), p.147.
143
qUi continue de définir la conception de la rationalité défendue par une majorité
d'économistes.
Paradoxalement, c'est très probablement cette manière de conceptualiser l'action qui
explique le rapprochement des idées défendues par le groupe avec celles défendues par
certaines figures de l'École de Chicago. Ici, le lecteur averti devra se garder des
préconceptions qu'il pourrait entretenir a priori sur la base des doutes que Friedman émet sur
la pertinence de l'expérimentation pour la discipline dans son célèbre essai sur l'économie
positive. Une lecture plus attentive des positions que Friedman y défend permet un autre
regard sur la question, en particulier concernant la définition qui est donnée de l'objet de
l'étude économique comme l'ensemble des phénomènes pouvant être expliqués (prédits) par
le modèle de la maximisation de J'utilité. Pour Friedman, la délimitation des frontières de cet
objet était conséquemment une problématique empirique plutôt que conceptuelle. Sans
contredit, les travaux de Kagel et al. sont l'exemple ultime de l'application de ce postulat
méthodologique. Les travaux expérimentaux de ces derniers, qui ont d'abord voulu confirmer
la solidité des postulats fondamentaux de l'économie néoclassique, ont eu comme
conséquence ultime d'élargir son champ explicatif légitime. Aussi, un des principaux traits
des travaux de Kagel et al. est qu'ils s'inscrivent directement dans la démarche «impérialiste»
promue par entre autres Becker. Cette approche est d'ailleurs résumée le plus clairement dans
l'adresse de ce dernier lors de la cérémonie de remise du prix de la Banque de Suède en
mémoire d'Alfred Nobel qu'il a obtenu en 1993 intitulée «The Economie Way of Looking at
Behavior». Sans surprise, Becker est celui qui aura appuyé les travaux du groupe avec le plus
d'enthousiasme au fil des ans. En somme, la forme extrême «d'impérialisme» économique
défendue dans les travaux de Kagel et al. concrétise la fusion des idées positivistes partagées
par les béhavioristes et les défenseurs de l'École de Chicago. Le résultat est une tentative
ambitieuse d'intégrer les différents modèles théoriques étudiant l'influence de
l'environnement sur le comportement autour des notions simples fournies parle modèle de la
maximisation de l'utilité comme celles de prix et de contraintes budgétaires. Les objectifs
avoués de cette intégration sont par ailleurs la prédiction et le contrôle du comportement
animal et éventuellement humain, un idéal que Skinner a probablement mieux incarné que
tout autre. Évidemment, cette fusion ne pouvait toutefois s'effectuer sans heurt.
144
Multidisciplinarité, convergence et controverses
Immanquablement, les travaux de Kagel et al. étaient de par leur nature même
destinés à trouver de farouches opposants et déclencher de vives controverses, et ce
particulièrement dans les communautés des psychologues et des biologistes du comportement
qui voyaient leurs propres modèles et conceptions théoriques remis en question. Sans
surprise, les controverses qui ont effectivement eu lieu sont d'abord attribuables à la défense
de positions incompatibles sur lesquelles reposent toujours ces différentes disciplines. D'une
part, il y a entre la tradition béhavioriste orthodoxe fondée sur la conception classique du
conditionnement opérant et le modèle économique de la maximisation de l'utilité, un premier
fossé épistémologique séparant les conceptions génétique causale et téléologique de l'action.
D'autre part, il y a entre la conception normative de l'optimalité, basée sur la notion de
fitness reproductif et défendue par les biologistes du comportement, et la conception
descriptive, basée sur les notions d'utilité et d'ordre de préférence et endossée par les
économistes, un second fossé épistémologique. Finalement, il y a entre les méthodes
expérimentales utilisées en psychologie, et dans une moindre mesure en biologie du
comportement, et les techniques économétriques traditionnelles, un troisième fossé
épistémologique important. Si du côté des économistes et des biologistes la contre-réaction
fut moins virulente, elle eut en définitive le même résultat. La conclusion à tirer est qu'en
présence de traditions scientifiques assises sur des positions théoriques et méthodologiques
aussi différentes, l'émergence d'un dialogue multidisciplinaire durable avait finalement de
faibles chances d'éclore et de plus faibles encore de durer.
