Un visage, et des fleurs

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Un visage, puis quelques fleurs « Il fut un temps ou tout oiseau chantait », dit la dame. « Il fut un temps ou chaque chose était porteuse de croyance », ajoute le monsieur. Après avoir déambulé dans la ville, l’homme à la caméra est tombé sur ce couple, il leur a demandé caméra au poing, objectif et micro braqués sur eux : « Que pensez vous de notre actualité La dame puis le monsieur ont répondu ce qui est écrit en tête de page, sous le titre. Souriant avec dédain, l’homme à la caméra dit : « Mais j’aimerais savoir… Plus précisément : l’actualité politique vous en pensez quoi Les regards du monsieur et de la dame s’écarquillent : « Je crois… Il se trouve peut-être, que des forces jouent contre la nature magique des objets », se décide à répondre après un instant d’hésitation le monsieur. L’homme à la caméra pense, tout en arrêtant l’enregistrement : « je suis tombé sur un couple de vieux débiles », puis il se détourne en les remerciant. Le monsieur et la dame restent plantés quelques secondes au milieu de la rue, puis ils reprennent leur chemin. L’air est frais, mais l’agitation des rues produit une certaine chaleur : L’homme, tout en marchant à grandes enjambées, la caméra à l’épaule, essuie la sueur qui perle sur son front. Le monsieur et la dame se dirigent vers la terrasse d’un café. L’homme à la caméra croise un autre couple. Le monsieur et la dame croisés précédemment s’installent à une

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Bagarre, politique, terrasse

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Un visage, puis quelques fleurs

« Il fut un temps ou tout oiseau chantait », dit la dame.« Il fut un temps ou chaque chose était porteuse de croyance », ajoute le monsieur.Après avoir déambulé dans la ville, l’homme à la caméra est tombé sur ce couple, il leur a demandé caméra au poing, objectif et micro braqués sur eux : « Que pensez vous de notre actualité ? »La dame puis le monsieur ont répondu ce qui est écrit en tête de page, sous le titre.

Souriant avec dédain, l’homme à la caméra dit : « Mais j’aimerais savoir… Plus précisément : l’actualité politique vous en pensez quoi ? »Les regards du monsieur et de la dame s’écarquillent : « Je crois… Il se trouve peut-être, que des forces jouent contre la nature magique des objets », se décide à répondre après un instant d’hésitation le monsieur.L’homme à la caméra pense, tout en arrêtant l’enregistrement : « je suis tombé sur un couple de vieux débiles », puis il se détourne en les remerciant. Le monsieur et la dame restent plantés quelques secondes au milieu de la rue, puis ils reprennent leur chemin. L’air est frais, mais l’agitation des rues produit une certaine chaleur : L’homme, tout en marchant à grandes enjambées, la caméra à l’épaule, essuie la sueur qui perle sur son front. Le monsieur et la dame se dirigent vers la terrasse d’un café. L’homme à la caméra croise un autre couple. Le monsieur et la dame croisés précédemment s’installent à une table de la terrasse du café. Le nouveau couple à l’image regarde, chacun un grand sourire aux lèvres, l’objectif. L’homme à la caméra repose sa question. Le jeune homme composant le couple qui fait face à l’objectif répond :« Les politiciens sont hypocrites, ils pensent avec une grande finesse et s’adressent au peuple sans aucune nuance, leurs compositions sont de purs exercices de styles. Comment leur faire confiance, s’ils ne croient pas en nous ? »La jeune femme qui accompagne le jeune homme ajoute : « Le problème de nos institutions, c’est qu’elles sont détachées du cœur de la vie sociale, elles fonctionnent comme des entités dont le rythme, la forme n’a rien avoir avec l’essence de la vie sociale. Lorsque j’entends un homme politique s’exprimer, j’ai l’impression que sa force, son mouvement n’est pas dû à la pensée du peuple. L’homme politique à l’image est plus proche de l’esbroufe des fictions télévisuel que de l’espace concret de nos sociétés, à moins que notre espace social soit autant dans le champ de la fiction télévisuelle que dans les faits de la vie active. »L’homme à la caméra sourit tout en pensant qu’il n’a pas grande chance, qu’il est tombé sur des gens qui disent des choses qui ne conviennent pas.Le précédent couple interviewé a déjà passé commande, une serveuse à jupe courte leur sert le café. Le monsieur regarde avec une attention aiguë la gestuelle de la serveuse. Il la trouve gracieuse, il lève les yeux sur son visage et constate, tout en la

