Une fresque dans l’église Saint-Ignace-de-Loyola à Rome · Histoire des Arts – Une fresque...

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Histoire des Arts Une fresque dans l’église Saint-Ignace-de-Loyola à Rome « Jésus communique un rayon de lumière au cœur d'Ignace, qui le transmet aux régions les plus éloignées des quatre parties du monde. J'ai représenté celles-ci aux quatre coins de la voûte » Andrea Pozzo, lettre au prince du Liechtenstein

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Histoire des Arts –

Une fresque dans l’église Saint-Ignace-de-Loyola à Rome

« Jésus communique un rayon de lumière au cœur d'Ignace, qui le transmet aux régions les plus éloignées

des quatre parties du monde. J'ai représenté celles-ci aux quatre coins de la voûte » Andrea Pozzo, lettre au prince du Liechtenstein

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Domaine : « Arts du visuel »

Thématique : « Art, espace, temps », plus précisément « Arts et espace »

En quoi consiste la technique du trompe-l’œil ?

Comment les différentes parties du monde sont-elles représentées sur cette fresque ?

Présentation de l’œuvre

- Nature : fresque de la voûte de la nef de Saint-Ignace-de-Loyola à Rome

Nous ne décrirons pas la fresque dans son ensemble. Nous nous intéresserons plus particulièrement aux

groupes représentant les continents et placés aux quatre coins de la voûte.

- Titre : Le Triomphe de Saint-Ignace-de-Loyola

- Dimensions : 36 mètres sur 17

- Date : fin du XVII° siècle

- Auteur : Andrea Pozzo

Autoportrait d’Andrea Pozzo, église du Gésu à Rome

Pozzo (1642-1709) est un peintre italien, célèbre pour sa maîtrise de la perspective en peinture et en

architecture. Il appartient à la Compagnie de Jésus, ordre religieux fondé au XVI° siècle par Ignace de

Loyola, qui est le personnage central de la fresque. Les Jésuites ont mené de nombreuses missions à travers

le monde pour convertir les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique à la religion catholique.

- Style : baroque

L’art baroque est né en Italie vers 1600. Il privilégie le mouvement, la surcharge ornementale, la profusion

des personnages et le foisonnement des couleurs.

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Description de l’œuvre

Andrea Pozzo réalise une voûte en trompe-l’œil. C’est une technique de représentation qui vise à créer

l’illusion de la réalité et donc à « tromper » le regard. Le trompe-l’œil agrandit l’espace, créant une

impression de profondeur infinie (voir Prolongements). De fausses colonnes prolongent les éléments

architecturaux bien réels du bâtiment et s’ouvrent sur le ciel.

A la demande de l’Eglise catholique, les artistes baroques utilisent souvent le trompe-l’œil pour décorer les

plafonds et les murs. Ils transforment ainsi les églises en un lieu de spectacle, très décoré, qui cherche à

impressionner le fidèle, à éblouir son regard et à enrichir son imagination, c’est-à-dire à le séduire.

Partie centrale de la fresque

Le Christ (1) portant sa croix se situe au centre de la fresque : c’est le point de fuite (point vers lequel

convergent les droites sur un dessin en perspective). Les traits de feu, issus du Christ, rejaillissent du cœur

de Saint-Ignace-de-Loyola (2) et se dirigent vers les quatre parties du monde.

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Assise sur un cheval, l'Europe est représentée en reine, une couronne sur la tête et un sceptre à la main,

signe de supériorité. Elle domine deux figures menaçantes symbolisant l’hérésie vaincue.

Comme l'Europe, l'Asie est richement habillée, mais sans couronne, coiffée d'une sorte de foulard. Assise

sur un chameau, elle dresse la main gauche en attitude de prière. Les deux géants qu'elle foule représentent

l'idolâtrie (culte rendue à des idoles dans le cadre d'une religion polythéiste) et l'ignorance religieuse. Les

deux petits anges, à sa gauche, portent un petit brasier symbolisant le feu de la foi chrétienne, dont l'origine

est asiatique.

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L'Afrique est évidemment une femme noire. Elle est associée à deux animaux considérés comme

symboliques de l'Afrique : le crocodile sur lequel elle est assise et l'éléphant dont elle tient une défense dans

sa main. Les deux géants à ses pieds figurant l'idolâtrie sont vaincus l'un par le flambeau tenu par un ange,

l'autre par la morsure du crocodile.

Preuve de son « retard » sur les autres continents, l'Amérique est représentée par une femme à moitié nue,

sauvage, portant une coiffure de plumes colorées selon les pratiques amérindiennes. Elle est armée d'une

lance avec laquelle elle combat les géants idolâtres. Elle est assise sur un jaguar, animal américain devenu

symbole du continent.

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Interprétation de l’œuvre

La fresque dans son ensemble est toute à la gloire de Saint-Ignace-de-Loyola, fondateur de l’ordre des

Jésuites, dont Andrea Pozzo est membre. Le trompe-l’œil qui donne l’illusion d’une ouverture sur le ciel

représente l’ascension d’Ignace vers les cieux, le paradis et l’éternité. La fresque illustre le rôle décisif qu’il

a joué dans la diffusion de la foi catholique dans le monde.

Intéressons-nous maintenant aux représentations figurées des différents continents.

