Union des banques arabes - La finance islamique face au défi de la baisse du prix du pétrole

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Les causes del’effondrement des cours du pétrole

Le panier de référence de l’OPEP a fortement chuté jusqu’à atteindre 26,50 $ / baril en janvier dernier. L’année 2015 aura été l’une des pires années pour les prix du pétrole ainsi que pour les recettes publiques des pays producteurs. A l’instar de l’Algérie dont les hydrocarbures rapportent plus de 95% de ses recettes extérieures et 60 % du budget de l’Etat. La crise a également considérablement affecté les pays membres du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) comprenant le Bahreïn, le Koweït, le Sultanat d’Oman, le Qatar, l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis qui détiennent actuellement 30% des réserves mondiales de pétrole avérées (l’Arabie Saoudite en détient 15,7%, le Koweït 6% et les Emirats Arabes Unis 5,8%). Cependant, l’impact de la crise a malgré tout été contenu grâce aux réserves accumulées lors de la flambée des prix du pétrole au cours de la dernière décennie. Plusieurs facteurs peuvent expliquer la chute des prix, on peut citer d’une part une offre excédentaire accentuée par la levée des sanctions internationales contre l’Iran et d’autre part un fléchissement de la demande lié à l’affaiblissement de la croissance économique mondiale.• Une offre excédentaire

L’offre a été perturbée par des problèmes géopolitiques, en particulier ceux liés aux tensions entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. Poursuivant des objectifsdifférents,ils ont malgré tout fait le choix de maintenir leurs productions à des niveaux élevés.Les prix du pétrole ont chuté d’environ 114 $ par baril en juin 2014, atteignant 27 $ en janvier dernier.

Cela a atténué les revenus des pays producteurs et a détérioré leurs finances publiques.

Afin d’enrayer la baisse des cours, à la mi-février, avec le soutien du Qatar et du Venezuela, l’Arabie Saoudite et la Russie (21 millions de barils par jour à eux seuls) ont décidé de geler leur production au niveau du mois de janvier.

Dans cette optique, l’Irak avec près de 3millions de barils par jour a indiqué être prêt à en faire autant. L’Iran, 4e mondial en termes de ressources avec 9,3% des réserves mondiales soutient cette initiative mais a fait savoir qu’avec près de 3 millions de barils par jour,il n’avait pas l’intention de contenir sa production tant qu’elle n’auraitpas atteint le niveau qu’elle avait avant l’embargo.Pour Téhéran, la baisse des prix demeure la conséquence de l’accroissement de la production des grands producteurs pendant la période où l’Iran était sous embargo.• Un ralentissement de la croissance économique

mondiale

La croissance économique mondiale a été révisée à la baisse (2,9% pour 2015 et 3,2% pour 2016). Dans les économies émergentes, la croissance de la Chine en 2016 a été révisée en légère baisse à 6,3% tandis que la croissance de l’Inde a été revue à la baisse à 7,5%. Au même moment, les difficultés s’accumulaient au Brésil et en Russie, deux économies entrées en récession pour la deuxième année consécutive. Malgré cela la part des BRIC dans le PIB mondial devrait grimper à 33,7% contre 18,8% enregistrés en 2000 et 27,3% en 2010. La Chine, plus grand membre d’importateur de pétrole des BRIC a enregistré au 4e trimestre 2015 ses plus bas taux de croissance du PIB depuis 1990.

La Finance Islamique face aux défis de la baisse du prix du pétrole

Ezzedine Ghlamallah

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Les conséquences de l’effondrement des cours du pétrole • Sur le secteur financier

Dans le secteur bancaire, la perte de croissance des dépôts liés aux recettes pétrolières a entraîné des pressions à court terme sur le marché monétaire. En raison de la dégradation des finances publiques des pays producteurs, les emprunts publics ont étéorientés à la hausse. Par exemple,les émissions d’obligations souveraines du CCG au cours des neuf premiers mois de 2015 se sont élevées à 47.7 milliards de $, ce qui est encore plus élevé que lepic de 43 milliards de $ constaté lors de la précédente chute du pétrole en 2009, et significativement plus élevé que l’ensemble de 2014 (2,8 milliards $).

Tout le monde sait qu’en 2015 ont été constatés des retraits massifs de liquidités dans le système bancaire des pays producteurs de pétrole. L’industrie financière islamique ne fait pas exception eta été considérablement impactée, des effets notables ont été observés au niveau des fonds souverains, du marché des sukuk et de celui des fonds islamiques. • Sur les fonds souverains

Les fonds souverains des pays producteurs sont mis à contribution quand les recettes pétrolières diminuent, pour combler un déficit, il est toujours plus aisé d’enregistrer une plus-value en cédant des actifs plutôt que d’avoir recours à la dette. Il faut garder à l’esprit que la finance islamique tient sa vitalité en partie grâce aux investissements réalisés par les fonds souverains dans son industrie ces dernières années.

