Une pensée politique pour le XXIème...

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c/o Philippe Aigrain Boite aux lettres 26 79 Avenue Ledru Rollin 75012 Paris Une pensée politique pour le XXIème siècle ? Fondé par Jacques Robin qui vient de nous quitter, le GRIT défend depuis des années une approche transversale des sciences et la nécessité d'une éthique de responsabilité, explorant les conséquences économiques, politiques et sociales des nouvelles technologies et de la mutation informationnelle, proposant des solutions innovantes aux impasses de notre civilisation, dans le souci des contraintes écologiques et du développement humain. En effet, pour nous, il y a une très grande unité entre l'ère de l'information, de l'écologie et du développement humain. Si le GRIT a pu croire un peu trop à la "fin du travail", à cause d'un chômage lié à la dépression qui a suivi les "30 glorieuses" plus qu'à l'automatisation, les autres axes de nos réflexions ont plutôt gagné en pertinence si ce n'est toujours en audience, et mériteraient pour certains d'être plus connues et discutées : économie plurielle (monnaies plurielles), biens communs, gratuité numérique, revenu garanti, développement humain, indicateurs de richesse, démocratie participative, associations, réseaux, complexité, transformation personnelle, construction d'une intelligence collective, altermondialisme... Nous avons le sentiment que nous vivons une mutation majeure de l'humanité, un changement d'ère qui est un changement complet de système que nous devons nous efforcer de comprendre pour savoir comment y répondre. Pour cela, on ne peut en rester aux anciennes réponses, il faut de nouvelles idées pour de nouvelles réalités. Dans l'exploration des mutations en cours, nous avons toujours bénéficié de collaborations extérieures qui ont été déterminantes. C'est le principe même du GRIT de se confronter à d'autres chercheurs pour essayer d'analyser notre temps et construire une pensée complexe capable de rendre compte des dynamiques sous-jacentes. C'est pourquoi nous aimerions vous associer à notre réflexion pour l'avenir et nous aurions souhaité votre présence à la rencontre que nous organisons le vendredi 23 novembre (à la FPH 38 rue Saint Sabin 75011 Paris) pour discuter ensemble d'une possible politique de civilisation et d'une politique de l'humanité pour le XXIème siècle. Edgar Morin, René Passet, Joël de Rosnay Nous vous invitons à partir de 12h pour partager le repas avec nous (et rencontrer Edgar Morin qui nous quittera à 13h) mais il faut s'inscrire avant pour prévoir l'approvisionnement. Les débats se dérouleront de 14h30 à 16h30. 1

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c/o Philippe AigrainBoite aux lettres 2679 Avenue Ledru Rollin 75012 Paris

Une pensée politique pour le XXIème siècle ?

Fondé par Jacques Robin qui vient de nous quitter, le GRIT défend depuis des années une approche transversale des sciences et la nécessité d'une éthique de responsabilité, explorant les conséquences économiques, politiques et sociales des nouvelles technologies et de la mutation informationnelle, proposant des solutions innovantes aux impasses de notre civilisation, dans le souci des contraintes écologiques et du développement humain. En effet, pour nous, il y a une très grande unité entre l'ère de l'information, de l'écologie et du développement humain.

Si le GRIT a pu croire un peu trop à la "fin du travail", à cause d'un chômage lié à la dépression qui a suivi les "30 glorieuses" plus qu'à l'automatisation, les autres axes de nos réflexions ont plutôt gagné en pertinence si ce n'est toujours en audience, et mériteraient pour certains d'être plus connues et discutées : économie plurielle (monnaies plurielles), biens communs, gratuité numérique, revenu garanti, développement humain, indicateurs de richesse, démocratie participative, associations, réseaux, complexité, transformation personnelle, construction d'une intelligence collective, altermondialisme...

Nous avons le sentiment que nous vivons une mutation majeure de l'humanité, un changement d'ère qui est un changement complet de système que nous devons nous efforcer de comprendre pour savoir comment y répondre. Pour cela, on ne peut en rester aux anciennes réponses, il faut de nouvelles idées pour de nouvelles réalités.

Dans l'exploration des mutations en cours, nous avons toujours bénéficié de collaborations extérieures qui ont été déterminantes. C'est le principe même du GRIT de se confronter à d'autres chercheurs pour essayer d'analyser notre temps et construire une pensée complexe capable de rendre compte des dynamiques sous-jacentes.

C'est pourquoi nous aimerions vous associer à notre réflexion pour l'avenir et nous aurions souhaité votre présence à la rencontre que nous organisons le vendredi 23 novembre (à la FPH 38 rue Saint Sabin 75011 Paris) pour discuter ensemble d'une possible politique de civilisation et d'une politique de l'humanité pour le XXIème siècle.

Edgar Morin, René Passet, Joël de Rosnay

Nous vous invitons à partir de 12h pour partager le repas avec nous (et rencontrer Edgar Morin qui nous quittera à 13h) mais il faut s'inscrire avant pour prévoir l'approvisionnement. Les débats se dérouleront de 14h30 à 16h30.

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Une politique pour le XXIème siècleJean Zin

Il ne s'agit au fond que de comprendre son temps et de s'engager dans son actualité, les possibilités du moment et les perspectives d'avenir, ne pas abandonner la lutte après tant d'échecs mais d'en tenir compte au contraire, tout comme des bouleversements que nous avons subis, pour continuer l'émancipation humaine avec toutes ses difficultés et ses contradictions.

- Etat des lieux

Nous sommes dans un temps de grande désorientation politique avec une gauche devenue inaudible, des organisations archaïques et des idéologies dépassées. L'époque semble condamnée aux actions désespérées, à l'éclatement dans de petites chapelles voire au terrorisme le plus dénué de pensée. Il n'y a rien là de mystérieux étant donnée la mutation anthropologique que nous vivons, c'est le contraire qui serait étonnant. L'ère de l'information et des réseaux planétaire a tout changé, transformant profondément le travail, l'économie et nos représentations de l'avenir, ouvrant à une conscience écologique qu'on peut qualifier de post-moderne au sens que lui donne Ulrich Beck d'une modernité réflexive, d'un progrès qui prend conscience de son négatif, de l'envers de la médaille, et d'une rationalité qui reconnaît ses propres limites. C'est un nouveau stade cognitif auquel on accède à grand peine. Il est aussi difficile qu'important d'arriver à faire un diagnostic juste sur notre situation présente et surtout sur notre avenir à plus ou moins long terme.

- L'autonomie individuelle comme finalité collective

Pour penser notre avenir, nous avons besoin de tenir compte de la révolution informationnelle, de la globalisation des réseaux, de l'interopérabilité et de la gratuité numérique mais aussi de la régulation des écosystèmes. Pour cela, on ne peut se passer de la théorie des systèmes ni de la notion de rétroaction de l'information plus efficace pour atteindre nos objectifs que des stratégies trop volontaristes et centralisées. Ce ne sont pas ces moyens pourtant qui peuvent nous servir de fins. Il n'y a pas d'avenir qui ne se construit sur le passé, il est donc tout-à-fait crucial de s'ancrer dans l'histoire et d'abord dans l'histoire de l'émancipation et la tradition révolutionnaire dont nous héritons nos finalités humaines, même si chaque génération doit s'opposer à la génération précédente et que nous devons en critiquer tous les échecs, les illusions ou les errements. Ces finalités ne sont donc pas nouvelles : ce sont celles du développement humain, compris par Amartya Sen comme le développement de l'autonomie et des capacités individuelles, autonomie qui n'est pas notre état de nature mais une construction sociale, inséparable de la solidarité collective.

Avant de comprendre notre actualité, d'un capitalisme financier menacé de banqueroute et d'un néolibéralisme en perte de vitesse, il faudrait savoir ce qui est possible, ce qui est nécessaire et ce qui serait souhaitable. C'est dans ce contexte qu'il faut s'inscrire, d'une véritable crise de civilisation et d'une vision renouvelée de notre avenir commun. Ensuite on peut tenter d'en détailler les finalités particulières, comme Edgar Morin dans son petit livre-programme "Pour une politique de civilisation" (arléa 2002). On ne peut qu'être globalement assez d'accord, même si on peut discuter le détail et que le terme de "civilisation" est problématique, la civilisation des moeurs étant de l'ordre de la contrainte et facteur de malaise dans la civilisation. Le développement humain comme développement de l'autonomie me semble un bien meilleur point d'attaque pour se débarrasser de l'idéologie libérale sans céder en rien sur nos libertés mais on ne peut nier qu'il y a de nombreux points de recoupement. La question qui se pose alors, c'est surtout de comment ne pas en rester à de simples voeux pieux et des bons sentiments ? Comment réaliser la philosophie ?

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- Le moyens d'action

On ne peut avoir des finalités collectives s'il n'y a plus de collectivité. Le préalable, c'est donc bien de refaire société et de retrouver le sens du vivre ensemble, ce que les guerres assuraient régulièrement et les révolutions quelquefois. Cet élan collectif est assez peu prévisible, même s'il semble tenir à l'espèce, et se produit souvent quand on l'attend le moins. Encore faudrait-il savoir qu'en faire.

L'antilibéralisme constitue l'indispensable résistance aux effets du libéralisme économique et non l'opposition à la liberté comme certains feignent de le croire. Il n'empêche qu'il y a toujours eu une division de la gauche sur les moyens de transformer la société. Il y a ceux qui pensent que l'Etat peut décider de tout et que la volonté politique suffit. Il y a ceux qui pensent que les choses se feront toutes seules ou seulement dans les marges. Le débat me semble mal posé car il faut jouer l'Etat contre le marché et le marché contre l'Etat, ni l'un ni l'autre n'étant sans dangers. La question n'est pas celle du libéralisme ou de l'étatisme mais de l'alternative.

Une des questions qui sont loin de faire l'unanimité, c'est celle de la nécessité d'une relocalisation pour équilibrer la globalisation, ce qui définit strictement l'altermondialisme mais modifie la façon de concevoir le changement qui doit avoir une dimension locale (bottom-up) et n'est donc réductible ni à l'Etat autoritaire, ni au laisser-faire du marché. C'est plutôt le retour de la fédération, avec un risque indéniable de reféodalisation qu'il faudra tenter d'éviter. Prendre au sérieux cette question a de grandes conséquences. C'est, en tout cas, un des piliers de ma réflexion avec le travail autonome, qui est une exigence de l'économie immatérielle, et le revenu garanti qui est à la base du développement humain et de la production immatérielle.

La façon dont on comprend l'autonomie et l'auto-organisation est ici essentielle puisqu'une tendance pousse vers le "laisser-faire" libéral et une autre vers l'autogestion ou l'organisation par le bas, ce qui n'est pas du tout la même chose. On ne peut dire non plus que le global émerge du local, comme dans une foule, alors qu'il y a un rapport réflexif du local au global et que nous sommes tributaires d'un mouvement général, d'institutions, de discours, d'idéologies qui structurent notre expérience et assurent notre marge d'autonomie.

Il y a une autre division, tout aussi traditionnelle, entre révolutionnaires et réformistes, entre ceux qui veulent changer le système et ceux qui veulent seulement l'améliorer, en corriger les dysfonctionnements les plus visibles. Là encore, on peut défendre une autre option, celle de la construction d'un système alternatif basé sur le local mais dans une économie plurielle, c'est-à-dire sans prétendre supprimer l'ancien système avant que le nouveau ne puisse le remplacer. Ce n'est pas du réformisme, c'est une véritable alternative bien qu'elle soit dépourvue de toute mythologie purificatrice et n'ait rien de l'idéal, simple adaptation aux évolutions déjà effectives, si l'on veut, sauf que toutes les règles en sont bousculées.

- L'alternative

C'est bien un autre système qu'il faudrait construire, pas seulement un ensemble de mesures nécessaires et c'est peut-être ce qui n'apparaît pas assez dans les propositions d'Edgar Morin bien qu'il parle de la nécessité de "systémiser" (p38) les résistances actuelles qu'il ne suffit pas de rassembler pour que la sauce prenne. Pour cela, il n'y a pas besoin seulement d'indiquer une "voie" mais il faut bien un projet cohérent, des objectifs partagés, une alternative à proposer (un système structuré par ses finalités).

Pour ma part, je m'attache surtout aux dispositifs concrets et aux structures nécessaires pour passer d'un système à l'autre, question de la transition qui est notre actualité des 30 prochaines années qui pourraient être assez troublées. En fait, je suis assez strictement marxiste sur le primat de l'économie "en dernière instance" et des forces matérielles, sur le caractère systémique de la

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production-circulation-distribution (même si ce n'est pas vraiment un "procès sans sujet"), et donc sur la nécessité d'adapter les rapports de productions aux nouvelles forces productives immatérielles, de même que je suis un écologiste tout ce qu'il y a de plus matérialiste dans l'attention aux écosystèmes. Je crois qu'on ne peut comprendre la société sans un point de vue systémique même s'il ne suffit pas car il faut faire la part du symbolique et de l'histoire avec ses retournements dialectiques. Par contre, comment croire encore à la propriété collective des moyens de production ou bien à la fin de l'aliénation ? Mieux vaut défendre le travail autonome (ou travail choisi) ainsi que le développement humain, ce qui est tout autre chose.

Reprenant les propositions d'André Gorz, Jacques Robin et Murray Bookchin, ces alternatives locales à la globalisation marchande pourraient s'articuler autour de coopératives municipales (production), de monnaies locales (circulation) et du revenu garanti (distribution), constituant effectivement un nouveau système de production. Je trouve préférable des "coopératives municipales" aux "maisons de solidarité" très proches proposées par Edgar Morin mais inutile de dire que, pour l'instant, ni l'une ni l'autre de ces propositions n'ont une chance de se réaliser, n'étant soutenues par aucune force sociale notable. En quoi on voit que la question est bien cognitive et organisationnelle. Le mouvement social ne peut gagner aucune bataille tant qu'il ne propose aucune alternative crédible, adaptée à notre époque. On se cogne à notre rationalité limitée face à la complexité du monde mais surtout au toujours difficile changement de paradigme et d'idéologie. Le risque est que cela nourrisse tous les obscurantismes, les convictions intimes, la simple intuition même ou le sentimentalisme alors que nous avons besoin d'une rationalité supérieure (plus prudente), de la construction d'une intelligence collective et d'une véritable démocratie cognitive, que nous devrions commencer à construire entre nous au moins...

Jean Zin

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Quelle consolidation politique pour les mouvements sociétaux ?Philippe Aigrain

Notre époque est celle d'une grave crise du politique. Il semble avoir perdu la capacité à vouloir et pouvoir de façon autonome. Il n'oriente l'innovation technique que par défaut, en installant un contexte qui favorise l'appropriation de ses composantes. Il est devenu incapable de structurer l'économie et ses rapports avec les autres dimensions de la vie sociale. Il s'épuise à maintenir des solidarités en état de siège et peine à créer les conditions de nouveaux liens sociaux. En parallèle, notre époque est aussi celle d'une renaissance de la socialité. Les individus se dotent de capacités nouvelles d'expressions, de créativité, de collaboration. Ces capacités doivent beaucoup aux techniques informationnelles (informatique, internet, information dans d'autres domaines comme le biologique). Mais l'omniprésence des techniques informationnelles soulève aussi de nouveaux défis d'art de vivre : quand utiliser les médiations et quand privilégier la relation directe ? Comment mettre les deux en rapport ? Quelle place pour le physique, le geste et le matériel dans le développement précoce de l'enfant ? Quoiqu'il en soit, ces mouvement sociétaux se caractérisent par des engagements multiples des individus, renégociés en permanence, peu propices à la naissance d'organisations structurées et pérennes, voire même hostiles à celles-ci.

Allons-nous vers un divorce croissant d'une sphère sociétale qui ne serait capable de se mobiliser sur des enjeux politiques que par bouffées et d'un politique institutionnalisé tiraillé entre archaïsmes et médiatisation people, et oscillant entre gérer des fictions et achever de s'autodétruire ? Je ne m'y résigne pas. Il ne suffit pas de le dire. Il faut également prendre acte de ce que les mouvements sociétaux ces dix dernières années, quels que soient leurs mérites dans leur champ propre, ont échoué lorsqu'il s'agissait de « passer au politique ». Petit inventaire d'exemples :

• la fédération altermondialiste (les forums sociaux)• le mouvement levier (ATTAC)• la galaxie associationniste• l'ancrage de la transformation sociale dans les modes de vie

Nous n'allons pas dépasser cette situation par une solution miracle qui serait à portée de main. Mais nous pouvons travailler quelques chantiers essentiels. En voici une liste pour ouvrir la discussion :

• Un nouveau récit qui rende compte des enjeux contemporains d'une façon permettant à des acteurs « éparpillés » de se sentir parties à un projet commun. C'était l'ambition de Jacques Robin et elle a trouvé des échos multiples dans divers livres de notre collection, mais on peut, sans leur faire injure, considérer que le chantier est toujours ouvert.

• La réappropriation du devenir scientifique et technique (vouloir sciences et techniques au lieu de seulement critiquer leurs errements).

• Une pensée de l'individu et sa relation au collectif, notamment dans le contexte des « affinités faibles et fluctuantes » (comment un mouvement politique peut-il avoir un régime pérenne au-delà des fluctuations d'implication de ses membres ?).

• L'invention d'un modèle de militantisme non sacrificiel et économe de temps (le sien et celui des autres).

• Donner un contenu concret à la notion de réformisme radical, en particulier en explicitant sur de grands enjeux (modèle de développement, réforme institutionnelle, politiques européennes, ordre international) ce que peuvent être des transitions crédibles et comment elles s'articulent avec les crises.

• Une pensée institutionnelle prenant en compte qu'il y a aujourd'hui bien plus de pouvoirs à séparer et équilibrer qu'au temps de Montesquieu.

Philippe Aigrainnovembre 2007

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La pensée socialiste en ruineQue peut-on espérer ?

Edgar MorinLe Monde, Mercredi 21 avril 1993, p. 1

Le sens du mot socialisme s'est totalement dégradé dans le triomphe du socialisme totalitaire, puis totalement discrédité dans sa chute. Le sens du mot socialisme s'est progressivement étiolé dans la social-démocratie, laquelle est arrivée à bout de souffle partout où elle a gouverné. On peut se demander si l'usage du mot est encore recommandable. Mais ce qui reste et restera ce sont les aspirations qui se sont exprimées sous ce terme : aspirations à la fois libertaires et " fraternitaires ", aspirations à l'épanouissement humain et à une société meilleure.

Gonflé par la sève de ces aspirations au cours du dix-neuvième et du vingtième siècle, le socialisme a apporté une immense espérance. C'est cette espérance, morte aujourd'hui, qui ne peut être ressuscitée telle quelle. Peut-on générer une nouvelle espérance ? 11 nous faut revenir aux trois questions que posait Kant il y a deux siècles : " Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que m'est-il permis d'espérer ? " Les socialistes du dix-neuvième siècle avaient bien compris la solidarité des trois questions. Ils ne répondirent à la troisième qu'après avoir interrogé les savoirs de leur temps, non seulement sur l'économie et la société, mais aussi sur l'homme et le monde, et l'entreprise d'investigation la plus complète et synthétique fut opérée par Karl Marx avec l'aide de Friedrich Engels. Sur ces bases cognitives, Marx a élaboré une pensée qui a donné sens, certitude, espérance aux messages socialistes et communistes.

Aujourd'hui, le problème n'est plus de savoir si la " doctrine " marxiste est morte ou non. Il est de reconnaître que les fondements cognitifs de la pensée socialiste sont inadéquats pour comprendre le monde, l'homme, la société. Pour Marx, la science apportait la certitude. Aujourd'hui, nous savons que les sciences apportent des certitudes locales mais que les théories sont scientifiques dans la mesure où elles sont réfutables, c'est-à-dire non certaines. Et, sur les questions fondamentales, la connaissance scientifique débouche sur d'insondables incertitudes. Pour Marx, la certitude scientifique éliminait l'interrogation philosophique. Aujourd'hui, nous voyons que toutes les avancées des sciences raniment les questions philosophiques fondamentales. Marx croyait que la matière était la réalité première de l'univers. Aujourd'hui la matière apparaît comme un des aspects d'une réalité physique polymorphe apparaissant comme énergie, matière, organisation.

