une place au soleil Pour les sans-voix - volet 3 · 2018. 4. 13. · Une tempête s’annonce...

Micheline Duff

une place au soleilPour les sans-voix – Volet 3

Extrait de la publication

De la même auteure

RomansPaysages éclatés, Volet 2 – Pour les sans-voix, coll. Tous Continents, Éditions Québec

Amérique, 2012. La Jeunesse en feu, Volet 1 – Pour les sans-voix, coll. Tous Continents, Éditions Québec

Amérique, 2011.

sÉrie Au bouT de l’exil

Au bout de l’exil, Tome 3 – L’Insoutenable vérité, coll. Tous Continents, Éditions Québec Amérique, 2010.

Au bout de l’exil, Tome 2 – Les Méandres du destin, coll. Tous Continents, Éditions Québec Amérique, 2010.

Au bout de l’exil, Tome 1 – La Grande Illusion, coll. Tous Continents, Éditions Québec Amérique, 2009.

Mon cri pour toi, coll. Tous Continents, Éditions Québec Amérique, 2008.

sÉrie d’un silenCe à l’AuTre

D’un silence à l’autre, Tome III – Les promesses de l’aube, Éditions JCl, 2007.D’un silence à l’autre, Tome II – La lumière des mots, Éditions JCl, 2007.D’un silence à l’autre, Tome I – Le temps des orages, Éditions JCl, 2006.

Jardins interdits, Éditions JCl, 2005.Les Lendemains de novembre, Éditions JCl, 2004.Plume et pinceaux, Éditions JCl, 2002.Clé de cœur, Éditions JCl, 2000.

Contes

Contes de Noël pour les petits et les grands, Éditions Québec Amérique, 2012.

RécitMon grand, Éditions JCl, 2003.


Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

duff, MichelinePour les sans-voix(Tous continents)sommaire : t. 3. une place au soleil.isbn 978-2-7644-2344-8 (v. 3) (Version imprimée)isbn 978-2-7644-2530-5 (PdF)isbn 978-2-7644-2531-2 (ePub)i. Titre. ii. Titre : une place au soleil. iii. Collection : Tous continents.Ps8557.u283P68 2011 C843’.54 C2011-941103-2Ps9557.u283P68 2011

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Micheline Duff


Mis à part la lettre authentique servant de premier chapitre, les personnages et les situations de ce roman sont purement fictifs, et toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ne saurait être que fortuite.


Ce n’est pas parce que tu es un vieux pommier que tu donnes de vieilles pommes.

Félix leclerc

J’ai appris que tout le monde veut vivre au sommet de la montagne sans savoir que le véritable bonheur réside dans la manière de l’escalader.

Éric-emmanuel schmitt

J’ai appris qu’un homme n’a le droit d’en regarder un autre de haut que pour l’aider à se lever.

Éric-emmanuel schmitt


À Jean-Baptiste, Pierre et Monique


Note De l’AuteuRe

Je n’ai pas écrit le premier chapitre. Je m’apprêtais justement à en entreprendre la rédaction le jour même où j’ai reçu, par la poste, le témoignage vécu, réel et ô combien bouleversant de l’un de mes lecteurs tout à fait inconnu mais fidèle à m’envoyer ses commen-taires après avoir parcouru chacun de mes romans. Par un hasard béni des dieux, ses confidences criantes de vérité et fort bien écrites convenaient parfaitement à la trame de ce roman qui habitait déjà mon esprit depuis quelques mois. en effet, Vincent de bellefleur, personnage sorti tout droit de mon imagination, aurait très bien pu vivre un tel drame et écrire ce récit pathétique au terme de son adolescence.

Avec sa permission, naturellement, l’idée m’est venue de trans-mettre intégralement et sans rien y changer, la touchante confession de ce lecteur en guise de premier chapitre. sa dédicace, au terme de sa narration, a achevé de me conforter dans mon initiative :

Je dédie ce texte à tous mes frères qui, comme moi, se découvrent différents et doivent se battre pour ne pas trop en arracher avec le bonheur de vivre leur vie.

B. B.


en espérant voir ce témoignage ouvrir la porte sur la compré-hension d’un certain monde marginal trop souvent sans voix, je joindrai, tout au long de ce roman, une autre voix, soit celle des hommes et des femmes de plus en plus nombreux dans notre société actuelle, dont l’âge enneige la chevelure et refroidit drama-tiquement l’existence au fil du temps : les aînés.

Voici donc cette lettre en guise de premier chapitre.