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remerciant, que son regard est terne. Ayant fini la jeune fille sourit vaguement, puis s’éloigne. Des dizaines de pigeons sautillent, se posent, décollent autour de la terrasse.« Les pigeons ne chantent pas », dit la dame.« Normal, ce sont des citadins », répond le monsieur.La dame tourne la tête en direction de la rue : « ah les voilà ! »Le jeune couple interviewé par l’homme à la caméra se dirige vers la terrasse. Ils s’installent à la table de la dame et du monsieur en s’exclamant qu’ils viennent de croiser un journaliste de télévision. La dame et le monsieur disent qu’eux aussi on fait cette rencontre. « Le journaliste portait la moustache ? » demande le monsieur.« Oui », répond le jeune homme.« C’est drôle, » ajoute la dame, puis elle ricane avec la jeune femme.« Vous avez répondu quoi ? » demande le jeune homme.« Nous avons dit ce qui nous semblait essentiel », répond la dame.La conversation est interrompue par la serveuse à jupe courte qui demande ce que désir le jeune couple. Le jeune homme réfléchit tout en la regardant en pensant que c’est elle qu’il désire.La jeune femme dit qu’elle veut une boisson gazeuse : un coca.Le jeune homme se décide : pareil dit-il sans détacher ses yeux de la bouche de la serveuse.La serveuse se détourne, le jeune homme baisse son regard sur les jambes nues qui s’éloignent.Sa jeune compagne s’esclaffe : « Tu n’es pas bien discret. »Le jeune homme se tourne vers elle : « Christine, ce n’est pas contre toi. »« Je n’en doute pas Alain, c’est dans ta nature, mais tu devrais prendre exemple sur ton père », répond elle.Alain n’ajoute rien, le monsieur qui est son père boit une gorgé de son café, puis repose la tasse.« Tu devrais aussi éviter de faire semblant de demander des renseignements à la bibliothécaire », ajoute Christine. « Tu t’exprimes comme une vieille bourgeoise », braille Alain.« Je suis une future vieille bourgeoise… Ou plutôt nous sommes deux futurs vieux bourgeois. »La serveuse arrive avec son plateau, Alain a le regard posé sur la table. Elle sert le couple, puis tandis qu’elle tourne les talons d’un mouvement lent en leur adressant son sourire mou, Alain pose sa main sur ses fesses, et les caresses. La serveuse hésite un instant avant de réagir, les traits de son visage se déforment, elle hurle, jette d’un mouvement brusque le plateau vide sur le visage d’Alain : « Vous êtes malade ! »La serveuse court rejoindre l’intérieur du café. Sans un mot, les parents d’Alain le regarde. « C’est la meilleure », Christine rit grassement.Un monsieur qui semble être le barman rejoint la table, la serveuse reste devant la porte en désignant Alain du doigt. Celui qui semble être le barman pose et referme sa main sur l’épaule d’Alain qui a toujours un sourire aux lèvres. « Je vérifiais juste s’il

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ne s’agissait pas d’un rêve », dit-il « il faut dire que vous ne l’avez pas mal choisie du tout, elle est merveilleusement bien foutue. » « Que racontes-tu connard ! » Dit celui qui est apparemment le barman, en appuyant fortement sur l’épaule du jeune homme. La chaise et Alain basculent, s’étalent au sol en emportant avec eux la table. L’homme qui a traité Alain de connard a une forte poigne. Pendant qu’Alain est au sol, il le roue de coups. Christine et les parents d’Alain se sont levés afin d’éviter de se prendre les pieds de la table pendant qu’elle accompagnait Alain dans sa chute, déversant le café et le coca sur son visage. Les quelques autres clients assis à la terrasse se lèvent puis s’éloignent de la scène, certains s’en vont afin d’éviter de payer leur consommation.La serveuse se précipite sur le monsieur qui semble être le barman et qui continue à frapper Alain. « Cyril arrête… Bon Dieu arrête, tu vas nous faire perdre notre travail ! » s’écrie-t-elle en gesticulant avec hystérie.Cyril arrête, recule de quelques pas, la serveuse s’accroche à son bras. Alain se relève lentement, se retourne brusquement et se jette sur Cyril.« Tu as complètement perdu la tête », s’écrie Christine « On s’en va, nous… » Durant le flot de mots de Christine, Cyril a fait basculer Alain par-dessus son épaule. Le jeune homme retombe les fesses par terre, son adversaire lui balance un violent coup de pied au visage.Christine crie qu’il faut alerter la police, Alain est allongé au sol. Cyril reste un instant sans réaction, se baisse sur son adversaire apparemment assommé et le secoue un peu : Alain ne réagit pas. Les pigeons autour de la terrasse ont pris leur envol durant la bagarre, attirant un instant l’attention du père d’Alain.La serveuse pose un regard inquiet sur les deux hommes. Christine rejoint la serveuse, Cyril, et Alain, se baisse pour voir dans quel état se trouve son compagnon : Un long filet de sang coule sur son visage inanimé. « Tu n’as que ce que tu mérites Alain ! » sanglote-t-elle.

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L’homme à la caméra est dans sa camionnette. Il maintient son appareil posé sur le siège à côté de lui d’une main, et conduit avec l’autre. Il pense qu’il en marre de faire les rues pour produire des images sans intérêt.La musique de son poste est haute : Les conducteurs de véhicules entourant sa camionnette ayant descendu leurs vitres l’entendent. Il écoute du jazz : Oriental Shuffle de Django Reinhardt.En conduisant il observe le paysage urbain : Coca Cola ; Arnold Shwarzenneger ; Mc Donalds ; National ; Microsoft ; Orange etc., grille un feu rouge.

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