Une révolution en douceur au Conservatoire
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1/3/2014 Une révolution en douceur au Conservatoire
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Une révolution en douceur auConservatoireLE MONDE | 01.03.2014 à 10h00 |
Fabienne Darge
Avec Claire Lasne-Darcueil, c'est l'anti-Daniel Mesguich qui a été nommée,
en novembre 2013, à la tête du Conservatoire national supérieur d'art
dramatique. C'est une femme – la première à ce poste – là où Mesguich
peut sembler l'incarnation du pouvoir masculin et impérial. Elle est aussi
blonde et lumineuse que son prédécesseur est brun et ténébreux. Et aussi
modeste, simple, qu'il est orgueilleux et compliqué.
« Je crois surtout que ce qui nous distingue le plus, Daniel Mesguich et
moi, c'est le goût ou pas de la collégialité et du partage de la pensée et de
la réflexion. Moi j'adore ça. Le fait de produire des idées qui ne soient que
les miennes m'ennuie terriblement », sourit-elle, tout en soulignant la «
grande élégance » avec laquelle son prédécesseur lui a remis les clés de la
maison, malgré un contexte difficile.
Claire Lasne-Darceuil, à Poitiers, le 27 février. | Photographer: Claude Pauquet/VU
pour Le Monde
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FEMME DE DIALOGUE ET D'ÉCOUTE
En février 2013, Daniel Mesguich avait en effet été mis en cause, de
manière inédite, par les élèves de l'école, qui lui reprochaient notamment
d'avoir « coupé du monde » l'école d'art dramatique « la plus sélective de
France » (Le Monde du 21 février 2013).
Le ministère de la culture, sans doute, savait ce qu'il faisait, en allant
solliciter cette femme de dialogue et d'écoute. Elle a été « extrêmement
émue et honorée » par cette proposition : « Ma mère a été la première
directrice, à Paris, d'un lycée mixte, le lycée Racine. Le symbole, pour moi,
était fort… »
Quand le ministère l'a contactée, elle s'apprêtait à arrêter le théâtre, pour se
lancer dans des recherches sur l'« art-thérapie », elle qui a régulièrement
travaillé avec des comédiens sourds ou aveugles. Les dernières années
avaient été trop difficiles, après son départ du Centre dramatique Poitou-
Charentes, qu'elle avait codirigé avec son mari, Laurent Darcueil, de 1998 à
2010.
Elle n'avait pas mâché ses mots, face au gouvernement précédent, qui le lui
a fait payer en coupant en partie les vivres à sa compagnie. Avant cela,
Claire Lasne-Darcueil, elle-même passée par le Conservatoire, promotion
1990 – celle de Stanislas Nordey et d'Olivier Py – avait été actrice, chez
Stuart Seide et Gilberte Tsaï notamment, puis metteuse en scène, reconnue
par la profession et la critique, notamment pour son travail sur Tchekhov.
« NOUS POUVONS FAIRE VENIR L'ÉTRANGER À NOUS »
A quelques jours du concours d'entrée de la prochaine promotion, qui
commence le lundi 3 mars, c'est, mine de rien, une révolution en douceur
qu'elle a entamée à la tête de l'école, qui a retrouvé sa sérénité. Avec un
maître mot : remettre du mouvement, rouvrir l'école sur le monde et les
formes artistiques actuelles – c'était une des principales revendications des
élèves.
« Il est vrai que nous n'avons pas les moyens d'envoyer les élèves à
l'étranger. Mais nous pouvons faire venir l'étranger à nous. J'ai demandé à
l'auteur et metteur en scène italien Fausto Paravidino et au metteur en
scène polonais Krystian Lupa d'accompagner les élèves, sur la durée. »
C'est une des grandes nouveautés apportées par Claire Lasne-Darcueil : la
présence des auteurs, tout au long du cursus de trois ans. Joël Pommerat,
François Cervantès, David Lescot, Laurent Gaudé ou Catherine Anne
travailleront avec les élèves, quand ils n'écriront pas spécifiquement pour
eux.
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Du côté des metteurs en scène, Bernard Sobel, Patrick Pineau ou Jean-
François Sivadier animeront des ateliers. Claire Lasne-Darcueil n'en néglige
pas pour autant les traditionnels cours d'interprétation, qui forment
toujours le « socle » de l'enseignement au Conservatoire.
Elle a juste souhaité, là aussi, remettre du mouvement dans une équipe qui
reste inchangée : Michel Fau est parti, Gilles David devrait arriver, Sandy
Ouvrier, Nada Strancar, Xavier Gallais et Daniel Martin continuent, et
Daniel Mesguich (qui est professeur à l'école depuis 1983) aussi… pour le
moment.
« LA POSSIBILITÉ D'INVENTER LE THÉÂTRE QU'ON NE
CONNAÎT PAS ENCORE »
« Je crois qu'il y a deux fils à tenir, un dans chaque main, le répertoire et
l'invention du théâtre, souligne-t-elle. Je suis très attachée, autant que
Daniel Mesguich, au rapport au répertoire. Mais ce n'est en rien le
dévoyer que de travailler sur l'écriture d'aujourd'hui. Je crois que l'école
est là pour donner la connaissance et la maîtrise des fondamentaux, mais
aussi pour offrir à ces jeunes la possibilité d'inventer le théâtre qu'on ne
connaît pas encore. »
La nouvelle patronne devra aussi s'attaquer à deux chantiers importants,
deux serpents de mer qui ressurgissent depuis des années, et que le
ministère de la culture a inscrits comme prioritaires : celui des locaux et
celui de la diversité du recrutement. Le bâtiment de la rue du Conservatoire
est vétuste, et trop petit. Le ministère aimerait en vendre une partie.
Claire Lasne-Darcueil propose de le garder – « le lieu est quand même
chargé d'histoire » –, mais de lui adjoindre une salle nouvelle, économique
et écologique, à construire dans les locaux encore vacants du Conservatoire
de musique et de danse, à La Villette.
CASSER SA DOMINANTE « TROP BLANCHE ET TROP
BOURGEOISE »
Quant au recrutement… Il nécessite selon elle une démarche volontariste,
un peu comme celle qui a été menée à Sciences Po, pour casser sa
dominante « trop blanche et trop bourgeoise, peu représentative de la
diversité française ». « Le concours est tellement difficile – cette année, 1
100 candidats pour 30 places – que la plupart des élèves le tentent après
avoir suivi des cours de théâtre, à Paris, pendant plusieurs années, ce qui
pose de multiples problèmes, explique Claire Lasne-Darcueil.
Nous allons créer deux classes de préparation au concours, gratuites, au
Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis et en banlieue sud, en relation avec
la scène nationale de Melun-Sénart, et mener un travail de fourmi
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d'information et d'initiation au théâtre, pour essayer de recruter des
jeunes venus d'autres horizons. »
« J'ai 47 ans, et du coup toute une histoire avec le théâtre, remarque cette
femme aussi menue que déterminée qui, Parisienne de Barbès, a choisi de
continuer à vivre à Poitiers, sur ses terres d'adoption. Ce n'est pas à moi de
décider du théâtre que ces jeunes vont faire, mais je suis là pour créer
l'espace où il peut naître. Je propose des réformes toutes simples, mais je
crois que c'est ce qu'il fallait : arrêter d'être hyperbrillant mais confus. »
Au Conservatoire aussi, le « choc de simplification » est en marche.
Fabienne Darge
Journaliste au Monde