ChApitRe 1

Une croix de branches sur la neige

Je fais une importante année d’études, au secondaire 5, un diplôme nécessaire y étant rattaché. J’aurai bientôt 18 ans, le bel âge. Le plus beau printemps de ma vie s’en vient… Pourtant, rien ne va plus, je suis submergé par de sérieux pro-blèmes. Mes notes scolaires sont dangereusement à la baisse, je perds l’appétit, je ne dors presque plus. Que se passe-t-il donc ?

Je viens de tomber en amour… avec un garçon ! Eh oui, je savais déjà que j’avais une attirance très forte pour les gens de mon sexe, mais là, que je sois amoureux et dans la nuance « fortissimo », pour employer un terme de musicien, cela me fait chavirer. Pour comble de malheur, ou de bonheur, selon le point de vue où l’on se place, je partage la même chambre que lui à la résidence du collège.

Que faire ? Comment sauver mon année scolaire ? Quoi dire ? Et surtout, à qui le dire ? Même compléter ma toilette du matin, mon lavabo se trouvant à côté du sien, m’est devenu un supplice. Comme il se sent très à l’aise de faire la

sienne en bobettes blanches moulantes, cela augmente mon manque de contrôle.

Bien sûr, il s’en aperçoit. Je pense que je dois lui parler ouvertement de mes sentiments, cela serait plus facile à vivre. OK, je le ferai ce soir même. À ma grande surprise, il se montre très ouvert à ma confidence. Il me conseille toutefois de demander une chambre pour moi seul, surtout pour m’aider à me concentrer sur mes études.

J’en fais la demande le lendemain au directeur de notre pavillon, un homme de tête très rigoureux mais quand même compréhensif. Il accepte sans trop me poser de questions. Cependant, la pression devient trop forte, je crois bien qu’il va me falloir des pilules pour dormir ! Se découvrir homo-sexuel dans un collège à caractère religieux, c’est une chose terrible. Je risque de me faire mettre à la porte pour cause de perversion.

Comme je suis d’une éducation catholique solide et issu d’une famille très correcte, il ne faut faire de peine à per-sonne, surtout pas au bon Dieu ! Alors, c’est le refoulement, la solitude… Pas la bonne, remplie d’une présence heureuse comme cela se vit chez les « vrais » amoureux, mais la mau-vaise, celle qui isole, celle qui vous enlève l’estime de vous-même, qui vous entraîne dans un état dépressif et même suicidaire.

À l’aube de l’âge adulte, est-ce possible ? Trop conscient de devoir porter mon sac à problèmes avec moi, j’aimerais bien fuir, mais où ? Au moins, au pavillon, il y a des ren-contres, des repas fraternels. Et puis, le congé de Noël s’en vient, et j’irai dans ma famille. J’appréhende pourtant ces vacances. On va sûrement me dire : « Tu as donc bien maigri ! »


Une tempête s’annonce aujourd’hui, 8 décembre, jour de fête dans notre communauté et congé pédagogique. Les pen-sionnaires qui habitent dans une région trop éloignée reste-ront au collège. Une bordée de neige nous envahit, il en tombe à plein ciel. Soudain, après le dîner, les gars organisent un match de volley-ball intérieur dans le gymnase de notre pavillon. On me demande si je veux donner mon nom pour faire partie d’une équipe. Je refuse, je n’en ai pas la force.

Une autre idée me trotte derrière la tête : aller marcher dans la tempête. J’ai toujours aimé les tempêtes hivernales, je ne sais trop pourquoi, mais cela me rend tout joyeux et plein d’énergie. Je me dis que cela sera peut-être bon pour m’enle-ver la déprime et j’enfile ma cagoule vert forêt, longue jusqu’en bas des fesses. Je me sens bien au chaud dans cette bonne étoffe du pays avec des boutons de bois et un capu-chon très enveloppant contre le vent. Et hop ! Voilà que je pars d’un pas allègre. Il doit être environ deux heures de l’après-midi.

Longeant le chemin du campus, je passe devant les pre-mières résidences voisines. Je vois quelques autres pension-naires, courageux comme moi, qui traînent dehors. Certains ont déjà commencé à déneiger la patinoire, luttant contre la tempête acharnée, d’autres s’amusent à lancer des mottes dans une classique bataille de balles de neige où tout le monde est perdant, évidemment !

Rendu au bout du long terrain du campus voisin, ce qui doit bien me faire déjà un bon kilomètre de pas de chasse-neige, j’ai une décision à prendre : je reprends ma route en sens inverse ou je continue vers la forêt. Un, c’est le retour au collège en toute sécurité dans une demi-heure, deux, c’est l’in-connu, le chemin des bûcherons, étroit et mal déneigé, avec risque de retour à la noirceur, car il fait au moins cinq ou six kilomètres.