Prêtons attention aux 10 marchés financiers islamiques les plus développés d’après l’indice de développement de la finance islamique conçu par Thomson Reuters: on y retrouve les six pays du CCG, ainsi que le Soudan, la Malaisie, le Pakistan et l’Indonésie. Un critère de mesure de l’indice est la part du produit intérieur brut consacrée à

l’investissement. Cependant, dans les économies du CCG, cettepart consacrée à l’investissementest corréléeaux prix du pétrole : lorsqu’ils sont orientés à la hausse ils boostent le secteur, lorsqu’ils sont orientés à la baisse, ils le contractent car ils entraînent des mouvements de désinvestissements. • Sur le marché des sukuk

La diminution des recettes pétrolières des pays producteurs entraîne des problèmes de liquidité qui peuvent avoir pour effet de les pousser vers les marchés d’emprunts islamiques afin d’équilibrer leurs déficits. Standard & Poor’s a reconnu que les prix du pétrole pourraient stimuler l’émission de sukuk puisque les gouvernements cherchent à financer leurs déficits. Cependant, l’agence estime que ce mouvement profite surtout au marché de la dette conventionnelle. Effectivement, en 2015 dans les six pays du Conseil de coopération du Golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Oman et Qatar), les émissions d’obligations conventionnelles ont augmenté de 140 % à 58 milliards de dollars, alors que les sukuk reculaient de 22 % atteignant 18 milliards de dollars.

Le marché mondial des sukuk a diminué en 2015 en raison de l’interruption des émissions de la banque Negara (banque centrale malaisienne) qui avait émis 50 milliards de sukuk en 2014 et représentait près de 50 % du marché. En 2016, les émissions de sukuk devraient se situer dans une fourchette comprise entre 50 à 55 milliards de dollars, toujours selon l’agence de notation Standard and Poor’s, alors qu’elles représentaient 63,5 milliards en 2015 et 116,4 milliards en 2014.

Alors que le niveau d’émission a été plus faible, la performance de cette classe d’actifs a également été plus faible au cours de 2015. L’indice S & P MENA sukuk a généré un rendement de 1,1% au cours de 2015, une chute par rapport au gain de 5,5% enregistré en 2014. Sa performance a également été légèrement plus faible que l’indice

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S & P MENA Bond qui a généré un gain de 1,8% au cours de 2015. En dépit de la moindre performance des indices sukuk au cours de 2015, les sukuk restent cependant une valeur refuge attrayante aux marchés actions de la région qui ont lourdement souffert ces derniers mois.

La baisse des cours du pétrole a un double effet contraire sur le marché des sukuk souverains. D’un côté elletire le marché vers le hautcarelle peut conduire les pays producteurs à chercherde la dette islamique pour financer leurs projets d’infrastructure ; d’un autre elle le tire vers le bas alors qu’ils tentent de maîtriser leurs déficits budgétaires. La maîtrise des déficits étant réaliséepar la réduction les dépenses,le désinvestissement des fonds souverains ou encorel’exploitationdes marchés de la dette classique. A cela vient s’ajouter un autre effet négatif de la baisse des cours du pétrole sur le marché des sukuk souverains : la diminution des ressources des pays producteurs entrainés par la baisse des cours de pétrole entraîne une dégradation de leur solvabilité et par conséquent de la notation de leurs sukuk souverains. Cela entraîne une baisse de la valeur des certificats sur le marché secondaire.Il semble cependant qu’un certain nombre de gouvernements prennent la route de l’industrie de la finance islamique : au moins sept nations ont exprimé leurs intentions d’émettre des sukuk dont le Koweït via Kuwait Petroleum Corporation, le Nigeria, le Kenya, le Qatar, l’Iran, l’Indonésie et la Malaisie qui a décidé de reprendre ses émissions en mars 2016.• Sur le marché des fonds islamiques

L’industrie des fonds islamiques était habituée à des taux de croissance de plus de 10% par an. Toutefois, en raison d’un grand nombre d’investisseurs institutionnelsbasés dans les pays arabes producteurs, la chute des cours a impact considérable.

Les fonds conformes à la Charia ont subi leurs

pires pertes en quatre ans. Les investissements réalisés dans l’industrie des fonds islamiquesont chuté de plus de 75% l’an dernier par rapport à 2014, d’après Morningstar seulement 584 millions de $ ont été investis dans les fonds Charia compatibles l’année dernière contre 2.4 milliards de $ investis en 2014.

Ce ralentissement est un gros revers pour les 60 milliards de $ de l’industrie des fonds islamiques qui n’a commencé à se développer qu’au cours des dernières années, et soulève beaucoup de questions quant aux perspectives dedéveloppement.