Pour Marx, le monde était déterministe et il crut dégager des lois du devenir. Aujourd'hui, nous savons que les mondes physique, biologique, humain évoluent, chacun à leur manière, selon des dialectiques d'ordre, désordre, organisation, comportant aléas et bifurcation, et toutes menacées à terme par la destruction. Les idées d'autonomie et de liberté étaient inconcevables dans cette conception déterministe. Aujourd'hui, nous pouvons concevoir de façon scientifique l'auto-organisation et l'autoproduction, et nous pouvons comprendre que l'individu comme la société humaine sont des machines non triviales, capables d'actes inattendus et créateurs.

Litanies et pragmatisme

La conception marxienne de l'homme était unidimensionnelle et pauvre : ni l'imaginaire ni le mythe ne faisaient partie de la réalité humaine profonde : l'être humain était un Homo faber, sans intériorité, sans complexités, un producteur prométhéen voué à renverser les dieux et maîtriser l'univers. Alors que, comme l'avaient vu Montaigne, Pascal, Shakespeare, homo est sapiens démens, être complexe, multiple, portant en lui un cosmos de rêves et de fantasmes.

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La conception marxienne de la société privilégiait les forces de production matérielles; la clé du pouvoir sur la société était dans l'appropriation des forces de production; les idées et idéologies, dont l'idée de Nation, n'étaient que de simples et illusoires super- structures; l'Etat n'était qu'un instrument aux mains de la classe dominante; la réalité sociale était dans le pouvoir de classes et la lutte des classes; le mot de capitalisme suffisait pour rendre compte de nos sociétés en fait multidimensionnelles. Or aujourd'hui, comment ne pas voir qu'il y a un problème spécifique du pouvoir d'Etat, une réalité sociomythologique formidable dans la nation, une réalité propre des idées? Comment ne pas voir les caractères complexes et multidimensionnels de la réalité anthroposociale? Marx croyait en la rationalité profonde de l'histoire; il croyait le progrès scientifiquement assuré, il était certain de la mission historique du prolétariat pour créer une société sans classes et un monde fraternel. Aujourd'hui, nous savons que l'histoire ne progresse pas de façon frontale mais par déviances, se fortifiant et devenant tendances. Nous savons que le progrès n'est pas certain et que tout progrès gagné est fragile. Nous savons que la croyance dans la mission historique du prolétariat est non scientifique mais messianique : c'est la transposition sur nos vies terrestres du salut judéo-chrétien promis pour le ciel après la mort. Cette illusion a sans doute été la plus tragique et la plus dévastatrice de toutes.

Beaucoup d'idées de Marx sont et resteront fécondes. Mais les fondements de sa pensée sont désintégrés. Les fondements, donc, de l'espérance socialiste sont désintégrés. A la place, il n'y a plus rien sinon quelques formules litaniques et un pragmatisme au jour le jour. A une théorie articulée et cohérente a succédé une salade russe d'idées reçues sur la modernité, l'économie, la société, la gestion. Les dirigeants s'entourent d'experts, énarques, technocrates, éconocrates. Ils se fient au savoir parcellaire des experts qui leur semble garanti (scientifiquement, universitairement). Ils sont devenus aveugles aux formidables défis de civilisation, à tous les grands problèmes. La consultation permanente des sondages tient lieu de boussole. Le grand projet a disparu.

La conversion du socialisme à la bonne gestion ne put être qu'une réduction au gestionnarisme : celui-ci, en se vouant au jour le jour, a aussi sapé les fondements de l'espérance, d'autant plus que la gestion ne peut résoudre les problèmes les plus criants.

L'insuffisante modernisation

Le débat archaïsme/modernisme est faussé par le double sens de chacun de ces termes. Si l'archaïsme signifie répétition litanique de formules creuses sur la supériorité du socialisme, les vertus de l'union de la gauche, l'appel aux "forces de progrès", alors il faut briser avec cet archaïsme. S'il signifie le ressourcement dans les aspirations à un monde meilleur, alors il faut examiner si et comment on peut répondre à ces aspirations. Si le modernisme signifie s'adapter au présent, alors il est radicalement insuffisant car il s'agit de s'adapter au présent pour essayer de l'adapter à nos besoins. S'il signifie affronter les défis du temps présent, alors il faut être résolument moderne. De toutes façons, il ne s'agit pas seulement de s'adapter au présent. Il s'agit en même temps de préparer l'avenir. Enfin, signalons que le moderne, dans le sens où il signifie croyance au progrès garanti et en l'infaillibilité de la technique, est déjà dépassé.

Il est certain désormais qu'il faut abandonner toute Loi de l'histoire, toute croyance providentielle au Progrès, et extirper la funeste foi dans le salut terrestre. Il faut savoir que, tout en obéissant à divers déterminismes (qui du reste s'entrechoquent souvent et provoquent du chaos), l'histoire est aléatoire, connaît des bifurcations inattendues. Il faut savoir que l'action de gouverner est une action au gouvernail, où l'art de diriger est un art de se diriger dans des conditions incertaines qui peuvent devenir dramatiques. Le principe premier de l'écologie de l'action nous dit que tout acte échappe

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aux intentions de l'acteur pour entrer dans le jeu des interrétroactions du milieu, et il peut déclencher le contraire de l'effet souhaité.

II nous faut une pensée apte à saisir la multidimensionnalité des réalités, à reconnaître le jeu des interactions et rétroactions, à affronter les complexités plutôt que de céder aux manichéismes idéologiques ou aux mutilations technocratiques (qui ne reconnaissent que des réalités arbitrairement compartimentées, sont aveugles à ce qui n'est pas quantifiable, et ignorent les complexités humaines).

Il nous faut abandonner la fausse rationalité. Les besoins humains ne sont pas seulement économiques et techniques, mais aussi affectifs et mythologiques.

De l'homme prométhéen à l'homme prometteur

La perspective originelle du socialisme était anthropologique (concernant l'homme et son destin), mondiale (internationaliste), et civilisatrice (fraterniser le corps social, supprimer la barbarie de l'exploitation de l'homme par l'homme). On peut et doit se ressourcer dans ce projet, tout en en modifiant les termes.

L'homme de Marx devait trouver son salut en se "désaliénant", c'est-à-dire en se libérant de tout ce qui était étranger à lui-même, et en maîtrisant la nature. L'idée d'un homme "désaliéné" est irrationnelle : autonomie et dépendance sont inséparables, puisque nous dépendons de tout ce qui nous nourrit et nous développe; nous sommes possédés par ce que nous possédons : la vie, le sexe, la culture. Les idées de libération absolue, de conquête de la nature, du salut sur terre, relèvent d'un délire abstrait.

De plus, l'expérience historique de notre siècle a montré qu'il ne suffit pas de renverser une classe dominante ni d'opérer l'appropriation collective des moyens de production pour arracher l'être humain à la domination et à l'exploitation. Les structures de la domination et de l'exploitation ont des racines à la fois profondes et complexes, et c'est en s'attaquant à toutes les faces du problème que l'on pourra espérer quelques progrès.

Nous ne pourrons éliminer le malheur ni la mort, mais nous pouvons aspirer à un progrès dans les relations entre humains, individus, groupes, ethnies, nations. L'abandon du progrès garanti par les "lois de l'histoire" n'est pas l'abandon du progrès, mais la reconnaissance de son caractère non certain et fragile. Le renoncement au meilleur des mondes n'est nullement le renoncement à un monde meilleur.

Est-il possible d'envisager, dans cette perspective, une politique qui aurait pour tâche de poursuivre et développer le processus de l'hominisation dans le sens d'une amélioration des relations entre humains et d'une amélioration des sociétés humaines ?

Nous savons aujourd'hui que les possibilités cérébrales de l'être humain sont encore en très grande partie inexploitées. Nous sommes encore dans la préhistoire de l'esprit humain. Comme les possibilités sociales sont en relation avec les possibilités cérébrales, nul ne peut assurer que nos sociétés aient épuisé leurs possibilités d'amélioration et de transformation et que nous soyions arrivés en la fin de l'Histoire... Ajoutons que les développements de la technique ont rétréci la Terre, permettent à tous les points du globe d'être en communication immédiate, donnent les moyens de nourrir toute la planète et d'assurer à tous ses habitants un minimum de bien-être.

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Mais les possibilités cérébrales de l'être humain sont fantastiques, non seulement pour le meilleur, mais aussi pour le pire; si Homo sapiens démens avait dès l'origine le cerveau de Mozart, Beethoven, Pascal, Pouchkine, il avait aussi celui de Staline et Hitler... Si nous avons la possibilité de développer la planète, nous avons aussi la possibilité de la détruire.

De l'internationale à la terre-patrie

Ainsi il n'y a pas de progrès assuré, mais une possibilité incertaine, qui dépend beaucoup des prises de conscience, des volontés, du courage, de la chance... Et les prises de conscience sont devenues urgentes et primordiales. La possibilité anthropologique et sociologique de progrès restaure le principe d'espérance, mais sans certitude "scientifique", ni promesse "historique".

La pensée socialiste voulait situer l'homme dans le monde. Or la situation de l'homme dans le monde s'est plus modifiée dans les trente dernières années qu'entre le XVI et le début du XX siècle. La terre des hommes a "paumé" son ancien univers; le Soleil est devenu un astre lilliputien parmi des milliards d'autres dans un univers en expansion; la Terre est perdue dans le cosmos; c'est une petite planète de vie tiède dans un espace glacé où des astres se consument avec une violence inouïe et où des trous noirs s'autodévorent. C'est seulement dans cette petite planète qu'il y a, à notre connaissance, une vie et une pensée consciente. C'est le jardin commun à la vie et à l'humanité. C'est la Maison commune de tous les humains. Il s'agit de reconnaître notre lien consubstantiel avec la biosphère et d'aménager la nature. Il s'agit d'abandonner le rêve prométhéen de la maîtrise de l'univers pour l'aspiration à la convivialité sur terre.

Cela semble possible puisque nous sommes dans l'ère planétaire où toutes les parties sont devenues interdépendantes les unes des autres. Mais c'est la domination, la guerre, la destruction qui ont été les artisans principaux de l'ère planétaire. Nous sommes encore à l'âge de fer planétaire. Toutefois, dès le XIX siècle, la socialisme a lié la lutte contre les barbaries de domination et d'exploitation à l'ambition de faire de la terre la grande patrie humaine.

Mais la nouvelle pensée planétaire, qui prolonge l'internationalisme, doit rompre avec deux aspects capitaux de celui-ci : l'universalisme abstrait : "les prolétaires n'ont pas de patrie"; le révolutionnarisme abstrait : "du passé faisons table rase".

Il nous faut comprendre à quels besoins formidables et irréductibles correspond l'idée de nation. Il nous faut, non plus opposer l'universel aux patries, mais lier concentriquement nos patries, familiales, régionales, nationales, européennes, et les intégrer dans l'univers concret de la patrie terrienne. Il ne faut plus opposer un futur radieux à un passé de servitudes et de superstitions. Toutes les cultures ont leurs vertus, leurs expériences, leurs sagesses, en même temps que leurs carences et leurs ignorances. C'est en se ressourçant dans son passé qu'un groupe humain trouve l'énergie pour affronter son présent et préparer son futur. La recherche d'un avenir meilleur doit être complémentaire et non plus antagoniste avec les ressourcements dans le passé. Le ressourcement dans le passé culturel est pour chacun une nécessité identitaire profonde, mais cette identité n'est pas incompatible avec l'identité proprement humaine en laquelle nous devons également nous ressourcer. La patrie terrestre n'est pas abstraite, puisque c'est d'elle qu'est issue l'humanité.

Le propre de ce qui est humain est l'unitas multiplex : c'est l'unité génétique, cérébrale, intellectuelle, affective d'Homo sapiens démens qui exprime ses virtualités innombrables à travers la diversité des cultures. La diversité humaine est le trésor de l'unité humaine, laquelle est le trésor de la diversité humaine.

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De même qu'il faut établir une communication vivante et permanente entre passé, présent, futur, de même il faut établir une communication vivante et permanente entre les singularités culturelles, ethniques, nationales et l'univers concret d'une terre patrie de tous.

Alors s'impose à nous l'impératif : civiliser la terre, solidariser, confédérer l'humanité, tout en respectant les cultures et les patries.

Mais ici se dressent des formidables défis et menaces inconcevables au XIX siècle. Le monde était alors livré aux anciennes barbaries qu'avait déchaînées l'histoire humaine : guerres, haines, cruautés, mépris, fanatismes religieux et nationaux. La science, la technique, l'industrie semblaient porter dans leur développement même l'élimination de ces vieilles barbaries et le triomphe de la civilisation.

D'où la foi assurée dans le progrès de l'humanité, en dépit de quelques accidents de parcours.

Aujourd'hui, il apparaît de plus en plus clairement que les développements de la science, de la technique, de l'industrie sont ambivalents, sans qu'on puisse décider si le pire ou le meilleur d'entre elles l'emportera. Les prodigieuses élucidations qu'apporte la connaissance scientifique sont accompagnées par les régressions cognitives de la spécialisation qui empêche de percevoir le contextuel et le global. Les pouvoirs issus de la science sont non seulement bienfaisants, mais aussi destructeurs et manipulateurs. Le développement techno-économique, souhaité par et pour l'ensemble du monde, a révélé presque partout ses insuffisances et ses carences.

Et voici des formidables défis qui se posent en chaque société et pour l'humanité tout entière : l'insuffisance du développement techno-économique, la marche accélérée et incontrôlée de la techno-science, les développements hypertrophiés de la techno-bureaucratie, les développements hypertrophiés de la marchandisation et de la monétarisation de toute

chose, les problèmes de plus en plus graves posés par l'urbanisation du monde.

Ce à quoi il faut ajouter : les dérèglements économiques et démographiques, les régressions et piétinements démocratiques, les dangers conjoints d'une homogénéisation civilisationnelle qui détruit les diversités

culturelles et d'une balkanisation des ethnies qui rend impossible une civilisation humaine commune.

Ici se pose le problème de civilisation.

La politique de civilisation

En reprenant et développant le projet de la Révolution française, concentré dans la devise trinitaire Liberté, Egalité, Fraternité, le socialisme proposait une politique de civilisation, vouée à supprimer la barbarie des rapports humains : l'exploitation de l'homme par l'homme, l'arbitraire des pouvoirs, l'égocentrisme, l'ethnocentrisme, la cruauté, l'incompréhension. Il se vouait à une entreprise de solidarisation de la société, entreprise qui a eu certaines réussites par la voie étatique (Welfare State), mais qui n'a pu éviter la désolidarisation généralisée des relations entre individus et groupes dans la civilisation urbaine moderne.

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Le socialisme s'était voué à la démocratisation de tout le tissu de la vie sociale; sa version "soviétique" a supprimé toute démocratie et sa version social-démocrate n'a pu empêcher les régressions démocratiques qui pour des raisons diverses rongent de l'intérieur nos civilisations.

Mais surtout un problème de fond est posé par et pour ce qui semblait devoir apporter un progrès généralisé et continu de civilisation. Au-delà du malaise dans lequel, selon Freud, toute civilisation développe en elle les ferments de sa propre destruction, un nouveau malaise de civilisation s'est creusé. Il vient de la conjonction des développements urbains, techniques, bureaucratiques, industriels, capitalistes, individualistes de notre civilisation.Le développement urbain n'a pas seulement apporté épanouissements individuels, libertés et loisirs, mais aussi l'atomisation consécutive à la perte des anciennes solidarités et la servitude de contraintes organisationnelles proprement modernes (le métro-boulot-dodo).

Le développement capitaliste a entraîné la marchandisation généralisée, y compris là où régnait le don, le service gratuit, les biens communs non monétaires, détruisant ainsi de nombreux tissus de convivialité.

La technique a imposé, dans des secteurs de plus en plus étendus de la vie humaine, la logique de la machine artificielle qui est mécanique, déterministe, spécialisée, chronométrisée. Le développement industriel apporte non seulement l'élévation des niveaux de vie, mais aussi des abaissements des qualités de vie, et les pollutions qu'il produit ont commencé à menacer la biosphère.

Ce développement qui semblait providentiel à la fin du siècle passé comporte désormais deux menaces sur les sociétés et les êtres humains : l'une extérieure vient de la dégradation écologique des milieux de vie; l'autre, intérieure, vient de la dégradation des qualités de vie. Le développement de la logique de la machine industrielle dans les entreprises, les bureaux, les loisirs tend à répandre le standard et l'anonyme, et par là à détruire les convivialités.

L'essor des nouvelles techniques, notamment informatiques provoque perturbations économiques et chômages, alors qu'il pourrait devenir libérateur à condition d'accompagner la mutation technique par une mutation sociale.

Dans ce contexte, la crise du progrès et les incertitudes du lendemain soit réduisent le vivre à un "au jour le jour", soit transforment les ressourcements en fondamentalismes ou nationalismes clos.

D'où les gigantesques problèmes de civilisation qui nécessiteraient mobilisation pour : humaniser la bureaucratie, humaniser la technique, défendre et développer les convivialités, développer les solidarités.

Tous ces défis, le défi anthropologique, le défi planétaire, le défi civilisationnel, se lient dans le grand défi que lance à notre fin de siècle, partout dans le monde, l'alliance des deux barbaries, l'ancienne barbarie venue des fonds des âges, plus virulente que jamais, et la nouvelle barbarie glacée, anonyme, mécanisée, quantifiante.

Aujourd'hui, la prise de conscience de la communauté de destin terrestre et de notre identité terrienne rejoint la prise de conscience des problèmes globaux et fondamentaux qui se posent à toute l'humanité.

Aujourd'hui, nous sommes dans l'ère damocléenne des menaces mortelles, avec des possibilités de destruction et d'autodestruction, y compris psychiques, qui, après le court répit des années 89-90, se sont aggravées de nouvelle manière.

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La planète est en détresse : la crise du progrès affecte l'humanité entière, entraîne partout des ruptures, fait craquer les articulations, détermine les replis particularistes; les guerres se rallument; le monde perd la vision globale et le sens de l'intérêt général.

Civiliser la terre, transformer l'espèce humaine en humanité, devient l'objectif fondamental et global de toute politique aspirant non seulement à un progrès, mais à la survie de l'humanité.

Il est dérisoire que les socialistes, frappés de myopie, cherchent à "aggiornamenter", moderniser, social-démocratiser, alors que le monde, l'Europe, la France sont affrontés aux problèmes gigantesques de la fin des Temps modernes.

Les redresseurs d'espérance

II s'agit de repenser, reformuler en termes adéquats le développement humain (et ici encore en respectant et intégrant l'apport des cultures autres que l'occidentale).

Nous avons à prendre conscience de l'aventure folle qui nous entraîne vers la désintégration, et nous devons chercher à contrôler le processus afin de provoquer la mutation vitalement nécessaire.

Nous sommes dans un combat formidable entre solidarité ou barbarie. Nous sommes dans une histoire instable et incertaine où rien n'est encore joué.

Sauver la planète menacée par notre développement économique. Réguler et contrôler le développement technique. Assurer un développement humain. Civiliser la Terre. Voilà qui prolonge et transforme l'ambition socialiste originelle. Voilà des perspectives grandioses apte à mobiliser les énergies.

A nouveau, et en termes dramatiques se pose la question : que peut-on espérer ?

Les processus majeurs conduisent à la régression ou la destruction. Mais celles-ci ne sont que probables. L'espérance est dans l'improbable, comme toujours dans les moments dramatiques de l'histoire où tous les grands événements positifs ont été improbables avant qu'ils adviennent : la victoire d'Athènes sur les Perses en 490-480 avant notre ère, d'où la naissance de la démocratie, la survie de la France sous Charles VII, l'effondrement de l'empire hitlérien en 1941, l'effondrement de l'empire stalinien en 1989.