Cette rigidité doctrinaire explique pourquoi il faut bien souvent attendre qu'un état
d'insatisfaction grandisse suffisamment dans une discipline avant que certains ne jugent que
le risque d'être marginalisé dans sa communauté d'attache est contrebalancé par la
perspective d'y établir un nouveau cadre théorique prometteur. Aussi, les multiples anomalies
identifiées dans la littérature sur la matching law dans les années soixante sont probablement
responsables de la plus grande facilité avec laquelle plusieurs psychologues du comportement
ont adopté, ou du moins n'ont pas rejeté, l'approche économique au milieu des années
145
soixante-dix. Plus concrètement, il est aussi nécessaire que les intérêts professionnels des
différents acteurs impliqués concordent pour qu'une collaboration se concrétise. Non pas
qu'il faille que chacun poursuive les mêmes objectifs, mais plutôt que les objectifs poursuivis
par chacun puissent s'accorder avec ceux poursuivis par les autres. Ici, les trajectoires des
recherches et des insatisfactions vécues par Kagel et Battalio d'un côté et Fisher et Krasner et
Rachlin et Green de l'autre concordaient somme toute fort bien. Les travaux et les
connaissances des uns étaient dans le cas de ces deux collaborations les réponses aux
problèmes vécus par les autres. Finalement, même dans le cas où ces intérêts professionnels
concordent, il faut encore que chacun puisse bénéficier des appuis nécessaires dans sa
communauté d'attache pour s'assurer un accès suffisant aux ressources financières et aux
canaux de diffusion. Sur ce point, la notoriété de Rachlin dans la communauté béhavioriste et
l'appui de Bassman, et plus tard celui de Robert Wilson et de Becker, étaient des conditions
nécessaires à la réalisation de travaux aussi hétérodoxes. Au total, il faut conclure que la
réussite relative de la collaboration entre Kagel et Battalio et Rachlin et Green est le résultat
d'un alignement de plusieurs préalables et d'autant de conditions favorables.
Toutefois, il faut aussi arriver à la conclusion que l'inertie causée par l'emprise des
différentes traditions sur une majorité aura en définitive eu raison des efforts de
rapprochement émanant du petit groupe de Kagel et al. Aussi, à terme, l'intérêt professionnel
des uns et des autres aura été de retourner à des recherches plus orthodoxes afin de sécuriser
leur position dans la hiérarchie universitaire et par le fait même les ressources financières leur
permettant de poursuivre leurs recherches. Il est toutefois permis de penser qu'avec la récente
popularisation des techniques expérimentales en économie et les pas déjà franchis en
psychologie et en biologie vers l'intégration du modèle de maximisation de l'utilité, un projet
semblable aurait aujourd'hui peut-être plus de chances de survivre à l'épreuve du temps.
Aussi, plus de dix ans après la fin de la collaboration entre Green, Kagel et Battalio, il sera
extrêmement intéressant de voir ce qu'il adviendra des efforts du groupe d'économie
expérimentale de Stanford qui a entrepris des expériences similaires sur des primates. Ce sont
peut-être ces travaux qui ouvriront finalement la voie à une plus grande reconnaissance des
contributions de Kagel, Battalio, Green et Rachlin à leur discipline respective et à l'institution
universitaire dans son ensemble.
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APPENDICE A
BIBLIOGRAPHIE CHRONOLOGIQUE
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BIBLIOGRAPHIE CHRONOLOGIQUE
Cette bibliographie recense un ensemble de publications en lien avec l'utilisation de la théorie des choix rationnels dans l'étude du comportement animal, et plus particulièrement avec les travaux expérimentaux effectués par Kagel, Battalio, Rachlin et Green entre 1972 et 1995. Trois disciplines y sont donc représentées, soit l'économie, la psychologie et la biologie. Si d'une part cette liste ne prétend pas être exhaustive, elle inclut, en plus de la majorité des titres mentionnés dans le mémoire, d'autres documents périphériques qui sont soit cités abondamment dans la littérature pertinente ou dont la connaissance pourra aider ceux qui désireraient approfondir leur compréhension de certains débats qui y sont abordés.
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