Je choisis la seconde option. Pourquoi ? Un vague état d’âme m’envahit, du genre : si je me perds, c’est tant mieux, je dormirai dans la neige comme le héros de Maria Chapdelaine, le soir de Noël. Il était un grand amoureux, lui aussi, prêt à tout pour rencontrer sa douce bien-aimée. Et ce soir-là, il s’endormit pour toujours. Paraît-il qu’on ne souffre pas tant que ça, de mourir ainsi, engourdi par le froid. Ce serait une bonne solution à mes problèmes, ne sachant plus comment vivre avec moi-même.

Le premier pas est fait, puis un deuxième, puis un troi-sième. J’ai maintenant franchi la barrière qui sépare le terrain du collège de celui des bûcherons. Je baigne dans un état d’euphorie. Dans les minutes qui vont suivre, je ne marche plus, je vole. On dirait que je suis comme cet oiseau du nord qui nous visite l’hiver, le grand harfang des neiges. Il survole le tapis blanc pour y déceler une proie et, tout à coup, il s’arrête, se pose sur un piquet de clôture et reste là, comme s’il voulait orner fièrement notre paysage hivernal de son plumage majestueux.

Et je continue ainsi de marcher, le vent me poussant dans le dos, comme pour m’aider dans ma course folle vers… l’aventure. Je n’ose pas encore mettre le mot, je file trop bien pour l’instant, je me sens même « euphoriquement » libre. Enfin, je plonge dans le destin et n’ai plus de compte à rendre à personne ! Je suis ce que je suis, tel que je suis né, je m’aime ainsi, et seuls les anges peuvent me comprendre.

Cela doit faire plus d’une heure que je marche. Je regarde ma montre : il est trois heures trente, et la clarté semble déjà décliner. C’est vrai qu’il fait tempête, que décembre nous vole la lumière du jour et que je suis en forêt… Je m’arrête un moment pour calmer mon essoufflement et j’aperçois un sen-tier devant moi. Je me souviens y avoir marché en automne pour admirer la couleur des feuilles.


Je décide de prendre de nouveau ce sentier et m’engage péniblement sur le tapis de neige de plus en plus épais. Mais j’ose continuer, d’un pas lourd cette fois, car je commence à avoir soif. Un souvenir d’enfance remonte alors à ma mé moire. Quand nous avions soif en remontant en toboggan dans la neige, après l’école, nous prenions tout simplement cette belle manne blanche à pleines mains dans nos mitaines tricotées et la léchions comme une bonne nourriture tombant du ciel. Ce que je m’empresse de faire aussitôt. Et la même sensation se produit : cela me donne des forces pour continuer encore et encore jusqu’à ce que…

Mon Dieu ! il fait presque noir, je me suis aventuré beaucoup trop loin dans le bois et je ne distingue plus aucune trace du sentier, maintenant. Il n’y a que des arbres, et des arbres, et encore des arbres. Il me semblait aussi que je ne sentais plus rien de solide sous mes pas. Mes pieds s’enfoncent dans la neige et je me fatigue vite, très vite… Alors, je m’arrête et me tourne de tous côtés. J’essaie deux pas dans une direc-tion, trois dans une autre, et je dois finalement me rendre à l’évidence : je suis bel et bien perdu dans la forêt.

Il est quatre heures quarante, il commence à faire très noir et je n’arrive plus à retrouver le chemin des bûcherons. Et la neige tombe, de plus en plus épaisse, avec un petit vent qui me gèle la figure et les pieds. Je sais maintenant que mon cœur fragile ne parvient plus à pomper le sang jusqu’à mes mains et mes pieds.

Alors, je suis d’accord : je fais une courte prière pour accepter tout ce qui arrive et pour vite évacuer le moment de panique. Tu l’as voulu, tu l’as, ton beau scénario d’amant s’endormant pour toujours dans la tempête. Le 8 décembre n’est pas le soir de Noël mais celui de l’Immaculée Conception, et j’ai la vague intuition que Marie, de là-haut, me comprend


et m’accepte comme je suis. Elle n’aura qu’à ouvrir les bras et à m’accueillir.