L'espérance se fonde sur les possibilités humaines encore inexploitées et elle mise sur l'improbable. Ce n'est plus l'espérance apocalyptique de la lutte finale. C'est l'espérance courageuse de la lutte initiale : elle nécessite de restaurer une conception, une vision du monde, un savoir articulé, une éthique. Elle doit animer, non seulement un projet, mais une résistance préliminaire contre les forces gigantesques de barbarie qui se déchaînent. Ceux qui relèveront le défi viendront de divers horizons, peu importe sous quelle étiquette ils se rassembleront. Mais ils seront les porteurs contemporains des grandes aspirations historiques qui ont pendant un temps nourri le socialisme. Ce seront les redresseurs de l'espérance.

Edgar Morin (1993)

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SI J’AVAIS ETE CANDIDATEdgar Morin

Chères concitoyennes et chers concitoyens, je dois d’abord rappeler que la France ne vit ni en vase clos, ni dans un monde immobile.

Nous devons prendre conscience que nous vivons une communauté de destin planétaire, face aux menaces globales qu’apportent la prolifération des armes nucléaires, le déchaînement des conflits ethnico-religieux, la dégradation de la biosphère, le cours ambivalent d’une économie mondiale incontrôlée, la tyrannie de l’argent, l’union d’une barbarie venue du fond des âges et de la barbarie glacée du calcul technique et économique.

Le système planétaire est condamné à la mort ou à la transformation. Notre époque de changement est devenue un changement d’époque.

Je ne vous promets pas le salut, mais j’indiquerai la longue et difficile voie vers une Terre Patrie et une société monde, ce qui signifie d’abord la réforme de l’ONU pour dépasser les souverainetés absolues des Etats nations tout en reconnaissants pleinement leurs autorités pour les problèmes qui ne sont pas de vie/mort pour la planète.

Je ferais tout mon possible pour donner à l’Europe consistance et volonté en y instituant une autonomie politique et militaire. Je lui présenterai un grand dessein : réformer sa propre civilisation en y intégrant l’apport moral et spirituel d’autres civilisations ; contribuer à un nouveau type de développement dans les nations africaines ; instituer une régulation des prix pour les produits fabriqués à coût minime dans l’exploitation des travailleurs asiatiques ; élaborer une politique commune d’insertion des immigrés ; enfin et surtout en faire un foyer exemplaire de paix compréhension et tolérance ; dans ce sens, et intervenir au Darfour, en Tchétchénie, au Moyen-Orient et prévenir la guerre de civilisations.

En ce qui concerne la France. Je ne formulerai pas un programme, inopérant dans les situations changeantes, je définirai une stratégie qui tienne compte des événements et des accidents.

Pour l’immédiat je susciterais deux rencontres entre partenaires sociaux , l’une sur l’emploi et les salaires l’autre sur les retraites.

Je constituerai deux comités permanents visant à réduire les ruptures sociales :1. un comité permanent de lutte contre les inégalités, qui s’attaquerait en premier lieu aux

excès (de bénéfices et rémunérations au sommet) et aux insuffisances (de niveau et qualité de vie à la base)

2. un comité permanent chargé de renverser le déséquilibre accru depuis 1990 dans la relation capital-travail

Etant donné l’intégration vitale d’une politique écologique. je constituerai un troisième comité permanent qui traiterait des transformations sociales et humaines qui s’imposeront.

J’indiquerai la Voie d’une politique de civilisation qui ressusciterait les solidarités, ferait reculer l’égoïsme, et plus profondément reformerait la société et nos vies. De fait notre civilisation est en crise. Là où il est arrivé le bien–être matériel n’a pas nécessairement apporté le bien être mental, ce

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dont témoignent les consommations effrénées de drogues, anxiolytiques, antidépresseurs, somnifères. Le développement économique n’a pas apporté le développement moral. L’application du calcul, de la chronométrie, de l’hyperspécialisation, de la compartimentation au travail, aux entreprises, aux administrations et finalement à nos vies a entraîné trop souvent la dégradation des solidarités, la bureaucratisation généralisée, la perte d’initiative, la peur de la responsabilité.

Aussi je réformerai les administrations publiques et inciterai à la réforme des administrations privées. La réforme vise à débureaucratiser, dé-scléroser, dé-compartimenter, et donner initiative et souplesse aux fonctionnaires ou employés, à donner bienveillance pour tous ceux qui doivent affronter les bureaux. La reforme de l’Etat se ferait, non par augmentation ou suppression d’emplois, mais par modification de la logique qui considère les humains comme objets soumis à quantification et non comme êtres dotés d’autonomie, d’intelligence et d’affectivité.

Je proposerais de revitaliser la fraternité, sous-développée dans la trilogie républicaine liberté /égalité/ fraternité. Tout d’abord je susciterai la création de Maisons de la Fraternité dans les diverses villes et dans les quartiers des métropoles comme Paris. Ces maisons regrouperaient toutes les institutions à caractère solidaire existant déjà (secours populaire, secours catholique, SOS amitié etc.) et comporteraient de nouveaux services voués à intervenir d’urgence auprès de détresses, morales ou matérielles, à sauver du naufrage les victimes d’overdose de drogue ou de chagrin. Ce seraient des lieux d’initiatives, de médiations, de secours, d’information, de bénévolat et de mobilisation permanente.

En même temps, il faudrait instituer un Service civique de la fraternité, qui, présent dans les Maisons de la Fraternité, se vouerait de plus aux désastres collectifs inondations, canicules, sécheresses, etc. non seulement en France mais aussi en Europe et Méditerranée. Ainsi la fraternité serait profondément inscrite et vivante dans la société reformée que nous voulons.

Dans notre conception de la fraternité, les délinquants juvéniles sont, non des individus abstraits à réprimer comme les adultes, mais des adolescents à l’âge plastique où il faut favoriser les possibilités de rédemption. Nous considérons les immigrés non comme des intrus à rejeter, mais comme des frères issus de la pire misère celle qu’a créée non seulement notre colonisation passée, mais aussi celle qu’a créée dans leurs pays l’introduction de notre économie en détruisant les polycultures de subsistance et en déportant les populations agraires dans le dénuement des bidonvilles urbains

Comme le cours actuel de notre civilisation privilégie la quantité, le calcul, l’avoir, je m’emploierai à une vaste politique de la qualité de la vie. Dans ce sens, je favoriserai tout ce qui combat les multiples dégradations de l’atmosphère, de la nourriture, des eaux, de la santé. Toute économie d’énergie doit constituer un gain de santé et qualité de vie. Ainsi la désintoxication automobile des centres-villes se traduira par diminution des bronchites, asthmes, maladies psychosomatiques. La désintoxication des nappes phréatiques réduira l’agriculture et l’élevage industriels au profit d’une ruralité fermière laquelle restaurera la qualité des aliments et la santé du consommateur.

La réduction des intoxications de civilisation, (dont l’intoxication publicitaire qui prétend offrir séduction et jouissance dans et par des produits superflus), du gaspillage des objets jetables, des modes accélérées qui rendent obsolètes les produits en un an, tout cela doit nous conduire à renverser la course au plus au profit d’une marche vers le mieux, et s’inscrire dans une action continue en faveur de deux courants amorcés qu’il faut développer : la re-humanisation des villes et la revitalisation des campagnes. Cette dernière comporte la nécessité de réanimer les villages par l’installation du télé-travail, le retour de la boulangerie et du bistro.

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En matière d’emploi, j’instituerai des aides à la création et au développement de toutes activités contribuant à la qualité de la vie. La politique des grands travaux que je proposerai pour développer le ferroutage, élargir et aménager les canaux et créer des ceintures de parkings autour des villes et autour des centre-ville permettra à la fois de créer des emplois et d’accroître la qualité de la vie. Les dépenses qu’elle nécessitera sera compensée en quelques années par la diminution des maladies socio-psycho-somatiques provoquées par stress, pollutions et intoxications.

En matière d’économie, j’agirai pour une économie plurielle, qui est en gestation sur la planète de façon dispersée, et dont les développements permettraient de surmonter la dictature du marché mondial. En France l’économie plurielle, qui comportera les grandes firmes mondialisées développera les petites et moyennes entreprises, les coopératives et mutuelles de production et/ou consommation, les métiers de solidarité, le commerce équitable, l’éthique économique, le micro-crédit, l’épargne solidaire qui finance des projets de proximité, créateurs d’emplois. Le développement de l’alimentation de proximité qui ne dépend plus des grands circuits intercontinentaux nous fournira des produits de qualité fermière et de plus nous préparera à affronter les éventuelles crises planétaires.

En ce qui concerne l’éducation, la mission première a été formulée par J.J Rousseau dans l’Emile: « je veux lui apprendre à vivre ». Il s’agit de fournir les moyens d’affronter les problèmes fondamentaux et globaux qui sont ceux de chaque individu, de chaque société et de toute l’humanité. Ces problèmes sont désintégrés dans et par les disciplines compartimentées. Ainsi pour commencer j’instituerai une année propédeutique pour toutes Universités sur : les risques d’erreur et d’illusion dans la connaissance ; les conditions d’une connaissance pertinente ; l’identité humaine ; l’ère planétaire que nous vivons ; l’affrontement des incertitudes, la compréhension d’autrui et enfin les problèmes de civilisation contemporaine.

L’élan pour la grande réforme surgira des profondeurs de notre pays quand il percevra qu’elle prend en charge ses besoins et ses aspirations. Car sclérosé dans toutes ses structures, le pays est vivant à la base. Le changement individuel et le changement social seront inséparables, chacun seul étant insuffisant. La reforme de la politique, la reforme de la pensée, la reforme de la société, la réforme de vie se conjugueront pour conduire à une métamorphose de société. Les futurs radieux sont morts, mais nous ouvrirons une voie pour un futur possible. Cette voie nous pouvons nous y avancer en France, espérer la faire adopter en Europe, et faisant de nouveau de la France un exemple, elle apportera l’espérance d’un salut planétaire.

Edgar Morin

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Une pensée politique pour le XXI° siècle.René Passet

Pendant plusieurs années – comme le savent mes amis - ce thème a été au cœur de ma réflexion et de mes engagements. Il nous fallait réagir, me semblait-il contre une régression : au XIX° siècle et au début du XX° s’élaboraient les grandes analyses théoriques et doctrinales (libéralisme, socialisme, keynésianisme) des sociétés modernes et s’affrontaient les grands projets de société. Puis nous avons vu, au fil du temps et à l’épreuve du pouvoir, le programme de gouvernement prendre le devant (ce qui était sans doute bien) en faisant oublier projets et analyses (ce qui était moins bien) comme si la vie devait rester figée sur les réalités observées par les pères fondateurs ; puis, avec l’accélération du temps, les débats se réduisaient à des affrontements techniques, en termes d’efficacité immédiate (réformes conçues au coup par coup en fonction de considérations strictement comptables) affrontements dans lesquels, toute considération idéologique étant abolie les mêmes énarques pouvaient se retrouver indifféremment dans des cabinets ministériels de droite ou de gauche) ; puis, en France, avec la dernière campagne présidentielle, nous venons d’atteindre le niveau zéro (en attendant les niveaux négatifs) des chapelets de promesses élaborés à la demande de la clientèle, avec pour seule « idée » fédératrice le « moi-je » opposé à un autre « moi-je ». Après le scrutin, nous en sommes réduits à une sorte de frénésie gesticulatoire sans cohérence globale (confondue avec l’action), confrontée à un néant conceptuel qui n’a plus rien à proposer et qui ne sait même plus qui il est ; cette fois-ci, ce sont les leaders politiques eux-mêmes qui, ayant oublié toute référence aux valeurs qui étaient censées les rassembler, passent indifféremment d’un bord à l’autre. Les partis politiques sont devenus des « écuries » n’ayant d’autre objet que de faire élire leur candidat. Il est grand temps de se souvenir que la politique consiste à analyser le monde afin de le transformer à la lumière des valeurs dont on se veut porteur et sans lesquelles rien n’a de sens.

Ce – sans doute trop long - préambule m’a paru nécessaire, avant de répondre aux trois questions posées, simplement parce que le travail dans lequel je me suis immergé, depuis (et pour encore) quelques temps, en m’éloignant (provisoirement) de l’action, pourra sembler assez éloigné du thème auquel est consacrée cette journée. Et pourtant…

1- Sur quoi est-ce que je travaille ?

J’essaie d’accomplir un rêve né dans les premières années de ma carrière d’enseignant : non point écrire une histoire de la pensée économique de plus (il y en a de très bien faites) mais essayer de proposer une clef de lecture de son évolution en confrontant les grandes représentations du monde et de l’économie au cours de l’histoire. C’est de la folie, mais cela m’a toujours tenu à cœur. J’ai eu la sagesse

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(pour une fois) de comprendre que cela ne pouvait déboucher sur une œuvre de jeunesse et je n’ai donc pas voulu commencer trop tôt ; mais le temps passant, je me suis aperçu qu’à trop attendre, je risquais de ne jamais réaliser mon projet. Je me suis donc éloigné –non sans peine- de l’action et me suis fait ermite. Cela était d’autant plus nécessaire que le projet initial d’écrire un bouquin pas trop gros et, si possible bien enlevé, se heurtant à la richesse d’informations qu’il me paraissait regrettable de sacrifier, le projet a pris beaucoup de « brioche ». J’en suis aux trois-quarts de sa réalisation et vais bientôt aborder la période contemporaine.

2-Pourquoi de telles réflexions et quelles actions mettre en oeuvre ?

Pourquoi ce projet ? sinon le désir, bien sûr, de comprendre la cohérence et l’interdépendance des évolutions qui portent et emportent nos sociétés. Maintenant pourquoi ce désir lui-même ? allez donc savoir ! pourquoi dépenser tant d’énergie pour un travail qui va à l’encontre de toutes les tendances d’une époque « réaliste » et pressée, afin d’écrire un gros machin qui n’intéressera peut-être jamais que moi et certainement bien peu de nos économistes enfermés dans leur vision mono disciplinaire, instrumentale et de court terme ?

Quelles actions ? Ne pas opposer le long terme et le court terme, mais interpréter le présent à la lumière du passé dont il est issu et de l’avenir qu’il prépare, cela devrait avoir des incidences politiques considérables. Notamment dans une période de mutation où, parce que les forces et les mécanismes qui mènent le monde changent, la compréhension des événements exige que l’on prenne du recul. En somme, il s’agit de poursuivre, sur mon terrain d’économiste, ce que, depuis quatre décennies, avec le Groupe des Dix et tout ce qui a suivi jusqu’à Transversales/Grit, nous avons vainement essayé de faire comprendre au monde politique. Ne plus beaucoup rêver, n’est pas une raison pour renoncer : c’est précisément lorsqu’un certain discours sur l’homme et les finalités se trouve totalement éclipsé par une logique purement instrumentale, qu’il doit être inlassablement repris, transmis et martelé par la petite minorité de ceux qui y croient encore . Ne jamais couper le fil.

3- Que peut-on faire ensemble ?

Pour les raisons d’ouverture et de respect de l’autre qu’évoque Joël dans sa propre note je me bornerai à reprendre ici, à mon compte, ses propos. Il appartiendra ensuite à chacun d’envisager ce qu’il peut faire de concret dans le cadre de sa propre sensibilité politique : en ce qui me concerne, c’est évidemment à la gauche que je pense. Mais le champ de l’humanisme est assez vaste pour que beaucoup, je l’espère, puissent s’y reconnaître.

René PASSET13/11/07

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Quel socialisme aujourd’hui ?S’adapter pour rester soi-même.

René PASSET1

06/2001

Maintenir, c’est s’adapter sans renoncer à être soi-même. Il faut donc savoir distinguer, dans le changement, ce qui est irréversible (l’avènement de la machine à vapeur hier et celui de l’ordinateur et de la société informationnelle aujourd’hui, avec ce que cela comporte de conséquences inéluctables) et ce qui ne l’est pas (la politique ultra-libérale inaugurée dans les années 1980, dont on veut nous faire croire qu’elle appartient à « la nature des choses » et que la tentation d’un prétendu « réalisme » conduit parfois certains mouvements socialistes à considérer comme telle).

Ce qui doit être maintenu, à travers le changement, c’est l’essence même du socialisme que l’on peut, d’un point de vue économique, caractériser de la façon suivante :

- Le primat de l’humain, car l’économie, activité de transformation de la nature destinée à la satisfaction des besoins humains, n’a de sens que par rapport à cette finalité ;

- l’humain, c’est-à-dire« la personne » cet être de chair, de sang, de raison de sensibilité et d’idéal, vivant en société, qu’Emmanuel Mounier définissait superbement comme « l’aventure d’une liberté responsable », et non point « l’individu » des libéraux, ce simple « atome » de société vide de tout contenu psychologique, affectif, charnel ou social ;

- l’humain, c’est-à-dire aussi une «créature sociale » telle que l’appréhende le socialisme (le mot l’exprime assez clairement): l’accent mis sur le social n’a de sens que dans la mesure où celui-ci possède une réalité propre qui ne se réduit pas à une somme d’individus (comme le croient les libéraux), ni même à une somme de personnes ; cela veut dire qu’il y a un « intérêt général », échappant aux simples dimensions de la régulation marchande et dont il convient d’assurer la prééminence, dans le respect du droit des personnes.

C’est cela, me semble-t-il, le noyau dur qu’aucun « réalisme » politique ou économique ne doit jamais conduire à sacrifier.

De ce point de vue, le socialisme - dont on a raison de dire qu’il est antérieur au XIX° siècle - c’est à la fois, une utopie et une grille d’analyse du réel dont la confrontation nous permet de dégager les axes d’un transformation de ce réel.

1 Professeur émérite de sciences économiques à l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne. Les questions abordées ici sont plus particulièrement approfondies dans les deux derniers ouvrages de l’auteur :L’illusion néo-libérale, Fayard 2000 et Eloge du mondialisme par un « anti » présumé, Fayard 2001.

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I - D’abord une utopie, au sens le plus riche du terme, c’est-à-dire, non point ce lieu de nulle part (ou-topos), comme on le dit le plus souvent, mais ce lieu idéal (eu-topos) dans lequel on a mis toutes ses valeurs, tout ce à quoi l’on aspire - une société humaine, solidaire à l’échelle du monde et équitable - idéal dont on sait bien qu’il n’est pas immédiatement réalisable, mais qui a pour objet de remplir trois fonctions :

1. comme l’étoile du berger - ou, diront les mathématiciens, comme l’asymptote que nous n’atteindrons jamais, mais dont nous voulons nous rapprocher en permanence - elle nous sert de guide, et en dépit de toutes les difficultés du terrain, elle nous aide à maintenir le cap vers l’idéal auquel nous aspirons ;

2. contre les amateurs d’absolu, elle nous garantit de la tentation des modèles parfaits « en prêt à porter », qui n’ont d’existence que dans quelques esprits fiévreux et ne sauraient s’imposer qu’au prix des pires contraintes sociales, comme l’ont montré les exemples historiques de toutes les dictatures, quelle que soit leur couleur brune, noire ou rouge ;

3. elle nous fournit enfin une grille de lecture et d’interprétation de ce réel dans lequel nous sommes immergés, car il n’est aucun domaine - même dans les sciences les plus « dures » - dont l’analyse ne repose d’abord sur un regard.

II - Ensuite, une analyse du réel. Un réel en évolution permanente et dans lequel nous voulons incarner nos valeurs : le capitalisme actuel n’est plus celui de Marx, qui n’était déjà plus celui d’Adam Smith. La force des libéraux et des socialistes du XIX° siècle, c’est d’avoir su raisonner selon la réalité économique de leur temps ; la faiblesse de la plupart des libéraux et de beaucoup de socialistes d’aujourd’hui, c’est de continuer à se référer aux schémas périmés hérités des siècles précédents.

Or nos sociétés traversent une mutation d’une importance considérable : avec l’avènement de l’ordinateur, les moteurs du développement se déplacent du champ de l’énergie à celui de l’information : « nous sortons du néolithique » - au sens propre - comme se plaisait à le dire le grand paléontologue André Leroi-Gourhan.