Les gestionnaires d’actifs ont répondu à des perspectives de croissance qui semblaientimportantesen lançant en 2014 un nombre record de fonds conformes à la Charia, en hausse de 49% sur 2013, selon une étude de Thomson Reuters.Beaucoup de ces fonds sont gérés par des fournisseurs locaux, mais certains gestionnaires d’actifs mondiaux ont décidé d’y prendre part au cours des dernières années, comme par exemple Franklin Templetongérant plus de 750 milliards de $de par le monde.

Les fonds islamiques sont en proie à des problèmes conjoncturels tels que la baisse des cours du pétrole mais aussi à des problèmes structurels, tels que leur petite taille. En effet, environ de la moitié des fonds conformes à la Charia avait en 2015 selon Thomson Reuters un actif sous gestion de moins de 10 millions $. Seulement 8% des fonds islamiques gèrent au moins 100 millions de $, généralement considérés comme un minimum afin qu’un fonds puisse être rentable. Par ailleurs, en raison d’une sous-performance vis-à-vis des fonds conventionnels, les investisseurs sont plus susceptibles d’investir dans les fonds conventionnels. A titre d’exemple, nous pouvons citer le produit Charia actions mondiales de Franklin Templetondont la performance a été de 4,8% au cours des trois dernières années alors qu’un

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investisseur ayant investi dans un fonds de l’indice MSCI ACWI, qui offre une exposition aux actions mondiales, aurait atteint 11,26%.

Selon un rapport du Centre financier islamique Malaysia International, et en dépit du recul des ventes de l’année dernière, les actifs sous gestion dans les fonds conformes à la Charia devraient augmenter d’environ 5% pour atteindre 77 milliards $ d’ici 2019.

Les perspectives et les défis à surmonter D’après un gestionnaire de fonds islamique

basé à La City, le marché s’attend à ce que le rendement total pour l’année complète reste positif. La confiance vient de l’attente d’une remontée des prix du pétrole vers 50 US $, augmentant le rythme des réformes fiscalesdans les paysproducteurs et l’afflux de capitaux de la zone euro et du Japon.

Les acteurs de l’industrie du pétrole et du gaz dans le CCG vont continuer à se tourner vers la finance islamique pour financer leurs projets. Par exemple, la Kuwait National Petroleum Company, a confirmé qu’elle allait financer l’un de ses projets grâces à un emprunt par voie de sukuket accéder ainsi pour la première fois aux marchés de la dette islamique.En effet, le Koweït entend augmenter la production de pétrole à quatre millions de barils par jour d’ici 2020. Cela pourrait renforcer sa position en tant qu’un des plus grands producteurs de pétrole du monde et potentiellement augmenter les contributions du pétrole à son PIB qui représente déjà plus de 50%.

Le Sultanat d’Oman avec une production de pétrole brut en février à 1,01 millions de barils par jour ouvre ses portes aux entreprises de prospection internationales pour stimuler sa production d’hydrocarbures.Cela a conduit la firme malaisienne South SeaEnergy partenaire clé de Petrotel Oman à réaliser une incursion sur le marché du sultanaten révélantavoir engagé la Banque Nizwa pour

organiser une facilité de financement islamique structurée de 150 millions de US $ pour financer un projet de développement et de production dans le gouvernorat de Musandam.

Le nombre d’entreprises du secteur des hydrocarbures ayant eu recours aux financements Chariacompliantont quadruplé cette année avec en tête laSaudiAramcoet ses 10 milliards de $ de contrats islamiques.

L’industrie pétrolière et celle de la finance islamique sont intimement liées dans les pays arabes producteurs de pétrole :l’une finance l’autre, lorsque les prix du pétrole baissent, l’industrie financière islamique sert d’amortisseur des déficits publics et lorsqu’ils augmentent elle permet de transformer la liquidité en investissements.

Autant pour les pays arabes producteurs de pétrole que pour les promoteurs de l’industrie financière islamique, il devient crucial de prendre des mesures stratégiques et de mettre en œuvre des réformes vitales permettant d’assurer leur survie. Il est dorénavant indispensable de diversifier les sources de revenus et de limiter la dépendance pétrolière s’ils souhaitent conserver leur vitalité une fois la transition énergétique réalisée. Il est intéressant de voir comment les héritiers de John Davison Rockefeller, qui avait fondé la première compagnie pétrolière à la fin du XIXe siècle, viennent de céder la totalité de leurs actifs détenus dans Exxon Mobil considérant le secteur polluant et donc condamné à disparaître. Si les pays arabes producteurs de pétrole et l’industrie de la finance islamique veulent continuer à se développer, il est nécessaire se réinventer en offrant une véritable alternative permettant le financement de l’économie réelle et le développement économique et social. Cela ne pourraêtre possible que par la compétitivité, l’innovation permanente et le développement des marchés de banque de détail et d’assurance takaful. ا➔