Une révolution en douceur au Conservatoire

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1/3/2014 Une révolution en douceur au Conservatoire http://abonnes.lemonde.fr/culture/article/2014/03/01/une-revolution-en-douceur-au-conservatoire_4375992_3246.html 1/4 Une révolution en douceur au Conservatoire LE MONDE | 01.03.2014 à 10h00 | Fabienne Darge Avec Claire Lasne-Darcueil, c'est l'anti-Daniel Mesguich qui a été nommée, en novembre 2013, à la tête du Conservatoire national supérieur d'art dramatique. C'est une femme – la première à ce poste – là où Mesguich peut sembler l'incarnation du pouvoir masculin et impérial. Elle est aussi blonde et lumineuse que son prédécesseur est brun et ténébreux. Et aussi modeste, simple, qu'il est orgueilleux et compliqué. « Je crois surtout que ce qui nous distingue le plus, Daniel Mesguich et moi, c'est le goût ou pas de la collégialité et du partage de la pensée et de la réflexion. Moi j'adore ça. Le fait de produire des idées qui ne soient que les miennes m'ennuie terriblement », sourit-elle, tout en soulignant la « grande élégance » avec laquelle son prédécesseur lui a remis les clés de la maison, malgré un contexte difficile. Claire Lasne-Darceuil, à Poitiers, le 27 février. | Photographer: Claude Pauquet/VU pour Le Monde

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Une révolution en douceur auConservatoireLE MONDE | 01.03.2014 à 10h00 |

Fabienne Darge

Avec Claire Lasne-Darcueil, c'est l'anti-Daniel Mesguich qui a été nommée,

en novembre 2013, à la tête du Conservatoire national supérieur d'art

dramatique. C'est une femme – la première à ce poste – là où Mesguich

peut sembler l'incarnation du pouvoir masculin et impérial. Elle est aussi

blonde et lumineuse que son prédécesseur est brun et ténébreux. Et aussi

modeste, simple, qu'il est orgueilleux et compliqué.

« Je crois surtout que ce qui nous distingue le plus, Daniel Mesguich et

moi, c'est le goût ou pas de la collégialité et du partage de la pensée et de

la réflexion. Moi j'adore ça. Le fait de produire des idées qui ne soient que

les miennes m'ennuie terriblement », sourit-elle, tout en soulignant la «

grande élégance » avec laquelle son prédécesseur lui a remis les clés de la

maison, malgré un contexte difficile.

Claire Lasne-Darceuil, à Poitiers, le 27 février. | Photographer: Claude Pauquet/VU

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FEMME DE DIALOGUE ET D'ÉCOUTE

En février 2013, Daniel Mesguich avait en effet été mis en cause, de

manière inédite, par les élèves de l'école, qui lui reprochaient notamment

d'avoir « coupé du monde » l'école d'art dramatique « la plus sélective de

France » (Le Monde du 21 février 2013).

Le ministère de la culture, sans doute, savait ce qu'il faisait, en allant

solliciter cette femme de dialogue et d'écoute. Elle a été « extrêmement

émue et honorée » par cette proposition : « Ma mère a été la première

directrice, à Paris, d'un lycée mixte, le lycée Racine. Le symbole, pour moi,

était fort… »

Quand le ministère l'a contactée, elle s'apprêtait à arrêter le théâtre, pour se

lancer dans des recherches sur l'« art-thérapie », elle qui a régulièrement

travaillé avec des comédiens sourds ou aveugles. Les dernières années

avaient été trop difficiles, après son départ du Centre dramatique Poitou-

Charentes, qu'elle avait codirigé avec son mari, Laurent Darcueil, de 1998 à

2010.

Elle n'avait pas mâché ses mots, face au gouvernement précédent, qui le lui

a fait payer en coupant en partie les vivres à sa compagnie. Avant cela,

Claire Lasne-Darcueil, elle-même passée par le Conservatoire, promotion

1990 – celle de Stanislas Nordey et d'Olivier Py – avait été actrice, chez

Stuart Seide et Gilberte Tsaï notamment, puis metteuse en scène, reconnue

par la profession et la critique, notamment pour son travail sur Tchekhov.

« NOUS POUVONS FAIRE VENIR L'ÉTRANGER À NOUS »

A quelques jours du concours d'entrée de la prochaine promotion, qui

commence le lundi 3 mars, c'est, mine de rien, une révolution en douceur

qu'elle a entamée à la tête de l'école, qui a retrouvé sa sérénité. Avec un

maître mot : remettre du mouvement, rouvrir l'école sur le monde et les

formes artistiques actuelles – c'était une des principales revendications des

élèves.