Il en résulte trois types de changements en fonction desquels doit se penser le socialisme aujourd’hui.

1. Un élargissement du champ de l’économie :

L’économie n’est plus dans l’économie :- Dès lors que ses activités détruisent les fonctions régulatrices du milieu naturel, elle ne peut plus se penser indépendamment de la reproduction de celui-ci. Ces fonctions relèvent de mécanismes naturels irréductibles à une simple logique économique. Il faut perdre l’illusion d’une prise en compte des coûts environnementaux qui permettrait de rétablir un fonctionnement harmonieux des mécanismes par lesquels la biosphère maintient son aptitude à reproduire la vie. Ces mécanismes constituent en fait autant de contraintes dans les limites desquelles doit se cantonner le jeu de l’optimisation. L’humanité sera écologique ou s’autodétruira. La nature n’est plus ce « bien libre » dont nous parlaient les économistes du XIX° siècle; elle entre dans le champ du calcul économique sans se réduire aux dimensions de celui-ci.

- Dans la mesure où - au moins pour toute une partie de l’humanité et, en moyenne pour l’humanité entière - la plupart des besoins fondamentaux sont couverts par la production, apparaît la question

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des finalités, donc des valeurs. Hier plus de blé faisait plus de bien-être ; on ne saurait en dire autant aujourd’hui de plus d’automobiles. Quand le « plus » se dissocie du « mieux », alors apparaît la question du pourquoi ? Produire plus, ? pour qui ? pourquoi ? pour quoi faire ?.....La réponse n’est pas économique ; elle se situe dans le champ des valeurs.

De même, quand l’activité économique menace la survie des générations futures, apparaît la question de la solidarité intergénérationnelle. Limiter nos satisfactions aujourd’hui au profit de gens que nous ne connaissons pas puisqu’ils ne sont pas nés et dont il n’y a aucune contrepartie à attendre, pourquoi ? au nom de quoi ? encore une fois la réponse n’est pas à chercher dans le champ de l’économique mais dans celui des valeurs.

Conséquence importante : le politique est le lieu où se définit le projet social né de la confrontations des systèmes de valeurs, alors que l’économique n’est que l’instrument de la réalisation de ce projet; le primat des valeurs implique donc celui de la fonction politique l’économique ; il implique également celui de la démocratie car, les valeurs étant indémontrables et irréfutables, sont nécessairement plurielles -

2. Une modification du mode de fonctionnement des mécanismes économiques :

Avec la société informationnelle se développe un phénomène d’interdépendance généralisée, qui se manifeste à la fois au sein des économies comme dans les relations entre l’économie et l’ensemble des activités sociales.

L’ordinateur représente l’instrument même de la mise en relation et de l’organisation en réseau. On ne peut plus considérer les éléments économiques indépendamment les uns des autres, ni même du contexte social dans lequel ils se déploient : dans le cas d’une politique de « flux tendus » (le « juste à temps ») par exemple, la performance de l’entreprise est liée à celle de toutes les entreprises qui doivent lui fournir en temps utile ses matières premières, à la ponctualité des entreprises de transports, à la qualité du réseau routier... ; plus généralement le savoir, qui devient nous dit-on le facteur productif primordial, est un bien commun découlant de l’effort de toutes les générations de chercheurs passées comme des échanges entre chercheurs présents. Ce sont donc des systèmes intégrés - équipements et travailleurs confondus - qui produisent, sans qu’on puisse distinguer la part qui revient à chaque facteur. Les entreprises françaises ne se révèlent plus productives que les entreprises chinoises, que dans la mesure où l’ensemble de la société française est plus productive que la société chinoise.

De cette interdépendance généralisée résultent plusieurs conséquences :

- Le marché n’est plus régulateur, mais amplificateur de déséquilibres : Les frais d’études préalables et de mise en place des investissements initiaux sont tels aujourd’hui que les coûts fixes l’emportent largement sur les coûts variables. Dans cette situation, ce n’est pas en produisant moins, mais en produisant plus, que l’on réduit les coûts unitaires de production ; toute baisse de prix liée à un excédent d’offre conduit les entreprises à produire davantage pour abaisser ces coûts et rester compétitives... les excédents engendrent de nouveaux excédents ; c’est le cas dans l’automobile, l’aviation, les industries agro-alimentaires, chimiques, pharmaceutiques etc... ; autre conséquence : quand la notion de productivité d’un facteur perd toute signification, c’est tout le discours libéral sur le rétablissement du plein emploi par l’ajustement des salaires à la productivité marginale du travail qui s’effondre ;

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- La question de la répartition - quand on ne peut plus distinguer l’apport propre à chaque facteur - ne se pose plus en termes de justice commutative (la rémunération de chacun en contrepartie de sa contribution à la formation du produit) mais de justice distributive (un produit, fruit de l’effort collectif qu’il faut répartir en fonction de critères d’équité qui ne peuvent plus être d’ordre simplement économiques) ;

- Les vertus du profit individuel (surtout lorsqu’il s’agit en fait de la rente des actionnaires) comme meilleur stimulant de l’activité économique, deviennent plus que douteuses lorsque la performance de l’appareil productif se révèle être, en dernier ressort, celle de toute la société ;

- Tout le discours sur le commerce international, fondé sur la division internationale du travail liée aux « avantages comparatifs » découlant de la « dotation naturelle en facteurs » de chaque nation, devient caduc dès lors que le commerce international n’est plus, pour l’essentiel, inter-national mais concerne - pour les deux tiers - des échanges transfrontières de firmes transnationales entre elles ou avec leurs propres départements à l’étranger.. ; en outre, les « avantages comparatifs » se réduisent, de nos jours, à la « dotation » (qui n’a rien de naturel), en un seul facteur, le capital dont la possession fait, dans tous les secteurs, la différence de compétitivité.

L’idéal socialiste aujourd’hui, implique donc une remise en cause radicale d’analyses théoriques éculées correspondant à des situations dépassées et la mise au point de nouvelles analyses reposant sur les réalités de notre temps. Il y a là tout un travail de « déparasitage » et de reconstruction à effectuer. 3. Un déplacement des lieux du pouvoir économique.

Suite à la politique de libération des mouvements de capitaux dans le monde, initiée dans les années 1980 par le tandem Reagan-Thatcher - et poursuivi par la suite - le pouvoir économique s’est déplacé de la sphère politique des Etats nationaux à celle des intérêts financiers internationaux (globalisation). On ne peut examiner ici les mécanismes par lesquels s’est effectué ce transfert. Le résultat de cette évolution est qu’un petit nombre de très puissants « zinzins » ou « investisseurs institutionnels » - fonds de pensions, fonds d’épargne mutuelle (mutual funds), fonds spéculatifs (hedge funds), sociétés d’assurances...- contrôlent l’ensemble des marchés financiers. Bien peu songent à le contester, puisque des organismes aussi peu suspects d’hostilité au système que le FMI, le soulignent eux-mêmes.

Ils imposent leur loi qui est celle du rendement financier à court terme, à tous les niveaux de l’économie :

- les entreprises : où pour de pures raisons de rendement financier sévissent les licenciements de convenance boursière effectués par des entreprises largement bénéficiaires (simple exemple parmi bien d’autres, Marks et Spencer de son propre aveu...);

- les nations : où la primauté des équilibres et de la stabilité des prix s’est opposée - souvent au détriment de l’emploi - à toute politique de relance, même - dans les années 1990, en Europe, notamment - lorsque la stagnation conjoncturelle était due à l’insuffisance de la dépense des ménages ;

- le monde : où la spéculation et la circulation incontrôlée des capitaux se sont révélées être les facteurs décisifs du creusement des inégalités entre nations et de l’instabilité économique (Asie du Sud-Est , Argentine etc...).

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Conséquence grave, lorsque l’instrument tient lieu de fin et que la vraie finalité humaine devient le moyen, toute notion de sens social disparaît : la frontière s’estompe entre économie sale et économie « propre » ; les « affaires » fleurissent au sein du politique ; la déliquescence sociale et la démoralisation - des jeunes en particulier - deviennent inévitables. Cela explique bien des problèmes de notre monde contemporain. Une des tâches majeures qui s’imposent au socialisme aujourd’hui est de remettre les choses à l’endroit.

III - De cela enfin découlent des principes d’orientation de l’action politique.

Si, comme on vient de le voir, le noeud gordien de nos problèmes réside dans l’emprise de la sphère financière sur l’ensemble de la société, c’est là qu’il faut prioritairement porter le fer. Entre acceptation de la société existante et négation radicale, la question se pose en termes de pouvoirs. Ce n’est pas rien. Le réformisme qui se limite à quelques retouches marginales s’attaquant aux dysfonctionnements du système sans remettre en cause l’essence de ce dernier dissimule un conservatisme profond et qui n’ose s’avouer. Mais celui qui s’attaque aux sources mêmes du pouvoir n’a rien à voir avec cette eau tiède-là, car c’est en changeant la nature des pouvoirs qu’on change la logique du système. C’est d’un « réformisme radical » qu’il s’agit: associer - réellement et non point symboliquement - les travailleurs et les citoyens à la prise de décisions les concernant, transformerait les finalités du système.

On s’en tiendra ici à quelques axes politiques principaux.

1. Remettre la finalité humaine au coeur de la décision et la finance à sa place d’instrument .

- Cela signifie d’abord, qu’il existe une rationalité de l’humain. Il n’y a pas d’une part « la » rationalité qui serait celle de la marchandise et de l’argent et d’autre part la simple générosité « bien respectable certes, mais combien irresponsable et irrationnelle » qui serait celle de l’humain. Proclamons fortement l’existence d’une rationalité économique qui, pour reposer sur des fondements différents, n’en donne pas moins lieu à l’établissement de critères décisionnels tout aussi rigoureux que ceux fondés sur ce que j’appelle depuis longtemps une simple « logique des choses mortes ».

- Au niveau de l’entreprise : assurer le participation effective et non point symbolique des travailleurs, au pouvoir de décision et notamment aux conseils d’administration, poser la question du contrôle des citoyens sur les activités les concernant directement (pollutions de voisinage par exemple) ;

- Au niveau des nations: cesser de subordonner l’emploi aux exigences de la maximisation des revenus financiers (licenciements de « convenance boursière »), faire de la relève de l’homme par la machine l’instrument d’une libération (réduction des temps de travail qui a toujours été, dans le long terme, le facteur décisif d’augmentation du nombre de travailleurs occupés, alors même que le volume total annuel des heures travaillées dans la nation ne cessait de régresser) ; repenser les mécanismes de la répartition dans une optique de justice distributive (question du revenu de citoyenneté notamment) ;

- Au niveau international : subordonner la loi marchande au respect des normes sociales et environnementales définies par les grandes conventions internationales (Rio, Kyoto, BIT...), contrôler la liberté de mouvements des capitaux dans le monde, s’opposer aux dérives spéculatives qui se déploient au détriment de l’économie réelle, annuler la dette des pays en retard de développement, lutter effectivement - par des actes et non des mots - contre l’argent sale et les paradis fiscaux.

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2. Remettre l’humain au cœur des institutions.

On n’a pas la prétention ici, d’aller au-delà de l’affirmation de quelques principes.

- Tout d’abord, porter le pouvoir politique de contrôle au niveau international des forces qu’il doit contrôler. Cela débouche sur le renforcement de la coopération internationale, la refonte des institutions actuelles (qui se comportent trop souvent en instruments des intérêts qu’elles ont théoriquement pour mission de réguler) et la mise en chantier de nouvelles institutions internationales plus représentatives de l’ensemble des forces économiques, sociales et citoyennes des sociétés mondiales. De nombreux projets, d’inspiration socialiste, existent en la matière.

L’Europe peut constituer un espace au sein duquel pourraient se déployer efficacement de nombreuses initiatives que l’on dit irréalisables au plan national. A condition évidemment de renforcer l’Union avant de l’étendre jusqu'à n’en faire qu’une zone de libre échange interne appelée à se diluer dans une zone plus vaste de libre échange à l’échelle mondiale. N’ayons pas peur de plaider le retour à la notion de « préférence communautaire » par laquelle le traité de Rome établissait un système d’échanges intracommunautaires contrôlant, en son pourtour, les mouvements de marchandises et de capitaux en provenance de l’étranger. Nous n’avons, je le sais, aucune chance d’être entendus dans l’immédiat, mais c’est surtout lorsqu’on est à contre courant qu’il faut savoir affirmer encore plus fortement ses positions.

- Au niveau national, une pluralité de structures (« économie plurielle ») conciliant le libre jeu des intérêts individuels avec la suprématie d’un intérêt général sur lequel se fonde l’existence d’un secteur public et d’un secteur de l’économie solidaire l’un et l’autre irréductibles aux lois de la régulation marchande. La planification française mise en place après la guerre (planification dite « souple ») - évoquée ici à titre d’exemple - constitue le précédent réussi d’un système sachant harmoniser la poursuite des objectifs collectifs (à la définition desquels les commissions du Plan associaient l’ensemble des forces vives de la nation), avec le libre jeu des intérêts individuels. On ne revient pas au passé, mais on peut s’inspirer de ses leçons.

- A tous les niveaux ,renforcer les coopérations sans éloigner le pouvoir des citoyens et sans aboutir à des lourdeurs paralysantes; déconcentrer le pouvoir sans diluer les solidarités lentement forgées au cours de l’histoire, cela suppose une réflexion approfondie sur les implications d’un principe dit de subsidiarité, excellent dans ses intentions, mais mal analysé et encore plus mal mis en application (a-t-on fait l’Europe pour consacrer des années à définir, au niveau communautaire, la composition du chocolat ?) : définir les niveaux d’organisation pertinents et répartir le pouvoir de décision en fonction des niveaux où il déploie ses conséquences - ou comme on dit plus simplement, le placer au niveau le plus bas possible - ne se fait pas selon les lois du marchandage ou du pouvoir de négociation respectifs des intérêts concernés.

3. Quelles forces mettre en œuvre?

D’abord la loi, dans la mesure où les Etats nationaux possèdent encore d’importants pouvoirs. Les hommes politiques qui tiennent le discours de l’impuissance des gouvernements dans le monde contemporain doivent changer de métier.

Ensuite la concertation et la coordination des politiques à l’échelle internationale. Si, comme on nous le dit souvent, cela ne relève de la compétence d’aucun gouvernement pris isolément, il dépend de l’initiative de chacun de tenter de convaincre les autres de sa nécessité dans tous les domaines où cela lui paraît s’imposer.

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Enfin le réveil , à l’échelle mondiale, des peuples et des mouvements citoyens qui, de la mise en échec de l’AMI et de Seattle à Porto Alegre, s’effectue à une vitesse étonnante. On voit apparaître ici une forme de démocratie directe qu’il faudra savoir entendre et articuler avec les formes traditionnelles de la démocratie représentative, si l’on ne veut pas courir le risque de la voir un jour s’opposer à cette dernière. Une telle opposition serait proprement catastrophique. Ce n’est pas en se dissimulant derrière les murs de Davos, de Québec ou en s’enfonçant - comme l’autruche - la tête dans les sables du Qatar que l’on réglera le problème. Il est des conditions de négociation - en se cachant des peuples - que des gouvernements se voulant socialistes s’honoreraient à refuser.

Le socialisme aujourd’hui ? On le voit la tâche est immense et aucune réponse ne saurait être définitive, car, dans la mesure même où elle réussit, toute politique qui progresse transforme les données des sociétés où elle se déploie et suscite de nouveaux problèmes. La perfection à laquelle chacun aspire ne sera jamais atteinte et c’est là une excellente nouvelle : l’histoire n’a pas de fin ; aussi longtemps que des hommes et des femmes vivront sur cette planète, il y aura place pour le rêve, l’utopie et le dépassement de soi-même...

René PassetParis 09/06/2001

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Synthèse des différentes participations des membres du Gritreçues à la date du 12 novembre.

Joël de Rosnay

Chaque participant a répondu aux trois questions suivantes : Quel est mon apport personnel ? Quelles actions mettre en oeuvre ? Que faire ensemble ?

Dans cette synthèse on tentera de faire intervenir ces trois points principaux sans distinguer chacun des apports dans un ordre spécifique, mais en citant, dans la mesure du possible, des extraits des communications.

***Il apparaît que la plupart des intervenants considèrent que leur apport personnel découle d'expériences de terrain, révélant des interactions individuelles, des complémentarités, des transversalités.

Le contact avec la nature et les gens sur le terrain aussi bien que des universitaires engagés et des politiques dans des contextes et situations très diverses m’a d’emblée mise dans la perspective de la transversalité, des interactions et de la complexité. HC

Certains parlent même de « métissage » des expériences.

J’aimerais tirer parti de ce métissage des expériences pour aider le GRIT à renouveler à la fois sa réflexion et sa posture en tant que levier de transformation sociétal. VP

Cette analyse des situations actuelles, liée à la complexité du monde et à des expressions de forme de liberté, de recherche de vérité, conduit, notamment, à une réflexion sur la crise politique et l’incapacité des décideurs à apporter des solutions aux grands enjeux du monde contemporain.

Allons-nous vers un divorce croissant d'une sphère sociétale qui ne serait capable de se mobiliser sur des enjeux politiques que par bouffées et d'un politique institutionnalisé tiraillé entre archaïsmes et médiatisation people, et oscillant entre gérer des fictions et achever de s'autodétruire ? PA

Je m'intéresse à la question de la vérité dans ce qu'elle a d'impossible et de la liberté en tant qu'elle est contradictoire. JZ

Notre époque est celle d'une grave crise du politique. Il semble avoir perdu la capacité à vouloir et pouvoir de façon autonome. Il n'oriente l'innovation technique que par défaut, en installant un contexte qui favorise l'appropriation de ses composantes. Il est devenu incapable de structurer l'économie et ses rapports avec les autres dimensions de la vie sociale PA

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On propose ainsi d'aller vers une « démocratie cognitive », de « remettre la science et la technique en démocratie ».

Je m'intéresse surtout aux dispositifs concrets d'une démocratie cognitive, de la construction d'une intelligence collective permettant une véritable autogestion responsable et prudente, pas simplement une auto-organisation aveugle et sans mémoire JZ

Le GRIT a plus que jamais un rôle de passerelle à jouer entre les univers innovants et les mouvements pour aider ces derniers à décrypter, évaluer et infléchir le cas échant l’innovation de manière à ce qu’elle nourrisse le bien commun. Bref pour remettre la science et la technique en démocratie. VP

Un sentiment d'inégalité, non seulement économique mais aussi culturel, éducatif, est mis à jour. D'où l'importance signalée par certains, des problèmes d'éducation, de vulgarisation, de communication des grands enjeux, au plus grand nombre et aux décideurs.

Faire de mes limites une force de connections afin de contribuer à faciliter les contacts et les échanges entre générations, champs d’actions différents, cultures et types d’expériences et de savoirs. Je suis profondément préoccupée par les inégalités croissantes dans tous les domaines de la vie sur la planète que ce soit la technologie, l’accès au savoir et les conditions de vie. HC

En particulier comment ces réflexions et ces apports peuvent irriguer l’éducation populaire et, en retour, être stimulé par des intelligences d’autres milieux et cultures. HC

Je réfléchis aux modes de communication les plus efficaces pour faire passer des messages qui me paraissent essentiels à la compréhension du monde dans lequel nous vivons et au futur que nous devons construire ensemble JR

La question que je me pose est liée à la manière de faire passer ces notions fondamentales dans le grand public et vers les décideurs. JR

Il apparaît que parmi les actions à entreprendre l'une des principales est la mise en réseau, le développement de l'intelligence collective ou de l'intelligence collaborative.