Mais si je dois mourir ici, il me faut un lit de branches, comme celui que l’amant de Maria Chapdelaine s’est fait, lui aussi. Il y a plein de branches sèches. Je ramasse le peu d’éner-gie qu’il me reste et me mets en devoir de casser des branches. Une, puis deux, puis dix, puis une bonne trentaine. Je les dépose au sol, dans un espace au pied d’un grand sapin vert, en les plaçant parfaitement en forme de croix pour ne pas qu’elles calent trop vite. Plus j’en empile, plus mon lit se des-sine, et je les compresse avec un pied pour que le tout soit le plus solide possible. Voilà qui est bien. J’ai enfin mon lit, celui de mon dernier repos : une croix de branches sur la neige. Je dois maintenant essayer de m’y étendre. Je m’allonge délica-tement dessus pour ne rien déranger et, ô bonheur ! je me repose quelques instants jusqu’à ce que…

Un bruit soudain me fait sursauter, celui d’une moto-neige qui vient de loin, qui passe et qui s’en va, avec des voix qui poussent des cris incompréhensibles. Je réalise alors qu’on est à ma recherche, mais la neige ayant vite fait d’effacer mes traces, mes sauveteurs ne les voient pas. Peut-être est-ce mieux comme ça ? Je sursaute un instant, m’assois sur mon lit de branches et, posant ma tête sur mes genoux, je me demande ce que je peux faire maintenant, car je n’ai plus assez de force pour prendre le chemin de retour. Mon lit est là qui m’attend…

Alors, allons-y et faisons les choses en grand, comme disait mon père. Mais le seul fait de penser à lui, et aussi à ma mère, me réveille de ce cauchemar. Non, non, non, je ne veux plus mourir. Pas tout de suite, pas cette nuit. Je veux revoir mes parents à Noël, je vais tout leur dire. Oui, je vais leur dire la pure vérité, leur avouer ce que je suis. Mais… je dois faire quelque chose maintenant pour survivre.


— oui ! oui ! C’est oui, Frédéric. J’ai réussi mes examens, je suis maintenant un vrai infirmier. on l’a écrit, ici, en toutes lettres sur cette page. regarde !

C’est fou, je me mets à pleurer comme un bébé en tombant dans les bras de Frédéric, là, tout bêtement, dans le hall d’entrée du CHsld.

— Viens-t’en, mon amour, on va fêter ça au resto. Parce que, moi aussi, j’ai une bonne nouvelle à t’apprendre. J’ai reçu un appel de l’université, cet après-midi. dorénavant, tu pourras m’appeler maître deschamps.

— oh ! Frédéric, tu as réussi ta maîtrise ! Comme je suis fier de toi ! Félicitations, tu le mérites tellement !

— et toi, donc ! à nous, maintenant, les projets. Que dirais-tu si… si on se mariait ?

Je ferme les yeux avec délice afin de goûter l’un des plus beaux moments de ma vie. insidieusement, les mots de la chanson inter-prétée par Ambroise résonnent encore dans ma tête. Follement, là, sur le perron d’un CHsld où j’ai l’intention de me dévouer profes-sionnellement, je me mets à les turluter.

Pendant qu’un peu de tempsHabite un peu d’espaceEn forme de deux cœurs…

—on va s’arranger pour étirer ce peu de temps et ce peu d’es-pace pendant très longtemps, hein, mon amour ? Parce que « moi, moi, je t’aime » …

Frédéric, qui ne s’attendait certainement pas à une telle réaction de ma part, me sourit de toutes ses dents.

Fin

Phot

o : ©

Mar

tine d

oyon

Vincent de bellefleur, à travers les péripéties de sa vie d’étudiant en soins infirmiers, nous ouvre la porte sur des aspects méconnus du milieu hospitalier. Jeune homme naïf au grand cœur, il se prendra d’amitié pour une vieille grand-mère démunie tout en vivant une flamboyante et merveilleuse histoire d’amour. sur le chemin de la maturité, il apprendra que chaque petit geste compte et qu’il faut s’accrocher à ses rêves.

roman humain et émouvant, basé sur des enjeux actuels de notre société, Une place au soleil ne craint pas d’aborder des thèmes délicats ou complexes, en plus de prêter une voix au monde bouleversant d’une certaine marginalité trop souvent victime de préjugés.

C’est à partir du témoignage véridique et troublant de l’un de ses lecteurs, et grâce à l’aide de professeurs de cégep en tech-nique de soins infirmiers, que Micheline duff a bâti ce troisième volet de la série Pour les sans-voix.

Avant de s’adonner à l’écriture, Micheline duff, l’auteure de la trilogie D’un silence à l’autre, a travaillé dans le secteur de la technologie médicale, pour ensuite se consacrer à sa famille et à l’enseignement du piano. de cette dernière activité découle son roman Mon cri pour toi, son premier titre paru chez Québec Amérique. Après le vif succès de Au bout de l’exil, une

saga familiale à saveur historique qui nous permet d’apprécier pleinement son talent, elle poursuit son œuvre romanesque avec sa seizième publication : le troisième volet de Pour les sans-voix, une série de romans aux thèmes différents.

Micheline Duff

www.quebec-amerique.com



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