« Il est vrai que nous n'avons pas les moyens d'envoyer les élèves à

l'étranger. Mais nous pouvons faire venir l'étranger à nous. J'ai demandé à

l'auteur et metteur en scène italien Fausto Paravidino et au metteur en

scène polonais Krystian Lupa d'accompagner les élèves, sur la durée. »

C'est une des grandes nouveautés apportées par Claire Lasne-Darcueil : la

présence des auteurs, tout au long du cursus de trois ans. Joël Pommerat,

François Cervantès, David Lescot, Laurent Gaudé ou Catherine Anne

travailleront avec les élèves, quand ils n'écriront pas spécifiquement pour

eux.

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Du côté des metteurs en scène, Bernard Sobel, Patrick Pineau ou Jean-

François Sivadier animeront des ateliers. Claire Lasne-Darcueil n'en néglige

pas pour autant les traditionnels cours d'interprétation, qui forment

toujours le « socle » de l'enseignement au Conservatoire.

Elle a juste souhaité, là aussi, remettre du mouvement dans une équipe qui

reste inchangée : Michel Fau est parti, Gilles David devrait arriver, Sandy

Ouvrier, Nada Strancar, Xavier Gallais et Daniel Martin continuent, et

Daniel Mesguich (qui est professeur à l'école depuis 1983) aussi… pour le

moment.

« LA POSSIBILITÉ D'INVENTER LE THÉÂTRE QU'ON NE

CONNAÎT PAS ENCORE »

« Je crois qu'il y a deux fils à tenir, un dans chaque main, le répertoire et

l'invention du théâtre, souligne-t-elle. Je suis très attachée, autant que

Daniel Mesguich, au rapport au répertoire. Mais ce n'est en rien le

dévoyer que de travailler sur l'écriture d'aujourd'hui. Je crois que l'école

est là pour donner la connaissance et la maîtrise des fondamentaux, mais

aussi pour offrir à ces jeunes la possibilité d'inventer le théâtre qu'on ne

connaît pas encore. »

La nouvelle patronne devra aussi s'attaquer à deux chantiers importants,

deux serpents de mer qui ressurgissent depuis des années, et que le

ministère de la culture a inscrits comme prioritaires : celui des locaux et

celui de la diversité du recrutement. Le bâtiment de la rue du Conservatoire

est vétuste, et trop petit. Le ministère aimerait en vendre une partie.

Claire Lasne-Darcueil propose de le garder – « le lieu est quand même

chargé d'histoire » –, mais de lui adjoindre une salle nouvelle, économique

et écologique, à construire dans les locaux encore vacants du Conservatoire

de musique et de danse, à La Villette.

CASSER SA DOMINANTE « TROP BLANCHE ET TROP

BOURGEOISE »

Quant au recrutement… Il nécessite selon elle une démarche volontariste,

un peu comme celle qui a été menée à Sciences Po, pour casser sa

dominante « trop blanche et trop bourgeoise, peu représentative de la

diversité française ». « Le concours est tellement difficile – cette année, 1

100 candidats pour 30 places – que la plupart des élèves le tentent après

avoir suivi des cours de théâtre, à Paris, pendant plusieurs années, ce qui

pose de multiples problèmes, explique Claire Lasne-Darcueil.

Nous allons créer deux classes de préparation au concours, gratuites, au

Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis et en banlieue sud, en relation avec

la scène nationale de Melun-Sénart, et mener un travail de fourmi

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d'information et d'initiation au théâtre, pour essayer de recruter des

jeunes venus d'autres horizons. »

« J'ai 47 ans, et du coup toute une histoire avec le théâtre, remarque cette

femme aussi menue que déterminée qui, Parisienne de Barbès, a choisi de

continuer à vivre à Poitiers, sur ses terres d'adoption. Ce n'est pas à moi de

décider du théâtre que ces jeunes vont faire, mais je suis là pour créer

l'espace où il peut naître. Je propose des réformes toutes simples, mais je

crois que c'est ce qu'il fallait : arrêter d'être hyperbrillant mais confus. »

Au Conservatoire aussi, le « choc de simplification » est en marche.

Fabienne Darge

Journaliste au Monde