Ce que nous pouvons faire ensemble ne se fonde pas sur l'exercice du pouvoir personnel ou collectif, mais sur le partage en réseau d'une « intelligence collaborative » permettent à chacun de s'élever pour mieux voir et de relier pour mieux comprendre. JR

Pour la construction d'une intelligence collective et d'une démocratie cognitive à l'ère de l'information, tout reste à faire...JZ

L’autre engagement est la poursuite du travail de « butinage-réseautage » dans le cadre de toute une série d’initiatives en France et au niveau international : Collectif Richesses, Dialogue en Humanit. HC

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Non pas dans le cadre d'une auto-organisation aveugle et passive, mais plutôt d'une responsabilisation des acteurs en fonction des enjeux.

Ce qui me passionne dans la science comme dans la technique, ce n'est pas le savoir positif ni la performance, c'est d'être configurateurs de monde et de contredire nos évidences JZ

Des intervenants expriment la nécessité de « choisir sa destinée » de donner « du sens à sa vie », de « produire du sens », notamment dans l'entreprise et plus particulièrement dans les entreprises utilisant les nouvelles technologies de l'information et de la communication.

Le sens est dicté de l’extérieur pour ce qui est de l’horizon ultime à savoir la réussite de l’entreprise mesuré à travers ses indicateurs financiers ; le sens est coproduit en partie par l’équipe de salariés pour ce qui est de l’horizon intermédiaire, à savoir le plaisir de la qualité du travail réalisé et l’enrichissement intellectuel que celui-ci apporte VP

Je suis convaincue qu’une clarification sur ce qu’est le féminisme aujourd’hui, ou ce qu’il pourrait être, peut contribuer à ce que les femmes se rassemblent (à la fois dans leur têtes et entre elles) et parviennent à gagner le droit de choisir leur destinée, à se libérer mais aussi à libérer les hommes. AB

Mon objectif étant d'aider les gens à se sentir responsables de leur vie et de lui donner du sens JR

La médiation comme mode alternatif non violent de règlement des conflits. Un féminisme assumé et partagé, adapté à l’époque actuelle AB

La médiation peut aussi apparaître comme un outil de résolution non violent des conflits.

Je crois que la médiation, même si on peut l’accuser d’assurer à bon compte une bonne conscience aux entreprises n’est pas un phénomène de mode, mais une forme de règlement civilisé des conflits, adapté à la complexité des situations, parce que non violent et mettant en jeu intelligence, créativité, équité, ouverture AB

La complémentarité apportée par les femmes, non pas en compétition avec les hommes, mais dans le cadre d’échange de savoirs et d'expériences, renforce la responsabilisation face à la vie.

Je travaille donc sur un féminisme assumé par les femmes et les hommes, un féminisme qui ne soit pas perçu « contre » mais avec les hommes, un féminisme qui ne souhaite pas (ou ne soit pas soupçonné) de remplacer une domination par une autre. Ce féminisme contemporain AB

Ces différents éléments doivent se réunir dans le cas des nouvelles approches de la complexité. Plusieurs intervenants mettent en avant la nécessité de repenser la systémique, la cybernétique, les sciences de la complexité.

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Réfléchir aux relations entre l'approche systémique, les sciences de la complexité, la causalité et la relation avec le temps JR

Il n'y a pas que le rapport aux sciences et aux techniques, c'est aussi la réponse aux bouleversements de l'ère de l'information dans l'économie et une conception systémique de l'écologie. JZ

Nous devons défendre la transversalité mais il serait sans doute intéressant aussi de remettre à l'ordre du jour la cybernétique et la théorie des systèmes en y intégrant la complexité et l'auto-organisation avec leurs limites. JZ

Comment les sciences de l'information, les sciences du vivant et celle de l'environnement peuvent interagir en nous permettant d'utiliser des approches communes pour mieux comprendre la complexité et la maîtriser ? Je fais des recherches sur ce que l'on pourrait appeler « l'unité de la nature ». JR

Je ne suis pas sûre que ces sujets intéressent le Grit, mais il est évident que ma façon de les envisager doit beaucoup aux travaux collectifs et individuels du Grit Transversales, à sa recherche permanente de mieux approcher la complexité et de travailler sur les liens et les interactions, à chercher des compromis constructifs. AB

Il s’agit aussi de refonder la connaissance sur les interdépendances et la pluridisciplinarité. D’autres insistent sur la nécessité de rechercher de nouveaux réseaux, notamment dans l'entreprise, pour sortir de notre vision « élitiste » et parfois trop « scientifique » de notre observation du monde. Ils insistent sur l’importance de la révolution informationnelle pour la redécouverte de solidarités.

En parallèle, notre époque est aussi celle d'une renaissance de la socialité. Les individus se dotent de capacités nouvelles d'expressions, de créativité, de collaboration. Ces capacités doivent beaucoup aux techniques informationnelles PA

Les relations interpersonnelles dans l’entreprise informationnelle (entreprise à laquelle les salariés vendent leur intelligence et leur connaissance plus que leur force de travail) m’apparaissent infiniment plus simples que dans le monde associatif. VP

Ceci m’amène à réaffirmer pour le GRIT que nous devons, en particulier sur les sujets scientifiques et techniques mais pas uniquement, aller chercher au sein des entreprises ceux et celles qui essayent en toute modestie de penser autrement. Ceci nous oblige à sortir d’une sorte de quant à soi (associations, intellectuels, et le cas échéant institutions) pour construire de nouveaux réseaux dans un univers qui nous est peu familier. C’est un investissement en capital social auquel je vous invite VP

« L'unité dans la diversité », les « différences dans l'égalité », permettent aussi de sortir de la logique binaire.

La difficulté de penser l’unité dans la diversité, la différence dans l’égalité…, le « et et « au lieu du « ou ou ». AB

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Je me heurte aux difficultés des individus et des collectifs à changer de niveau dans l’appréhension des conflits, à sortir de la logique binaire « c’est lui ou moi », à séparer les enjeux de personne et le problème, en fait à écouter vraiment l’autre, a accepter le dialogue et entamer une désescalade pourtant intéressante pour les deux parties. AB

C'est une approche que le Grit pourra mettre en oeuvre de plus en plus dans sa relation aux autres et dans sa communication. Le Grit apparaît à plusieurs intervenants comme un « levier de transfert sociétal », une « passerelle » de convivialité et de mise en réseau, permettant à certains de s’exprimer par l'amitié, la joie, de découvrir des affinités et des tendances communes, de créer ensemble la complémentarité qui fait la force de l'association.

Que puis-je apporter aux autres ? Tout simplement ce que je suis par l’amitié et la joie de découvrir toutes les richesses humaines et les potentiels de chacun qui peuvent s’enrichir mutuellement. HC

Cette préoccupation et cette conscience de nos limites se transforment en richesse lorsque l’on découvre la spécificité de chacun qui permet de tisser les complémentarités et la coopération HC

Il est indispensable de garder l'héritage du Grit et surtout de construire un « récit cohérent qui rende compte les enjeux contemporains ».

Je pense essentiel que le GRIT continue à défendre son héritage JZ

J’en retire deux éléments – une confirmation et une piste – pour ce qui est du GRIT en particulier, et des mouvements citoyens et sociaux en général. Nous avons perdu les grandes narrations du futur que nous offraient les idéologies du 20ème siècle VP

L’un des priorités pour le GRIT est de contribuer de cette réinvention d’un récit commun VP

Mais nous pouvons travailler quelques chantiers essentiels. En voici une liste pour ouvrir la discussion :Un nouveau récit qui rende compte des enjeux contemporainsLa réappropriation du devenir scientifique et techniqueUne pensée de l'individu et sa relation au collectifL'invention d'un modèle de militantisme non sacrificiel et économe de tempsDonner un contenu concret à la notion de réformisme radical PA

Ensemble améliorer notamment la visibilité du GRIT et son audience politique JZ

Et ceci pour permettre d'engager le dialogue avec les approches différentes.

J’ai pu observer comment, sur des grandes questions qui occupent nos mouvements comme les libertés publiques, et alors que l’entreprise globalement contribue au mouvement de marchandisation des données personnelles, certains de ses salariés, bien plus nombreux que l’on ne croit, et souvent non politisés, intègrent des questions qui nous sont proches dans leur activité quotidienne. Ainsi j’ai pu voir monter en 3 ans à l’intérieur d’une entreprise de télécommunications une conscience de la fragilité de la protection de notre vie privée dans la société informationnelle et une volonté de « ne pas faire n’importe quoi » à ce propos VP

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Ceci m’amène à réaffirmer pour le GRIT que nous devons, en particulier sur les sujets scientifiques et techniques mais pas uniquement, aller chercher au sein des entreprises ceux et celles qui essayent en toute modestie de penser autrement. Ceci nous oblige à sortir d’une sorte de quant à soi (associations, intellectuels, et le cas échéant institutions) pour construire de nouveaux réseaux dans un univers qui nous est peu familier. C’est un investissement en capital social auquel je vous invite VP

Le Grit a été un lieu de collecte d'observations et de valorisation de toutes les initiatives qui participaient à la construction du sens commun.

Durant la seconde moitié des années 90, le GRIT a su être le lieu de collecte/observation/valorisation de toutes les initiatives qui participaient de cette construction de sens commun. Il me semble que nous devons renouer avec cette fonction plus essentielle que jamais, à un moment où les porteurs de ces initiatives traversent souvent des moment d’épuisement ou de découragement VP

C'est par des expériences bien préparées, des procédures d'évaluation efficaces, et des modes de diffusion des résultats s’appuyant sur les nouvelles technologies de la communication que nous pourrons ensemble contribuer à l'efficacité de la diffusion et de l’application de nos idées. JR

Le GRIT se caractérise par une remarquable diversité, des approches complémentaires, une grande ouverture d'esprit, le respect de l'autre. Nous pouvons ensemble contribuer à transmettre ces approches tolérantes et généreuses vers d'autres groupes JR

Plus que jamais le Grit doit réinventer un récit commun, pour partager, reconstruire et motiver.

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Présentations personnelles

- Jean Zin

I.

Je m'intéresse à la question de la vérité dans ce qu'elle a d'impossible et de la liberté en tant qu'elle est contradictoire. Ce qui est mon souci principal, c'est l'erreur, la bêtise, notre rationalité trop limitée notamment au niveau collectif et notre difficulté à nous entendre et savoir quoi faire mais je m'intéresse surtout aux dispositifs concrets d'une démocratie cognitive, de la construction d'une intelligence collective permettant une véritable autogestion responsable et prudente, pas simplement une auto-organisation aveugle et sans mémoire, ceci dans un environnement complexe dont on ne peut connaître qu'un bout, à l'ère de l'information qui bouscule tous nos repères, avec un sens hérité qu'il nous faut non seulement continuer mais reconstruire à chaque fois.

Ce qui me passionne dans la science comme dans la technique, ce n'est pas le savoir positif ni la performance, c'est d'être configurateurs de monde et de contredire nos évidences, de matérialiser nos limites cognitives mais aussi de nous rendre responsables de leurs conséquences imprévues et d'essayer d'y répondre à temps, de savoir ce qu'il faudrait faire en allant y voir de plus près.

II.

Le passage à l'ère de l'information, de l'écologie et du développement humain n'a pas trouvé encore sa traduction institutionnelle qui semble bien devoir rejoindre les propositions de Jacques Robin et d'André Gorz (travail autonome ou quaternaire, revenu garanti, associations ou coopératives municipales, monnaies locales), propositions que je défends dans différentes revues mais dont je sais qu'elles ne sont absolument pas crédibles pour l'instant et rencontrent là aussi nos limites conceptuelles. Pour la construction d'une intelligence collective et d'une démocratie cognitive à l'ère de l'information, tout reste à faire... Dans l'état actuel de désorientation il serait urgent de s'y mettre.

III.

Sur ce que nous pouvons faire ensemble j'aurais tendance à dire la même chose mais en mieux si possible, améliorer notamment la visibilité du GRIT et son audience politique.

Je pense essentiel que le GRIT continue à défendre son héritage, du moins tant qu'il n'est pas repris ailleurs, mais il faudrait en discuter un peu plus entre nous pour le mettre à jour, éprouver sa cohérence, préciser sa mise en oeuvre. Il n'y a pas que le rapport aux sciences et aux techniques, c'est aussi la réponse aux bouleversements de l'ère de l'information dans l'économie et une conception systémique de l'écologie.

Nous devons défendre la transversalité mais il serait sans doute intéressant aussi de remettre à l'ordre du jour la cybernétique et la théorie des systèmes en y intégrant la complexité et l'auto-organisation avec leurs limites.

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- Annie Batlle

Mes deux sujets de réflexion et de travail (Annie)

-La médiation comme mode alternatif non violent de règlement des conflits.-Un féminisme assumé et partagé, adapté à l’époque actuelle

La médiationJ’interviens depuis deux ans en tant que médiatrice entre BNP Paribas et ses clients. J’essaye de faire évoluer les situations en faisant faire à l’entreprise et au client un bout de chemin ensemble, à les amener à considérer non pas leur position mais leur intérêt, à exprimer leur ressentis et pas leurs ressentiments et à les aider à s’accorder sur des solutions équitables. Je crois que la médiation, même si on peut l’accuser d’assurer à bon compte une bonne conscience aux entreprises n’est pas un phénomène de mode, mais une forme de règlement civilisé des conflits, adapté à la complexité des situations, parce que non violent et mettant en jeu intelligence, créativité, équité,ouverture. Elle mérite d’être généralisée à toutes sortes de situations bloquées. En étant évidemment vigilant sur une banalisation marchandisée.

J’ai découvert le processus sur le terrain dans la pratique, et je travaille à la conceptualisation de l’usage et à en formuler l’état d’esprit et la mise en oeuvre.

Je me heurte aux difficultés des individus et des collectifs à changer de niveau dans l’appréhension des conflits, à sortir de la logique binaire « c’est lui ou moi », à séparer les enjeux de personne et le problème, en fait à écouter vraiment l’autre, a accepter le dialogue et entamer une désescaladepourtant intéressante pour els deux parties.

Le féminismeDepuis que je travaille sur la question des femmes je suis évidemment frappée par la déclaration quasi unanime des intellectuelles ou pas, des femmes en situation professionnelle ou pas, « je ne suis pas féministe…mais (et derrière ce mais elles déclinent des revendications évidemment féministes). Pour les unes il s’agit de se protéger pour ne pas faire peur à leurs employeurs ou à leurs maris, pour d’autres c’est ringard et dépassé. Beaucoup d’entre elles ne pouvant d’ailleurs citer que Simone de Beauvoir et/ou les Chiennes de garde. Or quand on les approche, qu’on les connaît mieux, on les voit courageusement engagées, en entreprise, à la maison, avec leurs hommes, avec leurs enfants dans des situations et des arbitrages qui relèvent typiquement d’approches auxquelles il est difficile de trouver une autre terminologie que féministes. : femmes essayant de s ‘affirmer dans leurs choix personnel hors toutes assignations.

Chez les intellectuelles les combats perdurent entre universalistes et différencialistes : « l’un est l’autre », ou « l’une est différente de l’un » . « Si on est pas pareilles on ne sera jamais égales », « si on dit qu’on est différente on va encore être rangée dans une catégorie inférieure ». « Si on dit qu’on est complémentaire, on va nous ressortir Adam et sa côte »… « Si on est féministe on ne peut pas être féminine !!!! »

La difficulté de penser l’unité dans la diversité, la différence dans l’égalité…, le « et et « au lieu du « ou ou »..Je travaille donc sur un féminisme assumé par les femmes et les hommes, un féminisme qui ne soit pas perçu « contre » mais avec les hommes, un féminisme qui ne souhaite pas (ou ne soit pas soupçonné) de remplacer une domination par une autre. Ce féminisme contemporain (on ose plus dire moderne) correspond ,me semble t il, aux attentes, même s’il n’est pas formulé. d’une majorité de femmes et d’hommes.

L’humanisme évolue avec le temps et les connaissances progressivement accessibles, pourquoi le féminisme (qui devrait en faire partie intégrante) n’en ferait il pas de même. Quand on parle de révolution, on ne pense pas automatiquement à des têtes coupées. Pourquoi par ignorance, crainte, paresse, opportunisme assimilerait on les féministes à des femmes déchaînées et castratrices, brandissant des armes et des pancartes dans les rues ?

Je suis convaincue qu’une clarification sur ce qu’est le féminisme aujourd’hui, ou ce qu’il pourrait être, peut contribuer à ce que les femmes se rassemblent (à la fois dans leur têtes et entre elles)et parviennent à gagner le droit de choisir leur destinée, à se libérer mais aussi à libérer les hommes.Il y a des bannières pacifiques. J’envisage de faire un livre avec autant de témoignages d’hommes que de femmes, de chercheurs autant que de praticiens. Dans le même temps je travaille et j’interviens beaucoup en entreprise sur les avantages de la mixité, en terme d’innovation et de résultats. On peut notamment peut les relier à une évolution dans les interactions qui se créent au sein des équipes.

Je ne suis pas sûre que ces sujets intéressent le Grit, mais il est évident que ma façon de les envisager doit beaucoup aux travaux collectifs et individuels du Grit Transversales, à sa recherche permanente de mieux approcher la complexité et de travailler sur les liens et les interactions, à chercher des compromis constructifs. Je dois évidemment beaucoup à la relation directe avec Jacques, qui essayait toujours de comprendre (ce qui ne veut pas dire être d’accord)et qui est si rare, ce qui rendait tous les échanges enrichissants et constructifs.

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- Henryane de Chaponay

- Où j’en suis dans ma quête de vie

A 83 ans ayant beaucoup travaillé sur et en lien avec le terrain au Maghreb, en Afrique Noire puis en Amérique Latine dans le cadre large de l’éducation populaire et du développement local je garde beaucoup de contacts dans certains pays avec différentes générations et milieux. Je n’ai pas de diplômes ni de profession spécifique mais le contact avec la nature et les gens sur le terrain aussi bien que des universitaires engagés et des politiques dans des contextes et situations très diverses m’a d’emblée mise dans la perspective de la transversalité, des interactions et de la complexité. C’est pourquoi la rencontre avec Transversales Sciences Culture et le GRIT a été pour moi fondamentale et stimulante. Je suis toujours en recherche et curieuse. Actuellement je suis sur deux types d’engagements. L’un lié à la mémoire et à l’écriture : un livre à deux avec une anthropologue brésilienne qui est basé sur ma trajectoire et des rencontres fécondes ainsi qu’un autre livre collectif qui retrace le parcours d’un groupe de travail constitué à la mort de Paulo Freire en 1997. Celui-ci a pu, avec le concours de l’UNESCO, organiser deux séminaires pour croiser des expériences diverses de formation et développement local de plusieurs pays d’Amérique Latine, du Québec, de l’Afrique, de France et de Belgique.

L’autre engagement est la poursuite du travail de « butinage-réseautage » dans le cadre de toute une série d’initiatives en France et au niveau international : Collectif Richesses, Dialogue en Humanité, appel Banyan aux passeurs d’espoir dans le cadre des FSM ainsi que le lancement du Mouvement International de Réciprocité Active (MIRA) avec Claire Heber Suffrin. Dernièrement je me trouve également impliquée dans un groupe de pilotage appelé à aider l’Université des Sciences et Technologies de Lille à préparer un Colloque International au printemps 2009 autour de l’idée « Quel dialogue possible entre porteurs de savoirs traditionnels et scientifiques d’aujourd’hui ? » (titre provisoire). - Pour faire quoi ?

Faire de mes limites une force de connections afin de contribuer à faciliter les contacts et les échanges entre générations, champs d’actions différents, cultures et types d’expériences et de savoirs. Je suis profondément préoccupée par les inégalités croissantes dans tous les domaines de la vie sur la planète que ce soit la technologie, l’accès au savoir et les conditions de vie.

- Que puis-je apporter aux autres ?

Tout simplement ce que je suis par l’amitié et la joie de découvrir toutes les richesses humaines et les potentiels de chacun qui peuvent s’enrichir mutuellement.

Cette préoccupation et cette conscience de nos limites se transforment en richesse lorsque l’on découvre la spécificité de chacun qui permet de tisser les complémentarités et la coopération.