Aux XV° et XVI° siècles, les grands voyages de découvertes (traversée de l’Océan Atlantique par

Christophe Colomb en 1492, premier tour du monde de Magellan et Del Cano de 1519 à 1522…) permettent

aux Européens de découvrir, puis de maîtriser le monde. Ils entraînent un profond renouvellement de la

représentation cartographique : aux trois parties du monde déjà identifiées (Europe, Asie, Afrique) vient s’en

ajouter une quatrième, l’Amérique (voir Prolongements).

On pourrait dire que les Européens « créent le Monde » au XVI° siècle. Les cartographes, puis les artistes

prennent l’habitude d’incarner les parties du monde sous les traits de quatre dames, généralement fort belles,

mais rarement présentées en situation égalitaire comme le montre la fresque d’Andrea Pozzo (voir

Prolongements).

Cette mise en scène vise à opérer une double distinction :

- d’abord mettre en évidence la supériorité de leur continent : l’Europe est toujours représentée avec

les attributs du pouvoir ;

- ensuite établir une hiérarchie entre les autres parties du monde. L’Asie est loin d’être aussi primitive

que les deux autres. Les Européens ne traitent pas les civilisations asiatiques sur un même pied que

les sociétés africaines ou amérindiennes, considérées alors sans aucune gêne comme sauvages.

D’autant plus qu’au moins jusqu’au XVIII° siècle, les conquérants européens se heurtent à des

résistances militaires et culturelles capables de les tenir à distance au Japon, en Chine, en Inde, en

Turquie…

Conclusion

Le Triomphe de Saint-Ignace-de-Loyola se rattache à la thématique « Arts et espace », car :

- tout d’abord, le trompe-l’œil crée l’illusion d’un espace plus grand qu’il n’est en réalité : cette

technique sert parfaitement le sujet, à savoir l’ascension de Saint-Ignace vers le Christ et les cieux ;

- ensuite, la fresque illustre la manière dont les Européens se représentaient l’espace-monde au XVII°

siècle. La Terre est divisée en quatre parties, l’Europe dominant les trois autres. Cette division

majeure des terres habitées sera étendue dès le XVIII° siècle aux habitants. Des quatre continents

découlera la partition de l’humanité en quatre « races ». Celle-ci connaîtra un grand succès, en

particulier dans l’enseignement scolaire (voir Prolongements). Il faudra attendre les années 1960

pour que cette division raciale et raciste de l’humanité soit définitivement abandonnée. Le Parlement

a voté une loi en mai 2013 supprimant le mot « race » de la législation française, mais il figure

toujours dans a Constitution de la V° République !

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Prolongements

La technique du trompe-l’œil

L’Eglise des Jésuites, début du XVIII° siècle, Vienne

Le remarquable trompe-l'œil sur la voûte de la nef fait croire à un dôme colossal. Comme Le Triomphe de

Saint-Ignace-de-Loyola, il a été réalisé par Andrea Pozzo.

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Les progrès de la cartographie

Ces cartes peuvent être considérées comme de véritables œuvres d’art, car elles sont dessinées avec

beaucoup de soin. Les cartes elles-mêmes et leurs contours sont décorés : navigateurs célèbres, petites

personnages soufflant représentant les vents…

A) Le monde selon Ptolémée à la fin du XV° siècle

Carte de Nicolas le Germain, 1482

Ptolémée est un géographe grec du II° siècle. Père de la géographie, son influence se fait sentir jusqu’au

XVI° siècle. Cette carte se veut scientifique : les contours de l’Europe, du Nord de l’Afrique et d’une partie

de l’Asie sont reconnaissables, bien que tracés de manière approximative.

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B) « L’invention » de l’Amérique

Planisphère de Martin Waldseemüller, Saint-Dié des Vosges, 1507

Cette carte modernise les représentations du monde héritées de Ptolémée. Elle précise les contours des

continents. Ainsi, le Sud de l’Afrique, connu grâce aux expéditions des Portugais, est représenté.

Découverte par Christophe Colomb, l’Amérique est figurée sur la partie droite de la carte très mince et très

allongée.

Cette carte est la première ou apparaît le nom « AMERICA », en hommage au navigateur Amerigo (ou

Americo) Vespucci, le premier à avoir compris que les terres découvertes par Colomb constituent un

« Nouveau Monde ».

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C) Le monde au XVII° siècle

Planisphère de Henricus Hondius, 1630

Une autre représentation figurée des continents

Tableau anonyme, XVIII° siècle, musée du Nouveau-Monde, La Rochelle

Comme sur la fresque d’Andrea Pozzo, les quatre parties du monde sont représentées par des femmes.

L’Europe est assise à gauche, tenant les symboles des Arts, des Lettres et des Sciences. Elle reçoit

l’hommage des trois autres continents : l’Amérique agenouillée devant l’Asie ; l’Afrique reste en arrière,

dans la pénombre.

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Quatre continents, quatre « races » : une vision longtemps raciste de l’humanité dans l’enseignement

« Les quatre races d’hommes », une illustration extraite du Tour de France par deux enfants

Ce livre vedette de l’école primaire, publié en 1877, suggère sans aucune gêne la supériorité de la race

blanche. Cet état d’esprit est largement partagé par les contemporains en pleine période de colonisation.

Petit Géographie pour les enfants sages (1947)