Pour le Grit la réflexion de fond telle qu’exprimée dans la lettre d’invitation, en particulier la capacité de mettre en réseau d’autres intelligences rejoint bien mes préoccupations. En particulier comment ces réflexions et ces apports peuvent irriguer l’éducation populaire et, en retour, être stimulé par des intelligences d’autres milieux et cultures.

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- Joël de Rosnay

1- Où j'en suis dans ma réflexion et sur quoi je travaille.

Je continue à réfléchir aux relations entre l'approche systémique, les sciences de la complexité, la causalité et la relation avec le temps. J'essaie de comprendre comment les sciences de l'information, les sciences du vivant et celle de l'environnement peuvent interagir en nous permettant d'utiliser des approches communes pour mieux comprendre la complexité et la maîtriser. Je fais des recherches sur ce que l'on pourrait appeler « l'unité de la nature ». Pourquoi retrouve-t-on des structures aussi semblables à des niveaux de complexité aussi différents ? Dans le micromonde, le monde perceptible à l'homme et le macromonde. L'approche fractale peut être utile pour mieux saisir ces phénomènes. Quelles sont les relations qui existent entre des processus qui interviennent dans le développement d'Internet par exemple, et ceux qui sont à l'origine de la complexification du cerveau ? Ces phénomènes en évolution permanente sont ils liés à l'accélération du temps ? Un autre sujet de réflexion auquel je consacre un certain nombre de lectures et de recherches personnelles est le temps. La causalité circulaire abolit-t-elle le temps ? Le temps du futur est-il « anisotrope » par rapport au temps du passé ? Je réfléchis également aux modes de communication les plus efficaces pour faire passer des messages qui me paraissent essentiels à la compréhension du monde dans lequel nous vivons et au futur que nous devons construire ensemble. Qu'est-ce que la vulgarisation, la communication multimédia, les échanges sur Internet, peuvent apporter pour améliorer cette compréhension ? Enfin je travaille actuellement à la rédaction d'un livre dédié à la « biologie de synthèse » qui me paraît constituer un ultime défi que l'homme lance à la nature.

2- Pourquoi de telles réflexions et quelles actions mettre en œuvre ?

La question que je me pose est liée à la manière de faire passer ces notions fondamentales dans le grand public et vers les décideurs. Quelle vision adopter, quelle attitude mettre en œuvre, quels types d’échanges établir avec les autres ? Mon objectif est de conduire les gens à « aimer leur avenir ». En particulier les plus jeunes. L’expérience montre que si on n'aime pas son avenir, si on a une vision trop pessimiste du monde qui vient, on n’a pas envie de le construire et on se laisse porter par les événements. Pour éviter cette attitude négative, j'essaie de faire comprendre l’importance des sciences de la complexité ainsi que les moyens d'agir sur elle. Je cherche à influencer les décideurs par différents moyens : livres, émissions de télévision ou de radio, conférences, conseils. Je tente de mettre en oeuvre des processus de co-éducation participative et de co-régulation citoyenne. Et ceci dans différents domaines, comme ceux des sciences et de la technologie ou de l'environnement. Mon objectif étant d'aider les gens à se sentir responsables de leur vie et de lui donner du sens. En participant à des associations, des comités de réflexion, des groupes de recherche, je m'efforce de confronter mes idées avec celles des autres. Des grands organismes me servent de relais pour catalyser ces approches nouvelles. Ainsi la Cité des Sciences est un lieu d'expérimentation, de communication et de dialogue. Le GRIT représente également une plate-forme d'échanges irremplaçables, par sa diversité, son ouverture et sa vision.

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3- Qu'est-ce que l'on peut faire ensemble ?

Le GRIT se caractérise par une remarquable diversité, des approches complémentaires, une grande ouverture d'esprit, le respect de l'autre. Nous pouvons ensemble contribuer à transmettre ces approches tolérantes et généreuses vers d'autres groupes, d'autres associations, de proche en proche, utilisant différents moyens de démultiplication, des effets de levier. Nous avons aussi de grands atouts car des hommes, des femmes de réflexion, des grands noms de la science, de la philosophie, de l'épistémologie, de la sociologie, travaillent avec nous et peuvent relayer nos idées. Ce que nous pouvons faire ensemble ne se fonde pas sur l'exercice du pouvoir personnel ou collectif, mais sur le partage en réseau d'une « intelligence collaborative » permettent à chacun de s'élever pour mieux voir et de relier pour mieux comprendre. C'est par des expériences bien préparées, des procédures d'évaluation efficaces, et des modes de diffusion des résultats s’appuyant sur les nouvelles technologies de la communication que nous pourrons ensemble contribuer à l'efficacité de la diffusion et de l’application de nos idées. Nous pouvons ensemble refonder une pensée politique pour le XXIe siècle. Nous en avons l'expérience, les outils, les compétences. Par les réseaux nous sommes capables de créer des contre-pouvoirs, bénéficiant des effets d'amplification de l'Internet moderne (forums, journaux citoyens, blogs, site vidéo…), afin de contribuer à équilibrer les pouvoirs politiques, militaires, industriels, religieux, idéologiques, intégristes, qui paralysent les actions individuelles dans le cadre de démocraties non respectées.

Joël de Rosnay, 10 novembre 2007

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- Valérie Peugeot

Trois questions m’occupent plus particulièrement pour l’heure. Questions qui ont déjà de près où de loin été évoquées à Transversales, mais que je revisite en croisant plusieurs regards liés à mes occupations professionnelles successives. Au cours des dernières années j’ai connu alternativement l’économie sociale et le capitalisme flamboyant, la micro association et la très grande entreprise, un univers qui affiche comme raison d’être la solidarité et un autre dont le cœur est la valeur (au sens réductionniste de la valeur économique), un espace de réflexion et de construction d’alternatives à la société informationnelle et un monde de production, de façonnage de cette même société informationnelle…

J’aimerais tirer parti de ce métissage des expériences pour aider le GRIT à renouveler à la fois sa réflexion et sa posture en tant que levier de transformation sociétal.

• J’observe la difficulté de nos mouvements à percevoir à quel point il existe un bouillonnement créatif et inventif dans les entreprises du « capitalisme informationnel ». Ce bouillonnement apporte parfois le pire (tests ADN, traçage RFID…), souvent des choses dont nous aurions pu nous passer et qui ne font que nous entraîner un peu plus loin dans la course en avant d’une croissance à forte emprunte écologique et humaine. Et parfois aussi pour le meilleur. Qui aurait dit en 1995 lorsque naissait Vecam, émanation de Transversales, que les outils de l’autoproduction et de la collaboration auraient vue le jour et essaimé 10 ans plus tard, portés à la fois par des mouvements de culture libre (au sens du logiciel) à l’image du wiki, et par une myriade d’acteurs du marché à l’instar de Del.icio.us ou de Youtube, mais sans intervention de la puissance publique ? Les mouvements sociaux et citoyens sont souvent dans une ignorance (en partie par crainte de la complexité) ou un rejet (la technophobie n’est pas loin) de ces questions. Le GRIT a plus que jamais un rôle de passerelle à jouer entre les univers innovants et les mouvements pour aider ces derniers à décrypter, évaluer et infléchir le cas échant l’innovation de manière à ce qu’elle nourrisse le bien commun. Bref pour remettre la science et la technique en démocratie.

• Je constate l’absence de pensée unique dans l’entreprise informationnelle (et non pas de l’entreprise). J’ai pu observer comment, sur des grandes questions qui occupent nos mouvements comme les libertés publiques, et alors que l’entreprise globalement contribue au mouvement de marchandisation des données personnelles, certains de ses salariés, bien plus nombreux que l’on ne croit, et souvent non politisés, intègrent des questions qui nous sont proches dans leur activité quotidienne. Ainsi j’ai pu voir monter en 3 ans à l’intérieur d’une entreprise de télécommunications une conscience de la fragilité de la protection de notre vie privée dans la société informationnelle et une volonté de « ne pas faire n’importe quoi » à ce propos. A l’inverse, et sans surprises, d’autres font fi de ce genre de questionnement, obsédés par les nouveaux modèles économiques à inventer sur la base de l’économie de l’attention. Ceci m’amène à réaffirmer pour le GRIT que nous devons, en particulier sur les sujets scientifiques et techniques mais pas uniquement, aller chercher au sein des entreprises ceux et celles qui essayent en toute modestie de penser autrement. Ceci nous oblige à sortir d’une sorte de quant à soi (associations, intellectuels, et le cas échéant institutions) pour construire de

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nouveaux réseaux dans un univers qui nous est peu familier. C’est un investissement en capital social auquel je vous invite !

• les relations interpersonnelles dans l’entreprise informationnelle (entreprise à laquelle les salariés vendent leur intelligence et leur connaissance plus que leur force de travail) m’apparaissent infiniment plus simples que dans le monde associatif. J’y trouve une explication première dans l’absence de question de sens (et non pas dans l’absence de rapports de pouvoir). Le sens est dicté de l’extérieur pour ce qui est de l’horizon ultime à savoir la réussite de l’entreprise mesuré à travers ses indicateurs financiers ; le sens est coproduit en partie par l’équipe de salariés pour ce qui est de l’horizon intermédiaire, à savoir le plaisir de la qualité du travail réalisé et l’enrichissement intellectuel que celui-ci apporte (ceci est vrai là où j’ai la chance de travailler et aux fonctions que j’exerce, je n’en tire bien entendu aucune généralité, et en particulier aucune extension aux entreprises industrielles traditionnelles).

J’en retire deux éléments – une confirmation et une piste – pour ce qui est du GRIT en particulier, et des mouvements citoyens et sociaux en général. Nous avons perdu les grandes narrations du futur que nous offraient les idéologies du 20ème

siècle, ce qui n’est bien entendu pas à regretter lorsque l’on sait à quelles dérives totalitaires elles nous ont amené. Aujourd’hui nous sommes dans un entre deux, certains d’entre nous vivant dans une forme de nostalgie de ces narrations, et les autres, sans les regretter, sentent bien que nous manquons d’un récit commun. L’un des priorités pour le GRIT est de contribuer de cette réinvention d’un récit commun. A l’inverse des deux siècles précédents, celle-ci doit reposer non pas sur quelques figures charismatiques mais sur un mouvement ascendant, enraciné dans le local, et en respiration avec les questions planétaires. Sans cette horizon commune, nous vivrons encore longtemps ces cycles de déception récurrents liés à l’incapacité de nos mouvements/partis à dépasser leurs différences et leurs querelles de pouvoir. Durant la seconde moitié des années 90, le GRIT a su être le lieu de collecte/observation/valorisation de toutes les initiatives qui participaient de cette construction de sens commun. Il me semble que nous devons renouer avec cette fonction plus essentielle que jamais, à un moment où les porteurs de ces initiatives traversent souvent des moment d’épuisement ou de découragement.

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- Philippe Aigrain

1- Sur quoi est-ce que je travaille ?

J'essaye de comprendre l'écologie humaine des échanges d'information à l'ère de l'informatique, d'internet et des autres techniques informationnelles. C'est à dire comprendre comment la construction des individus et des collectifs est modifiée par l'existence de ces nouveaux instruments et médiations. Modifiée dans un sens profond, anthropologique, puisque que les êtres humains se définissent à travers l'usage de quelques instruments essentiels qu'ils (c'est à dire les sociétés dans lesquels ils vivent) ont externalisé, socialisé : les langues, les écritures et aujourd'hui ces instruments qui codent des opérations de l'esprit.

Pour comprendre cette nouvelle écologie humaine, je privilégie deux approches : la réflexion sur le contexte qui oriente son développement et la relation entre univers informationnel et univers physique. La première approche m'a conduit à analyser le rôle essentiel des mécanismes d'appropriation et de partage pour orienter l'évolution des activités qui se déroulent dans l'univers informationnel. Elle m'a aussi conduit à estimer qu'il était pertinent d'analyser l'univers informationnel comme « hors marchés » et à poser le problème de son couplage avec l'économique plutôt que celui d'une économie de l'immatériel. Pour suivre les expressions de Jacques Robin, on pourrait dire que je m'intéresse à une économie avec l'immatériel et non une économie de l'immatériel. Du point de vue de cette première approche, j'appartiens à un groupe d'analystes dont beaucoup sont américains et qui constitue l'une de mes « familles ». La deuxième approche m'a conduit à poser les problèmes de la coexistence entre un univers informationnel et un univers dans lequel l'énergétique, le physique, le matériel résistent à une réduction à l'information. Je m'intéresse particulièrement aux domaines mixtes : la biologie ou dans un tout autre registre la relation entre activités informationnelles et activités physiques pour les individus et les groupes sociaux.

2- Pourquoi de telles réflexions et quelles actions mettre en oeuvre ?

Je traite surtout la deuxième partie de la question. Si l'on reprend les deux approches décrites plus haut, la question des arbitrages entre droits restrictifs sur le modèle de la propriété et mécanismes de partage ou droits d'usage fait déjà l'objet d'actions politiques structurées. Ces actions restent cependant encore trop marginales. Elles se caractérisent par un mélange de production sociétale d'alternatives et d'actions au contact des institutions politiques productrices de normes juridiques. Les groupes qui les conduisent font face aux mêmes difficultés que dans les autres domaines du renouveau d'action sociétale : éparpillement, coalitions temporaires, difficulté à se porter au niveau du politique général. Elles affrontent cependant ces difficultés de façon à mon sens plus productive que celle des acteurs altermondialistes par exemple : les coalitions sont plus stables, il y a une certaine production de doctrine, etc. Cependant le passage au politique général est loin d'être à portée.

D'où l'importance de construire des tissus d'actions à partir de la seconde approche : articulation de l'écologique et de l'informationnel, renouveau de l'économie matérielle à partir d'un changement des règles du jeu structurantes de l'économique, art de vivre, avec et sans les techniques informationnelles, considéré comme une politique, buts et pratique de l'éducation, etc.

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3- Que peut-on fait ensemble ?

En ce qui concerne la première approche, Transversales et ses organisations associées y sont présents en tant que tels, au niveau national comme au niveau international. Mais cela ne concerne qu'une petit sous-groupe au sein de Transversales, même si les autres participants expriment leur sympathie.

Je pense que c'est autour de la seconde approche telle que je viens de la décrire (et de toutes celles similaires proposées par d'autres) que l'on peut se réunir et agréger des autres acteurs. Mais cela suppose de changer notre façon de travailler. En raison de la référence aux fondateurs et à notre affection commune pour eux, nous avons été trop prudents dans nos interrogations mutuelles. J'ai le sentiment que nous devons aujourd'hui ré-interroger nos apparentes certitudes, lister des chantiers ouverts et difficiles, ne pas avoir peur de mettre sur la table des divergences de sensibilités ou d'approches. Nous devons un peu risquer Transversales pour le faire vivre.

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- Philippe Merlant

1- Où j'en suis dans ma réflexion et sur quoi je travaille.

Mon activité professionnelle de journaliste (à La Vie) me prenant désormais à plein temps, c’est sur les questions de l’information et des médias que je concentre ma réflexion. Le livre que j’écris avec Luc Châtel, journaliste à Témoignage chrétien (pour la collection Transversales/Fayard), traite des relations entre journalisme, pouvoir et contre-pouvoir. En gros, autour de la question : « Les médias peuvent-ils ne pas être systématiquement du côté du (des) pouvoir(s) ? ». Je participe aussi à plusieurs groupes de réflexion traitant de la responsabilité sociale des médias et des journalistes : Alliance internationale de journalistes, Association pour la préfiguration d’un conseil de presse… Enfin, en tant que président de la société des rédacteurs de La Vie (qui intervient sur les questions éthiques, déontologiques et de ligne éditoriale), je participe au Forum permanent des sociétés de journalistes, qui s’efforce de résister aux menaces contre l’indépendance des médias.

Je travaille sur ces questions avec Luc Châtel, mais aussi avec Miguel Benasayag. Avec celui-ci, je réfléchis également à la question du « lien social » : l’hypothèse, c’est que le lien n’est pas quelque chose d’optionnel, comme un « supplément d’âme ». Le lien est matériel, inhérent à l’espèce humaine. Nous expérimentons cette hypothèse avec RESF (Réseau éducation sans frontières) à travers une enquête intitulée « effet miroir » : il s’agit de montrer qu’au delà des seules victimes directes, la chasse aux sans papiers génère des dommages pour la société toute entière : lorsqu’on ampute un membre, c’est tout le corps social qui est atteint.

2- Pourquoi de telles réflexions et quelles actions mettre en œuvre ?

A la fois parce que c’est mon métier, bien sûr, mais aussi parce que je considère – et j’ai été heureux de retrouver ces idées dans l’échange entre Jean et Sacha (le frénésie médiatique tire nos sociétés vers le bas, hors de toute pensée) tout comme dans le texte de John Berger envoyé par Sacha – que les médias sont devenus le principal lieu de « formatage » des esprits, donc d’évacuation de la dimension politique. Comprendre quelle vision du monde ils véhiculent – et quels leviers actionner pour tenter d’y échapper – pourrait donc contribuer à la réemergence du politique.

3- Qu'est-ce que l'on peut faire ensemble ?

Je n’attends pas directement quelque chose du Grit-Transversales concernant les sujets précis sur lesquels je travaille (à la lecture des différentes contributions, il semble d’ailleurs qu’il serait difficile qu’il en soit ainsi, vu la diversité des centres d’intérêt !). Je pense que c’est dans la « transversalité », et en revenant à deux

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fondamentaux qui font la spécificité du Grit, que l’aventure commune pourrait – et mériterait – d’être poursuivie.

• Le premier est celui de la pensée complexe, dont tout montre qu’elle n’est pas du tout entrée dans les esprits. Face aux simplifications médiatiques – et, à l’inverse, au sentiment de nombreux citoyens que le monde est devenu bien trop complexe pour être appréhendé –, il y aurait pourtant tout intérêt à montrer ce qu'apporte cette pensée complexe à l’analyse du monde et de ses évolutions. Je suggèrerais, de ce point de vue, que cela devienne le principal objectif de la newsletter : plutôt que de viser à une certaine exhaustivité sur les thèmes choisis, choisir ces thèmes en fonction de l’actualité et apporter – à travers les regards croisés de quatre ou cinq chercheurs – une approche interdisciplinaire du sujet.

• Le second est celui du projet politique : « réformisme radical » et « écologie politique », notamment. Même si des bribes en sont reprises ici ou là par la gauche, j’estime que, globalement, ce que nous avons porté reste assez peu pris en compte, voire inaudible. Je crois qu’avant d’aller plus loin, il faut se poser la question du « pourquoi ? » (j’ai beaucoup apprécié ce que dit John Berger sur le doute). Sinon on risque d’osciller sans cesse entre la culpabilité (« Nous n’en faisons jamais assez ») et l'accusation (« Les autres ne nous comprennent pas »). Travailler sur les raisons qui font qu’il est difficile (impossible ?) aujourd’hui de construire un projet politique cohérent me semble une étape indispensable pour se poser la question de manière réaliste : « Que pouvons-nous faire aujourd'hui, et comment ? »

Sinon, j’ajoute que je souscris à la suggestion de Valérie d’élargir ce questionnaire à l’ensemble des participants à la journée du 23.

Amitiés

Philippe Merlant

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- Laurence Baranski

Où en suis-je de ma réflexion et sur quoi je travaille ?

J’ai l’impression que mon champ d’action, à la fois à titre professionnel et associatif (Interactions TP-TS), est de faire de la complexité appliquée. La question à laquelle je me confronte est : comment des groupes humains (que ce soit dans les entreprises, les institutions, les associations) font pour agir ensemble dans un monde qui n’arrête pas de voir les frontières bouger : mettre de la cohérence dans les systèmes et donc du sens, développer de l’intelligence collective, développer les logiques de coopération, développer l’écoute et la qualité relationnelle car si l’évidence est loin d’être admise, il apparaît de plus en plus clairement qu’il y a dans cet espace relationnel là des « gains d’efficacité et de mieux-être ». J’accompagne des personnes, dirigeants et managers, des équipes, des collectifs plus importants en tentant de les aider dans leur réflexion, et in fine dans leurs choix d’actions. Dans sa note Annie dit : « je me heurte aux difficultés des individus et des collectifs à changer de niveau dans l’appréhension des conflits, à sortir d’une logique binaire « c’est lui ou moi », à séparer les enjeux de personne et de problème, en fait à écouter vraiment l’autre, à accepter le dialogue et à entamer une désescalade pourtant intéressante pour les deux parties ».

De mon côté, je n’interviens pas toujours en situation de conflit, loin de là, mais les dynamiques de changement (je préfère dire de transformation) se heurtent bien à cela : les logiques binaires, les hiérarchies de pouvoir… que nous avons tous intégré dans nos esprits. Faire de la complexité appliquée, pour moi, c’est descendre à ce niveau de la complexité qui met en interaction nos positions de vie individuelle, nos croyances, nos représentations de nous même, du monde et de la vie, nos besoins - particulièrement de reconnaissance -, notre émotionnel, nos aspirations.... Etc'est regarder, une fois que l'on conscientisé ces interactions (et donc que l'on "se conscientise soi-même"), comment il est possible de produire ensemble du "nouveau".

Pourquoi de telles réflexions et quelles actions mettre en œuvre ?

Je ne diabolise par les entreprises. Elles ne vont de mon point de vue humainement pas plus mal que les organismes institutionnels, ou que les associations Il y a à l’intérieur de ces entreprises des personnes qui sont de vrais catalyseurs du changement. Et ces personnes présentent l’avantage de se confronter à la réalité à la fois économique et humaine, au quotidien. Mais nous serons certainement d’accord, une fois que ces dirigeants ou managers dans l'entreprise (« ils » et de plus en plus « elles ») ont fait tout ce qu’ils ont pu pour "mettre un peu plus de douceur dans un monde de brutes") ils ont les pieds et poings liés, car ils sont contraints par le système économique (ultra capitaliste) où règne en maître la valeur argent, et qui génère toutes les inégalités relevées par Henryane notamment dans sa note.

C’est donc bien au système et aux paradigmes qui le sous-tendent qu’il faut s’attaquer, c’est eux qu’il faut remettre en question en leur opposant l’intelligence (et le bon sens) de la complexité, des interdépendances, de la transversalité...

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A ce titre, je suis d’accord avec toutes les propositions qui invitent à poursuivre le travail autour de la complexité, de la transversalité, de l’informationnel…. A la fois pour qu’il y ait une irrigation via « l’éducation populaire » comme le propose encore Henryane, et pour continuer de former les élites aux pouvoir (Jacques m’avait dit qu’au démarrage c’était la cible de Transversales). Récemment j’entendais Jean-Louis Borloo expliquer au grand public le concept fondamental, selon lui, de « biodiversité » en précisant que lui-même avait eu du mal à percevoir cette notion, mais que maintenant il la considérait comme majeure. Il faut donc l’aider à diffuser, lui et les autres….

Que peut-on faire ensemble ?

Tout ce que vous avez dit… je suis d’accord. Mais pour moi, ce qui me semble prioritaire et incontournable, c’est la notion de Récit évoquée par

plusieurs d'entre vous. Pour imaginer celui du 21ième siècle (et des suivants ?) je pense qu’il faut prendre plus de recul (non pas "plus" que celui que vous prenez, bien sûr, mais "plus" que celui pris actuellement par les projets politiques actuels). Edgar a écrit que la complexité nous invite à nous désegocentrer et à nous désethnocentrer. Je pense qu’il faut, pour imaginer le récit (des récits ?), aller plus loin et nous déplanétérariser. C'est-à-dire, regarder la Terre d’un peu plus haut, regarder l’espèce humaine aujourd’hui, les dégâts qu’elle cause et son mal-être (issu pour moi plus de la pollution émotionnelle que nous produisons que de la pollution écologique), d’où elle vient, où elle peut aller…. sur cette planète que l’on dit petite dans un univers qu'on dit immense. Cette prise de recul pose des questions existentielles, métaphysiques, spirituelles... Je pense que ces approches doivent aujourd’hui être totalement et explicitement intégrées à un projet politique. C’est toutes les questions autour de l'impermanence, de la mort (Patrick avait écrit un très beau texte faisant le parallèle entre notre peur de la mort et notre système économique tel qu’il est aujourd’hui), du mystère, de la conscience…. Pour finir et illustrer mes propos, 2 phrases. La première d’Armand PetitJean : « Pourtant ces mouvements, dont ATTAC, en France, est le meilleur exemple, rassemble des intérêts, des traditions, des espérances si diverses que, lorsqu’il s’agira non plus de contre-attaquer un adversaire évident, mais de définir des propositions constructives, ils risques de perdre la cohésion. Ils ne pourront l’éviter que par une référence commune qui nous dépasse tous. Or il n’en est qu’une, à la croisée de la nature et de la culture : la conscience » Et un questionnement : si tant est que l'on soit d'accord avec la proposition suivante de Patrick, comment fait-on pour aller plus loin dans cette direction. C'est cela qui personnellement m'intéresse, et il me semble que c'est cette proposition (ou d'autres lui ressemblant) qui permettront aussi à GRIT-Transversales de rayonner "efficacement" et en l'occurrence "humainement" « La vraie valeur, au sens étymologique du terme, c'est celle qui donne force de vie aux humains. Encore faut-il que l'humanité cesse de dévaloriser sa propre condition et cesse de chercher cette valeur introuvable dans des machines ou des signes monétaires. Ce que nous apprennent la mutation informationnelle et les nouvelles frontières de la connaissance et du vivant, c'est que la vraie richesse, demain plus encore qu'hier, sera celle de l'intelligence du coeur" (Patrick Viveret, Reconsidérer la Richesse, Editions de l'Aube Nord, 2003)

Bien sûr ces éléments de récit, tels que je les évoque, ne sont rien sans tout le reste….

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- Armen Tarpinian

Je vous adresse une réflexion ci-jointe qui ne vous était pas a priori destinée, mais que j'envoie, j'avoue, par commodité de communication. Elle traduit l'angle de vision et d'action pour lequel je me sens le plus compétent et peut-être utile... et continue de me battre !

J'ai coordonné à cet égard trois livres sur ou autour de ce thème depuis 3 ans, notamment celui sur l'école dont le Grit porte un droit d'inspiration. Ce choix relève d'une expérience inscrite dans l'histoire de ma vie et celle d'un siècle qui a produit le meilleur et le pire. Je relie bien sûr ma proposition à l'approche systémique, transdisciplinaire, dont le Grit est une tête théoriquement et politiquement chercheuse, trouveuse, voire finalement entendue !!.

Mais il me semble qu’il y aurait un manque essentiel, par rapport à l'exigence de complexité, à limiter notre horizon aux réalités matérielles et"immatérielles" au sens le plus large : disons à l'écologie générale, sans prendre en compte plus clairement l'écologie mentale (à rappeler la place éminente que lui accorde la Pensée complexe).

Il manque significativement dans le référentiel des disciplines désignées dans notre présentation de la réunion du 23 : l'histoire, l'anthropologie, la psychologie, les sciences de l’éducation,.. Je lis en ce moment l'ouvrage de Marc Ferro consacré au « ressentiment dans l'histoire » ; je pense aussi aux travaux d'Axel Honneth sur le besoin de reconnaissance dans les transactions sociales à tous les niveaux : cela certes ne fonctionne pas in abstracto, hors des conditions sociales, économiques etc. Tous deux insistent, comme la psychologie de la motivation, sur le rôle croisé des blessures individuelles, d'intensités diverses, et des blessures collectives dans la genèse des actes violents voire de barbarie. Je crois que nous devons tenir la subjectivité pour un fait aussi "palpable", compréhensible, que les réalités sociales qui pour partie la déterminent et vice versa. C'est un champ à ne pas exclure de notre travail, sauf à le décider par souci de limitation, ce qui risque d'appauvrir nos recherches et résultats. Le 20ème siècle a produit des connaissances sur "la psychique" aussi importantes que sur la physique: : il s'agit de deux mondes aussi riches et difficilement sondables... Nous travaillons dans la Revue PM depuis 20 ans à l'émergence d'une culture qui marche sur ces deux jambes de la connaissance (lire dans le site du Grit la présentation de la revue PM par Bruno Mattéi, in XXème Anniversaire de la Revue).

Puis-je évoquer deux images symboliques qui touchent au tréfonds et font penser... Elles démontrent, parmi tous les déterminismes historiques, le rôle de la subjectivité et de ses contagions malheureuses et heureuses ;

1) celle d'Hitler quittant le grand stade de Berlin aux Jeux olympiques de 1936, parce qu'allait y courir un athlète noir...2) celle du président NOIR d'Afrique du Sud porté en triomphe par les joueurs de rugby BLANCS lors de la récente coupe du monde de rugby

Que serait l'Afrique du Sud sans la maturité humaine et politique de Mandela... cela dans un contexte non moins explosif que celui de l'Allemagne de 1930 ? Qu'aurait été l'Allemagne si Hindenburg avait eu plus de cou…rage ! Mais je n’en suis pas pour autant à vouloir expliquer l’histoire par le nez de Cléopâtre, qui n’est en tout état de cause qu’une aile de papillon… Il s’agirait plutôt d’insister sur l’immaturité antropologique et culturelle ( les croyances, préjugés, la fausse motivation-justification…) qui appelle une éducation transdisciplinaire au sens plein du terme dont « mon sujet » est un volet… qui me semble indispensable si l’on veut vraiment pouvoir «changer d’ère… ».

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Pour conclure, je cite avec réconfort cet extrait du message de Mickaël Grégoire que je vous ai transmis :

« Que l’humanité progresse dorénavant dans sa connaissance d’elle-même, voilà sans doute une de nos principales préoccupations communes. Que l’être humain, si doué pour construire des machines reposant sur des équations qui décrivent les lois de la matière et du vivant, soit si peu lucide sur sa propre nature m’inquiète également profondément. Que l’homme du XXIème siècle n’apprenne pas à ses enfants les vertus de l’introspection et de l’autocritique, que sa connaissance de ses propres motivations et valeurs soient généralement d’une extrême pauvreté (je suis en train de terminer une recherche sur cette question), tout cela me préoccupe terriblement tout comme vous ».

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EDUCATION ET SOCIETEAPPRENTISSAGES FONDAMENTAUX

Armen Tarpinian

Cette réflexion s’inspire directement des travaux de la Commission Education de l’association

Interactions TP-TS (Transformation personnelle/Transformation sociale) dont l’ambition est

d’aider l’humanisme, dont nos sociétés se réclament, à s’enrichir de pratiques et d’outils

d’humanisation largement expérimentés mais qui attendent d’être généralisés. Le terme

« humanisation » désigne ici le processus évolutif qui peut nous conduire, individuellement et

collectivement, à partir d’apprentissages et non de « bonnes intentions dont l’enfer est pavé », au

déploiement de ce qui fait, au sens le plus profond du terme, la réussite humaine : à savoir, la qualité

du lien dans toutes ses nuances, allant de la cordialité et la tolérance à l’amitié et l’amour ; la lucidité de

l’esprit qui est connaissance de soi et force du jugement dégagé des préjugés ; l’autonomie et la

solidarité, vitalement complémentaires. Cela exige des formes d’éducation et de co-éducation

psychosociales sans lesquelles l’humanisme demeurera un chemin mal assuré.

Or, en France plus qu’en d’autres pays d’Europe, malgré des instructions officielles et la pratique

même de beaucoup d’enseignants, la représentation dominante demeure que l’école est un lieu de

transmission de connaissances intellectuelles et, au mieux secondairement, un lieu d’apprentissage de

la vie. Il en résulte que les apprentissages fondamentaux de connaissance de soi et de relation à

autrui ne sont pas traités alors qu’ils demeurent nécessaires tout au long de la vie… Le but de cette

éducation psychosociale est de donner corps au sens de la responsabilité et à l’éthique du dialogue :

apprendre à s’affirmer sans opprimer ni se soumettre; à cultiver l’empathie; à mettre des mots sur ses

émotions et prévenir ainsi les montées de violence ; à ne pas s’enfermer dans les ressentiments et à

tirer un parti positif des conflits. La capacité d’écoute, l’esprit critique et autocritique, le savoir-vivre

ensemble, le sentiment de co-responsabilité, constitutifs de l’esprit démocratique, s’apprennent. Ces

aspects de l’éducation sont entièrement négligés dans la formation des adultes qui ne l’ont pas non

plus reçue durant leur parcours d’élèves.

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Entre solutions politiques urgentes et évolution lente des mentalités l’éducation psychosociale

constitue un chemin obligé. Personnes, école et société fonctionnent en interactions complexes dont

le sens imprègne les esprits et les modes de fonctionnements collectifs. Les démocraties ne peuvent

se déployer et durer que dans une co-évolution dynamique des institutions et des personnes

Transformation individuelle et transformation sociale s’appellent l’une l’autre. Toute réforme perd

de son impact sans cette articulation essentielle.

Insistons. Tablant sur le plaisir et l’efficacité de la coopération, de l’émulation saine, les savoirs et

les outils existent et ont fait leurs preuves. Mais ils attendent d’être officiellement validés,

appliqués. Leur négligence coûte cher aux personnes et à la société, alors que leur intégration offre

les meilleures conditions à l’appropriation des savoirs.

Ces apprentissages visant à répondre aux besoins fondamentaux des individus sont inséparables des

besoins de la société. La réussite individuelle et la réussite collective se commandent mutuellement.

D’où la nécessité de repenser la réussite scolaire et sociale à l’aune de la réussite humaine telle que

nous l’avons définie. C’est cette dimension éthique, psychologique, sociale et, pour tout dire

anthropologique qui donne son sens à toute action éducative, sociale et politique. Poser les

problèmes de l’école sous cet angle permet d’approcher dans toute leur profondeur et complexité les

causes des échecs scolaires avec leurs souffrances spectaculaires et celles, muettes, qui peuvent

perturber toute une vie. Réponses de fond aux problèmes de violence et d’autorité, ces

apprentissages contribueraient à créer les conditions d’une éducation et d’une formation

humanisantes où savoirs, savoir-faire, savoir-être et « savoir être ensemble » s’apprennent

conjointement.

La vraie question est donc de savoir si l’humanité parviendra à articuler le temps de l’urgence, qui

appelle des solutions politiques lucides, et le temps lent de l’éducation, de la maturité

psychosociale. A parer aux dangers les plus menaçants et à s’ouvrir des voies et des pratiques

nouvelles pour mieux vivre et peut-être survivre.

Armen Tarpinian Directeur de la revue de Psychologie de la Motivation

* Ecole : changer de cap. Contributions à une éducation humanisante. Chronique sociale 2007.

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Sortons du mur !

Patrick Viveret

L’idée

Depuis le temps que nous disons les uns et les autres dans nos réseaux respectifs que « nous allons dans le mur » si nous continuons dans la voie d’un productivisme insoutenable aggravé par un capitalisme financier de plus en plus autoritaire posons nous la question : et si le mur nous ne l’avions pas déjà percuté ? Et si donc la question était désormais non pas d’éviter d’y aller mais de commencer à en sortir.

Car après tout que voyons nous si nous regardons un peu le rétroviseur de ces trente cinq dernières années (pour prendre avec 1972 une date qui soit écologiquement significative d’un début de prise de conscience, la conférence de Stockholm, mais cette date est aussi intéressante sur le plan culturel et politique : la suite proche des mouvements internationaux de 68, l’après Breton-wood sur le plan économique par exemple) ? Nous constatons que quantité de situations que nous vivons actuellement régulièrement, parfois au quotidien, auraient paru à l’époque relever du fameux risque de percussion mural : l’élévation gravissime du CO2 et son cortège de catastrophes naturelles (sécheresses, canicules, inondations, tempêtes etc.), l’expérience de catastrophes technologiques majeures (Seveso, Bhopal, Tchernobyl) en constituent des exemples sur le plan écologique. Mais le creusement des inégalités sur le plan social, l’explosion du capitalisme financier, la montée de l’intolérance se traduisant par une influence démesurée de courants xénophobes au cœur même de l’Europe auraient paru à l’époque aux courants humanistes, fussent ils de tradition conservatrice, relever du fameux mur à éviter. Nous sommes en réalité en plein dans le bain de la grenouille que l’on ébouillante progressivement pour éviter qu’elle ne saute de la bassine. Nous avons déjà fait un long chemin avec l’inacceptable et paradoxalement notre peur du mur à éviter a pour effet de nous rendre aussi impuissants que le lapin face au boa.

D’où la nécessité d’un renversement de perspective susceptible, en nous rendant beaucoup plus lucide que nous le sommes habituellement sur notre présent et notre passé proche, de nous ouvrir paradoxalement des voies d’avenir plus lumineuses en repérant dans ce mur dans lequel nous sommes déjà bien entrés quelques brèches à élargir pour mieux en sortir.

Certes, le mur en question se présente davantage comme une série de murailles entrelacées que comme une simple barrière à franchir. Et il est vrai que si nous avons rencontré déjà nombre de murets, percuté des murs plus costauds qui ont déjà beaucoup blessé ou tué il y a toujours un ensemble de remparts plus lourds encore qui, dans le gymkana où l’humanité est engagée, peuvent produire encore beaucoup plus de dégâts voire, dans l’hypothèse de la sixième grande extinction, mettre fin à sa brève aventure dans le cosmos. Mais si nous restons dans l’analogie de l’enchevêtrement de murailles plutôt que du mur simple nous pouvons dans le même temps où nous repérons les obstacles les plus dangereux encore devant nous nous diriger vers les brèches et tenter d’entraîner vers des paysages plus doux un maximum de compagnons d’infortune.

Le projet SDM ! « Sortons du mur !» esquissé ici pour provoquer la discussion, l’imagination et l’action se nourrit d’abord de désir dont l’énergie est très supérieure à la peur. Car il existe aussi des

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brouillards artificiels que nous prenons pour des remparts et ceux-ci sont parmi les principaux obstacles que nous rencontrons car ils nous bloquent à la racine même de tout processus d’imagination alternative. Il s’agit en particulier de l’effet de « sidération » que produit le capitalisme contemporain. Sidération car il provoque une panne d’imaginaire telle que même ce qui reste de révolutionnaires professionnels n’ont pour tout programme que de revenir au bon temps des trente glorieuses et de sa croissance pilotée par l’état nation2. Quant aux plus radicaux des écologistes, tels de nouveaux cathares, ils n’ont pour tout message que de prêcher une décroissance peu propice à mobiliser les énergies. Or quel est le contraire de la sidération. L’étymologie nous renseigne sur ce point. Face au « sidus » de l’immobilité de la voûte celeste à laquelle croyaient les grecs et les latins, la terre et le monde sublunaire étaient le siège de la vie (et de son corollaire la mort) et du mouvement. « Desidere », racine étymologique du mot désir c’était donc être dans une situation inverse de l’éternelle immobilité : la vie et le mouvement. Voilà pourquoi, comme nous le disons dans le cadre du processus international « Dialogues en humanité », nous avons besoin de réinventer du désir, un désir d’humanité. Face aux logiques mortifères, de Thanatos nous avons besoin comme le notait déjà Freud en 1930 de retrouver la force de vie de l’Eros. Il nous faut, pourrions nous dire, construire la SEM, la « stratégie érotique mondiale ».

Cet enjeu renouvelé des logiques de vie face aux sidérations mortifères nous permet de traiter le plus difficile : notre propre barbarie intérieure. Rien n’est plus facile que de se construire un ennemi supposé cause de tous nos maux. Rien n’est plus difficile que d’organiser le travail d’une communauté sur elle-même afin de progresser dans sa qualité d’humanité. C’est la raison pour laquelle les effondrements les plus graves viennent de crises intérieures à des collectivités qui sont alors source de désespoir et pas seulement de défaite ou d’échec. Ce n’est pas la force du capitalisme qui a conduit à l’échec du communisme. Et pour prendre des exemples français récents sur le plan politique, l’échec d’une candidature de la gauche « antilibérale » aux présidentielles, la crise gravissime (incluant la fraude) au sein d’Attac, l’autodestruction du parti socialiste organisée par ses responsables, l’incapacité des verts à porter une question écologique désormais reconnue comme centrale ont pour point commun d’être des phénomènes intérieurs liés notamment à une incapacité à traiter les enjeux émotionnels en leur sein. Toute action transformatrice, surtout si elle se veut radicale, doit donc tenter de traiter la difficulté de la question humaine à sa racine et ne pas se contenter de prôner le changement pour les autres.

Sept principes peuvent nous guider dans cette direction :

1. Articuler principe d’espérance et de responsabilité : nous avons à juste titre insisté les uns et les autres depuis le livre majeur de Hans Jonas sur le principe de responsabilité. Mais il nous faut aussi retrouver le principe d’espérance bien repris par Edgar Morin à travers trois modalités qui peuvent nous être très utiles dans les temps chaotiques que nous allons de plus en plus traverser : l’improbable, les potentialités créatrices, la métamorphose.

2. Articuler transformation personnelle et sociale : tension dynamique du personnel et du mondial et pas seulement du local et du global. Car le plus difficile n’est pas la production économique mais l’organisation d’un vivre ensemble qui fasse sens et réponde à la demande fondamentale de tout être humain : le désir de trouver sa place dans une histoire qui fasse sens. Là où les économistes croyaient que la question préalable à résoudre était celle de la production abondante face à la pénurie nous voyons bien aujourd’hui que l’abondance est porteuse de dépression si les communautés humaines sont sans repères sur leurs projets de vie.

2 il est significatif de remarquer que les principales mesures prônées par Lutte ouvrière et la LCR aux dernières élections étaient encore mise en œuvre sous Pompidou et Giscard : contrôle des changes, fort secteur public, politique de relance par la consommation etc.

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3. Placer la construction de la joie de vivre au cœur des projets alternatifs non seulement pour résister au mal être et à la maltraitance du capitalisme et du productivisme mais aussi pour échapper aux dérives sectaires et non démocratiques de que l’on pourrait appeler le « militantisme sacrificiel ».

4. Changer notre rapport à la richesse (et à l’argent), au pouvoir, mais aussi à la vie elle-même : l’art de vivre « à la bonne heure » ; opposer la puissance créatrice et la capacité d’émerveillement (et d’indignation !) à la puissance dominatrice et au cynisme désabusé.

5. Promouvoir « la haute qualité démocratique » (à l’instar de la haute qualité environnementale » : construire le conflit comme alternative à la violence, le désaccord fécond comme outil de progression de la discussion dans un débat ; la démocratie étant notamment l’art de transformer des ennemis en partenaires-adversaires ; la pratique des arts martiaux et du « judo de masse » (cf Alinsky) est une école très riche de cette conflictualité non violente.

6. Repérer les potentialités créatrices : il ne suffit pas d’affirmer qu’un autre monde est possible ; en fait une autre manière d’être au monde est déjà là et il nous faut apprendre à voir pour donner à voir et mettre en réseau toutes les initiatives de ce que l’on appelle souvent l’émergence des « créatifs culturels »; cela permet d’articuler à l’instar de l’expérience du mouvement ouvrier mutualiste et coopératif au 19 ème siècle trois postures complémentaires et non contradictoires : la lutte, la proposition transformatrice (donnant lieu à bataille juridique par exemple) et l’expérimentation sociale (tout ce qui est immédiatement réalisable est entrepris).

7. Principe de cohérence : importance de la cohérence de la forme et du fond, et de la capacité à vivre réellement nos valeurs affichées en se souvenant du sens fort du mot valeur : la force de vie !

Premières pistes pour concrétiser cette approche

- Repérage des potentialités créatrices L’émergence des créatifs culturels (ou des coopérateurs ludiques) L’enquête américaine : ses leçons L’enquête française : les six traits des créatifs culturels représentant 17% des plus de 15 ans :

(l’écologie, les valeurs féminines, l’être plutôt que le paraître, l’ouverture multiculturelle, l’implication sociale, l’intérêt pour les enjeux de développement personnel et les questions « spirituelles » ), et les quatre des « altercréatifs » (21%) (les quatre premières caractéristiques)

- Les réseaux potentiellement concernés A titre indicatif et évidemment non exclusif on peut citer plusieurs réseaux directement

concernés par ce projet : Alliance pour la planète, Adels, ACIID, Réseau Banyan en lien avec les forums sociaux mondiaux , Communication non violente,

Collectif richesse,Dialogues en Humanité, 4D, Forum de la gauche citoyenne, GRIT-Transversales, Groupe veille Grenelle, Interactions transformation personnelle-transformation sociale, ODP, Association Sol, Terre et Humanisme (P Rahbi),Recit,Vecam, Villes Internet etc.

- Du bon usage de la mémoire et du travail théorique Se nourrir des tentatives antérieures, comprendre leurs réussites et leurs échecs (ex mvt

ouvrier, coopératives et mutuelles) Les apports théoriques (Proudhon, Fourier, part actuelle de Marx) et pluridisciplinaires (cf

GRIT)

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- Les lieux Parc tête d’or Lyon Parc Bercy (festival terre Paris) Main d’œuvre Maison ouverte Festival du vent Calvi

- Un processus à construire Mise en réseau des projets identifiés par approche de type « syndication » (pas seulement

pour les sites) Modules communs et repérables SDM par ex dans les différents événements et festivals Incluant lien intelligence sensible, cohérence forme et fond Permettant échanges de savoirs et d’expériences Avancée et capitalisation

- Un exemple d’application Prochain festival du vent Printemps créatif DH Festival de la terre La tk du label et de la franchise Une charte opposable Une monnaie commune

- Un rapport au pouvoir créatif et coopératif : les règles du jeu Apprendre à vivre à la bonne heure Pourquoi pas le meilleur face au pire ? L’approche nanoub

- Les événements porteurs Les suites du grenelle Les FSM DH Printemps créatif Bengalore Fez, Université du Lubéron Festival du vent Recit

- Mettre en réseau tous ces acteurs en respectant leur diversité et surtout une logique de puissance créatrice et non de pouvoir dominateur

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- Véronique Kleck

Où en suis-je de ma réflexion et sur quoi je travaille ?

Toujours pour moi la même conviction et le même travail : l’urgente obligation d’apprendre à nos politiques la mutation en cours. Ils ont le nez plongé si profond dans l’immédiat de la décision ou encore dans la pérennité de leur existence, qu’il leurs est difficile de prendre le recul nécessaire à la compréhension du monde ! Alors, toujours et encore, dans divers lieux et places (association, ministère, villes, régions...) je travaille à inventer des formes de communication susceptibles d’atteindre le but : faire comprendre aux élus politiques qu’il faut changer leur regard et leur rapport au monde, à la politique, au pouvoir, aux citoyens et “administrés”... réinventer l’action publique, redécouvrir l’intérêt commun.... Comment faire passer le message ? Quelle communication ? Univers virtuels (je mets en place aujourd’hui une 27ème région, à l’association des régions de France), écrits, formations, séminaires, face à face, radios, images film et vidéos, etc... expliquer simplement la complexité de la mutation en cours. Non, la responsabilité politique ne s’arrête pas à mettre des ordinateurs dans les salles de classe. Oui, il faut écrire et porter un projet collectif, un projet de société... Tous sont d’accord. Mais entre cynisme et espérance, peu trouvent le courage d’un autre discours et encore moins d’un autre comportement politique. Les réseaux numériques et les nouveaux supports de communication provoquent et portent ce renouveau. Et je m’amuse beaucoup à secouer les assurances des “décideurs politiques” et à déstabiliser leur certitude... mais ensuite il faut tout de suite travailler au “que faire”.... et ici encore, il ne reste qu’à essayer, expérimenter, se tromper, tomber, réessayer et se relever.... je continue.

Pourquoi de telles réflexions et quelles actions mettre en œuvre ?

Parce qu’il n’y a pour moi que la primauté du politique et la définition des politiques qui en découle. Parce que tout l’équilibre de nos sociétés doit venir de là : de cette recherche constante du bien commun, de sociétés humaines justes et harmonieuses, d’hommes et de femmes “debouts”... et que cela passe par une grande diversité de lieux et de collectifs, mais aussi par l’éducation de représentants élus. Et parce que le plus grand danger consiste à voir des élus et des citoyens qui ne croient plus en rien sauf à la confrontation violente. Quelles actions ? Mettre des hommes et des femmes politiques dans nos échanges et travaux. Et trouver les bons supports de communication adaptés aux publics que nous souhaitons alerter.

Que peut-on faire ensemble ?

La notion de récits de Laurence me plaît bien... la collection Transversale est pour moi une vraie réussite ! La démarche de Patrick et de coopérateurs ludiques me séduit énormément.... mais comme je vous le disais plus haut, notre énergie s’est essouflée ces dernières année et l’existence collective du groupe est plus que fragile ! Vous faites tous des choses remarquables dans vos vies professionnelles et sociales. Mais, faire des choses remarquables et socialement utiles tous ensemble, cela semble aujourd’hui plus difficile pour nous. Le “faire ensemble” me semble au dessus de nos moyens....mais le plaisir de “l’être ensemble” encore bien réel. Je pense que nous devrions nous transformer en un groupe de coopérateurs ludiques, en commençant par le ludique, et en faisant des dîners mensuels....c’est dans le plaisir que le lien restera. Non ?

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Ce qui nous unit et nous diviseIntroduction au débat

Jean Zin

Il m'a semblé difficile d'essayer de compléter la synthèse de Joël de Rosnay avec les textes arrivés depuis, d'autant qu'il y a convergence sur la plupart des points malgré notre très grande diversité. Il y a bien sûr des divergences aussi sur certains sujets et besoin d'en approfondir d'autres. J'ai donc trouvé plus utile d'essayer d'en faire la liste (à compléter), liste de ce qui nous unit et de ce qui demande discussions entre nous plutôt que de vouloir forcer le consensus. Ensuite, pour lancer le débat, je propose un petit résumé critique, et donc très personnel, des textes envoyés par Edgar Morin et René Passet.

• ce qu'on a de commun

Crise de civilisation, double problématique cognitive et politique étroitement reliées (conduite du changement, réformisme radical, principe de précaution), transversalité, diversité, complexité, systémisme, écologie, lien social, réseaux, associations, ère de l'information, économie plurielle, reconsidérer la richesse, démocratie participative (ou cognitive?), mise en démocratie des sciences et des techniques, vigilance des technologies, nécessaire prospective, nouveau récit commun, communication au grand nombre (éducation populaire et décideurs), médiation, féminisme, autonomie de la personne, besoin de reconnaissance, etc.

Enfin, nous sommes tous à peu près d'accord sur le fait qu'il ne s'agit pas d'aboutir à un système idéal. : "Le renoncement au meilleur des mondes n'est nullement le renoncement à un monde meilleur". (E. Morin)

• ce qui mérite discussion

D'un côté, la place des valeurs, de l'idéologie, de la psychologie, de l'éducation, de la transformation personnelle, du désir, et de l'autre, la place de la relocalisation, d'un système alternatif, de la gratuité, du revenu garanti. Il y a aussi des clarifications à faire sur la cybernétique, l'auto-organisation, l'autogestion, le travail autonome (ou quaternaire), l'antilibéralisme, l'Europe, le métissage, l'humanisme, l'aventure de l'univers...

Plus globalement, je pense que le principal reproche qu'on peut nous faire, c'est de s'en tenir à des voeux pieux (au devoir-être), aussi bien pour Patrick Viveret, Edgar Morin ou René Passet (je pourrais me rajouter sur la liste!). Plusieurs font, comme Armen Tarpinian, de l'éducation la clé de voûte de la société alors que l'éducation est plutôt le reflet de la société, on ne peut guère changer l'une sans changer l'autre même si beaucoup de progrès peuvent être encouragés. Patrick Viveret prend plutôt la voie de l'artiste qui travaille à changer le désir de l'homme et voudrait cultiver la joie de vivre (le bonheur d'être ensemble serait plus adapté pour cette mise en réseau). Cela fait penser un peu à Vaneigem et son « Traité de savoir vivre à l'usage des jeunes générations » qui a eu un rôle non négligeable en effet mais c'est une voie risquée (qui n'est pas la mienne). René Passet aussi attend un réveil de nos valeurs humaines (qui pourrait se produire avec le retour de l'inflation et des luttes salariales!) mais on ne voit pas bien comment la démocratie suffirait à changer l'économie. Si Edgar Morin dessine bien les contours d'une politique humaniste, on ne voit pas bien non plus comment elle pourrait se réaliser concrètement (pas plus sans doute que les propositions de Gorz que je défends mais qui n'ont aucune chance d'être entendues encore, sans parler d'une démocratie cognitive qui est loin d'avoir force de vérité!). C'est, en tout cas, la première question que je me pose à la lecture de ces textes, au-delà d'un accord entre nous, loin d'être partagé à l'extérieur, et de nos différences d'approche.

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Ainsi, par rapport aux textes envoyés par Edgar Morin, l'accord est complet sur la destruction actuelle des liens sociaux et sur la nécessité d'intégrer la complexité et les multiples dimensions, de dépasser les spécialisations, de prendre un point de vue global et retrouver un grand projet, projet de civilisation qui nous fasse passer du quantitatif au qualitatif et se donne pour but une "amélioration des relations entre humains et une amélioration des sociétés humaines".

"Il faut savoir que l'action de gouverner est une action au gouvernail, où l'art de diriger est un art de se diriger dans des conditions incertaines qui peuvent devenir dramatiques. Le principe premier de l'écologie de l'action nous dit que tout acte échappe aux intentions de l'acteur pour entrer dans le jeu des interrétroactions du milieu, et il peut déclencher le contraire de l'effet souhaité."

"Les besoins humains ne sont pas seulement économiques et techniques, mais aussi affectifs et mythologiques."

"L'idée d'un homme "désaliéné" est irrationnelle : autonomie et dépendance sont inséparables".

"C'est en se ressourçant dans son passé qu'un groupe humain trouve l'énergie pour affronter son présent et préparer son futur".

"Alors s'impose à nous l'impératif : civiliser la terre, solidariser, confédérer l'humanité, tout en respectant les cultures et les patries".

"Humaniser la bureaucratie, humaniser la technique, défendre et développer les convivialités, développer les solidarités."

"Sauver la planète menacée par notre développement économique. Réguler et contrôler le développement technique. Assurer un développement humain. Civiliser la Terre. Voilà qui prolonge et transforme l'ambition socialiste originelle. Voilà des perspectives grandioses apte à mobiliser les énergies".

"L’économie plurielle comportera les grandes firmes mondialisées développera les petites et moyennes entreprises, les coopératives et mutuelles de production et/ou consommation, les métiers de solidarité, le commerce équitable, l’éthique économique, le micro-crédit, l’épargne solidaire qui finance des projets de proximité, créateurs d’emplois".

La question qui se pose est celle de ne pas en rester à ces simples souhaits, et c'est bien sur les moyens d'y parvenir qu'on peut avoir des doutes et des divergences. Est-ce qu'il suffit de faire un comité de lutte contre les inégalités ? L'année de propédeutique, bien nécessaire en effet, est-elle si différente de ce que devrait être la philosophie en Terminale ? On est bien d'accord sur la nécessité d'enseigner "les risques d’erreur et d’illusion dans la connaissance ; les conditions d’une connaissance pertinente ; l’identité humaine ; l’ère planétaire que nous vivons ; l’affrontement des incertitudes, la compréhension d’autrui et enfin les problèmes de civilisation contemporaine", cela devrait être en effet le but de l'éducation, d'un bout à l'autre...

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Ce n'est pas tellement différent pour René Passet avec qui j'éprouve un très large accord sur l'analyse, les finalités et les valeurs (même si j'accorde moins d'importance aux valeurs...) mais dont la traduction pratique ne me semble pas tout-à-fait à la hauteur, ne proposant pas une véritable alternative. D'accord donc avec la dérive gestionnaire, l'indifférenciation gauche droite, le clientélisme, sur "le primat de la personne", sur la nécessité de s'appuyer sur les mouvements sociaux et "d'analyser le monde afin de le transformer à la lumière des valeurs dont on se veut porteur et sans lesquelles rien n’a de sens", sur l'ère de l'information, l'interdépendance généralisée, sur le fait que le marché amplifie les déséquilibres, sur le passage de la justice commutative à la justice distributive (quoique je pense qu'il y a une certaine incompatibilité entre RTT et revenu garanti), sur le contrôle de la spéculation internationale, voire sur la préférence communautaire (je préfère préférence locale!) ou même la planification à la française :

Ne pas opposer le long terme et le court terme, mais interpréter le présent à la lumière du passé dont il est issu et de l’avenir qu’il prépare.

C’est précisément lorsqu’un certain discours sur l’homme et les finalités se trouve totalement éclipsé par une logique purement instrumentale, qu’il doit être inlassablement repris.

Il y a un « intérêt général », échappant aux simples dimensions de la régulation marchande et dont il convient d’assurer la prééminence, dans le respect du droit des personnes.

Dans la mesure où - au moins pour toute une partie de l’humanité et, en moyenne pour l’humanité entière - la plupart des besoins fondamentaux sont couverts par la production, apparaît la question des finalités, donc des valeurs.

Le politique est le lieu où se définit le projet social né de la confrontation des systèmes de valeurs, alors que l’économique n’est que l’instrument de la réalisation de ce projet; le primat des valeurs implique donc celui de la fonction politique de l’économique ; il implique également celui de la démocratie car, les valeurs étant indémontrables et irréfutables, sont nécessairement plurielles.

"C’est en changeant la nature des pouvoirs qu’on change la logique du système. C’est d’un « réformisme radical » qu’il s’agit: associer - réellement et non point symboliquement - les travailleurs et les citoyens à la prise de décisions les concernant, transformerait les finalités du système".

Je ne reviens pas sur la question des valeurs et de la vérité ("seule la vérité est révolutionnaire", principe de la psychanalyse) mais je pense qu'à prendre la personne comme finalité collective, ce n'est pas tellement une politique de la demande dont on a besoin lorsque "la plupart des besoins fondamentaux sont couverts par la production", mais d'une politique de l'offre, c'est-à-dire qu'on n'a plus autant à se soucier de quoi produire mais plutôt du comment, et, au nom de la personne comme première valeur, passer du travail forcé au travail choisi, faire du travail le premier besoin de l'homme en sortant du salariat au profit du travail autonome... Je ne crois pas qu'on change un système de production seulement par un changement de pouvoir, même de sa nature, s'il n'est pas accompagné de nouveaux rapports de production, de nouveaux réseaux de distribution, de nouveaux moyens de paiement. Bien sûr, cela n'a rien d'évident, et c'est tout le problème !

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Sommaire

Une pensée politique pour le XXIème siècle ?................................................................................1Une politique pour le XXIème siècle, Jean Zin...............................................................................2Quelle consolidation politique pour les mouvements sociétaux ?, Philippe Aigrain.......................5La pensée socialiste en ruine, Edgar Morin......................................................................................6SI J’AVAIS ETE CANDIDAT, Edgar Morin................................................................................13Une pensée politique pour le XXI° siècle, René Passet.................................................................16Quel socialisme aujourd’hui ?, René Passet...................................................................................18Synthèse des différentes participations des membres du Grit, Joël de Rosnay..............................25Présentations personnelles..............................................................................................................31

- Jean Zin....................................................................................................................................31- Annie Batlle..............................................................................................................................32- Henryane de Chaponay............................................................................................................33- Joël de Rosnay..........................................................................................................................34- Valérie Peugeot.........................................................................................................................36- Philippe Aigrain.......................................................................................................................38- Philippe Merlant.......................................................................................................................40- Laurence Baranski....................................................................................................................42- Armen Tarpinian ......................................................................................................................44

EDUCATION ET SOCIETE, Armen Tarpinian.............................................................................46Sortons du mur !, Patrick Viveret...................................................................................................48

- Véronique Kleck......................................................................................................................52Ce qui nous unit et nous divise, Jean Zin.......................................................................................53

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